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Le brevet pharmaceutique et l’éthique

Le brevet pharmaceutique et l’éthique

 

Médicaments pour tous et santé au quotidien. Ce sont là sans doute les objectifs qui priment de nos jours, qu’il s’agisse de pays développés ou de pays en développement, bien que l’objectif soit encore loin d’être évident pour les pays moins avancés. Si le slogan des produits médicamenteux sur le marché est de permettre une santé et une longévité, leur accès n’est pas toujours évident.

L’accès au médicament est d’autant moins évident lorsque le médicament devient avant tout un produit de commerce. L’industrie pharmaceutique qui crée et produit les médicaments est formée de sociétés et multinationales des mieux cotées dans le monde, pour la raison qu’elles réalisent un maximum de profit, un profit qui est loin de décroitre, la santé est une affaire continue et qui ne connait ni crise ni récession.

Le constat est flagrant : le prix des médicaments commence à prendre une grande place dans le budget des ménages. Les frais médicaux ne cessent de croître et une bonne couverture médicale s’accompagne nécessairement d’un investissement non négligeable.

Pourquoi les médicaments sont-ils aussi chers et pourquoi les producteurs continuent à dissocier les genres de médicaments, entre médicaments génériques et les médicaments princeps ? Sur lequel de ces produits, ces producteurs réalisent-ils l’essentiel de leur bénéfice ?

Le brevet protège l’activité intellectuelle. Il assure une reconnaissance du savoir et de l’innovation de l’esprit. Pour cela, le brevet confère un monopole à son titulaire. Mais l’attraction entre le brevet et le médicament n’est pas sans conséquence, surtout sur le prix des produits pharmaceutiques.

Qui dit brevet dit monopole. Bien que le but du brevet soit la protection des droits du créateur, le brevet peut également devenir un frein à l’activité intellectuelle et à la créativité. En effet, le monopole qu’institue le brevet empêche parfois le développement des recherches. Il réserve les activités sur son objet au premier créateur, empêchant ainsi l’accès aux informations.

Mais le droit des brevets n’est et ne peut être absolu. En effet, des accords internationaux peuvent limiter l’exclusivité conférée par le brevet dans certains domaines. L’accord sur les Aspects des droits de propriété intellectuelle liés au commerce prévoit la possibilité au gouvernement de briser le monopole d’un brevet et autoriser l’importation ou la fabrication de copies de médicaments à des fins de santé publique[1].

Mais ces exceptions relevées par l’ADPIC n’ont jamais   jusqu’ici   pu être appliquées. Ces clauses de sauvegarde de la santé publique n’ont jamais été mises en œuvre. La raison en est la peur et le risque de représailles ou de pressions politico-économiques de la part des sociétés détentrices des brevets, ou encore par les gouvernements. Bien qu’il soit possible de recourir à une fabrication à moindre coût de médicaments, la forte pression freine les tentatives, laissant ainsi une situation souvent catastrophique perdurer au nom de la collaboration et les bonnes relations.

Le droit à la santé ou le droit des brevets ? La bataille continue. Les pays en développement sont les premiers touchés par cette bataille. Les producteurs et sociétés détentrices de brevet veulent faire prévaloir leur droit à la protection tandis que la population cherche à faire prévaloir la santé publique avant tout. Le principe est établi en droit international. La primauté est accordée au droit à la santé. L’ADPIC prévoit d’ailleurs les exceptions aux droits conférés par le brevet, surtout lorsqu’il est question de santé publique. D’ailleurs, pour conforter la place du droit à la santé, ce dernier a été affirmé par la constitution de l’OMS en 1946 qui est entrée en vigueur en 1948[2].

Le droit à la santé a également été reconnu par la Charte des nations unies, même si cette dernière n’utilise pas l’expression de droit à la santé[3]. Elle exhorte en effet les Etats à agir pour le respect universel et effectif des droits de l’homme. L’article 103 de la Charte des Nations Unies dispose qu’en cas de conflit entre les obligations des États en vertu de la Charte et leurs obligations en vertu de tout autre accord international, leurs obligations en vertu de la Charte prévaudront. La déclaration universelle des droits de l’homme reconnait également à toute personne le droit à un niveau de vie suffisant pour sa santé[4]. Une autre manière de proclamer l’existence et la reconnaissance du droit à la santé. D’autres accords internationaux imposent également la reconnaissance et le respect de ce droit à la santé. Ainsi en est-il du pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels qui impose des obligations légales de coopération à l’échelle internationale pour le respect du droit à la santé[5]. Plus récemment, le droit à la santé a fait l’objet d’une consécration spécifique par Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine[6] ainsi que par la Déclaration d’Édimbourg de l’Association médicale mondiale[7].

Plus spécifiquement, l’ADPIC reconnait une limite à l’usage du monopole lorsqu’il s’agit de la santé publique. D’une part, l’accord reconnait une exception pour les inventions dont il est nécessaire d’empêcher l’exploitation commerciale pour protéger l’ordre public ou la moralité, y compris pour protéger la santé et la vie des personnes et des animaux ou préserver les végétaux[8]. D’autre part, l’ADPIC instaure une exception pour les méthodes diagnostiques, thérapeutiques et chirurgicales pour le traitement des personnes ou des animaux[9] et enfin, pour certaines inventions concernant les végétaux et les animaux[10].

L’article 30 de l’accord ADPIC procède à une certaine liberté d’appréciation aux membres de l’OMC en ce qui concerne la mise en œuvre de l’accord. Il admet ainsi dans certaines circonstances d’aménager les droits de brevet. L’accord prévoit des «exceptions aux droits conférés par un brevet », à condition qu’elles soient limitées, justifiées, et qu’elles ne causent pas un préjudice injustifié aux intérêts légitime du titulaire du brevet, ni à ceux des tiers. Il est ainsi possible de mettre en œuvre une stratégie visant à faire progresser la science et la technologie, mais que certains pays utilisent afin d’accélérer la commercialisation de médicaments génériques. Cette disposition est appelée « la disposition Bolar » ou « d’utilisation précoce ». La disposition Bolar permet aux fabricants de médicaments génériques d’utiliser des produits brevetés sans autorisation à fins de recherches, afin d’obtenir plus rapidement les résultats des essais à fournir aux autorités de santé chargées de l’attribution de l’autorisation de mise sur le marché des médicaments génériques dès l’expiration du brevet[11]. Une telle mesure semble être la meilleure solution qui puisse s’ouvrir aux pays en développement en recourant aux médicaments génériques.

L’autre solution qui peut être trouvée est l’importation parallèle. Ce système est implicitement autorisé à l’article 6 de l’accord ADPIC. Cet article prévoit que les pratiques des membres de l’OMC en ce qui concerne l’épuisement des droits de propriété intellectuelle ne peuvent pas être contestées dans le cadre du système de règlement des différents de l’OMC, à moins qu’elles n’établissent des discriminations fondées sur la nationalité des détenteurs des droits.

Le principe est ainsi clairement posé en droit international. Les instruments les plus importants du droit international reconnaissent tous le droit à la santé en édictant la supériorité de ce dernier sur tous les autres droits et les autres obligations des Etats. Pourtant forcé de constater que la réalité est que l’aspect économique prime toujours sur la santé. Les premiers à souffrir d’un tel constat sont évidemment les pays les moins avancés[12]. La protection des médicaments, et dans une large mesure des produits pharmaceutiques a suscité, autant en France qu’ailleurs, des discussions et des débats, notamment sur son fondement. En effet, ces produits ne peuvent être anodins. L’incidence de ces inventions sur la santé publique et la possibilité de voir les titulaires de brevets portant sur un médicament abuser de leur monopole. Un tel abus ne pourrait être que préjudiciable aux consommateurs.

L’article 3 de la loi du 5 juillet 1844 excluait de la protection par brevet les compositions ou remèdes de toute espèce. Cette règle entendait établir sa justification dans « l’incompatibilité entre une composition utile à l’humanité et une exploitation exclusive au profit d’un seul ». Mais une telle prohibition s’est révélée très néfaste lorsque s’est développée une véritable activité industrielle pharmaceutique. En effet, cette prohibition décourageait les recherches qui doivent néanmoins être protégées.

Dans un premier temps, le législateur a autorisé en la matière les brevets de procédé qui a été soumis au droit commun[13]. Il a ensuite créé la protection du produit avec l’ordonnance n° 59-250 du 4 février 1959[14] et le décret n° 60-507 du 30 mai 1960[15]. Le législateur a ainsi créé le BSM  ou le brevet spécial de médicament. Le brevet de médicament affichait certaines spécificités qui se traduisaient par la délivrance d’un titre spécial, avec des exigences de procédure particulières et un régime largement dérogatoire au droit commun.

Mais en 1968, cet aspect spécifique du brevet de médicament tendait à disparaitre. La loi du 2 janvier 1968 abroge les dispositions des textes précédents et supprime ainsi le brevet spécial de médicament. Néanmoins, aucune contestation ne doit être relevée quant au besoin de protection des médicaments par le brevet. Pour autant, cette loi de 1968 imprimait encore au brevet pharmaceutique un particularisme qui le distinguait  du brevet ordinaire. La loi du 13 juillet 1978 est venue modifiée la loi de 1968 en se reportant à la convention relative au brevet européen (CBE), une loi qui a eu la tendance de réintégrer le brevet de médicament dans le droit commun des brevets[16]. Cette loi, ainsi que la convention européenne, concernent surtout le régime d’acquisition du droit. Les exigences formelles spécifiques ont totalement disparu, et la procédure de délivrance du brevet pharmaceutique est celle du droit commun. Aucune particularité n’est dés lors à soulever à propos du brevet de médicament.

Mais en revanche, la spécificité qui existait en ce qui concerne l’exploitation du droit a survécu. Elle a même été renforcée par l’introduction du mécanisme du certificat complémentaire de protection qui tend à allonger la durée de la protection. Ainsi, le droit ne s’épuise qu’à l’expiration du brevet et du certificat complémentaire de protection. Ne pourront être licitement fabriquées et commercialisées des copies parfaites de ce médicament désignées sous le nom de génériques qu’à l’expiration de ces périodes.

Dans d’autres pays, la situation n’est pas toujours la même. La situation est variable d’un pays à l’autre. Certaines législations de pays en développement excluent du champ de la brevetabilité les inventions pharmaceutiques. D’autres ont choisi de réduire le domaine de la protection aux seuls procédés sans protéger les produits eux-mêmes. Cette situation est pourtant sur le point de changer, notamment grâce aux dispositions consacrées à la propriété intellectuelle, et contenues dans l’accord relatif aux aspects des droits de propriété intellectuelle, l’ADPIC. Ce dernier subordonne en effet l’application des règles tarifaires à la mise en place et au respect des droits de propriété intellectuelle. Tous les pays membres de l’OMC sont ainsi appelés à prévoir la brevetabilité des produits pharmaceutiques.

Mais si l’accord sur les ADPIC est d’effet obligatoire depuis le 1er janvier 2000, les pays en développement ont bénéficié dans le secteur des produits pharmaceutiques d’un délai supplémentaire de cinq ans. Un délai supplémentaire a été accordé aux pays les moins avancés jusqu’en 2016 pour se conformer à une telle obligation[17]. Mais que vise le brevet exactement ? Le brevet confère une exclusivité visant à protéger le savoir faire. Pour que l’œuvre intellectuelle puisse être récompensée, le droit à la protection doit être reconnu. Le brevet de médicament vise alors d’une part la protection du savoir faire, récompense de l’activité inventive, et la protection du médicament, domaine sensible.

L’industrie pharmaceutique utilise le savoir-faire des chercheurs et scientifiques pour proposer des produits qui seront mis sur le marché. L’industrie pharmaceutique, comme toute industrie, a pour finalité la commercialisation des produits. En l’occurrence, il s’agira de commercialiser, de donner une valeur pécuniaire au savoir faire exploité. Le savoir faire peut se définir par son statut juridique et par son domaine d’application. Mais de prime abord, le savoir faire définit les qualités et les spécificités d’un produit à l’autre.

Le savoir faire représente une valeur. En effet, il représente une valeur dans l’optique où une personne devra payer un prix si elle souhaite acquérir cette connaissance. Le savoir faire devient dés lors un bien économique. Mais si le savoir faire est un bien économique représentatif d’une valeur pécuniaire, il n’est pas un bien juridique.

L’exclusion de la nature de bien juridique du savoir faire repose sur le fait qu’un bien juridique est susceptible d’appropriation. En effet, le droit de la propriété ne vise que les biens corporels et, exceptionnellement, certains éléments incorporels qui bénéficient d’une protection spécifique de la loi, comme notamment les brevets et les marques. Le droit de propriété fait disparaitre la notion même de savoir faire. On parlera de brevet ou de modèle.

Certains éléments ne peuvent être protégés par le brevet. Certains éléments ne peuvent être couverts par le droit. Tel est par exemple le cas des informations, des procédés, des inventions et des spécificités qui ne peuvent être protégés par le brevet. La protection de ces éléments ne peut s’opérer que par le secret.

[1] Accord de Marrakech du 15 avril 1994, instituant l’Organisation mondiale du commerce (qui succède au Gatt); Annexe 1 C : Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce. Publié par décret no 95-1242 du 24 novembre 1995 (annexe JO du 26 novembre). Entré en vigueur le 1er janvier 1995. Les dispositions du présent accord ont été introduites en droit interne par la loi no 96-1106 du 18 décembre 1996, modifiant le Code de la propriété intellectuelle

[2] Constitution de l’Organisation mondiale de la Santé, adoptée par la Conférence internationale sur la santé, New York, 19-22 juin 1946 ; signée le 22 juillet 1946 par les représentants de 61 États (actes officiels de l’OMS, no 2, p. 100) et entrée en vigueur le 7 avril 1948.

[3] Voir Charte des Nations Unies, commentaire article par article, sous la direction de A. Pellet et de J.-P. Cot, 2eéd., Paris, Économica, 1991

[4] Voir N. Lenoir et B. Mathieu, Le droit international de la bioéthique, Paris, éd. Que sais-je ?, PUF 1998, p. 5-7, Déclaration universelle des droits de l’homme, acceptée et proclamée par l’Assemblée générale des Nations Unies dans sa résolution 217A (111) du 10 décembre 1948

[5] Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, fait à New York le 19 décembre 1966, in N. Lenoir et B. Mathieu, Le droit international de la bioéthique, ibid., p. 8-9

[6] Convention pour la protection des droits de l’homme et de la dignité de l’être humain à l’égard des applications de la biologie et de la médecine: Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine, Strasbourg, 19 novembre 1996, Dir/jur (96) 14, Strasbourg, éd. Conseil de l’Europe.

[7] La Déclaration d’Édimbourg d’octobre 2000 constitue la 5e et dernière révision de la Déclaration d’Helsinki de l’Association médicale mondiale (AMM), édictée en 1964, L’AMM a affirmé que les intérêts du patient prévalent sur l’intérêt des firmes pharmaceutiques, et qu’il convient de ne pas confondre innovation thérapeutique et expérimentation humaine

[8] Article 27-2 ADPIC

[9] Article 27-3-a ADPIC

[10] Article 27-3-b ADPIC

[11] Voir le rapport du groupe spécial a été adopté, à l’occasion du différent Canada, Protection conférée pour les produits pharmaceutiques, par l’Organe de règlement des différends de l’OMC, le 7 avril 2000.

[12] Voir par exemple le rapport sur l’épidémie mondiale de VIH/Sida, Onusida, juin 2000, http://www.onusida.org/

[13] L. 27 janv. 1944, validée L. 1er juill. 1948

[14] Ord. n° 59-250, 4 févr. 1959 : Journal Officiel 8 Février 1959

[15] D. n° 60-507, 30 mai 1960 : Journal Officiel 31 Mai 1960

[16] Voir J. Azéma, Existe-t-il encore une spécificité du brevet pharmaceutique ? : JCP E 1990, II, 15744

[17] OMC IP/C/25, 1er juill. 2002

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