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Socialisation de la période de la petite enfance et croyance des professionnels de la puériculture en milieu d’accueil

Thème : Socialisation de la période de la petite enfance et croyance des professionnels de la puériculture en milieu d’accueil. Cas des enfants de 24 à 30 mois.

 

Voici le livrable : le cadre théorique convenu dans le cahier des charges.

Cordialement.

 

Plan

 

Introduction

Partie 1.       Cadre théorique

1.1.      La socialisation de la petite enfance

1.1.1.       La socialisation : cadre général

1.1.1.1.       Appréhension évolutive de la notion de « socialisation » ?

1.1.1.2.       Socialisation « différenciée »

1.1.2.       La socialisation primaire

1.1.3.       Le processus de socialisation de la petite enfance

1.1.3.1.       La notion de « petite enfance » : pertinence et enjeux

1.1.3.2.       Les principales étapes de la socialisation de la petite enfance

1.1.4.       Les principaux acteurs impliqués dans la socialisation de la petite enfance

1.1.4.1.       La famille

1.1.4.2.       La collectivité en lieu d’accueil : enjeux pour la socialisation de la petite enfance

1.2.      La croyance des professionnels de la petite enfance vis-à-vis de la socialisation des jeunes enfants

1.2.1.       Cadre conceptuel de la croyance

1.2.1.1.       Entre croyance et connaissance

1.2.1.2.       Croyance du point de vue de la rationalité

1.2.1.3.       Croyance et action

1.2.2.       Croyance des professionnels

1.2.2.1.       Croyance des professionnels dans le domaine de l’enseignement : sources, typologies, dimensions, fonctions et évolution

1.2.2.2.       Qu’en est-il du domaine de la puériculture ?

1.2.3.       Enjeux de la croyance des professionnels sur la socialisation de la petite enfance

1.2.3.1.       Implications (réelle et/ou potentielle) de la croyance sur les pratiques dans le domaine de l’enseignement

1.2.3.2.       Perspective pour les professionnels de la petite enfance

Bibliographie

 

Partie 1.        Cadre théorique

 

Cette première partie a pour vocation de déterminer le cadre théorique de la présente étude en approfondissant, à travers une revue de la littérature, les deux grandes notions à savoir : la socialisation et les croyances. Ainsi, il y a lieu, premièrement, de se focaliser sur tout ce qui touche la socialisation des jeunes enfants et, deuxièmement, de s’intéresser aux croyances des professionnels œuvrant dans le domaine de la « petite enfance » (une notion également à définir) à propos de cette socialisation.

 

1.1. La socialisation de la petite enfance

 

Ce chapitre chercher à appréhender ce qu’il faut entendre par socialisation de la petite enfance, ce qui devrait commencer par une analyse descriptive de la notion de socialisation en général, puis de la socialisation primaire et celle relative à la petite enfance en particulier. Il y a lieu aussi de s’intéresser aux acteurs de cette socialisation en se concentrant principalement sur l’environnement familial et celui des structures d’accueil des enfants placés, les crèches plus précisément.

 

1.1.1. La socialisation : cadre général

 

Dans un premier temps, il convient de se focaliser sur la notion centrale de la présente étude : la socialisation. Les lignes suivantes montrent que la conceptualisation de cette notion a connu une certaine dynamique due probablement à l’évolution des connaissances dans le domaine de la petite enfance ainsi qu’au changement contextuel manifeste qui impacte sur les relations entre les acteurs de la socialisation elle-même.

 

1.1.1.1.   Appréhension évolutive de la notion de « socialisation » ?

 

La socialisation est un terme très familier du grand public, voire une sorte de mot-clé à la mode propulsé au-devant de la scène sociale par les médias de masse « traditionnels » et internet, ce qui contribue à sa banalisation et, par l’occasion, réduit la visibilité conceptuelle à propos de cette notion. Du coup, chaque auteur intéressé par la socialisation attribue à celle-ci sa propre définition en y apportant des composantes spécifiques au domaine qui lui est cher (il suffit de faire une recherche sur internet sur la base du terme « socialisation » pour s’en rendre compte). Ceci donne des idées sur la pluralité des descriptions de ce concept, non seulement due aux intérêts accordés par de nombreuses disciplines à ce thème, mais également (et fondamentalement) au regard des grands courants de pensée qui ont fortement contribué à la banalisation de ce terme auprès de la grande masse. En effet, quelques auteurs remarquables (ci-après successivement) ont façonné au fil du temps les fondamentaux relatifs à cette notion de socialisation, sous divers angles et en se basant sur différentes approches.

 

1.1.1.1.1.  Approche holiste de la socialisation

 

Deux grands noms doivent être cités quand il s’agit de l’approche holiste de la socialisation, c’est-à-dire en pensant que c’est la société qui forme l’individu à travers la socialisation : Emile Durkheim (considéré même comme le fondateur de cette approche, d’un côté, et Pierre Bourdieu de l’autre côté.

 

Ainsi, pour commencer par celui qui est souvent considéré comme un des pères fondateurs de la sociologie, Emile Durkheim (1858-1917), celui-ci appréhende la socialisation sous une perspective axée sur « l’éducation ». Par-là, Durkheim souligne les fonctions qu’il qualifie de « sociales » de ce processus d’éducation, surtout vis-à-vis de l’enfant qui est encore un « produit malléable » (selon les termes employés par l’auteur) faisant en sorte que les expériences socialisatrices de ce sujet est particulièrement importantes. Pour cet auteur, l’éducation elle-même peut être définie telle une entreprise de socialisation de la génération postérieure par ses ainés : il s’agit de développer chez les jeunes enfants les états physiques, intellectuels et moraux qu’ils ont besoin pour leur insertion dans la société, pour leur inclusion dans le milieu social auquel ils sont censés appartenir. En d’autres termes, l’éducation contribue à la réduction de l’écart qui existe entre un petit enfant et l’idéal social que ce dernier doit atteindre : « Entre les virtualités indécises qui constituent l’homme au moment où il vient de naître, et le personnage très défini qu’il doit devenir pour jouer dans la société un rôle utile, la distance est donc considérable. C’est cette distance que l’éducation doit faire parcourir à l’enfant. » (Durkheim, 2002, p. 64).

 

Il est possible d’appuyer sur l’expression « doit faire parcourir » pour soulever l’obligation que représente la socialisation dans cette perspective éducative de Durkheim (2002). En fait, il est question d’une « socialisation méthodique » conduite par des acteurs tels que les parents et les enseignants/éducateurs poursuivant un apprentissage systématique des manières d’agir et de penser comme l’attend la société (DGESCO, 2011). Durkheim (2002) explique cette obligation (pour ces acteurs) de suivre cette voie de la socialisation éducative, sous peine de marginalisation de l’enfant qui en est le sujet :

 

« Il est vain de croire que nous pouvons élever nos enfants comme nous voulons. Il y a des coutumes auxquelles nous sommes tenus de nous conformer ; si nous y dérogeons trop gravement, elles se vengent sur nos enfants. Ceux-ci, une fois adultes, ne se trouvent pas en état de vivre au milieu de leurs contemporains, avec lesquels ils ne sont pas en harmonie. […] Il y a donc, à chaque moment du temps, un type régulateur d’éducation dont nous ne pouvons pas nous écarter sans nous heurter à de vives résistances qui contiennent les velléités de dissidences. » (Durkheim, 2002, p. 6).

 

La socialisation est ainsi associée aux normes éducatives de chaque société considérée, celles-ci influençant l’entreprise des éducateurs auprès de l’enfant à socialiser. L’auteur souligne ainsi le caractère conscient, dans un premier temps, du processus de socialisation, suivant les actions délibérées des adultes pour construire, à partir de l’enfant, un être adapté aux conditions sociales. L’on comprend alors ici l’affirmation de l’équivalence faite par Durkheim (2002) entre « socialisation » et « éducation ». Dans ce scénario, le processus de socialisation du petit enfant est caractérisé par la « passivité » de ce dernier en face de l’adulte qui exerce plutôt un rôle dominant dans ce processus. Cependant, l’auteur reconnait également l’existence d’une éducation « inconsciente » qui se réalise en permanence car l’acquisition des valeurs et normes sociales peuvent très bien se faire en dehors des moments éducatifs explicitement et délibérément mis en œuvre par les éducateurs. « La socialisation exerce ses effets au-delà de la simple éducation, pénètre les corps et les esprits et modèle l’enfant durant tous les moments de sa vie. Elle assure l’intériorisation des normes et des valeurs propres au milieu d’appartenance et prépare les individus à exercer les rôles qu’ils occuperont dans la société » (DGESCO, 2011, p. 2).

 

Par ailleurs, la socialisation dans cette perspective éducative prévoit déjà une continuité non nécessairement aléatoire de ce processus puisque les expériences socialisatrices antérieures agissent significativement sur l’individu considéré, c’est-à-dire sur un sujet déjà « socialisé » : « En chacun de nous, […] il y a l’homme d’hier, et c’est le même homme d’hier qui, par la force des choses, est prédominant en nous, puisque le présent n’est que bien peu de choses, comparé à ce long passé au cours duquel nous nous sommes formés et d’où nous résultons. Seulement, cet homme du passé, nous ne le sentons pas, parce qu’il est invétéré en nous, il forme la partie inconsciente de nous-mêmes » (Durkheim, 1990, pp. 18-19). Tout cela donne encore plus de force à l’idée que les premiers moments de vie d’un individu sont déterminants en matière de sa socialisation. Aussi, ce point de vue durkheimien peut être à la base d’un prolongement considérant les différentes institutions d’éducation, scolaire en l’occurrence comme des espaces majeurs de socialisation.

 

Pour sa part, Pierre Bourdieu (1930-2002) appréhende la notion de socialisation dans le cadre de sa compréhension du monde social à travers le développement du concept « d’habitus », cherchant à dépasser le structuralisme simple et tendant à l’exacerbation de l’objectivisme. « L’habitus est un ensemble de dispositions durables, acquises, qui consiste en catégories d’appréciation et de jugement et engendre des pratiques sociales ajustées aux positions sociales. Acquis au cours de la prime éducation et des premières expériences sociales, il reflète aussi la trajectoire et les expériences ultérieures : l’habitus résulte d’une incorporation progressive des structures sociales. C’est ce qui explique que, placés dans des conditions similaires, les agents aient la même vision du monde, la même idée de ce qui se fait et ne se fait pas, les mêmes critères de choix de leurs loisirs et de leurs amis, les mêmes goûts vestimentaires ou esthétiques » (Wagner, 2012). En quelque sorte, l’habitus est un produit de la socialisation.

 

Ainsi, le constructivisme au sens de Bourdieu (1987) est « structuraliste », dans le sens où l’auteur accorde une importance prépondérante aux structures objectives qui ne dépendent pas de la volonté des agents et de leur conscience mais ont la capacité à contraindre ou à orienter les pratiques de ces agents ou de leurs représentations. La socialisation est alors comprise comme un processus par lequel les conditions sociales ainsi que les expériences passées sont incorporées, cela via l’acquisition majoritairement inconsciente de manières de parler, de manger, de marcher, etc. relatives à chaque milieu social.

 

Par ailleurs, malgré la relative stabilité de l’habitus, celui-ci fait perpétuellement l’objet de restructuration. Cela rapproche la conceptualisation de Bourdieu (2003) de celle de Berger et Luckmann (2006) (cf. plus bas – 1.1.2. La socialisation primaire), le premier développant les notions « d’habitus primaire » et « d’habitus secondaire » faisant distinction entre les premières expériences socialisatrices et celles subséquentes : un poids plus important est ici attribué à l’habitus secondaire (Bourdieu & Passeron, 1970).

 

1.1.1.1.2.  Approche « génétique » de la socialisation

 

De son côté, Jean Piaget (1896-1980), très connu pour ses recherches en psychologie de développement et de son « épistémologie génétique », analyse la socialisation avec son approche « génétique » en se focalisant sur le développement mental du jeune enfant. Piaget et Innelder (1996) conçoivent la socialisation comme un processus de développement (essentiellement mental) régie par des mécanismes généraux qui semblent être quasi-universels, s’étendant de la prime enfance à la fin de l’adolescence. Ce processus serait alors continu, mais ne reste pas moins non-linéaire du moment que le développement psychique de l’enfant se réalise par « stades successifs » (les différentes étapes de la socialisation, de la petite enfance plus particulièrement, seront considérées plus loin – cf. 1.1.3.2. Les principales étapes de la socialisation de la petite enfance) : il s’agit d’un processus d’équilibration qui agit en permanence entre un état d’équilibre moindre et un état d’équilibre supérieur. Deux éléments hétérogènes sont en action dans un tel processus : d’un côté, les « formes d’organisation de l’activité mentale » qui sont des structures variables et, de l’autre côté, un fonctionnement constant dans le passage entre différentes formes au cours de mouvements de déséquilibre-rééquilibrage (Dubar, 2006; Piaget & Innelder, 1996).

 

Ce développement mental qu’est la socialisation comporte, d’une part, la double dimension individuelle-sociale et, d’autre part, les doubles structures cognitives (intrinsèques à soi) et affectives (orientées vers l’extérieur). Cela implique que la socialisation est un processus dynamique d’adaptation (en termes d’accommodation et d’assimilation) du sujet à des formes mentales et sociales complexes. Ainsi, même si Piaget (1932) est du même avis (que Durkheim) sur l’association éducation-socialisation, il met en exergue aussi que le processus de socialisation n’est pas le produit des seules générations précédentes puisque chaque individu d’une génération est pleinement acteur de sa propre socialisation.

 

En outre, Piaget (1932) critique l’idée durkheimienne expliquant la socialisation comme une transmission contraignante d’un esprit de discipline et une obligation d’attachement aux groupes. Pour l’auteur, cette conception surévaluant les aspects contraignants de la socialisation néglige l’importance de la coopération, pourtant très présente et significative, entre le sujet (à socialiser) et les agents socialisateurs qui l’entourent. Il s’agit là, pour Piaget (1932), d’adapter son point de vue à une conception relationniste des sociétés modernes (insistant sur les interactions des différents membres de la société dont chacun est acteur de ses actions), en réfutant la définition de la socialisation tel un procès « d’inculcation holiste » des normes et valeurs sociales par les institutions en présence (qui imposent ces valeurs et normes aux membres de la société comme s’ils n’en a point le choix) : il ne faut pas sous-estimer les interactions et les activités que renvoie le phénomène de socialisation, comprise donc comme un processus interrelationnel.

 

1.1.1.1.3.  Approche interactionniste de la socialisation

 

De son côté, Georges Herbert Mead (1863-1931), philosophe de formation et fondateur de la psychologie sociale, adopte un point de vue interactionniste de la socialisation. Mead conceptualise l’individu comme un être social doté d’une capacité à réfléchir consciemment sur ses actes et ses prises de position (dans une posture réflexive) : l’individu se construit donc dans une sorte d’interaction entre, d’une part, sa subjectivité (avec l’emploi du « je ») et, d’autre part, son image sociale (emploi du « moi »).

 

Pour l’enfant, de telle construction s’effectue essentiellement par l’intermédiaire du « jeu », lui permettant de s’approprier progressivement des rôles sociaux, façonnant alors sa personnalité. L’enfant imite dans un premier temps les rôles des personnes qui sont les plus proches de lui (ses parents, ses éducateurs, frères et sœurs, etc.) en s’imaginant à leur place, voire en jouant à ces rôles sur une perspective d’avenir (par exemple, en disant, « j’ai 30 ans, j’habite en ville, je suis pompier, …). Si au début, ces acteurs qui lui sont proches, qualifiés ainsi par Mead (2006) de « autres significatifs », font l’objet des concentrations de l’enfant, le champ de perception de celui-ci s’élargit progressivement jusqu’à comprendre que le monde est aussi constitué de nombreuses autres personnes ; c’est l’occasion pour l’enfant de pouvoir généraliser son opinion en se référant, cette-fois à « l’autrui généralisé ». C’est seulement à partir de ce moment qu’il serait, pour Mead (2006), considéré comme véritablement socialisé, se percevant lui-même comme un « autre » (distinct d’autrui), ayant la capacité de réfléchir sur ses actes et son positionnement. En effet, à ce stade, l’enfant prend conscience de l’existence de règles sociales qui régissent la société et qu’il serait alors à même d’intérioriser. Dorénavant, l’enfant s’identifie comme « moi », un individu ayant un rôle et membre d’un groupe (par exemple, en disant, « moi, fille de 12 ans, collégienne et membre du notre petite chorale paroissienne, …). « L’individu socialisé est donc un être réflexif qui s’identifie à une position sociale et qui peut à tout moment faire jouer sa subjectivité dans l’interaction » (DGESCO, 2011, p. 2).

 

1.1.1.1.4.  Nouvelle approche constructiviste de la socialisation

 

Finalement Berger et Luckmann (2006), avec leur approche « constructiviste »[1], proposent un conception relativement nouvelle de la socialisation insistant notamment sur le fait que cette dernière va au-delà de la phase de l’enfance. C’est ainsi que ces auteurs distinguent (pour la première fois) la socialisation primaire et la socialisation secondaire (qui seront décrites plus en détail dans la section suivante – cf. 1.1.2. La socialisation primaire). Pour eux, la socialisation est à la fois l’immersion du sujet dans l’univers symbolique et culturel de la société (le « monde vécu » envisagé par ces auteurs comme un ensemble de données construites par des entités individuelles et collectives) et la connaissance sur ce monde.

 

Il apparait donc que la conceptualisation de la notion de socialisation varie substantiellement selon l’angle d’approche, la discipline et le contexte d’analyse, mais probablement aussi en suivant l’évolution des connaissances, notamment en ce qui concerne plus particulièrement le domaine de la prime enfance.

 

1.1.1.1.5.  Dynamique des connaissances sur la prime enfance

 

Neyrand (2012) en fait un état des lieux concis, en s’intéressant tout particulièrement aux deux évolutions de la période de l’après-guerre (années 1950) : d’un côté, il y a la diffusion des connaissances cliniques du domaine psychanalytique sur les très jeunes enfants et, de l’autre côté, le développement spectaculaire des moyens de communication de masse. Le contexte de l’époque, à la sortie de la seconde guerre mondiale, est fortement caractérisé par la multiplication des cas de bébés placés en institutions, ce qui a suscité significativement des intérêts sur les savoirs relatifs au relationnel précoce au niveau du développement affectif, c’est-à-dire à propos de l’implication éventuelle de tel placement sur la socialisation de ces jeunes individus, pour ne citer que deux exemples :

 

  • L’hospitalisme de Spitz(1947) : sur un échantillon de 123 nourrissons de 12 à 18 mois étudiées, issus de mères célibataires emprisonnées, ceux-ci souffraient de dépression anaclitique (carence affective partielle) durant la deuxième semestre de leur vie ; la séparation prolongée aggrave la situation vers ce qu’appelle Spitz (1947) « hospitalisme », un état de marasme psychique et physique (carence affective totale) ; plus d’un-tiers de ces enfants décèdent par la suite, ce qui a entrainé un vent de changement et d’amélioration dans les institutions d’accueil et les orphelinats ; les études sur l’hospitalisme a révélé que, plus chaleureuse et aimante a été la relation liant l’enfant à sa mère, plus dramatique est ensuite la rupture de cette relation pour l’enfant ;

 

  • L’attachement de Bowlby(1969) : il s’agit d’un produit des comportements de l’enfant qui cherche et veut maintenir la proximité d’une personne spécifique ; le psychanalyste se détache ainsi de l’idée freudienne que les besoins primaires n’intègrent pas l’attachement de l’enfant : Bowlby (1969) associe la fonction de l’attachement à une fonction adaptative de protection et d’exploration, la mère constituant pour l’enfant une base de sécurité ; Le terme « monotropisme » évoque dès lors la relation unique, franche et sélective de l’enfant à une seule personne, la mère en général ; ce principe sera ensuite contesté (la première publication de Bowlby sur ce sujet datant de 1958) par les travaux de Schaffer et Emerson (1964) en s’appuyant sur un échantillon de 60 bébés de quelques semaines à 18 mois : bien que la plupart de ces enfants nouaient une relation privilégiée, l’attachement s’élargissait par la suite des interactions avec d’autres personnes proches (la mère restant la plus importante figure d’attachement) ;

 

Mais, Neyrand (2012) déplore également un manque d’harmonie des « interprétations savantes sur l’enfance ». L’auteur déplore, par exemple, la dualité persistante entre, d’une part, les tendances d’explication sociologique « du fait de leur prétention à renvoyer les comportements aux rapports sociaux qui les fondent » et, d’autre part, les préférences pour les interprétations basées sur « une approche bio-comportementale du psychisme enfantin que les immenses progrès des sciences rendant compte de l’aspect biologique du psychisme (génétique, neurologie, …) ont revivifiée » (Neyrand, 2012). Il en résulte une sorte de cloisonnement des recherches entre ces deux grandes disciplines (sociologie et psychologie) pour ce qui concerne les approches privilégiées pour étudier la socialisation de la petite enfance, favorisant ainsi la disparité conceptuelle sur ce sujet et, par conséquent, propulsant au premier plan les analyses profanes en la matière qui risquent de supplanter la littérature scientifique dans les grandes décisions (par exemple : les parents et même les professionnels trouveront des conseils « intéressants » dans des sites se proclamant spécialisés à l’enfance, même si les affirmations mises en exergue dans ces recommandations ne trouvent aucun fondement scientifique).

 

Il faut reconnaitre également que le contexte d’étude (sur la petite enfance) a considérablement changé, notamment si l’on fait une rapide comparaison des états des lieux de l’après-guerre et de ceux du XXIème siècle. En effet, au niveau de la famille (si l’on se réfère au cadre européen occidental), l’investissement parental pour l’enfant devient de plus en plus exacerbé, par exemple sur le plan affectif, parallèlement à la perte progressive d’intérêt pour l’idéal conjugal : remise en cause de l’éducation autoritaire, besoin de proximité affective à l’enfant, désir des parents (aussi bien pour la mère que pour le père) de nouer une relation privilégiée avec leur progéniture, forte progression du taux de divorce et intérêt croissant pour l’union libre, banalisation de l’homoparentalité, etc. Tout cela est conjugué avec un profond changement de statut de la femme, à l’instar du profond investissement professionnel de celui-ci. En quelques mots, l’environnement de référence pour la conceptualisation de la socialisation ne cesse de subir d’importantes transformations (Neyrand, 2012).

 

Il n’est pas alors étonnant que la notion de socialisation fait face à une multitude de définitions difficilement conciliables entre elles. Néanmoins, de nombreuses auteurs (à citer par exemple Castra, 2010 ; Hirn, 2017; DGESCO, 2011 ; Dubar, 2006 ; Golse, 2012 ; Qribi, 2010 ; Trémoulinas, 2008) contemporains semblent être d’accord sur les éléments suivants :

 

  • Il s’agit d’abord d’un processus dont le début se situe dans la prime enfance (y compris ce qu’il faudrait nommer la période de la « petite enfance » – cf. 1.3.1. La notion de « petite enfance » : pertinence et enjeux) ;

 

  • Ce processus est « continu » : un individu est soumis à la socialisation tout au long de sa vie ;

 

  • Les résultats attendus de la socialisation consistent en l’appropriation du sujet des normes, valeurs et rôles régissant le fonctionnement de la société ;

 

  • La socialisation est l’œuvre conjointe de deux types d’acteur : d’un côté, les « socialisateurs », c’est-à-dire les acteurs en charge (consciemment ou non) d’accompagner le sujet dans le processus) et, de l’autre côté, le « socialisé » (le sujet de la socialisation).

 

Cette évolution de la conceptualisation de la socialisation semble essentiellement converger vers un champ qui correspondrait mieux aux nouveaux savoirs (scientifiques ou non) et aux attentes et comportements des divers acteurs (les familles, notamment) impliqués dans ce processus socialisateur : le champ de la socialisation différenciée.

 

1.1.1.2.   Socialisation « différenciée »

 

L’intérêt de parler de différenciation réside dans les diverses formes du monde social qui se chargent de l’organisation des interactions socialisatrices : ce sont les instances de socialisation. Généralement, trois de ces instances semblent disposer des poids significativement plus imposants pour se distinguer (DGESCO, 2011).

 

D’abord, il y a la « famille » dont l’influence sur la socialisation est immédiatement perceptible : faut-il toujours insister sur le fait que la proximité incomparable des membres de la famille entre eux fait en sorte que les rôles de chacun d’eux dans ce processus socialisateur est nécessairement spécifique. Autrement dit, l’on a tendance à souligner la différence manifeste entre la socialisation qui se réalise à travers la famille et celle via d’autres instances sociales. Aussi, il faudrait supposer qu’une famille peut être sensiblement différente d’une autre, ne serait-ce que par leur composition (l’influence sur la socialisation serait-elle la même pour une famille biparentale et pour une famille monoparentale ou une famille homoparentale ?), les situations socioprofessionnelles des parents, les parcours de vie contrastés des divers membres de chaque famille, etc. Peut-on alors parler de « personnalisation » (par opposition à « standardisation ») de la socialisation ? (DGESCO, 2011).

 

Ensuite, il y a les différents établissements collectifs qui s’occupent plus particulièrement des jeunes enfants, chacun de ces établissements ayant parfois des objectifs spécifiques faisant en sorte qu’il mette l’accent sur des éléments qui le différencie fortement d’un autre en matière de socialisation. Par exemple, l’école qui est l’un des plus institutionnalisés de ces établissements insiste sur une socialisation pouvant être qualifiée comme « objective » car s’appuyant essentiellement sur des normes et valeurs quasi-universelles (DGESCO, 2011).

 

Il y a également le groupe de pairs qui agit comme de véritable société disposant ses propres normes et valeurs, les membres du groupe jouant des rôles spécifiques rendant celui-ci unique par rapport aux autres groupes et aux autres types d’instance de socialisation. Par exemple : même si la comparaison de l’influence des parents avec celle des amis sur la socialisation s’annonce très complexe car appelant à des grilles de lecture différentes, il est difficilement concevable de conclure en une équivalence de ces deux influences, surtout lorsqu’il s’agit de considérer le cas de la socialisation des très jeunes enfants. Enfin, il y a aussi les médias dont l’influence dépend fortement du groupe social auquel appartient l’individu « à socialiser » (ou « socialisé » tout simplement) (DGESCO, 2011).

 

« Ces différentes instances évoluent historiquement (l’importance de la famille varie selon les époques, les modalités de scolarisation sont différentes selon les sociétés, les industries culturelles évoluent dans leur mode de diffusion…) et elles peuvent plus ou moins se coordonner. La sociologie a particulièrement étudié les relations entre famille et école, dont les actions peuvent se compléter, mais aussi entrer en conflit en cas de désajustement entre culture familiale et culture scolaire » (DGESCO, 2011, p. 2).

 

Parmi les grands travaux mettant au premier plan la différenciation nécessaire qu’il faut reconnaitre lorsqu’il faut parler de socialisation, il convient de parler brièvement de l’ouvrage Filles-garçons : socialisation différenciée ? dont l’élaboration a été sous la direction de Dafflon Novelle (2006). Cet ouvrage présente ainsi la multiplicité des canaux de socialisation avec leur évolution historique, en se focalisant sur la différenciation processuelle de l’intégration des valeurs et normes sociales selon que le sujet soit féminin ou masculin (en citant par exemple les enjeux des stéréotypes sexués transmis de diverses façons aux jeunes enfants par les adultes). Il faut aussi dire que les travaux de recherche sur les différences « genrées » dans la socialisation de l’enfant sont assez abondants, surtout dans les années 1970-1980. Parmi les résultats de ces études, l’on peut par exemple citer la capacité qu’ont les enfants de moins d’un an à discriminer les femmes et les hommes par simple perception (Quinn, Yahr, & al., 2002; Martin, Ruble, & Szkrybalo, 2002), leur compréhension des catégories sexuelles à partir de l’âge de 18 à 24 mois (Halim & Ruble, 2010), le caractère encore rudimentaire de la compréhension des enfants de 27 à 30 mois à propos de l’identité de genre à travers l’étiquetage verbal de leur propre genre (fille ou garçon) (Caygill, 2002), la croyance des enfants de 1 à 3 ans que le genre fluctue (Kohlberg, 1996), etc.

 

A côté du genre, le milieu social est aussi un exemple de facteur de différenciation du processus de socialisation. Ainsi, l’hétérogénéité des milieux sociaux brouillent souvent les références et les attitudes, ce qui implique l’apparition d’une personnalité aux pratiques éclectiques (Lahire, 2004).

 

En somme, la socialisation peut être définie comme « un processus par lequel l’enfant intériorise les divers éléments de sa culture comme les valeurs, les normes, les codes symboliques et les règles de conduite dans le but de s’intégrer dans la vie sociale » (Hirn, 2017, p. 20). Dans cette définition, désormais acceptée par l’ensemble des professionnels de la petite enfance, Hirn (2017) met l’accent sur l’importance de ce processus pour les sujets de la socialisation en bas-âges. Cela avance au premier plan la conceptualisation de Berger et Luckmann (2006) sur la distinction entre socialisation primaire et socialisation secondaire, la première est notamment associée à l’enfance tandis que la seconde insiste sur la continuité et la pérennité de la socialisation tout au long de la vie d’un individu.

 

1.1.2. La socialisation primaire

 

Avant de se pencher davantage sur la notion de socialisation primaire, il apparait important de souligner la nécessaire complémentarité des deux disciplines pour avoir une meilleure appréhension de cette notion : la sociologie d’une part, et la psychologie d’autre part. Désormais, comme déjà mentionné plus haut, Neyrand (2012) déplore le manque de cohérence entre les interprétations savantes réalisées dans le domaine de la petite enfance : « S’il n’y a plus harmonie des interprétations savantes sur l’enfance, comment s’étonner que les parents se trouvent désorientés, eux pour lesquels l’enfant est de plus en plus souvent le premier et qui sont à la fois plus âgés et plus isolés qu’autrefois quand celui-ci arrive […] Prise dans toutes ces influences, l’image du petit enfant ne peut qu’être éclatée, contradictoire, incertaine. .. oscillant entre l’enfant innocent, toujours susceptible d’être en danger, et l’enfant incontrôlé, et donc dangereux, en passant par l’enfant sujet et acteur […] » (Neyrand, 2012). Selon cet auteur, l’essentiel du problème ne vient pas des recherches réalisées dans les perspectives des deux disciplines mais nécessairement dans le cloisonnement érigé entre ces dernières, faisant en sorte que chacune se veut être indépendante et suffisante sans recourir à l’utilisation des outils de l’autre.

 

En fait, un état des lieux fait à la fin du XXème siècle révèle que la psychologie s’est relativement fort intéressé aux enfants depuis longtemps par rapport à la sociologie. A citer, par exemple, au début du XXème siècle, l’intérêt accordé par l’école (primaire notamment) à l’aide offerte par la psychologie de l’intelligence afin d’élaborer des tests pour la légitimation du classement et de l’orientation des enfants. Pourtant, « chaque courant psychologique propose des modèles de développement de l’enfant qui éliminent les composantes sociales, la sociologie étudie par champs distincts les institutions de l’enfance et non les enfants eux-mêmes. L’enfant n’est pas considéré comme un acteur pouvant intervenir dans la production et la reproduction du social » (Mollo-Bouvier, 1998, p. 73). L’étude sociologique du domaine de l’enfance faisait alors face à une situation paradoxale où la sociologie confie à la psychologie l’explication du statut social de l’enfant, et par l’occasion, de la socialisation de l’enfant. Or, la psychologie, en privilégiant les travaux en laboratoire, se désintéresse souvent du cadre sociologique constituant la socialisation des enfants. « La sociologie a donc plus que jamais une place à prendre dans la connaissance scientifique de l’enfance » (Ibid.).

 

Désormais, les premières distinctions effectuées entre socialisation primaire et socialisation secondaire prennent racine dans les travaux des deux sociologues, Peter L. Berger et Thomas Luckmann à travers leur ouvrage pris comme un grand classique des Sciences Humaines The Social Construction of Reality. A treatise in the sociology of knowledge. Dans cet écrit, plus simplement, les deux auteurs désignent par socialisation primaire l’étape du processus conduisant à la socialisation de l’enfant, tandis que la socialisation secondaire est l’étape suivante permettant l’incorporation d’un individu « déjà socialisé » au niveau des secteurs du monde objectif de sa propre société (Berger & Luckmann, 2006).

 

Dans cette distinction de la socialisation en deux étapes, Berger et Luckmann (2006) empruntent l’idée de Mead (2006) qui fait la différence entre autrui significatif et autrui généralisé pour mettre l’accent sur les spécificités de ces étapes. Ainsi, la socialisation primaire se déroule auprès d’autruis significatifs de l’enfant sujet en apprentissage des normes sociales, et plus particulièrement dans le cadre familial avec les parents, grands-parents, les fratries, etc. Pour ce qui concerne la socialisation secondaire, il y a changement de référent de l’intégration des normes : l’enfant tend à accepter des autruis généralisés comme faisant partie de la référence normative.

 

Berger et Luckmann (2006) illustre ce passage par l’exemple de la « soupe renversée ». D’abord, dans la socialisation primaire, l’enfant apprend à comprendre que « maman » se montre fâcheuse lorsqu’il renverse la soupe, surtout lorsque la circonstance se reproduit à l’identique et devient donc systématique : « maman est fâchée à toutes les fois que je renverse la soupe ». Puis, progressivement, le référent ne se cantonne plus à la seule personne de « maman » mais tend vers d’autres autruis significatifs : « papa, maman, grand frère sont tous fâchés contre moi lorsque je renverse la soupe ». C’est ensuite que l’autrui généralisé prend petit à petit la place de référent, et la norme alors décontextualisée devient règle de vie dès que l’enfant comprend : « je ne dois pas renverser la soupe, sinon, tout le monde sera fâché contre moi ».

 

Il faut dire que, selon ces deux sociologues, les autruis significatifs opèrent des choix unilatéralement lors de la socialisation primaire, face à plusieurs visions du monde. Ainsi, l’enfant ne voit pas le monde de ces autruis significatifs tel une option parmi d’autres, mais le conçoit plutôt comme l’unique monde : le monde « tout court ». Darmon (2006) ajoute que la socialisation primaire renvoie à une certaine légitimité charismatique et traditionnelle, une sorte de dogme et de vérité absolue émanant des autruis significatifs ; alors que la socialisation secondaire correspond surtout à une légitimité rationnelle et légale (voire universelle et objective). Cela montre combien la socialisation primaire est puissante et solidement ancrée. Par extension, cette dernière porte sur des règles, normes et valeurs générales, alors que la socialisation secondaire concerne des insertions plutôt ponctuelles, produisant des interdictions locales (Berger & Luckmann, 2006).

 

Néanmoins, cette distinction-exclusion faite entre socialisation primaire et socialisation secondaire est fortement critiquée, surtout avec la mutation contextuelle de l’éducation de l’enfant : celui-ci est désormais soumis à la socialisation à l’extérieur du foyer familial, déjà très jeune avec les diverses institutions (crèche, scolarité précoce, centre d’accueil, etc.). Il faut donc reconnaitre que la frontière entre les deux processus n’est nullement étanche. L’on émet ainsi l’idée que c’est essentiellement la grande diversité et variation des autruis significatifs qui vient caractériser la socialisation secondaire (Darmon, 2006). C’est pour cela que le concept de « socialisation transitionnelle » a été proposé en alternative afin de tenir compte de la zone interstitielle séparant les deux étapes de socialisation. Est alors avancé que cette étape transitoire se situe à la fin de la jeunesse : fin de la scolarité, autonomisation par rapport aux parents, insertion professionnelle (autour de 18-25 ans) (Chauvel, 2006). En tout cas, il est presque admis à l’unanimité que la période de la prime enfance est encore pleinement associée à la socialisation primaire.

 

Par ailleurs, la socialisation est comprise comme un double processus, et cela est d’autant plus manifeste dans la socialisation primaire (Montandon, 1992) :

 

  • D’un côté, il y a l’action des « socialisateurs », les agents de socialisation extérieur au sujet qui sont surtout les autruis significatifs pour les jeunes enfants : cela consiste à l’inculcation au sujet des exigences de la société ;

 

  • De l’autre côté, il y a l’action du socialisé, le sujet qui est le jeune enfant pour la socialisation primaire : celui-ci prendrait alors part activement à sa propre socialisation.

 

« Si les agents de la socialisation comptent sur la faculté de l’enfant d’intérioriser et d’adopter ce qui lui est proposé ou imposé, celui-ci reste néanmoins sujet actif de cette socialisation, pas uniquement objet » (Montandon & Osiek, 1997, p. 43). Ce double processus souligne deux champs de travail qui s’ouvrent au sociologue qui s’intéresse à ce phénomène de socialisation. D’une part, il y a lieu de se focaliser sur les socialisateurs avec les divers dispositifs déployé dans un système social afin de socialiser les jeunes enfants : qui sont ces socialisateurs ? Quels en sont les objectifs à atteindre ? Quelles actions en sont considérées comme des « dérapages » ? Comment gérer les éventuels conflits ? D’autre part, le sociologue peut aussi se concentrer sur l’action du socialisé, sa trajectoire, ses opinions vis-à-vis des actions entreprises par les socialisateurs, son vécu, les stratégies qu’il adopte (Montandon, 1992).

 

Si ce deuxième champ apparaisse quelque peu complexe lorsqu’il est question de sujet très jeune, le premier champ ne semble pas présenter de très sérieux problème de faisabilité, en particulier quand il s’agit d’étudier les croyances des professionnels qui prennent en charge les jeunes individus dans les crèches. Dans ce cas d’étude, il serait particulièrement intéressant de considérer les trois dimensions permettant de discerner les actions de ces socialisateurs (les professionnels) (Montandon & Osiek, 1996) :

 

  • Quelles sont les « valeurs » qui les guident dans de telle entreprise et quelles en sont les finalités qu’ils visent à travers le processus de transmission ?

 

  • Quels sont les « moyens » qu’ils utilisent, dont leurs pratiques et leurs stratégies éducatives ?

 

  • Comment se fait la « répartition des tâches » entre les différents socialisateurs en présence, notamment entre les professionnels et les parents ?

 

Pour conclure sur les points de vue sociologique à propos de la socialisation primaire, il faut dire que celle-ci commence très tôt dans la vie d’un individu, à l’instar de la socialisation des émotions : « Comme l’enfant est soumis à la plupart de ces mécanismes dès sa naissance, le processus de socialisation des émotions s’amorce très tôt » (Léveillé & Cossette, 2001, p. 233). Cette dernière consiste en « la socialisation […] à travers laquelle les individus apprennent à ressentir, exprimer et reconnaitre les différentes émotions identifiées dans leur environnement » (Montandon, 1992, p. 110). Cette socialisation des émotions concerne deux grandes catégories de mécanismes : d’une part, les mécanismes directs qui concernent les réactions d’autrui (significatif, essentiellement) aux états affectifs et aux expressions affectives du jeune enfant et, d’autre part, les mécanismes indirects incluent l’observation de la part de l’enfant des expressions émotives d’autrui (Lewis & Saarni, 1982). En fait, les émotions tiennent une place très importante dans la socialisation puisqu’elles offrent à l’individu la découverte de soi tout en lui permettant d’entrer en relation avec autrui : « L’enfant se découvre en vivant des émotions ; il devient une personne morale et contribue à sa propre socialisation » (Montandon & Osiek, 1996, p. 267).

 

Mais, la mise en tension de la socialisation primaire et la socialisation secondaire suivant la conception de Berger et Luckmann (2006) intéresse également la psychologie, notamment dans le sens où de telle conceptualisation introduit la dimension sociale et culturelle « comme une matrice dans laquelle se construit l’organisation psychologique » (p. 15). Désormais, Qribi (2010) rassemble les points de vue définitionnels sur cette distinction primaire-secondaire des deux disciplines (sociologie-psychologie) en expliquant que « si la socialisation primaire consiste en l’appréhension du monde social, en tant que réalité signifiante, la socialisation secondaire permet à l’individu, déjà socialisé, d’absorber de nouvelles réalités liées à son investissement dans de nouveaux secteurs de la vie sociale » (p. 135). Le psychologue appuie surtout l’idée que la quasi-automaticité des identifications aux autruis significatifs est une caractéristique de la socialisation primaire. Mais, en plus, il souligne deux conséquences apparemment importantes de cette double aspect de la socialisation (Qribi, 2010) :

 

  • D’une part, il faut reconnaitre la relative autonomie du sujet de la socialisation vis-à-vis des contraintes sociales ainsi que par rapport à la dynamique d’équilibre existant entre celui-ci et la société. C’est donc le degré de cette autonomie qui diffère entre socialisation primaire et socialisation secondaire : en d’autres mots, cela implique que même les très jeunes enfants ont une certaine marge d’autonomie dans leur propre socialisation, et sont donc déjà acteurs de ce processus, bien que cela soit encore très limité ;

 

  • D’autre part, la socialisation est un processus permanent, relativisant alors le poids attribué à la prime enfance sur ce domaine ; cela remet, par exemple, en cause la conception linéaire et naturaliste du développement psychologique qui considère les comportements des très jeunes enfants comme prédictifs plus ou moins parfaits de leurs agissements futurs (à l’âge adulte)(Giampino, 2012) ; il faut toujours s’attendre à tout moment à un réaménagement identitaire de l’individu tout au long de sa vie (Berger & Luckmann, 2006).

 

Il s’agit ici, encore une fois, de s’interroger sur l’exclusion des deux étapes de la socialisation. Plus précisément, faut-il insister sur l’idée que les très jeunes individus sont soumis uniquement à la socialisation primaire ? Berger et Luckmann (2006) eux-mêmes soulèvent, la possibilité d’une certaine compétition entre les définitions de la réalité se présentant à un jeune enfant qui serait alors amené à faire un choix entre celles-ci. Ainsi, les auteurs désignent l’exemple illustratif d’une identification subjective qui ne correspond pas aux normes objectives, à l’instar du garçon efféminé (la notion « d’auto-socialisation », faisant intervenir la socialisation « genrée » au cours de la « petite enfance », va dans le même sens (Halim & Lindner, 2013)) ; de même, un enfant peut être élevé à la fois par deux catégories très distinctes d’autrui significatif (les parents d’un côté, et une nurse issue d’une minorité sociale de l’autre côté, par exemple).

 

Cela questionne alors, entre autres, la substance et la pertinence des centres d’accueil des enfants de bas-âges, souvent légitimés par les conditions de socialisation (primaire) qu’ils offrent. En effet, une des raisons motivant les parents à intégrer leurs enfants dans les institutions d’accueil, même encore très jeunes, concerne la sociabilité de ces derniers (Hirn, 2017). Cela semble répondre aux besoins des individus qui, selon Maslow (1954) et Rogoff (1990), éprouve un besoin d’appartenir à un groupe dès leur naissance pour se sentir valorisés et pour recevoir leurs contributions. Néanmoins, Mauvais (2003) doute que la collectivité soit réellement un besoin pour ces jeunes sujets (il s’agirait plutôt d’un besoin émanant des parents eux-mêmes) pour qu’elle puisse répondre à ce besoin de socialisation de l’enfant.

 

Désormais, de temps en temps, une confusion est faite entre processus psychiques en œuvre dans la socialisation et vie en collectivité. « Cette confusion mérite d’être soulignée, car elle alimente préjugés et culpabilisation des parents à l’idée de ne pas offrir à leur enfant, peu ou prou, cette expérience précoce de la collectivité, regardée comme une préparation incontournable à l’école maternelle » (Mauvais, 2003, p. 279). Il faut dire que cette socialisation, essentiellement primaire au stade de l’enfance, s’enracine véritablement dans les relations avec les parents qui constituent légitimement les autres significatifs pour l’enfant. Il y a lieu alors de se demander sur l’utilité et la place de ces institutions d’accueil dans la socialisation des jeunes individus (cf. 1.1.4.2. La collectivité en lieu d’accueil : enjeux pour la socialisation de la petite enfance). En tout cas, il s’avère que les premiers liens et l’environnement familial sont d’une importance décisive et fondatrice sur la construction de la sociabilité des jeunes individus. Ainsi, l’expérience de « situation étrange », menée par la psychologue Mary Ainsworth sur des enfants de 12 à 18 mois[2], a révélé que seuls ceux qui ont construit un attachement « sécure » présente une capacité d’ouverture sociale : c’est l’enfant qui a développé une certaine confiance à la disponibilité et la présence de sa mère (à condition que cette dernière s’est préalablement montrée reconnaissante envers les expressions de besoins de l’enfant en lui accordant le réconfort et les soins nécessaires jusqu’à obtenir sa confiance) qui est en mesure de transmettre et d’utiliser comme point d’appui à une autre personne la relation positive d’attachement ainsi établie avec la mère (Ainsworth, 1983; Mauvais, 2003; Tereno, Soares, & al., 2007). Plus en détail, ces conditions environnementales incluent : « climat émotionnel suffisamment paisible et stable des relations avec les proches, qualité et continuité de la « bulle » et des enveloppes sensorielles, régularités structurantes et prévisibilité des événements quotidiens » (Mauvais, 2003, p. 280).

 

Tout cela contribue à dire que la socialisation du bébé ne va pas de soi, que ce soit en milieu familial (auprès des autruis significatifs) ou dans d’autres milieux plus étrangers mais en présence des pairs (d’autres bébés). Le Professeur Bernard Golse, psychanalyste et enseignant en psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, insiste sur une préalable à la socialisation : « c’est l’instauration d’un écart intersubjectif qui confèrera peu à peu à l’enfant le sentiment d’être un individu à part entière, non inclus dans l’autre, non fusionné à lui, préalable évidemment indispensable à la possibilité de pouvoir penser à l’autre et de pouvoir s’adresser à lui, et ceci quels que soient les modèles théoriques que l’on se donne de cet accès à l’intersubjectivité (modèles de l’intersubjectivité primaire ou secondaire) » (Golse, 2012, p. 65). En parallèle à l’établissement de cet écart intersubjectif, des liens préverbaux se tissent entre l’enfant et ce qui l’entoure, tels que les liens d’attachement (Bowlby, 1969), l’accordage affectif (Stern, 1989), l’imitation, l’empathie, les identifications projectives normales (Bion, 1982). Ces divers liens permettent au jeune enfant de se distancier de l’autre sans perdre la relation avec celui-ci : l’on parle alors du sentiment « d’être-ensemble » (le « weness ») traduisant le vécu de l’enfant au niveau de la dyade (mère-bébé) : « ne plus être tout à fait un, mais pas encore tout à fait deux, avec, des lors, le sentiment confus de l’existence d’un autre » (Golse, 2012, p. 66).

 

En fait, il existe un désaccord entre, d’un côté, des psychanalystes (essentiellement européens) qui défendent l’idée d’une instauration progressive et lente de l’intersubjectivité (de l’enfant) et, de l’autre côté, des auteurs anglo-saxons qui avancent l’existence d’une intersubjectivité primaire génétiquement programmée. En effet, si les premiers insistent sur la dynamique graduelle de l’extra et l’intrapsychique, raison de la lenteur du processus, les seconds entendent que les nouveau-nés sont immédiatement capable de ressentir, de percevoir, de représenter et de mémoriser tel l’acteur de ses propres actions (Stern, 1989; Trevarthen & Aitken, 2003). Golse (2010), pour sa part, soutient une troisième voie qui consiste à « penser que l’accès à l’intersubjectivité ne se joue pas en tout-ou-rien, mais qu’il se joue au contraire de manière dynamique entre des moments d’intersubjectivité primaire effectivement possibles d’emblée, mais relativement fugitifs, et de probables moments d’indifférenciation, tout le problème du bébé et de ses interactions avec son entourage étant, précisément, de stabiliser progressivement ces tout premiers moments d’intersubjectivité en leur faisant prendre le pas, de manière plus durable et plus continue, sur les temps d’indifférenciation primitive » (p. 25). En tout cas, il est clair que l’intersubjectivité, la capacité d’accepter l’existence de l’autre, est une condition sine qua non de la socialisation du très jeune enfant (Tustin, 1982).

 

En somme, il faut reconnaitre que les très jeunes enfants entre très tôt dans le processus de socialisation primaire et que la présence et les actions des acteurs en présence (autrui significatif et/ou généralisé) ne sont pas insignifiant dans ce processus. Néanmoins, les personnes les plus proches apportent toujours les influences les plus importantes dans ce domaine à un très jeune enfant. Cela pose le questionnement de savoir ce qu’il faut entendre par « petite enfance » et la place et l’intensité de la socialisation (primaire) durant cette période.

 

1.1.3. Le processus de socialisation de la petite enfance

 

D’abord, il importe de se pencher sur la notion de petite enfance, surtout au niveau institutionnel pour, ensuite relever les principales phases du processus de socialisation des très jeunes enfants.

 

1.1.3.1.   La notion de « petite enfance » : pertinence et enjeux

 

Les travaux de Mollo-Bouvier (1998) peuvent servir de référence quant à la pertinence et les enjeux de la délimitation de cette notion si banalisée dans le discours courant, qu’est celle de la « petite enfance ». D’abord, il emprunte le concept de « rites de passage » (entre deux étapes, deux lieux, et/ou deux activités), qui sont des « actes d’institutions » au sens de Bourdieu (1982), pour expliquer la légitimité du découpage du temps de l’enfance, concept visant à « faire méconnaître en tant qu’arbitraire et faire reconnaître en tant que légitime, naturelle, une limite arbitraire » (p. 74). L’auteur associe désormais la socialisation (même en partie) à un parcours ritualisé faisant l’objet de segmentation et de séparation logique. Il en résulte que c’est la présence de rite d’institution qui produit le discontinu dans le temps, créant des différences entre l’antérieur et le postérieur, de sorte à tenter d’instaurer une certaine caractéristique commune aux membres d’un groupe ainsi séquencé, distinguant alors ce dernier d’un autre groupe. Cette séparation-regroupement nourrit le sentiment d’appartenance à un groupe. Dès lors, l’auteur définit la socialisation de l’enfant comme « un processus continu d’ajustements constants du sujet à ses différents milieux de vie, créant de multiples discontinuités, spatiales, institutionnelles et temporelles, marquées par des rites de passage » (p. 75).

 

C’est surtout la psychologie du développement qui a fortement contribué à établir l’idée d’une corrélation entre les différentes phases du développement et la façon dont sont découpés les âges de la vie, surtout concernant l’enfance (Piaget & Inhelder, 1966). Cette mise en adéquation a favorisé la perception de l’importance de la fragmentation, de la segmentation des âges de l’enfance dans le domaine public, au niveau institutionnel, se manifestant dans la structuration des entités d’accueil des enfants. Il faut tout de même reconnaitre que ce découpage ne se fait pas sans faire appel à une certaine dose d’arbitraire, étant donné que l’âge ne constitue pas « naturellement » des catégories stables, loin d’être expliqué solidement par des critères psychophysiologiques (Plaisance, 1994) : il faut admettre la grande imprécision dans la segmentation des âges de l’enfance (à l’instar de la délimitation de la catégorie des « jeunes »). Il est alors préférable de renoncer à l’obsession de pouvoir circonscrire avec précision ce qui est désigné par les termes « petite enfance » : tout au plus, il y a lieu de proposer des tranches d’âge à titre d’approximation (Mollo-Bouvier, 1998).

 

Dorénavant, les délimitations prises en compte sont généralement celles mises en avant sur le plan institutionnel. C’est, par exemple, sur l’indication offerte par l’entrée à l’école qu’est parfois définie la césure entre la petite enfance et l’enfance : la première étant associée au temps de la crèche tandis que la seconde débuterait au temps de l’école maternelle. Mais, là encore, l’instabilité et l’ambiguïté est toujours persistante car, bien que considérée comme marquant la transition entre ces deux temps, la notion de « précocité » (entre autres) vient l’ordre antérieurement préétabli. Il faut alors dire que la dénomination « petite enfance » est « l’aboutissement de processus sociaux » qui a commencé dès la fixation de l’âge légal de la scolarité obligatoire au XIXème siècle. Depuis, les diverses institutions mises en place (crèche, école maternelle, institution de loisir, etc.) ont façonné le cloisonnement entre les diverses subdivisions de l’enfance, et la spécialisation des professionnels au niveau de celles-ci ne peut que les consolider davantage (Mollo-Bouvier, 1998).

 

Entretemps, le découpage temporel ainsi établi ne reste pas moins influençant significativement sur les sujets de cette délimitation institutionnelle : « Le critère d’âge est déterminant pour l’organisation de la vie de l’enfant, sa place et son changement de place dans le réseau des institutions » (p. 81). De plus, de tel découpage « décide du sens et du rythme du parcours institutionnel qui est la face visible du processus de socialisation » (p. 82). Or, il s’avère que le bornage des limites ainsi instaurées n’est nullement fixe sous l’influence de nombreux facteurs, à l’exemple des demandes (exigence éducative précoce, adéquation avec les pratiques familiales changeantes, l’importance accrue de la place de l’enfant aux yeux des parents, etc.) venant de divers groupes de pression (les parents, les professionnels du secteur de l’enfance, les financeurs, les élus, etc.), des contraintes économiques et professionnelles (investissement professionnel des femmes promouvant le placement d’enfant de plus en plus jeune, en l’occurrence), etc.

 

En somme, ce qu’il convient de retenir, c’est la forte relativité de la délimitation de la petite enfance et le rôle central des institutions dans cette délimitation. Sans donner de précision sur cette dernière, l’on peut retenir à titre indicatif selon Ratia-Armengol (2013) que cette période commence « au biberon » et se termine lorsque le relais est passé au dimension scolaire (vers 3 ans environ). En effet, l’important c’est que cette période est relative à celle qui est prise en charge par les structures d’accueil extrafamiliales.

 

1.1.3.2.   Les principales étapes de la socialisation de la petite enfance

 

Les indications de la psychologie du développement prennent ici toute leur importance pour essayer d’appréhender les différentes caractéristiques de cette période qu’est la petite enfance. Ainsi, le psychologue Mauvais (2003) donne un aperçu de certains stades du développement social de l’enfant :

 

  • La socialisation a ses places, même juste après la naissance: « Entre le bébé et son entourage, c’est (depuis la naissance) tout un jeu d’influences mutuelles agissant en spirale et aboutissant à la construction de « patterns d’interaction » et d’un « modèle opératoire interne » qui va organiser le rapport à autrui » (p. 280).

 

  • De deux à cinq mois: consolidation des « premières acquisitions affectives et relationnelles » (Ibid.). C’est à ce stade que l’identité du bébé repose presque entièrement sur la qualité de ses relations (dyadiques ou triadiques) avec ses parents. Salem (2007) souligne aussi que c’est environ à son deuxième mois que le bébé émet son premier sourire social marquant entre autres l’entame de sa vie relationnelle, une affirmation de sa « présence au monde avec autrui » (Rochat, 2002, p. 106). Aussi, Stern (1989) parle qu’à ce stade, le bébé débute ses premières imitation des gestes de l’adulte et, en contrepartie, ce dernier s’implique dans des conversations émotionnelles en essayant également d’imiter le bébé comme à travers d’un processus de miroir affectif.

 

  • Aux environs de quatre-cinq mois: prémices de la séparation-individuation, d’où émerge progressivement le « sens de soi » (Mahler, 1980; Stern, 1989). Le bébé va de plus en plus s’intéresser au monde extérieur et attribuer des préférences pour tel ou tel objet (physique ou non) par rapport à d’autres, distincts de lui-même (Salem, 2007). « C’est ce qu’atteste de façon caractéristique l’angoisse de l’étranger, dite « du huitième mois », dont les signes précurseurs (différenciation des visages, premières manifestations d’inquiétude devant une personne inconnue) apparaissent en réalité souvent beaucoup plus tôt. Le bébé a construit des représentations mentales préverbales beaucoup plus précises de ses proches et de ses liens avec eux » (Mauvais, 2003, p. 281). C’est aussi l’occasion du développement de la socialisation des émotions du bébé qui dispose désormais d’une large palette pour exprimer ses affects, son langage émotionnel étant proche de celui de l’adulte, bien qu’il n’a pas encore toutes les facultés motrices pour rétablir la proximité avec autrui.

 

  • « Dans les mois suivants» (l’auteur n’en apporte pas de précision, en citant Houzel, 2002) : progression vers la « séparabilité » et « vers une plus grande sociabilité » (Mauvais, 2003, p. 281). Cette progression se base nécessairement sur la qualité du lien entre le bébé et ses autruis significatifs (dont les parents), de l’empathie que ceux-ci lui témoigne, ainsi que leur capacité à vivre les expressions d’individuation de l’enfant telle une source de joie et non pas de frustration. En effet, la profondeur de l’harmonisation réciproque conditionne l’expérimentation par l’enfant d’une relation de partage émotionnel et du niveau de sécurité qu’il sent dans son environnement avec eux. Cela devrait permettre à l’enfant de renforcer sa capacité à être seul, mais c’est aussi l’occasion de développer chez lui le respect, l’empathie et la sollicitude pour autrui (Ibid.).

 

Si tel est le contexte pour la socialisation primaire au niveau de la relation dyadique ou triadique (enfant-parents), qu’en est-il pour les interactions avec les pairs ? Un état des lieux sur la question répond à quelques questionnements sur (Hay, 2005) :

 

  • Le moment de développement de la capacité de l’enfant d’entrer en relation avec ses pairs : il faut dire que la majorité des très jeunes enfants en rencontrent d’autres de leurs âges de façon régulière, voire vivent avec ces derniers dès la naissance(Hay, Castle, & al., 1999). Néanmoins, il s’avère que les bébés âgés de six mois ont la capacité de communiquer avec d’autres bébés en les touchant, en souriant et babillant. Il apparait aussi qu’en deuxième année de vie, ces jeunes individus commencent à manifester des comportements pro-sociaux et agressifs avec les enfants du même âge, et certains se montrent très agressifs par rapport à d’autres (Dionne, Tremblay, & al., 2003; Hay, Castle, & Davies, 2000; Rubin, Burgess, & al., 2003).

 

  • Les habiletés susceptibles de favoriser les liens précoces entre pairs, durant les deux premières années de vie, plus précisément : capacités à gérer l’attention conjointe, à contrôler les émotions, à inhiber les impulsions, à faire l’imitation des gestes d’autrui, à comprendre la loi de cause à effet, à s’exprimer linguistiquement(Hay, Payne, & Chadwick, 2004). Certes, les éventuels déficits de ces compétences peuvent faire l’objet de compensation via l’interaction avec des adultes ou la fratrie ; néanmoins, ces personnes peuvent être largement plus tolérants envers l’enfant par rapport à ses pairs, ces derniers étant également au stade de développement de ces mêmes habiletés, ce qui pose un grand défi pour la socialisation de cet enfant (surtout pour les enfants souffrant des troubles de développement) (Charman, Swettenham, & al., 1997; Rogers, Hepburn, & al., 2003).

 

  • L’impact à long terme sur le développement de l’enfant de leur relation précoce avec leurs pairs : de tel impact n’est pas insignifiant. Par exemple, ce sont les enfants à même de participer avec leurs pairs à des jeux complexes qui sont les plus compétents dans les échanges avec d’autres enfants au cours des années préscolaires, voire jusqu’au milieu de l’enfance(Ladd & Troop-Gordon, 2003). Aussi, l’acceptation d’un enfant par les pairs est un indicateur de la relation entre pairs à 10 ans (Woodward & Fergusson, 2000) ; de même : « le fait d’avoir des amis pendant la petite enfance semble protéger les enfants contre le développement de problèmes psychologiques plus tard dans l’enfance » (Hay, 2005).

 

En somme, si la socialisation des jeunes enfants prend surtout appui sur les relations que ceux-ci peuvent nouer tôt avec leurs autruis significatifs, de manière relativement sécurisée, ces bébés devraient également (mais un peu plus tardivement) avoir la capacité de communiquer avec leurs pairs. Parmi les premiers pas de cette socialisation avec les semblables (en matière d’âge), il faut dire que les interactions de l’enfant avec l’autre portent essentiellement sur le corps de ce dernier : ainsi, « les bébés […] se touchent mutuellement les mains, […] explorent le visage de l’autre et parfois, voire souvent, attrapent les cheveux et les tirent, afin d’obtenir un effet passionnant : les pleurs » (Hirn, 2017, p. 22). C’est ensuite que les interactions entre ces jeunes individus se concentrent essentiellement sur les objets, un élément caractéristique de la deuxième année de vie : « les enfants commencent à interagir en se donnant les objets, les échangeant, les prenant des mains de l’autre. Le jouet manipulé, animé par le pair est plus intéressant que s’il est posé par terre. […] L’objet est devenu un vecteur de la communication » (Ibid.). Désormais, la socialisation des enfants dépend étroitement de la présence et des actions des socialisateurs.

 

1.1.4. Les principaux acteurs impliqués dans la socialisation de la petite enfance

 

« La recherche actuelle en psychologie du développement social reconnait comme facteur prépondérant de socialisation de l’enfant, Faction combinée des relations de l’enfant avec les adultes et avec les pairs » (Provost, Garon, & LaBarre, 1991, p. 183). En d’autres, termes, lorsqu’il s’agit d’étudier les influences des socialisateurs sur la socialisation d’un très jeune enfant, il faut mettre au premier plan ces deux types d’acteurs, à savoir ceux de la famille qui lui sont « significatifs » et ceux des structures d’accueil au sein desquelles il rencontre nécessairement ses semblables.

 

1.1.4.1.   La famille

 

Incontestablement, la famille (les membres de la famille, plus précisément) joue un rôle primordial dans la socialisation de l’enfant. En effet, c’est « naturellement » au sein de la famille que l’enfant trouve les personnes constituant son « autrui significatif », essentiellement dans les relations dyadiques ou triadiques avec les parents. Néanmoins, cette entité de proximité du socialisé (l’enfant) aurait connu une forte mutation depuis les années 1970, sous les impacts de nombreux facteurs :

 

  • Le renouvellement générationnel, c’est-à-dire « l’après baby-boom », a favorisé l’abandon progressif de certaines idées et habitudes plutôt « traditionnalistes », la vocation des femmes à être presque exclusivement une mère au foyer, en l’occurrence. Désormais, avant la moitié du XXème siècle, c’est la mère qui est qualifiée comme principale éducatrice de l’enfant, assimilée à la maternité. Ainsi, émerge des concepts qui vont supplanter ce modèle familial ancien (« archaïque », selon les mots de Neyrand, 2016), comme l’émancipation de la femme, la possibilité de contrôler la procréation, la forte insertion professionnelle de la femme, etc. Parallèlement, les recherches savantes font évoluer les connaissances sur la petite enfance, remettant même en question la théorie de l’attachement car celle-ci minimise notamment les relations autres que celle entre la mère et l’enfant (dont celles avec le père ou issues de l’accueil collectif). Cela ne peut que faire évoluer les rôles de chaque membre de la famille, surtout en ce qui concerne l’éducation de l’enfant et la prise en main de tous les soins que celui-ci a besoin, ce qui remet en cause et relativise l’importance de la proximité maternelle par rapport à d’autres membres de la famille dans les relations sociales du jeune individu(Neyrand, 2015).

 

  • La désinstitutionalisation de la conjugalité avec la forte progression des séparations conjugales qui, à l’exemple français, connait un taux de divortialité proche de la moitié (pour la Belgique, si le divorce concernait près de 15 mariage en 1960, il s’applique à environ la moitié des couples mariés en 2013(Statistics Belgium, 2014)). Faut-il aussi parler de la montée de l’union libre, avec comme conséquence la naissance de plus d’enfants hors-mariage (qu’en son sein), toujours en se référant au contexte français.

 

  • Le développement de la monoparentalité, la recomposition familiale et l’homoparentalité, tendant vers une désaffiliation paternelle de l’enfant.

 

  • Le repositionnement de l’enfant dans la famille, devenant alors « premier objet d’investissement éducatif des parents, [… ainsi que] support majeur de l’affirmation identitaire desdits parents» ; et cela impacte « à la fois sur le plan pratique, avec une complexification des modalités d’accueil et de socialisation de l’enfant, et sur le plan relationnel, avec une mise en tension possible des relations conjugales et parentales et entre les différents acteurs de la socialisation » (Neyrand, 2015, p. 4).

 

  • Un soutien offert aux parents étant constaté le contexte nouveau auquel ils font face (évolution du fonctionnement de la famille) ; d’où l’apparition de certains ouvrages édités dans ce sens (à l’instar de Les enjeux de la parentalité de Didier Houzel, en 1999, et de La pluri-parentalité de Didier Le Gall et d’Yamina Bettahar, en 2001). S’ajoute aussi à ces initiatives individuelles, des apports associatifs (notamment dans la période 1970-1990) qui promouvait l’accompagnement institutionnel des parents, à travers les crèches parentales, la médiation, les groupes de rencontre, les groupes de parole, etc. C’est alors que s’ouvre à Paris, en 1979, la « Maison verte », un lieu d’accueil enfants-parents sous l’impulsion de Françoise Dolto

 

Du coup, beaucoup d’enfants, surtout ceux issus d’union libre, rencontrent de plus en plus de situations de socialisation familiale différente (Neyrand, 2012). La prévalence de la mère dans l’éducation est remise en cause, relativisant la place considérée d’auparavant de la femme comme irremplaçable dans la socialisation de l’enfant. De manière récurrente, la place et la responsabilité du père dans la famille vis-à-vis de l’enfant évolue également : considéré auparavant comme « incapable de tirer du plaisir du rôle qu’il doit jouer et incapable de partager avec la mère la grande responsabilité qu’un bébé représente toujours pour quelqu’un » (Neyrand, 2016, p. 20), le père est alors appréhendé dans son égalité avec sa femme car disposant ensemble d’un même fonctionnement psychique et partant avec les mêmes bagages psychologiques (Delaisi de Parseval, 1981; Winnicott, 1991). La séparation du couple met un accent sur la volonté du père d’assumer une responsabilité comparable à celle de la mère, lorsque ce dernier veut faire valoir ses droits dans la mise en place des pratiques de garde conjointe ou encore de celles de garde alternée. Cela vient, en quelque sorte, légitimer progressivement l’existence et les actions des structures d’accueil des jeunes enfants.

 

En d’autres termes, ce sont les réalités vécues au sein de la famille même (étant autrefois sources de légitimité pour l’exclusivité du rôle des membres de celle-ci, de la mère plus précisément, soutenue par la théorie de l’attachement) qui justifient le recours à l’externalisation partielle (vis-à-vis du foyer) de la prise en main de l’enfant. « En effet, la position traditionnelle qu’adoptaient encore les auteurs au milieu des années 60 n’est plus tenable en tant que telle à la fin des années 70 : d’un côté, l’amour maternel ne peut plus être considéré comme un instinct avec la même évidence ; de l’autre, la possibilité d’une éducation viable et non pathologisante par des acteurs autres que ceux du cercle familial et son noyau, la mère, est reconnue. Enfin, l’importance du groupe d’âge est affirmée ainsi que celle du père » (Neyrand, 2016, p. 26).

 

1.1.4.2.   La collectivité en lieu d’accueil : enjeux pour la socialisation de la petite enfance

 

Les enjeux de la mise en collectivité en lieu d’accueil en vue de la socialisation des enfants peuvent être mis en lumière par un certain nombre de questionnements posés par Hirn (2017), à savoir :

 

  • « Faut-il se séparer de ses parents pour se socialiser ? N’est-ce pas un peu contradictoire avec la théorie de l’attachement ?» (p. 20).

 

Sur ce questionnement, il est presque unanimement soutenu que la socialisation à travers les membres de la famille ne peut être substituable totalement. Mauvais (2003) insiste d’ailleurs que le recours au service des structures d’accueil relève non pas du besoin de l’enfant mais de celui de ses parents qui cherchent une alternative pour optimiser entre proximité à leur progéniture et exigences économico-professionnelles qui s’imposent à eux dans une société devenant de plus en plus « de consommation ».

 

Désormais, plutôt que de faire l’opposition entre socialisation en famille et socialisation en milieu collectif avec les pairs, il apparait plus adéquat de parler de la différenciation entre ces deux (types ?) socialisation. En effet, les influences des différentes instances de socialisation, dont la famille et le groupe des pairs, ne sont pas les mêmes. L’on évoque même la « complémentarité » entre ces deux lieux de socialisation, sans nier la possibilité que ceux-ci entrent en conflit, ce qui est le cas par exemple entre milieu familial et milieu scolaire, « en cas de désajustement entre culture familiale et culture scolaire » (DGESCO, 2011, p. 2). En tout cas, des auteurs, dont Hartup (1983), soulignent l’importance de la présence des pairs dans le développement social de l’enfant.

 

Sur ce thème, Provost, Garon, et LaBarre (1991) tablent sur l’indispensabilité d’une recherche d’ajustement entre les deux milieux de socialisation que pourrait côtoyer le jeune enfant, la famille et le groupe des pairs (sous-entendant la collectivité). En fait, il apparait que la fréquentation d’un groupe des pairs requiert une certaine adaptation pour l’enfant habitué d’un environnement familial, une adaptation pouvant être « mesurée » par des indicateurs tels que « la dominance sociale […], la participation sociale […], l’autonomie et l’expression des émotions […], et l’attention sociale » (p. 184). Le niveau de compétence sociale de l’enfant à « affronter » ces deux milieux dépendent entre autres de l’écart entre les interactions familiales que cet enfant a bénéficié et celles qu’il reçoit ensuite auprès des pairs, plus précisément en termes de nombre d’interactions et de similitude de comportements (entre ceux des éducateurs et ceux de la mère) (Clarke-Stewart & Fein, 1983; Golden, 1978).

 

Certes, les travaux de Provost, Garon, et LaBarre (1991) indiquent que c’est la diversité des deux environnements de socialisation (familial et du milieu d’accueil) qui influencerait positivement cette socialisation : « plus la maison et la garderie diffèrent sur cette dimension ludique et plus les enfants semblent présenter des comportements adaptés à leur milieu social » (p. 191) ; mais cette conclusion vaut essentiellement pour « l’enfant plus âgé » (p. 192) (à partir de trois ans). En fait, il s’avère que, plus en phase à la théorie de l’attachement, les comportements des parents devraient être en cohérence avec les stimulations de l’environnement pour que soit établi la sécurité affective de l’enfant. « Les enfants qui démontraient à un an de la sécurité dans leur attachement à leur mère démontrent, à partir de deux ans, des capacités de s’adapter relativement facilement aux divers contextes de vie qu’ils rencontrent quotidiennement » (Ibid.). Ce qui veut dire que, l’écart entre les deux univers doit être faible tant que l’enfant est encore très jeune, un écart devant augmenter progressivement, proportionnellement à l’âge de l’enfant par la suite.

 

D’autres travaux soutiennent ce qui vient d’être évoqué mais d’une autre manière : « les enfants ayant intégré plus tardivement la crèche sont ceux qui montrent la meilleure adaptation à cet environnement. Ils sont plus compétents, sur les versants de la coopération et du contrôle des émotions négatives, que les enfants entrés avant 11 mois » (Trichet, Cardon, & al., 2017, p. 167).

 

  • « Un enfant ne peut-il pas se socialiser autrement qu’en passant par la case « crèche » ? N’y-a-t-il pas d’autres espaces de socialisation ?» (Hirn, 2017, p. 20).

 

Ici, le débat sur la pertinence du recours au service des structures d’accueil extra-familiales reste en suspens. L’on peut par exemple citer les avis du psychologue de développement Patrick Mauvais sur ce sujet qui mise énormément sur un environnement familial « paisible » pour l’enfant afin de permettre que celui-ci vive dans un climat de sécurité et d’harmonisation réciproque est profonde. Le psychologue conclut alors ainsi que « la genèse d’une authentique sociabilité chez le jeune enfant […] repose fondamentalement sur la dynamique des relations intersubjectives privilégiées avec les adultes, parents ou personnes assumant auprès de l’enfant placé une suppléance parentale. Elle a toutes chances de se réaliser dans une famille « suffisamment bonne » et ne requiert pas l’expérience de l’intégration en collectivité » (Mauvais, 2003, p. 282). En d’autres mots alors, l’environnement familial (sous certaines conditions) a suffisamment le potentiel pour permettre une socialisation convenable pour les jeunes enfants.

 

Néanmoins, il semble être soutenable que l’environnement en collectivité peut offrir des expériences socialisatrices supplémentaires aux enfants, par rapport à celles octroyées par le seul milieu familial. D’abord, il faut dire que la fratrie ne peut pas vraiment être assimilé à une mise en collectivité, surtout que ses membres ont souvent des âges sensiblement différents de celui du bébé. Aussi, il est démontré que l’appartenance à une fratrie n’influence pas significativement le développement social de l’enfant âgé de 2 à 3 ans (24 à 36 mois). Il est même constaté que les enfants uniques apparaissent mieux intégrés au groupe de pairs et sont nettement plus participatifs par rapport aux enfants membre d’une fratrie. Par ailleurs, bien que « le fait de fréquenter d’autres enfants que les pairs de la crèche ne semble pas influencer les compétences sociales de l’enfant entre 24 et 36 mois, […] les enfants qui en fréquentent d’autres dans plusieurs contextes différents réagissent de manière plus adaptée face aux difficultés. Ainsi, la pluralité des contextes et des rencontres impacterait positivement les capacités d’adaptation du jeune enfant à son milieu » (Trichet, Cardon, & al., 2017, p. 167).

 

Cependant, les structures d’accueil de type « crèche » comporte une entre autres conditions pour obtenir un gain positif supplémentaire : il convient d’accroitre au maximum le temps d’internalisation de l’enfant au sein de telles structures, car il est constaté que les enfants accueillis à temps partiel ont par la suite une bien moins grande capacité d’adaptation aux difficultés par rapport à ceux accueillis à temps complet (Ibid.). Cela pose alors un sérieux problème pour les parents qui cherchent plutôt à placer uniquement de façon temporaire leurs enfants. Dès lors, que la crèche proprement dite, les lieux dits « de rencontre enfants et parents », « distincts des milieux d’accueil car ne proposant pas la prise en charge des enfants seuls » (CODE, 2014), sont avancés comme meilleure alternative. Cette structure belge prend racine dans la « Maison Verte » initiée par Françoise Dolto à Paris en 1979, celle-ci étant conçue comme un lieu de rencontre et de loisirs pour les très jeunes enfants avec leurs parents, qui n’est ni une crèche, ni un centre de soin, ni une simple garderie puisque c’est un endroit où les parents et leurs enfants y rencontrent des amis. La conception de cette structure tient surtout aux difficultés, notamment relationnelles, qui émergent lorsque l’enfant est « séparé » de leurs parents pour être placé dans d’autres structures d’accueil. Ainsi, la mise en contexte collectif de l’enfant se fait en « présence » d’au moins un autrui significatif familial, ce qui permet la rencontre des pairs en toute confiance. C’est en 1983 que le concept a été adopté en Belgique avec la « Maison Ouverte » de Woluwe-Saint-Lambert. Désormais, ces lieux de rencontre offrent, en plus d’une occasion de socialisation pour l’enfant, un soutien à la parentalité (partage avec d’autres parents, reconnaissance de la parentalité, lieux de repos, etc.).

 

  • « Qu’est-ce que la crèche apporterait comme plus au niveau de la socialisation ?» (Hirn, 2017, p. 21).

 

Il y a lieu donc de mettre l’accent sur les avantages ainsi que sur les inconvénients de la crèche, en particulier. Sur ce point, il faut dire que les « croyances » (il est possible de parler de croyances car il s’agit de connaissances relatives dont les nouvelles remettent en cause parfois les anciennes) associées aux structures d’accueil ont évolué au fil des décennies.

 

Neyrand (2016) fait une liste de ces avantages : « l’égalité des soins, particulièrement appréciable pour les enfants issus de milieux défavorisés, la sécurité sanitaire et nutritionnelle, et l’importance nouvelle accordée aux « facteurs de stimulation intellectuelle […] » et aux contacts avec les autres enfants » (pp. 28-29). En fait, dans l’entre-deux-guerres, les soins apportés aux enfants placés sont tellement archaïques car portant essentiellement sous l’angle physique, les autres besoins (affectifs, psychomoteurs et ludiques) étant encore très négligés. La lutte contre la mortalité infantile de l’après-guerre a mis en lumière la défaillance que cela a entrainée, surtout avec la critique de « l’hospitalisme » de Spitz (1947) à propos des graves perturbations psychiques qui bénéficient de tels soins totalement impersonnels. Dès lors, avec la théorie de l’attachement (Bowlby, 1969), l’importance de la relation dyadique « mère-enfant » a fait en sorte que la relation de l’enfant avec l’accueil collectif en est discréditée (en même temps que toute autre expérience de socialisation extra-familiale). A cette époque, les lieux de garde sont alors pointés du doigt comme trop collectifs et dépersonnalisants. Les autorités publiques ont réagi alors en cherchant à améliorer la situation dans les structures d’accueil des enfants, afin de rendre celles-ci plus aptes à être des substituts à l’action maternelle. Cela conduit à l’approfondissement de la formation des professionnels, avec l’accent mis sur l’accueil collectif temporaire (vs permanent), conférant à ce dernier la qualification de « complémentaire » à la mère (Neyrand, 2012).

 

Ainsi, à partir de la fin des années 1970, l’on commence à reconnaitre la possibilité d’une éducation et une socialisation comparable à celle auprès de la mère, cette dernière craignant désormais la concurrence avec les professionnels en matière d’affectivité envers son enfant placé. Mais, progressivement, le lieu collectif n’est plus considéré comme incompatible avec la relation à la mère, et la structure devient plus éducative (laissant sur le côté l’appellation « garde » au bénéfice de « l’accueil »), à la fin des années 1990 pour la Belgique. La recherche d’amélioration des pratiques dans les crèches se poursuit toujours, avec par exemple l’institutionnalisation de l’accueil de jour, améliorant l’image de celui-ci : les inconvénients des structures d’accueil sont dès lors non-généralisés car attribués à l’incapacité de celles-ci à se conformer aux normes établies. Sont alors cités comme avantages de l’accueil au niveau des crèches : « l’égalité des soins, particulièrement appréciable pour les enfants issus de milieux défavorisés, la sécurité sanitaire et nutritionnelle, et l’importance nouvelle accordée aux « facteurs de stimulation intellectuelle […] » et aux contacts avec les autres enfants » (Neyrand, 2016, pp. 28-29). L’affirmation des statuts des professionnels et la mise en place des crèches parentales (1981 en France et 2004 en Belgique) viennent ajouter du crédit à la socialisation en collectivité, et cette idée de socialisation devient même une raison d’attraction pour celles-ci.

 

D’ailleurs, la conception de la « Maison Verte » a fortement influé et a permis l’amélioration des autres types d’institution d’accueil : « l’entrée progressive de l’enfant dans son mode de garde, l’attribution d’une personne de référence pour chaque bébé, des personnes qualifiées en nombre suffisant, la présence de psychologues dans les lieux et les services, sont des préventions des problèmes de séparation, individuation, socialisation » (Giampino, 2012, p. 41). Mais, le basculement du rapport de forces au profit de l’accueil des enfants ne reste pas sans être critiqué, remis en question par certains auteurs, dont Mollo-Bouvier (1998) : modification des modes de socialisation de l’enfant, transfert de la fonction socialisatrice vers les institutions collectives au détriment de la famille qui perd son image de « bonne éducatrice », accent mis sur l’éducation, négligence des relations de l’enfant avec des personnes d’autres âges, soit une « une confusion entre une vie collective régie par des décisions administratives et bureaucratiques et la socialisation » (p. 83).

 

  • « N’existe-t-il pas aussi en crèche des enfants en souffrance, preuve qu’il ne suffit pas de mettre des enfants en groupe pour que cela se passe forcément bien ? N’y-a-t-il pas des conditions à réunir pour que le collectif soit véritablement un lieu de socialisation ?» (Hirn, 2017, p. 21).

 

Les réalités dans les crèches ne sont pas sans ambivalence au niveau de la socialisation et la compétence sociale des enfants placés. Ainsi, par exemple, ceux qui ont un référent auprès de la crèche montrent plus de coopération avec les adultes, plus de respect envers les règles, et plus d’autonomie. Toutefois, ceux qui n’ont pas de référent éprouvent moins de difficultés affectives que les autres, tout en étant plus confiants et plus participatifs (Trichet, Cardon, & al., 2017). Cela montre combien relatifs sont les avantages attribués à ces structures d’accueil.

 

Dans ce sens, Mauvais (2003) fait un aperçu bref des risques associés à la collectivité pour les très jeunes individus, avant de citer un certain nombre de conditions pour « un accueil adapté aux besoins et favorable à la socialisation de l’enfant » (p. 285). Sans vouloir faire une liste exhaustive, il convient d’en citer quelques-uns : discontinuité et rupture entre famille et collectivité pouvant porter atteinte au sentiment de continuité interne de l’enfant, insuffisance de la protection et de la tranquillité d’un enfant face à ses pairs, l’anonymisation des relations (avec le « on », en l’occurrence) faisant en sorte que les actions des adultes s’ajustent mal aux capacités et rythmes de chaque enfant, etc. Aussi, Mauvais (2003) évoque quelques problèmes personnels très difficiles à détecter pour les professionnels, comme les signes de mal-être qui peuvent ne pas se manifester de manière évidente (à travers les pleurs, les appels répétés, etc.) ou spectaculaire (via des attitudes gressives cherchant l’attention des adultes, par exemple), mais plutôt évoluant en « sourdine » (certains enfants éprouvant de sévère problème de socialisation peuvent se montrer faciles et souriants) ; une mère attentionnée saura probablement faire la différence.

 

Parmi les conditions d’une collectivité adaptée aux besoins des bébés et favorables à leur socialisation, il est possible de citer : la stabilité de la relation avec les référents non-interchangeables qui doivent travailler à la fois à proximité (pour les soins corporels et les repas) et à distance (dans les répartitions des rôles au sein de l’équipe de professionnels) de l’enfant, temps de soins offrant à ce dernier à la fois intimité et ouverture aux autres enfants, prévisibilité des évènements quotidiens permettant à l’enfant de prévenir l’intervention des adultes et ainsi d’organiser son propre espace social, etc. (Mauvais, 2003). Autrement dit, tout ne va pas de soi pour que la socialisation attendue avec les pairs se déroule au profit du très jeune enfant.

 

 

En conclusion, certes, la socialisation peut se réaliser dans l’espace exclusif du milieu familial, à travers la relation dyadique/triadique (mère-parents), ce qui remet dans l’espace du facultatif celle concernant les milieux collectifs extrafamiliaux. Néanmoins, cela n’efface pas l’importance qu’il convient de considérer envers la socialisation avec les pairs au sein des structures adaptées comme les crèches. Mauvais (2003) plaide ainsi pour une « coéducation » : « Co-éduquer ce n’est pas aider, d’une façon quelque peu surplombante, des parents en difficulté à assumer leur mission éducative, c’est reconnaître que la socialisation des enfants est une affaire sociale, qui articule des instances éducatives différentes, sous le contrôle de l’État, et dont la régulation est confiée aux parents, c’est-à-dire des acteurs éducatifs dont la position comme telle est reconnue et entérinée par la société » (Neyrand, 2012). Si tels sont les avis de la société savante, essentiellement de la sociologie et de la psychologie, sur ce thème de la socialisation de la petite enfance, qu’en pensent plutôt les professionnels de la puériculture et quels en sont les impacts potentiels de leurs croyances sur ce thème ?

 

 

1.2. La croyance des professionnels de la petite enfance vis-à-vis de la socialisation des jeunes enfants

 

Avant de se pencher sur les croyances des professionnels de la petite enfance (de ceux qui œuvrent au niveau des crèches plus particulièrement) et les enjeux de celles-ci, notamment celles sur la socialisation des jeunes enfants, il apparait nécessaire de définir d’abord le cadre conceptuel de cette notion de croyance.

 

1.2.1. Cadre conceptuel de la croyance

 

Pour appréhender la notion de croyance, au regard de la présente étude, il importe de le faire à travers la relation entre les connaissances et les croyances, d’une part, et de celle des croyances et de la « rationalité » d’autre part. C’est ensuite que l’on peut s’intéresser aux relations entre les croyances d’un sujet et ses actions.

 

1.2.1.1.   Entre croyance et connaissance

 

Les recherches en marketing sont assez riches sur l’étude du concept de la connaissance de manière à expliquer ce qu’est la croyance :

 

  • Il en est ainsi de la distinction entre connaissances objectives et subjectives de Brucks(1986) qui donne une piste d’approfondissement. Selon cet auteur, les connaissances objectives concernent les informations « exactes » (correspondant à la réalité objective) relatives à un objet (ou un phénomène), effectivement stockées dans la mémoire à long terme du sujet, tandis que les connaissances subjectives se rapportent à ce que le sujet en pense savoir, c’est-à-dire sa perception, sa représentation, sa manière de voir subjectivement (de cet objet) qui peut alors différer sensiblement de la réalité objective.

 

  • Les concepts de « familiarité » et « d’expertise » d’Alba et Hutchinson(1987) donnent aussi des éléments d’analyse. En fait, la familiarité renvoie à la quantité d’expériences accumulées par le sujet sur un objet, ce qui peut être souvent associé à une forme de connaissance subjective ; l’expertise, par contre, est la capacité du sujet à réaliser avec succès des actions relatives à cet objet, ce qui implique une certaine véracité objective des connaissances, bien que celles-ci peuvent n’être parfois que subjectives car fondées essentiellement sur l’évaluation propre du sujet (Moreau, Lehmann, & Markman, 2001).

 

  • Enfin, il importe de tenir compte de la notion de « calibrage des connaissances » d’Alba et Hutchinson(2000) qui va au-delà de la considération de l’exactitude de la connaissance. Cette notion « exprime la concordance entre les évaluations objectives et subjectives de la validité de l’information, et particulièrement l’information utilisée dans la prise de décision » (Bernard, 2005, p. 25) : Les connaissances sont calibrées si le sujet a confiance dans ses connaissances « exactes » ou a peu confiance dans ses connaissances inexactes, et les connaissances mal calibrées concernent les deux autres cas. Il s’agit alors de liaison entre confiance et exactitude des connaissances.

 

Les connaissances disposées par un sujet à propos d’un objet sont donc multidimensionnelles, en tenant compte, entre autres, leur étendue, leur exactitude, leur contenu, et la confiance de ce sujet dans ces connaissances. L’étendue des connaissances relèvent de la quantité d’informations stockées dans la mémoire du sujet sur l’objet, permettant par exemple de qualifier celui-ci « d’expert » ou de « novice ». Pour ce qui est du contenu d’une connaissance, il s’agit de la substance informationnelle de ce qui est mémorisé concernant l’objet. Sur ce dernier point, il est possible d’évoquer la notion de « croyances », car les informations peuvent être exactes ou non. De tout ceci émerge la proposition que la quantité d’expérience du sujet à propos d’un objet influe, non seulement sur l’étendue de ses connaissances, mais aussi sur le niveau de confiance de celui-ci dans ses propres connaissances et sur le rapprochement de ces dernières à la réalité effective (Bernard, 2005).

 

Dans le domaine de l’enseignement, Vause (2010) fait la distinction entre connaissances théoriques et connaissances pragmatiques. Ces dernières désignent toutes les connaissances « personnelles » construites par le professionnel dans ses pratiques, c’est-à-dire sur la base de ses expériences. Par contre, les connaissances théoriques sont nécessairement issues d’apprentissages explicites (notamment à travers de la formation professionnelle) : en principe, elles sont générales et font l’objet de consensus social (Kennedy, 2002). Il faut noter l’existence probable de « va-et-vient » constant entre ces deux catégories de connaissances. C’est alors que le professionnel cherche à relier (voire à en vérifier la cohérence, dans les deux sens) de ses connaissances pratiques avec ses connaissances théoriques. Dans ce contexte de va-et-vient de connaissances, Vause (2010) définit ainsi les croyances des enseignants comme « un réservoir de valeurs et d’idées préconçues sur lesquelles s’appuient les enseignants pour agir en situation et pour justifier leur action » (p. 14).

 

D’autres auteurs (Fenstermacher, 1979; Hofer & Pintrich, 1997; Nespor, 1987) ont tenté d’expliquer ce qui différencie les connaissances des croyances. Pour eux, les connaissances impliquent une cohérence entre les esprits (dans le sens d’un « accord intersubjectif »), celle-ci étant fondée sur des preuves ou des arguments permettant d’attester la validité des propositions retenues ; une grande vraisemblance de ces dernières doit, au moins, apparaitre face à d’autres conceptions concernant le même objet/phénomène considéré. De cette idée, les « croyances » ne font pas intervenir de tel accord intersubjectif basé sur un système rigoureux de validation. Désormais, l’existence de croyances largement partagées au sein de certaines communautés tient surtout du manque de contestation à leur égard malgré qu’aucune preuve ou argument rigoureux ne les soutient. Ce contexte d’intégration sociale des croyances permet de rapprocher celles-ci du concept de « représentation », ce qui revient à considérer les croyances « comme des constructions à la fois cognitives et sociales » (Crahay, Wanlin, & al., 2010, p. 86).

 

Néanmoins, force est d’admettre que les limites séparant les connaissances des croyances sont difficiles à identifier, jusqu’à proposer même qu’une grande partie des savoirs dans certains métiers (« de l’humain », comme ceux du domaine de l’enseignement, où le terme « vérité » est assez relatif) est composée de croyances (Kagan, 1992). Pour simplifier, il convient alors de considérer les connaissances dans leur référence faite à des éléments empiriques ou factuels, tandis que les croyances sont plutôt associées à des idéologies ou des suppositions (Crahay, Wanlin, & al., 2010). Par ailleurs, la conception de Kagan (1992) rapproche les croyances aux connaissances subjectives car il s’agirait, selon l’auteur, d’une forme de connaissances personnelles. Cela suggère alors que les croyances prennent source aussi bien des expériences propres que des sens commun de la communauté des professionnels, de même que de l’univers culturel d’où est issu le professionnel en question. Dans cette perspective, les connaissances du professionnel à propos d’un objet/phénomène seraient donc, en quelque sorte, un sous-ensemble de ses croyances sur cet objet/phénomène.

 

En somme, les relations entre connaissances et croyances insistent sur la dimension cognitive de ces dernières qui met en évidence les « degrés variés de certitude à propos de ce qui est vrai ou faux » (Les deux autres dimensions des croyances étant « conative » et « affective » – voir plus bas : 1.2.1.3. Croyance et action) (Pouliot & Potvin, 2000, p. 249). Mais, il en ressort également que les croyances peuvent être issues d’une élaboration individuelle ou sociale. Ce qui amène Vause (2010) à proposer une typologie suivant les deux axes, validation empirique et socialité/individualité de l’élaboration, permettant de distinguer les connaissances des croyances.

 

Connaissances théoriques
Croyances partagées
Connaissances pragmatiques
Croyances personnelles
Validation empirique
Absence de validation
Elaboration sociale
Elaboration individuelle

Figure 1 – Connaissances et croyances des professionnels

Source : Vause (2010)

 

1.2.1.2.   Croyance du point de vue de la rationalité

 

Il faut d’abord souligner que la croyance est un « processus conscient », selon une approche neurocognitive (Goldman, 2005). En dépit de la polysémie du terme « croyance », Fontaine (2005) ajoute une description plutôt détaillée de celui-ci : « le terme recouvre l’idée d’un acte de l’esprit consistant à affirmer la réalité ou la vérité d’une chose ou d’une proposition, et ce, en l’absence de certitude attestée par l’existence d’une preuve » (p. 1). Des lors, s’il peut être admis que la croyance est une attitude mentale consciente, de quelle preuve faudrait-il évoquer ici (de manière à limiter le champ de la croyance) ? Le même auteur donne un élément de réponse à cette question : « ce qui caractérise en effet la croyance est toujours a minima l’absence ou l’impossibilité d’une justification rationnelle de la thèse à laquelle on adhère » (ibid., p. 2).

 

En d’autres termes alors, la croyance revêt un caractère « injustifié rationnellement », c’est-à-dire qu’elle trouve fondement sur des arguments qui n’appartiennent pas au champ de la rationalité. « Comment peut-il être rationnel de « croire que… », c’est-à-dire de « tenir-pour-vrai » ce qui, de toute évidence, peut être mis en doute par la raison » (Cizeron & Gal-Petitfaux, 2002, p. 44) Mais, cela soulève aussi une autre question qui relativise l’association croyance-absence de preuve rationnelle : de quelle rationalité s’agit-il, ou plus précisément jusqu’où peut-on parler de justification rationnelle ?

 

Le plus souvent, la notion de rationalité est prise dans son sens étroit, comme elle est d’habitude appréhendée dans la littérature économique, à travers le modèle de l’homo œconomicus : l’agent optimisateur. Dans cette perspective, est considéré comme rationnel le comportement d’un agent, le professionnel dans le cas de la présente étude, basé sur une systématique comparaison des différents moyens et des résultats obtenus/attendus lorsqu’il fait face à une décision (d’action) à prendre : quel objectif à atteindre et quelle meilleure voie pour y arriver ? (Weber, 2003). Une proposition en découle alors : il est possible de parler de croyance dès que la preuve sous-jacente apportée par le sujet est « optimale » (avec la « logique » économique : meilleur résultat à moindre coût). Néanmoins, la théorie du choix rationnel ne se heurte pas seulement avec celle de la rationalité limitée d’Herbert Simon (1955) (qui considère l’imperfection humaine au niveau de la capacité cognitive de l’Homme et du manque d’information disponible), mais surtout au fait que de telle définition de rationalité se cantonne essentiellement dans la conception égocentriste du sujet (Ferrière & Martin, 2011). Autrement dit, afin de pouvoir parler de rationalité dans les propos ou les actions d’un professionnel, il faut aller au-delà de l’individualisme de celui-ci pour s’intéresser davantage à « l’altruisme », notamment quand il s’agit de métier « de l’humain » (Terestchenko, 2004).

 

De plus, l’analyse des croyances d’un sujet sous l’angle de la rationalité est aussi confrontée à la relativité de la rationalité elle-même : une situation qui peut paraitre tout à fait rationnelle (ou complètement irrationnelle) aux yeux d’un professionnel n’est pas forcément vue de cette manière par d’autres. Ainsi, lorsqu’un sujet pense avoir affaire à une attitude irrationnelle, c’est surtout parce qu’il l’appréhende à travers ses propres critères de rationalité. Dès lors, Boudon (2011) formule ce qu’il appelle « théorie de la rationalité ordinaire » : « un individu accepte X dès lors qu’il a plus ou moins l’impression que X est la conséquence d’un ensemble de raisons qui lui apparaissent compatibles entre elles et acceptables et que, d’autre part, il a le sentiment qu’il n’existe pas à sa portée de système de raisons présentant les mêmes propriétés et qui le conduiraient plutôt à une conclusion différente de X : à un objectif, une opinion, une valeur, une préférence, une croyance différente de X » (Boudon, 2011, p. 25).

 

Aussi, dans le contexte du relativisme culturel, il est fort probable que les jugements portés sur l’irrationalité des croyances d’un sujet se fondent sur des présupposés culturels qui ne sont pas vraiment ceux de ce sujet. En effet, le sujet de la croyance lui-même ne peut pas pleinement préciser le contenu conceptuel de ses croyances apparemment irrationnels (Sperber, 1982). « Par exemple, le sujet croit à quelque chose en vertu de la confiance en la personne qui lui a transmis cette croyance, ou parce que le fait de croire l’arrange et le sécurise » (Cizeron & Gal-Petitfaux, 2002, p. 44).

 

En conclusion, il faut alors dire que les croyances constituent un phénomène complexe dont l’analyse risque de n’être que partiellement objective. Dans de telle analyse, il apparait donc plus optimal de se focaliser sur l’association « connaissances-croyances » plutôt que de tenter d’appréhender les croyances dans une perspective de rationalité. En tout état de cause, il reste une question d’ordre général qui mérite un approfondissement : les croyances pourraient-elles influencer les actions, et cela de quelle manière le cas échéant ?

 

1.2.1.3.   Croyance et action

 

Brodeur, Deaudelin, et al. (2003) distinguent cinq classes de croyances (voir ci-dessous) qui composent à leur tour le système de croyances (d’un individu), à la base duquel se retrouvent les valeurs constituant entre autres une composante motivationnelle. Le système de croyance est l’organisation entre les croyances que l’individu adopte et celles qu’il n’adopte pas (Rokeach, 1976). Un changement comportemental peut ainsi survenir à la suite d’une modification d’une partie de ce système puisque cela affecte les autres parties. En fait, plus une croyance est centrale vis-à-vis de ce système, c’est-à-dire présentant plus de connexion avec les autres croyances de l’individu, plus elle est importante, et plus elle demande davantage d’efforts de la part de cet individu pour évoluer. Ainsi, « les changements induits au niveau des croyances centrales ont des répercussions relativement plus grandes sur le reste du système de croyances que des changements induits au niveau de croyances moins centrales » (Ibid., p. 55).

 

Ces cinq classes de croyances sont (Brodeur, Deaudelin, & al., 2003), ordonnées en partant des plus difficiles à modifier :

 

  • Les croyances collectives (de type A) qui sont partagées dans une communauté d’appartenance assez large et donc rarement remises en cause. Au cas où l’individu décide de les remettre en cause, cela bouleverse incontestablement sa personnalité.

 

  • Les croyances individuelles (de type B) issues des expériences individuelles et de la socialisation primaire ; elles ne sont pas susceptibles d’être partagées mais également difficile à changer. Le changement de ces croyances nécessite souvent l’accompagnement d’un thérapeute (un psychologue, par exemple).

 

  • Les croyances d’autorité (de type C) provenant d’un ou des groupes de référence auxquels l’individus appartient (groupe familial, entreprise, syndicat, parti politique, etc.), suivant l’autorité qu’il attribue à ces groupes respectivement.

 

  • Croyances dérivées (de type D) qui découlent d’une autorité étrangère particulière (une personnalité de référence, par exemple) mais ne relevant pas d’une expérience directe de l’individu avec l’objet de sa croyance.

 

  • Croyances sans conséquence (de type E) acquises seulement par préférence, une question de gout. La remise en cause de ces croyances est relativement facile.

 

Il est alors à supposer que les croyances d’un individu affectent son comportement, et ainsi ses actions (directement ou non) suivant qu’elles appartiennent à l’une ou l’autre de ces différents types.

 

Pouliot et Potvin (2000) parlent de la relation entre croyance et action lorsqu’ils soulignent que « l’organisation des croyances forme une attitude qui prédispose à l’action » (p. 249). Aussi, des auteurs affirment que les croyances peuvent constituer de bons indicateurs sur les décisions que vont prendre les individus, ce qui implique que l’influence des croyances sur les pratiques est d’une probabilité non négligeable (Bandura, 1986; Pajares, 1992; Rokeach, 1976).

 

Désormais, la théorie des croyances de Rokeach (1976) stipule l’existence de trois type de croyances :

 

  • Les croyances descriptives (ou existentielles) : des parents, par exemple, « croient que » la mise en collectivité des enfants dans la crèche à un âge précoce fait partie des besoins fondamentaux de ces enfants (or, cela répond plutôt aux besoins essentiellement économiques des parents, Mauvais, 2003).

 

  • Les croyances évaluatives : des parents, par exemple, « estime que » la crèche est un lieu de socialisation des très jeunes enfants à l’égal de l’environnement familial (ce qui n’est pas le cas, étant donné que la mise en collectivité avec les pairs nécessite une certaine « adaptation », Provost, Garon, & LaBarre, 1991).

 

  • La croyance prescriptive (à travers lesquelles une action est perçue comme désirable ou non) : des parents « croient qu’il faut » intégrer leurs bébés dans les crèches, sinon, ces derniers ne pourront pas vivre normalement en société plus tard (pourtant, cela découle d’une confusion entre sociabilisation et socialisation, Hirn, 2017).

 

Il est ainsi possible de supposer que, plus les croyances vont au-delà d’une simple description, pour tendre vers la prescription, plus elles ont de la chance d’influencer les actions de l’individu. Par ailleurs, Pouliot et Potvin (2000) avancent que toute croyance comporte une triple composante :

 

  • La composante conative qui établit une relation entre les croyances et les actions suivant la désirabilité de ces dernières.

 

  • La composante affective qui lie les croyances et les attitudes positives ou négative (du sujet) envers l’objet des croyances. En d’autres mots, cette composante renvoie à la capacité des croyances à stimuler un affect positif/négatif centré autour de cet objet (Potvin, Deslandes, & Leclerc, 1999; Brodeur, Deaudelin, & al., 2003).

 

  • La composante cognitive, représentant le savoir du sujet, associe les croyances aux connaissances de ce sujet(Fontaine & Trahan, 1990).

 

 

En conclusion, les enjeux des croyances sont importants car susceptible d’impacter sur les pratiques des individus. Qu’en est-il alors des cas des professionnels de la petite enfance, et plus particulièrement ceux travaillant dans les crèches ?

 

 

1.2.2. Croyance des professionnels

 

Il faut reconnaitre que la littérature ne parle que très peu concernant les croyances des professionnels de la puériculture à propos de la socialisation des enfants. Il apparait alors utile de faire appel à l’appréhension de ce sujet du côté d’un domaine relativement connexe : celui de l’éducation scolaire, en espérant que cela donne davantage d’idées pour ce qui concerne le cas des professionnels des crèches. Il importe alors, d’appréhender la notion de croyance pour les enseignants afin de se construire un cadre d’analyse pour le champ de la puériculture.

 

1.2.2.1.   Croyance des professionnels dans le domaine de l’enseignement : sources, typologies, dimensions, fonctions et évolution

 

Pajares (1992) et Vause (2009), à travers une revue de littérature relative aux croyances des enseignants, témoignent d’une assez grande diversité des définitions de celles-ci proposées par de nombreux auteurs (dont entre autres, dans le Tableau 1). Pajares (1992) met ensuite en évidence deux définitions qui, tout en évoquant deux tendances bien distinctes, sont complémentaires :

 

  • La première, strictement opérationnelle, est celle de Rokeach(1976) : « toute proposition simple, consciente ou inconsciente, inférée à partir de ce qu’une personne dit ou fait, pouvant être précédé par la phrase “je crois que… » (Pajares, 1992, p. 314).

 

  • La deuxième, évoquant quelque chose d’ordre cognitif relatif à l’expérience de l’enseignement que les enseignants mobilisent dans certaines situations, est formulée par Harvey(1986) : « une représentation que se fait un individu de la réalité ; celle-ci possède assez de validité, de vérité, ou de crédibilité pour guider la pensée et le comportement » (Pajares, 1992, p. 313).

 

Tableau 1 – Définitions des croyances de l’enseignant suivant plusieurs auteurs

Auteurs Définitions
Clark, 1988 « Idées préconçues » et « théories implicites »
Porter & Freeman, 1986

Durand, 1996

« Orientations » de l’enseignant
Tabachnick & Zeichner, 1984 « Opinions » de l’enseignant, qui sont différentes des « perspectives » (interprétations réflexives des expériences) de l’enseignant
Goodman, 1988 « Perspectives » de l’enseignant car deux enseignants éprouvant les mêmes croyances peuvent les mettre en pratique différemment
Kagan, 1992 « Hypothèses implicites » : une forme de connaissances personnelles
Richardson, 1996

Crahay & Fagant, 2007

Van den Berg, 2002

« Pensées », « prémisse », « propositions », « assertions » qui se portent sur des objets/phénomènes du monde matériel ou mental

Sources : Vause (2009)

 

Vause (2009) propose ensuite une définition (plutôt synthétique, au regard des nombreuses relevées jusqu’alors) des croyances des enseignants : « contenus mentaux, ayant trait à l’enseignement, compilés dans des schémas ou des concepts, pouvant prendre la forme de propositions ou d’assertions » (p. 86).

 

En dépit de la grande variété des définitions, Kagan (1992) relève deux caractéristiques attribuées communément aux croyances des enseignants par les différents auteurs : leur relative stabilité et leur résistance au changement, d’une part, et leur correspondance à un style d’enseignement spécifique. Durand (1996) ajoute que les croyances des enseignants sont aussi caractérisées par leur individualité, c’est-à-dire qu’elles reflètent nécessairement les opinions personnelle d’un enseignant vis-à-vis de son travail. Néanmoins, la plupart des croyances des enseignants sont d’origine sociale mais impliquant une adhésion individuelle (du genre : « je sais que … mais, moi, je crois que … ») : ce qui veut dire que ces croyances englobent à la fois des composantes personnelles et partagées par la communauté enseignante. Plus précisément, les croyances de l’enseignant sont issues de quatre sources : (1) expériences empiriques, (2) expériences personnelles généralisées, (3) valeurs, et (4) préjugés (Vause, 2009).

 

Aussi, si Kagan (1992) (en reprenant les thèses d’autres auteurs comme Broudy, 1980, Floden et Clark, 1988, et Lieberman, 1992), associe les croyances des enseignants à une forme de connaissance personnelle, d’autres auteurs (dont Calderhead, 1996) parlent plutôt d’encapsulation des connaissances et des croyances dans les expériences professionnelles de ces enseignants : finalement, il faut dire que les connaissances et les croyances des enseignants sont indissociables. En effet, il est difficile aussi de dissocier les expériences professionnelles et personnelles d’un enseignant dans ses pratiques d’enseignement : du coup, ces connaissances et croyances « servent de filtres pour analyser et gérer les situations d’enseignement » (Crahay, Wanlin, & al., 2010, p. 88). La littérature anglo-saxonne du domaine de l’enseignement se détourne désormais du débat qui oppose les connaissances des croyances. Dès lors, en présentant quelques typologies, Crahay, Wanlin, et al. (2010) ne distinguent pas entre connaissances et croyances, soit : les sept types selon Shulman (1987) à savoir disciplinaire (correspondant aux savoirs sur la matière enseignée), pédagogique général (dont les principes de gestion de groupe et d’organisation), curriculaire (avec un point de focal particulier sur le programme, le matériel et les manuels scolaires), pédagogique du contenu (propre à chaque enseignant, articulant connaissances disciplinaires et pédagogiques), mais aussi concernant les apprenants et leurs caractéristiques, le contexte éducatif, et les finalités de l’éducation. Ces sept types de connaissances/croyances sont ensuite regroupés par Borko et Putnam (1996) en trois sous-ensembles : croyances et connaissances pédagogiques générales, disciplinaires, et pédagogiques du contenu. Les connaissances et croyances relatives aux apprenants et leurs caractéristiques (intégrées dans le premier sous-ensemble de connaissances-croyances pédagogiques générales) concernent les savoirs sur les élèves en général, ainsi que sur des élèves spécifiques de la classe, avec comme outils centraux la psychologie de l’apprentissage et la psychologie du développement (Crahay, Wanlin, & al., 2010).

 

Pour l’étude des connaissances-croyances des enseignants, Leuchter (2009) propose un cadre d’analyse suivant quatre dimensions, quatre continuums sur lesquels sont situées ces croyances (Crahay, Wanlin, et al., (2010) parlent aussi de « représentations ») : (1) entre systématiques et situées, (2) entre explicites et implicites, (3) entre déclaratives et procéduralisées, et (4) entre scientifiquement fondées et personnellement et/ou professionnellement expérimentées.

 

En outre, les fonctions de ces croyances sont plurielles qui consistent plus particulièrement à des « fonctions de savoirs, d’identité, d’orientations et de justification » (Crahay, Wanlin, & al., 2010, p. 90). Premièrement, les croyances des enseignants visent à donner un sens aux expériences de l’enseignant afin de comprendre et d’expliquer les actions accomplies et à entreprendre, c’est-à-dire dans une perspective cognitive. Deuxièmement, le fait de partager des croyances avec une communauté d’enseignants permet de se situer dans le champ social, ce qui fait que celles-ci ont également une fonction identitaire : une manière de s’identifier avec des groupes et de se démarquer d’autres groupes. Troisièmement, les représentations jouent aussi des rôles normatifs dans le sens d’orientation et de guides de comportements vis-à-vis des pratiques et des actions : cela confère aux croyances une valeur prescriptive sur ce qui est « légitime », « licite », « tolérable », « acceptable » dans un contexte social précis. Enfin, quatrièmement, les représentations servent aussi à titre « justificatif » sur l’ensemble des choix qu’entreprend l’enseignant dans sa carrière (surtout pour les jeunes enseignants) (Abric, 1994).

 

En ce qui concerne spécifiquement la relation entre les croyances des enseignants et leurs pratiques, il faut dire que celle-ci est complexe et n’est pas systématique. Avec l’encapsulation des croyances des enseignants dans leurs expériences professionnelles, ainsi qu’avec l’indissociabilité de leurs connaissances et leurs croyances, il y a une tendance à supposer que ces dernières ne peuvent qu’influer significativement sur les pratiques de ces enseignants. Désormais, plusieurs auteurs (entre autres : Borko & Shavelson, 1990 ; Calderhead, 1996 ; Woolfolk Hoy, Davis & Pape, 2006) soutiennent l’idée que les connaissances-croyances des enseignants servent de filtres dans l’analyse et la gestion des situations d’enseignement. Ainsi, par exemple, il est presque inexistant de voir le curriculum officiel implémenté tel qu’il est écrit (Crahay, Wanlin, & al., 2010). Néanmoins, les croyances ne constituent qu’un facteur qui influence les pratiques des enseignants (il est possible de citer, par exemple, le curriculum officiel, les valeurs et directives de l’établissement scolaire, les situations d’enseignements, etc.). En tout cas, très nombreux sont les auteurs qui s’accordent sur le fait que les croyances des enseignants impactent d’une manière ou d’une autre sur les pratiques d’enseignement (entre autres : Bandura, 1986 ; Fenstermacher, 1979 ; Huber & Roth, 1990 ; Munby, 1982, 1983 ; Pajares, 1992 ; Rokeach, 1976 ; Staub & Stern, 2002 ; Stipek, Givvin, Salmon & al., 2001 ; Tabachnick & Zeichner, 1984). Mais, de telle influence n’est pas absolue, amenant même certains auteurs à mettre en doute la relation croyances-pratiques des enseignants (par exemple : Hancock & Gallard, 2004 ; Mellado, 1998). D’autres auteurs encore parlent plutôt de liaison conditionnelle entre ces deux phénomènes (par exemple : Calderhead, 1996 ; Klieme & Reusser, 2003 ; Leuchter, 2009 ; Lipowsky, 2006 ; Opdenakker & Van Damme, 2006).

 

Loin d’être exhaustif, quelques exemples illustrant le lien entre croyances et pratiques d’enseignement peuvent être cités dans le domaine des enfants de bas-âges, surtout concernant de très jeunes enfants en difficulté de développement physique et/ou psychologique :

 

  • Une étude sur les représentations des enseignants de niveau préscolaire au sujet de l’intégration d’enfants ayant un « trouble envahissant du développement » concluent que les pratiques quotidiennes de ces enseignants « étaient guidées par les représentations qu’elles entretenaient» (Bergeron, 2009, p. 120). Cela vient alors confirmer le discours d’Abric  (1994) selon lequel « l’existence d’une représentation de la situation préalable à l’interaction elle-même fait que dans la plupart des cas, « les jeux sont faits à l’avance », les conclusions sont posées avant même que l’action ne débute » (p. 17).

 

  • Une autre étude concerne aussi l’influence des croyances des enseignants de maternelle vis-à-vis des capacités scolaires des enfants porteurs de trisomie 21. En conclusion de cette étude, les chercheurs affirment que « 42 % des enseignants de l’échantillon stigmatisent (stéréotypes et/ou croyances négatives discriminatoires) les élèves porteurs de trisomie 21» et que cela constitue « un véritable problème à la fois pour leur épanouissement dans l’école et plus globalement dans notre société » (Groud & Martin-Krumm, 2011, p. 213).

 

  • Une autre étude se focalise sur les croyances et pratiques des enseignants de la maternelle à propos des habiletés métaphonologiques et de la connaissance des lettres. Bien qu’il n’y ait pas de relation significative entre les années d’expérience, les croyances et les pratiques de ces enseignants, « le fait de prendre conscience qu’ils peuvent jouer un rôle crucial pour contribuer à la réussite de l’apprentissage de la lecture peut les motiver à modifier leurs croyances et leurs pratiques» (Brodeur, Deaudelin, & al., 2003, p. 186).

 

En somme, les impacts des croyances des enseignants des écoles en bas-âges semblent dépendre de multitudes d’autres facteurs qu’il reste à définir.

 

1.2.2.2.   Qu’en est-il du domaine de la puériculture ?

 

Dans un premier temps, il convient d’appréhender l’articulation entre le domaine de l’éducation-enseignement et celui de la puériculture, plus précisément entre l’école maternelle et la crèche. En considérant par exemple le contexte français, l’âge accordé à l’entrée à l’école maternelle a progressivement baissé, allant de 5 ans en 1970, en passant par quatre (1980) et trois ans (1995), voire jusqu’à deux ans (la même année), même si le pourcentage des enfants de deux ans est passé de 35.5% à 18.1% de 2000 à 2008 (MEN, 2009). Cela réduit fortement la frontière entre les deux institutions, la crèche et la maternelle : « Accueillir à l’école toute une journée des enfants de deux ans, c’est détourner l’école maternelle de sa mission véritable ; c’est la transformer en garderie pendant la majorité de leur séjour scolaire » (Bentolila, 2007). Entretemps, la constitution d’une soixantaine de « classes passerelles » en 2000, destinées à faire la transition entre les deux structures, n’ont pas eu de succès, de même que les travaux relatifs à l’articulation entre ces structures n’ont pas obtenus de soutien institutionnel suffisant (Garnier, 2009). Sans sombrer dans les débats sur la séparation entre ces deux domaines s’occupant des jeunes enfants, il y a lieu uniquement de souligner que cette séparation est purement institutionnelle. Mais, les conséquences de cette séparation peuvent être très significatives, aussi bien au niveau des programmes et activités dédiés aux jeunes enfants qu’à celui des contenus des formations suivies respectivement par les professionnels des deux champs disciplinaires.

 

En fait, si dans le domaine de l’éducation, les croyances qui sont désormais confondues aux connaissances sont incontestablement nourries par les formations (initiales et continues) que les enseignants ont suivies (Vause, 2010), le domaine de la puériculture, et de la petite enfance extrascolaire en général (des crèches en particulier) est tout autre. En effet, tandis que les instructions sont suffisamment abondantes pour guider les enseignants dans leur métier, bien que cela n’arrive pas à unifier leurs pratiques, les activités des professionnels œuvrant dans les crèches sont dites « à prescription faible ». Ces activités devraient seulement s’exercer dans un environnement ouvert et devrait mobiliser, d’une part, des savoir-comprendre construits dans le but d’identifier les causes d’un phénomène et, d’autre part, des savoir-combiner dans le sens d’une gestion de plan d’action répondant à de multiples contraintes (Hatchuel, 1996). Certes, les éducatrices et les puéricultrices reçoivent des formations conséquentes, néanmoins, au niveau de la pratique, ces formations ne leur servent pas tellement de « prescription » mais plutôt de « repère ». « Dans un tel travail à prescription faible, la direction d’une institution ne peut pas s’exercer de façon très contraignante sur les pratiques effectives et quotidiennes » (Zogmal, 2008, p. 38).

 

Toutefois, la marge de manœuvre laissée à ces professionnels est à nuancer car, « il semble évident d’une part qu’il est impossible de se calquer sur la relation entre une mère et son enfant, d’autre part qu’une telle relation serait fondamentalement proscrite par l’exigence d’une posture professionnelle » (ibid.). En d’autres termes, ce sont surtout les expériences professionnelles qui confèrent savoir-pratiques des professionnels de la petite enfance. Ainsi, est-il possible de supposer que la confusion entre connaissances et croyances des professionnels des crèches est encore plus forte (que dans le domaine de l’éducation scolaire) ? Répondre hâtivement par l’affirmatif peut être trop réducteur.

 

En fait, la littérature ne révèle que très peu des croyances des professionnels du domaine des crèches, et les rares exemples pouvant être exploités dans ce sens se focalisent sur d’autres thèmes sensiblement différents et ne se consacre qu’implicitement à l’éventuelle implication de ces croyances aux pratiques de ces professionnels. Ces rares exemples se concentrent essentiellement à des cas sortant de l’ordinaire (d’autant plus que ces travaux ne sont pas récents), comme le montre les deux illustrations ci-après :

 

  • L’étude réalisée par Lieber, Capell, et al.(1998), sur les croyances des « éducatrices de l’enfant » à propos de l’intégration préscolaire, a montré que ces professionnelles de la petite enfance n’ont pas les mêmes manières de mettre en place cette intégration dans leur groupe (en utilisant des programmes sensiblement différents). Cependant, malgré cette variation dépendant des orientations individuelles, il y a une constante, un élément qui ne varie pas : les différentes éducatrices considèrent que tous les enfants sont égaux, même face à des enfants qualifiés de « à besoins éducatifs particuliers ». De cette conception égalitaire, ces professionnels ont fait en sorte que les enfants, à besoins particuliers ou non, participent aux mêmes activités, et ensemble.

 

  • L’étude de Buell, Hallam, et al.(1999), toujours portant sur les perceptions des éducatrices concernant l’intégration préscolaire, révèle que ces dernières se sentent moins compétentes que les éducatrices spécialisées lorsqu’il s’agit des enfants à besoins éducatifs particuliers. Face à leur hésitation dans les pratiques, ces professionnelles pensent que plus de pratiques, notamment dans la prise de décision et la prise en charge relative aux enfants, les aideraient à gagner confiance en elles-mêmes. Cette affirmation est en quelque sorte confirmée par Irwin, Lero, et Brophy (2004) que des expériences antérieurement vécues, essentiellement positives, accroitraient la confiance des éducatrices dans leurs habiletés à répondre aux besoins des enfants.

 

  • Dans leurs travaux sur le développement socio-affectif des enfants en situation de handicap accueillis dans des structures d’accueil collective de la petite enfance, Fontaine et Zaouche-Gaudron(2014) mettent l’accent sur la forte implication des représentations des professionnels sur ces individus fragiles. Ces auteurs soulignent que « le changement des pratiques nécessite une transformation profonde du regard porté sur le handicap, sur l’organisation et sur le travail. Les représentations liées au handicap orienteraient ainsi les pratiques d’accompagnement des professionnels » (p. 172).

 

Même si ces quelques exemples se montrent un peu trop « moins généralistes » à propos de l’implication des croyances des professionnels des structures d’accueil du type « crèche » sur les pratiques de ces derniers, cela donne des idées sur les impacts possibles de ces croyances sur les actions de ces professionnels. Dès lors, il y a lieu de se demander sur la question concernant les impacts de ces croyances sur la socialisation des jeunes enfants.

 

1.2.3. Enjeux de la croyance des professionnels sur la socialisation de la petite enfance

 

De manière analogue à la section précédente, il s’agit ici de s’intéresser aux implications de la croyance des enseignants sur la socialisation des jeunes enfants pour, ensuite se construire une meilleure perspective d’analyse quant au domaine de la puériculture.

 

1.2.3.1.   Implications (réelle et/ou potentielle) de la croyance sur les pratiques dans le domaine de l’enseignement

 

Quelques questionnements s’imposent : qu’est-ce que l’école (et la maternelle plus particulièrement) a avoir avec la socialisation des enfants ? Plus précisément, quels pourraient être les apports de l’école dans la socialisation des jeunes élèves ? Quel devrait être la place et le rôle à jouer par l’école sur ce point ? En quoi les enseignants peuvent-ils influencer la socialisation des jeunes enfants ? Et surtout, les croyances des professionnels de l’éducation scolaire peuvent-ils avoir des implications dans de telle socialisation ? Sans prétendre pouvoir répondre exhaustivement à ces questionnements, ni dans l’ordre de leur énumération ci-dessus, il convient d’essayer d’apporter quelques éléments de réponse à travers la littérature.

 

D’abord, d’après Vincent, Lahire, et Thin (1994), l’attribution à une institution du qualificatif « scolaire » l’inscrit dans un mode de socialisation spécifique, propre à l’école dont l’unité et l’intelligibilité peuvent être caractérisées par le rapport à des normes impersonnelles. Garnier (2009) en apporte plus d’explication tout en y intégrant le cas de l’école maternelle :

 

« La « forme scolaire », produit d’une dynamique historique particulière, se caractérise par une relation sociale spécifique, la relation pédagogique, par des formes d’apprentissages décontextualisés visant des savoirs objectivés, codifiés, systématisés et explicités, par le privilège accordé à une culture écrite et, plus largement à un rapport scriptural-scolaire au langage et au monde. Dans ce sens, la scolarisation de la maternelle peut s’analyser comme une transformation de ses objectifs et de son curriculum qui valorise les apprentissages cognitifs et langagiers. Autrement dit, la maternelle devient véritablement une école à mesure qu’elle inscrit dans son programme et ses pratiques ce qui est devenu une évidence culturelle : « l’école est le lieu d’apprentissage de la langue » » (Garnier, 2009, p. 7).

 

Si Plaisance (1986), dans son analyse des modèles éducatifs de la période 1945-1985, intègre dans le curriculum de l’école maternelle « l’épanouissement et la socialisation » des jeunes enfants, les enjeux deviennent plus accentués par la suite en mettant en valeur la prévention des difficultés scolaires, le dépistage des handicaps et la compensation des inégalités (Garnier, 2009). En effet, la volonté de réduire les inégalités sociales a amené les concepteurs sur la scène éducative d’attribuer à l’école maternelle la mission entre autres de « compenser les différences des socialisations familiales », à travers notamment la réduction des inégalités sociales devant l’école (Ibid., p. 7).

 

Par ailleurs, la notion de « buts sociaux » permet aussi d’appréhender d’une autre façon la socialisation dans les milieux scolaires. Ces buts sociaux, définis comme « des résultats que l’élève cherche à atteindre dans ses interactions avec les autres » (Filisetti, Wentzel, & Dépret, 2006, p. 46), sont de deux types : d’une part, les buts « prosociaux » permettant l’établissement de comportements tels que le partage, la coopération ou l’aide et, d’autre part, les buts de « responsabilité sociale » sous-tendant l’élaboration de comportements comme le respect des règles, la fidélité envers les promesses et les engagements (Wentzel, 2003). Il a été montré que ce sont les enfants qui connaissent mieux la réussite en classe (obtenant de meilleures notes) qui sont également ceux qui poursuivent ces types de buts (l’inverse étant aussi vrai). En effet, les dimensions sociale (concernant les buts sociaux) et académique (à propos de la performance) ne sont pas indépendantes l’une de l’autre car quelqu’un apte à aider ses camarades à résoudre leurs problèmes, à partager avec eux, à les comprendre, à anticiper les conséquences de leurs actions est nécessairement une personne dotée de certaines capacités cognitives. Mais, une autre explication de cette liaison entre ces deux dimensions réside également, et surtout, dans la relation entre l’enfant et l’enseignant : « il a été montré qu’il existe un lien entre certains buts sociaux poursuivis par l’élève et combien il est apprécié par le professeur » (Filisetti, Wentzel, & Dépret, 2006, p. 47). Pour plus de précision, en général, les élèves qui sont les plus appréciés des enseignants sont ceux qui investissent davantage dans le respect de certaines règles (concernant le travail, par exemple), ce qui implique la mise en œuvre de certains comportements. Ainsi, les enseignants éprouvent plus d’attachement et ressentent moins d’indifférence envers les élèves « conformes » ; désormais, le ressenti des enseignants envers les élèves, affecte non seulement les représentations des deux parties, mais également leurs comportements (Wentzel, 2003; Helton & Oakland, 1977; Bressoux & Pansu, 2003).

 

En retour, les efforts fournis par les élèves peuvent varier en conséquences ainsi qu’en fonction des trois besoins fondamentaux de ces individus. D’abord, relativement au besoin de « compétence », un élève se percevant capable dans la réalisation de certaines tâches fait plus d’efforts, non seulement dans les activités de classe mais également dans ses relations avec les autres. Ensuite, concernant le besoin « d’autonomie », un élève ne se sentant pas contraint peut s’impliquer davantage dans une tâche qui lui est proposée et, en général, préfère se focaliser sur les activités de challenge plutôt que celles imposées : dès lors, de tel élève s’intéresse beaucoup plus à progresser par lui-même que de chercher à obtenir des notes meilleures que celles des autres. Enfin, à propos du besoin de lien, il est évident qu’un élève ne se sentant pas soutenu par ses camarades ne s’intéresse pas plus motiver pour un but social. Par rapport à l’enseignant, cet enfant tient surtout aux « feedbacks » de la part de l’adulte pour le guider à respecter les règles de la classe, c’est-à-dire à mieux se socialiser. « Au plus il pense, au contraire que l’enseignant lui fait confiance et a de hautes attentes le concernant, au plus il est motivé pour agir de manière prosociale (coopérer, partager, aider), et pour respecter les règles de la classe et au plus il est intéressé par l’école » (Filisetti, Wentzel, & Dépret, 2006, p. 49). En résumé, les attitudes manifestées par les enseignants envers les élèves influencent la socialisation de ces derniers.

 

Tout ceci est assez conforme au fait que l’un des deux rôles principaux attribués par les sociologues de l’éducation aux enseignants et de « socialiser les élèves aux valeurs de la société » (l’autre rôle étant la transmission des connaissances) (Gérin-Lajoie, 2002, p. 126). Lapointe et Legault (Lapointe & Legault, 2004) vont plus loin en affirmant que les enseignants peuvent également (même partiellement et à moindre mesure) peuvent se rapprocher de la mère en matière de représentation et d’action en conséquence, c’est-à-dire que, bien qu’il s’agit seulement d’une possibilité (une potentialité), la socialisation sous l’influence des enseignants peut se rapprocher de celle sous l’influence maternelle. « Non seulement l’enseignant peut-il contribuer à faire en sorte que ses élèves aient le plus possible la chance de satisfaire leur besoin d’appartenance entre eux, mais sa relation directe avec chacun d’eux est primordiale » (p. 146).

 

Un sujet attirant beaucoup d’attention à propos de l’influence des croyances des enseignants de maternelle sur la socialisation des élèves concerne l’auto-socialisation de genre. En fait, l’origine des différences entre sexes n’est pas seulement biologique puisque les expériences « offertes » aux élèves à l’école influencent significativement leur différenciation sexuelle, c’est-à-dire conduisant les enfants à se socialiser eux-mêmes (Bigler, Hayes, & Hamilton, 2013). Mosconi (1999) explique ainsi la transmission des stéréotypes[3] de genre des enseignants vers leurs élèves : « À l’école, on apprend à répondre aux attentes stéréotypées des enseignant(e)s. Ces dernier(e)s s’attendent à l’indiscipline des garçons et à la docilité des filles, acceptant la première comme un mal nécessaire, mais rejetant celle des filles, vécue comme une attaque personnelle. Ils considèrent les garçons comme des « sous-réalisateurs » (ils ont des possibilités mais ne font pas tout ce qu’ils peuvent) et attribuent la réussite des filles plus à leur travail et à leur conformisme qu’à leurs capacités intellectuelles (les filles « font ce qu’elles peuvent ») » (p. 59).

 

Il en est ainsi malgré que les enseignants essaient de minimiser cette transmission de ces stéréotypes de genre qu’ils ont, eux-mêmes, acquis dans un environnement pourvu de codes relatifs au sexe. En fait, durant leur parcours formationnel, les futurs enseignants reçoivent de manière « optionnelle » une formation qui se porte sur la construction du genre ; pourtant, les représentations sociales genrées sont toujours persistantes dans leur métier. Cette transmission se fait donc via des gestes, des actes de langage et des tenues vestimentaires, mais également par les attitudes des enseignants. Plus en détail, il y a au moins trois manières suivant lesquelles les stéréotypes de genre façonnent le comportement des enseignants en classe (Bigler, Hayes, & Hamilton, 2013) :

 

  • Premièrement, ces adultes offrent parfois un modèle de comportement stéréotypés. Iegle-Crumb et Humphries(2012) constatent ainsi que nombreux enseignants endossent (consciemment ou non) des stéréotypes sexistes culturels à l’exemple de l’idée que les garçons ont plus de facilité dans les matières à tendance « mathématique » par rapport aux filles ; d’autres enseignants ont également des préjugés sexistes culturels et manifestent souvent une préférence pour les filles ou pour les garçons.

 

  • Deuxièmement, les attentes des enseignants envers les garçons et les filles sont souvent différenciées. C’est par exemple ce qui se produit dans les ateliers de déguisement ou de construction où les enseignants acceptent l’utilisation différentielle par les filles et les garçons(Thorne, 1993).

 

  • Troisièmement, les enseignants peuvent amener à renforcer les biais sexistes des élèves quand il met un accent sur l’appartenance à un genre dans l’organisation de ces derniers ou pour les étiqueter (en demandant, par exemple, aux élèves de se mettre en rangs suivant leur sexe)(Bigler & Liben, 2006).

 

Cela n’est pas sans conséquence sur la socialisation des élèves : « Les élèves ont tendance à se conformer aux attentes de leurs enseignant(e)s et à ressembler à leurs représentations genrées et attentes stéréotypées, ceci pour les satisfaire, dans l’espoir de gagner en retour au plan relationnel et affectif » (Gauthiez-Rieucau, 2010, p. 29).

 

D’ailleurs, il faut reconnaitre la complexité de la gestion de cette question sur les genres au niveau pratique. Ci-après un aperçu de la problématique : « Lorsqu’il s’agit de démanteler les stéréotypes de sexe et les inégalités, les enseignants se trouvent face à des exigences contradictoires : ils doivent en même temps thématiser les rapports de sexe et ne pas les exacerber ; ils doivent tenir compte de l’appartenance de sexe des élèves sans les y réduire ; ils doivent mettre au jour les règles et les mécanismes de production des différences et des hiérarchies de sexe, au risque de les produire eux-mêmes ; ils doivent contribuer à la compréhension des rapports de sexe, tout en étant eux-mêmes imbriqués dans l’ordre symbolique des sexes » (Chaponnière, 2010, p. 73). Sur ce point, les enjeux sont considérables pour les jeunes enfants de l’école maternelle qui se trouvent dans une période cruciale de la construction identitaire et du déploiement des bases des représentations sociales de genre. Il faut alors dire que la mise en place des stéréotypes sexués s’effectue relativement tôt (Amoros, 2013). Dès lors, très peu d’enseignants de la maternelle interviennent explicitement (en modifiant les matériels utilisés ou la disposition des mobiliers dans la salle de classe, par exemple) pour limiter l’ancrage de ces stéréotypes chez leurs élèves, d’autres préfèrent intervenir « spontanément », en réagissant ponctuellement (sur des propos sexistes émis par les élèves, par exemple), d’autres enseignants encore restent indifférents et n’interviennent jamais. En tout cas, il est montré que ces stéréotypes de genre sont plus atténués en présence de l’enseignante quand celle-ci instaure la mixité (Ibid.).

 

En somme, pour ce qui est de la socialisation spécifique à l’éducation scolaire, mais également concernant la socialisation des jeunes enfants en général, les enseignants peuvent jouer un rôle actif et de catalyseur. Ainsi, ces enseignants peuvent être des agents amplificateurs ou « nuanceurs » du processus de socialisation. Dès lors, qu’en est-il du cas des professionnels des crèches ?

 

1.2.3.2.   Perspective pour les professionnels de la petite enfance

 

Bien que la littérature ne traite presque pas de la question de la même question pour le cas des professionnels des crèches, quelques éléments de réflexion peuvent être mentionnés. Dans un premier temps, il y a lieu de s’interroger si toutes les conclusions pouvant être faites à propos de l’implication des croyances des professionnels sur la socialisation des enfants dans le champ de l’éducation ne s’applique pas avec plus de force dans le champ de la puériculture des crèches. Puis, dans un deuxième temps, un autre questionnement concerne le niveau collectif des représentations des professionnels et leurs possibles impacts sur la socialisation de ces jeunes enfants.

 

Pour la première interrogation, l’on peut s’appuyer, d’une part sur la marge de manœuvre apparemment plus importante accordée aux professionnels des crèches dans leurs pratiques (par rapport aux enseignants), étant donné que ces dernières ne sont régies que par peu d’instructions. En effet, « certes, il est possible de rédiger un projet pédagogique, de nommer l’importance donnée à telle ou telle activité, à telle ou telle façon de faire. Mais aucune prescription ne peut donner de réponse à des questions singulières comme : que faire avec cet enfant-là qui pleure, comment réagir face à cet enfant-là qui n’obéit pas, etc. » (Zogmal, 2008, p. 37). Dorénavant, et bien plus que pour le domaine de l’éducation scolaire, il n’est pas possible pour un humain si limité de formaliser des principes à suivre pour chaque cas qui se présente devant les professionnels des crèches, étant entendu que toutes les éventualités possibles ne peuvent être déterminées exhaustivement à l’avance (Hanique & Jobert, 2002). Une première sous-hypothèse (l’hypothèse sous-jacente étant exprimée à travers la première interrogation ci-dessus) en découle, selon laquelle, le champ des croyances des professionnels de la puériculture est nettement plus étendu que celui des enseignants de l’école maternelle.

 

D’autre part, la fragilité et la sensibilité est sûrement plus élevée pour les jeunes enfants accueillies dans les structures de type « crèche » comparée à ceux des institutions scolaires telles que la maternelle. En effet, « plus les enfants sont jeunes, plus leur vécu et leur personnalité sont tissés au vécu et à la personnalité de ceux qui les entourent » (Giampino, 2012, p. 25). C’est surtout pour les jeunes de moins de cinq ans qui sont les plus vulnérables car le niveau de leurs consciences réalistes est encore diffus, et une intervention imprudente à cette tranche d’âges risque de faire empreinte difficilement effaçable : « la clinique montre clairement que l’enfant s’identifie plus fortement aux représentations négatives qu’aux projections positives » (Ibid.), ce qui veut dire que ces très jeunes individus sont plus à même d’intégrer les comportements stéréotypés des adultes que leurs ainés qui ont déjà pris le chemin de l’école. Une seconde sous-hypothèse pouvant alors être formulée : les attitudes manifestées des professionnels de la puériculture peuvent affecter davantage (par rapport à celles des enseignants) celles des jeunes enfants accueillis et les comportements sociaux de ces enfants.

 

En outre, à propos de la deuxième interrogation, les travaux de Zogmal (2008), sur « les stratégies défensives du métier d’éducatrice du jeune enfant », met en relief l’importance des représentations construites collectivement par un groupe de professionnelles, avec leurs enjeux sur la socialisation des enfants. L’auteur constate ainsi que le déni des émotions et des angoisses des jeunes enfants est collectif pour la plupart des cas. « Les bases nécessaires à ce déni collectif se construisent à partir des représentations, des images partagées par l’équipe concernant un enfant, une situation » (p. 111). C’est par exemple le cas d’un enfant, prénommé « Karim » qui pleure à chaude larme, mais les éducatrices considèrent que l’enfant « exagère », et cette représentation passe d’une éducatrice à une autre pour être ensuite partagée ; c’est alors que l’enfant est entouré (pris par la main), mais aucune des éducatrices n’évoque les angoisses de séparation ainsi que les difficultés de Karim à se sentir en sécurité dans la crèche. Un autre exemple est narré par l’auteur pour montrer que des représentations construites collectivement entre les éducatrices peut déboucher sur un phénomène de « bouc émissaire », à propos d’un enfant qui n’est jamais à la hauteur, considéré comme responsable de ce qui ne fonctionne pas : « Martha (3 ans) a poussé fort un enfant. Sandra, l’éducatrice la gronde […] et vient voir sa collègue dans la pièce d’à côté : « Elle est terrible, aujourd’hui. » Sa collègue lui répond : « Ah, là elle est dans ses bons jours, Martha. Ce matin, ça allait. » Sandra continue : « Je l’ai mise à jouer toute seule. Elle n’arrive pas à jouer avec les autres ». » (Ibid., p. 112). Sans apporter des jugements sur les comportements des éducatrices, cet exemple montre que les représentations sont très contagieuses et renforcent, justifient, légitiment les dispositions prises conséquemment par une collègue qui affecte incontestablement la place sociale de l’enfant considéré.

 

Toujours en référence aux travaux de Zogmal (2008), le partage des représentations entre les professionnels de la crèche facilite, à travers cette occasion, la mise en place de règles également construites collectivement. Ces règles régissent non seulement la petite communauté d’éducatrices de l’établissement, mais surtout les relations avec et entre les enfants. Une des manifestations « fortes » racontées par l’auteur concerne des règles implicites répandues qui empêche toute intervention de la part de l’ensemble des éducatrices en présence lorsqu’une collègue interagit avec un enfant : il ne faut jamais contredire une collègue, jusqu’à soutenir celle-ci au lieu de soulager la souffrance du jeune enfant. Dès fois, quand de telle situation se produit, tandis que l’intervenante est en interaction avec un enfant, les autres éducatrices présentes ne disent rien, ne font aucun geste :

 

« L’éducatrice menace Adriana de lui couper les cheveux et son action est soutenue par le silence de ses collègues […] Adriana a été sujet à des moqueries et à des menaces, dans le silence des autres adultes présentes. Après, dans un aparté, clandestinement, Adriana cherche du réconfort auprès de la jeune aide. Les règles du collectif demandent de ne pas intervenir dans l’interaction entre une collègue et un enfant, et l’aide ne peut le faire qu’après coup, en « trichant ». » (Ibid., pp. 112-113). Sans entrer dans des considérations éthiques et morales (ce qui est « bon » ou « mauvais »), l’important est ici de reconnaitre que c’est la base même de la socialisation, c’est-à-dire les règles, les valeurs et les rôles, qui prévalent dans la crèche (entre les professionnels et avec les enfants) qui sont en jeu.

 

Pour finir, il y a lieu de se demander si de telles représentations partagées et règles construites collectivement ne reflètent pas, au niveau individuel, les croyances des éducatrices. C’est certainement une façon d’ajouter de la force et de faire valoir les croyances individuelles des professionnels, avec des conséquences encore plus soutenues sur la socialisation des enfants (Dujarier, 2002).

 

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[1] Il y a lieu de noter que le constructivisme mis au premier plan ici se détache de la priorisation donnée aux structures sociales, distinctes de la conscience et/ou la volonté des individus (au sens de Bourdieu, 1987), pour partir de ces individus et de leurs interactions au niveau d’un système donné

[2] C’est une situation expérimentale qui consiste à évaluer le sentiment de sécurité d’un très jeune enfant. Elle se réalise à travers les étapes suivantes : (1) La mère assiste le bébé dans une pièce, (2) une inconnue entre dans la pièce, (3) la mère quitte la pièce, (4) la mère revient, (5) l’inconnue quitte à son tour la pièce, (6) la mère quitte (de nouveau) aussi l’enfant qui reste alors seul, (7) l’inconnue revient puis la mère.

[3] A titre de rappel : Les stéréotypes sont des représentations manifestant l’emprise de la relation sociale sur la représentation en pensée (Georges, 2011).

 

 

 

 

 

 

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