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Comment se structurent les dettes dans les LBO européens et quelles en sont les principales conséquences ?

Thème : L’origine des différentes structures de dettes dans les LBO Européens et leurs conséquences.

 

Problématique : Comment se structurent les dettes dans les LBO européens et quelles en sont les principales conséquences ?

 

Plan

 

Introduction

Partie 1.      Cadre théorique sur les dettes dans les LBO

Chapitre 1. LBO : Généralités et enjeux

1.1. Fonctionnement des LBO

1.1. LBO dans les théories financières

1.2. Les enjeux du LBO

1.2.1. Les avantages/motivations liés au LBO

1.2.2. Les risques liés au LBO

Chapitre 2. Les principaux acteurs et les dettes du LBO

2.1. Les principaux acteurs

2.1.1. Les acteurs

2.1.2. Comportements et psychologie des acteurs dans les étapes de la transmission

2.2. Sources de financement des LBO

2.2.1. Dette senior

2.2.2. Dette junior

2.2.3. Titrisation

2.2.4. Autres financements

2.1. Le marché de LBO

Partie 2.      Partie empirique

Chapitre 3. Méthodologie

3.1. Contexte de l’étude empirique, rappel de la problématique, et hypothèses de recherche

3.2. Cadre méthodologique

Chapitre 4. Présentation et analyse des résultats

4.1. Présentation générale des données

4.2. Les variables revenus, EBITDA et VE sont-elles influencées par les opérations de LBO et les dettes ?

4.3. Structuration des dettes LBO

4.4. Les attentes et/ou exigences des investisseurs

Chapitre 5. Discussion et synthèse

Conclusion

Bibliographie

 

 

Introduction

 

La littérature scientifique commence à s’intéresser vivement au phénomène « d’achat avec effet de levier » ou « leverage buy-out » (LBO). Ce type de placement financier (puisque de cela qu’il s’agit in fine) constitue de temps en temps un sujet de débat, notamment entre les investisseurs financiers et les défenseurs des intérêts des salariés. Pour les premiers, le LBO devrait être compris comme une opportunité à saisir pour accroitre la performance de l’entreprise sous-jacente (dite entreprise cible), surtout pour le cas des sociétés en difficulté et ayant besoin d’être recentrées sur leurs principaux métiers. Pour les seconds, dont les syndicats des travailleurs, le LBO favoriserait la financiarisation de l’entreprise et de l’économie, c’est-à-dire détournant l’attention des dirigeants et propriétaires de l’entreprise des véritables problématiques de cette dernière pour se concentrer sur les seuls profits des actionnaires.

 

Ce débat appelle à considérer une composante centrale (indispensable même si non nécessairement suffisante) du LBO qui est pourtant encore peu étudiée dans la littérature : la dette. En effet, celle-ci constitue même l’essence et la raison d’être des achats à effet de levier : pour les périodes précédant la crise des subprimes, il semble que de nombreuses opérations de LBO ont fonctionné avec une large part pour la dette dans le financement de ces opérations.

 

Tout cela génère un certain nombre de questionnements qui méritent de retenir l’attention des chercheurs dans ce domaine. D’abord, d’où proviennent ces masses d’argent prêtées pour financer les opérations de LBO ? Il faut reconnaitre que les coûts de dette (qui influencent, non pas seulement ces opérations de LBO, mais également les entreprises cibles) ne sont pas les mêmes pour différents types de prêteurs. Ensuite, comment se structure les différentes composantes de ces dettes LBO ? Désormais, il faut comprendre que la dette LBO comporte plusieurs strates catégorisées suivant les prêteurs, les risques, et les taux d’intérêts. Plus important encore, cette structuration a-t-elle une influence significative sur les opérations de LBO et sur les entreprises cibles ?

 

Pour ce dernier questionnement, une indice à exploiter concerne la performance de l’entreprise, prise comme indicateur par les différents acteurs du LBO. Il faut admettre que la réalisation même du LBO devrait impacter sur la vie de l’entreprise cible, du moins du point de vue théorique. Mais, qu’en est-il de la configuration des différentes strates composant la dette, du moins en considérant cette dernière comme étant à la fois une ressource et une charge pour l’entreprise ?

 

C’est dans cette perspective de recherche, basée notamment sur ces quelques questionnements que la présente étude se propose de se focaliser sur la problématique suivante : « Comment se structurent les dettes dans les LBO européens et quelles en sont les principales conséquences ? ». Afin de répondre à cette question centrale, le présent document se décompose en deux grandes parties, correspondant aux deux principaux niveaux de ce travail de recherche :

 

  • Dans la première partie, il s’agit de définir les concepts centraux de l’étude, notamment celui de LBO et de dette (LBO). Cela implique donc d’appréhender, à travers la littérature, les implications de la dette dans les opérations de LBO.

 

  • Dans la seconde partie, il est question de répondre empiriquement cette problématique, en tenant compte les réalités sur le marché des LBO européens.

 

Partie 1.     Cadre théorique sur les dettes dans les LBO

 

Dans un premier temps, il convient de se concentrer sur les éléments théoriques relatifs à la problématique de la présente étude. Ce qui implique de s’intéresser aux fondamentaux et aux enjeux des opérations de LBO, d’une part, et aux impacts de ces opérations (notamment le fort développement du marché de ces dernières) mettant en jeu un montant considérable de dette pour leur financement sur les acteurs en présence, sur les entreprises cibles, et sur le marché du LBO.

 

Chapitre 1. LBO : Généralités et enjeux

 

Ce premier chapitre se focalise sur le concept clé, c’est-à-dire sur la mécanique du LBO, certaines implications théoriques de ce dernier, et les grands enjeux de son utilisation comme moyen d’acquisition d’entreprise. Parler de ces enjeux revient à discuter des conséquences plus ou moins directes du LBO à propos, d’une part, des avantages que celui-ci présente pour les parties prenantes et des principales motivations de recourir à cette technique et, d’autre part, des risques de son utilisation et des critiques émises à son encontre.

 

1.1. Fonctionnement des LBO

 

« Le rachat de l’entreprise par effet de levier, ou Leveraged Buy-Out en anglais (LBO), est l’acquisition du contrôle d’une société par un ou plusieurs fonds d’investissement spécialisés, financée majoritairement par endettement » (Quiry & Le Fur, 2016, p. 1015). Il faut se rappeler que l’effet de levier est une manière permettant à l’entreprise de financer ses activités, notamment à partir d’un fort endettement (à côté de l’achat d’actifs longs et de produits dérivés) ; dans ce dernier cas de figure (endettement), il est fait notion d’effet de levier « de la dette » qui est confondu même avec le montant de la dette détenue par l’entreprise dans son portefeuille de dette et de capital-actions[1]. Même pour ce cas, il y a lieu de préciser que les techniques possibles sont nombreuses : « les modèles sont nombreux, variés, souvent réducteurs » (Thibierge & Thomas, 1997, p. 4).

 

Un élément spécifique intéressant (du moins pour la présente étude) de l’effet de levier réside dans son mécanisme qui se résume en deux propositions, expliqué par Thibierge et Thomas (1997) :

 

  • D’une part, « la rentabilité des fonds propres est accrue par un recours à l’endettement financier si et seulement si la rentabilité des actifs est supérieure au coût des dettes »(p. 5) ; et

 

  • D’autre part, « cette augmentation de rentabilité a pour contrepartie une augmentation du risque financier de l’entreprise, qui croît avec le niveau des dettes de l’entreprise » (ibid.).

 

En d’autres termes, l’effet de levier est une technique qui consiste à multiplier à la fois les profits potentiels et les pertes potentielles. Le LBO est ainsi une variante spécifique de cette technique. Quiry et Le Fur (2016) décrivent d’une manière simple celui-ci qui est constitué d’une société holding (une NewCo ou HoldCo ayant donc pour vocation exclusive la détention de titres financiers), cette dernière s’endettant afin d’acquérir une autre société dite « cible ». « La société holding payera les intérêts de sa dette et remboursera le principal à partir des excédents de trésorerie dégagés par la société rachetée et par le produit de la revente de celle-ci » (Quiry & Le Fur, 2016, p. 1015). Le holding de reprise supporte les emprunts accordés par les banques, le reste (généralement minoritaire, moins de la moitié, voire très en dessous de 30%) représente les apports des racheteurs qui tentent de mettre la main sur la société cible.

 

A noter qu’il existe deux principaux types de LBO auxquels (Gruselin, 2007) il peut être ajouté deux autres types spécifiques complémentaires (Quiry & Le Fur, 2016) :

 

  • Le Management buy out ou MBO avec lequel la cible est rachetée par sa propre équipe de direction, voire par les cadres de celle-ci. Il peut s’agir aussi d’un rachat de la société par ses salariés ;

 

  • Le Management buy in ou MBI par lequel des dirigeants d’autres sociétés (donc extérieure à la société cible) veulent reprendre la cible avec comme mesure prise de renouveler toute l’équipe du management de cette société. Une combinaison d’un buy in et d’un management buy out (BIMBO) est aussi possible.

 

  • Le Build-up quand un LBO opère à des acquisitions d’autres entreprises appartenant à son secteur en vue de la création d’une synergie industrielle, à condition que c’est la dette qui finance substantiellement ces acquisitions.

 

  • L’Owner buy out tout simplement dans le cas du rachat des autres actions (minoritaires) par l’actionnaire principal.

 

Thibierge et Thomas (1997) offrent l’exemple illustratif (réel) de la comptabilisation du LBO concernant la cession de l’hôtel B&B, en 2016, à PAI pour une valeur de 823 000 euros (cf. Figure 1 – Exemple illustratif de la comptabilisation d’un LBO). Cet exemple montre que les actifs exploités restent les mêmes avec l’opération de LBO, c’est seulement la structure financière du groupe (formé de l’hôtel et du holding) qui se voit ainsi modifiée de manière à ce que les capitaux propres consolidés connaissent une diminution substantielle (avec un désengagement d’une grande partie, voire de la totalité, des anciens actionnaires). D’où, il est constaté que « un LBO est une opération de destruction souvent massive de capitaux propres » (Quiry & Le Fur, 2016, p. 1016).

 

Figure 1 – Exemple illustratif de la comptabilisation d’un LBO

Source : Quiry et Le Fur (2016)

 

Désormais, la dette contractée pour le financement du rachat est remboursée progressivement par la société cible sous forme de dividendes qu’elle verse alors à la société holding qui est dûment porteuse de ladite dette. Il faut noter que ces dividendes sont déductibles fiscalement au titre du paiement des intérêts de la dette (Goutard, 2007). Il est possible donc de parler de levier fiscal qui fait partie dorénavant intrinsèque à la structure du LBO. En d’autres mots, une conséquence qu’il convient d’évoquer concernant la mécanique du LBO est que cette dernière permet aussi un second effet de levier : « le financement par endettement implique que les charges d’intérêts dues aux banques viennent diminuer le résultat avant impôt du groupe formé par l’entité acquise et le holding » (Gruselin, 2007, p. 1).

 

En termes de sorties possibles du montage (la finalité du rachat du point de vue des repreneurs), celles-ci sont multiples (Quiry & Le Fur, 2016) :

 

  • La cession (revente) de la cible à un exploitant industriel. Désormais, cette société n’a vraisemblablement pas auparavant attiré les industriels, ce qui aurait permis plus facilement à des investisseurs financiers de saisir l’opportunité d’acquérir celle-ci. Après, le LBO, la situation devrait être tout autrement pour que ces industriels soient alors intéressés par la cible grâce aux nouvelles conditions du marché et/ou au nouveau profil de la celle-ci. C’est par exemple le cas de la cession de Sandro Maje Claudie Pierlot en 2016 au groupe chinois Shandong Ruyi par KKR.

 

  • L’introduction en bourse, ce qui oblige alors de franchir plusieurs étapes (notamment au niveau réglementaire), d’autant plus que cette option de sortie « ne permet pas d’obtenir une prime de contrôle [puisque] au contraire, elle pâtit de décotes, d’abord d’introduction en Bourse puis de placement» (Quiry & Le Fur, 2016, p. 1019). Cela réduit donc la motivation pour cette option (cf. Figure 2 – Sortie des LBO britanniques depuis 1995). En revanche, l’équipe dirigeante de la société cible pourrait pencher davantage pour une introduction en bourse plutôt que de procéder à une cession à un industriel concurrent. Un exemple pouvant être cité est l’introduction en Bourse de Maisons du Monde en 2016 par Bain Capital.

 

  • La cession de la cible à un autre fonds de LBO qui met donc en œuvre un nouveau montage de LBO. Il s’agit alors d’un LBO dit « secondaire » (puis, éventuellement pour d’autres séries de LBO « tertiaire », « quaternaire », etc.). C’est le cas de l’exemple de B&B de l’exemple de la Figure 1 (Exemple illustratif de la comptabilisation d’un LBO).

 

  • Le leverage recap qui consiste à une « ré-endettement » après quelques années de détention de l’actif cible, ce qui ne représente qu’une sortie « partielle » des capitaux propres investis initialement (le fonds restant actionnaire de la cible), contribuant ainsi à l’accroissement de la performance de l’entreprise via une amélioration de sa productivité. La fermeture du marché de la dette de LBO en 2008 a fait disparaitre temporairement ce type de sortie, et il a fallu attendre l’année 2013 pour le voir réapparaitre (en citant l’exemple de Verallia en juin 2016).

 

  • La prise de contrôle par les créanciers de l’entreprise cible lorsqu’ils considèrent que les dettes du LBO sont trop élevées malgré que cette société leur apparaisse opérationnellement viable. Ils décident alors de transformer une partie de leurs créances (envers la société) en capitaux propres en se mettant d’accord avec les actionnaires ne voulant pas rembourser (ces derniers en seront donc dilués par cette occasion) pour éviter la faillite. Parmi les exemples pouvant être évoqués, il est possible de citer les cas de Frans Bonhomme, Terreal, Solocal, etc.

 

  • La faillite quand la cible n’arrive plus à verser des dividendes suffisants à la société holding pour que celle-ci puisse honorer les échéances des dettes contractées, dans le cas où les actionnaires et les créanciers de la société cible ne trouve pas un compromis à propos d’un plan de recapitalisation ainsi que d’une renégociation des modalités des dettes (en termes de durée, de montant, de taux et de covenants). Un exemple emblématique de cette option de sortie est le cas d’Energy Future TXU, un des plus gros de l’histoire du LBO, une société faisant faillite en 2014. Néanmoins, le recours à cette option est relativement rare puisque les créanciers sont généralement motivés à trouver un compromis (abandon ou rééchelonnement des créances), ils ne pouvant pas profiter de garanties sur les actifs de la société cible tant que leurs créances sont toujours portées sur le holding.

 

Figure 2 – Sortie des LBO britanniques depuis 1995

Source : Quiry et Le Fur (2016)

 

Au vu de la finalité de revente dans l’espoir de faire du bénéfice consistant, la durée du remboursement est en fonction de la vitesse à laquelle la performance de la cible est améliorée ainsi que de la capacité du fonds à recéder l’entreprise à d’autres repreneurs. « La plupart du temps, ces emprunts sont remboursés dans les sept ans qui suivent l’acquisition, grâce aux dividendes reversées au holding. Et les titres acquis servent de garants » (Gruselin, 2007, p. 1). En général, le fonds (à travers le holding) espère un retour sur capitaux propres d’environ 20% à 30% annuellement. Tout cela explique la durée de vie limitée du LBO lui-même (Bancel, 2009).

 

D’autres conséquences tangibles et largement significatives du LBO qui peuvent alors être citées sont :

 

  • D’abord, il y a l’obligation (ou l’auto-obligation) du management à maximiser le plus rapidement possible les profits de l’entreprise cible (maximisation des rentrées et minimisation des coûts). Ainsi, Goutard(2007) raconte l’exemple la première opération de LBO qu’il a réalisée avec Actaris (un leader mondial des compteurs de gaz, d’électricité, d’eau, une filiale de Schlumberger) qui, auparavant, était assez éloigné du cœur de son business. Cette société, achetée par LBO France pour une valeur de 300 millions d’euros en 2001 (dont les dettes représentaient 200 millions d’euros), a pu rembourser l’ensemble des dettes l’année suivante et a de nouveau été revendue en 2003 pour 370 millions d’euros, soit un gain de 3.7 fois l’investissement (les apports de 100 millions d’euros de LBO France).

 

  • « Dès lors, l’investissement est souvent la première victime de ces stratégies »(Gruselin, 2007).

 

  • Sur le plan social, le LBO occasionne nécessairement une rationalisation de l’organisation de la société, ce qui conduit le plus souvent à une réduction des effectifs.

 

En tout cas, ces conséquences évoquées méritent d’être discutées davantage un peu plus loin (cf. 1.3 Les enjeux du LBO). Mais, avant cela, il importe de faire un bref survol des théories financières qui touchent plus ou moins directement le LBO.

 

1.1. LBO dans les théories financières

 

Ce qui pourrait être un sujet de préoccupation en étudiant le LBO, c’est le comportement apparemment atypique des investisseurs financiers qui sont prêts à payer nettement plus cher une société cible par rapport à ce qu’un industriel pourrait offrir. En effet, ce dernier devrait être en mesure d’offrir encore mieux si l’on considère les synergies commerciales ou industrielles pouvant être mises en place grâce à l’acquisition de cette société. S’il est démontré que la très grande majorité des opérations de LBO réussisse, comment cela s’explique-t-il, et sur quel élément s’appuie la création de valeur ? Ce qui revient à s’interroger sur la raison de l’accroissement de la valeur de l’entreprise (entre la période avant et après l’opération de LBO).

 

Une première réponse légitimement avancée est la création de valeur à travers l’effet de levier permettant désormais une réduction conséquente de l’impôt payé. Mais, cette explication n’est pas vraiment satisfaisante : « certes, les marchés financiers ne sont pas toujours parfaits, mais la valeur actuelle de l’économie d’impôt permise par la nouvelle dette est déjà réduite par la valeur actuelle du coût de la faillite […] » (Quiry & Le Fur, 2016, p. 1028).

 

Une autre raison proposée se réfère à la mise en place d’une équipe dirigeante relativement plus dynamique (que l’équipe d’auparavant), donc responsable des gains de productivité, ce qui justifie le paiement de la prime (par les investisseurs financiers par rapport à ce que pourrait payer les industriels). Cependant, cette thèse se heurte au fait que, dans la majorité des cas, les managers des fonds de LBO privilégient le maintien de l’équipe dirigeante existante au sein de la cible, et celle-ci arrive bien à créer des valeurs autant (voire mieux) que toute autre. En effet, Goutard (2007) insiste que « un fonds déteste acheter une entreprise dans laquelle il faut changer l’équipe managériale. D’une part, vous travaillez avec les managers pour avoir un business plan crédible ; enfin, vous voulez compter sur des gens qui s’engagent et donc pratiquement, vous ne pouvez travailler qu’avec l’équipe en place » (p. 20).

 

Quiry et Le Fur (2016) soutiennent l’idée que « un endettement important permet aux actionnaires d’exercer un contrôle strict sur les dirigeants qui sont poussés à gérer au mieux l’entreprise dont ils deviennent systématiquement actionnaires directement ou potentiellement via des systèmes d’intéressement » (p. 1028). Cela dit, une conséquence intéressante du LBO c’est qu’il établit un cadre réduisant considérablement les coûts d’agence, ne pouvant alors que motiver la création de valeur. A rappeler que la théorie de l’agence de Jensen et Meckling (1976) est une représentation permettant d’appréhender le conflit entre les intérêts d’un principal (les actionnaires pour le cas de la présente étude) et de l’agent (les managers) dans un contrat où le premier engage le second pour réaliser un ensemble de tâches impliquant une délégation de décision à l’agent : d’une part, le principal (les actionnaires) veut faire rentabiliser au maximum son capital tandis que l’agent veut tirer profit de son action par l’utilisation de la part du capital. Les travaux de Bancel (2009) appuie aussi que « les fonds [de LBO] réconcilient dirigeants et actionnaires par le recours à une dette élevée et des systèmes d’incitation adaptés » (p. 255). Cela concorde avec les propos de Jensen (1989) qui stipulent que ces fonds règlent un problème majeur entre ces deux parties en réalignant leurs intérêts respectifs à travers des mécanismes d’incitation et de contrôle qui devrait avoir comme conséquence (attendue) une meilleure performance (au moins sur le plan théorique) de l’entreprise cible.

 

« Les dirigeants, particulièrement motivés puisqu’ils participent à la plus-value, mis sous tension par ailleurs par un endettement très lourd, vont gérer le plus efficacement possible l’entreprise, améliorer les flux et donc la valeur. C’est le bâton et la carotte ! » (Quiry & Le Fur, 2016, p. 1028). Autrement dit, les managers devraient être motivés (à atteindre les objectifs en termes de performance plus élevée de la société) par un partage de la plus-value de l’entreprise tout en risquant leur place (s’ils ne veulent pas coopérer pour l’atteinte de ces objectifs).

 

Ces éléments rentrent dorénavant dans ceux constituant des forts enjeux concernant le LBO, ce qui amène à discuter des conséquences de ce dernier pour les différentes parties engagées.

 

1.2. Les enjeux du LBO

 

En discutant des conséquences (directes ou non) du LBO, il est question de parler, d’une part, des avantages du LBO et des motivations des acteurs relatifs à cette technique ainsi que, d’autre part, des limites de son utilisation vis-à-vis des risques qu’il engendre incontestablement.

 

1.2.1. Les avantages/motivations liés au LBO

 

Principalement, les avantages relatifs au LBO ainsi que les motivations des acteurs engagés dans son opérationnalisation peuvent être appréhendés à travers le gain de performance attendue de l’entreprise cible et de rentabilité des fonds, notamment en faisant une analyse comparative avec d’autres opérations connexes d’acquisition d’entreprise.

 

Mais, tout d’abord, il convient de noter que l’évaluation de la société cible pour apprécier une éventuelle hausse (potentielle) de performance de celle-ci se fait surtout en utilisant L’EBIT (Earnings before interest and taxes – bénéfices avant paiement des intérêts et des impôts), ce qui peut correspondre approximativement au résultat d’exploitation. Cela offre une vue sur la capacité de la cible à générer des bénéfices à partir de ses propres activités. Néanmoins, Lie et Lie (2002) ont montré que le multiple de l’EBITDA (Earnings before interest, taxes, depreciation, and amortization – considérant en plus le paiement des amortissements) apparait plus pertinent dans la détermination de la valeur de la société cible que le multiple de l’EBIT. Pour le cas des firmes présentant des EBITDA négatifs (comme l’emploi des multiples est exclusivement réservé aux valeurs positives), ou encore dans le cas où il est prévu des compensations/avantages spécifiques pour les managers affectant les dépenses d’exploitation (l’EBITDA étant relativement plus sensible à ces ajustements par rapport au chiffre d’affaires), le multiple du chiffre d’affaires se présente comme indicateur nettement plus intéressant. Par ailleurs, les deux auteurs suggèrent une plus grande fiabilité des multiples se basant sur des indicateurs bilanciels plutôt que ceux sur la rentabilité boursière. Enfin, Lie et Lie (2002) précisent que la précision sur la valeur de la cible est plus importante avec des indicateurs s’appuyant sur des estimations futures que ceux basés sur des éléments historiques. Tout cela renforce l’idée que « la faisabilité d’un LBO est donc déterminée par sa capacité de remboursement des emprunts d’acquisition, grâce aux cash-flows futurs » (Gruselin, 2007, p. 1).

 

Il n’est alors pas étonnant qu’une énorme pression se pose sur le management pour qu’il se concentre sur l’essentiel, jusqu’à se débarrasser de tout accessoire qui pourrait ralentir la marche vers plus de productivité. L’exemple du LBO réalisé par LBO France sur Actaris est parlant à ce sujet qui, bien qu’ayant déjà enregistré des résultats antérieurement excellents (11%), la focalisation sur le core business de la société a permis à cette dernière de réaliser un cash-flow (avec un résultat de 13%) encore plus élevé « avec moins d’actifs immobilisés, et donc un meilleur rendement » (Goutard, 2007, p. 16).

 

Aussi, comme expliqué dans la section précédente, le LBO est proposé comme solution pour le problème d’agence entre actionnaires (principal) et management (agent). En effet, la motivation des dirigeants ne se réduit plus à la création de valeur actionnaire à laquelle ils ne participent pas, un objectif auquel ils risquent d’être peu regardants afin de réduire au minimum la contrainte financière en limitant tout recours à l’endettement et tout versement de dividende. Ce comportement des dirigeants s’accompagne généralement d’une tentative d’enracinement à travers un lissage des résultats et/ou une complexification de la gestion de manière à rendre difficile leur remplacement par d’autres. En fait, Jensen et Meckling (1976) ont montré que la création de valeur actionnariale faite par les managers dépend de la part qu’il détient dans le capital de l’entreprise, et le réalignement de leurs intérêts avec ceux des actionnaires (à travers le LBO) résout une bonne part de l’équation. De plus, Bancel (2009) remarque que, de manière générale, les fonds de LBO se portent actionnaires à 100% de la société cible et investissent dans celle-ci un montant substantiel de fonds propres afin de pouvoir mettre en place un système de contrôle et de surveillance efficace. De ce fait, le problème d’asymétrie d’information (au bénéfice des managers) évoqué dans la relation d’agence est sensiblement nuancé par une remontée d’information rapide vers les actionnaires de la cible.

 

Parmi les études réalisées démontrant une performance meilleure des entreprises sous LBO, la première en date est celle de Kaplan (1989) qui observe une amélioration substantielle du taux de résultat net par rapport au chiffre d’affaires (de 10% à 20%) ainsi qu’une hausse du taux de cash-flow libre par rapport au chiffre d’affaires (40%) sur une soixante-dizaine de LBO réalisés aux Etats-Unis de 1980 à 1986. S’ensuivent ensuite de nombreux autres travaux qui ont quelque peu confirmé l’existence de cette hausse de performance en général (cf. Tableau 1 – Récapitulatif de la revue de la littérature sur les impacts des LBO sur la cible en termes de performance).

 

Tableau 1 – Récapitulatif de la revue de la littérature sur les impacts des LBO sur la cible en termes de performance

Auteur, année de l’étude Pays, nature de la transaction Résultats post-transaction
Kaplan, 1989 Etats-Unis, Publique-privée Hausse de la marge opérationnelle de 10% à 20%, de la marge de trésorerie d’environ 40%. Baisse du ratio des dépenses d’investissement et des ventes. Fortes hausses des valeurs de l’entreprise.
Boucly et al., 2008 France, LBO Hausse de la rentabilité opérationnelle d’environ 6%. Très forte croissance des ventes, des actifs et de l’emploi.
Smith, 1990 Etats-Unis, MBO Augmentation soutenue et significative des flux de trésorerie d’exploitation par employé et par dollar d’actifs d’exploitation.
Lichtenberger et Siegel, 1990 Etats-Unis, LBO Fort effet positif sur la productivité totale des facteurs
Davis et al, 2009 Etats-Unis, LBO Croissance de la productivité de 2% (après 2 ans) par rapport à d’autres sociétés comparables.
Harris et al, 2005 Royaume-Uni, MBO Productivité moindre par rapport à des sociétés comparables avant le rachat, mais augmentation substantielle de la productivité totale des facteurs après le rachat
Bergstrom, 2007 Suède, LBO Amélioration de la performance opérationnelle en termes de marge d’EBITDA et de croissance des ventes
Cressy, Munari, Malipiero, 2007 Royaume-Uni, LBO Hausse de la rentabilité opérationnelle des rachats par des fonds privés de 4,5% par rapport à celle des sociétés sans rachat (trois premières années)
Acharya et Kehoe, 2008 Royaume-Uni, Publique-privée Plus forte rentabilité par salarié (11,6%) que les concurrents cotés (5,9%) en termes de croissance annuelle moyenne. Dans les industries en déclin, les entreprises soutenues par des fonds privés ont obtenu de meilleurs résultats que leurs équivalents publics
Gottschalg, 2007 Europe, LBO Surperformance comparée à des sociétés cotées comparables en termes de chiffre d’affaires, d’EBITDA et de croissance de la rentabilité (EBITDA / actifs)
Goossens, Manigart, et Meuleman, 2008 Belgique, Buyouts Croissance et efficacité similaires entre rachats non soutenus par des fonds privés et rachats par des fonds propres privés.
Guo et al, 2008 Etats-Unis, LBO Gains de performance d’exploitation comparables ou légèrement supérieurs à ceux observés pour des sociétés comparables non liées au rachat
Weir et al, 2007 Royaume-Uni, Publique-privée Modeste amélioration des marges d’exploitation

Source : Strömberg (2009)

 

Par ailleurs, il faut aussi noter certains impacts du LBO :

 

  • En termes de rentabilité « anormalement négative » du côté des fournisseurs des entreprises sous LBO, surtout pour les fournisseurs clés réalisant des investissements spécifiques(Brown, Fee, & Thomas, 2009). « Ceci validerait la thèse selon laquelle les entreprises sous LBO accroissent la pression sur les fournisseurs pour obtenir des concessions en matière de prix et ce faisant sont en capacité, au moins sur le court terme, de capter une part plus grande de la valeur » (Bancel, 2009, p. 247).

 

  • Au niveau de la politique de ressources humaines dans le sens où les entreprises sous LBO formeraient davantage leurs employés, ce qui influencerait à la hausse l’effectif et le niveau de salaire(Bancel, 2009). Kaplan et Stromberg (2009) affirment que les firmes sous LBO réaliseraient une gestion relativement plus efficace en matière de ressources humaines.

 

  • En matière d’innovation, bien que les entreprises cibles gardent un niveau de dépenses constant à propos des R&D, ces entreprises intensifient leurs efforts dans ce domaine (innovation) et développent davantage des produits nouveaux(Zahra, 1995).

 

D’ailleurs, en faisant une comparaison avec les opérations de fusions et acquisitions d’entreprises, Mnejja et al. (2012), confirment l’idée que « les acquéreurs financiers payent leurs acquisitions moins chères que les acquéreurs stratégiques » (p. 94). Ce paiement de prime (d’environ 17%, sur la base du multiple d’EBITDA) serait dû essentiellement au choix relativement plus large que disposent les fonds qui traitent de plus nombreux dossiers que les acquéreurs stratégiques. De plus, une entreprise cible fait souvent face à une enchère qui opposent plusieurs acquéreurs (notamment financiers) faisant alors grimper le prix d’acquisition. Aussi, les fonds de LBO sont surtout motivés par une perspective de revente à un prix plus élevé, ce qui les conduit à opter pour une stratégie de « Buy low, sell High » tandis que les acquéreurs stratégiques adoptent plutôt une position de « Buy and hold ». Autrement dit, si ces derniers veulent absolument réduire au minimum le prix d’acquisition, les acquéreurs financiers se focalisent sur les bénéfices potentiels du LBO.

 

En outre, le LBO pourrait apparaitre également plus attrayant que les stock-options sur certains points. En fait, l’évolution de ces dernières est relative au comportement très aléatoire du marché boursier, ce qui déconnecte (en quelque sorte) les résultats des opérations aux efforts entrepris en termes de management. De son côté, le LBO est extérieur à la bourse (en tant que private equity) : « il y a alors un lien direct entre la valeur de votre gestion, le résultat et l’incitation que vous retirez de ce résultat » (Goutard, 2007, p. 19). Enfin, le LBO a un horizon de sortie relativement court avec des conditions aléatoires nettement moins prononcées, les règles du jeu en sont connues d’avance et plus claires.

 

Tout de même, en tant que technique se basant sur l’effet de levier, le LBO est aussi confronté à un niveau de risque proportionnel notamment au niveau de la dette.

 

1.2.2. Les risques liés au LBO

 

La sous-capitalisation structurelle des entreprises en LBO, du fait de substitution des capitaux propres par la dette « les rend particulièrement sensibles aux retournements de conjoncture ainsi qu’à la hausse des taux d’intérêt » (Gruselin, 2007, p. 2). Sur ce plan, Goutard (2007) souligne que la récession constitue le premier risque qu’encourt le LBO, ce dernier met en jeu des multiples de dix fois le cash-flow libre, et les intérêts des dettes pourraient donc ne plus être servies. Désormais, le risque d’échecs se situerait entre 4% et 5% pour ce genre d’opération. Pour un LBO, ce risque est également proportionnel au prix des offres émanant des acquéreurs potentiels.

 

Il faut également comprendre que l’industrie des fonds de LBO est cyclique, ayant connu depuis trois décennies jusqu’en 2008-2009 plusieurs grandes crises (fin des années 1980, début des années 90. Le cycle débute par une phase de forte expansion, permettant de vendre à prix élevés les entreprises cibles (en considération des multiples d’EBITDA ou des résultats d’exploitation élevés). Durant cette période faste, « les bons et les mauvais projets sont financés du fait du manque de discernement des investisseurs qui ne mettent pas en place des systèmes d’évaluation des risques efficaces » (Bancel, 2009, p. 249). Cette phase est ensuite suivie d’un retournement de la conjoncture affaiblissant ces entreprises, et réduisant alors leur performance qui n’est plus à la hauteur du remboursement de la dette. Au cours de cette période de récession, l’accès même au financement devient difficile à cause de l’aversion au risque des investisseurs. « Ce serait ainsi dans les périodes de récession que les fonds seraient en mesure de réaliser les opérations les plus rentables […], c’est-à-dire dans des périodes où seuls les très bons projets sont finançables et ou les fonds ne sélectionnent que les « bons » projets » (Ibid.).

 

Pour ce qui concerne plus particulièrement la crise des LBO aux Etats-Unis à la fin des années 1980, Kaplan et Stein (1993) en identifient quelques causes majeures, à savoir : une surévaluation des sociétés cibles, un excessif levier financier relativement à la performance de la cible à générer du cash-flow, des opérations dans des secteurs assez risqués, une aisance dans l’accès au financement (surtout via « junk bonds »), une forte captation des rentes en amont du processus du LBO par les managers des fonds et les conseils.

 

Il faut aussi parler du risque de constitution d’une bulle sur le marché financier : « Les sociétés de gestion prennent de plus en plus de risques, on paye de plus en plus cher et cela peut être un facteur de bulle » (Goutard, 2007, p. 19). De 2005 à 2007, une période pouvant être qualifiée d’expansion, une bulle spéculative s’est formée sur le marché des fusions et acquisitions. Les transactions ont alors été réalisées à des prix extrêmement élevés du fait d’une concurrence intense entre les différents fonds en présence et avec les industriels. Il en résulte alors l’augementation « mécanique » de la rentabilité attribuée aux projets de LBO, mais également une hausse proportionnelle des risques en contrepartie. Il y a aussi un risque plus grave qui en découle dès lors que la cession de la cible ne suffit plus à satisfaire les créanciers de la dette LBO, ce qui occasionne inévitablement des restructurations (Bancel, 2009).

 

Une grande partie des responsabilités de cette crise est, d’ailleurs, imputable aux banques qui n’ont pas été assez vigilantes, ces dernières se sont trop concentrées sur les « grosses » commissions d’arrangement qui coulaient sur le marché secondaire de la dette, sans que ces banques (pressées par une forte concurrence entre elles) ne prennent le temps de mettre cette dette dans leurs bilans. « Fonds et banques ont oublié que le LBO est un outil qui certes peut s’avérer utile pour dynamiser une entreprise mais qui n’a pas vocation à concerner toutes les firmes, à tous les stades de leur développement » (Bancel, 2009, p. 250).

 

Avant de conclure, il ne faut pas oublier les critiques (sur un ton de « moralité ») à propos du LBO qui est pointé du doigt comme un outil de « financiarisation » des sociétés. Désormais, le niveau d’endettement de ces entreprises cibles ne cesse de croitre au fil des séries d’opérations de LBO tandis que les taux d’apports en capitaux propres sont en réduction (Goutard, 2007). Certaines craintes ont été émises, d’une part concernant ce que les syndicats désignent comme « court-termisme » des fonds et, d’autre part, ce que les patrons qualifient « d’opérations insensées » (Gruselin, 2007). Par ailleurs, il est fait mention d’un enrichissement colossal des dirigeants et, parallèlement, des opérations de restructurations et de licenciements étouffent le personnel et le syndicat. Cependant, la perspective de revente de la cible post-LBO nuance l’accusation selon laquelle le LBO néglige les investissements, le long terme et la recherche et innovation. En effet, à la sortie du LBO, le fonds a intérêt à mettre sur le marché un produit (l’entreprise cible) attrayant pour les investisseurs, présentant les atouts recherchés par ceux-ci. Goutard (2007) affirme même que, même après une série de rachats, « les sociétés de LBO sont donc capables de virages stratégiques et peuvent être de réels vecteurs de croissance et d’accompagnement du management » (p. 17). Pour les syndicats et les salariés, ceux-ci retrouvent vite une toute autre représentation (positivée) du LBO lorsque celui-ci s’accompagne de mesures visant « une amélioration des salaires et des primes d’encadrement comme de l’ensemble du personnel, résultant d’une meilleure gestion » (Ibid., p. 18).

 

 

En somme, le LBO est un moyen permettant aux investisseurs financiers de mettre la main sur une entreprise en bouleversant tous les éléments de cette dernière afin d’hausser sa performance, de sorte à pouvoir, d’une part, rembourser dans le moyen terme la dette d’acquisition et, d’autre part, générer une plus-value significative lors de la revente de la cible. Cela revient à dire que, dans le cadre d’un LBO, c’est la société cible elle-même qui finance sa propre acquisition. Parmi les éléments de réponse des grands acteurs du monde LBO face aux critiques émises à leur encontre figurent la large amélioration de la gestion de l’entreprise cible, la créativité et l’innovation renforcée au sein de cette entreprise, la possibilité pour les dirigeants de devenir propriétaire de la société, la valorisation des actifs qui sont mal exploités auparavant, la résolution des problèmes de transmission des entreprises familiales, etc. In fine, le LBO, malgré les risques proportionnellement encourus, offre une opportunité considérable à l’amélioration de la performance de l’entreprise cible. Par ailleurs, une particularité du LBO réside dans sa qualité de private equity, c’est-à-dire que, « par définition, vous ne pouvez pas avoir d’intervention des gouvernements » (Goutard, 2007, p. 21). Toutes les opérations reposent essentiellement sur les comportements des divers acteurs (privés) et des structures des dettes composant le financement de ces opérations (ce qui est l’objet du prochain chapitre de cette étude).

 

Chapitre 2. Les principaux acteurs et les dettes du LBO

 

Ce deuxième chapitre s’intéresse essentiellement aux implications des dettes intervenant dans le financement des opérations de LBO. Il s’agit alors d’analyser les effets (directs ou non) de ces dettes sur les opérations, les entreprises cibles, les principaux acteurs du monde LBO, et sur le marché (le prix, la régulation du marché, etc.) du LBO.

 

2.1. Les principaux acteurs

 

Dans cette section, il convient de distinguer dans un premier temps les acteurs majeurs de la scène LBO, avant se pencher, par la suite sur les comportements et psychologie de ces acteurs et (les impacts de ces comportements et psychologie) sur les opérations réalisées et plus particulièrement sur la société cible.

 

2.1.1. Les acteurs

 

Désormais, Quiry et Le Fur (2016) distinguent quelques acteurs de taille dans une opération de LBO :

 

  • Les cibles potentielles

 

Comme exposé dans le chapitre précédent (de la présente étude), celles-ci doivent revêtir certaines caractéristiques pour être éligibles en tant que telles. Ainsi, sur le plan théorique, une société cible se doit de dégager des flux de trésorerie stables et suffisants, au moins pour le moyen terme, au moins pour honorer dans de bonnes conditions la dette contractée par le holding. Du coup, l’entreprise cible ne doit pas nécessiter un besoin d’investissement trop élevé, susceptible d’absorber les capitaux propres et les cash-flows de celle-ci.

 

Dans ce sens, une société cible est imaginée comme déjà atteignant son stade de maturité (bien que les start-up trouvent aussi leur place sur le marché des LBO) et évoluant préférentiellement dans un secteur d’activité stable, sans trop de variation au niveau de la conjoncture. Il est important aussi de limiter autant que possible le risque industriel, cela est nécessaire du fait d’un risque financier important qui pèse déjà sur l’entreprise cible à travers l’effet de levier.

 

« Les cibles retenues évoluent donc dans des secteurs où les barrières à l’entrée sont importantes et où les risques de substitution sont faibles. Il s’agit souvent de secteurs de niche dans lesquels la cible dispose d’une part de marché confortable ou de plus grosses entreprises bénéficiant de positions de marché confortables (comme TDF ou Siaci) » (Quiry & Le Fur, 2016, p. 1020).

 

Idéalement, ont été prises « traditionnellement » pour cibles les sociétés « vaches à lait ». Mais, progressivement, l’attention des investisseurs financiers se concentre sur des sociétés à forte croissance ainsi que pour les entreprises dont des opportunités de concentration de secteur sont en perspective. Au fil du temps, au même rythme du relâchement de l’aversion au risque de ces investisseurs, des fonds se sont intéressés à des secteurs beaucoup plus risqués dont les entreprises ont des revenus assez volatils ou cycliques, réalisant généralement des investissements très importants dans un marché en mutation très rapide, tels que le secteur de la technologie, les équipementiers automobiles, etc. Néanmoins, la crise des subprimes (et par l’occasion, la disparition momentanée du marché des LBO, jusqu’en 2013) a ramené l’objet d’attention vers des cibles nettement plus rassurantes : des sociétés de taille relativement modeste (généralement en dessous de 3 milliards d’euros) qui génèrent suffisamment de cash-flow et disposant d’une bonne visibilité (Quiry & Le Fur, 2016).

 

Il faut également parler de grandes entreprises (du fait notamment de la concentration de certains secteurs) pour lesquelles les investisseurs financiers sont les mieux positionnés et ont la capacité pour les acquérir dans leur ensemble. Il y a aussi les opérations de public-to-private qui ont pour cible des sociétés cotées, avec une perspective de sortie de la Bourse, et cela concerne surtout des PME (de cours peu liquide et sous-évalués sur le marché) délaissées par les investisseurs.

 

  • Les vendeurs/cédants

 

D’abord, surtout avant la crise de 2007-2008, la plupart des opérations de LBO débouchent sur d’autres opérations du même type (secondaires, tertiaires, etc.). Aussi, il faut considérer le cas de nombreux PME européennes qui se sont développées fortement depuis les années 1960-1970, sous la pression de leurs actionnaires majoritairement issus de leurs directions. Lorsqu’atteignant l’âge de la retraite, ces dirigeants cherchent des moyens pour céder leurs entreprises, autres que la cession au concurrent direct, l’introduction en Bourse étant également démotivante vue la difficile et lourde procédure à suivre pour cette option (les dirigeants des entreprises familiales sont quelque peu sensibles à la possibilité que celles-ci perdent leurs noms à la suite de la cession). Boudet (2008) en donne quelques informations chiffrées :

 

« Les cédants (observation tirée des 650 annonces de vente de la Bourse d’opportunités CRA) invoquent le départ à la retraite comme motif principal de cession (à 70 %), un désir de réorientation professionnelle (à 20 %) » (p. 24). Il faut alors reconnaitre que, en tant qu’outil de capital transmission potentielle pour les dirigeants et propriétaires qui décident de « partir », cette technique de LBO permet à un grand nombre de firmes d’être « reprises par une nouvelle équipe et continuer à se développer alors que sans le LBO, cela n’aurait pas été possible du fait de l’absence de repreneurs déclarés ou crédibles » (Bancel, 2009, p. 245).

 

  • Les fonds de LBO, en tant qu’investisseurs en capitaux propres

 

Désormais, le montage d’un LBO demande un savoir-faire spécifique de la part des investisseurs financiers, ce qui conduit des fonds d’investissements à se spécialiser pour ce genre d’opérations. En fait, ces investisseurs sont des private equity sponsors, investissant des capitaux propres dans des sociétés non cotées ou en passe de l’être. Ces fonds d’investissement exigent une rentabilité élevée (en général, de 15% à 20%) du fait du risque important associé à l’effet de levier. D’ailleurs, « afin de se défaire d’une partie du risque diversifiable, ces investisseurs spécialisés réalisent plusieurs investissements au sein d’un même fonds » (Quiry & Le Fur, 2016, p. 1022).

 

A la fin des années 2000, il existerait une centaine de fonds d’investissement opérant activement dans les LBO. Certains d’entre eux sont vraiment des fonds européens (à l’instar d’Ardian BC Partners, Cinven, PAI, Bridgepoint, Eurazéa, Wendel, etc. tandis que d’autres viennent d’Outre-Atlantique tels que Blackstone, Apollo, KKR, Carlyle, TPG, etc. En général, ces fonds se spécialisent géographiquement et ont des caractéristiques spécifiques en termes d’investissement (taille minimum, fonctionnement en consortium ou tout seul, etc.). En fait, il arrive que deux ou plusieurs fonds LBO investissent conjointement (en consortium) de manière à mieux répartir les risques inhérents à leurs activités, à acquérir la capacité pour des plus grosses cibles. Il y a des cas aussi où un fonds s’associe à un industriel qui ne détient qu’une participation minoritaire au sein d’une importante cible, ce qui permet une complémentarité entre les apports en connaissance du secteur par l’industriel et les apports en savoir-faire en ingénierie financière, fiscale et juridique par le fonds.

 

D’habitude, les fonds LBO apportent entre 30% et 50% de capitaux propres dans le financement des opérations (le reste étant composé de dette). En effet, les apports « trop » minoritaires (en capitaux propres) sont d’une stratégie abandonnée ; il est d’usage de faire en sorte qu’une partie de ces apports prenne la forme d’obligations convertibles subordonnées (dons les intérêts sont fiscalement déductibles), offrant la possibilité d’une conversion effective si jamais la société cible éprouve une difficulté financière.

 

En pratique, les fonds de LBO prennent la forme de société de gestion (general partner), une propriété d’associés décidant des lignes d’investissement à partir de liquidités accordées par des investisseurs institutionnels ou bien de particuliers (limited partners) (Bancel, 2009). « Matériellement, les fonds de LBO appellent auprès des limited partners les fonds que ces derniers se sont engagés à apporter au fur et à mesure de la réalisation des investissements. Lorsqu’un fonds a investi plus de 75% des capitaux propres qui lui ont été confiés, un autre fonds est en général lancé. Chaque fonds est tenu de rendre à ses investisseurs tout le produit des désinvestissements au fur et à mesure qu’ils se produisent, si bien qu’il a vocation à être liquidé au bout d’une dizaine d’années le plus souvent » (Quiry & Le Fur, 2016, p. 1022). La rémunération de la société de gestion (et des associés du fonds LBO) se fait suivant un pourcentage annuel des fonds ayant été investis (autour de 2%) ainsi qu’un pourcentage sur la plus-value réalisée (carried interest, d’environ 20%). Certains des fonds sont des sociétés cotées, à l’exemple de Wendel, 3i, Eurazéa, etc.

 

  • Les investisseurs en dette

 

Si une seule banque suffit pour financer des petites opérations de LBO (inférieures à 10 000 euros, par exemple), il en est tout autrement pour des opérations plus importantes, faisant intervenir des démarches plus complexes et nécessitant la négociation de la dette auprès d’un pool d’institutions financières. En fait, pour ce cas de levier financier important, il est nécessaire de recourir à différents niveaux de financement correspondant à des niveaux croissants de risque (cf. infra – 2.2 Sources de financement des LBO).

 

  • Les managers de la cible

 

S’il y a des cas où les fonds mettent en place une nouvelle direction à l’occasion d’une opération de LBO, la plupart du temps, ils optent plutôt pour le statu quo, c’est-à-dire les dirigeants historiques des cibles. En tout cas, ces derniers sont tenus d’élaborer un plan d’affaires (business plan) rigoureux et en détail en coordination avec le fonds de LBO lors de la prise en main de la cible concernée. Dans ce plan sont alors prévus des améliorations sur le plan opérationnelles, les perspectives d’investissements et/ou les plans de cessions en insistant sur la génération de flux de trésorerie positive car c’est surtout sur le cash-flow que sont rivés les yeux des nouveaux propriétaires de l’entreprise cible.

 

« Les fonds ont pour habitude de demander aux dirigeants d’investir une partie importante de leur épargne liquide à leurs côtés, voire de s’endetter pour cela, afin d’avoir un alignement strict des intérêts des uns et des autres. Les supports d’investissement peuvent prendre la forme de BSA, d’obligations convertibles, d’actions, afin d’offrir aux dirigeants un second effet de levier qui peut leur permettre, en cas de réussite du plan d’affaires, de multiplier leur investissement par 5, 10, voire plus ; ou de tout perdre dans le cas inverse » (Quiry & Le Fur, 2016, p. 1027). De ce fait, la plus-value est partagée entre les managers du fonds et ceux de la société cible, les premiers acceptent même de recevoir un rendement plus faible au profit des seconds afin de nourrir la motivation de ces derniers. Dans beaucoup de cas, après une suite de plusieurs LBO réalisée sur une entreprise, les dirigeants de celle-ci en deviennent les actionnaires majoritaires.

 

En fait, il faut dire que les managers des fonds n’ont pas les compétences (notamment techniques) suffisantes pour gérer les entreprises cibles. Ceux-ci sont juste des financiers qui sont payés, d’une part, par des frais de gestion généralement en fonction de la taille du fonds et, d’autre part, par les carried interests (plus-values de cession). Ces actionnaires professionnels ont de lourdes expériences dans des domaines spécifiques, dont de la finance, et ils apportent seulement des conseils aux managers des entreprises cibles (sans mettre la main dans la gestion quotidienne de ces dernières) en les incitant à s’intéresser sur l’essentiel et à prendre les meilleures décisions.

 

En principe, tout l’effort managérial pour hausser la performance de la cible se repose entre les mains de l’équipe de direction de cette entreprise. La plupart des fonds d’investissement prennent la peine d’obtenir l’accord de la direction de l’entreprise cible dans une opération de LBO, de manière à partir sur une base commune dans le projet de rachat. Cela incorpore, en tant que composante essentielle, dans le LBO la relation de confiance entre les deux managements (Bonnet, 2005).

 

En somme, ces différents acteurs doivent se mettre d’accord sur le marché du LBO pour créer les conditions de réussite des opérations. Ainsi, l’existence d’une parfaite conjonction entre management et actionnaires de la cible conditionne la viabilité du plan d’affaires (même si les managers du fonds font généralement appel à d’acteurs externes pour la réalisation d’audit approfondi afin de juger de la situation de la cible ainsi que pour la réalisation d’études de marché afin d’asseoir la stratégie, de détecter les risques et identifier les opportunités d’un plan d’amélioration de la performance). Les institutions financières s’intéressent aussi à la qualité de cette conjonction. Par ailleurs, il est intéressant d’apprécier les conséquences du LBO sur les comportements et la psychologie de ces différents acteurs.

 

2.1.2. Comportements et psychologie des acteurs dans les étapes de la transmission

 

Il faut dire que l’abondance des dettes dans le financement des opérations de LBO n’est pas sans conséquence sur les comportements et psychologie des acteurs sur ce domaine, notamment concernant les managers (du côté de la demande) et des investisseurs (du côté de l’offre).

 

2.1.2.1. Changement de mentalité des managers de l’entreprise cible : effet-dette

 

Il faut admettre que l’essentiel des conséquences du LBO sur la société cible concerne les managers de celle-ci, ce qui fait qu’ils jouent un rôle central dans les opérations de LBO. Il faut alors dire que le LBO change considérablement la mentalité de ces dirigeants de la cible. En effet, autrement (sans le LBO), ils chercheraient prioritairement à augmenter les avantages dans l’exercice de leur fonction, et cela sans se vraiment se soucier de créer de la valeur actionnaire à laquelle ils ne participent pas (il n’est pas du tout évident pour les managers d’une société cotée en Bourse d’opérer avec de moins en moins de fonds de roulement et d’actifs immobilisés, alors que c’est effectivement ce qu’opèrent les managers des sociétés sous LBO).

 

Ce qui préoccuperait ces managers (sans LBO) sont, entre autres, l’extension du champ d’action et/ou d’influence de l’entreprise même si cela exige de grands investissements en défaveur des actionnaires. Les dirigeants tenteraient aussi de s’enraciner dans l’entreprise et se rapprocheraient alors des comportements de tout autre salarié de celle-ci. En d’autres mots, les managers adoptent tout au plus des comportements « réactifs » (par opposition à « proactifs »), c’est-à-dire répondant seulement aux obligations auxquelles ils sont tenues (Bancel, 2009). Une question se pose alors sur la raison de ce changement de mentalité : en quoi le LBO agirait dans ce sens ? Pourquoi les dirigeants d’une cible ayant déjà réalisé (auparavant) des résultats excellents trouveraient-ils toujours la « force » d’améliorer ces derniers ?

 

Néanmoins, il y a lieu aussi de parler du « hubris » (un mélange d’orgueil, de fierté et d’estime de soi) des managers vis-à-vis de leur société (Roll, 1986). Il est possible alors de considérer cela comme une des sources de motivation pour ceux-ci pour les opérations de LBO, tant qu’ils pourraient (à travers ces opérations) devenir propriétaires de leur entreprise.

 

Cependant, cette motivation est discutable lorsqu’il est tenu compte que le principal objectif des LBO pour les investisseurs financiers est la revente de la société cible (d’une manière ou d’une autre), d’autant plus que le LBO priorise le moyen (voire le court) terme (Goutard, 2007). Dans ce cas, la psychologie des managers de la cible ne peut se baser que sur la participation de ceux-ci à la plus-value des opérations de LBO. En effet, sans cette participation (et en se basant sur la seule notion de « hubris », évoquée précédemment), ces managers auraient plutôt misé sur d’autres moyens nécessairement de long terme qui sont susceptibles de ne pas mettre la pression sur leur personne (les stock-options, par exemple). Désormais, devenant des propriétaires potentiels de l’entreprise cible, les managers ne peuvent être que motivés à servir (autant qu’ils le peuvent) les intérêts des actionnaires.

 

Il n’est pas étonnant que les managers des fonds cherchent prioritairement à obtenir l’adhésion de l’équipe de la direction de la cible lors de la phase de négociation de l’acquisition même. Par-là, les investisseurs financiers visent l’engagement profond de ces dirigeants de la cible, en parfait accord avec les actionnaires et les banquiers : « il faut que les managers qui le [le business plan] conduisent le réussissent, non pas à contrecœur, mais parce qu’ils se le sont approprié » (Goutard, 2007, p. 20).

 

Goutard (2007) explique aussi que le changement de mentalité des managers de la cible est lié à une toute autre fonction de la dette au niveau de l’entreprise, à l’occasion du LBO. En effet, leurs yeux ne restent plus figés sur le cours de la Bourse (les actionnaires le font naturellement), ce dernier étant fortement influencé par les résultats opérationnels de l’entreprise. Or, en dehors du LBO, ces résultats opérationnels seraient lourdement affectés par les intérêts en cas d’endettement : les dirigeants (dans ce cas) auraient une représentation plutôt négative vis-à-vis de la dette qui risque d’impacter à la baisse le cours de la bourse. Mais, avec le LBO, une toute autre vision anime l’équipe dirigeante (lorsqu’ils, il faut le rappeler, participe substantiellement à la plus-value qui en découlera) : plus élevé est la dette du LBO, moins importants sont les impôts à payer, et la plus-value générée à la sortie des opérations de LBO sera proportionnellement plus élevée.

 

Néanmoins, la dette du LBO vient jouer un rôle disciplinaire pour tous les managers (et tous les salariés) de l’entreprise cible dans le sens où la présence de cette dette limite considérablement la marge de manœuvre de ces managers. Ils sont (à la fois en tant que dirigeants et actionnaires) confrontés à des choix cruciaux visant toujours l’optimum sur toute opportunité d’investissement, c’est-à-dire s’interroger sur les impacts possibles de ce dernier sur les cash-flows espérés. « Pour dépasser la contrainte de la dette, les dirigeants doivent mettre en œuvre des projets rentables et optimiser la gestion de l’entreprise pour éliminer les gaspillages » (Bancel, 2009, p. 246).

 

La dette fait alors en sorte que les managers de l’entreprise sous LBO deviennent des « entrepreneurs responsables », efficace et plus économe, du moment qu’ils se focalisent directement au retour sur fonds propres. Sans LBO, toute opportunité de nouvel investissement ou d’importante dépense pourrait ne pas faire l’objet d’étude approfondie, sans se poser les bonnes questions, ce qui aurait conduit à une validation mécanique de ces projets (d’investissement ou de dépense).

 

En somme, le positionnement de ces managers dans leur entreprise suit le « centre de gravité » de leurs intérêts. En pratique, ils adoptent largement plus les comportements d’actionnaire plutôt que d’un simple manager. Il en résulte alors une priorisation davantage de la création de valeur actionnariale, jusqu’à laisser penser qu’il y a tendance à une financiarisation de l’entreprise (mais, une tendance nuancée par la perspective de revente de la société post-LBO). Tout cela explique (du moins en partie) la forte réduction du conflit entre managers et actionnaires, les premiers rejoignant le camp des seconds.

 

Néanmoins, Goutard (2007) souligne que, trouver des « bons managers » n’est pas une affaire aisée. Cela insinue donc que ce changement de mentalité des dirigeants de la cible, bien que nécessaire, n’est pas une condition suffisante à la réussite du LBO : le savoir-faire et l’expérience importe largement. « Si les salaires des dirigeants sont si élevés, c’est que la denrée qu’ils représentent est rare et que les risques encourus sont de plus en plus grands : juridiques, sociaux, politiques, sécuritaires dans certains pays, etc. D’autre part, les enjeux de la gestion d’une société sont devenus si complexes, du fait de la technologie ou de la mondialisation, que les gens qui réussissent dans cette complexité sont rares. Tout ceci est accru dans une société de LBO pour laquelle il s’agit de réussir un sprint et qui doit s’assurer de choisir le meilleur coureur. Il n’y en a qu’un petit nombre avec lesquels on puisse se garantir que leurs performances ne tombent jamais en dessous d’un certain plancher » (Goutard, 2007, p. 19).

 

2.1.2.2. Volonté de verser des primes significatives par les investisseurs financiers

 

Comme mentionné plus haut, les investisseurs (financiers) s’intéressent principalement à la revente de la société cible comme option de sortie post-LBO (en recourant parfois au marché boursier). Pour éviter les éventuels écueils avec les autres actionnaires de cette société, les fonds de LBO visent, autant que possible, l’acquisition de la totalité du capital de la cible, d’autant plus que cela leur permet d’intégrer les résultats fiscalement. Dans ce sens, le fonds de LBO est prêt à verser une prime dans l’acquisition de la cible (dans le sens d’un achat plus onéreux de cette dernière par rapport aux prix d’acquisition que les industriels proposent, des prix qui sont pourtant établis à partir de la juste valeur marchande de la société, en principe). Ce qui importe pour les investisseurs, c’est la plus-value de la future cession de cette entreprise (le montant de la dette contractée pour financer le projet d’acquisition importe secondairement).

 

En toute logique, il en résulte une sorte de renchérissement « artificiel » des sociétés sous LBO, avec des valeurs nettement au-dessus de leur valeur marchande. Dès lors, il y a lieu de s’interroger sur l’avenir de ces sociétés qui font l’objet d’une suite de (nombreux) LBO : lorsque la capacité de ces entreprises aura atteint son point de saturation, comment se comporteront la valeur marchande de celles-ci ?

 

Par ailleurs, le fonds verse également une prime aux managers de l’entreprise cible à travers le « management packages ». Il s’agit de systèmes d’incitation destinés à ces managers pour que ces derniers choisissent le fonds plutôt que des acquéreurs stratégiques (industriels) ou d’autres fonds concurrents. Les « management packages » ont aussi pour vocation l’engagement des managers au projet sans que le fonds ait besoin de remplacer l’équipe de direction en place. Mais, cela n’est pas non plus sans conséquences (plutôt négatives) sur la société cible.

 

En effet, la mise en concurrence (par les managers d’une cible) de plusieurs fonds de LBO à propos des « management packages » conduit nécessairement à une inflation au niveau des systèmes de rémunération de ces managers. Dans ce contexte, « il n’est pas certain que ces pratiques aient été de nature à créer les conditions d’un management dans la plus grande sérénité » (Bancel, 2009, p. 252). L’un des problèmes générés par cette inflation des « management packages » concerne le nombre des salariés devant bénéficier de cette prime dans l’entreprise. En fait, les dirigeants de la cible veulent réduire ce nombre à un cercle étroit (entre 2 et 3) de bénéficiaires, donc pour seulement les quelques managers importants. Mais, il ne faut pas négliger les autres acteurs clés dont les décisions vont incontestablement impacter substantiellement la mise en œuvre du business plan, car, il ne faut se rappeler que la dette a un effet contraignant sur l’ensemble des salariés de l’entreprise. Il arrive même que ce nombre soit considérablement étendu pour des entreprises au sein desquelles les décisions sont très décentralisées. Ainsi, il n’est pas toujours facile de trouver le nombre optimal de bénéficiaires :

 

  • D’un côté, « trop peu nombreux » sont les bénéficiaires, cela risque de générer une tension dans les relations sociales au niveau de l’organisation avec des conséquences potentiellement négatives sur la performance de l’entreprise ;

 

  • D’un autre côté, « trop important » est le nombre de bénéficiaires répartit (trop) les points d’appui du projet obligeant les investisseurs à expliquer, à convaincre et à négocier l’investissement personnel de chaque salarié impliqué à propos du projet qui débouchera sur une revente de la société post-LBO.

 

Il faut admettre que tout ceci résulte d’une relative abondance de financement (les dettes), faisant en sorte que le montant d’investissement requis pour le LBO soit extrêmement élevé. Autrement dit, l’offre de financement (le montant des dettes disponibles, en quelque sorte) surpasse largement la demande de financement, ce qui accroit considérablement le prix d’acquisition des cibles. La rationalité des investisseurs les conduit ensuite à mettre davantage de pression sur les managers pour obtenir une plus-value proportionnellement significative, ce qui implique une valeur potentiellement élevée de la cible à la sortie.

 

En outre, il y a lieu également de mentionner que les investisseurs financiers sont, a priori, attirés par un « bon placement ». Cela dit, l’attraction du LBO dépend du niveau du taux d’intérêt : ils comparent alors les taux obligataires (d’une maturité de 10 ans, par exemple), du rendement moyen en Bourse, et jugent ensuite de l’opportunité d’un projet LBO. Mais, les investisseurs ne sont pas indifférents aux risques inhérents à leurs instruments de placement : par exemple, les hedge funds ont certes des rentabilités supérieures à ceux des LBO, mais la volatilité nettement plus élevés de ces premiers déplacent l’attention des investisseurs vers les seconds.

 

En conclusion, la dette LBO (dont sa disponibilité, son montant dans une opération de LBO) ont d’impacts sensiblement importants sur les comportements des managers des cibles et des investisseurs financiers. Il convient alors de se pencher davantage sur les réalités et la structuration de cette dette qui est à l’origine de l’essentiel du financement des LBO.

 

2.2. Sources de financement des LBO

 

Lorsque le LBO implique un levier financier important, celui-ci nécessite de structurer la dette en trois étages. D’abord, il y a une (couche de) dette classique, appelée dette « senior », qui bénéficie des garanties spécifiques et qui sera priorisée dans le remboursement. Vient ensuite une dette subordonnée (dit dette « junior ») prenant la forme d’un financement mezzanine ou bien d’une obligation à haut rendement (high yield), le remboursement de ce type de dette intervenant lorsque la dette senior est satisfaite. En dernier lieu vient les capitaux propres. Il est aussi d’usage de compléter ces financements classiques avec un crédit vendeur ainsi qu’à travers la titrisation de certains actifs de l’entreprise cible (Bancel, 2009).

 

2.2.1. Dette senior

 

En principe, le montant de la dette senior est d’environ 3 à 5 fois l’excédent brut d’exploitation de la société cible. Cette dette elle-même se décompose en plusieurs tranches, en fonction de leurs niveaux de risque respectivement (Quiry & Le Fur, 2016) :

 

  • Il y a la « tranche A » qui fait l’objet d’un remboursement linéaire durant six/sept ans ;

 

  • Ensuite, il y a les « tranches B et C » de maturité plus longue, dont le remboursement se réalise in fine, au bout de 7/8 ans (B) et 8/9 ans (C, cette tranche a néanmoins tendance à disparaitre).

 

Chacune de ces tranches correspond à un taux d’intérêt spécifique en fonction de ses caractéristiques. Mais, généralement, ce taux est élevé, de l’ordre de plusieurs centaines de points de base par rapport à l’Euribor (100 points de base vaut 1%).

 

Ce type de dette est toujours muni de garanties sur les titres de l’entreprise cible, ainsi que de covenants. Pour des montants significatifs, plusieurs banques garantissent la dette senior, en gardant en risque une partie de celle-ci et en syndiquant le solde auprès d’autres établissements bancaires. Ce sont notamment les investissements institutionnels (hedge funds, compagnies d’assurance, fonds de pension, etc.) qui se voient proposés des fonds ayant investi seulement dans la dette LBO. Avant la crise de 2007-2008, la plupart de la dette garantie par les institutions bancaires était confiée à des fonds « collateralized debt/loan obligation (CDO/CLO) ainsi qu’auprès des investisseurs institutionnels (dont 60% en Europe). Après la crise, à partir de 2013, des fonds de CLO réapparaissent avec des moyens financiers plus limités (Quiry & Le Fur, 2016).

 

Pour ce qui concerne les LBO de taille modeste, c’est généralement un (petit) groupe de banques familier de la société cible (club deals) qui prend en charge l’apport de dette.

 

2.2.2. Dette junior

 

Celle-ci prend la forme d’un high yield, d’habitude cotée, ou bien de dette mezzanine (dette obligataire à bons de souscription) non cotée.

 

En effet, il est possible de financer les LBO les plus importants (en termes de valeur monétaire) à partir d’émissions de valeurs obligataires cotées à haut rendement. Désormais, de telles émissions devraient avoir une taille d’au moins 200 000 euros pour pouvoir générer une liquidité suffisante aux investisseurs. Il faut citer comme avantage important (entre autres) de ce financement est la possibilité de ne réaliser le remboursement qu’in fine, c’est-à-dire au bout de 7 à 10 ans. Par ailleurs, il faut rappeler que la notion de subordination implique que le remboursement de la dette junior n’est assuré que lorsque l’entièreté de la dette senior a bien été remboursée.

 

Etant donné le risque (relativement élevé) associé aux obligations high yield, le financement de LBO par le biais de ce type de dettes permet aux investisseurs de jouir de taux assez élevés (allant jusqu’à 800 points de base par rapport au taux obligataire des titres d’Etat). En tout cas, le marché des dettes high yield est assez fragile et pouvant fermer à tout moment en cas de crise (Quiry & Le Fur, 2016).

Figure 3 – Scénario de flux de trésorerie avec le financement via une dette subordonnée

Source : Quiry et Le Fur (2016)

 

Pour sa part, la dette mezzanine, qui est parfois obligataire (non cotée) et souscrite par des fonds spécialisés, fait partie aussi des dettes subordonnées. Certains titres, dont les hybrides (obligations convertibles, bons de souscription d’actions, etc.) peuvent servir de supports pour ce type de financement. Généralement, les investisseurs en dette mezzanine attendent une rentabilité élevée de leurs mises, mais ils exigent également un droit d’informations suffisantes à propos de la gestion de l’entreprise (ils peuvent alors demander à avoir leurs représentants dans le conseil d’administration de celle-ci).

 

La rentabilité de ce type de dette peut revêtir trois formes, à savoir : un taux d’intérêt plutôt faible payé annuellement en cash (avec près de 5% à 6% de marge), un intérêt capitalisé (de 5% à 8%), et une éventuelle participation à la plus-value. Ainsi, il est possible de dire que le financement mezzanine est en pratique un financement intermédiaire entre celui par capitaux propres et celui par la dette.

 

En outre, le financement via des dettes subordonnées offre comme avantages (Quiry & Le Fur, 2016) :

 

  • Un effet de levier dépassant les limites de ce que peuvent accepter de prêter les banques ;

 

  • Une durée d’endettement plus longue par rapport aux crédits classiques, avec un taux supérieur dont une composante sous forme de dilution potentielle ;

 

  • Une plus grande souplesse quant à la remontée des cash-flows de l’entreprise cible vers le holding. En fait, le remboursement de ce type de financement (mais éventuellement aussi pour le paiement des intérêts) est déterminé suivant des modalités propres et n’intervenant qu’après le remboursement de la dette senior ;

 

  • Mise en place d’opération qui ne pourrait pas avoir lieu avec uniquement des dettes seniors et des capitaux propres (il est même envisageable de substituer la dette senior avec la dette mezzanine, appelée unirate).

 

2.2.3. Titrisation

 

La titrisation peut aussi être utilisée pour le financement du LBO. A rappeler que la titrisation est une technique qui consiste, pour une entreprise, à céder de créances à une société appelée Special Purpose Vehicle (SPV) qui, en contrepartie, émet des titres adossés à ces créances vendues à des investisseurs. Dans le financement du LBO, la titrisation porte sur les créances de la société cible.

 

En fait, il existe des montages qui s’appuient sur la titrisation classique de créances commerciales, mais cherchant à titriser l’ensemble des flux d’exploitation de l’entreprise cible. Néanmoins, la crise de 2008 a considérablement accru la méfiance des investisseurs vis-à-vis de la titrisation qui est désormais classé parmi les instruments financiers très structurés ayant nourri la bulle à l’origine de cette crise (Quiry & Le Fur, 2016).

 

2.2.4. Autres financements

 

Il convient de citer aussi d’autres modes de financement, dont la dette uni-tranche qui peut être montée à la place de la dette senior et la dette subordonnée, plus particulièrement pour les LBO de taille plus modeste. Il s’agit alors d’une dette in fine, souscrite par le fonds et dont le coût (de l’ordre de 11% à 13%) se trouve en intermédiaire entre une dette subordonnée et une dette senior. Aussi, de manière générale, les financements de la société holding sont complétés par des financements au sein de la cible tels que : une facilité de crédit revolving permettant de satisfaire à d’éventuel besoin en fonds de roulement saisonnier, un prêt bancaire pour les investisseurs ou bien pour les futures acquisitions (Quiry & Le Fur, 2016).

 

En conclusion, le développement du marché du LBO jusqu’en 2007 a fait considérablement hausser les investissements au niveau des fonds (dont certains ont été évalués à une dizaine de milliards de dollars. Cela a également encouragé la souscription de dettes LBO recédées (directement ou non) à travers des CDO/CLO, ce qui amplifie le rôle de monteur-(re)distributeur des banques de LBO (cf. Tableau 2 – Evolution du montage type de LBO).

 

Tableau 2 – Evolution du montage type de LBO

Fin des années 1990 à début 2007 puis milieu des années 2010
·   Capitaux propres : 35%   ·   Capitaux propres : 20% ·   Capitaux propres 40 à 60%
·   Dette mezzanine : 10%   ·   PIK ou dette mezzanine : 5% ·   Dette mezzanine 0 à 10%
·   Dette senior : 55%   ·   Emprunt high yield : 15% ·   Dette senior 40 à 50%
▫ Tranche A, 5 ans, amortissable   ·   Second lien : 5% Tranche A, 6/7 ans amortissable
▫ Tranche B, 8 ans, in fine   ·   Dette senior : 55% Tranche B, 7/8 ans, in fine
    ▫ Tranche A, 7 ans, amortissable  
    ▫ Tranche B, 8 ans, in fine  
    ▫ Tranche C, 9 ans, in fine  
Auxquels se rajoutait une ligne revolver destinée à financer les besoins courants de l’entreprise   Auxquels se rajoutaient une ligne revolver ou une titrisation et une ligne de financement d’investissements Auxquels se rajoutent une ligne revolver et éventuellement une ligne de financement des investissements

Source : Quiry et Le Fur (2016)

 

2.1. Le marché de LBO

 

L’industrie du LBO serait née de la période après-guerre aux Etats-Unis, mais le concept s’exporte en Europe à compter des années 1980. Au regard de la cyclicité du marché, celui de l’Europe (au sens de l’Union Européenne) a connu trois périodes de hausse majeure, à savoir : les années 1980 dans le tout développement du LBO sur le continent, puis dans les années 1990, et enfin de 2004 à 2007 (à la veille de la crise des subprimes). La première opération de LBO européen d’un montant de plus de 3 milliards d’euros (rachat de MEPC par Leconport) a été réalisée au début des années 2000, et en 2005, l’Europe a déjà enregistré près de 20 000 opérations (Ménard, 2013).

 

En se référant aux statistiques de la fin des années 2000, sur le marché européen du LBO se positionne le Royaume-Uni en tant que leader qui détient 19% de part de marché (un montant estimé à 140 milliards d’euros) (Bancel, 2009). En fait, sur les 738 opérations européennes dans ce domaine en 1996 et les 797 huit ans plus tard, 88% ont été réalisées au Royaume-Uni (de valorisées à, respectivement 12,6 milliards et 30 milliards d’euros). Mais, ces chiffres montrent aussi que la croissance du marché du LBO européen a surtout été propulsée par une explosion des valeurs de ces opérations (plutôt que par la multiplication de leur nombre).

 

Après la crise des subprimes et un arrêt temporaire, la croissance est de nouveau retrouvée sur le marché du LBO au milieu de la deuxième décennie du XXIème siècle, mais de moindre mesure. Dans le monde, selon un rapport annuel (publié en février 2016) de Bain & Company sur le private equity, « le volume total des rachats de sociétés avec effet de levier (LBO) a atteint un nouveau pic, à 282 milliards de dollars (256 milliards d’euros), sans renouer toutefois avec les près de 700 milliards de dollars d’avant la crise financière, en 2006 et 2007 […]. Le total des opérations supérieures à un milliard de dollars atteint également un niveau inégalé depuis 2008. L’année a été marquée par les méga-fusions Heinz-Kraft Foods et Dell-EMC, les stratégies de build-up (croissance externe) ayant représenté la moitié des LBO » (Laurin, 2016)

 

En parallèle à la redistribution des composantes du financement du LBO au cours des décennies (cf. section précédente), il a été constaté que le prix d’acquisition des cibles au fil du temps (et donc le montant des dettes composant ce prix) augmente sensiblement en fonction du montant de l’excédent brut d’exploitation (EBE) de celles-ci. Ce qui fait que, par exemple, la société B&B a été acquise 11.3 fois de son EBE, la dette représentant 4.6 fois l’EBE. Tout particulièrement, la situation enregistrée en 2015-2016 a retenu l’attention de la Banque centrale européenne (BCE) qui a alors émis des recommandations à l’endroit des banques en ce qui concernent les opérations faisant accroitre l’endettement d’un emprunteur à au moins 4 fois l’EBITDA ainsi que les financements d’entreprises entre les mains des fonds LBO. Le BCE veut ainsi que les transactions relatives à un levier au-delà de 6 fois l’EBITDA soient « exceptionnelles » : « Pour la plupart des industries, un niveau de levier excédant 6 fois l’Ebitda soulève des inquiétudes […] L’emprunteur doit pouvoir rembourser au moins la moitié de sa dette à un horizon de 5 à 7 ans » (Garabedian, 2016). Une même explication est donnée pour cet engouement : l’abondance de l’offre de financement de la part des prêteurs, ainsi que, le faible apport dans les capitaux propres de la part des fonds LBO.

 

Figure 4 – Prix d’acquisition des LBO et financement par rapport à l’EBE en Europe

Source : Standard & Poor’s (Quiry & Le Fur, 2016)

 

L’appétence pour le risque du côté des investisseurs a donc suscité l’inquiétude des régulateurs qui craignent la constitution d’une bulle sur le marché financière en tenant compte des qualités des opérations LBO. En effet, selon la BCE, « La détérioration des standards de souscription est évidente, vu la proportion croissante d’émetteurs très endettés, de ratios de couverture des intérêts sous la moyenne, et du segment covenant-lite […]. Dans les quatre premiers mois de 2015, près de la moitié des émetteurs européens de leveraged loans avaient un ratio de dette/Ebitda supérieur à 5, contre une moyenne d’un tiers des émetteurs ces 18 dernières années » (Garabedian, 2015). Il faut noter que la régulation récemment faite en Europe est tout simplement un fruit de l’exemple américain réalisé trois ans auparavant.

 

Pour conclure cette première partie, la prédisposition au financement a largement influencé le marché du LBO ; autrement dit, l’abondance de la dette pouvant financer ce type d’opération a eu d’effets multiplicateurs essentiellement sur les prix des cibles (mais aussi les systèmes d’incitation des managers de celles-ci). Ainsi, le LBO suppose en quelque sorte une clause d’exclusivité, bien qu’une telle clause n’existe pas toujours en pratique (en principe, les appels d’offres se réalisent de façon confidentielle, s’agissant d’une enchère). En effet, comme l’explique Gruselin (2007), « Lorsqu’un fonds plonge sur une société, pas question donc de faire jouer la concurrence pour mieux cerner la valeur de revente : « Plutôt que d’attendre une hypothétique victoire dans un appel d’offres, les fonds tablent désormais sur une nouvelle tactique pour décrocher la timbale : mettre sur la table une offre tellement alléchante que le propriétaire – même non désireux de vendre – ne peut refuser » (p. 1).

 

 

Partie 2.     Partie empirique

 

Cette seconde partie tente de répondre de manière empirique la problématique de la présente étude. Pour ce faire, il convient, dans un premier temps de définir la méthodologie à suivre, notamment pour formuler les hypothèses de recherche dont la vérification devrait permettre de répondre à cette problématique. Puis, il y a lieu d’analyser les informations recueillies de manière à vérifier ces hypothèses. Enfin, un dernier chapitre est consacré à la discussion et la synthèse des résultats de telle analyse.

 

Chapitre 3. Méthodologie

 

Dans ce chapitre méthodologique, il s’agit plus précisément de présenter le cadre dans lequel se déroule l’étude empirique, de sorte à vouloir répondre à la question centrale du présent travail de recherche. Plus exhaustivement alors, il y a lieu de :

 

  • D’une part, présenter le contexte de l’étude empirique en relation avec les éléments conceptuels développés dans la partie théorique, puis de rappeler cette question centrale afin de formuler les hypothèses de recherche associées dont la vérification devrait répondre à cette problématique ;

 

  • D’autre part, décrire le cadre méthodologique pour ce faire, c’est-à-dire de définir les éléments méthodologiques pour recueillir les informations nécessaires, le traitement préalable de ces dernières, et la manière dont celles-ci ont été exploitées, de façon à permettre la vérification des hypothèses ainsi formulées.

 

3.1. Contexte de l’étude empirique, rappel de la problématique, et hypothèses de recherche

 

Comme déjà expliqué dans la partie précédente de cette étude, le marché du LBO est cyclique, et le marché européen (à entendre par-là l’ensemble des pays de l’Europe occidentale plus particulièrement, dans lesquels le volume des transactions sur ce marché est relativement conséquent) n’échappe pas à cette règle. Aussi, il s’agit d’un environnement extrêmement sensible aux crises, ce qui a provoqué un arrêt assez brutal des transactions lors de la crise de 2007-2008 jusqu’au redémarrage constaté quelques années après. Il est attendu ainsi que ce redémarrage coïncide au commencement d’un nouveau cycle dans le sens ascendant du marché du LBO européen.

 

Toute étude cherchant à appréhender les éventuelles relations entre différentes variables impliquant le LBO devrait alors tenir compte de cette réalité.

 

A rappeler alors l’énoncé de la problématique à traiter dans ce travail de recherche : « Comment se structurent les dettes dans les LBO européens et quelles en sont les principales conséquences ? » En d’autres termes, il s’agit surtout d’analyser les différentes origines des dettes et la structuration de ces dernières dans le marché européen du LBO, puis d’en apprécier les éventuels impacts significatifs sur certaines variables susceptibles d’être influencées par le phénomène LBO.

 

Cette problématique pourrait alors être décomposée en quelques questionnements majeurs, en considérant le contexte du marché européen :

 

  • Quelles pourraient être les éléments (variables) relatifs à l’entreprise cible qui sont susceptibles d’être impacté de manière significative, d’abord par le LBO, et ensuite par la dette du LBO en particulier ?

 

  • Comment se structure les éléments de la dette du LBO sur le marché européen, et comment cela influence éventuellement les opérations de LBO ?

 

  • En quoi et/ou comment cette structuration de la dette d’une part, et le montant de chaque élément composant cette dette d’autre part, influencent-ils les variables éventuellement identifiées dans le premier questionnement ? Autrement dit, il est question d’appréhender les conséquences sur l’entreprise cible de la structuration et le niveau du financement par la dette du LBO.

 

Les éléments conceptuels de la partie théorie offrent des points de vue propositionnels pour répondre hypothétiquement à ces questionnements, ce qui donne lieu à la formulation de trois hypothèses de recherche (dont la vérification devrait permettre de répondre directement à la problématique de l’étude) :

 

Hypothèse H1 : Les trois principales variables ci-après sont potentiellement expliquées par le LBO, des variables relatives à l’entreprise cible (il faut noter que le fait d’être une variable expliquée n’est pas nécessairement exclusif, c’est-à-dire que celle-ci pourrait bien aussi être en même temps une variable explicative du LBO) :

 

  • Les revenus de la cible, que ce soit en termes de chiffre d’affaires ou de résultat d’exploitation de l’entreprise. En effet, il a été constaté que la performance des entreprises cibles est généralement en hausse dans la période relative aux opérations de LBO, ce qui devrait incontestablement impacter sur les activités commerciales de la société et, de manière récurrente, sur la productivité des facteurs de production de cette société(Bancel, 2009). Ce qui propose alors que les revenus de la cible sont une fonction positive du LBO.

 

  • L’EBITDA qui est un indicateur financier utilisé Outre-Atlantique, correspondant approximativement à l’excédent brut d’exploitation dans le domaine français : c’est le bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement (de ce fait, l’EBITDA est en relation directe avec les revenus de l’entreprise, un élément quelque peu intermédiaire entre le chiffre d’affaires et le résultat net, c’est-à-dire en considération des différentes charges internes et/ou externes à l’entreprise). Apprécier plus particulièrement les éventuels impacts du LBO sur l’EBITDA revient alors à appréhender les effets possibles du LBO sur les charges d’exploitation, en dehors des charges financières, celles vis-à-vis de l’Etat, et les dotations et amortissements). Plus précisément, il s’agit d’approfondir l’effet du LBO sur la performance de l’entreprise dans l’optimisation de la production (réduction des charges et non seulement la maximisation de la production)(Goutard, 2007).

 

  • La valeur de l’entreprise dans le sens où cette valeur pourrait connaitre une hausse substantielle en réponse à au moins trois raisons en relation avec les opérations de LBO :

 

  • D’abord, la « potentialité » (la possibilité) de rachat de l’entreprise par des investisseurs financiers (c’est-à-dire avant même la réalisation éventuelle du projet de LBO sur la cible), il est constaté que le prix d’acquisition de telle entreprise augmente particulièrement au-delà de sa valeur du marché (à entendre par-là les prix auxquels les investisseurs industriels sont prêts à acquérir l’entreprise, à sa « juste valeur »), étant donné l’effet de la concurrence(Mnejja, Sahut, & Teulon, 2012).

 

  • Ensuite, l’opération de LBO débouche généralement sur la revente de la cible, ce qui amène le fonds de LBO à exiger une plus-value assurée et conséquente, nécessitant alors des efforts de la part du management de la cible pour accroitre la valeur de l’entreprise(Gruselin, 2007).

 

  • Enfin, il ne faut pas oublier qu’une grande majorité des opérations de LBO donne l’opportunité aux managers de devenir propriétaires de leurs entreprises, ce qui incite alors ceux-ci à valoriser davantage leurs entreprises en considération du phénomène de « hubris» (Roll, 1986).

 

Bien entendu, les variables potentiellement influentes (donc explicatives) en sont (Quiry & Le Fur, 2016) :

 

  • Les opérations de LBO, en termes de volume (et/ou de valeur) des transactions qui devraient être directement liées à la disponibilité du financement (donc de l’endettement accordé) de la part des investisseurs.

 

  • Le montant de chaque composante de la dette LBO, dont notamment : la tranche senior, la tranche junior, et les autres composantes (principalement constituées d’obligations).

 

Par ailleurs, les autres variables (pouvant être qualifiées « de contrôle ») ci-après devraient être également prises en compte car susceptibles d’influer les transactions relatives au LBO :

 

  • Le pays auquel une opération de LBO est rattachée : le choix de cette variable réside dans les représentations apparemment différentes faites de l’entreprise vis-à-vis des intérêts que doit servir cette dernière (ceux des actionnaires ou autres). En effet, selon Bancel(2009) : « Dans les pays anglo-saxons, l’entreprise est clairement la propriété des actionnaires et doit servir à les enrichir. Dans les pays latins ou germaniques, cette affirmation est davantage contestée. Elle trouve son expression en France à travers le concept d’intérêt social de l’entreprise qui sous-tend l’existence d’un intérêt propre à l’entreprise distinct de celui de ses actionnaires » (p. 254).

 

  • L’industrie (branche d’activité) concernée par les opérations de LBO : il semble aussi que certaines branches offrent une meilleure perspective de gains que d’autres aux yeux des investisseurs. Sur ce point, Bancel(2009) argumente que « les fonds privilégient les entreprises appartenant à des secteurs matures et peu cycliques, pour lesquels les investisseurs disposent a priori d’une bonne visibilité sur les cash-flows futurs » (p. 244).

 

  • La période (année et/ou trimestre) au cours de laquelle les opérations de LBO sont réalisées. En fait, il faut rappeler qu’il est attendu une croissance du marché de LBO dans les années qui ont suivi la « réouverture » de celui-ci après la crise des subprimes, étant donnée la cyclicité de ce marché(Quiry & Le Fur, 2016).

 

  • Le taux d’intérêt (qui varie généralement au fil du temps) dans la mesure où les entreprises sous LBO sont « particulièrement sensibles […] à la hausse des taux d’intérêts» (Gruselin, 2007, p. 2), d’autant plus que les investisseurs cherchent avant tout un placement à la fois rentable (donc de meilleur rendement) et moins risqué (Goutard, 2007). Cela suppose alors que les transactions de LBO devraient être inversement proportionnelles aux taux longs.

 

En résumé, la première hypothèse statue sur une influence positive du LBO sur les revenus, l’EBITDA et la valeur de l’entreprise cible.

 

 

Hypothèse H2 : En partant d’une croissance du marché du LBO en Europe dans la période post-crise (des subprimes), il est attendu une structuration des dettes LBO tendant progressivement vers un montage type caractérisant les périodes de croissance passée sur ce marché, c’est-à-dire une appétence croissante du risque chez les investisseurs. Cela devrait se matérialiser par un accroissement de la part de la dette LBO par rapport aux capitaux propres, et plus de place pour les tranches de dette plus risquées, dans le financement des opérations de LBO ;

 

En effet, il est quelque peu familier de constater (et c’est une logique) une diminution progressive de l’aversion au risque des investisseurs dans un marché financier en croissance. Cette hausse de la prise de risque accroit alors le poids de la dette dans l’entreprise cible, notamment la part des tranches plus risqués : la part de la dette senior apparaissant assez constante (d’environ 55% du montant total de financement), la dette mezzanine prend plus de place en défaveur des capitaux propres (Quiry & Le Fur, 2016).

 

 

Hypothèse H3 : Toujours en prenant comme parti pris la croissance du marché post-crise des subprimes, les investisseurs sont de plus en plus enclins à financer les opérations de LBO et, en contrepartie, attendent une plus-value proportionnellement élevé de ces opérations. Dans ce sens, les trois variables expliquées évoquées ci-dessus (dans l’hypothèse H1) ne peuvent qu’évoluer positivement du fait de cette attente de la part des investisseurs.

 

En effet, les investisseurs ont de plus en plus de disposition à payer en anticipant la croissance du marché, et en attendent alors une plus-value conséquente. Aussi, ces financeurs (notamment des parts plus risquées) de la dette, devenant de moins en moins sécurisée, exigent alors un taux d’intérêt relativement élevé de celle-ci, d’où une augmentation mécanique du prix des sociétés-cibles par rapport à leurs EBITDA (Quiry & Le Fur, 2016).

 

Ainsi, par exemple, dans les années précédant la crise des subprimes (plus particulièrement de 2003 à 2007), le prix moyen d’acquisition des LBO est passé de 6.8 fois à 9.7 fois l’excédent brut d’exploitation (le poids de la dette y étant de 4.2 fois à 6.3 fois l’EBE) (Quiry & Le Fur, 2016).

 

3.2. Cadre méthodologique

 

Sur le plan opérationnel, pour vérifier ces trois hypothèses de recherche, une étude quantitative s’impose. En effet, les différentes variables (explicatives et expliquées) à étudier sont connues et il suffit de vérifier les relations entre elles établies dans ces hypothèses.

 

Les informations empiriques nécessaires ont été extraites de la banque de données disponible sur le site LCDcomps : il s’agit des transactions de LBO réalisées en Europe ces cinq dernières années (une période susceptible être de croissance du marché européen de LBO). Les données à analyser concernent alors 713 transactions de LBO européens, réalisées entre le 1er janvier 2011 et le 31 décembre 2016.

 

Il y a lieu de remarquer que, afin de compléter les données relatives à certaines observations, d’autres sites (mergermarket, debtwire, capitalIQ, ainsi que dans la presse) ont fourni les informations complémentaires. Plus en détail, la base de données sur laquelle s’appuie cette étude empirique comprend (entre autres) les variables « brutes » suivantes (les différentes observations sont ordonnées par date de transaction) : Nom de la cible, pays, industrie (branche d’activité), revenu, EBITDA, Euribor, LBO (volume et deals), valeur de l’entreprise (VE), dette senior, dette junior, obligation.

 

En ce qui concerne tout particulièrement les variables considérées comme expliquées dans la présente étude, au regard de l’hypothèse (Revenu, EBITDA et VE), les données leur concernant diffèrent en termes de date de celles relatives à la date de transaction. En effet, il s’agit de tester les hypothèses stipulant que les opérations de LBO et la structure des dettes LBO (c’est-à-dire les variables LBO, dettes senior-junior et obligation) influent positivement sur ces trois variables expliquées. Cela implique alors d’utiliser des données relatives à deux périodes différentes :

 

  • D’une part, les variables concernant les opérations de LBO et les composantes de la dette LBO sont relatives à la date de transaction : LBOvolt (volume des transactions LBO à la date t), LBOdealt (nombre de négociations à la date t), Seniort et Juniort (tranches senior et junior à la date t), et Bondt (Obligation dans la dette LBO à la date t).

 

  • D’autre part, les trois variables expliquées (selon les hypothèses) sont relatives à la date t+1 (dites variables « retardées ») qui est celle d’au moins une année après le début des opérations de LBO, c’est-à-dire durant ou après ces opérations : Revenu t+1, EBITDA t+1, VE t+1.

 

Les données sont alors arrangées pour devenir des séries temporelles, et pour cela, on a considéré une période trimestrielle, ce qui donne des séries trimestrielles allant du premier trimestre 2011 (11Q1) jusqu’au dernier trimestre 2015 (15Q4), soit vingt périodes.

 

Il faut remarquer qu’en utilisant les données concernant ces trois dernières variables mais relatives à la date t (Revenu t, EBITDA t et VE t), on les retrouve bien en tant que variables explicatives. En effet, ces trois variables sont apparemment corrélées avec les variables LBO et composantes de la dette LBO (cf. Figure 5).

 

 

Figure 5 – Tendances des variables Revenu, EBITDA, VE, LBOvol, Senior et Junior relatives à la date t de transaction (variables centrées réduites)

 

Bien entendu, ces variables « brutes » ont permis de calculer des variables intermédiaires telles que la « marge EBITDA » (rapport entre l’EBITDA et les revenus de la cible), les différents multiples de l’EBITDA (VEx, Senior_x, Junior_x, etc.).

 

Des outils statistiques (analyse des données[2], analyse des corrélations, tests statistiques, etc.) ont alors utilisés pour détecter et identifier la nature des éventuelles relations existant entre ces différentes variables dans la perspective de vérifier les hypothèses de recherche. Le logiciel STATA a permis une exploitation plus simple et plus rapide des données à travers ces outils statistiques.

 

Chapitre 4. Présentation et analyse des résultats

 

Afin de mieux coordonner la présente étude empirique, il convient de présenter et d’analyser les résultats en fonction des hypothèses à vérifier. Mais avant cela, une présentation générale des données s’impose :

 

4.1. Présentation générale des données

 

D’abord, il est constaté une relative croissance annuelle du marché du LBO européen, même si cette croissance n’est pas systématique, dans la période considérée de l’étude (2011-2015) : cette croissance relative est surtout appréciable à partir de 2012, essentiellement en nombres de transactions et de négociations (cf. Figure 6). Il est possible d’apprécier aussi que cette croissance n’est pas linéaire : elle ralentit au fil du temps.

 

Figure 6 – Variations annuelles du nombre des transactions, du volume et du nombre de négociation sur le marché des LBO européens (données centrées réduites)

 

On peut aussi constater une relative corrélation entre le nombre des transactions, le volume des LBO, et le nombre des négociations, ce qui laisse penser que cette croissance est due (au moins en partie) à l’accroissement en nombre des transactions (cf. Figure 7). Cette relative corrélation se manifeste davantage en appréciant les tendances trimestrielles sur le marché européen. Il apparait également une certaine saisonnalité (cyclicité annuelle) de ce marché dont le début du cycle semble se situer en fin d’année, c’est-à-dire qu’approximativement : une croissance durant le premier semestre et l’inverse pour le second semestre de l’année.

 

Figure 7 – Variations trimestrielles du nombre des transactions, du volume et du nombre de négociation sur le marché des LBO européens (données centrées réduites)

 

De manière logique, on a aussi constaté une décroissance continue du taux d’intérêt (Euribor) durant ces cinq années (que ce soit annuellement ou trimestriellement). En effet, étant donné que le LBO constitue une alternative aux autres moyens de placement, les investisseurs rationnels devraient être davantage attirés par le LBO lorsque le taux d’intérêt diminue. Cela est en cohérence avec le fait que la croissance (supposée pour la période considérée de l’étude empirique) du marché de LBO est une fonction négative du taux.

 

4.2. Les variables revenus, EBITDA et VE sont-elles influencées par les opérations de LBO et les dettes ?

 

Une première lecture graphique des données donne déjà une idée sur la relative corrélation existant entre les trois variables (retardées) à tester comme « expliquée » et les variables de LBO d’une part, et les variables composantes des dettes LBO d’autre part.

 

Figure 8 – Tendances trimestrielles du volume de transaction LBO, des tranches sénior et junior de la dette LBO, et du revenu, de l’EBITDA, de la VE de l’entreprise cible (données centrées réduites)

 

Cette intuition se confirme avec le calcul des coefficients de corrélation entre les variables de l’entreprise (Revenu, EBITDA et VE) et les variables relatives au LBO (volume et deal) et aux composantes de la dette (Senior, Junior et Bond) (cf. Tableau 3).

 

Tableau 3 – Coefficient de corrélation linéaire entre les variables de l’entreprise et celles du LBO et des composantes de la dette LBO

Variables LBO Composantes dette
LBO volume LBO deal Senior Junior Bond
Revenu          0,64            0,52      0,81        0,10            0,64  
EBITDA          0,87            0,76      0,97        0,23            0,75  
VE          0,86            0,76      0,96        0,31            0,74  

 

Si la variable Revenu des entreprises cibles sont relativement moins corrélés avec les variables du LBO et des composantes de la dette LBO, l’EBITDA et la VE ont de coefficient de corrélation élevé avec ces dernières. En ce qui concerne les composantes de la dette LBO, les tranches Junior semblent être décarrelées avec les variables de l’entreprise ; en revanche, les tranches Senior, et de moindre mesure les obligations (Bond) sont relativement corrélées avec ces variables de l’entreprise. Désormais, le montant des tranches Junior sont relativement faible par rapport aux deux autres composantes de la dette : les coefficients de corrélation entre les trois variables de l’entreprise et les montants totaux des financements (somme des montants des trois composantes de la dette) sont relativement élevés (respectivement de 0.82, 0.98, et 0.99).

 

Au regard de ces résultats, on peut dire que, en tenant compte des données trimestrielles, les trois variables de l’entreprise cible sont linéairement expliquées par le volume des transactions LBO, les tranches senior de la dette LBO et le montant des obligations dans cette dette. La nature de chacune de ces relations fonctionnelles reste à déterminer. Cela confirme alors l’hypothèse H1.

 

4.3. Structuration des dettes LBO

 

En considérant toujours les variations du montant total des transactions de LBO par trimestre, on constate une relative corrélation entre, d’une part ces volumes trimestriels de transaction et, d’autre part, les montants trimestriels des dettes (comprenant les trois principales composantes : Senior, Junior et Obligation), notamment à partir de 2013 (cf. Figure 9). En d’autres termes, plus le marché du LBO européen est en croissance (respectivement, en décroissance), plus la part des dettes dans le financement des opérations de LBO augmente (respectivement, diminue).

 

On note que la corrélation apparait plus forte en tenant compte de ces montants totaux des dettes (le cas évoqué ci-dessus est associé à un coefficient de corrélation de 0.86), plutôt que de considérer séparément les trois composantes (les coefficients de corrélation entre les volumes trimestriels de transaction de LBO d’une part, et les tranches seniors (0.82), les tranches junior (0.18), et les obligations (0.72) d’autre part), ou encore de considérer uniquement les tranches senior et junior des dettes (0.82). Cela semble dire que la structuration du financement du LBO européen varie dans le temps.

 

Figure 9 – Tendance trimestrielle du marché de LBO européen et du montant de la dette dans le financement des opérations de LBO (données centrées réduites)

 

En tenant compte les variations annuelles de ces données (cf. Figure 10) on observe que :

 

  • Les volumes de transaction sur le marché européen du LBO sont en général en augmentation dans la période considérée ;

 

  • Le poids de l’obligation dans le financement des opérations de LBO est proportionnel au volume de transaction, en nette augmentation depuis l’année 2012 ;

 

  • Il en est de même, mais de moindre mesure pour les tranches seniors de la dette LBO (avec une baisse assez substantielle du poids de ces tranches contre une baisse assez subtile pour le volume de transaction, en 2014) ;

 

  • On remarque aussi une relative « complémentarité » entre les tranches seniors et les tranches juniors de la dette LBO : elles sont quelque peu inversement proportionnelles. Autrement dit, les baisses relatives des tranches seniors sont comblées par des hausses relatives des tranches juniors, une relation toutefois nuancée par le fait que la part de ces dernières est assez faible par rapport à celle des tranches juniors.

 

Figure 10 – Tendances annuelles du volume de transaction LBO, des tranches senior et junior de la dette LBO, et des obligations dans le financement du LBO (données centrées réduites)

 

Par ailleurs, le Tableau 4 révèle un certain nombre d’informations :

 

  • Il semble que le poids des capitaux propres se stabilise autour de 40-50% (avec une tendance baissière).

 

  • Il en est de même pour la part des tranches seniors de la dette LBO.

 

  • Du côté de la dette mezzanine, la tendance est à la baisse, mais avec une part tournant autour de 2% à 9%.

 

  • Finalement, la proportion des emprunts obligataires dans le financement du LBO est en moyenne de 14%.

 

Tableau 4 – Parts annuelles des diverses composantes du financement des opérations de LBO européens, de 2011 à 2015

Année Senior Junior Bond Equity
2011 41% 3% 6% 50%
2012 39% 9% 0% 52%
2013 45% 3% 9% 43%
2014 34% 4% 18% 44%
2015 41% 2% 16% 41%

 

Il y a lieu alors de conclure que la tendance se rapproche de celle du type « milieu des années 2010 » (cf. Tableau 2 – Evolution du montage type de LBO). Cela dit, la structuration de la dette LBO n’a pas véritablement évolué depuis la réouverture du marché du LBO européen après la crise des subprimes. Les investisseurs semblent être plus prudents dans la composition du financement de leurs opérations de LBO, d’autant plus que la croissance même du marché européen illustre cette prudence.

 

L’hypothèse H2 n’est donc pas vérifiée, car ni l’accroissement substantiel de la part de la dette LBO par rapport aux capitaux propres, ni la hausse de la part des tranches plus risquées de cette dette ne se sont manifesté explicitement.

 

4.4. Les attentes et/ou exigences des investisseurs

 

Le Tableau 5 démontre combien les coefficients de corrélation linéaire entre les dates t de transaction et les dates t+1 durant ou à la fin du LBO sont quasiment égaux. Les graphiques des tendances des Revenus, des EBITDA, et des VE aux dates t et aux dates t+1 confirment cette corrélation quelque peu parfaite de chacune de ces variables sur les deux dates différentes (cf. Figure 11).

 

Tableau 5 – Coefficients de corrélation linéaire entre les variables de l’entreprise aux dates t et t+1

COEFF. de CORR. Date t de la transaction Date t+1 durant ou à la fin du LBO
Revenu t EBITDA t VE t Revenu t+1 EBITDA t+1 VE t+1
A la date t de la transaction Revenu t         1,00              0,87           0,82            1,00          0,87             0,81
EBITDA t         0,87              1,00           0,98            0,87          1,00             0,98
VE t         0,82              0,98           1,00            0,81          0,98             1,00

 

 

Figure 11 – Tendances des Revenus (haut à gauche), des EBITDA (haut à droite), et des VE (bas) des cibles aux dates t et t+1

 

Cela démontre à quel point le management de chaque entreprise cible s’engage à (au moins) maintenir le niveau de la performance de sa société d’avant le début des opérations de LBO, jusqu’à la fin de ces opérations. Cela donne déjà des idées sur les exigences des investisseurs concernant cette performance. Plus concrètement, les variations de ces variables des entreprises cibles (Revenu, EBITDA et VE) sont relativement minimes : seuls les EBITDA ont connu une (très faible) décroissance (les autres ont évolué en hausse mais très subtilement) (cf. Tableau 6). On remarque d’ailleurs que les moyennes et les écart-types de ces variables sont pratiquement les mêmes entre les dates t et t+1, surtout pour l’EBITDA (cela facilite désormais l’analyse comparative entre les deux dates puisque ne nécessitant pas de changement de base pour le calcul des multiples de l’EBITDA).

 

Tableau 6 – Variation des Revenus, des EBITDA et des VE des entreprises cibles de t à t+1 : données agrégées sur un échantillon de 129 entreprises

Revenu t Revenu t+1 EBITDA t EBITDA t+1 VE t VE t+1
Somme Totale 80 374 80 023 12 190 12 206 111 683 111 666
Moyenne 4 019 4 001 610 610 5 584 5 583
Ecart-type 2 503 2 484 330 330 3 182 3 136
Ecart entre t et t+1 351 – 16 17
Variation entre t et t+1 0,44% -0,13% 0,02%

 

Pour ce qui concerne la valeur de l’entreprise cible, on observe une faible amélioration moyenne de celle-ci. Les plus fortes augmentations de cette valeur (en faisant donc abstraction des valeurs moyennes en début de période, en premier trimestre 2011, avec 0.35x, en multiple de l’EBITDA) ont été enregistrées en 2014 (deuxième trimestre) et au début de l’année 2015 (près de 0.23x de différence) (cf. Figure 12). En revanche, les opérations ayant occasionné les plus importantes baisses (mais relativement faibles) sont celles de 2013 (premier trimestre avec –0.42x) et de 2015 (troisième trimestre, consécutivement à la hausse de cette année, avec –0.39x).

 

 

Figure 12 – Variations (entre t et t+1) annuelles (haut) et trimestrielles (bas) de la valeur de l’entreprise par rapport à l’EBITDA

 

Il faut dire que la valeur moyenne des entreprises ayant fait l’objet de LBO (de l’échantillon utilisé) a beaucoup varié durant la période considérée (2011-2015) :

 

  • Il faut néanmoins dire que cette valeur moyenne est assez élevée, avec un minimum moyen de 6.5x, en quatrième trimestre 2014, qui ne coïncide pas nécessairement à un minima substantiel des variations de cette valeur entre les dates t et t+1 ; de même que le maximum moyen de 12.4x, en premier trimestre 2014 ne correspond à aucun des maximas des variations de la valeur de l’entreprise entre t et t+1 (cf. Figure 13). Cela implique que ces fluctuations de cette valeur moyenne ne sont pas (essentiellement) dues à ces variations entre les dates t+1.

 

  • On remarque que cette valeur présente une certaine corrélation visuelle avec les tranches seniors de la dette LBO (cf. Figure 15). Même si cette relative corrélation est très limitée (avec un coefficient de corrélation linéaire de 0.5), il faut tout de même reconnaitre que ces tranches seniors expliquent au moins en partie l’évolution de la valeur moyenne des entreprises cibles.

 

  • Le coefficient de corrélation linéaire de cette valeur moyenne va de 0.5 avec les tranches seniors, en passant par 0.6 avec l’ensemble des tranches seniors et juniors (démontrant la relative complémentarité de ces deux tranches majeures dans la composition du financement du LBO), jusqu’à 0.7 avec l’ensemble des composantes de la dette LBO (y compris les emprunts obligataires). On peut alors parler de complémentarité générale entre ces différentes composantes de la dette LBO. Désormais, la part des autres composantes (hors dette) du financement du LBO (avec principalement les capitaux propres) évolue peu, fluctuant autour de 50% (cf. Figure 14).

 

  • Finalement, on remarque également que les opérations dans la deuxième moitié de la période considérée (à partir du deuxième trimestre 2013) intègrent nettement plus de part consistante d’emprunts obligataires. Cela pourrait être encouragé par la baisse tendancielle du taux d’intérêt constatée dans la période considérée : les investisseurs sont plus enclins à contracter des emprunts obligataires à faibles taux, et donc à coûts réduits pour compléter le financement. En effet, on constate que, si les tranches seniors et juniors de la dette sont généralement au-dessus de 40% avant 2013, cette circonstance est inversée dans la période suivante (cf. Figure 14).

Figure 13 – Variations des différentes composantes du financement du LBO par rapport à l’EBITDA

 

Figure 14 – Variation des parts des différentes composantes du financement du LBO par rapport à l’EBITDA

 

Figure 15 – Evolution des tranches Seniors / EBITDA et des VE / EBITDA

 

Ainsi, il est difficile de conclure à une vérification de la troisième hypothèse H3. En effet, même si les trois variables des entreprises cibles n’évoluent pas toutes positivement de manière significative (on peut statuer en une sorte de statu quo, la préservation de la performance de ces entreprises, on ne peut pas dire que les investisseurs en sont moins exigeants. En fait, il ne faut pas oublier que la croissance supposée du marché de LBO dans la période considérée (2011-2015) n’est pas systématique et à ampleur assez limitée. Ainsi, ces investisseurs se montrent nettement plus prudents dans cette période par rapport à d’autres périodes de forte croissance (comme celle antérieure à la crise des subprimes), c’est-à-dire en une limitation de la proportion de la dette LBO entre 40% et 60%. Néanmoins, il est possible de penser à une augmentation progressive de cette proportion, notamment en faisant abstraction de certaines périodes, comme celle du dernier trimestre 2015, par exemple (cf. Figure 16). En contrepartie, les fonds semblent exiger au moins le maintien de la valeur moyenne des entreprises cibles, certainement pour une sortie profitable avec une plus-value positive pour ces investisseurs.

 

Mais, pour obtenir une telle plus-value, les investisseurs exigeraient probablement un raccourcissement de la période de remboursement, alors que la période de remboursement théorique (le rapport entre l’endettement et l’EBITDA) augmente donc proportionnellement au montant total de la dette. Désormais, les entreprises cibles arrivent généralement à rembourser plus vite leurs emprunts (avec une durée moyenne de 4.4 à 5.1 ans : cf. Figure 17) par rapport à ce qui est exigé en principe par les banques (de 6-7 ans pour la tranche A et de 7-8 ans pour la tranche B de la dette senior).

 

Par ailleurs, les investisseurs commencent aussi à adopter des comportements plus risqués dans le financement de leurs opérations de LBO. En effet, ils commencent à recourir à des emprunts obligataires, constitués essentiellement d’emprunt high yield afin de réduire les coûts de ces opérations (cf. Figure 14).

 

Il est possible alors de conclure à une vérification, mais limitée, de la troisième hypothèse, c’est-à-dire à une hausse (mais de manière assez modeste) de la motivation des investisseurs pour financer les opérations de LBO, tout en étant assez exigeants pour rentabiliser celles-ci.

 

Figure 16 – Evolution de la part de la dette dans le financement du LBO

Figure 17 – Evolution de la durée théorique de remboursement de la dette LBO (Total dette / EBITDA)

 

Il y a lieu alors de discuter de ces résultats d’analyse et ensuite de les synthétiser en guise de conclusion.

 

Chapitre 5. Discussion et synthèse

 

Désormais, les trois variables des entreprises cibles, Revenu-EBITDA-VE, qui sont à priori des variables explicatives, constituent également des variables expliquées par le LBO et la structuration de la dette LBO. Au regard des allures des courbes, d’une part ces trois variables (en tant que variables retardées, au temps t+1) et, d’autre part, les variables du LBO et des composantes de la dette LBO (au temps t), cette relation fonctionnelle est positive (le signe positif des coefficients de corrélation linéaire confirme ce constat visuel). En d’autres mots, les montants du revenu, de l’EBITDA, et de la valeur de l’entreprise cible augmentent proportionnellement avec la hausse du marché du LBO et de celle de la part des diverses composantes de la dette dans le financement des opérations de LBO.

 

Il ne faut pas oublier que ces trois variables de l’entreprise cible influencent aussi positivement le volume des opérations de LBO, ainsi que les montants des diverses composantes de la dette LBO. Ainsi, dans un premier temps, on peut parler « d’effet multiplicateur », dans le sens où toutes ces variables s’influencent mutuellement, et de manière positive. Néanmoins, cela ne décrit pas précisément et de façon quantitative les caractéristiques de cet effet multiplicateur du LBO, notamment en considération de la structuration de la dette. En effet, toutes les composantes de la dette LBO n’influencent pas les trois variables de l’entreprise de la même manière. On constate, par exemple, que : d’un côté, la part des emprunts obligataires et des tranches seniors dans la dette LBO augmentent proportionnellement avec le volume des opérations de LBO, ce qui ne semblent pas être le cas pour les tranches junior ; en fait, d’un autre côté, il y a une relative complémentarité entre les tranches seniors et les tranches juniors de la dette LBO.

 

Il est alors intéressant de « quantifier », si possible, cette relation fonctionnelle existant entre ces deux groupes de variables (les variables de l’entreprise d’une part, et les variables de la dette LBO d’autre part). Les coefficients de corrélation n’ont fait que représenter de manière assez tautologique l’intensité de cette relation.

 

En outre, un autre facteur en relation plus ou moins directe avec les dettes mérite une considération particulière, car susceptible d’influencer les opérations de LBO, et donc des trois variables de l’entreprise (même de façon indirecte). Il s’agit des coûts de la dette, à travers le taux d’intérêt d’une part, et de la durée de remboursement de la dette LBO d’autre part. Comme il est vu dans l’analyse du chapitre précédent, la durée de remboursement est représentée théoriquement par le rapport entre le total du montant de la dette et l’EBITDA ; ce qui implique que ce facteur est déjà pris en compte car ces deux quantités (montant de la dette et EBITDA) le sont déjà. Il semble en être de même pour l’autre composante des coûts de la dette, le taux d’intérêt.

 

En fait, le volume des opérations de LBO est, en principe, inversement proportionnel au taux d’intérêt. Il est supposé que, proportionnellement au risque des opérations de LBO, les taux d’intérêt associés aux tranches seniors et juniors sont relativement élevés, tels que ces premières sont plus coûteuses (plusieurs centaines de points de base par rapport à l’Euribor) que les secondes. Désormais, la dette junior est subordonnée par la dette senior, ce qui fait que les investisseurs exigent un taux plus élevé pour le financement mezzanine. Pour amortir ces coûts, les fonds ont commencé à intégrer dans leurs emprunts des titres obligataires qui, certes, comportent des taux relativement plus élevés que les tranches seniors et juniors, mais sont moins exigeants dans le mode et la durée de remboursement.

 

En fin de compte, les trois variables de l’entreprise sont, chacune, influencées par les trois composantes de la dette LBO ainsi évoquées (senior, junior, bond). Il faut reconnaitre que d’autres composantes de la dette devraient compléter cette liste, mais on se limite, ici, des données disponibles. Par ailleurs, il faut se rendre compte, également, de multitude d’autres facteurs influençant ces trois variables de l’entreprise, ce qui signifie que l’on est obligé de faire abstraction de ceux-ci car dépassant le cadre de la présente étude. Tout ceci constitue des limites manifestes de ce travail de recherche et de sa portée.

 

On se propose alors d’appréhender les relations fonctionnelles entre chacune de ces variables de l’entreprise (en tant que variables expliquées) et les composantes de la dette LBO à travers une modélisation. Par souci de simplification, on se limite aussi au recours à la régression linéaire[3].

 

Voici le résultat de la régression pour chacune des variables de l’entreprise (chacune de ces variables étant placée comme variable endogène) :

 

  Revenu EBITDA VE
Coefficient de Détermination (R²) 0.70758851 0.982630964 0.976528502
Ecart-type de l’erreur 1 513 49 545
F (Fisher) 12.9058041 301.7264936 221.8926149
p-value (Fisher) 0.00015348 2.74394E-14 3.04295E-13
Senior Coefficient 1.25027892 0.195179782 1.839756369
σ 0.30829094 0.009910143 0.11105423
t de Student 4.0555163 19.69495056 16.56628808
p-value 0.0009184 1.21264E-12 1.70802E-11
Junior Coefficient -0.95812462 0.026983085 1.664463979
σ 1.70732251 0.054882609 0.61502096
t de Student -0.56118549 0.491650919 2.706353259
p-value 0.58244626 0.629642677 0.015568057
Bond Coefficient 0.95862367 0.134295106 1.231139894
σ 0.63085465 0.020279091 0.227249879
t de Student 1.51956345 6.62234343 5.417560182
p-value 0.14813374 5.86586E-06 5.69588E-05
Constante Coefficient 789.318225 80.73960128 348.3657889
  σ 692.441746 22.25883453 249.4351148

 

Déjà, au regard des coefficients de détermination, on constate que :

 

  • L’EBITDA est le plus influencé par les trois composantes de la dette LBO, suivi de près par la valeur de l’entreprise : les deux variables de l’entreprise présente aussi des p-values de la statistique de Fisher très bas (respectivement de 2.744E-14 et 3.043E-13).

 

  • En revanche, le Revenu en est le mois influencé, bien que le modèle linéaire correspondant se présente globalement acceptable (une statistique de Fisher de 12.9 et un p-value de 00015).

 

Une des raisons majeures possibles de ce constat réside probablement dans les indicateurs pris en compte principalement à la fois par le management de l’entreprise cible et par le management du fonds d’investissement LBO. En effet, plutôt que de s’intéresser sur des indicateurs « bruts » assez éloignés de leur objectif conjoint final (qui est la maximisation de la plus-value à l’issue des opérations de LBO) comme le revenu, ils sont surtout amenés à se focaliser surtout sur les deux grands variables qui leur ont servi même d’indicateurs dans leur décision d’entamer les opérations de LBO :

 

  • D’une part, l’EBITDA qui est une référence pour l’appréciation des cash-flows, permettant de suivre de près l’atteinte de cet objectif final de manière à mieux apporter les éventuels ajustements nécessaires en cas de besoin.

 

  • D’autre part, la valeur de l’entreprise qui rend directement compte du niveau potentiel de la plus-value. Il ne faut pas oublier que la revente de l’entreprise est la principale motivation du LBO pour les investisseurs, d’où l’importance capitale d’au moins maintenir la valeur de l’entreprise pour attirer les acheteurs potentiels à la sortie du LBO.

 

La comparaison des statistiques relatives au test de significativité individuelle des coefficients confirme aussi tout ce qui vient d’être évoqué. En tout cas, il apparait que, au regard de ces statistiques, les tranches seniors de la dette LBO influencent le plus le niveau de chacune des trois variables de l’entreprise cible, avec des coefficients de 0.1951 (EBITDA), de 1.84 (VE), et de 1.2502 (Revenu)[4]. Cela découle d’au moins les raisons évidentes suivantes :

 

  • Le poids des tranches seniors est très important dans la dette LBO : environ 40% du financement du LBO.

 

  • Le principe de subordination des tranches de dette incite les managers (de l’entreprise et du fonds) à fixer leur attention surtout sur les priorités à payer (les tranches seniors d’abord).

 

  • Il est d’usage pour une entreprise cible de contracter les tranches seniors de la dette auprès d’un groupe de banque familier, et cette relation de proximité entre les deux parties influe sur ce qui devrait être à prioriser (afin d’entretenir cette relation).

 

Concernant les tranches juniors de la dette LBO, il s’avère qu’elles influencent beaucoup plus la valeur de l’entreprise que l’EBITDA, et encore moins pour le revenu[5]. Cette influence des tranches juniors sur la valeur de l’entreprise cible est même comparable à celle des tranches seniors (mais de moindre mesure) :

 

  • Désormais, bien que le poids de ces tranches juniors semble être nettement faible par rapport aux autres composantes principales de la dette LBO, il existerait un certain seuil pour ce poids en deçà duquel les prêteurs ne sont pas motivés à réaliser le financement (environ 200 000 euros).

 

  • De plus, les coûts de ces tranches sont également élevés (avec un taux atteignant souvent 800 points de base au-dessus de l’Euribor).

 

  • Enfin, la valeur de l’entreprise est surtout influencée par ces tranches car le remboursement de celles-ci se fait in fine, c’est-à-dire juste au moment où l’attention sur cette valeur de l’entreprise est à son maximum.

 

A propos de la composante obligataire de la dette, celle-ci influence plus probablement l’EBITDA, mais également la valeur de l’entreprise :

 

  • En effet, d’un côté, le paiement des intérêts (qui sont généralement élevés, surtout pour les obligations high yield) intervient tout au long de la période de LBO, ce qui devrait impacter significativement sur la performance globale de l’entreprise, sur la capacité de celle-ci à générer des cash-flows importants, d’autant plus que le poids de l’obligation dans la dette est assez important (allant jusqu’à 9% en moyenne dans la deuxième moitié de la période considérée, c’est-à-dire largement plus que le poids des tranches juniors).

 

  • Aussi, d’un autre côté, le remboursement du capital de ces emprunts obligataires est effectué plus près de la fin des opérations de LBO, juste au moment où les fonds cherchent de nouveaux repreneurs pour l’entreprise, d’où la forte influence de cette tranche obligataire sur la valeur de l’entreprise.

 

 

En somme, il est incontestable que la structuration de la dette LBO influence beaucoup la performance de l’entreprise cible. Les investisseurs devraient donc tenir compte de la composition de leur financement pour les opérations de LBO afin de mieux en optimiser le processus et d’en maximiser la plus-value. Une question cruciale qui reste en suspens concerne l’avenir des entreprises faisant l’objet de ces opérations, surtout en tenant compte de l’effet multiplicateur qui en résulte. En effet, de manière quantitative, la performance de l’entreprise cible incite les investisseurs financiers à s’intéresser à cette dernière, ce qui devrait influer positivement (au moins maintenir) cette performance et inciter à une nouvelle. Le risque de « financiarisation » de ces entreprises est alors très élevé avec cet effet dette pourrait faire oublier d’autres facteurs importants qui méritent pourtant d’être pris en compte. C’est probablement dans ce sens que la Banque centrale européenne (BCE) a cherché à maîtriser au mieux ces opérations de LBO, notamment dans la limitation de la part de la dette dans leur financement (le levier ne devrait pas excéder 6 fois l’EBITDA et l’emprunteur doit être à mesure d’honorer sa dette dans les 5 à 7 premières années du LBO).

 

Conclusion

 

Le leverage buy-out (LBO) est une technique de placement assez complexe, mais se présentant très rentable pour les investisseurs. Il faut, dans cette perspective, admettre que ce type de placement comporte beaucoup de risque, notamment celui relatif au retournement de conjoncture, étant donné que le LBO est fortement dépendant de la performance de l’entreprise sous-jacente (la cible). Parmi les avantages souvent cités du LBO figurent la potentialité de cette technique à résoudre le problème d’agence existant entre les actionnaires (le principal) et le management (l’agent). De temps en temps également, l’achat avec effet de levier est loué par les investisseurs financiers comme étant un moteur rehaussant la performance de la société cible. Néanmoins, cette technique est aussi critiquée comme favorisant la financiarisation de l’entreprise et de l’économie, délaissant les véritables intérêts pour l’entreprise et pour ses salariés. Mais, la perspective de revente de l’entreprise cible est toujours avancée comme une des motivations de préserver ces intérêts (de l’entreprise notamment, donc ne délaissant pas les innovations en l’occurrence) pour présenter un « produit » attractif aux yeux des repreneurs potentiels.

 

Par ailleurs, il faut dire que le LBO a de forts enjeux vis-à-vis des principaux acteurs de ce marché. D’abord, les impacts pour l’entreprise cible des opérations de LBO sont théoriquement élevés, surtout au niveau de sa performance. Aussi, les managers adoptent un tout autre point de vue, notamment à l’égard de la dette : en effet, étant des actionnaires en devenir, ils trouvent dans celle-ci une ressource majeure de profit personnel. Il y a également les fonds qui n’hésitent pas à contracter massivement des emprunts pour financer les opérations de LBO et en attendent des plus-values positives et substantiellement élevées.

 

L’étude empirique a montré que la structuration de la dette n’est pas sans conséquence sur au moins les trois grandes variables indiquant la performance de l’entreprise cible, à savoir : le Revenu, l’EBITDA, et la valeur de l’entreprise. Désormais, dans un contexte de croissance assez lente et prudente du marché du LBO européen dans la période 2011-2015, les investisseurs semblent aussi prendre beaucoup de précaution dans le financement des opérations de LBO. Cette prudence se reflète dans la structuration de la dette qui est désormais caractérisée par une part très importante pour les capitaux propres (de 40% à 50%), suivi des tranches seniors encore très pesantes (environ 40%), une assez faible place pour les tranches juniors (de 2% à 9%), et un regain d’intérêt pour les emprunts obligataires (jusqu’à 14%) dans la seconde moitié de la période considérée. Cette structure n’évolue presque pas. En conséquence, les investisseurs exigent surtout le maintien de la performance de l’entreprise cible pour s’assurer une plus-value positive et substantielle à la sortie du LBO. Ainsi, ils commencent à connaitre une hausse de motivation dans le financement des opérations de LBO, mais de manière lente et assez limitée.

 

Il s’avère que ce sont surtout les variables les plus utilisées comme indicateurs dans les opérations de LBO qui sont les plus influencées par les diverses composantes de la dette LBO, dont l’EBITDA et la valeur de l’entreprise cible. En tout cas, ce sont les tranches seniors de la dette qui ont le plus d’impacts sur la performance de la société cible, suivies de près par la composante obligataire de cette dette (à cause de la priorisation du remboursement et du paiement des intérêts, qui influencent directement les affaires dans l’entreprise. Néanmoins, les tranches juniors ne restent pas sans conséquences sur cette performance, surtout vers la fin des opérations de LBO, d’où leur influence élevée sur la valeur de l’entreprise.

 

On peut alors parler d’effet multiplicateur du LBO, et plus particulièrement de la dette LBO : celle-ci influence positivement et de façon conséquente la performance de la cible, incitant alors à de nouvelles opérations de LBO à la sortie du premier, et ainsi de suite. On se demande alors sur l’implication forte de cet effet multiplicateur sur la financiarisation de l’économie, justifiant alors l’intervention (certainement non-souhaitée selon les avis des investisseurs financiers) de la Banque centrale européenne (BCE) pour régulariser ce marché.

 

 

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[1] Sauf mention contraire explicite, la notion d’effet de levier fait référence à l’effet de levier de la dette dans le présent document.

[2] Dont principalement l’Analyse en composante principale ou ACP.

[3] Le recours à d’autres types de modélisation donne des résultats non significativement différents du modèle linéaire qui apparait désormais être le moins coûteux, en termes de taille d’échantillon.

[4] Il est possible de tenir compte de ces trois coefficients car les statistiques de Student laissent apparaitre l’acceptabilité des tests relatifs au paramètre « Senior » pour chacune de ces trois variables de l’entreprise.

[5] Les statistiques de Student (t de Student et p-value) limitent un intervalle de confiance plus précis, plus serré, pour la valeur de l’entreprise que ceux pour les deux autres variables, avec une marge d’erreur à 0.05%.

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