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Réinventer le métier de facteur en Suisse

Réinventer le métier de facteur en Suisse

Plan :

Introduction

  • Le facteur : un métier emblématique du service postal
    • La description du métier
      • 1- Le facteur et son acception
    • Un métier du public
    • Une condition ouvrière
    • Les types de tournées
      • 2- Le déroulement de la journée du facteur
    • Le tri

i- Le tri général

ii- Le  tri individuel

  • La tournée
  • Le retour au centre
    • L’historique du métier
      • 1- Les débuts du métier
      • 2- La poste et les réseaux du pouvoir
      • 3- Le facteur : un personnage populaire
    • Le métier de facteur en voie de disparition ?
      • Les changements observés au niveau du métier
        • 1- Les paramètres sociaux
      • L’aspect démographique
      • Le recrutement et la formation des facteurs
      • La pénibilité du travail
        • 2- L’amoindrissement de l’usage de la lettre
        • 3- L’industrialisation du métier
        • 4- La modernisation des services publics
        • 5- Les incidences des transformations sur la personne du facteur
      • Les incidences physiques
      • Le poids psychologique
        • Vers une déprofessionnalisation du métier de facteur
          • 1- Le principe de la déprofessionnalisation
        • Déprofessionnalisation versus professionnalisation
        • La déprofessionnalisation : un déclin de la place sociale de la profession
          • 2- La déprofessionnalisation du métier de facteur
        • La transformation organisationnelle de la poste
        • La perte d’autonomie et la surcharge de travail des facteurs
        • Pour une préservation du métier de facteur
          • Les options possibles
            • 1- La course à la rentabilité
          • Les manifestations de la course
          • Le bilan de la course
            • 2- La poste au service de tous
          • Les solutions pour sauver le métier
            • 1- La réaffectation du facteur
            • 2- Les NTIC : une arme à double tranchant

Conclusion

Bibliographie

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

INTRODUCTION

« Facteur, dépêche-toi, l’amour n’attend pas ! ». Qui n’a pas, au moins une fois dans sa vie guetté l’arrivée du facteur, en espérant que celui-ci apporte une lettre d’un être cher, éloigné des yeux ? Le facteur, ce bonhomme jovial, la casquette sur la tête et la grosse besace de courrier en bandoulière, arpente les rues des hameaux et villages sur sa bicyclette, pour nous ramener notre courrier. Pendant des siècles durant, le facteur a fait partie intégrante de la vie de la population, par les visites quotidiennes qu’il effectue lors de la distribution du courrier, des mandats ou des lettres par correspondances et même des colis. Véritable patrimoine humain, au-delà du cliché de facteur messager qui le définit comme un prestataire de service, il entretient un lien social avec les usagers de la poste. Il connaît leur vie, partage leurs joies et peines et veille à leur rendre de petits services au cours de sa tournée. Il trouve toujours le temps de parler de ce qui va et de ce qui ne va pas chez ses clients, parfois il s’attable même et boit des coups dans les foyers qui l’accueillent à bras ouvert.

Ces moments privilégiés de contact ont fait du facteur un personnage public au succès populaire, un être à part entière dans l’univers quotidien, qui a d’ailleurs inspiré plusieurs œuvres, tant dans la littérature que dans la cinématographie[1]. Ce caractère populaire du métier de facteur est d’ailleurs admirablement illustré par les paroles de la chanson de Bourvil, intitulé « le facteur », dont l’extrait est le suivant : « Dans chaque village, on connaît l’facteur. C’est un personnage qu’on porte dans son cœur. Recevoir une lettre, vous met en émoi. Chacun s’dit, peut-être y en a une pour moi (…). Tiens ! Voilà l’facteur. Il apporte le journal et son bonjour matinal. (…) Tiens ! Voilà l’facteur. Venez boire à ma santé, vous l’avez bien mérité. ». Cette image populaire du facteur s’est dessinée et surtout s’et affirmée au XIXème siècle. Messager qui relaie la ville à la campagne, il s’acquitte des diverses commissions comme la livraison de médicaments ou de provisions pour le compte de particuliers. Au fur et à mesure que les années se sont écoulées, le nombre de facteurs s’est accru ; cette multiplication n’a cependant pas affecté le caractère populaire du métier. Le facteur est quelqu’un de familier que l’on a toujours connu, que l’on apprécie et qui fait partie de la vie ordinaire.

Dans les temps actuels, on assiste cependant à une transformation du métier. On constate déjà un fossé qui se creuse entre le facteur en milieu urbain et le facteur en milieu rural. Le métier de facteur, notamment celui exercé dans une zone urbaine, est fortement affecté de changements. Bien que l’image positive du facteur demeure, une tendance opposée commence à se faire sentir dans les villes où le contact se raréfie, voire disparaît. Avec l’existence des boîtes aux lettres et l’individualisme flagrant des hommes, c’est à peine si le destinataire d’une lettre rencontre physiquement le facteur[2].  En outre, on assiste à la méfiance des destinataires de courrier face aux facteurs. Ceux-ci se plaignent en effet du mauvais fonctionnement de la poste dans la distribution du courrier, notamment pour les cas de retards, d’erreurs ou encore de pertes dans la distribution du courrier. Ce fait est corroboré par les réclamations des usagers qui affluent au bureau des postes. D’autant plus qu’avec l’avènement du taylorisme et l’expansion de la technologie, les nouvelles technologies de l’information et de la communication, ainsi que la mécanisation du tri du courrier se sont progressivement substituées au facteur. Les deux principales fonctions d’un facteur étant le tri du courrier et la distribution de celui-ci, les machines ont peu à peu investi les tâches du facteur et l’ont remplacé. Avec Internet et le système d’e-mail, les gens ont en effet tendance à laisser le papier à lettre et l’enveloppe de côté pour pianoter quelques phrases au clavier et les envoyer au destinataire du courrier. Les e-mails désavantagent largement la lettre normale car ils témoignent d’un caractère instantané et offrent un coût moindre.

Il est important de préciser d’emblée que notre travail dont le noyau est le facteur postal sera plus centré sur la réinvention du métier. La zone d’étude géographique sera la Suisse. Il se concentrera plus précisément sur l’arc lémanique. Très brièvement, pour avoir une idée sur la situation géographique de cette zone, il faut savoir que le Léman est un lac franco-suisse, d’une surface de 582 km2. Le lac est en forme de croissant ou de virgule ; le rivage nord et les deux extrémités sont suisses, le rivage sud est français. La frontière passe au milieu du lac. Il s’étend sur 72 km de long et se situe à 370 m d’altitude entre le Jura au Nord-Ouest et les Alpes au Sud. Il est traversé par le Rhône, qui en sort à Genève. Quant à la place du service postal en Suisse, il faut savoir que pour ce pays, la poste représente un symbole de la nation. Considérée comme une infrastructure indispensable à tout pays développé, la poste au-delà de son caractère de service public, représente davantage pour la nation helvétique un symbole qui affirme l’unité du pays. C’est en 1849 que la Confédération helvétique s’est dotée d’un service postal[3]. Depuis, la poste est le service public par excellence qui a largement contribué à l’intégration du pays tout entier. La poste est en effet une institution qui, grâce à ses convois de cars postaux, parvient à atteindre les villages les plus reculés, situés dans les massifs montagneux, relief caractéristique de la Suisse, mais également de les maintenir en vie en les empêchant d’être entièrement coupés de toute communication avec le reste du pays. La poste a ainsi connu un grand succès en Suisse, si bien que toute réforme ou modification apportée à cette institution rencontre des problèmes. La poste est ainsi donc une matière à discussion en Suisse et elle comporte autant d’aspects à examiner. Prétendre modifier le service postal d’aujourd’hui, en Suisse, ne se limite pas en effet au simple profil économique, il s’agit en vérité de remettre en question et de battre en brèche le caractère symbolique qu’il revêt d’une part, mais également d’examiner la dimension culturelle et affective que la poste connaît. En Suisse, la poste effectue deux missions principales : la distribution du courrier et les opérations financières. Le problème réside cependant dans le fait que ces deux tâches sont aujourd’hui investies par les NTIC. Avec l’avènement des nouvelles techniques de l’information et de la communication, la poste est obligée de changer les conditions dans lesquelles elle exerce son métier. Force est en effet de constater que les NTIC possèdent un grand avantage sur la poste en matière de transfert, de traitement ou de stockage d’informations. Non seulement, ceux-ci constituent un gain de temps mais ils épargnent également de grandes dépenses aux usagers. Il est incontestable que plus la fraction de population qui a accès à Internet augmente, moins la distribution physique du courrier postal est rentable car avec la naissance et le succès des e-mails, le volume du courrier postal diminue sensiblement. Il y a d’ailleurs quelques années le service des télégrammes a tiré sa révérence, tant l’e-mail, le téléphone et le fax l’ont évincé de la course de l’information. Au fur et à mesure donc que la technologie évolue, la fonction de distribution du courrier tout comme celle des opérations financières, initialement gérées par la poste et ses employés, sont susceptibles de disparaître progressivement. Pour résumer, il est clair que les métiers de la poste, notamment celui de facteur, est en train de se réduire selon un cercle vicieux qui s’est déjà enclenché.

La question se pose donc aujourd’hui : le métier de facteur est-il effectivement en danger ? La profession est-elle réellement menacée de disparition ? Face à la concurrence occasionnée par l’avancée technologique et l’évolution de la société, peut-on encore espérer trouver une place appropriée pour les facteurs ou est-ce plutôt un métier voué à l’échec qui va bientôt se ranger au côté des professions usitées que le développement social a recalé ? S’il existe encore une alternative qui permette de sauver cette profession, il s’agit sans nul doute de réinventer le métier de facteur. Lorsqu’on parle de réinvention du métier de facteur, cette démarche revient à étudier l’histoire même du métier, d’analyser son évolution et de déterminer pour quelles raisons et de quelle manière, il en est arrivé à un point déterminant de sa vie qui pourrait à tout instant le faire disparaître. Il s’agit par ailleurs de proposer des solutions pour éviter cette disparition et permettre à la profession de facteur de perdurer et d’être exercé, peut-être pas dans les mêmes conditions ni de la même manière qu’elle l’a été dans ses tous premiers débuts, mais d’une manière réétudiée et adaptée aux besoins de la société actuelle.

Notre analyse sera davantage historique, au cours de laquelle nous essaierons de faire ressortir le pourquoi et le comment de la situation du facteur aujourd’hui. Le travail s’articulera donc en trois parties. Dans un premier temps, nous aborderons d’une manière assez élargie le métier de facteur à travers sa description et son histoire (I). Puis, nous analyserons son évolution et nous déterminerons dans une seconde partie les dangers et les problèmes liés au métier, notamment ceux qui sont susceptibles d’entraîner la disparition du métier (II). Enfin dans un troisième temps, nous proposerons des solutions qui pourraient éventuellement tirer le métier du péril de sa disparition (III).

 

 

 

 

 

 

 

 

  • Facteur : un métier emblématique du service postal

Le facteur, ce personnage public aux couleurs jaunes, présent sur l’ensemble du territoire suisse, demeure plus que tout autre, le symbole incontesté de l’institution postale car c’est le facteur qui véhicule l’image de la poste. Souvent appelés «  hommes du dernier kilomètre », les facteurs se chargent de distribuer objets, lettres et colis, auprès des foyers, des administrations, des collectivités locales et des entreprises, au cours de leurs tournées quotidiennes.

Le monde de la distribution du courrier dans lequel fonctionne le métier de facteur, bien que le celui-ci soit considéré comme un membre actif, présent dans le réseau social, reste cependant un univers mystérieux mal connu sinon méconnu du reste de la population. Si l’on veut donc comprendre les modes de fonctionnement de cette profession, il nous faut répondre à deux questions : qui est le facteur (A) et quelle est son histoire (B)?

 

  • La description du métier

Le facteur est la personne chargée de remettre à leurs destinataires les lettres et les paquets confiés au service postal. C’est un métier vieux de plusieurs siècles que le contexte social a fait développer en fonction de ses besoins. Décrire le métier de facteur revient à définir les tâches et missions qui lui sont attribuées et d’apporter une description du déroulement de sa journée.

  1. Le facteur et son acception

Le métier de facteur est un métier singulier. Il ne se rencontre qu’au service postal. Le facteur est un employé d’une entreprise postale s’occupant du tri et de la distribution du courrier, tantôt aux particuliers, tantôt aux entreprises. Il prend en charge la distribution des lettres recommandées, des colis, et réexpédie certains courriers. C’est un métier qui  rallie le caractère public avec le caractère ouvrier. La profession de facteur est une profession du public parce qu’elle se rattache à un service public, mais elle touche la condition ouvrière de par les activités que le facteur effectue dans le cadre de son travail.

  • Un métier du public

Sur le territoire de sa tournée, le facteur effectue des activités de service, il entretient des relations et instaure des interactions avec les habitants. Son métier est un métier de contact fortement apparenté aux autres métiers du public. Par le service de livraison des lettres et colis postaux qu’il effectue, le facteur est un employé du service public des postes. Il joue par ailleurs le rôle de médiateur. Le facteur est un genre de médiateur qui assure effectivement la communication entre particulier/particulier ou particulier/entreprise, ou encore entreprise/entreprise en leur transmettant les diverses lettres qui leur sont destinées.

  • Une condition ouvrière

Le métier de facteur est également une activité d’exécution, de manutention et de main d’œuvre. Les facteurs effectuent dans leur travail des gestes répétitifs et adoptent des postures physiques qui les rapprochent beaucoup des ouvriers de métier. Le métier du facteur semble difficile et pénible parce que c’est un travail minutieux, ça prend beaucoup de temps, et présente tout à fait des risques. Au moins, le travail du facteur demande deux heures et demie de tri, avant de partir pour la tournée. Ceci doit être ajouté au temps imparti à la distribution du courrier. Durant la tournée en effet, le facteur fait trois heures de marche à pied, à bicyclette, ou en cyclomoteur. Son  moyen de transport varie selon l’éloignement de l’endroit où se trouve la destination du courrier. Sinon, il utilise une automobile dans les milieux rural et semi-urbain. Le facteur possède en quelque sorte les qualités et les compétences d’un chauffeur de taxi parce qu’il doit connaitre tous les cantons, les régions et la structure de la ville, ainsi que les quartiers respectifs de son territoire. A vrai dire, il doit avoir déjà en tête une carte de sa circonscription.

  • Les types de tournées

La tournée du facteur peut se catégoriser en trois sortes : la tournée lettres, la tournée colis, et la tournée entreprises connue par le fameux cedex. La tournée lettres est la tournée la plus répandue. Comme son nom l’indique, il s’agit d’une tournée dans laquelle le facteur ne distribue que des lettres. Avant d’entamer une tournée lettres, le facteur ne fait que trier le courrier, le classer et effectuer la réexpédition pour certains courriers, puis il se rend à son travail. A cela s’ajoute la plupart du temps la distribution des lettres recommandées. En général, si la tournée se fait en ville, le facteur l’effectue à pied ou en vélo ; si la tournée se fait par contre en milieu rural ou semi-urbain, le facteur utilise comme moyen de locomotion, un cyclomoteur ou une voiture de fonction. Pendant la tournée colis, on lui confie de délivrer à destination des objets emballés. Ce genre de tournée présente un grand risque pour le facteur, si l’objet en question est valeureux. Il aurait perdu le colis en pleine route ou il rencontrerait soudainement un acte de brigandage. La tournée colis[4] se fait toujours en automobile, surtout dans la zone urbaine ; elle est moins fréquente dans la zone semi-urbaine. Enfin, la tournée cedex, souvent susceptible de confusion avec la tournée colis, est une tournée dans laquelle le facteur délivre le courrier aux entreprises, c’est pour ça qu’on l’appelle tournée entreprise. Cette tournée est essentiellement urbaine et s’effectue à l’aide d’une automobile.

2- Le déroulement de la journée du facteur

En général, la journée de travail du facteur comporte trois étapes. Elle commence par le tri en équipe, puis par le tri de la tournée. Ensuite, le facteur effectue la tournée de distribution et enfin il revient au centre postal.

  • Le tri

L’activité des facteurs comporte deux types de tâches de tris effectués au sein du bureau de poste ou du centre de distribution. La première part de tâches est collective et la seconde est individuelle. Ces tâches de tri sont appelées travaux préparatoires. Ils englobent l’ensemble des activités de tri général, du coupage et du piquage du courrier qui se font dans le bureau avant le départ en tournée.

  • Le tri général

Les lettres à distribuer une fois arrivées au centre de distribution de la poste, c’est de bonne heure que le facteur commence sa journée. Les horaires de commencement du travail varient en fonction de chaque centre de distribution mais en général, ils débutent à 6 h du matin. Cette première opération de tri est commune à tous les facteurs d’un même centre. Tous les facteurs du centre de distribution se réunissent et trient ensemble le courrier et la presse arrivés en bloc de la ville. Chaque facteur est responsable d’une tournée portant sur une zone géographique clairement définie. Cette étape est également appelé tri en équipe. Ce tri du courrier se fait par quartier et chaque facteur récupère le courrier destiné à son secteur. Durant ce tri en équipe, les boîtes postales ainsi que les cedex[5] sont mis de côté.

  • Le tri individuel

Après que le tri général soit terminé[6], chaque facteur rassemble le courrier de son quartier préalablement trié et y rajoute le courrier parvenu au centre de distribution directement trié par quartiers-lettres. Chaque facteur procède alors au tri individuel du courrier de sons secteur et dispose pour ce faire de son propre casier, sur lequel il trie le courrier de sa tournée. Ce casier[7] est composé de quarante à cent cases. Chaque case équivaut à une partie de la tournée[8]. Ensuite après avoir trié tout le courrier à distribuer dans son quartier-lettres, le facteur récupère à nouveau le contenu de chaque case, et le classe définitivement dans l’ordre chronologique de sa tournée.

Une mention mérite d’être apportée aux réexpéditions et aux lettres recommandées. Il arrive en effet que le courrier soit renvoyé à son expéditeur pour diverse causes comme le changement d’adresse du destinataire. Les lettres recommandées, quant à elles, sont des lettres le plus souvent importantes, qui nécessitent le paiement d’une taxe par l’expéditeur pour avoir la garantie que la lettre sera remise en main propre à son destinataire. Qu’il s’agisse d’un recommandé ou d’une réexpédition, il n’y a pas de règle préconçue pour leur traitement, le facteur les traite de la manière qu’il préfère. Concernant les lettres à réexpédier, il peut soit les trier progressivement avec le courrier, soit il ne procède à leur traitement[9] qu’une fois tout son courrier classé. Enfin, il s’occupe des lettres recommandées à destination de son secteur[10] et les intègre dans sa besace.

  • La tournée de distribution

Le travail de distribution est individuel. Sa besace pleine, le facteur peut enfin s’apprêter à quitter le centre de distribution pour entamer sa tournée quotidienne qui dure en moyenne trois heures. L’heure de son départ n’est pas fixe mais varie généralement entre 8 heures 30 et 11 heures du matin ; elle dépend en réalité de la quantité de travail mais également de l’expérience professionnelle du facteur. Le courrier que le facteur a préalablement classé dans l’ordre de sa tournée peut enfin être distribué. Les lettres recommandées sont signées par leurs destinataires et les éventuels colis sont distribués.

Il arrive que lors de la distribution du courrier effectuée à pied ou à bicyclette, le facteur soit dans l’incapacité d’emporter la totalité du courrier. Lors du tri, il constitue alors des dépôts-relais[11] que les facteurs en automobile déposent dans des coffres-relais[12] disposés sur la voie publique. Le facteur peut ainsi récupérer le courrier à distribuer en des points précis de sa tournée. Dans la réalisation de sa tournée, le facteur dispose d’une grande autonomie, car il effectue sa tournée en dehors du bureau et donc hors du contrôle de son supérieur hiérarchique.

  • Le retour au centre

Lorsqu’il a fini sa tournée quotidienne, le facteur revient au centre de distribution. Sa journée finit en moyenne aux alentours de 15 heures, mais cet horaire est une fois de plus laissé à l’entière discrétion de chaque centre de distribution ; il dépend par ailleurs de la quantité de travail et peut parfois excéder l’horaire prévu tout comme il peut se terminer bien avant l’heure convenue. Au centre, le facteur rend les lettres recommandées qu’il n’a pas été en mesure de distribuer. Celles-ci vont être mises en instance dans un bureau de poste.  Il traite également le courrier à renvoyer à son expéditeur. Cette réexpédition est la plupart du temps due à l’inexistence du nom du destinataire sur la boîte aux lettres ou encore à l’inexistence du destinataire même à l’adresse indiquée.

Telle est donc d’une manière générale la description du métier de facteur de par son acception en tant que messager et commissionnaire chargé de délivrer les lettres et colis à leurs destinataires et de par sa journée de travail composée de deux étapes successives de tri ainsi que de la tournée quotidienne et du retour au centre de distribution. La question qui se pose porte à présent sur l’origine du métier et sur son histoire. Il s’agit de déterminer la naissance de la profession, d’étudier ses premiers pas et d’analyser son évolution dans le temps et l’espace pour parvenir à comprendre ce qu’il est advenu de lui aujourd’hui. Cette analyse historique est inéluctable pour être en mesure de retracer les grandes dates de l’histoire du facteur et ainsi appréhender les grippages du système d’aujourd’hui pour pouvoir d’ailleurs trouver remède à ces problèmes auxquels fait face le facteur postal actuel.

  • L’historique du métier

Le facteur existe maintenant depuis près de neuf siècles. Le service postal a d’abord été réservé pour une minorité avant que le grand public ne puisse en bénéficier. Depuis ses grands débuts jusqu’à son état actuel, le métier de facteur a connu divers stades avant de devenir un personnage populaire.

  • Les débuts du métier

Le terme facteur existe depuis le XIVème siècle. Dans les années 1300, le dictionnaire historique de la langue française restreint le terme de facteur au domaine du négoce. A cette époque, le facteur était la personne faisant du commerce pour le compte d’une autre. Trois siècles plus tard, c’est-à-dire au XVIIème siècle, le terme connaît sa signification actuelle, celui de messager. En France, c’est en 1651 que le métier de facteur de lettres apparaît pour désigner la personne chargée de distribuer le courrier postal à leur destinataire. C’est en effet l’institution des maîtres de courrier en 1630, qui va propulser la poste aux lettres (Charbon et Nougaret, 1984)[13]. La petite poste est établie en 1759 et le terme de facteur va connaître un plus grand essor au sein de la société. A titre indicatif, on peut par exemple mentionner que sous le règne de Louis XV, autour de 200 facteurs faisaient trois distributions quotidiennes. Le service public de la poste était à cette époque un privilège dont disposaient uniquement les citadins. Il va falloir attendre l’année 1829, avec la grande réforme postale et la création du service postal rural, pour que les ruraux puissent également bénéficier du service postal et recevoir eux-aussi leur courrier à domicile. Dans les plus grands pays de l’Europe industrialisée, un fait est en effet devenu commun. Tous les matins un agent public visite les foyers, un agent en uniforme : le facteur. Force est de constater que dans les années 1830, la présence du facteur dans la vie quotidienne a été un grand instrument d’intégration de l’espace rural.

Les tournées des facteurs à travers le pays se faisaient d’abord une  fois tous les deux jours, puis se sont finalement effectuées quotidiennement[14]. Les facteurs, au tout début de l’histoire de leur carrière, n’avaient aucun jour de répit. Ils étaient payés au kilomètre[15]. En 1893, un jour de congé par mois est accordé aux facteurs.

  • La poste et les réseaux du pouvoir

Il est intéressant d’examiner la poste sous un angle politique. Elle fut en effet dès l’aube du XVIIIème siècle un fabuleux instrument politique, non pas comme on pourrait être tenté de croire qu’elle est un  instrument de pouvoir au service des puissances et des réseaux de spéculation au service des riches, mais parce que les démocraties des deux derniers siècles ont façonné leurs réseaux pour qu’ils servent leur dessein de démocratie politique, d’unité nationale et de maintien des liens symboliques. La Suisse en est un exemple très illustratif car la poste représente justement cette unité nationale.

La poste a donc toujours eu affaire avec le pouvoir. Messager religieux ou poste royale[16], la poste est toujours présente là où se trouve une puissance politique ou économique, car il est primordial de transmettre et recevoir des informations avant les autres dans le cadre pécuniaire des ordres d’achat, de paris, de traites ou encore de spéculations. A titre indicatif, il nous est ainsi permis de mentionner les coursiers qui parcouraient les routes du Moyen-Orient au service des empereurs et des pharaons. C’est au service de Rome que se relayaient par ailleurs sur les routes de l’Empire romain les messagers du cursus publicus qu’attendaient dans chaque mutatio posita[17] , un praepositus[18] chargé de leur fournir des chevaux frais et un bon repas, pourvu qu’ils fussent muni du diploma attestant de leur mission. D’ailleurs les systèmes qui permettaient d’acheminer les nouvelles affluèrent, créés par les grands marchands médiévaux. Il y a eu par exemple relais des marchands italiens, les chevaucheurs des Függer, les messagers des Rotschild, le réseau même des Turn et les taxis.

 

  • Le facteur : un personnage populaire

Le personnage du facteur a peu à peu acquis une notoriété au sein de la société. Au XIXème siècle, il devient un personnage populaire. Tout le monde le connaît en tant que messager de qui l’on reçoit les lettres et à qui l’on confie de délivrer des objets comme des médicaments ou des provisions au village voisin. Le métier de facteur est un des métiers les plus pénibles. Pendant longtemps, indépendamment du temps qu’il fait, sous la neige de l’hiver, la pluie ou le soleil ardent de l’été, le facteur s’acquitte de ses tâches à pied. Il parcourt des distances éloignées pour effectuer sa tournée. C’est vers la fin du XIXème siècle que les facteurs vont bénéficier d’un moyen de locomotion. Ils vont en effet se servir de la bicyclette pour alléger leur peine lors de leurs tournées. L’avènement de la voiture comme véhicule des facteurs dans les années 1950, va considérablement aider les facteurs dans la réalisation de leurs fonctions.

Arpenter le territoire, battre la campagne rude, telle est l’image que les citoyens ont du facteur. La littérature des PTT est riche de récits qui relatent l’histoire de courageux facteurs franchissant des lieues dans les montagnes[19], bravant les tempêtes de neige, les loups, les inondations pour apporter à une ferme perdue ne fût-ce qu’un journal. Parfois ces mêmes récits racontent l’usage de moyens de locomotions étranges comme le ski ou encore la barque. Tous ces récits expriment la mise en œuvre des liens sociaux tissés au sein de la nation. Très vite, la visite du facteur contribue à une égalité au sein des citoyens. Dans la culture politique, la visite du facteur devient un droit directement lié à la notion d’égalité. Chaque citoyen en effet, qu’il habite dans une zone rurale ou dans une zone urbaine, avait l’intime conviction qu’il jouissait d’un droit imprescriptible d’être servi par le facteur.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  • Le métier de facteur en voie de disparition ?

S’il est vrai que le contenu de l’activité professionnelle n’a guère changé, comme s’il était inébranlable au fil du temps, des changements autour de la profession, aussi bien du point de vue structurel qu’organisationnel, se sont mis en route. Etre facteur se résume en effet à trier et à distribuer le courrier. Mais au-delà de ces deux tâches, d’autres paramètres en corrélation avec le métier ont évolué. Avec l’apparition de nouvelles contraintes, les deux fonctions principales du facteur que sont le tri et la distribution tendent à s’estomper. On assiste actuellement à de nombreuses transformations qui affectent le métier du facteur. Ces changements sont de divers ordres ; certains sont liés à l’évolution technologique, les uns sont d’ordre démographique, d’autres sont le résultat du changement des conditions d’exercice du métier lui-même.

Afin de répondre à la question de savoir si le métier de facteur est en voie de disparition, nous allons dans une première section déterminer les changements qui sont en train de s’effectuer au sein du métier de facteur, puis dans une seconde section voir que la profession de facteur est en train de subir une déprofessionnalisation.

  • Les changements observés au niveau du métier

D’un point de vue sociologique, l’étude portant sur le métier de facteur représente un grand intérêt. Il est clair que le contenu du métier lui-même demeure le même mais les transformations qu’il a subies, notamment au niveau des autres aspects du métier, se sont multipliées. Parmi ces changements, on peut citer la diminution progressive et le vieillissement des effectifs de facteurs, l’inaptitude croissante des facteurs à la distribution, une tendance plus nette à la féminisation du métier, l’avènement d’un nouveau genre d’agents, un changement de la formation professionnelle et des modes d’apprentissage du métier accompagné de nouveaux modes de recrutement. On peut également citer une fragmentation des statuts d’emploi, un accroissement de la pénibilité physique de l’activité liée à une intensification du travail, une mise en œuvre de nouveaux modes de gestion et d’évaluation de l’activité. On assiste même à une industrialisation d’une partie des tâches entretenue par un processus de mécanisation du travail, et enfin avec la réforme du service public l’émergence progressive de nouvelles exigences et normes de production.

Nous allons donc voir successivement ces transformations en les répartissant en quatre points. Tout d’abord, il s’agit de cerner les paramètres sociaux affectés par ces changements, ensuite il faut étudier l’amoindrissement de l’utilisation de la lettre physique comme moyen de correspondance, puis il faut examiner dans un troisième temps l’industrialisation des tâches et enfin une mention mérite d’être apportée aux incidences de ces transformations sur la personne du facteur, notamment du point de vue relatif à sa santé.

  • Les paramètres sociaux

Les paramètres sociaux qu’il nous faut considérer sont de trois ordres. Il s’agit d’analyser les données démographiques, d’examiner la formation et le recrutement des facteurs et enfin de traiter de la pénibilité du travail de facteur.

  • L’aspect démographique

En examinant l’aspect démographique, force est de constater que, tout comme les autres branches de la fonction publique, le métier de facteur est lui aussi sujet au vieillissement des agents du service public. Ceci est corroboré par la pyramide des âges des agents de la poste actuels. Or ce critère de vieillissement est significatif car ceci annonce d’ores et déjà un départ en masse des facteurs à la retraite qui va de pair avec une altération des conditions de santé des facteurs due à la sénescence. Outre l’âge des facteurs, il faut aussi considérer leur sexe car on assiste aujourd’hui à une féminisation du métier. Depuis que le concours de facteurs a été ouvert aux femmes, le nombre de celles-ci, bien que minime dans un premier temps, s’est fortement accru. Les statistiques de la poste suisse démontrent que le pourcentage des femmes employées des postes depuis 2007, dépasse celui des hommes. En effet, si en 2005, le personnel masculin des postes représentait 50,8 % et le personnel féminin 49,2 %, les statistiques de 2009 montrent que la proportion des femmes dépasse celle des hommes en étant de 50,1 % contre 49,9 %. Par ailleurs, on remarque également au sein des facteurs une vague de jeunes aux origines sociales disparates. Ce profil d’agent répond à un problème de recrutement interne, car il fut un temps où le concours de facteurs a connu une pénurie de candidats. D’autre part le taux élevé d’absentéisme et de démission a obligé les services postaux à combler les postes de facteurs et d’agents postaux.

  • Le recrutement des facteurs et leur formation

D’ailleurs on assiste parallèlement à une transformation des modalités de recrutement et des modes d’entrée dans le métier de facteur. La poste ayant adopté le caractère de service public à caractère industriel et commercial, celle-ci transforme par la même occasion ses règles et ses modes de gestion du personnel.  En tant qu’EPIC[20], la poste est en effet habilitée à recruter des agents selon les procédures d’un contrat de travail de droit privé. Ceci entraînera alors une hétérogénéité au sein des statuts de mêmes employés de la distribution du courrier, car d’un côté il y a les fonctionnaires et de l’autre les agents contractuels et tous deux doivent vivre en cohabitation, ce qui impose deux modes de gestion du personnel différents. La cohabitation entre facteurs statutaires et facteurs contractuels attire l’attention sur l’arrivée massive de facteurs salariés en contrat à durée déterminée et indéterminée sur le groupe professionnel composé historiquement de fonctionnaires. Ce problème constitue d’ailleurs une matière à discussion, car lors de l’engagement des contractuels, il peut y avoir une négligence dans le recrutement du personnel.

Il ne faut pas également oublier que le temps d’apprentissage du métier a tendance à s’abréger et le temps imparti à la formation professionnelle des nouvelles recrues est lui aussi réduit. Cette situation a un impact direct sur la qualité du travail[21].

  • La pénibilité du métier

Le métier, bien qu’il l’ait déjà été à ses débuts, demeure et devient même de plus en plus pénible. La dégradation des conditions de travail composées par les changements dans les modes de management et de gestion de la main-d’œuvre et d’évaluation de l’activité, des normes et des conditions de production, des modes d’insertion et de formation au métier, se trouve à la base de cette pénibilité du travail. Il faut savoir que la poste suisse achemine chaque jour des lettres et des colis, transporte des voyageurs et veille à assurer le trafic des paiements. En moyenne elle traite 404 000 colis, 14 500 000 lettres et 3 300 000 de transactions de paiement par jour. Cette transformation n’est d’ailleurs pas sans conséquences. Elle affecte bien souvent la santé et le moral des facteurs.

  • L’amoindrissement de l’usage de la lettre

 

Pour constater cet affaiblissement de l’utilisation des lettres comme moyen de communication, il suffit d’examiner le contenu de la besace du facteur. Le contenu de cette besace est fortement significatif et révélateur des transformations dans l’usage du courrier. Si autrefois, le courrier distribué par le facteur était majoritairement constitué de lettres personnelles, force est de constater qu’aujourd’hui, la sacoche de ce dernier ne contient que principalement des plis administratifs, du courrier de gestion et du courrier commercial, ainsi que des envois publicitaires qui sont adressés ou non. Les lettres de correspondances sont aujourd’hui d’un nombre faible et le courrier des particuliers ne représente plus qu’un pourcentage très faible du chiffre d’affaires de la poste.

Cette situation est en grande partie due à l’évolution culturelle et technologique qui n’a pas épargné le secteur du courrier. Avec le développement des NTIC, notamment d’Internet, le courrier électronique est le moyen de communication de prédilection des usagers de la poste. L’e-mail se substitue aux échanges matériels qui s’effectuent dans la correspondance de particulier à particulier ou dans les échanges entre l’administration et les citoyens. Ce phénomène s’accentue au fur et à mesure que la poste  se charge de nouveaux produits comme l’achat sur internet ou les publicités.

Le métier de facteur est donc victime d’un phénomène de substitution et de dématérialisation. Or ces phénomènes influent directement sur la manière dont les facteurs eux-mêmes perçoivent leur métier. Une grande majorité d’entre eux estiment que cette dénaturalisation de leur métier met en péril l’essence même de la profession et certains considèrent même que ce phénomène constitue une dévalorisation de leur activité.

  • L’industrialisation du métier

Le principe d’organisation du service postal actuel est un héritage du XXème siècle. L’ensemble du territoire national est divisé en secteurs ou quartiers géographiques appelés tournées de distribution. Chaque facteur est titulaire d’une tournée. Il est responsable du tri et de la distribution du courrier auprès des habitants de la portion du territoire à laquelle il est affecté. Mais depuis les années 1970, le service postal commence à faire usage de la mécanisation du tri postal. Il s’équipe ainsi de machines de tris plus performantes. Les conditions d’exercice de l’activité du facteur ont donc largement évolué[22]. Les administrations postales ont mis en place une industrialisation de la chaîne de traitement du courrier. Cette industrialisation englobe aussi bien l’acheminement et le tri que la distribution du courrier.

Or cette industrialisation affecte directement le travail dans les services du courrier ; au premier rang de ces activités se trouve celles du facteur. Avec le recours à la machine de tri des lettres introduite à l’intérieur des centres de distribution du courrier, la mécanisation du tri est plus poussée et investit un des domaines d’intervention du facteur. Il est incontestable que grâce à cette machine, d’une part les centres de distribution du courrier sont en mesure d’absorber un volume de courrier plus grand tout en adoptant une vitesse élevée de travail et d’autre part, les agents postaux trouvent une certaine facilité d’exécution de leur travail. Mais parallèlement, l’existence de ces machines implique un regroupement des établissements postaux et donc une diminution de leur nombre, et par conséquent une diminution du nombre de facteurs également. Or cette réduction de l’effectif des facteurs entraîne automatiquement une augmentation du volume de plis que chaque agent doit trier et distribuer. Et puisque les circuits de distribution seront réétudiés, ils seront par conséquent plus longs. Tout ceci aboutit à un travail plus intense et plus pénible car la charge de travail des facteurs sur chaque tournée de distribution est accrue. Ceci élimine inéluctablement le lien social que le facteur tisse lors de sa tournée quotidienne, car le temps qu’il pouvait autrefois consacrer aux interactions avec la population se voit être restreint.

  • La modernisation des services publics

Il faut savoir que la poste, en tant que service public, n’échappe pas à la modernisation opérée au sein des services publics. Les changements observés dans le métier de facteur sont en effet indissociables de la problématique centrale et récurrente de la modernisation des services publics. Les mutations du métier de facteur doivent être analysées en fonction des transformations actuelles de l’entreprise publique, des inflexions de la stratégie de la direction du courrier au regard du contexte européen des marchés du courrier, des évolutions de ses agents, de la société salariale dans son ensemble. La modernisation implique en effet un changement au niveau social.

  • Les incidences des transformations sur la personne du facteur

Les conséquences de ces changements sur le métier de facteur ont déjà plus ou moins été citées à travers l’analyse faite des divers changements qui se sont opérés. Toutefois un point majeur mérite encore d’être souligné : celui de la dégradation de la santé du facteur. La profession de facteur a toujours été admise comme étant un travail pénible et dur à cause de l’activité physique dans la manipulation du courrier. Toutefois, si le développement technique a été mis en place de telle sorte que la vie humaine soit plus allégée, ce n’est guère le cas pour le métier de facteur. Bien au contraire, les conditions de travail du facteur ne cessent de s’endurcir au fur et à mesure que de nouvelles organisations du travail sont mises en place. Que ce soit sur le plan physique que sur le plan psychologique, la réforme du métier de facteur influe directement sur sa personne.

  • Les incidences physiques

Qu’il s’agisse en effet de la réorganisation du système de travail ou des nouvelles formes d’usage du courrier comme les prospectus ou la publicité, tous deux influent directement sur le poids et le volume des plis ainsi que sur la charge transportée par chaque facteur[23]. Les facteurs sont donc victimes de souffrances physiques occasionnées par la répétition de gestes et postures ainsi que par le transport d’une charge continuellement lourde. Une équipe menée par Yves Clot[24] a d’ailleurs mené une étude et a démontré que le maintien d’une posture fatigante et répétitive associée à la pratique systématique d’un mouvement du poignet pour introduire la lettre dans le casier[25] entraînent de nombreux problèmes de santé et particulièrement des troubles musculo-squelettiques C’est d’ailleurs pour cette raison que l’on assiste à l’apparition fréquente de maladies et de troubles des muscles et des os chez les facteurs. De tels problèmes de santé sont ainsi liés à la répétition de postures physiques et au soulèvement de charges importantes et sont dépistables dans bon nombre d’activités propres au milieu ouvrier dans son ensemble[26]. Cette situation est d’ailleurs corroborée par la médecine du travail qui ne cesse de déclarer l’inaptitude à la distribution du courrier d’un nombre croissant d’agents des postes.

  • Le poids psychologique

Il faut également ajouter à cette souffrance physique la pression psychologique qui agit sur les facteurs. Ceci est dû aux contraintes de temps et de qualité plus fortes qui pèsent sur eux. Il est clairement admis que les difficultés physiques de l’activité se cumulent bien souvent aux tensions psychologiques qui résultent des nouvelles contraintes de production associée aux nouvelles organisations de travail. Gollac et Volkoff l’expliquent clairement dans leur article sur l’intensification du travail en affirmant que « l’organisation industrielle et bureaucratique transformait les fluctuations du marché en un flux régulier de production qui, certes, s’imposait à l’opérateur, mais lui permettait aussi de s’aménager, fût-ce clandestinement, des espaces de liberté. Les nouvelles organisations tendent à répercuter jusqu’à la base de la hiérarchie – à l’intérieur des entreprises, et de fournisseur à donneur d’ordre – les variations quantitatives et qualitatives de la demande »[27]. Cette situation est en effet accentuée par les normes de productivité et de qualité que la direction de l’entreprise postale émet dans un souci de réponse à la réforme du métier postal.

Si tels sont donc les éléments explicatifs et les conséquences des changements observés au niveau du métier, en arriverait-on à la conclusion que le métier de facteur est en train de subir une déprofessionnalisation ?

  • Vers une déprofessionnalisation du métier de facteur ?

Au cours de la première section de la partie dédiée au péril du métier de facteur, nous avons pu retracer les incidences que les changements ont apportées à ce métier. Face à ces diverses mutations constatées dans le cadre du métier de facteur, une question majeure se soulève. Le métier de facteur est-il en train de se fragiliser ? Etant donné la souffrance et la peine occasionnée par le travail et la perte de repères accompagnée du sentiment de dévalorisation subis par le facteur, on peut en effet se demander pertinemment si le métier ne tend pas vers une déprofessionnalisation.

Pour analyser cette déprofessionnalisation du métier de facteur, nous nous baserons en grande partie sur l’étude effectuée par Lise Demailly et Patrice de la Broise dans leur article scientifique sur les enjeux de la déprofessionnalisation[28]. Nous cernerons ainsi dans une première section la définition de la déprofessionnalisation pour ensuite en appliquer les principes au métier de facteur.

  • La déprofessionnalisation

Parler de déprofessionnalisation revient à étudier le pourquoi même de la notion. Il peut en effet être parfois paradoxal de parler de déprofessionnalisation dans un contexte de professions[29] de choix à caractère vocationnel, dont le statut est fortement prisé sur le plan financier que social mais également envié pour la sécurité de l’emploi et les conditions de travail. Lorsqu’on constate que les professions « nobles » portent le fardeau de la souffrance et perdent leurs repères au sein même de leur activité, on en arrive à se demander la base de ce revirement. Plusieurs parlent de dénaturation du métier, d’autres de fragilisation, nous allons en revanche plaider pour une déprofessionnalisation, en l’occurrence une déprofessionnalisation du métier de facteur.

Pour comprendre ce que le terme de déprofessionnalisation renferme, nous allons l’appréhender de deux manières ; d’une part, nous verrons que la déprofessionnalisation est à la base le terme opposé à la professionnalisation, mais d’autre part, nous verrons que cette déprofessionnalisation peut être comprise sous son aspect social qui tend vers une modification du mode de régulation bureaucratico-professionnel propre aux sociétés européennes.

  • Déprofessionnalisation versus professionnalisation

La professionnalisation est d’un point de vue théorique la construction sociale d’une autonomie collective et individuelle au travail. Cette situation peut s’accéder de différentes manières. Ainsi la professionnalisation témoigne d’une diversité qualitative des processus de structuration des groupes professionnels, et de la façon concrète dont ils ont historiquement construit une certaine autonomie dans le travail, un certain pouvoir, une certaine sécurité, une certaine spécialisation de leurs compétences et de l’insubstituabilité de celles-ci; une certaine existence collective subjective et objective (Demailly, De la Broise, 2009)[30]. Lorsqu’on parle de déprofessionnalisation en tant que revers de la professionnalisation, il faut cependant aller au-delà d’une simple mutation de la profession elle-même ou de la déstabilisation d’un groupe professionnel. En réalité, elle est bien plus qu’un simple changement ; la déprofessionnalisation résulte de la perte de l’autonomie, caractéristique de la professionnalisation, ainsi que d’un assujettissement aux règles de contrôle dans l’exercice d’une fonction. A partir du moment où le travailleur perd toute autorité sur son rapport au travail et aux autres, même si cette normalisation extérieure qu’il subit plaide en faveur d’une responsabilisation du travailleur ou d’une extension de son activité, notamment par l’enrichissement ou la diversification de ses tâches, on est en mesure de parler de déprofessionnalisation.

Il faut cependant mentionner que la déprofessionnalisation qui concerne des groupes ou des segments de groupe est rarement « sèche » dans les faits et se combine le plus souvent avec des processus de recomposition de nouvelles professionnalités (Demailly, De la Broise, 2009)[31]. Ce caractère « sec » implique en effet une destruction totale du métier sans qu’aucune nouvelle professionnalité n’émerge clairement de la refonte d’un premier métier.

  • La déprofessionnalisation : un déclin de la place sociale de la profession

Il est également possible d’analyser la déprofessionnalisation par son aspect social, c’est-à-dire en examinant la source des phénomènes de recomposition des professionnalités dans la société. La précarisation, voire la disparition de certains groupes professionnels peut être expliquée de différentes manières. On peut ainsi imputer cette situation au changement des mœurs sociales ou encore à l’évolution technologique qui bat son plein actuellement. Mais nous pouvons pour notre part dire que cette déprofessionnalisation est due en grande partie au déclin de la place accordée aux professions concernées dans la régulation des sociétés d’aujourd’hui. La déprofessionnalisation est donc une déprofessionnalisation de la société (Demailly, De la Broise, 2009)[32]. Il faut savoir en effet que les politiques publiques accordaient autrefois une place importante à ces groupes professionnels, notamment en matière d’ordres et de syndicalisme ; ces mêmes groupes professionnels aujourd’hui victimes de déprofessionnalisation dont la place a fortement tendance à être réduite par l’Etat et le marché actuel.

  • La déprofessionnalisation du métier de facteur

Il est principalement admis que la professionnalisation d’un métier lui confère une assurance. Cette assurance se manifeste par la défense et la promotion du groupe professionnel, c’est-à-dire qu’il lui assure une autonomie au travail, aussi bien individuellement que collectivement. Lorsqu’on parle donc de déprofessionnalisation du métier de facteur, on sous-entend une diminution, voire une disparition totale de cette autonomie professionnelle. Cette diminution de l’autonomie au travail peut s’appréhender de deux manières : tout d’abord d’un point de vue généralisé par l’augmentation des régulations de contrôle, ensuite plus précisément par la contrainte d’exécution des tâches considérées comme accessoires.

  • La transformation organisationnelle de la poste

Le service des PTT a connu ces dernières années un changement au niveau de son organisation. Les différentes branches d’activité en son sein sont recomposées et redécoupées. Cette transformation obéit à un souci économique et commercial car d’une part il est important de standardiser la poste suisse, tout comme toutes les autres postes européennes, selon le contexte européen libéral d’ouverture généralisée des services à la concurrence et d’autre part, il est primordial de mettre en œuvre un service de qualité obéissant au principe de l’usager-roi notamment dans les quatre secteurs que sont le courrier, les colis, les services financiers et le réseau grand public.  Un point sensible mérite toutefois d’être porté à notre attention. Cette réorganisation ne répond pas à une réalité sociale, elle obéit davantage à une technocratie implantée au détriment du métier de facteur. Il ya donc une opposition réelle entre l’essence du travail du facteur qui consiste principalement en des tâches de tri et de distribution et la construction hétéronome imposée par la réforme de la poste. Il est incontestable que des métiers[33] sont prédestinés à la disparition au fur et à mesure que les évolutions et innovations techniques se multiplient, les facteurs continuent toutefois à revendiquer une reconnaissance de leur travail qui est indissociable du service public de la poste auquel tous participent.

  • La perte d’autonomie et la surcharge de travail des facteurs

Précédemment, nous avons vu que le métier de facteur puisait son essence dans la tournée quotidienne qu’il effectuait ; cette tournée qui était symbolique et représentait le service de proximité que la poste offrait à ses usagers par l’arrivée quotidienne de l’agent en uniforme. Figure mythique du service postal, le facteur connaît aujourd’hui une dénaturation de son métier. Avec l’avènement de la restructuration organisationnelle du service de la poste, la tournée de distribution, autrefois base du métier et critère de reconnaissance professionnelle, est actuellement réduite à une simple séquence parmi tant d’autres dans les activités du facteur. C’est une étape au cours de laquelle le courrier doit être écoulé. La gestion du temps doit être minutieusement calculée au risque pour le facteur de ne pas pouvoir s’acquitter de ses fonctions. Basdevant qualifie d’ailleurs cette tournée de course contre la montre à raison de 10 secondes par boîte aux lettres par immeuble[34]. La tournée de distribution obéit donc à un facteur temps qui élimine la relation de proximité entre le facteur et son hôte. Progressivement le facteur n’est plus en mesure de tisser un lien social car au lieu de créer et entretenir des interactions avec les usagers de la poste, celui-ci devient un agent commercial qui se charge principalement de la vente des produits postaux et qui ajoute à la palette de prestations dont il se charge, la production de bénéfices commerciaux dans un même lapse de temps destiné également à la distribution du courrier. Cette situation de transformation se rapproche donc de la déqualification et d’un émiettement caractéristique d’une activité taylorisée que d’une requalification commerciale du métier (Demailly, De la Broise, 2009)[35]. Au regard de ces conditions et si le temps imparti à la tournée n’est pas prolongé, le facteur finirait par ne plus sonner du tout, comme il avait l’habitude de le faire jadis. Qu’il s’agisse de l’affaiblissement de l’ancrage territorial ou de la fragilisation du tissu relationnel des contextes d’exercice du métier, que l’on parle de la priorité donnée au côté commercial ou de l’augmentation des cadences, autant d’aspects de la transformation de la poste sont lourdes de conséquences pour le métier de facteur.

 

Pour résumer donc, nous avons vu que le métier de facteur est aux dérives de sa conception initiale. Evincé par l’industrialisation du métier, notamment par la mécanisation du tri, les facteurs doivent faire face à de nouvelles contraintes, en l’occurrence en matière de gestion du temps et de diversification des activités. Les facteurs connaissent en effet des pertes de sens et de repères tandis que changent certaines de leurs tâches, mais la recomposition de professionnalités est sans doute plus facile pour ceux que le commerce intéresse. Avec la dénaturation de leurs principales tâches, à savoir la distribution et le tri du courrier, les facteurs souffrent au travail car ils ne parviennent pas à assimiler la  perception des marges de manœuvre pour se situer dans le nouveau management. D’autant plus que la coexistence entre les emplois contractuels et les fonctionnaires dans un même métier affectent peu à peu la profession elle-même. Devenu conseiller clientèle, manutentionnaire, chargé de clientèle ou encore conseiller commercial, le facteur perd une grande partie de son autonomie au travail à cause de la régulation de contrôle et l’excès de travail. Il est alors facilement tendanciel de pouvoir affirmer que le métier de facteur de par son essence même est en voie de disparition, la question qui se pose désormais est la suivante : peut-on encore sauver cette profession ou doit-on se plier et accepter sa dénaturation. Il est sans doute plus judicieux de parler de réinvention du métier car les paramètres en orbite autour du métier sont des concepts enclenchés que l’on ne peut arrêter, si bien que la meilleure des solutions pour sauvegarder le métier serait de l’adapter au contexte actuel.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  • Pour une préservation du métier de facteur

Le métier de facteur est un métier vieux de plusieurs siècles. Vestiges des temps passés, il a évolué avec l’homme. Mais aujourd’hui, il semble que ce métier tombe en désuétude. Bien sûr le métier de facteur continue d’exister mais c’est le contenu du terme qui change, notamment en matière de tâches et de fonctions. Souvenons-nous que dans les années 1300, le terme facteur était utilisé dans le domaine du négoce pour désigner la personne qui se chargeait d’une activité commerciale pour le compte d’une autre, ce n’est que plus tard qu’il fut employé pour désigner l’employé de la poste, la personne chargée de remettre les lettres à leurs destinataires. La poste et par ricochet le facteur doit donc apprendre continuellement à vivre et évoluer en fonction de la règlementation européenne et la mondialisation des échanges. Il est clair donc que l’avenir n’est pas forcément à la perpétuation des solutions qui furent inventées il y a un siècle, pour des espaces ruraux radicalement différents de ceux d’aujourd’hui.

Le facteur est un maillon essentiel de la poste. En tant que personnage public populaire, il mérite le respect et la reconnaissance de chaque usager. Certes, cette reconnaissance ne suffit pas à empêcher la disparition de son essence. Nous avons maintes fois souligné que le métier de facteur est perpétuellement menacé par les avancées sociales sur le plan technologique et organisationnel. En effet, le développement aura beau régressé sa vitesse, le métier de facteur sera toujours tôt ou tard dépassé. Et malgré les luttes acharnées menées à travers tout le continent, pour essayer de freiner la fermeture des bureaux de poste et la compression du personnel, notamment la réduction du nombre de facteurs, le mécanisme ne pourra plus s’arrêter.

Vouloir préserver le métier de facteur, un métier artisanal, dans les temps actuels n’est pas chose aisée. Il s’agit de confronter l’intérêt de l’administration, plus exactement de l’Etat lui-même avec celui de la société, c’est-à-dire des citoyens. Prétendre à la pérennisation du métier de facteur oblige donc à faire un choix entre le caractère commercial et le caractère social de la poste. En tant que service public, la poste ne peut échapper aux réformes et à la modernisation opérée sur ceux-ci. La situation semble donc être corrélée avec la transformation récurrente du service public.

Dans un premier temps, nous allons d’abord faire une présentation successive des deux options envisageables à savoir la course à la rentabilité et le principe du service public en tant que service pour tous ; puis dans une deuxième partie, nous essaierons de proposer des solutions pratiques pour sauvegarder le métier.

  • Les options possibles

Il s’agit donc de discerner deux intérêts strictement opposés : celui de l’Etat et celui du citoyen. La question qui se pose est de savoir auquel de ces deux acteurs doit-on accorder la priorité de satisfaction. Est-il préférable d’instaurer un but lucratif à la poste ou est-il plus judicieux de penser aux citoyens qui comptent encore sur la poste et qui ont d’ailleurs besoin de temps pour se faire à l’idée de sa disparition ?

  • La course à la rentabilité

Lorsqu’on parle de course à la rentabilité, on évoque inévitablement la commercialisation de la poste. Il est important de voir le mécanisme de fonctionnement de cette transformation et d’en discerner les principaux intérêts, tout en les confrontant avec les désavantages impliqués au détriment des citoyens.

 

  • Les manifestations de la course

Si l’Etat veut faire une fixation sur la rentabilité d’un service public, en l’occurrence dans notre cas de la poste, il lui faut substituer le caractère purement administratif par un caractère industriel et commercial, c’est-à-dire voué à faire un profit sur l’ensemble ou une partie de ses activités. Dans cette situation l’informatisation du métier du facteur s’avère  nécessaire. Or il est communément incontesté que la mise en place de l’informatisation dans le monde du travail réduit sans nul doute le nombre des employés. Dans ce cas-là, le métier du facteur disparaîtra peu à peu, tôt ou tard, les zones rurales perdront inévitablement les modes de communication auxquelles elles se sont habituées, car il faut le dire l’accès aux nouvelles technologies de l’information et de communication n’est pas un privilège dont tout le monde peut bénéficier. Il y a donc un risque de ne plus recevoir les lettres distribuées par le facteur. Nous constatons alors que la course à la rentabilité endommage automatiquement le facteur lui-même et la population de la campagne essentiellement, les citadins ayant une facilité d’accès au service public de la poste étant donné leur proximité. Il y aurait toutefois encore une chance pour le premier. Le facteur sans être totalement laissé à l’abandon pourrait intégrer un nouveau poste au sein de l’entreprise. Il pourrait alors bénéficier d’une formation pour le remettre à niveau dans la maîtrise des NTIC et lui donner une nouvelle place au sein même de la PTT, sans porter toutefois le titre de facteur. Il serait judicieux de la part de l’Etat de bien évaluer les dommages causés par cette informatisation, mais subis par une grande partie de la population riveraine du Lac lémanique. Certes, la société occidentale ne pense que faire une course à la concurrence et cela presque dans tous les secteurs de travail, et la nation helvétique n’en est pas pour autant exclue. Il est fort possible que celle-ci préfère introduire les NTIC au détriment du facteur.

Ensuite, dès que l’on parle de rentabilité, on fait automatiquement référence à un chiffre d’affaires. L’objectif poursuivi par la poste se concentre donc davantage sur les activités purement commerciales. C’est le fait de gagner un maximum tout en ayant dépensé le minimum. La poste suisse est un groupe[36] aux ramifications élargies et compte 2500 offices de poste répartis dans tout le pays. Les usagers peuvent y trouver un vaste assortiment d’articles de nature postale mais aussi de nature  non postale, allant des articles de papeterie aux téléphones portables, en passant par les ordinateurs. Tout ceci pour dire que la poste a abandonné l’image du comptoir avec la section envois et réceptions de plis pour adopter une figure de mini marché. Outre la gamme élargie des prestations de services, la poste s’est aussi dotée de trieuses automatiques pour chaque centre de distribution, afin de faciliter le tri, de rendre plus rapide la tâche. Même à ce moment-là, la distribution se fera par un appareil comme les guichets automatiques. Le constat est donc flagrant. Les tâches autrefois assignées au facteur sont progressivement confiées à des machines, ceci par voie directe comme le cas des machines trieuses, ou par voie indirecte du fait du délaissement de l’usage des lettres étant donné le succès d’Internet grâce à sa rapidité.

  • Le bilan de la course

Il est sûr que plus la poste s’adonne à des activités commerciales, elle ne fait qu’en tirer profit. Les fonds propres de la poste suisse ne cessent d’augmenter. En quatre années en effet, ils sont passés de 922 millions de CHF en 2005 à 3 milliards 534 millions en 2009. Et il est sûr que le chiffre d’affaires de la poste ne cessera d’augmenter. Ceci étant les grands patrons de la poste plaident davantage pour une industrialisation poussée de la poste, car selon les dirigeants de la poste, les bénéfices apportés par le service postal ne cessent de diminuer. En 2008 par exemple la poste suisse a bouclé l’année avec un bénéfice de 500 millions de francs, un résultat qui s’avère être moins bon que celui de l’année précédente. Or la conjoncture fera en sorte que les recettes baissent davantage, ceci en raison d’une mauvaise situation économique manifestée par une baisse des envois publicitaires adressés. Pour l’administration donc, la procédure de commercialisation de la poste est en tout point bénéfique. Mais ce bénéfice s’effectue au détriment des usagers de la poste habitués à s’en servir et surtout au détriment des facteurs qui vont perdre leur emploi. Aujourd’hui en effet force est de constater que les bureaux de poste commencent à être l’objet d’évaluation et dès qu’ils n’affichent aucun ou pas assez de profit, ils sont remplacés par une agence postale communale dont la gestion directe est confiée à la commune, mais il faut dire que très peu de communes ont la faculté de se permettre d’avoir une telle agence. Pour d’autres endroits, il s’agit d’un relais commerçant, c’est-à-dire qu’un des commerçants du village se fait postier et se charge de la gestion du courrier qui part et qui arrive. C’est actuellement la solution unique pour maintenir un point de contact, c’est-à-dire un point où seraient ralliées toutes les boîtes aux lettres et qui permettrait aux citoyens de continuer à bénéficier de la poste en tant que service du courrier.

Le facteur, lui, lorsqu’il ne disparaît pas, subit aux premières loges cette course à la rentabilité. La poste tient à leur égard un double langage : elle leur demande de la qualité et ne recherche que la rentabilité. La Poste lui impose en effet des tournées à rallonge et ne remplace plus les malades. Elle lui ajoute des rues, elle le fait revenir sur leurs jours de repos et elle veut le priver de sa tournée. Le seul but de la poste, c’est de réduire les coûts de personnel. Parmi les procédures mises en œuvre, on peut citer le cas des tournées. Outre les multiples  tournées à découvert[37], c’est-à-dire les tournées de courrier non distribuées, la poste commence à dessaisir les facteurs de leurs quartiers-lettres. Elle ne désire plus que chaque facteur soit titulaire de sa tournée mais que ceux-ci fonctionnent en équipe sur un secteur. Ainsi les absents seraient automatiquement remplacés par les présents. Cette tactique a la lourde conséquence d’étirer a journée de travail du facteur au-delà des horaires initialement prévus. Le grand danger auquel fait face le facteur aujourd’hui, c’est que la Poste ne fasse le choix d’abandonner tout un pan du service public postal de proximité au profit d’intérêts purement privés.

  • La poste au service de tous

La poste est avant toute chose un service public. Elle  représente une activité destinée à satisfaire à un besoin d’intérêt général et qui en tant que telle devrait être assurée ou contrôlée par l’administration, parce que la satisfaction continue de ce besoin ne peut être garantie que par elle. Le besoin de service public se fait ressentir partout. D’ailleurs l’essence même d’un service public, ce n’est pas la rentabilité mais le fait justement qu’il serve à tous. Ce principe est pourtant aujourd’hui battu en brèche par la remise en cause de l’essence initiale du service public.

La poste a donc pour mission d’assurer le service universel en Suisse par la fourniture de prestations relevant des services postaux et de paiement. L’entreprise se doit également de gérer un réseau d’offices de poste couvrant l’ensemble du territoire et assurer la distribution à domicile dans toutes les zones habitées. En matière de services postaux, les prestations comprennent le dépôt, la collecte, le transport et la distribution d’envois et sont assurées en règle générale tous les jours ouvrables, mais au moins cinq jours par semaine. Non seulement donc, la poste assure le service universel sur l’ensemble du territoire et mène une politique du personnel socialement responsable, mais elle accroît également la valeur de l’entreprise, se montre compétitive sur les marchés, prend en compte les besoins des régions périphériques et réalise en même temps une croissance ciblée et durable grâce à de nouvelles offres de produits et de services. L’accès aux prestations doit être de bonne qualité et être offert dans tout le pays selon les mêmes principes et à des prix équitables. Cette offre demeure comme elle l’a toujours été, essentielle pour la cohésion nationale et la participation à la vie sociale et économique de toutes les régions et catégories de la population.

  • Les solutions pour sauver le métier

D’un point de vue pratique, étant donné que le métier de facteur se résume principalement au tri du courrier et à la distribution de celui-ci, qu’il s’agisse de l’un ou de l’autre, le métier de facteur est en train de se faire devancer par l’industrialisation. Il est vrai que dans la société, à cause de l’évolution, des métiers qui deviennent obsolètes tombent dans l’oubli. Le facteur en tant que messager et commissionnaire à la charge de la distribution du courrier perd de sa valeur. Le tri du courrier lui a déjà été soustrait et bientôt il sera aussi démis de ses fonctions de distribution. A la limite, pour lutter contre ces phénomènes, il s’agira de réaffecter le facteur à d’autres missions et d’utiliser les NTIC en suivant leur courant et en les adaptant aux prestations de service de la poste.

  • La réaffectation du facteur

Bientôt, l’image du facteur, sa sacoche en bandoulière en train de battre la campagne ne sera plus. Il faut admettre que les marchés postaux subissent depuis quelques années de profondes mutations. Les usagers de la poste privilégient de plus en plus les services électroniques et témoignent d’une plus grande mobilité. Cela implique de la part de la poste que celle-ci leur fournisse des services d’excellente qualité avec davantage de souplesse. Maintenir la desserte postale de base implique donc des restructurations indispensables dont la garantie des emplois sur le long terme tout en venant à bout des nouvelles tâches. Ces restructurations peuvent conduire à une diminution des effectifs  dans les marchés traditionnellement en recul. Des postes de travail ont ainsi été supprimés, mais à côté de leur disparition d’autres fonctions  ont vu le jour. C’est à ce stade qu’intervient justement la réaffectation du facteur. S’il est un aspect du travail journalier du facteur auquel il doit renoncer, outre le tri du courrier qui est déjà confié à la machine trieuse, c’est sans nul doute la tournée de distribution quotidienne qu’il effectue de porte à porte. Avec l’existence des points de contact, ces points de ralliement qui regroupe les boîtes aux lettres, par exemple, le facteur peut s’occuper de la répartition du courrier dans les diverses boîtes aux lettres sans avoir à se déplacer sur des kilomètres, car ce sont les propriétaires des boîtes aux lettres qui vont venir consulter leur courrier.

D’autre part, il faut noter que les facteurs suisses ont très peu de chances d’être laissés pour compte car la poste suisse est un employeur de premier ordre. La qualité des prestations de service de la poste suisse convainc en effet ses usagers. Créateur d’emplois non négligeable dans les régions périphériques. En proportion, elle y emploie presque autant de personnes que dans les régions à forte concentration urbaine et d’ailleurs la création des nouveaux centres de services et de traitement dans les régions périphériques exprime clairement le souci de la poste à assumer ses responsabilités en matière de politique régionale. Depuis qu’elle existe en effet, la poste a sous ses ordres un grand nombre de collaborateurs et de collaboratrices dans toutes les régions de Suisse. Elle entend y rester un employeur de premier ordre et, malgré le contexte économique difficile, elle est disposée à assumer ses responsabilités en tant qu’entreprise de services de droit public. Le Conseil fédéral a d’ailleurs chargé la poste de tenir compte, dans la mesure de ses possibilités économiques, des attentes des régions. Les Chambres fédérales attendent elles aussi de la poste qu’elle considère les intérêts des régions dans ses décisions, mandat que la Poste remplit. Sur les quelques 40 000 emplois que la Poste offre en Suisse, près de 18 000 se trouvent dans les régions périphériques. Ils témoignent de la volonté de la Poste de contribuer à maintenir l’équilibre entre villes et campagnes ainsi qu’entre régions dynamiques et régions plus faibles économiquement. C’est donc en connaissance de cause qu’elle a créé des emplois en dehors des grands centres urbains, une politique que la poste entend poursuivre à l’avenir. La poste suisse accorde ainsi une importance à l’équilibre entre les villes et les campagnes. Soucieuse de l’égalité entre tous ses citoyens, citadins et ruraux, la Suisse a depuis 1996, décentralisé un grand nombre d’emplois et a créé plusieurs nouveaux postes en dehors des grandes agglomérations urbaines. A titre indicatif, on peut par exemple citer le cas de Fribourg et de Schaffhouse où 60 personnes ont été engagées en 2005 pour les services de conseil à la clientèle. Le traitement des retours et le vidéocodage ont entraîné la création de 77 nouveaux postes à temps plein à Coire en 2007 et de 75 postes à temps plein à Sion en été 2008. De même, l’accès au marché de la distribution matinale des journaux en 2009 va générer des emplois en dehors des grands centres urbains dans les années à venir. Depuis début 2008, PostFinance offre par ailleurs 190 emplois à temps plein dans le nouveau centre de calcul de Zofingue (AG). Depuis maintenant une décennie donc , plus de 1000 emplois supplémentaires ont été créés dans toute la nation helvétique. Cette création accentuée de nouveaux postes de travail au sein de la poste est favorable à la réaffectation des facteurs, car ceux-ci peuvent réintégrer ces nouveaux emplois. Ils doivent cependant préalablement suivre une formation pour pouvoir disposer des compétences nécessaires à l’intégration des nouvelles fonctions.

  • Les NTIC : une arme à double tranchant

Les nouvelles technologies de l’information et de la communication constituent certes le principal danger pour le métier de facteur, mais elles peuvent être utilisées à contresens, c’est-à-dire que l’on peut vaincre les NTIC par elles-mêmes. Il est judicieux en effet de définir un nouveau service public postal fondé sur l’usage des nouvelles techniques de l’information et de la communication. La poste aurait pour mission de créer ce nouveau service et de servir d’interface entre celui-ci et les usagers. Il est évident que le changement ne peut s’opérer en deux temps trois mouvements, si bien que pendant la période transitoire qui va permettre de basculer vers l’usage complet des NTIC par la poste, les deux services devront coexister.

Il s’agit ici de sauvegarder le principe selon lequel un service universel, à savoir la distribution du courrier, est offert sur le plan national, c’est-à-dire sur un réseau qui couvre le territoire suisse tout entier. Il a été précédemment souligné que les nouvelles technologies d’information et de communication transforment radicalement les conditions dans lesquelles la poste doit effectuer sa mission. Depuis quelques années maintenant, les législations en place et le contexte social et technique perdent de leur pertinence et deviennent rapidement inadéquates pour garantir la pérennité du service postal universel. Si autrefois, le réseau constitué par les offices postaux pouvait être considéré comme avantageux, la réforme basée sur la rentabilité du système ne porte plus ses fruits, car aujourd’hui, il vit la menace de la suppression d’un grand nombre de bureaux. Il est important donc d’anticiper une évolution technique qui ne cesse de doubler sa vitesse dans les temps à venir.

Que l’on parle de transfert, de gestion, de traitement ou encore de stockage de l’information, les NTIC sont les mieux placés pour s’en charger. Comparées aux méthodes antérieures, elles sont largement plus intéressantes. En effet si autrefois, le courrier était basé sur l’utilisation du papier, aujourd’hui les NTIC permettent de faire un bénéfice financier et d’avoir un gain de temps sans avoir recours à la plume et au papier à lettre. Le coût de cette opération peut en effet être réduit jusqu’à un ordre de 1000 fois son prix. Il est vrai que vingt ans passés, parler d’Internet comme moyen de communication était assez hasardeux, car à cette époque, l’accès aux nouvelles technologies d’information et de communication était considéré comme un luxe auquel seule une portion très restreinte de la population helvétique avait accès. En d’autres termes, ce qui relevait de l’impensable, voire de l’impossible à cause des frais d’exploitation trop élevés, il y a deux décennies, devient aujourd’hui une nécessité à laquelle on ne peut échapper qui offre d’ailleurs toute sa gratuité.

Le principe fondamental de fonctionnement de la poste devient donc le suivant : pour traiter et transférer l’information, on en arrive à l’utilisation des impulsions électromagnétiques que du papier. A titre de rappel, la poste suisse effectue quatre types de travail distincts : la distribution du courrier composé de lettres de périodiques et de publicités; les opérations financières, les encaissements, versements et virements; le transport des colis et le transport des personnes par les cars. Ce qui nous intéresse particulièrement dans ce travail, c’est le premier secteur de travail, à savoir la distribution. Or celui-ci, avec les opérations financières aussi, est en péril car il risque de disparaître progressivement, si le métier n’est pas effectué dans le contexte des NTIC. On peut citer le cas le plus répandu et observé, pas seulement en Suisse mais partout dans le monde. Il s’agit de la correspondance privée. Autrefois, pour écrire une lettre, il fallait avoir recours à un stylo avec lequel on écrivait sur du papier à lettre, que l’on pliait et introduisait dans une enveloppe. Ensuite il fallait se rendre au bureau des postes pour l’affranchir et seulement après être en mesure de l’envoyer. Aujourd’hui, les personnes qui ont accès à Internet peuvent échanger des mails, des services de courriers électroniques que les différents sites proposent sans aucun retard et pour un coût pratiquement nul. Il suffit d’ouvrir sa boîte de messagerie, de saisir sa lettre au clavier, d’insérer l’adresse du destinataire et d’envoyer le mail, tout ceci dans un temps sensiblement rapide. Même, sous forme écrite, le mail ou la lettre électronique bénéficie de l’instantanéité du produit. Non seulement, le courrier ne risque pas d’arriver en retard mais il parvient à son destinataire à la minute près où son expéditeur l’envoie. En revanche, dans le meilleur des cas, outre toutes les formalités administratives imposées par le service des postes qu’il faut respecter, une lettre par voie postale prend une journée et coûte relativement cher. Dès que le courrier franchit les frontières, les retards deviennent prohibitifs et le courrier n’a plus aucune signification que protocolaire ou contractuelle.

Au fur et à mesure que la partie de la population qui accède à Internet augmente, il est inéluctable que la distribution du courrier par un facteur s’amoindrisse. Peu à peu, les anciens usagers de la poste ne se serviront plus d’elle, préférant largement Internet qu’ils peuvent manipuler sans contrainte sans avoir à bouger de chez eux. Le transfert physique du courrier postal résiduel deviendra ainsi de moins en moins rentable par diminution du volume de celui-ci. La tentation de réduire ou de renchérir le service postal s’imposera jusqu’à la disparition en catastrophe de celui-ci. Des réflexions analogues peuvent s’appliquer pour la distribution de journaux et de périodiques. La même réflexion peut d’ailleurs être apportée pour les opérations financières qui peuvent dès à présent être effectuées par l’utilisation d’Internet, d’automates[38] ou de cartes.

Ainsi donc, le premier métier symbolique de la Poste, en l’occurrence le facteur avec la tâche de distribution du courrier qui lui fut confiée, va se réduire pour finir par entièrement disparaître selon un cercle vicieux qui s’est déjà amorcé. En fermant les yeux devant la situation, sans manifester de réactions et sans mener des combats de retardement, on aboutira inévitablement sur une situation bloquée qui mènera à des liquidations précipitées et dramatiques. En revanche, l’objectif du service universel peut encore tenir tête dans la mesure où le métier de la Poste serait révisé en tenant compte du contexte des NTIC.

Jacques Neirynck a proposé, il y a maintenant sept années, une motion concernant une nouvelle forme de service public de la poste, que le Conseil fédéral a à cette époque rejeté ; mais que nous estimons aujourd’hui avoir toute sa raison d’être, car elle représenterait peut-être une des solutions pour sauver le métier de facteur. Evidemment, il est impossible de le garder tel qu’il a été à sa première création, mais on peut tout de même réformer les agents.

Il est incontestable que le réseau des offices postaux ne peut être maintenu dans l’état dans lequel il se trouve. On ne peut l’obliger à préserver des emplois ni à fournir des places d’apprentissage,  tout comme on ne peut lui imposer des implantations qui ne sont pas rentables dans des régions périphériques.

Les grandes lignes des idées de Jacques Neirynck sont les suivantes. Le principe fondamental serait basé sur l’accès aux nouvelles technologies d’information et de communication. Il estime que tout résident suisse devrait bénéficier d’un accès à Internet qui est bon marché et convivial. La Poste doit fournir à la demande l’installation nécessaire sans frais pour l’usager qui ne supporte que les coûts d’utilisation. Les boîtes aux lettres disparaissent, sauf quelques cases postales dans les offices postaux eux-mêmes. Elles sont remplacées par un appareil simple donnant accès à Internet. Le raccordement ISDN au réseau téléphonique permet simultanément de téléphoner et d’envoyer des courriers électroniques. Des installations adéquates sont disponibles dans les offices postaux pour les usagers qui ne disposent pas du téléphone à domicile.

Le personnel de la Poste est spécialement entraîné et formé de façon à aider les personnes qui se sentent incapables d’utiliser ce nouveau réseau, à savoir les personnes agées. En un mot, la Poste devient l’interface technique et humaine entre les usagers et les NTIC qui sont gérés par les firmes du secteur des télécommunications. Il s’agit bien entendu d’un but ultime à atteindre au bout de cinq à dix ans en ménageant un transitoire aussi acceptable que possible pour les usagers et les employés.

Les idées de Jacques Neirynck, à l’époque où il avait proposé la motion, furent en effet considérées comme avant-gardistes. Il est vrai que c’est une mutation énorme que de transformer le service des postes en un réseau de télécommunications avancé et complexe. Il est en effet difficile d’admettre que le service universel de la poste sera remplacé à moyen terme par une industrie fondée entièrement sur des réseaux opérant avec la technologie Internet bien que la substitution du courrier traditionnel par le courrier électronique se fera de plus en plus sentir dans les années à venir. La Poste doit par conséquent s’attendre donc, pour la décennie à venir, à un recul du courrier d’un pour cent en moyenne par année, certaines sociétés étrangères tablant même sur un recul plus prononcé.

Bien qu’inévitable donc, le recours aux NTIC a déjà été entrepris par la poste suisse. Nous partageons d’ailleurs l’avis que la poste devrait recourir aux nouvelles possibilités technologiques dans l’intérêt de ses clients. Dans le cadre de sa stratégie de commercialisation, la poste a décidé de développer de nouveaux secteurs d’activité. Or, c’est précisément dans le domaine des nouvelles technologies que l’entreprise déploie d’importants efforts. A titre d’exemples, nous pouvons parler de yellownet[39] dans le secteur des services financiers, le service de messagerie électronique Track & Trace[40] dans le secteur des colis qui consiste en un suivi électronique de l’acheminement du colis. En exploitant de nouveaux secteurs d’activité, la Poste générera par ailleurs des recettes qui contribueront à financer le service universel dont elle est chargée. Le modèle de financement a été approuvé. Les grands axes pour le maintien et le développement d’un service universel de qualité doivent donc comporter des prestations offertes à des prix équitables à toutes les catégories de la population et dans toutes les régions. Le mandat de service universel doit donc continuer d’englober le transport des lettres et des colis. Il convient notamment de relever que les observateurs suisses et étrangers s’attendent, pour les années à venir, à une croissance des services de messagerie, des exprès et des colis. Le service postal universel conserve par conséquent toute son actualité. Le facteur pourra toujours continuer sa tournée de distribution mais il s’avère probable que sa besace se transformera en camionnette et les lettres à distribuer ne seront plus que des colis.

 

 

CONCLUSION

Le facteur est un personnage populaire, un bonhomme que tout le monde a au moins vu passer une fois dans sa vie, devant son seuil. Pendant des décennies entières, ce fut lui qui se chargea de partager les lettres et les colis à destination des usagers de la poste. Personnage emblématique du service postal, ses tâches étaient principalement constituées du tri du courrier qui parvenait à la poste et de distribuer sa part de courrier dans le secteur qui lui a été préalablement destiné.

Aujourd’hui pourtant, avec l’avènement des nouvelles technologies d’information et de communication comme Internet, le facteur tend à se faire devancer, voire à être délaissé. Ceci est dû au fait que les deux tâches principales du facteur que sont le tri et la distribution, ont tendance à s’estomper au fil du temps. Ceci est dû en majeure partie à  l’amoindrissement du recours au courrier physique au profit du courrier électronique effectué par les usagers de la poste et à l’industrialisation du métier, notamment par la mécanisation du tri du courrier.

Sur les facteurs et les centres de distribution du courrier, c’est une refonte complète de toute l’organisation du travail qui est en train de se faire. Face à la modernisation des services publics avec notamment la privatisation de la poste, plusieurs métiers seront affectés, et au premier rang se trouvent les facteurs. L’ambition de l’administration est d’ailleurs d’abandonner l’image initiale du service public pour tirer un maximum de profit. L’Etat ne recule devant aucun obstacle pour mettre en place sa réforme, quitte à retirer aussi tout le personnel à l’occasion.

Force est donc d’admettre que le métier de facteur sera englouti par cette vague de changements et qu’il se rangera au côté des autres fonctions usitées qui n’ont plus de raison d’être à cause du développement. Réinventer le métier de facteur équivaut donc à laisser de côté son essence initiale pour substituer ses tâches de tri et de distribution par de nouvelles fonctions toujours au sein de la poste. Il s’agit de réaffecter le facteur dans un autre domaine, notamment dans les secteurs de nouveaux emplois créés par la poste. Il s’agit également de former le facteur à maîtriser aussi les NTIC pour pouvoir aider les personnes en difficulté dans l’informatisation des services postaux, si informatisation il y a.

 

 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

  • Basdevant M. [réal.] (2002), « Sur le terrain des facteurs », film réalisé en collaboration avec Mercier D., 62 minutes, production Laboratoire Printemps
  • Charbon Paul, Nougaret Pierre, Le facteur et ses métamorphoses, Editions Jean-Pierre Gyss, 1984
  • Clot Yves, Scheller Livia, Caroly Sandrine, Millanvoye Michel, Volkoff Serge, Le travail du genre professionnel comme contribution à la genèse de l’aptitude, Coll. de la Mission de la Recherche, mai 2000
  • Demailly Lise et De la Broise Patrice, « Les enjeux de la déprofessionnalisation », Socio-logos. Revue de l’association française de sociologie [En ligne], 4 | 2009, mis en ligne le 07 mai 2009. URL : http://sociologos.revues.org/2305
  • Gollac Michel, Volkoff Serge, « Citius, Altius, Fortius. L’intensification du travail », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 114, septembre 1996

 

 

 

[1] A titre d’exemple, on peut citer le film de Jacques Tati intitulé « L’école des facteurs » ou encore celui de Michael Radford intitulé « Il postino », tous deux ayant comme personnage principal un facteur qui tisse des liens avec des usagers de la poste.

[2] La rencontre entre le facteur et le destinataire ne se fait pour ainsi dire que lors de la remise des lettres recommandées.

[3] La reprise de La Poste par la Confédération le 1er janvier 1849 a été décidée presque sans opposition et ancrée dans la Constitution fédérale en 1848 sous l’article 33. Les inconvénients des Postes cantonales étaient trop évidents. Dès cette époque, sa mission était de transporter des voyageurs ainsi que des lettres, des colis et des fonds. En 1849, La Poste a été divisée en onze districts postaux. Chaque district postal avait sa propre direction qui dépendait à son tour de la direction générale de Berne. La création des districts postaux s’est fortement basée sur les frontières linguistiques et cantonales et sur les anciennes régions des postes cantonales.

[4] Les facteurs chargés de ce genre de tournée emportent également avec eux les dépôts-relais des facteurs-lettres.

[5] Parfois mal aiguillés ou mal adressés en amont, ils se retrouvent confondus avec le courrier classique composé des lettres et de la presse. Les cedex et les boîtes postales font en effet l’objet d’un tri à part car ils vont être remis ou distribués précocement.

[6] Il arrive aussi que le centre de distribution, selon son organisation propre, fixe une heure définie à laquelle le tri général doit être effectué.

[7] Il existe actuellement une nouvelle génération de casiers appelés CHM ou casier hybride modulaire. Ces casiers comportent une séparation par point de remise et permet un tri direct sans reprise de chaque case.

[8] Il peut s’agir d’une rue, de numéros d’une voie, d’une avenue, ou d’un point de remise comme un immeuble ou une association.

[9] Le traitement d’une lettre à réexpédier consiste à insérer les lettres dans des enveloppes de réexpédition ou à coller une étiquette de réexpédition au verso de la lettre et une étiquette masquant l’ancienne adresse au recto.

[10] C’est un employé de la poste autre que le facteur qui se charge de traiter les lettres recommandées à leur arrivée dans le centre.

[11] Les dépôts-relais sont des liasses de courrier mises en sac.

[12] Les coffres-relais sont des dispositifs métalliques qui comportent deux compartiments. La partie supérieure est destinée à l’usage de boîte aux lettres et la partie inférieure sert à accueillir les dépôts-relais.

[13] Paul Charbon, Pierre Nougaret, Le facteur et ses métamorphoses, Editions Jean-Pierre Gyss, 1984, p. 13

[14] En France, une loi de 1829, applicable au premier avril 1830, a décidé que  toutes les communes du territoire seront désormais desservies tous les deux jours, puis tous les jours après 1832, et les lettres et paquets seront portés à domicile

[15] En 1877, ils parcourent une moyenne de 27 kilomètres par jour.

[16] A titre d’exemple, on peut citer Louis XI qui institua les « chevaucheurs royaux »

[17] Mot latin duquel est né étymologiquement le terme poste

[18] Mot latin signifiant une personne préposée à la distribution du courrier qui est d’ailleurs un terme utilisé pour désigner également le facteur entre 1957 et 1993

[19] Les tournées du XIXème siècle représentent jusqu’à 40km de marche quotidienne

[20] Lorsque la poste opère un changement structurel, il acquiert le caractère industriel et commercial. L’objectif de cette réforme structurelle et organisationnelle est le principe de l’  « usager –roi » c’est-à-dire que la poste, en tant que service public doit veiller à la qualité du service rendu, à la reconsidération du statut de l’usager et à la débureaucratisation de l’organe administratif. D’autant plus que cette réforme répond à une exigence nouvelle de rentabilité des services postaux ce qui instaure un impératif de modernisation pour la poste.

[21] On peut se poser la question sur le cas des facteurs contractuels engagés par le service postal pour faire un remplacement d’une durée d’un mois, d’une semaine ou d’un jour, notamment en matière de confiance des usagers et de qualité du travail.

[22] A titre indicatif, il faut savoir que la poste suisse exploite 3 centres courrier, 6 centres logistiques de traitement du courrier, 2 centres logistiques de vidéo codage et de traitement des retours, 3 centres colis, 2065 offices de poste, 283 agences (la poste dans l’épicerie du village), 36 filiales PostFinance, 17 000 boîtes aux lettres, 820 Postomat, 15 000 véhicules, 450 wagons de chemin de fer, 800 lignes CarPostal, 10 429 kilomètres de lignes CarPostal, 13 799 arrêts CarPostal.

[23] Cette hausse du volume est constatable malgré que les entreprises baissent sensiblement le nombre de courrier qu’elles font acheminer.

[24] Yves Clot, Livia Scheller, Sandrine Caroly, Michel Millanvoye, Serge Volkoff, Le travail du genre professionnel comme contribution à la genèse de l’aptitude, Coll. de la Mission de la Recherche, mai 2000, pp. 15-16

[25] Le même mouvement est effectué plus de 3000 fois pendant près de deux heures de tri général et de coupage du courrier sans compter la distribution.

[26] On retrouve par exemple les mêmes problèmes de santé chez les employés des usines de montage automobile, des centres hospitaliers, des centres d’appels téléphoniques

[27] Michel Gollac, Serge Volkoff, « Citius, Altius, Fortius. L’intensification du travail », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 114, septembre 1996, p. 59

[28] Lise Demailly et Patrice de la Broise, « Les enjeux de la déprofessionnalisation », Socio-logos. Revue de l’association française de sociologie [En ligne], 4 | 2009, mis en ligne le 07 mai 2009. URL : http://sociologos.revues.org/2305

[29] Lise Demailly et Patrice de la Broise font par exemple une étude de cas des universitaires, des médecins et des postiers.

[30] Lise Demailly et Patrice de la Broise, « Les enjeux de la déprofessionnalisation », Socio-logos. Revue de l’association française de sociologie [En ligne], 4 | 2009, mis en ligne le 07 mai 2009. URL : http://sociologos.revues.org/2305

[31] Ibid.

[32] Ibid.

[33] C’est le cas des « ambulants » encore appelés les « seigneurs » de la Poste qui se chargeaient du tri du courrier dans les wagons de chemin de fer, et qui ont été absorbés par les grands centres de tri répartis sur le territoire.

[34] Basdevant M. [réal.] (2002), « Sur le terrain des facteurs », film réalisé en collaboration avec Mercier D., 62 minutes, production Laboratoire Printemps.

[35] Lise Demailly et Patrice de la Broise, « Les enjeux de la déprofessionnalisation », Socio-logos. Revue de l’association française de sociologie [En ligne], 4 | 2009, mis en ligne le 07 mai 2009. URL : http://sociologos.revues.org/2305

[36] Notons que la poste suisse est un groupe moderne qui englobe le Post mail chargé du service universel postal, le Post Logistics, les Services financiers et Transport de voyageurs ainsi que les domaines d’activité International, Réseau postal et Philatélie

[37] Il faut noter que ces tournées à découvert n’existent que dans des endroits isolés, défavorisés et loin des yeux du grand public

[38] La poste suisse a par exemple introduit le Postomat, un distributeur automatique de billets, en 1978

[39] Yellownet est la plate-forme la plus fréquentée et la plus appréciée du pays pour la gestion électronique des comptes. Chaque mois, elle séduit environ 7000 nouveaux utilisateurs. Le portail a été ouvert en 1998 et possède aujourd’hui plus de 700 000 clients.

[40] Track and trace est un système de suivi des envois Track & Trace avec lequel  le client peut vérifier à tout moment le statut de ses envois sur le site www.postlogistics.ch/trackandtrace. Ce service est disponible pour les colis, les envois exprès, divers produits et destinations de Swiss Post International ainsi que les lettres avec justificatif de distribution, c’est-à-dire les recommandés. Avec Track & Trace Business, les clients commerciaux peuvent en outre consulter la signature et l’adresse du destinataire ainsi que d’autres données relatives au colis. Des fonctions de recherche élargies sont également mises à leur disposition. Protégé par un mot de passe, l’accès se fait via la plate-forme My Post Business.

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