Cooperation Internationale En Matiere De Fraude Fiscale
COOPERATION INTERNATIONALE EN MATIERE DE FRAUDE FISCALE |
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CE | Conseil d’Etat |
CGI | Code général des impôts |
ETNC | Etats et territoires non coopératifs |
LPF | Livre des procédures fiscales |
OCDE | Organisation de coopération et de développement économiques |
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PARTIE I. – EFFECTIVITE DE LA COOPERATION FISCALE INTERNATIONALE DANS LA LUTTE CONTRE LA FRAUDE FISCALE.. 6
CHAPITRE I. – LES AVANCEES DE LA COOPERATION INTERNATIONALE SUR L’ECHANGE DE RENSEIGNEMENTS FISCAUX.. 7
Section I. – Généralités. 7
Section II. – Le FACTA : un grand tournant dans la coopération internationale sur l’échange de renseignements fiscaux. 8
Section III. – OCDE : la nouvelle norme commune de déclaration pour l’échange automatique de renseignements fiscaux entre Etats. 100
CHAPITRE II. –. LE REGIME JURIDIQUE DE L’ECHANGE D’INFORMATIONS FISCALES 122
Section I. – Champ d’application de l’échange de renseignements
fiscaux. 122
Section II. – Limites de l’échange d’informations fiscales. 144
Section III. – Modalités de l’échange d’informations fiscales. 177
PARTIE II. –. LES PERSPECTIVES D’EFFICACITE DE LA COOPERATION INTERNATIONALE DANS LA LUTTE CONTRE LA FRAUDE FISCALE 200
CHAPITRE I. – ANALYSE DE L’EFFICACITE DE L’ECHANGE D’INFORMATIONS FISCALES EN EUROPE.. 211
Section I. – Efficacité limitée dans un cadre bilatéral. 211
Section II. –. Efficacité relativement renforcée dans un cadre multilatéral 233
CHAPITRE II. –. LA COOPERATION FISCALE INTERNATIONALE : IMPUISSANTE FACE AUX PARADIS FISCAUX ET AUX CENTRES OFFSHORES. 255
Section I. – Notion de paradis fiscal et de centre offshore. 255
Section II. – Les mesures incitatives à la coopération internationale. 29
A en juger par son ampleur et les difficultés rencontrées par les Etats pour y faire face, la fraude fiscale est une des plus importantes délinquances financières. Le Conseil des prélèvements obligatoires, dans son rapport de 2007 en estime le montant entre 30 et 40 milliards d’euros. Son évaluation, de par son statut d’acte contrevenant à la loi et au règlement, est relativement complexe. Toutefois, la fraude fiscale étant quantifiable, certaines hypothèses permettent d’en approcher les montants. De plus, celle-ci a des répercussions auprès des citoyens, les personnes physiques en étant les contributeurs ultimes.
En effet, les entreprises, quand elles-mêmes sont concernées, répercutent les sommes, qu’elles ont ou auraient dû acquitter au titre de leur fiscalité, sur leur prix de vente aux clients (personnes physiques), sur les actionnaires (qui finissent par s’avérer être des particuliers, sauf dans le cas spécifique de l’Etat actionnaire mais le processus est en voie de disparition), ou encore sur les salariés. In fine, elle pèse sur tous les contribuables car elle impose à l’Etat d’accroître la pression fiscale[1] pour compenser les manques à gagner qu’elle génère.
D’un point de vue éthique, philosophique, économique, la fraude fiscale peut s’apparenter, certes, à une rupture délibérée avec les valeurs républicaines de solidarité, fraternité, égalité. En effet, la collecte de l’impôt par l’Etat est principalement affectée à la mise en œuvre des politiques publiques pour l’éducation, la santé, l’emploi, la sécurité, la justice, etc. Frauder l’impôt, c’est priver l’Etat d’une partie de ses revenus, et donc l’empêcher, à pression fiscale constante, de répondre aux objectifs que les citoyens sont en droit d’attendre de leurs représentants démocratiquement élus.
Or, un consensus existe véritablement sur la nécessité de lutter contre la fraude, mais la complexité du système fiscal français, dont certaines dispositions datent de la Révolution, rend la tâche des contrôleurs éminemment ardue. Le fait est que, de par la multitude de ses statuts, de ses critères d’évaluation, de ses modes de calcul, de ses procédures, la fiscalité française est un domaine sophistiqué qui laisse des possibilités aux contrevenants de la détourner.
Les fraudeurs sont nombreux et utilisent de plus en plus des outils informatiques puissants spécialement conçus pour dissimuler des recettes. De même les nouvelles technologies de l’information et de la communication comme Internet permettent même à de simples particuliers d’être en infraction (combien de vendeur sur les sites de ventes aux enchères déclarent réellement le montant de leurs bénéfices aux services fiscaux ?). La fraude fiscale est souvent le corollaire d’autres infractions : travail dissimulé, trafics de stupéfiants…
Des moyens de détection existent, mais ne sont efficaces que si une réelle coopération entre les services administratifs de différents ministères est opérationnelle. Par exemple, les services des impôts ont dû s’adjoindre des compétentes policières pour mener à terme des enquêtes fiscales d’envergure qui avaient des ramifications délictuelles. Quant à eux, les policiers peuvent faire appel à des spécialistes du droit fiscal pour appréhender toutes les données d’une affaire pénale. Rappelons qu’Al Capone[2] fut condamné pour fraude fiscale, la police ne parvenant pas à étayer les soupçons qu’elle nourrissait sur ses activités criminelles.
Il est à noter qu’une des conclusions du Conseil des prélèvements obligatoires est que le montant des impôts et cotisations échappant frauduleusement aux services chargés du recouvrement correspondent quasiment au montant total de l’impôt sur le revenu, qui est l’impôt le plus symbolique. Pour autant, rien ne laisse entrevoir qu’une lutte efficace contre la fraude fiscale permettrait de recouvrer l’intégralité des pertes qui en résultent.
S’il devenait impossible de frauder le système national, le risque d’une évasion fiscale persisterait : évasion qui verrait les bases d’imposition quitter le pays, pour s’établir sous des cieux fiscalement plus cléments. Il existe, aux côtés de pays ouvertement déclarés paradis fiscaux internationaux, d’autres paradis de proximité qui servent d’échappatoire aux pays limitrophes quand leur pression fiscale est trop forte, évitant ainsi la disparition totale des bases fiscales.
La lutte contre la fraude fiscale ne saurait donc rester exclusivement nationale. Et c’est d’ailleurs dans cette optique que les coopérations internationales[3] en vue d’assurer une meilleure application des législations fiscales nationales dans le respect des droits fondamentaux des contribuables s’inscrivent. Et quand il est question de lutte coordonnée contre cette délinquance financière, il s’agit principalement d’échange de renseignements ou assistance à l’assiette entre les Etats permettant d’établir ou de contrôler l’assiette des impôts.
Il est à préciser cependant que la lutte concertée contre la fraude fiscale n’est qu’une préoccupation récente, qui s’est développée dans l’ombre de la lutte contre le blanchiment d’argent sale. En effet, la Convention des Nations unies contre le trafic de stupéfiants et de substances psychotropes, adoptée à Vienne le 20 décembre 1988, précise encore que les infractions qu’elle établit ne peuvent être considérées comme des infractions fiscales. Il est possible aux signataires de refuser la coopération en arguant du fait que l’infraction visée est de nature fiscale, et que l’échange d’informations n’est alors pas systématique. Ce n’est qu’à la fin des années 1990 que la lutte contre la fraude fiscale a été considérée comme une préoccupation partagée, au sein particulièrement du groupe d’action financière (GAFI), dont les préoccupations étaient alors essentiellement tournées vers le blanchiment de l’argent de la drogue. Cependant, ce n’est qu’en 1998 que les recommandations du groupe, régulièrement révisées et modifiées, ont concerné la lutte contre la fraude fiscale. En mai 1998 en effet, les ministres des Finances du G7 ont appuyé une action internationale de lutte contre le blanchiment de capitaux et la fraude fiscale, en demandant au GAFI de veiller à ce que l’obligation pour les banques de déclarer les transactions suspectes effectuées par leurs clients concerne également la fraude fiscale.
Partout dans le monde, les actualités fiscales mettent en exergue les difficultés que les Etats font face pour lutter contre la fraude fiscale. Sans qu’ils arrivent vraiment à définir cette réalité, plus particulièrement par rapport à l’optimisation fiscale, les Etats élaborent des instruments juridiques spéciaux afin de lutter contre ce qu’ils considèrent comme une rupture du pacte républicain en ce qu’il se fonde sur la nécessité de la « contribution publique »[4]. Parallèlement, les acteurs économiques en tant que contribuables peuvent de leur côté se fonder sur la liberté civile qui consiste dans le droit de faire tout ce qui n’est pas défendu par la loi[5]. L’optimisation fiscale peut être définie comme l’utilisation par le contribuable de moyens légaux afin de minorer le montant de l’impôt dû. Elle consiste, à cet effet, à faire le meilleur usage des règles fiscales applicables, voire à profiter des opportunités pouvant résulter de la combinaison de plusieurs dispositions. Par définition, l’optimisation fiscale est légale. C’est pourquoi, elle ne doit pas être confondue avec la fraude fiscale. En effet, la fraude implique une violation de la loi dans le dessein délibéré d’échapper à l’impôt.
Quoiqu’il en soit, comme il a été évoqué plus haut, la lutte contre la fraude fiscale ne saurait être exclusivement nationale. Et c’est dans cette perspective que les assistances administratives en matière fiscale entre les Etats s’inscrivent. Ce qui nous amène dès lors à poser les questions suivantes : en quoi consiste vraiment une coopération fiscale interétatique destinée à lutter contre la fraude fiscale ? Serait-elle en mesure d’apporter des réponses efficaces pour faire face à ce fléau ? Le développement qui va suivre se focalisera d’ailleurs sur ces questions.
Pour une meilleure appréhension du sujet, on mettra en lumière dans une première partie l’effectivité de la coopération fiscale internationale dans la lutte contre la fraude fiscale (Partie I). Dans une seconde partie, on se focalisera sur l’efficacité de ladite coopération (Partie II).
PARTIE I. – EFFECTIVITE DE LA COOPERATION FISCALE INTERNATIONALE DANS LA LUTTE CONTRE LA FRAUDE FISCALE
La plupart des États se trouvent confrontés au phénomène de la mondialisation : mobilité des personnes physiques ou morales et des capitaux, internationalisation des échanges, développement des transactions transfrontières dématérialisées, concurrence fiscale, tous ces éléments constituent des facteurs aggravant le risque de fraude en matière fiscale. Dès lors, les administrations fiscales se trouvent devant un problème récurrent de connaissance et d’appréhension d’une matière taxable, qui au-delà même de la lutte contre la fraude fiscale, exige une coopération renforcée entre les États. En effet, l’appréhension de la situation fiscale d’un contribuable (particulier ou entreprise) nécessite de plus en plus la connaissance d’informations détenues à l’étranger, qu’il s’agisse d’établir la territorialité de l’impôt, de s’assurer du bon statut fiscal d’une entité juridique, ou de déterminer la nature de ses revenus. L’échange de renseignements, aspect fondamental de la coopération internationale pour lutter contre la fraude fiscale, est donc devenu une nécessité.
Dans cette première partie, on exposera successivement les avancées de la coopération internationale sur l’échange de renseignements fiscaux (Chapitre I) et son régime juridique (Chapitre II).
CHAPITRE I. – LES AVANCEES DE LA COOPERATION INTERNATIONALE SUR L’ECHANGE DE RENSEIGNEMENTS FISCAUX
La coopération internationale ou encore l’assistance administrative peut être définie comme « l’ensemble des opérations traduisant une coopération entre les administrations fiscales de deux ou plusieurs États en vue de permettre une application correcte des dispositions régissant l’assiette, le contrôle et le recouvrement des impôts de chacun des États intéressés. En d’autres termes, les États qui prêtent assistance acceptent de mettre en œuvre les divers moyens juridiques et pratiques que leur confère leur législation nationale pour aider une administration étrangère à remplir ses attributions fiscales sans se heurter aux limites de souveraineté que constituent les frontières nationales[6] ».
Dès lors, l’échange de renseignements peut prendre l’une des trois formes suivantes :
- l’échange de renseignements d’office : il concerne la transmission, sans demande préalable et d’une manière périodique, d’informations relatives à une ou plusieurs catégories de revenus ayant leur source dans un État et concernant un résident d’un autre État. Pour son application, l’échange d’office requiert un accord formel entre les autorités compétentes des deux États, énumérant la liste exhaustive des renseignements à communiquer systématiquement et fixant leurs conditions de transmission. En impôts directs, les catégories de revenus principalement visées sont les pensions, les salaires, les intérêts, les redevances, les honoraires et les commissions ;
- l’échange de renseignements sur demande : il vise des cas (particuliers ou entreprises) où un État souhaite recueillir des informations susceptibles d’être détenues par un État partenaire ou obtenir la confirmation de faits dont il a eu connaissance ;
- l’échange spontané d’informations : il permet de transmettre à une administration étrangère, sans demande préalable de sa part, tous les renseignements disponibles qui révèlent l’existence de revenus imposables dans ce pays, qui donnent une indication sur la fortune ou le train de vie d’un non-résident, ou qui laissent supposer qu’une fraude a été commise dans un autre État.
Les différents instruments juridiques régissant les échanges de renseignements adoptent donc une ou simultanément plusieurs de ces formes.
L’échange de renseignements n’est pas un phénomène récent. On peut rappeler en effet que la première convention fiscale signée par la France, qui date du 12 août 1843, loin de rechercher l’élimination du double imposition, avait pour unique objet l’échange de renseignements entre la France et la Belgique ! Cet échange de renseignements s’est bien évidemment développé lorsque des institutions internationales ont élaboré des modèles de conventions, d’abord sous l’égide de la SDN, puis de l’OCDE et enfin de l’ONU, de sorte qu’à l’heure actuelle la plupart des conventions fiscales bilatérales l’organisent et le prévoient.
Avec l’apparition en 2008 de la crise financière, puis économique, ce mouvement s’est amplifié : les divers G 20 qui se sont tenus ont attiré l’attention sur les paradis fiscaux, provoquant une certaine effervescence internationale. En 2009, l’OCDE a publié une liste des paradis fiscaux assortie de la couleur blanche, grise ou noire, liste établie en fonction de la volonté manifestée par ces États (ou entités) de coopérer avec les États dits à fiscalité normale. Toujours en 2009, l’OCDE a incité les États à conclure des conventions dites d’échanges de renseignements fiscaux (CERF). De fait, un grand nombre de conventions ont été signées entre États à fiscalité normale et États de la liste grise ou noire, ces derniers ayant pourtant tous les stigmates du paradis fiscal patenté. Quelles que soient les réserves que l’on peut émettre à leur égard, les conventions « CERF » présentent l’intérêt de lever le secret bancaire ainsi que l’anonymat pouvant exister en droit des sociétés. Force est donc de constater que l’échange de renseignements s’est énormément développé. À titre d’exemple, la France l’a prévu dans toutes les conventions fiscales qu’elle a signées avec les États membres de l’Union européenne, et même avec les États qui n’en sont pas membres, même si géographiquement ils en sont proches, tel le Liechtenstein[7].
Section II. – Le FACTA : un grand tournant dans la coopération internationale sur l’échange de renseignements fiscaux
L’accord d’échanges de données bancaires entre la France et les États-Unis destiné à mettre en œuvre la législation américaine « Foreign Account Tax compliance Act » (FACTA) a été conclu le 14 novembre 2013. Ladite législation a révolutionné le droit international et le droit fiscal en créant un système de conventions privées à conclure entre l’administration fiscale américaine (Internal Revenue Service – IRS) et des institutions financières étrangères. Non seulement FATCA a déjà eu une influence majeure sur l’échange international d’informations, mais cette loi devient un standard global[8].
L’objectif du dispositif FATCA est de faire de l’échange automatique d’informations le nouveau standard mondial pour lutter contre la fraude fiscale internationale. Il décrit les informations qui doivent être obtenues et échangées, d’une part, par la France, d’autre part, par les États-Unis, ainsi que le calendrier et les modalités pratiques de cet échange d’informations.
Ce texte, voté le 18 mars 2010, vise les contribuables américains qui détiennent des comptes en dehors des États-Unis et qui utilisent certains véhicules de placement offshore pour échapper à l’imposition aux États-Unis de leurs revenus et valeurs patrimoniales. De nouvelles exigences de due diligence et de reporting visant, en premier lieu, les intermédiaires financiers étrangers ainsi que certains autres établissements financiers, dits Foreign Financial Institutions (FFI) sont mises en place. Signé entre l’IRS (Internal Revenue Service) et les FFI, le FFI Agreement décrit les obligations de due diligence, de reporting à mettre en place. Concrètement, ces établissements doivent déclarer aux autorités américaines les mouvements bancaires affectant les comptes détenus par leurs clients de nationalité américaine. Cette obligation de reporting s’applique pour les comptes excédant 50 000 $ et ceux enregistrant des mouvements sur le territoire américain. Le texte vise les établissements bancaires mais également les sociétés de gestion et les OPCVM.
De plus, les Non-Financial Foreign Entities (NFFE) sont également visées indirectement. En application de la nouvelle loi, ces NFFE ont, en effet, le cas échéant, l’obligation de fournir aux banques et aux établissements financiers, avec lesquels elles sont en relation d’affaires, des informations sur leurs propriétaires directs et indirects. Les établissements bancaires sont fortement incités à respecter ces obligations, car les FFI n’ayant pas signé le FFI Agreement sont réputées non participating et, en conséquence, frappées d’un impôt à la source s’élevant à 30 % de leurs revenus américains. En pratique, cependant, ces obligations peuvent être contraires aux législations nationales dans lesquelles sont installées les établissements concernés, notamment en matière de protection des données personnelles. Afin de pallier cette difficulté, les États-Unis s’emploient à signer avec différents États des accords spécifiques destinés à permettre aux établissements de transmettre ces informations au niveau national. Une fois recueillies par les autorités nationales, ces informations sont transmises aux autorités américaines dans le cadre de l’échange automatique d’informations.
L’accord qui a été conclu avec la France n’est pas isolé, puisque d’autres États comme le Danemark, l’Espagne, l’Irlande, la Grande-Bretagne, le Mexique, la Norvège ou la Suisse ont signé l’accord proposé par les États-Unis.
La France continue d’œuvrer pour qu’un projet multilatéral et réciproque d’échange automatique d’informations, sur un champ de revenus et d’actifs financiers aussi large que FATCA, voie le jour au niveau européen et au niveau mondial. Pour Pierre Moscovici, le ministre de l’Économie et des Finances, l’accord précité signé avec les États-Unis constitue d’ailleurs « le socle du développement de l’échange automatique d’informations » conformément à la feuille de route établie lors du G20 de Saint-Pétersbourg en septembre 2013.
Rappelons que les membres du G20 ont, à cette occasion, fixé dans un communiqué conjoint un calendrier pour l’échange automatique d’informations, qui devrait débuter fin 2015. Afin de lutter contre la fraude fiscale, ils ont précisé soutenir « pleinement la proposition de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) de mettre en place un modèle réellement international pour des échanges bilatéraux et multilatéraux automatiques d’informations ». Pour Pierre Moscovici, à l’initiative de la France, le G20 a reconnu « l’échange automatique d’informations comme un standard international : une avancée décisive ».
Afin de renforcer la coopération administrative en vue de lutter plus efficacement contre la fraude et l’évasion fiscales, les États membres de l’Union européenne ont adopté la directive no 2011/16/UE relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal qui prévoit, dans un premier temps, un échange d’informations sur demande par les administrations fiscales des États membres afin d’appliquer leurs législations fiscales respectives puis, dans un deuxième temps, la mise en place graduelle d’un échange automatique d’informations, limitée à certaines catégories de revenus. L’échange automatique d’informations entrera en vigueur au 1er janvier 2015 pour cinq catégories de revenus et de capital : revenus professionnels, jetons de présence, produits d’assurance-vie non couverts par d’autres directives, pensions, propriété et revenus de biens immobiliers. Ultérieurement, il pourrait s’étendre aux dividendes, plus-values et redevances.
Parallèlement, certains États souhaitent mettre en place un véritable FATCA européen. C’est le cas de l’État français qui, avec ses homologues britannique, allemand, espagnol et italien, a fait part au commissaire européen en charge de la fiscalité, Algirdas Semeta, du souhait commun d’instaurer un projet multilatéral d’échange de renseignements inspiré de la législation américaine FATCA. Après avoir construit ensemble un modèle d’accord bilatéral pour mettre en œuvre la législation américaine, ces États souhaitent donner à celui-ci une dimension multilatérale, en s’engageant à échanger entre eux les mêmes informations que celles qu’ils transmettront aux autorités fiscales américaines. L’échange automatique deviendrait la règle afin de mettre un terme au secret bancaire et à la dissimulation des avoirs. La généralisation de ces échanges à l’ensemble des États de l’Union européenne sera permise par l’application de la clause de la nation la plus favorisée prévue à l’article 19 de la directive no 2011/16/UE du 15 février 2011 qui prévoit que les États membres qui offrent à un pays tiers une coopération plus étendue doivent l’accorder à tout État membre souhaitant y prendre part. Au sein de l’Union européenne, ce projet de FATCA européen a pris un nouvel élan lorsqu’à la suite du Conseil des ministres des Finances de Dublin d’avril dernier, quatre autres États — la Belgique, les Pays-Bas, la Pologne et la Roumanie — se sont ralliés à cette initiative. Le Luxembourg a, pour sa part, annoncé sa participation à l’échange automatique d’informations sur l’épargne des non-résidents à partir de 2015. Que ce soit au niveau international ou au niveau communautaire, l’échange automatique d’informations tend donc à devenir le nouveau standard de la lutte contre la fraude fiscale.
Section III. – OCDE : la nouvelle norme commune de déclaration pour l’échange automatique de renseignements fiscaux entre Etats
L’Organisation de coopération et de développement économiques a présenté, le 13 février 2014, une nouvelle norme mondiale afférente à l’échange d’informations entre autorités fiscales du monde entier. Etablie par cette organisation avec les pays du G20, ladite norme demande aux juridictions de récolter des informations auprès de leurs institutions financières et de procéder à leur échange automatique avec d’autres juridictions sur une base annuelle.
La nouvelle norme définit les informations afférentes aux comptes financiers à échanger, les institutions financières assujetties à la déclaration, les différents types de comptes et les contribuables concernés, ainsi que les procédures de diligence raisonnables à suivre par ces institutions.
Cette norme est généralement basée sur les travaux antérieurs de l’OCDE effectués sur l’échange automatique de renseignements. Plus de 40 pays se sont engagés à adopter rapidement la norme. Le G20 a donné pour mission au Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales d’assurer le suivi et d’évaluer la mise en œuvre de la norme.
CHAPITRE II. – LE REGIME JURIDIQUE DE L’ECHANGE D’INFORMATIONS FISCALES
Section I. – Champ d’application de l’échange de renseignements fiscaux
L’échange de renseignements institué par les conventions fiscales vise, en premier lieu, à permettre une application correcte de ces accords.
De multiples situations d’espèce justifient une telle coopération. Ainsi, en matière de redevances, les administrations fiscales peuvent demander des renseignements sur l’identité du bénéficiaire pour savoir s’il existe entre le débiteur et le bénéficiaire des relations spéciales qui permettraient de contester le montant des redevances.
De la même façon, les renseignements sur les prix fixés entre deux entreprises situées dans deux États contractants différents ou entre un établissement stable situé dans un pays et son siège situé dans un autre, peuvent être très utiles aux administrations fiscales pour répartir de façon appropriée les bénéfices imposables entre deux entreprises apparentées ou ajuster le montant des bénéfices entre un établissement stable et le siège de l’entreprise.
De même, pour l’application du taux effectif de l’impôt, l’administration du pays du domicile du contribuable peut demander à l’administration de l’autre État de lui faire connaître le montant des revenus ayant leur source sur son territoire et dont l’imposition exclusive lui est attribuée par la convention.
L’échange de renseignements vise également à permettre une application correcte de la législation interne des États contractants relative aux impôts visés par la convention, même s’il n’y a pas dans ce dernier cas à appliquer un article particulier de la convention. Cette disposition permet alors de demander des renseignements en vue de l’application des mesures prévues par la législation interne pour lutter contre la fraude et l’évasion fiscales internationales.
Toutefois, certains accords précisent expressément que seule l’application de la convention doit être en cause pour justifier la procédure de l’échange de renseignements (Inde, Luxembourg, Pakistan, Suisse).
Sont naturellement concernés par l’échange de renseignements les impôts visés par les conventions qui organisent cet échange.
Cela concerne en pratique :
- l’impôt sur le revenu et l’impôt sur les sociétés dans tous les cas ;
- les droits d’enregistrement et de timbre (ex : Belgique, République centrafricaine, Nouvelle Calédonie) ;
- les droits de mutation à titre gratuit, soit dans le cadre des conventions fiscales générales (ex : pays d’Afrique francophone, Tunisie et Espagne), soit dans le cadre de conventions particulières concernant ces impôts (Autriche, Belgique, Canada, États-Unis, Finlande, Italie, Monaco, Portugal, Royaume-Uni, Suisse et Suède) ;
- l’impôt sur la fortune : conventions signées avec l’Allemagne, l’Autriche, le Canada, les Émirats Arabes Unis, les États-Unis et le Luxembourg ;
- de façon marginale, quelques impôts locaux visés expressément par les conventions conclues avec l’Allemagne, la Belgique et l’Autriche. Cela concerne en fait, au regard de la loi fiscale française, la taxe professionnelle, la taxe d’apprentissage et les taxes foncières ;
- la TVA est visée par la seule convention fiscale franco-monégasque.
D’une façon générale, les conventions ne limitent pas la portée de l’échange de renseignements aux personnes auxquelles il est susceptible de s’appliquer.
Il en résulte que l’échange de renseignements peut concerner aussi bien des résidents de chacun des États que des résidents d’États tiers, quelle que soit la nationalité de ces personnes.
Seule la convention franco-suédoise fait exception à ce principe en limitant l’application de l’échange de renseignements sur demande aux nationaux de l’État sollicitant l’assistance (art. 19). La double nationalité ne peut être opposée aux mesures d’assistance entre les deux pays.
Il est à remarquer que l’OCDE a mis à jour l’article 26 de son modèle de convention fiscale qui établit la norme internationale en matière d’échange de renseignements. La norme permet un échange de renseignements sur demande, lorsque les informations sont vraisemblablement pertinentes pour l’administration des impôts de la partie requérante, indépendamment du secret bancaire et d’un intérêt fiscal national.
La mise à jour autorise explicitement les demandes concernant des groupes, ce qui signifie que les autorités fiscales peuvent demander des renseignements sur un groupe de contribuables, sans les nommer de manière individuelle.
Le nouvel article 26 facilite l’échange de renseignements fiscaux entre organismes en charge de l’application de la loi afin de lutter plus efficacement contre les infractions fiscales et autres activités délictuelles. Tous les pays de l’OCDE ont adhéré à cette mise à jour[9].
Il est à préciser cependant que dans son principe même, l’échange de renseignements déroge au cadre des interventions de l’administration fiscale, les pouvoirs et les moyens d’action de celle-ci étant mis en œuvre non pour établir une imposition nationale mais pour aider un autre État à assurer correctement l’application de sa législation fiscale. Cette dérogation repose sur l’idée qu’il y a, pour les États, un intérêt réciproque et mutuel à coopérer dans la lutte contre l’évasion et la fraude fiscales. Une telle assistance ne peut toutefois s’exercer que dans le cadre des pouvoirs d’investigation et de contrôle des administrations fiscales, sous réserve de réciprocité et du respect d’un nécessaire secret.
Section II. – Limites de l’échange d’informations fiscales
L’État auquel sont demandés les renseignements ne peut pas agir au-delà des limites qu’imposent sa propre législation et sa pratique administrative normale, même si l’État requérant dispose de pouvoirs plus étendus en la matière.
En d’autres termes, l’assistance fiscale n’emporte aucun élargissement des prérogatives des administrations fiscales nationales. Dans ces conditions, il peut arriver qu’une administration étrangère déclare ne pas être à même, compte tenu de sa législation ou de sa pratique, de fournir l’assistance sollicitée par l’administration française. Inversement, si une administration étrangère demande une information qui ne peut être recueillie normalement en application de la législation ou de la pratique administrative française, l’administration fiscale française se borne à faire état de l’impossibilité de satisfaire la demande présentée.
La condition de réciprocité est strictement interprétée en matière d’assistance administrative. Cela signifie qu’une demande de renseignements ne peut être accueillie que dans la mesure où les deux législations en présence, celle de l’État requérant et celle de l’État requis, permettent d’obtenir les informations recherchées.
D’une part, il est nécessaire que la législation de l’État requis accorde cette possibilité d’investigation : une convention fiscale ne peut imposer aux contribuables des obligations excédant celles prévues par la législation à laquelle ils sont assujettis. Il ne serait pas concevable, en toute hypothèse, qu’un État mette en œuvre, dans l’intérêt d’un gouvernement étranger, des moyens de contrôle ou de répression de la fraude dont il serait dépourvu s’il agissait dans son propre intérêt.
D’autre part, il faut que la législation de l’État requérant ouvre, en semblable cas, les mêmes possibilités d’investigation ou des possibilités équivalentes. Les deux États doivent être placés sur un pied de stricte égalité dans une matière où chacun d’eux est appelé à être alternativement demandeur et requis.
Il en résulte que l’application des mesures d’assistance à l’assiette est limitée à l’échange des renseignements susceptibles d’être obtenus sur la base de la plus restrictive des deux législations.
Ainsi, l’État requis peut refuser de fournir des renseignements qu’il serait en mesure d’obtenir lorsque des informations de même nature ne pourraient pas lui être fournies par l’État requérant sur la base de la législation ou de la pratique normale de ce dernier. Ainsi, en matière d’informations bancaires, la France n’est pas tenue de répondre à une demande d’assistance du Luxembourg tendant à obtenir des informations bancaires, dans la mesure où le secret bancaire existe au Luxembourg, puisque la même question posée par la France au Luxembourg n’obtiendrait pas de réponse.
Le secret peut jouer en la matière un double rôle, soit en justifiant la non-communicabilité de certains renseignements, soit en protégeant la confidentialité de ceux susceptibles d’être transmis.
Ainsi que le prévoit l’article 26 de la convention modèle OCDE, un État contractant ne saurait supporter l’obligation « de fournir des renseignements qui révéleraient un secret commercial, industriel, professionnel ou un procédé commercial ou des renseignements dont la communication serait contraire à l’ordre public ».
Le Comité des affaires fiscales de l’OCDE a toutefois précisé qu’il convient de ne pas donner un sens trop large à la notion de secret ainsi définie. Avant d’invoquer cette disposition, un État contractant doit apprécier avec soin si les intérêts du contribuable en justifient réellement l’application. Sinon, il est évident qu’une interprétation trop large de cette clause rendrait en bien des cas inefficace l’échange des renseignements prévus par la convention.
Une question relativement délicate mérite d’être posée : quid de la conciliation de l’obligation de secret et du principe du contradictoire ? Sur ce point, le Conseil d’État a jugé dans l’affaire Weissenburger que les stipulations de l’article 27 de la convention fiscale franco-britannique du 22 mai 1968 et de l’article 23 de la convention franco-danoise du 8 février 1957 relatifs au caractère secret des renseignements échangés, qu’elles mentionnent expressément ou non les tribunaux, n’ont pas pour objet de faire obstacle à la communication par l’administration fiscale au juge compétent de renseignements recueillis dans le cadre de l’assistance administrative auprès d’administrations étrangères[10]. Il avait déjà statué en ce sens à propos de la convention fiscale franco-américaine[11].
Toutefois, conformément aux principes généraux de la procédure, le juge administratif ne peut statuer qu’au vu des pièces du dossier qui ont été communiquées aux parties. Le Conseil d’État en déduit qu’il appartient au juge de l’impôt, lorsque l’administration a choisi de lui transmettre les renseignements, y compris les documents obtenus dans le cadre de la convention, de les communiquer à la partie adverse. Dans le cas inverse, il incombe au juge, dans l’exercice de ses pouvoirs de direction de la procédure, de prendre toutes mesures propres à lui procurer, par les voies de droit, les éléments de nature à lui permettre de former sa conviction sur les points en débat, et d’en tirer les conséquences sur le litige au regard des suites données à ces mêmes mesures[12].
Le secret joue également un rôle quant à la protection des informations susceptibles d’être transmises. Il convient de rappeler que la législation de la plupart des États comporte une règle de secret professionnel liant l’administration fiscale. Ainsi que le prévoit l’article L. 103 du LPF :
« L’obligation du secret professionnel, telle qu’elle est définie aux articles 226-13 et 226-14 du Code pénal, s’applique à toutes les personnes appelées à l’occasion de leurs fonctions ou attributions à intervenir dans l’assiette, le recouvrement ou le contentieux des impôts, droits, taxes et redevances prévus au Code général des impôts ».
Le secret s’étend à toutes les informations recueillies à l’occasion de ces opérations.
Les articles L. 114 et L. 114 A du LPF autorisent des dérogations à cette règle en matière d’assistance fiscale internationale.
Les conventions fiscales conclues par la France, régulièrement ratifiées par le Parlement, ayant une autorité supérieure à la législation interne, peuvent donc valablement permettre à l’administration française de communiquer à des administrations étrangères les renseignements qu’elle détient ou qu’elle peut se procurer dans l’exercice de pouvoir de communication ou de vérification, non seulement en matière d’impôt sur le revenu mais également pour l’application des autres impôts visés par les conventions.
Toutefois, en raison même de son caractère dérogatoire, la transmission des renseignements doit être effectuée avec des garanties fixant les conditions et les limites de cette transmission.
Chaque État bénéficiaire d’un envoi de renseignements dans le cadre de l’assistance à l’assiette, doit observer, en ce qui concerne ces informations, les règles du secret administratif. Cette obligation au secret constitue, en effet, dans l’esprit de toutes les législations fiscales, une condition à laquelle est subordonné l’octroi de pouvoirs spéciaux d’investigation à l’administration chargée du contrôle de l’impôt.
Dès lors, toute limite imposée dans un État à l’usage qui peut être fait d’une documentation fiscale doit être respectée par l’État contractant auquel cette documentation est communiquée.
Les renseignements transmis doivent, en conséquence, rester confidentiels et n’être transmis qu’aux personnes et autorités chargées de l’établissement ou du recouvrement des impôts, voire du règlement du contentieux relatifs à ces impôts, soit aux tribunaux compétents.
Les administrations de la plupart des États respectent scrupuleusement les règles applicables en matière de secret professionnel. Il peut arriver cependant que certains États, nouvellement indépendants, aux structures administratives fragiles et souffrant d’une pénurie de fonctionnaires qualifiés, ne respectent pas ces règles et poursuivent certains contribuables tant pour la violation de réglementations diverses que pour des manquements à la législation fiscale en se fondant sur des renseignements communiqués par des administrations étrangères.
Ces dernières peuvent considérer, en pareil cas, qu’il y a eu manquement aux dispositions conventionnelles et, en conséquence, remettre en cause les arrangements intervenus en matière d’échange d’informations.
Section III. – Modalités de l’échange d’informations fiscales
La mise en œuvre de l’assistance administrative comporte pour les services fiscaux des conséquences différentes selon les trois modalités pratiques de l’échange de renseignements qui peut intervenir sur demande, d’office ou spontanément.
Toutes les conventions fiscales signées par la France prévoient que l’échange de renseignements peut avoir lieu sur demande visant des cas concrets.
L’administration fiscale française insiste auprès de ses agents sur l’opportunité de faire usage de ces dispositions chaque fois qu’il apparaît que la connaissance d’informations probablement disponibles auprès d’une administration étrangère permettrait de s’assurer de la réalité des informations communiquées par le contribuable ou de recueillir des renseignements qui n’ont pas pu être obtenus notamment au cours des opérations de contrôle.
Les services centraux concernés ont d’ailleurs pris des dispositions en liaison avec les principales administrations étrangères concernées pour accélérer autant que possible la réponse aux demandes de renseignements. Le délai d’obtention des renseignements varie suivant les pays, mais est généralement compris entre trois et neuf mois. À cet égard, la présence d’un attaché fiscal, correspondant de la Direction générale des Finances publiques en Allemagne, Belgique, Luxembourg, Canada, États-Unis, Espagne, Portugal, Italie, Pays-Bas, Royaume-Uni, Irlande, Monaco et Suisse, permet d’améliorer de façon sensible les conditions d’obtention des renseignements en provenance de chacun de ces pays.
Depuis janvier 2004, l’administration française a mis en place une déconcentration partielle de l’assistance administrative. Les directions nationales et spécialisées (DVNI, DNVSF, DNEF, DGE, DRESG et les DIRCOFI) sont désignées autorités compétentes et saisissent directement l’État requis par courrier. Les directions territoriales adressent leurs demandes à la Direction Générale, Sous-Direction du contrôle fiscal, Bureau CF3, autorité compétente qui adresse la demande à l’État requis et réceptionne la réponse.
Les attachés fiscaux sont compétents pour traiter les demandes les plus complexes ou d’une urgence particulière. Pour les demandes à destination des États-Unis, du Canada et du Mexique, le traitement est effectué par le poste de Washington qui est seul compétent. Le poste de Londres est l’interlocuteur exclusif pour les demandes à destination de l’Irlande ; il traite également les demandes de renseignement relatives aux comptes bancaires.
Toutes les demandes étrangères sont gérées par le Bureau CF3 ou les attachés fiscaux.
Cette forme d’assistance administrative concerne la transmission, sans demande préalable, et d’une manière périodique, d’informations relatives à une ou plusieurs catégories de revenus telles que par exemple : intérêts, redevances, honoraires, commissions, ayant leur source dans un État et perçus par un résident de l’autre État. Il peut s’agir également de renseignements concernant des biens situés dans un État et dépendant de la succession d’une personne qui était domiciliée dans l’autre État.
L’échange d’office requiert un accord formel entre les autorités compétentes des deux États énumérant la liste exhaustive des renseignements à communiquer systématiquement et fixant les conditions de transmission.
Il s’ensuit, à l’évidence, que l’étendue d’une telle procédure varie considérablement d’une convention à l’autre, la structure des systèmes de renseignements variant d’un État à l’autre selon les pouvoirs des administrations fiscales et les obligations exigées des contribuables.
Lorsqu’un tel accord est intervenu, l’échange d’office constitue alors un minimum obligatoire et la condition de réciprocité est réputée forfaitairement remplie pour les renseignements concernés : dans cette limite, aucun des États contractants ne peut se retrancher derrière ladite condition pour se soustraire à l’exécution des engagements précis qu’il a assumés.
L’échange d’office constitue le procédé d’assistance le plus efficace pour le contrôle de l’assiette des impôts. Chaque État est, en effet, mis en possession de renseignements concernant des matières imposables ou des faits générateurs d’impôts dont il pouvait ignorer l’existence même et à propos desquels par conséquent il eût été impuissant à faire jouer le mécanisme de l’échange sur demande.
Actuellement, dix-neuf pays ont conclu des accords de ce type avec la France. Ces pays sont : l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, le Danemark, l’Espagne, les États-Unis, la Finlande, le Gabon, la Haute-Volta, le Maroc, Monaco, le Niger, la Norvège, la Nouvelle-Zélande, les Pays-Bas, la Polynésie française, le Royaume-Uni, le Sénégal et la Suède.
L’échange spontané de renseignements recueillis par les administrations fiscales lors de l’exécution de leurs travaux de contrôle des documents qu’ils détiennent ou de vérification des situations fiscales particulières est la forme la plus souple de l’échange de renseignements.
Concernant en principe tous les États liés à la France par une convention fiscale, cette modalité d’échange peut être considérée soit comme un substitut à l’échange de renseignements d’office pour les pays avec lesquels un accord exprès sur ce point n’a pas été conclu, soit comme un complément à cet échange, pour des renseignements ponctuels non visés par l’accord intervenu sur l’échange d’office.
L’expérience démontre que c’est souvent la forme la plus profitable de l’échange de renseignements pour l’Administration qui en bénéficie. C’est la raison pour laquelle l’administration fiscale française est particulièrement favorable à son développement.
Par définition, la liste exhaustive des renseignements susceptibles d’être transmis spontanément est impossible à dresser.
Il s’agit, en fait, de tous les renseignements disponibles ou découverts lors des différents contrôles, sur pièce ou sur place, de nature à intéresser une administration étrangère, soit parce qu’ils révèlent l’existence de revenus imposables dans l’autre État, soit parce qu’ils donnent une indication de la fortune ou du train de vie des contribuables, soit, d’une manière plus générale, parce qu’ils révèlent ou laissent supposer qu’une fraude a été commise dans l’autre État.
Cette forme d’échange est encouragée par l’administration fiscale française dans la mesure où elle témoigne de la volonté de coopération de chaque pays et donne lieu à des retours d’informations de qualité.
PARTIE II. – LES PERSPECTIVES D’EFFICACITE DE LA COOPERATION INTERNATIONALE DANS LA LUTTE CONTRE LA FRAUDE FISCALE
Si la coopération des Etats entre eux s’avère être une nécessité absolue pour lutter contre la fraude fiscale, une question mérite cependant d’être posée : quid de son efficacité ? Le développement qui va suivre se focalisera d’ailleurs sur cette question.
Dans un premier chapitre, on fera une analyse de l’efficacité de l’échange d’informations fiscales en Europe (Chapitre I). Dans un second chapitre, on mettra en exergue l’impuissance de la coopération internationale dans la lutte contre cette délinquance financière face aux paradis fiscaux et aux centres offshores.
CHAPITRE I. – ANALYSE DE L’EFFICACITE DE L’ECHANGE D’INFORMATIONS FISCALES EN EUROPE
L’échange de renseignements est, en Europe, l’un des principaux moyens de lutte contre la fraude fiscale, qui représente, selon les estimations de la Commission européenne, entre 200 et 250 milliards d’euros, dont 40 milliards pour la seule TVA, soit un peu plus de 2 % du PIB de l’Union européenne[13]. Il existe certes d’autres moyens de lutte, mais ils sont moins pertinents, car trop techniques ou trop limités dans leur objet[14].
Cependant, il est à préciser que nonobstant le progrès que ce moyen de lutte contre la fraude fiscale a fait l’objet depuis quelques années et ce jusqu’à aujourd’hui, il ne doit pas faire illusion. Il importe de s’interroger sur le point de savoir s’il a atteint le but qu’il poursuit. A l’aune de la pratique, il ressort que l’efficacité de la technique de l’échange de renseignements varie en fonction du support juridique qui l’organise et la prévoit, et qui peut être une convention bilatérale ou une convention multilatérale. Cette efficacité est limitée dans le cadre des conventions bilatérales, elle est beaucoup plus importante dans le cadre des conventions multilatérales.
Section I. – Efficacité limitée dans un cadre bilatéral
Dans les conventions fiscales bilatérales, l’efficacité de l’échange de renseignements est limitée, et cela pour deux raisons fondamentales : d’une part, il s’agit de préserver la souveraineté de l’État, d’autre part il s’agit de protéger les droits du contribuable.
Le fait est que l’Etat requis doit se protéger contre les risques d’ingérence de la part de l’État requérant, cela au nom de sa souveraineté fiscale.
Cette protection induit un certain nombre de règles :
- tout d’abord, l’État requis n’est jamais obligé de communiquer des renseignements qui porteraient atteinte à ses intérêts vitaux ou à son ordre public ; ces notions d’intérêts vitaux ou d’ordre public sont suffisamment contingentes pour permettre à l’État requis de ne pas fournir les informations sollicitées ;
- ensuite, l’État requis n’est pas tenu d’accorder une assistance au-delà de ce que l’État requérant pourrait obtenir selon son droit interne. En d’autres termes, l’État requérant ne peut solliciter de l’État requis des renseignements que sa législation ne lui permet pas d’obtenir et qu’il serait incapable de fournir si on les lui demandait ;
- enfin, l’État requis ne peut pas donner des renseignements qui vont au-delà de sa législation et de sa pratique administrative normale.
Il découle de l’ensemble de ces règles et pratiques, telles que formalisées par l’OCDE, que l’État requis applique la plus restrictive des législations ou, si l’on préfère, que l’État requis n’est obligé de mettre en œuvre que les pouvoirs et procédures qui sont communs aux deux États.
La souveraineté de l’État est ainsi parfaitement préservée.
Quant aux droits du contribuable, ils sont tout autant respectés. En effet, là encore, la communication de renseignements est limitée par un certain nombre de règles.
Tout d’abord, un État n’est jamais obligé de fournir à un autre État des renseignements qui révéleraient un secret commercial, industriel ou professionnel. Toute information relative au droit des brevets est donc impossible à communiquer. Cependant, il est permis de s’interroger sur le point de savoir si le secret des affaires couvre ou non le secret bancaire. À cet égard, une indication est donnée par la jurisprudence[15]. M. Carayon avait exercé une activité d’entremise dans la vente d’avions Mirage des forces aériennes belges au Chili et perçu à ce titre des commissions pour un montant de 150 000 dollars US, commissions qui avaient été versées sur un compte bancaire suisse. Dans le cadre d’une commission rogatoire internationale, les autorités judiciaires helvétiques avaient transmis les informations relatives à ce compte aux autorités judiciaires belges, puis françaises, mais en les assortissant d’une condition expresse, à savoir « que leur utilisation à des fins directes ou indirectes […] dans une procédure de nature fiscale à caractère pénal ou administratif » soit exclue, par application de l’article 2 de la convention européenne d’entraide judiciaire en matière pénale du 20 avril 1959 et de la réserve exprimée par la Suisse le 5 décembre 1996.
L’administration fiscale française ayant eu la maladresse de fonder les redressements qu’elle avait opérés sur les informations transmises par la Suisse, la procédure d’imposition était irrégulière. La cour administrative d’appel de Versailles prononça en conséquence la décharge des impositions supplémentaires mises à la charge de M. et Mme Carayon. On le voit, la Suisse est particulièrement protectrice de son secret bancaire (qui ne peut être levé que pour des infractions pénales autres que fiscales). Et pourtant, les CERF initiées par l’OCDE prévoient, de la manière la plus explicite, que les États « disposent du droit d’obtenir et de fournir, sur demande, les renseignements détenus par les banques et autres institutions financières[16] ». En théorie, le secret bancaire en matière fiscale semble donc condamné.
Ensuite, les renseignements doivent rester confidentiels.
Ils ne peuvent en effet être transmis qu’aux seules administrations fiscales entendues au sens étroit du terme, puisque l’administration des douanes en est exclue.
La question se pose de savoir s’ils peuvent être communiqués au contribuable lui-même. Les conventions fiscales étant muettes sur ce point, la plus grande liberté est laissée aux États. Ainsi, en France, la jurisprudence a été pendant longtemps assez confuse. Le Conseil d’État a dans un premier temps opposé son refus à une telle communication, au motif du caractère secret des renseignements échangés entre administrations[17]. Puis, à partir de 1999[18], il a assoupli sa position et décidé que, si l’Administration produit les renseignements qu’elle a reçus dans le dossier soumis au juge, ces renseignements doivent être communiqués au contribuable, par respect des principes généraux de la procédure ; à l’inverse, si l’Administration s’abstient de les produire, le juge ne peut tenir pour établie la thèse qu’elle défend et forge sa décision sur des éléments autres que ceux tirés des renseignements communiqués par l’administration étrangère[19]. La Cour de cassation avait opté beaucoup plus tôt pour la communication de ces renseignements au contribuable, sur le fondement du principe général de la contradiction[20]. À l’inverse, certains États, tel l’Allemagne, prévoient que le contribuable doit être informé de tout échange de renseignements le concernant.
Toutes les règles qui encadrent l’échange de renseignements dans les conventions fiscales bilatérales sont de nature à entraver l’action des administrations et, par là même, à réduire l’efficacité de cette procédure.
Tel n’est plus vraiment le cas dans le cadre des conventions fiscales multilatérales.
Section II. – Efficacité relativement renforcée dans un cadre multilatéral
La raison de cette efficacité est aisée à comprendre : une convention fiscale multilatérale comprend, par hypothèse, un nombre élevé de signataires, ce qui d’une part réduit d’autant le nombre d’États tiers, d’autre part permet des demandes croisées de renseignements entre les États parties à la convention, évitant par là même un certain nombre des écueils précédemment rencontrés.
C’est d’ailleurs dans ce sens que travaillent l’OCDE et le Conseil de l’Europe, comme en témoigne la convention commune du 31 mars 2010, déjà citée, relative à l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale.
L’exemple le plus abouti de ce multilatéralisme et de son efficacité reste l’Union européenne. Certes les directives communautaires ne sont pas des traités, mais compte tenu de l’unanimité requise des États membres en matière fiscale, les directives qui traitent de questions fiscales leur ressemblent fortement. L’efficacité des directives, en ce qui concerne l’échange de renseignements, est particulièrement importante.
Ainsi, les directives de 1977 et 1979[21] relatives à l’assistance mutuelle des États membres dans le domaine des impôts directs et de la TVA ont pour effet de prévaloir sur les stipulations des conventions fiscales bilatérales. Il en découle les conséquences suivantes : bien que la convention fiscale franco-luxembourgeoise exclut de son champ d’application les holdings de la loi de 1929 (dites H29)[22], la France est en droit de demander des renseignements sur cette catégorie de holdings. De la même manière, les renseignements peuvent désormais être fournis de façon multilatérale : la France peut fournir des renseignements à la Belgique, alors même que les renseignements ont été demandés non pas par la Belgique, mais directement par l’Allemagne à la Belgique.
L’efficacité des techniques prévues par les directives précitées peut être renforcée par des règlements, tel le règlement du Conseil n° 1798/2003 du 7 octobre 2003, plusieurs fois modifié en 2006 et 2008, règlement qui est toujours en vigueur et qui concerne la coopération administrative dans le domaine de la TVA. Ce règlement organise notamment l’échange automatique de renseignements pour lutter contre les fraudes de type carrousel, ainsi que des techniques de contrôles multilatéraux et simultanés, techniques renforcées par une coopération accrue des agents des administrations fiscales des États membres.
Enfin, il est important de souligner l’apport de la directive du 15 février 2011[23] relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal. Limitée aux impôts directs et devant être transposée dans la législation des États membres au plus tard le 1er janvier 2013, elle doit certes abroger la directive de 1977, mais sans remettre en cause les règles précédemment établies. Surtout, elle insiste sur la nécessité d’organiser des contrôles simultanés, à l’identique de ceux prévus et organisés dans le règlement de 2003 relatif à la TVA.
La technique multilatérale est, on le voit, parfaitement organisée au sein de l’Union européenne.
Pour conclure, l’échange de renseignements apparaît comme une technique utile de lutte contre la fraude fiscale. Mais à l’heure de la mondialisation, cette technique souffre de handicaps certains dans un cadre bilatéral. Seul un cadre multilatéral est de nature à lui permettre de retrouver sa pleine efficacité.
CHAPITRE II. – LA COOPERATION FISCALE INTERNATIONALE : IMPUISSANTE FACE AUX PARADIS FISCAUX ET AUX CENTRES OFFSHORES
Section I. – Notion de paradis fiscal et de centre offshore
Dans le prolongement du rapport consacré à la concurrence fiscale dommageable qu’elle a publié en 1998, l’Organisation de la coopération et du développement économique utilise quatre critères cumulatifs pour considérer qu’un pays est un paradis fiscal.
Le premier élément tient au niveau des impôts dans ce pays, qui est faible voire inexistant. Ce critère ne saurait être suffisant, l’OCDE reconnaissance par ailleurs à chaque Etat le droit de fixer librement les taux d’imposition, qui peuvent être nuls.
S’ajoute donc à l’indice du niveau de prélèvement fiscal une condition de transparence. Celle-ci s’entent au sens fiscal puisqu’elle traduit le fait que les législations fiscales des pays sont appliquées d’une manière ouverte et cohérente entre des contribuables se trouvant dans des situations similaires, dès lors que les informations nécessaires aux autorités fiscales pour déterminer exactement le montant de l’impôt dû sont disponibles. Cette transparence n’existe pas dans un paradis fiscal.
Le troisième élément tient à l’existence, dans le pays concerné, de lois ou pratiques administratives qui empêcheraient un véritable échange de renseignements fiscaux avec les autres administrations, spécialement en ce qui concerne les contribuables dont l’imposition est faible ou inexistante. L’OCDE invite, en matière de renseignements fiscaux, les pays à adopter un système d’échange de renseignement à la demande. Les autorités compétentes d’un pays demandent dans ce cas de figure à celle d’un autre pays des informations spécifiques, pour une vérification fiscale déterminée, en général d’ailleurs en application d’un accord bilatéral. Ces échanges de renseignements se font en application de garanties appropriées, qui assurent aux contribuables une protection de leurs droits et la confidentialité de leur situation fiscale.
Le dernier indice est l’absence d’activités substantielles, ou la faiblesse des activités économiques locales. Ce dernier point est utilisé depuis 1998, pour identifier plus expressément les pays souhaitant attirer les investissements et transactions qui ne seraient motivés que par des considérations fiscales. Toutefois, le comité des affaires fiscales de l’OCDE a demandé dès 2001 que ce critère ne soit plus utilisé pour décider si un paradis fiscal était ou non coopératif, ce qui en limite d’autant la portée.
Le rapport de l’OCDE sur « les progrès dans l’identification et l’élimination des pratiques fiscales dommageables » de 2000, qui fait suite au rapport de 1998 précité, établit une liste de trente-cinq paradis fiscaux :
1. Andorre | 20. République des Îles Marshall |
2. Anguilla | 21. Principauté de Monaco |
3. Antigua et Barbuda | 22. Montserrat |
4. Aruba | 23. République de Nauru |
5. Commonwealth des Bahamas | 24. Antilles néerlandaises |
6. Bahreïn | 25. Niue |
7. Barbade | 26. Panama |
8. Belize | 27. Samoa |
9. Îles Vierges britanniques | 28. République des Seychelles |
10. Îles Cook | 29. Sainte Lucie |
11. La Dominique | 30. Fédération de St Christophe |
12. Gibraltar | 31. Saint Vincent et Grenadines |
13. Grenade | 32. Tonga |
14. Guernesey/Sark/Aurigny | 33. Turks & Caicos |
15. Îles de Man | 34. Îles Vierges des USA |
16. Jersey | 35. République de Vanuatu |
17. Liberia | |
18. Liechtenstein | |
19. République des Maladives |
La liste de l’OCDE ne comportait plus que trois noms dès 2008. Le 7 avril 2009, le secrétaire général de l’OCDE a même annoncé qu’il n’y avait plus aucun pays sur la liste noire des paradis fiscaux. Les derniers pays à la quitter (le Costa Rica, la Malaisie, les Philippines et l’Uruguay) ont intégré une liste « gris foncé », la nuance de couleur témoignant de la volonté de progrès affichée : les pays figurant en liste grise n’ont pas encore signé les douze accords de coopération nécessaires à leur sortie de la liste des paradis fiscaux. Tous les pays désignés dans le rapport de 1998 ont fait évoluer, en une dizaine d’années, leur contexte législatif ou réglementaire (souvent à la marge…), ou, plus fréquemment, passé des accords de coopération pour sortir de la liste. Toutefois, nombreux sont les dirigeants qui partagent le point de vue de l’ancien président de la République française, Nicolas Sarkozy, qui déclarait le lundi 13 décembre 2010, à l’occasion du 50ème anniversaire de l’OCDE : « Quand on est sorti de la liste noire, on peut y revenir. On en est sorti parce que l’on a pris des engagements, on peut y revenir parce que l’on n’a pas respecté ces engagements ».
Si l’OCDE a montré le chemin en désignant nommément les paradis fiscaux, force est de constater que ceux-ci ont su s’adapter à son système de classement pour lui ôter toute pertinence.
Le 2 avril 2009, le sommet du G20, qui s’est réuni à Londres, a défini comme prioritaire la lutte contre les paradis fiscaux, qui participe d’une restauration de la confiance dans le système financier mondial. Le communiqué final du Sommet exprime la volonté de sanctionner les Etats ou territoires qui s’affranchiraient des normes internationales de transparence en matière fiscale.
Y est notamment mentionné un renforcement des obligations déclaratives de la part des contribuables et des institutions financières en relation avec des paradis fiscaux, une augmentation de la retenue à la source qui s’applique aux versements à destination de ces pays, ainsi que l’impossibilité de déduire fiscalement des frais payés à un bénéficiaire résidant ou établi dans un paradis fiscal.
A l’issue de ce Sommet, une liste de quarante-deux paradis fiscaux a été rendue publique, dont des places financières de premier plan comme Monaco, le Luxembourg, la Suisse ou encore Singapour. Depuis lors, la plupart des quarante-deux pays sont sortis de la liste en signant des accords bilatéraux de coopération.
Le Sommet de Pittsburgh (24 et 25 septembre 2009) a précisé que les mesures de rétorsion à l’encontre des paradis fiscaux devaient s’appliquer à partir de mars 2010. Lors de son discours prononcé le 24 janvier 2001 pour la présidence française du G20, l’ancien président Sarkozy a notamment rappelé que le G20 devait s’assurer que les risques n’étaient pas transférés dans des « institutions financières non couvertes par la régulation bancaire », confirmant la lutte contre les paradis fiscaux.
Dans son rapport « L’économie déboussolée », publié en décembre 2010, l’ONG CCFD-Terre solidaire présente une classification originale des paradis fiscaux.
Considérant qu’il n’existe pas de liste faisant consensus, l’ONG a retenu un indicateur d’opacité financière, à partir des travaux du réseau d’ONG et d’experts Tax Justice Network. La liste comprend soixante pays, cités au moins une fois dans la quinzaine de listes de paradis fiscaux établies depuis les années 1970.
Le degré d’opacité financière est ensuite apprécié en fonction de douze critères : conformité aux normes anti-blanchiment, existence ou non de sociétés-écrans, qualité et intensité de la coopération fiscale, etc. Il est établi une pondération qui tient compte du poids du territoire concerné dans la finance offshore mondiale, indicateur de sa nocivité pour l’économie mondiale.
Sont, dans ce cadre, considérés comme des paradis fiscaux, en fonction de leur taux d’opacité :
1. Bahamas | 21. Costa Rica | 41. Uruguay |
2. La Barabade | 22. Gibraltar | 42. Andorre |
3. Bélize | 23. Grenade | 43. Aruba |
4. Brunei | 24. Îles Marshall | 44. Îles de Man |
5. Dominique | 25. Nauru | 45. Malte |
6. Malaisie | 26. Panama | 46. Philippines |
7. Îles Samoa | 27. Portugal | 47. Maldives |
8. Seychelles | 28. Soudan | 48. Guernesey |
9. Sainte-Lucie | 29. Emirats Arabes Unis | 49. Montserrat |
10. Saint-Vincent et Grenadines | 30. Îles Vierges américaines | 50. Singapour |
11. Suisse | 31. USA/Etat du Delaware | 51. Chypre |
12. Îles turques et caïques | 32. Autriche | 52. Hongrie |
13. Vanuatu | 33. Liban | 53. Lettonie |
14. Île Maurice | 34. Israël | 54. Antilles néerlandaises |
15. Antigua-et-Barbuda | 35. Liberia | 55. Belgique |
16. Bahreïn | 36. Anguilla | 56. Monaco |
17. Bermudes | 37. Jersey | 57. Hong-Kong |
18. Îles Vierges britanniques | 38. Liechtenstein | 58. Irlande |
19. Îles Caïmans | 39. Luxembourg | 59. Pays-Bas |
20. Îles Cook | 40. Macao | 60. Royaume-Uni/place de Londres |
Un paradis fiscal n’est pas nécessairement un centre offshore (entendons paradis bancaire), et réciproquement. Ainsi le secret bancaire suisse fait de la confédération un paradis bancaire, en ce sens qu’elle garde la stricte confidentialité des opérations bancaires qui se déroulent sur son territoire mais elle n’est pas un paradis fiscal, même si le système du forfait fiscal joue un rôle dans l’attractivité du pays.
Pour autant, certains paradis fiscaux sont également des centres offshores, qui coopèrent a minima avec les juges étrangers, préférant mettre en place un système de contrôle de la délinquance financière qui leur est propre. Les sociétés ressortissantes de ces pays peuvent donc, vis-à-vis du reste du monde, participer à des circuits financiers opaques qui permettent effectivement une fraude fiscale.
Les paradis fiscaux peuvent proposer, outre les traditionnelles activités bancaires des services juridiques qui renforcent leur attrait. Dans certains d’entre eux existe le principe anglo-saxon de la fiducie (trust en anglais) : le propriétaire d’un bien le donne à un trustee, qui en assure la gestion au profit d’un ou plusieurs bénéficiaires. Le bénéficiaire peut être le donateur, auquel cas il n’a plus aucune relation d’affaires avec les autres tiers concernés par la gestion des biens. Les banques ne connaissent que le trustee, qui est généralement un cabinet d’avocats spécialisé, auquel le secret professionnel permet de ne pas communiquer le nom des bénéficiaires des trusts qu’il gère. Ce type de montage fait des paradis fiscaux et bancaires l’abri d’activités de financement d’opérations mafieuses ou terroristes qui à la délinquance fiscale ajoutent des activités criminelles.
Section II. – Les mesures incitatives à la coopération internationale
Les listes d’États et territoires non coopératifs (ETNC) apparaissent à l’occasion du G20 qui s’est tenu à Londres le 2 avril 2009. Elles sont présentées par l’OCDE qui avait été sollicitée à cet effet par un précédent G20 qui s’était tenu à Washington le 15 novembre 2008.
L’OCDE était manifestement l’organisme le plus à même de répondre à la demande des États du G20, bousculés par la crise financière et économique et inquiétés par les moins-values engendrées par l’évasion fiscale internationale. La compétence fiscale de l’OCDE était notoire : dans son rapport de 1998, l’OCDE s’était intéressée à « la concurrence fiscale dommageable : un problème mondial ». Puis, en tant qu’organisation de coopération, l’OCDE avait créé sous son égide et en son sein le « Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements en matière fiscale », qui comprend plus de quatre-vingts membres[24] ; dans ce cadre, l’OCDE et son Forum mondial ont publié en 2000 une liste de trente-cinq États considérés comme des paradis fiscaux ; en 2002, est publié un « accord sur l’échange de renseignements en matière fiscale » ; enfin, en 2009, à Londres, l’OCDE présente des listes d’États et territoires non coopératifs.
Ces listes sont issues de l’analyse de quatre-vingt-sept États ou juridictions, qui ont été classés en fonction de leurs efforts pour appliquer le standard fixé par l’OCDE en matière de transparence et d’échange de renseignements, standard qui repose sur cinq principes :
- obligation de transmettre les renseignements demandés par un autre État ou juridiction ;
- interdiction de restreindre les échanges de renseignements en raison du secret bancaire ou des nécessités de la loi fiscale locale ;
- nécessité pour la juridiction requise d’utiliser ses pouvoirs pour obtenir les renseignements demandés ;
- respect des droits du contribuable ;
- stricte confidentialité des échanges d’informations.
À partir des données qu’elle avait recueillies, l’OCDE a publié trois listes (blanche, noire et grise) :
- la liste blanche regroupe les juridictions qui ont signé des conventions d’assistance administrative permettant l’échange de renseignements fiscaux conformes aux principes vus précédemment, et cela avec au moins douze États ou juridictions, autre standard fixé par l’OCDE. Environ quarante États ou assimilés figurent sur cette liste ;
- la liste noire concerne les juridictions qui refusent de connaître et d’appliquer les standards internationaux. Cela représente une dizaine d’États ou territoires ;
- la liste grise vise les juridictions qui ont reconnu les standards internationaux, mais qui ne les ont pas encore mis en œuvre, c’est-à-dire qui n’ont pas signé les douze accords requis. Figurent sur cette liste la plupart des entités qualifiées de paradis fiscaux en 2000, soit près de trente-huit juridictions.
Ces listes ont évolué au cours de l’année 2009 si bien qu’aucun État ou territoire ne figure plus sur la liste noire et que les juridictions figurant sur la liste grise ont été divisées par deux (moins de vingt paradis fiscaux). Précisons que ces listes sont purement indicatives et informatives, et sont dénuées d’effets juridiques.
Il est vrai que l’OCDE a affiné entre-temps sa technique d’évaluation, en créant au sein du Forum mondial un « Comité d’examen par les Pairs ». Présidé par la France, il est chargé de contrôler l’effectivité des échanges de renseignements selon une programmation qui comprend deux phases : la phase 1, qui porte sur le contrôle juridique des mesures prises par les juridictions pour se conformer aux standards internationaux, doit s’achever fin 2012 ; quant à la phase 2, qui porte sur le contrôle de l’effectivité des mesures prises, elle est censée aboutir fin 2014.
La France a largement emboîté le pas de l’OCDE, ce d’autant plus que la crise financière et économique des années 2008 et suivantes l’avait conduite, comme d’ailleurs la plupart des États, à s’endetter massivement, alors même que ses ressources fiscales stagnaient. À titre indicatif, le poids des pertes fiscales liées à l’évasion internationale se situerait en France entre 60 et 80 milliards d’euros[25].
La France s’est donc engagée dans la brèche ouverte par ces listes pour élaborer un texte des plus répressifs à l’égard des ETNC.
L’article 238-0 A du CGI est issu de la troisième loi de finances rectificative pour 2009[26]. Cette disposition précise que l’Administration publie une liste des ETNC qui remplissent les conditions suivantes :
- ces États et territoires ne sont pas membres de l’Union européenne au 1er janvier 2010 ;
- ils ont fait l’objet d’un examen par l’OCDE au regard de la transparence et de l’échange d’informations en matière fiscale ;
- ils n’ont pas conclu avec la France une convention d’assistance administrative permettant l’échange de renseignements nécessaire à l’application de la législation fiscale des parties ;
- ils n’ont pas signé avec au moins 12 États ou territoires une convention d’assistance administrative permettant l’échange de renseignements.
La liste des ETNC est fixée par un arrêté du ministre de l’Économie, pris après avis du ministre des affaires étrangères. La liste est révisée tous les ans : ainsi, la liste de l’année 2010 comprenait 18 États ou territoires (dont le Liberia et nombre d’« îles au trésor » pour la plupart sous pavillon britannique ou hollandais), celle de l’année 2011 en comprenait toujours dix-huit, mais avec deux changements, celle de l’année 2012 en comprend seulement huit : Botswana, Brunei, Guatemala, îles Marshall, Montserrat, Nauru, Niue, Philippines. Concernant la liste de 2013, les Bermudes, les Îles Vierges britanniques et Jersey y font leur entrée tandis que les Philippines ont été retirées. Quant à la liste de 2014[27], les Bermudes et Jersey, qui avaient été ajoutés lors de la dernière mise à jour ont été retirés. Tel n’est pas le cas pour les Îles Vierges britanniques qui y demeurent inscrites.
Le dispositif anti-ETNC tel que prévu à l’article 238-0 A du CGI complète le dispositif déjà existant en matière de régime à fiscalité privilégiée, mais avec une philosophie différente. Le dispositif destiné à lutter contre les pays à fiscalité privilégiée est fondé sur une analyse du régime fiscal du bénéficiaire du revenu (avantage fiscal égal ou supérieur à 50 %), alors que le dispositif anti-ETNC est fondé sur la capacité de l’État (ou du territoire) à permettre l’obtention d’informations nécessaires au contrôle fiscal.
L’objectif poursuivi par le législateur est de dissuader de réaliser des opérations avec des personnes domiciliées dans des ETNC. À cet effet, le législateur a instauré un régime spécifique, très sévère, dominé par l’idée de pénalisation[28]. Ce régime vise tant les résidents de France effectuant des transactions avec des résidents d’ETNC que les résidents d’ETNC effectuant des transactions avec des résidents de France.
Tout d’abord, s’agissant des résidents de France, l’aggravation de la fiscalité peut être présentée comme suit :
- le taux des retenues et prélèvements à la source prévus dans le cas de paiements de revenus passifs (dividendes, intérêts, redevances) à des non-résidents est porté à 75 % lorsque le paiement est effectué dans un ETNC ;
- les limitations de déductibilité des dépenses payées dans les États à régime fiscal privilégié (CGI, art. 238 A) sont renforcées en cas de paiement dans un ETNC, même si l’ETNC n’a pas un régime fiscal privilégié ;
- l’imposition en France de revenus qui en sont normalement exclus est facilitée lorsqu’il s’agit de revenus réalisés dans un ETNC (CGI, art. 209 B et 123 bis) ;
- les exigences en matière de documentation relative aux prix de transfert sont renforcées dans le cas où l’entité partenaire d’une entreprise française est établie dans un ETNC ;
- les revenus ou profits trouvant leur source dans un ETNC et revenant au contribuable domicilié ou établi en France sont pénalisés : les dividendes de filiales ne sont pas admis à l’exonération prévue dans le cadre du régime des sociétés mères ; quant aux plus-values de cession de titres, elles sont imposables.
Ensuite, s’agissant des personnes établies ou domiciliées dans un ETNC, elles subissent une imposition alourdie par rapport au droit commun : les plus-values immobilières, les profits immobiliers habituels (réalisés par des marchands de biens) et les plus-values financières sont imposées au taux de 75 %.
Enfin, des mesures spéciales de procédure fiscale sont mises en œuvre, ayant notamment pour effet de limiter les garanties des contribuables ou de proroger le délai de reprise.
On le voit, il ne fait pas bon avoir des relations d’affaires avec des personnes établies dans l’un des États ou territoires figurant sur la liste actuellement en vigueur.
L’aspect dissuasif du dispositif est donc certain.
Mais outre ce caractère dissuasif pour les contribuables, ce dispositif comporte un caractère incitatif pour les États. Les ETNC savent en effet que pour ne plus figurer sur la liste de l’article 238-0 A du CGI, il leur suffit de conclure une convention d’assistance administrative d’une part avec la France, d’autre part avec 11 autres États ou territoires (dont certains peuvent être des paradis fiscaux).
Le dispositif de l’article 238-0 A est donc ambivalent, à la fois dissuasif et incitatif.
Cette ambivalence ne saurait cependant occulter la question de savoir s’il est efficace.
L’efficacité du mécanisme prévu à l’article 238-0 A se heurte à plusieurs difficultés. Il est permis d’en relever quatre.
La première difficulté a trait à l’échange de renseignements. Dans la lutte contre la fraude fiscale à l’échelle internationale, la priorité est accordée à la recherche et à l’obtention de renseignements. L’État requérant va en conséquence solliciter l’État requis à l’effet d’obtenir des informations complémentaires relatives à un contribuable, personne physique ou personne morale, dès lors que ledit contribuable est connu de cet État requis, soit par sa présence physique, soit par ses activités.
Or, l’expérience montre que le système d’échange de renseignements est un système lourd, qui fonctionne assez mal. La plupart du temps, l’échange de renseignements s’effectue sur demande expresse, dûment motivée, de l’État requérant. Et très souvent, cette demande reste sans effet, soit qu’il n’y soit pas répondu, soit qu’il y soit répondu dans des délais excessifs conduisant à la forclusion.
La seule modalité d’échange de renseignements qui fonctionne bien consiste en l’échange automatique d’informations entre les administrations fiscales des deux États concernés.
Or, cette modalité n’est qu’exceptionnellement prévue dans les conventions d’assistance administrative et tout aussi exceptionnellement pratiquée.
La deuxième difficulté tient à la réalité de fraude fiscale. La fraude fiscale internationale s’effectue principalement par des sociétés offshores[29], dirigées le plus souvent par des prête-noms. Il est souvent difficile de savoir quel est le véritable dirigeant, tant pour l’État requis que pour l’État requérant. Qui plus est, les chaînes de participation ont pour effet d’accroître cette opacité.
La troisième difficulté concerne l’administration fiscale. La recherche de renseignements suppose beaucoup de travail préliminaire, beaucoup de patience et beaucoup de temps. L’agent des impôts se transforme ainsi en véritable Sherlock Holmes. Il est alors permis de douter que cet agent puisse disposer du temps nécessaire à un tel travail. Sans doute serait-il possible d’envisager l’existence ou la création d’une cellule particulière à Bercy, chargée des opérations matérielles de demandes de renseignements, dès lors que ces opérations nécessitent des traductions.
Enfin, la quatrième et dernière difficulté est d’ordre juridique. On a vu que le standard fixé par l’OCDE en matière de transparence et de coopération pour l’échange de renseignements comportait cinq principes. Le quatrième principe concerne le respect des droits du contribuable.
Selon l’OCDE, ce respect implique que les juridictions requises doivent respecter l’intégralité du droit fiscal local pour obtenir les renseignements demandés.
Or, ce respect peut conduire à la paralysie du système d’échange de renseignements.
Il est en effet parfaitement envisageable qu’une règle du droit fiscal de l’État requis puisse s’opposer à la communication des renseignements demandés, telle une règle de fond ou plus vraisemblablement une règle de procédure. Certes, à ma connaissance, il n’y a pas de décisions de justice relatives à l’interprétation du principe posé par l’OCDE et subséquemment par l’article 238 0-A du CGI. Il n’empêche que l’argument tiré du non-respect du droit fiscal local a toutes les chances d’être utilisé à l’occasion d’une procédure contentieuse.
Au terme de ces observations, il semble que les listes d’ETNC ne servent pas à grand-chose. S’il est certain qu’elles ont pu infléchir l’attitude et le comportement de certains États (Luxembourg, Suisse, etc.), elles n’ont pas par elles-mêmes réussi à faire disparaître les paradis fiscaux. La seule riposte qui paraît être vraiment efficace à l’égard de ces entités est du type de celle pratiquée par les États-Unis à l’égard de la banque suisse UBS, en 2009, consistant en la menace d’interdiction de son activité sur le territoire américain si les autorités helvétiques ne levaient pas le secret bancaire ; eu égard à la gravité de la sanction envisagée, le gouvernement suisse s’est plié aux exigences américaines. Ce chantage, pour déplaisant qu’il soit, démontre non seulement les limites de l’État de droit et la réalité du rapport de forces dont reste empreint le droit international, mais aussi la redoutable efficacité de la menace de sanctions économiques ou financières. Ce n’est sans doute qu’à ce prix, à savoir notamment la suppression internationale du secret bancaire, que pourra s’esquisser la disparition des paradis fiscaux.
Bien que toute conclusion soit périlleuse et nécessairement partiale, quelques remarques peuvent être faites au terme de tout ce qui vient de précéder.
La coopération entre les administrations fiscales est essentielle dans la lutte contre la fraude fiscale et un aspect fondamental de cette coopération est l’échange de renseignements. Comme il a été évoqué plus haut, le combat actuel que les instances nationales, européennes et internationales entendent mener contre cette délinquance financière ne date pas d’hier. Plusieurs outils sont ainsi à la disposition des États, au premier rang desquels les conventions fiscales bilatérales. Généralement inspirées du modèle de convention OCDE, elles reprennent en général son article 26 qui établit un échange d’informations peu fréquemment automatique. D’autres instruments jouent un rôle important, comme les accords bilatéraux d’échange d’informations modèle OCDE et la convention d’assistance administrative de l’OCDE, signée le 29 mai 2013 par douze pays. Le G8, de son côté, a remis à l’occasion du sommet de Lough Erne du 18 juin de la même année, un rapport pour la transparence fiscale. Il prévoit notamment « l’établissement d’un système multilatéral sécurisé et efficace en termes de coûts d’échange automatique de renseignements fiscaux ».
De leur côté, certains États dont la France se positionnent en moteurs des évolutions vers plus de transparence en faveur desquelles ils exercent des pressions. Ainsi, la loi de lutte contre la fraude fiscale[30] prévoyait qu’à partir de 2016, tout pays n’ayant pas conclu ou n’ayant pas pris l’engagement de conclure un accord d’échange automatique d’informations avec la France serait inscrit d’office sur la liste des États et territoires non coopératifs (étant rappelé que les flux réalisés avec ces États sont visés par une fiscalité particulièrement lourde). Cette disposition, jugée disproportionnée, a toutefois été censurée par le Conseil constitutionnel dans une décision du 4 décembre 2013[31].
L’Europe, mais aussi les organisations internationales comme l’OCDE, le G8 et le G20, jouent, aux côtés des États, un rôle prépondérant dans ce qui est désormais affiché comme une priorité : la promotion de la transparence fiscale.
Toutefois, si le tableau brossé fait apparaître une volonté de transparence fiscale, le projet d’échange automatique d’informations pose des questions délicates qui devront être résolues avant toute mise en œuvre :
- le coût et la longueur de la mise en œuvre ;
- l’assurance de la confidentialité des informations échangées et le respect de la vie privée ;
- l’assurance du bon usage des renseignements;
- le respect des droits constitutionnels et respectifs des États.
Ceci est d’autant plus important que l’échange sur demande se révèle efficace et n’est pas encore abouti dans sa mise en œuvre. L’exercice est donc compliqué.
La réunion des chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne des 19 et 20 décembre 2013 n’a pas entraîné d’avancée significative vers l’adoption d’une nouvelle directive « Épargne », comme cela était prévu depuis le sommet du mois de mai de la même année. Il s’agit en premier lieu que tous les membres de l’Union européenne s’accordent sur les principes des modifications envisagées, avant de solliciter les pays tiers, dans un souci de transparence.
Dans une approche purement budgétaire et de simplification, la question se pose de savoir s’il n’est pas plus efficace d’un point de vue économique pour les gouvernements à la recherche de recettes fiscales de se tourner vers le dispositif de la retenue à la source appliqué par l’État source des revenus, tel que prévu dans le cadre de la directive « Épargne ». Adopter une telle mesure semblait pragmatique et efficace.
Enfin, les contribuables et les experts assistent à une prolifération de textes et de déclarations en matière de transparence fiscale qui peuvent faire double emploi, alourdissent les formalités et les charges financières, alors que la simplification devrait être la priorité. La question se pose de savoir pourquoi plusieurs organisations s’occupent des mêmes questions et si la superposition de textes ou déclarations n’entraîne pas un risque d’incohérence ou d’interprétations différentes, sans compter le coût à la charge des États et donc des contribuables in fine.
Certains observent que les contribuables se retrouvent difficilement dans cette multitude de textes ou de projets de textes. La conviction selon laquelle la transparence fiscale, via l’échange automatique d’informations, est un objectif prioritaire semble installée dans les organes de direction des organisations internationales, de l’Union européenne et au sein des gouvernements nationaux. Le côté complexe est que l’échange sur demande n’est pas encore abouti suffisamment qu’il faut déjà passer à l’échange automatique d’informations. La logique peut échapper d’autant plus que les États sont sensibles à l’élargissement dans les accords bilatéraux.
En observant les difficultés rencontrées à l’échelle européenne, il est difficile d’anticiper un calendrier et de dire combien de temps sera nécessaire à l’établissement d’un dispositif européen ou, de manière plus juste et plus appropriée, mondial efficace. Cependant, les promoteurs d’un échange automatique d’informations ne pourront faire l’économie, avant toute mise en œuvre, d’une résolution des questions non examinées à ce jour, telles que le bilan de l’échange sur demande, la détermination du coût que l’échange automatique d’informations va entraîner pour les États et les contribuables (et donc l’efficacité) et l’assurance de la confidentialité des informations à laquelle toute personne physique ou morale a droit, dès lors qu’elle remplit ses obligations.
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OUVRAGES
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ARTICLES
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Ministère du Budget ministère, Rapport sur la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale par le biais de paradis fiscaux, Dr. fisc., n° 16, 17 Avril 2008, 273
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RAPPORTS
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OCDE, Vers une coopération fiscale globale : progrès dans l’identification et l’élimination des pratiques fiscales dommageables, Rapport du du Comité des Affaires Fiscales, 2000
WEBOGRAPHIE
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PRINCIPALES ABREVIATIONS. 1
SOMMAIRE.. 2
INTRODUCTION.. 3
PARTIE I. – EFFECTIVITE DE LA COOPERATION FISCALE INTERNATIONALE DANS LA LUTTE CONTRE LA FRAUDE FISCALE.. 6
CHAPITRE I. – LES AVANCEES DE LA COOPERATION INTERNATIONALE SUR L’ECHANGE DE RENSEIGNEMENTS FISCAUX.. 7
Section I. – Généralités. 7
- 1. – La notion de coopération internationale en matière fiscale et d’échange de renseignements 7
- 2. – L’échange de renseignements : un phénomène qui n’est pas récent 8
Section II. – Le FACTA : un grand tournant dans la coopération internationale sur l’échange de renseignements fiscaux. 8
- 1. – Les obligations imposées par la loi FACTA.. 9
- 2. – Développer l’échange de renseignements. 9
- 3. – Les initiatives communautaires. 10
Section III. – OCDE : la nouvelle norme commune de déclaration pour l’échange automatique de renseignements fiscaux entre Etats. 10
CHAPITRE II. – LE REGIME JURIDIQUE DE L’ECHANGE D’INFORMATIONS FISCALES 12
Section I. – Champ d’application de l’échange de renseignements
fiscaux. 12
- 1. – Objectifs. 12
- 2. – Impôts visés. 12
- 3. – Contribuables concernés. 13
Section II. – Limites de l’échange d’informations fiscales. 14
- 1. – Pouvoirs d’investigation des administrations fiscales. 14
- 2. – Réciprocité. 14
- 3. – Dispositions afférentes au secret 15
- Renseignements ne pouvant être communiquées. 15
- Protection des renseignements communiqués. 16
- Respect du secret professionnel dans la pratique. 16
Section III. – Modalités de l’échange d’informations fiscales. 17
- 1. – Echange de renseignements sur demande. 17
- 2. – Echange de renseignements d’office. 18
- 3. – Echange spontanée de renseignements. 18
PARTIE II. – LES PERSPECTIVES D’EFFICACITE DE LA COOPERATION INTERNATIONALE DANS LA LUTTE CONTRE LA FRAUDE FISCALE 20
CHAPITRE I. –. ANALYSE DE L’EFFICACITE DE L’ECHANGE D’INFORMATIONS FISCALES EN EUROPE.. 21
Section I. – Efficacité limitée dans un cadre bilatéral. 21
- 1. – Préservation de la souveraineté étatique. 21
- 2. – Protection des droits des contribuables. 22
Section II. – Efficacité relativement renforcée dans un cadre multilatéral 23
CHAPITRE II. – LA COOPERATION FISCALE INTERNATIONALE : IMPUISSANTE FACE AUX PARADIS FISCAUX ET AUX CENTRES OFFSHORES 25
Section I. – Notion de paradis fiscal et de centre offshore. 25
- 1. – Paradis fiscal 25
- La définition de l’OCDE.. 25
- La position du G20. 27
- La définition de l’organisation non gouvernementale CCFD-Terre solidaire 27
- 2. – Centre offshore ou paradis bancaire. 28
Section II. – Les mesures incitatives à la coopération internationale. 29
- 1. –Les listes d’ETNC.. 29
- La genèse des listes d’ETNC.. 29
- L’article 238-0 A du CGI. 31
- 2. – Efficacité du dispositif de l’article 238-0 A du CGI. 32
- Difficulté ayant trait à l’échange d’informations. 33
- Difficulté tenant à la réalité de la fraude fiscale. 33
- Difficulté concernant l’administration fiscale. 33
- Difficulté d’ordre juridique. 34
CONCLUSION.. 35
BIBLIOGRAPHIE.. 37
[1] La pression fiscale est la « mesure économique de la contrainte exercée par l’ensemble des impôts et appréhendée par le rapport entre les recettes fiscales et le Produit intérieur brut ou le revenu national. Il y a tendance à confondre pression fiscale, charge fiscale et effort fiscal. La pression fiscale est en principe une notion macroéconomique. Son analyse débouche sur la prise en compte des effets de translation, d’incidence et de répercussion. La charge fiscale est une donnée purement quantitative qui peut être aussi bien macroéconomique (elle correspond à la mesure de la pression fiscale) que microéconomique : le rapport entre les impôts d’un individu et son revenu, son calcul est difficile car seuls les impôts directs sont apparents. L’effort fiscal a une base plus large que le revenu national qui n’est qu’un des éléments du potentiel fiscal d’une nation. La notion d’effort fiscal suppose qu’on puisse évaluer le patrimoine national au cours d’une année en tenant compte de son augmentation représentée par le revenu national net » : Silem A., Albertini J.-M., Lexique d’économie, 12ème éd. Dalloz, 2012.
[2] Alphonse Gabriel Capone, dit Al Capone, naît à Brooklyn le 17 février 1899. Il est le gangster américain le plus connu du XXe siècle.
[3] La coopération internationale en matière fiscale peut être définie comme l’ensemble des opérations traduisant une coopération entre les administrations fiscales de deux (ou plusieurs) Etats en vue de permettre une application correcte des dispositions régissant l’assiette, le contrôle et le recouvrement des impôts de chacun des Etats intéressés.
[4] Art. 14 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1798.
[5] Art. 4 de la Déclaration précitée.
[6] Bulletin officiel de la Direction générale des impôts du 17 décembre 1981 (13.K.81).
[7] Loi n° 2010-848, 23 juill. 2010, autorisant l’approbation de l’accord du 22 septembre 2009 conclu entre le gouvernement de la République française et le gouvernement du Liechtenstein relatif à l’échange de renseignements en matière fiscale : J.O. 24 Juillet 2010.
[8] R. Stack, Myth vs FATCA : The Truth about Treasury’s Effort to Combat Offshore Tax Evasion, Treasury Notes (20 sept. 2013), http://www.treasury.gov/connect/blog/Pages/Myth-vs-FATCA.aspx ;U. Kapalle et J. Blumer, US Foreign Account Tax Compliance Act : Der Schweizer Treuhänder, 2010, p. 731.
[9] OCDE, communiqué, 18 juill. 2012.
[10] CE, 26 janv. 2011, n° 311808, M. Weissenburger.
[11] CE, 4 juin 2008, n° 301776, Sté Sparflex.
[12] CE, 26 janv. 2011, n° 311808, préc.
[13] Cons. PE, rés. 2 sept. 2008 : JOUE n° C 295 E/04 2009, 4 déc. 2009.
[14] Ce sont l’assistance au recouvrement (qui, comme le nom l’indique, ne concerne que le recouvrement forcé de créances fiscales déjà établies), et l’entraide judiciaire (qui, elle, ne vise que la fraude fiscale avérée, constatée à partir de poursuites engagées sur plainte de l’administration fiscale).
[15] CAA Versailles, 3e ch., 25 mars 2008, n° 07VE01277, M. et Mme Carayon : RJF 2008, n° 992.
[16] Article 5, point 4, a) du modèle OCDE de l’accord sur l’échange de renseignements en matière fiscale.
[17] CE, 8e et 9e ss-sect., 5 mars 1993, n° 105069, Mlle Rohar ; RJF 5/1993, n° 674.
[18] CE, 8e et 9e ss-sect., 13 oct. 1999, n° 191191, Diebold Courtage : RJF 1999, n° 1492 ; Bull. Joly Sociétés 1/2000, n° 10, p. 54, concl. G. Bachelier, note Ph. Derouin ; RJF 12/1999, n° 1492, concl. G. Bachelier.
[19] CE, 8e et 3 ss-sect., 26 janv. 2011, n° 311808, Weissenburger : RJF 2011, n° 489.
[20] Cass. com., 20 oct. 1998, n° 96-30.134, Hampton Simpson Lynch : RJF 1999, n° 45.
[21] Cons. CE, dir. n° 77/799/CEE, 19 déc. 1977 : JOCE n° L 336, 27 déc. 1977, concernant l’assistance mutuelle des autorités compétentes des États membres dans le domaine des impôts directs, étendue à la TVA par Cons. CE, dir. n° 79/1070/CEE, 6 déc. 1979 : JOCE n° L 331, 27 déc. 1979.
[22] Les H29 ont été supprimées le 31 décembre 2010, à la demande de la Commission européenne, leur régime fiscal présentant le caractère d’aides d’État incompatibles ; elles ont été remplacées par des SOPARFI.
[23] Cons. UE, dir. n° 2011/16/UE, 15 févr. 2011, relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal : JOUE n° L 64, 11 mars 2011, p. 1 à 12
[24] Ce sont l’ensemble des membres de l’OCDE, l’ensemble des membres du G20, ainsi que les représentants des juridictions analysées par ce même Forum.
[25] A. Peillon, Ces 600 milliards qui manquent à la France. Enquête au cœur de l’évasion fiscale : Le Seuil, 2012.
[26] L. n° 2009-1674, 30 déc. 2009, art. 22, I A.
[27] Arr. 17 janv. 2014, NOR : EFIE1331797A, JO 19 janv.
[28] Instr. 27 avr. 2012 : BOI 14 A-5-12, 10 mai 2012 Instr. 27 avr. 2012 : BOI 14 A-5-12, 10 mai 2012.
[29] Offshore Leaks (avril 2013), réalisé par des journalistes membres de l’ICIJ (environ quatre-vingts États) et évoqué dans la presse internationale.
[30] L. n° 2013-1117, 6 déc. 2013, JO 7 déc., relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière.
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