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Les écrivains et la mélancolie : Une étude des œuvres « L’homme jasmin » de Unica Zurn et « La cloche de la détresse » de Sylvia Plath

Les écrivains et la mélancolie : Une étude des œuvres « L’homme jasmin » de Unica Zurn et « La cloche de la détresse » de Sylvia Plath

Introduction

L’œuvre littéraire est difficile à saisir, pourtant, elle enrichit notre existence. Elle est palpable et permet d’explorer les profondeurs de l’être humain. La concrétisation d’œuvre littéraire peut provoquer de profondes modifications dans notre vie[1]. Elle consiste en « un mouvement d’idées, d’opinions et de sentiments propres à une période donnée de l’histoire littéraire ». Par conséquent, elle possède ses propres caractéristiques esthétiques particulières au niveau du contenu et de la forme[2].

Les écrits littéraires nous parlent de personnages à qui chacun de nous peut s’identifier. Ils relatent en même temps des évènements qui auxquels, nous aurions pu être témoin dans notre existence. Ils nous plongent dans un univers étrange et merveilleux à tel point, que nous perdons la notion du temps et de l’espace. Mais comment, les auteurs ont-ils pu nous faire oublier la réalité ? L’œuvre littéraire est-elle un reflet de la réalité si bien que nous n’avons pas l’impression de changer d’univers lorsque nous lisons ? Ou est-ce que leur contenu est fictif, mais l’esthétique a été minutieusement élaborée à telle point que nous éprouvons beaucoup de plaisir à lire ? La grande question qui se pose est de savoir l’essence, l’origine de cette capacité des écrivains à écrire et à plonger leurs lecteurs dans une autre dimension.

L’objectif de notre étude est de connaître de  prime abord si les évènements auxquels les écrivains sont soumis peuvent influencer leurs œuvres. Dans cette optique, nous visons à analyser plus particulièrement, si la mélancolie pourrait être à l’origine des productions littéraires. Pour ce faire, nous allons étudier L’Homme Jasmin, un roman qui a été écrit par Unica Zürn, une écrivaine d’origine allemande et La cloche de détresse, écrit par Sylvia Plath, deux femmes dont le destin était tragique et dont les œuvres ne peuvent être séparées de leur vécu, caractérisé principalement par leur troubles mentaux. Ces deux œuvres ont été particulièrement choisies parce qu’elles sont considérées comme les œuvres majeures des deux auteures citées.

Notre étude se divise en trois parties distinctes. La première partie concerne le rapport entre les écrivains, les œuvres littéraires et la mélancolie. Dans cette partie, nous allons tenter de développer d’abord les conditions requises pour produire un écrit. Ensuite, nous allons analyser si la mélancolie pourrait être à l’origine de l’inspiration de l’auteur pour le pousser à écrire. Puis, nous allons faire une revue sur les conditions des femmes écrivaines au fil du temps, leurs combats et les caractéristiques des écrits féminins.

Dans la deuxième partie de notre étude, nous allons analyser tout d’emblée l’œuvre d’Unica Zürn. Nous allons tenter de passer en revue d’abord sa biographie avant de passer à la présentation de ses œuvres. Enfin, nous allons étudier L’Homme Jasmin proprement dit.

Le même plan sera adopté dans la troisième partie, concernant l’œuvre de Sylvia Plath. Cette approche a été particulièrement adoptée afin de pouvoir cerner les rapports qui peuvent s’établir entre la biographie de l’auteure et ses œuvres.

Partie 1 : Les écrivains, les œuvres littéraires et la mélancolie

  • Les conditions de production d’une œuvre littéraire

L’œuvre littéraire constitue d’abord un dialogue entre l’auteur et le lecteur. Elle ne peut en aucun cas être considérée comme une représentation d’une expérience, mais plutôt comme un vécu c’est à dire, quelque chose dont on a fait l’expérience. L’œuvre littéraire est par conséquent, une « expérience particulière entre la lecture et l’écriture » (Kasper, 1992). Mais qu’est-ce que l’écriture ? L’écriture avant tout, est le résultat d’une action : écrire, prise en charge par un sujet écrivant, c’est-à-dire représentant des objets de pensée au moyen de signes visuels. L’écriture implique aussi l’idée de création et se distingue en cela de l’écrit. L’écriture n’est pas non plus une transcription. Elle concerne le créateur, l’écrivain. Cette définition moderne du terme « écriture » se dégage d’une autre conception au 20ème siècle, de ce qu’est justement la création littéraire. Cette dernière est le produit d’un travail, d’un effort, et non le résultat d’une disposition. L’écriture est essentiellement laborieuse.

L’écriture est aussi « une façon de penser la littérature ». Elle est tout à la fois poétique et une étique contenue plus ou moins explicitement dans le roman lui-même. En effet, l’écrivain moderne se veut à la fois prosateur, poète et critique de son propre roman. L’écriture au fait, est une décision. Contrairement à la langue et au style que selon Barthes encore, nous subissons tous, écrivains et non écrivains, l’écriture, elle, si elle ne se confonde pas avec la littérature, en est son origine. Blachot, commente cette définition de l’écriture : « La littérature commence avec l’écriture. L’écriture est l’ensable des rites, le cérémonial évident ou discret par lequel, indépendamment de ce que l’on veut exprimer et de la manière dont ont l’exprime, s’annonce cet évènement, que ce qui est écrit appartient à la littérature, qui celui qui lit de la littérature. Ce n’est pas la rhétorique, ou c’est une rhétorique d’une sorte particulière, destinée à nous faire entendre que nous sommes entrés dans cet espace clos, séparé et sacré, qui est l’espace littéraire ».

Ainsi, l’écriture traduit tout à la fois un effort, un travail de création, une entreprise, un travail en cours, mais également un cérémonial à l’origine de la littérature. Elle est aussi un thème central de la littérature moderne. Enfin, chaque écriture apparaît comme un choix, un parti-pris poétique et éthique de la part de l’écrivain. Dans quels contextes sont produits les œuvres littéraires ?

La création d’une œuvre littéraire implique une structure référentielle réelle ou imaginaire et un processus d’intensionnalisation. Dans le cas d’une œuvre narrative, la production littéraire implique une relation bidirectionnelle entre le référent et le texte. Le référent du texte narratif englobe « les êtres, les états, les processus, les actions et les idées qui constituent les personnages, les états, les processus et les actions qui se réalisent dans l’œuvre ainsi que les idées des personnages, du narrateur, de la société, également présents dans l’œuvre » (Albaladejo, 2007).

Selon Chemakh (2010), la compétence linguistique, la compétence littéraire et la motivation sociale sont les trois conditions de créations littéraires. La compétence linguistique désigne la capacité de l’individu à « formuler et à interpréter des phrases grammaticalement correctes et composées de mots pris dans leur sens habituel ». L’orateur ou l’écrivain devrait de ce fait être capable de communiquer avec les autres ce qu’il pense et l’exprimer oralement ou par écrit[3]. Mais ceci implique la morphologie, l’harmonie des mots et la phonologie, qui rendent agréables à lire et à écouter. « La compétence littéraire consiste aujourd’hui à savoir mobiliser les virtualités des formes discursives pour se frayer un chemin au milieu des ambivalences exacerbées par notre époque »[4]. La création littéraire pourrait de ce fait traduire les fantaisies de son créateur, qui peut mobiliser les différents affects qui diffèrent de la réalité. La création littéraire suggère une fascination qui permet de transformer les choses désagréables dans la réalité, en de propos plus agréables. Etant donné que ce soit une fascination, et donc irréelle, elle peut plonger le lecteur dans un monde fictif qui ne peut être limité par les barrières de la réalité. L’attrait de ce fait ressemble à l’attrait de l’enfant pour son jouet mais également pour les personnes âgées qui ont une nostalgie. Elle est l’accomplissement d’un désir qui n’a pu être accompli dans la réalité.

Le texte littéraire devrait tenir compte d’un usage particulier de la langue. Dans cette optique,  des préoccupations esthétiques sont entreprises par l’auteur. Pour ce faire, différentes techniques sont mises à l’œuvre par les écrivains dans le but d’atteindre la beauté et la perfection qu’ils se sont initialement fixés. L’esthétique littéraire peut varier en allant d’un mouvement littéraire à un autre. Par conséquent, le texte littéraire ne peut être compris à mois de l’avoir lu plusieurs fois car il véhicule un message et provoque un effet particulier en fonction de son style, de ses thèmes principaux, ou encore des symboles et des images qu’il contient[5].

Pour que l’œuvre littéraire puisse naître, il est indispensable d’adapter le style au sujet abordé. Ceci est une des conditions de transcendance de l’écrivain. Mais il ne peut pas assurer seul la création d’œuvre littéraire sans que l’écrivain se sente libre de créer l’œuvre (Steiner et Moralès, 1997). L’écrivain a besoin d’une inspiration pour qu’il puisse écrire. Cette inspiration vient en lui soudainement pour qu’il puisse écrire les plus œuvres. Certains auteurs attendent que l’inspiration vienne tandis que d’autres essaient d’écrire pour écrire[6].

L’inspiration est imprévisible et inexplicable à la fois. L’inspiration désigne « la capacité ou la disposition à se laisser inspirer ». Mais cette inspiration ne peut être commandée. Elle ne peut pas être retenue car elle est juste passagère. Elle est insaisissable. Elle rompt les cours des choses, elle créé des discontinuités. Son intervention ne peut pas être expliquée. L’inspiration a depuis toujours été associée à une intervention divine. Mais dans certains cas, elle peut être violente et destructive. Mais elle est particulièrement importante dans la création et la critique ainsi que dans la littérature comparée (Labarias, 2005). L’inspiration peut être considérée sous deux aspects : l’aspect matériel et l’aspect métaphysique. Certains écrivains pensent que la création littéraire ne peut être faite par l’homme seul mais avec l’aide divin. Ainsi, la création littéraire a été associée à des entreprises divines et sacrées. D’autre part, l’inspiration a été aussi associée au langage (Grozelier et Kappler, 2006).

  • La mélancolie pourrait-elle devenir source d’inspiration pour l’écrivain ?

Les sentiments forts comme la mélancolie ou la fureur qui encourage les héros des romans ont souvent nourri l’inspiration de nombreux écrivains. Par ailleurs, certains poètes comme Chartier et Christine de Pizan ont été considérés comme des écrivains sensibles à la mélancolie. Cette dernière a été exprimée lors des scènes d’ouverture des écrivains. Mais il a été observé aussi que l’amour a été une source d’inspiration pour la création de nombreuses œuvres littéraires. Toutefois, même lorsque ce sujet est abordé, il n’est pas rare de constater que les rebondissements de l’histoire concernent souvent les déceptions amoureuses et les tournures inattendues des évènements. En d’autres termes, la mélancolie d’amour a suscité l’intérêt de nombreux écrivains pour la création de leurs œuvres. Il a été même affirmé que la « mélancolie est inhérente » à la fonction de poète (Kappler, 2006).

Nous sommes donc amenés à définir ce qu’est la mélancolie et les concepts qui lui sont associés. La mélancolie  a été considérée comme « une affirmation ambigüe : état d’âme et maladie mentale, humeur- constituant du corps et humeur- disposition de l’esprit ». Cette maladie trouve son origine dans la rate. Elle provoque une tristesse, du chagrin, qui peut parfois pousser le patient à la folie (Carruthers, 1998). Dès l’Antiquité grecque, la mélancolie apparaît dans le discours médical et philosophique. Elle relève d’abord d’un état anormal ou maladif associé à l’humeur noir. Dans les traités médicaux grecs du 4ème siècle avant Jésus-Christ, le mot désigne la bile (chole) noir (melan), humeur qui, en excès dans la rate, organe de couleur noire, provoque tristesse, abattement, fureur et même folie. La mélancolie est alors aussi un tempérament, celui des hommes marqués par la grandeur, en particulier celui des poètes, qu’Aristote va tenter de montrer à qui on attribue le fameux Problème XXX. Platon de son côté développe la notion de « furor » divine qui sera rattaché par la suite au tempérament du créateur mélancolique.

La mélancolie fait don de l’objet, d’emblée, d’une évaluation double et contradictoire : péjorative et améliorative. Dès lors, les représentations associées à la mélancolie ne cesseront d’osciller entre ces deux pôles. Elle est reliée à la pensée mathématique et au mystère des nombres par les astrologues arabes du Moyen âge. Mais la même période, elle se voit stigmatisée par l’Eglise. Sous le nom d’acedia, sorte de torpeur, de paresse et d’incapacité à penser, elle est attachée à la figure du diable et est considérée comme un péché qui touche plus particulièrement les moines ermites.

A la Renaissance, la notion est revalorisée. L’humeur noire, favorisant une imagination débridée, contre-nature, peut certes conduire les enfants de Saturne –astre Dieu associé à la mélancolie- à la folie ou à la mort par suicide. Le théologien anglais Robert Burton, dans son Anatomie de la mélancolie publiée en 1621, s’attache à recenser les causes, les manifestations, les remèdes, ainsi que les formes de la mélancolie. Mais elle est aussi la condition nécessaire au génie et à la création : dès la fin du 15ème siècle, le philosophe florentin aristotélicienne établit la doctrine platonicienne de la fureur divine, qui fait de la mélancolie, un don de Dieu et de Saturne. Il impose la notion d’homme de génie mélancolique, à l’origine du modèle du génie artistique, et tente d’expliquer ainsi le mystère de l’acte créateur.

Dans le domaine psychanalytique, la mélancolie peut se définir comme une pathologie du deuil. Mais le terme ne se limite pas à ce seul sens. Aujourd’hui, la notion est large et assez floue, son sens trop instable pour qu’on la considère comme un concept. « La connotation même du mot en français, a fini par s’enliser dans un vide sémantique que ravale sa portée au sens d’une vague à l’âme, d’un abandon complaisant à la tristesse […]. A cela s’ajoute évidemment le fait que la société moderne, à la fois hédoniste et productiviste, festive et progressiste montre du doigt le mélancolique ». La mélancolie est-elle réactionnaire ? Toujours est-il qu’elle fait l’objet d’un regain d’intérêt comme l’attestent la publication de plusieurs ouvrages récents, mais également l’exposition Mélancolie, génie et folie en Occident organisée par Jean Clair au Grand Palais à l’automne de 2005.

Souvent, la mélancolie est associée au travail de deuil. Par son étymologie, le deuil – dolus – est avant tout associé à la douleur et au fait de souffrir – dolere. Le dictionnaire propose sept entrées pour ce terme, mais chacun des sens peut être relié aux autres par métonymie. Ainsi, le deuil renvoie à la douleur que cause la mort d’une personne aimée ; à la profonde tristesse causée par un malheur ; à la perte d’un parent ou d’un proche ; aux signes extérieurs du deuil, réglés par l’usage ; à la couleur de vêtements portés pendant le deuil ;  au temps pendant lequel se porte le deuil. De ces deux définitions se dégagent deux caractéristiques complémentaires du deuil : ce dernier traduit d’une part un phénomène social et public, d’autre part, une situation affective, privée.

Dans son célèbre article de 1915 intitulé « Deuil et mélancolie », Freud dit que le deuil est « régulièrement la réaction à la perte d’une personne aimée ou d’une abstraction mise à sa place, la partie, la liberté, un idéal ». De cette réaction, résulte une limitation du moi car l’individu endeuillé dépense exclusivement son énergie sur ce deuil : état d’âme douloureux, perte d’intérêt pour le monde extérieur hormis pour l’objet du deuil, perte de la capacité de choisir tout nouvel objet d’amour, abandon de toute activité qui n’est pas en relation avec le souvenir de l’objet perdu constituent les symptômes de deuil. Cet article fondateur de la pensée du deuil en psychanalyse, ne limite pas seulement le deuil à un affect consécutif à une mort, mais le rapproche de façon plus large, de toute perte actuelle, mort d’une personne aimée, aussi renonciation narcissique. Cette dernière véritable « épreuve de réalité » nous dit Freud, ne peut s’effectuer que lorsque le moi parvient à libérer sa libido de l’objet perdu. C’est alors que le travail de deuil serait accompli, achevé. Mais pour ce faire, l’endeuillé doit passer par un certain nombre d’étapes : l’état de choc, l’abattement, puis l’expression de la douleur, la révolte, la colère, l’élaboration des sentiments inconscients de culpabilité, les mouvements d’identifications régressives et de représentations de l’objet perdu, c’est-à-dire, un travail d’intériorisation de la perte comme remémoration libératrice, nécessaire pour pouvoir ensuite s’en détacher et accepter la sanction de la réalité. Freud distingue à ce niveau le deuil dit normal, qui trouve une résolution avec le temps, de sa déviance pathologique, la mélancolie, caractérisée par une non-acceptation de la perte et donc de la réalité.

Dans l’approche freudienne donc, le deuil s’inscrit dans un temps intermédiaire au cours duquel l’endeuillé tente d’effectuer la séparation des vivants et des morts. Mais si cette opération échoue, le deuil s’installe et devient mélancolie, fixation sur l’objet perdu. Celle-ci se traduit chez l’endeuillé par une inhibition généralisée associée à un démenti de la réalité de l’objet de la perte, ce qui entraîne une confusion de frontières entre les vivants et les morts, entre moi et l’autre. En définitive, la perte subie par le mélancolique concerne moins l’objet du deuil que l’endeuillé lui-même. La diminution du sentiment d’estime de soi, comme l’a montré Freud, l’autocritique exacerbée, absorbent le malade, au sens propre comme figurée : son obsession le vide.

Freud résume ainsi cette différence fondamentale entre le deuil et la mélancolie : « Dans le deuil, le monde est devenu pauvre et vide, dans la mélancolie c’est moi lui-même ». La névrose narcissique qu’est la mélancolie se développe en outre sur fond de culpabilité. Le mélancolique a le sentiment de « un péché irréparable ; péché d’avoir été envahi de désir … ».

Ce deuil impossible se traduit dans le discours du mélancolique par une parole « répétitive et monotone des litanies récurrentes et obsédantes ». Et en raison du ralentissement dépressif, « dans l’impossibilité d’enchaîner, la phrase s’interrompt, s’épuise, s’arrête ». Ici, la mélancolie se définit comme un cas particulier de deuil, un deuil pathologique, un deuil qui n’a pas été dépassé. Le deuil précède alors et englobe la mélancolie.

La production d’œuvres littéraire ne peut être séparée de la vie de leurs créateurs. De nombreuses œuvres naissent après passage de l’auteur par certaines épreuves difficiles. Il a même été dit que « l’écriture serait l’expérience de la mort, un suicide manqué ». L’écrivain est en proie à une vague de sentiments profonds. Il peut être saisi de peur, hanté par des idées, des faits, des évènements, de tristesse ou de déception, la morosité. Les écrivains se préoccupent de choses qui n’attirent pas forcément toute l’attention des autres. Ils tiennent leur inspiration de « soucis artificiellement grossis, …., signes seulement d’un manquement ». L’ennui est fréquent mais il aide l’écrivain a créer, à écrire. Le fait d’écrire est ressenti alors comme une libération de ces ennuis (Lebrat, 1992).

Godin (2009) rapporte que dans la grande majorité des cas, les écrivains traversent des périodes difficiles, des expériences extérieures et intérieures qui peuvent conduire à la dissolution du moi, interprétée comme une mélancolie, mais considérée par d’autre comme un état de psychose. L’écrivain est alors amené à se livrer à cette mélancolie pour pouvoir créer. C’est le sacrifice demandé, et le prix à payer pour que l’art puisse être exprimé. L’altération du moi conduit l’écrivain à devenir quelqu’un d’autre. Les écrivains ne sont pas apparemment des personnes extraordinaires qui se singularisent par leurs apparences physiques. Ce sont des êtres à part entière mais pour qu’ils deviennent artistes, il faut qu’ils altèrent leur moi, pour laisser s’exprimer l’artiste qui va penser, et produire autrement.

Il a été affirmé que les écrivains seraient toujours soumis à la souffrance. La création littéraire exige en effet non seulement  de l’imagination, c’est un talent qui nécessite de la persévérance et une quête sans fin. Il est confronté à des difficultés pour subvenir à ses besoins. Il a remarqué que dans la plupart des cas, les écrivains ne pouvaient pas survivre seulement de leur plume. Ils se trouvent dans l’obligeance de chercher un autre moyen pour subvenir à ses besoins. Mais cette difficulté pourrait nourrir son inspiration. Nombreux sont les écrivains qui ont sombrent dans la folie ou ont failli l’être, d’autres ont été confronté à une société hostile qui ne les comprenait pas et les rejetait. D’autres veulent mettre fin à leurs jours ou sombrent dans l’enfer de la drogue et de l’alcool. Le profil de l’écrivain est par conséquent établi : une personne qui est soumise à l’affliction, à toutes sortes de difficultés, malheureux et mélancolique. Brissette (2005) parle d’une « malédiction littéraire » qui atteint tous les écrivains. Ils sont désormais obligés d’être malheureux pour pouvoir donner une œuvre littéraire digne de ce nom.

Baudelaire dans Les Fusées ou Les fleurs du mal, rapproche la beauté du malheur, imposent dans leurs œuvres leurs relations existentielle à la mélancolie. Le terme anglais spleen se traduit d’ailleurs littéralement par « rate », siège de l’humeur noire. C’est le sens modern de la mélancolie qui se dessine alors.

La mélancolie pour Kiekergaard constitue la condition existentielle la plus profonde de l’homme que souffre sa finitude, vécue comme une déficience, et de son éloignement du Dieu de l’Absolu. De même, pour le poète Yves Bonnefoy, la mélancolie, née de la distance croissante entre la conscience et le divin, est l’écharde dans la chair de cette modernité.

Si le mélancolique souffre de sa condition d’être fini, il est aussi celui qui aspire le plus à pénétrer le mystère des profondeurs originelles. Il est l’explorateur de l’’obscur, des fondements obscurs de l’être : le mélancolique se donne pour tâche d’inventer au sens de rechercher et trouver un secret, un trésor : la mélancolie est liée à l’acte de création et à la condition de l’artiste.

De nombreux artistes ont représenté la Mélancolie sous la forme d’une allégorie, le plus souvent une figure penchée, plongée dans la réflexion comme celle de Durer. Mais il semble aussi que la mélancolie soit constitutive de l’art : la philosophe Sarah Kaufman parle même de « la mélancolie de l’art » c’est-à-dire de l’inquiétude suscitée par l’œuvre d’art parce que cette dernière met en suspens tout sens immédiat dans la mesure où elle échappe à tout discours, à toute maîtrise, à toute spéculation. A la manière d’un fantôme, cette inquiétude plane sans cesse.

Les œuvres dans lesquelles l’auteur exprime le fond de sa pensée sont parmi les plus appréciées. Nous pouvons citer par exemple Le Journal de Henri-Frédéric Amiel, qui bien qu’au début ne fût pas reconnu comme un genre littéraire, a fini par séduire les amateurs d’art. Dans cette œuvre unique, l’auteur décrit ses impressions concernant sa vie : terne, monotone, insignifiante. En même temps, il parle dans son récit de ses doutes et de ses échecs. L’ennui qu’il connaît, le mal de vivre. Mais la question qui se pose est de savoir si la mélancolie frappe l’écrivain ou s’il l’induit. Les études faites par le baron Ernst von Feuchtersleben affirment que le fait de contempler son soi-même exclusivement est à l’origine du mal psychosomatique ou l’hypocondrie. Ainsi, la contemplation exclusive voire maladive du Moi intérieur induit un sentiment de mélancolie. Or, les auteurs sont amenés à faire une introspection pour pouvoir créer l’œuvre littéraire. Ils doivent méditer, réfléchir, observer à tel point que leurs personnalité semblent quelquefois se dédoubler. Les écrivains constituent les sujets et les objets de leurs observations. En parlant du cas de l’écrivain et du philosophe Amiel, il a été affirmé que son introspection a conduit à la « dissolution de la personne biographique et aboutit à la schizophrénie, liée à la créativité littéraire » (Gorceix, 2007).

La mélancolie pourrait également signifier une intériorité méditative. Le mélancolique est un être qui ne regarde pas ce qui se passe autour de lui à cause de sa trop lourde souffrance ou à cause de ses pensées[7]. Pour Létourneau (2009), la mélancolie traduit un manque qui ne peut être comblé que par des activités intellectuelles et artistiques. Le manque consiste en une image en défaut, une représentation idéale et juste. La création et l’intellection sont les procédés qui viennent combler ce manque et qui sont impliqués dans la création d’œuvres littéraires. La mélancolie serait de ce fait une posture très complexe adoptée par les écrivains. Elle est une élaboration complexe d’une attitude. Bien que la mélancolie soit venu inopinément chez les écrivains, ils peuvent la travailler, l’élaborer en fonction de leur nature et de leur culture[8].

La mélancolie qui est exprimée dans de nombreuses œuvres littéraires semblent toucher au plus profond l’âme du lecteur à tel point qu’à travers les différents ères, elle est présente dans la plupart des écrits. Du 16ème au 17ème siècle, la mélancolie est soulevée dans les poésies qui parlent de la solitude. Les héros représentés dans les œuvres étaient tous des personnes mélancoliques, très sensibles à différentes situations. Cette association de la mélancolie à la production littéraire et artistique se poursuit au 18ème siècle où la mélancolie est le thème majeur des romantiques. Puis, elle a été associée au deuil après les études de psychanalyse menées par Freud. Ecrire entretient peut-être un rapport interne avec le deuil : le mot écrit peut être une tentative de figuration de l’objet, du deuil, ou même, miroir imaginaire propre à rencontrer. Le deuil et la douleur qui lui est associée par l’étymologie, ne seraient-ils pas une posture prêtable et nécessaire à toute écriture ? C’est ce que suggère un petit texte du 4ème siècle avant Jésus Christ, le Problème XXX, attribué à Aristote. Ce dernier y montre que tous les créateurs sont, au fond, des mélancoliques, en établissent un lien entre un état humain « noir » et la créativité. La mélancolie ouvrirait à la création :

« Pour quelle raison tous ceux qui ont été des hommes d’exception, en ce qui regarde la philosophie, la science de l’Etat, la poésie ou les arts sont-ils manifestement mélancolique, et certains au point même d’être saisis par des maux dont la bile noire est l’origine ? »

Au 20ème siècle, la notion de deuil va se développer, dans la littérature à deux niveaux thématiques et méta discursifs, non exclusifs l’un de l’autre. Le thème d’une part, est très présent, en particulier dans le genre romanesque, qui prend acte des grandes traumatismes de notre temps et des désillusions qui leurs sont consécutives.

Proust par ailleurs, avec A la recherche du temps perdu, titre significatif, ouvre magistralement la voie à une réflexion et à une littérature sur la mémoire et ses relations avec l’écriture : l’œuvre devient le texte-paradigme pour tout un siècle.

Cette allusion à la mélancolie a été décelée également dans les écrits du 20ème siècle[9]. Dans « L’attrape-cœurs » écrit par JD Salinger et qui a marqué cette époque, les troubles qui saisissent Holden Caulfield, le personnage principal de l’histoire, ne laissent pas indifférent le lecteur. L’angoisse, le doute, l’incertitude mis en relief dans l’histoire marque l’état d’âme de l’écrivain qui se réfère à l’histoire de sa vie.

Après l’écriture de soi, les œuvres littéraires se sont penchées au surréalisme afflotant. Dans le surréalisme, la mélancolie est encore présente. André Breton et les surréalistes ont offert à la folie un nouveau contexte d’énonciation, le promouvant au rang d’une expression artistique en prise directe sur les matériaux psychiques. S’inspirant des découvertes de Jean Martin Chacot sur l’hystérie, ce que le maître a lui-même appelé « la plus grande découverte poétique du 19ème siècle », des travaux de Pierre Janet sur l’écriture automatique, ainsi que du concept Freudien de l’inconscient et de la psychanalyse des rêves, les Surréalistes se sont aventurés dans une perspective artistique qui fait sa part à la psychologie. Et le medium à travers lequel ce merveilleux est appelé à  s’exprimer, c’est l’élément féminin que le surréalisme associe à l’hystérie, à l’imagination, à l’instinct de création, à cette enfance « où tout conclurait … à la possession efficace de soi même ». La femme c’est la muse, la mère, et la sorcière, mais aussi l’enfant, siège de l’imagination et de la poésie, de l’expression de de l’extase, de cette voix « surréaliste » qui s’assimile à un appel mystique.

Xavier Gauthier souligne que « Les images de la femme, véhiculées par le discours surréaliste, évoquent la longue attente, la vaine quête, d’une femme unique au monde ». Grande dressée où se logent toutes les contradictions, femme aux multiples faces, capable combler tous les désirs. Le discours surréaliste portant sur la femme fonctionne conne un ventrilogue  qui a soufflé imperceptiblement des paroles imputes à son pantin : il parle à travers elle. Désormais, la mélancolie a été une source d’inspiration pour de nombreux auteurs à travers le temps.

Au cours des premières décennies de la fondation du groupe, nombre de couples se sont formés parmi les surréalistes, pour se défaire plus tard à l’intérieur d’une quête constante pour l’union parfaite, les vases communiquant, l’amour fou, voir l’immaculée conception de l’art : Breton et Nadja, Max Ernst et Leonora Carrington, Yves Tanguy et Kay Sage, Hans Bellmer et Unica Zürn, Antonin Artaud et Collette Thomas, Diego Rivera et Frida Kahlo, Salvador Dali et Gala… autant de couples devenus mythiques, et dont la mythologie entoure la juxtaposition d’une collaboration artistique.

Bile noire ou plutôt encre noire du créateur, de l’écrivain. A la différence des trois autres humeurs recensées par Hippocrate, la bile jaune, le flegme et le sang, la bile noire elle, n’existe pas. Dès l’origine, la mélancolie est métaphorique, poétique : « Son existence est plus rêvée qu’observée ».

  • La condition des femmes écrivains et la mélancolie

Etre femme dans le monde de la littérature semble être un acte impossible. La littérarité a été depuis longtemps considérée comme un acte qui ne peut  pas aller de pair avec les femmes. Ce domaine était exclusivement consacré aux hommes. Ainsi, les femmes qui s’adonnent aux œuvres littéraires sont considérée comme des hommes manqués. De plus, elle ne pouvait s’approprier son œuvre. Cette loi a persisté jusqu’au 19ème siècle. Puis après, la société moderne a consenti à ce que la femme soit l’auteure de ses écrits (Chaillou, 2005).

L’œuvre littéraire pour les femmes écrivains a toujours été une arme d’émancipation. De nombreuses femmes écrivains ont utilisé les personnages féminins qui sont confrontés à diverses formes d’oppressions. Les femmes écrivains cherchent à travers leurs œuvres un moi émancipé et indépendant (Gilbert et Gubar, 1979). Les œuvres littéraires féminines parlent parfois de la mélancolie des femmes comme le personnage de Judith dont Simone Chaput parle dans son roman La vigne amère (Kasper, 1992). La mélancolie est également omniprésente dans les œuvres de Marguerite Duras. Ses œuvres ont été comparées à «  une sorte de chant de la mélancolie, de chant de la mort qui s’ouvre à l’infini à la douleur » (Ricouart, 1991).

La question de l’identité et du sexe féminin a soulevé l’attention de certaines écrivaines des littératures dites mineures comme Farida Belghoul. Cette auteure a non seulement soulevé la question de l’identité féminine, mais également l’identité culturelle et la littérature. A travers ses œuvres elle dénonce la pratique de l’acculturation à l’école qui provoque une profonde confusion et des troubles identitaires. L’auteure a par ailleurs inclut dans son œuvre « La petite fille qui aimait trop les allumettes » des éléments autobiographiques (Chaillou, 2005).

La création littéraire pour la femme constitue une autre manière de s’exprimer, dans un monde où les hommes dominent. Ces derniers disposent du corps de la femme comme un objet. La femme est considérée non comme un être mais comme une chose que l’homme possède. Les écrits féminins relatent alors les souffrances que peut endurer la femme, ses impressions, ses doutes, ses angoisses, ses luttes et ses défis. Ainsi, à maintes reprises, on les a interdites d’écrire. Ce cas a été observée au Japon, où les femmes écrivaines ont du résister à toutes les stratégies qui ont été mises en place pour ne pas les laisser écrire (Fougeyrollas-Schwebel, 2005).

Ainsi, l’écriture féminine souligne le combat de la femme pour trouver sa place dans la société. C’est un cri pour manifester sa présence. Il n’est pas étonnant de voir alors qu’à une certaine époque, le féminisme signe de nombreuses œuvres. La femme, ses caractères, ses manières sont évoquées dans les œuvres littéraires. C’est le cas par exemple de Virginia Woolf, écrivaine et féministe anglaise, membre de la société littéraire londonienne Bloomsbury Group. Souffrante de troubles bipolaires, la production littéraire de cette écrivaine semble être associée à sa pathologie. Elle cherchait refuge dans ses écrits. Ses visions lors de ses crises l’inspirent la suite de ses romans. Elle rendait ses visions accessibles et compréhensibles par les lecteurs. Néanmoins, elle a fini par se suicider (Morales, 2008). Dans « Mrs Dalloway », l’auteure expose son amertume par le personnage de Septimus Warren Smith qui est frappé par des délires.

Charron-Cabana (2011) a étudié les particularités du langage et l’utilisation de la métaphore dans les textes d’écrivaines qui ont été internée. Son étude semble affirmer que la puissance des mots et la qualité de l’œuvre sont intimement liées aux sentiments de l’auteure, plus particulièrement lors d’une dure épreuve comme l’internement. Une expérience de vie extrême, que ce soit physique ou psychique impacte toujours sur l’esprit et la perception du moi. Par conséquent, elle impacts également sur les représentations textuelles et le rapport à l’écrit et à la littérature de l’écrivaine. Il a été observé que les figures sélectionnées et répétées dans le texte sont les figures vécues. Ainsi, l’œuvre ne constitue pas seulement un message au lecteur, mais aussi un partage des affects et des impressions de leurs créatrices avec le lecteur.

Dans cette optique, les métaphores utilisées par les femmes écrivaines internées sont très puissantes quand elles parlent de leur internement. Elles exposent en même temps leur état d’âme. Ensuite, il y a la métaphore spatiale qui implique les lieux représentés dans le texte. Cette métaphore explique les conditions de vie, les contraintes des lieux et le contexte précis dans lequel s’est déroulée la suite d’évènements.

Après ces deux métaphores, les écrivaines qui ont subi l’expérience de l’internement, présentent dans leur texte une abjection qui traduit le reflet de leur image perçue par les autres. Par l’abjection, elles révèlent combien l’être est fragile et pendant les moments de détresse, il peut devenir comme des animaux, en train de vivre avec des déchets et des excréments. Ceci constitue la reconstitution fidèle de l’expérience de l’internement et ses impacts sur la perception du moi.

Les écrivaines qui ont été internées se perçoivent entre autre comme des objets et non comme des personnes. Ainsi, elles sont représentées d’une autre manière dans leurs œuvres. Ce cas rapport le rapport entre l’esprit et les objets mais également leur importance et leur fonctionnement.

Elles mettent en relief entre autre le corps féminin, la conception de la féminité dans la production des textes et des idées qu’ils portent. Mais toutes ces constations mènent à dire que la littérature pour ces femmes a été une vraie source de libération, de thérapie. En effet, l’œuvre littéraire pour la femme constitue un espace d’analyse et de structure de leur personne et de leur pensée. Entre autre, il s’agit d’un lieu de parole émergeant de l’utilisation du langage et des interactions entre l’esprit, les mots et le monde.

Partie 2 : Etude de l’œuvre d’Unica Zürn

  • Biographie de l’auteur

La vie d’Unica n’est pas des plus aisées à retracer. Son œuvre, largement autobiographique, renseigne avec précision sur certains aspects de sa vie, mais elle ne suffit pas à établir sa biographie, car, comme dans toute création littéraire, la réalité y est réinventée, transformée par l’art. Unica Zürn est une l’auteure de plusieurs œuvres littéraires dont les plus connues sont Sombre printemps  et L’homme jasmin. Mais elle est également peintre.

Unica Zürn naît à Grünewald, en Allemagne le 6 juillet 1916. Ses parents lui donnent un prénom qui la prédestine à une vie exceptionnelle et singulière. Unica en allemand signifie littéralement « unique ». Elle est la seconde enfant du journaliste Ralph Zürn et d’Hélène Pauline Heerdt, une femme issue d’une famille fortunée allemande. Elle grandit dans une magnifique maison située dans la banlieue riche de Berlin, peuplée d’objets d’art insolites, ramenés par son père lors de ses voyages.

Ralph Zürn est d’abord lieutenant de cavalerie avant de devenir journaliste, écrivain, puis éditeur de livres. Il était d’abord marié à Dorrit Strohal, auteure de deux romans coloniaux connue sous le nom d’Orla Holm. Affecté en Namibie en 1901, il y vit jusqu’à l’éclatement de la révolte de 1904, dont il sera accusé à Berlin. Cette même année, le couple se fait construire la ville située à Grünewald, maison natale d’Unica. Le couple divorce en 1910. Trois ans plus tard, Ralph Zürn se remarie avec une riche bourgeoise, Hélène Pauline Heerdt, elle aussi écrivain, et future mère d’Unica. Coïncidence étrange, Unica naît la même année que la mort de la première femme de son père, Orla Holm, qui se suicide en avalant du poison.

Ralph Zürn jouissait à l’époque, d’une certaine considération dans le milieu littéraire et bourgeois. C’est un voyageur invétéré, un homme cultivé qui se passionne pour les civilisations étrangères et l’art en général. C’est également un très bel homme et un grand séducteur, ce que confirment les photos sur lesquelles, on l’aperçoit posant d’un air rêveur, une cigarette à la main. Les œuvres d’Unica à travers lesquelles elle inscrit sa propre vie affirment un profond attachement à son père et un sentiment de haine envers son frère qui aurait abusé d’elle sexuellement. Elle montre également sa haine pour sa mère. Elle dira dans ses œuvres : « C’est une égoiste seulement occupée par sa tranquillité et son confort ». La froideur et le désintérêt de la mère pour sa fille vont paradoxalement de pair avec un appétit libidinal très développé à son égard. Incapable de contenir ses pulsions, la mère est décrite comme un monstre sexuel. Elle est également décrite comme un personnage manipulateur qui exerce son emprise sur elle, l’obligeant par exemple, à la débarrasser de ses cheveux gris au moyen d’une pince à épiler.

Les rapports avec son frère incestueux ne sont guère reluisant. Difficile de dire si le viol décrit dans Sombre printemps a vraiment eu lieu, quoi qu’il en soit, Unica l’a perçu comme tel.

Unica voue un amour immodéré à son père et souffre de ses absences. Bientôt, en grandissant, elle remarque avec une douloureuse surprise qu’il n’est presque jamais à la maison. Elle languit de lui. De même que sa mère, il écrit à ses heures perdues. Unica tapera d’ailleurs ses manuscrits après s’être initiée aux techniques de sténodactylo. Sa curiosité étant insatiable, Unica prend dès son plus jeune âge l’habitude de se réfugier dans la bibliothèque pour trouver des réponses à ses questions « Seule, sans être vue, elle cherche dans la bibliothèque paternelle des dessins édifiants. Elle va à la bibliothèque de son père et se plonge dans l’examen des images obscènes de Sittengeschichte de Fuchs ».

Prise dans un profond désarroi à cause de l’image très négative qu’elle a de sa propre famille, la petite fille se réfugie dans l’imaginaire pour survivre et échapper au pénible climat familial. Elle déclare pourtant : « L’enfance est le bonheur de ma vie », affirmation paradoxale quand on sait combien cette jeunesse aura été marquée par l’absence d’un père adoré, une mère monstrueuse et abusive, un frère incestueux et une immense solitude.

La bibliothèque n’est pas un temple de savoir, c’est au contraire un lieu désacralisé avec lequel, l’enfant éprouve une proximité immédiate. Un lieu où son corps vibre dans la solitude : « Elle s’est cachée avec le livre dans un coin, derrière le grand fauteuil en cuir et s’onanise en regardant les images ».

Au retour de la guerre, son père est atteint de paludisme. Unica en est très affectée. A douze ans, elle tente de se suicider en se jetant par la fenêtre. Chez elle, le climat est devenu infernal. Ses parents n’ont plus que des relations d’amitié, et ne se gênent pas pour faire venir sous le toit familial leurs maîtresses et amants, qui vont et viennent sous le nez des enfants. La maison de Grünewald est devenue une véritable maison de l’inceste, où la sexualité obsède tous les membres de la famille, enfants et parents confondus. L’enfance de l’artiste a été marquée par ces multiples aventures de ses parents qui finissent par divorcer le 2 décembre 1930, quand elle a treize ans.

Cette séparation a été un choc pour l’enfant, d’autant plus que son père amenait sous le toit conjugal la rivale de sa mère. Il aurait constitué un moment décisif qui a mené petit à petit l’écrivaine dans une sombre pathologie qui marquera toute sa vie et par conséquent, toutes ses œuvres. Après son divorce, Hélène Heerdt épouse en 1931, un ministre d’Hindenburg, Heinrich Doehle qui va devenir un peu plus tard, un des hauts dignitaires du IIIème Reich. Son père de son côté, se remarie avec une Danoise juive qu’il aura le plus grand mal sauver des persécutions nazies.

Le couple paternel semble être heureux, mais les affaires vont mal. A dix sept ans, son père ruiné, décide de vendre la maison familiale à laquelle elle s’est attachée. Elle se souviendra avec précision de chaque objet, ils reviendront souvent hanter ses délires.

Unica Zürn a du interrompre ses études et apprendre un métier. En 1932, elle termine ses années de lycée et fait des études commerciales au Lette-Verein, tout en contribuant à des revues pour la jeunesse. Elle est considérée comme une élève moyenne.  Elle étudie pendant six mois la sténodactylographie, puis en 1933, elle trouve un emploi comme archiviste. Elle est également engagée comme sténotypiste aux studios de l’Universum Film AG de Berlin, maison de production de films et de propagande nazie. Cette expérience a été pour Unica une occasion pour se faire de nombreux amis et se lancer dans des aventures amoureuses. Puis, de 1936 à 1942, elle travaille comme scénariste et auteur de films publicitaires. Elle veut d’ores et déjà devenir écrivaine, et commence à publier des articles et des histoires dans les journaux.

La mort de son père le 6 janvier 1939 en Italie a rapproché Unica de sa mère. Cette dernière l’a alors introduite dans la haute société nazie. La montée du nazisme et la guerre sont pour Unica un véritable traumatisme. Une effroyable trahison de son pays, auquel elle fait souvent allusion dans L’homme jasmin, où ses hallucinations sont peuplées de figures juives. C’est aussi le cas pour Hans Bellmer interné au camp des Miles, avant de trouver refuge dans le sud de la France jusqu’en 1949.

En 1942, elle épouse Erich Laupenmühlen, un chef de bureau dans une usine de photo. Elle cesse de travailler et mène une vie banale auprès de son mari qu’elle aime d’un amour sincère et avec qui, elle aura deux enfants : Katrin, née le 23 mai 1943 et Christian, né le 11 février 1945, sous les bombardements qui atteignent son immeuble. Ce fût également l’année où elle verra pour la dernière fois sa mère et où son beau-père Heinrich Doehle est condamné à passer deux ans en camps d’internement.

Unica sort physiquement épuisée de la guerre. Ses premiers symptômes de troubles mentaux apparaissent à cette époque. Malgré son instabilité psychique, elle parvient encore à s’occuper de ses enfants. Selon Ruth Henry, elle aurait été une mère aimante et attentionnée. Mais ce bonheur familial est de courte durée, car elle se rend compte que son mari la trompe.

Bien qu’Unica ait épousé son mari par amour, leur mariage n’a pas survécu aux infidélités d’Erich Laupenmühlen. Ils se séparent en 1949. Un an plus tard, chose inhabituelle à l’époque, Unica perd le droit de garde de ses enfants. Pressentant déjà les signes de défaillance de sa santé mentale, Unica ne se bat pas pour les récupérer et se contente d’un droit de visite d’une fois par mois.

Désormais seule à Berlin, Unica mène une vie de bohème, pauvre mais enjouée. Elle réussit à assurer sa subsistance en publiant des nouvelles et des contes radiophoniques, drolatiques et fantastiques, pour les journaux allemands et suisses. Elle continue aussi à peindre d’étranges dessins à l’encre de Chine, fortement emprunts d’angoisse. La femme vulnérable et blessée trouve encore la force de lutter. Elle a aussi travaillé comme journaliste pour plusieurs journaux allemands et suisses.

Les artistes allemands se sont appropriés l’esthétique contestataire et désopilante du surréalisme et veulent faire connaître au public le nouvel esprit de l’art moderne. Picasso, Max Ernst, Miro, Klee, Braque, Moore sont exposés dans les galeries berlinoises. Partout en Allemagne, des courants artistiques nouveaux émergent. Il y en a ceux qui sont particulièrement audacieux comme le célèbre cabaret Die Badewanne (La Baignire), qui présente les spectacles d’avant-garde expérimentaux. Unica assistait à ces manifestations culturelles. Cette époque est l’une des plus heureuse pour Unica et elle évoquera plus tard avec nostalgie : « L’imagination était vive alors, le corps léger est sans entraves ».

En 1953, elle rencontre l’artiste Hans Bellmer à Berlin, lors d’un vernissage. Ce fût le coup de foudre immédiat et réciproque. Hans Bellmer deviendra très vite son compagnon jusqu’à la fin de ses jours. A cette époque, il jouit déjà d’une certaine considération dans le milieu surréaliste, bien qu’il ne soit pas encore connu du grand public. Unica est une jeune inconnue incroyablement belle et talentueuse. Dans sa biographie de Bellmer, P Webb raconte que « Toute de noir vêtue avec une rose rouge à la boutonnière et son visage inéloquent, Unica ressemblait incroyablement à la poupée ».

Unica quant à elle, trouve que le visage de Bellmer présente une étrange ressemblance avec le visage de Jean-Louis Barrault, aperçu dans Les enfants du Paradis. Il incarne très vite pour elle L’homme Jasmin. Elle devine aussi en lui l’homme capable de la soutenir, de la comprendre, de la faire devenir ce qu’elle a toujours désiré être : une grande artiste.

L’œuvre d’Unica, tout comme celle d’Anais Nin ou de Camille Claudel, est née dans l’ombre d’un géant. Elle peut difficilement se comprendre sans évoquer l’influence déterminante que Bellmer a joué dans sa vie « Si elle n’avait pas rencontré Hans, sa vie aurait été tout autre ».

Dès leur rencontre, Unica devient très vite indispensable à Bellmer pour rêver et créer, tout comme la poupée dont elle occupe la place symbolique, mais aussi pour vivre. Et Bellmer devient pour Unica le regard pour lequel elle existe. Unica trouve en Bellmer un père, un mentor, un maître et un bourreau, objet d’amour et de haine, figure du double, compagnon d’enfer. Hans cumule de multiples fonctions qui articulent la vie d’Unica. Elle remet entièrement son existence entre ses mains. La position sadico-perverse de Hans lui aussi une position d’objet qui la conforte dans son masochisme.

La relation d’Unica et Hans Bellmer implique sa rencontre déterminante avec le surréalisme. Symbiose parfaite :Unica vient de trouver sa famille d’accueil. Ils sont les premiers à la reconnaître, par leur soutien psychologique, amical, financier, et l’intérêt qu’ils lui portent. Grâce à eux, Unica se sent enfin comprise et entourée. Néanmoins, Unica, pour la plupart d’entre eux n’est que « la femme d’Hans Bellmer ». Elle ne sera réellement reconnue qu’après sa mort, et la publication de L’Homme Jasmin.  Ce dernier connaît un succès considérable en France lors de sa sortie.

L’écrivaine décide de quitter l’Allemagne pour venir s’installer à Paris avec son compagnon. Le couple a vécu ensemble pendant 12 ans dans des hôtels rue Mouffetard. En 1954, Unica et Bellmer passent quelques mois à Berlin et travaillent ensemble. Durant cette période, Bellmer achève l’écriture de la Petite anatomie de l’image  tandis qu’Unica compose les anagrammes et les dessins qui seront publiés sous le titre d’Hexentexte  par la galerie Springer.

Après avoir fini leur travail, Bellmer et Unica repartent en France. Ils séjournent pendant deux mois à Montpellier puis, Unica repart seule à Berlin. Cette première séparation de Bellmer a été particulièrement éprouvante pour Unica qui a subi un premier avortement mêlé à des préoccupations pour Christian, son fils. Néanmoins, l’artiste a pu faire des rencontres intéressantes avec d’autres artistes comme Roberto Matta, Victor Brauner, Man Ray, Max Ernst et Jean Arp, qui ont partagé avec elle leur passion pour la peinture mais aussi pour l’écriture. Ces nombreuses rencontres ont développé chez l’artiste ses multiples talents. Au début de l’année 1956, l’artiste se consacre à la peinture à l’huile et projette même d’abandonner l’écriture pour se consacrer à la peinture. Mais elle abandonnera très vite cette technique.

En mars 1956, elle a cessé définitivement par une lettre tout contact avec sa mère, après que cette dernière l’a accusée d’être associée à « la période criminelle nazie ». Au mois de mai de cette même année, Unica Zürn fait une première exposition personnelle parisienne à la galerie Le Soleil dans la tête, où elle a vendu quatre tableaux.

De 1957 à 1959, Hans et Unica continuent leurs œuvres artistiques entre Paris et Ermenonville de façon plus ou moins continuelle. En 1957, ils rencontrent le peintre, poète et écrivain Henri Michaux. Cette rencontre a été particulièrement intéressante pour Unica. La même année, elle a eu l’opportunité de faire une deuxième exposition dans la galerie Le Soleile dans la tête en octobre. En même temps, Bellmer fait des clichés de sa compagne, nue et ficelée. Ce cliché a fait la couverture du magazine Surréalisme.

En 1958, Unica Zürn sort Notes d’une anémique.  Cette année a été également marquée par le premier internement de l’écrivaine à la Maison des malades du 30 avril au 9 mai.

Difficile de parler d’Unica sans évoquer sa folie. Les psychiatres sont eux-mêmes assez divisés sur son diagnostic. J Chazaud, le docteur Rabain et le docteur Fedière, qui ont bien connu le couple Bellmer-Zürn, pensent qu’elle était schizophrène. Pourtant, d’autres psychiatres concluent à une psychose maniaco-dépressive, où les troubles maniaques, c’est-à-dire, les phases aigües avec hallucinations auditives et acoustiques, alternent avec des phases dépressives et catatoniques. La psychiatrie moderne tend plutôt à établir le diagnostic d’une schizophrénie disthymique en raison de ses troubles d’humeur et ses bouffées délirantes. De plus, mystère supplémentaire, son dossier médical a disparu, volé par un admirateur.

La folie d’Unica la mettait en grave danger. Ruth Henry évoque : « C’était horrible, elle n’était plus elle-même, ne reconnaissait plus personne. Il fallait vraiment l’enfermer ». Unica ne créait que lorsqu’elle se sentait en pleine possession de ses moyens et de ses facultés mentales. Exception faite de ses dessins, qu’elle échangeait parfois au sein de l’hôpital contre des cigarettes. Le discours rationnel normal voit la folie comme une sortie du langage, un principe de dissolution et de mort.

Unica écrit en parlant de son hospitalisation : « C’était la plus merveilleuse aventure de ma vie ». Elle parle aussi de son « méchant penchant pour la maladie mentale ». Maladie dont elle goute les joies, qui l’entraînent dans un au-delà étranger et merveilleux et que pour rien au monde, elle ne souhaite quitter, malgré le prix à payer : la dépression et les épisodes de rechutes catatoniques. Unica ne croit pas à sa guérison. Elle ne veut pas quitter les belles sensations que lui procure sa maladie « l’état très noble de medium », comme elle l’appelle. Elle ne semble pas vivre sa folie comme une aliénation, mais comme une libération, en dépit du caractère fortement angoissant de ses hallucinations. Sans doute un artiste qui puise sa force créatrice dans la folie ne peut-il qu’avoir une fin tragique.

En 1959, Hans et Unica participent à l’Exposition internationale du Surréalisme chez Cordier. Lors de cette première exposition, Hans connaît un succès et une reconnaissance par son œuvre Die Puppe,  qui va marquer désormais le mouvement surréaliste dans l’histoire de l’art. Suite à ce grand succès, la situation financière du couple s’est améliorée. Unica a également fait la connaissance de Ruth Henry, avec qui, elle nouera des relations d’amitié.

En 1960, Unica commence à prendre ses distances avec Hans Bellmer. Elle séjourne six mois dans le midi de la France. De retour à Paris, elle s’installe seule dans une chambre d’hôtel où commencera une série de crises. Elle retourne alors à Berlin le 29 septembre 1960. Elle erre et jette son passeport, mais elle a été très vite arrêtée par la Police. Elle est alors internée à l’hôpital psychiatrique de Karl-Bonhöffer-Heilsätten où elle continue malgré sa pathologie, à dessiner. Le traitement à base de neuroleptique  s’avérant inefficace pour calmer ses troubles, elle tente de mettre fin à ses jours.

Le 2 mars 1961, elle retourne à Paris. Son état de santé étant très critique, elle ne peut plus se déplacer qu’avec une chaise roulante. Alors que la revue  Der Monat  a publié certains de ses anagrammes, l’artiste sombre de plus en plus dans le désespoir. Elle détruit alors une grande partie de ses dessins. A la fin du mois de septembre 1961, elle est internée à l’hôpital Sainte-Anne, dans le service psychiatrique. Là, Henri Michaux lui a apporté de l’encre, des pinceaux et des papiers pour lui permettre de dessiner. Lors de cet internement, ses œuvres ont été exposées au Point Cardinal, rue Jacob.

En 1964, plusieurs projets artistiques ont abouti : Im Hinterhalt, Oracles et spectacles.  Unica effectue plusieurs séjours à l’île de Rê où elle revoit sa fille Katrin. Malgré un tel succès et les retrouvailles avec sa fille, ses crises ne cessent de progresser. Elle est admisse dans un établissement psychiatrique de la Rochelle.

Elle retourne après à Paris où elle manifeste son désir de rompre avec Hans Bellmer. Elle vit seule dans un hôtel. Une nouvelle exposition a été entreprise au Point Cardinal du 10 décembre au 15 janvier 1964. L’artiste est au sommet même de sa gloire, mais sa maladie l’a conduite de nouveau à l’hôpital Sainte Anne.

En septembre 1965, le couple aménage rue de la Plaine. Unica a entamé alors la rédaction d’un de ses plus grand succès : L’Homme-jasmin  (Der Mann in Jasmin).  Le 6 juin 1966, pendant la rédaction même de L’homme jasmin,  elle a une nouvelle crise. Elle est alors internée à la Maison Blanche d’où elle va écrire de nombreuses lettres et notes.

En 1969, Hans Bellmer a eu un accident vasculaire cérébral qui va le rendre hémiplégique. Il restera dans un état de mutisme jusqu’à la fin de ses jours. Cette même année, Unica sort  Sombre printemps.  Cette même année a été marquée également par une crise qui va interdire à Unica d’écrire et de dessiner.

Au début de l’année 1970, elle est internée pour la troisième fois à la Maison Blanche où elle rédige un journal de souvenir Crécy  et Livre de lecture pour enfants. Le 7 avril 1970, elle envoie une lettre de rupture à Hans Bellmer. Elle Fût de nouveau internée. Ensuite, elle reçut la visite de sa fille. Son état s’est alors amélioré. Par conséquent, elle a pu finir d’écrire L’homme jasmin.  Elle a également pu rédiger  Vacances à la Maison Blanche  et Rencontre avec Hans Bellmer. Pour faire suite à L’homme jasmin,  elle a projeté d’écrire L’homme poubelle. Elle a été autorisée à sortir quelques jours de la clinique. Elle a profité de l’occasion pour se rendre chez Hans Bellmer le 18 octobre. Le 19 octobre 1970, Unica Zürn mit fin à ses jours en se défénestrant depuis le balcon de l’appartement de Hans Bellmer, rue de la Plaine. Elle repose au Père-Lachaise auprès de son compagne Hans-Bellmer.

  • Présentation de ses œuvres

Les œuvres artistiques d’Unica Zürn ont été exposées dans plusieurs galeries. Son épanouissement dans le monde de la peinture est particulièrement renforcé par ses multiples rencontres avec les grands noms du surréalisme.

Son destin tragique a assurément conduit à la réalisation de ses œuvres littéraires les plus remarquables. En parallèle, les œuvres artistiques d’Unica Zürn ne peuvent être séparées de Hans Bellmer. On peut penser que leurs œuvres se reflètent l’une de l’autre, parce qu’elles agissent comme des miroirs. « A travers l’écriture, la narratrice ne cesse de poursuivre son double et de l’interroger sur ce que l’existence lui réserve, à elle, dans l’univers que le miroir reflète mais qu’il ne contient point ».

Unica tend également de miroir à son lecteur, qui peut y contempler son propre reflet. C’est ce qui fait l’incroyable modernité de son œuvre, de son universalité. Chacun peut reconnaître dans ses textes la face cachée de son existence, ses pulsions secrètes et inavouées, sa propre folie.

Ce fût en 1954 à Berlin, que son premier livre intitulé « Hexentexte» (Textes de sorcière) a paru. L’auteure y rassemble dix dessins et dix anagrammes. Cette première œuvre littéraire d’Unica Zürn se caractérise par sa ressemblance à une écriture automatique surréaliste. Bien que l’année 1954 n’ait pas été marquée par une dépression pour l’artiste, sa première œuvre met bien en évidence son désespoir et son aspiration ou sa fascination pour la mort. Dans Hexentexte, elle a dit :

«Wir lieben den Tod

Rot winde den Leib,

Brot wende in Leid »

Cet anagramme peut être traduit comme suit :

« Nous aimons la mort

Roue, tords le corps

Tournes pain en chagrin ». (traduction de Dagmar Tranvner).

La mort semble fasciner l’auteure qui a écrit :

« La mort est le désir passionné de ma vie

Je vois approcher hâtivement, la bouche amère, les heures de la mort.

C’est facile – l’heurt de la lune te soulève vers les étoiles.

Fatiguée de la souffrance, pousse-moi, je te prie, Chien dans le vide du fini

C’est là que je devrais voir, moi l’aveugle »

A part Hexentexte, Unica Zürn a écrit d’autres anagrammes qui ont été rassemblés dans Oracles et spectacles. Elle a composé en tout cent vigt quatre anagrammes.

Entre 1956 et 1958, Unica a réalisé des prouesses artistiques considérables. Elle a beaucoup peint. Elle a fait sa première exposition à Paris en 1956.

Ensuite, elle a écrit en 1957 Erdachte Briefe (Lettres imaginaires)  et en 1958 Das Haus der Krankenheiten (La maison de la maladie). Elle relate dans cette œuvre combien, la maladie représente pour elle une source d’inspiration. Elle dira dans La maison des maladies : « Depuis hier, je sais pourquoi je rédige ce livre : pour rester malade plus longtemps qu’il ne convient. Je peux chaque jour y introduire de nouvelles pages blanches. Si je veux il peut devenir de plus en plus gros. Aussi longtemps que je pourrais y ajouter de nouvelles pages blanches qu’il faudra remplir, je resterai malade ». Ce livre relate le triste sort des personnes qui sont internées dans un hôpital psychiatriques. Elle donné des détails concernant le docteur Mortimer qui exercerait des pouvoirs sur elles de telle manière qu’elle ne peut que lui obéir.  La même année, André Pieyre de Mandiargues a présenté ses dessins et ses gouaches.

Unica Zürn écrit en 1958,  Note d’une anémique dans lequel, elle relate une épreuve difficile de son enfance, le divorce de ses parents. En effet, ce divorce aurait été le point de départ de la « confusion » qui va la poursuivre tout au long de sa vie. Elle a dit dans cet écrit « D’où mon malheur peut-il venir ? D’avoir confondu tous les visages avec ce seul visage. Parce que mon enfance s’est arrêtée à l’heure où j’ai compris le drame de mes parents, et qu’au même moment s’est brisé ce merveilleux instinct pour le visage unique ? » Notes d’une anémique  parle aussi des pertes et des faillites de la jeune femme pendant son existence. Elle y fait part de ses croyances, des nombreux cadeaux et des souvenirs que son père apportait après ses longs voyages. Dans son écrit elle reflète encore son désir de se suicider tant elle a mal : « Un corps lourd, une tête lourde et embrumée, des épaules douloureuses, rien ne sert à rien, tout m’encombrent, je bute sur moi-même. (…) La mort ne vient pas. Ne viendra pas pour cette année ».

L’homme jasmin qu’elle a commencé à écrire en 1962 et qui a été publié en 1971, relate ses impressions et ses vécus concernant ses angoisses et sa vie quotidienne dans les hôpitaux psychiatriques. Elle dira elle-même en parlant de « eindrücke au seiner Geiteskranken » L’homme jasmin : impression d’une malade mentale. Le roman captive d’emblée les surréalistes par la puissance évocatrice des images, ses jeux de mots, son ironie tragique, ses scénographes ludiques et décalées comme Le jeu de la concorde et l’incorporation. Mais il connaît un succès considérable en France lors de sa sortie.

Les surréalistes se sont beaucoup intéressés aux créations des malades mentaux et aux mediums. Il suffit de songer aux écrits de Michaux sous l’emprise de la drogue, à L’Immaculée Conception, ou Breton et Eluars font une tentative de simulation de démence précoce dans le dessein d’ « explorer de nouveaux territoires poétiques et de repousser les limites du conscient».

L’écriture médiumnique d’Unica diffère cependant de l’écriture automatique pratiquée par les surréalistes, en raison des contraintes formelles. Qu’implique l’anagramme, ou la spontanéité et la nécessité doivent trouver un point d’équilibre.

Son œuvre procède d’une singularité qui s’inscrit certes dans le cadre du surréalisme, mais dont on peut difficilement reconnaître les influences. Sa modernité stylistique et sa façon très personnelle de traiter l’autobiographie n’appartiennent qu’à elle-même.

Les faits qu’elle a exposés dans ce premier livre ont été renforcés par ses écrits dans Vacances à la Maison Blanche, livre dans lequel, elle expose encore ses visions schizophréniques. De ce fait, L’homme jasmin  ne relate pas seulement le vécu d’Unica dans les hôpitaux psychiatriques, mais incarne en même temps, l’univers de ces lieux dans lesquels les malades mentaux séjournent. Les faits et la vie quotidienne des internées y sont relatés : camisole de force, les particularités des crises de folies, etc.

Vacances à la Maison Blanche  décrit son dernier séjour à l’hôpital de Maison-Blanche en avril jusqu’en mais 1970. Dans cet écrit, l’auteure décrit la vie dans la « 5ème section », en se référant aux personnages du docteur Victor Bertrand, Huguette, Denise. Les réunions des malades dans le cinquième pavillon, les promenades, les visites et toutes les activités qui s’opèrent quotidiennement dans la Maison Blanche. L’auteure fait état de ses confusions, ses délires, ses hallucinations et ses imaginations qui lui font peur mais qui la fascinent en même temps. Cet écrit parle également des traumatismes qu’elle a subies par le fait d’être allemande en pleine guerre, mais également d’avoir été obligée d’avorter trois fois : « Au plus fort de la douleur, elle se rend aux toilettes et met au monde dans ce triste endroit, un grand embryon. Aucun sang ne coule. Horrifiée et admirative en même temps, elle tient dans ses mains cet être inachevé qui ressemble à un objet archaïque, presque aztèque ».

En 1967, l’auteure a écrit Sombre printemps, dans lequel, elle parle de ses souvenir d’enfance. A travers son récit, Unica parle de l’abus sexuel par son propre frère, qu’elle a vécu pendant son enfance. Elle parle d’un chantage que son frère l’aurait fait après l’acte incestueux. Son frère l’a interdit de parler de ce qu’il lui a fait à sa mère. L’auteure parle surtout de ce qu’elle a ressenti à cet instant précis : «  Elle le regarde, muette et méprisante. Elle est indignée et furieuse. Cet évènement fait du frère et de la sœur des ennemis mortels. Elle a envie d’assassiner son frère ».

Sombre printemps  expose les épreuves difficiles de son enfance c’est-à- dire, le divorce de ses parents. Dans son œuvre, l’artiste parle de sa fascination et de tout l’amour qu’elle porte à son père. Ce dernier a toujours été relaté dans cet œuvre littéraire. Elle raconte également comment elle a vécu à l’école, ses amis, leurs jeux. L’auteure se réfères à des jeux qui sont à la fois excitants et font peur à la petite fille, l’héroïne de son histoire. Elle se voit comme une enfant qui s’est toujours montré forte malgré les souffrances et les épreuves par lesquelles elle a passé. « Pas une plainte ne s’échappe de ses lèvres. Elle souffre en silence, perdue dans les rêveries masochistes où les idées de vengeance et de représailles n’ont pas place. La souffrance et les douleurs lui font plaisir » a-t-elle dit dans son œuvre.

Dans les premières pages de son livre elle relate donc que sa vie était normale auparavant. Elle était une petite fille heureuse auprès de ses parents et elle aimait beaucoup son père. Mais elle manifeste également ses fantasmes et son aspiration pour le suicide. Elle fait référence dans son récit à des hommes qui tiennent des torches et qui vont tuer l’héroïne. Les épreuves qu’elle endure sont désormais interprétées comme des moyens pour échapper à la monotonie de la vie : « Sans le malheur, la vie est insupportable ».

A la fin de ce livre, l’auteur a mentionné qu’une petite fille a mis son plus beau pyjama et décida de finir avec son enfance. L’héroïne de son livre se jeta alors par la fenêtre de sa chambre, chose qu’elle a réalisée pour de vrai lors de son suicide en 1970.

« Elle monte sur le rebord de la fenêtre, se tient au crochet du volet et regarde encore une fois dans le miroir son image pareille à une ombre. Elle se trouve ravissante et une pointe de regret se mêle à sa décision. « C’est fini », dit-elle à voix basse et elle se sent déjà morte avant que ses pieds ne quittent le rebord de la fenêtre. Son petit corps gît étrangement tordu, dans l’herbe ».

Unica Zürn expose aussi dans Sombre printemps  à quel point elle déteste sa mère. Elle la voit comme une femme méchante, froide et obscène. Selon les écrits de l’auteure, les abus sexuels qu’elle aurait subis ne seraient pas seulement faits par son frère mais également par sa mère, comme elle le dira dans Sombre printemps : «  Mais une incurable curiosité la tourmente. Un dimanche où l’on fait la grasse matinée elle va se fourrer dans le lit de sa mère et est effrayée de ce grand corps épais qui a déjà perdu sa beauté. La femme insatisfaite saute sur la petite fille, la bouche ouverte, humide, d’où sort une langue frétillante, nue, longue comme l’objet que son frère cache dans son pantalon. […] une aversion insurmontable pour la mère, pour la femme s’éveille en elle ».

Les œuvres de l’auteure et plus particulièrement Sombre printemps, parlent de ses vertiges qui apparaissent dès l’enfance, point nodal de sa folie. Entre un père idéalisé mais absent qui la laisse face à un gouffre, une mère phallique et abusive, Unica doit se réinventer pour exister : trouver un langage et devenir autre. Par son écriture subversive et transgressive, qui bat en brèche de nombreux tabous, le « nous » fait aussi entrevoir sa blessure, tant psychique que métaphorique. C’est pourquoi tout un peuple de femmes, en majorité féministes, fit de Sombre printemps un livre culte. Aujourd’hui encore par sa modernité stylistique, Unica nous met en prise directe avec les ravages d’un devenir femme problématique, et rester fidèle à sa parole. Il a fait l’objet d’articles, d’émissions radiophoniques, de cinq adaptations pour le théâtre et d’un long métrage de Catherine Binet.

La haine qu’elle ressent pour sa mère semble être nourrie par le fait que cette dernière rejette toute sorte de rapprochement qu’Unica a tenté. Ainsi, elle dira dans Sombre printemps, « Sa mère l’écarte d’elle comme si elle était un objet ».

Sombre printemps  de ce fait,  ne sera pas seulement le récit de vie de l’enfance d’Unica, mais également la révélation et la dénonciation d’un acte incestueux qui s’est établi entre elle et sa mère mais également entre elle et son frère. L’auteure tente d’expliquer à travers son récit la raison pour laquelle, elle hait ses deux êtres. Elle expose pourquoi elle déteste le monde des adultes. Le monde des adultes est fait de mensonges et de tromperies. Le père qu’elle a tant chéri ne se préoccupe désormais pas d’elle ni de sa mère, mais seulement de son amante. Mais en même temps, sa mère ramène aussi à la maison son amant. Deux couples subsistent alors dans une même maison. Mais ce fait est inconcevable pour la petite fille qu’elle a été « Il y a maintenant deux couples dans la maison qui ne cachent pas leurs relations ».

En même temps, elle relate le fait que la petite fille était en quête d’un besoin d’amour de la part d’un homme. Mais l’héroïne de l’histoire s’est aperçu que son père n’a jamais été là. Déçu de ces absences trop longues et trop fréquentes, la petite fille décide de se faire aimer par un autre homme, un inconnu, pour lequel, elle va mourir. Dans Sombre printemps, le bel inconnu que la fillette a aimé est tombé malade et elle s’en est occupée.

La bonne réception du roman auprès du public s’explique facilement. Le temps était à l’émancipation, les femmes étaient en pleine reconquête de leur souveraineté corporelle et spirituelle. Elles se libéraient des tabous véhiculés par les discours machistes. Dans ce contexte, Unica apparaissait comme une pionnière qui avait eu le cran de se séparer de son mari et de laisser ses enfants.

D’emblée, elles s’identifient à cette héroïne subversive et dérangeante en proie à un désir éperdu. De plus, le caractère transgressif de la sexualité caractérisent Sombre printemps,  leur ouvre une voie nouvelle. Une voie onaniste, masochiste et prégénitale, non asservie aux codes conventionnels, libre des entraves du sexe masculin. Unica montre aux femmes un chemin d’accès à leur jouissance, ou du moins à une jouissance autre.

A travers elle, les féministes veulent dénoncer les méfaits d’une société misogyne et patriarcale qui les condamne au silence. C’est pourquoi elles rendent hommage à ces femmes broyées par la perversion d’un monde phallocratique qui ne supporte pas que la génie d’une femme égale celle d’un homme. Camille Claudel, Zelda Fitzgerald, Sylvia Plath ou Unica Zürn, toutes victimes d’un homme plus célèbres qu’elles, qui finit par les rendre folles, illustrent à merveille leur propos. La valeur artistique de Camille Claudel, qui était sous la domination de Rodin, a mis un siècle à être reconnue. De même pour Anaïs Nin que l’on ne connaissait que pour avoir été la maîtresse de Henry Miller. Le temps semble plus long pour les femmes.

Les surréalistes s’étaient eux aussi insurgés contre une vision du monde positiviste et causaliste. Pour eux, la littérature est avant tout l’expérience d’une projection et la projection d’une expérience. Ils veulent retrouver une pensée individuelle et participationniste, qui inclut notamment dans le champ de leur activité l’art des fous et des mediums, afin « de rendre à la raison humaine sa fonction de turbulence et d’agressivité » comme le souligne Bachelard. L’œuvre d’Unica s’inscrit dans ce cadre, dans la mesure où en fictionnalisant son vécu intime qui devient le support de ses projections, elle parvient au plus près de ce que Breton appelle « Le modèle intérieur de chaque individu ».

Après Sombre printemps,  elle a écrit Rencontre avec Hans Bellmer. Son compagnon en effet a été une grande source d’inspiration pour l’écrivaine. Ce dernier est omniprésent dans ses œuvres. Dans Jeux à deux, une œuvre où le texte est combiné avec des représentations graphiques, l’auteure met en évidence l’emploi de temps ordinaire du couple. De même, dans Sombre printemps, elle avoue que son compagnon constitue la raison de son existence. Elle dira alors dans son roman : « Enfin, elle sait pourquoi elle vit : pour avoir pu le rencontrer. Lui. »

Dans Crécy,  dans lequel, l’auteure parle des souvenirs avec Hans Bellmer, elle raconte la triste vie qu’elle a vécue avec Hans Bellmer. Selon cet écrit, l’angoisse, la souffrance et l’ennui ont caractérisé sa vie auprès de son compagnon.

Si Unica Zürn est particulièrement connue pour ses écrits dont le contenu est assez bouleversant, et se focalise particulièrement sur les moments pénibles de son existence, elle est également auteure du Livre de lecture pour enfants et de nombreux contes qui ont été publiés à la radio.

Les œuvres complètes de l’auteure comprenant huit volumes regroupant ses anagrammes, sa correspondance, ses dessins, ses short stories écrites pour la radio, ainsi que les documents annexes, vont paraître en Allemagne en 1988 dans la prestigieuse Edition Brinkmann und Bose.

Unica se singularise par sa grande capacité à mêler dans ses œuvres la fiction et la réalité. Ses créations reflètent les multiples tensions auxquelles est confrontée l’auteure, ainsi que ses impressions lorsque sa maladie se manifeste. Unica Zürn est désormais une icône du surréalisme non seulement par ses écrits mais également par ses dessins qui mettent en scènes des créatures fantasmagoriques, des personnages aux formes indescriptibles. Les créatures qu’elle représente sont des insectes, des animaux et même des hommes dont les contours ont été déformés. Ces différentes formes manifestent souvent ses angoisses et ses délires. A travers ses écrits et initiée par Hans Bellmer, Unica Zürn est devenue une figure des écrivains surréalistes. En effet, bien que ses œuvres soient autobiographiques, elles ont été romancées. Ses œuvres ont été réduites à un cas clinique sur laquelle ne se penchaient que quelques initiés.

Comme de nombreux écrivains féminins, de Madame de Sévigné à Virginia Woolf ou Anaïs Nin, Unica puise son inspiration dans son vécu quotidien, son intimité. Difficile pourtant de parler ici d’une écriture de l’intime, dans la mesure où Unica se vit à la troisième personne, dans une inquiétante étrangeté. Ses textes relatent une expérience intime mais vécue au plus loin d’elle-même, comme s’il fallait que cette absolue absence à soi soit réalisée pour accéder à sa vérité la plus intime. La critique moderne a inventé la notion d’extime pour décrire le paradoxe de cette écriture moderne qui nous parle du féminin, sans être pour autant qualifiée de féminine.

Ruth Henry affirme : « Unica n’a jamais écrit un mot, une ligne, qui ne soit conforme à sa vie, par les mots, les images ou les symboles ». Un récit autobiographique nécessiterait logiquement l’emploi d’une première personne. Or, Unica parle d’elle-même à la troisième personne dans tous ses textes. De plus, elle utilise le présent pour raconter le passé, ce qui est inhabituelle dans le cadre d’une autobiographie où le narrateur est censé dire je,   et s’astreindre à une certaine distance avec le vécu raconté.

Chez Unica, l’autobiographie se met au service de la fiction et réciproquement, sans que l’on puisse le délimiter. Son écriture se rapprocherait d’une tentative d’autofiction très particulière. Une sorte d’auto analyse, ou de schizo analyse comme dirait Deleuze.

  • Etude de « L’homme jasmin»

L’homme jasmin qui a été écrit en 1965 est l’œuvre majeure d’Unica Zürn. C’est un roman dans lequel, elle raconte sa vie, les épreuves par lesquelles elle a passées. Elle donne ses « impressions » aux lecteurs. Cette œuvre n’est pas un récit de la pathologie de l’auteure mais elle a eu l’audace de se baser sur cette pathologie. Dans cette œuvre, les réalités de la vie quotidienne sont mélangées avec des propos fictifs.

Dans L’Homme Jasmin,  Unica tente de retracer, bien des années plus tard, l’expérience de sa plongée dans la démence et ses internements en cliniques psychiatriques. Le texte a d’abord été publié accompagné du sous-titre : Impressions d’une malade mentale. Ce sous-titre disparu des éditions actuelles, renseigne sur la nature du projet et son côté impressionniste, « un peu fouillis » selon Unica.

Ecrire le roman de sa maladie, lorsqu’on est soi-même malade, est un projet ambitieux et risqué. N’oublions pas qu’Unica est encore très fragile lorsqu’elle décide d’écrire ce texte.

En partie fictionnel, en partie témoignage, tantôt poétique, tantôt réaliste, illogique dans sa construction, L’Homme Jasmin est d’autant plus singulier dans sa forme, qu’il ne ressemble à rien. Entre opéra baroque et poème surréaliste, le texte se soustrait aux classifications. Tout s’y mélange : anagrammes, rêves, hallucinations, descriptions réalistes, intertextualité, autoréférences. Elle y multiplie les citations et les commentaires des textes passés, désigne les protagonistes par leurs initiales (HB, HM) et lance des messages codés, hermétiques au lecteur non averti.

De plus, l’absence de temporalité rend la lecture ardue. Unica passe d’une séquence à l’autre sans se soucier de la chronologie, écrivant au présent des évènements qui se situent parfois à des années de distance, comme s’ils se succédaient dans le temps. Nous suivons une série d’évènements sans liens apparents les uns avec les autres, marqués par des va-et-vient entre délire et raison, sans aucune mise en perspective. Ni présent, ni passé, ni futur dans ce temps éclaté. De même, la confusion mentale d’Unica est métaphorisée par l’absence d’unité de l’instance narrative. Quand les émotions sont très vives, le lecteur sent bien que l’héroïne et la narratrice ne font qu’une.

Cette anomalie est renforcée par le fait qu’à certains moments du texte, Unica passe du discours direct au discours indirect lorsqu’elle ne parvient plus à distancier son vécu. Elle sort de sa neutralité bienveillante pour exprimer ses sentiments dans toute leur violence. De sorte qu’entre ces trois instances –Unica héroïne, Unica narratrice, Unica délirante – on ne sait plus qui parle.

L’auteure parle d’elle à la troisième personne, signifiant une distanciation avec sa propre personne. L’auteure se contemple et exprime le fond de ses pensées. A travers ses œuvres, Unica s’est imposée comme une icône du mouvement surréaliste. Les femmes surréalistes tentent de reproduire leur propre image et de projeter en même temps l’image d’elles selon les surréalistes qui sont la plupart du temps des personnes qui leurs sont intimes[10].  Le fait d’écrire à la troisième personne créé un effet qui ne doit pas nécessairement être analysé en termes de défaut ou de déficience narcissique.

Le travail d’Unica Zürn s’ouvre à travers différents angles. C’est à la fois surréaliste à fort contenu érotique, un témoignage intime sur la folie et le destin tragique d’un amour fou. Son œuvre se situe aux frontières de la folie et de la raison, de l’autobiographie et de l’autofiction. Elle déjoue par conséquent, toute catégorisation formelle par son caractère déroutant et éminemment moderne.

André Pieyre de Mandiargues dans sa préface de L’homme jasmin dit : « Le livre au curieux titre qu’elle nous a laissé se prête aussi mal que possible à être jugé ». Difficile en effet de saisir une narratrice à mi-clivée qui parle d’elle-même à la troisième personne, comme si elle cherchait son propre reflet, et raconte son passé au présent, comme si l’anamnèse de l’écriture était pour elle le seul moyen de parvenir à fixer ses abîmes et ses vertiges.

La première phrase de l’œuvre est « Quelqu’un qui voyage en moi me traverse. Je suis devenue sa maison. Dehors, dans le paysage noir à la vache mugissante, quelqu’un prétend exister ». Cette première phrase parle déjà d’une autre personne, d’un autre Moi dont elle n’a pas du tout le contrôle. Cette autre personne qu’elle ne connaît pas du tout a fini par envahir tout son être et elle est devenu cette personne. Dans la phrase qui suit, elle parle d’une « prétendue existence », ce qui semble manifester son mal de vivre. Car elle souffre. Par ailleurs, elle a évoqué sa souffrance dans d’autres écrits antérieurs. Mais la souffrance pour elle, lui a permis également de s’ouvrir, d’écrire, de penser et d’être.

Elle a décrit l’importance de l’homme de sa vie Hans Bellmer, qui tantôt s’impose comme un protecteur et tantôt comme une force destructrice. En tout cas, elle parle de « l’homme jasmin » qui est important pour elle. « C’est alors que pour la première fois, elle a la vision de l’Homme-Jasmin ! Immense consolation ! Reprenant son souffle elle s’assoit en face de lui et le regarde. Il est paralysé ! Quel bonheur ! Jamais il ne quittera le fauteuil qu’il occupe dans son jardin où même en hiver, le jasmin fleurit. Cet homme devient pour elle l’image de l’amour ». Dans cet extrait, l’auteure ne parle pas d’une rencontre physique, mais plutôt d’une « vision » mystique avec une personne dont elle ne pensait même pas rencontrer. En même temps, elle évoque sa joie à l’idée que l’homme jasmin ne puisse plus se déplacer. Par conséquent, elle pourra le voir quand elle le souhaite. Dans ce passage, elle révèle également son amour pour l’homme jasmin et toute l’admiration qu’elle lui porte.

Unica Zürn tente d’exposer en même temps, la vivacité de cette force intérieure qui la pousse à faire créer ses œuvres. Elle parle de l’œuvre artistique comme une expression de soi, mais surtout comme une nécessité pour pallier à la souffrance. Elle dit « Pourquoi le dessin occupe-t-il ici toute la surface de la feuille jusqu’aux bords ? Dans vos autres compositions vous avez laissé une marge blanche autour du motif … Elle avait fait cette réponse « Je ne voulais pas cesser d’y travailler, ou ne le pouvais pas (…) Je souhaitais que ce dessin se prolongeât bien au-delà des bords du papier –  jusqu’à l’infini ».

Cette œuvre touche au plus profond de l’être parce qu’à part le fait de faits réels qui se sont produits chez l’auteure, il s’agit d’une partage avec les lecteurs des plus beaux mais également des pires moments de la vie de l’auteure. Elle évoque dans son œuvre par exemple, la raison des rencontres : « Trois rencontres merveilleuses qu’elle fit dans son enfance lui ont donné très tôt à entendre que le sens de sa vie était de faire des rencontres ».

Cette séquence parle de son séjour dans les hôpitaux psychiatriques, là où elle a été soignée mais également là où elle n’a cessé de dessiner. Ses souffrances et ses angoisses semblent être immolées dans ces dessins qui représentent des créatures monstrueuses, informes et innommables.

Unica donne des détails et des précisions concernant l’hôpital psychiatrique et le sort qui attend les personnes qui y entrent :

« La salle où elle pénètre alors est comme une maison mortuaire. Là, dans chaque lit, gît une montagne de chair blanche et agonisante. Il règne dans cette salle une odeur infecte. L’air est rempli de grognements, de halètements, de râles et de ronflement. C’est affreux ».

Dans ce passage, l’auteure parle de ses observations. Elle décrit l’hôpital psychiatrique comme un lieu où la mort règne. La venue dans un asile devient alors pour elle un signe d’une mort qui approche. Tout ce qu’elle voit fait allusion à la mort et cela l’effrayait. Elle fait allusion en même temps aux tristes sorts réservés à ceux qui ne se montrent pas obéissants :

« Ce service « B » est une menace pour toutes les malades qui se livrent à des actes anormaux ou interdits. Il est pour les femmes malades ce que sont les menaces que l’on fait aux enfants quand ils ne sont pas sages ».

Elle poursuit ensuite sur la description des règles internes qui régissent l’établissement psychiatrique. C’est un espace où la dignité de l’homme et sa vie privée se termine. Ceci pourrait être la raison pour laquelle, l’auteure prend une distanciation avec sa propre personne. Ce fait pourrait marquer en effet, un reniement du corps, une honte d’avoir été une personne désagréable. Elle parle de ce qu’elle a subi dans son récit : « Chaque matin à sept heures, elle doit faire sa toilette avec les trente ou quarante autre malades ».  La perte de l’intimité pourrait conduire à une perte de l’estime de soi.

Par ses descriptions hyperréalistes du milieu asilaire, L’Homme Jasmin ressemble à première vue à un témoignage effroyable : « Il y a des pièces qui exhalent l’odeur du malheur et de la grande misère et il n’y a rien à faire contre cela. On ne peut plus rien car on arrive lentement au bout de son courage. Les malades ne cessent de hurler et certains se roulent dans leurs excréments. L’asile est une antichambre de la mort ».

Unica note les moindres détails de ses observations sur elle-même et sur les autres, de façon presque clinique même si sa paranoïa et ses fantasmes de persécution brouillent, au moins en partie, la dimension documentaire du texte.

Dans certains passages, Unica parvient à saisir et à croquer les travers des malades, l’absurdité de leurs dialogues et de leurs gestes en quelques phrases, de sorte que l’asile se transforme en une sorte de théâtre de la cruauté. Le réalisme et le romanesque cohabitent alors dans une symbiose parfaire, le lecteur s’identifiant tour à tour à Unica et aux malades ou aux médecins. Ces distorsions et ces ruptures séquentielles rendent la lecture du texte ardue, voire erratique. En effet, les signes qu’Unica nous délivre ne font pas toujours sens.

L’image que se fait l’auteure de sa propre personne semble être déformée. Mais elle met en exergue aussi sa mégalomanie et l’importance qu’elle accorde à sa personne en disant qu’elle prend la forme « d’une étoile lumineuse composée de tout nouveaux et innombrables bras et jambes ». Dans son œuvre, à plusieurs reprises, l’écrivaine a tenté de représenter une image d’elle-même mais aussi une image de la femme : « Cette créature médite la destruction du monde qui l’entoure. Alors, au cours d’une opération effectuée avec le plus grand soin, on lui ôte tout ce qui pourrait lui permettre de préparer cette destruction. On lui enlève le cerveau, le cœur, le sang et la langue. En tout premier lieu on lui enlève les yeux, mais on oublie de lui enlever les cheveux. C’est là l’erreur. Car, aveugle, exsangue et muette, la créature acquiert une telle puissance que sn entourage ne peut que trouver son salut dans la fuite ». Manifestement, ce passage décrit la haine et le désir de vengeance qui sommeillait en elle. Elle voulait en finir avec le monde dans lequel elle vit. Mais avant même qu’elle puisse intervenir, on lui arrache tout ce qui pourrait constituer l’être humain. Quand on lui « enlève le cerveau », l’auteure parle clairement de sa folie, qui n’est autre que le résultat de ce que le monde lui a infligé. Elle est devenue un être sans cœur, une personne dépourvue de tout ce qui lui fait vivre. Ceci pourrait traduire l’exsanguination. Si le liquide vital ne peut plus nourrir le corps, on meurt. Mais l’auteure pourrait aussi parler d’une interdiction de parler qui se traduit par le fait que le bourreau lui a arraché la langue et les yeux pour qu’elle ne voie pas. Ce passage relate la souffrance d’une femme, qui, finalement a fini par être endurci par son sort et qui s’en sort encore plus fort que jamais.

En même temps, elle parle des « visions » qu’elle aurait eues lors de ses crises. Elle partage avec le lecteur ce qu’est une vie de folle qui croit entendre des choses, voir des choses partout et avoir des messages destinés pour elles en toute occasion :

« La ville toute entière commence à se faire comprendre au moyen de « signaux sonores ». Comme s’il n’était pas nécessaire aujourd’hui de se parler, ainsi qu’on le faisait les autres jours. […] On frappe dans les rues, on frappe sur les toits, on frappe dans les caves. Par ce moyen, on s’envoie des messages. Est-il donc défendu de se parler aujourd’hui ? Ca en a l’air. Quelle belle idée ! »

Bien que sa pathologie soit une des obstacles à son bien-être, elle lui a permis d’écrire encore. La pathologie pour elle donc est une expérience unique qui lui a ouvert les yeux sur de nombreuses choses qu’elle n’aurait jamais pu voir. Si L’homme jasmin  constitue l’œuvre majeure d’Unica Zürn, c’est à cause de la particularité de cette œuvre qui mêle anagrammes et texte en prose. Mais la raison pour laquelle l’auteure a combiné dans un même œuvre littéraire deux styles différents reste encore à expliquer. Dans les écrits antérieurs de l’auteur, elle semble considérer sa pathologie comme une nécessité pour pouvoir écrire et l’écriture de ses souffrances constitue son ultime libération.

Le miracle de cette œuvre tient au fait d’un imaginaire fertile et créatif. Le miracle de cette œuvre tient au fait que le délire se met sans cesse au service de la littérature. L’alchimie magique et miraculeuse de L’Homme Jasmin en fait un livre inspiré par un véritable souffle poétique qui, en dépit de sa discontinuité narrative et de ses ruptures séquentielles, parvient à toucher son lecteur par ses dissonances, ses silences, sa musique.

La forme erratique du livre incarne le mystère de l’âme dévoilant ses tourments. Elle procède d’une nécessité interne, qui peut se lire et se déchiffrer à l’infini. L’errance psychique peut aussi se voir comme la condition qui préside à ce que l’on pourrait nommer l’inspiration, ou en termes surréalistes, l’apparition du « hasard objectif » défini  comme « la rencontre d’une casualité externe et d’une finalité interne ».

L’héroïne de L’Homme Jasmin, dévastée par la folie et l’extase auto-érotique, nous met en prise directe avec le sexe et notre être pour la mort. Le style incisif, concis, jusqu’à l’épure, voire jusqu’au fantomatique et au décharné, matérialise ici son dénuement. De la nudité au dépècement, de l’effacement à l’éclatement, le lecteur assiste aux multiples métamorphoses d’Unica qui, telle un phénix, semble renaître de ses cendres au fil des pages.

La quête nostalgique et éperdue d’un bonheur impossible entraîne sa disparition, puis sa réapparition. Impalpable et insassable, Unica est pourtant au centre de ce texte, qui se transforme au gré des fluctuations mentales de son héroïne, avec une élasticité quasi baroque.

En écrivant L’Homme Jasmin, elle a inauguré une manière d’autobiographie poétique,   et a su ouvrir jusqu’à l’écartèlement de toutes les potentialités du roman afin de contenir son histoire au risque de la déborder, ce qui a fait d’elle une pionnière d’une incroyable modernité.

Partie 3 : Etude de l’œuvre de Sylvia Plath

  • Biographie de l’auteur

Sylvia Plath est une écrivaine américaine dont les œuvres littéraires se caractérisent par la présentation de la femme comme un génie méprisée par une société où l’homme domine. La plupart de ses œuvres son des poèmes, mais elle a également écrit un roman, des nouvelles, des livres pour enfants et des essais.

Sylvia Plath naît à Jamaica Plain, dans le Massachussets le 27 octobre 1932.  Elle est le premier enfant d’Otto et d’Aurélia Plath.

Ses parents sont des émigrés allemands et autrichiens. Enfant, elle s’est beaucoup attachée à son père, un entomologiste spécialiste des abeilles et professeur à l’université de Boston. Emigré d’Allemagne à l’âge de seize ans, il avait après un premier mariage, épousé l’une de ses étudiantes, Aurélia Schober, de parents autrichiens, et de vingt et un ans sa cadette. Le frère de Sylvia, Warren Joseph Plath,  naît en 1934. Selon une anecdote familiale, le jour de la naissance de Sylvia, Otto aurait confié à son entourage qu’après le premier beau bébé de plus quatre kilos, il comptait déjà sur la naissance d’un fils, deux ans et demi plus tard. Ce fait a fait qu’Otto a acquis la réputation d’un homme qui obtenait ce qu’il voulait, à l’heure qu’il souhaitait.

La mère de Sylvia se présente comme la femme à tout faire, capable d’assurer la préparation des cours universitaires d’Otto lorsque celui-ci tombe malade. En même temps, le domaine où elle excelle est celui de l’éducation. En effet, alors que les deux parents enseignants prirent très au sérieux leur engagement en tant qu’éducateurs de Sylvia et de Warren, cette tâche semble avoir retenu toute l’attention d’Aurélia après son mariage : « Je n’avais plus qu’un désir : être une bonne épouse et une bonne mère ».

La vie adulte du poète fût profondément marquée par la lutte contre l’influence de la mère qui semble avoir reporté sur sa fille une partie de ses propres ambitions inassouvies. Quand Sylvia a quatre ans, la famille quitte Jamaica Plain pour Winthrop, petite ville au bord de la mer. Dès le début, Sylvia, poussée par le culte du travail, se révèle être une élève modèle qui obtient d’excellentes notes à l’école.

Peu avant la mort d’Otto Plath, son père, Sylvia a découvert la passion pour la poésie lorsque sa mère lui lit Le Triton abandonné  de Matthew Arnold. Le 5 octobre 1940, son père meurt suite à une amputation d’une jambe gangrénée. La maladie de son père a été aggravée par son diabète qu’il n’avait décelé que trop tard. Cet évènement a profondément marqué l’enfant qui a fini par dire « Je ne parlerais plus jamais à Dieu ». Elle reprochera par la suite à Otto d’avoir refusé de consulter un médecin et d’avoir ainsi précipité, sinon provoqué sa propre mort. Le fait que Sylvia, pas plus que son frère Warren, ne peut assister à l’enterrement de leur père rendit sans doute difficile le travail de deuil ultérieur.

Elle écrit son premier poème à l’âge de huit ans, à cette époque même où elle a perdu son père. En 1941, son premier poème a été publié par le Boston Herald. Même après la mort de son père, la figure paternelle a été représentée dans de nombreux poèmes.

Pour subvenir aux besoins de la famille après le décès d’Otto, Aurélia donne d’abord des cours d’allemand et d’espagnol dans un lycée, puis des cours de secrétariat médical au Collège universitaire des arts et des lettres appliquées de Boston.

En 1942, la famille quitte Winthrop pour s’installer, avec les grands-parents maternels, dans l’arrière pays dans un modeste pavillon de Wellesley, banlieue plutôt conservatrice et bourgeoise de Boston.

Dès son adolescence, Sylvia a envoyé ses poèmes et ses nouvelles à l’école d’abord, puis aux magazines américaines telles que Seventeen, Mademoiselle, et le Christian Science Monitor. Encouragée par Mr Crockett, son professeur, la jeune fille précoce se met à écrire dans l’espoir d’être reconnue comme auteure. Bien qu’essuyant souvent des échecs, elle se montre tout aussi acharnée que la femme adulte qu’elle deviendra, en réexpédiant articles et poèmes renvoyés aussitôt après réception des lettres de refus. L’un de ses premiers poèmes, écrit à l’âge de seize ans, s’interroge déjà sur le rapport entre vie et écriture. Faisant écho au scepticisme des proches qui semblent se demander si les efforts déployés en valent bien la peine :

« Vous me demandez pourquoi

Je passe ma vie à écrire ?

Si j’y trouve du plaisir ?

Si ça en vaut la peine ?

Et, par-dessus tout, si c’est payant ?

Sinon, quelle peut en être la raison ?

J’écris pour une seule raison

Il y a en moi une voix

Qui refuse de se laisser réduire au silence. »

A l’école, Sylvia incarne même l’image de l’élève modèle. Elle intègre le Smith College, à Northampton, Massachussets, université huppée pour les filles et une des meilleures de la côte Est en 1950. Cette même année, elle publie sa première nouvelle Et l’été ne viendra pas, dans le magazine Seventeen. Tous les jours, la jeune fille écrit à sa mère. Elle participe aux fêtes et bals à l’université. Durant la période où elle a étudié au Smith College, elle a écrit plus de quatre cents poèmes. Au cours de ses deux premières années universitaires, Sylvia étudie avec acharnement, et devient rédactrice en chef de la Smith Review, tout en collectionnant prix et honneurs.

Doté d’une beauté et d’un humour naturel, la jeune femme a entamé quelques liaisons. Cependant, elle était tourmentée et avait peur de faire face à l’avenir. Sa tourmente devenait de plus en plus importante qu’elle était prise entre le conformisme ambiant et la soif de liberté et d’indépendance. Elle souffrait en effet des troubles bipolaires graves. Elle était caractérisée par de nombreuses discontinuités qui ont été causées par la perte de son père.

En 1952, elle manifeste une grande peur de vivre. Toutefois, elle est parvenue à surmonter ses angoisses grâce à son enthousiasme pour l’écriture, les études et ce qu’elle veut accomplir plus tard. Elle a remporté grâce à la publication de sa nouvelle Un dimanche chez les Mintons le concours de Mademoiselle. Ce concours lui a permis ainsi qu’à dix neuf autres étudiantes venues des quatre coins des Etats-Unis, les portes du magazine Mademoiselle comme rédactrice invitée et représentante de Smith pendant le mois de juin 1953.

Durant son séjour, Plath entre dans les coulisses d’un magazine féminin et rencontre des personnalités en vue de la scène new-yorkaise. Elle sera néanmoins marquée par une série de déceptions et de désillusions, d’autant plus cruelles qu’elles soulignent l’effondrement de tout un idéal culturel.

A l’instar d’Esther Greenwood, la narratrice de son futur best-seller, La cloche de détresse,  elle admet que ni les marques extérieures de réussite de la société mercantile, ni les codes et les modes d’écritures proposés aux femmes (secrétariat, revues féminines, romans à l’eau de rose) ne sauront satisfaire ses ambitions.

Au sommet du rêve américain, la jeune femme a beau être jalousée dans toute l’Amérique par des milliers d’autres collégiennes, se faire photographier « buvant du martini dans un corsage étriqué en imitation de lamé argent, planté sur un gros nuage dodu de tulle blanc, dans un jardin suspendu, entourée de jeunes gens anonymes à l’allure typiquement américaine », donnant comme première impression la futilité, la duplicité et le mensonge.

A la fin de l’année 1953, elle retourne de New York, très déprimée. Après son mois new-yorkais, Plath apprend dès son retour à Wellesley qu’elle n’a pas été admise à suivre l’atelier d’écriture de Frank O’Connor à Harvard. Le désarroi déclenché par le séjour à New York empire progressivement au cours des semaines suivantes, période durant laquelle, Plath se montra incapable de s’investir dans d’autres activités proposées. La dépression prenant des formes de plus en plus alarmantes y compris des tentatives d’automutilation, la famille désemparée décide de chercher conseil auprès des médecins.

Le premier psychiatre consulté lui prescrit une série d’électrochocs. Mal administré, le traitement traumatisant sera repris non seulement dans La cloche de détresse, qu’elle a sorti en 1962, sous le pseudonyme Victoria Lucas mais aussi dans la nouvelle Johnny panic et la Bible des rêves et dans le poème Le pendu.

Le 24 août 1953, alors qu’Aurélia suit la retransmission des cérémonies de couronnement de la reine Elisabeth II chez une amie, Sylvia descend se cacher dans la cave de la maison familiale, puis avale tout un flacon de somnifères.

Une fois retrouvée après deux jours au cours desquels, ses proches ont cru à une fugue, Sylvia passa les cinq mois suivants à l’hôpital psychiatrique, principalement, au célèbre hôpital privé Mc Lean, une des meilleures cliniques psychiatriques des Etats-Unis. Elle y est admise grâce au soutien financier d’Olive Higgins Prouty (1982 – 1974), auteur de romans à succès dont on retrouve un portrait caricaturé dans La cloche de détresse.

Après les premiers traitements catastrophiques dont les traumatismes ne s’effaceront jamais complètement, Sylvia suit un traitement à base de cortisone et accepte de subir une seconde série d’électrochocs, cette fois-ci, sous le contrôle du Dr Ruth Beuscher, médecin qui semble avoir inspiré le personnage du Dr Nolan dans son roman. Dans son livre elle manifeste son étonnement et sa fascination au vu de ce médecin. Elle dira « J’étais étonnée d’avoir affaire à une femme. J’ignorais qu’il y avait des femmes psychiatres ».

Elle est retournée au Smith College en février 1954 et a continué ses études, tout en publiant ses œuvres. Elle remportera plusieurs prix de poésie au cours des mois suivants. Elle abandonne son projet de recherche sur James Joyce pour explorer l’ambivalence des personnages chez Dostoïevski, dans son mémoire intitulé « Miroir magique : étude du double dans deux romans de Dostoïevski ». Dans les lettres qu’elle a envoyées, elle a rassuré sa mère. Elle obtient sa licence en 1955.

En 1956, elle a obtenu une bourse Fullbright pour étudier en Angleterre, à l’université de Cambridge, le collège Newnham. C’est là qu’elle a fait la connaissance d’un jeune poète anglais, Ted Hughes le 26 février 1956, lors de la soirée de lancement de la revue de poésie St. Botolph’s Review. Cette première rencontre qualifiée de «sismique » dans le carnet intime, sera évoquée dans la nouvelle « Le garçon au dauphin ». à sa famille, Sylvia décrit Ted comme un Adam violent, un conteur, un barde, un éternel errant que rien ne pourrait arrêter.

Le couple se marie quatre mois plus tard à Londres. A part Aurélia, seul témoin de la cérémonie, aucun membre de la famille n’est présent.  Après un bref séjour à Paris et un voyage de noces dans le petit village de pêcheurs de Benidom, Espagne, qui s’organise autour de la littérature, chacun continue à travailler des textes.

En entamant cette nouvelle vie, Sylvia s’est beaucoup plus consacrée à sa famille qu’à sa carrière. Au bout de deux ans d’étude à Fullbright à Cambirdge, elle termine sa maîtrise. Le couple décide alors de vivre aux Etats-Unis pendant deux ans. Elle fait vivre le couple en enseignant d’abord dans le département de littérature de Smith College entre 1957 et 1958. Ensuite, le couple décide d’abandonner non sans anxiété et hésitations, l’enseignement pour se consacrer entièrement à l’écriture.

Installée à Boston avec Hughes, Plath essuie de nombreux refus, mais continue d’écrire inlassablement. Outre des soucis financiers après la décision du couple de tenter de subsister de sa plume, le journal intime fait état des tentatives pour se libérer du regard critique de Ted, qui, salué par les critiques dès son premier recueil, The hawk in the rain (Faucon sous la pluie),  publié en 1957, s’est fait un nom. Alors que la dactylographie et la promotion des manuscrits de son mari l’occupent souvent plus que sa propre carrière, Plath affirme que son tour viendra plus tard.

Au cours de la même période, Plath suit l’atelier d’écriture de Robert Lowel (1917 – 1977). Comme il le dira dans sa préface à l’édition américaine d’Ariel, publiée sept ans plus tard, Lowell garda de Plath une impression de docilité et de retenue –traits qui semblent mal correspondre à l’audace de sa voix poétique ultérieure. Le même atelier d’écriture permit également à Plath de se lier d’amitié avec la poète Anne Sexton (1928 – 1974).

Toutefois, les crises financières ont contraint Sylvia à faire un autre emploi pour survivre. Elle travaille dans un hôpital psychiatrique. Le couple retourne à Londres et s’installe dans un petit appartement. En effet, malgré les reproches que Plath exprimera occasionnellement à l’égard de ce qu’elle considère comme les pratiques dickensiennes de la société britannique, elle est convaincue que la Grande-Bretagne, plus que les Etats-Unis, lui fournira des conditions nécessaires à l’exercice du métier d’écrivain. Ted et Sylvia s’entraident pour travail.

En 1960, ils eurent leur premier enfant : Frieda Rebecca. L’automne suivant, Heinemann publie son premier recueil de poésie Le Colosse  à Londres – un recueil qui reçut un accueil favorable mais discret. Depuis le succès de Lupercal,  le deuxième recueil de Ted Hughes, paru également en 1960, celui-ci est déjà sur le point de devenir une des personnalités marquantes de la poésie britannique. Au dire du critique littéraire, A. Alavarez qui fit la connaissance du couple et qui publia leurs poème dans L’observer  dit : « A l’époque, Sylvia paraissait effacée, la poétesse occupant la siège arrière par rapport à la jeune mère et l’épouse ». Pourtant, dans ce couple d’auteurs, chacun semble faire des efforts pour permettre à l’autre de poursuivre son travail. Dans leur petit appartement où la machine à écrire doit être rangée pour laisser la place au lit de l’enfant pendant la nuit, ils s’arrangent pour se consacrer à tour de rôle à l’écriture.

En février 1961, Sylvia perd l’enfant qu’elle attendait, perte suivie presque aussitôt d’une opération de l’appendicite, deux expériences dont on trouve les traces dans les poèmes Parliament Hill Fields et Tulipes,qui relatent la fausse couche et la mélancolie ultérieure.

A l’automne de la même année, la famille quitte son appartement londonien et s’installe à Court Green, ancien presbytère, avec un grand jardin, dans un petit village non loin de la mer, dans le Devon. Plath reçoit une bourse qui lui permettra de terminer son roman La cloche de détresse, ouvrage qu’elle déconseillera, sa famille affirmant qu’il s’agit d’un travail purement « alimentaire ».

L’année 1962 commence sous des auspices favorables. Après la naissance de Nicholas Ferrar, Le colosse et autres poèmes voit le jour aux Etats-Unis. Le recueil suscite cependant moins d’enthousiasme qu’en Grande-Bretagne. Les critiques reprochent à Plath le ton impersonnel et le manque d’originalité de sa poésie.

Aucun problème n’a semblé menacer leur vie de couple quand Sylvia découvre en 1962,  que son mari avait une liaison avec Assia Wevill, épouse du poète et ami canadien David Wevill. En colère, la jeune femme brûla toutes les lettres et les manuscrits de Ted. Elle écrit ensuite des poèmes pleins d’animosité pour la femme perçue comme rivale.

Leur mariage n’a pas pu survivre suite à cette découverte. A la fin de l’été, c’est la rupture.  Elle chassa son mari, et resta avec ses enfants durant tout l’automne à Court Green, tandis que Ted s’installa à Londres. A cette même période, Sylvia écrit un ou plusieurs poèmes chaque matin, avant de réveiller ses enfants. Ces poèmes qui seront rassemblés dans le recueil Ariel, seront les meilleurs de toute sa carrière.

Consciente de la qualité de ses nouveaux textes, elle écrit à sa mère le 16 octobre : « Je suis en train d’écrire les meilleurs poèmes de ma vie ; ils feront ma renommée ». Ariel  fût écrit le jour de ses trente ans, de même que « Coquelicots en octobre » (Poppies in October), les fleurs de son dernier anniversaire.

Sylvia s’installa alors à Londres avec ses enfants en 1963, peu avant Noël, dans l’espoir d’y poursuivre le nouvel élan créateur en même temps que l’éducation de ses enfants. Elle refuse ainsi de quitter l’Angleterre et l’Europe pour retourner aux Etats-Unis, contrairement aux souhaits de sa mère. La nouvelle ère incite sous le signe de la création semble se confirmer par le fait qu’elle trouve, comme par miracle, un appartement dans la maison du 23 Fitzroy Road où habita jadis le poète irlandais William Butler Yeats (1865 – 1939).

Après avoir pris un bail de cinq ans, elle trouve l’un des livres de Yeats et tombe sur ces paroles poétiques qu’elle veut prémonitoire : « Apporte du vin et de la nourriture, pour te donner la force et du courage, et je tiendrai la maison prête ».

Ces démonstrations de joie devant les projets de publications, de voyages et de rencontres s’avèrent d’autant plus précaires et trompeuses qu’elles sont destinées à servir d’écran vis-à-vis de la personne à qui Sylvia ne pouvait communiquer son tourment. Restait l’écriture, activité poursuivie, jusqu’au tout dernier jour.

Les muses et l’esprit de Yeats, dont Plath s’était entourée ne la protégeront ni contre l’hiver, ni contre la grippe ou la rhume de ses enfants. L’hiver très rude à Londres a fragilisé l’état de santé de Sylvia et des enfants. Par conséquent, elle n’a pas beaucoup pu écrire. Pour l’aider, son médecin lui prescrit des somnifères et des antidépresseurs. Le 14 janvier de la même année, elle publie son premier roman, La cloche de détresse (The bell jar). Elle aurait également écrit deux autres romans qui relatent sa relation avec son mari, mais ces œuvres ont disparu.

Le 5 février 1963, elle a écrit son dernier poème intitulé  Le bord. A l’aube du 11 février, à Londres, elle pose deux verres de lait quelques biscuits devant la chambre des enfants, colmate soigneusement toute les issues de la cuisine, ouvre le gaz et se donne la mort. Celle qui avait écrit quelques semaines plus tôt :

« Je n’ai que trente ans

Et comme les chats, j’ai neuf mois pour mourir

C’est la troisième fois »

Fût enterrée au cimetière du petit village d’Heptonstall, dans le Yorkshire.

Sylvia Plath disparaît alors que son premier recueil de poésie Le colosse, et son premier roman, La cloche de détresse, sorti seulement quelques semaines auparavant sous le pseudonyme de Victoria Lucas, venaient d’éveiller l’intérêt des critiques. Commence alors une vie littéraire posthume à rebondissements. Au moment du suicide de Plath, sa séparation avec Ted Hughes n’est pas encore officielle, ce qui a permis à celui-ci d’obtenir les droits exclusifs sur les textes de son épouse. Le fait qu’Olwyn Hughes, la sœur de Ted, ainsi que la mère de Sylvia Plath, Aurélia, participeront par la suite à la publication de certains textes de Plath, compliquera encore la logique éditoriale de l’œuvre.

Il faut sans doute replacer le débat post mortem et la réception de l’œuvre de Plath dans le contexte plus général du mouvement contestataire qui commence à voir le jour au cours des années soixante. C’est en effet un moment où l’idéalisme américain traditionnel se voit remis en cause par le racisme, le sexisme et le puritanisme dont il était porteur, que le nom de Sylvia Plath fût à tort ou à raison, avancé comme la figure emblématique du génie féminin, écrasé par une société dominée par les hommes. Dans les divers litiges et les luttes qui auront lieu, l’œuvre se trouvera souvent éclipsé par les prises de position partisanes, qui ne rendront pas forcément justice à sa poétique.

Elle fût désormais rangée parmi les poètes « confessionnels », souffrant d’un trouble psychologique. Le recueil Collected Poems  obtient le prix Pulitzer de poésie à titre posthume. Son mari a rassemblé ses œuvres dans trois recueils posthumes : La traversée, Arbres d’hiver et Ariel.

La controverse autour de l’ouvre de Plath, ranimée à chaque nouvelle parution, fut particulièrement vive à la sortie des Œuvres poétiques complètes (Collected poems) en 1981. Ce n’est qu’après cette parution, très attendue, qu’on apprit que Ted Hughes n’avait pas tenu compte l’ordre des poèmes qui devaient constituer son deuxième recueil Ariel. En effet, le mot « Amour » devait s’achever par une série de poèmes consacrés aux abeilles, avant de se terminer par le mot « printemps ». En plus de ces modifications, Hughes affirme, dans l’introduction aux Œuvres poétiques complètes, avoir exclu de la version publiée d’Ariel « certains poèmes agressifs sur le plan plus personnel ».

Par ailleurs, à lire les conseils de lecture fournis par Ted Hughes dans les introductions et avant-propos des ouvrages de Sylvia Plath, l’on est parfois frappé par le ton pédagogique de l’ex-époux devenu éditeur.

Le commentaire de Hughes créé l’impression indéniable d’une matière si brûlante que l’éditeur se doit de la doser savamment avant qu’elle puisse être présentée aux lecteurs. Il dit :

« Il y avait deux autres carnets de grands cahiers à couverture marron, comme celui des années 1957 – 1959, dans lesquels, elle a continué à tenir son journal, de fin 1959 jusqu’à trois jours avant sa mort. Le plus tardif des deux couvrait plusieurs mois, et j’ai détruit car je ne voulais pas que ses enfants aient à lire un jour. (A cette époque, je pensais que l’oubli était nécessaire à la survie). L’autre a disparu. »

Selon l’avis de Hughes, les journaux disparus, qui correspondaient à la période où Plath écrivit les textes auxquels elle doit sa célébrité, furent sans doute les plus importants. La mutilation de ce corpus autobiographique a évidemment suscité des hypothèses concernant leur valeur littéraire.

En tout cas, leur publication dans une version intégrale aurait permis d’éviter l’impression que Plath mourut longtemps avant qu’elle ne mît réellement fin à sa vie.

  • Présentation de ses œuvres

Etant donné l’attachement de l’écrivaine à son père, ce dernier sera mentionné dans bon nombre de poèmes, comme en témoigne Papa,  qu’elle a écrit en octobre 1962. Dans cette œuvre, elle manifeste son amour profond pour son père, qui s’est transformé par la suite en une haine, et entraînant une violence. Par ailleurs, elle va dire dans ce poème :

« Tu ne me vas pas, tu ne me vas plus,

Soulier noir dans quoi j’ai vécu

Comme un pied depuis trente ans

Blanche et démunie, dans la crainte

De respirer et d’éternuer

Papa, il a fallu que je te tue.

Tu es mort sans m’en laisser le temps »

La mort a également inspiré la poétesse. Un de ces œuvres Mort et compagnie en témoigne. Mais on ne peut parler de Sylvia Plath sans se référer à Ariel, une de ses œuvres qui a connu un grand succès après sa mort en 1963. Dans ce poème, l’écrivaine fait allusion à un génie de l’air qui déclenche les tonnerres et les tempêtes, mais qui en même temps, est un protecteur.

Les œuvres de Sylvia Plath ont connu un succès plus particulièrement pour le féminisme qu’ils suscitent. En effet, la poétesse est considérée comme une sainte et une martyre dans une société dominée par l’homme. Les féministes se sont donc référées à ses œuvres. Le dernier poème de Sylvia Plath, Tout au bord  en constitue une illustration. La femme qui a soif de liberté et d’indépendance s’est exprimée :

« La femme s’est accomplie

Son corps mort

Porte le sourire de l’accomplissement

L’illusion d’une obligation grecque

Coule dans les rouleaux de sa toge

Ses nus pieds semblent vouloir dire :

Nous sommes arrivés si loin, tout est fini »

La frustration de voir ses capacités créatrices disparaître sous le poids de tâches domestiques est évoquée dans une nouvelle Jour de gloire (Day of success),  l’un des textes prémonitoires qui laissent lire la violence de l’effacement chez la femme dont le génie s’étouffe sous une pile de langes fraîchement repassés.

Dans son roman La cloche de détresse, la relation nouée avec le Dr Nolan se fonde sur le droit des femmes à disposer de leurs corps. La jeune femme peut désormais rejeter les muses du passé qui lui rappellent les lois de la virginité, de la docilité et de l’abnégation.

Les œuvres de Sylvia étaient d’abord publiés dans son école, puis, ils furent repris par les magazines Seventeen, Mademoiselle et Christian Science Monitor.

La première nouvelle de Sylvia « And summer will not come again » (Et l’été en viendra pas) a été publié en 1950, lors de son adhésion au Smith College, dans le magazine Seventeen. La même année, elle publie son poème « Bitter strawberries » (Les fraises amères) dans Christian Science Monitor.

En 1952, elle publie dans le magazine Mademoiselle « Sunday at the Minton » (Dimanche chez les Minton). Dans cette première nouvelle, elle parle d’une jeune fille rêveuse qui n’arrive pas à se soumettre aux contraintes matérialistes de son frère.

La mort est un thème qui est fréquemment évoquée dans les œuvres de Sylvia Plath. Ainsi, dans « Boîtes à souhaits», elle désigne la mort comme une sorte de libération et une porte permettant de s’affranchir des banalités de la vie. Elle en parle également dans un poème qu’elle a écrit peu de temps avant son suicide, « Dame Lazare » où les derniers vers montrent les perceptions de l’auteure en ce qui concerne la mort :

« Mourir

Est un art, comme tout le reste.

Je le fais exceptionnellement bien »

L’année 1960 vit la parution de son premier recueil Le Colosse. Malgré des qualités techniques indéniables, une précision dans le maniement de la langue et une sensibilité aux sons et aux rythmes, l’impression générale reste, selon les critiques, celle d’une élégance et d’un formalisme un peu désuets. Pourtant, si Plath n’avait pas omis certains de ses textes plus personnels, les lecteurs auraient sans doute été moins surpris par le long et complexe final, Poème pour un anniversaire (Poem for a birthday),  texte qui témoigne déjà de l’intérêt de Plath pour l’inconscient et la reconstitution de l’être.

En 1962, elle a publié Le colosse et autres poèmes aux Etats-Unis. Au cours de la même année, elle écrit des poèmes où elle explore le thème de la maternité, suivant des angles inattendus. Articulés autour de l’arrivée de l’enfant, les textes s’attachent suivant aux sentiments conflictuels suscités par la maternité. C’est le cas du poème Trois femmes (Three wemeen)

« Que faisaient mes doigts avant de le tenir ?

Que faisait mon cœur avant de l’aimer ?

Je n’ai rien vu de si limpide.

Ses paupières sont des fleurs de lilas

Et son souffle est doux comme un papillon de nuit

Je ne lâcherais pas.

Il n’a ni ruse ni tare en lui

Qu’il en reste ainsi »

Ce poème est devenu par la suite, une pièce radiophonique.

Composé au printemps 1962, le féminin au corps et au psychisme scindés en deux qui marque la poésie antérieure semble y avoir laissé place à de nouvelles préoccupations.

Si Plath s’était toujours montrée préoccupée par les problèmes de société, ses inquiétudes s’aggravèrent face aux conséquences possibles de la course aux armements. L’inquiétude où se mêlent les préoccupations sur le sort du monde et les soucis du destin personnel colore les textes de cette époque.

  • Etude de « La cloche de détresse»

La cloche de détresse parle principalement des évènements qui ont encouragé l’auteure au suicide et les faits qui l’ont amenée à surmonter cette terrible épreuve. Ce roman relate les sentiments de Sylvia Plath dans les moments d’incertitudes et aussi pendant la période où elle a perdu son père. Elle donne les détails concernant ses multiples tentatives de suicide. Son internement à l’hôpital psychiatrique.

Lorsqu’Esther Greenwood, l’héroïne de La cloche de détresse se rend à New York après avoir obtenu son prix littéraire, la narratrice évoque déjà son mal être : « Il y en aurait pour dire : « Regardez ce qui arrive dans ce pays. Une fille vit pendant dix neuf ans dans une ville perdue, elle est tellement pauvre qu’elle ne peut même pas se payer un magazine, et puis elle reçoit une bourse pour aller au collège, elle gagne un prix ici, remporte un concours là, et elle finit aux commandes de New York »

Seulement, je ne contrôlais rien du tout. Je ne me contrôlais même pas moi-même. Je ne faisais que cahoter comme un trolleybus engourdi, de mon hôtel et de nouveau au bureau. Je suppose que j’aurais dû être emballée comme les autres filles, mais je n’arrivais même pas à réagir. Je me sentais très calme, très vide, comme doit se sentir l’œil d’une tornade qui se déplace tristement au milieu du chaos généralisé ».

Le monde la considère comme une héroïne, une jeune fille qui s’est accomplie et qui se trouve au sommet de sa gloire, ayant tous les atouts que toutes les jeunes femmes de son âge puissent espérer. Mais est-ce la vérité ? L’auteure relate ici le fait que pour elle, ces différents évènements ne constituaient que des artifices. Elle n’arrivait pas à se faire dans ce monde qu’elle n’a jamais connu. Ce monde n’était pas le sien, et elle n’arrive pas à l’appartenir. Elle est dépassée par les évènements et n’arrive pas à contrôler les choses, ses sentiments et toute cette nouvelle vie qui en fin de compte l’encombre. Son calme apparent cache bien les troubles profonds qui saisissent tout son être et c’est la raison pour laquelle, elle ressent un grand « vide ». Cette mascarade n’est qu’une vanité. Alors, elle ne réagit pas, elle attend juste que quelque chose vienne mettre fin à cette monotonie :

« Des filles comme ça me rendent malade. Je suis tellement jalouse que j’en perds la parole. Pendant dix neuf ans je n’ai pas mis les pieds hors de la Nouvelle Angleterre si ce n’est pour une ballade à New York. C’était ma première grande chance, mais j’étais là, vautrée dans mon fauteuil, la laissant filer comme de l’eau entre mes doigts ».

C’est là qu’elle réalise alors qu’elle devrait se forger une identité, mais qui est-elle exactement ? Qu’est-ce qu’elle attend de la vie ? Qu’est ce qu’elle espère ? Quelles sont ses ambitions ? Malheureusement, à toutes ces questions, elle ne trouve aucune réponse :

« Si c’est être névrosée que de voir au même moment deux choses qui s’excluent mutuellement, alors je suis névrosée jusqu’à l’os. Je naviguerai toute ma vie entre deux choses qui s’excluent mutuellement … »

« Je voyais ma vie se ramifier devant mes yeux comme le figuier de l’histoire. Au bout de chaque branche, comme une grosse figue violacée, fleurissait un avenir merveilleux. […]. Je me voyais assise sur la fourche d’un figuier, mourant de faim, simplement parce que je ne parvenais pas à choisir quelle figue j’allais manger. Je les voulais toutes, seulement en choisir une signifiait perdre toutes les autres, et assise là, incapable de me décider, les figues commençaient à pourrir, à noircir une à une et elles éclataient entre mes pieds sur le sol ».

Certes, Sylvia Plath était une femme exceptionnelle et incroyablement intelligente. Elle avait tous les atouts pour elle. Mais au sommet même de sa gloire, dans la fleur de sa jeunesse, elle avait des incertitudes concernant son avenir. Elevée dans le culte de travail, la jeune femme aurait sûrement voulu entreprendre de nombreuses choses mais son hésitation l’a handicapée. Elle emploie ici le terme « mourant de faim parce que je ne parvenais pas à choisir quelle figue j’allais manger ». La métaphore avec la branche de figuier qui se ramifie semble montrer les différentes tournures, les différentes voies qui s’ouvraient à elle. L’auteure parvient à donner une image de ce qu’elle ressent au vu des si belles choses qu’elle aurait voulu avoir et qui finissent par « pourrir » une à une. Elle pouvait tout avoir et elle n’avait rien.

Finalement, elle Esther sombre petit à petit dans la dépression. Elle perd tout espoir et s’acharnait sur son sort à regarder les points négatifs : « J’ai commencé à additionner toutes les choses que je ne savais pas faire ». En fin de compte, le désir de mourir la gagna. Elle s’est suicidée mais en vain. Elle a tenté de se reconstruire. Mais comme elle laisse supposer dans sa narration, sa vie s’est arrêtée à ses dix neuvième années :

« Je voyais les années de ma vie jalonner une route comme des poteaux télégraphiques, reliés les uns aux autres par des fils. J’en ai compté un, deux, trois … dix neuf poteaux mais après … les fils dansaient dans le vide. Malgré tous mes efforts, je ne voyais pas de poteau après le dix neuvième ».

Sylvia Plath peut donc être décrite comme une personne soumise à de fréquentes mélancolies. Les doutes, les incertitudes et les désirs profonds de mettre fin à ses jours hantaient toute son existence. Et ses sentiments ont été parfaitement projetés dans La cloche de détresse. Mais en même temps, ces sentiments de faiblesses lui ont procuré les inspirations avec lesquelles, elle a pu sortir son unique roman La cloche de détresse et tant d’autres production littéraire.

Sylvia Plath n’est pas seulement connue dans le monde littéraire mais également pour le mouvement féministe. Si l’homme domine dans la sphère professionnel, la femme se restreint à la maternité, à s’occuper de son mari et être emprisonnée dans sa propre maison. Mais cette image de la femme soumise n’a pas été acceptée par l’auteure. Elle dira dans son roman :

« C’était une des raisons pour lesquelles, je ne voulais pas me marier. La dernière chose que je souhaitais, c’était bien la sécurité infinie et être l’endroit d’où part la flèche…. Je voulais des changements, du nouveau, je voulais tirer moi-même dans toutes les directions, comme les fusées du 4 juillet ».

Ce bref passage montre le caractère féministe des propos avancés par l’auteure. Le mariage dans lequel, la femme est parfois bafoué, son rôle se limite à être une bonne mère et une bonne épouse, n’a pas pu être reconnue comme étant une personne capable d’entreprendre autre chose que les tâches domestiques. Ceci est fortement lié à la vie de Sylvia qui a laissé son rôle de mère et d’épouse aller avant son travail d’auteure.

Outre les tournements et le tracas identitaire d’une jeune femme habituée à taire ses différences, La cloche de détresse fournit un témoignage éloquent sur le climat d’oppression et d’auto surveillance qui caractérisait l’époque du maccarthysme. Le ton est donné dès la première phrase qui ancre le récit d’une temporalité identifiable : « C’était un été étrange et étouffant. L’été où ils ont électrocuté les Roseberg ».

En effet, dans ce récit marqué par l’exécution, le 19 juin 1953, d’Ethel et Julius Rosenberg, accusé d’avoir livré des secrets atomiques à l’URSS, l’association n’est pas moins étroite entre l’électrocution du couple Rosenberg et l’électrothérapie d’Esther Greenwood : peine capitale et thérapie comportementale, dissidence politique et différence sexuelle.

Dans son œuvre, Sylvia Plath exprime librement le désir de liberté et d’émancipation de la femme. Elle veut être libre et ne pas être étouffée. Elle veut prendre des décisions et vivre sa vie comme elle l’entend sans que quelqu’un ne lui dicte ce qu’elle devrait faire ou non. C’est ainsi qu’elle est devenue la figure d’une femme martyre dans cette société dominée par les hommes.

Conclusion

L’œuvre littéraire a depuis toujours été une expression du fonds de pensées de son créateur. Sa vie, ses joies, ses malheurs, ses impressions, ses colères, ses espoirs tout comme ses déceptions sont représentées dans les écrits des auteurs. L’œuvre littéraire n’est pas seulement un message destiné à attirer l’attention du lecteur sur un phénomène de société qui peut échapper ou non  à son attention. Elle constitue en même temps, un « miroir » qui permet au lecteur de prendre la place de chacun des personnages qui y sont évoqués. L’œuvre littéraire de ce fait pourrait également refléter la vie, la réalité, la vérité et les vécus du lecteur. Il serait dans ce cas, un miroir pour le lecteur.

Les thèmes abordés dans ces écrits sont très variés, mais dans la plupart des cas, la tristesse et la mélancolie marquent les œuvres littéraires les plus reconnus. Au fil de notre étude, nous avons abordé les différentes significations du terme mélancolie. Nous avons également établi que la mélancolie est un sentiment fort qui frappe la plupart des écrivains et des personnes ayant une intelligence exceptionnelle, et ce, depuis plusieurs siècle.

L’inspiration est une des conditions qui nourrit et qui se trouve à la base de la création littéraire. Mais elle ne peut ni être commandée, ni être retenue. Elle frappe l’écrivain et le pousse à écrire. Après, il se dissipe. Considérée comme un « souffle divin » et créateur des œuvres littéraires, l’inspiration est difficile à comprendre et à expliquer.

En regardant la plupart des écrivains célèbres, il a été constaté que la mélancolie pourrait amener l’auteur à écrire. En vivant une expérience unique, vive et très marquante, il est indéniable, que les écrivains soient inspirés. En faisant une introspection et un retour dans le temps et dans l’espace de ce qu’ils ont vécu, et ce qu’ils ont ressentis à une période précise et à un lieu déterminé, ils peuvent réaliser des productions littéraires.

Cette constatation est particulièrement vraie pour les deux auteures que nous avons étudié ; Sylvia Plath et Unica Zürn. Deux femmes, deux époques différents, deux cultures différents, deux contextes différents, elles ont aussi deux styles littéraires très différents, mais dont les œuvres La cloche de détresse et L’homme jasmin,  sont toutes poignantes. Ces œuvres sont marqué leurs époques respectives et ont suscité la manifestation de deux mouvements différents : le mouvement féministe et le mouvement surréaliste.

Ces deux femmes ont comme point commun, leur mélancolie et surtout, leurs troubles mentaux qu’elles soulèvent dans la plupart de leurs œuvres et plus particulièrement, dans les deux œuvres que nous venons de citer. Leur production littéraire n’est pas seulement le récit de leur folie, loin de là. Ce sont des œuvres qui sont produites à partir de cette expérience éprouvante qu’est l’internement.

L’homme jasmin aura plongé le lecteur dans l’univers macabre des asiles, tout en gardant un œil sur le monde extérieur, l’amour et la haine. Il informe de manière artistique comment l’auteure s’est plongée petit à petit dans cette folie dans laquelle elle ne veut pas se remédier. En même temps, elle explique pourquoi elle a parfois « lâché prise » et comment elle lutte encore. Cette ouvre qui a été écrite alors que l’auteure a traversée une période difficile a été son œuvre majeure.

La cloche de détresse, a également été écrite quand sa créatrice a plongée dans une dépression profonde. Elle parle dans cet unique roman qui a été couronné de succès, de la manière par laquelle, elle a progressivement plongée dans la dépression au point de vouloir souhaiter la mort. Cette œuvre de Sylvia Plath se singularise de toutes les autres œuvres qu’elle a produites. En effet, c’est son unique roman, mais elle ouvre également les yeux du lecteur sur l’enfer que connaissent les personnes suicidaires.

En comparant ces deux œuvres, on se rend compte de la force vive qui dégage de ces deux femmes lorsqu’elles sont soumises à des émotions très vives et des expériences très éprouvantes. Les deux auteures se réfèrent aux deux héroïnes de leurs histoires mais à un certain moment, particulièrement, lorsque se présente des émotions fortes, il est difficile de séparer l’auteure, l’héroïne et la folle. Dans ces deux œuvres étudiées, nous pouvons dire que la mélancolie a poussé ses deux femmes à écrire et qu’elles trouvent dans le fait d’écrire, le remède absolu à leur souffrance.

Par ailleurs, l’œuvre qui puisse toucher le lecteur, et qui pourrait avoir une valeur est celle qui reflète la réalité, même si elle est dure à accepter. Les bonheurs de la vie ne suscitent pas autant de force que les malheurs qui poussent à lutter, à poser des défis et à aller de l’avant.

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[2] Le texte littéraire, http://www.er.uqam.ca/nobel/m130700/textelitteraire.htm

[3] Kylouškovà H. La compétence de communication, http://svp.muni.cz/ukazat.php?docId=502

[4] Citton Y. La compétence littéraire : apprendre à (dé)jouer la maîtrise, litterature.inrp.fr/

[5]  Le texte littéraire, http://www.er.uqam.ca/nobel/m130700/textelitteraire.htm

[6] Gallagher AB. 2004. Création littéraire et inspiration, http://www.cdrummond.qc.ca/cegep/artlettre/archives/lettres/essai-creation.html

[7] Pour une histoire du regard : la mélancolie dans les lettres et les arts. Lettres actuelles n°7, juillet-août 1995

[8] Pigeau J. La posture mélancolique, http://www.armand-colin.com/revues_article_info.php?idr=12&idnum=394549&idart=7744

[9] La mélancolie en littérature, http://placart.wordpress.com/2011/10/28/la-melancolie/

[10] Wroblewski A. Le corps de la folie ou comment Unica Zürn échappe à Hans Bellmer, http://ler.letras.up.pt/uploads/ficheiros/8709.pdf

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