« L’Artérite et l’Amputation du Membre Inférieur : Enjeux de Réadaptation et de Mobilité
Introduction
En France, environ 800 000 patients sont touchés, à différents stades, par l’artérite qui se traduit par une association d’athérome (dépôts graisseux dans la paroi artérielle au niveau de l’intima) et de sclérose (rigidification de la paroi aboutissant à des sténoses artérielles) [4].Mécanisme d’athérosclérose à l’origine de troubles hémodynamiques qui va diminuer l’apport de la circulation sanguine entraînant ainsi une ischémie d’aval. Lorsque l’occlusion est majeure, le réseau artériel n’assure plus son rôle notamment dans le cas de la cicatrisation d’une plaie cutanée qui va s’aggraver en ulcère pouvant aboutir dans certains cas à l’amputation (à un stade avancée 25% subiront une amputation à un an) [].
La mobilité des individus devenue restreinte subséquemment à une amputation d’un membre inférieur constitue un réel obstacle à leur qualité de vie notamment à leur indépendance fonctionnelle [1, 2]. Bien que la réadaptation soit longue et difficile, il s’avère vitale de suppléer le membre manquant par une prothèse étant donné que l’objectif principal de la réadaptation consiste en la récupération de la marche à la fois autonome et fonctionnelle des patients amputés du membre inférieur. Selon plusieurs auteurs, un but prioritaire de la réadaptation en physiothérapie est la récupération de la marche autonome et fonctionnelle des patients amputés du membre inférieur. [1,3]. Effectivement, il a été observé que 45,88 % des amputés rencontrent des difficultés sur le plan fonctionnel et 58,33% éprouvent des difficultés de réinsertion socioprofessionnelle (Mezghani-Masmoudi et al.)[2]. La précarité de l’âge, particulièrement chez les amputés vasculaires sont des facteurs qui prédisposent aux complications liées à l’amputation. D’ailleurs, le résultat d’un suivi à 10 ans de 104 amputés vasculaires âgés de plus de 70 ans [3] montre un pronostic médiocre après opérations : 38,5% décède lors de la première année; au-delà, l’évolution semble moins défavorable avec un risque non négligeable d’une ré-amputation (10 à 14% à 1 an) [4,5]. En outre, une étude menée par le CRF Clémenceau à Strasbourg [6] effectuée en 2006 chez des patients âgés de plus de 70 ans montre que 21 sur 22 patients ont été appareillés dont 13 patients dépendaient d’une tierce personne pour le chaussage de leur prothèse.
Suite à une Artériopathie Oblitérante des Membres Inférieurs (AOMI) définit selon la Haute Autorité de Santé (HAS) [7] comme la conséquence du rétrécissement progressif des artères destinées à la vascularisation des membres inférieurs par l’athérosclérose, et qui est responsable de 90% des amputations (Fig. 1), Mme P, âgée de 83 ans à du subir une amputation transfémorale.
La kinésithérapie intervient dès les premiers stades de la maladie pour augmenter la vascularisation collatérale, et prend alors toute sa place après une amputation, de la phase post-opératoire immédiate au retour à domicile.
Comment la masso-kinésithérapie peut-elle contribuer à la capacité de la marche du patient amputé du membre inférieur ? Dans un premier temps, l’étude portera sur le cas clinique de Mme P. Les techniques kinésithérapiques appliquées et la notion de capacité de marche lors de la rééducation seront abordées dans un second temps. Enfin, des perspectives seront développées afin de faire face à d’éventuels problèmes rencontrés.
- Présentation du patient, bilan et rééducation
Le 23 Mars 2012, Mme P. âgée de 83 ans intègre le centre de rééducation suite à une amputation fémorale gauche afin de suivre une rééducation, réadaptation et essai d’appareillage.
- Historique de la maladie
La patiente autonome, vivait seule à son domicile jusqu’à une mauvaise chute d’une chaise le 07 Décembre 2011 occasionnant une plaie ulcérée de la jambe gauche qui s’est aggravée en sepsis du membre inférieur. Une amputation [9] transfémorale a été réalisée en centre hospitalier le 21 Décembre 2011 compte tenu de la propagation de l’infection et su terrain artéritique de la patiente. Les suites post-opératoires ont été compliquées d’un délirium tremens, une désunion de la cicatrice du moignon et une infection au staphylocoque doré. Le 19 Janvier 2012, la patiente est transférée dans un centre de rééducation où elle présentera des troubles cognitifs, particulièrement des troubles mnésiques. Le 23 Mars 2012, elle est ensuite orientée vers un second centre de rééducation.
- Mode de vie
Depuis 2010, Mme P. est veuve et loue un appartement situé au 3ème étage d’un immeuble avec ascenseur puis une volée de marches d’une hauteur d’environ½ étage. La patiente est une ancienne fumeuse (15 paquets/an) avec une consommation excessive d’alcool à son actif qui souffre d’hypertension artérielle. Mme P ne bénéficie d’une aide-ménagère que deux (02) fois par semaine. Mère de deux (02) filles, Mme P a un mode de vie sédentaire : déplacement rare hors de son appartement et aucune activité en extérieure, et se consacre juste à la lecture et à ses petits-enfants.
- Antécédents et traitement médicamenteux
Mme P. a des antécédents d’hypertension artérielle, d’AOMI, de diverticulose sigmoïdienne, d’insuffisance veineuse chronique, de lithiase vésiculaire et de chondrocalcinose articulaire qui lui font suivre le traitement médicamenteux figurant dans le (Tab. I)
Tab.1: Traitement médicamenteux
Nom du médicament |
Indications |
LAROXYL ®
NEURONTIN ® |
Etat dépressif, douleur membre fantôme |
DAFALGAN ® | Douleur genou droit |
EFFEXOR ® | Antidépresseur |
AMLOR ® | Hypertension artérielle |
FANIN ® | Crème pour phlyctène |
GAYELORD HAUSER ® | Complément alimentaire hyper protéiné |
- Projet de Mme P
Un projet de vie pour Mme P. est élaboré par l’ensemble de l’équipe soignante compte tenu de son âge qui ne lui permet pas d’aménager son appartement pour son fauteuil roulant. Elle doit intégrer un foyer pour retraités, à proximité de sa fille, en début septembre 2012, avec la possibilité d’utiliser les meubles de son ancien appartement. Le 24 Juillet 2012 elle intègre alors dans le centre de rééducation un appartement médicalisé.
- Bilan de Mme P
Etant donné la présence de phlyctène, le bilan de Mme P. n’a pas pu être réalisé de manière exhaustive dès le début de prise en charge.
Le bilan s’est organisé en deux (02) temps.
- Bilan réalisé sans appareillage du 09/07/2012 au 15/07/2012.
- Bilan avec appareillage, une semaine après disparition des phlyctènes (Fig 3)
- Bilan de Mme P. réalisé du 09/07/2012 au 15/07/2012, phase sans appareillage
Afin que le patient puisse être appareillé dans des conditions les plus satisfaisantes, l’état du moignon, qualité, est fondamental car il conditionne en grande partie l’appareillage.
- Bilan cutané, trophique et vasculaire
- Cutané
La cicatrise est invaginée, propre, non adhérente et non chéloïde. Deux (02) phlyctènes sont constatés (Fig.4) : l’une mesure 1,5cm et l’autre 0,5cm. Une plaie relativement petite (Fig.5) observée sur le membre inférieur controlatéral nécessite une surveillance accrue afin qu’il n’y ait pas de complications pouvant évoluer chez les patients arthritiques vers la nécrose des tissus et l’amputation du MI opposé.
- Trophique
Une périmétrie est réalisée pour le moignon (Tab. II) et le membre controlatéral. Les résultats montrent un volume plus important du moignon, en distale, par rapport à la cuisse non opérée. Différence qui s’explique par la prédominance de l’œdème sur l’amyotrophie [11]. En effet, le volume du moignon varie en permanence. Après l’amputation il diminue, subséquemment à la résorption de l’œdème et de l’hématome post-opératoire, ainsi que de l’atrophie musculaire. Le port de contentions rigides accentué par un retour rapide à la marche est l’origine de cette résorption. La première phase de diminution de volume dure entre 100 et 150 jours [12] et peut continuer à régresser régulièrement, avec une perte de 10% du volume entre la fin de la première phase jusqu’à 12-18 mois post amputation [6].
- Vasculaire
La patiente souffre d’hypertension artérielle (13.8) avec des vertiges pendant lors de la verticalisation et nécessite par conséquence une attente complémentaire pendant la mise en place de la prothèse.
- Bilan musculaire :
La force musculaire de la patiente est cotée par l’échelle MRC (Medical Research Council)l :
- Membre inférieur
- Membre amputé (Tab. III)
Déficit de force est marqué au niveau des extenseurs de hanche.
- Membre controlatéral (Tab. IV)
Manque de force au niveau des muscles de la cheville qui peut provenir du manque de mise en charge et de l’impossibilité pour Mme P. de marcher depuis son amputation (7 mois).
- Membre supérieur (Tab. V)
Le manque de force et l’équilibre précaire de Mme P. oriente vers le choix d’un déambulateur pour la marche avec prothèse.
- Bilan articulaire
- Membre inférieur (Tab. VI)
Un flessum du genou droit de degré 5 est constaté. Cela est probablement dû aux temps passé par Mme P. en position assise dans son FRM entrainant une rétraction des éléments capsulo-ligamentaires. Un hallux valgus est constaté sur le membre controlatéral (Fig.7).
- Membre supérieur
Des déformations articulaires dû à une pathologie rhumatismale non définie au niveau des articulations interphalangienne distales (IPD) des 2 membres supérieurs (Fig.8) sont retrouvées avec une rétraction de l’aponévrose palmaire (Fig.9) qui entraine un enraidissement des articulations distales et une préhension incomplète (Fig.10). Néanmoins la réalisation des pinces dont l’écriture est possible (Fig.11). Le chaussage de la prothèse est compliqué par ces déficits de préhension [12] sans que cela ne gêne la patiente pour son alimentation, habillage et sa toilette.
- Bilan des douleurs :
- Douleur spontanée
Mme P. se plaint de douleur, qui surviennent surtout lors de réalisation d’exercice en chaine fermé, au niveau du genou droit particulièrement au niveau de la partie droite sur le tubercule infracondylaire. Sur une ENS (Echelle Numérique Simple), elle évalue sa douleur à 2/10. Le traitement effectué consiste en la prise de DAFALGAN® complété avec un glaçage d’une durée de 15 minutes afin d’éviter l’effet inverse de vasodilatation. Les algohallucinoses (douleurs fantôme) [10] au niveau du membre amputé apparaissent spontanément et persistent la nuit. Mme P. les exprime sous forme de crampe, de courant électrique et sont côtés à 3/10. Ces douleurs sont traitées par AROXYL ® et NEURONTIN.
- Douleur à la mobilisation
En position spontanée la hanche est en flexum, en extension la douleur due à ce dernier est évaluée à 1/10. Après relâchement, le flexum diminue au niveau du moignon. Cela est réductible et est due au non relâchement des fléchisseurs de hanche. Chez les patients amputés fémoraux d’origine vasculaire, les flessums de hanche peuvent avoir plusieurs causes (déséquilibre musculaire agoniste/antagoniste, ischémie, douleur, installation lit-fauteuil, l’absence d’appui en position debout, toucher, âge avancé). Certains peuvent être préexistants à l’amputation, tandis que d’autres en sont les conséquences directe.
- Douleur à la palpation
Aucune douleur sentie à la palpation du moignon.
- Bilan Fonctionnel
Autonomie : L’indice de Barthel est utilisé pour évaluer l’autonomie de Mme P. Avec une note de 70/100, la patiente est partiellement autonome [14]: aide humaine pour la toilette (installation dans la cabine de douche) et l’habillage du bas, pour certains transferts.
Retournements : Mme P. peut effectuer seule dans son lit tous ses retournements décubitus-procubitus et inversement.
Transferts sans prothèse :
- Assis-debout : face à un déambulateur, Mme P. peut se lever seule, mais une personne est nécessaire afin d’éviter sa rétropulsion une fois debout.
- Debout-assis : face à un déambulateur, Mme P. a besoin d’une aide humaine pour sécuriser le transfert, étant donné qu’elle perd l’équilibre lorsqu’elle lâche les mains du déambulateur (Déséquilibre postérieur).
- Assis-assis : besoin d’une tierce personne pour sécuriser ou diriger (oubli des freins, fauteuil éloigné). (Fig.12)
- Assis-couché : peut le réaliser sans aide extérieure.
- Couché- assis : besoin d’une tierce personne pour relever le tronc lorsque la patiente est allongée sur le côté (manque de force dans les membres supérieurs)
- Déplacement en fauteuil roulant manuel: autonome dans la chambre, fatigue musculaire lors de distances trop longues (à partir de 400 mètres). Cependant, elle parvient à se déplacer seule jusqu’au plateau technique.
Equilibre :
- équilibre assis est stable : tenue sans dossier, sans accoudoir même avec des poussées déséquilibrantes extrinsèques
- équilibre debout sans prothèse dans les barres parallèles avec appui sur une main 3 à 4 minutes environs.
- équilibre sans appui en monopodal difficile pendant 10 à 20 secondes après plusieurs tentatives. L’équilibre obtenu reste convenable et se doit être poursuivi. L’amputation de Mme P. étant conséquente à une chute, le non de maintien de l’équilibre monopodal au-delà de 5 secondes [15] multiplie par trois le risque de chute.
Une fatigue est également notée lors des exercices nécessitant alors un temps de repos équivalent à la durée de ces derniers.
- Bilan sensitif
La sensibilité superficielle et profonde est normale.
- Bilan morphostatique
De corpulence normale, Mme P. pèse 62kg et mesure 1m58 avec un IMC de 24.
En station debout, une attitude en cyphose dorsale est observée.
- Bilan réalise du 16/07/2012 au 20/07/2012, phase avec appareillage
- Bilan fonctionnel
Le chaussage et le déchaussage de la prothèse [16] nécessitent encore une tierce personne pour emboîter le manchon avec la prothèse. Même guidée, Mme P. n’y parvient pas.
Un manque de force au niveau des membres supérieurs est aussi constaté.
Transferts avec prothèse : debout-assis et assis-debout : impossible sans aide, Mme P. n’arrive pas à plier ou déplier le genou.
En début de séance des douleurs sont apparues au niveau du moignon.
- Marche appareillée
- Barres parallèles
Sur une certaine distance de (moins de 5m), Mme P. effectue une quinzaine de pas entre les barres parallèles avant de s’arrêter suite à la douleur et à la fatigue.
A J + 7 de phase avec appareillage son périmètre de marche passe à 20 m.
Mme P. se déplace en boitant de type « boiterie avec salutation » (absence de pas postérieur) :
– ses hanches et son genou droit sont maintenus en flexion
– inégalité de la longueur des pas et du rythme
Mme P. hésite grandement lors de l’exécution du pas oscillant et par conséquence allonge trop le pas de son membre appareillé.
– hauteur de pas insuffisant au niveau du membre inférieur droit qui se traduit par le frottement du pied.
Lors du pas portant sur la prothèse : Mme P. transfère une partie de son poids sur son membre inférieur et supérieur droit en se servant des barres parallèles afin d’esquiver l’appui sur la prothèse avant de faire glisser son pied droit et le déposer en arrière du membre appareillé.
- Déambulateur
Avec le déambulateur à roulette avec une tablette, la marche s’effectue en 3 étapes : avancée du déambulateur suivi du membre amputé et du membre controlatéral.La marche de Mme P. se fait successivement par : enroulement des épaules, hypercyphose dorsale, flexion des hanches, flexion genou, regard vers le sol (Fig.14). Les premiers jours la marche sur terrain plat montre un périmètre marche réduit de 20 mètres avec 2 temps de pause de 3 minutes chacune. Progressivement, ce périmètre passe à 70 mètres pour une durée de 15 minutes 38 secondes à J+20 de la phase avec appareillage. Une marche prolongée sur de grandes distances n’est pas envisageable chez Mme P.
- Profil psychologique
Mme P. est assez pessimiste quant à sa rééducation étant donné le retard provoqué par les phlyctènes. D’ailleurs, la patiente est sous antidépresseurs (EFFEXOR) et rencontre des problèmes d’insomnies. La patiente semble être dans un processus de deuil avec un état dépressif réactionnel [17]. La réalisation du test MMSE (Mini Mental State Examination ; Annexe) montre l’absence de trouble cognitif. Pour qu’elle participe activement à la rééducation MK, il est important de la stimuler et de la motiver.
- Bilan qualité de vie (QDV) de Mme P.
La courbe d’évaluation de la QDV (Fig.14) de Mme P. par l’échelle TAPEs-R (Trinity Amputation and Prosthesis Experience Scales-Revised, Annexe III, Annexe IV) [18, 19] montre une nette augmentation avant une diminution.
Fig.14 : Courbe d’évaluation de la qualité de Vie.
La hausse de la QDV observée dans un premier temps s’explique par l’adaptation de Mme P. à la prothèse (esthétique, confort). La persistance du manque de mobilité et la limitation fonctionnelle dans la vie quotidienne sont les causes de la diminution de la QDV.
- Diagnostic masso-kinésithérapique (DMK)
Le DMK est rédigé à J+7 de la phase avec appareillage tout en s’appuyant sur les données récupérées en 2ème partie de bilan (CIF Annexe V). La prise en charge de Mme P. doit tenir compte de plusieurs facteurs importants [20] : âge (83 ans), antécédents (hypertension artérielle, tabac, alcool), état psychologique (dépressif). A l’issue du bilan, il apparaît que la patiente présente une peau fragile qui associée au port prolongé de l’appareillage provoque des phlyctènes au moignon. Au niveau vasculaire on retrouve un moignon œdémateux qui gêne le chaussage de la prothèse. Mme P. présente en outre un déconditionnement physique accompagné d’une grande fatigabilité avec des douleurs membres fantômes [21] nocturnes.
Les transferts sans prothèse sont encore en cours d’acquisition étant donné la nécessité d’une surveillance. Le chaussage qui reste encore difficile. L’équilibre debout n’est pas complètement acquis. La marche est encore hésitante avec un périmètre de marche assez réduit. La patiente semble être dans un état de dépression et d’anxiété d’où manque de motivation et préoccupation pour son retour à domicile. Compte tenu de l’âge de Mme P. et de ses projets [22], la rééducation est orientée vers une approche fonctionnelle dans le but d’avoir une indépendance fonctionnelle optimale au meilleur coût énergétique. Dans un premier temps, il est indispensable de contrôler l’œdème du moignon afin de faciliter le chaussage de la prothèse. Un travail musculaire des membres supérieurs et inférieurs pour
Par la suite, sera envisagé un travail musculaire global du membre supérieur et inférieur pour augmenter la force musculaire et permettre ainsi la station debout et le chaussage. La station debout acquise, l’équilibre sera travaillé pour que la marche soit la plus physiologique.
- Les objectifs de la rééducation :
Des objectifs à court, moyen et long terme sont établis :
- Court terme :
Les objectifs à court terme consistent au : modelage du moignon dans le but de faciliter le chaussage de la prothèse, augmentation la force musculaire des membres supérieurs et inférieurs, verticalisation avec et sans appareillage et réadaptation à l’effort de la patiente.
- Moyen terme :
Les objectifs à moyen terme résident dans : l’acquisition et l’amélioration de l’équilibre en unipodal et en bipodal, le chaussage et déchaussage sans aide de la prothèse, l’éducation de la patiente aux règles d’hygiène relatives à son moignon et sa prothèse et à accroître le périmètre de marche avec appareillage.
- Long terme :
A long terme, la patiente devrait être autonome et indépendante avec sa prothèse. Elle sera par ailleurs préparée à la résidence pour retraités.
- Les principes de la rééducation :
Les principes dans la rééducation en masso-kinésithérapie portent sur la :
- Surveillance de la cicatrice et de la trophicité du moignon
- Surveillance des zones de contacts cutanés avec l’emboiture et le membre controlatéral
- Surveillance du membre controlatéral : l’artérite pouvant toucher tout l’organisme
- Prise en compte de la spécificité qu’implique la personne âgée : aménagement des temps de repos (au moins égaux aux temps de travail), bonne hydratation (aspect nutritionnel), troubles cognitifs et aptitudes psychomotrices ….
- Prise en compte du contexte psychologique et environnemental de Mme P.
- Priorisation du travail musculaire dynamique au travail statique pour éviter l’ischémie sauf pour le genou droit qui est atteint d’arthrose.
- Rééducation de Mme P.
Mme P. bénéficie de deux (02) séances, le matin et l’après-midi, de rééducations kinésithérapiques par jour d’une durée de 30 minutes. En raison des spécificités de l’amputation de la patiente où l’on retrouve une fragilité cutanée du moignon, la rééducation s’organise en deux (02) parties : une phase sans appareillage avec des objectifs à court terme et une autre avec appareillage reprenant les objectifs à moyen et à long terme.
- Phase sans appareillage
- Modelage du moignon
- Massage
Des techniques de massage à visée circulatoire sont utilisées (effleurage, pression glissée, pression statique) ainsi que le drainage lymphatique manuel (DLM) [23] pour favoriser les échanges circulatoires et la résorption de l’œdème. Le port du manchon pendant une heure le matin et l’après-midi complète la séance.
- Globulisation
But : Jouant un rôle dans le modelage du moignon [24], la globulisation favorise la cicatrisation et les échanges circulatoires de même que le renforcement des muscles de la cuisse ce qui permet le maintien de l’appareillage durant la phase pendulaire.
Techniques : Mme P. est en position décubitus dorsal, le tronc et la tête reposent sur un coussin triangulaire. Les membres inférieurs sont en rectitude. Les mains du kiné enserrent le moignon longitudinalement. L’ordre donné à Mme P. est d’essayer de les repousser et de les écarter en contractant les muscles de la cuisse (les contractions sont de faible durée (3 secondes) afin d’éviter un collapsus artériel) sans qu’il y ait mouvement articulaire.
Une autre technique consiste à effectuer une légère traction caudale sur le segment amputé et de demander au patient de lutter contre cette traction en remontant la jambe.
- Augmenter la force musculaire des membres
Par le renforcement musculaire, il est possible de s’opposer au déclin musculaire qui est responsable de la diminution progressive des capacités fonctionnelles du sujet âgé. Les effets de l’entraînement de la force chez les personnes âgées sont démontrés : la masse, la force [25] et la puissance musculaires sont augmentées réduisant ainsi la difficulté à réaliser les tâches de la vie quotidienne tout en améliorant la dépense énergétique et la composition corporelle.
But : Les objectifs consistent à lutter contre l’amyotrophie, favoriser la circulation collatérale et retarder l’artérite. Effectivement, le membre inférieur controlatéral doit « être sain » pour pouvoir supporter sa mise en charge quotidienne.
Réalisation : Il doit être effectué selon le mode concentrique et le travail statique est à proscrire. Les contractions sont entrecoupées de temps de repos au moins identiques au temps de travail. Chaque mouvement est répété 5 fois et le nombre de séries est fonction de l’état de fatigue.
Techniques :
- Membre inférieur :
Un renforcement musculaire analytique des membres inférieurs est réalisé pour les muscles abducteurs et adducteurs de hanche et pour les extenseurs du genou et fléchisseur plantaire de cheville. Puis aux barres parallèles sont réalisés des exercices plus globaux et fonctionnels afin de travailler l’ensemble des muscles du membre inférieur non amputé.
Les exercices sont décrits en annexe (Annexe VI).
- Membre supérieur
Une athlétisation des membres supérieurs permet de faciliter le chaussage de la prothèse, les transferts et la marche avec déambulateur.
Techniques :
- exercices actifs et dynamiques: avec emploi de petites haltères et d’ élastiques pour renforcer les abaisseurs et les rétropulseurs des bras (grands pectoraux, grands ronds et grands dorsaux), ainsi que les triceps.
- exercices du push-up [26] adaptés en l’absence de conflit sous acromial.
- Verticalisation de Mme P.
But : Réhabituer Mme P. à la station debout.
L’exercice permet de lutter contre le déconditionnement du patient lié au décubitus, source de troubles orthostatiques (hypotension, chutes…), de préparer la marche, et enfin de renforcer globalement les muscles des deux membres inférieurs.
Réalisation : La patiente est installée en décubitus dorsal sur plan incliné avec une sangle au niveau du genou et les pieds posés sur une tablette (Fig.16). La verticalisation se fait progressivement (15 minutes en début de prise en charge et 25 minutes à la fin) à chaque séance [27].
Dans les premiers jours, la patiente exprime une sensation de fatigue.
Progression : Se fera plus tard avec la prothèse, l’objectif étant d’habituer la patiente à l’appareil, autant sur le plan sensitif que psychologique et de lutter contre les douleurs des membres fantômes [28].
- Réadaptation à l’effort [29]
But : L’objectif est de gagner en endurance que ce soit pour l’utilisation du fauteuil roulant manuel (FRM) ou pour la marche avec appareillage.
Réalisation : Réentraînement à l’effort à l’aide du cycloergomètre à bras.
Une progression dans la quantité de travail fourni a été constatée au fur et à mesure de la rééducation.
- Phase avec appareillage
- Acquérir l’équilibre unipodal sans appareillage
But : L’équilibre joue un rôle fondamental chez l’amputé du membre inférieur. Il est indispensable et constitue une étape préalable à la marche étant donné que la station debout n’est possible qu’avec de bons muscles antigravitaires.
Réalisation : La patiente est placée entre les barres parallèles (Fig.17) face au kiné et la consigne donnée est de se tenir debout le plus longtemps possible en s’aidant le moins possible des barres parallèles.
Mme P. tient dans les premières séances 10 à 15 secondes puis, avec le temps, elle parvient à se stabiliser pendant, en s’appuyant à l’aide d’un membre supérieur,50 secondes.
- Améliorer l’équilibre bipodal
But : Intégrer la prothèse et permettre [30] un transfert d’appui équivalent au membre controlatéral.
Réalisation : L’exercice est réalisé dans les barres parallèles :
- exercices d’équilibre : d’abord avec un appui du membre supérieur, puis en diminuant progressivement cet appui pour arriver à se maintenir debout sans les mains. D’autres exercices ont été effectués avec des déséquilibres extrinsèques pendant lesquels Mme P. devait venir saisir et donner un objet que le kiné place à différents endroits.
- exercices dans le plan frontal, transfert du poids sur la prothèse en utilisant deux balances placées de chaque côté.
- Apprentissage du chaussage
Le chaussage permet à Mme P. de prendre conscience des différents éléments de sa prothèse (manchon, emboîture…).
Progression : A la fin de la prise en charge, Mme P. est incapable de chausser seule sa prothèse. Elle se plaint surtout d’un manque de force au niveau des membres supérieurs qui est cependant nécessaire pour tirer sur le jersey en position debout afin de faire descendre les masses musculaires à l’intérieur de la prothèse. Cette séquence clé est travaillée, mais elle réclame toujours une aide.
Remarque : Une récente étude dénonce cette difficulté d’apprentissage [16] chez les patients de plus de 70 ans. Les troubles cognitifs seraient les principaux facteurs limitant. A domicile ce sont souvent les membres de la famille qui suppléent l’incapacité fonctionnelle.
- Education aux règles d’hygiènes
Un certain nombre de conseils d’hygiène (Annexe VII) sont donnés à Mme P. au fur et à mesure de la rééducation sur le moignon et la : comment surveiller le moignon ? Quel produit utiliser pour laver le moignon et le manchon, ne pas exposer l’emboiture au soleil. Quant à son artérite, des conseils sur les facteurs de risques cardio-vasculaires [31] et sur l’hygiène de vie sont donnés : prise d’alcool, correction de l’hypertension, position assise prolongée à éviter, hygiène des pieds…
- La marche appareillée
C’est l’étape de la rééducation plus fonctionnelle en rééduquant la marche [32, 33] par la marche « C’est l’élément central de la rééducation et du traitement des artérites en général. On peut dire que la marche est le « médicament » de l’artérite. […] Plutôt que la performance esthétique ou physique, le rééducateur doit rechercher une marche sûre et aisée, la chute doit être évitée à tout prix et les risques soigneusement évalués. » (PILLU M. et al., 1995).
Objectif : Se rapprocher le plus possible d’une marche physiologique en corrigeant « les mouvements parasites » de la marche afin d’éviter un surcoût énergétique et de permettre par la suite d’augmenter le périmètre de marche de la patiente. L’appareillage proposé à Mme P. est une prothèse de contact fémorale à appui sous ischiatique avec manchon copolymère à accrochage distal et à emboiture quadrangulaire (Fig.17).
Réalisation :
- Dans les barres parallèles, progressivement, l’inégalité de longueur de pas et de rythme est corrigée avec de la volonté, de la persévérance et en mettant en confiance la patiente. Le transfert du poids sur le membre inférieur prothétisé s’effectue par une descente minimale au niveau des barres et la hauteur de pas est travaillée par le franchissement d’un obstacle placé entre les barres parallèles (Fig.19).
- Lors de la marche avec déambulateur, la posture de Mme P. a été corrigée en lui rappelant de se redresser et de regarder droit devant.
- Préparation à l’intégration du foyer pour retraité
Mme P. et ses 2filles envisagent une intégration dans un foyer pour personnes âgées avec possibilité d’emporter des meubles de son ancien appartement. Dans le projet de rééducation établi par l’équipe soignante, un appartement médicalisé est proposé à Mme P. Il est équipé d’une cuisine, d’une micro-onde, d’un lave-linge. L’objectif recherché est principalement d’augmenter l’autonomie de la patiente pour tous les actes de la vie quotidienne (AVQ) avec son FRM. Un des obstacles à cette autonomie est le manque de motivation de Mme P. qui pense qu’elle doit être stimulée et surveillée.
- Diagnostic masso-kinésithérapique après 4 semaines
Le projet initial de Mme P. était le retour à domicile avec la prothèse, la patiente ne souhaite pas intégrer la résidence pour personnes retraités. Après 4 semaines de prise en charge masso-kinésithérapique, de nettes améliorations sont observées (cf Tab. VII) :
Tab. VII : Diagnostic MK après 4 semaines de rééducation
Bilan |
Améliorations |
Trophique | Résorption globale de l’œdème du moignon de 1,5 cm |
Force musculaire MI | · Membre amputé :
La force musculaire des extenseurs de la hanche passe à 4. · Membre controlatéral : La force des fléchisseurs dorsaux et plantaires passe à 3. |
Transfert | Autonome en transfert :
– assis-debout – assis-assis |
Equilibre unipodal | L’équilibre est maintenu pendant 30 secondes (+10 secondes) |
Marche | Périmètre de marche augmenté à 70 mètres (+ 50 mètres) |
Or, au fur et à mesure de l’avancée de la rééducation, la nécessité pour la patiente d’intégrer le foyer des retraites se fait de plus en plus sentir. Ce décalage entre le projet patiente/équipe soignante a été expliqué tout au long de la rééducation avec prise de conscience des déficiences par Mme P. qui fini par accepter ce projet.
- Discussion
Un entretien est réalisé avec Mme P. le 07/11/2013, soit un an après sa sortie du centre de rééducation. Elle vit actuellement dans une résidence pour personnes retraités et bénéficie de soins kinésithérapiques, 2 à 3 fois par semaine par un masseur-kinésithérapeute (MK) extérieur à l’établissement, qui portent essentiellement sur la marche prothétique et dont le périmètre de marche de la patiente peut atteindre 100 mètres. Un (01) an après, Mme P. ne rencontre pas de problèmes de santé graves hormis quelques douleurs fantômes persistantes, cependant elle n’est pas encore autonome dans l’utilisation de sa prothèse pour marcher dans la résidence. Ce qui la contraint a resté en fauteuil roulant, restreignant de ce fait ses déplacements. En effet, il lui faut l’aide d’une tierce personne. Ce manque d’autonomie et d’indépendance l’isole et affecte grandement sa qualité de vie.
La capacité de marche peut être traduite comme l’autonomie permettant d’effectuer le schéma de marche physiologique qui combine : l’équilibration, le système antigravitaire et la production de pas.
- Relation entre l’indépendance motrice d’un patient amputé et la qualité de vie
L’amputation du membre inférieur touche non seulement la capacité de marche mais également une modification de l’image corporelle ainsi que la qualité de vie. En 1992, une unité de Wolfson (Edimbourg) a comparé la qualité de vie de 149 personnes amputées à une population témoin [34] du même âge et de même sexe, en utilisant le « Nottingham Health Profile » (Annexe VIII). L’analyse des questionnaires a permis de mettre en évidence les problèmes de mobilité, d’isolement social, de léthargie, de douleurs et de troubles émotionnels plus importants chez les personnes amputées que chez le groupe témoin. Il existe en effet un lien significatif entre la qualité de vie et la mobilité. La survenue d’un handicap moteur chez le patient amputé engendre une baisse d’activités quotidiennes [35,36] et une vie sociale et relationnelle restreinte [37,38].
- Intérêt et rôle de la masso-kinésithérapie dans la marche prothétique
Au cours de la rééducation, le MK est amené à suivre un axe de rééducation qui tient compte des facteurs pouvant influencer sa prise en charge. Des études réalisées à travers le monde rapportent la pertinence ou non de ces facteurs et permettent une meilleure compréhension afin d’optimiser la rééducation et établir le projet le plus adapté et répondant aux mieux aux besoins du patient amputé. La capacité à évaluer le potentiel d’un individu à marcher avec une prothèse est important étant donné que d’une part, cela influe et paramètre le choix de la prothèse et son adaptation au cours de la rééducation. D’autre part, cette évaluation permet d’informer le patient quant à l’issue probable de la rééducation. La majeure partie des patients ayant subis une amputation du membre inférieur adoptent la prothèse. D’ailleurs, l’utilisation d’une prothèse, même sans autonomie dans l’utilisation de l’appareillage (problème chaussage, aide d’une tierce personne ….) garde un réel intérêt par les possibilités de la verticalisation [39] et de la marche [40].Une corrélation entre l’utilisation quotidienne d’une prothèse et une augmentation de la capacité de marche est par ailleurs démontrée [41]. De plus, après une rééducation prothétique réussie, une augmentation de l’espérance de vie du patient après retour à son domicile est constatée [42]. Lors de l’entrevue Mme P. réalise qu’il lui sera impossible d’utiliser sa prothèse comme principal outil de déambulation, supposant ainsi l’usage indispensable du fauteuil roulant lors de longs trajets. Néanmoins elle exprime ses attentes de la kinésithérapie (Fig.21) : « chausser seule sa prothèse et marcher un peu plus dans et à l’extérieur de la résidence ».
Quels sont les facteurs influençant la marche du patient amputé ? Comment le MK doit-il les intégrer dans sa rééducation ? Quels outils peuvent être mise en place pour faciliter le chaussage (Fig.21) de la prothèse de Mme P. ?
- Présentation des facteurs et action du MK
Le choix des facteurs est effectué en rapport avec la situation clinique de Mme P. et la présentation de ces derniers se fait selon le modèle de la CIF (Classification Internationale du Handicap, Fig.23).
- Problème de santé
- Etiologie
La cause de l’amputation et le potentiel de marche sont liés [45,46]. Les patients ayant subi une amputation pour cause vasculaire présentent un potentiel de marche plus faible par rapport aux amputés pour raison traumatique ou autres. Par contre, aucune relation significative n’est observée entre l’étiologie et la capacité de marche [47,48]. Toutefois l’échantillon choisit dans le groupe des amputés après un traumatisme étaient de petite taille, (de 12 à 17 personnes), d’où l’absence de lien. Ces résultats peuvent être expliqués par l’âge plus avancée et l’état général précaire observé chez les amputés vasculaires. Au cours d’une rééducation le MK doit tenir compte de ce paramètre en portant son action sur les conséquences : la fatigue et le déconditionnement global du patient [49].
- Les fonctions organiques et les structures
- Niveau d’amputation
Une grande majorité d’étude rapporte une meilleure capacité de marche après une amputation distale et unilatérale par rapport à une amputation plus proximale ou bilatérale [35, 39, 45-50, 46, 51-52]. En effet, chez les amputés transtibiaux une distance de marche et un niveau d’activité plus élevée est vite retrouvé [53]. La conservation du genou lors de l’amputation joue également un rôle important dans la facilitation de l’équilibre et est même préconisé pour l’amputé ayant un faible de potentiel de marche. Un lien entre le niveau d’amputation (allant du fémur aux orteils) et la capacité de déambulation d’un amputé est également constatée [52]. Les patients avec amputation de cheville peuvent retrouver significativement la capacité de marche avec un périmètre de marche de 1 km un an après la chirurgie par rapport à ceux avec amputation plus proximale. Il n’y a cependant pas de corrélation entre le niveau d’amputation et la capacité de marche [54, 55, 56, 57]. Lorsque la vitesse de marche a été comparée entre les amputés après un traumatisme au niveau respectivement transfémoral et transtibial [58] il apparait une différence significative après ajustement. Une marche plus rapide est observée chez les patients amputés au niveau du tibia. Le niveau d’amputation à des impacts sur la rééducation, notamment sur la marche. La différence observée entre un amputé tibial, fémoral, bilatéral est probablement due aux besoins énergétiques [59] qui sont augmentés lorsque le niveau d’amputation est plus haut et/ou bilatéral. La kinésithérapie ne peut intervenir sur le niveau d’amputation mais a un rôle préventif notamment chez les amputés vasculaires en limitant le coût énergétique subséquente à la survenue d’une réamputation [60, 61] (risque de 10% à 14% de réamputation à 1 an) et en ralentissant l’évolution de la pathologie chronique. L’augmentation du périmètre de marche de Mme P. s’explique par la marche quotidienne qu’elle effectue. En effet, la marche permet une vasodilatation du système artériel des membres inférieurs et développe le réseau collatéral, en conséquence l’évolution de l’artérite au niveau du membre inférieur opposé [64] est ralentit.
- Qualité du moignon et douleur
Les observations montrent qu’une meilleure possibilité de marche des amputés est fonction de la qualité du moignon [63] ou d’un moignon présentant peu de complication(s) [35]. De plus, la présence de flexum au niveau du membre inférieur (hanche/genou) [55, 66] et le retard de cicatrisation du moignon [67] ont un effet négatif sur le potentiel de marche. La qualité du moignon peut être appréciée par sa longueur, son état trophique, cutané et bien d’autres facteurs intrinsèques propres au patient. Sa qualité dépend dans un premier temps de la chirurgie dont la morphologie est fonction de la qualité de la recoupe osseuse, du capitonnage (matelassage musculaire) et de sa longueur [68]. En effet, un moignon court est peu mobile, faible du point de vue musculaire et délicat à appareiller (appuis et attaches de l’emboîture difficiles à mettre en place). En revanche, un moignon long est mobile et fort du point de vue musculaire bien que pouvant présenter des problèmes de vascularisation distale (surtout chez les malades artériopathes). Le niveau qui donne les meilleurs résultats, est le suivant : l’union 1/3 moyen et 1/3 supérieur pour les amputations de jambe, l’union 1/3 moyen et 1/3 inférieur pour les amputations de cuisse. [69]. Lors de la chirurgie, il est indispensable de ne jamais faire de cicatrice sur une zone de pression possible du futur appareil étant donné que le moindre traumatisme peut compromettre totalement l’avenir physiologique du moignon. De même les rétractions cutanées qui concernent la région cicatricielle interdisent un contact total de la prothèse. [70,71]. Les apports de la kinésithérapie se situent sur deux (02) aspects de la qualité du moignon : l’état trophique (œdème) et l’état cutané (adhérences cicatricielles). L’état cutané du moignon à une place importante dans la réussite de l’appareillage d’autant plus que ses structures (glandes sudoripares, sébacées…) le rend plus fragile. L’œdème du moignon est un facteur important lors des phases initiales de l’appareillage vu qu’il conditionne l’adaptation du volume du moignon à l’emboîture [72]. En effet, la résorption de l’œdème peut être facilitée par des techniques manuelles telles que le massage drainant, les mobilisations ou par l’utilisation des outils à disposition : bandes de contention, bonnets compressifs… Au niveau de la cicatrice, les mobilisations actives permettent l’amélioration de la trophicité du moignon favorisant ainsi la cicatrisation tandis que le massage cicatriciel permet de lever les adhérences [73]. Les atteintes ostéo-articulaires affectent la capacité de marche et l’utilisation de prothèse chez le patient amputé. Les attitudes vicieuses engendrées par les rétractions (rétractions capsulo-ligamentaires causées par à une mauvaise position du moignon au cours de la phase post-opératoire opératoire et une utilisation prolongée du fauteuil roulant (parfois irréversible), rétractions musculaires sont difficiles à lever (adhérence musculaire à l’os)) peuvent être irréversibles et mettre en cause ou retarder la mise en place de l’appareillage. Les flexums sont d’autant plus fréquentes que le patient amputé est âgé. Lorsque le flessum dépasse les 20°, des difficultés d’appareillage et une altération de la marche (boiterie, augmentation du coup énergétique, diminution du périmètre de marche) sont observés. Les raideurs articulaires sont rarement à l’origine d’impossibilité d’appareillage mais peuvent limiter le confort pendant ou hors de la marche [72]. Les mouvements, les postures, l’installation correcte du patient au lit ou encore les étirements sont autant de techniques qui permettront au MK de diminuer les raideurs et de gagner en amplitudes articulaires. L’intervention du rééducateur passe également par la précocité de sa prise en charge et l’éducation du patient quant aux positions du moignon à proscrire (pour les amputés tibiaux : être allongé avec un coussin sous le genou, assis au fauteuil roulant sans le repose-moignon…) [73]. Une faible utilisation de la prothèse [64] ainsi qu’une distance de marche plus courte à un (01) an sont associés à la douleur du moignon et la douleur du membre fantôme [65]. Cependant une autre étude portant sur la capacité de marche chez les amputés bilatéraux estime que la douleur du moignon ne constitue pas une gêne à la marche [66]. Malgré diverses études, une grande incertitude apparait sur l’effet défavorable qu’à la douleur : chronique et très souvent rebelle aux traitements (efficacité inférieure à 30%), elle conditionne de façon considérable tant le pronostic fonctionnel que la qualité de vie des personnes amputées [74,75], sur le potentiel de marche. Cela reflète surtout la différence de méthodes utilisées notamment la distance de marche demandée aux patients amputés (raccourcie et supporte mieux la douleur). Pourtant, le MK doit prendre en compte la douleur à chaque étape de la rééducation. La douleur est une des caractéristiques des pathologies artérielles périphériques. En effet, elle est le symptôme à la fois premier et constant de l’AOMI. Un autre type de douleur très caractéristique de l’amputé est la douleur du membre fantôme : douleur fantôme avec une fréquence d’apparition de plus de trois quarts des patients dans les quelques jours suivant l’amputation [21] qui va progressivement décroître jusqu’à se stabiliser à 50% des amputés, malgré l’intensité de la douleur résiduelle qui va alors constituer un frein à la réadaptation [76]. Pool considère que la douleur fantôme disparaît dans 6% des cas, mais peut réapparaître secondairement et plus intensément [71]. Le traitement de ces douleurs est essentiellement médical (antalgiques, blocs anesthésiques, infiltrations), néanmoins différentes techniques sont à la disposition du MK : les ultra-sons, la stimulation électrique transcutanée (TENS), la mobilisation de la cicatrice, les techniques de détente (massage, mobilisation, mise en place précoce du manchon afin d’avoir une contention permanente [73,76], thérapie miroir (Fig.24) [77])
- Etat cognitif et trouble de l’humeur
Les études [78, 79, 80-81] montrent un meilleur résultat du potentiel de marche avec les patients ayant des capacités cognitifs conservées. Une équipe de chercheurs rééducateurs au Royaume-Unis [82] a mis en place un test : le Kendrick Object Learning Test dans lequel figurent l’anxiété, la dépression, la mémoire. Les résultats montrent qu’il n y a pas de lien significatif entre les troubles de l’humeur et l’utilisation d’une prothèse. Par ailleurs, d’autres auteurs Hanspal et Fisher [80] n’ont pas trouvé de lien entre troubles cognitif et capacité de marche. Ces résultats peuvent être nuancé par le fait qu’ils expliquent avoir pris en compte plusieurs pathologies. Après ajustement et en considérant seulement les troubles cognitifs, les résultats passent de 20% à 85%. L’état démentiel n’est pas une contre-indication absolue de l’appareillage, mais il va en rendre l’usage difficile d’où la nécessité d’une attention importante de l’entourage proche.
- Capacité physique
La condition physique est décrite comme un paramètre prédictif de la capacité de marche après amputation. La capacité physique selon Moore [83] se définit comme étant la capacité à effectuer des actes de la vie quotidienne et des loisirs amenés par les dispositions du système physiologiques et neuromusculaires ; et peut exprimer en tenant compte d’un certain nombre de paramètres : la capacité aérobie (VO2Max), la capacité anaérobie, la force musculaire, la souplesse et l’équilibre. Ici, seuls la VO2Max, l’équilibre et la force musculaire sont pris en compte en raison du manque d’informations sur les autres paramètres.
- Réentrainement à l’effort
Trois (03) études ont été effectués afin de montrer la corrélation entre la VO2Max et la capacité de marche chez les amputés de cuisses [84,85, 86] en mesurant la VO2max% à l’aide d’un ergocycle (Fig.25) à une jambe (sujet installé en proclive à 45°) et d’un appareil mesurant les gaz respiratoires. Les amputés qui ont réussi à marcher au moins 100 mètres avait un pourcentage élevé de VO2Max (> 50, 93 %). Ainsi un VO2Max d’au moins 50% pourrait être considéré comme un indicateur du niveau de condition physique requis pour la marche avec prothèse chez les amputés transfémoraux. L’amélioration de la VO2Max peut être envisagée par le MK par le biais d’un réentrainement à l’effort adapté au patient (bicyclette ergométrique, tapis roulant, ergomètre à bras, rameur, stepper…). Dans le cas de Mme P., un ergomètre à bras est utilisée avec un travail pouvant allant jusqu’à 15 minutes.
- Force musculaire du MI
Une dépendance entre la capacité de marche et la force musculaire des membres inférieurs est retrouvée dans quatre (04) études [87, 88, 89, 90].
- Renstrom et ses collaborateurs [89] montrent un effet positif de la force musculaire sur la vitesse de marche et la longueur du pas après renforcement du membre amputé.
- Klingenstierna et co. [88] ne constatent pas une amélioration de la vitesse de marche après renforcement des deux (02) membres inférieurs. Cependant un allongement du périmètre de marche est observé.
- De l’étude Nadollek et co. [87] portant sur les amputés transtibiaux unilatéraux âgés, ressort qu’une force stabilisatrice des latéraux de hanches permettent un meilleur transfert d’appui sur le membre amputé et améliorent les paramètres de marche (rythme, vitesse, longueur de pas).
- D’après Ryser [90], chez les amputés fémoraux, une force plus importante des stabilisateurs latéraux de hanches est observée chez les patients sans canne par rapport aux patients avec canne.
Seule une augmentation de la vitesse de marche est montrée dans trois (03) études. Il apparait alors difficile de conclure un lien direct entre la force musculaire du membre inférieur et la capacité de marche. Cependant, le renforcement musculaire présente un certain intérêt ne serait-ce que pour améliorer la vitesse ou certain paramètres de la marche chez le patient amputé : tout muscle déficitaire doit être renforcé.
- L’équilibre
Dans l’étude Matjacic et Burger [91], un groupe de 14 personnes amputés transtibiaux et équipés d’une prothèse intègre un programme d’équilibre d’une durée de 20 minutes par jour pendant 5 jours consécutifs sur BalanceReTraine (appareil mécanique d’équilibre avec protection antichute).Avant et après la période d’entrainement, trois (03) mesures ont été effectuées : la durée de la station debout sur la jambe prothétique, TIME UP and GO (Annexe) et le test de marche de 10 mètres. Chaque mesure a été répétée 5 fois.
Avant le programme d’équilibre :
- Station debout : 2,98s + / – 2.75s.
- TIME UP AND GO : 6,15s + / – 1,9 s
- Test de marche de 10 mètres: 5,51s + / – 1,5 s
Après le programme d’équilibre :
- Station debout : 3s + 4.5s.
- TIME UP AND GO : 5.4s +/- 1.5s
- Test de marche de 10 mètres: 4.5 +/- 0.9s
Malgré un score plus faible avec le TIME AND GO, il semblerait qu’il y ait une relation positive entre l’équilibre et la capacité de marche.
Une autre étude [92] s’intéressant à des patients amputés unilatéraux porte sur la relation entre la chute (survenue aux cours des 12 derniers mois) et la peur de tomber, l’équilibre sur la capacité de marche, le niveau de mobilité et la participation aux activités sociales : a montrée que l’équilibre était le seul facteur associé à la capacité de marche, le niveau de mobilité et la participation à des activités sociales. D’ailleurs, un lien entre l’équilibre sur le membre amputé et le résultat fonctionnel est rapporté par certain auteurs [81, 85, 86]. Dans l’une des études [81] dont les mesures sont réalisées entre 2 et 6 semaines post-amputation par différents échelle Sickness Impact Profile (SIP -68), Groningen activité Restriction Scale ( GARS), Timed up and go ( TUG), comportant 46 amputés vasculaires (niveaux d’amputations transtibiaux ou transfémoraux et unilatéraux) âgées de 60 ans, avec utilisation de prothèse.
- Pour le SIP – 68 : l’âge, la comorbidité, l’équilibre sur une jambe, et 15 entretiens prédisent le résultat fonctionnel à 69%.
- Pour le GARS : l’âge, l’équilibre sur une jambe, et 15 entretiens prédisent le résultat fonctionnel à 64 %.
- Pour le test TUG : l’âge et l’équilibre sur une jambe prédit le résultat fonctionnel à 42%.
Après correction pour l’âge, le seul facteur prédictif et significatif pour l’utilisation de prothèse était l’équilibre sur une jambe. Néanmoins deux (02) autres études [93, 94] ne trouvent pas de relation significative entre la capacité à se tenir debout chez les amputés traumatique, vasculaires par rapport à un témoin sain. D’après les différentes revues, l’équilibre et la capacité de marche du patient amputé sont intimement liés. L’équilibre et l’état vasculaire du membre controlatéral sont des clés de la reprise de la marche appareillée après l’amputation, notamment pour l’amputé artéritique [72]. Améliorer l’équilibre, la trophicité et la musculature du MI controlatéral font partie intégrante des objectifs du MK. Il s’agit d’obtenir un MI capable de suppléer le membre amputé.
- Facteurs personnels
- Motivation
Une association statistiquement significative est retrouvée entre la motivation et la capacité d’apprendre à marcher avec une prothèse [95].Il faut cependant nuancer ses résultats car elle est basée sur une appréciation subjective des cliniciens travaillant avec les patients. De plus, l’évaluation est effectuée pendant la rééducation plutôt qu’avant, il est alors possible que la progression du patient ait été la cause plutôt que le résultat réelle d’une motivation. Lors de la rééducation le MK doit prendre en compte impérativement ce paramètre surtout chez des patients ayant subi une amputation conduisant à un handicap moteur et esthétique. Pour motiver [96] le patient le MK doit proposer des objectifs précis, accessibles et compréhensibles par le patient en priorisant le projet de vie établi par le patient qui est le fil conducteur de la réadaptation et du réentraînement aux activités bien que dépendant étroitement de l’étiologie. Les patients traumatiques sont généralement jeunes avec un projet exigeant en termes de reprise des activités sportives et professionnelles. Les patients vasculaires, plus âgés, ont un projet plus restreint qui se limite souvent à l’autonomie du domicile. De plus, la motivation doit aider le patient à consentir des efforts pour aller vers le changement et à passer de l’intention à l’action en prenant appui sur son projet : co-construire son éducation, c’est accepter qu’il soit acteur dans ses apprentissages.
- Âge
La rééducation des amputés doit prendre en compte l’âge du patient. Dans la plupart des études, l’âge avancé des patients au moment de l’amputation a un effet négatif sur le potentiel de marche [97-98,99, 55, 100, 101, 78, 102-103, 104, 56, 57,105, 81, 106] bien que cette relation de causalité n’ait pas été trouvée dans toutes les études [36, 54, 51, 107, 108, 87, 109, 110]. L’association entre l’âge et le potentiel de marche du patient amputé peut être confondu avec la comorbidité de la même façon que l’âge, au moment de l’amputation, est associé à certaines pathologies (polypathologies de la personne âgées) [99]. Cependant dans six (06) autres études, utilisant plusieurs analyses de régression, une plus forte dépendance de la capacité de marche à l’âge est mise en évidence par rapport aux comorbidités. Il existe donc des preuves suffisamment concrètes qui montrent qu’une amputation survenue à un jeune âge augmente considérablement la capacité de marche : Mezghani et Masmoudi mettent en évidence un jeune âge en faveur d’un meilleur devenir fonctionnel en démontrant significativement que l’autonomie fonctionnelle est inversement proportionnelle à l’âge [68]. En effet physiologiquement, la détérioration de l’organisme est fonction de l’avancée de l’âge [111]. Toutefois, l’âge ne doit pas être le seul facteur prise en compte pour décider d’apparier ou non un patient, Graham et Fyfe [112] rapportent d’ailleurs le succès de l’appareillage dans deux (02) situations clinique ou les patients étaient âgés de plus de 90 ans. L’âge élevé constituant en outre un facteur ralentissant les facultés d’adaptation, c’est pourquoi l’appareillage est compliqué arrivé à un certain âge. Pour les patients amputés vasculaires (artérites), notamment des personnes âgées : les patients avec une moyenne d’âge de 69 ans chez l’homme et de 77 ans chez la femme (moyenne d’âge de 78 ans) n’ont pas recours à la prothèse contre une moyenne de 68 ans pour ceux qui l’utilisent [113]. Lors de la rééducation, il est essentiel dans un premier temps de proposer des exercices adaptés et fonctionnels qui se rapprochant le plus de l’environnement du patient plutôt que de privilégier la performance comme chez un jeune amputé. Une aide de marche (canne, déambulateur) peut être proposée dans certain cas. L’objectif de la marche pour le patient étant d’acquérir une autonomie optimale en termes de sécurité et d’énergie qui se doivent de répondre aux besoins de chaque patient (un amputé âgé voudra avoir indépendance et autonomie à domicile dans les actes de la vie quotidienne). Certains principes très spécifiques en gériatrie outre la fatigue, déshydratation et autres principes doivent amener le MK à être vigilent. Le syndrome post-chute [115], syndrome de glissement [116] et le syndrome désadaptation psychomotrice viennent s’ajouter à une « une rééducation classique de l’amputé ».
- Profil psychologique
Une étude réalisée rapporte le lien possible entre facteur psychologique et capacité de déambulation des patients amputés [117]. L’évolution du travail de deuil est étroitement corrélée à l’étiologie. En effet, l’amputation dans un contexte traumatique survient la plupart du temps au cours d’un événement grave, brutal et inattendu entraînant chez le patient un choc émotionnel majeur qui remet souvent en cause tous ses projets d’avenir. A l’inverse, la phase de deuil est moins expressive chez les amputés vasculaires qui ont pu s’y préparer des mois à l’avance. L’amputation peut même parfois être perçue comme un soulagement par le patient qui souffrait considérablement à cause de sa pathologie. Dans ce cas le travail de deuil est facilité même s’il reste inévitable. Ainsi, l’évolution du travail de deuil a des répercussions sur la qualité de vie et le devenir fonctionnel des patients. Il conditionne la possibilité pour le patient d’établir un nouveau projet de vie et de réintégrer une nouvelle image de soi [118]. L’adaptation à la perte n’est réussie que lors du réinvestissement du membre amputé malgré le fait que les actes de compensation du handicap, via l’appareillage et la prothèse, ne constituent juste que des supports. Par ailleurs, la mise en place d’un appareillage ne peut être envisagée que lorsque le patient commence son processus de deuil [17]. La fréquence des troubles dépressifs est évaluée à 13% d’après certaines études. Effectivement, quand la dépression est présente, elle est très pénalisante pour la marche appareillée avec un risque de rejet de l’appareil [72]. Le vécu psychique des personnes amputées s’exprime souvent avec fugacité. Les kinésithérapeutes en sont fréquemment les dépositaires au moment des séances où le corps est mobilisé et les affects réactivés [17]. Le MK n’a pas de formation spécifique ni les compétences suffisantes lui permettant la prise en charge directe des troubles psychologiques, une mise en partage pluridisciplinaire permet alors d’intégrer la fugacité de ces émergences à la compréhension des patients afin d’ajuster les projets thérapeutiques entre le désir des thérapeutes, les possibilités fonctionnelles et l’état psychique du patient. Lors de la rééducation Mme P. souffrait de dépression pouvant quelquefois gêner le déroulement de la séance, à ce moment-là il est important de prendre le temps d’écouter la patiente. En effet, en entretenant le lien de confiance soignant/soigné, un gage du réinvestissement ou de la participation de la patiente à la rééducation dans les séances ultérieures est acquis. Dans le cadre de la prise en charge globale du patient, le MK doit tenir compte d’autres facteurs outre ceux discuté mais qui ont un impact direct ou indirect sur la marche prothétique. Parmi ces facteurs se retrouvent : le membre inférieur (MI) controlatéral, l’intégrité des membres supérieurs (MS) de même que la précocité de la prise en charge.
- Autres facteurs
- Membres inférieurs controlatéral
Le membre inférieur controlatéral joue un rôle primordial (verticalisaiton, équilibre …). Son intégrité, indispensable afin de suppléer le membre inférieur amputé, requiert ainsi une bonne force, une trophicité et l’absence de douleur. Cependant, en cas d’arthrose il peut être le siège de douleur. Chez les amputés unilatéraux [119, 120, 121,] un risque plus important d’arthrose et d’ostéoporose est observé par rapport à l’ensemble de la population. Chez les amputés transfémoraux les risques sont principalement dus à l’âge et à la charge importante supportée par le membre intacte.
Améliorer l’équilibre, la trophicité et la musculature du MI controlatéral font partie intégrante des objectifs du MK. Il s’agit alors d’obtenir un MI capable de suppléer le membre amputé. Dans le cas de Mme P. l’apparition d’une gonarthrose débutante pendant les exercices d’équilibres oblige quelquefois la suspension de la séance pour traiter le genou douloureux (poche de glace).
- Perturbations des fonctions de la main
Une étude réalisée sur 60 patients (âge moyen 62,3 ans) amputés du membre inférieur [125] à met en évidence un lien entre l’altération de la fonction de la main, les problèmes cutanées du moignon (phlyctènes) et le chaussage de la prothèse. Mme P. souffre de pathologie rhumatismale non définie qui entraîne une déformation des articulations de la main d’où une préhension incomplète [122] et un manque de force aux niveaux des MS. Ces déficiences sont responsables en grande partie de l’impossibilité de Mme P. à chausser de manière autonome sa prothèse. L’intégrité des MS est alors fondamental chez tous patients amputé du membre inférieur, d’où l’intérêt de continuer le renforcement pour Mme P.
- Précocité de la prise en charge (PEC)
Un meilleur potentiel de marche à un an est retrouvé lorsque l’intervalle de temps entre la chirurgie et l’admission en centre de rééducation est réduit [59, 46]. Les complications post-opératoires (infections des plaies…) pourraient rallonger ce délai, et retarder l’envoi en centre. L’intervention précoce du rééducateur [123, 73, 20] paraît alors être un élément primordial du pronostic fonctionnel chez l’amputé du MI.
Après son amputation Mme P. à changer de centre de rééducation et n’a malheureusement pas pu bénéficier d’une prise en charge rapide.
- Conclusion de l’étude
Différents paramètres sont étroitement corrélés au potentiel de marche de l’amputé selon certaines études, certains étant plus ou moins liés entre eux (âge, étiologie, état cognitif …). La différence de méthodologie, l’échantillon faible ainsi que la non considération de certains paramètres (étiologie, l’âge, niveau d’amputation …) peuvent expliquer les différences de résultats obtenus en rendant les données difficilement comparables et significatives. La mise en place de protocole standardisé de recherche permettrait d’homogénéisé ces résultats. Il apparait alors que l’ensemble de ces facteurs étudiés séparément ont tous une incidence à des degrés différents (Annexe), sur la rééducation. D’ailleurs, un approfondissement pour certains facteurs tels la motivation, profil psychologique, fonction des mains est encore nécessaire. Des preuves suffisantes montrent que l’étiologie, le niveau de l’amputation, l’âge, les troubles cognitifs, la VO2Max, l’équilibre et la précocité de la PEC ont une incidence directe sur le potentiel de marche. Les études relatives sur la force musculaire des MI indiquent le rôle joué par celui-ci sans pour autant établir son action sur la marche.
Quels sont les apports de la rééducation en masso-kinésithérapie pour Mme P. ? Quelles sont les solutions à mettre en place pour les amputés, particulièrement après leur sortie du centre ?
- Retour sur la patiente
Les données apportées par les articles et la situation de Mme P. montrent qu’aujourd’hui une rééducation basée exclusivement sur la marche ne suffit pas à accroître la performance de marche d’un patient amputé bien que répondant partiellement à ses besoins. La contrainte de temps, le peu de connaissances et l’inaccessibilité des lieux ne permettent pas une prise en charge optimale du patient amputé après sa sortie de centre de rééducation. Dans un contexte d’évolution et d’évaluation des pratiques professionnelles il devient alors primordial de considérer d’autres variables : il apparait notamment que le réentrainement à l’effort, l’équilibre et le force musculaire du MI jouent un rôle essentiel dans les capacités de marche. De plus, les éléments à améliorer: VO2Max, force MI, équilibre, intégrité MS ont été mis en évidence lors de l’entretien du 26/04/2014 avec la mise en place de quelques exercices d’auto-rééducation que Mme P. pourrait réaliser seule à domicile (exercices choisis et réalisés avant soumission à la patiente sous la forme d’un livret) ; proposant ainsi une « auto-prise en charge » à Mme P. parallèlement aux séances de kinésithérapies afin d’améliorer sa mobilité et son indépendance. En outre, les difficultés rencontrées par Mme P. pour chausser sa prothèse pourrait être résolues par l’utilisation d’un siège qui va permettre la station semi-assise (Fig. 31) et faciliter l’acquisition de l’équilibre en permettant à Mme P. d’utiliser ses deux (02) MS pour pallier au manque de force et parvenir à tirer suffisamment le manchon de sa prothèse.
- Perspectives personnelles
Le cas clinique de Mme P. montre qu’une optimisation rééducative pourrait améliorer la capacité de marche après la sortie du centre. D’ailleurs, l’auto-rééducation proposée à la patiente devrait être systématiquement proposée dans le cadre d’une éducation thérapeutique. A mon avis, la capacité de marche des personnes amputées âgées est sous estimer et nécessite de ce fait l’élaboration et la mise en place d’un tel programme.
La pratique de la kinésithérapie à domicile rencontre actuellement des problèmes subséquemment au coût financier, au manque de temps et au manque de formations sur certains facteurs importants dans la rééducation, notamment le plan psychologique.
Les bases de la rééducation étant encore en grande partie empiriques, il s’avère important de se fonder sur des preuves et la conjoncture économique.
Conclusion
Le suivi de Mme P. après sa sortie du centre de rééducation invite à faire une rétrospective sur le travail effectué au cours du stage. Il apparaissait des ressentis de douleurs au niveau des membres fantômes, une prise de poids dû à l’immobilité, une impossibilité de chausser seule sa prothèse, un périmètre de marche réduit dû à une fatigabilité précoce. L’ensemble de ces facteurs a un impact direct sur sa qualité de vie.
Les attentes de Mme P. reposent sur une autonomie plus grande avec sa prothèse «chausser seule sa prothèse et se déplacer aisément dans la résidence». L’utilisation d’un siège assis-debout pourrait ainsi augmenter considérablement l’autonomie de Mme P. et lui permettra un chaussage sans l’aide d’une tierce personne.
Le réentrainement à l’effort, le renforcement musculaire et le travail de l’équilibre, ainsi que la marche augmenteront son périmètre de marche tout en limitant sa fatigue.
Divers articles publiés dans le monde rapportent des facteurs qui influencent la capacité de marche d’un amputé et dont certains sont plus ou moins à la portée du MK (VO2Max, équilibre, force…). Beaucoup de ces facteurs sont connus ou admis dans le milieu rééducatif et la connaissance (et/ou la pertinence) de ces éléments permettent dans un premier temps d’établir un aperçu de la capacité du patient à marcher à moyen, à long terme et dans un second temps d’agir en privilégiant un axe rééducatif pour optimiser la prise en charge en kinésithérapie dans le but de faire mieux et non de faire plus.
Les réponses obtenues par le questionnaire en Côte d’ Ivoire montrent l’intérêt des autoprogrammes de rééducations dans les pays où les soins en rééducation physique sont pris en charge partiellement. Un autoprogramme spécifique et adapté répondant aux besoins de chaque patient amputé du membre inférieur (unilatéral) pourra être proposé à partir des études de chaque cas.
La démarche scientifique en kinésithérapie se développe de plus en plus ces dernières années et n’a de réel intérêt que si elle enrichit et fait avancer la pratique professionnelle au quotidien.
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