Ebauche de thèse en Psychologie
Résumé
Ce travail de recherche concerne l’approche clinique et pragmatique de l’image plastique créée par la peinture en séances d’art-thérapie, comme support de restructuration langagière auprès de femmes ayant vécu des violences conjugales. L’art, l’esthétique et l’image plastique dynamisent la patiente en situation post-traumatique, lui donne du sens pour entrer dans le processus de restructuration langagière. Elle retrouve un langage gestuel et verbal dont la ‘plasticité’ n’a cessé d’évoluer lors des séances en même temps que celle de l’image créée. Dans un accompagnement avec l’art-thérapeute, la patiente devient sujet de sa destinée. L’art plastique pictural donne un nouveau visage, dans une trilogie patiente, image et art-thérapeute, condition sine qua none d’une restructuration langagière. … Par l’action et l’expérience artistique, la patiente réalise une image plastique, certes, mais elle se réalise elle-même, elle restructure son langage. ……
Mots-clés : Image plastique, sémiologie …
Abstract
This research work concerns the plastic image created in art therapy sessions using painting, as a support for language restructuring with women who have experienced domestic violence. Clinical and pragmatic approach. Art, aesthetics and the plastic image energize the patient in a post-traumatic situation, giving her meaning to enter the language restructuring process. She rediscovers a gestural and verbal language whose « plasticity » continues to evolve during the sessions, along with that of the image created. Working with the art therapist, the patient becomes the subject of her own destiny. Pictorial plastic art gives a new face, in a trilogy of patient, image and art-therapist, a sine qua non for language restructuring. …..
keywords :…
Sigles et acronymes utilisés 10
PARTIE I – Le contexte des violences conjugales envers les femmes 27
Chapitre 1 – La particularité des violences conjugales envers les femmes 28
Chapitre 3 – Du besoin de restructuration langagière à l’art-thérapie 61
Partie II – Partie empirique : Recueil des données et résultats 70
Préambule
« La peinture est un langage beaucoup plus spontané et beaucoup plus direct que celui des mots, plus proche du cri ou de la danse ; c’est pourquoi la peinture est un moyen d’expression de nos voix intérieures tellement plus efficace que les mots » Jean Dubuffet.
……….
Figure 1 – Schéma du cycle des violences conjugales……………….……. 21
Figure 2 – Stratégie du conjoint violent…………………………………… 30
ADELI – Automatisation DEs LIstes
AFRATAPEM – Association française de recherches et applications des techniques artistiques en pédagogie et médecine
BWS – Battered Woman Syndrome ou « syndrome de la femme battue »
CHU – Centre hospitalier universitaire
CSP – Catégories socioprofessionnelles
EFAT – European Federation of Art-Therapy
Enveff – Enquête nationale sur les violences envers les femmes en France
ESPT – État de stress post-traumatique
FNSF – Fédération nationale solidarité femmes
IEPA – Institut européen de psychologie appliquée
INECAT – Institut national d’expression, de création, d’art et thérapie
Insee – Institut national de la statistique et des études économiques
IST – Infection sexuellement transmissible
MIPROF – Mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains
OMS – Organisation mondiale de la Santé
ONU – Organisation des Nations unies
RNCP – Répertoire national des certifications professionnelles
SFAT – Syndicat français des art-thérapeutes
TSPT – Trouble de stress post-traumatique
VIFF-ilSOS Femmes – Violences intra familiales femmes-informations liberté SOS Femmes
Dans cette recherche nous abordons au préalable un sujet connu depuis des millénaires, à l’échelle de la France, il s’agit des violences conjugales envers les femmes.
CONTEXTE HISTORIQUE ET SOCIETAL DES VIOLENCES CONJUGALES
Les Violences conjugales : une évolution de la reconnaissance et des réponses institutionnelles
Les violences conjugales envers les femmes, bien qu’existant depuis des siècles, ont longtemps été un sujet de tabou et de silence. Cette réalité, ancrée dans des dynamiques de pouvoir et de domination, n’a été pleinement reconnue comme un problème de santé publique et de droits humains qu’au cours des dernières décennies. Afin de comprendre cette évolution, il est nécessaire d’examiner l’historique des violences conjugales, les perceptions sociétales, et les transformations législatives et institutionnelles qui ont marqué leur reconnaissance et leur traitement.
Les violences conjugales ne sont pas un phénomène nouveau. Leur histoire est profondément enracinée dans les structures sociales et culturelles traditionnelles. Au cours des siècles, les violences au sein du foyer étaient perçues comme des aspects normatifs de la vie conjugale. Dans les sociétés antiques et médiévales, les femmes étaient souvent considérées comme des propriétés de leurs maris, et les abus conjugaux étaient tolérés, voire justifiés, par des normes patriarcales (Barbier, 2010).
Au Moyen Âge, par exemple, le concept de la « pouvoir conjugal » accordait au mari une autorité quasi absolue sur sa femme. Les abus physiques et psychologiques étaient minimisés et considérés comme des affaires privées. Les lois et les coutumes de l’époque, influencées par des doctrines religieuses et des systèmes de justice patriarcaux, n’offraient que peu de protection aux femmes victimes de violences (Manseur, 2004).
Ce n’est qu’à partir du XIXe et du XXe siècle que les violences conjugales ont commencé à apparaitre dans le débat public. Cependant, même pendant cette période, le sujet était évité ou mal compris. Les premières manifestations de prise de conscience sont attribuées aux mouvements féministes et sociaux qui ont commencé à contester les normes patriarcales et à revendiquer des droits pour les femmes (Barbier, 2010).
Au début du XXe siècle, des organisations et des militantes ont commencé à attirer l’attention sur les violences conjugales, mais la reconnaissance et l’action institutionnelle restaient limitées. Les discours sur les droits des femmes et les violences domestiques se sont intensifiés dans les années 1960 et 1970 avec la formation des mouvements féministes qui ont dénoncé les violences comme des formes de domination et d’oppression systémiques (Mucchielli, 2008).
Le tournant décisif dans la reconnaissance des violences conjugales comme un problème de santé publique et de droits humains a eu lieu dans les années 2000. En France, comme dans de nombreux autres pays, les années 2000 ont marqué une période de réformes législatives importantes. Ces réformes ont été motivées par une meilleure compréhension des impacts des violences conjugales sur la santé des victimes et par une forte volonté de protéger les droits humains (Mucchielli, 2008).
La loi du 4 avril 2006 relative à la prévention de la violence faite aux femmes et à la protection des victimes est un exemple de cette évolution. Cette législation a introduit des mesures particulières en vue de protéger les victimes, notamment des ordonnances de protection qui permettent aux tribunaux d’éloigner les agresseurs de leurs victimes. Cette loi a marqué une étape importante dans la reconnaissance officielle des violences conjugales comme un problème public, qui nécessite des réponses institutionnelles adaptées.
Les années suivantes ont vu une intensification des efforts afin d’améliorer les mécanismes de protection et de soutien aux victimes. Les campagnes de sensibilisation, les programmes de formation pour les professionnels de la santé, de la justice et des forces de l’ordre, ainsi que les initiatives de soutien aux victimes ont contribué à une meilleure compréhension et à une réponse plus efficace aux violences conjugales (Mucchielli, 2008).
Malgré ces avancées, des défis importants demeurent. La violence conjugale continue de toucher un grand nombre de femmes et reste souvent sous-déclarée en raison de la peur, de la stigmatisation, et des obstacles à l’accès aux services de soutien. Les inégalités dans la réponse institutionnelle et les disparités régionales montrent que des efforts supplémentaires sont nécessaires afin de garantir une protection et un soutien adéquats à toutes les victimes (Nivolle, 2010).
L’avenir de la lutte contre les violences conjugales dépendra de la capacité des sociétés à poursuivre les réformes législatives, à renforcer les mécanismes de soutien, et à promouvoir une culture de tolérance zéro face à la violence. Les progrès réalisés jusqu’à présent constituent une première pierre, mais la vigilance continue et l’engagement sociétal sont requis pour éradiquer cette forme de violence.
Évolution historique des violences conjugales : de la norme sociale au combat féministe
Pendant l’Antiquité et le Moyen Âge, les violences au sein du foyer étaient intégrées dans les pratiques sociales et juridiques, ce qui reflétait une conception patriarcale de la société. Dans ces périodes, le mariage était vu comme un contrat social et religieux dans lequel la femme avait un rôle subordonné, tant sur le plan juridique que moral. Les lois, influencées par des interprétations religieuses, permettaient aux hommes d’exercer une autorité quasi absolue sur leurs épouses, justifiant les abus conjugaux comme partie intégrante de l’ordre domestique. Ces violences, physiques ou psychologiques, étaient ainsi tolérées par la communauté et les institutions, ce qui renforçait l’idée que le foyer était un domaine privé, où l’intervention extérieure, dont celle des autorités, était limitée (Manseur, 2004).
Ce schéma de domination a persisté pendant des siècles, jusqu’aux premières contestations au tournant du XXe siècle. C’est dans ce contexte que les mouvements sociaux, et en particulier le féminisme, ont commencé à remettre en question la normalisation des violences conjugales. Dès la première vague féministe, à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, les revendications pour les droits des femmes, notamment le droit de vote et l’accès à l’éducation, ont contribué à sensibiliser l’opinion publique à la question des violences domestiques. Cependant, ces premières mobilisations se concentraient davantage sur les inégalités légales et sociales sans nécessairement aborder en détail les violences conjugales (Manseur, 2004 ; Barbier, 2010).
C’est véritablement avec la deuxième vague féministe, dans les années 1960 et 1970, que la problématique des violences conjugales a été placée au cœur des revendications sociales et politiques. Les féministes de cette période ont dénoncé ces violences comme un outil de domination masculine et ont souligné leur dimension systémique. Elles ont plaidé pour une refonte des lois afin de protéger les femmes et ont introduit le concept de « violence domestique » dans le débat public, marquant un tournant dans la manière dont ces violences étaient perçues par la société (Mucchielli, 2008).
Ces mouvements ont également fait pression pour des réformes législatives qui reconnaissent officiellement les violences conjugales comme un problème public, et non plus seulement privé. Les efforts des militantes ont permis de mettre en évidence l’ampleur du phénomène, mais aussi ses conséquences psychologiques et sociales sur les victimes. Les années 1970 ont ainsi été marquées par des avancées législatives dans de nombreux pays, qui ont introduit des mesures de protection pour les victimes et sanctionné plus sévèrement les auteurs de violences conjugales (Jaspart, Brown et Codon, 2003).
Aussi, ce long processus de prise de conscience, amorcé par les mouvements féministes, a permis de transformer les violences conjugales d’un sujet tabou en une question de santé publique et de droits humains, nécessitant une réponse globale de la société.
L’ART-THERAPIE COMME APPROCHE CLINIQUE
Dans ce contexte de prise de conscience des violences conjugales, l’art-thérapie s’est présenté comme une approche thérapeutique innovante et prometteuse pour les femmes victimes de ce traumatisme. Utilisée dans les milieux cliniques, cette méthode exploite la puissance expressive des arts visuels (peinture, dessin, sculpture, collage…) afin d’aider les patientes à surmonter les séquelles psychologiques des violences subies. Ce processus n’est pas juste une voie d’expression, mais également un moyen de restructuration du langage, tant verbal que corporel, souvent altéré chez les victimes de violences conjugales (Klein, 2007.
En effet, les femmes ayant vécu des abus au sein de leur foyer sont fréquemment confrontées à une perte de repères émotionnels et à une difficulté à verbaliser leur souffrance. Le traumatisme peut se manifester par un repli sur soi, un mutisme, ou un blocage émotionnel qui rendent le processus de guérison complexe. L’art-thérapie intervient alors comme un moyen de « réparer » ces ruptures dans la communication intérieure et extérieure. Le langage pictural permet aux patientes de renouer avec des aspects refoulés de leur vécu, sans la contrainte immédiate du discours verbal. Grâce à la création d’œuvres visuelles, les femmes ont la possibilité d’exprimer des émotions qu’elles ne parviennent pas à formuler avec des mots, car l’image offre un espace d’expression libre, sans jugement ni interprétation forcée (Klein, 2012).
Cette forme de thérapie favorise ainsi un dialogue intérieur, où les patientes peuvent explorer leurs émotions profondes à travers des représentations visuelles de leur vécu. Ce dialogue, bien que non verbal, ouvre la voie à une restructuration cognitive et émotionnelle. L’art devient un miroir dans lequel la patiente peut observer, reconnaître, et éventuellement transcender son vécu traumatique. En réintégrant des images et des symboles, généralement liés à des aspects traumatisants de leur vie, les femmes ont l’opportunité de commencer à réorganiser leur perception d’elles-mêmes et à reconstruire leur identité, fragmentée par les violences subies (Case & Dalley, 2022).
De même, l’art-thérapie offre une dimension de dialogue extérieur. La présence de l’art-thérapeute, en tant que témoin bienveillant et accompagnant, permet à la patiente de reprendre progressivement confiance dans l’interaction avec autrui. Cette présence n’a pas pour but d’interpréter l’œuvre, mais d’offrir un cadre sécurisant dans lequel l’expression artistique peut se déployer. Le thérapeute soutient le processus de création en offrant un espace de sécurité et de compréhension, ce qui permet aux patientes de s’ouvrir à une communication renouvelée avec leur environnement (Klein, 2017).
L’efficacité de l’art-thérapie dans le cadre des violences conjugales repose alors sur sa capacité à contourner les blocages psychologiques liés au langage verbal. En facilitant l’expression des émotions à travers l’image, cette forme de thérapie contribue à une meilleure intégration du vécu traumatique, et favorise la guérison émotionnelle et psychologique des victimes. L’art devient ainsi une passerelle vers la réappropriation du langage, de la gestuelle, et de l’identité des femmes victimes de violences, leur permettant de retrouver une autonomie émotionnelle et une capacité à s’exprimer librement, tant à travers leurs créations artistiques qu’au sein de leurs relations sociales (Ricoeur, 1975).
Les séances d’art-thérapie constituent un espace protégé et sécurisé, où les patientes peuvent se reconnecter à leurs émotions et leur vécu à travers l’acte créatif. Cet environnement thérapeutique est conçu pour permettre aux femmes, fragilisées par leur expérience des violences conjugales, de se libérer des pressions et des jugements extérieurs, et de s’autoriser à exprimer librement ce qu’elles ressentent. La création artistique devient alors un exutoire privilégié, en leur offrant une voie d’expression indirecte mais puissante pour traduire des sentiments et des souvenirs traumatiques qui, autrement, seraient difficiles à verbaliser (Mélin, 2016).
Le choix et l’utilisation des matériaux artistiques jouent un rôle déterminant dans ce processus. La peinture, le dessin, ou encore la sculpture, permettent aux patientes de matérialiser leurs émotions sous une forme tangible, visuelle. Ces médias sont d’une part des outils d’expression, et d’autre part des vecteurs de transformation. Pour illustration, la fluidité des mouvements de pinceau, ou la pression exercée sur une argile malléable, traduisent des émotions enfouies, comme la colère, la tristesse ou l’angoisse. Ce processus de mise en forme, par son caractère non verbal, permet aux patientes de contourner les barrières psychologiques liées à la honte ou à la peur de parler de leur vécu, tout en leur donnant un contrôle sur la manière dont elles expriment et externalisent leurs souffrances (Betensky, 1977).
L’art-thérapeute, dans ce cadre, occupe une place substantielle. Son intervention ne consiste pas à évaluer ou interpréter les œuvres créées, mais à accompagner la patiente dans son cheminement, en lui offrant un soutien émotionnel constant. L’art-thérapeute devient un guide bienveillant, qui garantit un espace sécurisé où la patiente peut explorer, sans crainte de jugement ou d’échec, ses ressentis les plus profonds. A travers une posture d’écoute active et d’empathie, le thérapeute encourage les patientes à analyser et à comprendre leur propre processus créatif, et à s’ouvrir à la dimension réparatrice de l’art (Klein, 2012).
En outre, le thérapeute accompagne dans l’instauration d’un cadre structuré, tout en laissant suffisamment de liberté pour que chaque patiente puisse s’exprimer à son propre rythme et selon ses propres besoins. Cette structure apporte un sentiment de sécurité supplémentaire, essentiel pour les femmes victimes de violences, qui ont perdu confiance en elles-mêmes et en leur environnement. Le processus créatif, soutenu par la présence rassurante du thérapeute, devient alors un moyen pour les patientes de reconstruire leur identité et de retrouver une forme d’autonomie émotionnelle, tout en les aidant à surmonter leur traumatisme (Guenancia, 2018).
Ainsi, les séances d’art-thérapie offrent un lieu où les émotions peuvent être libérées, transformées, et éventuellement apaisées, grâce à l’interaction entre la patiente, les matériaux artistiques, et l’art-thérapeute. Ce processus qui combine création et soutien thérapeutique, permet aux femmes de reprendre progressivement le contrôle de leur vie intérieure, et d’entamer un chemin vers la guérison.
La méthode d’art-thérapie repose sur le principe selon lequel l’acte créatif peut agir à la fois comme un exutoire émotionnel et comme un pont vers une meilleure compréhension de soi. L’art devient un langage alternatif, permettant aux patientes d’exprimer des émotions et des expériences traumatisantes qui échappent souvent aux mots. Ce processus cathartique libère progressivement des tensions internes accumulées, offrant aux femmes une manière de transformer leur douleur en une forme tangible, extérieure à elles-mêmes, par le biais de la création artistique (Klein, 2012).
L’une des particularités de l’art-thérapie est sa capacité à contourner les résistances et les blocages psychologiques présents chez les victimes de violences conjugales. En effet, parler de son traumatisme de manière directe peut être impossible, tant le vécu émotionnel est douloureux et enfoui. La création artistique permet ainsi d’évoquer l’indicible, en donnant une forme visuelle à ce qui reste confus, fragmenté ou trop difficile à verbaliser. Ce processus de médiation entre le vécu intérieur et sa mise en forme extérieure permet de libérer la parole, mais surtout de restructurer l’expérience traumatique. Les images, les symboles, et les gestes créatifs deviennent des moyens pour la patiente de donner un sens à ce qu’elle a vécu, et d’organiser ses souvenirs de manière plus cohérente (Merlau-Ponty, 1945).
L’accompagnement de l’art-thérapeute joue, encore une fois, un rôle important. Non seulement ce dernier guide la patiente dans son cheminement artistique, mais il fournit pareillement un cadre sécurisant et bienveillant pour que la patiente puisse s’exprimer sans crainte de jugement. L’art-thérapeute, à travers des questions ouvertes et un soutien empathique, encourage la patiente à explorer ses œuvres et à s’interroger sur ce qu’elles évoquent pour elle. Ce dialogue, à la fois verbal et non-verbal, est nécessaire pour permettre à la patiente de développer une nouvelle compréhension de son expérience traumatique (Klein, 2017).
En restructurant leur compréhension des événements passés à travers la création artistique, les patientes sont également encouragées à développer de nouvelles stratégies de coping. L’art-thérapie ne se limite pas à l’expression du trauma, elle permet aussi d’explorer de nouvelles façons de gérer les émotions et de réagir aux situations stressantes. La création artistique devient alors un espace d’expérimentation, où les femmes peuvent tester différentes manières de se percevoir et d’interagir avec leur vécu émotionnel. Au fil des séances, elles peuvent gagner en confiance en elles, en résilience, et trouver des outils afin de mieux gérer leurs émotions dans leur vie quotidienne (Klein, 2007).
L’art-thérapie favorise alors une double dynamique de catharsis et de reconstruction psychologique. Elle permet aux patientes de libérer les émotions refoulées, et de reformuler leur vécu et d’évoluer vers une forme de guérison. Ce processus, à la fois créatif et thérapeutique, constitue une voie pertinente pour surmonter les traumatismes liés aux violences conjugales et retrouver une capacité à vivre pleinement, avec des outils émotionnels renouvelés.
APPROCHE SEMIOLOGIQUE DES SIGNES ICONIQUES PICTURAUX
L’art-thérapie permet de plonger dans une analyse détaillée des signes iconiques picturaux produits par les patientes. Ces signes, qui comprennent les formes, les couleurs, les textures, et les symboles utilisés dans les créations artistiques, sont bien plus que de simples éléments esthétiques : ils constituent une véritable fenêtre sur le monde intérieur des patientes. À travers ces signes iconiques, les émotions et les conflits internes, généralement difficiles à verbaliser, trouvent une expression visuelle qui peut être observée, interprétée, et, surtout, comprise dans le cadre thérapeutique (Bertrand, 2005).
Chaque forme ou symbole utilisé par la patiente porte en lui une signification, qu’elle soit consciente ou inconsciente, et ces éléments picturaux sont le reflet de ses luttes émotionnelles, de ses souvenirs traumatiques, ou de ses efforts de guérison. Pour illustration, les choix de couleurs vives ou sombres peuvent témoigner de l’humeur du moment ou de l’état émotionnel général de la patiente, tandis que l’utilisation de formes rigides ou fluides peut révéler une tension intérieure ou, au contraire, une libération progressive. Les symboles récurrents dans les œuvres, qu’ils soient abstraits ou figuratifs, permettent également de décoder certaines thématiques récurrentes dans l’esprit de la patiente, comme la peur, le désir de contrôle, ou la quête de sécurité (Bertrand, 2005).
L’analyse des signes iconiques picturaux ne se fait pas de manière isolée, mais dans le cadre d’un processus thérapeutique où l’art-thérapeute et la patiente collaborent pour donner un sens à ces manifestations artistiques. L’art-thérapeute, par son écoute active et son approche non-jugeante, guide la patiente dans l’exploration de ses œuvres et l’incite à exprimer ce que ces signes évoquent pour elle. Cette approche permet à la patiente d’établir des liens entre son art et ses émotions, et de mieux comprendre les dynamiques psychologiques associées à sa production artistique (Osin, 2007).
Au fil des séances, les œuvres créées deviennent des traces tangibles du cheminement de la patiente vers la guérison. Elles évoluent avec les progrès émotionnels et psychologiques de la patiente. Ce processus se manifeste visuellement par des changements dans les couleurs utilisées, la complexité des formes, ou l’apparition de nouveaux symboles représentant des aspects de soi plus affirmés ou apaisés. Ainsi, chaque œuvre devient une étape du processus thérapeutique, et une expression matérielle du parcours de résilience et de transformation que la patiente accomplit (Ricoeur, 1975).
Aussi, les signes iconiques picturaux produits en art-thérapie ne sont pas de simples expressions artistiques : ils sont le reflet des états émotionnels et psychiques des patientes. L’analyse de ces signes permet à l’art-thérapeute d’accompagner les patientes dans leur processus de guérison, tout en leur offrant un moyen de visualiser et de donner du sens à leurs luttes internes.
La sémiologie, discipline dédiée à l’étude des signes et de leur signification, occupe une place prépondérante dans l’analyse des œuvres créées lors des séances d’art-thérapie. En effet, cette approche permet de décoder les différents signes iconiques picturaux que les patientes produisent, souvent inconsciemment, en vue de révéler des aspects profonds de leur psyché qui échappent au langage verbal. En cela, la sémiologie devient un outil indispensable pour comprendre le processus thérapeutique à travers l’art (Ricoeur, 1975).
Dans un contexte d’art-thérapie, les signes iconiques se manifestent à travers l’utilisation de formes, de couleurs, de textures et de compositions visuelles qui, bien qu’apparentes et visibles, possèdent une signification symbolique plus profonde. Pour illustration, une patiente qui utilise des couleurs sombres, des traits désordonnés ou des formes chaotiques peut être en train d’exprimer des émotions de détresse, de colère, ou un sentiment de confusion intérieure. Ces signes visuels, en l’absence de mots, offrent un moyen d’expression directe pour des émotions refoulées ou non encore reconnues par la patiente elle-même (Klein, 2017).
À l’inverse, des œuvres présentant des couleurs plus vives ou une structuration plus ordonnée des formes peuvent indiquer une évolution dans le processus de guérison. La patiente, à travers son œuvre, montre ainsi une réintégration émotionnelle progressive, une maîtrise nouvelle de ses émotions, ou encore un sentiment d’apaisement retrouvé. Les signes sémiologiques dans ce cas signalent un progrès, une sortie de la confusion émotionnelle et une réappropriation du contrôle de soi (Klein, 2017).
L’art-thérapeute, formé à l’observation de ces signes et à leur interprétation sémiologique, accompagne la patiente dans l’exploration de son œuvre, tout en la guidant vers une compréhension des messages qu’elle exprime à travers l’art. Cependant, il est important de noter que cette interprétation des signes ne se fait pas dans un cadre rigide ou analytique, elle repose avant tout sur le vécu de la patiente et sur la signification personnelle que celle-ci attribue à son travail artistique. Le rôle de l’art-thérapeute est par conséquent de permettre de faire émerger ces significations sans imposer une lecture extérieure ou standardisée des œuvres produites (Westbrook, 1899).
Ainsi, la sémiologie offre un cadre pour interpréter les œuvres d’art en tant que langage visuel, mais toujours dans une approche centrée sur l’expérience subjective de la patiente. Cette discipline permet de donner du sens aux créations picturales et de comprendre comment, à travers des signes visuels, la patiente exprime ses souffrances, ses espoirs, ou ses progrès. Chaque signe devient un indicateur des états émotionnels fluctuants de la patiente, ainsi que de son cheminement vers la guérison (Ricoeur, 1975).
L’analyse des œuvres d’art en art-thérapie s’inscrit dans une approche collaborative entre l’art-thérapeute et les patientes. Contrairement à une interprétation unilatérale ou imposée de l’œuvre, l’art-thérapeute accompagne la patiente dans la découverte des significations des signes iconiques présents dans ses créations. Cette co-construction du sens permet à la patiente d’explorer son travail artistique tout en bénéficiant d’un cadre sécurisant, où elle est encouragée à interpréter elle-même ce qu’elle exprime par l’art (Blondel, 1893).
Le respect de l’interprétation personnelle de la patiente est primordial. L’art-thérapeute ne s’impose pas comme l’autorité interprétative, mais plutôt comme un guide afin de révéler des dimensions de l’œuvre que la patiente n’aurait peut-être pas reconnues ou comprises seule. Ce dialogue permet non seulement une analyse détaillée du sens des symboles utilisés dans l’œuvre, mais aussi une valorisation du processus de création de la patiente, en soulignant l’importance de son expérience subjective (Franckl, 2020).
L’approche collaborative permet également de renforcer l’autonomie et la confiance de la patiente. En reconnaissant et en validant son interprétation, elle prend conscience du pouvoir transformateur de son propre processus créatif. Cette reconnaissance est importante pour les femmes victimes de violences conjugales, dont le vécu de domination peut avoir effacé leur voix et leur capacité à se percevoir comme des actrices de leur propre guérison. L’art-thérapie, à travers cette analyse participative des œuvres, devient alors un moyen de réappropriation de soi (Klein, 2017).
COURANT PRAGMATIQUE ÉMERGENT ET APPLICATION SOCIOLOGIQUE
Depuis les années 1980, un courant sociologique pragmatique s’est développé, apportant une nouvelle approche centrée sur l’adaptation des interventions aux réalités concrètes des individus. Contrairement aux théories plus abstraites ou généralistes, ce courant met l’accent sur l’efficacité pratique et la pertinence des solutions apportées dans des contextes particuliers, notamment en matière de santé mentale et de prise en charge thérapeutique (Westbrook, 1899).
L’art-thérapie, en tant que méthode d’accompagnement des victimes de violences conjugales, s’inscrit parfaitement dans cette perspective pragmatique. Les femmes victimes de violences conjugales font face à d’importants traumatismes, et leurs besoins varient selon leur histoire, leur situation psychologique, et leur capacité à exprimer leurs émotions. Ce courant sociologique souligne la personnalisation des interventions, un aspect essentiel en art-thérapie, où chaque séance est adaptée aux besoins individuels de la patiente, tenant compte de son rythme et de sa capacité à entrer en contact avec son vécu (Latour, 2005).
Ce courant pragmatique valorise également l’idée que les méthodes thérapeutiques doivent être évaluées en termes de théorie, et en fonction de leur impact dans des situations réelles. En art-thérapie, cette situation se traduit par l’attention portée aux progrès concrets réalisés par les patientes, qu’il s’agisse d’une amélioration de leur expression émotionnelle, d’une restructuration de leur langage, ou de leur réintégration sociale. Cette approche pragmatique permet d’ajuster les techniques employées au fil des séances en fonction des réactions des patientes, ce qui assure que l’intervention est aussi efficace que possible (Westbrook, 1899).
En outre, ce courant sociologique pragmatique accorde une place importante à la relation thérapeutique en tant qu’élément déterminant du processus de guérison. En art-thérapie, la présence de l’art-thérapeute, son écoute, et sa capacité à accompagner la patiente dans l’interprétation de ses œuvres sont autant d’éléments qui favorisent un environnement sécurisant et facilitent la reconstruction émotionnelle. Cette relation directe et concrète avec la patiente permet de créer un cadre dans lequel la thérapie devient un espace d’expression, et un processus de transformation active, en phase avec les principes du pragmatisme sociologique (Latour, 2005).
L’approche pragmatique en art-thérapie repose sur la flexibilité et l’adaptation des techniques et des méthodes aux besoins de chaque patiente. Contrairement à une approche standardisée, cette perspective permet à l’art-thérapeute de personnaliser les interventions artistiques en fonction du contexte et des expériences individuelles des patientes. Cela signifie que, dès les premières séances, l’art-thérapeute observe attentivement les réactions émotionnelles et comportementales des patientes afin d’ajuster le contenu des séances (Latour, 2005).
Grâce à cette perspective pragmatique, l’art-thérapeute évalue l’état psychologique et émotionnel de la patiente, ainsi que son rapport à l’art et à la création. Certaines patientes peuvent éprouver des difficultés à s’exprimer verbalement en raison de leur traumatisme, tandis que d’autres trouvent dans l’art une voie immédiate pour libérer leurs émotions. Pour illustration, une patiente qui ressent une grande détresse intérieure pourrait être invitée à utiliser des techniques qui favorisent la spontanéité, comme le dessin abstrait ou la peinture expressive. À l’inverse, pour une autre patiente cherchant à reconstruire un sens de contrôle ou de structure, l’art-thérapeute pourrait proposer des activités plus planifiées, comme le collage ou le modelage, qui nécessitent plus de concentration et de réflexion (Klein, 2017).
Cette capacité d’ajustement est un élément clé pour renforcer les bénéfices thérapeutiques. Précisément, en fonction des besoins de la patiente, l’art-thérapeute est en mesure de modifier les matériaux artistiques utilisés, la durée des séances, ou encore le type d’activités proposées. Cette adaptation continue permet de créer un environnement thérapeutique dynamique où la patiente se sent écoutée, soutenue, et en contrôle de son propre processus de guérison (Latour, 2005).
Par ailleurs, l’approche pragmatique en art-thérapie reconnaît que chaque patiente vit des traumatismes conjugaux différemment. Certaines peuvent être plus à l’aise avec des formes d’expression visuelles, tandis que d’autres ont besoin de plus de temps pour entrer dans le processus créatif. L’art-thérapeute doit alors faire preuve d’une grande sensibilité et d’un sens de l’observation pour ajuster ses interventions de manière à ce que les patientes puissent tirer un maximum de bienfaits de l’art-thérapie (Klein, 2017).
Les recherches empiriques et les observations pratiques sont intéressantes pour perfectionner l’approche pragmatique en art-thérapie. A partir de l’analyse des résultats des séances d’art-thérapie et des retours d’expérience des patientes ainsi que des art-thérapeutes, les interventions peuvent être ajustées en temps réel en vue de mieux répondre aux besoins de chaque patiente. Ces données permettent de comprendre les techniques les plus efficaces, d’identifier les obstacles rencontrés par les patientes, et de repérer les éléments qui favorisent leur guérison (Klein, 2017).
Pour illustration, des études de cas peuvent révéler que certaines techniques artistiques, comme l’utilisation de couleurs vives ou de formes libres, stimulent une libération émotionnelle plus rapide pour certaines patientes, tandis que d’autres préfèrent des matériaux plus structurés pour mieux gérer leurs émotions. En combinant ces observations pratiques avec les témoignages des patientes sur leur ressenti et leur progression, l’art-thérapeute peut affiner ses méthodes d’intervention, en privilégiant celles qui apportent les meilleurs résultats.
Cette démarche d’évaluation continue favorise une approche thérapeutique plus dynamique et réactive, où les pratiques ne sont jamais figées mais évoluent en fonction des résultats empiriques. Ce processus de réajustement garantit que les séances restent pertinentes, et que les patientes se sentent actrices de leur propre guérison, avec des méthodes qui leur sont véritablement adaptées.
LIMITES DE LA RECHERCHE ET CONTRIBUTIONS DE L’ÉTUDE
Bien que l’art-thérapie soit de plus en plus reconnue pour ses bienfaits, il existe une lacune importante dans les recherches scientifiques qui lui sont consacrées. En effet, les études sur l’efficacité de l’art-thérapie restent limitées tant en nombre qu’en portée. La complexité et la diversité des approches en art-thérapie, ainsi que les variations dans les pratiques des art-thérapeutes, constituent des obstacles à la standardisation des recherches. Les méthodologies employées dans les études existantes varient considérablement, allant de l’analyse qualitative des expériences individuelles à des mesures quantitatives des changements dans les symptômes psychologiques. Cette hétérogénéité rend difficile la comparaison des résultats et l’établissement de conclusions claires sur l’efficacité globale de l’art-thérapie.
Notre étude s’appuie sur une combinaison de théories existantes, d’observations empiriques, et de témoignages personnels, dans l’optique d’offrir une compréhension des dynamiques en jeu dans le processus d’art-thérapie pour les femmes victimes de violences conjugales. Cette approche mixte permet de saisir à la fois les aspects théoriques et pratiques de l’art-thérapie, tout en mettant en avant les expériences vécues des patientes et des art-thérapeutes.
Les théories existantes fournissent un cadre conceptuel pour situer notre recherche dans le contexte plus large des pratiques et des approches en art-thérapie. Elles permettent de comprendre les mécanismes liés à l’efficacité de l’art-thérapie, ainsi que les fondements psychologiques et émotionnels de l’utilisation des arts comme outils thérapeutiques.
Les observations empiriques, recueillies directement lors des séances d’art-thérapie, offrent une perspective concrète sur la façon dont les patientes interagissent avec les matériaux artistiques et comment elles expriment et traitent leurs émotions. Ces observations permettent de documenter les processus créatifs en temps réel et de noter les évolutions et les changements dans les expressions artistiques au fil des séances.
Les témoignages des patientes et des art-thérapeutes apportent une dimension subjective importante, offrant des perspectives personnelles et variées sur l’expérience de l’art-thérapie. Les retours des patientes permettent de comprendre comment elles perçoivent le processus thérapeutique et les impacts de l’art-thérapie sur leur bien-être. De leur côté, les art-thérapeutes fournissent des éclairages sur les problématiques et les réussites rencontrés au cours des séances, ainsi que sur les ajustements nécessaires pour répondre aux besoins individuels des patientes.
L’analyse de cette recherche a pour finalité d’offrir une vision de l’évolution des patientes au cours des séances d’art-thérapie. Nous examinons comment les patientes passent d’un état de détresse sévère à une réappropriation progressive de leur langage et de leur expression personnelle. Cette évolution est observée à travers les créations artistiques, les interactions avec l’art-thérapeute, et les témoignages des patientes.
OBJECTIF, HYPOTHESE ET PROBLEMATIQUE
L’objectif de notre étude est d’exposer le déroulement des interactions et des processus qui se déroulent dans l’espace-temps où évoluent la patiente, son image plastique picturale, et l’art-thérapeute. Nous cherchons à comprendre comment ces trois éléments interagissent et se complètent mutuellement au cours des séances d’art-thérapie, en particulier dans le cadre de la peinture individuelle.
Notre hypothèse repose sur la conviction que la restructuration langagière des femmes victimes de violences conjugales en art-thérapie nécessite impérativement la présence de cette trilogie : la patiente, son image plastique, et l’art-thérapeute. Chaque élément joue un rôle important et l’un ne peut fonctionner pleinement sans l’autre. En d’autres termes, l’interaction dynamique entre la patiente, l’œuvre picturale en cours de création, et le soutien de l’art-thérapeute est indispensable pour favoriser une transformation efficace du langage.
La problématique de notre étude est alors de déterminer ce qui doit se passer au sein des séances d’art-thérapie utilisant l’image picturale pour que les patientes, en l’occurrence des femmes victimes de violences conjugales, parviennent à restructurer leur langage. Il s’agit de comprendre les mécanismes précis et les conditions nécessaires pour que l’art-thérapie par la peinture puisse véritablement aider ces femmes à reconstruire leur discours et leur expression personnelle.
PARTIE I – Le contexte des violences conjugales envers les femmes
La première partie de ce travail traite de la particularité des violences conjugales envers les femmes et mesure l’ampleur de ce phénomène en France.
Puis, la deuxième partie décrit la particularité d’une femme victime de ces violences et des conséquences qui en découlent.
Enfin, la troisième partie aborde le besoin de restructuration langagière chez les femmes victimes de violences conjugales et se termine par une définition de l’art-thérapie et du matériau choisi, la peinture.
Chapitre 1 – La particularité des violences conjugales envers les femmes
La violence conjugale est un problème social existant depuis la nuit des temps. C’est un enjeu de santé publique. Pourtant, nous trouvons assez peu d’écrits à ce sujet. Aujourd’hui, cette violence est reconnue dans notre société, malgré la difficulté à considérer ce phénomène. Les violences envers les femmes sont une des formes de violence les plus courantes dans le milieu familial, reconnue comme un acte de domination envers la conjointe victime. Ces femmes victimes, d’origines et de cultures diverses sont de tous âges et de toutes CSP (catégories socioprofessionnelles)question : est-ce que je dois laisser le mot entier du fait de la page : Sigles et acronymes utilisés . ??
Le gouvernement français se saisit de cette question par le biais d’études de terrain au niveau national. En France, 99 % des femmes disent avoir été victimes d’un acte ou comportement sexiste en 2019. En 2021, 122 femmes ont été tuées par leur partenaire ou ex-partenaire1. L’Assemblée générale de l’ONU (Organisation des Nations unies) a adopté en 1993 la Déclaration sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes. Cette violence est un acte réprimé par la loi.
Le milieu familial est un microcosme parfois vivement troublé par des comportements dominants de la part d’un des conjoints : l’un impose ses décisions, l’autre acquiesce. Ils sont complémentaires quand chacun trouve son équilibre, mais lorsque le conjoint dominant utilise des menaces, le couple s’installe dans un déséquilibre. L’écart d’agissement entre dominant et dominé s’accentue dans le temps. Le conjoint dominant s’impose à sa partenaire et la prive de son autonomie. Il s’agit d’emprise sur la conjointe qui est peu à peu détruite. Les conduites de l’agresseur portent ainsi atteinte à l’intégrité physique et psychique de l’agressée.
La gravité de la violence conjugale met la sécurité, voire la vie, de la victime en danger. Des campagnes d’information sont menées en France ; depuis mars 2007 un numéro d’appel unique, le 39 19, est destiné aux victimes ou aux témoins de violences conjugales. Ce numéro est toujours effectif.
Lorsque nous évoquons les violences conjugales dans ce travail de recherche, il s’agit du fait d’un homme violent envers sa conjointe. En effet, dans 94 % des cas connus de violence conjugale en France la victime est une femme.
Le mot violence, qui signifie force brutale en action contre quelqu’un avec l’idée de contrainte, a pour origine étymologique le mot latin vis, « la force », qui est de la même famille que le mot vir, « l’homme ».
La violence à l’encontre des femmes au sein du couple est une utilisation intentionnelle de la force physique et verbale. Cela entraîne un traumatisme pour la victime, voire un décès.
Nous tentons de montrer la progression des violences de la part du conjoint violent, tel que nous le rapporte le sociologue Patrick Nivolle : « Cette notion d’emprise présentée par Maria Barbier d’après les travaux de Marie-France Hirigoyen sert à mieux comprendre comment le mari ou le compagnon prend progressivement possession de l’autre, s’appropriant sa liberté et son autonomie, de sorte qu’elle ne cherche même plus à fuir, piégée qu’elle est dans cette relation faite d’un contrôle permanent, de menaces, de chantages répétés, avec des techniques proches du lavage de cerveau »2.
Il existe plusieurs types de violences conjugales dans l’espace privé, vécues au sein même de la cellule familiale : les violences verbales, psychologiques, physiques, économiques ou sexuelles. Chacune est différente par sa forme mais caractérisée selon Amnesty International par « sa persistance, son impact destructeur, son effet de peur, son intention cachée de contrôle et de pouvoir sur l’autre »3.
Nous choisissons de décrire la particularité des trois premières que sont les violences verbales, psychologique et physique. Non pas que les autres aient un impact moindre sur les victimes, en effet leur gravité est tout aussi importante, mais les trois types de violence choisis sont les plus couramment déclarés officiellement à la police par les victimes concernées4.
La construction du lien conjugal se parfait dans le temps, mais se déconstruit quand la violence est présente. Aucune affinité entre les deux protagonistes ou construction de lien ne sont possibles. La confiance en l’autre en tant que reflet de soi et la bienveillance n’existent plus. L’insécurité règne. Protéger ou être protégée ne sont plus de mise et le couple n’est plus le refuge construit à deux ; ainsi tout plan édifié auparavant est désuet, les perspectives disparaissent et les projets n’ont plus lieu. Isolée et sans contact, la victime subit l’autorité du conjoint violent.
Des gestes ou paroles, sans gravité apparente mais répétés, relèvent de la violence qu’elle soit verbale, psychologique ou physique. La revue internationale du gouvernement du Québec indique ceci : « La violence ne se limite alors pas à la dimension physique, mais inclut notamment une composante verbale et psychologique : […] qui consiste, de la part de l’agresseur, en des sarcasmes, des insultes, des hurlements, des propos dégradants et humiliants, du chantage, des menaces ou des ordres intimés brutalement. L’intimidation verbale prépare à la violence physique, crée de l’insécurité ou de la peur et empêche la victime de se soustraire à la violence »5.
La violence verbale vise à exercer une force pour contraindre la victime à agir d’une certaine manière ; c’est un acte de parole utilisé pour blesser la victime dans le but de la contrôler. La violence verbale inclut des actes d’insulte en privé ou en public ; c’est un moyen de dominer l’autre. En hurlant, les agresseurs intimident leur conjointe, la déstabilisent par des mots choisis pour la rabaisser. Ce comportement abusif est un manque de respect et les échanges langagiers entre les deux conjoints sont biaisés. Les victimes insultées perdent confiance en elles de façon durable. L’abus verbal interfère sur les émotions de la femme victime, ce qui affecte son estime de soi et son bien-être émotionnel. Dans le temps, ces femmes victimes s’isolent, prisonnières de l’humiliation ressentie et de la honte. Leur vie bascule et s’effondre, elles n’ont plus la force de lutter contre le conjoint violent qui a réponse à tout. Elles perdent contact avec les membres de leur famille ou les amis. Si d’aventure elles racontent leur vécu, elles ne sont pas crues, car cela paraît tellement irréel. Ces violences verbales se poursuivent par des menaces répétées qui conduisent à des troubles de stress post-traumatique.
Cette violence est une stratégie d’emprise ; c’est une arme pour dominer l’autre. C’est un acte de violence par lequel le conjoint manipule sa femme. Il agit par des comportements inappropriés et des propos méprisants. L’intérêt consiste à démolir l’identité de la victime qui se croit alors incapable et dépourvue de tout droit dans son couple. Le conjoint la prive, par exemple, de voir ses proches ou toute personne susceptible de l’aider. De même, il la dissuade de s’acheter tel type de vêtements ou de se maquiller et cherche à l’invisibiliser. Il maintient le contrôle sur sa partenaire, ses dépenses, les tâches ménagères et sur toute communication hors de la maison. Le but est de lui faire perdre confiance en elle par le renvoi d’une image de nullité. Progressivement, il la manipule à son gré. De fait, la victime s’enferme dans la honte et se résigne. Elle se conforme aux exigences de son partenaire et ne prend plus d’initiative ; elle devient ainsi dépendante du conjoint manipulateur. Ce type de violence présente différents modes opératoires en fonction des deux protagonistes et de leur histoire. Ce qui est commun, c’est la répétition d’actes malveillants de la part de l’agresseur jusqu’à s’approprier sa conjointe comme un objet sur lequel il garde le pouvoir. Il la met sous la contrainte dans un état d’insécurité absolue ; il la dévalorise jusqu’à l’épuiser et la placer dans une confusion totale. À chaque étape, l’agresseur s’assure de la soumission de sa conjointe. Le psychiatre Serge Tisseron s’exprime à ce sujet en ces mots : « En torturant, le bourreau cherche à mettre sa victime en son pouvoir […] en lui imposant la honte qui fait perdre tout repère. […] une fois la honte installée, elle fait perdre le sens de l’identité et des valeurs »6. La victime est conditionnée. Si l’agresseur n’a pas gain de cause, il poursuit par la violence physique.
La violence physique est un acte de destruction pour faire du mal ; c’est un processus qui entraîne des coups et blessures sur le conjoint dans le contexte des violences conjugales. Il est rare que cette forme de violence ne se manifeste pas du tout dans ce cadre.
Le conjoint violent cherche à terroriser, ce qui le conduit à blesser l’autre volontairement. D’une simple gifle aux coups de poing ou de pied, l’agresseur inflige à sa victime des blessures diverses. Il atteint sa conjointe dans son intégrité psychique et physique pour mieux la diriger. Son enjeu reste la domination. Il ne supporte pas qu’elle puisse décider elle-même. Souvent, la violence conjugale physique n’est pas la première utilisée par l’agresseur, elle reste toutefois fréquente. Des blessures corporelles aux séquestrations, en passant par la strangulation et l’utilisation d’objets contondants, ces sévices mettent en scène un rapport de force dans un climat d’insécurité. La victime est épuisée. Sous la menace de représailles, elle tait la violence et vit dans un sentiment de honte et de peur, jusqu’à cacher les traces visibles d’agressions physiques.
Quand la violence physique est exercée par le conjoint, trop souvent cette violence va crescendo jusqu’au traumatisme, voire jusqu’au meurtre.
Les deux types de violence qui suivent ne sont pas négligeables pour une victime privée de documents personnels ou contrainte dans la sphère intime du couple. Il s’agit des violences économiques et sexuelles.
La violence économique, ou administrative, est une privation de revenus et de documents personnels comme le passeport ; seul le conjoint dominant s’octroie le droit de gérer et de disposer de l’argent du compte bancaire familial. Son but est de brider l’autonomie de sa victime, afin qu’elle n’échappe pas à sa domination. Ce conjoint a un contrôle total de l’argent du foyer, lui seul détient la signature du compte bancaire. Il surveille les cartes de crédit personnelles et tout mouvement d’argent sur le compte. Si sa conjointe fait un achat, il la critique sévèrement, ou la rudoie. Il impose ses propres choix à la famille. L’intérêt de tout gérer est la dépossession de la femme victime. C’est une violence difficile à objectiver, particulièrement quand la femme victime rencontre des difficultés d’expression, surtout en français. Toute dépossession d’autonomie empêche ces femmes de quitter le conjoint qui maîtrise tout.
La violence sexuelle est une violence invisibilisée, car elle touche à l’intime. L’agresseur impose des rapports sexuels et parfois oblige sa partenaire à se prostituer. Les victimes rencontrent des difficultés à s’exprimer à ce sujet, car les rapports sexuels restent associés pour beaucoup aux obligations du mariage et du devoir conjugal. Quand on se réfère aux rapports des assistantes sociales de centres d’hébergement pour femmes battues, on se rend compte que ces violences sont très présentes7.
D’après le ministère chargé de l’Égalité entre les femmes et les hommes, la violence conjugale se déploie dans un rapport de domination et de tension entre l’agresseur et la femme victime. Ces violences envers les femmes, d’ordre verbal, psychologique, physique, économique et administratif, sont itératives. Elles s’intensifient dans le temps, pouvant aller jusqu’à l’uxoricide. Sachant que « le geste fatal est souvent l’apogée d’une violence exercée de façon régulière »8.
Les violences conjugales envers les femmes progressent par cycles dont l’amplitude varie selon l’agresseur. L’intensité des violences s’accentue au fil du temps.
La violence conjugale agit par touches successives selon un enchaînement répétitif et graduel de violences, qu’elles soient verbales, psychologiques ou physiques, entraînant une usure progressive des repères de la victime et l’incapacité de celle-ci à quitter le lieu des violences conjugales. Le modèle cyclique de cette violence s’organise en quatre phases.
- Lors de la première phase, des intimidations et accès de colère de la part de l’agresseur s’immiscent dans la vie quotidienne engendrant pour l’agressée de la tension et un sentiment d’anxiété. L’agresseur exerce des pressions psychologiques, c’est la mise en place du processus d’emprise. La femme victime, humiliée, appréhende la situation. Elle minimise ses gestes et ses paroles, se fait discrète, s’efface.
- Dans une deuxième phase, des actes d’agression surviennent. La victime s’effondre alors psychologiquement et physiquement. Elle est dans l’incompréhension totale de ce qui lui arrive et dans la souffrance, envahie par la honte d’avoir des blessures, surtout quand celles-ci sont visibles. Elle est en détresse.
- La troisième phase arrive après quelques heures ou jours, c’est la phase de remords. Le conjoint justifie son geste et minimise l’acte violent ; il rejette la faute sur sa conjointe ou sur des éléments externes au couple. La femme victime se met à douter de sa propre perception de l’évènement, voire est dans le déni de la gravité des faits. Toutefois sa colère s’apaise, mais elle se sent responsable de cette situation de violence.
- La quatrième phase, appelée phase de réconciliation, est un temps pacifique où l’agresseur quête le pardon de la victime et promet que ça n’arrivera plus ou qu’il entamera une thérapie. La victime croit son partenaire ; dans l’espoir qu’il change, elle nie les faits et retrouve, ou pense retrouver, l’être aimé. Il semble qu’un apaisement s’instaure, la femme victime accorde crédit aux paroles du conjoint, elle ne perçoit pas la gravité des violences alors que son conjoint la détruit peu à peu. Par son emprise, le conjoint violent empêche sa victime de s’exprimer ; au besoin, il hausse le ton pour s’imposer. Il entretient une atmosphère d’autorité et met en place des stratégies de contrôle. Le dialogue est impossible. La femme victime se range sous l’autorité de l’agresseur, par peur de représailles. La famille n’est alors plus le refuge censé protéger chaque membre de celle-ci. La victime se retrouve dans un état profond de confusion ne sachant plus quoi penser, elle n’ose plus prendre la parole et en perd la capacité de s’exprimer.
Nous illustrons le sujet du cycle de la violence conjugale à l’aide du schéma suivant :
Schéma du cycle des violences conjugales
Source : HAS / Service des bonnes pratiques professionnelles / juin 2019 – Mise à jour décembre 2020/declicviolence.fr.
Ce schéma nous permet d’appréhender le processus cyclique des violences conjugales envers les femmes, quand les violences se répètent et s’intensifient dans le temps. Elles sont exercées de façon continue par l’agresseur pendant des semaines et des mois, voire de nombreuses années. Par exemple, Juliette, 47 ans, a survécu à vingt-deux années de violences conjugales. Alors qu’elle est hospitalisée pour un traumatisme crânien par suite des violences de son conjoint, une assistante sociale l’aide à porter plainte à la gendarmerie, à se séparer définitivement du conjoint violent et à intégrer un centre d’hébergement social pour femmes battues. De nombreux exemples de ce type existent. Des femmes sortent de leur situation de victime de violences conjugales, quand d’autres, les victimes du pire, ne peuvent en témoigner.
L’agresseur exerce son pouvoir sur la femme victime ; il l’isole de ses connaissances, famille et amis pour mieux la manipuler. Il la réprime et la menace dans un but de subordination, ce qui l’humilie et la déconcerte. La victime, dans un état de confusion, se replie sur elle-même. Ce processus d’adaptation à être sous emprise modifie la conscience de la victime qui s’égare et devient incapable d’admettre l’aggravation des faits de violence à son encontre. Sa capacité critique s’effondre. Elle doute de son propre ressenti. La femme victime développe ainsi un comportement de défense : elle se tait.
Dans la contrainte, la victime isolée, seule avec son conjoint obéit. Tout se passe sous le toit commun, dans le secret du couple. À l’extérieur, rien ne filtre, car l’agresseur fait tout pour que personne ne se rende compte de cette réalité. La victime reste pourtant avec le conjoint violent, car un voile obscurcit sa perception de la réalité et son seuil de tolérance croissant la pousse vers une normalisation des violences vécues. La victime est l’instrument de l’agresseur ; elle vit dans un processus dynamique instable où espoir rime avec désillusion. D’après la FNSF (Fédération Nationale Solidarité Femmes), « La représentation du cycle de violence conjugale n’est pas exclusive mais elle présente une majeure partie des phases et situations rencontrées »9.
Nous concluons en soulignant la difficulté de sortir de ces violences conjugales dont les femmes sont les victimes. En France, le taux de violences intrafamiliales envers les femmes est important ; d’où la nécessité que ces faits de violence soient reconnus.
En France, les faits de violences conjugales envers les femmes sont chiffrés. Il existe plusieurs dispositifs et sources d’information à ce sujet :
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Le ministère de l’Intérieur : En 2021, 122 féminicides ont été commis selon l’annonce du ministère de l’Intérieur du 5 mars 2023. En 2023, on dénombre 94 féminicides10.
Toujours en France en 2021, 208 000 victimes de violences conjugales sont répertoriées, dont 87 % sont des femmes d’après les chiffres du ministère de l’Intérieur du 16 décembre 2022.
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Les services de police et de gendarmerie : Les enregistrements de violences conjugales ont doublé depuis l’année 2016.
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La MIPROF (Mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains) : Elle a été créée en 2013. Dès janvier 2013, elle s’est vu confier, entre autres, la fonction d’observatoire national sur les violences faites aux femmes avec pour mission de « rassembler, analyser et diffuser les informations et données relatives aux violences faites aux femmes »11.
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L’OMS (Organisation mondiale de la Santé) : Selon cet organisme, la violence à l’égard des femmes est définie par : « tous actes de violence dirigés contre le sexe féminin, et causant ou pouvant causer aux femmes un préjudice ou des souffrances physiques, sexuelles ou psychologiques, y compris la menace de tels actes, la contrainte ou la privation arbitraire de liberté, que ce soit dans la vie publique ou dans la vie privée »12.
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Le ministère de la Santé et de la Prévention : Un rapport13 rédigé par un groupe d’expert présidé par le professeur Roger Henrion et remis au ministre de la Santé en 2001 reconnaît une évolution des violences dans les milieux dits « sécurisés » comme la famille où les agressions verbales, physiques, psychologiques ou sexuelles abondent depuis cette dernière décennie. Les violences conjugales sont causées à 95 % par des hommes dominants envers des femmes et se vivent dans tous les milieux. Ce rapport affirme que le nombre de victimes de violences conjugales est en augmentation ; cette information est connue par l’intermédiaire des dépôts de plaintes et des services d’accueil de centres d’hébergement d’urgence et des services d’urgences à l’hôpital14.
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L’Insee : Selon l’enquête « Cadre de vie et sécurité » parue le 12 avril 2022 dans Insee Références, 102 morts violentes de femmes ont eu lieu au sein du couple en France en 2020. Ces morts sont recensées par les services de police et unités de gendarmerie. Pour rappel, le nombre d’enregistrements de violences conjugales a quasi doublé depuis l’année 2016. Un autre chiffre indique 208 000 victimes de violences conjugales au cours de l’année 2021, dont 87 % de femmes.
Le lien entre la violence subie par les femmes victimes de violences conjugales et le suicide est non négligeable, puisqu’en 2021 le harcèlement au sein du couple a poussé plusieurs centaines de femmes victimes à se suicider ou à tenter de le faire. Selon l’Observatoire national, les violences faites aux femmes ont eu pour conséquence un nombre important de suicides : « 684 femmes ont tenté de se suicider ou se sont suicidées en 2021 à la suite de violences psychologiques. Un aspect oublié des féminicides, qui est pourtant entré dans le Code pénal en 2020 ». Ces statistiques sont à prendre en compte de façon à mieux cerner les violences conjugales, à les déceler et aider ces femmes victimes avant qu’elles ne passent à l’acte.
Pour venir en aide aux femmes victimes de violences conjugales en France, le gouvernement a lancé le 3 septembre 2019 un Grenelle contre les violences faites aux femmes. Des associations nationales, telles la FNSF, SOS Femmes et autres, visent à accueillir les patientes et à les aider à trouver des moyens adéquats pour reprendre une vie normale.
En France, pour les victimes de violences conjugales, une aide universelle gouvernementale est instaurée, dont le texte a été publié le 2 mars 2023 par le service public de la diffusion du droit et adopté par le Sénat le 16 février 2023. Ce texte indique en faveur des victimes de violences conjugales que« la loi n° 2023-140 du 28 février 2023 crée une aide universelle d’urgence à leur intention. Il est ajouté que ce dispositif entre en vigueur à une date ultérieure fixée par décret au plus tard le 30 novembre 2023 »15.
Selon l’OMS et le travail du professeur Debout, chef du service de médecine légale au CHU de Saint-Étienne en région Rhône-Alpes, les violences au sein du couple ont une incidence majeure sur la santé des femmes, elles entraînent à court et long terme de graves problèmes de santé physique, mentale, sexuelle et génésique pour les victimes et leurs enfants et elles ont de ce fait des coûts sociaux et économiques élevés. Les lésions traumatiques sont multiples, d’anciennetés différentes et de natures très variées. Le professeur Roger Henrion, médecin universitaire, a mis en évidence la perte d’une à quatre années de vie en bonne santé pour les femmes victimes de violences conjugales. « Les violences conjugales, subies “à l’abri” dans la sphère familiale, ont pour facteur commun un processus évolutif au cours duquel un partenaire exerce, dans le cadre d’une relation privilégiée, une domination qui s’exprime par des agressions physiques, psychiques ou sexuelles. Une enquête épidémiologique réalisée en France en 2000 a fait ressortir l’ampleur du phénomène tant par sa fréquence que par la gravité des séquelles physiques et psychologiques sur la santé des femmes et de leurs enfants. Le premier recours auquel s’adressent les femmes victimes est le médecin dans 24 % des cas : leurs chances de se libérer de cette emprise et de leur souffrance dépendent bien souvent de la qualité de l’écoute, de l’évaluation du danger et de l’orientation apportées par ce médecin »16.
Nous donnons des éléments de référence, malgré la difficulté à appréhender le phénomène des violences conjugales, les victimes restant trop souvent discrètes sur la réalité vécue au sein de leur couple. Les chiffres cités émanent de déclarations non exhaustives, de femmes victimes n’ayant eu d’autre issue que de faire connaître leur situation soit en s’adressant au personnel médical de l’hôpital au cours d’un soin donné par suite des violences conjugales, soit au médecin traitant, soit au médecin ou à l’assistante sociale d’une association d’aide aux femmes victimes de violences conjugales. Ce peut être aussi à la suite d’un dépôt de plainte auprès de la police ou de la gendarmerie. Sachant qu’en France, « on estime qu’uniquement une femme sur six porte plainte lorsqu’elle est victime de violences conjugales, mais uniquement deux femmes sur dix lorsqu’elles vivent encore avec leur conjoint »17.
Tous ces chiffres indiquent clairement la nécessité de se pencher sur le sujet des violences faites aux femmes en milieu intrafamilial. Le gouvernement s’implique de plus en plus dans ce sujet, tant par le recensement que par les travaux de recherche. C’est particulièrement de violences verbales, psychologiques et physiques dont il s’agit. Les violences faites aux femmes sont « un véritable enjeu de santé publique au même titre que le cancer, et se trouvent dans toute la sphère sociale ». (Annexe E Med 2 p. 69).
Accueil, soin et soutien semblent des indicateurs à prendre en compte pour les femmes victimes de violences conjugales en France.
Nous sommes mieux informés qu’auparavant par les médias qui nous éclairent, particulièrement depuis une décennie, au sujet des violences conjugales. Des émissions de télévision sont organisées sur ce sujet par l’intermédiaire de journalistes, chanteurs, metteurs en scène et autres. Cependant, assez peu de travaux de recherche scientifique sont menés dans ce domaine. Il faut attendre les années 2000 pour que ce sujet devienne objet de recherche en France. Les travaux conduits par Maryse Jaspard et son équipe sont d’ampleur nationale.
De son côté, l’Enveff dénonce les violences conjugales envers les femmes. Il apparaît que 9 % de femmes ont subi au cours de l’année 2002 des violences graves. Il en ressort que ces violences sont présentes dans toutes les catégories sociales et culturelles. Ces chercheurs ont étudié le thème « Nommer et compter les violences envers les femmes : une première enquête nationale en France »18. Les résultats de ces travaux ont été publiés en 2003. Une enquête indique que tous les deux jours, une femme est victime d’homicide lors de violences conjugales. Ce qui porte l’estimation du nombre de femmes victimes de violences conjugales à 1 600 000 en 2002. Les résultats de l’Enveff contribuent à sensibiliser le personnel social et médical en annonçant un taux d’« une femme sur dix victime de violences conjugales »19.
Au cours de cette décennie, Marie-France Hirigoyen, psychiatre et psychothérapeute travaille déjà sur le thème des violences conjugales. En 1998, elle écrit : « Il est possible de détruire quelqu’un juste avec des mots. » Il s’agit de harcèlement moral. La violence n’est pas seulement physique mais aussi verbale et psychologique.
Il faut donc attendre le XXIe siècle pour que le tabou des violences conjugales commence à être levé. Jusque-là, ces travaux engagés sont assez peu connus, mais le deviennent grâce aux médias qui informent la population en créant des mouvements, tels que #MeToo. L’objectif de ces mouvements est de faire prendre conscience à tous de l’ampleur de la violence conjugale envers les femmes en France et dans le monde.
Cette étude de la particularité des différents types de violence conjugale nous permet d’apprécier l’évolution des violences au sein du couple dans leur aspect cyclique et progressif. Cette stratégie d’emprise de la part de l’agresseur piège la femme victime de violences conjugales qui endure dans le temps une machination d’intimidations récurrentes. Des psychiatres, médecins ou thérapeutes alertent sur l’importance du danger des violences conjugales envers les femmes. La prise en charge des victimes est une nécessité pour elles-mêmes et pour la famille, de même que pour la société. Il est impératif que soient organisés clairement des soins et un soutien spécifique à l’attention des femmes victimes de violences conjugales en France. Il s’agit de se pencher sur ce problème de santé publique dans le but d’aider ces femmes à se restructurer.
Nous cherchons maintenant à connaître la particularité des femmes victimes de violences conjugales et l’impact de ces violences sur ces femmes.
Chapitre 2 – La particularité d’une femme victime de violences conjugales et les conséquences qui en découlent
De la particularité des femmes victimes de violences conjugales et de l’impact de ces violences découlent des troubles de santé physique et psychologique sur les victimes. Pour connaître la particularité de ces victimes, maintenant appelées patientes, nous entamons une analyse descriptive en nous fondant sur les informations transmises les art-thérapeutes au cours d’interviews d’une part et d’observations en séance d’autre part. Puis les informations sont également recueillies auprès des patientes observées lors des séances d’art-thérapie et pour celles qui l’acceptent, interviewées juste après.
Nous décrivons la particularité d’une femme ayant vécu des violences conjugales. Quel que soit le type des violences subies, toutes entraînent des conséquences. Cependant, les femmes victimes de violences au sein du couple n’expriment pas leur vécu de victimes ou alors avec beaucoup de difficultés.
Au cours de nos observations in situ, nous constatons que des femmes arrivent apeurées en séance, quasi sans mot et sans gestuelle. Les violences vécues par la victime laissent des traces, parfois physiques mais souvent psychologiques, donc peu ou pas visibles. La liberté et le développement personnel de ces femmes sont réduits à néant, ce qui entraîne des conséquences psychologiques car le but de l’agresseur est de déstabiliser suffisamment sa victime pour qu’elle soit persuadée que tout ce qu’elle fait est nul et que ces violences sont de sa faute. Ce qui explique que la plupart du temps ces victimes défendent le conjoint violent en minimisant les violences subies. Par exemple, une patiente assure que la bousculade de ce jour ne justifie pas qu’elle porte plainte. Une autre tente d’expliquer que le conjoint n’est pas fautif, il s’énerve facilement, c’est arrivé d’autres fois, elle est solide, elle s’en remet à chaque fois. Toutes minimisent les faits de violence aux dépens de leur propre bien-être ; elles réfutent la gravité des violences reçues et s’en attribuent la responsabilité. Pour la victime de violences conjugales, il est difficile, voire impossible, de prendre conscience de l’attitude violente du conjoint. La force physique de ce dernier à l’encontre de sa partenaire provoque de la peur et de la crainte, ce qui engendre une soumission. La victime est ainsi sous emprise.
Les violences du conjoint anéantissent les victimes, elles ne savent pas ou ne peuvent plus prendre de décisions pour elles-mêmes, y compris pour se défendre des violences subies. L’agresseur calcule l’alternance entre les brimades et les coups dans le but précis d’imposer sa façon de faire et sa vision des choses. Les violences, quasi constantes dans le temps, servent à manipuler la patiente. Passive malgré elle, la femme victime obéit aux exigences de son conjoint.
Les activités de la vie de tous les jours sont éprouvantes pour ces victimes, comme, prendre des médicaments régulièrement, suivre un régime ou se brosser les dents. Cette asthénie vient du fait que les victimes doivent se justifier sur tout auprès du conjoint violent, par exemple lorsqu’elles vont chercher les enfants à l’école ou faire les courses pour la maison. Les victimes veillent constamment à ne pas déplaire à l’agresseur. Elles font attention au moindre détail en évitant d’être trop lente dans les tâches ménagères aux yeux de leur conjoint. Elles gèrent leur emploi du temps selon les attentes de ce dernier. L’agresseur répète maintes fois que leur victime est nulle, ce que celle-ci finit par croire. Ces femmes n’arrivent plus prendre de décisions en faveur de leurs enfants ou vis-à-vis d’elles-mêmes, y compris pour se défendre contre les violences subies. « La répétition de ces violences altère gravement le psychisme et la santé de la victime. ». (Annexe E Med 2 p. 63). L’ensemble des patientes évoque un manque de désir de faire quelque activité pour soi ou avec les autres ; elles ont perdu l’envie de se projeter.
La victime est sous emprise, comme l’écrit l’auteure Maria Barbier en 2010 : « La personne sous emprise est soumise à des ordres arbitraires, absurdes et dangereux ; l’entourage ne comprend pas la victime et la soupçonne d’y trouver son compte »20.
Lors des violences vécues, tout un processus de perte de confiance en soi s’engage : tout d’abord des paroles humiliantes sont proférées à outrance, puis la stratégie du conjoint violent se poursuit par une dévalorisation et par l’isolement de la victime qui devient dépendante. Le conjoint manipulateur lui fait croire qu’elle est nulle, qu’à part lui personne ne s’intéresse à elle.
Les femmes victimes vivent dans un sentiment d’insécurité. Nous constatons en séance leur difficulté à retrouver confiance en elles.
Stratégie du conjoint violent
In : ‘Prostitution et Société n° 202 oct.déc. 2019 / La stratégie de l’agresseur, association le Mouvement du Nid France. Réalisé/Christine Laouénan, 2019’.
Parce qu’elles l’entendent chaque jour et pendant des années, elles finissent par croire qu’elles sont nulles et incapables. Une des patientes nous confie au cours de sa troisième séance :« Tellement je l’ai entendu souvent, je sais que je suis une incapable, je n’arrive à rien… je doute tout le temps. » Puis elle reconnaît en douzième séance que son conjoint l’a annihilée : « Il m’a réduite à rien… j’étais paralysée devant lui, il en profitait… maintenant, je veux retrouver ma vie d’avant. » (Annexe B1)
La femme victime ignore souvent ses droits en matière de justice, ce qui ne l’encourage pas à se défendre et à porter plainte auprès des organismes prévus à cet effet. Elle craint de ne pas être entendue par son interlocuteur et de voir sa parole mise en doute.
Les femmes victimes de violences conjugales vivent une tragédie et en parler accroît leur souffrance. Au vu du lien intime avec leur partenaire, l’emprise vécue engendre une difficulté de dire. Or, l’épanouissement des patientes et leur espérance de vie passent par la dénonciation des violences vécues en couple.
Au cours de nos observations in situ, nous constatons des femmes qui arrivent en séance apeurées, sans mot et sans gestuelle. La violence vécue par ces victimes laisse des traces physiques et psychologiques. Ces traces sont peu ou pas visibles. Les violences conjugales envers les femmes se répercutent sur leur aptitude à réfléchir et à prendre des initiatives. Une patiente, Fiona dit : « Si j’obéissais pas, il cognait… fallait rien dire. » (Annexe : B 2) Ces femmes victimes sont dans un état de dépression à peine visible parce qu’elles le cachent. Les violences subies affaiblissent leur santé. Elles sont épuisées par l’attention permanente à porter sur ce qu’elles sont condamnées à exécuter, en conformité avec les demandes de l’agresseur. Nous découvrons des patientes sous emprise du conjoint agresseur, dont l’altération du sentiment d’estime de soi entraîne de la souffrance et du stress. Fiona reprend : « J’en pouvais plus, j’perdais la tête…je valais rien. ». (Annexe FioonaB4). Toutes, ont une image d’elles-mêmes faussée et ne font plus de projets ; leur élan vital s’amenuise. Ces femmes, en ESPT, souffrent d’insomnie chronique accompagnée de cauchemars et d’idées suicidaires. Elles vivent une détresse psychologique avec divers troubles associés : problèmes gynécologiques, IST, douleurs, fatigues chroniques et autres traumatismes, ainsi qu’un état de santé général dégradé. La prévalence du taux de souffrance et de symptômes ressentis augmente selon le type et la force des violences subies mais aussi de leur cumul dans le temps.
Ainsi, ces femmes victimes de violences conjugales s’enferment malgré elles dans un lien destructeur avec l’agresseur. Elles sont sous emprise, seules et sans défense face au conjoint. Elles ne prennent pas d’initiative et taisent les faits des violences vécues ; elles se désolidarisent du monde.
Les victimes de violences conjugales se retrouvent dans le déni, seules face à l’agresseur. Elles taisent les violences vécues par peur de représailles de la part du conjoint violent. C’est compliqué pour elles de mettre des mots sur leur situation. Contrainte d’accepter l’inacceptable, une patiente confie :« Je voudrais partir mais je ne sais pas quand et comment ; personne me croit. » (Annexe B4). Ces patientes ressentent un danger permanent qu’elles ne savent pas gérer. Le manque d’estime de soi due aux violences de l’agresseur les empêche de parler ; elles taisent leur souffrance. Elles sont en situation de déni, dans une stratégie inconsciente de défense. Pour la victime de violences conjugales, sortir du milieu violent est pétrifiant. Dans cette situation, le déni est reconnu comme un refus de voir la réalité d’une situation traumatique, mais il est aussi un cocon qui les protège de cette réalité et les raccroche à la vie. C’est très paradoxal.
Pour une personne extérieure au couple, les pensées de ces victimes sont impénétrables tant la difficulté à comprendre leur situation est complexe. L’auteure Maria Barbier nous éclaire sur ce point délicat :« Face à des récits effrayants, dramatiques, et aux attitudes déconcertantes des victimes, le premier réflexe est de penser : “Mais pourquoi ne fuit-elle pas ?” Si les femmes ne partent pas c’est qu’elles ont été “piégées” dans une relation d’emprise. L’emprise est un système de domination psychologique mis en place par une personne sur une autre. Le but étant de conditionner l’autre à répondre à ses attentes sans aucune considération pour son libre-arbitre ni pour son bien être. La victime est au service psychique de la personne qui la contrôle. Son individualité, ses propres sensations, ses propres choix disparaissent devant celui qui impose son pouvoir. Elle ne pense et n’existe plus qu’à travers lui »21. Ces femmes victimes de violences conjugales tolèrent ces violences ; nous entendons au cours des interviews qu’elles les endurent au fil du temps. « Fallait faire quoi d’autre ? », nous demande une patiente. (Annexe-B5). Les victimes ont une perception erronée de leur vécu de victime et perdent le contrôle de leur vie, sans pour cela tenter de s’en échapper. Elles sont prises au piège de l’agresseur.
La plupart de ces femmes ont une vie professionnelle, sociale et familiale qui s’estompe ou disparaît avec la violence conjugale. Le cumul des violences rend la situation de la victime difficile à vivre. Leur corps sacrifié porte le refus absurde de dire cette violence. Cette réaction leur paraît vitale et la moins mauvaise. L’emprise du conjoint violent est à ce point déshumanisante qu’elle oblige la victime à taire la réalité de son couple. L’omnipotence de l’agresseur laisse croire à la victime que son silence est nécessaire à la survie du couple ; il lui rappelle que personne ne la croira. Elle est dans une solitude qui nourrit son sentiment d’isolement. « Toute personne exposée à des abus répétés (qu’elle n’est pas en mesure d’éviter) réagit non pas de manière passive comme on le croit souvent à tort, mais en restreignant ses réactions à celles qui lui semblent les plus appropriées pour se protéger »22.
Le déni est reconnu par les médecins comme un refus de voir la réalité d’une situation traumatique. La femme victime de violences conjugales sombre dans la souffrance sans pouvoir réagir. Elle est piégée et « mise sous emprise » (Hirigoyen, M.F., 2003) par l’agresseur. Le déni est un mécanisme de défense inconscient qui protège la victime de la réalité des violences subies qui sont déconcertantes et angoissantes. La victime n’a plus accès normalement à ses pensées ; ses capacités cognitives sont affectées par son vécu traumatisant. En réalité, la victime gère son anxiété face au choc émotionnel vécu jour après jour. Elle supporte l’insupportable afin d’adapter sa vie de victime à la douleur vécue qui ne peut être dite. Elle est comme anesthésiée et n’a pas les mots à poser sur ses maux. Elle ne sait pas dire ce qui l’affecte. Elle espère encore que son conjoint change ou, pire, elle croit qu’il agit pour son bien. Elle nie la réalité et pense que les violences du conjoint ne sont pas si graves. Ce n’est pas possible que ce soit grave, croit-elle.
Pour un art-thérapeute, le déni est une volonté de s’aveugler. Il s’agit là d’un substitut de survie. Pour en guérir, la femme victime a besoin d’être secourue et d’accepter de reconnaître s’être trompée dans le choix de sa vie de couple. Cependant, le conjoint violent ne lui laisse pas d’autres possibilités que l’obéissance, il l’a mise sous emprise.
Quel que soit le type de violence, les violences conjugales subies sont alarmantes au vu de la gravité des conséquences chez les victimes. Les traumatismes chez les victimes de ce type de violences concernent près de 99 % des patientes admises aux urgences. (Annexe E Med 2 p. 69).
La femme victime n’est plus l’alter ego de son conjoint quand celui-ci la traite comme son objet. L’agresseur dénigre sa victime pour l’empêcher de se révolter ; il engage un mécanisme d’emprise sur elle dont le but est d’engendrer une confusion morale chez la victime, au point que soumise elle n’a pas d’autre choix que de s’ajuster aux exigences du conjoint. L’emprise détruit la personne victime. « Toute forme d’emprise s’acharne à détruire le fondement de la personne : je désire, je pense, je suis »23. L’agresseur annihile les pensées de la femme victime dont la clairvoyance s’endort. La victime est alors comme aspirée par la volonté de l’agresseur, elle est obligée de consentir.
Les violences conjugales entraînent des conséquences graves. Physiquement atteinte, la gestuelle de la victime s’amenuise, ses paroles sont de plus en plus hésitantes ou même disparaissent ; la victime se renferme sur elle-même. La dégradation de la santé est majeure dans la vie de ces femmes qui se retrouvent dans une situation d’anxiété permanente et d’angoisse grandissante avec le temps qui les détruit. Les critiques du conjoint nuisent à la confiance en soi de la victime qui se sent inutile. Cette dernière se croit sans valeur et surtout incapable de vivre sans son agresseur. C’est l’idée que veut lui faire accepter le conjoint violent par ses agissements. Les menaces répétées créent ainsi de la peur chez la victime entraînant une véritable détresse, elle ne sait pas où se réfugier ou à qui se confier. Le piège réside dans la croyance qu’il n’existe pour elle qu’une seule issue : le suicide. Le lien entre violence subie par les femmes au sein du couple et suicide est généralement établi par des médecins et plus particulièrement par des urgentistes à l’hôpital. (Annexe E Med 2 p. 62).
L’exemple suivant nous indique à quel point la situation se dégrade pour la victime ; elle raconte : « au début, je minimisais ses paroles méchantes à mon égard. Puis son comportement était de pire en pire… il est devenu exécrable et quand les coups sont tombés … j’ai pensé au suicide, il me menaçait, il me disait : “si tu pars, je te tue…”J’en pouvais plus, soit je le quittais, soit je mourrais…j’étais sans repère, ça a duré 8 ans, 8 ans. ».( Annexe B2).
Une autre patiente nous explique sa prise de décision, puis son passage à l’acte ; elle tente de se suicider à deux reprises. Elle relate ces moments : « C’était trop douloureux…je voulais en finir, ça ne s’explique pas. », puis elle nous avoue penser parfois qu’il serait mieux sans elle : « J’étais un plot. » (Annexe B 3), dit-elle lors d’une des premières séances.
Cette tendance au suicide est reconnue par les médecins comme étant une échappatoire à ces violences. La prison mentale dans laquelle les femmes victimes ont été placées par leur agresseur les conduit trop souvent au suicide. L’impact des violences subies est dévastateur sur la vie de tous les jours. Des patientes s’expriment à ce sujet : « Je vis un cauchemar permanent…je sais pas comment je tiens. » ou« J’en peux plus, c’est trop… j’ai peur qu’il mette ses menaces de mort à exécution. »(Annexe :B4). La violence n’est pas toujours visible, en effet les symptômes sont difficiles à déceler, y compris par le médecin, quand la femme victime cache la vérité.
L’attitude des victimes qui n’ont pas ou peu de paroles lors des séances d’art-thérapie nous laisse penser que, lorsqu’il s’agit pour elles de partir du lieu des violences conjugales, il leur est difficile de prendre conscience de leur état de victime, à tel point, nous dit Marie‑France Hirigoyen, que les violences dans le couple « ont des effets dévastateurs pour les femmes qui en sont victimes tant sur leur santé physique que sur leur santé mentale, mais ces violences, en particulier les violences psychologiques, constituent également un obstacle à l’épanouissement et à l’optimisation du potentiel des femmes qui en sont victimes. Les divers problèmes de santé qui découlent de la violence conjugale amènent les femmes à consulter pour un certain nombre de symptômes qu’elles ne relient pas nécessairement à de la violence parce qu’elles n’en ont pas forcément conscience. Il faut donc les aider à faire ce lien »24.
Les violences subies par les femmes victimes se répètent dans le temps. Peu à peu usée, la clé de voûte que constitue le couple se brise. Ima raconte au sujet de sa vie de couple : « j’savais pas à qui en parler… alors on s’isole…on la ferme. ». (Annexe B5).
La situation de ces victimes vulnérables reste dans l’ombre. Les troubles de santé des victimes de violences conjugales sont nombreux. Ils sont d’ordre divers : traumatologique, gynécologique, digestif, pulmonaire ou circulatoire ; tout organe peut être atteint, en plus de l’aspect moral. Un médecin ajoute : « Les violences conjugales entraînent des traumatismes et enferment la victime dans la torpeur et le silence, il leur est impossible de s’en sortir seule. » (Annexe E Med 2 p. 62).
Des symptômes existent mais sont cachés, Marie-France Hirigoyen l’exprime en ces termes : « Si les conséquences physiques de la violence sont faciles à repérer, les plus graves sont psychologiques et elles ont de lourdes conséquences sur le devenir de la femme. Les traces d’une agression physique finissent par s’estomper, tandis que les injures, les humiliations laissent des marques indélébiles… »25.
Être confrontées à la violence conjugale expose les femmes victimes à des risques pour leur santé. Léonore Walker, psychologue, explique en 1979, dans son livre « Battered Woman’s Syndrome », les effets des violences conjugales en termes de BWS ou « syndrome de la femme battue »), qui laisse place au TSPT, le trouble de stress post-traumatique qui ne laisse pas indemne. Le BWS implique un contrôle coercitif de la part de l’agresseur qui traque sa victime à tout instant.
La violence conjugale enferme la victime dans l’incapacité de raconter son vécu. Il est difficile pour elle de sortir de ce lieu de violence qui happe toute son énergie et l’empêche de raisonner sur ces sévices. Ses symptômes, souvent secrets, ne l’encouragent pas à se confier pour être aidée.
La violence dans le couple est un rapport de domination dans un processus systémique dont l’évolution a un effet destructeur sur la victime. Celle-ci est en état d’hypervigilance ; fatiguée, elle n’arrive pas à fuir le couple, car se séparer attise encore la violence du conjoint. Sur dix‑sept femmes victimes interviewées, quinze sont d’accord (annexe C 1Graphg) avec Daniel Welzer Lang, sociologue, qui précise que « notre organisation sociale est patriarcale »26. Petit à petit, la situation de victime enferme la femme dans un sentiment de honte. Il lui semble qu’elle est incapable de gérer sa vie elle-même, ce qui la pousse à adopter un comportement d’acceptation au sein du couple. Elle n’a pas la force de réagir et passe son énergie à tenter de vivre.
L’histoire de l’agresseur et de l’agressée commence par de l’amour. Cependant, la violence arrive vite sans crier gare et s’installe dans le couple ; Déjà, la conversation commence à disparaître. Sur dix-sept patientes interviewées, quinze indiquent le manque de communication dans le couple. Une patiente se souvient qu’ « on lui fait confiance, il est d’abord attentionné, je me suis pas méfiée, puis ça tourne mal, les coups arrivent on est prise au piège sans se rendre compte ». (Annexe :B 6).
L’exemple suivant est rapporté par Ilda, en situation post-traumatique, la cage thoracique enfoncée par le conjoint à la suite de violences. Lors des soins reçus à l’hôpital, et sur conseil du médecin, cette femme est conseillée par un thérapeute et accepte d’entamer des séances d’art-thérapie. Jusque-là, sa situation de victime la poussait à adopter un comportement de soumission au sein du couple, sans pouvoir l’exprimer. En séance, elle raconte enfin les violences conjugales vécues :« Elles sont insidieuses car elles arrivent sans que l’on y songe, puis elles perdurent. » (Annexe : B6 ). Ce type de situation engendre une altération émotionnelle grave et plonge la victime dans un état asthénique voire suicidaire. Sa fragilité psychologique l’empêche de s’opposer à l’ingérence de son conjoint dans sa vie. Ce dernier utilise des propos malveillants et la critique de façon injustifiée, il garde son statut de dominant dans le couple.
Chez la femme victime, un sentiment de honte se développe et devient un système de survie ; la conjointe pense qu’elle n’a pas le pouvoir de se défendre dans cette situation d’échec, elle reste incapable d’appeler à l’aide, s’isole et cache la réalité de son couple. Si le conjoint la pousse, elle trébuche et pense qu’« il ne fait pas exprès, il n’oserait pas, c’est mon conjoint ». (Annexe : B 1-8). La victime protège son bourreau.
À mesure que le cycle de la violence intrafamiliale se répète, la femme victime s’ajuste aux exigences du conjoint, renforçant ainsi son contrôle sur elle. Cette situation irrationnelle reflète un échec du couple et le conjoint n’hésite pas à en faire porter la responsabilité à la victime des violences.
Sous la menace constante des agressions, la femme victime croit qu’elle est vouée à la soumission dans son couple. Elle vit recluse. L’aspect coercitif de l’emprise du conjoint sur sa femme se manifeste par la privation de sortie, l’interdiction de se maquiller ou de se rendre à une activité sans sa présence. Il lui donne des ordres comme à une petite enfant. La victime est dépendante et réduite au silence. Elle fuit les regards, évite de sortir, de rencontrer d’autres personnes et rêve de « vivre désormais dans une boite d’allumettes ou mieux, disparaître ». (Annexe : B 9). Une autre victime ajoute : « Je voulais tant qu’on me remarque le moins possible, partout… j’osais pas réagir de peur du conflit, je savais même pas quoi dire, j’étais soumise sans m’en rendre compte » (Annexe : B 10). Les violences conjugales entraînent peu à peu la perte de la parole et de la gestuelle. Le langage est détruit.
Privée de repères, la femme victime se referme sur elle-même pensant que cette situation est la norme, la seule issue et la moins défavorable. Zahia Manseur, assistante de service social, explique que « les femmes maltraitées peuvent difficilement analyser leur situation parce que la violence qu’elles subissent tout comme l’amour qu’elles éprouvent pour leur conjoint ne concordent pas avec leur perception culturelle de ce que doit être une relation intime »27.
Du fait des normes sociales, la honte est cachée car contraire à l’image que la victime se fait d’une personne dite « normale ».La femme victime dissimule les violences conjugales subies, afin de ne pas donner une mauvaise image de sn couple. Formelle ou informelle, la norme sociale est une valeur de la société qui détermine le comportement de chacun. Une personne dite « normale » a un travail, une famille et des activités. Aujourd’hui le sujet de la femme battue, violentée au sein du couple, est encore souvent tabou. Ainsi, pour ces victimes, l’isolement est la seule solution.
Prise entre la violence de son conjoint et l’amour pour ce dernier, la victime ne peut concevoir les agissements de l’agresseur comme de la violence puisqu’il s’agit de son conjoint, celui en qui l’on a confiance. Si la femme victime ne réagit pas dès la première humiliation, la manipulation sournoise de l’agresseur s’enclenche et progresse. Si elle ne se rend pas compte de la gravité d’un tel geste, si elle reste dans le flou de ce qui lui arrive sans réagir, un rapport de pouvoir s’installe entre les deux acteurs. « Je croyais que notre couple c’était normal… je savais plus. », rapporte Ida (Annexe : B 11). Ce qui lui arrive n’est pas la normalité d’un couple, mais elle se tait et se soumet sans avoir la force de quitter le foyer. Dans cette relation interpersonnelle. La victime s’isole malgré elle et donne plus d’importante à l’image que renvoie son couple qu’à la légitimité de s’octroyer la vie à laquelle elle a droit.
Ce qui nous amène à l’idée des souffrances intériorisées pour ces femmes victimes. Celles-ci font croire que tout va bien et préfèrent taire la violence vécue.
Toutes les violences sur la personne sont destructrices. Visibles ou non, la plupart du temps elles provoquent des traumatismes sur la femme victime de ces violences. Avec le temps, la gravité des violences conjugales envers les femmes entraîne des situations post-traumatiques.
Nous décrivons l’impact des violences vécues dans le milieu intrafamilial où le recours à la force verbale, psychologique et physique induit des contraintes dans la vie de tous les jours et des blessures graves chez la victime.
Les femmes victimes de violences conjugales se retrouvent aux urgences à l’hôpital car elles n’ont pas pu se défendre. Elles n’ont pas su parler des violences subies. Bien qu’elles risquent leur vie, elles n’envoient pas de signaux d’alarme.
Cela fait partie d’une stratégie d’évitement comportemental : la femme se soustrait à la détresse enclenchée par les violences. La perte du langage verbal et gestuel est issue des violences et de la dévalorisation subies, ce qui entraîne une difficulté à agir.
La victime n’a personne à qui s’adresser, car le conjoint violent veille à ce qu’elle n’ébruite pas les violences endurées.
La femme victime ne trouve plus les mots et ne sait pas réagir devant le désarroi qui l’anéantit, du fait de la durée et de l’intensification des violences. Elle se croit inutile et nulle. « La honte nous arrache à la société. » (Annexe : B 12).
La gravité des violences conjugales constitue un aspect perturbateur pour une femme victime : cela la déstabilise et la traumatise. Les victimes sont épuisées par l’intensité des violences journalières qui perdurent souvent depuis de nombreuses années. Elles se résignent à accepter la situation, persuadées qu’elles ne sont pas capables de construire une meilleure vie sans leur conjoint. Elles sont peu à peu dépouillées de leurs repères, sans aucun moyen d’appréciation puisque l’agresseur répète à la victime qu’elle est ignorante et nulle. C’est un piège d’accoutumance qui met les victimes en situation d’obéissance vis-à-vis de l’agresseur. Ce dernier ne donne pas d’autre possibilité à sa conjointe que de rester avec lui. La femme victime est devenue une proie vulnérable et le conjoint en abuse. Si elle ose protester, il accentue les violences psychologiques et use de la violence physique. Tout un processus de violences destructrices est ainsi à l’œuvre, ce qui entraîne la souffrance et la perte du langage. La victime est dans l’indicible.
La victime subit ses émotions et ses réactions de déni, elle est confuse car sous emprise. Elle ne se rend plus compte de ce qui est grave et de ce qui ne l’est pas. Le conjoint violent renforce constamment son emprise sur elle par un contrôle coercitif consistant à répéter au quotidien de subtiles micro–agressions pour priver sa conjointe de ses repères identitaires, ce qui reste une violence entraînant des traumatismes dont nous expliquons les conséquences dans la section 13 ci-dessous. Les femmes victimes de violences conjugales restent hypersensibles à tout ce qui se passe autour d’elles. Le moindre bruit les affecte. Chaque claquement de porte les fait sursauter. Les nocicepteurs, récepteurs sensibles à la douleur, alertent à la moindre situation nocive pour l’organisme humain. La fonction d’attention à ce qui se passe autour de la victime prend le pas sur l’expression et le langage. C’est ainsi que la victime perd la fonction du langage. La peur de dire des absurdités ou de mal faire s’ancre en elle. Elle s’enferme peu à peu dans une peur si profonde qu’elle n’utilise quasiment plus la parole et la gestuelle qui portent préjudice en présence du conjoint malveillant. Cette fonction de défense se développe et s’enracine dans le corps de la victime.
La perversité des violences conjugales se révèle par la manière dont les violences sont engagées. Ces violences du conjoint envers sa femme se manifestent de manière cyclique et crescendo. La violence répétée consiste en des actes subtils et calculés. Tout un processus s’enclenche dès la première humiliation et la première gifle. La femme est victime d’hostilités constantes dans sa vie de couple ; elle souffre et n’a plus de libre arbitre car tout se passe en huis clos, loin de tout regard extérieur. Ainsi, Marie-France Hirigoyen décrit la portée de ces actes envers la femme victime de violences conjugales avec les mots suivants : « violence insidieuse, subtile et permanente… violence perverse »28.
Le conjoint est manipulateur au point de faire croire à l’agressée qu’elle est nulle, qu’à part lui, personne ne s’intéresse à elle. Seule et vulnérable, la victime est dépossédée d’elle-même. Elle ne peut prendre aucune décision dans le couple ni pour elle-même, ni pour les enfants, c’est le conjoint qui décide de tout. Une patiente au cours de la troisième séance s’exprime sur ce point : « J’étais dans l’incapacité à comprendre ce qui se passait… j’étais aveugle de l’intérieur… je restais là. » (Annexe B 13). Décontenancée par la forte emprise du conjoint violent, la femme victime est incapable de prendre quelque décision que ce soit, elle vit désormais dans un sentiment de peur, d’angoisse et doute d’elle-même. De plus, le conjoint l’isole de ses proches pour que la dépendance soit totale. La pression exercée sur elle la rend vulnérable et confuse. Elle perd toute estime d’elle-même. Sa capacité à vivre des émotions est quasiment réduite à néant. De même, une autre patiente, Line, dit : (1‑B1csp M à Hte, 10è séance sur 16) « Je savais pas… je croyais que c’était moi le problème… il me faisait croire que je pouvais rien faire sans lui, il me rabaissait toujours même devant les autres, j’ai fini par me croire anormale. » (Annexe B14).
Les violences conjugales traumatisent la victime et l’enferment dans un monde imaginaire. Liliane Daligand, professeur en médecine légale, psychiatre des Hôpitaux de Lyon et présidente de VIFF-ilSOS Femmes (Violences Intra Familiales Femmes Informations Liberté SOS Femmes) (Association d’accueil et d’hébergement pour femmes avec enfants victimes de violence, Villeurbanne.), explique les sensations qui découlent de la brutalité des violences chez les victimes de violences conjugales. Elle écrit « Tout trauma entraîne une modification de l’image du moi… se cristallisant sous un affect : la honte. Le sensationnel dans sa brutalité traumatisante et totalisante s’oppose au ressenti et l’annule. Le ressenti est de l’ordre de l’intime. Les sensations imposées par la violence annulent toute révélation de l’intime… ». Perdues dans l’étendue des violences journalières qui perdurent, souvent depuis de nombreuses années, les victimes sont épuisées et se résignent à accepter la situation cyclique des violences, persuadées de ne pas avoir d’autre choix. Tina, autre patiente, raconte : « Ses mots d’amour me faisaient pleurer, je savais plus si je l’aimais je savais plus où j’en étais… il me séquestrait… plus rien n’avait de sens. » (Annexe : B 15). Le professeur Liliane Daligand poursuit : « Avant toute exclusion sociale, la victime est comme énucléée d’elle-même. La victime exclue de sa parole n’a comme refuge pour continuer à vivre que l’imaginaire…Cet imaginaire, replié sur lui-même dans son totalitarisme obligé, maintient l’exclusion »29. La femme victime se retire ainsi dans son imaginaire, son seul recours, là où personne ne connaît ses souffrances. Sous emprise, cette femme victime devient objet manipulé par l’agresseur ; elle perd l’image d’elle-même et croit à celle imposée par son agresseur : femme inutile, sans compétence, incapable et qui n’intéresse personne. Envahie de honte, elle se tait et se replie sur elle-même.
Le cumul des violences au fil du temps nuit aux femmes victimes et provoque une dégradation de leur état de santé. Pour la plupart, elles se résignent et, lorsqu’elles n’en meurent pas, ces femmes victimes de violences conjugales se retrouvent aux urgences de l’hôpital en situation post-traumatique.
À force de contraintes de la part du conjoint violent, les femmes victimes se résignent. Quand le stress post-traumatique se manifeste, s’ensuit la honte chez la victime. Ainsi l’exprime Serge Tisseron, psychiatre, docteur en psychologie habilité à diriger des recherches, membre de l’Académie des technologies : « La honte […] est terriblement désocialisante et déstructurante », il poursuit, « De façon générale, l’angoisse qui borde toutes les formes de honte est d’ailleurs l’angoisse du non humain, sinon la honte ne serait pas aussi pénible à vivre »30.
Les victimes se retrouvent malgré elles acculées à une situation inattendue, « parce que la première situation vécue de honte n’a pas pu être gérée autrement que sur le mode de la résignation »31.
Ces violences vécues empêchent la femme victime de penser et de dire. L’image de soi s’altère au point que la victime n’ose plus prendre la parole car elle se croit nulle ; « Il semait la mort… quand j’arrivais à hurler, c’était dans un profond silence qui résonnait dans ma tête. » (Annexe : B 16) Presque invisibles pour les autres, les violences inattendues persistent pourtant. « Ma pensée les refusait [les violences]… j’arrivais pas à comprendre ce qui m’arrivait et encore moins à le dire… une sensation d’être effacée du monde…c’est horrible. » (Annexe : B17).
La femme victime en détresse a un rapport au corps défaillant faisant barrage à sa perception d’elle-même et la poussant parfois à s’automutiler avec ou sans intention suicidaire. Valérie Melin, maître de conférences en science de l’éducation, l’exprime comme suit : « Le silence de l’âme est masqué par le bruit assourdissant du symptôme »32. Les douleurs déclenchées par les actes violents du conjoint agressent l’organisme à tel point que les patientes, décontenancées par ce qui leur arrive, ne se rendent plus compte de la gravité des violences vécues et sont prisonnières d’un corps angoissé, les mots ne sortent plus.
Par manque de soutien, ces femmes victimes de violences conjugales se résignent, dans la souffrance.
Dans le domaine clinique, chez la plupart de femmes victimes de violences conjugales le traumatisme se réfère à des manifestations de peur. Pour la victime, être dans la peur à la suite d’un traumatisme, c’est : « être angoissée et apeurée jusqu’à en perdre ses moyens. » raconte un médecin responsable du service traumatologie. (Annexe : E Med 1 p. 62). Il nous explique : « Ces peurs sont provoquées par de violents chocs sur le corps, entraînant par exemple un traumatisme crânien ou thoracique, la fracture d’un os, une plaie ou une brûlure mais c’est un traumatisme psychique. » Les conséquences sont diverses : tachycardie, syndrome de Stockholm, difficulté à ressentir des émotions et autres. « Il faut savoir que les traumatismes déstructurent la victime car ils provoquent de la souffrance et un manque de repère identitaire. » ajoute le docteur Benoit.
Le mot traumatisme vient du grec τραῦμα, ou trauma, il s’agit d’une blessure due à un choc violent, une blessure physiqueou psychique grave. Les deux font souffrir l’individu et perturbent la vie de tous les jours. Le traumatisme « entraîne chez ces patients des régressions désorganisantes qui peuvent déboucher sur des « angoisses de mort psychique » suscitant des souffrances telles que la symbolisation s’en voit profondément déstructurée. Ces régressions témoignent alors d’une dispersion des repères identitaires, d’une disparition immédiate des contenants psychiques et, avec eux, des liens porteurs de sens »33. L’intensité de l’impact de la violence, qu’elle soit psychique ou physique, met la victime dans un état de désorganisation, particulièrement lorsque la violence est maintenue dans le temps, que ce soit en mois, années, voire décennies. La souffrance psychique qui en découle a des retentissements invalidants tant au plan physique, psychique, que relationnel et socioprofessionnel.
Un nez fêlé ou des côtes cassées ne changent rien au souhait de rester avec le conjoint violent. Les justifications des femmes violentées sont fortes : « Je restais pour les enfants… » (Annexe B-18),ou « Pour garder le lien… »(Annexe B 19). La raison peut être aussi financière, comme l’exprime Brij : « Et puis, comment vivre sans argent…» (Annexe B 20). Lors des dernières séances, elles racontent davantage leur vécu et les difficultés à sortir du cercle infernal : « Si je partais, il m’aurait tuée. » (Annexe B21), ou : « Si j’avais osé lui désobéir, il s’en serait pris aux enfants… je pouvais pas partir. » (Annexe B22). Déconcertée, une patiente n’hésite plus à raconter : « C’est pas parce que je me sauvais pas que j’acceptais, mais je lui disais pas… j’avais pas la force de me révolter, j’y pensais même pas… Ne pas se sauver, ce n’est pas consentir. » (Annexe B23). Ce n’est pas parce que la femme reste avec le conjoint qu’elle consent aux violences de ce dernier. Cependant, Serge Tisseron, psychiatre et docteur en psychologie, écrit : « Mieux vaut être écrasé ou battu que ne plus exister »34. La patiente croit son agresseur non fautif ; battue, elle lui trouve des excuses. Malgré les violences vécues à répétition, elle croit exister dans le regard de son conjoint.
Le traumatisme « affecte la relation à l’autre […] il affecte aussi la relation avec soi-même en brouillant le miroir interne nécessaire à la réflexivité […]. Les effets sur l’organisation de l’empathie de l’autre sont à la mesure de la perte de l’empathie de soi dans toute la zone du fonctionnement psychique affecté par le traumatisme »35.
Le traumatisme se prolonge au-delà des coups reçus, la cicatrisation physique et psychologique se fait très lentement à l’aide d’un soignant, médecin et thérapeute. La plupart du temps, les patientes victimes de violences conjugales sont affectées par la réalité des violences vécues et la refoulent hors de leur conscience. C’est là qu’elles organisent leur défense, en se retirant du monde pour subsister, dans la discrétion. Les victimes perdent le contact avec leur propre image. Pour se protéger, Naëlle, une patiente, précise : « Je fais en sorte d’éviter toute situation qui amène les violences ; je me fais discrète et devance parfois la demande de l’agresseur par des attentions qui le calment… pour un temps. ». (annexe : B 24) Le traumatisme entraîne un état de souffrance chronique qui oblige les femmes victimes à penser et calculer en fonction de l’acte violent de leur partenaire. Les femmes victimes de violences conjugales sont dans un état de stress post-traumatique permanent. Leur situation post-traumatique les enferme dans une détresse, au point qu’elles en perdent la parole et la gestuelle. Bien qu’inadaptés, les seuls moyens que trouvent les femmes victimes pour rester en vie, sont le comportement d’évitement et le silence.
C’est pourquoi elles ont besoin d’être prises en charge par un professionnel de la santé, afin de restructurer leur langage. Il n’est jamais trop tard pour demander de l’aide et un soutien. Les femmes victimes de violences conjugales ont parfois l’opportunité d’être entourées par une assistante sociale ou leur médecin, afin de sortir de la violence vécue au sein du couple, pour prendre soin d’elles et se protéger jusqu’à la rencontre avec un thérapeute. Pour d’autres, les blessures engendrées par des coups plus violents que les précédents les obligent à être transportées aux urgences d’un hôpital où le personnel soignant va enfin prendre soin d’elles. Et pour d’autres encore, elles ne sont plus là pour le dire.
En conclusion de ce chapitre sur la particularité des femmes victimes de violences conjugales et des conséquences qui en découlent, nous pouvons avancer l’idée que la violence supportée par ces femmes victimes les entraîne dans une obsession de rester dans le couple, parce qu’elles y sont contraintes inconsciemment par le conjoint violent. Or, se réfugier dans le déni ne fait qu’accroître la souffrance. C’est une grande difficulté pour ces femmes victimes de violences conjugales de sortir du milieu familial violent, selon le docteur Vincent. (Annexe Med 2 p. 69).
D’où l’intérêt pour elles de se faire aider par un soignant professionnel, puis de participer par exemple à des séances d’art-thérapie, afin de se repérer dans un autre cadre que celui des violences. Elles ont l’opportunité de développer un processus cognitif en séance d’art-thérapie, permettant de donner du sens à leurs pensées par le biais de l’activité artistique.
Chapitre 3 – Du besoin de restructuration langagière à l’art-thérapie
La gravité de la situation des femmes victimes de violences conjugales entraîne leur besoin d’être secourues. Si ces femmes restent dans le cercle familial où la violence perdure, elles risquent leur vie. C’est pourquoi, il nous semble opportun d’aborder le sujet de la nécessité de la restructuration langagière de ces femmes en situation post-traumatique. Puis, nous examinons l’importance de l’art-thérapie et de la peinture, matériau privilégié lors des séances d’art-thérapie choisies pour ce travail de recherche.
La perception des violences conjugales subies par les femmes victimes est dégradée par les non-dits. L’indicible, institué par la situation de souffrance de ces femmes violentées mérite d’être reconnu. Il advient par le pouvoir incroyablement pervers des conjoints violents qui détruit la parole des victimes pour qu’ainsi les violences vécues soient tues. Malgré la réticence des femmes victimes à entrer dans un soin psychologique, une prise en charge, bien qu’exigeante est essentielle pour surmonter leur traumatisme. Les femmes victimes doivent reprendre le contrôle de leur vie, avec un soutien thérapeutique contribuant à leur restructuration. Pour retrouver une vie sociale et surmonter les épreuves du traumatisme vécu, il est essentiel que chaque femme victime soit accompagnée par un professionnel. Leur façon de s’exprimer par le langage, gestuel ou verbal est insignifiante. Il s’agit que ces femmes victimes soient au contact de personnes empathiques, tel que le propose un art-thérapeute, (Annexe E 1 – Q 2 p. 7) et expérimentent des activités nouvelles autres que celles de la violence, pour retrouver la parole. Leur besoin de restructuration langagière est légitime, comme le besoin d’une expérience nouvelle pour retrouver confiance en elles et se restructurer. Les femmes victimes ont besoin de retrouver leur expression orale et gestuelle ainsi que leur indépendance. L’art-thérapeute propose un lieu sécurisé à ces patientes dont l’objectif est double : d’une part, le non-retour vers l’agresseur ; et d’autre part, la restructuration langagière. Un soin engagé avec un thérapeute « favorise l’émergence de la parole et de la gestuelle des patientes », selon un art-thérapeute. (Annexe E 1 – Q 2 p. 7).
La description de la particularité des violences conjugales envers les femmes en France et celle des femmes victimes de ces violences montrent la nécessité d’aider ces dernières à se reconstruire afin de mener une vie normale, adéquate à leurs aspirations. Elles ont besoin d’une prise en charge thérapeutique extérieure au couple. Il est temps de rééquilibrer l’ensemble des phénomènes liés à leurs souffrances et au langage qui est le leur, afin qu’elles prennent conscience de ce qui leur nuit pour l’écarter définitivement de leur vie.
Pour aider ces femmes victimes de violences conjugales, que nous appelons patientes, des séances d’art-thérapie leur sont proposées, parce que si l’art est un moyen, ici la thérapie est un but qui est de redonner du langage structuré à la victime. L’art-thérapie se met au service du soin et contribue au rétablissement des femmes victimes et à leur restructuration langagière.
Quand l’art-thérapeute accueille la patiente, il explique l’importance d’accéder à une thérapie et lui propose d’engager un soin adéquat à sa situation par le biais de l’art-thérapie. L’objectif est de retrouver l’expression orale et la gestuelle qui sont les siennes et de redevenir acteure de sa propre vie, c’est-à-dire de retrouver la capacité de prendre des décisions et de suivre ses aspirations.
Jusqu’aux séances d’art-thérapie, en général la patiente n’a personne pour s’occuper d’elle, pour l’écouter ou lui faire raconter son vécu afin qu’elle sorte du déni et de l’épuisement physique et moral. Mais les femmes victimes de violences conjugales en situation post-traumatique, plongées dans le déni, ressentent une telle anxiété qu’elles refusent d’être aidées.
Pour les femmes victimes, il est très difficile d’accepter leur besoin de restructuration langagière. Elles ont besoin d’être guidées par un art-thérapeute pour réapprendre la parole et la gestuelle, sans la contrainte du partenaire.
L’art-thérapie, est une pratique qui engage l’aspect artistique et le soin. Le mot « art » provient du latin ars, artis, qui veut dire « habileté ». Il évoque la compétence de l’artiste peintre. Alors que le mot « thérapie » vient de tékhnê ou « connaissance des procédés ». L’art-thérapie associe ces deux concepts. La thérapie trouve son origine dans le soin, elle consiste en un ensemble de procédés aptes à guérir la personne ; ce qui suppose des connaissances et habiletés que les patientes n’ont pas. C’est pourquoi les art-thérapeutes sont professionnels et prodiguent une thérapie alliée à des connaissances approfondies sur l’art.
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L’art au service du soin :
Dans le cadre de notre travail de recherche, l’art-thérapie est utilisée dans le contexte du soin de femmes victimes de violences conjugales. L’art-thérapie, ou l’art au service du soin, améliore le bien-être des patientes et permet un regard autre sur soi et sur autrui ; l’art-thérapie est un soin paramédical, dont la méthode s’adapte à chaque patiente.
Cette méthode associe le soin prodigué par l’art-thérapeute avec la création artistique des patientes, que ce soit par le dessin, le collage, la sculpture, la peinture ou autres. L’objectif de l’art-thérapie vise le potentiel de l’expression artistique du sujet. Cependant, le but n’est pas la représentation artistique de l’œuvre des patientes et son interprétation mais la façon dont la création de l’œuvre les conduit à se restructurer. L’art-thérapeute accompagne le sujet et l’encourage dans sa démarche de soin.
L’art-thérapie est un sujet assez nouveau qui connaît un essor depuis près d’un siècle ; ce moyen d’expression artistique est présent dans le soin en France depuis plus de vingt ans. L’art-thérapie apporte des bienfaits, à des patients de tous horizons.
Déjà, Aristote parlait des effets thérapeutiques de l’art. Quant à Adrian Hill, dès 1942 il relie l’art et la thérapie. Il écrit alors sur les bienfaits de l’art-thérapie. Une des premières personnes à pratiquer l’art-thérapie, considérée comme la mère de l’art-thérapie d’approche dynamique en Amérique du Nord, est la psychologue américaine Margaret Naumburg. Pionnière dès les années 1940, elle voit l’art comme un outil thérapeutique. Dans les années 1960 l’art-thérapie se développe, puis se met en place en France, dans les centres sociaux et les centres de soin, dans les cliniques et les hôpitaux ou dans des cabinets privés, seulement depuis les années 1990-2000.
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Exploiter le potentiel artistique :
L’art-thérapie est une discipline enseignée dans des écoles spécialisées, ainsi qu’à l’université, qui est reconnue par la HAS. Les séances d’art-thérapie ont un intérêt grandissant, sous autorité institutionnelle et médicale ou dans les secteurs social et éducatif. L’objectif est de proposer à chaque sujet d’exploiter son potentiel artistique, voire imaginaire, dans une visée art-thérapeutique. Les sujets expriment des émotions dans une démarche d’affirmation d’eux-mêmes et mettent en place des outils de construction de soi, dans un langage autre que verbal. L’art-thérapie intervient sur la capacité des patients à s’affirmer, à explorer leurs émotions afin de vivre à nouveau dans le monde social ; ils renforcent leurs compétences psychosociales.
En général, l’art-thérapie, en séance individuelle ou en groupe, est un accompagnement thérapeutique par la création artistique, mais l’art-thérapeute n’interprète pas l’œuvre artistique du patient. Lors des séances, l’art-thérapeute s’adapte en permanence aux personnes qu’il accompagne ; il est stratège et son rôle est de repérer les difficultés de chaque sujet afin d’apaiser leur anxiété. L’art-thérapeute sollicite l’acte créateur des personnes en soin pour aboutir à leur estime de soi et à leur autonomie afin qu’elles s’engagent dans un processus de restructuration langagière.
L’atelier en art-thérapie est un refuge, un lieu protecteur qui permet aux patientes de laisser surgir leurs émotions ; c’est un lieu de ressourcement qui demande la participation de chacun des protagonistes.
En art-thérapie, la personne en soin s’exprime par l’art, elle peint, ou sculpte, danse, etc. elle s’harmonise avec l’environnement. Face à une œuvre à créer ou à un mouvement de danse à exécuter, les sujets vivent de nombreux bouleversements lors du déroulement des séances. Le psychiatre et chercheur en psychothérapie Jean-Pierre Klein, écrit que « L’art-thérapie se préoccupe de la personne. Elle n’est pas un projet sur elle mais avec elle »36. L’efficacité du soin dépend de l’investissement de l’art-thérapeute et de son patient. Si l’importance de la symbolisation est mise en avant depuis la psychanalyse, une autre conception de la connaissance montre le rapport matériel entre le corps et la matière créatrice d’un savoir propre. L’art-thérapie invite tout patient à s’engager dans un processus créatif, d’expression de soi et de communication dans le but de stimuler ses capacités d’adaptation et d’autonomie dans l’acte pictural. Jean-Pierre Klein propose que l’art-thérapie soit « Un détour pour s’approcher de soi »37. L’art-thérapie sollicite l’expression artistique du patient, cependant, la valeur artistique de la production n’a pas en soi, d’intérêt thérapeutique même si les patients lui attribuent une valeur. C’est une trace de leur thérapie.
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L’expression artistique :
Nous mentionnons l’artiste peintre Jean Dubuffet qui découvre, dans les années 1940, des productions artistiques de patients psychiatriques. Il donne à ces productions le nom d’art brut. D’autres artistes de renom ont suivi cette tendance artistique qui consiste à laisser court à son imagination sans se soucier de l’aspect purement artistique. René Roussillon reprend l’idée de « médium malléable » et en fait un objet de recherche, repris dans la théorisation psychanalytique de l’utilisation des médiations artistiques. La médiation artistique a un objectif thérapeutique. Quand les patients n’ont pas les mots, l’acte pictural ou la sculpture par exemple, facilite la communication entre patient et art-thérapeute. En libérant l’acte créateur, l’art-thérapie est lieu de ce qui ne vit pas encore et se crée dans l’interaction. La médiation est pratiquée par des professionnels de l’art et du soin : art-thérapeutes, psychothérapeutes et psychologues.
L’expression artistique pousse les patients vers la satisfaction de créer. Un art-thérapeute nous éclaire sur ce point au sujet de ses patientes : « Les patientes ont des difficultés à enclencher l’acte créateur, c’est à nous art-thérapeutes de les accompagner ; en revanche plus le patient peint, sculpte ou danse, plus il développe son attention à l’acte créatif et développe son intérêt à affirmer sa création. » (Annexe E 3 – Q 3 p. 41). Axée sur l’expression et la guérison des patients, l’art-thérapeute les aide à développer leur créativité, chemin de leur transformation de soi. Chaque patient construit une nouvelle relation avec lui-même et avec le monde. L’art-thérapeute encourage la création et la libération de la gestuelle dans la peinture, la danse ou le dessin, les paroles ou le chant dans le théâtre. Il accompagne le patient dans son processus de restructuration langagière par l’art.
Au fur et à mesure des séances, les patientes sont censées retrouver une fluidité naturelle dans leur langage verbal et gestuel. C’est une étape décisive dans la vie des femmes victimes de violences conjugales.
La peinture est un des matériaux utilisés en art-thérapie, elle permet une expression non verbale. Elle est accessible à tous, que l’on ait appris à peindre par le passé ou non. Cette activité est créative : les couleurs se mélangent, donnent des formes et redessinent la capacité d’expression de chaque artiste. De plus, elle favorise le développement des sens, la gestuelle et la parole, elle délie les mouvements du corps. Pour des personnes en souffrance, la douleur se dépose sur la toile. Les couches de peinture accueillent la patiente artiste et mettent en valeur sa capacité à aller de l’avant. La peinture lui offre d’exprimer ses émotions et les sentiments qui peuvent être difficiles à mettre en mots. Le ressenti du contact avec la matière devient un jeu et développe les sens. La peinture est un matériau d’expérience personnelle.
La peinture présente des avantages d’utilisation en thérapie. Cette technique repose sur la gestuelle dans l’application des couleurs plus ou moins malléables sur un subjectile à l’aide d’outils comme des pinceaux, couteaux ou brosses selon l’effet désiré. Elle favorise le développement de la création artistique quand le sujet, confronté aux choix des couleurs, laisse libre court à son imagination et à l’inspiration du moment. Que la peinture soit figurative ou abstraite, la patiente artiste s’engage dans une expérience picturale qui aiguise sa sensibilité personnelle et déclenche ses émotions. La patiente fait seule le choix des couleurs et des subjectiles, sans chercher une performance artistique. L’art-thérapeute l’encourage à se tourner vers de nouvelles expériences picturales dans le but de faire mouvement vers elle-même.
Nous savons que l’artiste peintre Vincent Van Gogh a peint des toiles lors de moments d’anxiété. La valeur de ces toiles auprès du monde de l’art, mais aussi du grand public, est un exemple de la légitimité de la peinture en art-thérapie.
La peinture a une riche histoire, elle est connue depuis des millénaires. D’après des études scientifiques conduites par Benjamin Sadier38, les premières peintures remontent à la période aurignacienne, environ 35 000 ans avant Jésus-Christ. Des représentations rupestres, puis sur papyrus, pierre ou bois pendant la préhistoire, à la peinture de la Grèce et de la Rome antiques, de l ’art roman et gothique, l’art de la Renaissance, l’art moderne et postmoderne, et enfin l’art contemporain, la peinture a toujours été présente. Les premières matières picturales utilisées ont été, selon les régions, des mélanges d’argiles colorées, de l’os brûlé, des pigments d’origine végétale ou animale et des oxydes naturels.
Ces matières ont évolué au fil des siècles, jusqu’à la peinture acrylique, composée de pigments naturels ou synthétiques, à partir des années 1960. Cette peinture est facile à utiliser, fluide ou épaisse, elle sèche rapidement.
Hippocrate, cinq siècles avant Jésus-Christ recourt déjà aux couleurs dans sa technique de soin. Il a l’intuition de l’utilité de la couleur dans un but thérapeutique. Par association sémantique des couleurs, il soigne le malade. La teinte observée chez le malade est un symptôme. Ce qui montre que déjà à l’époque, l’aspect de la couleur permet de faire un diagnostic.
Plus tard, Hildegarde de Bingen, moniale bénédictine au XIIe siècle de notre ère en Allemagne, évoque la couleur pour guérir les malades. Elle associe la couleur de la peau à celle des plantes adaptées au soin. Par exemple, une grappe de raisin blanc est adéquate pour soigner un enfant carencé en fer dont la peau est de couleur blanche.
En outre, des artistes peintres donnent une valeur intellectuelle ou spirituelle à la peinture, il s’agit par exemple de Léonard de Vinci, Eugène Delacroix, Paul Klee ou Kandinsky ; ce dernier pose l’idée de la lumière de l’artiste, créatrice d’énergie ; pour d’autres, l’âme de l’artiste trouve équilibre et harmonie dans la création picturale.
La sémantique de la couleur se retrouve, aujourd’hui d’une façon différente lors des séances d’art-thérapie. Les patients en général, s’expriment avec des teintes qui véhiculent des messages en lien avec leur vécu et leur culture. Par exemple, le rouge indique une alerte, le vert évoque le calme et la nature. Le travail de l’art-thérapeute consiste à faire émerger le langage du patient par l’expression artistique. « Le peintre ne doit pas peindre seulement ce qu’il voit en face de lui, mais aussi ce qu’il voit en lui. », selon le peintre Caspar David Friedrich. Les patients pseudo-artistes ne cherchent pas à peindre une réalité, ils expriment leurs émotions sur la toile à la façon d’un journal intime.
La peinture en thérapie est un matériau privilégié qui propose au sujet de faire des choix de couleurs, de décider de l’une ou l’autre parmi les nombreuses à sa disposition. La patiente s’affirme quand la peinture et la surface de la toile évoluent et mettent le corps en mouvement, selon la dynamique, et sa décision d’agir » (Annexe E 4 – Q 3 p. 56). La technique picturale sur toile consiste à étaler des couleurs sur une surface vierge. L’équilibre, du tracé du pinceau, des contours et du remplissage du fond de la toile fait l’intérêt artistique de l’acte créateur, jusqu’au plaisir sensoriel de l’emploi de la matière. La peinture se dépose sur la toile par l’intermédiaire d’un pinceau, contrairement à l’argile que l’on pétrit avec les mains, ou à la musique que l’on entend.
La peinture se dépose, avec un maintien plus ou moins précis du pinceau ou d’un autre outil, voire à la main, et respecte le rythme de chaque patiente. Elle se rajoute, s’efface et se recouvre. L’artiste peintre dépose ses émotions sur la toile, c’est son œuvre. L’art pictural s’exprime souvent sans mot et il éveille les sens.
Claude Monet s’exprime au sujet de son œuvre picturale : « Ce que je ferai ici aura au moins le mérite de ne ressembler à personne, parce que ce sera l’impression de ce que j’aurai ressenti, moi tout seul. »
Selon des travaux de recherche conduits ces dernières années en France, les violences conjugales envers les femmes sont une réalité actuelle. Ces violences les accablent dans leur vie de tous les jours, elles ont droit au soin. L’art-thérapie donne un moyen d’expression picturale, non verbale et libère du traumatisme vécu. Ce moyen fait du lien entre l’art-thérapeute, le patient et le matériau. Ainsi, il est opportun de proposer des séances d’art-thérapie avec la peinture aux personnes en grande souffrance, afin de permettre à celles-ci de gérer leurs émotions et de se décharger du passé en vue de leur restructuration. S’ouvrir à la communication avec autrui est un indispensable pour tout un chacun, comme pour les femmes victimes de violences conjugales.
Si la peinture est un matériau privilégié et l’image son support, l’art-thérapie se fait réceptacle pour les personnes en situation post-traumatique.
Dans le domaine pictural, Rembrandt exprime avec force le désir profond de s’exprimer par l’art : « Je peins, donc je suis. »
Partie II – Partie empirique : Recueil des données et résultats
Introduction
Chapitre 1 – Méthodologie
1.3.1. Grille d’entretien pour les art-thérapeutes
1.3.2. Grille d’entretien pour les patientes
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La population interviewée étudiée :
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Déroulement des entretiens
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1.5.1 Art-thérapeutes (en dehors des séances : 2 en hôpital, 1 en clinique et 1 en cabinet privé)
1.5.2. Patientes (10’ en fin de séance avec les 9/17 qui ont accepté)
2. Observation
2.1. Principe de la méthode d’observation
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Avantages et justification du choix
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Construction de l’outil d’observation : la grille d’observation
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Pour les art-thérapeutes : simples notes prises pendant les séances, sur mon carnet de laboratoire et au besoin, questions posées après le départ de la patiente.
- Pour les patientes : grilles remplies au fur et à mesure des séances + notes sur mon carnet de laboratoire pendant les séances ET une question ou 2 en fin de séance pour les 9/17 qui ont bien voulu s’exprimer oralement.
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2.4. La population observée : Les patientes et les art-thérapeutes en séance (voir III) description ….. )
2.5. Le dispositif d’observation : l’atelier d’art-thérapie (voir III) description ……)
2.6. Déroulement de l’observation : ??? (voir III) description/LE CAS D’UNE PATIENTE)
Chapitre 2 – Résultats
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La nécessité de l’accompagnement de l’art-thérapeute, son lien à la patiente et à l’image et l’intérêt de proposer à la patiente de créer l’image plastique.
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Les patientes : leur façon de se voir en séance, leur façon d’être et de faire du lien à l’image créée qui est un langage pour elles ; son lien à l’art-thérapeute.
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l’accompagnement de l’art-thérapeute, son rôle
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Les patientes : leur façon d’être, d’évoluer et d’entrer dans le processus de création avec son lien à l’image qui fait langage (sémiologie), et d’entrer dans le processus de restructuration langagière
Partie III – Analyse et discussion : De la pratique art-thérapeutique à la restructuration langagière
Nous rejoignons les pratiques s’inscrivant dans les champs de la recherche en sciences humaines et sociales, dans le domaine clinique et pragmatique art-thérapeutique. Au sujet des patientes suivies et observées au cours des séances d’art-thérapie, nous étudions leur lien à l’image plastique picturale, dans l’atelier d’art-thérapie en présence de l’art-thérapeute. Tout d’abord nous décrivons ce qui se passe au sein du dispositif, puis nous analysons et discutons le sujet de l’intérêt de l’image créée par les patientes en situation post-traumatique, en séance d’art-thérapie.
Le premier chapitre de cette partie présente l’activité de dix-sept patientes de catégories socioprofessionnelles diverses, au cours de séances d’art-thérapie d’une heure trente, sur vingt-six mois d’observation, au rythme de deux séances par mois au minimum pour chacune ; les séances sont individuelles. Seulement onze ont accepté d’être observées tout au long de leur thérapie.
Nos observations courent de la première séance des patientes jusqu’à la dernière ; le dispositif est le lieu de l’évocation de leur passé néanmoins, le but de la thérapie est de restructurer le langage de la patiente afin de transformer ce passé douloureux en un futur résolu et proactif. L’évocation artistique émanée sous-tend l’avenir émancipé des patientes, non sans l’accompagnement de l’art-thérapeute.
Cependant, lors des premières séances d’art-thérapie les femmes victimes enfermées dans un monde de souffrance sont dans un état second. Leur conscience est altérée par leur situation post-traumatique ; elles ne parlent pas ou peu et sont comme figées. L’art-thérapeute les engage à se familiariser progressivement avec le lieu, à s’approcher des matériaux à les toucher et les choisir ; c’est ce qui prélude l’entrée dans le processus de restructuration langagière gestuelle et verbale. Nous observons leur comportement qui diffère au fil des séances. Accompagnées par l’art-thérapeute, les patientes s’engagent progressivement dans l’acte créateur, et à l’issue dans le monde social.
Ce premier chapitre descriptif cherche à mettre en exergue le déroulement de ce qui se passe dans le cadre spatio-temporel du dispositif. Nous décrivons ce que nous percevons concernant la patiente, l’image plastique et l’art-thérapeute.
Le second chapitre vise à analyser la relation établie entre les patientes, l’image plastique et l’art-thérapeute et la manière par laquelle la patiente restructure son langage. Pour chaque patiente, il s’agit d’expérimenter l’art. Son corps s’approprie très progressivement le mouvement créatif pictural, à condition que l’espace dédié aux patientes soit un lieu cadré et prévu à cet effet. C’est pourquoi il est tout d’abord nécessaire de décrire le dispositif, lieu du processus de créativité chez les patientes, pour ensuite analyser ce qui se passe dans l’espace/temps des séances d’art-thérapie et se fonder sur les résultats obtenus dans l’objectif de cerner l’intérêt de l’image créée par la patiente.
Nous consacrons le troisième chapitre à la discussion ; la dernière étape vise à interpréter les résultats de l’étude conduite pour une mise en lien de l’image plastique créée par chaque patiente et du processus de restructuration langagière.
Chapitre 1 – Aspect descriptif
Ce chapitre descriptif vise à découvrir le domaine art-thérapeutique prévu pour le soin des patientes, femmes victimes de violences conjugales. Les séances s’inscrivent dans un cadre spatio-temporel stable et rassurant pour les patientes.
Un art-thérapeute explique l’agencement du dispositif : « Le dispositif aménagé instaure non seulement une aptitude à créer, mais aussi à se sentir en sécurité lors de la démarche amorcée. » (Annexe E 2 – Q 3 p. 25). En aucun cas nous pouvons prédire ce qui va se passer dans ce dispositif. En effet, chaque patiente appréhende la séance et interagit différemment.
Nous décrivons tout d’abord le dispositif, lieu de capacité créative de la patiente ; puis, la préparation des femmes victimes en vue de leur participation à leur première séance d’art-thérapie et ensuite, le fruit de nos observations lors du déroulement des séances individuelles de chaque patiente au cours desquelles nos observations se portent sur les patientes et sur les art-thérapeutes. Pour finir, notre observation porte plus particulièrement sur le cas probant d’une patiente ; cette partie est mise en valeur par l’illustration de ses créations picturales qui témoigne des progrès réalisés.
La notion de dispositif correspond au lieu des séances d’art-thérapie ; c’est notre terrain d’observation des femmes victimes de violences conjugales qui utilisent l’image plastique en présence de l’art-thérapeute. C’est un espace de vie confidentiel. Il est nécessaire que le dispositif offre dès la première séance un lieu privilégié à la patiente, avec une manifestation d’empathie de la part du thérapeute, afin qu’elle envisage de s’ouvrir à l’opportunité de créer une image plastique en séances dans le but d’accéder au processus de restructuration langagière.
En général, l’atelier d’art-thérapie se situe dans un hôpital, une clinique ou un cabinet privé. Cette structure est finement organisée en cohérence avec l’accueil des patientes en situation post-traumatique pour créer un espace dynamique d’expression de soi. Il s’agit d’un dispositif d’émancipation par l’art pour la patiente qui prend une nouvelle direction pour son insertion sociale.
Le dispositif décrit est une pièce dédiée à l’art-thérapie peinture qui accueille des patientes en hôpital de jour. Ce lieu de soin favorise l’évolution de la patiente et sa relation avec l’art-thérapeute et les matériaux à disposition. Comme l’explique un art-thérapeute, « c’est dans un lieu pensé que la patiente se met en action ; c’est organisé de façon qu’elle manifeste le geste pictural et vive ses émotions dans ce cadre ; de vraies chrysalides » (Annexe E 4 – Q1 p. 50).
Pour nos observations, nous avons choisi des dispositifs d’art-thérapie d’une surface d’au minimum vingt mètres carrés afin de favoriser un espace suffisant pour que la patiente se sente à l’aise. Pour notre travail de recherche, nous avons rencontré des art-thérapeutes et des patientes dans des lieux dont le dispositif est similaire, de façon à pouvoir analyser comparativement l’évolution des patientes au cours des séances.
Dans le dispositif choisi pour l’observation des dix-sept patientes, lorsque nous arrivons à l’étage des soins ambulatoires de l’hôpital, la porte de l’atelier d’art-thérapie se trouve juste en face de l’arrivée des escaliers, dans un grand hall avec un coin salon, des fauteuils, des chaises et une table au centre, sur laquelle sont étalées des revues à feuilleter. En général, lorsque la patiente arrive, elle attend dans le hall, le temps que la patiente précédente sorte. Toutefois, si la porte de l’atelier d’art-thérapie est ouverte, elle sait qu’elle peut entrer.
Dès l’entrée de l’atelier, se trouve une plante verte imposante abritant un porte-parapluie en acier ajouré. Puis, quand nous nous introduisons dans l’atelier nous voyons un lieu spacieux, propre et ordonné. Ce lieu est toujours lumineux, malgré l’absence ou l’occultation des fenêtres. L’important pour les patientes est de pas être vues de l’extérieur. L’ensemble d’entre elles le souhaite. L’art-thérapeute rassure sur l’excellence de l’isolation phonique. En effet des mesures ont été prises pour que personne à l’extérieur n’entende ce qui se passe dans ce lieu. De même, aucun bruit venant du hall ou de l’extérieur ne filtre, ce qui rassure les patientes. Ce qui se passe en ce lieu est donc confidentiel.
Au milieu de la pièce trône une grande table. Tout autour, des meubles ouverts laissent apparaître une grande variété de matériaux. Sont disposés également dans cette pièce des chaises plus ou moins hautes, réglables ou non, et des chevalets en bois sur table ou sur pied. Pour une question d’entretien, le sol est carrelé. Sur un pan de mur, du sol jusqu’à hauteur d’homme, des étagères de même dimension sont installées les unes au-dessus des autres. Sur l’étagère du bas, se trouve un rouleau de film de protection jetable. Plus haut sont placés çà et là des boîtes remplies de petites bobines de fil de diverses couleurs et autres accessoires de couture, de morceaux de laine, du papier à froisser, des gants jetables, plusieurs godets à eau, des ciseaux, de la colle en pot, des bandes collantes et des règles plus ou moins grandes, ainsi que des boîtes de mouchoirs jetables sur l’étagère la plus haute.
Sur un chariot facilement déplaçable, une trentaine de pinceaux de modèles divers se dressent dans des vases en matière dure ; autant de crayons de toutes sortes reposent dans des boîtes plates ; et des dizaines de pots de peinture acrylique ou gouache, des tubes de peintures, tous étiquetés et fermés par un bouchon y sont rangés. Un large choix de rouleaux en mousse plus ou moins épais, de spatules et grattoirs et de couteaux de formes inégales sont agencés dans un grand bac, sur le côté droit de la petite table. Sur la gauche, des palettes en plastique plus ou moins grandes pour le mélange de la peinture, des éponges et des torchons sont placés dans des bacs adéquats.
Tout est à portée de main et rangé par catégorie. Sur une longue étagère basse sont agencés les subjectiles, supports plus ou moins souples de dimensions différentes avec des châssis entoilés, des feuilles de papier plus ou moins épaisses, des cartons simples ou entoilés de dimensions différentes. Un large pan de mur est garni d’un système de rails et cimaises pour accrocher à différentes hauteurs les feuilles ou les toiles à sécher et celles terminées.
Des toiles encadrées et une horloge imposante sont accrochées sur les murs d’un vert pâle. Trois œuvres représentent des fleurs dans leur milieu naturel et trois autres, de ton pastel, sont non figuratifs. La décoration reste sobre. Sur deux pans de mur se trouvent des étagères où sont répartis une sculpture abstraite en bois ; trois bobines de ruban laissant retomber un morceau plus ou moins long de velours rose, gris ou bleu ; quatre figurines représentant un chat, une souris, un singe et un chien ; un bouquet de fleurs sèches dans un vase blanc ; une plante verte retombante et enfin un luminaire. Sur un des côtés de la salle, un coin toilette est signalé par le mot « toilettes » et par un pictogramme. plus loin un coin rangement semi-ouvert est agencé avec des étagères, plusieurs patères, deux chaises et une petite table, un point d’eau avec un grand bac, un égouttoir à pinceaux, une bassine, des éponges et des torchons.
En retrait, le coin de l’art-thérapeute se compose d’une table à tiroirs sur laquelle sont entreposés un ordinateur, un bloc de papier, des stylos et une sculpture géométrique en bois ; d’une chaise ; d’un large fauteuil ; d’une étagère garnie de godets, de boîtes vides, de boîtes de mouchoirs jetables, de sacs et de tabliers en plastique et d’une petite pharmacie de secours. On trouve également dans cet espace, au fond de la salle, une grande poubelle et une plus petite pour le papier.
Le système d’éclairage est directif. Les luminaires soulignent certaines zones d’intérêt de la pièce, particulièrement la table et le coin matériau. La lumière est d’intensité et de couleur variables. Dès l’arrivée de la patiente, l’art-thérapeute propose une adaptation lumineuse personnalisée. De même, grâce à des enceintes réparties sur les murs aux quatre coins de la salle, une musique immersive est choisie par la patiente selon ses goûts. Trois thèmes sont proposés : classique, jazz et rock’n roll.
Chaque dispositif retenu dans le cadre de notre travail de recherche est semblable. Tous proposent un espace de lecture pour que les patientes s’inspirent de peintres plus ou moins connus, s’instruisent au sujet de l’art et de son histoire, ou simplement feuillettent des livres d’art pour le plaisir. Ces livres sont destinés à un large lectorat.
L’art-thérapeute assis à son bureau, légèrement en retrait, a une vue d’ensemble sur tout l’atelier. Il est à distance raisonnable de la patiente pour pouvoir l’observer sans la déranger lors des séances.
Ce dispositif est un espace sécurisé, calme et sobre, où les matériaux concourent à la créativité des patientes. En ce sens, il favorise leur engagement. Il est prévu pour que l’ensemble des activités soient articulées entre elles.
Enfin, le dispositif d’art-thérapie qui reçoit les patientes, femmes victimes de violences conjugales, est un lieu fonctionnel qui s’inscrit dans un espace respectant la confidentialité. L’art-thérapeute se doit de rappeler à chaque patiente l’importance de ce lieu et de leur engagement à participer aux séances d’art-thérapie.
Le dispositif est une composante des éléments qui concourent à la mise en route du processus de reconstruction du langage de la patiente. L’espace temporel, les matériaux, les modalités de l’acte pictural et la présence de l’art-thérapeute contribuent à mobiliser l’expérience de la patiente et les modalités langagières de chacune en séance. C’est ce que nous décrivons ci-après.
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Description de la préparation des femmes victimes en vue de leur participation à la première séance d’art-thérapie
Dans ce travail descriptif, nous présentons la préparation des femmes victimes de violences conjugales à l’idée de leur soin en séances d’art-thérapie et l’arrivée des patientes dans ce dispositif. Souvent, l’élément déclencheur pour révéler leur situation traumatique et accepter de se faire aider est leur arrivée aux urgences par suite de violences dépassants celles vécues précédemment. Elles sont alors dirigées vers une alternative de soin qui est l’art-thérapie, que ce soient des séances par le théâtre, la peinture, la musique ou autres. L’hôpital de jour s’adresse à des personnes nécessitant des soins hospitaliers, mais dont l’état de santé permet de rester à domicile, ou dans un centre d’hébergement, en dehors de ces soins. L’hôpital de jour constitue une alternative à l’hospitalisation complète, permettant ainsi de maintenir la personne dans son environnement habituel, tout en poursuivant les soins. Le médecin prescrit une prise en charge des femmes victimes de violences conjugales en situation post-traumatique et les dirige vers un dispositif art-thérapeutique donnant aux victimes une possibilité active de retrouver le langage.
Dans un premier temps, l’équipe de soin réalise un bilan avec l’art-thérapeute au sujet de la patiente victime de violences conjugales et décide d’un calendrier prévisionnel en conformité aux objectifs thérapeutiques à atteindre. Ce bilan est prescrit par le médecin responsable du service de soin de la patiente. Dans un second temps, l’art-thérapeute propose des séances d’art-thérapie à la patiente et lui explique leur déroulement. La prise en charge par l’art-thérapeute consiste en une première séance d’art-thérapie dans le dispositif prévu à cet effet. À l’issue de cette séance de démarrage, l’art-thérapeute et la patiente décident de poursuivre les séances d’art-thérapie ou non. Le cadre du dispositif est précisé aux patientes par l’art-thérapeute en amont de la première séance. Le type de séances d’art-thérapie proposé se fonde sur la formation institutionnelle de l’art-thérapeute et sur des données théoriques de ce milieu qu’elles soient cliniques ou artistiques.
L’art-thérapeute explique à la patiente que la première séance consiste en l’exploration du lieu, des diverses techniques de peinture proposées, de la connaissance des instruments et matériaux à sa disposition tels que les toiles, les divers types de peinture, ou les accessoires que la patiente peut adopter. Par la suite, en fonction de ses besoins, la patiente vient une ou plusieurs fois par semaine en séances individuelles au cours desquelles elle participe à des activités, non seulement créatives et artistiques, mais aussi thérapeutiques.
Les matériaux sont en place dans la salle destinée aux séances d’art-thérapie et à disposition de chaque patiente. Le mouvement donné à cette première séance inscrit l’idée d’un projet à long terme. Il est nécessaire que chaque femme victime de violences conjugales en comprenne les tenants et les aboutissants et ne s’attende pas à vivre ces séances sur le divan ou à bénéficier d’un cours sur l’art. Elle doit savoir qu’en séances d’art-thérapie elle participe et vit des temps de progression, mais aussi des temps de régression. L’art-thérapeute explique qu’il est là pour l’accompagner et, si nécessaire, pour gérer des situations mouvementées ou difficiles à vivre. Il énonce clairement la progression générale d’autres patientes en situation similaire. Il rappelle également les mesures de fonctionnement adoptées pour vivre ces séances dans la bienveillance.
L’art-thérapeute précise les jours et les horaires des séances à la patiente, pour qu’elle se projette dès à présent dans la planification et l’engagement de poursuivre ces séances. Il explique que ces horaires sont interchangeables. En cas d’impératif de la part de la patiente, il suffit de solliciter l’art-thérapeute. Ce dernier invite chaque patiente à venir à une première séance d’art-thérapie pour faire connaissance. La date prévue et l’adresse du lieu indiquée, la patiente promet de venir. Elle confirme son engagement pour les séances suivantes, un accord oral est alors adopté par les deux protagonistes. Les séances d’art-thérapie prévues sont d’une durée d’une heure trente.
Au cours des séances d’art-thérapie d’une durée d’une heure trente, nous observons la patiente, l’image plastique créée par celle-ci et l’art-thérapeute. Nous tenons compte des choix de la patiente, qu’il s’agisse d’une esquisse, d’une peinture sur feuille de papier, sur une toile de petite ou de grande dimension, car tout est espace de langage. Nous explorons en détail l’évolution des images plastiques créées, le rôle de l’art-thérapeute et tout facteur d’évolution de la patiente au sein de l’atelier des séances d’art-thérapie.
Dans cette partie, nous décrivons l’arrivée des femmes victimes de violences conjugales dans le dispositif d’art-thérapie pour une première séance d’une heure. Ces femmes sont confrontées au lieu, aux matériaux, à l’image plastique à créer, ainsi qu’à la présence de l’art-thérapeute.
Nous observons la conduite adoptée par chaque patiente et l’évolution de leur langage généralement craintif, mis à part de rares cas de patientes plus prolixes. Lors de l’observation, nous décrivons l’approche des femmes victimes.
Ces femmes sont confrontées à un environnement particulier, à une image plastique picturale à créer et à un art-thérapeute.
Lors de la première séance, la patiente ne passe pas par la salle d’attente. L’art-thérapeute préfère qu’elle arrive directement dans la salle prévue pour les séances d’art-thérapie, pour lui éviter un temps d’hésitation et le risque qu’elle refuse les séances à tout jamais.
Lorsque la patiente arrive, la porte de l’atelier est ouverte. L’art-thérapeute l’attend à l’entrée en gardant une distance physique suffisante pour ne pas la perturber. Par quelques mots d’accueil et un geste de la main, il l’invite à entrer, à s’assoir et à se mettre à l’aise. Si la patiente hésite, il lui propose de laisser son sac ou sa veste sur la patère prévue à cet effet.
Particulièrement au cours de cette première séance d’art-thérapie, les femmes victimes échangent très peu de mots avec l’art-thérapeute, voire pas du tout. Elles osent à peine regarder autour d’elles. Dès qu’elles jettent un œil à l’ordonnancement de la pièce, leur regard revient vers celui de l’art-thérapeute, ou du moins vers lui, comme pour demander si elles ont le droit de regarder autour d’elles, d’observer tel matériel, de se lever ou de s’assoir, etc. « Tout semble sous contrôle, elles portent leur attention au moindre détail et se méfient de tout […] Il leur faut du temps pour s’adapter. » (cf. 4B, 2B), nous dit un thérapeute. Les patientes entrent dans la salle à pas lents et sont souvent léthargiques. Elles regardent de temps à autre autour d’elles, et pour celles qui parlent, souvent confusément, elles ne cessent de se justifier. Elles paraissent désorientées et n’arrivent pas à faire de choix. Pourtant, le but est qu’elles s’adaptent progressivement au dispositif, malgré leur méfiance.
L’art-thérapeute convainc chacune de la sécurité du lieu, afin qu’elle soit en confiance. Lors des séances d’art-thérapie, et particulièrement au cours de la première séance, nous observons des patientes au regard dissipé surtout dirigé vers le sol. Elles ont les épaules rentrées, les mains qui tremblent. Leur gestuelle est très peu développée et elles n’osent pas prendre la parole. Des temps de silence sont fréquents. L’art-thérapeute tente d’apaiser la patiente et considère son attitude pour s’adapter en permanence en fonction de sa réaction. Il cherche à connaître les goûts, les passions ou la culture de ses patientes, afin d’établir un contact. Le projet de créativité de la patiente est rarement déterminé lors de la première séance, mais plutôt au cours des séances suivantes. Les patientes sont généralement peu coopératives lors de cette première séance. Elles ne répondent que rarement verbalement, mais plutôt par des signes de tête pour dire oui, non ou je ne sais pas. Elles bougent peu, se recroquevillent, restent blotties dans leur coin, car elles rencontrent des difficultés à faire confiance.
« Je trouvais curieux qu’il me propose le meilleur fauteuil, je savais pas .», dit Ode, désorientée (B- OD 1 20). Il arrive que les patientes aient des mots acerbes envers l’art-thérapeute, mais en général les patientes s’expriment peu, voire pas du tout. Certaines montrent de la méfiance. En raison des blessures vécues, elles ont toutes peur, particulièrement de se retrouver devant un homme, représentation pour elles de la violence. Elles ont le regard dans le vide, sont passives, renfermées et repliées sur elles-mêmes. Les épaules rentrées, elles bougent peu, ne portent pas d’intérêt aux livres du coin bibliothèque ni aux matériaux ou aux bibelots pourtant abondants. L’art-thérapeute respecte la limite que le blocage de la patiente donne ; il se charge de faire reculer cette limite au fur et à mesure des séances.
Un art-thérapeute raconte l’arrivée d’une de ses patientes : « Elle est arrivée dans la salle, a vaguement regardé ce qui est là, sans dire un mot ; les bras croisés, elle est restée debout pendant toute l’heure malgré mes propositions d’installation sur un fauteuil ou une chaise, à plusieurs reprises. » (annexe A -MCl. A, 2-2). C’est dire que les patientes sont indécises et figées physiquement, sans doute dans la peur de faire un mauvais geste. Une patiente se souvient : « J’étais paralysée à la première séance, je savais pas ce que je devais faire, j’étais là. » (Mar, 47 ans, Séance 22, treize ans de vécu de fvvc, csp Hte), dit-elle avant de partir lors de sa dernière séance. Plusieurs patientes n’osent pas s’assoir, d’autres s’assoient sur un rebord de chaise, certaines ont un balancement des jambes incessant ou s’affalent, les coudes sur le bord de la table. D’autres, les mains dans les poches, regardent le sol pendant toute la séance. Parfois, elles ont le dos courbé, elles pleurent ou rient nerveusement. Nous supposons qu’elles sont éprouvées et fatiguées. L’art-thérapeute les rassure, leur propose de répondre à d’éventuelles questions, leur explique le déroulement des prochaines séances et convient avec elles de leur fréquence.
Au cours de cette première séance, l’art-thérapeute fait le tour de la pièce en présentant les divers matériaux à leur disposition. Il explique leur utilisation.
Au bout d’une heure, l’art-thérapeute clôt la première séance. Ce moment est déterminant, l’art-thérapeute nous le précise : « Lorsqu’arrive la fin de la séance c’est un moment décisif, soit la patiente s’engage à revenir parce que le lieu et l’accompagnement lui conviennent, soit elle n’a pas eu le déclic. » (A-Thé x)
Cependant, malgré la préparation en amont de cette première séance, ainsi que l’attitude positive de l’art-thérapeute et l’intérêt qu’il porte à leur histoire, des patientes ne donnent pas suite. Seulement 94 % d’entre elles reviennent à la seconde séance.(Annexe G 2 graphique)
À la fin de la première séance, sur dix-sept patientes, onze souhaitent venir à la séance suivante, cinq ne savent pas, et une d’entre elles dit ne pas vouloir revenir. Pourtant, à la séance suivante prévue, toutes sont présentes, ce qui montre bien leur difficulté à se projeter dans l’avenir.
L’art-thérapie propose un soin paramédical qui permet aux personnes dont la santé est affectée de s’exprimer par l’art.
Dans le cadre de ce travail de recherche, nous observons les protagonistes in situ et décrivons la progression de chacun au cours des séances d’art-thérapie.
Lors des séances, et particulièrement au cours des premières, nous constatons que les patientes sont recroquevillées, les épaules rentrées, les poings serrés, les mains sous la table ou dans les poches, les yeux tournés vers le mur ou le sol. Les patientes arrivent en séance plutôt indécises et marchent d’un pas lent. Souvent, elles s’assoient et attendent, les bras croisés ou les mains sous la table. D’autres encore sont près du coin peinture et regardent les godets, les tubes, les pinceaux, parfois les touchent puis retournent s’assoir. Quand elles ne savent pas comment s’y prendre pour engager la créativité de l’image plastique, elles restent tapies dans leur large veste, assises autour de la table de longs moments, et ne demandent l’aide de l’art-thérapeute que lorsqu’elles tendent vers un apaisement. Dès que l’art-thérapeute se déplace, les patientes le regardent, penchent la tête, parfois elles ferment les yeux et ne bougent plus, le temps que l’art-thérapeute reprenne sa place au fond de la pièce. Quand il propose une boîte de mouchoirs jetables, les patientes hésitent à la prendre et se servent seulement quand elle est posée sur la table et que l’art-thérapeute s’éloigne.
Les patientes s’approchent très progressivement des matériaux et du mobilier à leur disposition. Bon nombre s’expriment, elles maugréent : « C’est pas pour moi. » (Annexe B e), ou grommellent : « Je sais pas faire » (annexe B e1 ), ou encore avec défiance : « Pfffff, c’est quoi tout ça ? à quoi ça sert ? » (annexe B-2 a ). Des patientes lancent un regard rapide sur les pots de peinture et retournent s’assoir, attendant que le temps passe. Au cours des séances suivantes, encouragées à plusieurs reprises par l’art-thérapeute, elles se servent enfin de ce qui est à leur disposition. L’art-thérapeute explique l’usage de matériaux ou la préparation d’une toile, ce qui donne progressivement envie aux patientes de risquer le geste créateur, de dessiner et peindre. L’une d’entre elles, lors de sa cinquième séance, dit en soupirant que les matériaux à sa disposition ne lui correspondent pas, et que l’ensemble est démesuré : « C’est trop pour moi, pfff , j’arrive même pas à voir tout. » (annexe B- Li. B, 2). Toutefois, l’art-thérapeute explique ce qui est d’un emploi simple, qu’elle peut utiliser sans prétention artistique ; au bout de trente-cinq minutes elle choisit une feuille cartonnée sur laquelle elle pose quelques traits de crayon, malgré ses mains moites. Puis elle la regarde longuement, sans dire un mot, avec un sourire à peine perceptible. En fin de séance, elle pose sa feuille cartonnée devant elle, l’observe, les yeux humectés, puis elle range sa feuille dans le casier prévu à cet effet ; elle regagne la table et se tourne vers l’art-thérapeute en disant : « Je reviendrai. » Ce jour-là, l’ensemble des traits du visage de la patiente sont détendus, elle paraît repartir de la séance avec confiance.
Une autre patiente, Ode (annexe : B- Od.S), arrive à une seconde séance en précisant qu’elle ne sait pas peindre. Crispée, elle hésite, puis se dirige toutefois vers les matériaux mis à disposition. « Ohhh, tout ça ! comment choisir ? ça sert à quoi ? lequel prendre ? », s’exclame-t-elle. Elle n’arrive pas à choisir. Elle retourne s’assoir et semble réfléchir. Puis, sous les encouragements de l’art-thérapeute, elle se lève, regarde à nouveau les peintures et les crayons et s’assoit à nouveau près de la table. L’art-thérapeute le remarque. Il entame alors une courte conversation avec la patiente sur son choix de venir en séance et l’engagement que cela implique. La patiente est dubitative. Au cours de la séance quatre, l’art-thérapeute pose des questions sur sa retenue face au fait de choisir et ce que cela engendre pour elle. Il lui indique à nouveau les différentes possibilités qui s’offrent à elle pour dessiner et peindre. Elle semble se recueillir quelques instants. À la cinquième séance, elle se lève, se dirige lentement vers les matériaux, puis choisit un crayon noir et une petite feuille de papier d’un rose clair sur laquelle elle écrit des lettres ici et là, sans faire de phrase. Elle crayonne et demande : « Ça vous plaît ? » L’art-thérapeute échange avec elle quelques mots, puis lui demande pourquoi elle choisit une feuille rose plutôt que blanche. Elle répond qu’elle n’a pas à choisir de couleur puisque la feuille est colorée, et se remet à crayonner. Deux séances plus tard, Ode n’a pas encore déterminé son subjectile. Elle exprime en peu de mots qu’elle ne sait jamais choisir. Elle donne un exemple : « Quand je pars m’acheter un pull, je reviens avec deux pulls, un rouge et un noir parce que je ne sais pas choisir. » Ode, triste, se met à pleurer abondamment. Dans la discussion qui suit entre la patiente et l’art-thérapeute, nous apprenons que sa mère est très autoritaire. Par ailleurs, son conjoint ne la laissait jamais prendre de décision. « Lui décidait de tout. », dit-elle. Au cours des séances suivantes, l’art-thérapeute entame une discussion avec Ode, dans le but de l’encourager à réfléchir sur ce que représente pour elle prendre une décision, et d’en visualiser les conséquences. Elle imagine différents scénarii, en choisit un pour évoquer sa façon de l’assumer. Au fil des trois séances suivantes, la patiente réalise la portée de son indécision et ajoute : « Je ne me rendais pas compte qu’être indécise me faisait souffrir. » Ode choisira une toile de grande dimension à la seizième séance, après avoir crayonné, griffonné ou peint sur des feuilles de papier, des fiches cartonnées et sur deux toiles de petite dimension.
Au cours des séances, chaque patiente évolue à son rythme, ce que nous confirme un art-thérapeute : « Elles ont besoin de temps, nous les accompagnons progressivement. » (A- MCl. 2017). Chaque patiente entre en action à son rythme : l’une peint dès les premières séances, alors que d’autres sont plus lentes à s’affranchir dans l’acte pictural ; l’une choisit une toile de grande dimension dès les premières séances, une autre attend la sixième séance pour choisir une petite toile, une autre à la septième séance crayonne encore sur une feuille de papier ; chacune a son rythme. Accepter un pinceau et la peinture, entrer dans la créativité et trouver l’endroit idéal pour installer la toile et peindre, se fait en général en plusieurs séances. Les patientes avancent lentement dans leur approche créative.
Par exemple, Marina lors de sa quatrième séance observe les matériaux à plusieurs reprises, regarde çà et là sans déterminer son choix. L’art-thérapeute l’encourage à utiliser une toile de grande dimension mais la patiente rétorque : « Ouhaaa, c’est trop grand, c’est pas pour moi, c’est pour les artistes. »( Mar Séance 4) Elle hésite encore et utilise des feuilles de papier et un crayon le temps de deux séances. À la septième séance, elle oriente son choix vers une toile de petite dimension après un échange verbal avec l’art-thérapeute. Au cours de la séance, elle s’interroge : « Qu’est-ce que j’en fais de cette surface ? » À la huitième séance, elle se plaît à observer la petite toile qui se couvre progressivement de deux couleurs, un bleu soutenu et un beige. Sa gestuelle reste fragile et son verbal discret. Toutefois, elle répond aux questions de l’art-thérapeute : « J’ai cru que j’arrivais pas à démarrer. ça fait peur ce, ce blanc, je n’ose pas le tacher. C’est du vide à apprivoiser, mais en quoi faisant ? Comment remplir ? » Mar, 47 ans, Séance 9/22, treize années de vécu de fvvc, csp Hte.
En séance dix, le premier dessin de Ode est minuscule au milieu de la petite surface blanche. Il représente quelques petits fils bleu roi et rouge pompéien entremêlés. Le geste de Ode est précis et sans bavure. Elle crayonne à nouveau et termine la petite toile en séance douze. Une copie de son œuvre est annexée (Annexe : B- Od S1). Elle consent enfin en séance seize à utiliser une toile de grande dimension et crée l’image plastique avec laquelle elle affronte ses peurs et ses émotions. Elle s’est mise en action progressivement et pratique l’art pictural jusqu’à la dernière séance.
Une autre patiente expérimente le lieu d’art-thérapie différemment. Dès la première séance, elle entre dans l’acte créateur d’une image picturale sans échanger à aucun moment avec l’art-thérapeute, malgré plusieurs tentatives de celui-ci. Il se contente donc d’observer. La patiente, Pati (annexe : B Pa1), est la seule à choisir une toile de grande dimension et commence à peindre rapidement. Elle poursuit la création de l’image lors des quatre séances suivantes pour abandonner au cours de la sixième séance, sans terminer la toile. C’est la seule expérience art-thérapeutique non achevée sur les dix-sept patientes observées.
En général, les patientes choisissent de tracer tout d’abord quelques traits au crayon sur une feuille de papier, d’esquisser un dessin ou de donner un premier coup de pinceau sur une toile de petite dimension, selon leur hardiesse. Il est nécessaire qu’elles se familiarisent avec les matériaux pour s’adapter au dispositif d’art-thérapie. Lors des premières séances, leur situation de femme victime les contraint à un manque de sensibilisation à la création picturale, dans la mesure où le souvenir des violences conjugales est encore très présent. Anita le formule ainsi : « Je ne sais pas réfléchir, je fais que de penser aux violences, j’ai du mal à trouver ce que je veux faire, n’arrive pas à me décider. » (Anita, 3è séance/24 …..). Envahie par le stress, la patiente doute, elle ne sait pas comment s’y prendre. L’art-thérapeute lui explique que le blocage réel ou imaginaire est normal du fait qu’elle est novice en art, mais ce blocage se déliera progressivement. La patiente surmonte ses peurs petit à petit et ses hésitations diminuent quand elle entre en expérience art-thérapeutique en griffonnant ou coloriant sur une feuille. L’art-thérapeute lui propose de déposer ses inquiétudes en quelques coups de crayon sur une feuille. La patiente, confrontée à la feuille de papier, s’enhardit à la gribouiller. La séance suivante, elle essaie la couleur sur une toile cartonnée et ainsi s’adapte lentement au geste pictural au fil des séances. Elle choisit un matériau à sa mesure et évolue au fur et à mesure des séances en même temps que sa réflexion se modifie. Une patiente, Mèl (B-Mèl….) l’indique ainsi en souriant : « Ça y est, j’ai compris, je respire, je souffle ffffff et je réfléchis. » Les trois premières séances lui ont permis de s’acclimater au lieu, de repérer les matériaux et de s’adapter à la présence de l’art-thérapeute. « Au début c’était dur de vous voir, là, tout le temps, mais maintenant, ça va. » (Mèl….)
Quand approche le temps de l’adoption d’une toile de grande dimension, chaque patiente se confronte à la blancheur de la toile. La plupart du temps elle la regarde longuement avant de la poser sur un chevalet pour entreprendre l’acte pictural avec indécision. La patiente dépose de la peinture sur le support sans savoir ce qui va apparaître. Nous entendons des phrases telles que « Ça intrigue, est-ce que je suis capable de peindre ? » (Li … ) ou « Et ça va donner quoi ? » ou également « Ça, ça donne le vertige, c’est tout blanc. » (Od…) ou encore « Je sais pas par où commencer. » ( Mar…) Ce n’est qu’après un temps d’acclimatation au lieu que leur choix se porte sur un subjectile à leur convenance, une palette, des couleurs, une orientation de la toile et le rassemblement des matériaux utiles. Pour commencer à dessiner ou peindre sur la toile, le processus de créativité s’engage graduellement : la patiente a besoin d’être en adéquation avec son activité mentale qui se met en route. Au fur et à mesure des séances, elle développe sa capacité à imaginer, tracer et peindre.
Vient une première touche de crayon ou de peinture sur le support choisi, que ce soit un simple trait, une ligne courbe, quelques gouttes de peinture, la toile se fait plastique. Patiente et toile évoluent.
Nous avons l’exemple d’une patiente commençant à utiliser la peinture sur une toile. Au bout d’un moment, elle essuie sa main droite sur le revers de sa chemise. L’art-thérapeute se lève alors, vient vers elle et lui tend un essuie-main. La patiente, surprise de cet élan à son égard, lui demande d’un air incertain : « C’est, c’est… heu, pour moi ? » (Na/ Ge….) Elle l’attrape, remercie brièvement et s’essuie.
Un autre exemple montre une attitude différente. Dès son entrée lors de sa troisième séance, Lami a choisi d’utiliser la plus grande table. Elle a besoin d’espace. Elle observe tout autour d’elle et se saisit d’une toile, le plus grand modèle, qu’elle pose sur la table. Au bout de quelques minutes elle choisit des pinceaux, un couteau et des pots de couleurs diverses. Debout, devant la table, elle pose ici et là les couleurs choisies. Elle les mélange, va chercher un autre ustensile, revient vers sa toile, et pousse des soupirs. Il semble que quelque chose la gêne. L’art-thérapeute intervient et engage une discussion. Elle s’assoit, regarde cette toile qui ne semble pas lui donner satisfaction, et rétorque : « J’ai rien pu faire, c’est moche, ça ressemble à rien, c’est nul com d’hab. » (Lami S 3/16, 44 ans, Scsp Hte. 7 ans de violences) Elle commence à s’agiter et son visage devient pâle , elle se met à pleurer. L’art-thérapeute tente de mettre la patiente face à ses émotions et lui dit : « Je vois que cela vous touche profondément, qu’en pensez-vous ? » La patiente sanglote. L’art-thérapeute l’encourage à nouveau à exprimer ce qu’elle ressent. Elle se calme, échange quelques mots avec l’art-thérapeute et accepte de reprendre son activité en changeant de position. Elle préfère installer sa toile sur un grand chevalet, se positionne debout en face de la toile et se remet à peindre en ajoutant : « Là, c’est mieux, je l’ai en face-à-face. »
Lorsqu’une patiente choisit une toile, celle-ci reste blanche pendant une ou deux séances, parfois plus longtemps. Puis, nous sommes témoins d’un préambule de l’acte créateur par l’ébauche d’un trait ou d’une esquisse au crayon ou à la peinture sur la toile (annexe p 1 B). Ensuite, naissent un dessin, une seconde couche de peinture, puis des formes plus affirmées. Au fur et à mesure de l’acte créateur, la toile s’anime.
Nous observons des patientes, pour la plupart lentes à entrer dans le processus de création, qui se plongent dans l’acte pictural avec ardeur, voire passion quelques séances plus tard. Les pleurs, rires, mimiques ou appréciation esthétique au sujet de l’image créée sont des sources d’apaisement, comme l’accompagnement de l’art-thérapeute.
Une art-thérapeute nous indique que les patientes se découragent facilement : « Elles manquent de recul et se démotivent très vite. » (Annexe A-a4-a). Lors des séances, la patiente entreprend l’acte pictural, elle peint quelques minutes puis abandonne, elle s’assoit et attend. L’art-thérapeute pose une question ou entame une discussion, mais la patiente n’a pas toujours la réponse et les émotions éclatent. L’art-thérapeute pense qu’« Elles retiennent leurs émotions ; pour cela elles arrêtent toute gestuelle et se concentrent sur la retenue des émotions. Elles finissent par les laisser jaillir ; particulièrement les peurs, les pleurs, des rires ou la joie, des tensions et des colères. » (MCl B) À les voir, il semble qu’elles craignent de ne pas savoir peindre. Par exemple, tant qu’elles ne trouvent pas la stratégie ou le moyen qui leur convient, elles recommencent plusieurs fois de crayonner ou peindre, déchirent la feuille et recommencent plusieurs fois. Il est nécessaire que chaque patiente trouve un rythme qui lui soit approprié.
« Cette perspective est dynamique et va dans le sens des ressources de la personne pour surmonter elle-même ses difficultés si elle est bien accompagnée de façon discrète et respectueuse »39 par la présence indispensable de l’art-thérapeute. En effet, la patiente doit apprivoiser sa toile et les matériaux, afin que la création soit son œuvre et, par conséquent, l’œuvre d’elle-même. Mais elle ne le sait pas encore. Quand la patiente retrouve peu à peu la parole dans une gestuelle fluide, son corps vit dans son entier. Cette œuvre est l’aboutissement de sa thérapie. Cette période de guérison bien entamée, la patiente se meut davantage et affronte la vie dans laquelle auparavant elle était prostrée. Une patiente raconte au bout de vingt-sept séances : « Après tout ce parcours, je m’attendris envers moi [sourire]… je prends le dessus, de ma vie. » Elle nous regarde et ajoute avec une voix ferme : « C’est ma vie. » Et sans s’arrêter de peindre : « Elle défile trop vite pour la gâcher […] tempus fugit, le temps fuit […] pour la laisser détériorer par un moins que rien, un horribilis. » (C-3-csp haute, 27è séance sur 31, 2 séances par mois). Elle utilise le latin comme pour le dire sans le dire, mais elle le dit : c’est un monstre.
Une fois que les patientes sont valorisées par l’art-thérapeute, elles acceptent plus volontiers de peindre. Parfois, elles expriment la colère. Par exemple, l’une d’elles presse plusieurs tubes de peinture sans les utiliser en répétant à plusieurs reprises : « ça fait ch…, ch… ch… » (annexe : 4-A ). À la fin de la séance, elle déchire la feuille cartonnée sur laquelle elle a peint et la jette à la poubelle. Avant de partir, l’art-thérapeute intervient pour tenter de l’apaiser et de l’aider à s’exprimer plus calmement, mais en vain. La patiente repart de la séance en colère.
Une autre, concentrée sur son activité comme si rien n’existait alentour, s’exclame : « Quoi c’est déjà l’heure ? » (B -Syb). Nous entendons par ces mots l’intérêt porté à l’acte pictural. Jam, quant à elle, montre son insatisfaction quand son image apparaît sur la toile. Elle a besoin de temps pour s’installer à nouveau et trouver l’emplacement idéal pour la toile, tantôt sur une table, tantôt sur une autre, maintenant sur un chevalet. Après quelques paroles échangées avec l’art-thérapeute, elle applique à nouveau des couleurs avec précision. À la séance suivante, elle dit au sujet de son image picturale : « Ouhaaa, si je m’attendais, c’est quoi ? je ne sais pas, mais c’est super. » (B- Mar….)
Nous remarquons qu’à partir du moment où les patientes expriment leur satisfaction ou leur contrariété au sujet de leur image plastique, les langages verbal et gestuel se délient et leur permettent de passer du statut de femme détruite à femme renaissante. Nous les voyons rarement revenir à leur expressivité contrainte du départ, à l’exception des moments de découragement.
Da. montre par trois fois son intérêt à la toile en devenir. En prenant du recul, elle la regarde et dit : « Mais, c’est pas mal… c’est pas mal… pas mal du tout. » (B- Da. 16è séance sur 23, csp M à Hte, 9 ans de vvc). Dès que l’acte créateur s’enclenche et se précise, les patientes poursuivent leur activité artistique en s’exprimant davantage au fur et à mesure des séances. Elles disent : « oh, j’aime… » (Yv. B-2 b&c- 61 ans, 17è séance sur 28- 27 ans de violences conjugales — tjs 1seul conjoint—csp M à haute), ou « Berk, je n’aime pas ça du tout. » (Syb. 7è séance sur 19, csp M , 10 ans vvc). Toutes évoluent dans leur expression langagière et elles s’expriment davantage sur leur expérience art-thérapeutique.
Nous apprécions combien les patientes commencent à sourire après quelques séances, à s’exprimer sur des sujets divers, qu’elles installent leur toile sur une table, un chevalet ou sur le sol. L’une d’elles a embrassé sa toile en fin de séance. Il leur arrive fréquemment de retrouver des moments d’angoisse, de craindre de s’être trompée, de pleurer, de détester les couleurs, de refuser de montrer la toile ou de poursuivre les séances. Mais l’art-thérapeute veille.
Dans son rôle d’accompagnant, l’art-thérapeute guide et exploite au mieux les capacités des patientes à restructurer leur langage. Après avoir mis en place son atelier, l’art-thérapeute accueille ses patientes et s’adapte à l’état physique et psychique de chacune, ainsi qu’à leur environnement culturel. De manière discrète mais active, il apporte par exemple un livre ou des photos d’œuvres de peintres connus à une patiente. Elle se déplace difficilement, même si elle n’ose pas ou ne croit pas pouvoir trouver une inspiration dans ces livres. Par ailleurs l’art-thérapeute explique la façon de peindre et aide dans le choix des matériaux en expliquant l’intérêt d’utiliser une peinture ou une autre. Il laisse du temps à la patiente pour choisir et agir comme elle l’entend. Il l’encourage à entrer dans l’acte créateur pour qu’elle devienne acteure de sa propre restructuration langagière. La patiente trouve ce bénéfice lorsqu’elle se met volontairement en action. Pour ce faire, l’art-thérapeute respecte la distance thérapeutique nécessaire en fonction de la situation de la patiente. Il se tient plus ou moins loin et évite le champ de vision de la patiente pour ne pas la déranger afin qu’elle reste concentrée sur son acte créateur. L’art-thérapeute veille à éviter toute attitude de proximité pouvant être mal interprétée, particulièrement avec les femmes victimes de violences conjugales dont la relation au corps est fortement perturbée. En effet, selon le code relationnel et culturel de chacun, l’interprétation subjective d’une attitude peut varier et placer la patiente, voire l’art-thérapeute, dans un rôle incommodant pouvant avoir un impact sur le comportement de l’autre. Il veille donc à respecter une distance physique et sociale avec la patiente et évite les bruits non nécessaires en éteignant par exemple son téléphone ou en prenant des notes manuscrites plutôt que de taper bruyamment sur un clavier d’ordinateur. L’art-thérapeute aide progressivement les patientes ; il intervient dans le but de leur redonner confiance en elles et de les encourager à persévérer dans le soin. Nous l’entendons rappeler l’importance de ranimer leur sensibilité artistique ou le moyen d’expression de soi. « Soyez curieuse de ce qui va naître de vos mains » (Al-M2019), répète-t-il souvent aux patientes.
L’art-thérapeute prend en compte la souffrance de la patiente et accueille ce qui vient. Il observe son évolution. Lors d’une séance, nous l’entendons valoriser le travail pictural d’une patiente. Il stimule sa sensibilité à l’art et propose de laisser venir les émotions qui sont là, qu’il s’agisse de pleurs, de rires, de honte, de joie ou de colère. « Accueillez puis dialoguez avec ce qui arrive, jusqu’à ce que cela soit juste pour vous. » (Annexe al M2 )
Par la présence avisée et la discrète sollicitation de l’art-thérapeute, la patiente accepte peu à peu la réalité de son passé et la difficulté à gérer le présent avec ses souffrances toujours présentes. L’art-thérapeute n’hésite pas à poser des questions à la patiente, ce qui permet à celle-ci de réfléchir à ce qui se passe sur la toile. Il demande ce que cela évoque pour elle et pourquoi ; ainsi la patiente fait intervenir son mental et s’habitue progressivement à poser ses actes volontairement.
Rappelons que les art-thérapeutes concernés dans ce travail de recherche sont formés par un organisme français et sont intégrés à une équipe paramédicale. Ils sont salariés dans des hôpitaux, cliniques, associations, ou sont indépendants en cabinet privé. En plus du soin médical, ils sont spécialistes de l’activité artistique.
Les art-thérapeutes interviewés sont issus de divers instituts de formation tels que l’INECAT (Institut National d’Expression, de Création, d’Art et Thérapie), l’AFRATAPEM (Association française de recherches et applications des techniques artistiques en pédagogie et médecine) qui donne le titre d’État d’art-thérapeute pouvant être complété par le diplôme universitaire d’art-thérapie pour s’orienter vers la recherche scientifique, l’EFAT (European Federation of Art-Therapy), l’IEPA (Institut Européen de Psychologie Appliquée). Il existe également un syndicat indépendant créé en 2020 représentant les art-thérapeutes en France, le SFAT (Syndicat Français des Art-Thérapeutes). Il appartient aux psychothérapeutes d’enregistrer leur diplôme sur la liste ADELI de la préfecture du lieu professionnel, selon la loi du 24 juin 2009 et l’article 91. Il s’agit de réglementer leur pratique art-thérapeutique. Un annuaire référence les art-thérapeutes certifiés RNCP (RNCP 29504, Répertoire national des certifications professionnelles) sous l’autorité nationale de financement et de régulation de la formation professionnelle et de l’apprentissage placée sous la tutelle du ministère en charge de la formation professionnelle de France compétences.
L’art-thérapeute utilise le potentiel artistique de chaque patiente. Il favorise le dialogue avec la patiente par des questionnements pondérés. Il l’encourage à libérer son esprit, afin qu’elle s’engage pleinement dans le processus de créativité pour poursuivre les séances avec intérêt. Il la soutient par quelques mots stimulants, veille à ce que progressivement elle soit apaisée face à l’acte pictural. Il va vers elle, afin de lui montrer l’intérêt qu’il porte à sa créativité. Si la patiente rencontre des difficultés à peindre, il la motive. Un art-thérapeute précise que « dessiner, pratiquer une activité artistique implique physiquement le corps, le met en jeu et permet de communiquer avec des vécus, des ressentis anciens » (Al M, 2019). Pour la patiente, le but est de s’octroyer une liberté dans le geste pictural, malgré les souvenirs douloureux. Elle laisse aller son geste et s’affirme progressivement dans la créativité. Active dans le soin, elle s’exprime et s’engage.
L’art-thérapeute propose à la patiente de raconter sa vie d’avant, de la décrire ou de la peindre si elle le souhaite. Il propose à la patiente d’exprimer son ressenti et ses sentiments à travers l’acte créateur. Tout au long des séances, il évalue son inclination au changement, la guide et peut laisser des moments de silence puis, aider à nouveau la patiente à se mobiliser dans l’acte créateur à l’aide du matériel mis à sa disposition. Il tente d’éveiller sa capacité d’action et d’organisation par quelque suggestion technique. Par exemple, il la complimente sur son avancée créative ou sur ce qui est entrain de venir en elle, il l’encourage. « Faire, non pas pour faire, mais pour être. Parce qu’avec un crayon et du papier, de la couleur et un pinceau, vous vous engagez dans toutes sortes d’aventures graphiques. Sans risque, vous expérimentez des situations nouvelles que votre création va susciter. Vous allez trouver des solutions adaptées aux défis que chaque matériau utilisé offre, même si vous n’obtenez pas toujours ce que vous auriez souhaité. » ( annexe Al M2 ). Un trait, même élémentaire, engage déjà le processus de créativité. L’art-thérapeute observe et écoute, il reste attentif et crée un lien avec la patiente dans une relation thérapeutique visant à engager le processus de transformation de soi pour la patiente.
Qu’il s’agisse de la portée de l’activité artistique ou de l’émancipation par les arts, l’art libère l’imaginaire. Un art-thérapeute croit à l’intérêt de l’art pictural et à la nécessité d’encourager chaque patiente. Pour lui, « l’expression par la peinture est une opportunité d’apprentissage de soi, pour des sujets en situation post-traumatique […] le développement cognitif existe par la présence et l’intervention de l’art-thérapeute, car il veille et guide » (MCl, 2019, D4). L’art-thérapeute fait attention à ce que l’art pictural soit une activité créatrice plaisante pour la patiente, dans le but de l’encourager à adopter une forme de créativité picturale. L’art-thérapeute poursuit : « Dans notre travail social, nous constatons que l’art pictural favorise non seulement la communication, mais c’est aussi pour nous un indicateur de mise en mouvement dans l’appropriation du soin.» (MCl, 2019, D4) Cela aide l’art-thérapeute dans ses observations et sa stratégie décisionnelle vis-à-vis de la patiente.
Lors de nos observations, nous constatons la faculté d’attention de la part de l’art-thérapeute qui vise à obtenir un terrain favorable au développement de l’acte créateur chez la patiente pour qu’elle puisse restructurer son langage. Il l’encourage lorsqu’il constate que l’activité créatrice fléchit. Ainsi, « pour rendre possible la verbalisation de l’action, il faut d’abord que celui qui s’y essaie prenne le temps d’un retour réfléchissant sur son action, de manière à ce qu’il en prenne conscience »40. Les patientes ont besoin d’être encouragées, de se sentir en toute confiance avec l’art-thérapeute et de s’identifier au cadre sécurisé.
Plus tard, l’art-thérapeute réalise un bilan qui est partagé avec l’équipe médicale. Il a un programme d’intervention pour chaque patiente, ainsi qu’une fiche des progrès et des résultats de chacune, ce qui l’aide à décider du nombre de séances pour chaque patiente.
Entre la patiente et l’art-thérapeute, nous observons une interaction au fur et à mesure des séances ; des échanges de langage propres à chacun qui émet un regard, un signe, un sourire, parole ou une gestuelle. C’est par cette relation interpersonnelle par laquelle les protagonistes s’influencent mutuellement et modifient leur parcours art-thérapeutique. Ce sont les échanges avec l’art-thérapeute qui enrichissent la démarche art-thérapeutique de la patiente ; elle exprime alors un mieux-être, acquis au fil du temps.
Nous nous concentrons ici sur le cas d’une patiente, Li, qui crée une image plastique en séance d’art-thérapie en présence de l’art-thérapeute. Nous décrivons ce que nous observons lors du déroulement de l’ensemble des séances d’art-thérapie de cette patiente. Nous observons son attitude et la façon dont elle entre dans le processus de restructuration langagière.
Nous avons choisi ce cas, car il reflète de façon assez significative la situation des patientes observées lors des séances. Nous considérons la patiente dès sa première séance, quand elle se présente dans le dispositif d’art-thérapie, jusqu’à sa dernière séance.
Li est une patiente âgée de quarante et un ans, de catégorie socioprofessionnelle basse. Elle a été victime de violences conjugales pendant dix-sept années. Elle est arrivée à l’hôpital avec un trauma du bras, de la cage thoracique et de la face. Le rythme défini par le médecin, en concertation avec l’équipe médicale et l’art-thérapeute, est d’une séance par semaine ou quinzaine, pas moins. L’art-thérapeute est un homme d’environ cinquante ans, il pratique l’art-thérapie depuis plus de vingt ans.
Nous suivons la patiente, enfermée dans l’indicible lors de la première séance, et sommes témoins des progrès accomplis au fur et à mesure des séances. Nous décrivons ce qui se passe en séance entre l’art-thérapeute, la patiente et la toile blanche jusqu’à l’œuvre finie. Nous illustrons avec l’image plastique à diverses étapes.
Séance 1 :
La patiente Li arrive avec vingt minutes de retard et se dirige lentement vers la porte déjà ouverte de l’atelier d’art-thérapie. Ses vêtements amples et ses mains dans les poches nous laissent imaginer son souhait de se dissimuler.
L’art-thérapeute l’accueille et l’invite à entrer dans la salle prévue pour la séance d’art-thérapie. Elle reste sur le pas de la porte, penche la tête en avant et regarde subrepticement à droite, à gauche et derrière elle. L’art-thérapeute réitère son invitation à entrer. Elle passe le pas de la porte et avance de quelques pas, les yeux baissés. Les mains toujours dans les poches et le menton enfoui dans son col roulé, elle semble vouloir disparaître à nos yeux.
Sur la nouvelle invitation de l’art-thérapeute, Li avance lentement jusqu’à la table principale au milieu de la salle. Elle reste là, debout, sans même répondre à la proposition de se mouvoir dans la salle pour observer et choisir son matériau. La patiente, qui finit par s’assoir, transpire fortement. Durant toute la séance, Li garde ses mains dans les poches, les pieds l’un contre l’autre sous la chaise, le regard dans le vide. Elle ne porte son regard à aucun instant sur le tas de feuilles de papier, les crayons et les deux livres disposés sur la table. Malgré l’intervention à plusieurs reprises de l’art-thérapeute, elle n’adresse aucun signe de participation. Elle reste immobile, enfermée dans son silence. L’art-thérapeute lui parle de ce qui se pratique ici en séance ; il explique le bénéfice de l’utilisation du matériau à disposition et des possibilités de dessiner et peindre. La patiente ne manifeste aucun intérêt. La première séance, qui dure une heure comme toute première séance, se termine. L’art-thérapeute félicite la patiente pour sa démarche d’aujourd’hui et lui rappelle l’intérêt des séances. Dès que l’art-thérapeute annonce la fin de la séance, la patiente se lève, reprend sa veste, regarde vers la sortie et part sans rien dire.
Séance 2 :
La patiente a un retard de quinze minutes. Elle est à l’entrée de l’atelier d’art-thérapie dont la porte est ouverte. Elle est immobile, muette, les mains dans les poches. Ses vêtements amples et montants laissent à peine apparaître son visage.
L’art-thérapeute se dirige vers elle et lui propose de pénétrer dans la salle. Elle entre et attend debout environ une minute. L’art-thérapeute l’invite à s’assoir. La patiente Li semble chercher quelque chose des yeux. Il se trouve que la seule chaise autour de la table n’est pas au même endroit que lors de la première séance. L’art-thérapeute a pris soin de l’installer plus près des matériaux. Les mains sorties des poches, la patiente s’avance, déplace la chaise et prend place. Elle s’assoit à la table, les bras croisés. L’art-thérapeute, assis près de son bureau, entame une conversation qui devient vite un monologue. La patiente, figée sur sa chaise, a les yeux baissés. Puis, elle décroise les bras et se triture les mains. L’art-thérapeute poursuit et nomme les divers matériaux à sa disposition ; il inventorie rapidement les potentialités et le bienfait d’une telle activité créatrice. La patiente ne prononce aucun mot mais fait de vagues signes de la tête indiquant sans doute un oui ou un non pour répondre aux tentatives de l’art-thérapeute d’engager un dialogue. L’art-thérapeute dépose sur la table, devant la patiente, une feuille de papier rigide et quelques crayons. Il lui propose d’exprimer ce qui lui vient à l’esprit, un dessin ou un écrit. Mais rien, elle ne donne aucun signe de participation. L’art-thérapeute lui parle de la vie de peintres connus en cherchant le dialogue, mais la patiente reste figée et muette . Dès que la séance prend fin, la patiente se sauve sans mot dire.
Séance 3 :
La patiente arrive avec quelques minutes de retard et attend sur le palier. Elle frappe légèrement sur la porte entrouverte. Elle entre sur l’invitation de l’art-thérapeute, qui l’assure de sa présence et de la sécurité du lieu. Elle s’assoit sur la chaise la plus proche de la table, reste immobile et regarde dans le vide. Elle trouve sur la table, devant elle, quelques feuilles de papier et des feuilles cartonnées accompagnées de crayons mines, de crayons de couleur, de crayons de cire, d’une gomme, d’un taille-crayon et de quelques crayons-feutres. La patiente porte alternativement son regard sur ces objets et vers l’art-thérapeute, puis avance la main vers les objets posés devant elle mais ne touche à rien. L’art-thérapeute lui indique l’usage de tout ce qui est là pour elle, et l’encourage à utiliser ces objets pour écrire ou dessiner, se lancer dans l’aventure du trait, de la couleur et de la forme, sachant que « le bien-être éprouvé par la patiente est primordial dans l’acte créateur ; chaque production est une étape » (Annexe bl M, 2a).
L’art-thérapeute est assis, proche de son bureau au fond de la pièce. Il propose à la patiente de se mettre à l’aise et de déposer sa veste sur la patère qui lui est dédiée. Elle ne réagit pas, la tête inclinée maintenant vers le sol. Il se lève et s’avance vers elle, en restant à deux mètres environ. Il annonce qu’aujourd’hui est un nouveau jour. À ces mots, la patiente réagit par un geste brusque, levant son coude en face de son visage. L’art-thérapeute se recule aussitôt et reprend sa place initiale sur la chaise proche de son bureau. Il lui propose d’exprimer ce qui vient de se passer pour elle et le pourquoi de son geste. Sans réponse de sa part, il lui suggère d’utiliser les matériaux devant elle ou d’aller chercher ceux à disposition dans les meubles ouverts. Il lui donne des astuces pour faire un dessin rapide. Nous entendons un furtif « pffff ». L’art-thérapeute lui dit : « Vous pouvez exprimer ce qui vous pèse, là… peut-être l’écrire ou le dessiner ? » Mais le temps passe sans qu’elle s’intéresse à ce qui se passe autour d’elle. Elle paraît être ailleurs. De temps à autre, elle pleure lorsque l’art-thérapeute s’adresse à elle. Cependant, il n’hésite pas à réitérer et à proposer un nouveau thème si cela semble pertinent. Il sait que « le processus de créativité se met en place dans la relance de sa capacité créative qui existe » (Annexe bl M, 2a ).
La patiente n’attend pas la fin de séance pour s’échapper de l’atelier d’art-thérapie, sans explication aucune.
Séance 4 :
En retard de vingt minutes, la patiente apparaît sur le pas de la porte, les mains dans les poches. L’art-thérapeute accueille la patiente, lui offre un tablier en plastique pour protéger ses vêtements lors de l’activité peinture. Surprise par cette offre, elle ne fait aucun geste pour l’attraper. Elle passe devant l’art-thérapeute, entre dans l’atelier d’art-thérapie pour se diriger vers la chaise la plus proche, sans s’assoir. L’art-thérapeute réitère sa proposition d’utiliser une protection et lui explique les inconvénients de la peinture sur les vêtements selon le type de peinture utilisée. Elle l’écoute son regard tourné vers le sol. L’art-thérapeute se baisse au niveau de la patiente, la gratifie d’un grand sourire et approche le tablier de ses mains. La patiente regarde hébétée et prend des mains le sachet qui contient le tablier. Elle observe tout autour d’elle et s’assoit, le tablier plié entre les mains. Elle ne quitte pas sa veste boutonnée jusqu’en haut. Assise sur une des deux chaises disposées autour de la table, elle hésite puis se lève et prend place sur celle la plus proche des matériaux, vers le fond de la pièce. Cela, sans l’invitation de l’art-thérapeute qui la regarde. Il propose à la patiente de s’installer confortablement et de déposer sa veste sur la patère dans le coin du petit salon. Elle hésite et ânonne un « j’peux ? » en quittant sa veste, puis, après une courte hésitation, va accrocher sa veste à la patère. La patiente de nouveau assise près de la table, l’art-thérapeute lui demande ce qu’elle souhaite exprimer sur la semaine écoulée, sur son projet pour aujourd’hui. La patiente hésite et répond : « Ben, rien. »L’art-thérapeute lui propose alors de raconter sa dernière séance et la patiente objecte : « Y’a rien à dire… j’suis fatiguée. » L’art-thérapeute rappelle l’intérêt des séances d’art-thérapie et donne des exemples de création picturale d’autres patientes dans sa situation. La patiente rétorque : « Je suis nulle, plus nulle qu’elles. » L’art-thérapeute engage une conversation avec la patiente qui ne s’exprime que par bribes verbales et parfois gestuelles. Ce sont des réponses timides, mais qui ont le mérite d’exister.
À l’annonce de la pause par l’art-thérapeute, la patiente sort de la salle pour se réfugier dans un petit coin du salon de l’hôpital, situé à proximité au même étage. Au bout de dix minutes, le temps de pause écoulé, l’art-thérapeute propose à la patiente d’entrer à nouveau dans l’atelier d’art-thérapie. Une fois entrée, elle s’assoit devant la table, sur la chaise se trouvant proche des matériaux qu’elle observe. L’art-thérapeute l’invite à s’en approcher en lui décrivant les différents types de peinture, les subjectiles à sa disposition, ainsi que les possibilités d’utilisation des crayons et de la peinture. La patiente ne répond pas. Il sollicite son attention en lui parlant de ses souffrances et de ses attentes. Pour la première fois, la patiente lève son regard vers l’art-thérapeute, sans toutefois s’exprimer davantage. Son visage rougit pendant une minute environ, puis la patiente pleure, les mains enfouies dans le bas de son pull et le menton rentré dans le col. L’art-thérapeute va chercher une boîte de mouchoirs jetables et la dépose calmement devant elle. Quelques minutes passent. Toujours assise devant la table, la patiente retrouve son calme. Elle pousse de temps à autre des soupirs légers.
L’art-thérapeute annonce la fin de la séance, la patiente se lève et, avant de prendre sa veste, dépose le tablier dans son casier. Ce jour-là, en sortant de la salle, elle prononce un « merci » fugace à l’art-thérapeute.
Séance 5 :
La patiente arrive cinq minutes en retard à cette séance. Accueillie par l’art-thérapeute, elle entre et s’installe à la grande table. Elle regarde en direction de l’art-thérapeute qui reprend la discussion de la séance précédente. Elle paraît l’écouter, mais au bout de quelques minutes la patiente baille abondamment. Elle presse ses doigts dans une main, puis dans l’autre tout en guettant le regard de l’art-thérapeute.
Dès que celui-ci la regarde, ses yeux se baissent vers le sol. Cela dure quelques minutes puis, avant le temps de la pause, la patiente sort de la salle pour faire quelques pas dans le hall. Après dix minutes, l’art-thérapeute lui propose de poursuivre la séance. Dans le hall, la patiente est assise sur le banc et ne bouge pas. L’art-thérapeute vient s’assoir sur une chaise en face d’elle, pas trop proche, et lui dit : « Voulez vous que nous poursuivions ici ? C’est possible. » La patiente grommelle à voix basse : « C’est la honte. » Elle se lève et rejoint l’atelier.
La patiente s’approche de la table, apporte la chaise, sur laquelle elle était précédemment assise, près de la sortie et s’assoit sans dire un mot. L’art-thérapeute s’assoit à son bureau puis aborde le sujet de l’image de soi, du jugement par autrui et de l’importance qu’elle prête aux paroles des autres. La patiente ne répond rien.
Quelques minutes passent et l’art-thérapeute reprend le dialogue ayant précédé la pause. Il lui demande par exemple : « Qu’avez-vous envie de peindre ? Quoi dessiner, qui vous corresponde, pour être vous-même ? Souhaitez-vous que nous abordions un thème ? » (A-MonV3). La patiente ne répond rien.
Sur l’insistance du praticien, elle se lève et se dirige d’un pas lent et traînant, les bras ballants, vers les toiles puis vers le chariot sur lequel se trouvent des godets remplis de peinture. Elle observe, dans un va-et-vient du regard, les toiles et les godets, puis elle choisit la peinture verte et un pinceau très fin. Le pinceau et le godet en main, elle retourne vers la table, pose ces matériaux et reprend sa position assise. Elle ouvre le godet et trempe le pinceau dedans. Elle regarde tout cela puis pousse un soupir « pffffff ». Elle se lève, retourne vers les matériaux et hésite, puis choisit une feuille de papier en format A5 qu’elle rapporte sur la table. Tout cela s’opère dans la lenteur. Elle dépose à plusieurs reprises de la peinture sur la feuille à l’aide du pinceau fin, en prenant du recul à chaque fois pour examiner son travail. Son visage semble éveillé, presque souriant (Annexe P 1). Pour l’instant, la patiente s’intéresse peu aux matériaux à sa disposition, bien qu’elle ait néanmoins fait le choix d’une feuille de papier, d’un pinceau et d’un godet de peinture. Dans l’ensemble, son langage est particulièrement pauvre.
L’art-thérapeute annonce la fin de la séance. La patiente nettoie le pinceau et le range avec le godet là où elle les a trouvés, et pose la feuille de papier peinte dans son casier. L’art-thérapeute rappelle la date de la séance suivante, comme à l’habitude, et la patiente fait un signe de tête. De façon silencieuse, elle se dirige vers le fond de la salle, prend sa veste et part.
Séance 6 :
Pour cette sixième séance, la patiente accuse un retard de trente-cinq minutes. Elle a les mains dans les poches et traîne les pieds. Elle s’avance sur l’invitation de l’art-thérapeute, s’assoit devant la table principale et reste les bras croisés durant un temps assez long.
L’art-thérapeute lui rappelle qu’une patère est à sa disposition pour accrocher sa veste si elle le souhaite, puis tente de communiquer avec elle. Il reprend le sujet commencé à la séance précédente, mais la patiente reste apathique. La tête entre les mains, les coudes sur la table, elle attend. Il change de stratégie et commence à raconter l’histoire d’une femme victime de violences conjugales similaires à celle de la patiente. Cette dernière remet ses mains sous la table, les triture et dit : « Non, nooon pas ça. » L’art-thérapeute lui demande alors de raconter ce qui vient à elle et les images qui surgissent. Elle éclate en sanglots, cache son visage entre ses mains, puis se dirige rapidement vers les toilettes au fond de la pièce. Du temps passe, la patiente revient, s’assoit, et l’art-thérapeute demande : « Racontez-moi ce lourd fardeau que vous portez seule, qui vous pèse depuis longtemps. » À ce moment, le visage de la patience se contracte, son regard se détourne et elle pleure abondamment. Puis, elle raconte un passage douloureux de sa vie : « Je n’ai jamais raconté, à personne, ça me cisèle, dit-elle. Voilà… » et elle poursuit. L’art-thérapeute écoute. Il prête attention aux paroles, à la faible gestuelle et aux sanglots qui perdurent. Il propose qu’elle dépose tout cela sur la toile. Après quelques minutes, elle se lève, le regarde d’un air interrogateur et fronce les sourcils. Il demande si tout va bien. Elle dodeline de la tête comme pour acquiescer. Il lui présente à portée de main, un pinceau et une toile de petite dimension. La patiente refuse, mais l’art-thérapeute délicatement la convainc et la patiente attrape ces matériaux en hésitant. L’art-thérapeute propose d’échanger, de choisir autre chose. Elle fait un signe de la tête pour indiquer son refus. Elle s’assoit avec la toile et le pinceau dans les mains et les examine. L’art-thérapeute lui propose de choisir elle-même la peinture. Elle acquiesce d’un signe de tête, pose la petite toile et le pinceau sur la table, se lève et se dirige vers les matériaux qu’elle regarde furtivement puis retourne s’assoir.
L’art-thérapeute insiste pour qu’elle poursuive son exploration des matériaux. Lentement, elle se lève et regarde autour d’elle. Son regard passe de tube de peinture en tube de peinture et de godet en godet, chacun de couleur différente. L’art-thérapeute lui rappelle l’usage de chaque matériau et lui demande lequel l’attire le plus ou celui qu’elle pense utiliser. Elle répond par un « sais pas », puis s’attarde un peu vers les pinceaux et se penche sur les subjectiles, sans les toucher. Elle donne l’impression de visiter un musée, se déplaçant de matériau en matériau en les regardant en silence. Après un long moment, elle s’assoit proche de la table. Ce jour-là, elle ne sort pas pour prendre une pause, reste la plupart du temps assise, les mains sous la table, sans un geste ni une parole malgré les interventions orales de l’art-thérapeute. Elle demande néanmoins à la fin de la séance, avec une petite voix, si elle doit reposer le pinceau et la toile. L’art-thérapeute propose qu’elle les range dans son casier avec la feuille de papier pour la prochaine séance, ce qu’elle fait. Elle termine avec un « merci » à peine perceptible et s’en va.
Séance 7 :
La patiente arrive avec dix minutes de retard, entre dans l’atelier et prononce un « b’jour » très discret. La tête enfoncée dans les épaules, elle s’assoit, ôte sa veste et la pose sur le dossier de la chaise sur laquelle elle est assise, proche de la table centrale. L’art-thérapeute poursuit ses investigations de la dernière séance auprès de la patiente qui montre peu d’intérêt à ces questions ou propositions.
Après plusieurs dizaines de minutes, toujours assise proche de la table, la patiente paraît maintenant entendre l’art-thérapeute. Après un temps long, elle se lève, s’approche des matériaux, les regarde. Elle demande en montrant un pinceau : « Je peux… essayer celui-là ? » L’art-thérapeute explique l’utilisation des différents pinceaux, des couteaux et des brosses. La patiente regarde alternativement l’art-thérapeute et le pinceau entre ses mains. Elle le pose, en prends un autre, et les examine tour à tour. L’art-thérapeute rappelle qu’elle avait déposé différents matériaux dans son casier lors de la dernière séance. Elle pose tout et se dirige vers le casier dans lequel elle récupère une feuille peinte, ainsi qu’une toile et un pinceau non utilisés. Un sourire, à peine perceptible, se forme sur ses lèvres. Elle revient vers la table, y dépose la feuille et le pinceau, et fixe du regard un long moment la toile entre ses mains avant de la poser également.
C’est l’heure de la pause, la patiente sort de l’atelier, se détend plusieurs minutes en faisant quelques pas dans le salon de l’étage et en grignotant des biscuits sortis de sa poche. Puis elle rentre dans l’atelier, se dirige vers les matériaux et poursuit l’exploration entamée.
L’art-thérapeute indique les matériaux les plus adéquats pour une première approche. Il propose de pousser le chariot des peintures jusque vers la table, mais, dubitative, la patiente refuse. Elle choisit avec lenteur de la peinture jaune en godet qu’elle apporte sur la table. Elle regarde, s’assoit et contemple les matériaux choisis. Il se passe une dizaine de minutes avant qu’elle ne prenne le pinceau pour déposer un peu de peinture jaune sur la petite toile. Quelques vagues traits d’un jaune clair se profilent dans un geste très lent. Elle fixe longuement la toile dont seule une petite partie est peinte (Annexe P 2). Puis elle regarde l’art-thérapeute à la dérobée, sans parler. Celui-ci explique à nouveau la nécessité des séances d’art-thérapie et le contrat en jeu, en précisant qu’il ne s’agit pas d’une question de temps mais de l’intérêt de trouver une satisfaction à peindre. Un temps d’adaptation est nécessaire avant que les premières émotions n’apparaissent quand la patiente s’exprime par des pleurs, de la colère ou du rire.
Séance 8 :
La patiente entre dans la salle pour sa séance d’art-thérapie avec un léger retard. Après avoir accroché sa veste à la patère prévue à cet effet et posé ses effets personnels dans ce coin, elle choisit de s’assoir toujours à la même place, sur la chaise devant la plus grande table.
Après un temps de silence, et suite à la proposition de l’art-thérapeute, la patiente va chercher la toile en partie peinte lors de la dernière séance, puis la pose sur la table. Elle l’observe plusieurs minutes. L’art-thérapeute rappelle la présence des matériaux à sa disposition, la possibilité d’utiliser une toile de grande dimension et illustre ses propos par des exemples puisés dans le livre qu’il a entre les mains. La patiente manifeste de l’intérêt par un léger « ohhh », bien qu’elle pose à peine son regard sur ce livre. Lorsque l’art-thérapeute finit de parler, elle se lève et se dirige vers les matériaux. Elle tergiverse, attrape un pot puis le pose, le reprend pour se pencher plutôt sur un godet de peinture violette ; elle ne sait plus. L’art-thérapeute explique brièvement le lien entre couleur et lumière et les possibilités d’association de couleurs. Finalement, le choix de la patiente se porte sur un godet de peinture vert foncé. Elle n’oublie pas le pinceau, la toile et la feuille dans son casier qu’elle rapporte sur la table. Elle aligne la feuille peinte en vert, la toile peinte en partie en jaune, puis au-dessus le pinceau et le godet de peinture verte. Elle s’assoit et les observe un moment. Elle se saisit du pinceau et le trempe dans le godet. Elle applique la peinture verte sur la feuille, regarde cette feuille d’un air satisfait et semble comblée par les quelques traits tracés. L’art-thérapeute annonce la pause. La patiente ne sait pas où poser son pinceau, le laisse sur la feuille de papier, se lève et sort de la salle. Elle fait quelques pas dans le hall et s’assoit sur la banquette du salon commun. Elle est seule, songeuse.
Après dix minutes de pause, la patiente entre dans l’atelier, se met à proximité de la table et regarde les matériaux laissés là avant la pause. Elle s’assoit, ne semble pas savoir comment s’impliquer dans l’activité peinture.
L’art-thérapeute intervient et donne des exemples, il conseille et tente de susciter l’envie de peindre. La patiente se met en position, la tête relevée, le dos droit. Après un temps d’indécision, elle prend le pinceau, le trempe dans la peinture verte et badigeonne les bords de la toile qui sont vierges. Elle repose le pinceau et observe ce dessin, après quoi elle reprend son geste pictural. L’art-thérapeute la félicite et demande ce que cela lui suggère ou appelle en elle. La patiente ne sait pas, et l’indique en remuant la tête de gauche à droite. Elle articule brièvement un « ouf » avec un léger sourire, comme pour fêter une première victoire. La patiente reprend le geste pictural avec lenteur, sans parler. Elle a juste le temps de donner encore deux coups de pinceau avant que l’art-thérapeute annonce la fin de la séance. La patiente passe le revers de sa main droite contre son front, en signe d’épuisement. Elle se lève, range le matériel comme il se doit, prend ses effets personnels et quitte la salle en disant un bref « au revoir ». « Elle a osé peindre. », dit l’art-thérapeute après que la patiente est partie.
Séance 9 :
La patiente arrive au seuil de l’atelier. L’art-thérapeute est là et l’invite à entrer. Ce qu’elle fait en lui adressant un bref « bonjour » avant d’accrocher sa veste sur la patère au fond de la pièce. Elle s’assoit sur la chaise devant la table où elle pose ses deux mains jointes, doigts croisés. Elle attend. L’art-thérapeute demande à la patiente ce que lui a apporté le fait d’avoir commencé à peindre. Elle répond : « Ouais, c’tait bien. » Puis il propose à la patiente de s’intéresser aux matériaux, l’encourage à faire une composition colorée qui lui corresponde, à peindre et jouer avec les couleurs comme elle avait commencé à le faire lors de la séance précédente. Elle répond : « J’sais pas… suis sèche. », sur un ton abattu. L’art-thérapeute l’encourage puis la voilà qui se lève et s’avance à son rythme. Elle s’approche avec nonchalance des matériaux et en fixe certains. Puis ses yeux vont et viennent de manière confuse. Elle ne parvient pas à faire son choix et retourne à sa place. L’art-thérapeute rappelle la présence des matériaux à sa disposition et le rôle de quelques outils, ceux qui sont les plus utilisés. Aucune réaction de la part de la patiente. Le temps passe, elle pleure, la tête entre les mains. Après une ou deux minutes, l’art-thérapeute demande ce qui peut l’aider à cet instant. Il aborde les sujets de la peinture artistique, des peintres connus et peu connus, des différents mouvements artistiques. La patiente relève la tête et regarde vers le coin bibliothèque. L’art-thérapeute l’encourage à s’approcher du coin lecture où l’on trouve dans les livres des précisions sur la peinture en général, sur les façons de peindre, et une abondance de représentations de toiles peintes. Au bout de quelques minutes la patiente se lève de la chaise et se dirige vers le coin bibliothèque en silence. Elle explore du regard la bibliothèque et son attention s’arrête sur un petit livre relié intitulé Monet illustré ??, de Christoph Heinrich, 2015. La patiente feuillette à la sauvette ce livre et le repose. Elle revient s’assoir. L’art-thérapeute s’enquiert de sa découverte et la patiente répond par un « mouais » discret.
Il reste quelques minutes avant la fin de la séance et l’art-thérapeute propose de raconter l’histoire d’une femme peintre connue du nom de Margaret Keane. La patiente acquiesce d’un léger mouvement de tête et s’installe les bras croisés sur la table, le regard tourné vers l’art-thérapeute. Il raconte. La patiente a une attitude pensive, les yeux posés sur le livre que tient l’art-thérapeute. À la fin de cette narration, il demande si cette histoire, tirée de faits réels, lui plaît. La patiente répond par un timide « oui ».
L’art-thérapeute rappelle le principe de l’art en séance d’art-thérapie où l’artiste peintre crée une œuvre d’art à visée essentiellement esthétique et destinée à être vue d’abord par son auteure. Ces derniers mots laissent la patiente songeuse. Elle procède au rangement des matériaux, chacun à sa place, puis elle reprend sa veste et sort de la salle en lançant un « merci » à l’art-thérapeute.
Séance 10 :
La patiente sur le pas de la porte est à l’heure, elle tient un sac dans sa main droite. Elle entre sur l’invitation de l’art-thérapeute et va directement vers le coin rangement. Elle est plutôt détendue.
Elle choisit une toile, de petite dimension, la plus petite. L’art-thérapeute la laisse poursuivre. Puis il intervient pour la faire s’exprimer sur le choix de ce modèle. La patiente repose aussitôt la toile. Elle reprend une autre, guère plus grande, la repose puis choisit une plus petite puis la repose. Elle retourne s’assoir autour de la table. Elle semble méditer, alors l’art-thérapeute envisage une discussion au sujet de la surface d’une toile. Il demande à la patiente ce que cela lui inspire ou de quelle façon elle imagine celle qu’elle va peindre. Une discussion prend forme entre les deux protagonistes, la patiente s’exprime par des phrases succinctes après quoi elle jette un regard vers les toiles et paraît hésiter.
Elle se lève, s’approche des matériaux, les regarde, choisit une toile de petite dimension et la repose. Elle jette finalement son dévolu sur une feuille cartonnée entoilée de 20×20 cm et la pose sur la table, puis fait un essai en déposant une peinture rouge foncé ici et là sur la toile avec un pinceau assez fin. Elle va chercher un verre d’eau et une éponge, puis ajoute abondamment de l’eau sur la feuille comme pour effacer ce qu’elle vient de déposer. Elle se met à pleurer. L’art-thérapeute intervient et lui propose de poursuivre en imaginant un dessin rêvé. Elle rétorque à mi-voix, qu’elle ne rêve pas, que ce n’est pas pour elle le rêve. L’art-thérapeute poursuit tout en restant assis près de son bureau. Il lui suggère de penser à une technique de peinture qu’elle souhaite utiliser. Cette suggestion provoque un long temps de silence, puis elle s’exprime à demi-mot pour dire qu’elle ne sait pas faire. L’art-thérapeute aborde avec elle la notion de réussite dans le temps, de patientes dans son cas, et explique l’intérêt de prendre le temps de choisir son matériau et prendre le temps de créer : « Votre cerveau, vos habitudes mentales vont se modifier au fur et à mesure de vos réussites graphiques. »
Un temps de silence s’ensuit et la séance prend fin.
Séance 11 :
La patiente arrive avec quinze minutes de retard, elle entre, dit un rapide « bonjour » et se prépare. Elle quitte sa veste et la dépose avec son sac sur la patère qui lui est destinée. Elle commence par aller chercher la feuille cartonnée entoilée qu’elle a peinte et baignée d’eau lors de la dernière séance. Elle l’observe longuement, debout près du casier où elle la repose. L’art-thérapeute lui dit combien cette peinture est un bon début et l’encourage à poursuivre. Elle retourne s’assoir près de la table, silencieuse.
Ayant apporté un tablier d’artiste en tissu, elle le montre à l’art-thérapeute et demande avec une voix à peine audible si elle peut l’utiliser ici en séance. L’art-thérapeute la félicite d’avoir eu cette initiative. Parée de son tablier, la patiente se dirige vers les subjectiles qu’elle regarde avec attention. Elle hésite, en prend un, puis un autre, toujours de petite taille, pour finalement choisir une feuille cartonnée entoilée et rigide de vingt centimètres sur vingt. Elle la regarde d’un côté, de l’autre et revient, s’installe autour de la table principale et pose la feuille cartonnée entoilée. Après l’avoir tournée plusieurs fois entre les mains, elle décide de la remettre à sa place.
Elle se relève pour reprendre la feuille peinte en rouge lors de la séance précédente et chercher un pinceau ainsi que trois godets de peinture de couleurs différentes qu’elle dépose sur la table. Elle observe tout ce qui est posé et s’assoit. Après beaucoup d’hésitation, elle commence par former une courbe fine avec la peinture verte sur un bord seulement du subjectile. Puis, elle attend. L’art-thérapeute intervient à nouveau et tente de faire avancer son geste créateur pictural. La patiente reprend timidement le même geste, mais cette fois-ci elle trempe le pinceau dans le godet de peinture bleue pour créer une nouvelle courbe au-dessus de la courbe verte. Ensuite, elle prend de la peinture jaune, la dépose en une bande jaune au-dessus des autres. Sans tarder, elle peint sur un second bord de la feuille, puis sur un troisième. Elle attend, son regard fixé sur la toile. Les couleurs se mélangent, puisqu’à chaque fois elle ne rince pas son pinceau. Elle garde le regard sur sa feuille peinte, sans bouger, assise devant sa création, et ce jusqu’à la fin de la séance. Occupée par son activité peinture, elle semble avoir oublié la pause. La séance terminée, tout est bien nettoyé et rangé à sa place d’origine. La patiente acquiert une gestuelle plus affermie. (Annexe P 4s).
Séance 12 :
La patiente est à l’heure. La porte étant ouverte, elle entre. L’art-thérapeute l’accueille tout en lui rappelant la démarche entreprise lors de la dernière séance qu’il lui propose de poursuivre. Après avoir accroché sa veste à la patère, elle prend son tablier d’artiste et s’approche de la table. L’art-thérapeute revient sur ce qu’elle a amorcé lors de la séance précédente et lui propose de réfléchir à sa démarche et de poser des questions, si elle le souhaite, à tout moment. Au bout de cinq à six minutes, la patiente se lève, se dirige vers les matériaux et prend un godet de peinture rouge foncé et la feuille cartonnée entoilée déjà peinte. Elle opte ensuite pour un pinceau un peu plus épais que celui choisi précédemment. Munie des matériaux sélectionnés, elle retourne vers la table, les pose et s’installe devant la feuille, l’examine, la tourne, la retourne pour la poser dans le bon sens. L’art-thérapeute prend la parole pour indiquer l’intérêt de réfléchir au positionnement de la toile : « Que vous évoque l’emplacement de votre toile ? » Sans répondre, et après un temps assez long, elle oriente sa toile différemment. Elle prend le pinceau et l’agite sur la toile, mais elle a oublié de le tremper dans la peinture. « Pfffff… je suis bête. », dit-elle à voix basse. L’art-thérapeute dément sa bêtise, mais la patiente répète qu’elle est nulle. L’art-thérapeute invoque ses compétences actuelles et à venir, sans succès, alors il argumente sur l’intérêt d’apprendre. La patiente mélange la peinture rouge avec le pinceau et observe le mouvement de la peinture liquide dans le godet, puis dépose un peu de peinture sur la feuille. Elle a les yeux rivés sur le tracé rouge de trois ou quatre centimètres de long qu’elle a créé. Elle hésite, regarde l’art-thérapeute qui l’encourage à poursuivre et recommence ce geste pictural, le refait une troisième fois et enfin une quatrième. L’art-thérapeute sourit discrètement, car la patiente se remet à peindre. Il n’y a pas un bruit dans la salle. La patiente replonge son pinceau dans le godet pour étaler à nouveau la peinture dans un geste très lent. Elle relève ensuite la tête, se distancie de la feuille sans la lâcher des yeux. La toile n’est plus blanche. La patiente dévoile pour la première fois un léger sourire.
C’est la fin de la séance, Li va d’elle-même placer sa feuille sur l’étagère pour la laisser sécher. Elle range le godet de peinture à sa place, nettoie le pinceau dans l’évier et le pose sur l’égouttoir à pinceaux. L’art-thérapeute intervient, la félicite pour avoir entamé l’acte pictural et rangé promptement les matériaux à leur emplacement. Le visage plus détendu qu’à l’habitude, Li reprend sa veste, dit « au revoir » distinctement et sort de la salle.
Séances 13, 14 et 15 :
Ces séances se déroulent sensiblement de la même façon que la dernière. Cependant, nous remarquons une évolution progressive dans les prises de décision de la patiente concernant le choix du matériau. Elle utilise des crayons de couleur, griffonne sur des feuilles rigides à plusieurs reprises (Annexe p5), dessine et affirme son geste par des courbes, des déliés et des formes géométriques. Elle s’intéresse aux livres et revues artistiques du coin bibliothèque que l’art-thérapeute lui conseille. De plus, l’heure d’arrivée de Li à l’atelier d’art-thérapie se stabilise.
Séance 16 :
Arrivée à l’heure, la patiente entre dans la salle et lance un « bonjour » distinctement. Elle s’installe, revêt son tablier d’artiste et s’avance vers les subjectiles, encouragée par l’art-thérapeute. Ce dernier explique l’intérêt d’apprêter et de peindre une toile de grande dimension. Cependant, elle choisit une petite toile sur châssis de vingt centimètres sur vingt, qu’elle attrape et regarde de tous côtés pour finalement l’adopter. Elle demande en deux mots comment préparer ce support. L’art-thérapeute lui explique et la patiente apporte la toile et le pot d’apprêt, les pose sur la table et s’assoit. Elle les examine, puis se relève pour aller chercher un rouleau sur le conseil de l’art-thérapeute. À nouveau assise, elle se saisit de ce rouleau pour enduire la toile avec l’apprêt. C’est une première couche. Pendant ce temps, l’art-thérapeute cherche à faire réfléchir la patiente sur ce que peut représenter le mot « préparation » pour une personne, un groupe ou pour soi-même. La patiente exprime clairement que prendre son tablier est une préparation pour peindre, qu’elle prépare ses enfants pour aller à l’école, elle prépare le repas. Elle convient qu’ici elle prépare le fond de toile avec soin en appliquant l’apprêt sur toute la surface de celle-ci. Il y a malgré tout quelques coulures sur le chevalet et sur la table. L’art-thérapeute conseille d’essuyer avec une éponge que la patiente va aussitôt chercher près du lavabo.
C’est la pause. La patiente reste pourtant pour passer l’éponge sur la table, malgré la proposition de l’art-thérapeute de profiter de cette pause. Avec l’éponge et la serviette, la patiente frotte vigoureusement les coulures. C’est propre, tout est remis en place. La toile blanche sèche pendant que la patiente se désaltère d’un verre d’eau. La patiente prend le temps de s’assoir dans le fauteuil de l’alcôve. À son retour, elle demande à l’art-thérapeute si elle peut passer la seconde couche. Il le lui confirmer et en profite pour lui demander ce qu’elle va peindre sur cette toile.
La patiente ne sait pas si elle peut dessiner sur une toile avec un crayon à mine. La discussion s’engage sur l’utilisation de crayons sur les supports en général, et sur la toile en particulier. Li écoute puis observe la toile apprêtée. L’art-thérapeute propose une pause pendant le séchage de la toile enduite. Aussitôt la patiente sort de l’atelier et fait quelques pas à l’étage, s’octroie un temps de détente pour revenir après dix minutes.
À son retour, elle passe une seconde couche d’apprêt. La fin de la séance approche. D’elle-même, la patiente range et nettoie le matériel. Elle accroche son tablier d’artiste sur la patère qui lui est attribuée, reprend sa veste et sort de la salle en prononçant un « bonsoir » assez audible.
Séance 17 :
La patiente est à l’heure. Elle entre dans l’atelier en disant « bonjour ». Elle annonce se remettre d’une grippe. Elle entame cette séance en posant sa veste sur la patère, puis elle enfile son tablier d’artiste et choisit une toile et de nouvelles peintures.
L’art-thérapeute lui conseille l’utilisation d’une palette. Elle en choisit une, puis prend deux pinceaux. Après avoir passé un moment à scruter, prendre et reposer des tubes de peinture acrylique, elle prend quatre tubes et les pose sur la table se trouvant au milieu de la salle. Elle y dépose également la palette et les deux pinceaux puis s’assoit. Elle ouvre les tubes l’un après l’autre et les presse entre ses doigts pour déposer de la peinture sur la palette. Elle sourit à chaque jet. Puis, sur ces tas de peinture plus ou moins réguliers, elle plonge le pinceau une fois dans un tas, une fois dans un autre, sans oublier de rincer le pinceau à l’eau à chaque nouvelle prise de peinture.
La patiente commence à peindre sur la toile de petite dimension. La texture de la peinture est plus ou moins épaisse et le rendu diffère selon la quantité d’eau apportée par le pinceau. La patiente porte toute son attention sur cette activité peinture. Elle a des gestes beaucoup plus fluides qu’auparavant. Elle débute la création d’une œuvre. Elle dépose du bleu, du rouge, du marron et du rose, de façon calme et détendue. Sa gestuelle se délie. Ses mouvements sont plus amples, elle prend du recul, considère son ouvrage et se remet à peindre. Tout son corps participe, les mains, le thorax et les jambes. Elle prend la posture de l’artiste.
Au bout d’un moment, elle décide de s’octroyer une pause plus longue qu’à l’habitude, car elle se dit fatiguée. Pour la première fois, elle décide de s’installer dans le grand fauteuil très confortable et s’endort en quelques minutes. Une vingtaine de minutes s’écoulent avant qu’elle se réveille. Elle se lève alors subitement et s’excuse par trois fois auprès de l’art-thérapeute, bredouillant qu’elle s’est endormie, épuisée par la nuit passée auprès de sa fille malade. Elle paraît affolée, se dirigeant vers la porte d’entrée, tournant sur elle-même comme si elle cherchait la sortie. L’art-thérapeute intervient aussitôt pour la rassurer par des mots apaisants et l’invite à respirer profondément, puis à se remettre dans le fauteuil pour se détendre. Elle préfère sortir. L’art-thérapeute l’accompagne jusqu’au patio au rez-de-chaussée, où la patiente se met à marcher de long en large avant de s’apaiser. Les deux protagonistes reviennent en salle d’art-thérapie et entame un dialogue sur ce qui vient de se passer. Entre paroles et sanglots, la patiente se confie sur ses peurs nocturnes et ses cauchemars. L’art-thérapeute tente de la rassurer et lui confirme que ce dispositif se veut un lieu de détente pour elle. Puis, la fin de la séance venue, Li range le matériel à un rythme lent. Cependant, tout est rangé correctement.
Séance 18 :
La patiente se présente à l’heure sur le pas de la porte, entre dans l’atelier. L’art-thérapeute l’accueille et lui propose de s’organiser pour être à l’aise. Elle prend son tablier d’artiste et file d’un pas décidé vers le casier pour rapporter la toile apprêtée, une palette propre et les tubes de peinture bleue, rouge, marron et rose qu’elle installe sur la table.
Elle met en place sa toile sur le chevalet de table, s’assoit puis dépose en trois coups de pinceau de la peinture bleue sur le milieu de la toile. La forme obtenue ressemble vaguement à un triangle que la patiente examine avant de rajouter une autre couche bleue. Elle contemple quelques minutes le résultat. Pendant ce temps, l’art-thérapeute entame une conversation à laquelle Li participe peu. Elle ne répond pas aux questions de l’art-thérapeute. Elle peint et se lève pour mieux se placer face à la toile.
Li poursuit l’acte pictural. Nous la sentons à l’aise, au point que l’image paraît immanente du corps. L’image se fait plastique. Elle rajoute une touche de peinture diluée d’un bleu plutôt clair autour des premières couches d’un bleu plus profond, ce qui donne de l’épaisseur au centre.
C’est la pause, le moment de laisser sécher la peinture. La patiente abandonne tout et sort de l’atelier. Elle fait quelques pas et entre à nouveau, après cinq minutes ; elle se place devant la toile et reste debout pour l’observer, comme indécise à poursuivre la peinture. Elle regarde la peinture qui coule encore. Elle nettoie le chevalet avec une éponge, puis reprend son activité picturale. Elle tourne la toile le haut vers le bas. Elle observe à nouveau les coulures sur la toile. Elle signale que la peinture coule encore. « Ça coule. », dit-elle à l’art-thérapeute qui en profite pour amorcer un échange spontané se prolongeant pendant quelques minutes au sujet des types de peinture et de leur compacité. Par des questions pertinentes, la patiente fait preuve d’intérêt pour ces informations. Encore plusieurs touches de peinture et la séance prend fin. La patiente se recule, regarde sa toile comme pour en garder le souvenir jusqu’à la prochaine séance. Puis elle la range sans un mot dans le casier qui lui est concédé, pour finalement prononcer un « merci et bonsoir » net en s’en allant.
Séance 19 :
La patiente arrive avec dix minutes de retard, s’excuse et prend place sur la chaise devant la table. L’art-thérapeute lui propose de laisser sa veste sur la patère pour être plus à l’aise et lui rappelle : « Ici, c’est un lieu qui vous est destiné pour le temps des séances, sentez-vous à l’aise. » La patiente quitte sa veste et la range dans le fond de l’atelier.
Elle reprend dans son casier les peintures utilisées lors de la dernière séance, le godet d’eau, une palette propre et les pose sur la table. Elle dispose la toile sur le chevalet, puis la tourne d’un côté et de l’autre pour trouver la bonne position avant de se lancer. Elle applique de la peinture bleue au pinceau à trois reprises, puis de la peinture blanche un peu partout. Elle hésite, puis recouvre la couleur bleue. Tout est maintenant recouvert de blanc. Là, elle s’assoit et regarde longuement. L’art-thérapeute intervient et entame une discussion au sujet du blanc qui recouvre les couleurs. Elle explique : « C’est mieux comme ça. » « Pourquoi ? », demande l’art-thérapeute. « On voit plus rien. », répond-elle. Prétextant qu’elle est stupide et qu’elle ne sait pas faire, elle pleure abondamment. L’art-thérapeute dépose la boîte de mouchoirs à usage unique devant elle et lui confirme la progression attestée par son activité picturale ici en séance. Il tente de lui faire dire ce qui se cache derrière la peinture blanche. À peine le temps de dire « ça fait mal », qu’elle éclate en sanglots. Le temps passe. La patiente dit que cela lui fait mal, mais que c’est par là qu’elle doit passer. Elle marque un temps d’arrêt pour considérer cette toile blanche, puis décide de la colorer à nouveau. Du gris plus ou moins sombre apparaît un peu partout.
La patiente sort de l’atelier et, à son retour, reprend son activité. Vers le chariot peinture, elle explore les tubes, en choisit deux autres et les apporte sur la table. Elle enduit la toile avec les peintures orange et terre de Sienne nouvellement acquises. La peinture est apposée de façon assez prosaïque. Cependant, le langage de la patiente évolue verbalement et ses gestes s’amplifient et se précisent, bien que parfois ils régressent.
La patiente peint avec plus d’assurance quand ses gestes se démultiplient, elle a des mouvements plus ordonnés. De plus, elle s’intéresse toujours davantage aux livres et revues d’art et pioche des idées dans le coin bibliothèque. Elle oriente son choix sur des lectures concernant l’art postmoderne. L’art-thérapeute assure que ses lectures nourrissent ses pensées, donnent de nouvelles images qui réveillent parfois des images du passé. Il suggère de se servir de la bibliothèque dans la mesure où c’est un espace de détente pour elle. La patiente en pleurs répond : « Mais j’en peux plus. » L’art-thérapeute lui demande de préciser sa pensée. Elle répond par ces mots : « Cette vie de mélasse. » Il ajoute que l’important est d’acquérir un nouveau regard, un nouvel espace de vie à soi, son espace intérieur lors des séances. « Ahh » est la réponse indiscernable de la patiente.
Au bout d’un moment, Li reprend le pinceau et se remet à peindre, sans un mot. Des traits verts font le tour de la toile. Puis après une pause rapide, la patiente relève les manches de son pull et reprend le pinceau pour déposer en alternance des traces orange clair et terre de Sienne. Elle persiste dans le geste pictural quand l’image plastique s’anime. (Annexe P 6)
C’est la fin de la séance, elle nettoie le matériel et remet tout en place. Au moment de partir, elle chuchote un « au revoir ».
Séance 20 :
La patiente entre dans l’atelier en prononçant un « bonjour » engageant. Elle se met à l’aise et réfléchit un moment avant de reprendre ses matériaux dans le casier. Elle les apporte sur la table et se met à peindre sur la toile de la séance précédente. Nous voyons apparaître à l’extrémité du pinceau des traits assez fins contournant les taches orange et brunes toujours présentes en forme de cube et de chat (Annexe P 7). Nous voyons Li affairée dans la créativité de l’image plastique pendant plus d’une demi-heure, après quoi elle semble épuisée. Elle prend une pause, assise sur le banc dans le hall. À son retour, l’art-thérapeute demande à la patiente : « S’il vous vient à l’idée une représentation de vous-même, quelle métaphore vous utilisez ? Parlez de ce qui vous vient, maintenant. » Mais il n’obtient aucune réponse. L’art-thérapeute réitère la question sans succès. Il explique alors la représentation de soi, la métaphore et la façon dont on peut l’exprimer par la peinture. Il tente d’engager une discussion avec la patiente. La patiente prend la parole et demande : « C’est…heu… c’est quoi la métaphore ? » L’art-thérapeute explique, tout en lui posant des questions courtes afin de s’assurer que la métaphore fasse écho. « C’est difficile. », répond la patiente. L’art-thérapeute l’encourage et demande ce qui est difficile. Elle répond en indiquant sa toile du doigt : « Ben, ça… je sais pas faire. » L’art-thérapeute explique que la métaphore est une représentation imagée ou une façon de se voir de manière subjective. À l’aide du dessin ou de la peinture, il est possible de représenter une personne, un objet ou soi-même, tels qu’on les perçoit dans la vie de tous les jours, tels qu’on se les représente.
L’art-thérapeute propose à la patiente d’abandonner sa main, au pinceau. Elle réfléchit. Après une ou deux minutes, elle reprend son pinceau et trace quelques courbes plus ou moins épaisses. Nous identifions des formes telles qu’une boîte et un chat. Puis, après un regard sur l’horloge murale qui annonce bientôt la fin de la séance, la patiente prépare et range les matériaux, lave les contenants et dépose tout à sa place. Elle enfile sa veste tout en émettant un « whouaou » d’une amplitude sonore nouvelle, ajoutée de « Cette journée est… me libère… au revoir, au 15 ! »
Séance 21 :
Dès qu’elle arrive dans l’atelier, la patiente s’installe, s’organise et utilise volontiers les matériaux. Il a fallu une vingtaine de séances pour que cette patiente décide d’entrer dans la créativité. Aujourd’hui, son tablier d’artiste enfilé, encouragée par l’art-thérapeute, elle hésite devant autant de subjectiles : « Quel choix, oh lala ! » dit-elle. Au bout d’un long moment d’hésitation, elle adopte une toile de grande dimension. Elle regarde l’art-thérapeute comme pour avoir son aval. Ce dernier l’encourage dans cette décision et évoque l’étendue de cette surface, et de l’espace en général, en lui demandant dans quel lieu elle se sent le mieux. « Ici, c’est bien. », répond-elle. Elle s’empare pour la première fois d’une toile de 80×100 et s’arrête sur cinq tubes de peinture acrylique, plusieurs pinceaux et une palette avec un godet d’eau, tout en regardant l’art-thérapeute d’un air triomphant. « Vous faites un très bon choix. », dit-il. Elle pose le tout sur la table et demande dans quel sens utiliser la toile. L’art-thérapeute évoque quelques critères requis en art plastique pour orienter une toile. La patiente écoute et pose sa toile sur le chevalet de table dans un sens, puis dans l’autre, elle hésite, pour arrêter son choix dans le sens de la hauteur. Elle regarde autour d’elle et semble se poser une question. L’index droit sur les lèvres et la main gauche frottant le dessus de sa tête, elle fixe un chevalet sur pied et s’interroge sur la nécessité de s’en servir. L’art-thérapeute lui propose d’opter pour un modèle en expliquant l’intérêt de chacun. Le choix opéré, l’art-thérapeute énonce les possibilités d’utilisation de l’outil et l’aide à l’installer. La patiente vérifie le bon équilibre du chevalet et s’empresse de poser sa toile dessus dans le sens de la hauteur. Elle semble heureuse, d’après son sourire et son attitude plutôt détendue. Puis elle étale la peinture sur la toile avec un pinceau de taille moyenne pour créer le fond. Li s’octroie une courte pause, le temps de boire un verre d’eau, et revient vers sa toile. La peinture sèche, Li ébauche au crayon une forme humaine, elle s’applique et cela prend du temps. La fin de séance approche et Li s’inquiète de l’heure ; l’horloge signale la fin de la séance. Elle arrête son activité et remet tout en place, quitte promptement son tablier d’artiste et formule un « au revoir et merci » audible en passant le pas de la porte.
Séance 22 :
Cette séance se passe sensiblement comme la précédente.
La patiente arrive à l’heure. La porte de l’atelier étant ouverte, la patiente entre en disant bonjour et s’installe. Elle agit avec empressement et organisation. Elle est à nouveau devant son matériau en place et regarde longuement la forme dessinée sur la toile lors de la dernière séance. Elle prend un crayon, réfléchit, puis le repose. Elle reprend les peintures utilisées lors de la dernière séance et se remet à peindre. Elle apprend à mélanger les peintures sur la palette, ce qui l’absorbe bien. Elle peint la toile par petites touches successives à l’aide de pinceaux fins. Puis, trouvant un pinceau plus large, elle recouvre la toile en entier, tantôt avec une teinte claire, tantôt avec une teinte plus foncée. L’art-thérapeute lui propose de faire une pause qu’elle accepte volontiers, laissant là toile et pinceaux. Après une dizaine de minutes, elle reprend son ouvrage et s’applique à dessiner à nouveau une forme humaine. Elle utilise une nouvelle peinture en tube de texture granuleuse et d’un bleu soutenu.
Le temps passe, Li est absorbée par la créativité et c’est l’art-thérapeute qui prévient de la fin de séance. « Oh, déjà », réplique-t-elle dépitée et à la fois heureuse de mesurer le parcours accompli aujourd’hui. Elle regarde la toile attentivement et tarde à se décider à ranger le matériel. L’art-thérapeute ose un léger rappel et la patiente lâche la toile des yeux pour s’activer. Tout est bien remis en place en temps voulu.
La patiente repart d’un pas allègre et prononce un « au revoir et merci » distinctement.
Séance 23 :
La patiente est dans le hall depuis quelques minutes, elle attend que la porte s’ouvre. Lorsque l’art-thérapeute l’invite à entrer, elle va directement au fond de l’atelier, se prépare et récupère les matériaux et outils utilisés lors de la séance précédente. La voilà en place. L’art-thérapeute la complimente sur sa façon plaisante de se mettre au travail. Elle répond : « Ah ouais, c’est un travail. » Elle se remet à mélanger les différentes peintures puis à peindre. Au bout d’un moment la patiente regarde sa toile ; elle paraît indécise. Elle se met à pleurer et dit : « Décidément, je suis nulle, je ne sais pas ce que je fais. » Une conversation s’engage entre l’art-thérapeute et la patiente au sujet de ce que la patiente souhaite faire apparaître sur la toile, mais elle ne sait pas l’exprimer. « Et puis ça me donne envie de pleurer. », dit-elle.« Mon passé est douloureux mais je connais pas mon avenir. »,pleure-t-elle. Puis la conversation se poursuit par de petites phrases entremêlées de sanglots pour la patiente qui tente d’expliquer ce qu’elle souhaite peindre, mais cela semble douloureux et difficilement exprimable. Elle ajoute : « Des fois je suis triste, et puis je suis en colère parce que je suis triste, c’est la honte. » L’art-thérapeute fait face à cette situation éprouvante pour la patiente. sa stratégie consiste à convoquer la réalité effective de la patiente et de lui suggérer de laisser venir les souvenirs douloureux, de ne pas les contourner, mais de les dire. La colère est là et il conseille de l’exprimer. « Que pouvez-vous faire de cette colère ? », demande-t-il. La patiente éclate en sanglots, met la tête entre ses mains et tape du pied. L’art-thérapeute lui suggère de laisser venir les émotions.
Temps de silence.
Puis, la patiente met les mains sous la table, pressées l’une contre l’autre, et ses mots ne sortent que par bribes. Un peu de temps s’écoule, l’art-thérapeute annonce la fin de la séance. La patiente range les matériaux à leur place et s’en va discrètement, sans parler.
Séance 24 :
La patiente arrive à l’heure, elle est plutôt tendue. Elle dit ne pas être sûre de pouvoir reprendre la peinture sur cette toile : « C’est nul, c’est moi qui l’ai fait, c’est nul. » L’art-thérapeute lui propose d’expliquer pourquoi elle trouve que son travail est nul, et l’encourage à voir ce qui est positif, puis à reprendre la palette et le pinceau. Ce qu’elle fait. Elle peint avec de nombreux temps de pause. Elle s’exprime sur le choix de ses couleurs. Par exemple, elle précise : « Le beige, c’est parce que c’est du sable ; le bleu c’est des coquillages. » (Annexe p8). Ensuite, elle ajoute un peu de peinture grise, regarde la toile, accentue ce gris de deux coups de pinceau puis s’assoit. Elle regarde cette toile qui se transforme peu à peu. Malgré des pleurs, la patiente continue de peindre. L’image plastique évolue. L’art-thérapeute encourage l’acte créateur et sollicite la parole de la patiente. Celle-ci dépose un peu de peinture sur la toile, arrête ce geste et prononce quelques mots pour manifester la raison de sa présence : « J’aurais pas pensé que ça se passe comme ça. » L’art-thérapeute quête des précisions. La patiente ajoute : « Pfffou, ça me met dans mes états, c’est bien que je sois là avec vous. » « Que voulez-vous dire ? », demande l’art-thérapeute. « Ben, si j’étais seule, j’arriverais pas, mais pas du tout, j’étais lessivée. » La patiente ajoute quelques phrases sur sa façon de vivre au cours des séances en lieu sûr et dans la difficulté de vivre seule dans l’après séance. Elle reprend : « des fois je pars et je suis, je suis fatiguée et ça me donne pas envie de revenir, je sais pas de quoi j’ai peur. » « Et pourtant vous revenez. », ajoute l’art-thérapeute qui la rassure sur le fait qu’elle est sur la bonne voie.
C’est la fin de la séance. La patiente nettoie, range le matériel et, quand tout est à sa place, elle repart.
La patiente formule des phrases plus longues qu’au cours des séances précédentes, elle s’exprime verbalement avec plus d’aisance.
Séance 25 :
La voilà de retour dans le hall, elle s’avance et dit « bonjour » en saluant de la main. L’art-thérapeute l’accueille et la salue. La patiente s’installe, rassemble ses matériaux, pose la toile sur le chevalet et commence à peindre.
L’art-thérapeute intervient dès le début et conseille à la patiente de s’adresser à sa toile. Un peu déstabilisée par cette suggestion, cette dernière s’assoit proche de sa toile et l’observe attentivement. Elle est en tête à tête avec celle-ci quand tout à coup elle se met à pleurer. Elle tire deux ou trois mouchoirs de la boîte pour essuyer son visage. Elle tremble et explique avoir l’impression d’avoir une grosse boule dans la gorge. L’art-thérapeute lui propose de s’assoir dans le fauteuil du fond de l’atelier pour se reposer un court instant. Elle s’assoit et écoute l’art-thérapeute qui reste à proximité assis près de son bureau. Après une quinzaine de minutes, la patiente se lève et s’installe devant sa toile. D’un geste assez ferme, elle s’acquitte de l’acte créateur pendant le reste de la séance. Avec une expression gestuelle plutôt fluide, la patiente poursuit la création de son œuvre qui change d’aspect au fur et à mesure des couches successives de différentes teintes.
En fin de séance, la patiente dit : « la prochaine fois, ça va le faire… je vais y’aller à fond. » Elle sourit et promet à sa toile de revenir en forme. Puis elle range le matériel et sort de l’atelier en saluant d’un « au revoir et merci » convaincant.
Séance 26 :
La patiente arrive dans l’atelier, prononce un « bonjour » de façon claire, se préoccupe de ses matériaux et les installe sur la table. La toile posée sur le chevalet, Li commence à peindre.
L’art-thérapeute propose à la patiente de reprendre leur discussion de la séance précédente. Elle s’exprime verbalement avec plus de précision qu’auparavant, ses mots sont plus riches. Sa gestuelle se délie au point que verbal et gestuel se chevauchent. Elle raconte sa toile : « C’est un corps de femme… là, c’est ça des coquillages, des ormeaux… » Nous observons en effet de petits amas d’un gris-bleu ici ou là sur un corps de femme. La patiente complète : « … Elles sont bleues parce que c’est à la mer… » Elle ajoute du bleu foncé, en insistant à plusieurs reprises avec son pinceau sur les coquilles qui deviennent dodues. Son pinceau parcourt les amas bleu foncé.
Le temps s’écoule. C’est seulement deux séances plus tard, à la séance 28 que la patiente raconte les coquillages à l’art-thérapeute : « Ce sont des bleus après les coups, il a cogné [sanglots] ça a duré toutes les vacances, j’en avais partout, pourtant je nourrissais mon bébé… » Elle fond en larmes.
La séance se termine. La patiente épuisée, range la toile péniblement dans le casier et repart lentement de l’atelier ; c’est l’art-thérapeute qui finit le rangement de ses matériaux.
Séance 29 :
Au cours de cette séance, la patiente qui arrive à l’heure, s’installe, reprend ses matériaux et améliore le contour de sa peinture qui évoque une femme, toutefois bien ombrée. Les bleus sont atténués mais persistent sur le corps de la femme. La patiente échange quelques mots avec l’art-thérapeute, les phrases entrecoupées par de longs silences. L’art-thérapeute écoute. La patiente trace maintenant des lignes verticales par devant la silhouette de femme, que l’on distingue derrière des barreaux. Li justifie : « On dirait qu’elle pourrait s’échapper mais elle peut pas. » Comme si la femme aux ormeaux était coincée là. L’art-thérapeute sollicite la raison de cette allégorie auprès de la patiente qui ne sait pas trop. Confuse, elle explique la métaphore des coquillages, d’un air triste. À la suite de quelques minutes d’observation de la toile et de son rangement dans le casier, Li repart de l’atelier. Nous entendons un vague « au r’voir ».
« C’est un souvenir de vacances qui lui permet de dire sa souffrance. », précise l’art-thérapeute.
Séance 30 :
La patiente entre à l’heure dans l’atelier, se met en place et termine sa toile. Elle arrête l’acte pictural et authentifie son œuvre : « Maintenant que vous savez, ça m’aide. Je sais que j’existe, je me sens mieux. », dit-elle calmement. Après avoir échangé quelques mots avec l’art-thérapeute sur le déroulement des séances et sur l’évolution de l’image plastique, la patiente évoque la difficulté de mise en route des séances et la peur de ne pas savoir faire. L’art-thérapeute l’encourage à poursuivre les efforts commencés ici.
Après le rangement des matériaux, Li reprend sa veste et son œuvre avec des gestes calmes. Souriante, elle remercie l’art-thérapeute d’une voix claire. Les épaules franchement ouvertes, le dos droit et souriante, elle quitte l’atelier d’une démarche assurée avec son œuvre sous le bras, trace de la restructuration langagière, sa nouvelle parure, et surtout le « passage tant attendu de dire : je choisis, donc je fais », selon Li.
Lors de la dernière séance, l’art-thérapeute propose à la patiente, avant qu’elle ne parte, un suivi chez un psychologue ou un psychiatre dans le but de poursuivre le bénéfice acquis en séances. En effet, il conseille de garder un accompagnement à la sortie du dispositif des séances d’art-thérapie pour continuer à avancer dans sa vie sociale. Lors de sa première séance, nous nous souvenons de l’attitude de la patiente repliée sur elle-même, de sa démarche chancelante. Nous nous souvenons également de son sentiment d’inconfort et de ne pas être à sa place. Après trente séances, cette patiente repart avec un visage nouveau. Émancipée, elle est décidée à affronter la vie. L’art-thérapeute précise : « Dans une progression très lente, les patientes accèdent à la production plastique picturale qui suscite en elles des émotions, des messages subjectifs avec lesquels elles perçoivent leur environnement. Elles restructurent leur langage c’est indéniable. »
La séance est rythmée par des temps d’accueil, de création et de réflexion quand cela est possible. La patiente agit très progressivement.
La préparation des femmes victimes de violences conjugales pour leur première séance d’art-thérapie est une phase cruciale. La fin de séance est particulièrement décisive, car elle conditionne leur poursuite. Chaque patiente intègre peu à peu l’idée d’entrer en dialogue avec une production picturale. Elle joue avec les formes, les couleurs et les textures et se laisse surprendre par ce qui naît de ses mains. L’art-thérapeute préserve le dispositif, espace structurel d’intervention des protagonistes et d’enjeu thérapeutique.
En conclusion, dans le cadre de l’hôpital, le système art-thérapeutique est au service de toutes les patientes pour favoriser une continuité d’accompagnement grâce à l’équipe de soin qui se réunit régulièrement, contrairement aux cabinets privés lorsqu’ils ne sont pas en lien avec le service d’un hôpital. Quoi qu’il en soit, les art-thérapeutes rencontrés proposent un suivi psychologique à chaque patiente, dans la continuité des séances d’art-thérapie.
Les violences conjugales subies par les femmes victimes et les conséquences sur leur santé nécessite que ces femmes sortent du cercle violent et destructeur. L’intérêt du soin en art en thérapie est d’expérimenter l’image qui fait sens, dans un processus de transformation de soi.
Art-thérapeute et patiente échangent, chacun avec son langage verbal et gestuel, pour que l’image plastique picturale créée permette à la patiente de s’exprimer et de transformer progressivement ses peurs en désir de vivre. La notion de dispositif se réfère à un cadre rigoureux, un lieu facilitant la créativité de la patiente, en présence de l’art-thérapeute.
Chapitre 2 – Analyse
-
Être auprès des femmes victimes de violences conjugales en séance
-
De l’action à la perception, via les émotions
Chapitre 3 – Discussion
Conclusion générale
Une clinique pragmatique pour une restructuration langagière par l’image artistique ?
(NORMES APA)
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Sigles et acronymes utilisés 10
PARTIE I – Le contexte des violences conjugales envers les femmes 13
Chapitre 1 – La particularité des violences conjugales envers les femmes 14
A. Les types de violences conjugales 15
2. La violence psychologique 17
B. Le cycle des violences conjugales 19
C. Les chiffres de la violence conjugale en France 22
D. Les travaux de recherche dans le domaine des violences conjugales 26
A. La particularité d’une femme victime de violences conjugales 28
B. Les conséquences des violences conjugales 29
1. De la violence subie à l’empêchement de vivre 29
2. De l’altération du sentiment de soi à la souffrance 31
3. Le déni dans le cas de femmes victimes de violences conjugales 32
4. De la mise sous emprise au suicide 34
5. Des symptômes difficiles à déceler 35
6. Effet de la violence, de la domination à l’anéantissement 36
8. De la violence conjugale à la norme dé-socialisante 37
C. Blessures visibles, blessures invisibles 39
1. De la violence à l’indicible 39
2. De la subtilité à la perversité 40
3. De l’oppression à la résignation 42
Chapitre 3 – Du besoin de restructuration langagière à l’art-thérapie 46
A. Le besoin de restructuration langagière chez des femmes victimes de violences conjugales 46
Partie II – Partie empirique : Recueil des données et résultats 53
A. La démarche qualitative de collecte des données 54
a) Principe de l’entretien semi-directif 54
b) Avantages et justification du choix 54
c) Construction de l’outil de collecte de données : la grille d’entretien 54
d) La population étudiée : les art-thérapeutes 54
e) Déroulement des entretiens 54
a) Principe de la méthode d’observation 54
b) Avantages et justification du choix 54
c) Construction de l’outil d’observation : la grille d’observation 54
e) Le dispositif d’observation : l’atelier de peinture 55
f) Déroulement de l’observation 55
B. Traitement des données qualitatives : l’analyse thématique des résultats d’entretien 55
1. L’interprétation des entretiens sur le terrain 56
a) Le rôle des art-thérapeutes 56
2. L’interprétation des observations 56
B. L’interprétation des résultats 56
a) Nécessité de la présence de l’art-thérapeute 56
2. La patiente, femme victime 56
CHAPITRE ….. De la pratique art-thérapeutique à la restructuration langagière 58
Chapitre 1 – Aspect descriptif 60
A. Le dispositif ou la subsistance du lien 60
C. Observation des patientes et des art-thérapeutes lors des séances 65
1. La première séance d’art-thérapie, du silence à l’ouverture de soi 65
2. Les séances d’art-thérapie suivantes 68
3. Observation des art-thérapeutes en cours de séances d’art-thérapie 75
4. Le cas d’une patiente : observation et illustration 78
A. Analyse et questionnement : la prise de conscience 103
1. Aspect pragmatique dans les séances d’art-thérapie 103
2. Être auprès des femmes victimes de violences conjugales en séance 103
3. De l’action à la perception, via les émotions 103
4. D’image et de sémiologie 103
a) Image vue ou images lue ? 103
b) Le sens par la peinture 103
B. De l’expression non verbale à la restriction langagière 103
A. Clinique et pragmatique en art-thérapie 104
B. Nécessité de l’action, des émotions et de la perception 104
1MINISTÈRE DE L’INTÉRIEUR, Délégation aux victimes. Étude nationale sur les morts violentes au sein du couple -2020.
2Qu’est-ce qu’on attend pour mieux accompagner les femmes ?Tu me fais peur quand tu cries : Sortir des violences conjugales, Ginette Francequin éd., Toulouse: Érès,2010,pp.169-172.
3MAYBrian, Qu’est-ce que la violence conjugale ? En ligne : www.amnesty.be (consulté le 18/02/2013).
4Magalie, assistante sociale depuis 14 ans, Solidarité Femmes, Grenoble, 2020.
5GOUVERNEMENT DU QUÉBEC, Revue internationale de criminologie et de police technique et scientifique, 2012. 2/14, p. 141.
6TISSERON Serge, De la honte qui tue à la honte qui sauve, Le Coq-héron2006/1 N° 184, pp. 18 -31. En ligne : https://doi.org/10.3917/cohe.184.31.
7cf. écrit de Mme Laugier, SOS femmes, Grenoble,2007.
8DELBREIL Alexia, VOYER Mélanie, SENON Jean-Louis, Chapitre 22. Violence et homicide au sein du couple, Psychocriminologie, Collection Psychothérapies, DUNOD, 2012, pp. 283-293.
9https://www.smeno.com/blog/sante-bien-etre-prévention/ (consulté le 19 juin 2020).
10https://arretonslesviolences.gouv.fr/ (consulté le 05/08/22 et le 04/11/2023).
11Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains, Rapport d’activité 2013 – 2017, http://www.vie-publique.fr (consulté le 16/03/2019).
12OMS, Rapport sur la violence et la santé, OMS, 2002, 375 p.
13HENRION Roger, Les femmes victimes de violences conjugales : le rôle des professionnels de santé. Rapport au ministre délégué à la Santé, Paris : La Documentation Française, 2001.
14MUCCHIELLI Laurent, Une société plus violente ? Analyse socio-historique des violences interpersonnelles en France, des années 1970 à nos jours. Déviance Société 2008/2 ( Vol. 32), pp. 115-147.
15LOI n° 2023-140 du 28 février 2023. En ligne : https://www.legifrance.gouv.fr/eli/loi/2023/2/28/PRMC2230275L/jo/texte-Alias(consulté le 04/09/2023) et JORF n°0051 du 1 mars 2023 Texte n°1. En ligne : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/jo/2023/03/01/0051 (consulté le 04/09/2023).
16Collection des rapports officiels – Rapport au ministre délégué à la santé. 2001. « les femmes victimes de violences conjugales, le rôle des professionnels de santé », Réalisé par un groupe d’experts, sous la présidence du professeur Roger Henrion. La documentation Française /HAL. En ligne : https://theses.hal.science/tel-02927766 (consulté le02/09/2020).
17VOYER Mélanie, DELBREIL Alexia, SENON Jean-Louis, Violences conjugales et troubles psychiatriques, L’information psychiatrique, 2014/8 (Volume 90), pp. 663 -671. En ligne : https://doi.org/10.1684/ipe.2014.1251
18Nommer et compter les violences envers les femmes : une première enquête nationale en France, Population et sociétés n° 364, Ined, janvier 2001.
19JASPARD Maryse, BROWN Elisabeth et CODON Stéphanie, Les violences envers les femmes en France : Une enquête nationale – 19 juin 2003, La Documentation Française, 374 p.
20BARBIER Maria, La face cachée de la violence conjugale : la relation d’emprise, une violence dissimulée, Tu me fais peur quand tu cries !, 2010, pp. 123-129. En ligne :https://doi.org/10.3917/eres.franc.2010.01.0123
21BARBIER Maria, La face cachée de la violence conjugale : la relation d’emprise, une violence dissimulée, Tu me fais peur quand tu cries !,2010, pp. 123-129. En ligne : https://doi.org/10.3917/eres.franc.2010.01.0123
22MANSEUR Zahia, Entre projet de départ et soumission : la souffrance de la femme battue, Pensée plurielle,2004/2 (n o8), pp. 103-118. En ligne :https://doi.org/10.3917/pp.008.0103
23TOMASELLA Saverio, HUBER Barbara Ann, L’emprise affective. Sortir de sa prison, Eyrolles, 2014.
24HIRIGOYEN Marie-France, Pourquoi il est important d’aider les femmes à refuser la violence psychologique ?,Tu me fais peur quand tu cries !(2010),pp. 53-61. Enligne : https://doi.org/10.3917/eres.franc.2010.01.0053
25HIRIGOYEN Marie-France, Pourquoi il est important d’aider les femmes à refuser la violence psychologique ?,Tu me fais peur quand tu cries !(2010), pp. 53-61. Enligne :https://doi.org/10.3917/eres.franc.2010.01.0053
26WELZER LANG Daniel, Les hommes violents, Lierre et Coudrier, Paris, 1991,pp.48-71.
27MANSEUR Zahia, Entre projet de départ et soumission : la souffrance de la femme battue, Pensée plurielle, 2004/2 (n° 8), Éditions De Boeck Supérieur, pp.103-118. En ligne : https://doi.org/10.3917/pp.008.0103
28HIRIGOYEN Marie-France, Femmes sous emprise ; les ressorts de la violence dans le couple, Oh ! Éditions, 2005,pp.71-79.
29DALIGAND Liliane, GONIN Didier, 1993, Matières à réflexion, « Viol comme violence »,Violence et victimes, Lyon : Méditions.
30TISSERON Serge, De la honte qui tue à la honte qui sauve , Le Coq-héron,2006/1 (n° 184), pp. 18-31. En ligne : https://doi.org/10.3917/cohe.184.31
31Ibid.
32MELIN Valérie , Le corps entre objet de déni et support de subjectivation, Une mise en perspective du processus de raccrochage d’élèves au microlycée de Sénart, Éprouver le corps,2016,pp. 81-92. En ligne : https://doi.org/10.3917/eres.delor.2016.01.0081
33BOKANOWSKI Thierry, Le concept de traumatisme en psychanalyse, 2015. En ligne : https://doi.org/10.4000/sillagescritiques.4153 (consulté le 24/08/2021).
34TISSERON Serge, De la honte qui tue à la honte qui sauve, Le Coq-héron, pp. 18-31. En ligne : https://www.cairn.info/revue-le-coq-heron-2006-1.htm
35ROUSSILLON René, Jalons et repères de la théorie psychanalytique du traumatisme psychique. Revue Belge de Psychanalyse, 2002, pp. 24–42.En ligne :https://reneroussillon.com/situations-extremes/theorie-psychanalytique-du-traumatisme(consulté le 14/02/2020).
36KLEIN Jean-Pierre, Penser l’art-thérapie, PUF, Paris, 2016, pp.107-112.
37KLEIN Jean-Pierre, L’art-thérapie, Cahiers de Gestalt-thérapie, 2007/1 (n°20), pp. 55 – 62. En ligne : https://www.cairn.info/revue-cahiers-de-gestalt-therapie.htm
38SADIER Benjamin, DELANNOY Jean-Jacques, BENEDETTI Lucella et al., Further constraints on the Chauvet cave artwork elaboration, Proceedings of the National Academy of Science, 109 (21), 2012. En ligne :10.1073/pnas.1118593109
39 KLEIN Jean-Pierre, L’art-thérapie, Cahiers de Gestalt-thérapie2007/1 (n° 20), pp. 55 à 62.
40 VERMERSCH Pierre, L’entretien d’explicitation, ESF éditeur, 6e édition 2010, pp. 1-18.
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