Le processus d’intégration Economique de l’Union Européenne. Quelles perspectives après le Brexit ?
Problématique : Le processus d’intégration Economique de l’Union Européenne. Quelles perspectives après le Brexit ?
Plan
Chapitre 1. L’intégration économique régionale de l’Union Européenne
Section 1. L’intégration économique régionale
1.1. Entre « régionalisation » et « régionalisme »
1.2. Gradation et processus d’intégration économique régionale
1.3. Les principales conceptions de l’intégration économique régionale
Section 2. L’intégration de l’Union Européenne : un cas avancé parmi d’autres
2.1. Quelques exemples remarquables d’intégration économique régionale
2.2. L’intégration de l’Union Européenne
Chapitre 2. La construction européenne : entre réussite et échec
Section 1. Les grandes étapes de l’intégration européenne
Section 2. Composantes caractéristiques de l’intégration européenne
2.1. Une intégration institutionnelle
2.2. Une intégration régionale
2.3. Des accords commerciaux régionaux
2.4. Une intégration monétaire
Section 3. Rôles du marché, des Etats et des institutions dans la construction européenne
Section 4. Analyse et synthèse : la construction européenne est-elle une réussite ou un échec ?
Chapitre 3. Perspective post-Brexit
1.3. Processus de retrait en cours
2.1. Le poids du Royaume-Uni dans l’Union Européenne
2.2. Les conséquences estimées de Brexit pour le Royaume-Uni
2.3.2. Post-Brexit sur le long terme : approfondissement de la construction européenne ?
Introduction
La première ministre britannique, Theresa May, semble incarner au plus près possible ce que pense la majorité des électeurs britanniques. En effet, elle apparait très déterminée et prêt à « tout faire » (jusqu’à organiser une élection anticipée pour remanier la Chambre des communes si besoin est) pour arriver à bout de son projet, celui du retrait « dur » de son pays de l’Union Européenne. Cet évènement d’actualité vient vraisemblablement aggraver une soi-disant « crise » frappant cette grande organisation régionale européenne depuis 2008, mais celui-ci se positionne en même temps en tant que conséquences de cette crise. L’abondance de la littérature traitant cet évènement dit « Brexit » et la banalisation de la notion de « construction européenne » démontrent l’intérêt accordé par l’opinion publique aux relations supposées existant entre ces deux éléments.
De temps en temps, la majorité des études dans ce domaine se focalisent essentiellement sur les options qui se présentent au Royaume-Uni et l’avenir économique et politique de ce pays lorsque ce retrait de l’Union Européenne sera effectif (Beaufils-Marquet, 2016 ; Boutang, 2016 ; Maveyraud, 2016 ; etc.). D’autres auteurs tentent d’appréhender les impacts possibles de ce retrait pour l’avenir de l’Union Européenne (Esprit, 2016 ; Montgolfier, 2016 ; Pisani-Ferry, Röttgen, & al., 2016 ; Verhofstadt, 2016 ; etc.). Mais, cela soulève un certain nombre de questionnements qui persistent malgré ces études.
En effet, l’Union Européenne est (actuellement) devenue une organisation considérablement complexe et évolue au moins sur deux niveau qui amplifie cette complexité : elle évolue, d’une part, horizontalement par l’élargissement de la région et, d’autre part, verticalement via l’approfondissement des relations entre les Etats et la mise en place d’institutions dotées de pouvoirs étendus qui sont acceptés au niveau national de ces Etats. Ainsi, se contenter d’une présentation statistique (même détaillée) pour expliquer les effets de Brexit sur l’économie de l’Europe ne serait que très simpliste. En fait, ce retrait britannique ne serait-il pas un processus inverse à la construction européenne ? Lequel de ces deux processus (qui vont dans le sens opposé) l’emporte-il ? S’il est supposé que Brexit influe négativement sur l’intégration de l’Union Européenne, quels pourraient être les réactions des décideurs européens pour y remédier ?
En outre, si de tel phénomène se passait dans d’autres blocs régionaux similaires (en pensant par exemple le projet de Donald Trump de s’éloigner de certaines organisations régionales qu’il juge non bénéfique pour les Etats-Unis), les impacts auraient-ils les mêmes sur l’intégration de ces blocs ? Cela revient donc à identifier les différentes composantes qui expliquent le concept « d’intégration économique régionale » d’une part, et les éventuels caractéristiques particulières qui font (le cas échéant) qu’un bloc régional est unique, d’autre part.
Devant tous ces questionnements, il a été jugé pertinent de poser la problématique suivante pour la présente étude : « Le processus d’intégration Economique de l’Union Européenne. Quelles perspectives après le Brexit ? ». En d’autres terme, il y a lieu d’appréhender les conséquences probables de Brexit sur la construction européenne en analysant les diverses composantes majeures de cette dernière.
Pour répondre à cette question centrale, le présent document se divise en trois chapitres relatifs aux différentes étapes de cette recherche. Dans le premier chapitre sera étudié le concept-clé d’intégration économique générale en prenant l’Union Européenne comme un cadre d’étude de cas particulier. Le second chapitre se focalise sur les différents aspects de la construction européenne en mettant au premier plan les spécificités de l’intégration sur le domaine économique. Enfin, le troisième chapitre cherchera à déterminer les impacts réels et potentiels du retrait britannique de l’Europe continentale.
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L’intégration économique régionale de l’Union Européenne
Introduction du chapitre
L’intégration économique régionale est, il faut l’avouer, un processus complexe. En effet, certes, il y a des mécanismes logiques qui peuvent être appréhendés concernant celui-ci, et c’est précisément l’objet de la première section de ce chapitre. Il s’agit alors d’essayer de définir l’intégration économique régionale à travers les flux d’échanges commerciaux effectués par les pays membres de la région concernée ainsi qu’à travers les règles explicitement formalisées pour régir (entre autres) ces échanges, d’où les notions de « régionalisation » et de « régionalisme ». Il y a lieu aussi de comprendre le processus dans son évolution, en mettant l’accent sur la gradation et les différentes étapes identifiées de celui-ci. Pour avoir une vue plus complète de l’intégration économique régionale, un survol des principales conceptions dans ce domaine apparait également nécessaire.
C’est ensuite que le cas particulier (parmi de nombreux autres abordés juste à titre d’illustration) de l’intégration économique européenne sera étudié. Il s’agit d’avoir un premier aperçu de la construction européenne dans une analyse descriptive de celle-ci vis-à-vis des différentes étapes du modèle célèbre de Balassa (1961).
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L’intégration économique régionale
Cette première section se focalise sur le concept d’intégration économique régionale, un phénomène à définir en usant d’autres notions connexes. Aussi,
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Entre « régionalisation » et « régionalisme »
Pour mieux comprendre le concept « d’intégration économique régionale », il importe de s’intéresser à quelques notions connexes, intimement liées à celui-ci. Ainsi, Guilhot et Figuière (2007) désigne par « région » (dans le sens d’une « région internationale ») l’ensemble d’un « nombre limité d’États liés entre eux par une relation géographique et par un degré d’interdépendance réciproque » (p. 897). Cela dit, le terme « région » définit par Siroën (2008) comme « une partition du monde » (pp. 1-2) implique bien plus qu’une simple proximité géographique, du moins dans le contexte de la présente étude qui se focalise beaucoup plus sur les aspects économiques des relations entre les pays membres d’une région. Désormais, il apparait que la réalité régionale inclut deux piliers majeurs, à savoir : l’économie et les règles (Guilhot & Figuière, 2007).
En effet, d’un côté, une principale raison d’être d’une région réside dans l’importance des flux économiques entre les pays qui composent cette région, des flux qui devraient se démarquer (quantitativement et/ou qualitativement parlant) des autres relations entretenues entre un de ces pays et d’autres pays (ou ensemble de pays) tiers, n’appartenant pas à la région en question. Cette « intensification » ou « concentration » de flux concerne à la fois les échanges commerciaux que les transferts de capitaux entre différents pays. D’un autre côté, la relation nouée (de nature économique ou non) entre les différents pays qui forment alors une région peut aussi résulter essentiellement de la mise en place de règles communes régissant cette relation, voire les pays membres de la région (Figuière & Guilhot, 2006). Dans ce sens, Guilhot et Figuière (2007) soulignent trois degrés de coordination institutionnelle pouvant exister dans une région, selon les formes de cette coordination.
Premièrement, il y a la coordination qui a pour objet l’instauration et l’application de dispositions réglementaires communes axées sur les relations (dont les liaisons commerciaux et les échanges de capitaux) entre les nations membres. Deuxièmement, il y a la coordination cherchant à harmoniser, via des règles communes, des pratiques au niveau de chaque pays membre, quelle que ce soit l’intensité des relations (économiques en l’occurrence) établies entre celui-ci et ses partenaires de la région. De telle harmonisation est d’un degré plus avancé car nécessitant la mise en place d’une institution au sens strict du terme. Troisièmemement, il y a la coordination qui vise à attribuer des pouvoirs supranationaux à une ou plusieurs institutions de la région (Guilhot & Figuière, 2007).
Figuière et Guilhot (2006) définissent ensuite ce qu’il est entendu par « intégration économique régionale » à travers deux autres concepts : la « régionalisation » d’une part, et le « régionalisme » d’autre part (cf. Tableau 1 – Combinaisons des deux piliers constitutifs des processus). La « régionalisation » qualifie le processus régional caractérisé uniquement par une intensification des flux économiques. C’est dans ce sens que Hugon (2003) décrit la régionalisation comme « un constat empirique de recentrage des relations sur une zone » (p. 10). En revanche, le « régionalisme » est le processus mobilisé seulement par la construction « politique » ; plus concrètement, les nations (voisines) s’engage à respecter un ensemble de règles communes, même si elles n’entretiennent pas entre elles de relations économiques relativement plus intenses que la moyenne mondiale. « Autrement dit, la « régionalisation » rend compte des situations dans lesquelles l’intensification des flux ne s’accompagne pas de processus de construction de règles formelles, soit une « économie sans les règles ». Le « régionalisme » rend compte de constructions régionales sans pour autant que les relations économiques s’intensifient, soit les « règles sans l’économie » » (Guilhot & Figuière, 2007, pp. 899-900). C’est ainsi que l’intégration économique régionale est interprétée comme la combinaison de la régionalisation et du régionalisme : « un espace régional sera dit économiquement intégré, si et seulement s’il enregistre une concentration des flux entre les nations qui le constituent et s’il révèle une coordination institutionnelle instaurant durablement des règles communes » (Figuière & Guilhot, 2006, p. 83).
Tableau 1 – Combinaisons des deux piliers constitutifs des processus
Concentration des flux économiques | |||
OUI | NON | ||
Coordination interétatique formelle | OUI | Intégration économique régionale | Régionalisme |
NON | Régionalisation | Absence de lien régional |
Source : Guilhot et Figuière (2007)
Par ailleurs, en parlant d’intégration régionale, il faut la comprendre en tant que processus, ce qui implique qu’elle est caractérisée par différentes étapes associées à un degré d’intégration particulier tout au long de ce processus.
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Gradation et processus d’intégration économique régionale
Les différents niveaux de coordination évoqués précédemment correspondent à trois types d’intégration économique régionale. A rappeler que ces coordinations sont associées respectivement à une « quasi-institution » (l’institutionnalisation n’étant pas nécessaire bien que des accords puissent être la base de la coordination), puis la mise en place de règles communes (et donc d’une institution stricto sensu), et enfin la dotation de pouvoirs supranationaux à une institution régionale (cette dernière dispose alors d’une certaine capacité pour contraindre les Etats membres à suivre les décisions qu’elle décidé de manière autonome vis-à-vis de ces Etats).
La première coordination, projetée dans l’espace de l’intégration économique régionale, s’associe à une intégration dite « aux frontières ». Cette forme de processus concerne une concentration des flux économiques (en termes commerciaux et d’investissements directs étrangers – IDE). Mais, en plus, cette intégration s’accompagne également d’une coordination des règles régissant plus particulièrement ces flux et leurs modalités. Cette intégration (appelée aussi « à la surface ») comprend une coordination spontanée entre des opérateurs privés de la région (mais elle diffère d’une « intégration spontanée », car celle-ci est caractérisée par l’absence de cadre formelle, ce qui n’est pas le cas d’une intégration institutionnelle) (Siroën, 2000, p. 22).
La seconde coordination correspond à l’intégration « en profondeur » qui, en plus de la satisfaction des principes d’une intégration « à la surface », suppose le déploiement des mesures permettant l’harmonisation des pratiques « intérieures » de chaque pays membre. Ce deuxième type d’intégration diffère du premier par le fait que ces mesures s’appliquent aux pratiques mêmes à l’échelon national, et non seulement aux relations économiques entre les Etats membres. En tout cas, les institutions au niveau national reste les régulateurs de ces pratiques internes, aucune délégation de pouvoir n’étant faite à une institution supranationale) (Guilhot & Figuière, 2007).
Enfin, la troisième coordination implique une intégration économique régionale dite « souveraine » : il s’agit d’une véritable « gouvernance régionale ». Le lieu d’exercice de la régulation se déplace alors vers une institution régionale : « Dès lors, la notion de gouvernance régionale peut être mobilisée pour qualifier un processus qui met en place un mécanisme de production de règles visant à harmoniser les pratiques des acteurs à l’intérieur des frontières des États participants, sur la base d’une collaboration entre des institutions supranationales et des institutions nationales (ministères spécifiques ou conseil des ministres dans sa globalité, ou encore assemblées élues) » (Figuière & Guilhot, 2006, p. 85).
Concernant les différentes étapes de l’intégration économique régionale, Marinov (2015) note le caractère évolutif des formes de telle intégration : chaque schéma de degré supérieur inclut à la fois les caractéristiques des schémas inférieurs et les caractéristiques des nouveaux éléments, élargissant alors la portée et le contenu du processus d’intégration. Ces étapes sont ainsi considérées comme celle menant vers le but ultime d’atteindre l’intégration totale, c’est-à-dire sur les plans social et économique, mettant en avant des politiques monétaires communes, et prônant le pouvoir effectif d’institutions supranationales sur les Etats membres. Mais, il faut dire que, à côté de l’évolutivité du processus d’intégration, les pays qui s’engagent dans cette voie pourraient décider entre eux de lancer ce processus à partir d’un niveau supérieur (et non nécessairement à partir du plus bas niveau). Désormais, en l’absence de consensus sur le nombre exact d’étapes menant vers l’intégration totale, Marinov (2015) propose une classification comprenant huit étapes, en se basant sur les travaux de Balassa (1961) (cf. infra – 2.1 Quelques exemples remarquables d’intégration économique régionale).
Par ailleurs, outre par leurs formes variées, les différentes intégrations économiques régionales peuvent être aussi classifiées suivant diverses conceptions qui mettent l’accent sur les éléments clés sur lesquels s’appuient les processus en question.
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Les principales conceptions de l’intégration économique régionale
Hugon (2001) identifie cinq conceptions majeures de l’intégration régionale. D’abord, il y a la conception « libérale » qui appréhende l’intégration par le « marché », assimilant alors le processus à la libéralisation de la circulation des marchandises et des facteurs de production. Cela s’apparente ainsi à un « régionalisme ouvert », c’est-à-dire la réduction autant que possible des impacts des politiques nationales tout en repoussant au loin les frontières nationales afin d’épouser progressivement le grand marché international. Cette pensée est un peu à l’opposition de la conception « volontariste » qui voit l’intégration régionale comme le résultat d’une démarche faite par un ensemble de pays pour protéger leur économie contre la mondialisation. Cela amène alors ces pays à s’engager dans des actions visant à renforcer leur capacité de coalition de sorte à générer un marché et favoriser la complémentarité du territoire concerné. Il est alors possible de parler de « régionalisme fermé » qui se base sur un plan régional de développement en cherchant même à se déconnecter du commerce international.
Il y a également la conception industrielle et territoriale qui considère l’intégration régionale dans un contexte de production portée par l’internalisation au niveau des firmes transnationales. Celles-ci axent essentiellement leurs politiques stratégiques dans un contexte régional, c’est-à-dire à travers la division « régionale » du travail, la recherche de cohérence et de complémentarité entrepreneuriale par la coopération sectorielle entre les différents pays de la région en question. Hugon (2001) parle ainsi de cette intégration territoriale par les firmes un « régionalisme polarisé de facto », par opposition à « régionalisme normatif de jure » qui correspond cette fois à la conception institutionnaliste par les « règles ». Cette dernière s’appuie sur l’établissement par les pouvoirs étatiques d’un système commun de règles. En effet, il est surtout question d’instaurer un climat favorable dans la région (en termes de stabilité et de sécurité notamment) conformément aux anticipations des acteurs économiques (essentiellement privés). L’important est alors l’attractivité de la technologie innovante et des capitaux.
Finalement, il y a la conception diplomatique ou politique de l’intégration régionale qui insiste sur le transfert de souveraineté (des différents Etats membres de la région vers une structure supranationale), notamment dans le cadre de la prévention des conflits. « Les convergences d’intérêts économiques sont une manière de dépasser les rivalités et antagonismes politiques » (Hugon, 2001, p. 11).
Tout cela s’accorde à dire que, en tant que processus qui évolue au gré des réalités existantes mais aussi des volontés des acteurs de la région, un processus d’intégration régionale n’est pas seulement figé mais pourrait être considéré comme unique (par rapport aux autres processus existants). En d’autres termes, malgré la pertinence des logiques théoriques décrivant le processus d’intégration, il est possible de dire que chaque cas d’intégration régionale est un cas particulier en tenant compte des réalités différentes et caractéristiques qui peuvent conditionner le phénomène d’une région à une autre.
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L’intégration de l’Union Européenne : un cas avancé parmi d’autres
Dans cette section, il s’agit essentiellement d’apprécier l’explicitation de l’intégration régionale à travers divers exemples qui mettent en lumière la réalité des diverses étapes du processus dans ce sens. L’intégration européenne sera également abordée en tant qu’étude de cas particulier.
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Quelques exemples remarquables d’intégration économique régionale
Afin de mieux exploiter les différents exemples de la présente sous-section, il convient de les apprécier au regard des différentes étapes du processus d’intégration économique régionale. Pour cela, comme il n’existe pas (dans la littérature) vraiment de consensus sur le nombre de ces étapes (bien que Balassa (1961) semble insister sur quatre phases, à savoir : la zone de libre-échange, l’union douanière, le marché commun, et l’union économique), l’échelle composée de huit phases, proposée par Marinov (2015), devrait donner plus de détails du processus en question.
Ainsi, avant d’entamer la question de la « Zone de libre-échange », Marinov (2015) parle d’abord d’accord commercial préférentiel (Preferential trade agreement) qui consiste en un abaissement des barrières commerciales entre les Etats membres. Cela concerne aussi bien des accords bilatéraux que des accords multilatéraux. Parmi les accords bilatéraux, il est possible de citer celui de l’Inde avec le MERCOSUR (Mercado Común del Sur – Amérique du Sud) – un accord commercial préférentiel signé en 2003 et entré en vigueur en 2009 – ou encore celui de l’Union Européenne avec les pays de l’ACP (Afrique Caraïbe Pacifique) – dans le cadre de l’Accord de Partenariat Economique ou APE. Pour les accords multilatéraux, il y a les exemples de l’Accord commercial Asie-Pacifique à travers du RCEP (un projet d’accord de libre-échange entre la Chine, l’Association des nations du Sud-Est Asiatique ou ASEAN, le Japon, l’Inde, la Corée du Sud, l’Australie et la Nouvelle Zélande), l’Association latino-américaine d’intégration (ALADI) créée en 1980 et regroupe une douzaine de pays de la région. L’Organisation mondiale du commerce (OMC) explique que « les accords commerciaux préférentiels sont, […] des préférences commerciales unilatérales [qui] incluent le Système généralisé de préférences (au titre duquel les pays développés accordent des droits préférentiels pour des importations en provenance des pays en développement), ainsi que d’autres systèmes préférentiels non réciproques pour lesquels le Conseil général a accordé une dérogation » (OMC, 2016). En quelque sorte, l’accord commercial de préférence constitue une étape menant vers l’accord de libre-échange ; mais, ce constat est à nuancer en considérant que plusieurs de ces accords préférentiels n’ont pu aboutir jusqu’alors à un libre-échange, d’autant plus que nombreux accords régionaux n’ont pas nécessairement passé par l’établissement préalable de préférences commerciales unilatérales.
La Zone de libre-échange, quant à elle, qui apparait comme la moins compliquée des étapes d’un véritable accord régional (dans le sens d’un accord réciproque entre les pays membres), implique l’abolition des droits de douane ainsi que toute restriction commerciale (au niveau qualitative et quantitative) entre les pays concernés. C’est alors un pas dans la mise en œuvre des mesures discriminatoires car chaque pays membre reste libre dans la définition de ses structures tarifaires vis-à-vis du reste du monde n’appartenant pas à la zone de libre-échange considérée. Plusieurs régions sont désormais dans ce cadre, telles que l’ASEAN avec l’ASEAN Free Trade Area (AFTA), l’Accord commercial Asie-Pacifique (APTA), le Système d’intégration de l’Amérique centrale (SICA), l’Accord de libre-échange de l’Europe centrale (ALECE), l’Accord de libre-échange de l’Asie du Sud (ALEA), etc. Au sens de l’OMC, « outre le commerce des biens et des services, les accords de libre-échange portent souvent sur des questions telles que la protection et la promotion de l’investissement, les marchés publics et la politique en matière de concurrence » (Calderon & Tangas, 2006, p. 108).
La création d’une union douanière est une phase plus approfondie car, en plus de l’existence d’accord de libre-échange (exclusivement entre les pays membres), cette phase inclue également une harmonisation/égalisation des politiques douanières (tarif douanier commun) de tous les pays membres, non seulement pour les commerces effectués entre eux, mais également pour les marchandises en provenance des pays tiers. A titre d’exemple, peuvent être avancés des accords multilatéraux comme la communauté andine des nations (CAN – institué entre quatre pays d’Amérique Latine après le départ du Venezuela) dans une union « imparfaite » (Quenan, 2005), la Communauté de l’Afrique de l’Est (CAE – cinq pays de la région), l’Union douanière d’Afrique australe (SACU, qui serait même la première union douanière au monde sous le nom de Customs Union Agreement en 1910 jusqu’à son nouvelle appellation en 1969 (Kadija, 2013)) ; mais également des accords bilatéraux entre la Suisse et le Liechtenstein, l’Israël et l’Autorité palestinienne, ainsi que l’Union Européenne et la Turquie, et l’Andorre, et le Saint-Marin. Il faut dire que l’Union douanière est une dérogation (permise par l’OMC dans une perspective que le développement des accords commerciaux au niveau régional est pris comme une tendance vers l’intégration au niveau mondial) à la clause de la nation la plus favorisée, cette dernière stipulant que tout pays est tenu d’appliquer à l’ensemble des pays membres de l’OMC tout avantage que ce pays accorde à un autre (Hoekman & Olarreaga, 2002).
L’étape suivante est la création d’un marché commun, c’est-à-dire que, en principe, en plus d’une union douanière, les pays membres s’engagent à respecter (entre eux) la libre circulation des facteurs de production, dont les mains-d’œuvre (la population active), et les capitaux. Pouvant servir d’exemples illustratifs de cette phase cruciale : le MERCOSUR (Marché commun du Sud) depuis 1995, la Zone de libre-échange sud-asiatique (SAFTA), l’Espace économique européen (EEE) qui intègre désormais l’Union Européenne et les trois pays membres de l’Association européenne de libre-échange (AELE). Néanmoins, pour l’EEE, « la libre circulation des personnes ne vaut que pour les travailleurs salariés (alors qu’elle est totale pour tous dans l’Union européenne) ; les contrôles aux frontières entre l’UE et les trois pays AELE subsistent ; il n’y a pas de rapprochement des fiscalités » (INSEE, 2016). Il faut également mentionner que l’EEE n’est pas non plus une union douanière à proprement parler puisqu’il n’y pas de tarif extérieur commun, ni de politique d’échange commercial unanime à l’égard du reste du monde. Cela démontre à quel point la notion « d’étapes » au sens strict du terme (impliquant alors que la réalisation d’une étape de degré supérieur requiert la réalisation de celle des degrés inférieurs) dans le processus d’intégration est plutôt relative et à nuancer.
En suivant toujours le concept de processus d’intégration au sens de Balassa (1961), l’étape suivante consiste en une union économique qui peut se résumer en une harmonisation et coordination des politiques économiques (nationales) des pays membres. En principe, cette union économique s’ajoute au contexte du marché commun. Le principal objectif de l’union économique est la réduction de la discrimination entre membres résultant de la disparité existant entre les politiques économiques de ces derniers. Des domaines très variés pourraient ainsi être concernés par la politique commune, tels que la concurrence (au niveau économique), la finance/monnaie, l’agriculture, la fiscalité, le social, la sécurité, etc. Outre le Marché unique de l’Union Européenne, quelques autres exemples d’union économique, dont le Marché unique et économique de la Communauté des Caraïbes (CARICOM), l’Union de la Russie et de la Biélorussie, et l’accord entre l’Union Européenne et Monaco.
A un niveau encore plus intégré se trouve l’Union économique et monétaire qui se caractérise par une politique monétaire commune et, par l’occasion, une monnaie commune. Plus précisément, il s’agit d’une harmonisation générale (dans le sens d’une unification) des politiques monétaires, fiscales, contra-cycliques et sociales des pays membres. Les trois exemples pouvant être cités d’unions économique et monétaire sont l’Union Economique et Monétaire de l’Union Européenne, l’Union des devises des Caraïbes orientales, et l’union entre la zone Euro et Monaco. Il y a aussi d’autres initiatives qui veulent entrer dans cette étape supérieure de l’intégration économique régionale, comme par exemple celle de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africain qui cherche à aller dans ce sens à travers une intégration à deux vitesses (avec deux zones, l’Union Monétaire Ouest-Africain ou UMOA d’une part, et la Zone Monétaire de l’Afrique de l’Ouest d’autre part, qui sont appelées à fusionner) pour combler au retard que connaissent certains pays dans la convergence macroéconomique (et nécessitent alors une approche plus accélérée) (UEMOA, 2009). Cela montre d’ailleurs une partie des difficultés rencontrées et la complexité des démarches nécessaires pour atteindre un niveau plus élevé dans le processus d’intégration économique régionale.
Au-dessus de ces diverses étapes de l’intégration régionale, Marinov (2015) identifie deux autres phases certainement plus difficile à atteindre puisqu’aucun cas existant ne peut encore cité comme exemple illustratif à ces deux niveaux. La première est l’intégration économique complète qui devrait se manifester par l’existence de compétences supranationales effectives et de l’unification (complète) des politiques économiques des pays membres. La deuxième phase (plus poussée que la première) consiste en l’union politique, c’est-à-dire des politiques communes en matière de relations extérieures, de justice, de sécurité, et d’affaires intérieures.
A tout ceci, il est communément admis que c’est l’Union Européenne qui a pu atteindre le niveau d’intégration le plus élevé parmi toutes les régions existant jusqu’alors (du moins, jusqu’à l’élaboration du présent document).
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L’intégration de l’Union Européenne
La construction européenne peut être appréciée à la lumière de ces différentes étapes du processus de l’intégration économique régionale (au sens de Balassa, 1961).
D’abord, il est possible de dire que, en appréhendant les objectifs d’origine de la construction européenne, les premiers membres intéressés à l’intégration de la région se sont tous focalisés sur des accords commerciaux (réciproques) plutôt que sur des ententes préférentielles (nécessairement/essentiellement unilatérales), au sens de l’OMS. C’est ensuite, lorsque le bloc est résolument formé que certains pays de la région qui veulent faire partie de celui-ci sont parfois entrés en accord commercial préférentiel avec lui (c’est par exemple le cas de la Turquie qui se porte désormais candidat à l’entrée dans l’Union Européenne).
En ce qui concerne la zone de libre-échange, même si l’objectif final du Traité de Rome (signé en 1957) était d’arriver à l’établissement d’un marché commun, ce traité prévoyait bien d’en créer une initialement. Il faut dire que la libéralisation des échanges établis à partir de janvier 1959 a été, en quelque sorte, une phase préalable à la mise en place (par la suite) d’une Union douanière européenne. In fine (actuellement), l’Union Européenne (ainsi construite) ne peut plus être considérée comme assimilable à une zone de libre-échange car les pays membres ne peuvent plus nouer un quelconque accord d’échange avec un pays tiers. Néanmoins, l’Union Européenne (en tant que bloc) entre en accord de libre-échange avec d’autres pays ou autres blocs régionaux (à l’exemple de l’AELE).
A propos de l’Union douanière, la construction de celle dans le cadre de la construction européenne est considérée comme achevée en 1968. En effet, comme l’a prévu le Traité de Rome, quatre principes régissaient la création de cette union douanière entre les six membres fondateurs, à savoir : suppression des droits de douanes entre ces pays membres, une tarification commune vis-à-vis des importations venant des pays tiers, de même pour les règles d’origine concernant les produits provenant de ces pays tiers, et une définition commune de la valeur en douane (Commission Européenne, 2008). En fait, la mise en place faite en 1968, à travers la suppression des droits de douane entre les pays membres de la Communauté Economique Européenne CEE et l’adoption d’un tarif extérieur commun, a ensuite été renforcée avec l’instauration du marché unique et la suppression des contrôles physiques aux frontières avec l’Acte Unique de 1986. Cette disposition fait encore l’objet d’un renforcement dans le Traité de Lisbonne, puis dans le Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne (article 28). Désormais, « toutes les marchandises circulent librement dans l’Union douanière de l’UE, qu’elles soient fabriquées dans l’UE ou importées de l’extérieur » (Commission Européenne, 2017). Au Sénateur Yung, dans un rapport destiné au Premier ministre sur l’avenir de l’Union douanière de l’Europe, de statuer que « l’Union douanière pourtant est inachevée, comme si l’Europe douanière était restée au milieu du gué, alors que ce système a encore un fort potentiel intégrateur. En dépit de cette forte intégration juridique, l’Union européenne a continué à reposer sur les différents systèmes douaniers nationaux – désormais 28 – avec des organisations administratives disparates et des prérogatives variables, ce qui rend la convergence des pratiques douanières lente et parfois difficile » (Yung, 2013, p. 1).
En parlant ensuite du marché commun, Lecourieux (2005) explique le processus du passage entre l’union douanière et cette étape supérieure dans la construction européenne : « Le premier objet du Marché commun a été de créer entre les Etats membres une union douanière à l’intérieur de laquelle les échanges sont libres de toute entrave mais séparés des pays tiers par une frontière commune. Cette frontière limite un territoire douanier défini par le tarif douanier ou tarif extérieur commun (TEC) et l’application d’un code des douanes communautaires » (p. 1). Désormais, c’est la réalisation du Marché commun qui peut même être désigné comme l’objet principal du Traité de Rome, avec l’institution du CEE. Effectivement, la réalisation des objectifs de la Communauté se repose sur le Marché commun ; l’essentiel des politiques européennes ont d’ailleurs été développées en se basant sur celui-ci. Le concept a ensuite été approfondi et dénommé « Marché intérieur » avec l’Acte unique en généralisant le principe de reconnaissance réciproque, rendant alors plus aisée la prise de décision commune entre les membres. La libre circulation des marchandises a, par la suite, été rendue effective à partir de 1993, suivie par la libre circulation des personnes (beaucoup plus difficile à mettre en œuvre, d’abord avec celle des travailleurs, puis étendue, d’une part, à travers la citoyenneté de l’Union dans le Traité de Maastricht de 1992 et, d’autre part, par la convention de Schengen de 1995), et enfin celle des capitaux (encore plus difficile car impliquant la circulation des services ainsi que la liberté d’établissement via une directive sur les services en 2006).
C’est au cours des années 1960 que l’idée l’histoire de l’Union Economique et Monétaire (UEM) de l’Europe a pris racine (le projet d’une monnaie unique européenne n’étant pas intégré dans le Traité de Rome), lors du Sommet de la Haye de décembre 1969 dans le but de prévention contre la crise monétaire internationale. Mais, bien qu’ayant reçu l’aval de la Commission Européenne l’année suivante, le processus n’a pas abouti à cause de l’effondrement du Système de Bretton Woods en 1971 qui avait rendu très instable le cours de change. Très vite, la création du Serpent Monétaire Européen (1972) a relancé le projet, la relance explicite étant située en 1978 (pendant le Conseil Européen de Copenhague) et concrétisée par la mise en place du Système Monétaire Européen (SME) en 1979. C’est alors que formalisés le principe de réduction de l’amplitude de fluctuation communautaire autour de la parité fixe (déjà envisagé dans le Serpent monétaire), ainsi qu’un mécanisme de taux de change fixes mais susceptibles d’ajustement entre les différentes monnaies des neuf pays de la CEE (Grande Bretagne incluse). Le SME (qui n’a été dissout tacitement qu’en 2006) prévoyait alors la création d’une zone de stabilité monétaire et d’une unité monétaire commune : l’Ecu (European Currency Unit). L’Acte Unique (1986) réaffirme le projet en définissant le calendrier de mise en place de l’UEM, cette dernière s’est fait donc en trois étapes.
Premièrement, le Conseil européen a décidé de responsabiliser le Comité des gouverneurs des banques centrales des pays membres, dans une idée de rapprochement des différentes politiques nationales. Le Traité de Maastricht (approuvé en 1991, signé l’année suivante, et mis en vigueur en novembre 1993) est issu des négociations qui découlent des missions de ce Comité, le traité qui a défini les critères de convergence à remplir par tout nouveau pays candidat à l’entrée dans la Communauté. Deuxièmement, l’Institut monétaire européen (IME) a été institué (1994) remplaçant (temporairement) le Comité des gouverneurs, et chargé de la création de la Banque Centrale Européenne (BCE). Successivement, ont été adoptés : le nom de la nouvelle monnaie (l’Euro) en 1995, et le Pacte de stabilité et de croissance (fixant les règles budgétaires dans l’UEM) en 1997. Troisièmement, après le remplacement de l’IME par la BCE (juin 1998), onze Etats membres ont accepté de fixer les taux de conversions de leurs monnaies respectivement, d’où l’appellation « zone euro » (élargie à 19 Etats jusqu’en 2015). Il a été prévu que tous les membres de l’Union Européenne intègre un jour la zone euro (sous condition de remplir les critères de convergence), à l’exception de trois pays ayant obtenu une dérogation, dont le Danemark, le Royaume-Uni, et la Suède. Depuis, l’UEM n’a cessé d’évoluer progressivement (en citant par exemple les réformes après la crise de 2008, la réforme de « six pack » et celle de « two pack » pour renforcer le Pacte de stabilité et de croissance (2011), le mécanisme européen de stabilité pour gérer les crises financières de la zone euro (2012), etc.
Il est possible de dire que, vis-à-vis des différentes phases du processus d’intégration économique régionale (au sens de Balassa), l’Union Européenne n’a pas encore pu atteindre (du moins jusqu’alors) les étapes ultimes d’intégration économique complète et d’union politique (complète). Ainsi, des efforts ont été entamés, par exemple pour la mise en place d’une Constitution Européenne, mais de nombreux impasses ont bloqué le processus. Néanmoins, il faut reconnaitre que l’Union Européenne, sans toutefois se présenter comme un modèle à suivre (étant données les spécificités européennes), est le cas d’intégration la mieux aboutie jusqu’ici. Par ailleurs, il faut aussi admettre que l’Union Européenne, bien qu’ayant atteint un niveau relativement élevé dans le processus d’intégration (relatant en quelque sorte certains succès à discuter), celui-ci illustre également de nombreuses difficultés, voire des obstacles encore insurmontables (des échecs ?) dans la construction de l’Europe.
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La construction européenne : entre réussite et échec
Introduction du chapitre
Afin de mieux analyser la construction européenne, il importe, dans un premier temps, de faire un bref survol des différents traits majeurs de l’histoire de celle-ci en mettant l’accent sur les aspects économiques du processus d’intégration. Il s’agit, par la suite, de s’intéresser à quelques grandes composantes caractéristiques de l’intégration européenne, celle-ci étant à la fois institutionnelle, régionale (géographiquement parlant), commerciale, et monétaire. Il y a lieu également de mettre en évidence les rôles de deux grandes entités dans la construction de l’Europe : d’une part, le « marché » évoquant le côté économique et « spontané » (par opposition à « artificiel ») de l’intégration et, d’autre part, les Etats et les institutions pour insister sur la place de la politique et l’interventionnisme (sans lesquels, les seuls facteurs économiques n’auraient pas pu amener l’Europe à un degré d’intégration aussi avancé tel qu’elle est désormais). Tous ces points abordés feront, enfin, l’objet d’une synthèse pour apprécier la réussite et/ou l’échec de la construction européenne.
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Les grandes étapes de l’intégration européenne
Il s’agit ici de faire un bref survol de la construction européenne en mettant l’accent sur les éléments historiques majeurs de celle-ci et en se focalisant surtout sur le domaine économique (sans négliger certaines implications politiques de cette construction).
Il faut rappeler que l’idée d’origine d’un rapprochement entre les pays fondateurs de la CEE ne s’appuie pas véritablement sur une question économique, cette dernière étant juste (au début) une opportunité qui passait derrière la volonté de prévenir les risques de conflit dans une Europe détruite au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Ainsi, la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier (CECA) a été établie « afin de garantir une paix durable » (Union Européenne, 2017) (aucun des pays membres ne peut fabriquer des armes pour attaquer ses pays voisins), d’autant plus que le monde venait juste de se plonger dans la Guerre froide.
Sept ans plus tard, le Traité de Rome a été signé (en 1957, mis en vigueur en 1958) entre six pays qui voulaient aller plus loin dans la création d’un « Marché Commun » (plutôt que d’exprimer uniquement une volonté de coopération à travers le Conseil de l’Europe, institué en 1949), en passant nécessairement par une union douanière : l’objectif est la libre-circulation des biens, des services et des personnes au-delà des frontières de ces pays, et à terme, l’harmonisation des politiques économiques nationales. Le Traité de Rome qui suit les traits fonctionnalistes de la CECA se montre assez prudent sur la question de supranationalité, la Commission de la CEE n’ayant qu’un pouvoir d’initiative. Comme résultat, le volume du commerce intracommunautaire a été multiplié par six tandis que celui extracommunautaire par trois entre la signature de ce Traité et 1970. Cette sorte de réussite de l’établissement de l’union douanière européenne (du moins, comparativement à l’intégration seulement partielle de l’AELE, par exemple) incite, par la suite, des pays européens voisins à manifester leur désir de faire partie également de la Communauté, d’où une première intégration de trois nouveaux membres, dont le Royaume-Uni, en 1973 (L’Europe à Strasbourg, 2016) (via le Traité de Bruxelles, en 1973).
L’Acte Unique Européen de 1986 (mise en vigueur un an plus tard) prend ensuite le relais pour insister notamment sur la réalisation du Marché Unique, obligeant alors les douze Etats membres de supprimer toute entrave (physique, technique et fiscale) à la libre-circulation. Puis, la construction européenne prit une dimension relativement nouvelle avec le Traité de Maastricht de 1992 en instituant « l’Union Européenne » avec un accent mis sur la vocation politique (et non plus essentiellement économique) de la Communauté à travers les trois piliers que sont le pilier communautaire avec un transfert de souveraineté des pays membres vers les institutions européennes, le pilier de la Politique étrangère et de sécurité commune (PESC) sans qu’il y ait de transfert de souveraineté, et le pilier de coopération en matière judiciaire et des affaires intérieures. C’est également le Traité de Maastricht qui prévoyait la création de l’Euro comme monnaie unique gérée par la BCE, ainsi que la fixation des critères de convergence des politiques économiques nationales (déficit public inférieur ou égal à 3% du PIB, dette public inférieur à 60% du PIB, inflation inférieur ou égale à 1.5% de la moyenne des taux d’inflation des trois pays les plus performants, taux d’intérêt à long terme inférieur à 2% de la moyenne des taux de ces trois pays, et marge de fluctuation des changes à respecter par rapport à un devise pivot) (L’Europe à Strasbourg, 2016). Un des grands aboutissements du Traité de Maastricht est l’adoption de l’Euro (1999) qui est devenu le moyen de paiement officiel (en 2002) (L’Europe à Strasbourg, 2016).
L’année 1993 voit, par la suite, la fixation des critères (dits de Copenhague) d’adhésion de nouveaux membres, dont le critère économique imposant au pays candidat à l’entrée à la Communauté d’avoir une économie viable, robuste pour faire face à la concurrence et aux forces du marché européen. Une peu plus d’une décennie plus tard, les premières nouvelles adhésions (des pays notamment de l’Europe centrale) ont été enregistrées sur la base de ces critères. Après, s’ensuivait, d’une part, l’élargissement de l’Union portant à 15 le nombre de membres et l’application de l’accord de Schengen sur la libre-circulation des personnes en 1995 et, d’autre part, le Traité d’Amsterdam (1997, entré en vigueur en 1999) relatif à l’organisation de la coopération entre les gouvernements de ces membres de l’Union (ce traité introduit pour la première fois la notion de « coopération renforcée » entre les pays voulant approfondir la construction européenne).
Le Traité de Nice a ensuite été signé en 2001 (et mis en vigueur en 2003) pour modifier le système institutionnel et décisionnel de la Communauté de manière à permettre l’adhésion de 10 autres nouveaux membres (Traité d’Athènes, en 2004). Puis, après « échec » du projet constitutionnel européen (après notamment les référendums français et néerlandais en 2005), le Traité de Lisbonne a été signé en 2007 (et a entré en vigueur en 2009) à titre modificatif (et non pas pour se substituer aux traités signés auparavant comme était destinée le traité constitutionnel non adopté de 2004) (L’Europe à Strasbourg, 2016).
Un des derniers évènements qui s’est incrusté de fait dans la construction européenne serait incontestablement la grande crise économique mondiale de 2010, suite à laquelle plusieurs pays membres de la zone euro se sont confrontés à des difficultés financières (notamment la Grèce, l’Irlande et le Portugal) menaçant la stabilité de cette zone. L’aggravation de cette crise rend insuffisants les mécanismes d’aide financière ayant été mis en place pour accorder des prêts à ces pays (dont le Mécanisme européen de stabilisation financière et le Fonds européen de stabilité financière), d’où le déploiement du Mécanisme européen de stabilité qui est censé être durable et ne dépendant pas du Fonds Monétaire International, avec une capacité d’action atteignant 750 milliards d’euros (via un Traité intergouvernemental en vigueur depuis 2012). Emerge alors de cette crise des débats concernant le fonctionnement de l’Union qui ont conduit à la ratification du Traité sur la stabilité (en 2012, entré en vigueur en 2013) par 25 pays (le Royaume-Uni et la République Tchèque en font exception) relatif à un renforcement du fédéralisme budgétaire (dont interdiction des déficits et surveillance plus importante des budgets, c’est-à-dire la « règle d’or budgétaire » imposant un équilibre des comptes publics pour chaque Etat membre) (L’Europe à Strasbourg, 2016).
Un autre évènement majeur qui a influencé (et continuera probablement d’influencer) la construction européenne est le projet de sortie de l’Union (dit Brexit) du Royaume-Uni (cf. infra – Chapitre 2 – Perspective post-Brexit).
Des débats sont alors en cours sur l’avenir de l’Europe. En tout cas, de tout cela ressort quelques composantes caractéristiques majeures de l’intégration européenne.
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Composantes caractéristiques de l’intégration européenne
Quatre composantes remarquables de l’intégration européenne méritent d’être citées pour caractériser la construction de l’Europe, à savoir : une intégration institutionnelle, une intégration régionale, une intégration commerciale (des échanges), et une intégration monétaire.
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Une intégration institutionnelle
Afin de mieux comprendre les caractéristiques et les fonctions de l’intégration institutionnelle dans la construction européenne, il convient d’apprécier certaines composantes de cette intégration institutionnelle, au sens de Siroën (2000). D’abord, cette dernière renforce (ou au moins entretient) la politique de discrimination établie par la région considérée envers les pays tiers, constituant en quelque sorte une zone de préférence. En théorie, deux impacts majeurs de l’établissement de cette zone préférentielle devraient être constatés en conséquence.
D’un côté, il y a un « effet de création » résultant de l’abandon des produits venant des fournisseurs des pays non-membres de l’Union pour se tourner essentiellement vers les produits issus de la région devenant alors moins couteux. D’un autre côté, il y a un « effet de détournement » lorsqu’un pays de l’Union est contraint de substituer ses importations venant des pays tiers pourtant moins couteux par celles du marché intra-régional (Siroën, 2000). Cependant, en pratique, ces deux impacts potentiels semblent avoir été contournés car il a été enregistré un accroissement (en volume) à la fois du commerce intérieur (de 20% à 30%) et des importations extra-communautaires (de 12% à 14%), pour l’exemple des produits manufacturés au milieu des années 1990. En effet, la croissance du marché n’a pas ainsi permis d’insister sur la notion de « fermeture » comme résultat potentiellement attendu de cette intégration institutionnelle (Commission du Sénat, 1996).
L’intégration institutionnelle se base aussi sur la réciprocité de la levée des barrières à la libre-circulation des biens et services et des facteurs, ce qui s’est fait progressivement pour le cas de l’Union Européenne, ce qui caractérise bien cette dernière par rapport à d’autres zones de préférence qui ne peuvent désormais pas être prises comme zones d’intégration (il en est par exemple de l’Afrique-Caraïbes-Pacifique dont les pays sont seulement sous le régime de Système généralisé de préférence). Mais, pour remplir les conditions d’intégration institutionnelle, celle-ci doit également s’appuyer sur des règles communes explicitement établies, en l’occurrence les règles d’origine et la libéralisation des investissements directs. Au même titre que certaines zones comme le MERCOSUR ou l’ALENA, l’intégration institutionnelle de l’Europe est caractérisée par une multitude de législations harmonisées ainsi qu’un abandon de certaines prérogatives nationales (de régulation) au profit des structures institutionnelles européennes (2000).
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Une intégration régionale
La délimitation géographique ne semble pas être une condition indispensable à la définition d’une région d’intégration (institutionnelle). En tout cas, la construction de l’Europe montre une certaine prise en compte de fait (bien que non-explicitement formalisée) de la contiguïté géographique de la région, du moins au début. En effet, en considérant les élargissements successifs de la CEE, puis de l’UE, il apparait que ceux-ci se font progressivement du « cœur » de l’Europe occidentale (CECA) vers le nord (Danemark, Finlande, Suède, etc.), le sud (Grèce, Espagne, Portugal, etc.), le centre et l’est du continent (cf. Figure 1 – Elargissements successifs lors de la construction européenne). Néanmoins, l’Union Européenne dispose d’une potentialité d’extension à des pays (comme la Turquie qui est un pays transcontinental euro-asiatique, 3% seulement de sa surface se trouvant dans le continent européen par exemple) dont les six pays fondateurs (au lendemain des guerres mondiales) n’auraient probablement pas pensé intégrer un jour.
Figure 1 – Elargissements successifs lors de la construction européenne
Source : Elaboration personnelle
Ainsi, certes la région en termes de proximité géographique a joué un rôle non négligeable dans la construction de l’Europe (ceci restant tacite). Cela pourrait être une évidence du fait de la facilité relative d’application de certaines dispositions composant l’intégration européenne pour des pays géographiquement voisins, en citant par exemple la libre-circulation des biens et des personnes. Mais, il faut reconnaitre que cette construction européenne se base beaucoup plus manifestement (voire nécessairement) sur les dimensions politique et économique de l’intégration. En effet, il suffit de tenir compte de certains pays géographiquement intégrés à la région Europe mais refusant de l’être au niveau institutionnel, tels que la Suisse, le Norvège, ou en pensant également au cas du retrait britannique dernièrement annoncé (cf. infra – Chapitre 2. Section 1 – « Brexit »).
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Des accords commerciaux régionaux
Même si le processus d’intégration régionale a surtout été entamé à partir d’une question nécessairement politique (objectif de « paix » pour la région Europe) pour le cas européen, le sujet commercial n’a pas pour autant été négligé. De manière logique, les échanges sur ce plan se sont d’abord basés sur le commerce de biens matériels, puis se sont étendus progressivement aux marchés des services et de capitaux, éléments beaucoup moins tangibles, dont la circulation est nettement plus complexe à contrôler. Mais, il faut dire que la mise en place des dispositifs (notamment réglementaires) relatifs à ces échanges sont largement plus facilité (par rapport à l’intégration de l’ASEAN, par exemple) car se reposant surtout sur une base politique.
En effet, les pouvoirs publics nationaux des pays membres ont davantage consentis un transfert de souveraineté au bénéfice des institutions régionales dans la mise en place et l’exécution des dispositions communes. Il en résulte une avancée relativement plus accélérée que pratiquement tout autre intégration régionale existante, démontrant également la motivation des Etats membres à la question d’intégration régionale (les représentants des gouvernements des pays européens se réunissent trois fois plus fréquemment que ceux des pays membres de l’ASEAN, par exemple) (Sa, Bonzom, & Strauss-Kahn, 2005). Les échanges commerciaux dans l’Union Européenne sont alors portés essentiellement par une intégration régionale pouvant être qualifié de « gouvernance régionale » car faisant référence à une supranationalité de degré relativement élevé (plus que celui d’une intégration régionale « en profondeur » (Guilhot & Figuière, 2007).
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Une intégration monétaire
Une autre caractéristique du processus européen est également l’intégration monétaire, plus spécifiquement matérialisée par la création de la zone euro (constituée en janvier 2008 entre les 15 des 27 Etats de l’Union) et l’adoption de l’euro comme monnaie unique (naissant en 1999). Parmi les conditions majeures nécessaires à l’émergence d’un bloc monétaire (un préalable à l’intégration monétaire), il faut citer l’existence d’une convergence monétaire, et pour cela il y a lieu de demander aux pays membres de faire des efforts pour respecter un certain nombre de critères (de convergence) (Figuière, Guilhot, & Guillaumin, 2013). Satisfaire ces derniers constitue un des opérations les plus difficiles à réaliser en vue d’une intégration monétaire, en appréciant par exemple l’état des lieux dressés ci-après, à la veille du Traité de Maastricht (du 1992) : « Si, depuis la mise en place, en 1979, du Système monétaire européen, la convergence économique et monétaire a progressé, des divergences nationales demeurent, qui rendent difficile la réalisation de l’union monétaire, relevant par ailleurs d’une décision éminemment politique » (Bruno, Le Cacheux, & Mathieu, 1991).
« L’intégration monétaire de l’Europe constitue assurément le pan le plus fédéralisé de la construction européenne. Avec le marché intérieur, elle est l’un des piliers d’un édifice de paix et de prospérité initié progressivement après la Seconde Guerre mondiale » (Grin, 2008). C’est désormais à travers le Traité de Maastricht de 1992 que l’opportunité de cette intégration a été saisie par les pays de l’Europe occidentale pour mettre en place l’Union économique et monétaire. La représentation qu’ont eue les pays membres de l’Union Européenne de leur monnaie unique et la zone euro est nettement plus positive à la fin des années 2000 par rapport aux vives critiques et opposition rencontrées en la matière, en l’occurrence vis-à-vis du modèle allemand relatif à une banque centrale indépendante, d’une sévérité contre l’inflation et d’une monnaie forte. En effet, le rôle central de l’euro dans la stabilisation monétaire et dans la lutte contre l’inflation est souvent mis en évidence par les défenseurs de la zone euro. Néanmoins, de nombreux questionnements (surtout concernant l’Union économique et monétaire) restent sans réponses unanimes et alimentent sans cesse les débats concernant la construction européenne (Grin, 2008).
En somme, le degré avancé du processus d’intégration de l’Union Européenne se reflète (entre autres) par les chemins que celle-ci a déjà parcourus à travers notamment ces quatre caractéristiques (intégration institutionnelle, intégration régionale, intégration commerciale et intégration monétaire). Cela démontre à quel point les différents Etats membres manifestent généralement une volonté sérieuse et engagée dans la construction européenne. Cela donne plus de pertinence à l’analyse descriptive des rôles du marché, des Etats et des institutions dans cette intégration.
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Rôles du marché, des Etats et des institutions dans la construction européenne
Il y a une tentation à négliger le rôle du marché dans l’intégration en argumentant (peut-être) que les questions commerciales ne constituaient pas un élément central ayant motivé les six pays fondateurs à initier le projet européen (dans l’objectif de paix pour la région). Comparativement à d’autres cas d’intégration, celle de l’Europe se réalise entre des pays de niveaux de développement relativement (plus) homogènes, favorisant alors la substitution entre les produits de consommation, d’où des relations commerciales s’appuyant davantage sur des échanges intra-branches des produits industriels.
Dans ce contexte, les firmes européennes adoptent surtout des stratégies axées sur l’installation des sites de production dans les pays voisins via des investissements directs horizontaux en poursuivant des objectifs de croissance des parts de marché (extension) plutôt qu’une recherche de réduction des coûts de production. Cette situation devrait ainsi atténuer le risque de fluctuations de change à l’intérieur du bloc régional (contrairement à un processus vertical de production – tel qu’il est le cas en Asie, par exemple – rendant « rigide » cette dernière et augmentant le risque de volatilité élevée des taux de change). « La volatilité des taux de change inciterait également les consommateurs à procéder à des substitutions entre biens de consommation, en délaissant le produit d’un pays pour se reporter sur un produit analogue provenant d’un autre pays. Par conséquent, le degré plus élevé de sensibilité de la production et de la consommation aux évolutions de change en Europe a rendu d’autant plus nécessaire la stabilité des taux de change, puis l’adoption d’une monnaie unique » (Sa, Bonzom, & Strauss-Kahn, 2005, p. 43).
Les Etats jouent aussi des rôles très importants dans la construction européenne. En fait, les théories relatives à l’intégration régionales insistent sur une triple condition de celle-ci, à savoir : « la symétrie des chocs symétriques potentiels, les complémentarités entre spécialisations industrielles et la flexibilité du marché du travail » (Sa, Bonzom, & Strauss-Kahn, 2005, p. 45). Or, la réalité européenne vienne, en quelque sorte, en contradiction à ces théories par le fait que ces conditions n’étaient que partiellement remplies par les membres fondateurs (à l’origine de la CEE). C’est la volonté politique des Etats membres qui a alors comblé les lacunes à travers des accords institutionnels adaptés. Ainsi, en comparant aux blocs d’intégration asiatiques soutenus généralement par des structures intergouvernementales, l’Union Européenne dispose de plus nombreuses institutions supranationales ainsi que des politiques communes ; de même, les pays européens sont relativement avancés en matière de cession d’une bonne part de leur souveraineté nationale au profit des institutions régionales.
Désormais, « la mise en place d’institutions peut être considérée comme un facteur facilitant le processus d’intégration, mais ne peut, à elle seule, garantir son bon fonctionnement et son efficacité » (ibid., p. 45). Ces institutions jouent ainsi, avec les règles et les procédures communes, le rôle d’accélérateur du processus d’intégration régionale, surtout dans le cadre d’union monétaire. En effet, ces institutions, règles et procédures apparaissent indispensables afin de limiter les décisions arbitraires prises par un Etat membre qui risquent d’engendre des déficits excessifs accroissant potentiellement la prime de risque sur les taux d’intérêt long des autres pays membres (Sa, Bonzom, & Strauss-Kahn, 2005).
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Analyse et synthèse : la construction européenne est-elle une réussite ou un échec ?
Avant toute chose, il faut s’abstenir de prendre parti dans les débats émettant de temps en temps des opinions subjectives (de sorte à se construire une analyse la plus objective possible), sans toutefois les écarter absolument. Désormais, ces opinions (si subjectives soient-elles) donnent au moins des indices pour enrichir les éléments d’analyse. En tout cas, il semble y avoir deux grande période d’analyse à considérer lorsqu’il s’agit de faire une sorte de bilan de la construction européenne : d’une part, les premiers pas de l’Europe allant du CECA jusqu’à peu avant le Traité du Maastricht et, d’autre part, la période qui s’ensuit jusqu’à la moitié de la deuxième décennie du XXIème siècle.
La première période peut d’ailleurs être qualifiée comme la période faste de la CEE. S’il faut parler de réussite dans cette époque très marquée par la mise en application du Traité de Rome et l’affirmation de ceci par l’Acte Unique, il est possible d’avancer que la création du Marché commun à l’européenne a eu des impacts significatifs vraisemblablement positifs pour les premiers membres de la Communauté, en se focalisant sur le domaine économique. C’est ainsi que six autres pays voisins ont été attirés par l’accroissement des échanges commerciaux et le développement manifeste sur le plan économique de la CEE des six membres fondateurs. En fait, si l’entame de la construction de l’Europe s’est basée essentiellement sur une question politique et sécuritaire (la paix durable recherchée de l’après-guerre), cette première période d’analyse a surtout été dominée par des préoccupations économiques qui ont porté leurs fruits et motivant par la suite les européens à poursuivre l’intégration plus profondément.
La deuxième période, une fois cette base essentiellement économique mise en place, concerne les moments forts de l’Union Européenne telle qu’elle est, une période très économique aussi mais qui a propulsé au-devant de la scène la nécessité de se focaliser également sur des questions politiques ultrasensibles. Dans un premier temps, il faut l’avouer, l’Europe a pu réaliser une avancée exceptionnelle en ayant établi en l’occurrence l’Union économique et monétaire (UEM), et par cette occasion « l’euro » comme monnaie unique, ainsi que la zone euro en tant que vitrine de l’effort des pays membres qui veulent aller de l’avant dans l’intégration plus poussée. C’est ainsi que l’Union Européenne peut se féliciter de « l’existence d’une zone de stabilité monétaire et par une faible inflation, ce qui peut être jugé positif pour l’Europe et le monde », en empruntant les propos de Grin (2008). De plus, le Président de la BCE de 2006 et de 2007, Jean-Claude Trichet, a constaté que « 12 millions d’emplois ont été créés dans la zone euro entre 1999 et 2007, contre moins de 3 millions entre 1991 et 1999 » (Parlement européen, Commission économique et monétaire, 2007).
Néanmoins, les plus vives critiques à l’encontre du processus de construction européenne ont surtout été accentuées à partir de l’établissement du Pacte de stabilité et de croissance, c’est-à-dire les fameux critères de convergence. Pour la BCE, c’est un élément central pour la stabilité de l’UEM ; or, l’application de ces critères est dénoncée comme inéquitable car favorisant les « grands » pays (tels que l’Allemagne qui aurait droit à un déficit plus élevé selon, par exemple, le député européen, Dariusz Rosati, 2007, cité par Grin, 2008). Certaines craintes ont été émises (avant la crise de 2008) à l’égard de la mise en œuvre de ce pacte qui porterait le risque que « la zone euro devienne une zone inflationniste à monnaie faible », voire le risque « de l’éclatement de la zone euro » (Grin, 2008). Ces craintes trouvent notamment leurs arguments dans la survenance d’une crise qui donnerait (et c’est ce qui semble s’est reproduit après la crise de 2008) deux résultats complémentaires : d’une part, les pays qui ont l’habitude d’une monnaie forte et d’une stabilité monétaire va s’en prendre aux pays affaiblis (en leur lançant par exemple un ultimatum, leur forçant de suivre un certain régime pour se conformer aux critères de convergence) et, d’autre part, ces derniers qui sont fortement tentés de « décrocher » pour reprendre leur indépendance monétaire d’auparavant. Mais, tout ceci est à nuancer au regard des coûts de sortie de l’UEM qui seraient probablement très élevés pour tout dissident : « forte dévaluation monétaire, grande inflation, taux d’intérêt nominaux à la hausse, augmentation du coût du service de la dette et risque d’explosion de cette dernière » (Grin, 2008). En d’autres termes, « tout le monde » est en quelque sorte contraint de poursuivre, et ainsi de trouver une entente afin de continuer vers une intégration plus prononcée.
Par ailleurs, il ne faut pas oublier que les opinions publiques sur l’UEM, et en particulier sur l’euro, ne sont pas sans conséquences substantielles sur l’avenir de l’intégration économique régionale de l’Europe. En fait, la représentation que font les peuples européens de la monnaie unique est identifiée par Grin (2008) comme l’une des deux menaces potentielles à l’encontre de celle-ci (l’euro). En effet, à tout moment, un Etat de l’Union peut décider de « décrocher » lorsque sa population a un sentiment généralisé (confirmé objectivement ou non) d’une inflation consistante (appréciée alors subjectivement) dont l’euro serait pointé comme en étant la cause. La deuxième menace pesant sur la monnaie européenne concerne les divergences économiques fortes (et aggravées par la crise) entre les pays membres, c’est-à-dire la cohabitation entre économies matures et économies en phase de rattrapage (une histoire qui risque de se répéter, par exemple lorsque la création d’une UEM avait été bloquée par de telles divergences en 1970) (Grin, 2008).
Néanmoins, les travaux de Fitoussi et al. (2010) démontrent que la performance décevante des années de préparation et de mise en place de l’euro (caractérisée notamment par une faible, voire médiocre croissance pour les grands pays de la zone euro) est souvent attribuée à tort « aux défaillances des marchés de biens et du travail et, par suite, à l’insuffisante attention portée aux réformes structurelles touchant au fonctionnement de ces marchés » (p. 248). En fait, selon ces travaux, le véritable problème réside dans la gouvernance macroéconomique au niveau de l’Union Européenne durant les années 2000, cette gouvernance exigeant d’une part la neutralité des interventions macroéconomiques et, d’autre part la « mise en œuvre de réformes structurelles systématiquement orientées vers la dérégulation des marchés, notamment du marché du travail » (ibid., p. 265). Or, de telle gouvernance n’a causé qu’une croissance atone pour les grands pays de l’Union (les petits pays ont profité de conditions d’offre qui leur étaient particulièrement avantageuses au début, mais très fragilisées par la suite à cause de l’effondrement de la demande globale) ainsi qu’un manque crucial de coopérations entre les membres. Pour y remédier, les politiques économiques de ces derniers devraient être effectivement en coordination.
Les réformes entamées en conséquence montrent, par la suite, le rôle joué dans la construction européenne par les « crises » auxquelles les pays de l’Union ont subi depuis la fin des années 2000. Déjà, Adalid (2015) affirme que « les crises seraient le ferment de l’approfondissement de l’intégration européenne. Les contraintes qu’elles font peser sur les États leur imposent de poursuivre dans la voie ouverte depuis la déclaration Schumann » (p. 145). L’auteur pointe ici la crise de la zone euro, qui n’est pas nécessairement une crise monétaire mais qui n’est pas non plus sans relations directes avec la triple crise depuis 2008 (crise économique, financière et des dettes souveraines). Des explications plus détaillées sont ainsi apportées pour décrire la transformation profonde des procédures que ces crises ont engendrée au niveau du pilier économique de l’UEM. Cela découle principalement de l’incapacité de la coordination des politiques économiques nationales des pays membres (suivant le Traité de Maastricht) à parvenir à l’objectif de convergence des économies de ces derniers.
En fait, ce pilier économique s’appuie sur deux grands processus, à savoir : d’une part, la coordination des politiques économiques et, d’autre part, la convergence budgétaire dans le contexte défini par le Pacte de stabilité et de croissance. Mais, il s’avère que la méthode utilisée pour mettre en œuvre ces deux processus est de moins en moins contraignante, d’autant plus que le contrôle des normes adoptées dans ce cadre est attribué au Conseil dont les compétences en matière de sanction se limitent à la convergence budgétaire. Ce qui fait que la procédure d’application de ces processus dépend en grande partie de la bonne volonté du Conseil et des différents Etats membres, le marché jouant le seul dispositif de sanction (c’est-à-dire qu’il s’agit a priori d’une incitation des Etats et non pas une obligation qui leur est imposée) à se conformer aux règles). C’est dans ce cadre que la crise entre en jeu, celle-ci étant un produit logique de la faiblesse des mécanismes d’application des règles de l’UEM (qui sont pourtant le garant de la bonne marche du processus d’intégration) : « le pilier économique est – à la fois – à l’origine de la crise et son accélérateur » (Adalid, 2015, p. 147).
En guise de réaction, une série de réformes ont été adoptées à partir de 2010 dans ce qui est appelé « stratégie Europe 2020 » à titre de remplacement de la Stratégie de Lisbonne, jugée alors défectueuse (pouvant alors considérée comme un « échec ») (Cohen, 2012). Cette nouvelle stratégie repose essentiellement sur l’engagement des Etats (d’abord de la zone euro, et ensuite des six autres pays membres – ne comprenant pas le Royaume-Uni) au niveau du « Pacte pour l’euro plus » avec comme objectif le renforcement de la gouvernance économique et la réforme des économies de sorte à améliorer la compétitivité de celles-ci. En complément, pour faire évoluer la gouvernance économique, ont été adoptés le « six pack » (Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, signé en 2012 par 25 membres n’incluant pas le Royaume-Uni) et le « two pack » (encadrement des choix en matière de budget réalisé par les Etats membres, signé en 2013) (Adalid, 2015).
Il faut toutefois souligné que cette nouvelle gouvernance a pour objets les procédures relatives à la coordination des politiques économiques (intégrant désormais la politique budgétaire) des Etats membres qui se déroulent potentiellement en trois grandes étapes : d’abord, la formulation de recommandations émanant des institutions régionales aux Etats membres concernés à propos de la politique économique de chacun de ceux-ci ; ensuite, ces derniers sont tenus de justifier leurs choix à ce sujet auprès du Conseil et de la Commission ; et enfin, des procédures de sanctions sont prononcées à l’encontre des Etats ne respectant pas les règles relatives au traité ou aux recommandations ainsi émises. Il est alors possible de conclure que « la crise a conduit au durcissement et à l’approfondissement de ces règles […]. L’un des enjeux de la NGE [nouvelle gouvernance économique] a alors été de renforcer le contrôle opéré sur leur mise en œuvre par les États membres » (Adalid, 2015, pp. 153-154).
En conclusion, étant encore en route vers « plus d’Europe », il est trop tôt pour statuer si la construction européenne a été une réussite ou un échec. Certes, des imperfections peuvent être relevées (voire des échecs manifestes pour certains projets, comme celui de la constitution européenne au début des années 2000, par exemple), mais il faut aussi admettre que le processus d’intégration de l’Europe n’est pas officiellement stoppée (et a, par-là, une potentialité d’avancer encore plus profondément. Les tensions qui se nourrissent des divergences économiques persistantes (voire en croissance) entre les Etats de l’Union Européenne sont potentiellement à la fois éléments de risque d’éclatement de l’UEM (si les différentes parties prenantes n’arrivent pas à trouver des points d’entente) et éléments de cohésion (lorsque ces parties veulent absolument éviter les effets indésirables d’un tel éclatement pour chacun). Ces tensions (en tant qu’accélérateurs négatifs ou positifs) influeront fortement la construction européenne qui est déjà très approfondie que le fait de revenir en arrière aura probablement des conséquences néfastes, aussi bien pour l’Union que pour chaque pays membres. Le cas du retrait du Royaume-Uni de l’Union Européenne est un cas à étudier de près dans ce contexte (c’est désormais l’objet du dernier chapitre de ce document).
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Perspective post-Brexit
Introduction du chapitre
Ce dernier chapitre consiste à se focaliser sur un phénomène particulier qui apparait majeur dans le sens que celui-ci est susceptible d’influer sur le processus d’intégration de l’Europe. Ainsi, il importe de faire un éclairage sur ce phénomène à travers des analyses descriptives, historiques et processuelles de celui-ci. La dernière section se concentrera sur les impacts possibles de ce phénomène essentiellement sur la construction européenne.
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« Brexit »
Afin de mieux appréhender les enjeux du retrait potentiel du Royaume-Uni de l’Union Européenne, il convient de faire une brève analyse descriptive du concept de « Brexit ». Cela devrait, par la suite, compléter par une analyse historique de ce phénomène, en cherchant dans le passé les indices (essentiellement sur le domaine économique) qui pourraient expliquer davantage le positionnement du Royaume-Uni dans la construction européenne. Enfin, il y a lieu d’avoir un aperçu de la situation qui mène vers l’effectivité de la rupture entre ces deux parties, et les généralités sur les modalités relatives à cette rupture.
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Analyse descriptive
Le terme « Brexit » (une abréviation de « British exit », par opposition à « British remain » ou « Bremain ») est désormais communément utilisé pour désigner l’action par laquelle le Royaume-Uni quitte l’Union Européenne (faisant allusion au « Grexit » en ce qui concerne la sortie potentielle de la Grèce de la zone euro en guise de « sanction » et non volontaire lors de la crise dans ce pays en 2015). L’origine « courte » du Brexit vient essentiellement de la poussée du parti eurosceptique United Kingdom Independance Party (UKIP) suite à laquelle le premier ministre, David Cameron, à sa réélection, se trouvait contraint d’organiser le référendum concernant l’appartenance du pays à l’Union Européenne suivant sa promesse faite lors de la campagne électorale de 2015 (Beaufils-Marquet, 2016). Le résultat du référendum, réalisé le 23 juin 2016, a été en faveur du Brexit (pour le « leave ») sur un assez maigre score de 51.9%, mais avec un taux de participation relativement élevé pour le pays (72%). Le premier ministre, qui avait fait voter le maintien du pays dans l’Union Européenne, a aussitôt démissionné après le scrutin, et l’ancienne ministre de l’intérieur, Theresa May, en a pris le relais.
Sans doute, le Brexit est un tournant majeur, aussi bien dans l’histoire du Royaume-Uni que dans celle de l’Union Européenne. En fait, c’est une grande première qu’un membre de l’Union décide manifestement et quasi-officiellement de se retirer de cette grande organisation régionale pour éviter notamment d’avancer davantage dans le processus d’intégration. Il faut dire que des efforts considérables ont été faits, surtout consentis par les autres pays membres, pour que ce scénario ne se produise pas. C’est ainsi qu’un accord « anti-Brexit » avait été confectionné pendant le Conseil européen qui s’est tenu en février 2016, contenant des dispositions spéciales accordées aux britanniques au cas où le référendum donne raison au maintien du Royaume-Uni dans l’Union Européenne. En d’autres termes, ce dernier voit le renforcement de son statut particulier au sein de l’Union à travers cet accord qui prévoit entre autres la limitation des aides sociales des expatriés européens auquel le Royaume-Uni doit offrir, l’exclusion de celui-ci de l’objectif en terme « d’Union sans cesse plus étroite », et la reconnaissance de l’existence de différentes monnaies utilisées dans la région. Ces concessions, révélatrices de la représentation que fait le Royaume-Uni vis-à-vis de la construction de l’Europe, sont (du moins en partie) une réponse à la demande envoyée par le premier ministre britannique à l’endroit de Donald Tusk, président du Conseil européen, à propos de la liste des réformes que le pays veut engager.
Désormais, la question sur l’immigration est particulièrement cruciale pour le Royaume-Uni qui n’apprécie pas le principe de la libre-circulation des travailleurs européens, à ceux-ci doit donc être accordé le droit d’exercer une activité professionnelle dans n’importe quel Etat de l’Union sans qu’ils soient traités différemment par rapport aux ressortissants de ce pays d’accueil. Ce droit inclut également la mise à disposition de ces travailleurs expatriés des mêmes aides sociales que les ressortissants nationaux. Si la dérogation à cette règle est alors accordée spécialement au Royaume-Uni, la portée de celle concernant l’union sans cesse plus étroite est relativement plus étendue, car tout autre Etat membre de l’Union européenne peut demander à en être l’objet. En effet, les premières lignes de la section C de l’accord s’énoncent comme suit : « Il est admis que, eu égard à sa situation particulière en vertu des traités, le Royaume-Uni n’est pas tenu de prendre part à une intégration politique plus poussée dans l’Union européenne […] les références à une union sans cesse plus étroite ne s’appliquent pas au Royaume-Uni » (Conseil Européen, 2016, p. 15) ; mais plus bas, il est statuer que « les références à une union sans cesse plus étroite entre les peuples sont […] compatibles avec la possibilité, pour les différents États membres, d’emprunter différentes voies d’intégration, et elles n’obligent pas l’ensemble des États membres à aspirer à un destin commun » (p. 16). Il faut noter que cette notion « d’union sans cesse plus étroite » a déjà été mentionnée dans le Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne (de Rome, de 1957), ainsi que dans le Traité de l’Union Européenne (de Maastricht, de 1992), une notion (bien que n’étant formulée que symboliquement) prise par les britanniques comme une voie tracée pour aboutir à moyen ou à long terme à un Etat fédéral, synonyme d’une souveraineté nationale amoindries (convergeant vers une intégration régionale totale – économique et politique).
Quant au sujet de la (non-)discrimination envers les autres monnaies européennes que l’euro, l’idée du premier ministre britannique est de faire reconnaitre que l’Union Européenne reconnaisse que cette dernière dispose de plusieurs monnaies. En effet, suivant la Section A de l’accord anti-Brexit, « il est admis que les États membres qui ne participent pas à l’approfondissement de l’Union économique et monétaire n’entraveront pas ce processus, mais le faciliteront, tandis que ce processus, à l’inverse, respectera les droits et les compétences des États membres non participants » (ibid., p. 12). Cependant, cette concession ne devrait peut-être pas pleinement satisfaire le Royaume-Uni car il est précisé également (dans l’accord) que celui-ci ne saurait pas freiner l’objectif d’établissement de l’UEM dont la monnaie est l’euro, d’autant plus que ce pays n’a pas la prérogative de participer aux décisions qui restent du ressort des pays de la zone euro. Il en est ainsi également à propos du veto des parlements nationaux suivant le système de « carton rouge » voulu par David Cameron pour qu’un groupement de parlementaires nationaux puisse l’appliquer à toute législation européenne. En fait, bien qu’adopter dans l’accord anti-Brexit, ce système reste complexe à appliquer du fait de la nécessité de satisfaire un certain nombre de conditions (par exemple : l’acte législatif concerné doit enfreindre le principe de subsidiarité, faire l’objet d’une opposition d’au moins 55% des parlementaires nationaux, examiner par le Conseil qui a le droit de simplement modifier l’acte afin de tenir compte de cette opposition, etc.).
Certes, les contenus de cet accord ont « cessé d’exister » car, finalement, la décision pour la sortie du Royaume-Uni est pratiquement décidé (du moins par la voie de ce référendum du juin 2016). Mais, encore faut-il que l’existence de cet accord n’aurait pas d’influence sur la représentation que font les autres membres sur la construction de l’Europe, et plus spécifiquement sur l’union sans cesse plus étroite. En tout cas, comme le fait remarquer Boutang (2016), cette perspective de sortie de l’Union n’est pas nouvelle chez les britanniques, l’auteur en pointant une origine lointaine.
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Analyse historique
Comme le mentionne Boutang (2016), le Brexit se comprend encore mieux en remontant six décennies d’histoire entre le Royaume-Uni et la construction européenne. En effet, l’Angleterre se montrait très réticent à l’égard d’une intégration politique bien qu’il manifeste une attitude favorable, non pas pour une intégration économique mais plutôt pour une association de libre-échange. Ainsi, après l’échec de l’adoption (française) de la Communautés européennes de défense (CED), les pays de la CECA se montrent assez soucieux du projet de la construction européenne, et ont alors décidé de relancer celui-ci sur la base du Mémorandum de Benelux du 20 mai 1955, rédigé par le ministre belge des Affaires étrangères, Paul-Henri Spaak. Deux volets complémentaires étaient alors soumis à discussion. D’une part, il y a le volet relatif à une Communauté européenne de l’énergie atomique (CEEA/Euratom), envisagé pour faire face à une éventuelle pénurie énergétique et pour une indépendance de la communauté vis-à-vis de l’extérieur sur ce domaine. D’autre part, il y a le volet de l’union douanière pour garantir la libre-circulation des facteurs de production et limiter les risques de surproduction. Suite à la conférence de Messine (juin 1955), un comité (Comité Spaak) était chargé de rédiger le rapport à ce sujet (de construction européenne) ; et le Royaume-Uni se retirait de ce comité en octobre car considérant l’union douanière non-bénéfique par rapport aux systèmes préférentiels qu’il dispose auprès du Commonwealth, de même pour l’Euratom auquel il préfère une coopération renforcée sur le domaine nucléaire avec les Etats-Unis et le Canada.
Désormais, le Royaume-Uni craignait les effets potentiellement négatifs d’une union douanière à ses relations commerciales avec les pays du Commonwealth, et notamment les Etats-Unis (l’union douanière imposant un tarif identique entre les membres de la communauté concernée et vis-à-vis de l’extérieur). C’est alors que le Royaume-Uni s’abstenait d’entrer dans la CEE et initiait, à la place, l’Association Européenne de Libre-Echange (AELE) en 1960 avec six autres pays de la région (Danemark, Autriche, Norvège, Suède, Portugal, et Suisse).
Cependant, à deux reprises (durant les années 1960), le Royaume-Uni soumettait une demande d’adhésion auprès de la CEE, mais le veto français s’opposait toujours à cet élargissement (bien que les cinq autres pays membres en fussent favorables. Lors du conférence de presse qu’il a tenu pour justifier sa position, le président français d’alors, le Général Charles de Gaules, ne cachait pas ses inquiétudes à plusieurs niveaux (dont plusieurs se vérifiaient par la suite, au fil du temps). Il expliquait par exemple les intérêts sensiblement différents des pays de l’Europe continental avec ceux des britanniques. De Gaules se préoccupait de la possibilité que les britanniques chercheraient, par la suite de son éventuelle adhésion à la communauté, à renégocier certaines règles de cette dernière, pouvant alors remettre en cause les objectifs de la construction de l’Europe. De Gaules déclarait ainsi : « On a pu croire parfois que nos amis anglais, en posant leur candidature pour le Marché commun, acceptaient de se transformer eux-mêmes au point de s’appliquer toutes les conditions qui sont acceptées et pratiquées par les Six ; mais la question est de savoir si la Grande-Bretagne, actuellement, peut se placer, avec le Continent et comme lui, à l’intérieur d’un tarif qui soit véritablement commun, de renoncer à toute préférence à l’égard du Commonwealth, de cesser de prétendre que son agriculture soit privilégiée et encore de tenir pour caducs les engagements qu’elle a pris avec les pays qui font partie de sa zone de libre-échange. Cette question-là, c’est toute la question » (CVCE, 2012).
Il faut dire que deux des grandes raisons de la motivation anglaise à persévérer dans cette voie est l’opportunité offerte par cette adhésion pour la revitalisation de son économie d’une part, et la possibilité de contrer l’extension de l’influence de la France sur le continent. De son côté, la CEE voit au fil du temps que cette adhésion devrait lui être bénéfique car pouvant lui donner une impulsion économique, ce qui a probablement favoriser l’acceptation de la candidature du Royaume-Uni en 1973 (la décision française a, cette fois, été prise par le président Georges Pompidou). Néanmoins, Londres émettait la crainte de devenir un contributeur net au sein de cette communauté dans le sens où les subventions de la Politique agricole commune (PAC) ne devaient avoir qu’un impact très limité sur son agriculture. L’extension de l’harmonisation des tarifs extérieurs aux trois nouveaux pays membres d’alors avait permis l’établissement d’un accord de libre-échange entre la CEE et l’AELE (cela n’étant apparemment pas possibles auparavant).
Mais, l’année suivante, avec l’arrivée au gouvernement britannique du travailliste Harold Wilson, le pays renégociait déjà les termes de son adhésion à la CEE, dans un contexte politique menaçant à un référendum populaire. Une première perspective de « Brexit » se dessinait déjà en 1975 lors du (premier) référendum à ce propos, ce qui marque le point de départ d’un long débat sur la position du Royaume-Uni dans la communauté européenne, malgré que ce scrutin est favorable à plus de 67% au maintien (dans la CEE). Des concessions étaient alors accordées au Royaume-Uni sur divers points, concernant par exemple le régime d’importations vis-à-vis des colonies britanniques (ces importations étant tellement importantes que le Royaume-Uni se sentait contribuer largement au budget de la CEE qu’il n’en bénéficiait). Depuis, le pays n’a cessé de réclamer et d’obtenir des traitements préférentiels et un positionnement particulier au niveau de la CEE/l’Union Européenne. Désormais « Le Royaume-Uni aura été le seul membre à ne pas contribuer au budget à hauteur de ses revenus : sa part était de 9,77 % en 2014 contre 14,56 % pour la France qui possède une population équivalente » (Boutang, 2016, p. 10). Cela indique, en quelque sorte, que « les Britanniques n’ont pas choisi l’Union européenne par envie, mais par nécessité économique. L’idée même de « projet européen » est un anathème pour les Britanniques. L’adhésion est un contrat » (Pertusot, 2016, p. 139).
Boutang (2016) analyse que, le Royaume-Uni, croyant réussir son projet de freiner le processus d’intégration européenne en obtenant un certain nombre de traitements exceptionnels, voit par la suite et « progressivement que l’Europe fédérale avançait masquée et que la règle de bon sens « un vélo s’il ne veut pas tomber doit avancer » cachait habilement une intégration rampante » (p. 12). Ainsi, les autres membres de l’Union Européenne ont accepté que le Royaume-Uni n’appartienne pas, ni à l’espace Schengen afin de maintenir le contrôle de sa propre frontière sans se soumettre aux obligations des autres pays, ni à la zone euro pour faire valoir sa propre monnaie. Mais, en même temps, le Royaume-Uni connait quelques désavantages à titre de contrepartie (en quelque sorte) au niveau de l’Union Européenne.
En effet, selon Boutang (2016) « il y avait plusieurs contreparties très déplaisantes à cette position d’exception : 1) ne pas avoir voix au chapitre dans l’institution fédérale de la Banque Centrale Européenne qui devint rapidement décisive dans la stagnation économique puis dans la crise des subprimes à venir ; 2) ne pas pouvoir peser non plus sur la politique des frontières de l’Union (notamment quand des situations conflictuelles se présentaient avec la Russie, voir les Accords de Minsk) en dehors du canal atlantiste de l’OTAN ; 3) Avoir un rôle négligeable dans l’élaboration du projet de Traité Constitutionnel devenu, après son rejet en 2005, Traité de Lisbonne » (p. 13).
De son côté, Pertusot (2016) identifie cinq facteurs pouvant expliquer le phénomène Brexit, à savoir « la géographie, l’histoire, la politique, l’économie et les médias » (p. 136). En effet, l’insularité britannique avec sa tradition maritime légendaire distingue fortement le Royaume-Uni par rapport à l’Europe continental. Aussi, historiquement, l’Angleterre veut maitenir un équilibre des pouvoirs européens de manière à prévenir l’apparition éventuelle d’une « puissance hégémonique continentale ». Sur le plan politique, le Royaume-Uni est un grand protecteur de son propre système parlementaire démocratique, et toute entrave envers la souveraineté des appareils politiques nationaux du pays (qui n’est pas inexistante dans son rapport avec l’Union Européenne) le rend encore plus méfiant. Au niveau économique, ce dernier est fondamentalement tournée vers les échanges internationaux, et son commerce avec l’Europe ne représenterait qu’une partie bien moindre que celui avec le reste du monde avant l’intégration britannique au sein de la CEE. Enfin, il faut reconnaitre que les presses britanniques influences largement (et surtout négativement) les débats sur la relation du Royaume-Uni avec l’Union Européenne (par exemple : la presse sérieuse The Economist a fortement nourrit l’euroscepticisme et a poussé l’opinion publique à exiger la cessation du fédéralisme rampant de la construction européenne, en suggérant entre autres de limiter les compétences de la Commission de l’Union Européenne (Boutang, 2016)).
Avec le temps, les britanniques se montrent de manière de plus en plus offensifs à l’égard de la construction européenne. En fait, ils ont toujours insisté que la notion « d’Union sans cesse plus étroite » soit retirée des différents traités européens, mais celle-ci a encore été retenue dans le Traité de Lisbonne qui apparait comme un véritable traité constitutionnel de l’Union Européenne. De même, en guise de réponse aux efforts du Royaume-Uni pour stopper le processus de fédéralisation, la pression vers l’union plus poussée se fait sentir davantage avec, par exemple, l’Union bancaire qui complète d’ailleurs l’union monétaire. Ainsi, lorsque le Royaume-Uni découvre son impuissance à faire arrêter la machine intégrative en étant à l’intérieur de cette dernière, il est contraint à réaliser un choix crucial : le Brexit (Boutang, 2016).
Néanmoins, l’épisode du Brexit n’est pas véritablement achevée avec le référendum du 23 juin 2016 qui n’est que le début d’une longue et complexe série de négociations en vue de définir les relations (essentiellement économiques) entre le dissident et les différents pays de l’Union Européenne.
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Processus de retrait en cours
Le cadre juridique du Brexit est définit par l’article 50 du Traité de l’Union Européenne (Traité de Lisbonne). Néanmoins, « les conditions concrètes de cette nouvelle procédure restent encore inconnues, faute d’avoir été jamais éprouvées » (Montgolfier, 2016, p. 9). Au moins, cet article précise que la décision britannique de se retirer de l’Union est conforme aux règles constitutionnelles de ce dernier (premier paragraphe de l’article).
Le paragraphe 2 de cet article prévoit la possibilité (donc de manière facultative) pour les deux parties concernées (l’Union Européenne et le Royaume-Uni pour le cas du Brexit) de négocier un accord définissant les modalités du retrait de l’Etat en question. Cet accord est « conclu au nom de l’Union par le Conseil, statuant à la majorité qualifiée, après approbation du Parlement européen » (Article 50, paragraphe 2). La date d’entrée en vigueur de cet accord marquera alors l’effectivité du retrait, et les traités de l’Union cessent d’être applicables à l’endroit de cet Etat. A défaut d’un accord trouvé (qui est donc considéré comme une éventualité probable), cette effectivité du retrait doit être prononcée deux ans après la notification faite auprès du Conseil européen par le dissident concernant le retrait, « sauf si le Conseil européen, en accord avec l’État membre concerné, décide à l’unanimité de proroger ce délai » (ibid., paragraphe 3). Durant cette période de négociation, « le membre du Conseil européen et du Conseil représentant l’État membre qui se retire ne participe ni aux délibérations ni aux décisions du Conseil européen et du Conseil qui le concernent » (ibid., paragraphe 4) bien que le pays demandant son retrait reste un membre à part entière de l’Union Européenne.
Bien qu’il semble y avoir eu une sorte d’hésitation chez les britanniques dans l’activation de l’article 50 du Traité de l’Union Européenne, « le discours de Theresa May devant le Parti conservateur indique que le gouvernement britannique est prêt à prendre le risque d’un « Brexit dur » » (Esprit, 2016, p. 3). L’état des lieux sur les décisions que prendrait le gouvernement britannique a, en effet, laissé encore planer l’incertitude (sur le « tout peut arriver »), au moins théoriquement. Il a même été possible de dire que la longue hésitation du Royaume-Uni avant de notifier sa décision de retirer définitivement de l’Union semblait donner raison à la possibilité que celui-ci renoncerait à Brexit. « L’hypothèse d’un référendum annulant celui qui vient d’avoir lieu, voire d’un simple vote au Parlement ajournant sa mise en œuvre, ne peut être exclue a priori. Et il semble évident que, nonobstant les ressentiments et la méfiance accumulés, les Européens laisseront toujours la porte ouverte aux Britanniques » (ibid., p. 4). Mais, il faut reconnaitre que cette hésitation est surtout due aux choix difficiles à prendre (aussi bien pour les britanniques que pour l’Union Européenne) relativement aux modalités de l’éventuel accord post-Brexit.
Finalement, le Royaume-Uni s’apprête dans le (très) court terme à activer l’article de sortie de l’Union Européenne. En fait, même en présence du résultat du référendum de 23 juin 2016, la Cour Suprême britannique a contraint le gouvernement de consulter les deux organes parlementaires avant de procéder à cette activation. Si les deux-tiers des députés avaient soutenu fermement le maintien du pays dans l’Union Européenne lors de la campagne pour ce référendum, ils ont largement répondu favorables à l’appel de la première ministre (« La question que les élus doivent se poser est : font-ils confiance au peuple ? », a argumenté Theresa May devant les députés, citée par Bernard, 2017). En effet, une large majorité des élus de la Chambre des communes (498 contre 114 voix) a apprové de poursuivre l’examen du projet de loi pour l’activation de l’article 50 du Traité de Lisbonne, le 1er février 2017. Une semaine plus tard, ce projet de loi a été approuvé (494 contre 122 voix) sans qu’un amendement n’a été voté à ce propos (l’amendement des travaillistes attribuant un droit de veto au Parlement concernant le futur accord entre le Royaume-Uni et l’Union Européenne, ainsi que l’amendement du Libéral-démocrate qui demande un référendum sur cet accord, ont été rejetés) (Bernard, 2017).
Le projet de loi devrait encore passer par la Chambre des Lords, mais il s’avère que ces derniers ne devraient pas causer véritablement de problème à l’exécutif britannique. De plus, la Cour suprême n’a pas estimé nécessaire la consultation des parlementaires régionaux (un vote seulement symbolique du Parlement écossais, dominé par les indépendantistes du Scottish National Party, montre que le passage par cette voie régionale aurait bloqué la route pour Brexit). Selon le calendrier du gouvernement de Theresa May, la notification du retrait britannique auprès du Conseil européen devrait avoir lieu avant la fin du premier trimestre 2017, probablement faite à l’occasion du Sommet européen qui se tiendra le 9 mars 2017, c’est-à-dire quelques jours avant la 60ème anniversaire de la ratification du Traité de Rome. A partir de cette notification courira alors deux ans de négociation entre Londres et Bruxelles de manière à trouver un accord pour cette rupture annoncée.
Les termes de cet accord restent à déterminer, et la première ministre britannique a promis lors de son intervention devant les députés que cet accord passera devant le Parlement britannique avant de partir pour être débatu devant le Parlement européen. Selon le secrétaire d’Etat au Brexit, David Jones, ce serait un accord « à prendre ou à laisser », c’est-à-dire qu’il y aura probablement deux uniques options à propos de cet accord : soit, celui-ci est adopté, soit il n’y aura pas d’accord, et la relation entre le Royaume-Uni et (les différents pays de) l’Union Européenne sera donc régie par les règles du Commerce international au sens de l’Organisation Mondiale du Commerce. Pour Theresa May, cette deuxième option vaut mieux qu’un accord lésant le Royaume-Uni (Le Monde, 2017).
En somme, il ne devrait plus y avoir de doute sur l’effectivité (pour bientôt) de Brexit. Il n’est plus question de « sortir ou ne pas sortir », mais plutôt « comment sortir ». Les conséquences de ce retrait britannique de l’Union Européenne dépendront des termes de cet accord de sortie, et ce dernier sera établi (s’il y a lieu d’accord) sur la base de plusieurs paramètres qui pourraient avoir des impacts conséquents sur l’avenir des deux parties en négociation.
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Le post-Brexit
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Le poids du Royaume-Uni dans l’Union Européenne
Dans un premier temps, les concessions relativement considérables obtenues de l’Union Européenne par le Royaume-Uni laissent entrevoir que ce dernier conserve un certain « poids » auprès de Bruxelles. Ainsi, l’accord anti-Brexit de février 2016 proposé par l’Europe montre que le gouvernement britannique dispose d’une influence politique de premier plan sur les décisions de l’Union. Autrement dit, les autres membres de l’Union ont même accepté d’accorder aux britanniques un statut spécial pour empêcher le scénario Brexit, ce qui complexifie la place du Royaume-Uni dans le monde économique européen. De plus, le Royaume-Uni détient des atouts dont l’Europe devrait se séparer avec ce scénario, à savoir la puissance diplomatique britannique, la place du pays en tant que membre permanent du Conseil de Sécurité de l’Organisation des Nations-Unies (ONU) et en tant que cinquième puissance militaire mondiale (Beaufils-Marquet, 2016). Tout de même, il faut admettre qu’en réponse à la montée de l’euroscepticisme Outre-Manche, la représentation que font les européens continentaux à propos de leur relation avec le Royaume ne cesse proportionnellement de se dégrader au fil du temps, notamment durant la période de négociation soumise à de forte incertitude (Boutang, 2016).
Figure 2 – Les différents espaces de coopération et d’intégration européens (scénario « Bremain »)
Source : commission des finances du Sénat à partir des travaux du Trésor britannique, 2016 (Montgolfier, 2016)
En outre, sur le plan économique, le Royaume-Uni occupe une place relativement notable au sein de l’Union Européenne dans le sens où celui-ci pèse environ 16% du PIB de l’ensemble des pays membres. Aussi, il ne faut pas oublier que la « City » est la première place financière sur le continent européen. Tout cela représente un risque non négligeable de contagion vis-à-vis des membres de l’Union. Il en est, par exemple, pour la Suède, le Pays-Bas, la Finlande, la Hongrie ou encore la Tchéquie qui pourraient être également tentés de suivre l’exemple britannique (Beaufils-Marquet, 2016).
Toujours sur le plan économique, et plus particulièrement au niveau des échanges commerciaux, les chiffres disponibles de 2011 révèlent que 51% des exportations britanniques (364 milliards de dollars) sont à destination de l’Union Européenne, contre la même proportion (351 milliards de dollars) pour les importations britanniques d’origine européenne (cf. Figure 2 – Imports-Exports Britanniques). En fait, la relation commerciale (biens et services) entre les deux parties (Royaume-Uni et Union Européenne) totalise près de 650 milliards d’euros dont les trois-quarts concernent le commerce de services. Plus en détail, le Royaume-Uni est « importateur net » de biens provenant de l’Union Européenne et « exportateur net » de services vers celle-ci (cf. Figure 3 – Les biens et services les plus échangés entre le Royaume-Uni et les autres pays de l’Union Européenne) (Maveyraud, 2016).
Figure 3 – Imports-Exports Britanniques
Sources : HMRC, 2012 (Maveyraud, 2016)
Figure 4 – Les biens (haut) et services (bas) les plus échangés entre le Royaume-Uni et les autres pays de l’Union Européenne
Sources : HMRC, 2012 (Maveyraud, 2016)
En somme, dans une première approche, il semble que le retrait britannique de l’Union Européenne ne pourrait pas être sans conséquences pour les deux parties.
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Les conséquences estimées de Brexit pour le Royaume-Uni
Le Royaume-Uni est estimé comme le premier grand perdant du scénario Brexit sur le plan économique. Désormais, plus de 50% des échanges commerciaux du pays avec l’Union Européenne vont être affectés de l’éventuelle sortie du Royaume-Uni du Marché commun européen, d’autant plus que les exportations britanniques représenteraient environ 70% du Produit intérieur brut (PIB) du dissident (Amundi, 2016). Aussi, Brexit entrainera probablement la délocalisation des grandes structures européennes du secteur financier vers les différents autres pays de l’Union Européenne alors que la place de Londres pèse considérablement lourd pour la richesse nationale britannique. « À quoi l’on peut ajouter l’inévitable affaiblissement des positions prises à Bruxelles par les experts britanniques dans des activités de lobbying et de conseil à la fois très rémunératrices et vecteurs efficaces d’influence idéologique » (Esprit, 2016, pp. 3-4).
Il faut tout de même nuancer l’intensité de ces impacts possibles dans le sens où les termes des négociations que les britanniques pourraient s’engager avec ses partenaires commerciaux détermineront les avantages et les inconvénients de Brexit pour le pays. Il y a même des opportunités avancées comme des avantages de Brexit pour les britanniques, comme par exemple la fin de la contribution du Royaume-Uni au budget de l’Union Européenne (atteignant en moyenne 15.2 milliards d’euros par an entre 2010 et 2014), la limitation des obligations règlementaires (auxquelles sont tenus les pays membres de l’Union) pour le pays, ainsi que la liberté de définir des accords pouvant être plus bénéfiques avec des partenaires commerciaux importants (dont la Chine, la Russie, le Brésil, l’Australie, l’Inde, etc.) (Maveyraud, 2016).
Néanmoins, à propos de la contribution versée pour l’Union Européenne, Brexit ne peut engendrer qu’une économie (de cette contribution) moindre (soit estimée à 6.7 milliards d’euros perçus par le Royaume-Uni sur les 15.2 milliards de contribution totale). Il ne faut pas également nier le fait qu’une grande partie de ces fonds européens « reversés » au Royaume-Uni vont devoir partir aux crédits nationaux destinés à combler les effets négatif de Brexit (pour remplacer les sources de financement provenant de l’Europe pour les chercheurs britanniques dans le cadre du programme « Horizon 2020 », pour l’Irlande et le Pays de Galles dans le cadre des subventions agricoles qui leur ont été accordées, etc.). D’ailleurs, une déréglementation opérée par le Royaume-Uni après Brexit ne devrait être que limitée car, d’une part, le pays est l’un de ceux dont l’encadrement du marché est déjà le moins contraignant (en deuxième position après le Pays-Bas) et, d’autre part, l’intégration européenne minimalise l’harmonisation requise des législations au niveau national. Ainsi, « il ne semble pas que le Royaume-Uni puisse attendre un véritable allègement de la « charge » règlementaire découlant de son appartenance à l’Union européenne. En somme, il paraît peu probable que le Royaume-Uni devienne un paradis fiscal et réglementaire » (Montgolfier, 2016, p. 30). Enfin, il faut dire que l’opportunité de définir librement des accords bénéfiques avec d’autres partenaires commerciaux après Brexit reste problématique. « En effet, le pouvoir de négociation d’un accord commercial est étroitement lié à la taille de l’économie d’un pays » (ibid. p. 32), ce qui désavantagerait le Royaume-Uni devenant alors isolé.
En revanche, les britanniques ne pourront plus compter sur les bénéfices économiques relatifs à son appartenance à l’Union Européenne. Concernant ces derniers, il faut noter que le Royaume-Uni a connu un doublement de son PIB entre son adhésion (1973) et l’année 2014. En fait, « selon les études économiques disponibles, les gains inhérents à l’appartenance à l’Union européenne en termes de PIB semblent également confirmés pour les autres États membres. Ainsi, selon Barry Eichengreen et Andrea Boltho, le PIB de l’Union serait supérieur de 5 % à celui qui aurait été constaté en l’absence d’intégration européenne » (Montgolfier, 2016, p. 24), 20% selon Badinger (2005, cité par Montgolfier, 2016) et 12% pour les études de Campos et al. (2014, cités par Montgolfier, 2016). Par ailleurs, à propos du commerce extérieur, il apparait que l’intégration européenne a significativement contribué au développement des échanges intra-européens (d’environ 104% de 1962 à 1996), ce qui aurait par la suite des impacts positifs substantiels sur le PIB. Dès lors, Dhingra et al. (2015, cités par Montgolfier, 2016) estiment que, « si le Royaume-Uni quitt[ait] l’Union européenne et rejoign[ait] l’AELE, ses échanges commerciaux avec les États membres reculer[aient] d’environ un quart » (p. 24). En outre, il ne faut pas négliger que l’ouverture économique générée par l’intégration de l’Europe est un facteur d’investissement étranger. Or ce dernier est une question assez sensible pour le Royaume-Uni où les actifs étrangers représentent près de 530% du PIB. Enfin, il est avancé que l’ouverture commerciale associée notamment à l’intégration régionale influence positivement et conséquemment la productivité des facteurs de production à cause des investissements directs étrangers qui poussent au premier plan la diffusion technologique, la hausse des dépenses en recherche et développement, et la transmission des savoirs faires et des meilleures pratiques managériales (Montgolfier, 2016).
De plus, même si des compromis pourraient être trouvés dans le cadre des négociations entre le Royaume-Uni et les différents pays de l’Union, si celui-ci choisit cette voie parmi d’autres, il sera obligé d’observer diverses normes techniques et réglementaires qui risquent de léser ses propres intérêts. En d’autres, termes, le poids de l’Europe se fera lourdement sentir par les britanniques à l’issu de tout scénario qui pourrait se réaliser après l’activation de l’article 50 du Traité de Lisbonne par le Royaume-Uni.
Il faut dire que, bien que nombreuses ont été les études tentant d’évaluer les conséquences de Brexit pour le Royaume-Uni, elles ne sont pas unanimes sur l’ampleur des impacts sur l’économie britannique (allant des plus optimistes aux plus pessimistes, cf. Tableau 2 – Estimation dans la littérature de l’impact à long terme de Brexit sur le PIB britannique). Cela est dû notamment au caractère inédit de l’évènement, surtout que les effets possibles du phénomène dépendent étroitement des résultats des négociations de sortie du pays de l’Union Européenne. En tout cas, ces différentes études tendent généralement à prévoir des influences nettement négatives de Brexit sur l’économie du pays (Beaufils-Marquet, 2016).
Tableau 2 – Estimation dans la littérature de l’impact à long terme de Brexit sur le PIB britannique
Optimiste | Intermédiaire | Pessimiste | ||||
A. Armstrong et J. Portes (2016) (1) | – 1,5 % | – 2,1 % | – 1,9 % | – 2,3 % | – 2,7 % | – 3,7 % |
HM Treasury (2016) (2) | – 3,4 % | – 4,3 % | – 4,6 % | – 7,8 % | – 5,4 % | – 9,5 % |
OCDE (2016) (3) | – 2,7 % | – 5,1 % | – 7,7 % | |||
PricewaterhouseCoopers (2016) (4) | – 1,2 % | × | – 3,5 % | |||
Open Europe (2015) (5) | + 1,55 % | + 0,64 % | – 0,81 % | – 2,23 % | ||
G. Ottaviano et al. (2014) (6) | – 1,1 % | – 6,3 % | × | – 3,1 % | – 9,5 % | |
I. Mansfield (2014) (7) | + 1,1 % | + 0,1 % | – 2,6 % | |||
Centre for Economic Policy Research (2013) (8) | – 1,24 % | × | – 1,77 % | |||
N. Pain et G. Young (2004) (9) | – 2,25 % | |||||
MOYENNE | – 1,6 % | – 2,2 % | – 4,1 % |
(1) A. Armstrong et J. Portes, « The Economic Consequences of Leaving the EU », National Institute Economic Review, n° 236, 2016, p. 2-6.
(2) HM Government, HM Treasury analysis: the long-term economic impact of the EU membership and the alternatives, Londres, avril 2016.
(3) OCDE, « The Economic Consequences of Brexit: A Taxing Decision », OECD Economic Policy Paper, n° 16, avril 2016.
(4) PricewaterhouseCoopers, Leaving the EU: Implications for the UK economy, mars 2016.
(5) Open Europe, « What if…? The Consequences, challenges & opportunities facing Britain outside EU », Report 03/2015, mars 2015. (6) G. Ottaviano, J. P. Pessoa et T. Sampson, « The Costs and Benefits of Leaving the EU », Document de travail LSE/CEP, mai 2014.
(7) I. Mansfield, « A Blueprint for Britain. Openness not Isolation », IEA Brexit Price, avril 2014.
(8) Centre for Economic Policy Research (CEPR), Trade and Investment Balance of Competence Review, novembre 2013.
(9) N. Pain et G. Young, « The macroeconomic impact of UK withdrawal from the EU », Economic Modelling, n° 21, 2004, p. 387-408.
Source : commission des finances du Sénat (Montgolfier, 2016)
Ainsi, le Centre for Economic Performance, dans une analyse micro-économique qui illustre un des plus pessimistes scénarios, estime une baisse moyenne de l’ordre de 2 100 euros par ménage et annuellement en tant que coût de Brexit pour le Royaume-Uni. Le Trésor britannique, quant à lui, parle d’une perte potentielle de 2.5% à 9.5% (6% en moyenne) du PIB ainsi qu’une baisse de 4% sur les salaires, voire la disparition à court terme de 800 000 emplois (Amundi, 2016). De plus, la divergence règlementaire entre ce dernier et l’Union Européenne pourrait conduire à une délocalisation massive au détriment du pays, notamment au niveau du secteur bancaire ainsi que des multinationales et, suivant l’ampleur du dégât, le tarissement du flux d’investissements directs à l’étranger vers le Royaume-Uni pourrait conduire à l’essoufflement de la Livre Sterling (pouvant atteindre 20% de perte de valeur) (Beaufils-Marquet, 2016).
En somme, le Royaume-Uni fera certainement le maximum d’effort pour obtenir les accords qui lui seront les plus avantageux (et les moins néfastes pour son économie). En tout cas, les effets négatifs (qui ont été annoncés ou qui se réaliseront éventuellement) constitueront probablement l’un des plus importants arguments pouvant empêcher un autre pays membres de l’Union Européenne de suivre l’exemple britannique. Autrement dit, les éventuelles expériences négatives du Royaume-Uni pourraient jouer un rôle de renforcement (voire d’accélération) de l’intégration économique de l’Europe continentale. Il reste à se questionner sur les (autres) impacts potentiels et réels de Brexit pour l’Union Européenne, et pour la construction de l’Europe en général.
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Et pour l’Europe ?
Brexit remettra certainement en cause le libre-échange et le commerce entre (les autres pays de) l’Union Européenne et le Royaume-Uni. Pour mieux appréhender les conséquences possibles de Brexit, il convient de faire d’abord l’état de lieu de la relation entre les deux parties (avant Brexit). A ce propos, si les exportations britanniques représentent environ 13% du PIB du pays, celles de l’Union ne totalisent que 3% seulement du PIB des pays concernés. De plus, ces exportations européennes vers le Royaume-Uni (10% des exportations intracommunautaires) ne sont pas réparties de manière homogène entre les autres pays membres, ce qui veut dire que les conséquences de Brexit dépendent de l’intensité de la relation commerciale entretenue par chacun de ces pays avec le pays dissident (les plus proches de ce dernier étant l’Irlande, les Pays-Bas, la Belgique, le Luxembourg, Malte, la Suède et le Chypre). « Connaissant le poids du secteur financier dans des pays tels que Chypre (7 fois le PIB), le Luxembourg (22 fois le PIB), ou Malte (7,6 fois le PIB) par rapport à la moyenne (3,46 fois le PIB global de la zone euro) [7], on peut se demander si la réduction de ces flux ne serait pas bénéfique pour l’économie réelle de l’ensemble de l’UE » (Beaufils-Marquet, 2016, p. 4).
Désormais, le sort économique de l’Europe post-Brexit devrait se comprendre sur deux horizons d’analyse : le court et moyen terme d’une part, et le long terme d’autre part. La première période d’analyse se focalisera sur celle d’une forte incertitude durant laquelle le Royaume-Uni et l’Union Européenne cherchera les points d’entente sur l’accord de sortie de celui-ci.
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Avenir à court terme de la zone euro : mise en lumière sur la politique d’accommodation de la BCE
Dans le (court et) moyen terme, Brexit a tout simplement mis un accent sur la position prise par la BCE en matière de politique macroéconomique depuis le début de la crise de la zone euro. En fait, la Livre sterling n’a cessé de s’effondrer à toute information annonçant et confirmant la réalité de Brexit (notamment lorsque la première ministre britannique se montre ferme sur un Brexit « dur » faisant, en quelque sorte, référence à une sortie du marché unique européen). Parallèlement, le retrait britannique de l’Union Européenne a d’abord maintenu bas l’inflation, et conséquemment la croissance durant les premiers mois suivant le référendum de 23 juin 2016. Cela a alors renforcé l’attitude de la BCE dans sa politique d’accommodation à travers la « quantitative easing » entamée depuis janvier 2015. Il s’agit de rachats massifs de dettes souveraines (de maturité de 7 à 10 ans) à hauteur de plus de 1 000 milliards d’euros à son entame pour une période d’un an et demi, mais cette dernière a été rallongée de 9 mois supplémentaires avec un montant concerné réduit à 60 milliards (au lieu de 80 milliards) par mois à partir du deuxième trimestre de l’année 2017 (Standard & Poor’s estime que la BCE poursuivra cette politique au-delà de cette prévision jusqu’en mi-2018, mais avec une baisse des rachats d’actifs qui devraient se ramener à 40 milliards d’euro par mois à partir du mois d’avril 2018 (CercleFinance.com, 2017)). En clair, il s’agit d’un instrument de politique monétaire expansionniste qui permet à la BCE d’injecter des liquidités nouvelles sur les circuits financiers des pays membres faisant en sorte que ceux-ci mutualisent les risques liés aux titres (généralement de bonnes notes) ainsi rachetés.
Le principal objectif visé par la BCE par le maintien de cette politique d’accommodation est la hausse de l’inflation pour impacter positivement sur la croissance de la zone euro. En guise de résultat, cette croissance aurait modestement accéléré au quatrième trimestre de 2016 pour atteindre 0.5% (contre 0.4% le trimestre précédent) sommant une croissance annuelle de 1.7% (et une perspective de 1.6% pour 2017). Pour ce qui concerne l’inflation, celle-ci se rapproche de l’objectif chiffré par la BCE (2%), soit de 1.8% en janvier 2017 contre 1.1% un mois plus tôt. Le taux de chômage de la zone diminue également de manière progressive (9.6% en décembre contre 9.7% en novembre 2016) (Tohry, 2017).
Mais, de fortes critiques envers cette politique restent d’actualité et démontrent à quel point celle-ci n’est pas sans risque pour l’économie des pays membres de la zone euro. En effet, bien qu’un moteur de reprise au niveau de cette zone, la quantitative easing contribue à la hausse de la volatilité (et donc le risque) sur les marchés financiers européens. Aussi, les épargnants ainsi que les banques sont quelque peu pénalisés avec les taux sensiblement faibles (voire négatifs) qui accompagnent cette politique. Enfin, et surtout, il est à se demander sur les impacts réels de cette injection massive de monnaie sur les activités de production pour soutenir vraiment la croissance (la hausse des valeurs des actifs n’est-elle pas seulement due à la quantitative easing et non pas à une meilleure performance des entreprises ?), d’autant plus que la hausse attendue de l’inflation est limitée (ceux qui s’enrichissent davantage avec la quantitative easing n’aurait probablement pas de raison de dépenser davantage leurs avoir) conduisant la BCE à prolonger la période d’application de sa politique d’accommodation (conduisant possiblement à la création de bulles sur les marchés financiers et les risques associés à celles-ci) (Canepa & Framke, 2017).
En effet, une injection massive de monnaie pourrait ne pas avoir de conséquences significatives sur le niveau de la demande globale pourtant indispensable pour la croissance réelle. Les rachats des titres dans le cadre de quantitative easing n’auraient peut-être qu’une influence minime sur les entreprises car, probablement, ce sont plutôt les spéculateurs qui profitent de cette politique. Une forte quantité de liquidités, sans emploi dans l’économie réelle, sur le circuit financier ne pourraient qu’y nourrir des bulles spéculatives, les marchés des obligations et des actions étant gonflés artificiellement et se montrent alors en bonne santé. Désormais, une telle situation d’abondance monétaire favorise la prise de risques ainsi que la concentration de masses d’argents volumineuses, les acteurs du monde financier devenant peu soucieux envers ces risques (les prix des actifs financiers ne reflètent plus leurs valeurs « naturelles », les primes de risque n’arriveront plus à couvrir les risques réels). Il ne faut pas non plus oublier de penser aux effets de l’offre massive monétaire sur la valeur de la monnaie qui devrait alors se déprécie en conséquence et sur une longue durée proportionnellement au prolongement de cette politique d’accommodation, ce qui ne sera pas sans impacts sur les tensions déjà comblées entre les différents Etats membres de la zone euro, et pourrait même impliquer les grands acteurs tiers dont la banque centrale américaine qui pourront s’entrainer dans un conflit des monnaies avec la BCE (Artus & Virard, 2016).
De plus, la baisse historique des taux d’intérêt permet à la quantitative easing de protéger les emprunteurs les plus fragiles et offrant de l’opportunité toujours plus importante aux acteurs les plus faibles. Ainsi, une telle politique monétaire trop laxiste va à l’encontre de la théorie de la destruction créatrice, cher à Schumpeter (1942, cité par Artus & Virard, 2016), et la « mauvaise » économie ne fait alors que chasser la « bonne ». Il faut désormais se demander sur les stratégies optimales permettant à la BCE de mettre fin à la quantitative easing sans que cela n’entraine une autre crise plus difficile à remédier (Artus & Virard, 2016).
En somme, Brexit est un évènement majeur ayant mis en lumière cette politique d’accommodation adoptée depuis la crise mondiale de 2008 qui fait oublier la nécessité des réformes structurelles en anesthésiant l’économie européenne avec une inondation monétaire pourtant déconnectée de l’économie réelle. Les enjeux du rôle attribué à la BCE dans la régulation de l’économie européenne sont centraux et impacteront incontestablement, et peut-être dans le moyen terme, l’avenir de l’Europe sans attendre les effets attendus sur le long terme de Brexit.
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Post-Brexit sur le long terme : approfondissement de la construction européenne ?
Sur le plus long terme, les possibilités sont multiples quant au scénario post-Brexit (cf. Tableau 3 – Incidence des différentes options théoriques retenues pour la future relation entre l’Union Européenne et le Royaume-Uni). Beaufils-Marquet (2016) et Montgolfier (2016) avancent deux principales possibilités pour le Royaume-Uni, à savoir : la signature d’un accord de libre-échange avec les 27 Etats de l’Union Européenne (voire une union douanière), ou bien le retour de ce pays au statut de simple pays tiers vis-à-vis de l’Europe (à l’instar des Etats-Unis ou la Chine). Mais, ces auteurs n’écartent pas également la possibilité d’une adhésion du Royaume-Uni à l’Espace économique européen (EEE, regroupant les pays de l’AELE et ceux de l’Union Européenne), de sorte à conserver la libre-circulation des biens, des services et des personnes, en même temps que les normes/directives européennes tout en déduisant sa contribution au budget de l’Union Européenne (sans pouvoir participer aux décisions de cette dernière). Néanmoins, la Norvège ne semble pas vouloir accepter le retour du Royaume-Uni au sein de l’AELE aui risquerait de déplacer le point d’équilibre de ce groupe en défaveur des norvégiens (Golla, 2016). Cela suppose alors que la troisième option (l’adhésion à l’AELE pour s’intégrer à l’EEE) apparait de moins en moins probable (l’adoption du modèle de la relation Suisse-Union Européenne en est alors également remise en cause), ce qui réduit la voie pour les britanniques à celle de la table de négociation avec l’Union Européenne.
Tableau 3 – Incidence des différentes options théoriques retenues pour la future relation entre l’Union Européenne et le Royaume-Uni
Politiques ou processus communautaires | Absence de Brexit | Brexit Souple | Options intermédiaires | Brexit dur | |||
Adhésion totale à l’Union | AELE EEE | AELE modèle Suisse | Partenariat continental | Union douanière modèle turque | ALE modèle canadien | Règles de l’OMC | |
Accès au marché unique | Oui | Oui | Partiel | Oui | Non | Non | Non |
Libre circulation de la main-d’œuvre | Oui | Oui | Oui | Limitée | Non | Non | Non |
Soumission aux règles du marché unique | Oui | Oui | Partiel | Oui | Non | Non | Non |
Participation au processus de réglementation | Oui | Non | Non | Partiel | Non | Non | Non |
Soumission aux décisions de la Conseil européen de Justice | Oui | Oui | Partiel | Oui | Non | Non | Non |
Franchise de droits sur les biens | Oui | Oui | Oui | Oui | Oui | Non | |
Accès au marché des services | Oui | Oui | Partiel | Oui | Non | Non | Non |
Partie prenante dans la politique commerciale commune | Oui | Non | Non | Oui, sans doute | Oui | Non | Non |
Partie prenante dans la PAC | Oui | Non | Non | Non | Non | Non | Non |
Contribution au budget de l’Union | Oui | Oui | Oui | Oui | Non | Non | Non |
Source : BRUEGEL, HSBC, M&G (Bonvigilantes, 2016)
Pour cela, il y a lieu d’imaginer les quatre scénarios les plus probables pour la configuration de la relation entre l’Union Européenne et le Royaume-Uni. Les trois premiers illustrent bien ce qu’il est entendu par « Brexit dur » (« Hard Brexit »). Le quatrième est un scénario intermédiaire entre Brexit dur et Brexit souple.
Premièrement, en tant que scénario le plus extrêmement dur, il est fort possible qu’aucun accord particulier ne soit trouvé entre les deux parties et seules les règles de l’OMC s’appliqueraient en conséquence. Ce qui implique que, à défaut d’accords spécifiques signés entre le Royaume-Uni et chacun des différents pays membres de l’Union Européenne, les échanges commerciaux entre celui-ci et ces derniers feraient l’objet de droits de douane. Il faut dire que, en première lecture, le retrait britannique de l’Union Européenne ne devrait pas avoir d’impacts trop significatifs sur cette dernière du point de vue économique (abstraction faite de l’hétérogénéité de ces impacts pour les pays membres). En effet, l’UEM post-Brexit devrait représenter environ 86% du PIB de l’Union Européenne (contre 71% avant Brexit), surtout que la croissance de cette zone est entrainée par la demande intérieure. Au total, il est estimé que de tels impacts sur la croissance de la zone euro devraient être limités, soit une croissance estimée de 1.5% pour l’année 2016 et de 1.3% pour 2017 (contre 1.6 en 2015). Une autre conséquence directe de Brexit sera la répartition de la contribution du Royaume-Uni au budget de l’Union Européenne (près de 200 millions d’euros par semaine) aux autres pays membres (au prorata de leur contribution avant Brexit) (Amundi, 2016).
Deuxièmement, le modèle de l’accord de libre-échange entre le Canada et l’Union Européenne constitue une autre alternative (pouvant encore qualifiée de Brexit dur) pour le Royaume-Uni. En fait, le Canada vient de conclure (en 2014) avec l’Union l’Accord économique et commercial global (AECG) qui devrait entrer progressivement en vigueur après sa ratification (prévue pour 2017). Les produits canadiens devraient alors accéder au marché européen sans droits de douane, outre certains produits agricoles ou encore des produits des secteurs clés (de l’automobile, par exemple) dont la libéralisation se fera sur une période de sept ans. Les impacts pour l’Union Européenne de ce scénario s’apparentent à ceux relatifs au premier (sans accord particulier trouvé), sauf au niveau des échanges commerciaux. A noter qu’il ne s’agit pas d’union douanière et les coûts administratifs relatifs au passage des frontières n’en seront donc pas éliminés. Dès lors, si le Royaume-Uni optera pour cette option, l’accord sera exclusif entre celui-ci et l’Union (sans concerner les accords passés entre cette dernière et d’autres pays tiers), d’autant plus qu’il ne sera plus question de contribution britannique au budget de l’Union, ni d’influence britannique sur l’élaboration des règles européennes (Montgolfier, 2016).
Troisièmement, il y a aussi le modèle d’union douanière entre la Turquie et l’Union Européenne (depuis 1995). Les produits agricoles transformés ainsi que les services ne rentrent pas dans l’accord liant les deux parties. Bien que la Turquie ne puisse pas prétendre bénéficier des accords commerciaux existant entre l’Union Européenne et d’autres pays tiers, l’union douanière implique que toute réduction des droits de douane accordée par l’Europe à ces pays tiers s’impose également à la Turquie. Par ailleurs, si le Royaume-Uni choisira cette configuration, il est tenu d’appliquer les standards équivalents aux normes en vigueur dans l’Union (sans toutefois avoir accès à l’élaboration de ces normes) pour les secteurs où le pays bénéficie d’un accès au Marché commun européen. En revanche, le Royaume-Uni n’est en principe pas tenu de contribuer au budget de l’Union, sans se priver des aides financières éventuelles de la part de cette dernière (Montgolfier, 2016).
Quatrièmement, il y a également un scénario possible proposé par quelques auteurs après une discussion sur la voie la plus probable pour le Royaume-Uni après Brexit, celui du « partenariat continental ». « Le partenariat continental proposé consisterait à participer à des biens, des services, à mobiliser des capitaux et à mobiliser temporairement la main-d’œuvre, ainsi qu’un nouveau système de prise de décisions intergouvernementales et d’application de règles communes pour protéger l’homogénéité du marché profondément intégré. Le Royaume-Uni aurait un mot à dire sur les politiques de l’UE, mais l’autorité formelle ultime resterait une prérogative de l’UE. Il en résulte une Europe avec un cercle intime, l’UE, avec une intégration profonde et politique, et un cercle extérieur avec moins d’intégration » (Pisani-Ferry, Röttgen, & al., 2016). Ainsi, le Royaume-Uni devrait alors avoir accès au Marché unique pour la libre-circulation des biens et services et des capitaux ; mais, en contrepartie, outre son obligation d’observer toutes les règles de ce marché, il est aussi tenu de contribuer au budget de l’Union. Par ailleurs, à la place de la libre-circulation des personnes, ce modèle alternatif propose une circulation « contrôlée ». En somme, il s’agit d’un cadre complexe (mais probable) (Pisani-Ferry, Röttgen, & al., 2016).
Il faut dire que les trois premiers modèles apparaissent beaucoup plus bénéfiques pour la construction européenne. En effet, la quatrième option établirait une Europe à « deux vitesses » avec, d’une part, l’Union Européenne de gouvernance supranationale avec la zone euro au centre et, d’autre part, un autre cercle se trouvant à l’extérieur regroupant les pays impliqués dans une relation « intergouvernementale et partenariale » avec l’autre bloc. Ainsi, les influences de ces pays risquent à tout moment (notamment à la survenance d’une crise au sein de l’Union Européenne) de remettre en cause la cohésion des pays membres de l’Union (surtout au regard de certains d’entre eux, dont la Suède et le Danemark, qui ont refusé d’intégrer la zone euro), et bouleverserait la construction européenne (menant vers une Europe « à la carte »). Par contre, la mise à l’écart plus ou moins total du Royaume-Uni limiterait fortement ces influences. Désormais, celui-ci constitue, en quelque sorte un « frein » majeur à l’avancée vers une union toujours plus poussée (surtout dans les domaines sécuritaire et budgétaire) (Beaufils-Marquet, 2016). Autrement dit, la stratégie Brexit (plus ou moins) « dur » devrait être la plus optimale en se rappelant que les crises (telles que celle nommée « Brexit » actuellement) jouent un rôle d’accélérateur du processus d’intégration, un Brexit plus souple chercherait davantage à se défaire de l’emprise de ces crises, retardant alors la réalisation de celles-ci, et retardant conséquemment l’avancée de la construction européenne (Adalid, 2015). En effet, selon cette théorie éprouvée, la crise « Brexit » devrait être un ingrédient nécessaire à l’accélération de l’intégration de l’Europe continentale.
En somme, l’avenir de Brexit est encore une page incertaine de l’histoire de la construction européenne, même si des voies apparaissent plus probables que d’autres. Ce qui est sûr, c’est que cette construction sera significativement affectée par l’issue de ce retrait britannique de l’Union Européenne. Désormais, il semble que plus cette dernière accorde (encore) de la concession au Royaume-Uni dans l’accord de sortie de celui-ci, plus la « crise Brexit » (c’est-à-dire l’ensemble des perturbations que Brexit a apportées pour l’Union) sera « anesthésiée » et sa dénouement en sera repoussé encore plus loin. Or, cette crise devrait surtout se dénouer en accélérant davantage le processus d’intégration de l’Europe (à travers notamment une multitude de réformes tendant vers plus de supranationalité menant vers l’étape ultime d’intégration « totale », au sens de Balassa, 1961). Par ailleurs, il faut reconnaitre que Brexit n’est qu’un évènement parmi d’autres qui influent sur l’intégration économique régionale de l’Europe. Ainsi, les différentes analyses faites jusqu’alors sur les effets de Brexit sur l’avenir de l’Europe sont (et seront toujours) difficiles à vérifier sur la réalité.
Conclusion
Brexit se comprend plus aisément à travers le concept d’intégration économique régionale, un phénomène dont l’explication fait intervenir tout une ensemble d’éléments complexes, aussi bien en eux-mêmes que dans leur interdépendance. Conceptuellement, l’intégration économique régionale est caractérisée par, d’une part la régionalisation, un état de flux économiques intenses sans que cela soit régi par des règles explicitement formalisées en cette occasion, et, d’autre part le régionalisme, les complémentarités entretenus (par les acteurs économiques non-étatiques) entre des pays « membres » sur les domaines commercial, financier, voire culturel et technologique. L’intégration qui en résulte peut être « aux frontières » (coordination spontanée mais formalisée entre les pays membres), « en profondeur » (réunissant les conditions permettant une harmonisation des pratiques intérieures de chaque pays membres), ou « souveraine » (existence d’une forme de supranationalité). La description processuelle généralement acceptée dans l’élaboration d’une intégration économique régionale est d’ailleurs celle de Balassa (1961), allant de l’établissement d’une zone de libre-échange jusqu’à la constitution d’une intégration totale (union économique et monétaire, structure supranationale). La construction européenne (probablement la plus avancée parmi les tentatives existantes) satisfait les quatre premières étapes dans le processus d’intégration au sens de Balassa, bien que celle-ci ne s’est pas déroulée de manière linéaire.
Arrivée à un stade défini par le Traité de Lisbonne, l’Union Européenne peut être considéré comme le résultat d’un ensemble de progrès parsemé également d’obstacles importants (à citer par exemple l’échec du traité établissant une Constitution pour l’Europe en 2005). Des observateurs s’interrogent également de la pertinence de la zone euro dont la performance serait quelque peu décevante, de la soutenabilité des critères de Maastricht, des différentes crises qu’a subies l’Union ces dernières années, etc. Ces obstacles et perturbations qui soufflent ponctuellement sur l’Europe constituent pourtant des ingrédients nécessaires à l’intégration de la région (en termes d’accélération du processus) car ils favorisent l’initiative sur des réformes indispensables pour remédier à ces « crises ».
Brexit, une de ces crises, vient ainsi secouer et remettre en question le processus de la construction européenne déjà fragile. Le processus de retrait du Royaume-Uni qui tarde à activer l’article 50 du Traité de Lisbonne entretient l’incertitude sur les perspectives, non seulement concernant l’avenir de ce pays, mais également celui de l’Union qui en serait probablement affecté considérablement.
En fait, les décisions à prendre dans les négociations de retrait du Royaume-Uni influencent certainement sur la cohésion des pays membres de l’Union Européenne. Plus l’accord éventuellement trouvé dans ces négociations insiste sur un Brexit relativement souple, plus les choix pris au sein de l’Union se focaliseront sur des solutions qui ne font qu’anesthésier les crises en son sein. En quelque sorte, seul un Brexit (plus ou moins) dur est susceptible d’accélérer le dénouement de ces crises via une avancée plus prononcée et plus rapide vers plus d’Europe.
Mais, le Brexit constitue également un cadre de réflexion intéressant pour permettre l’émergence de certains questionnements sur les éléments sur lesquels s’appuie la construction européenne. A citer ainsi les forts critiques pouvant être émises à l’endroit de la politique monétaire que mène la BCE, généralement depuis la crise de 2008. Il en est de même de la pertinence et la soutenabilité de la raison d’être de la zone euro dont les pays membres semblent enregistrer une plus faible performance en termes de croissance économique par rapport à d’autres pays voisins tiers. Brexit a également mis l’index sur les fameux critères de convergence qui ne sont plus respectables (du moins par moment) et sur les intérêts des pays relativement plus performants à « supporter » les difficultés d’autres (qui n’arrivent désormais plus à respecter ces critères). Tout cela constitue des pistes de recherche devant permettre d’approfondir la présente étude.
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