Accompagnement social et éducateur spécialisé : Enjeux de l’autonomie et de l’inclusion sociale
Plan
Introduction
Partie I. Cadre institutionnel et missions du SAVS
1.1 Association
1.2 Cadre législatif
1.3 Présentation du service et nature de l’intervention éducative
1.4 Population accompagnée
1.5 Présentation de l’équipe du service
- Questionnement professionnel à travers l’observation des usagers
2.1 Des parcours et des situations hétérogènes
2.2 Un handicap difficile à appréhender
2.3 Un public imprévisible/ instable
2.4 Un public déconcertant
2.5 Souffrance et isolement social
2.6 Le corps et le logement
2.7 Difficultés à concevoir et mener des projets
Constats
Question de départ
- L’émergence d’un nouveau public dans le secteur médico-social
3.1. Qu’est-ce que le handicap psychique ? exemples
3.2. Quelles différences entre handicap mental et psychique ? Expérience terrain
3.3. La société et ses normes
3.4. Législation en faveur des personnes handicapées
- … Son accompagnement
4.1 La notion d’autonomie
4.2. La notion d’accompagnement
4.3 Les fonctions de l’éducateur spécialisé
Formulation de la problématique
Présentation des hypothèses
Partie 2 : La personne accompagnée, un individu à part entière
- Quelques concepts clé
1.1. La notion de projet
1.2. Le projet d’établissement
1.3. Le projet personnalisé
- Réalisation de l’hypothèse
2.1. Définition de l’Altérité, de ce qu’est l’autre
2.2. La relation éducative
2.3. Les représentations
2.4. Educateur sujet « supposé savoir »
- Mise en œuvre de ma pratique : favoriser la participation de la personne
3.1. Lorsqu’Alter rencontre Ego
3.2. Approche globale de la situation
3.3. Les entretiens
3.4. La parole
3.5. L’écoute
3.6. L’empathie
3.7. Le projet outil de médiation
3.8. L’évaluation
- Donner du sens à sa pratique
4.1 Décrire la pratique
4.2 Partager sa pratique, le travail en équipe pluridisciplinaire
4.3 Le travail en partenariat et en réseau, un autre regard sur nos pratiques
Conclusion
Bibliographie
Annexes
Résumé
Introduction
Notre société fonctionne selon des normes appliquées collectivement et des modes culturels spécifiques à chacun. L’insertion sociale est une question de société et il appartient à chaque individu de s’en approprier les codes. Toutefois, apparaît la nécessité d’accompagner un public en difficulté (sociale, intellectuelle, physique) pour une meilleure autonomie et une reconnaissance de la personne dans son environnement.
Les éducateurs spécialisés œuvrent en vue de faciliter l’intégration d’une population et travaillent auprès d’un public très varié allant des mineurs aux personnes âgées. L’éducateur spécialisé intervient dans divers types de structures dont les Services d’Accompagnement à la Vie Sociale (SAVS). Ce service propose un suivi individuel à des personnes adultes en situation de handicap étant en difficulté pour réaliser « […] tout ou partie des actes essentiels à leur existence »[1]. Ils œuvrent donc en vue de favoriser leur autonomie en contribuant à la réalisation de leur projet de vie.
C’est au sein d’un Service d’Accompagnement à la Vie Sociale que s’est déroulé mon stage à responsabilités. J’ai eu l’occasion d’accompagner des personnes adultes en situation de handicap psychique et mental. En les ayant côtoyés, cela m’a permis de mesurer les degrés de difficulté en fonction du type de handicap. Et, par mes observations, j’ai apprécié la propension de chaque personne à s’en remettre à l’analyse et aux propositions des professionnels au sujet de la réalisation de son projet.
L’hétérogénéité du public accompagné par le SAVS m’a permis de constater que les personnes souffrant d’une même maladie mentale la vivaient différemment. L’expression ou l’extériorisation du handicap et le niveau d’autonomie différaient d’un individu à un autre. La diversité des situations rencontrées m’a conduit à m’interroger sur les types d’appui que je pouvais proposer.
Les politiques sociales et les lois réglementent le fonctionnement des établissements, des services sociaux et médico-sociaux, tout en fixant les missions de l’éducateur spécialisé. En tant que salarié, il a pour mission de répondre aux attendus de l’institution qui l’emploie donc, à ceux de la société. De facto, sa posture professionnelle ne doit pas dépendre que de sa subjectivité mais doit prendre en compte divers paramètres dont les besoins des usagers, les normes institutionnelles, ses propres compétences…
Puisque le rôle de l’éducateur spécialisé est d’accompagner les personnes dans leurs projets de vie, comment faire pour qu’elles en soient les premières actrices ? Sachant que l’éducateur spécialisé se doit d’être un intermédiaire entre les attentes des personnes et l’institution, comment concevoir un suivi personnalisé en adéquation avec leurs expectatives, tout en ayant l’objectif de leur permettre de trouver une place dans la société, au travers de l’institution les accueillant? La relation d’aide serait alors au cœur d’une triangulation entre l’institution, l’éducateur et la personne prise en charge. L’éducateur spécialisé tenterait de répondre à la demande de normalisation et de socialisation attendues par la société, cadré par l’institution.
Afin de développer cette idée, la première partie présentera le contexte institutionnel, les missions du SAVS et les fonctions de l’éducateur spécialisé dans ce service. Puis, j’exposerai l’émergence d’un nouveau public dans le secteur médico-social, et, en partant de l’observation des usagers, je partagerai mon questionnement professionnel. Le second chapitre me permettra de définir les notions inhérentes à l’accompagnement au sein des SAVS. Une définition des notions clés le débutera, suivie de la formulation de la problématique et de la présentation des hypothèses.
La seconde partie de ce mémoire, intitulée « La personne accompagnée, un individu à part entière », me permettra de parler plus amplement de la manière dont j’ai envisagé ma pratique au sein du SAVS, notamment par le biais de l’outil de médiation qu’est le projet personnalisé, à cheval entre pratique institutionnelle et désir des personnes accompagnées.
Partie I. La personne accompagnée au sein du SAVS
Dans cette première partie, nous nous focaliserons sur l’accompagnement réalisé par l’éducateur spécialisé au sein du SAVS du point de vue de l’institution. Pour ce faire, nous présenterons le contexte constitutionnel afin de nous immerger dans l’environnement dans lequel l’éducateur travaille et les usagers sont accompagnés. Cela nous permettra de mieux connaître le mode de fonctionnement du SAVS et les cadres réglementaires qui régissent l’accompagnement, ceux que l’éducateur doit prendre en compte tout en priorisant les besoins des personnes accompagnées, ceux qui m’amènent à me demander comment je dois articuler ma mission au regard des règles et lois et des attentes des usagers.
- Cadre institutionnel et missions du SAVS
- Association
Depuis 58 ans, l’Association accompagne des enfants, des adolescents, des adultes ainsi que des familles en situation de handicap, en difficultés sociales ou atteintes de maladies. Elle est reconnue d’utilité publique et gère plus de 130 sites en France métropolitaine et en Outre-mer. Tous les ans, sont accompagnés environ 6 741 personnes. Sa charte est édifiée autour de principes valorisants dont l’Humanité, l’Education, la Laïcité, la Démocratie et la Solidarité. En résumé, chaque personne accompagnée est dotée de valeurs humaines qu’elle peut utiliser et manier librement. Elle a droit à une éducation lui permettant d’acquérir les savoirs et compétences nécessaires à son projet de vie et lui permettant d’accéder à une plus grande autonomie. Le but est de parvenir à faire de celui qui se sent en marge de la société un acteur particulièrement actif de cette dernière. Dans chacune de ses interventions, l’Association se charge de coordonner ses actions aux besoins réels des bénéficiaires. C’est le constat que j’ai observé durant mon stage au sein du SAVS.
Après avoir brièvement présenté le cadre institutionnel, passons maintenant au cadre législatif. Le cadre législatif délimite la mission de l’éducateur spécialisé via le décret n° 2005-223 du 11 mars 2005. Que représente-t-il pour le professionnel ? Comment concilie-t-il ses exigences avec les besoins des usagers qu’il a repérés ? Son respect peut-il aider à une socialisation de ces derniers ?
- Cadre législatif
Après avoir présenté l’association, il nous apparaît logique de présenter le cadre législatif relatif aux missions du SAVS étant donné qu’il régit la vie au sein de ce dernier que ce soit du côté des intervenants ou des bénéficiaires. En effet, toute structure, surtout lorsqu’elle accueille ou prend en charge des individus, doit être régie par un règlement ou un cadre législatif que chacun doit tenir compte et respecter.
Les missions du service sont déterminées par le décret n° 2005-223 du 11 mars 2005 relatif aux conditions d’organisation et de fonctionnement des SAVS. Ils ont pour vocation de permettre une réinsertion des adultes en situation de handicap dans la vie sociale.
Les SAVS sont régis par le décret n° 2005-223 du 11 mars 2005 relatif aux conditions d’organisation et de fonctionnement des services d’accompagnement à la vie sociale, définissant leur fonctionnement et leur mission. D’après l’article D.312-155-5 le SAVS a «[…] pour vocation de contribuer à la réalisation du projet de vie de personnes adultes handicapées par un accompagnement adapté favorisant le maintien ou la restauration de leurs liens familiaux, sociaux, scolaires, universitaires ou professionnels et facilitant leur accès à l’ensemble des services offerts par la collectivité.». De fait, ils s’adressent aux « […] personnes adultes, y compris celles ayant la qualité de travailleur handicapé, dont les déficiences et les incapacités rendent nécessaires […] une assistance pour tout ou partie des actes essentiels de l’existence et/ou un accompagnement social en milieu ouvert et un apprentissage à l’autonomie »[2].
Le décret du 11 mars 2005 délimite la nature des prestations du SAVS qui « […] organise et met en œuvre tout ou partie des prestations suivantes »[3] :
- l’évaluation des besoins et des capacités d’autonomie,
- l’identification de l’aide à mettre en œuvre et la délivrance à cet effet d’informations et de conseils personnalisés,
- le suivi et la coordination des actions des différents intervenants,
- une assistance, un accompagnement ou d’une aide dans la réalisation des actes quotidiens de la vie et dans l’accomplissement des activités de la vie domestique et sociale,
- le soutien des relations avec l’environnement familial et social,
- un appui et un accompagnement contribuant à l’insertion scolaire, universitaire et professionnelle ou favorisant cette insertion,
- le suivi éducatif et psychologique.[4]
Ces différentes prestations visent à permettre aux personnes en situation de handicap de mieux s’insérer ou se réinsérer dans une société souvent stigmatisante envers ceux qui ne suivent pas ou qui ne peuvent pas suivre ses normes.
Mais bien que ce cadre légal fixe nos missions, il reste un support, le relationnel entre l’éducateur et la personne sera à prendre en compte. L’institution se borne souvent à vouloir normaliser et socialiser ses usagers. Où en est l’institution en ce qui concerne la prise en compte de l’individualité instituée par les lois de 2002 et de 2005 ? Arrive-t-elle à les concilier avec les attentes de la personne, notamment avec la prise en compte de l’ensemble des composantes environnementales, psychologiques et familiales qui forment sa singularité ?
1.3. Présentation du service et nature de l’intervention éducative
Le SAVS au sein duquel j’ai réalisé mon stage a été créé pour accompagner les personnes handicapées âgées. L’objectif du service était de faire perdurer le suivi des personnes retraitées d’ESAT. Plus tard, sous la demande de l’autorité de tutelle (Conseil départemental), le public ciblé s’est élargi à tout public adulte handicapé.
Les professionnels du service prennent en compte les désirs du bénéficiaire en les mettant au cœur de leurs actions tout en respectant ses droits, comme le stipule la loi du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale.
L’accompagnement a pour objectif de favoriser l’autonomie des personnes, de leur permettre de s’insérer dans leur environnement. Au sein du service, la première fonction de l’éducateur est de contribuer à la réalisation du projet de vie de la personne. Cette contribution passe par une compréhension du bénéficiaire, une écoute attentive et approfondie de ses attentes et besoins permettant l’élaboration de son projet. En ce sens, l’éducateur spécialisé sera amené à favoriser le mieux-être de l’usager en prenant en compte les difficultés et problèmes exprimés ou sous jacents.
Tous les professionnels du service doivent permettre aux usagers de devenir plus autonomes et de s’insérer dans leur milieu social et/ou familial. Par conséquent, ils identifient leurs besoins et attentes au travers d’entretiens ou d’activités collectives. L’accompagnement par le service est gratuit, le fonctionnement dépend entièrement d’une dotation globale et annuelle versée par le Conseil départemental.
Le SAVS accompagne de nombreux usagers aux problématiques aussi diversifiées que spécifiques. Dans notre cas, il s’agit d’individus atteints de troubles psychiques. Chaque situation est unique et le handicap de ces usagers se manifeste différemment en fonction de sa nature, de son type ou de son degré. Qu’est-ce qui caractérise la population accueillie par ce service ?
- Population accompagnée
Au sein du SAVS, les usagers sont soit atteints de handicap psychique, soit de handicap mental. Ils ont besoin d’être aidés en vue d’être plus autonomes dans leur quotidien et de s’insérer dans la société ou de la réintégrer, que ce soit du point de vue social, familial ou professionnel. Cette sous-partie nous permettra de les présenter en tant que public type accompagné par le SAVS aux situations de vie variées et qu’il faudrait considérer dans leur singularité via le projet individualisé.
L’agrément du service définit l’accueil et le suivi de 40 personnes. Réellement, ce nombre peut être plus important en fonction des circonstances des situations, comme la nécessité d’accueils immédiats. La majorité des usagers du SAVS bénéficie d’une mesure de protection judiciaire. Selon le projet de service, 16 femmes sur les 43 situations sont accueillies au 31 décembre 2015. Il s’agit d’une proportion plutôt stable si l’on considère les chiffres depuis l’ouverture du service. Les personnes accueillies ont en moyenne 50 ans. Depuis l’ouverture du service, le nombre des plus de 60 ans a énormément diminué, passant à 7 personnes. Seules 3 personnes figurent dans la tranche d’âge entre 18 et 30 ans tandis que la moitié des individus accueillis se situe dans celle entre 35 et 55 ans.
Parmi les effectifs, 13 usagers bénéficient d’un suivi régulier par un médecin psychiatre. Les personnes accueillies au SAVS nécessitent une aide spécifique reposant entièrement sur les compétences du médecin psychiatre et de la psychologue du service, en coordination avec des acteurs spécialisés du territoire. Certains usagers suivent des traitements médicaux dont le respect de leur prescription sollicite aussi la vigilance des éducateurs.
La quasi-totalité des bénéficiaires ne disposant pas d’un moyen de locomotion, ou n’ayant pas accès aux transports en commun, leur accompagnement est essentiellement constitué de visites à domicile. Par conséquent, dans le cadre de ce type d’intervention, les éducateurs doivent avoir noué une relation de confiance minimale pour entrer dans l’environnement personnel des usagers.
Sur la totalité de la population accueillie, deux personnes sont en activité professionnelle pérenne, l’une d’elle est proche de sa mise en retraite. Trois autres personnes disposent d’un projet professionnel d’intégration en ESAT, pour lequel le service les accompagne dans leurs démarches.
L’expression des besoins des usagers se fait de manière formelle ou informelle, et sans obligation de résultat en un temps donné. Ils sont récursifs et caractéristiques : isolement social, budget, hygiène, vie courante, achats, travail etc. Certains besoins peuvent être dissimulés par d’autres, et/ou, connaissent des obstacles dans leurs modes d’expressions. D’ordre général, et historiquement pour le service, les besoins liés au logement, à la santé, sont primordiaux et communs à la plupart des usagers. Inversement, ceux relatifs au lien social, aux loisirs par exemple, furent pris en compte au fil de l’expérience de travail du SAVS face à l’évolution du public.
Une particularité des personnes accompagnées par le service est leur manque d’activité et de participation sur le plan social. En effet, leurs troubles psychiques prépondérant sont la cause de leur isolement et rupture vis-à-vis de la société, et font émerger des besoins spécifiques. On retrouve ici les composantes sociales et environnementales évoquées dans la Classification Internationale du Fonctionnement, du handicap et de la santé (CIF). Chez les bénéficiaires du SAVS, cet isolement est courant et renforcé par le fait qu’ils n’ont pas ou peu de relations familiales, affectives, privées, pour la plupart. Par conséquent, en parallèle des entretiens individuels, le service propose des activités collectives malgré l’éloignement géographique de certains domiciles.
L’accueil de ce public spécifique est confié à une équipe professionnelle qualifiée.
- . Présentation de l’équipe du SAVS
En termes d’équipe, le SAVS est dirigé par un directeur et emploie également un chef de service. Trois éducateurs spécialisés assurent le suivi des usagers au quotidien. La référence d’équipe a été instaurée dans la grande majorité des situations dans l’optique « […] d’assurer la continuité de l’accompagnement en cas d’absence d’un professionnel et offre l’avantage de prévenir autant que possible le risque de maltraitance par « le regard croisé » des interventions du professionnel par le reste de l’équipe. »[5]. Cette méthode requiert un partage et une transmission régulière, même quotidienne, d’informations entre les professionnels en vue de rendre le travail en équipe et en partenariat plus efficient.
L’équipe pluridisciplinaire se retrouve chaque semaine pour une réunion engageant la participation d’une psychologue. Un psychiatre prend part à cette instance tous les 15 jours. Le rôle de ces professionnels est avant tout de participer à la réflexion de l’équipe éducative, de la réalisation du projet à sa mise en œuvre.
Ils peuvent être amenés à rencontrer les personnes accompagnées dans des périodes où un appui psychologique ou psychiatrique est nécessaire. Les entretiens donnent lieu à une évaluation permettant un enrichissement de la réflexion et de l’accompagnement du service. Elle sert également de support aux éducateurs spécialisés afin de réajuster leur intervention. La participation du psychologue et du médecin permet au réseau du service de s’élargir. Leurs rôles et fonctions rendent la communication avec le corps médical plus aisée entre les divers acteurs.
Le SAVS est un service de milieu ouvert, ce qui implique la visite à domicile comme une méthode de travail. Celle-ci est présentée aux bénéficiaires dès leur admission, à la présentation du service, afin d’éviter toute confusion dans cette démarche pouvant être perçue comme intrusive. Il s’agit d’une rencontre duelle entre le professionnel et la personne. Ce temps peut aussi se dérouler plus rarement dans les locaux du service. Durant les entretiens, la position du professionnel devient complexe. Il se retrouve entre celle d’un guide qui dirige, et surtout, prend des décisions difficiles en cas d’événements spécifiques, et, celle d’un accompagnateur soutenant l’usager dans ses tâches quotidiennes. Par conséquent, le travail doit s’articuler entre les attentes et besoins de la personne, et, les suggestions de l’éducateur sans pour autant qu’elles les occultent.
Avec ce décalage espace-temps, l’intervenant peut parfois prendre des décisions, des initiatives, sans avoir la possibilité de concerter sur l’instant ses collègues et collaborateurs. La difficulté principale dans ses entretiens individuels, ses visites à domicile, est que le professionnel doit agir seul tout en étant constamment dans une écoute et compréhension des besoins de la personne accompagnée. En conséquence, l’éducateur peut faire face à des situations particulières, inopinées. Dans ce genre de circonstance, il devra être en mesure de solliciter ses compétences professionnelles, voire qualités personnelles, comme à la fois, assimiler et neutraliser des tensions et charges émotionnelles, jusqu’à pouvoir les exposer en équipe.
Cette spécificité du travail en SAVS se place entre la pratique professionnelle individuelle et le travail en équipe. Chaque professionnel doit savoir travailler individuellement tout en considérant et impliquant ses interventions dans la dimension de l’équipe : rendre des comptes, échanger, partager avec ses collègues et sa hiérarchie.
Après avoir éclairci le rôle de l’association ainsi que les missions du SAVS et présenté le public accueilli tout en détaillant le fonctionnement du service, nous allons présenter les usagers dont les situations ont conduit aux questionnements ayant motivé ce mémoire. Comment se met en place l’éducation spécialisée dans le SAVS au regard de ces bénéficiaires et de leurs troubles ? Comment le service les accompagne-t-il, les actions éducatives mises en place correspondent-elles réellement à leurs désirs et attentes personnels ?
- De l’observation des usagers à un questionnement professionnel
Cette partie sera l’occasion de faire état de la manière dont j’ai appréhendé la rencontre avec les personnes accompagnées par le service. Je souhaitais rencontrer l’ensemble des personnes accompagnées et me faire ma propre idée sur elles, sur leur situation afin d’évaluer leur potentialité et leur problématique. Par la suite, je souhaitais pouvoir échanger avec l’équipe en fonction de mes observations et m’inscrire progressivement dans les accompagnements. J’ai utilisé en premier lieu l’observation active ce qui m’a permis de faire un certain nombre de constats et tisser une relation de confiance favorisant le repérage des principales caractéristiques du public. Elles seront mentionnées à l’aune de la présentation de six situations qui seront reprises tout au long de ce travail pour éclairer mon propos. Ces rencontres ont nécessité un recours régulier à l’introspection, à des remises en question. Réfléchir sur mes représentations et échanger avec l’équipe furent primordiaux pour focaliser mon intervention sur la singularité de chaque sujet en vue de co-construire des axes de travail éducatif.
- Des parcours et des situations hétérogènes
Le dénominateur commun du public accueilli au SAVS est leur situation de handicap psychique et ou mental qui se manifeste différemment selon les personnes et leurs circonstances. La rencontre avec ce public m’a permis de constater que les personnes souffrant de maladies mentales ont des profils très différents les unes des autres. J’ai côtoyé des femmes et des hommes avec des parcours hétérogènes, vivants en milieu ordinaire et de manière autonome. Leurs revenus témoignent parfois de leur parcours. Certains bénéficient de l’Allocation Adultes Handicapés, de l’Allocation de Solidarité Spécifique, d’une retraite, de la pension d’invalidité, de revenus en lien avec Pôle Emploi etc.
Malgré leur maladie mentale, ils ne sont pas tous forcément dans une démarche de soins. Mais, pour ceux bénéficiant d’un accès à des soins spécifiques, leur continuité est parfois délicate. A première vue, ces individus n’ont absolument rien « d’anormal ». Cependant, ils ressentent à certains moments de leur vie des épisodes de souffrance qu’ils expriment par de la dépression, la consommation de psychotropes, ou des crises d’angoisse.
Par conséquent, ils ont besoin d’un accompagnement pour surmonter leurs difficultés et retrouver leur autonomie. Leurs situations nécessitent un soutien moral, en termes de présence, d’écoute et d’attention, afin de retrouver un sens à leurs maux et parvenir à vivre avec ou à les combattre en allant de l’avant. Souvent mis à l’écart à cause de leurs troubles psychiques, mentaux, par son intervention, le SAVS tente de leur donner les conditions de possibilité à leur expression. C’est au travers de l’écoute et de la compréhension de leurs besoins que le service peut les aider à accéder à leur autonomie et insertion. Par l’hétérogénéité de leurs vécus, les besoins et leur expression sont différents pour chaque personne. Donc, la nécessité première est la prise en compte de leur singularité dans l’accompagnement.
Mes observations et la relation que j’ai tissée avec les bénéficiaires m’ont permis d’isoler six situations caractéristiques du handicap psychique que je vais présenter ci-dessous. Ces dernières reflètent les troubles et souffrances éprouvés par les personnes touchées par le handicap psychique qui nécessitent d’être aidées en vue de retrouver un peu de normalité, de retrouver leur place dans la société. Leurs problématiques différentes m’amènent à me demander comment on peut les accompagner et m’amènent à une réflexion sur la posture de l’éducateur spécialisé vis-à-vis de ces usagers dont leur trouble les empêche d’aller de l’avant. Comment les mobiliser afin qu’ils accèdent à un mieux-être ? Bien qu’ils semblent vouloir y parvenir, leur maladie freine leur volonté, en quoi l’éducateur spécialisé est-il un appui pour eux ? Comment aider ces personnes à trouver leur place dans la société ?
- Un handicap difficile à appréhender
Les difficultés psychiques des usagers du SAVS ne sont pas toujours d’emblée apparentes. Suite à plusieurs rencontres et temps d’observations, M. Buisson s’est confié sur la cause de son incapacité à travailler (déficience visuelle pour cause de maladie). De plus, au fur et à mesure des entretiens et par des échanges avec l’équipe, j’ai perçu des problèmes d’alcoolisation, ainsi qu’un état dépressif, se traduisant par une démotivation au quotidien. La justification de son accompagnement par le SAVS se tenait par son besoin d’être aidé dans plusieurs domaines : entretien du logement ; alimentation ; administratif ; hygiène et accès au soin. Si le handicap psychique n’apparaît pas dans le langage corporel ou verbal de la personne, il est difficile à déceler. De plus, les individus souffrant de troubles psychiques connaissent des phases de stabilisation variables dans le temps. Certes, la maladie est présente, mais, son expression, ses symptômes ne se manifestent pas dans ces périodes. Par conséquent, l’accompagnement auprès de ces personnes consiste à leur permettre de trouver un équilibre dans leur vie, notamment.
- Un public imprévisible, instable
En plus d’être difficile à percevoir, le handicap psychique de certains usagers se manifeste également de manière imprévisible et instable. Mme Bouchole se trouvait dans cette situation.
A l’âge de 49 ans, Mme Bouchole souffrait de problèmes d’audition et de fragilités psychiques. Elle considérait son handicap uniquement par le fait d’être malentendante. Dans son passé, elle a été victime de violences conjugales. Après avoir porté plainte et quitté son compagnon, elle s’est retrouvée isolée et sans logement, puis, a été accueillie dans un centre d’hébergement. Suite à ses épreuves, elle s’est repliée sur elle-même. Par conséquent, sa curatrice a demandé un accompagnement par le SAVS.
Lors d’un rendez-vous médical à honorer, Mme Bouchole a sollicité avec insistance le service pour l’accompagner, de peur de ne pas entendre les propos du médecin. Le service l’avait alors accompagnée afin de veiller à la bonne compréhension des informations médicales qui lui ont été transmises. Le lendemain du rendez-vous, elle a téléphoné à sa tutrice pour se plaindre du non-respect de son intimité, en prétextant que l’éducateur présent avait forcé pour assister à la consultation. Par conséquent, sa tutrice a contacté le service pour connaître la version des faits du professionnel. Mais, quelques jours plus tard, lors d’une activité collective que j’animais, Mme Bouchole est revenue sur cet épisode en me décrivant une autre version des faits. Elle estimait que sa tutrice, en réalité, n’avait pas respecté son intimité en l’interrogeant sur le déroulement de la consultation.
L’instabilité et l’imprévisibilité de cette situation résident dans les propos contradictoires de Mme Bouchole envers sa tutrice et envers ma personne. Ses deux versions s’opposent, ce qui empêche de connaître la vérité sur l’histoire. Toutefois, ma fonction de professionnel ne consiste pas à prendre position ni à chercher la vérité dans une telle situation, mais plutôt à prendre note des faits en vue d’en tirer des leçons constructives et de me préparer pour les interventions futures, surtout face à une population dont les difficultés psychiques se manifestent différemment comme nous allons le voir avec le prochain usager.
- Un public déconcertant
Dans le métier d’éducateur spécialisé, il existe des situations qui peuvent nous déconcerter, nous dérouter. Celle de M. Wisnievsko en fait partie, un homme qui ne laisse pas facilement transparaître son trouble mais qui, lorsqu’il se manifeste, semble désarmé et devient difficile à reconnaître.
Lors de son accompagnement par le service, M. Wisnievsko était un homme âgé d’une quarantaine d’années. Auparavant, il vivait en couple sur Paris, possédait une maison, travaillait dans un magasin de bricolage et possédait un véhicule léger qu’il conduisait quotidiennement.
Suite à la séparation avec sa femme, il quitta la région parisienne. Mais, la situation de M. Wisnievsko s’est dégradée (incapacité à lire, écrire, compter, comprendre, se repérer et faire des choix, les actes du quotidien étaient vecteur d’angoisse) au point d’engendrer une incapacité à gérer son quotidien, l’amenant à se faire hospitaliser et à bénéficier d’une mesure de protection. Par la suite, il bénéficia d’une prise en charge en hôpital de jour régulière, à proximité de son nouveau domicile. En complément, il recevait l’aide d’auxiliaires de vie plusieurs fois par semaine.
Un jour, après une activité collective, j’ai reconduit à son domicile M. Wisniewsko. Ignorant la localisation du logement de ce dernier, je lui ai naturellement demandé de me guider. L’inverse se produisit. M. Wisnievsko était dans l’incapacité de donner des indications de direction au sein même de son village. Il expliqua qu’il ne sortait jamais, de peur de se perdre et de se mettre dans un état d’angoisse important.
Pour ma part, la situation m’a parue stupéfiante. Elle souligne l’écart voire le fossé avec l’autonomie passée de la personne, et peut engendrer de la surprise. Comme pour M. Buisson et Mme Bouchole, j’ai remarqué que les apparences ne témoignent pas de la maladie. En effet, la visibilité relative des difficultés de ces personnes demande une vigilance particulière, que cela soit pour les professionnels du SAVS ou leur entourage, afin d’éviter de les mettre dans des situations complexes. La peur de se perdre peut conduire à la peur de l’extérieur et donc à l’isolement social, une situation vécue en permanence par M. Tour.
- Souffrance et isolement social
Dans la majorité des cas, le handicap psychique des personnes accompagnées en SAVS les conduit systématiquement à s’isoler de la société comme c’est le cas de M. Tour.
La situation de M. Tour témoigne d’une souffrance doublée d’un isolement social. Il vivait avec sa mère dans un petit appartement. Il a été orienté vers le SAVS suite à ses difficultés à sortir de chez qui lui causaient des crises d’angoisse. Elles se manifestaient par un enfermement à son domicile et l’exécution de rituels pour tenter de se rassurer. Lors d’un entretien, M. Tour m’a expliqué qu’il pouvait rester enfermé plusieurs jours et ne sortir que par nécessité (achats alimentaires, rendez-vous etc.). Lorsque l’angoisse le submergeait, il nettoyait un endroit particulier de l’appartement, puis tapotait plusieurs fois chaque placard de sa cuisine afin de se canaliser.
Mes premières observations et participations aux entretiens m’ont fait constater à plusieurs reprises l’isolement social des usagers du SAVS. La plupart du temps, la personne en situation de handicap psychique ressent un fort sentiment d’insécurité se traduisant, sans raisons apparentes, par des phobies. Ainsi, la personne a tendance à s’enfermer dans un sentiment de culpabilité. Concernant la situation de M. Tour, la conscience de ses difficultés l’entraînait à ressentir une différence face à la représentation qu’il avait de la normalité. Les conséquences des angoisses démontrent la nécessité d’une vigilance régulière (accompagnements, accès aux soins etc.) pour que la personne puisse accéder à un mieux-être, et, à un certain degré d’autonomie.
La souffrance de M. Tour s’apparente à l’agoraphobie, à la peur de l’extérieur. Cela l’amène à s’isoler chez lui de manière systématique et l’empêche donc de se socialiser. L’incapacité à prendre soin de son corps et de son logement peut également conduire à cet isolement vis-à-vis de la société, M. Gadu étant un exemple typique de ce constat.
- Le corps et le logement
Parmi les usagers soutenus par le SAVS, certains vivent avec un handicap psychique impactant fortement leur organisation quotidienne à travers leur incapacité à s’occuper de leur corps et de leur logement. M. Gadu fait partie de ces derniers.
- Gadu cessa son activité professionnelle suite à un grave accident de la route. Après une longue hospitalisation, il connut une prise de poids importante qui l’empêcha de reprendre un emploi, malgré sa reconnaissance de travailleur handicapé. De plus, son état d’obésité l’empêchait de se mobiliser sur d’autres aspects de sa vie quotidienne. Bien qu’ayant conscience des risques de santé, et, sa volonté de perdre du poids, sa situation s’envenimait progressivement. Chacun de ses mouvements était source d’effort. L’entretien de son logement était donc délaissé. Les différents bilans de santé ont montré une dégradation importante de ses capacités physiques (cardiaque, respiratoire). M. Gadu confectionnait ses repas. Ils étaient rarement équilibrés et ne respectaient pas les règles d’hygiène alimentaire. De plus, la station debout étant pénible, il choisissait les aliments demandant le moins de préparation. Parfois, le manque de motivation engendrait des sauts de repas au profit du grignotage de sucreries, à longueur de journée. M. Gadu avait l’habitude de laisser la gestion des documents administratifs à l’abandon. Pourtant, il pouvait réaliser certaines tâches, mais se laissait à la procrastination au point de dépasser des échéances importantes.
Lors des entretiens, il a expliqué être conscient de son état de santé et comprendre les implications multiples (difficultés à se mouvoir, à s’habiller etc.) Il a exprimé son envie de se mobiliser (soin, cure etc.) pour avoir un autre projet de vie. Cependant, sans un étayage et une forte motivation quotidienne, il n’y parvenait pas.
Malgré ses envies et sa capacité à enclencher des démarches, M. Gadu avait besoin d’un tiers pour le guider. Sans cette aide, il ne pouvait s’extirper de son inertie. M. Gadu faisait partie de ces personnes qui avaient soif de changement mais qui ne pouvaient y parvenir sans un soutien continuel.
- Difficultés à concevoir et mener des projets
Le handicap psychique peut impacter la conception de l’avenir et compromettre l’émergence de désirs des personnes qui en souffrent comme l’illustre la situation de M. Laga.
- Laga est une personne diagnostiquée schizophrène. J’ai constaté qu’il avait de la peine à accepter les conséquences de sa maladie, bien que son état psychique était stabilisé selon son psychiatre. Cette considération l’empêchait de se projeter dans sa vie. Une stimulation importante et régulière paraissait nécessaire pour tenter de faire émerger ses envies. M. Laga avait besoin d’être aidé afin d’avoir la possibilité de faire des choix et de les assumer. Pour autant, ces besoins repérés par le service correspondaient-ils à ses attentes ?
Lorsque nous lui avons proposé de nouveaux objectifs de travail, M. Laga les a acceptés. Cependant, lors des entretiens, il était difficile de travailler par le biais de son libre-arbitre, et de le mobiliser à l’intérieur du foyer, comme à l’extérieur, afin qu’il s’épanouisse dans son cadre de vie. En effet, les visites étaient considérées comme une contrainte. Il s’agissait alors de refaire un point avec l’ensemble des acteurs pour évaluer la situation, et, pour trouver une correspondance entre ses attentes et les besoins repérés par le service.
Cette situation reflète l’importance de la collaboration en équipe pluridisciplinaire mais également avec l’ensemble des acteurs présents dans cette situation. Parce qu’il n’acceptait pas les impacts de sa maladie sur lui-même et sa vie, M. Laga était dans l’incapacité de formuler ses besoins et attentes, mais souhait- il finalement bénéficier d’un accompagnement ? Ne se sentait-il pas sécurisé par son quotidien ? S’autoriserait-il à faire état de ses ressentis à l’équipe ?
Lorsque les difficultés à concevoir et à mener des projets persistent, il faut veiller à ne pas oublier que « l’usager est acteur de sa propre vie » afin de ne pas imposer nos propres réflexions. Sans volonté ni extériorisation de ses besoins par le bénéficiaire, nous nous retrouvons dans une situation difficile entre le réel désir de la personne d’être accompagnée vers un mieux-être ou le besoin de poursuivre l’équilibre trouvé.
Constats :
Les situations exposées démontrent des parcours de vie plus ou moins accidentés dus à des troubles psychiques. La dégradation de la santé mentale de ces personnes fragilise leur estime de soi et tend à les isoler de la société. Les difficultés rencontrées sont des conséquences de leurs troubles. Ils ont pour effet une certaine forme d’inadaptation sociale au quotidien. Ce bouleversement d’existence peut plonger certaines personnes dans un état dépressif, ne leur permettant plus, ou moins régulièrement, de concevoir leur avenir, ni même leur présent. Cette rupture de lien social créé un état et un sentiment de solitude renforçant ce mal-être dans leur quotidien. Bénéficier d’un accompagnement par un SAVS leur permet de diminuer cet isolement face à leurs difficultés. A travers les entretiens menés, j’ai constaté que les temps d’échanges et de conseils sont un réel appui pour certaines personnes
En effet, ils se saisissent de ce moyen pour reconstruire et formuler progressivement des envies, désirs, projets, avec la maladie, tout en tentant de pallier à certaines difficultés. Pour d’autres bénéficiaires, leur déni du handicap fait obstacle à une demande de soutien face aux besoins repérés par les professionnels. Ils attendent de ces derniers à ce que les objectifs éducatifs leur soient définis et proposés.
Pour nombre d’entre eux, le handicap est survenu brutalement, comme une rupture avec leur vie « ordinaire ». Désormais, ils sont considérés et reconnus comme des personnes en situation de handicap par la société. Le SAVS, et les professionnels qui l’animent, ont pour mission de les aider dans leurs souffrances de cette différence pour tendre vers un mieux vivre dans la prise en compte de leurs attentes, et, des comportements attendus par la société. Cependant, qui suis-je en tant que professionnel pour penser et dire ce qu’il est bon de faire ou non pour ces personnes que j’accompagne ?
Je ne peux décider en lieu et place d’autrui. D’emblée, par son vécu, sa manière de penser, ses propres convictions, il est en capacité de faire des choix pour sa vie. Probablement, la nécessité sera de lui faire percevoir, réaliser, des pistes, des possibilités, pour que plusieurs choix se présentent à son esprit. Mais, assurément, la personne accompagnée doit être la seule actrice de son changement, son évolution.
A travers ces situations, nous constatons que le regard véhiculé par la société, sur ces personnes pouvant être en décalage avec les comportements et attitudes attendus, ne facilite par leur insertion, donc leur bien-être. Lorsque les difficultés à concevoir et à mener des projets persistent, il faut veiller à ne pas oublier que « l’usager est acteur de sa propre vie » afin de ne pas imposer nos propres réflexions. Sans volonté ni extériorisation de ses besoins par le bénéficiaire quel que soit la nature de son handicap, nous nous retrouvons dans une situation difficile entre le réel désir de la personne d’être accompagnée vers un mieux-être ou le besoin de poursuivre uniquement l’équilibre trouvé. De ce fait, comment faire pour que ces personnes puissent continuer de vivre en milieu ordinaire sans pour autant se sentir exclues de la société du fait de leur problématique ?
Après avoir présenté ces situations relevant de pathologies psychiques, intéressons-nous de plus près au handicap psychique et à ses spécificités. Longtemps éclipsé par le handicap mental, le handicap psychique semble être une notion plus récente, d’où la considération des personnes qui en souffrent comme étant un nouveau public dans le secteur médico-social.
- L’émergence d’un nouveau public dans le secteur médico-social
La présentation du mode de fonctionnement du SAVS et du public qu’il accueille nous montre que les troubles spécifiques dont les usagers souffrent nécessitent un accompagnement particulier qui, dans le cas de ces vignettes cliniques, n’est possible que dans un tel service médico-social. Après avoir exposé leurs différentes situations, nous nous rendons compte de l’existence de caractéristiques spécifiques aux personnes atteintes de handicap psychique ou mental. Ces dernières conduisent en majorité vers un isolement social provoquant un mal-être chez ces dernières. Mais au-delà de nos observations sur terrain, qu’est-ce qui caractérise le handicap psychique du point de vue théorique ? Les spécificités du handicap des usagers que j’ai observées sur le terrain correspondent-elles à celles des personnes souffrant de handicap psychique ou mental du point de vue de la théorie ?
Cette partie sera l’occasion de définir ce qu’est le handicap psychique, de faire émerger, par le biais de mon expérience sur terrain, les différences entre ce dernier et le handicap mental et, en sus, de présenter la législation en faveur des personnes handicapées.
3.1Qu’est-ce que le handicap psychique ?
Etymologiquement, le terme handicap provient de la combinaison de trois mots anglo-saxons : « Hand in cap ». Les premiers usages de ce terme viennent des Britanniques qui, durant le XVIe siècle, s’adonnaient à un jeu d’échanges d’objets personnels, durant lequel l’arbitre vérifiait les objets et garantissait l’équivalence des lots pour que les joueurs aient les mêmes chances de gagner. Le « Hand in cap », littéralement traduit « main dans le chapeau », désignait la malchance de celui qui a pioché un mauvais lot.
Ainsi, le hand in cap, contracté « handicap », désigne originellement un désavantage provoqué et représente l’infirmité, l’exclusion ou encore l’insuffisance de capacité. Au fil du temps, on a usé de ce terme pour désigner le désavantage d’un individu en comparaison à un autre. Le désavantage s’est peu à peu transformé en différence, le terme handicap revêtant toujours une connotation négative. La différence, l’absence ou l’insuffisance véhiculées et représentées par le handicap s’inscrivent majoritairement dans un contexte négatif, pénalisant et désavantageant. Avoir un handicap signifie être différent des autres.
Les travaux du professeur Wood ont permis à l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), en 1980, de classifier les handicaps en vue d’en sortir une définition internationale regroupant les notions de déficience, d’incapacité et de désavantage dans la Classification Internationale des Handicaps (CIH).[6]
Selon Gérard Zribi et Jacques Sarfaty, le handicap psychique représente « un dysfonctionnement de la personnalité caractérisé par des perturbations graves, chroniques ou durables du comportement et de l’adaptation sociale. Les troubles psychiques sont plus ou moins intenses, ponctuels ou permanents ou encore plus ou moins précoces. [7] ». Ce handicap représente un trouble du comportement d’une personne pouvant nuire à son adaptation dans la société et pouvant se manifester de manière plus ou moins intense. Il empêche donc un épanouissement ou une intégration sur le plan social. La situation de M. Tour est représentative du handicap psychique, sa peur de l’extérieur formant un obstacle à son intégration sociale.
La suite de cette définition affirme que les troubles psychiques « entrainent des itinéraires de vies très différents selon le degré d’autonomie (ou de dépendance) des personnes. Certains malades mènent une existence normale, et d’autres vivent de manière plus ou moins permanente en institution ou ont un besoin continu d’aides psychosociales »[8].Ce handicap se manifeste différemment selon les personnes atteintes, comme nous avons pu le constater dans la présentation des différentes situations d’accompagnement par le SAVS.
Ces personnes ne peuvent pas vivre une vie « normale », bien que leurs troubles ne soient pas perceptibles de l’extérieur. C’est en les côtoyant que s’instaure une relation d’aide permettant des échanges profonds sur leur mal être, que l’on se rend compte de la raison qui a conduit à leur accompagnement.
J’ai observé, par exemple, que M.Gadu, ne peut pas accomplir seul certaines tâches quotidiennes du fait de son obésité et de son incapacité à prendre soin de lui-même et de son habitat. Si certains handicaps psychiques se matérialisent sous forme d’agoraphobie (M. Tour), d’autres prennent la forme d’isolement social (M.Gadu), d’angoisse (Mr Wisnievsko), de dépression (M. Buisson) et d’instabilité (Mme Bouchole)
Le trouble psychique est une déficience psychique nécessitant une intervention sociale et médicale. D’après l’OMS, la déficience représente« l’altération du fonctionnement psychologique, physiologique ou anatomique. Cela renvoie à une réponse médicale. ». Ainsi, cette déficience empêche la personne d’user pleinement de ses facultés psychologiques ou physiologiques. Cela se traduit par une incapacité qui« […] correspond à toute réduction résultant d’une déficience partielle ou totale de la capacité d’accomplir une activité d’une façon ou dans les limites considérées comme normal pour un être humain. L’incapacité est une conséquence de la déficience, cela nécessite une réponse rééducative. »[9]
De par cette incapacité, la personne souffrant de handicap psychique ne peut pas réaliser une tâche ou une activité comme une personne « normale » pourrait le faire et a besoin d’être aidée pour ne pas être désavantagée socialement. Par désavantage social, j’entends « le résultat pour un sujet d’une déficience ou d’incapacités qui limitent ou interdit l’accomplissement d’un rôle normal en rapport avec son âge, son sexe, les facteurs sociaux et culturels. Il s’agit de la conséquence de la déficience ainsi que celles des incapacités. Cela demande une réponse sociale en termes d’adaptation.»[10]
De la déficience découlent l’incapacité et le désavantage (social), deux points faibles des personnes accompagnées par le SAVS. Cependant, cette première classification de l’OMS se focalise sur ce qu’un individu ne peut pas faire. Par conséquent, une nouvelle classification est apparue en 2001 : la classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé (CIF). Il s’agit d’une révision et d’une amélioration de l’ancienne classification du professeur Wood dont la ratification a été effectuée en mai 2001 par l’Assemblée générale de l’Organisation Mondiale de la Santé.
Contrairement à la CIH, la CIF ne classifie pas les personnes handicapées, mais plutôt les dimensions du fonctionnement humain dans lequel on retrouve trois composantes : le corps au niveau de ses fonctions et structures, les activités et la participation. Une quatrième composante s’ajoute à ces dernières : l’environnement. Catherine Barral propose un résumé de la CIF: « Intégrant modèle individuel et modèle social, la CIF propose un modèle biopsychosocial, fondé sur le principe qu’un handicap, physique ou mental, n’est pas un attribut intrinsèque de la personne mais un processus complexe mettant en relation état de santé, activités, participation et environnement physique et social.[11] ». D’après cette description, le handicap, qu’il soit psychique ou mental, n’implique pas uniquement la personne atteinte et sa santé mais résulte également de facteurs externes et organisationnels dont les activités et l’environnement physique et social. Il n’est pas inné, il représente une conséquence du handicap mental et évolue progressivement.
Le handicap psychique de Mr Wisnievsko en est un exemple. Cette personne a vécu une vie que l’on pourrait qualifier de normale (il avait un travail stable, une vie conjugale, une maison, une voiture) qui a basculé une fois sa séparation avec sa femme. Cette séparation est l’élément déclencheur du trouble qui n’est donc pas inné mais a été provoqué par un événement survenant bien plus tard. Qu’en est-il des difficultés psychiques des autres bénéficiaires ? Quels sont les éléments extérieurs qui les on causées ?
Selon la loi du 11 février pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées peut causer des troubles psychiques distincts du handicap mental. D’après l’article 2 de ladite loi, « Constitue un handicap, au sens de la présente loi, toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de santé invalidant »[12].Etant donné leur incapacité à réaliser différentes activités ou à contribuer pleinement à la vie sociale, la création de structures médico-sociales pour les accompagner semble évidente.
Si telles sont les caractéristiques du handicap psychique, qu’en est-il du handicap mental et quelles différences y a-t-il entre ces deux notions ? Y a-t-il une différence entre l’accompagnement des sujets atteints du premier et ceux atteints du second ? La prise en compte de la singularité fonctionne-t-elle pour ces deux types de handicap ?
3.2 Quelles différences entre handicap mental et psychique ? Expérience terrain
Dans cette sous-partie, je m’appuierai sur mon expérience de terrain ainsi que sur des apports théoriques pour distinguer le handicap mental du handicap psychique.
François Chapireau, psychiatre du Département d’information médicale de l’Association santé mentale (ASM13) décrit le handicap comme un «[…] nouveau trouble spécifiquement français » qui «[…] trouve son sens dans l’histoire complexe des dispositifs d’aide et de soins aux personnes en difficulté dans notre pays, marquée par une organisation ancienne en fonction de groupes cibles : ce cadre a fortement contraint l’évolution des idées que ce soit chez les associations de familles et d’usagers ou chez les psychiatres, quoique de manières très différentes dans ces deux groupes d’acteurs[…]»[13] . En effet, la reconnaissance officielle de ce handicap découle des actions de l’Union nationale des associations de familles et d’amis des malades mentaux, (UNAFAM) et de la Fédération des associations de patients et ex-patients de psychiatrie (FNAP-Psy), sans oublier la participation de nombreux autres professionnels, traduite par la loi du 11 février 2005.
L’UNAFAM et la FNAP-Psy, par le biais de leurs présidents respectifs Jean Canneva et Claude Finkelstein, voulaient à tout prix « faire exister une population » : celle des handicapés psychiques. Leur but était de la distinguer d’une population existante et ancienne : celle des handicapés mentaux. Pour ce faire, l’UNAFAM a contacté l’Union nationale des associations de parents d’enfants inadaptés (UNAPEI) qui, séduite par la proposition, a décidé de conclure un accord sur la répartition des domaines de compétences entre les deux associations, la première s’occupant du handicap psychique et la seconde du handicap mental[14]. Ces actions signent donc la différenciation devenue aujourd’hui courante entre ces deux termes.
Le handicap mental désigne les conséquences de la déficience intellectuelle, tandis que celui psychique décrit les conséquences de la diminution ou le dysfonctionnement des fonctions psychiques. La principale différenciation entre trouble psychique et mental est que les causes et sources sont plus facilement repérables et identifiables pour le second. Le handicap mental est généré par des pathologies comme un traumatisme ou une anomalie génétique, et limite les capacités intellectuelles de la personne. De plus, elles n’évoluent pas, les symptômes du handicap se manifestent de manière stable, et, la médicamentation des personnes est en corrélation.
Les causes du handicap psychique ne sont pas identifiées. Les capacités intellectuelles des individus atteints restent intactes et peuvent même évoluer au gré du temps. La déficience se caractérise dans l’usage limité ou restreint de leurs capacités. Ces symptômes se manifestent de manière instable, imprévisible, à l’instar des usagers du SAVS. Leur médicamentation est nécessaire et se combine à différentes techniques de soin, leur permettant une réadaptation de leurs capacités à penser et à décider. Les pathologies comme la schizophrénie, les troubles bipolaires, ou celles causées par un traumatisme crâniens, engendrent souvent un handicap psychique.
Qu’il s’agisse de handicap mental ou de handicap psychique, les manifestations diffèrent en fonction des individus atteints, du type et du degré de handicap. Leur autonomie est touchée à différents endroits, de manière partielle ou totale. Les limites engendrées par leurs déficiences intellectuelles rendent les personnes en situation de handicap mental inaptes partiellement ou totalement à certaines tâches telles que :
– le repérage dans l’espace et/ou dans le temps : M. Desse ne se repérait pas dans le temps et en oubliait régulièrement des rendez-vous importants. Pour se repérer, nous lui avons proposé une éphéméride afin qu’il puisse arracher au jour le jour la page et connaitre ce qu’il avait à faire durant la journée à l’aide de dessin représentatif.
-le fait de fixer leur attention ou de mesurer l’importance des renseignements mis à leur disposition : M. Verseau souhaitait participer à un jeu de société avec un petit groupe, cependant, le UNO avait des règles trop difficiles à comprendre et à respecter pour lui sur la durée de la partie.
– se conformer aux conventions sociales : Mme Lelong avait besoin de vêture, je l’ai accompagnée dans un centre commercial. Du bas des escalators, elle avait aperçu un homme noir et s’est mise à hurler : « Regarde comme il est noir, il n’a pas dû se laver super souvent celui-là ! »
Les difficultés du handicap psychique sont quant à elles sont d’ordre organisationnel, la personne conserve une faculté intellectuelle normale mais rencontre des difficultés sur le plan relationnel, en matière de concentration ou d’usage de ses capacités. Elle n’arrive plus à prendre soin d’elle, à nouer des relations pérennes autour d’elle, à vivre ou à se maintenir correctement dans un logement ou à organiser une vie sociale. Mme Z, âgée de 50 ans, bénéficie d’un niveau intellectuel se rapprochant de la norme mais ne parvient pas à tisser des relations avec les personnes qu’elle rencontre car celles-ci s’essoufflent dans le temps. Cependant, niant son handicap, cette dernière ne se remet jamais en cause et pense que les difficultés relationnelles sont dues au fait que les habitants de sa commune sont « peu sociables ».
Les rencontres avec le public accompagné par le SAVS m’ont permis de mesurer les divers degrés de difficultés qui pouvaient survenir en fonction du type de handicap.
La première personne rencontrée lors de mon stage à responsabilités était une femme de soixante ans vivant au domicile familial avec son père vieillissant. Il s’agissait d’une personne toujours souriante et satisfaite de ce qui pouvait lui être proposé. C’est durant une séance de tennis adaptée que j’ai constaté certaines inadaptations chez elle, conformément aux caractéristiques des personnes souffrant de handicap mental et de handicap psychique. J’ai remarqué que les codes sociaux n’étaient pas totalement acquis par cette personne. La limite de compréhension de cette femme témoignait d’une déficience intellectuelle.
Cela se distingue de ma rencontre avec Mme Bouchole. Accompagnée d’un éducateur pour une visite à domicile, j’ai ressenti une grande méfiance de sa part envers moi dès mon arrivée. Son comportement démontrait un fort sentiment de persécution. Peu importe ce que je pouvais lui dire, elle y voyait toujours quelque chose de mauvais. Cependant, rien ne laissait entrevoir un handicap si ce n’est cette difficulté au niveau relationnel.
Percevant la différence d’accompagnement que nécessitent ces deux types publics, je me suis interrogé sur la manière dont j’allais pouvoir les accompagner. Face à la complexité de l’accompagnement des personnes ayant des troubles psychiques dans leur projet de vie, ce travail de mémoire se centrera essentiellement sur ce public.
Face à aux caractéristiques des individus affectés par un trouble psychique, comment puis-je les accompagner au regard de ces difficultés ? Qu’est-ce que mon intervention peut engendrer ou changer ? Quel rôle l’action éducative peut-elle jouer et qu’apporte l’éducateur face à ces difficultés ?
3.3 La société et ses normes
Les normes sont une affaire de société. Chaque société a ses normes, elles régissent la vie en communauté et soumettent ses membres à ses exigences. Notre travail en tant qu’éducateur spécialisé est de transmettre ces normes sociales aux usagers. En même temps, nous ne devons pas nous écarter de ces dernières dans notre intervention. Toutefois, le handicap psychique des usagers les amène inconsciemment à désobéir à ces normes. Comment réussir à leur faire connaître leurs enjeux et leur importance à des gens qui ne s’en soucient presque pas ? Les normes sociales étant souvent contradictoires avec leurs aspirations personnelles, comment parvenir à les leur transmettre sans les leur imposer, sans leur donner l’impression qu’elles modifieront leurs besoins et attentes ? Comment prendre ces derniers en considération au regard de la normalité ?
Les normes ont longtemps été étudiées en sociologie, notamment du point de vue de l’intériorisation des normes sociales. Emile Durkheim explique que la norme met en évidence notre conscience, notamment chez une personne qui souhaite se distinguer, se singulariser des autres membres de sa société mais qui n’ose pas opérer un changement car les normes de cette dernière sont ancrées dans sa tête. Elles régissent le bien et le mal de la société dans laquelle il évolue.[15] Son appartenance à cette communauté le rend soumis à ces normes qui l’empêchent donc de changer comme il le veut. En d’autres termes, elles influencent ses actions.
SITUATION DE MME BOUCHOLE AVEC SON CHIEN
MME TOUR AVEC SON RYTHME DE VIE
- BUISSON SON RYTHME DE VIE
MME DIBRAY AVEC SES CONDITIONS DE VIES. Pour illustrer l’écart avec la norme.
MME COMBOT Ai-je le droit de faire l’amour aevc mon fils ? Avec une chaussure ? Avec un aspirateur ? (il faut des détails sur ces exemples)
Deux types de normes existent :
- la norme explicite ou juridique: il s’agit des lois
- la norme implicite ou sociale : il s’agit de façons de faire communes à tous les membres de la société et acceptées par eux.
Par norme, on entend les comportements tolérés et acceptés par l’ensemble ou le plus grand nombre de citoyens membres de la société. Elle représente ce qui est normal du point de vue de la majorité.
D’après Isabelle Clair, « C’est au travers des différentes instances de socialisation qu’il traverse (la famille, l’école, le travail, etc.) que l’individu intègre progressivement ce que le groupe auquel il appartient considère comme « normal » ou « anormal », conforme ou non à ses valeurs.[16] » Ainsi, la famille, l’école, le travail ou le groupe dans lequel une personne est insérée lui transmettent ses normes via la vie en communauté. Toutefois, les normes ne sont pas universelles car chaque société/groupe possède et utilise ses propres valeurs, ses croyances, ses cultures et ses habitudes. Les normes édictées par la société dans laquelle on vit prévalent dans chacune de nos actions.
Le normal découle de la distinction de ce qui est anormal et des sanctions qui y correspondent. Les notions de déviance et de sanction sont donc indissociables des normes. Philippe Robert et Francis Bailleau estiment que les normes en sociologie impliquent les notions de déviances et de réactions sociales[17]. Elles décrivent des façons d’être, de penser ou d’agir instituées par la société et passibles de sanction en cas de déviance. C’est par cette sanctionnabilité que l’on différencie les normes des valeurs et des habitudes que l’on peut enfreindre sans risque de sanction. En effet, ces dernières sont plus individuelles que les normes qui ont un aspect collectif. Le fait de ne pas adhérer aux valeurs et habitudes d’une société n’est donc pas préjudiciable, c’est le fait de dévier des normes qui conduit à une ou des sanctions. Pour autant, chacun est libre, selon sa conscience, de se conformer ou non aux normes.
Les normes représentent, dans un certain sens, les attentes de la société envers chacun de ses membres. Dévier des normes signifie ne pas être conforme à la société et adopter des comportements contraires aux attentes de cette dernière. On observe une influence des représentations de la société sur le mode d’être de chacun et sur ses conduites. Tout individu doit adopter et accepter les normes pour être accepté et valorisé par et dans la société.
La pratique de l’éducateur spécialisé est fortement influencée par les normes, et cela depuis la période pétainiste[18] et est régie par la loi qui symbolise la norme et sanctionne les comportements considérés comme anormaux. Chaque société repose sur des normes ou comportements normés qui lui sont propres et qui sont le reflet de ses valeurs. La norme donne des repères, dessine le cadre d’intervention éducative mais peut représenter une contrainte car elle ne doit pas nous faire oublier la spécificité d’un individu.
L’intervention de l’éducateur spécialisé a pour but la transmission de normes et de valeurs, comme le souligne Aurélia Véquaud : « Au cœur de l’action éducative, il y a la relation, l’échange entre personnes qui permet de mettre en place le travail, de créer du lien, de se construire, de transmettre certaines normes et valeurs »[19]. La transmission, l’explicitation ainsi que l’enseignement des normes et usages sociaux aux usagers font partie des compétences de l’éducateur spécialisé, selon le Référentiel Professionnel de cette profession.[20]En même temps, il doit savoir leur apprendre les règles qui régissent la vie collective. Pour autant, chaque individu peut avoir ses propres normes : elles ont souvent été instituées par la famille. Même si la norme sociétale est admise par tous, chacun peut en avoir sa propre interprétation et s’y soumettre ou la réfuter. Ainsi, il se crée sa propre norme qui prévaut dans sa vie. Lorsque cette personne fonde une famille, c’est cette norme qui y domine, qu’elle soit conforme ou non à celle de la société. Ma propre notion des normes peut donc être différente de celle de la société. Au vu de cette subjectivité, dois-je transmettre ce que je pense être normal ou ce qui l’est au regard de la société ? Puisque l’accompagnement tend vers une socialisation des usagers, dois-je les conduire à s’y conformer, au risque de voir leurs propres normes bafouées ? Est-il juste de ma part de leur transmettre mes normes personnelles ? Les normes sociales prennent-elles en compte leurs désirs et attentes ?
Laurent Cambon rappelle que l’accompagnement des personnes en situation de handicap renvoie à différentes notions desquelles font partie la norme et la déviance.[21] Lorsqu’un individu n’est pas en capacité de se conformer aux normes et attentes du monde dans lequel il vit, il y a un « désavantage ». Est désavantagé socialement celui qui s’éloigne de la norme, le résultat étant une opposition entre son statut et ses propres aspirations. La situation de Mr Tour peut illustrer cela. M. tour est un jeune homme en recherche d’une vie ordinaire mais ses troubles qu’il ne parvient pas à maitriser l’y empêchent et le font, de ce fait, énormément souffrir de sa situation. Dans quelle mesure l’intervention de l’éducateur spécialisé peut-elle aider Mr Tour à lutter contre ce désavantage social ? Une amélioration de sa situation permettrait-elle d’y parvenir ?
Laurent Cambon estime que « Le recours à la norme, voire à la loi et à la règle semblent en effet fonder en propre les discours éducatifs spécialisés.[22] » De facto, son intervention se base sur une référence quasi régulière à la norme ainsi qu’à la loi, aux institutions et organisations sociales[23]. Leur éducation s’inscrit dans le cadre de la socialisation et de l’intégration qui sont le but même du SAVS et de ses professionnels.
Mais se référer continuellement à la norme est, pour ma part, est assez ambigu car cela ne permet pas de se focaliser à 100% sur l’individualité de l’usager. Une dualité règne dans cette pratique : celle de vouloir prendre en compte intégralement les besoins du public accompagné et de ne pas dévier des normes sociales et des normes institutionnelles du SAVS (principes de fonctionnement de l’association, charte et référentiel professionnel). L’accompagnement devrait donc prendre en compte les désirs de l’accueilli, les normes sociales, le point de vue de l’équipe pluridisciplinaire et les règles institutionnelles au sein du SAVS, mais comment y parvenir en sachant que la singularité du premier doit être priorisée ? Lequel de ses paramètres doit-on faire passer en premier ? Si je privilégie les normes institutionnelles, parviendrai-je à me focaliser sur les attentes de la personne accompagnée, en sachant qu’il y a souvent contradiction entre ces dernières ?
Dans notre société la réussite professionnelle est une valeur forte, signe d’une réussite. A travers l’exemple de Mlle Noix, nous constatons ce que peuvent induire les normes, les valeurs sociales qui peuvent éloigner l’accompagnement des réelles capacités de la personne accompagnée. Mlle Noix est une jeune femme de vingt ans vivant seule à domicile qui avait pour projet de s’insérer dans le milieu professionnel. Elle semblait tenir à son projet, cherchait par ses propres moyens un emploi et a fini par décrocher plusieurs contrats. Dans la gestion de son quotidien, elle ne laissait transparaître aucune difficulté et ne formulait aucune demande. Ces apparences tendant vers la norme ne nous ont pas poussés à aller creuser davantage dans l’organisation de son quotidien. Or, Mlle Noix s’endettait et a été expulsée de son appartement.
Cette situation nous enseigne qu’une évaluation fine est nécessaire afin de prendre en compte les compétences et limites de la personne en vue de co-construire un projet en adéquation avec sa potentialité. Cela témoigne également de la nécessité de prendre en compte l’environnement global de la situation pour évaluer et analyse les besoins.
Comme susmentionné, les normes peuvent renvoyer à la loi. La loi régit la vie en société, dans un Etat, dicte et enseigne ce qui est juste et convenable à faire. C’est par elle que le respect s’établit. Il faut savoir respecter les autres, surtout ceux qui souffrent de handicap et qui en ont grandement besoin pour sortir de leur situation de souffrance. Dans ce contexte, il existe une législation en faveur des personnes handicapées afin de rappeler qu’elles ont les mêmes droits que ceux qui ne souffrent d’aucun handicap.
3.4 Législation en faveur des personnes handicapées
Les personnes atteintes de handicap psychique ou mental ont les mêmes droits que celles qui n’en souffrent pas. De ce fait, une législation en faveur de leur situation est en vigueur, tirant son origine de la loi du 30 juin 1975. Elle a contribué à la prise en considération de l’individualité des usagers. C’est grâce à elle que nous venons aujourd’hui à nous demander quelle place la personne a au sein du service, comment mieux l’accompagner en tenant compte de ses envies, et à quel point ses désirs sont plus importants que nos propres représentations.
Vers les années 1970, la personne en situation de handicap s’est vue mieux considérée et sa participation dans la vie collective, citoyenne et sociale a connu une nette évolution, notamment par l’adoption de la loi du 30 juin 1975 sur le handicap qui a initié le contexte de l’accompagnement des personnes handicapées. Différentes lois ont été votées par la suite, celle du 2 janvier 2002 relative à la rénovation et à la modernisation de l’action sociale prônant spécifiquement le placement de la personne handicapée au cœur du dispositif. Cette loi favorise la prise en compte de la singularité de la personne handicapée dans le système d’accompagnement et sa position en tant que premier acteur de sa propre vie, un point de vue défendu par Regis Dévoldère et son équipe[24]. En tant que premier acteur de sa vie, son autonomie doit être favorisée, et le rôle de l’éducateur spécialisé est d’y contribuer en prenant en compte son consentement et en l’éclairant.
Pour résumer, la loi de 2002 a actualisé l’action sociale et a institué les projets individuels pour les usagers des établissements médico-sociaux en considérant les besoins et attentes de ces derniers. Cette loi tourne autour de cinq orientations dont l’affirmation et la promotion des droits des usagers, la diversification des missions et offres en passant par l’adéquation des structures d’accueil des usagers à leurs besoins, l’allocation de ressources et l’évaluation, l’instauration d’une coordination entre les différents intervenants et la rénovation du statut des établissements publics[25].
En outre, la loi de 2002 a instauré 7 outils en termes de première orientation en établissement dont le livret d’accueil, la charte des droits et libertés, le contrat de séjour, le conciliateur/médiateur, le règlement de fonctionnement de l’établissement, le projet d’établissement/de service et le conseil de la vie sociale. Cette loi a également à son actif la fondation de nouveau type d’établissements/services et de projets expérimentaux ainsi que l’obligation pour les établissements de s’auto-évaluer tous les 5 ans et d’être évalués tous les 7 ans par un organisme externe disposant des habilitations y afférentes[26]. Ces outils œuvrent vers une meilleure participation des usagers dans leur accompagnement. Ils se retrouvent ainsi au centre de nos interventions et sont, par conséquent, plus écoutés et entendus quant à leurs aspirations individuelles. Les évaluations du service contribuent à rendre nos actions plus qualitatives. En effet, elles permettent de déceler les failles et limites de nos interventions et de proposer des axes d’amélioration dans le but d’améliorer la situation de la personne accueillie.
La loi du 11 février 2005 sur le handicap constitue une des principales lois sur les personnes en situation de handicap depuis celle de 1975. Des changements en termes d’accueil des personnes, de droit à compensation, de ressources, de scolarité, d’emploi, d’accessibilité ainsi que de citoyenneté et de contribution à la vie sociale sont introduits par cette loi. Par elle, les prestations de l’éducateur spécialisé tendent vers l’insertion sociale, scolaire, professionnelle, familiale des usagers. Tient-on compte de cette loi et de celle de 2002 dans notre pratique ? Faisons-nous réellement et pleinement participer les bénéficiaires dans leur accompagnement ? Ces lois sont-elles forcément bénéfiques pour ces derniers et quel impact ont-elles sur notre fonction ? Quels sont les freins à leur mise en application ? Peuvent-elles nous conduire à considérer chaque usager suivant ses propres aspirations ?
La loi de 2005 instaure également la création de la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH) dans tous les départements français en Métropole et en Outre-mer gérée par le Conseil Régional. Le rôle de cette dernière est d’accueillir, d’informer, d’accompagner et de conseiller les personnes en situation de handicap et leurs proches. Elle se charge également de sensibiliser tous les citoyens au handicap. En somme, elle favorise la contribution de la personne à la citoyenneté en s’assurant qu’elle s’inscrive dans la cité et en faisant en sorte qu’elle puisse se socialiser entièrement sans s’arrêter au simple fait de voter. Dans ce sens, les établissements médico-sociaux doivent permettre aux personnes bénéficiant d’un accompagnement d’être le plus autonome possible. Nous nous efforçons de leur faire retrouver un certain degré d’autonomie et de les accompagner durant une période de leur vie.
Les projets et les missions des différents acteurs insistent sur la prise en compte des besoins et attentes des usagers. En tant qu’éducateur, j’estime qu’il relève de mes fonctions d’en tenir particulièrement compte dans mes postures d’accompagnement. Il s’agit de questionner sans cesse mes représentations afin de ne pas trop induire dans un sens ou dans un autre l’accompagnement car comme l’exprime Philippe Gaberan : « […] s’il est bien du devoir de l’éducateur de rêver le devenir de l’Autre pour que celui-ci s’en saisisse comme d’un appel à la vie, il demeure un moment où l’éducateur doit savoir se retirer et laisser à l’Autre la maitrise de ses choix et de son parcours ».[27]
Dans quel cadre se situe mon intervention en tant qu’éducateur ? Comment puis-je orienter mon action vers les attentes des bénéficiaires tout en respectant les normes institutionnelles et sociales ainsi que mes propres convictions ? Comment puis-je favoriser cette autonomie ainsi que la participation des usagers, et qui plus est sur le long terme ? Que représente l’autonomie pour nous et pour l’usager ?
- … Son accompagnement
Cette sous-partie nous permettra de mettre en relief l’accompagnement de l’usager en développant les différentes notions relatives à sa situation et à notre intervention : l’autonomie et l’accompagnement.
4.1 La notion d’autonomie
L’autonomie est une des notions les plus représentatives de notre intervention en SAVS. Elle représente la normalité mais aussi le principal objectif de notre action éducative. Que signifie-t-elle pour nous et pour les bénéficiaires ?
L’autonomie est un concept ancien de plus en plus courant de nos jours. Etymologiquement, le terme autonomie dérive de deux mots grecs : auto signifiant « soi-même » et nomos signifiant « loi » ou « règle ». On peut donc considérer l’autonomie comme une règle, une loi que l’on édicte soi-même, pour soi-même. Différents domaines utilisent ce terme. En philosophie, l’autonomie décrit le droit pour une personne de vivre selon ses propres règles, comme elle le veut. En médecine ou en sciences naturelles, un organe est appelé autonome lorsque son fonctionnement dépend de lui-seul, sans participation des autres organes. En droit et en science politique, l’autonomie représente le droit pour un individu d’agir selon sa propre volonté et en totale indépendance, affirme Ronan Le Coadic.[28]
En somme, l’autonomie renvoie à la volonté propre et individuelle. Il s’agit d’une initiative personnelle, de la volonté suivie de la faculté d’agir selon son bon vouloir. Cette faculté est importante dans la mesure où la volonté elle-même ne suffit pas pour être autonome, il faut également en avoir les moyens, en posséder les facultés. Mon stage m’a permis de constater que les bénéficiaires du SAVS en manquent. Pour M. Gadu, cette carence est due à sa condition physique, c’est-à-dire à son surpoids qui l’empêche d’agir, bien qu’il soit motivé et qu’il fasse preuve de bonne volonté.
Lorsqu’on évoque l’autonomie, on ne peut s’empêcher de se référer à l’éducation morale. Selon Emile Durkheim, l’éducation morale constitue la plus grande contrainte de la société sur ses membres mais n’en constitue pas pour autant une forme de « dressage ». En d’autres termes, la société exerce une emprise palpable sur ses membres en lui infligeant l’éducation morale sans pour autant l’y contraindre absolument, chaque individu devant faire appel à sa propre autonomie et à sa propre volonté pour s’y soumettre entièrement. Cette définition d’Emile Durkheim ne suggère-t-elle pas une similitude, voire une appartenance, entre éducation morale et normes sociales ? L’éducateur spécialisé doit-il également tenir compte de cette dernière ?
Les professionnels du SAVS œuvrent pour un rétablissement, ne serait-ce que partiel, de l’autonomie des bénéficiaires. En même temps, des aides extérieures telles que l’intervention d’une auxiliaire de vie, une aide à domicile peuvent être attribuées Ces professionnelles peuvent par exemple permettre aux usagers de faire leurs courses car ils ne peuvent pas les faire seul à défaut de mobilité et d’un logement en zone rurale engendrant alors le non accès aux transports en commun. Par contre, ils restent autonomes dans la préparation et la prise de leur repas, suivant leur propre volonté.
Dans ce contexte, une entière collaboration entre éducateur et usager est nécessaire. L’accompagnement ne peut pas fonctionner dans un seul sens, le professionnel ne doit pas être le seul à agir, le bénéficiaire doit également participer. Certes, en tant qu’éducateur, je dois être capable d’identifier les besoins des usagers sans qu’ils ne me l’exposent, mais l’établissement de leur projet doit se faire en co-construction, une preuve d’un accord entre nous et de notre engagement mutuel. Autant que possible, les éducateurs spécialisés souhaitent une coopération pleine et sincère avec les usagers. L’idéal serait qu’ils puissent leur exposer avec le plus de cohérence possible leurs besoins et attentes. Pour ce faire, les éducateurs doivent proposer avant tout un cadre leur permettant l’expression de leurs maux pour ensuite, par le biais d’une relation éducative de confiance, entrer dans la co-construction d’un projet destiné à un mieux-être.
Ce n’est pas toujours évident ni possible, comme l’attestent les situations de quelques usagers du SAVS où j’ai effectué mon stage. Certains ont du mal à exprimer les choses, à l’instar des vignettes cliniques qui ont été présentées plus tôt. Cela a rendu mon intervention plus complexe, je me suis interrogé sans cesse sur ma position et sur mon intervention, notamment sur la manière de la rendre le plus objective possible et axée sur les besoins de l’usager. Face à ce type de situation, notre fonction est donc de les pousser afin qu’ils les verbalisent et soient en capacité d’élaborer une pensée pour ensuite aller de l’avant en utilisant l’appui du service vers l’avenir, à l’aide du projet personnalisé.
L’autonomie s’inscrit dans l’acte éducatif comme le confirme Joseph Rouzel : « La finalité de l’acte éducatif consiste à conduire le sujet accompagné à se prendre en charge, à faire des choix, à s’assumer »[29]. Le fait de se prendre individuellement en charge, de s’assumer ou de faire des choix soi-même, sans intervention extérieure, signifie que l’on est autonome.
La relation éducative instaurée entre l’usager et l’éducateur a donc pour principale visée l’autonomie du premier. L’accompagnement, lorsqu’il est centré sur les besoins propres de ce dernier, peut y contribuer. Qu’est-ce qu’accompagner ? Comment le bénéficiaire perçoit-il notre accompagnement, fait-il sens auprès de lui ?
4.2 .La notion d’accompagnement
Dans notre fonction d’éducateur spécialisé, nous accompagnons régulièrement des personnes atteintes de handicap psychique en vue d’une insertion ou d’une réinsertion sociale. Que signifie l’accompagnement pour nous et pour ceux que nous aidons ?
Pour Maela Paul, l’accompagnement possède deux dimensions sociologiques, la première étant humaine et prenant en compte la relation avec autrui et la seconde étant conceptuelle, elle concerne les problématiques et logiques sociales actuelles.[30] Ces deux dimensions prévalent dans le métier d’éducateur spécialisé. En effet, mon stage m’a permis de constater qu’accompagner les usagers du SAVS revient à tisser des liens avec eux en me focalisant sur leur vécu et leur expérience en vue de les insérer ou de les réintégrer dans la vie sociale, familiale, professionnelle…
A travers les années, l’accompagnement dans le secteur du social a évolué vers une prise en compte des attentes de l’usager avant tout. Pourquoi en est-on venu à des changements de pratiques ? Qu’est-ce que cela induit dans le travail de l’éducateur et pour la personne accompagnée ?
Vers les années 70-80, la notion concernait l’aide aux tâches de la vie de tous les jours (repas, toilette…) pour les usagers d’institutions sociales. Le travail de l’éducateur spécialisé, quant à lui, a mué pour passer de la posture d’observateur à visée scientifique dans les années 50 à celle de spécialiste de la relation dans un but purement thérapeutique dans les années 60 pour enfin devenir un accompagnateur social actuellement.
Le travail social, depuis ses origines, tend à soutenir des personnes ou des groupes de personnes. Toutefois, une évolution des appellations des interventions sociales a été observée, comme le souligne Maela Paul :
- Assistance (XIXe s)
- Aide et protection (entre 1904 et 1930)
- Suivi (entre 1930 et 1945)
- Prise en charge (entre 1946 et 1970)
- Approche globale et notion d’intervention (entre 1970 et 1985)
- Accompagnement (à partir de 1985)[31]
Ces changements de terme ont contribué à un changement d’intervention. Au début, la prise en charge consistait, pour l’institution, à gérer extérieurement les besoins de l’individu considéré comme un objet thérapeutique. Le suivi servait à le maintenir sous l’autorité d’un lien qui permettait de le contrôler tandis que l’accompagnement conduisait le professionnel à s’impliquer dans la relation nouée avec l’usager. De facto, il avait pour mission d’amener la personne à passer du statut de pris en charge à celui de sujet-acteur de sa propre vie. Cette dernière posture de l’éducateur spécialisé reste en vigueur aujourd’hui. Elle consiste à guider la personne accompagnée, en la considérant comme ayant les potentialités pour gagner en autonomie, via un outil qu’est le projet.[32]
Développer d’avantage et plus clairement en quoi consistait l’assistance, l’aide et la protection, le suivi, la prise en charge, l’approche globale et l’accompagnement afin de distinguer plus clairement les termes et de fait l’évolution des pratiques
Percevoir les différentes nuances que peut revêtir les relations dans les verbes : « faire-faire », « faire avec », « faire à la place de », « faire pour ».
- J’ai cherché des infos, ouvrages et documents sur l’évolution du terme accompagner en vue de développer davantage l’assistance, l’aide et la protection, etc mais n’ai pas trouvé donc je n’ai pas pu modifier cette partie
Selon Maurice CAPUL et Michel LEMAY,« Le terme d’accompagnement est souvent utilisé pour caractériser le fait que l’éducateur ; ni un pédagogue, ni un substitut parental, ni un agent social ; tente de se situer comme une sorte de médiateur entre le sujet et son environnement[33] » Cette définition place l’éducateur comme médiateur entre l’usager et son environnement. En sa qualité d’intermédiaire, il considère l’usager comme quelqu’un capable de changer. D’ailleurs, l’accompagnement induit le changement, il agit dans l’optique d’une transformation, d’une amélioration ou d’une progression de la personne soutenue. Il s’agit d’un principe que j’ai renforcé durant mon stage car après tout, pourquoi accompagner une personne chez laquelle on ne décèle aucune envie ni aucun signe de changement ? L’accompagnement, à mon sens, relève de l’envie de la personne d’améliorer ses conditions de vie. Pour ce faire, nous lui montrons les normes relatives à la vie en société, en groupe mais aussi au sein du SAVS.
Quand nous accompagnons, nous gardons en tête le fait que nous servons à la fois de guide, de conseiller, de surveillant, de protecteur, d’enseignant, d’éducateur, d’instructeur, de formateur et d’initiateur pour l’individu bénéficiaire de notre action. Un triptyque dicte notre façon de faire : celui de répondre et d’obéir à notre institution, d’écouter la personne accompagnée dans son individualité et de faire preuve d’efficacité dans notre posture de professionnel. Il s’agit de trouver un équilibre entre devoir de protection et volonté d’autonomisation des personnes. Comment y parvenir ? Est-ce en respectant les normes sociales ? Ou en suivant les normes institutionnelles ? Ou en prenant en considération les attentes de la personne avant toute chose ?
Notre intervention fonctionne à deux sens et implique la participation de l’éducateur et de la personne accompagnée en même temps. Nous aidons les personnes en difficulté à résoudre des problèmes causés par la marginalisation qu’elles subissent du fait de leur problématique. Nous instaurons avec elles une relation basée sur l’écoute, le soutien, les conseils et l’entraide dans un contexte de solidarité, de réciprocité et d’engagement mutuels. Nous sommes présents pour ceux que nous accompagnons, nous les soutenons et restons près d’eux. Nous les écoutons de sorte de les appuyer dans la voie qu’ils ont tracée pour eux-mêmes. Bien que nous ne sachions pas à l’avance quel projet convient à tel ou tel usager, nous collaborons avec lui en vue de le découvrir.
Dans le contexte de l’autonomie, nous considérons la personne soutenue comme quelqu’un qui a des idées sur sa vie mais qui a besoin d’être guidée pour les réaliser et les concrétiser. De facto, le projet qui la concerne n’émane pas principalement de nous en tant qu’éducateur, mais surtout de sa propre vision combinée à notre intervention. Evidemment, comme nous l’avons évoqué plus tôt, la dépendance momentanée qui peut parfois émaner de l’accompagnement n’est que provisoire. Aussi devons-nous considérer la dimension temporelle de l’accompagnement. En effet, ce dernier est restreint dans le temps dans la mesure où nous ne sommes présents que sur un temps limité de la vie de l’usager.
Pour ma part, je trouve que certains usagers s’adaptent à l’accompagnement quand d’autres semblent déroutés ou même réticents sur certains aspects à première vue. Mes questionnements personnels ne cessent d’évoluer et de pencher vers la recherche de singularité des usagers. Comment puis-je, au regard des normes institutionnelles et de ma posture d’éducateur, orienter essentiellement mon intervention vers les besoins des usagers ? Quelles fonctions dois-je assumer en tant qu’éducateur spécialisé ? Questionnements peu pertinents au vu du travail de recherche effectué en amont. Proposer une ouverture à la réflexion plus poussée.
Accompagner l’usager, telle est donc la première fonction de l’éducateur spécialisé. Dans ce contexte, il sert à la fois de guide et d’appui pour la personne accompagnée. Il ne se contente pas de faire un chemin avec lui sur une période limitée de sa vie, il le dirige et l’aide aussi vers une évolution certaine, une possibilité de socialisation. Au-delà de tout cela, quelles sont les fonctions de l’éducateur spécialisé ?
4.3 Les fonctions de l’éducateur spécialisé
Etre éducateur spécialisé, c’est s’armer de compétences humaines, professionnelles, relationnelles et éducatives avec lesquelles nous pouvons assurer un accompagnement efficient et adapté à chaque personne rencontrée. C’est aussi assumer des fonctions d’accompagnateur, d’éducateur et de médiateur à la fois auprès de chaque usager.
Les fonctions de l’éducateur spécialisé tournent autour de trois constantes principales dont les besoins et attentes des usagers qu’il doit privilégier, les missions du service ainsi que ses propres propositions et convictions. Dans ce sens, il doit toujours s’interroger sur ce qu’il fait et pourquoi il le fait. Il doit coordonner son intervention en répondant aux besoins des personnes qu’il accompagne et à ses missions. Il doit savoir agir en mesurant ces trois constantes. Le fait de s’interroger est presque inné chez l’éducateur spécialisé, comme le confirme Joseph Rouzel : « Un éducateur ne peut manquer de se demander ce qu’il fait dans une situation donnée et de questionner son désir de s’y investir. Sans jamais perdre de vue les deux termes qui bornent sa position : la mission de l’institution et la demande de l’usager[34] »
La relation éducative ne peut se faire sans l’éducateur spécialisé. Il est le garant de l’accompagnement. En tant qu’accompagnateur, il joue le rôle d’agent de liaison entre l’usager et son environnement. Pour ce faire, il affiche une présence physique auprès de ce dernier. Il le soutient et en est proche tout en restant distant pour ne pas projeter ses représentations sur l’autre, pour éviter de penser savoir ce qui est bien pour lui. Il est présent autant dans la co-construction que dans la mise en place du projet personnalisé de l’usager.
En même temps, ce professionnel assure une fonction éducative auprès de la personne qu’il accompagne. Etant en relation avec cette dernière, il lui propose un accompagnement adapté à sa situation après l’avoir observée et écoutée. Il doit la comprendre pour savoir ce qu’elle peut ou ne peut pas faire et par la suite agir en fonction de cela. La situation de Mr Laga en est une illustration. Le fait de l’avoir écouté et observé m’a permis, avec l’aide de l’équipe pluridisciplinaire, de lui proposer un projet suivant les besoins que nous avons repérés.
Enfin, l’éducateur a une fonction de médiateur en faisant le lien entre l’usager et l’environnement qui l’entoure. En tant que tel, il œuvre en vue de l’aider à se placer dans la société. Pour ce faire, il peut utiliser divers outils tels que l’entretien, les activités collectives et tout ce qui permet à la personne d’assimiler la vie en société.
Au vu de tout ce qui a été dit, des caractéristiques des personnes accompagnées par le SAVS, de leur handicap respectif, des fonctions de l’éducateur spécialisé, quelle est la problématique centrale de mon travail ?
Formulation de la problématique
La théorie et l’expérience sur terrain que j’ai utilisées dans ce travail et les questionnements qui en ont découlé ont fait émerger la problématique suivante :
Etant donné les spécificités du trouble psychique présent chez les usagers du SAVS, comment l’éducateur peut-il accompagner ce public au vu de ses difficultés dans la mise en œuvre de son projet ? Ces mêmes difficultés qui ont été mentionnées plus haut et décrites par le biais de théories et de vignettes cliniques. Comment l’éducateur peut-il concilier les attentes de l’institution et donc celles de la société avec celles de l’usager afin que celui-ci trouve sa place dans la société ? Sachant que l’éducateur n’a pas une posture neutre, comment proposer un accompagnement de qualité ?
Comment l’éducateur spécialisé doit-il penser son intervention en vue de permettre à l’usager de trouver sa place dans la société ? Comment doit-il orienter sa prestation en vue d’en faire le premier acteur de sa propre vie ? Dans sa position d’intermédiaire entre usager et institution, lui est-il possible de concilier les attentes de la personne avec celles de l’institution dans son projet individualisé ? Comment peut-il l’aider à trouver sa place dans l’institution d’abord avant de s’étendre à la société ?
Présentation des hypothèses :
Le projet de service permet de cadrer l’intervention de tous les membres de l’équipe pluridisciplinaire. Cela permet de savoir pour qui, pour quoi on travaille. La nécessité de réévaluation tous les cinq ans est en grande partie due a l’évolution du public, mais aussi des lois, des pratiques professionnelles et des missions qui s’y rattachent.
Afin d’articuler ses missions avec les attentes de la personne, je pense que l’éducateur doit endosser la fonction de médiateur entre la société et la personne accompagnée. Cela commence en premier lieu par rencontrer la personne accompagnée.
Recueillir la parole de l’Autre permet d’entrer en relation avec lui, d’apprendre à le connaîitre et donc à mieux le comprendre. Carl Rogers définit les relations d’aide comme suit : « relations dans lesquelles au moins l’un des deux protagonistes cherche à favoriser chez l’autre la croissance, le développement, la maturité, un meilleur fonctionnement et une plus grande capacité d’affronter la vie ».[35] Pour pouvoir venir en aide à l’Autre, il me faut le comprendre, prendre en considération sa demande et ses capacités. Il me faut l’écouter. Il me semble que l’élément principal pour venir en aide à quelqu’un est de le rencontrer. La construction des objectifs de travail ne peut se faire qu’avec la personne accompagnée. Car c’est bien grâce à ce qu’elle aura pu nous confier que nous aurons des axes de travails éducatifs en lien avec son projet de vie.
L’éducateur spécialisé exerçant en SAVS a la particularité de travailler à la fois au domicile des personnes et en dehors de leur cadre de vie par le biais de proposition d’activités. Les rencontres avec le public, qu’elles aient lieu à domicile ou en dehors, permettent des temps d’écoute et d’échange avec la personne accompagnée. Au fur et à mesure, un lien se crée et laisse place à une relation de confiance qui permettra à la personne d’évoquer plus naturellement ses ressentis et d’entrer dans une relation d’aide.
Mener une action éducative ne peut à mon sens s’effectuer seul. Les échanges avec l’équipe permettent de réfléchir au sens de nos actions et de mener une action éducative cohérente. L’essence même de la démarche éducative est bien de savoir ce que l’on fait, pourquoi on le fait, et comment on le fait. Les apports du travail en équipe me semblent essentiels pour mener à bien nos missions. Aussi, l’équipe éducative ne travaille pas seule mais régulièrement en partenariat. Cela permet de passer le relais à des professionnels sur certains points lorsque nous atteignons nos limites. Ce travail ensemble permet d’améliorer l’accompagnement.
La relation éducative instaurée avec les personnes accompagnées permet de fixer ensemble et également avec l’équipe pluridisciplinaire des objectifs de travail et donc de pouvoir rédiger un projet. Le projet est le lien entre la personne accompagnée et la société. L’éducateur utilise le projet comme outil de socialisation. Ainsi, la rencontre entre un éducateur et une personne aidée doit pouvoir permettre à l’usager d’être lui-même et de se sentir bien tant dans son environnement que dans la société en général. Afin de démontrer cette hypothèse je présenterai les aspects théoriques liés à ces notions en les confrontant à la réalité de l’accompagnement éducatif effectué tout au long de mon stage »
L’éducateur, pour entrer dans une relation d’aide signifiante, doit à la fois répondre aux missions de l’institution qui l’emploie et donc à la volonté de normalisation et de socialisation de la société. Il doit également prendre en compte les spécificités de la personne qu’il accompagne par le biais de la rencontre de cet autre qui l’amènera à tisser une relation éducative et de confiance. Pour concilier ces deux aspects, je fais l’hypothèse que l’éducateur utilise le projet comme outil de médiation entre désir de la personne et attente de la société. Cependant, pour que l’accompagnement ait du sens, l’éducateur doit favoriser la participation de la personne dans la co-construction de son projet. Il s’agit de donner de la valeur à la personne, de ne pas entretenir la place à laquelle l’usager nous met comme personne qui possède tout le savoir.
Le projet se co-construirait alors par la perception de la situation des usagers eux-mêmes ainsi que par la réflexion subjective que l’éducateur fait des éléments reçus. Un travail sur les représentations s’engage alors par le biais d’échanges avec l’équipe pluridisciplinaire permettant de tendre vers une certaine objectivité des axes de travail à proposer. Il s’agirait donc de partir avant tout des besoins clairement exprimés ou sous-jacents des bénéficiaires. Je fais l’hypothèse que cette posture professionnelle favorise l’enclenchement d’une dynamique de changement car la personne accompagnée en sera la première actrice. L’éducateur n’est qu’un médiateur permettant de guider, d’orienter, d’ouvrir le choix des possibles dans une volonté de co-construction.
Mots-clés de l’hypothèse : PROJET D’ETABLISSEMENT / EDUCATEUR MEDIATEUR /ECOUTE DE LA PERSONNE AIDEE, DE SES BESOINS SES ATTENTES / CONSTRUCTION DE SON PROJET DE VIE AVEC L’EQUIPE MAIS EN VEILLANT A CE QUE LA PERSONNE ACCOMPAGNEE RESTE ACTEUR DE SON PROJET
Partie 2 : La personne accompagnée, un individu à part entière
Dans cette seconde partie de notre travail, nous allons nous focaliser sur la personne accompagnée en tant qu’individu à part entière et singulier.
- Quelques concepts clé
- La notion de projet
Depuis la loi de 2002-2, le terme « projet » est devenu courant dans la vie en institution sociale ou médicosociale. L’Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (Anesm) a réalisé un historique de ce mot dans les sciences humaines et la sociologie des organisations. Le terme projet vient du latin, plus précisément de l’association de pro signifiant « avant » et de jacere signifiant « jeter[36] ». Littéralement, il renvoie au fait de « jeter en avant ». Son usage initial s’est fait dans le domaine du bâtiment pour décrire des éléments de l’architecture que l’on jetait en avant[37]. Le sens du verbe jacere a ensuite évolué pour passer de jeter à élever, fonder puis construire.
Dans le sens brut du terme, le fait de projeter signifie donc bâtir, le mot dérivant suggérant l’idée de construction, mais dans une connotation future, comme le souligne Jean-Pierre Boutinet qui définit le projet comme une « anticipation opératoire partiellement déterminée[38]» L’anticipation suggère une appréhension de l’avenir, le projet faisant référence à un dessein futur dont les lignes sont dessinées au préalable. Il traduit une idée, une intention…
Les établissements sociaux et médico-sociaux ont adopté cette notion dans leur quotidien dans l’accompagnement des usagers. Il permet à ces derniers d’appréhender l’avenir, ils s’y accrochent donc dans leur vie quotidienne. Il représente l’espoir pour les bénéficiaires, une attention particulière envers leur situation et la manière de leur prouver que l’institution s’y intéresse et cherche les moyens de favoriser un mieux- être. Dans cette optique, l’élaboration du projet ne relève pas des seules compétences des éducateurs mais se base surtout sur les désirs des bénéficiaires du service qu’ils doivent faire émerger, construire via notre intervention. Les demandes qu’ils manifestent et les besoins identifiés conduisent à une relation éducative aboutie sur laquelle le projet sera fondé.
Au sein de l’association, la notion de projet se décline sous plusieurs formes dont le projet d’établissement que nous allons décrire ci-dessous. Comme mentionné plus tôt, le projet de service est un document de référence qui permet à l’éducateur de savoir sur quoi, comment et pour qui il travaille. Il revêt les caractéristiques des prestations que l’institution propose. Il représente une prémisse au projet individualisé qui garantit la prise en compte de la singularité de chaque usager, ce qui rend sa présentation nécessaire dans le cadre de ce mémoire.
- Le projet d’établissement
Le projet de service, outre les lois de 2002 et de 2005, permet également de cadrer les actions de l’éducateur spécialisé. Il s’y référencie pour réaliser son intervention. Il sert de repère autant à ses actions qu’à l’élaboration du projet individualisé qui en est une continuité, une suite au projet d’établissement plus focalisé sur les besoins personnels des bénéficiaires. Concrètement, qu’est-ce que le projet de service ?
Dans les années 1970, les établissements sociaux et médico-sociaux prônent une meilleure considération et une plus grande participation des usagers. Leur organisation et mode de fonctionnement ont donc été modifiés pour favoriser une place plus importante de l’usager dans les interventions et au sein des institutions. En même temps, le bénéficiaire a été fortement sollicité à interagir de plus en plus avec sa famille et l’environnement qui l’entoure, dans le cadre de son accompagnement, en vue de lui permettre de s’ouvrir à la société et pallier à son enfermement social. En effet, il ne faut pas oublier que la société fonctionne à double sens : plus on participe à son fonctionnement (en échangeant avec ses autres membres, en contribuant à ses causes…), plus elle nous accepte.
Le projet d’établissement dans le champ du social et du médico-social a été initialement institué par les annexes XXIV du décret du 27 octobre 1989 sur le handicap.[39] Ils favorisent la prise en compte de la personne accompagnée en tant que premier acteur de sa vie et incite les professionnels à prendre en compte sa situations, ses attentes et ses besoins. Ces principes et cette éthique valorisant l’individualité des usagers sont mis en place et prônés dans le SAVS où j’ai réalisé mon stage. Avec ces annexes apparaît le terme « projet d’établissement », plus précisément dans l’article 30 dudit décret : « Après concertation menée avec l’ensemble des personnels placés sous son autorité, le directeur propose au conseil d’administration un projet d’établissement fixant les objectifs pédagogiques, éducatifs et thérapeutiques du centre ainsi que les modalités de leur réalisation et de l’évaluation de leurs résultats ; ce projet d’établissement, adopté par le conseil d’administration, est conforme à la réglementation et porté à la connaissance de la tutelle».[40]
La loi 2002-2 confirme la place de ce projet institutionnel dans les établissements sociaux et médico-sociaux dans son article 12 : « Pour chaque établissement ou service social ou médico-social, il est élaboré un projet d’établissement ou de service, qui définit ses objectifs, notamment en matière de coordination, de coopération et d’évaluation des activités et de la qualité des prestations, ainsi que ses modalités d’organisation et de fonctionnement. Ce projet est établi pour une durée maximale de cinq ans après consultation du conseil de la vie sociale ou, le cas échéant, après mise en œuvre d’une autre forme de participation».[41]
Il coordonne l’ensemble de l’intervention dans les établissements ou services en précisant le cadre institutionnel, en indiquant les évolutions relatives à la mission ou au public accueilli, en délimitant les interventions des professionnels qui y travaillent et en conduisant les évolutions en matière de pratiques. La manière dont ils sont structurés et fonctionnent y est également définie, en misant sur une orientation vers le respect des droits des usagers qui y sont fortement incités à participer en tant que personnes à part entière et non en tant que simples bénéficiaires inscrits dans une institution qui régit leur vie. Leur inclusion sociale en est le principal objectif.
D’une durée de 5 ans, le projet de service repose sur une collaboration mutuelle entre les personnes accompagnées, leurs proches ou représentants légaux, l’institution représentée par leurs intervenants et les partenaires, bénévoles ou stagiaires. Il sert de document de référence autant aux intervenants qu’aux usagers et partenaires du SAVS. Il véhicule le fonctionnement, la raison d’être, les buts ainsi que les valeurs de ce dernier.
Les professionnels du SAVS se servent de ce dernier pour coordonner leurs interventions. Il doit également permettre, depuis l’extérieur, à comprendre comment l’établissement fonctionne et quelles prestations il propose. Sa conception ainsi que sa rédaction se font via un travail d’équipe entre différents professionnels. Il véhicule l’offre de service mise en place dans l’établissement.
Les usagers ne participent pas à son élaboration mais profitent de ses atouts. Et ce dernier dispose de nombreux avantages, ne serait-ce que par son habilité à faciliter le projet individualisé.
1.3 Le projet personnalisé
Toujours dans le but de favoriser le mieux-être de tous les individus accompagnés en SAVS, l’obligation de projet concrétisée par la loi de 2002-2 a permis la mise en place du projet personnalisé dans le service. Véritable outil de référence pour l’éducateur spécialisé, ses objectifs sont aussi nombreux que bénéfiques. Quel est l‘intérêt du projet personnalisé pour l’éducateur ? Qu’est-ce que son élaboration lui apporte et à quoi lui sert-il ?
L’individualisation de l’accompagnement est assurée par la mise en place du projet personnalisé. Comme son nom l’indique, il est établi en fonction de la spécificité de la situation de chaque bénéficiaire. Ce dernier est d’ailleurs appelé et sensibilisé à participer à son projet. Pour ce faire, divers outils sont utilisés dont le contrat de séjour.[42] Le contrat de séjour ou document individuel de prise en charge est signé par le bénéficiaire et le représentant de l’institution. Contrairement au projet individuel, il ne nécessite aucune co-construction et est établi au tout début de l’accompagnement, au moment où la personne intègre le SAVS. En quoi le projet est-il un support de légitimité pour les professionnels ? En quoi représente-t-il un atout supplémentaire pour ces derniers ? Et que représente-t-il pour les personnes accompagnées ?
Jean René Loubat, psychosociologue, docteur en sciences humaines et consultant libéral auprès des établissements sanitaires, sociaux et médico-sociaux, parle du projet personnalisé comme d’un outil permettant aux établissements sociaux et médico-sociaux de contribuer à faire des usagers des citoyens à part entière.[43] Il permet une personnalisation de leur accompagnement en fonction de leur situation ainsi qu’une définition des objectifs qui va être proposé à chacun d’entre eux. En même temps, il définit les moyens nécessaires et disponibles pour la mise en œuvre du projet de la personne. Sa création se fait en plusieurs étapes que nous détaillerons par la suite : la rencontre avec la personne, le recueil de ses désirs et attentes et leur utilisation, la démarche d’évaluation, l’écriture et enfin le fait de faire vivre le projet. IL FAUDRA QUE J’AJOUTE DES SITUATIONS DE TERRAIN POUR ILLUSTRER
La loi 2002-2 amène à une formalisation des droits fondamentaux des individus accompagnés et pose le principe d’un suivi personnalisé de qualité à travers le projet individualisé d’accompagnement. Il prend en compte la singularité de l’usager, ses besoins, ses aspirations et ses potentialités.
Il constitue un espace de négociations entre les attentes des usagers et les besoins identifiés. Il n’a pas pour finalité l’atteinte des objectifs fixés, mais plutôt la possibilité pour le bénéficiaire de mettre ses difficultés au travail. Le projet doit lui permettre une prise de conscience des possibilités de choix qui s’offrent à lui en fonction de ses propres désirs et de ce que la société lui octroie. Il faut du temps pour qu’un accompagnement aboutisse. Les personnes accompagnées par le SAVS passent par de nombreuses étapes avant de voir opérer un véritable changement : reconnaissance de leurs difficultés, acceptation de faire face à leur problématique et signe de volonté prouvant qu’elles sont prêtes à agir en conséquence. La situation M. Buisson peut illustrer ces étapes. Ce bénéficiaire affichait une incapacité à gérer son argent, était endetté et sombrait dans l’alcoolisme. Au début, il refusait la mesure de protection qui lui a été proposée. Mais avec le temps, après avoir suivi ces phases, il a fini par y consentir.
Si le projet revêt un caractère particulièrement important pour l’établissement et les professionnels, quel sens a-t-il pour les personnes accompagnées ?
D’après mes observations, l’important, pour un grand nombre d’usagers, est que nous continuions d’intervenir. Le projet personnalisé est une preuve pour eux que nous nous intéressons réellement à leur problématique et que nous œuvrons afin de favoriser un mieux être. Il est toutefois à rappeler que leur participation à ce dernier est un droit et non une obligation. Nous n’avons donc aucun droit de les y forcer, ils y participent de leur plein gré.[44] Tout ce que nous pouvons faire, c’est de les y inciter sans insister mais plutôt en les guidant et en leur montrant les effets bénéfiques que leur contribution pourrait apporter. La co-construction du projet est le résultat de nos initiatives en faveur de leur participation, mais également de la participation spontanée des usagers dans une co-construction.
Une telle spontanéité n’est pas commune à tous les usagers, l’éducateur doit donc agir en vue de favoriser leur envie de se confier. Toutefois, mes observations m’ont montré que certains d’entre eux savent pourquoi ils veulent être accompagnés et ce qu’ils veulent faire de leur vie. Ils ont juste besoin d’être aidés pour les réaliser. Pour ce faire, nous utilisons différents moyens dont les entretiens et les évaluations. Ils permettent un recueil des impressions, des ressentis, des attentes et des désirs de la personne et de son entourage.
Pour ma part, j’ai remarqué des difficultés à faire émerger la perception et les attentes des bénéficiaires qui se calquent souvent sur nos évaluations et celles des partenaires. La question qui se pose est donc de savoir comment faire pour aboutir à leur contribution. Quels moyens pouvons-nous mettre en œuvre, en tant qu’éducateurs spécialisés, afin que les bénéficiaires puissent trouver un sens à participer ?
En sus, j’ai également observé un manque de concordance des temporalités, que ce soit du côté de la loi, de l’usager, de l’éducateur ou de l’établissement. En effet, la création d’un lien permet une base solide pour un accompagnement de qualité mais la relation éducative ne va pas de soi et s’établit petit à petit dans le temps. Pour réaliser un projet, l’éducateur spécialisé dispose de six mois pour évaluer la situation de la personne et proposer un projet. En tenant compte des spécificités et des différences entre les problématiques de chaque usager, mais aussi de ses attentes et désirs, ce délai de six mois est-il suffisant pour mener une évaluation exhaustive et adéquate ? La loi de 2002 exige un renouvellement annuel dudit projet, ce qui ne laisse pas toujours le temps de mener l’action comme nous l’avions prévu et rend complexe l’évaluation. Cela nécessite de reconduire le même projet tout en ayant fait au préalable une évaluation de la situation pour réadapter notre action malgré tout.
Le projet personnalisé est une réponse aux attentes et besoins des usagers. Il prend en considération leurs limites ainsi que leurs potentiels. L’éducateur spécialisé s’en sert pour orienter son action. Il l’utilise afin de permettre à la personne qu’il accompagne de vaincre une partie de ses difficultés et de prendre progressivement place dans la société. Son élaboration se fait en prenant en compte tout ce qui rend l’usager singulier et nécessite une connaissance ou une reconnaissance de ce dernier. C’est avec ce projet que nous parvenons réellement à faire de la personne le propre acteur de sa vie. Nous le concevons afin de rendre son accompagnement plus qualitatif et de parvenir à l’appuyer comme il le veut durant ce dernier. Comment utiliser l’outil qu’est le projet dans une perspective de développement individuel ?
Le projet doit rester au service de l’usager et ne pas être un objectif pour l’éducateur. Il ne constitue pas la solution à la problématique de la personne. La co-construction du projet avec l’usager peut être difficile dans la mesure où nous nous devons, en tant que professionnels, de respecter le droit des personnes à participer à leur projet. Faire émerger leur perception et leur attente peut être complexe à cause des difficultés qu’elles éprouvent à s’exprimer car la notion de projet de vie leur est difficilement appréhendable. Le recueil des données devient compliqué. Il faudrait donc définir ce qu’est un projet de vie auprès de l’usager afin qu’il se saisisse du sens. Car le service se trouve souvent dans la situation de supposition.
Le projet personnalisé est un outil pour l’éducateur dans sa relation à l’autre. Cet outil est cohérent si chaque personne investie y voit un sens. EXEMPLE DE M. BEDIER lors d’un entretien je me suiappercueQuil avait perdu le sens de l’accompagnement, expliquer l’impact …
- Réalisation de l’hypothèse
L’éducateur spécialisé a pour objectif d’aider l’usager à trouver sa place dans la société, mais par quel moyen ? Comment peut-il faire de ce dernier le premier acteur de sa propre vie ? Comment peut-il prendre en compte et les attentes de l’institution et celles de la personne accompagnée en même temps ? Autant de questions formant ma problématique et auxquelles j’émets l’hypothèse que l’éducateur doit, pour concilier ces attentes respectives, user du projet individualisé en tant qu’outil de médiation entre désirs de l’usager et attentes de la société. Dans ce sens, il doit favoriser la participation de l’usager dans la co-construction de son projet individualisé. Pour y parvenir, nombreux sont les outils à sa disposition et les compétences qu’il doit mobiliser : la reconnaissance de l’altérité, le recueil des données et l’incitation à la participation à travers les entretiens, l’écoute, la parole…
Dans cette sous-partie, nous nous intéresserons de plus près à la réalisation de mon hypothèse. Nous allons la débuter en expliquant l’altérité et son rapport avec notre travail ainsi que son importance dans l’accompagnement des usagers.
- Définition de l’Altérité, de ce qu’est l’autre
Que ce soit dans le domaine socio-médical ou autre, l’altérité fait partie des principes à adopter lorsqu’on travaille avec et pour des gens, surtout lorsque ceux-ci sont confrontés à des problématiques de handicap psychique ou mental. L’altérité représente l’aptitude à reconnaître et à accepter l’autre. Cette reconnaissance et cette acception conduisent à la prise en compte de la singularité de l’autre. Dans la situation des usagers, elles permettent à l’éducateur spécialisé de considérer leur différence et de parvenir à les voir comme ils sont réellement, sans l’influence de ses propres représentations.
Du latin alter, signifiant « autre », l’altérité est souvent définie comme étant « le caractère de ce qui est autre », précisent Lionel Dufaye et Lucie Gournay.[45] Le terme « être » est la clé lorsqu’on aborde l’altérité. Elle consiste à penser à l’autre, à le reconnaître, à le considérer, à le comprendre et surtout à l’accepter dans toute sa différence. Elle suppose l’abandon de soi pour aller vers l’autre. Pour les auteurs mentionnés, en usant de la théorie de l’énonciation[46], le principe d’altérité soulève la question de l’identité et suppose le passage du « je » vers l’« autre ». Autrement dit, c’est l’art de s’effacer devant l’autre et d’aller vers lui, de penser à lui en le lui montrant via différentes démonstrations telles que l’empathie dont je parlerais plus tard.
Altérité et identité sont indissociables. Parler d’identité revient à parler d’individualisation, c’est-à-dire de différence d’un individu par rapport à un autre. L’identité est ce qui fait l’individu, c’est ce qui le rend unique et le démarque des autres. Dans cette même optique, « l’altérité sert à identifier le moi de l’autre, à séparer ce qui nous est familier de ce qui nous est étranger, à souligner la non-appartenance de l’autre à notre propre groupe. Cette séparation peut nous conduire à consolider ou à redéfinir notre propre identité.[47] » On voit à travers ces essais de définition que l’on ne peut pas concevoir le « moi » sans l’autre. Les deux ne sont pas opposés mais ne peuvent juste pas exister l’un sans l’autre.[48]
Si l’altérité signifie donc la prise en compte et l’acceptation de l’autre dans son entière singularité et différence, elle implique également la notion d’égalité dans la mesure où l’on veut que l’autre soit traité comme on souhaiterait être traité. Cela signifie que le moi se met à la place de l’autre et souhaite son bien, son mieux-être. C’est l’objectif que nous nous fixons dans la prise en compte de l’individualisation des usagers. En tant qu’éducateurs, nous devons savoir nous mettre à leur place et les comprendre, sans les stéréotyper.
Ainsi, nous devons savoir accepter leurs difficultés et les différences entre leurs situations et problématiques, de sorte à pouvoir orienter chaque intervention en fonction de ces dernières. L’altérité est un principe qui me tient particulièrement à cœur car il permet d’aboutir à cette priorisation des besoins des bénéficiaires. En l’adoptant, j’assure un meilleur accompagnement car je ne me contente pas de mes propres compétences, je fais en sorte d’inviter l’usager à venir vers moi en vue d’une relation éducative plus centrée sur ses propres besoins. En d’autres termes, je ne me laisse pas envahir par mes représentations ou mes interprétations, je fais mon possible pour amener l’usager à s’exprimer et à m’exprimer ses désirs en matière d’accompagnement. Faire preuve d’altérité pourrait donc favoriser l’expression besoins et attentes par l’usager. Il s’agit d’un signe d’intérêt pour lui, et ses problématiques nécessitent qu’on se penche particulièrement sur sa situation. Il se sent plus important, plus mis en valeur et ressent un certain mieux-être.
L’altérité nécessite que l’éducateur se détache de ses projections personnelles pour se concentrer sur les expressions des usagers. Il doit pouvoir reconnaître l’existence et la différence de l’autre. Dans ce cadre, il est primordial qu’il sache surpasser sa subjectivité pour partir à la rencontre d’autrui. Cela lui permet de rencontrer l’autre et l’usager, malgré ses problématiques, se sent plus valorisé et considéré comme quelqu’un doté des facultés de penser et d’agir. Penser l’altérité, c’est savoir se mettre à la place de l’autre, non sans se demander ce qu’on représente pour lui. Que représente la personne de l’éducateur spécialisé pour le bénéficiaire ? Quelle est la nature du rapport établi entre eux ? Quels sont les éléments qui permettent de le légitimer, de le mettre en place ou encore de le constituer ?
La relation établie entre éducateur et usager est éducative. C’est sur cette relation éducative que repose le suivi individualisé. Elle est l’occasion pour l’éducateur et la personne accompagnée de travailler consciencieusement sur sa situation en vue d’un changement positif. En quoi consiste-t-elle et que signifie-t-elle pour les deux parties ? L’éducateur spécialisé est responsable de la mise en place d’une relation éducative au sein du SAVS. Comment parvenir à cette relation ? Quels sont les moyens propices à son établissement ?
- La relation éducative
Une fois que l’on reconnaît l’altérité de l’autre, on peut partir à sa rencontre. La rencontre débouche sur la relation. Entrer en relation ne signifie pas uniquement échanger, cette action est porteuse de changements. L’éducateur, en mettant en place une relation éducative avec l’usager, veut son bien, souhaite parvenir, avec son aide, à lui faire retrouver une place dans la société, un mieux-être.
Pour comprendre ce qu’est la relation éducative, définissons d’abord les termes qui composent cette expression. Du point de vue étymologique, le terme « relation » provient du latin « relatio » traduit en français comme « l’action de porter ». De « relatio » découle le verbe « relater » signifiant « narrer une histoire ». On peut donc définir la relation comme étant le fait de se trouver dans une histoire. Quant au terme « éducative », il dérive du latin ëdücäre qui veut dire instruire. En décortiquant le mot, nous constatons la présence du préfixe «ex- » qui traduit quelque chose « en dehors » et du radical « dücere » qui signifie « diriger ». Eduquer signifie donc diriger quelqu’un vers un but précis. Il est question de le faire passer d’un état à un autre, de l’amener à s’améliorer.
En établissement médico-social, il n’y a pas d’accompagnement sans relation éducative. Elle implique l’éducateur qui la favorise et l’usager qui en est le principal objet, sans oublier l’institution qui emploie l’éducateur. Elle permet à l’éducateur de faire émerger chez le bénéficiaire sa capacité à utiliser ses propres ressources et potentialités en vue d’en faire réellement le premier acteur de sa vie, de son changement. Dès le moment où un professionnel représente l’institution et qu’on le reconnaît pour les missions qu’il mène, on dit qu’il y a relation éducative. Cette dernière s’établit dans le temps et requiert des qualités et compétences particulières de la part de l’intervenant : écoute, empathie, respect et disponibilité.
On parle de relation « éducative » car elle se fait dans un cadre institutionnel, en l’occurrence le SAVS. Elle est encadrée par l’équipe pluridisciplinaire et délimitée par les missions de l’éducateur spécialisé. Ce dernier a pour but de permettre aux usagers de s’accepter tels qu’ils sont et de faire leurs propres choix en fonction de leurs capacités, d’où la nécessité pour le professionnel de nouer un lien de confiance avec eux.
En tant qu’éducateur, nous avons pour devoir de reconnaître les potentialités de ceux que nous accompagnons en vue de les remobiliser et de les faire évoluer. Une confiance mutuelle entre professionnels et usager est primordiale pour un mieux-être de l’aidé, comme l’indique Philippe Gaberan : « La confiance en l’autre permet le retour ou l’installation de la confiance en soi, qui, le temps aidant, contribue à son tour à raviver ou à établir l’estime de soi ».[49] Pour favoriser une telle confiance, l’éducateur doit s’investir fortement dans la relation et l’usager doit ressentir son investissement. Il doit se montrer présent et disponible pour ce dernier, l’écouter et le respecter afin de créer un lien. Dans cette optique, Alex Muchielli, dans son ouvrage « Psychologie sociale », rappelle que « […] c’est en instaurant un climat de participation qui appelle aux échanges, au dialogue que l’on pourra mettre en place la règle de confiance réciproque »[50]
En outre, la relation éducative vise à accompagner le sujet dans sa recherche du meilleur de lui-même. L’éducateur l’amène à se dépasser et à être acteur principal de sa vie et de son évolution. Philippe Gaberan le confirme ainsi : « La finalité de la relation éducative n’est pas de normaliser la personne, de la guérir ou de réparer un préjudice. Elle est de l’aider à devenir actrice de sa vie en favorisant le passage du vivre à l’exister ». [51]
La relation éducative est importante pour le professionnel, mais surtout pour la personne aidée. La situation de Mme Bouchole en est une bonne illustration. Brice, un professionnel du SAVS, lui a permis d’accéder aux soins via cette relation. La relation instaurée a permis de travailler sur la problématique de Mme Bouchole en vue d’un changement de sa situation. Les compétences que l’éducateur doit mobiliser dans l’établissement de cette relation sont nombreuses. En premier lieu, il doit savoir alterner proximité et distanciation en même temps[52]. En effet, il doit savoir être proche en soutenant et en aidant le bénéficiaire tout en adoptant une posture distante car il doit être objectif durant son intervention et rester professionnel en toutes circonstances. Son intervention ne doit donc pas être influencée par la nature de ses relations avec la personne aidée. Il se positionne en tant qu’accompagnateur doté d’un sens et de la distanciation pour ne pas se laisser influencer par ses propres représentations.
Pour Michel Autès, le professionnel doit mettre l’accent sur le terme « relation » en prenant contact avec le sujet avant tout via l’établissement d’un lien de confiance et en allant vers lui. Par la suite, il doit l’accompagner, le suivre, l’aider et le soutenir. Il le fait en communiquant avec lui, via des entretiens, des discussions…Dans ce sens, il est présent physiquement tout en gardant ses distances, en restant ferme et autoritaire.[53]
La distanciation et les questions de représentation sont très souvent évoquées dans la relation éducative. Pour Joseph Rouzel, « La relation éducative va de fait être le lieu où s’élabore pour le sujet une certaine connaissance de soi. Ceci à condition que l’éducateur n’envahisse pas l’espace de la relation de ses propres fantasmes et représentations inconscientes et ne cède pas aux avances d’amour ou de haine, qu’il sache se déplacer pour laisser l’espace de rencontre désencombré et ouvert ». Selon cette affirmation, et ma pratique sur le terrain, l’éducateur ne doit pas s’immiscer personnellement dans l’espace de l’usager et agir impulsivement, en écoutant ses propres sentiments. Il n’est pas neutre, il met juste une certaine distance pour ne pas empiéter sur cet espace et désorienter la personne.
Nous avons évoqué la relation de confiance, mais elle n’est pas la seule à entrer en compte. La relation d’aide est une autre composante de l’accompagnement. Après tout, l’accompagnement que l’éducateur promeut et réalise a pour visée d’aider l’usager à surpasser ses difficultés. Quelle est la place de la relation de confiance et celle de la relation d’aide dans le projet ?
Puisque nous sommes en train de parler du projet, celui-ci, comme nous l’avons répété dans ce mémoire, doit être centré sur les besoins et attentes personnels de l’usager pour correspondre à sa problématique, à sa situation. La réussite du projet dépend de l’appréhension que l’usager a de lui. S’il sent que celui-ci cadre bien avec ses besoins, il pourrait conduire à son amélioration. Pour ce faire, l’éducateur doit bannir toute représentation.
La relation conditionne le métier de l’éducateur spécialisé. Pour qu’il y ait relation éducative, il faut qu’il établisse une relation avec l’usager. A travers la relation éducative, le professionnel crée des projets correspondant à celui qu’il accompagne. Pour ce faire, il l’observe et confronte ses analyses avec celle des autres intervenants pour ne pas se laisser emporté par ses représentations.
- Les représentations
Le métier d’éducateur spécialisé n’est pas exempt de représentations. La représentation est constituée d’éléments de perception sur lesquels une personne se base pour juger ou estimer une chose en fonction de ce qu’elle voit au quotidien, de sa propre philosophie ou de ce qu’elle pense savoir sur cette dernière.
Dans le métier d’éducateur spécialisé, la représentation renvoie à la normalisation, surtout lorsqu’il d’accompagnement de personnes en situation de handicap. Nous avons tendance à penser savoir des choses sur elles, particulièrement des caractéristiques qui définissent ce type de public en temps normal, et à les leur attribuer sans prendre compte des spécificités de leur problématique. Ainsi, nous « pensons savoir » ce qu’un usager, pense, vit ou ressent avant même qu’il ne l’exprime car il s’agit d’une caractéristique de son type de handicap. Cela influence considérablement notre pratique. Nous en arrivons à nous fier à notre propre jugement, ce qui impacte sur l’accompagnement. Nous dérivons de nos principes d’individualisation et de participation des bénéficiaires. Nous les devançons et pensons à leur place pour savoir ce qui leur faut, sans réellement tenir compte de leurs besoins. Nous en venons donc à influencer la co-construction du projet qui n’est plus centré sur les personnes aidées mais plutôt sur nos propres perceptions ou représentations de leurs besoins et attentes.
La situation de Mme Dibray est un exemple de mon recours à la représentation et de l’effet de cette dernière sur l’accompagnement. Mme Dibray souhaitait apprendre seule la gestion administrative et ainsi soulager son frère. Je suis passé a côté de ses attentes en créant une « frustration » lorsque je lui ai demandé a ce que son frère soit présent lors de la prochaine visite pour que nous puissions voir ceci ensemble. Je pensais faire les choses pour son bien, pour l’aider à avancer plus rapidement mais comme le dit Emmanuel Kant « il n’est pas pire tyrannie que de vouloir le bien de l’autre » Le bien être d’une personne repose sur son propre désir.
Dans les représentations, on croit souvent connaître l’autre, savoir des choses sur lui. Il s’agit la plupart du temps de stéréotypes ou de croyances que nous octroyons aux autres et qui nous empêchent de les voir tels qu’ils sont vraiment. Nous les voyons en fonction de ces derniers. L’éducateur spécialisé est exposé au risque de représentation. Le fait d’être en relation avec autrui nous amène souvent, consciemment ou non, à nous représenter ce qu’il pense ou qui il est. Quel impact les représentations peuvent-elles avoir autant sur l’accompagnement que je propose aux usagers et sur eux-mêmes ? Peuvent-elles changer la manière dont l’autre se voit lui-même, influencé par mes représentations ?
La représentation est le fruit de notre conscience. C’est ce que ma conscience pense de la réalité. Elle influence mon rapport avec les autres ou avec l’environnement qui m’entoure. Personne ne peut échapper à ses représentations, encore faut-il en être conscient. En effet, c’est en étant conscient de nos représentations que nous pouvons les réprimer et éviter d’y recourir. Le travail en équipe permet également de remettre en question nos propres représentations afin de parvenir à une objectivation de la situation de l’usager. Toutefois, je suis d’avis que questionner certaines de mes représentations est utile pour ne pas m’enfermer dans une vision réductrice de cette situation.
Le contact et la relation tissée avec les usagers m’ont permis de savoir qu’ils n’ont pas la même conception du monde que moi. Cependant, la représentation peut s’avérer nécessaire lors du premier contact avec la personne. Cela me permet de me faire une idée de qui elle est, juste un aperçu provisoire et non définitif. Cette image que j’ai d’elle changera au fur et à mesure que nous entrerons dans la relation. Cela commence durant le second contact durant lequel je dépasse ma première représentation de l’usager pour partir à sa rencontre et pénétrer progressivement dans son univers.
Jean-Claude Abric explique la représentation comme un « ensemble organisé autour d’un noyau central, composé d’éléments qui donnent sa signification à cette représentation[54] » Ce noyau central est constitué d’éléments que je qualifierai de normes et valeurs sociales. Ces valeurs ont été adoptées, acceptées et approuvées comme étant vraies, normales et logiques. Lorsque les situations ou problématiques dévient ou diffèrent de ces dernières, nous ne pouvons nous empêcher de recourir à nos représentations de ce qu’elles devraient être.
C’est presque systématique, ce qui m’amène à me demander, durant mes interventions, ce que je pense savoir sur l’autre afin que cela ne l’influence pas. Ai-je des a priori ? Avant d’accompagner une personne, est-ce que je fais l’effort d’être conscient de ces a priori ? Ces préjugés nuisent à mon action éducative car si je ne dépasse pas mes propres représentations, je ne peux pas permettre à celui que j’accompagne de croître en autonomie et de penser par lui-même. Mais malgré ma prise de conscience, quelle que soit la personne que j’ai en face de moi, est-ce que je lui laisse la possibilité de s’exprimer, de décider ?
- Educateur sujet « supposé savoir »
La représentation conduit au sentiment de toute puissance de l’éducateur spécialisé, à cette position d’éducateur supposé savoir qui peut nuire à l’accompagnement. Elle l’amène à penser savoir ce qui est bien pour lui, à décider à sa place, à influencer voire changer ses aspirations personnelles.
L’éducateur « supposé savoir » est celui qui pense savoir ce qui est bien ou mieux pour l’usager. Il est animé par un discours précis, celui du « je sais ce qui est bon pour la personne que j’accompagne ». En tentant d’amener l’usager à se conduire de façon tolérable par la société, il peut parfois projeter sur lui ce qu’il pense être le mieux à son égard. Dans sa volonté de l’amener à un changement qui pourrait l’amener à trouver sa place dans la société, ce professionnel transpose ses propres désirs sur ceux de l’usager. Tient-il alors compte des désirs de celui qu’il accompagne ? Comment réagit-il quand cette dernière n’assouvit pas ses attentes ?
Ce supposé savoir ne dépend pas que de nos représentations, les personnes accompagnées peuvent également nous le conférer. Joseph Rouzel le précise en affirmant qu’« Un enfant, un adolescent, un adulte supposent à un éducateur un savoir sur soi, sur la vie, sur le monde. Ils lui prêtent ce savoir, et c’est pourquoi, comme disent souvent les éducateurs, « ça accroche».[55] C’est en considérant la position professionnelle et les compétences de l’éducateur spécialisé qu’ils lui attribuent ce savoir. Ils pensent que la connaissance de leur situation par le professionnel suffit à l’élaboration du projet individuel. Ils croient que le savoir dont il est doté est suffisant pour aborder leur situation. Ils n’expriment donc pas leurs attentes et désirs, pensant que l’éducateur les a déjà devinés. Cela a une part de vérité car l’éducateur est capable de les déceler à force d’observations. Toutefois, cela reste dans le champ de la représentation, et en chercher la confirmation auprès de la personne reviendrait à l’influencer. Le mieux serait de l’amener à exprimer ses aspirations personnelles pour une co-construction du projet individualisé et surtout pour faire de l’usager le premier acteur de sa vie.
Ce supposé savoir représente une limite à l’intervention de l’éducateur spécialisé. Il l’empêche de prendre en compte la singularité de l’accueilli. Il amène au sentiment de toute puissance, celui qui lui fait croire qu’il sait mieux que l’usager ce qui est bien ou mieux pour lui, ce qui convient à sa situation.
Pour ma part, les questions suivantes sont récurrentes par rapport à ma position d’éducateur : « Quel est mon intention ? Quel est mon rapport à la règle et concrètement comment j’agis ? » En effet, je dois toujours me situer par rapport à mes intentions, au cadre institutionnel et aux règles régissant ma profession si je veux l’exercer comme il faut. Si je considère que c’est l’adaptation à la situation qui prime, je vais plutôt me référer à la réflexion éthique. Mais je ne peux me passer des règles formelles qui s’imposent à tous et qui définissent les droits et les devoirs de chacun. En somme, mes méthodes de travail doivent être conformes aux projets d’établissement et personnalisé.
En tant qu’éducateur, je dois faire attention à ne pas entrer dans la toute puissance avec des pensées comme : « je sais ce qui est bon pour toi (l’usager)». Mon implication dans les accompagnements ne doit pas me faire oublier la singularité des personnes que j’accompagne. D’où la nécessité de rejeter les représentations, les préjugés et les jugements que je peux avoir sur les bénéficiaires.
Dans notre profession, nous n’avons pas de bonnes solutions, de réponses toutes faites. Nous n’avons pas non plus la réponse aux demandes des usagers, comme le souligne Jospeh Rouzel : « Non je n’ai pas ce qu’il vous manque, doit pouvoir dire en fin de compte l’éducateur, et personne ne le possède au monde ».[56] Nous devons réfléchir, faire de la réflexion éthique. Elle ne peut pas se faire de manière individuelle mais collective. Réfléchir individuellement, c’est risquer de servir son propre intérêt. Je dois m’interroger sur la raison de ma position. Débattre en équipe nous permet de confronter nos opinions, de là naît une réponse en faveur de l’usager. Elle n’est pas forcément idéale mais elle aura été prise avec la dose de doute qui est indissociable de la décision éthique. Il faut savoir que le fait de nous tromper représente souvent des conséquences graves pour la personne. Sommes-nous prêts à les assumer en équipe ?
Mon expérience sur le terrain m’a montré que c’est parce que nous sommes habitués à parler en équipe des situations que nous nous retrouvons capable de débattre sereinement lorsqu’un événement particulier se présente. La réflexion éthique est complexe et exige un positionnement de l’intervenant. Mon action éducative tourne autour de la manière dont je peux accompagner la personne à trouver sa place dans la société.
L’éthique réflexive suppose la prise en compte du travail en équipe. Elle me met dans une situation selon laquelle la morale, la loi et la déontologie ne définissent pas ce que je dois faire. J’ai donc à décider selon mes perceptions, à rechercher une décision possible grâce à laquelle je pourrai agir en respectant ces trois éléments en vue d’un mieux-être des bénéficiaires. Le débat éthique se fait sans tabou. En équipe, on doit être capable d’envisager toutes les solutions possibles même si c’est pour en rejeter certaines après.
Le fait d’être en équipe permet la réalisation de la réflexion éthique. En tant qu’éducateur spécialisé, je suis dans une zone d’incertitude où je me dois de respecter le cadre général du droit. Je ne peux pas me passer des lois car elles sont les premières à poser des valeurs avant les règles.
Après la réflexion éthique, on espère avoir dégagé un consensus. Dans l’éthique, il faut savoir se dépasser, se dire qu’on n’est pas le seul concerné par l’accompagnement, que celui-ci dépasse notre pensée propre. Il faut accepter que mon point de vue ne sera pas retenu même quand j’en suis convaincu. On ne me demande pas de renier mes convictions mais d’être en capacité de les exposer, d’accepter que la décision finale ne leur soit pas conforme. Le fait d’être une équipe pluridisciplinaire nous rend complémentaires. Cela permet de résoudre des situations complexes mais nécessite la confiance au sein de l’équipe. Tout cela se fait dans le cadre de ma mission, c’est ce qui conserve le sens aux actions que nous posons. Le fait d’avoir chacun notre propre discipline nous permet d’être complémentaires et de nous entraider dans les choses que nous ne maîtrisons pas. La réflexion éthique permet alors de dépasser ses propres représentations. Lorsqu’elles m’envahissent, je me concerte avec l’équipe pluridisciplinaire en vue d’être plus objectif, de les dépasser et de prendre en compte la singularité de la personne accompagnée.
L’accompagnement ne se fait donc pas seulement de manière individuelle. Les décisions prises en équipe sont plus sûres car elles ont été débattues et approuvées par tout le monde. L’équipe a pour mission de faire contribuer les personnes aidées durant l’accompagnement. Comment et par quel moyen y parvenir ?
- Mise en œuvre de ma pratique : favoriser la participation de la personne
Dans cette troisième partie du mémoire, je vais entrer en profondeur dans la mise en œuvre de ma pratique visant à favoriser la participation de la personne. Le fil directeur de mon mémoire consiste à savoir comment je peux accompagner l’usager suivant ses attentes et besoins tout en lui permettant d’intégrer la société ou de s’y réinsérer. C’est au travers de la pratique que je vais détailler ici qu’un tel objectif peut être atteint.
- Lorsqu’Alter rencontre Ego
Comme mentionné plus tôt, l’altérité est un principe fondamental dans l’accompagnement. Notre mission en tant qu’éducateur spécialisé doit prendre en compte l’altérité, ma position professionnelle m’amène à considérer l’autre, à ne pas me projeter dans son vécu mais à le respecter dans sa différence. Reconnaître l’autre est essentiel, mais dans quelle mesure ?
Dans l’acte éducatif, l’autre est le sujet que l’on accompagne, il est réel et diffère de l’Autre, le fruit de nos représentations. Aller à sa rencontre est nécessaire afin d’aboutir à un accompagnement personnalisé. Cette rencontre entre deux individus singuliers précède la relation : on ne peut entrer en relation avec quelqu’un sans partir à sa rencontre au préalable. Cela se fait suivant plusieurs méthodes, il est possible de se rencontrer par hasard avec la personne accompagnée ou de planifier la rencontre via des entretiens. Avant de proposer un accompagnement, l’éducateur spécialisé doit d’abord rencontrer l’autre, le futur usager, afin d’apprendre à le connaître pour ensuite nouer une relation avec lui, cette dernière se transformera plus tard en relation éducative.
La rencontre amène à différents questionnements. Elle n’est pas exempte de représentations ou de préjugés de notre part, ce qui est normal lorsqu’on va voir quelqu’un pour la première fois. Je ne peux m’empêcher de me demander quelles sont les spécificités du trouble de tel ou tel bénéficiaire, quelle est son histoire, qui est-il ? La première rencontre me permet de commencer à le découvrir et à le connaître. Dans ce cadre, je dois constamment considérer le facteur temporalité. En effet, la rencontre amène à la relation, mais cela nécessite un certain temps, et une implication de ma part et de la part de celui ou celle que j’accompagne. Et cette dernière ne conduit pas forcément à la relation, cela dépend en grande partie du bénéficiaire. Bien que je m’investisse grandement dans la construction de ce lien, de cette relation, s’il n’est pas enclin à s’investir à son tour, la relation ne se fait pas et l’on ne dépasse pas le simple stade d’échanges.
La reconnaissance de l’altérité permet de mettre en place une relation d’aide signifiante. En effet, il s’agit du premier pas vers la considération de la singularité de la personne accompagnée. En tant qu’éducateur, nous faisons différentes rencontres qui nous poussent à mieux connaître une personne et à dépasser le stade de la représentation. Cela nous empêche de nous limiter à ce qui la caractérise dans la société, c’est-à-dire son handicap, sa situation professionnelle, etc. Ces rencontres doivent être l’occasion d’appliquer le concept d’altérité et la prise en compte de la personne aidée comme un individu à part entière.
L’acte éducatif, dans notre cas, se caractérise par la rencontre avec cette personne que l’on doit prendre en considération dans sa singularité. Bien qu’il s’agisse d’un usager en difficulté psychique, les a priori doivent être bannis. Il ne faut pas oublier que « Le sujet est le premier expert de sa vie et de son éventuel problème ». [57] Il faut donc partir à sa rencontre pour le comprendre et connaître sa situation. Reconnaître l’altérité signifie également savoir distinguer l’autre du « moi ». Le « moi » est ce qui me caractérise, l’autre a également son propre « moi » que je dois prendre en compte. Il est différent de moi, et je respecte cela. Cela m’amène à vouloir le connaître encore plus, à m’avancer vers lui pour identifier ses propres besoins qui sont donc différents des miens. En combattant mes représentations, j’évite de me projeter sur lui et de penser que ce qui est bien pour moi l’est forcément pour lui. Cela m’amène à le considérer dans sa singularité mais également à le différencier des autres usagers. Ainsi, l’accompagnement que je délivre n’est pas standard, il est personnalisé et différent car chaque bénéficiaire est différent, singulier, son handicap psychique ne se manifeste pas comme celui des autres.
Cette reconnaissance de l’altérité conduit à l’autonomie de l’usager que je vise particulièrement. Il devient capable d’émettre ses propres besoins et donc de dire ce qu’il veut, ce qui lui convient. Il se détache alors peu à peu pour accéder à son indépendance.
Le rencontrer signifie accepter de débattre avec lui, comprendre le fait que nos points de vue puissent différer et se remettre en question par rapport à cette rencontre. Les préjugés et représentations ne doivent en aucun cas être émis ou écoutés. Nous devons nous ouvrir à la personne et comprendre ce qui rend sa situation singulière par rapport à celle des autres bénéficiaires. De même, nous devons accepter le fait que les attentes diffèrent d’un usager à un autre, nous devons donc éviter la généralisation, surtout dans l’accompagnement. Après tout, même s’il s’agit d’un même trouble, les manifestations sont différentes et l’on ne peut attribuer des caractéristiques « standards » à tous.
Bien que nous soyons des professionnels dans notre métier, nous devons constamment nous remettre en question dans notre intervention. Cela nous permettra de fournir un accompagnement efficace et centré sur la personne. La co-construction est primordiale, l’éducateur n’a pas la réponse à la situation de celui qu’il aide, celle-ci se construit via une collaboration entre les deux parties. La relation éducative n’est pas seulement bénéfique pour les personnes aidées, mais également pour nous, en tant que professionnels. Je ressens un enrichissement professionnel provenant de cette dernière. Je prends conscience du fait que je n’existerais pas en tant qu’éducateur spécialisé si je n’avais personne à soutenir, à accompagner. Je m’améliore grâce aux remarques qu’il fait à mon encontre et vis-à-vis de mon intervention. En sommes, mon « moi » éducateur n’existerait pas sans l’autrui, sans l’usager, nous sommes donc interdépendants. Malgré la singularité et la distanciation, je remarque quand même une certaine influence de ma part sur l’usager et son accompagnement. Cela se traduit par le fait que je sois son guide, il m’arrive de le limiter dans ce qu’il fait car cela ne correspond à la norme et de le guider vers ce qu’il devrait faire au regard de cette dernière. Le diriger vers la norme lui permet de comprendre ce qui est normal pour la société et donc de mieux la connaître et de s’y insérer plus facilement par la suite.
Pour permettre cette prise en compte de la singularité, différents outils et des étapes préalables à l’accompagnement et à l’élaboration du projet sont nécessaires. C’est à partir de ces derniers que la co-construction du projet peut se faire. Mais avant d’envisager l’accompagnement et la création du projet, il faut d’abord réaliser une approche globale de la situation de l’usager.
- Approche globale de la situation
Pour se faire une idée précise de la situation de l’usager, l’éducateur spécialisé réalise une approche globale durant laquelle il prend en compte toutes les dimensions qui entourent la personne accueillie. Il s’agit de son environnement social, de sa famille, des partenaires… Il les contacte afin de recueillir leur perception de la situation. Il doit garder en tête le fait que la personne n’est pas seule. Leur vision de la situation compte dans la réalisation du projet personnalisé, d’où la nécessite de considérer toutes les dimensions entourant l’usager.
Grâce à ces perceptions, l’éducateur spécialisé peut avoir une vision objective de ce qu’il peut proposer pour la personne. Il peut adapter ses interventions aux besoins de celui qu’il accompagne et lui proposer un accompagnement de qualité en accord avec l’ensemble de ces dimensions.
- Les entretiens
L’entretien est un outil familier à l’éducateur spécialisé. Il peut être quotidien, spontané ou organisé, et suscite sa prise de parole ainsi que celle de la personne accompagnée. Quel rôle ce dernier joue-t-il dans l’accompagnement ? Qu’apporte-t-il aux deux parties et dans quelle mesure contribue-t-il à la considération des besoins de l’individu, à une personnalisation de l’accompagnement voire à la possibilité d’intégration sociale ?
Le terme entretien provient du verbe « s’entretenir » qui signifie « entrer en contact, discuter, échanger ». Cela suppose la participation d’au moins deux personnes étant donné qu’un dialogue est mené dans son cadre. Il constitue une forme de rencontre, Myriam Germain Thiart parle d’une « […] aventure relationnelle, dans la mesure où la rencontre avec l’autre est forcément porteuse d’imprévu, d’incertitudes… de « a qui ai-je affaire ?» [58] Le terme « relationnelle » est ici mis en évidence, l’entretien participant à la création et à la fortification d’une relation. Il permet de connaître l’usager et sa situation et de construire une relation éducative avec lui.
Ce face-à-face est courant dans le travail de l’éducateur spécialisé, et l’usager se familiarise avec ce dernier même avant son accompagnement (on pense notamment à l’entretien avant l’intégration de ce dernier au SAVS qui permet de recueillir ses attentes quant à l’accompagnement qu’il lui faut, de lui présenter le service et ses différentes prestations et qui lui permet, ainsi qu’à l’établissement, de conclure à la possibilité ou non de l’accueillir). Comme le pense Jean-Claude Gorget, « chaque journée de l’éducateur est ainsi ponctuée d’entretiens plus ou moins formels, plus ou moins préparés, mais qui s’inscrivent dans la volonté de l’éducateur d’accompagner les personnes vers un mieux-être, une insertion sociale et une maturité ».[59] Cette rencontre peut donc être planifiée à l’avance ou se faire spontanément et permet au professionnel d’avancer vers ses objectifs de soutenir les usagers afin qu’ils accèdent à un mieux-être et qu’ils finissent par intégrer la société.
Elle profite au bénéficiaire qui peut formuler ses besoins personnels. Elle permet de le faire parler, de l’écouter et ainsi de l’amener à exprimer ses besoins et attentes. L’entretien individualisé est privilégié pour une extériorisation de ses besoins. Il est préconisé de ne pas poser trop de questions à la personne au risque de l’induire vers nos représentations et de lui faire dire uniquement ce dont on a envie d’entendre. Il faut plutôt l’amener à discuter, à la mettre à l’aise pour qu’elle ait envie de discuter et de se confier par sa propre volonté, de dire ce qu’elle veut dire et d’exprimer ses propres ressentis.
L’entretien est donc un espace de parole dans lequel l’éducateur s’efface pour laisser la parole libre à l’usager. Le travail de l’éducateur durant ce dernier est d’aider la personne à mettre des mots sur sa souffrance, à la verbaliser et à l’extérioriser par le biais de ses propres mots. Il s’exprime donc sur son handicap, sa difficulté, et le professionnel se positionne comme quelqu’un de rassurant. Il doit essayer de faire perdre l’aspect destructeur de la difficulté. En effet, l’individu n’est pas forcément à l’aise de discuter de son problème. Ce dernier peut l’angoisser au point de l’empêcher d’en parler librement, c’est là qu’intervient l’éducateur. Il est bénéfique pour l’usager. J’ai souvent remarqué, à la fin des entretiens que j’ai pu mener, le sentiment de mieux-être des personnes qui nous remercient de les avoir écoutées, considérées et de leur avoir permis de se livrer.
L’entretien est un espace de médiation, une rencontre, une interaction spécifique entre deux individus et un support à la relation. Il conduit à l’individualisation car durant ce dernier, l’éducateur se focalise entièrement sur la situation de la personne accompagnée et vise à identifier ses besoins. Un double objectif est ici observé : d’un côté, l’expression des attentes de l’usager et, d’un autre, son mieux-être.
Les entretiens sont nécessaires mais insuffisants pour recueillir les désirs et attentes de la personne car ils sont ensuite retranscrits par un éducateur et donc refaçonnés à sa manière. La reconnaissance de l’altérité, l’empathie, l’écoute et le fait de laisser la parole libre sont des compétences à utiliser durant ce dernier. La parole est importante car elle véhicule le ressenti, les besoins, l’état ou la situation de la personne accompagnée au moment même où l’entretien est mené. Que signifie la parole dans l’accompagnement ? Quelle est sa place au sein de ce dernier ?
- La parole
Que ce soit durant les entretiens, les activités collectives ou simplement dans le quotidien des usagers et des éducateurs spécialisés, la parole est un vecteur d’une très grande importance. C’est en se servant d’elle que l’éducateur parle à la personne et l’incite à se confier à lui à son tour. C’est essentiellement grâce à sa parole que le bénéficiaire peut transmettre et fournir ses besoins au professionnel.
Joseph Rouzel décrit la parole et le langage comme « […] le lieu d’apparition du sujet, le lieu où il se fait naitre aux yeux (et aux oreilles !) des autres ». Le fait de rencontrer une personne et de prendre contact avec elle implique l’usage de la parole. Bien sûr, il existe plusieurs moyens pour extérioriser ses besoins (par écrit, par l’art, etc.), mais la parole reste privilégiée, surtout dans un entretien en face-à-face. C’est grâce à elle, et à la gestuelle ou aux expressions faciales qui l’accompagnent, que le bénéficiaire attire l’attention de l’éducateur, et vice-versa. C’est en parlant qu’il peut dire ce qu’il ressent, extérioriser sa souffrance. La parole lui permet de montrer qui il est, de dire ce qu’il veut, ce qui lui faut, quand il le lui faut. Il peut ainsi exprimer ses attentes ou son insatisfaction vis-à-vis de son accompagnement.
La parole crée la relation, la faire émerger revient à favoriser la structuration de la personne. L’éducateur spécialisé est censé faire parler le sujet, comme le précise Joseph Rouzel : « L’objectif d’un éducateur n’est pas de faire taire le symptôme, fut-il dérangeant, mais de l’entendre, pour accompagner le sujet dans sa prise en compte, dans la découverte de ce qui en lui cherche à se dire ».[60] Ainsi, la parole est un outil important dans la rencontre de l’autre. Elle permet de prendre en compte sa singularité et de l’accepter dans sa différence, elle permet de bannir les représentations car elle véhicule ce que la personne ressent réellement au fond d’elle. Elle permet à l’éducateur de comprendre ce que cette dernière veut dire, où elle veut en venir et ce qui lui faut.
L’interprétation est un facteur à ne pas négliger dans l’écoute de la parole. En effet, il faut écouter pour pouvoir comprendre, capter et proposer quelque chose qui convient à ce qui a été dit si besoin est. Lorsqu’on écoute la parole de l’usager, il est primordial de ne pas l’interpréter afin de ne pas tomber dans une forme de représentation et de ne pas penser savoir ce qui convient à sa situation. Interpréter nous amène à fausser l’information reçue, celle-ci devient erronée, nous finissons par nous écarter de la prise en compte de la subjectivité et notre accompagnement est ensuite teinté par notre propre représentation.
Ainsi, la parole est primordiale pour la personne aidée, mais également pour l’éducateur. Laurent Cambon en parle comme d’un « outil de prédilection » de l’éducateur qui, dans sa posture de « ‘professionnel de la relation’ mène des entretiens, conduit des réunions, partage le quotidien » des usagers « qu’il accompagne de paroles, il médiatise, il verbalise, il facilite l’expression, il régule les prises de position d’un groupe etc … bref, à l’inverse du courant tayloriste qui condamne les échanges entre les ouvriers, la parole est valorisée et se trouve au cœur de la pratique éducative » .[61] En tant que médiateur entre la société, l’institution et la personne accompagnée, il utilise la parole pour nouer une relation avec la personne, l’accompagner, la guider ainsi que pour l’amener à exprimer ses besoins.
L’accompagnement ne se fait pas sans parole, c’est ce qui permet à chaque partie de se comprendre. Le bénéficiaire se fait comprendre par sa parole, il peut ainsi montrer comment il veut être traité et accompagné, dire ce dont il a besoin, se plaindre ou émettre des remarques en cas d’insatisfaction. Bref, il peut orienter l’aide vers lui et ses propres attentes. L’éducateur, par la parole, rassure l’usager lorsqu’il a peur, mal ou ne comprend pas certaines choses. Sa présence physique est accentuée et renforcée par sa prise de parole. Compréhension, communication, relation et accompagnement efficient sont les résultats de cette dernière.
En tant qu’éducateur, nous utilisons la parole que nous recevons tout au long de notre intervention. Nous la mettons au service de l’accompagnement de la personne. Nous nous en servons pour identifier ses besoins si elle ne les exprime pas clairement et pour distinguer sa situation de celle des autres. Sa parole permet donc sa singularité. La parole est donc réciproque, il faut se parler et non parler sans réponse. Se parler est nécessaire pour se comprendre.
Comment prendre en compte cette parole ? En écoutant la personne accompagnée. L’écoute est un autre outil privilégié par l’éducateur et tous les professionnels qui œuvrent en SAVS. Il ne suffit pas seulement de prendre en compte la parole de la personne, mais de l’écouter. Comme le « moi » ne peut exister sans l’autre, la parole ne peut exister sans l’écoute. Il est impossible d’entendre si on n’écoute pas, mais comment bien écouter quand on est éducateur spécialisé ? Qu’est-ce que cet acte implique ? Est-il possible d’écouter sans interpréter ?
- L’écoute
Comment parvenir à une prise de considération des attentes de la personne accompagnée ? Comment les connaître ? Autant de questions auxquelles on peut aisément répondre : « en l’écoutant ». Qu’est-ce qu’écouter ? Comment le faire ?
Les entretiens, échanges et tout l’acte éducatif en général repose sur différents facteurs dont la parole de l’usager. Lorsqu’il parle, il exprime ce qui lui tient à cœur. Mais comment comprendre et reconnaître ce qu’il veut dire ? En usant de l’écoute active. L’écouter, c’est savoir se mettre à sa place, dépasser le moi et partir à sa rencontre. L’écoute est le fondement de l’altérité, il nécessite le respect et la compréhension de l’autre. Pour bien écouter l’usager, l’éducateur doit s’ouvrir à lui, lui témoigner de l’intérêt et se montrer disponible.
L’écoute permet de prendre de la distance et de laisser le « moi » de côté au profit de l’autre. Elle est empreinte d’empathie et aide l’éducateur à proposer un accompagnement adéquat à la personne atteinte de trouble psychique. Dans quelle mesure ? En prenant en compte sa différence et en identifiant ses véritables attentes, cela en l’écoutant durant ses prises de parole quotidiennes, que ce soit durant les entretiens ou dans les autres moments d’interaction qu’ils vivent. Il écoute donc sa parole et repère ses besoins à partir de cette dernière, sans toutefois tomber dans le piège de l’interprétation qui est très souvent influencée par les représentations.
Dans l’écoute, l’éducateur spécialisé se met à accepter un discours différent du sien et accueille la parole de l’usager en vue de lui permettre de s’exprimer. Le fait d’écouter a un impact considérable sur l’accompagnement, il en est même l’essence, en plus de l’observation. Il permet de comprendre le sujet, les axes des travaux éducatifs se construisent autour de cette écoute. Ecouter, c’est permettre à l’autre de se voir, d’oser s’exprimer, mais également de s’entendre et pourquoi pas de changer. En l’écoutant, l’éducateur rehausse l’estime de soi de la personne qui se sent plus reconnue, valorisée et apte à mieux échanger avec le professionnel. Il fait émerger sa parole et contribue à son mieux-être que ce soit dans son environnement ou la société.
Ecouter signifie savoir s’effacer assez pour permettre à un autre de prendre place, de s’exprimer, de mener le jeu pendant son temps de parole. L’écoute favorise l’extériorisation du besoin de l’usager car elle suscite sa prise de parole. Cette dernière se fait en réfléchissant, la personne puise au fond d’elle-même pour savoir ce qu’elle doit dire, ce qu’elle veut exprimer, comment le faire et comment mettre des mots sur sa souffrance. En se sentant écoutée, elle se confie davantage et se sent plus considérée. L’effacement du moi devant l’autre est essentiel lorsqu’un éducateur veut écouter le sujet qu’il accompagne. Joseph Rouzel est du même avis et soutient que « Dans l’écoute, il s’agit de maintenir une place vide, la place d’où jaillit le questionnement d’un sujet sur son être » L’écoute lui permet de faire un travail sur soi, de se poser des questions sur lui-même, de réaliser un travail de réflexion intérieure durant lequel il se demande ce qu’il veut et essaie de l’exprimer.
Dans l’écoute, il est nécessaire de savoir accepter l’autre, se mettre à sa place et le comprendre dans son entière différence. Cela l’amènera à se sentir mieux apprécié et plus sollicité. Son estime de soi en deviendra meilleure. Mais en tant qu’éducateur, écouter sans influencer peut parfois paraître difficile. Cela nécessite d’accepter l’autre dans sa différence, ce qui peut parfois être difficile étant donné nos représentations découlant de la situation de ce dernier. Avant d’être professionnel dans l’accompagnement, nous sommes avant tout humains et ne pouvons pas réprimer nos habitudes humaines. Nous avons tendance à croire savoir ce qui est bon pour l’autre, surtout lorsqu’il ne le sait pas bien lui-même. Nous pouvons parfois penser être plus apte à le savoir mieux que lui en étant différent de par nos facultés psychologiques intactes par rapport aux siennes que le handicap a rendu déficientes. Nous nous imaginons donc savoir proposer ce qui correspond entièrement à l’usager, sans l’écouter réellement. L’écoute reste superficielle, nous ne creusons pas profondément mais interprétons ce que l’usager exprime et proposons des réponses en fonction de cela.
Cette erreur, je l’ai déjà vécue sur le terrain. Je n’ai pas laissé le sujet (Mme Nadine D.) s’exprimer ou parler. Nadine Dibray souhaitait apprendre seule la gestion administrative et ainsi soulager son frère. Je suis passé a côté de ses attentes en créant une « frustration » lorsque je lui ai demandé a ce que son frère soit présent lors de la prochaine visite pour que nous puissions voir ceci ensemble. Je pensais faire les choses pour son bien, pour l’aider à avancer plus rapidement mais comme le dit Emmanuel Kant « il n’est pas pire tyrannie que de vouloir le bien de l’autre » Le bien être d’une personne repose sur son propre désir. L’éducateur doit être attentif aux envies et demandes de la personne qu’il accompagne. Dans cette situation, j’ai laissé mes interprétations me guider, et non les désirs de l’usager. Je ne lui ai pas demandé ce qu’elle voulait et je ne me suis pas projeté vers le futur pour me demander l’impact que ma décision pourrait avoir. J’ai pensé savoir ce qui est bien pour elle avant elle. Cela a eu pour conséquence de la frustrer davantage.
Lorsqu’elle parle, nous devons montrer à la personne que nous l’écoutons. Le fait de co-construire le projet avec elle en priorisant ses aspirations personnelles est la preuve que nous l’avons bien entendue et que nous avons dépassé nos a priori pour réellement nous focaliser sur ses besoins, sa singularité, tout en considérant toutefois le cadre réglementaire du SAVS : « Tout l’art de l’éducateur est de savoir ainsi capter au bon moment, au décours d’échanges apparemment décousus, le message formulé afin de confirmer qu’il a été entendu ; puis de savoir prononcer le mot ou la phrase dont le contenu est tantôt libérateur, tantôt évocateur d’une nouvelle idée». [62] Ainsi, le projet qui en découle lui convient et a été créé suivant ses attentes
Accepter l’autre signifie le respecter. L’écouter, c’est accepter sa différence, identifier, tolérer et comprendre son attitude, ses frustrations. En effet, il peut faire de l’éducateur son bouc émissaire, projeter sur lui ses difficultés, refuser son aide, adopter une attitude négative envers lui et même l’accuser d’être à l’origine de ses souffrances, et cela parce qu’il ne sait pas s’exprimer ou qu’il recherche un responsable à ses maux. Bref, cette attitude n’a rien à voir avec l’intervenant proprement dit mais constitue plutôt un mécanisme de défense, un moyen de se montrer inaccessible à toute intrusion (car c’est comme cela que les usagers perçoivent le fait de chercher à les connaître, au début) et de le décourager dans sa tentative de relation. Le professionnel ne doit pas le prendre personnellement mais rester objectif et patient. Il doit fournir tous les efforts nécessaires au maintien d’un comportement respectueux envers l’usager.
Pour y parvenir, l’empathie est un moyen efficace. Le fait d’être en empathie avec quelqu’un signifie l’écouter et le comprendre, être capable de ressentir ce qu’il transmet et, de se mettre à sa place. Quel rôle l’empathie joue-t-elle dans l’accompagnement ? Quelle est son importance pour moi en ma qualité d’éducateur spécialisé ?
- L’empathie
Dans la posture d’éducateur spécialisé, savoir écouter, parler, entrer en relation avec les usagers et maintenir cette dernière ne signifie pas grand-chose sans empathie. Pour faire ce métier, il ne suffit pas d’avoir des connaissances ou des compétences en la matière, on ne peut être un bon éducateur sans savoir se mettre à la place de l’autre, de celui qu’on accompagne. Voilà ce qu’est l’empathie.
Alain Berthoz et Gérard Jorland la décrivent comme étant « la capacité que nous avons de nous mettre à la place d’autrui afin de comprendre ce qu’il éprouve.». [63] Il s’agit d’une faculté individuelle qui nous amène à nous mettre à la place de l’autre, sans toutefois nous projeter sur lui pour lui attribuer nos expériences, mais plutôt pour le comprendre entièrement.
Pour ma part, l’empathie représente beaucoup plus et se trouve même être à la base de la relation éducative. Elle conduit à une profonde compréhension de l’autre, de son expérience, à l’altérité. En effet, elle nous permet d’identifier ce qui fait la différence de l’autrui, ce qui le distingue de nous-mêmes. Il n’est pas question de faire un avec l’autre, mais de percevoir ce qu’il ressent et d’arriver à se le représenter sans l’altérer de nos représentations. Ainsi, le fait d’être empathique nous incite à un certain changement : celui d’abandonner nos ressentis sur l’expérience du sujet pour aller vers sa propre expérience, la partager, la vivre brièvement et la comprendre exactement comme elle est et non comme nous voulons qu’elle soit.
Elle permet à l’éducateur de s’identifier passagèrement à l’usager pour pouvoir se mettre à sa place, penser comme lui et se demander ce qu’il pourrait faire s’il était lui-même ce sujet qu’il accompagne, quelles actions il aurait entrepris pour se sortir de sa difficulté s’il avait été la personne qu’il accompagne à ce moment précis. L’empathie permet de prouver que nous sommes avec le bénéficiaire, que nous l’accompagnons et que nous œuvrons en vue de le comprendre, sans toutefois ressentir ses propres émotions étant donné que nous ne dépassons pas le simple stade de projection, nous ne sommes pas lui. Nous essayons seulement de l’atteindre en tant qu’autre, en tant qu’étranger vis-à-vis de nous. Dans ce cadre, l’empathie nous amène à user de notre cognition et de nos affects. Lorsque l’autre s’exprime, nous l’écoutons et tentons de nous représenter ce qu’il partage en faisant appel à notre propre expérience dans l’objectif de pouvoir le comprendre réellement.
C’est après cela que nous pouvons proposer, en collaboration avec l’usager, une réponse à sa situation car nous l’avons comprise. Evidemment, cette proposition ne doit pas émaner spontanément de nous, elle provient avant tout de la personne, nous ne faisons que la confirmer avec elle et en discuter. L’empathie est un partage qu’il est souvent difficile à mettre en place avec des personnes atteintes de handicap psychique qui ne se confient pas à nous. Puisque nous essayons de les comprendre, il nous faut des éléments précis qui nous permettent de le faire. Si l’usager ne nous les livre pas, nous ne pouvons qu’émettre des hypothèses sans aboutir à une véritable compréhension. Cela ne conduit pas réellement à une aide individualisée puisque nous n’identifions pas vraiment ce qui fait souffrir l’autre.
Ainsi, le handicap peut freiner l’empathie. Pour comprendre un autre totalement étranger du « moi » et qui a vécu des choses que je n’ai pas personnellement expérimenté, je dois le connaître. Il doit se confier à moi pour que je comprenne qu’il est totalement différent de moi et que, de ce fait, mes représentations et préjugés ne marchent pas sur lui, ne le concernent pas. Ainsi, je ne tomberai pas dans la position de « toute puissance », celle qui m’amènera à concevoir pour lui ce qui est bien selon mes propres perceptions, et non selon ses véritables besoins.
Maurice CAPUL et Michel LEMAY associent la parole et l’écoute à l’empathie dans la fonction d’éducateur spécialisé : « Toutes les modalités relationnelles […] se concrétisent de façon privilégiée dans la parole : c’est par l’écoute de ce que l’autre transmet que nous lui démontrons respect et estime ; c’est par l’empathie que nous pouvons reconnaître les éléments latents d’un message et les traduire d’une manière recevable ; c’est par la reprise de son discours en termes apaisés et cohérents que nous réalisons notre fonction de contenant » .[64] Lorsque l’autre parle et que nous l’écoutons, nous nous mettons dans une position d’empathie qui nous permet de décrypter ce qu’il dit de manière cohérente et ainsi d’établir avec lui un projet qui lui correspond entièrement.
Le projet, lui, est un outil de médiation par lequel le sujet accède à la société à l’aide de l’éducateur. Il doit faire sens autant pour l’un que pour l’autre. Mais son élaboration n’est jamais facile, l’implication des deux parties doit être totale et maintenue tout au long de ce dernier. En même temps, on observe une certaine distanciation entre le projet en théorie et celui en pratique.
- Le projet outil de médiation
Depuis la loi 2002-2, le projet individualisé devient une obligation pour le SAVS afin qu’il parvienne à une personnalisation de son accompagnement en réponse aux attentes de l’usager. Il permet à la personne de se sentir valorisée, de voir que l’on s’intéresse à sa situation et que l’on fait notre possible pour l’aider dans cette dernière. Mais au-delà, le projet représente également un outil de médiation.
Le co-construire avec l’usager signifie coucher sur papier ses lignes directrices, objectifs et spécificités et ensuite les mettre en œuvre dans la pratique. Vu comme cela, on dirait que l’opération est simple, ce qui n’est pas du tout le cas. A l’écrit, le projet semble cohérent et adapté, mais dans la pratique, de nombreuses choses peuvent changer. Ce que l’on pense faire pour autrui peut différer de la manière dont il l’assimile. Une différence entre théorie et pratique subsiste toujours, l’éducateur doit donc rendre cet écart tolérable[65] en vue d’un projet plus adapté à l’autre en matière de temporalité, de réalisabilité.
Il faut savoir garder en tête l’existence de cette différence. En effet, la création du projet suit une certaine logique qui peut s’avérer difficile à réaliser en pratique, bien qu’elle semble réalisable en théorie. L’éducateur doit alors veiller à le réajuster, toujours avec l’aide du bénéficiaire, afin qu’il lui corresponde mieux.
Il faut souligner que dans notre profession, le projet n’est pas une fin en soi. Malgré l’existence d’objectifs, les réaliser n’importe pas plus que le fait de donner du sens à la vie de l’usager et à son accompagnement. Le professionnel doit être présent physiquement pour l’accompagner et lui permettre de se situer dans la société dans laquelle il appartient tout en tenant compte de ses attentes et besoins et en se confrontant à ses difficultés. Ainsi, l’éducateur use d’une position de médiateur à travers le projet, il fait le lien entre l’individu et la société.
Le projet doit prendre en considération les attentes de la personne tout en avançant vers un but précis : sa socialisation. Il a pour objectif d’amener l’usager à assimiler les normes et codes sociaux, à savoir vivre en communauté, à savoir se socialiser. Il tend vers un changement, une amélioration voire une évolution de ce dernier.
Pour voir cette évolution et juger de son degré ou de son impact sur lui, une évaluation de sa situation s’impose. Elle permet de voir dans quelle mesure le sujet a avancé vers sa socialisation ou quelles sont les failles du projet à combler. Elles permettent d’évaluer et sa situation et le projet en même temps car après tout, le projet devrait apporter un certain changement -positif- à cette dernière.
- L’évaluation
L’entretien préalable à l’entrée d’une personne au SAVS permet de se faire une première idée sur sa situation. Au fur et à mesure de l’accompagnement et de la relation éducative bâtie avec lui, on connaît et comprend de plus en plus, de mieux en mieux cette dernière. Une fois le projet co-construit, on s’attend à ce qu’elle subisse des transformations. Pour les connaître, l’éducateur recourt à une évaluation.
Cette évaluation se fait à travers la norme. Les comportements normés représentent une échelle de mesure des possibilités et limites de l’accompagnement. La norme est une base de réflexion pour penser la façon dont la personne pourra s’inscrire dans la société en fonction de ce qu’elle est. La société n’offre pas de voie d’insertion, c’est l’action éducative de l’éducateur et l’accompagnement du SAVS qui permettent peu à peu de l’intégrer. On se base alors sur les résultats perceptibles à ce stade pour évaluer la personne : on analyse à quel point elle a progressé dans l’assimilation et la mise en pratique des comportements normés qu’elle devrait adopter en société. Ses prises de conscience sur ce qui l’entoure, le fait de dépasser son handicap psychique pour avancer petit à petit vers les normes sociales, tout cela est analysé pour savoir à quel point la personne, plus particulièrement sa situation, a évolué.
Le degré d’amélioration témoigne de l’efficacité ou non de l’accompagnement et du projet. Donc, évaluer la situation de l’usager contribue en quelque sorte à une évaluation du projet personnalisé lui-même. En effet, le professionnel arrivera à la conclusion que ce dernier a réussi ou échoué en fonction des résultats de l’évaluation. Il se remettra donc en question tout en remettant en question le projet, ses limites et les améliorations à lui apporter en cas d’échec.
Pour évaluer sa situation, nous utilisons différents outils afin de ne pas nous baser que sur nos représentations. Capul Maurice et Lemay Michel estiment que « c’est à partir d’une relation significative, d’une écoute et d’une observation attentive de ce qui est dit et ce qui est fait qu’on peut apprécier les aptitudes et les limites d’un sujet, afin de lui proposer un « champ » d’échange et de réalisation lui permettant de se développer.[66] » Evaluer nécessite donc d’écouter et d’observer les paroles et les actes du bénéficiaire. Cela peut aboutir à une révision partielle ou totale du projet en fonction du degré d’amélioration de la personne. C’est via l’évaluation que nous pouvons analyser jusqu’où le projet en théorie peut être différent de la pratique et quelles actions doivent être menées pour rendre l’écart plus acceptable.
Dans notre métier, la perception que l’on a de la situation se réfère à notre posture et au contexte institutionnel dans lequel on se situe. Notre perception n’est pas la seule à compter, d’où la prise de contact avec les partenaires, l’entourage de la personne et les échanges en équipe pluridisciplinaire. Comme nous l’avons répété à maintes reprises dans ce travail, nous ne pouvons nous écarter du cadre institutionnel, ce qui m’a amené à me demander comment je peux conjuguer la prise en considération des attentes de la personne que j’accompagne avec celles de l’institution.
On ne travaille pas seul lorsqu’on évalue le sujet. L’évaluation se fait dans le temps et nécessite la participation de la personne accompagnée. Nous sollicitons également son entourage et l’équipe pluridisciplinaire. Nous observons la personne accompagnée et l’interrogeons sur ce qu’elle ressent, sur la différence ou le changement qu’elle perçoit entre sa situation au départ, avant l’accompagnement, et durant ce dernier, notamment après la mise en pratique de son projet. Nous demandons également à l’équipe pluridisciplinaire et à l’entourage de la personne ce qu’ils perçoivent comme une évolution de sa part, ce qui a changé, et ce qui reste à améliorer. L’objectif est de recueillir le plus d’observations de la part de ces acteurs, y compris de notre part en tant qu’acteur majoritaire du projet personnalisé, éducateur spécialisé, guide, encadreur et accompagnateur de l’usager. Nous confrontons ces différentes observations pour pouvoir avoir des résultats objectifs et fiables de ladite évaluation et une appréciation moins personnelle et plus pertinente du changement qu’a subi la situation du bénéficiaire.
L’évolution que l’on attend de lui se fait grâce à notre pratique. Pour exercer le métier d’éducateur spécialisé, les compétences en la matière ne suffisent pas, il faut vivre sa pratique et savoir lui donner du sens. Comment y parvenir et quelle différence cela peut avoir sur l’accompagnement ?
- Donner du sens à sa pratique
Le travail d’un éducateur spécialisé n’est pas ordinaire. Il est exempt de routine quotidienne. Nous agissons sur le terrain, auprès de personnes aux problématiques spécifiques, et œuvrons pour qu’elles aient une chance de s’insérer dans la société ou de la réintégrer. Nous pouvons faire face à des situations insolites ou inhabituelles durant notre quotidien, pendant les visites à domicile, les activités collectives au sein du SAVS, etc. Notre pratique est donc importante, nous sommes tenus de mettre en place différentes démarches visant à lui donner un sens, autant pour nous que pour les usagers que nous accompagnons. La description de la pratique en est une.
4.1 Décrire la pratique
Décrire sa pratique, c’est l’écrire, mettre des mots sur cette dernière, laisser une trace permanente en la couchant sur papier pour soi, mais aussi pour les autres, en référence au fait que l’éducateur spécialisé ne travaille jamais seul mais réalise toujours un travail d’équipe. Quels effets l’écriture produit-elle ? Contribue-t-elle à la prise en compte de la singularité de chaque usager ?
L’action d’écriture permet de produire du sens et de se détacher de la dimension affective. Il s’agit d’un moyen d’organiser, de penser et de partager nos pratiques. Ecrire, c’est donner des repères sur l’action éducative que l’on mène. Le travail d’écriture permet de faire le ménage sur nos représentations et protège ainsi les personnes que nous accompagnons de nos propres désirs. Il permet une théorisation de la pratique, mais surtout une distanciation de l’éducateur spécialisé par rapport à ses a priori et préjugés.
En écrivant ma pratique, je peux me remettre en question en tant qu’être humain, mais surtout en tant que professionnel de la relation et de l’accompagnement. Je réalise une analyse de moi-même en tant qu’éducateur. J’interroge mes affects et analyse ce qui m’a particulièrement marqué après avoir rencontré tel ou tel usager. Je sonde mes émotions afin de ne pas tomber dans la position de toute puissance de l’éducateur spécialisé. Je me détache de la pensée que « je sais mieux que l’usager ce qui est bien pour lui ». Je rends donc mon intervention moins subjective.
Cela contraste partiellement avec l’action d’écriture qui est subjective car en écrivant, je couche sur papier mes impressions, mon expérience, tout ce qui m’a marqué dans la relation éducative établie avec l’autre. Cette action subjective a cependant une visée objective : le partage d’expérience. Je ne laisse pas seulement une trace de mon intervention, je la partage avec mes pairs car elle pourrait les aider dans leur propre action. Puisque notre service fonctionne en référence d’équipe, nous nous alternons pour accompagner les usagers. Grâce à l’écrit que je réalise sur telle ou telle situation, les autres peuvent tirer des leçons, apprendre à connaître telle ou telle personne –à travers ma perception-. Les situations les plus spécifiques ou délicates sont celles qu’il faut le plus écrire afin de préparer les autres intervenants, de les aider s’ils s’y trouvent confrontés à l’avenir.
L’action d’écriture permet donc la transmission d’informations utiles voire nécessaires. Je mets sur papier ce que j’ai observé et éprouvé durant mon accompagnement. Le document en question est accessible à tous, y compris le bénéficiaire. Malgré la subjectivité de l’acte, je dois donc écrire à des fins objectives. Je ne dois dénigrer personne dans mon écrit, mais seulement faire état de mes constats. Je reste conscient du fait que l’écriture engage la responsabilité de l’institution des lors que nous transmettons des documents. Il devient alors essentiel de réfléchir à ce que nous transmettons et pourquoi nous le faisons en pensant que l’usager est en droit de les consulter. Les mots employés doivent être bien choisis pour éviter de heurter la sensibilité de ce dernier. Ces derniers contribuent également à la prise en compte de sa singularité dans la mesure où j’écris ce que je sais de lui, ce que je perçois à son sujet. Je note ses caractéristiques particulières, ce qui fait sa différence face aux autres et face à moi. Je mets en exergue sa singularité.
L’écriture est un moyen de partager sa pratique, avec l’équipe pluridisciplinaire, mais aussi avec les personnes accompagnées au sein du SAVS. Le travail en équipe fonctionne grâce aux échanges et transmissions de renseignements concernant la pratique. Comment partager sa pratique et dans quel but ?
4.2 Partager sa pratique, le travail en équipe pluridisciplinaire
Comme mentionné plus tôt dans ce mémoire, l’éducateur spécialisé ne travaille jamais seul. Même s’il réalise des visites à domicile ou des interventions en solitaire, il rend toujours compte de ses actions auprès d’une équipe pluridisciplinaire. Le partage de la pratique est essentielle pour le fonctionnement d’une telle équipe, surtout lorsqu’elle travaille en référence comme la nôtre. Il permet aux autres de se faire une idée de la situation de chaque usager, de connaître des détails sur lui et les impressions que les autres membres de l’équipe disciplinaire ont à son sujet. Les dimensions d’un tel partage sont nombreuses et primordiales.
Prendre du temps de se parler, d’échanger sur notre pratique et de la partager en équipe est nécessaire pour l’éducateur spécialisé. Véritable bouffée d’air fraîche après avoir vécu une situation particulièrement stressante avec un usager en particulier ou occasion de débattre de la pratique en équipe, ces moments sont à privilégier. Pour moi, échanger avec l’équipe sur ma pratique permet de la/de me remettre en question, surtout devant les autres. Cela me permet d’identifier les éléments de pression qui peuvent influer sur moi et sur mes actions. Mes questionnements sur comment prendre en compte les attentes et besoins du bénéficiaire au regard des règles institutionnelles, lequel prioriser entre ces derniers, et toutes les questions que je me pose dans ma pratique peuvent être débattus en équipe.
En échangeant avec mon équipe, je peux améliorer mes prestations et me remettre en question au niveau professionnel. Leur retour, les remarques et observations qu’ils font à l’égard de ma pratique me permettent d’avancer, de mûrir, de l’améliorer. Ainsi, je peux dépasser mes représentations à l’aide de l’équipe. En même temps, je peux mieux apprendre sur les sujets que j’accompagne via les retours d’expérience que les autres ont à leur propos. Je peux mieux cerner leur situation, et aider mes pairs à le faire. La mise en place de la référence d’équipe rend nécessaire voire primordial le partage de pratique. En effet, si je vis une situation particulière avec un usager, je peux en informer le reste de l’équipe qui sera prévenu et préparé lorsque l’un d’entre eux accompagnera la personne à son tour. Il pourra alors anticiper en référence à la situation que j’ai vécue avec l’usager. Je dois juste veiller à être objectif au risque de détériorer la perception que les autres membres de l’équipe ont des usagers par mes propres représentations.
Travailler au sein d’une équipe pluridisciplinaire permet de rendre l’accompagnement plus significatif. L’équipe éducative est en charge du projet personnalisé et doit, par conséquent, être au fait de la situation exacte de chaque bénéficiaire. Un partage de connaissances sur tous les usagers permet de mieux les accompagner car l’éducateur ne se mure plus dans ses propres représentations mais connaît mieux ceux qu’il accompagne en considérant les connaissances que les autres intervenants ont de lui. En additionnant nos connaissances en équipe, nous sommes à même de proposer un accompagnement de qualité via un projet individualisé adapté au bénéficiaire, en prenant en compte ses propres aspirations.
Le partage de la pratique conduit donc à un accompagnement de qualité correspondant à la personne. Il permet un cumul de toutes les perceptions et idées des éducateurs afin de mieux accompagner les usagers. L’alternance permet à chaque éducateur de se faire sa propre opinion de la personne, de la connaître et le partage de pratique lui permet d’exposer cette connaissance aux autres, de sorte qu’ils puissent œuvrer et discuter ensemble en vue d’un projet individualisé adéquat au bénéficiaire. Pour connaître les besoins des usagers, je ne dois pas uniquement me fier à mes observations mais prendre aussi en considération celle des professionnels avec lesquels je travaille. Etant dans un service en milieu ouvert, je ne suis pas quotidiennement en relation avec les usagers, ce que les autres savent et pensent d’eux m’est donc utile pour mieux les connaître et les appréhender.
Le projet, comme le partage de la pratique, permet de faciliter la référence d’équipe. Les professionnels se basent sur ce dernier pour accompagner les usagers, et se sert des informations fournies par leurs collègues pour orienter leur accompagnement. Ainsi, l’éducateur ne succombe pas à la tentation de décider pour le bénéficiaire ou de savoir à sa place ce qui lui convient. La situation des personnes évolue et les réponses que l’accompagnement et l’éducateur proposent à leur situation doivent et réévaluées et réfléchies, des actions qui ne sont réellement possibles qu’en équipe. L’équipe permet de confronter la perception de chacun et de tendre vers l’objectivité pour élaborer des objectifs communs : « […] à travers la diversité des regards et des points de vue, une certaine réalité vivante se dégage ». [67]
Le travail en équipe est une prémisse au travail en partenariat et en réseau. En effet, il ne faut pas oublier que l’accompagnement ne se fait pas uniquement au niveau du SAVS, représenté par l’éducateur spécialisé, mais engage également différents partenaires qui œuvrent pour une évolution positive de la situation de l’usager, vers sa socialisation. Travailler en partenariat peut conduire à une meilleure individualisation des usagers, à condition de savoir s’y prendre.
4.3 Le travail en partenariat et en réseau, un autre regard sur nos pratiques
Outre l’écriture et le partage de la pratique, le fait de travailler en partenariat et en réseau permet un enrichissement professionnel de l’éducateur spécialisé, une réduction voire une éradication des représentations et un meilleur accompagnement pour l’usager.
Laurent Cambon confirme l’importance du travail en partenariat pour l’éducateur spécialisé : « Le ‘travail en partenariat’ occupe une place non négligeable dans la culture éducative spécialisée. En l’occurrence, la notion de partenariat est présente à hauteur de 8 % parmi les aptitudes liées au travail institutionnel ».[68] Le fait de savoir travailler en partenariat fait donc partie des compétences institutionnelles que le professionnel en SAVS doit avoir pour mener à bien sa mission.
Le partenariat est l’occasion de se réunir et de lutter pour la même cause : la socialisation de l’usager. Comme Philippe Brachet l’affirme, le partenariat dérive de la relation : « Le partenariat, c’est la relation entre plusieurs acteurs pour parvenir à un résultat commun : ils sont partenaires dans sa réalisation » .[69] Il est intéressant de relever les termes « plusieurs acteurs » et « commun » dans cette définition. On ne peut parler de partenariat sans pluralité d’acteurs. Il faut au moins être deux pour être partenaires, avoir un objectif commun et avancer ensemble vers sa réalisation.
Tel est le fondement du partenariat : plusieurs acteurs qui travaillent ensemble pour une même fin. La loi de 2002-2 portant rénovation de l’action sociale et médico-sociale, en affirmant la nécessité pour un usager de faire l’objet de différents modes d’accompagnement, rappelle l’utilité du travail en réseau et en partenariat. Les établissements sociaux et médico-sociaux travaillent donc avec des partenaires extérieurs qui contribuent à un meilleur accompagnement de la personne.
Le partenariat amène à une mise en évidence de la singularité de l’usager. Les différents acteurs concernés, à savoir les professionnels, le SAVS et les établissements partenaires, échangent ensemble sur leurs savoir-faire et leurs perceptions dans cet objectif. Cela aide l’éducateur à reconnaître l’altérité, à voir l’autre dans sa différence, à mieux percevoir ses ressentis. Dans le métier de l’éducateur spécialisé, le recours aux représentations est presque automatique, mais le travail en réseau et en partenariat permet d’y pallier. Il empêche le professionnel de travailler de manière isolée et propose une articulation des compétences de différents professionnels en vue d’assurer un accompagnement de qualité. En tant qu’éducateur spécialisé, je me suis enrichi de ce partenariat. La perception de l’entourage et de l’ensemble des acteurs intervenant dans la situation m’a permis de mieux cerner les besoins, envies et limites des usagers. J’ai réussi à échapper à l’enfermement dans une vision réductrice de leur situation en prenant en compte leur environnement global. Cela m’a permis de leur octroyer un accompagnement plus personnalisé, à hauteur de leurs attentes.
Conclusion
La notion même de projet est indissociable de la société. Elle constitue une norme que la société nous soumet. Nous devons, dès la petite enfance, penser à ce que nous ferons plus tard. La société nous demande nos aspirations pour le futur, quel métier nous souhaiterions exercer, à l’avenir.
Au sein du SAVS, le projet individualisé permet de conduire l’action éducative nécessaire et adéquate à la situation de chaque usager. Il s’établit en co-construction entre bénéficiaire et éducateur spécialisé. Son établissement peut s’avérer complexe lorsque les usagers ont une perception négative de l’intervention éducative, en la qualifiant d’intrusive dans leur espace personnel. D’un autre côté, leur handicap psychique complique encore plus leur capacité à s’exprimer, à se confier à nous. L’hétérogénéité des bénéficiaires du SAVS m’a permis de voir que certains d’entre eux ne sont pas capables de penser au futur quand d’autres ne se livrent pas sur ce qu’ils ont envie ou les objectifs qu’ils souhaiteraient atteindre.
Les problématiques des usagers du SAVS où j’ai effectué mon stage sont différentes, tant en symptômes qu’en manifestations. L’observation de leur situation m’a montré qu’elle les a conduits à un enfermement social. Ils sont dans l’incapacité d’assimiler les normes et codes sociaux. Leur conduite peut parfois déroger aux normes sociales, ce qui ne représente pas une forme de déviance en soi car ils ne le font pas exprès et n’en sont même pas conscients.
Dans cette hétérogénéité se pose la question de la différence. Chaque usager est différent, et chacun d’entre eux est différent de moi. La prise en compte de cette altérité est primordiale, elle me permet de considérer la singularité de chaque bénéficiaire. En tant qu’éducateur spécialisé, j’œuvre en vue de permettre à la personne que j’accompagne de trouver sa place dans la société. L’assimilation des normes, le recouvrement d’un mieux-être, l’autonomie permettent de mieux cerner cette société en vue de l’intégrer ou de la réintégrer. Dans ce mémoire, j’ai fait le postulat que le projet individualisé est un outil de médiation entre société et usager. Il a pour objectif de permettre à l’usager de mettre des mots sur sa souffrance et de la travailler en vue de s’améliorer. Son mieux-être et sa socialisation sont mes objectifs et ceux du projet personnalisé.
Ce dernier doit correspondre à la situation de l’usager. Pour ce faire, nous devons la co-construire ensemble. Cette co-construction ne se fait pas sans tenir compte de la singularité de la personne, à travers les besoins et attentes qu’elle exprime. En même temps, un respect des normes institutionnelles et sociales doit être réalisé par le professionnel. Pour concilier les attentes de l’usager et celles de la société en même temps en vue d’aboutir à un accompagnement signifiant et porteur de changement, l’éducateur spécialisé doit se servir du projet individualisé comme outil de médiation.
Il doit donc veiller à ce qu’il convienne parfaitement à l’usager et véhicule les normes sociales et institutionnelles en même temps. En ce qui a trait aux attentes du bénéficiaire, différents outils peuvent permettre à l’éducateur spécialisé de favoriser leur expression chez les usagers qui n’y sont pas enclins : l’entretien, la parole, l’écoute, l’empathie…Une fois les besoins et désirs recueillis, l’éducateur doit bannir son supposé savoir, ses représentations et a priori. Pour ce faire, une concertation avec l’équipe pluridisciplinaire est nécessaire afin de rendre l’accompagnement objectif.
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- Décret n°2005-223 du 11 mars 2005 relatif aux conditions d’organisation et de fonctionnement des services d’accompagnement à la vie sociale
- Loi n° 2002-2 du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale
- LOI n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, art. 2
- Référentiel professionnel de l’éducateur spécialisé disponible à l’URL http://cache.media.education.gouv.fr/file/Education_specialisee/45/2/Referentiel_professionnel_DEES_546452.pdf
Cours
- Cours sur la classification des handicaps, Orianne Dupuy.
Mémoires
- CAMBON, Laurent, L’éducateur spécialisé à travers ses discours : une question d’identité, THESE pour obtenir le grade de DOCTEUR DE L’UNIVERSITE DE HAUTE BRETAGNE, Discipline Sciences du langage, Université de Rennes 2, 2006, p.188
- VEQUAUD Aurélia, La place de l’éducateur dans la relation parent-enfant, Mémoire de fin d’études d’Educatrice Spécialisée, IEPSCF Tournai, 2007.
- MAFFIOLO Daniel, Fragments éducatifs du bas de l’immeuble : Recherche qualitative sur les lieux et pratiques de la prévention spécialisée dans une cité HLM classée ZUS, Mémoire pour le Diplôme d’Etat d’Educateur Spécialisé, IMF – Institut Méditerranéen de Formation et de Recherche en Travail Social, Marseille, 2006, p. 292.
Webographie
- CHAPIREAU François « Le handicap psychique : la construction sociale d’un nouveau trouble spécifiquement français »,Socio-logos [En ligne], mis en ligne le 17 avril 2014, consulté le 28 janvier 2017. URL : http://socio-logos.revues.org/2824
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Annexes
Liste des acronymes
- ANESM : Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux
- ASM13 : Association santé mentale
- CIF : Classification Internationale du Fonctionnement, du handicap et de la santé
- CIH : Classification Internationale des Handicaps
- ESAT : Etablissements et Services d’Aide par le Travail
- FNAP-Psy : Fédération des associations de patients et ex-patients de psychiatrie
- MDPH : Maison départementale des personnes handicapées
- OMS : Organisation Mondiale de la Santé
- SAVS : Services d’Accompagnement à la Vie Sociale
- UNAFAM : Union nationale des associations de familles et d’amis des malades mentaux
- UNAPEI : Union nationale des associations de parents d’enfants inadaptés
Résumé
En SAVS, la loi de 2002 a confirmé l’obligation d’un projet individualisé dans l’accompagnement des usagers. Ce dernier doit faire sens pour ces derniers. Il est élaboré en co-construction avec chacun d’entre eux et doit se baser sur leurs attentes et besoins. Véritable outil de référence pour l’éducateur, il est porteur de sens de l’accompagnement auprès de l’usager. La temporalité en est une dimension importante. Il faudrait pouvoir modifier le projet dans le temps en fonction de l’évolution des besoins et souhaits des usagers pour que la co-construction du projet soit possible, il faut que la personne accepte de nous livrer ces besoins. L’éducateur a donc pour rôle de favoriser cette transmission et cette expression des besoins chez l’usager en lui donnant la place qu’il mérite : celle de premier acteur de sa vie. Une fois qu’il devient l’acteur primordial de sa propre vie, il peut trouver sa place dans la société. Mais les normes sociales étant souvent différentes de ses attentes, comment puis-je, en ma qualité d’éducateur spécialisé, lui proposer un accompagnement de qualité basé sur ses désirs tout en lui permettant de trouver sa place dans la société ? Puisque je suis employé par le SAVS, je dois donc tenir compte des normes qui le régissent en même temps que des normes sociales et des attentes des usagers. Comment puis-je y parvenir ?
Tout au long de ce travail, j’ai émis l’hypothèse selon laquelle l’éducateur spécialisé, pour entrer dans une relation d’aide signifiante, doit tenir compte des missions du SAVS qui l’emploie, et donc aux normes sociales, tout en considérant la singularité de chacun de ses usagers. Le projet individualisé peut être utilisé par ce professionnel comme outil de médiation entre ces différentes attentes.
[1]Décret n°2005-223 du 11 mars 2005 relatif aux conditions d’organisation et de fonctionnement des services d’accompagnement à la vie sociale
[2]Ibid.
[3] Ibid.
[4] Extrait de la Loi de 2005
[5]Projet de service du SAVS 2016/2021
[6] Ibid.
[7]ZRIBI Gérard, SARFATY Jacques, Handicapés mentaux et psychiques vers de nouveaux droits, Rennes, Edition Ecole Nationale de la Santé Publique, 2003, p. 10.
[8] Ibid.
[9]http://www.mdph.fr/index.php?option=com_glossary&id=213
[10]Cours sur la classification des handicaps, Orianne Dupuy.
[11]BARRAL Catherine., « La Classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé : un nouveau regard pour les praticiens », Contraste N° 27, ERES, 2007, p. 231-246.
[12] LOI n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, art. 2
[13] CHAPIREAU François « Le handicap psychique : la construction sociale d’un nouveau trouble spécifiquement français », Socio-logos [En ligne], mis en ligne le 17 avril 2014, consulté le 28 janvier 2017. URL : http://socio-logos.revues.org/2824
[14] Ibid.
[15] DURKHEIM Emile., L’Éducation morale, Paris, Puf, 1925.
[16] CLAIR Isabelle., « Normes », dans Paugam Serge (dir.), Les 100 mots de la sociologie, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Que Sais-Je ? », 2010, pp. 83-84.
[17] PHILIPPE Robert et BAILLEAU Francis., « Normes, déviances, réactions sociales sous le regard de jeunes sociologues français », Déviance et Société vol. 29, Edition Médecine & Hygiène, 2005, pp. 99-101
[18]L’influence de la période pétainiste sur l’éducation spécialisée, où l’on attendait de cette fameuse spécialisation éducative une capacité à trier les usagers (l’on parlait de centres de triage), à proposer des lieux de vie extrêmement sévères qui puissent favoriser l’apprentissage de la norme et un retour à la normalité par l’endurance et la rigueur militaire.
CAMBON, Laurent, L’éducateur spécialisé à travers ses discours : une question d’identité, THESE pour obtenir le grade de DOCTEUR DE L’UNIVERSITE DE HAUTE BRETAGNE, Discipline Sciences du langage, Université de Rennes 2, 2006, p.188
[19] VEQUAUD Aurélia, La place de l’éducateur dans la relation parent-enfant, Mémoire de fin d’études d’Educatrice Spécialisée, IEPSCF Tournai, 2007.
[20] Référentiel professionnel de l’éducateur spécialisé disponible à l’URL http://cache.media.education.gouv.fr/file/Education_specialisee/45/2/Referentiel_professionnel_DEES_546452.pdf
[21]Laurent Cambon, op. cit. p. 31
[22] Id., p. 156
[23] MUEL-DREYFUS Francine, Le métier d’éducateur, Editions de Minuit, Paris, 1983, p. 228.
[24]DEVOLDERE Regis, GOHET Patrick, SAVY Jean, COVIN-LEROUX Véronique, FAURE Alain, CORRE Nicole, CHABROLLE Marie-Noëlle, JAN Françoise, BREITENBACH Nancy et KEMPENEERS-FOULON Thérèse, La personne handicapée mentale acteur de sa propre vie, Réadaptation, n° 480, 2001/05, pages 11-48.
[25]http://www.mdph.fr/index.php?option=com_content&view=article&id=106:loi-du-2-janvier-2002&catid=49:que-dit-la-loi-&Itemid=74
[26]http://www.mdph.fr/index.php?option=com_content&view=article&id=106:loi-du-2-janvier-2002&catid=49:que-dit-la-loi-&Itemid=74
[27] GABERAN Philippe, Cent mots pour être éducateur, ERES, 2014, p. 52
[28]LE COADIC Ronan., « L’autonomie, illusion ou projet de société ? », Cahiers internationaux de sociologie n° 121, Presses Universitaires de France, 2006, p. 317-340.
[29]ROUZEL Joseph, Le travail de l’éducateur spécialisé, Editions Dunod, Paris, 2000, p. 98.
[30]PAUL Maela, L’accompagnement : une posture professionnelle spécifique, L’Harmattan, Paris, 2004, p.8
[31]PAUL Maela, « L’accompagnement dans le champ professionnel », Savoirs n° 20, L’Harmattan, Paris, 2009, pp. 11-63.
[32] Ibid.
[33]CAPUL Maurice et LEMAY Michel, De l’éducation spécialisé, Ramonville, Eres, 2005, p 125.
[34]ROUZEL Joseph, op cit., p 27
[35]ROGERS Carl, « Les caractéristiques des relations d’aide », Le développement de la personne, Edition Dunod, 1998
[36]AGENCE NATIONALE DE L’EVALUATION ET DE LA QUALITE DES ETABLISSEMENTS ET SERVICES SOCIAUX ET MEDICO-SOCIAUX (ANESM), Repères concernant la notion de projet, Document de travail, 2009, p. 1.
[37]Ibid.
[38]BOUTINET Jean-Pierre, Anthropologie du projet, Paris : PUF, 1990, p. 64
[39] ANESM, op. cit., p. 6
[40] Ibid.
[41] ANESM, Élaboration, rédaction et animation du projet d’établissement ou de service, Recommandations de bonnes Pratiques Professionnelles, Synthèse, janvier 2012, p. 1.
[42] La loi n° 2002-2 du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale, article 8 : « Un contrat de séjour est conclu, ou un document individuel de prise en charge est élaboré, avec la participation de la personne accueillie ou de son représentant légal. Ce contrat ou document définit les objectifs et la nature de la prise en charge ou de l’accompagnement dans le respect des principes déontologiques et éthiques, des recommandations de bonnes pratiques professionnelles et du projet d’établissement. Il détaille la liste et la nature des prestations offertes ainsi que leur coût prévisionnel. »
[43] http://www.lien-social.com/Personnaliser-les-prestations-dans-les-etablissements
[44] https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000215460&categorieLien=id
[45] DUFAYE Lionel et GOURNAY Lucie, L’altérité dans les théories de l’énonciation, Paris, Ophrys, 2010, 193 pages.
[46] Ces auteurs ont étudié les fonctions de l’altérité dans des situations d’énonciation, c’est-à-dire en étudiant sa valeur dans des langues dont la morphologie et la syntaxe fonctionnent différemment (l’anglais, le français, le russe…) afin de faire ressortir toutes ses valeurs.
[47] YIGBÉ Dotsè, Fetichsimus als Alterität : am Beispiel kolonialer Literaturüber Togo : Richard Küas, Felix Couchoround David Ananou, Frankfurt am Main, IKO-VerlagfürInterkulturelleKommunikation, 1997, p. 1
[48] OLOUKPONA-YINNON Adjaï Paulinn, Altérité : une « théorie de récupération », Ethiopiques n° 74. Littérature, philosophie et art, 1er semestre 2005. Altérité et diversité culturelle ?, disponible sur http://ethiopiques.refer.sn/spip.php?article265
[49]GABERAN Philippe, La relation éducative, un outil professionnel pour un projet humaniste, Toulouse, ERES, 2005, p. 69
[50]MUCHIELLI Alex, La psychologie sociale, Hachette, Série les fondamentaux, 1994.
[51]GABERAN Philippe, op. cit., p. 139
[52] MAUREL Elisabeth, « De l’observation à la typologie des emplois sociaux » dans Les mutations du travail social sous la direction de Jean-Noël CHOPART, Dunod, Paris, 2000, page 37.
[53] AUTES Michel, « Les métamorphoses du travail social », dans Les mutations du travail social, sous la direction de
Jean-Noël CHOPART, Dunod, Paris, 2000, page 263.
[54] ABRIC Jean-Claude, Pratiques sociales et représentations, Paris, PUF, 1994, p. 19
[55] ROUZEL Joseph, Le travail de l’éducateur spécialisé, op. cit., p. 31.
[56] Ibid., p. 166
[57] MOREL Alain, COUTERON Jean Pierre, Les conduites addictives, Ed Dunod, 2008, p. 31
[58] THIART Myriam Germain, Se former à l’entretien, Chronique sociale, Lyon, 2001, p. 14
[59] MAFFIOLO Daniel, Fragments éducatifs du bas de l’immeuble : Recherche qualitative sur les lieux et pratiques de la prévention spécialisée dans une cité HLM classée ZUS, Mémoire pour le Diplôme d’Etat d’Educateur Spécialisé, IMF – Institut Méditerranéen de Formation et de Recherche en Travail Social, Marseille, 2006, p. 292.
[60] Ibid., p. 97
[61] CAMBON Laurent, op. cit., p. 80
[62] LEMAY Michel, CAPUL Maurice, De l’éducation spécialisée, Erès, Ramonville Saint Agne, 1996, p. 206.
[63] BERTHOZ Alain et JORLAND Gérard, L’empathie, Paris, Editions Odile Jacob, 2004, p. 7
[64] Ibid.
[65] BOUTINET Jean-Pierre, Anthropologie du projet, Paris, Editions PUF, 1990, p. 235
[66] CAPUL Maurice, LEMAY Michel, De l’éducation spécialisée, Ramonville, Eres, 2005, p. 126
[67] ROUZEL Joseph, Le travail de l’éducateur spécialisé, Editions Dunod, Paris, 2000, p. 152
[68] CAMBON Laurent, op. cit., pp. 283-284.
[69] BRACHET Philippe, Partenariat et services publics, l’Association des directeurs de bibliothèques départementales de prêt, 2006.
Comme début, cela fait un peu rêche
Comme dit plus haut. Certes, il y a un brin de réflexion, mais tu plaques et affirmes des choses trop rapidement.
Je commente sans avoir tout lu de ce 1. J’estime que si tu fais une présentation de l’institution pour juste faire une présentation, ça ne sert à rien. L’idéal serait que tu parles de l’institution et de son fonctionnement en faisant le lien avec ce que tu veux dire dans ton mémoire, là où tu veux aller.
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