Le commerce international : de l’Antiquité à la mondialisation moderne
REFLEXIONS SUR LA REGLEMENTATION DES ECHANGES INTERNATIONAUX AU SEIN DES COMMUNAUTÉS ÉCONOMIQUES RÉGIONALES (C.E.R.):CAS DE LA C.E.D.E.A.O
« Aucun pays n’a connu de développement réussi en tournant le dos au commerce international et aux flux de capitaux à long terme (…) »[1]. Discipline scientifique incontournable, le commerce international prend une dimension incommensurable par la globalisation et la mondialisation.
L’époque est révolue où une entreprise pouvait circonscrire son activité dans les limites de sa région ou de son pays, les échanges devenant de plus en plus internationaux. Par cette dynamique qui semble s’intensifier de jour en jour, le commerce s’est inscrit désormais dans une logique internationale et mondiale.
Le commerce vers l’extérieur a évidement toujours existé. Ainsi dès l’Antiquité, les navigateurs phéniciens, puis Rome établissent des réseaux d’échanges à travers la Méditerranée. Les relations commerciales s’étendent de l’Égypte et de l’Orient profond jusqu’aux côtes espagnoles. Et l’intensification des échanges de céréales, de métaux, de produits artisanaux est déjà soutenue par le progrès des techniques de navigation[2].
Le commerce vers l’extérieur connaîtra même un essor considérable à l’époque de la Révolution industrielle, et l’essor du commerce britannique en est le meilleur exemple. En effet, il avait quadruplé de 1854 à 1913, et la stagnation économique de l’Occident traditionnel durant la période 1920-1939 se mesure au déclin des échanges britanniques[3].
Cependant, le commerce vers l’extérieur tel qu’il était connu à cette époque n’a rien à voir avec la mondialisation d’aujourd’hui. Le phénomène de mondialisation actuel se caractérise par son ampleur et son intensité, car « toutes les couches des activités humaines formant le substrat des échanges mondiaux sont concernées. Sont visées toutes les activités économiques : de l’échange classique de marchandises à l’activité bancaire et financière en passant par les relations transnationales de travail. Les échanges non économiques sont également concernés, comme en matière culturelle »[4].
On ne se trouve plus dans la logique traditionnelle de la division internationale du travail[5] entre pays industriels (les pays de l’Occident) et pays pourvoyeurs de produits bruts (généralement ceux du Sud) qui a dominé le commerce extérieur des pays occidentaux au moment de la Révolution Industrielle. Car la mondialisation économique désigne un processus d’intensification des échanges internationaux de toute nature : marchandises, capitaux, investissements, informations et les personnes.
Soulignons cependant que la mondialisation ne doit être confondue « ni avec l’universalisation, laquelle se situe au plan des valeurs, et désigne l’occasion d’un partage de sens, ni avec l’internationalisation »[6]. La mondialisation est un processus de « libéralisation des échanges, des investissements et des flux de capitaux ainsi qu’à l’importance croissante de tous ces flux et de la concurrence internationale dans l’économie mondiale »[7].
La mondialisation est un processus dans lequel prédomine la concurrence internationale. En effet, en matière de commerce international, et à plus forte raison, dans le contexte de la mondialisation, chaque Etat se comporte comme un opérateur économique à part entière, dont la seule mission semble être de faire en sorte d’arriver à surpasser les autres en terme de performances économiques et de rentabilité[8].
A noter cependant que ce comportement des Etats n’est pas nouveau. Les Puissances Occidentales se sont toujours comportées comme des puissances économiques rivales défendant jalousement leurs territoires et leur part du marché, chaque fois qu’il était question de commerce extérieur. Rivalité qui a prédominé et qui a d’ailleurs joué un rôle déterminant dans l’explosion des deux guerres mondiales qui ont failli avoir définitivement raison de la Grande Europe.
C’est pour cette raison qu’au sortir de la Guerre, ces mêmes puissances économiques ont décidé d’adopter une nouvelle approche du commerce international. La coopération était devenue leur leitmotiv.
Le but étant de libéraliser, de fluidifier et d’intensifier les échanges internationaux entre les différents pays et parvenir par ce moyen à maintenir une paix plus durable entre les différents acteurs du droit international[9].
Ce qui va aboutir à l’élaboration d’un instrument juridique important qu’est le GATT (General Agreement on Tariffs and Trade ou Accord Général sur les Tarifs et le Commerce), en 1947 à l’issue de négociations entamées en 1946 à Londres. Les Etats signataires posent les prémices d’un système d’organisation multilatérale des échanges qui sera progressivement mis en place.
La mise en place du GATT constituera un tournant important dans l’histoire du commerce international ; pour autant, ses effets restent assez limités et ne sont pas en conformité avec les réalités économiques.
Le GATT facilite en effet la libéralisation des échanges entre les Etats signataires, mais il ne contribue pas à l’intégration de tous les Etats dans le commerce international, occasionnant ainsi une répartition inégale entre les différents pays des effets bénéfiques du développement des échanges.
En effet, la libéralisation des échanges instaurée par le GATT ne concerne en réalité que les échanges industriels, ne se préoccupant pas des secteurs de l’agriculture et des services, oubliant ainsi les pays qui auraient dû profiter de cette libéralisation des échanges, notamment les pays en voie de développement.
De plus, le système fait apparaître d’importantes barrières non tarifaires qui sont tout autant, sinon plus, dommageables que les barrières tarifaires.
Ces lacunes font apparaître les limites d’une organisation des échanges qui serait purement multilatérale, et va pousser les Etats à créer à l’échelon régional des unions douanières et des zones de libre-échange. Le but étant d’approfondir l’accès aux marchés par les Etats membres et cela du seul fait de leur intégration à un groupement régional.
Mais pour bien comprendre le processus dans son ensemble, il nous faut revenir, dans cette introduction, sur certains points importants qui ont contribué à la naissance de tels regroupements. Ainsi, nous allons revenir sur l’évolution historique des échanges internationaux, où nous allons essayer de décortiquer la nature des relations ayant prédominé entre les grandes puissances avant 1945, ce qui a justifié la mise en place d’un système d’organisation multilatérale et étudier plus en détail les effets d’un tel système d’organisation, notamment la formation des regroupements économiques régionaux (I).
Mais nous consacrerons une attention bien particulière sur le cas de l’Afrique, les difficultés rencontrées par le continent pour se mettre au niveau du reste du monde, même les pays considérés comme en voie de développement des autres continents. Et nous allons nous appesantir sur le cas très particulier de l’Afrique de l’Ouest (II).
Il est très tentant d’étudier la question de l’évolution historique des échanges internationaux en nous en tenant simplement aux chiffres, malheureusement cela ne nous serait d’aucune aide sur le plan juridique. Nous allons aborder notre travail sous un autre angle, et allons étudier les instruments juridiques et commerciaux à caractères internationaux élaborés pour règlementer les échanges internationaux.
Pour cela nous allons étudier séparément les instruments élaborés avant 1945, et ceux qui ont été élaborés à la fin de la deuxième guerre mondiale.
Comme nous l’avons évoqué supra, constitue également une négociation commerciale la discussion, entre deux États souverains, des clauses et conditions du traité international qu’ils se proposent de conclure en vue d’augmenter, de diminuer ou d’orienter entre eux leurs importations ou leurs exportations.
Mais le développement des négociations internationales en matière commerciale a toujours dépendu et dépend encore aujourd’hui, de la conception que se forgent les États de leurs intérêts en matière de relations économiques. Ce qui complique les choses, c’est que ces intérêts peuvent être purement économiques. Mais ces intérêts peuvent aussi revêtir une coloration politique selon que ces États sont plus ou moins sensibles aux considérations d’indépendance ou d’interdépendance.
Sans oublier que l’Etat, même s’il semble, a priori, avoir toute latitude pour décider de la direction à prendre et des conventions qu’il veut passer. L’Etat reste soumis, dans l’ordre interne, à un groupe de pression qui peut influencer ses décisions, à savoir, les consommateurs et, d’autre part, les producteurs locaux. Il doit toujours avoir à l’œil leurs intérêts, même si ces intérêts ne sont presque jamais convergents[10].
Dans les premiers temps, l’Etat s’est exclusivement intéressé aux intérêts des producteurs locaux ce qui a favorisé une politique d’autarcie, pas toujours bénéfiques pour les consommateurs.
Ainsi, vers le début du XIXe siècle, la volonté de développer tel ou tel secteur de l’économie nationale a poussé les Etats à protéger celui-ci des dangers que pourrait lui faire courir la concurrence internationale, alors que ce secteur se trouve encore en situation de vulnérabilité. Les Etats se sont donc adonnés sans vergogne à l’unilatéralisme qui bien évidemment allait de pair avec le protectionnisme. Or la politique tarifaire ne faisait qu’encourager unilatéralisme et protectionnisme.
Ainsi, pour ne citer qu’un exemple, la politique tarifaire des États-Unis a-t-elle permis la naissance d’une puissante industrie en protégeant la production manufacturière du Nord, au début du XIXe siècle, par une augmentation continue des droits de douane à l’importation. Politique qui devait culminer en 1828 avec le célèbre Tariff of Abominations, le droit moyen atteignant alors le taux exorbitant de 33,33%[11].
La politique tarifaire était un excellent moyen pour protéger les entreprises nationales de la concurrence extérieure, mais elle pouvait également entraver gravement la liberté de commerce, et cela d’autant plus qu’elle ne se justifiait pas toujours par le besoin de protéger le marché intérieur de l’immixtion de produits étrangers.
Toujours dans le cas des Etats-Unis, au lendemain de la Première Guerre mondiale, ils étaient en passe de devenir la plus grande des puissances économiques : leur industrie occupait une position importante, sinon dominante ; leur commerce extérieur était florissant et leur balance des paiements, de déficitaire, était devenue excédentaire. Et malgré tout, l’esprit isolationniste, que ne caractérisait pas sa rationalité, devait, en 1930, amener le Congrès fédéral à voter le Tariff Smoot-Hawley, le plus élevé de toute l’histoire des États-Unis[12].
Les échanges internationaux avant 1945 étaient donc caractérisés par cette volonté des Etats de limiter l’entrée de produits de pays étranger sur leur marché intérieur qu’ils protégeaient jalousement, par le moyen des barrières tarifaires.
Finalement donc, même si le droit économique qui, sous sa forme embryonnaire, existait déjà, semblait favoriser la liberté de commerce, cette liberté s’exerçait sous réserve de la souveraineté des États : ceux-ci, sans doute aucun, pouvaient manipuler comme ils l’entendaient leur tarif douanier, prohiber ou limiter les opérations d’importation et d’exportation, ou encore assortir ces opérations des restrictions de change qui leur paraîtront opportunes.
Cette atteinte à la liberté du commerce du fait de l’utilisation abusive de l’arme de la souveraineté, et les conséquences qu’elle a fini par avoir même sur les économies nationales, explique pourquoi, en matière commerciale, l’unilatéralisme a été expressément répudié au profit du multilatéralisme – notamment en ce qui concerne le recours aux moyens de défense commerciale.
On voit alors apparaître le bilatéralisme au XIXe siècle, lorsque les relations commerciales internationales prennent leur essor. Le bilatéralisme trouve son vecteur juridique dans la convention bilatérale, acte consensuel passé en la forme écrite par deux États, destiné à produire des effets de droit, et régi par le droit international[13].
L’un comme l’autre constituaient les instruments juridiques privilégiés des pays européens soit entre eux, soit avec les pays qui vont progressivement accéder à la souveraineté internationale, à partir du début du XIXe siècle. Le recours au bilatéralisme est justifié par la théorie des avantages comparatifs.
En effet, les pays européens peuvent de la sorte assurer à la fois leur approvisionnement en matières premières et l’écoulement de leurs produits semi-manufacturés et manufacturés. Il y a donc là une idée de préférence or l’idée de préférence, elle-même, fait appel à l’idée de concessions mutuelles que se consentent les pays contractants en matière commerciale.
Pour ce qui est de la France, dès le début de la IIIe République, le droit français a établit une distinction entre traité de commerce et accord de commerce, même si les textes constitutionnels[14] ne mentionnent que les seuls traités de commerce. Ainsi, le traité de commerce se définissait alors comme la convention internationale dont l’unique objet était d’accorder des concessions tarifaires. L’accord de commerce, en revanche, se définissait comme la convention internationale qui, tout en ayant une incidence directe sur les opérations du commerce international, ne contenait aucune concession tarifaire.
Cette distinction a cependant eu du mal à s’appliquer dans la pratique, un grand nombre de conventions commerciales comprenant à la fois des stipulations en matière tarifaire et en matière autre que tarifaire. Ces instruments conventionnels présentaient donc un caractère mixte, et furent rangés dans la catégorie des traités de commerce ; ce qui eut pour conséquence qu’ils ne pouvaient plus entrer en vigueur que sur autorisation parlementaire de ratification[15].
A tel point que la loi du 19 juillet 1919 avait même allégé et unifié les procédures d’entrée en vigueur des deux catégories d’instruments. Elle prévoyait ainsi, dans son article unique que « le Gouvernement est autorisé à négocier avec les pays étrangers, pour une durée déterminée, la concession de réductions de droits sur le tarif général, calculées en pourcentage sur l’écart existant entre le tarif de droit commun et le tarif minimum. Les réductions accordées dans ces conditions pourront, en échange d’avantages corrélatifs, être mises provisoirement en application par décrets rendus en Conseil des Ministres. Dans ce cas, les accords conclus devront être soumis à la ratification des Chambres, immédiatement si elles sont réunies, sinon, dès l’ouverture de la session suivante»[16].
Malgré tout, et en dépit de la pratique, l’article 27 de la Constitution du 27 octobre 1946, toutefois, devait établir une stricte séparation entre traités de commerce et accords de commerce. Il disposait, en effet, que ne pouvaient être ratifiés que sur autorisation législative les traités qui modifiaient les lois internes. Or, les conventions comportant concessions tarifaires modifiaient le tarif douanier, qui est voté par le Parlement.
De même, la pratique de la IVe République, se fondant sur cette disposition, devait donc exiger l’autorisation parlementaire de ratification, dès lors qu’il y avait concession tarifaire.
Les accords commerciaux ont pour objet de déterminer les modalités d’importation et d’exportation des marchandises par la fixation de produits et contingents. Les règles générales de transactions commerciales sont négociées dans le cadre de la législation en vigueur, et n’y portent pas atteinte.
Les traités de commerce visés par l’article 27 de la Constitution française comportent des clauses relatives au tarif douanier et impliquent nécessairement des incidences sur une législation déterminée par le Parlement. Dans ces conditions, l’autorisation parlementaire prévue par la Constitution pour la ratification des traités de commerce n’est pas nécessaire pour la mise en vigueur de l’accord commercial »[17].
Le phénomène de puissance apparaît dans le bilatéraliisme dans toute son ampleur : la partie la plus forte parvenant toujours aux termes des négociations à imposer ses idées à la partie la plus faible ; il en résulte la mise en place de tout un réseau conventionnel traitant différemment les partenaires économiques à raison de leur puissance comparée.
Voilà pourquoi, le bilatéralisme se trouve en principe écarté au profit du multilatéralisme considéré garant de l’égalité et de la non-discrimination entre les États et leurs agents économiques.
A partir de 1945, l’essor des instruments multilatéraux s’est fait plus intense, la raison en est que le commerce mondial était en plein développement et que les instruments bilatéraux ne prenaient plus suffisamment en compte les besoins des pays partenaires. Surtout en ce qui concerne la concurrence mondiale. On assiste alors à la mise en place d’instruments qui procédaient à une plus grande libéralisation des échanges mais qui offraient également une bien meilleure protection au niveau de la concurrence aux pays membres.
l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce du 30 octobre 1947 (plus connu sous le nom de ses initiales anglaises de GATT pour General agreement on tariffs and trade) marque un tournant dans le développement du commerce international. En effet, la notion de multilatéralisme fait appel à celles de libéralisation, de non-discrimination et de réciprocité des relations commerciales internationales.
Mais le concept du multilatéralisme fait sa première apparition lors de l’adoption des statuts du Fonds monétaire international (FMI) à la suite de la conférence de Bretton Woods de juillet 1944[18].
Par la suite, il devait être au centre tant de l’Organisation internationale du commerce (OIC), dont la charte fut adoptée à La Havane en 1948 et qui n’entra jamais en vigueur, que de son succédané provisoire, le GATT. Il en va bien entendu de même de la nouvelle OMC qui a commencé à fonctionner à partir du 1er Janvier 1995.
On notera, en revanche, que rien de tel n’existe en matière d’investissements internationaux. L’échec en 1998 des négociations entreprises au sein de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) pour conclure en ce sens un accord multilatéral sur l’investissement (AMI) est pour le moins de mauvais augure dans une perspective de comblement de cette lacune dans un proche avenir.
Pour en revenir au GATT, c’est le premier instrument juridique qui met en place le fondement des négociations commerciales multilatérales. Car il prévoit que des représentants de ces dernières « se réuniront périodiquement afin d’assurer l’exécution des dispositions du présent accord qui comportent une action collective et, d’une manière générale, de faciliter l’application du présent Accord et de permettre d’atteindre ses objectifs » (art. XXV, 1, « action collective des parties contractantes »).
De même, l’article XXVIII bis relatif aux négociations tarifaires fait référence à la simple possibilité qu’ont les parties contractantes « d’organiser périodiquement de telles négociations » (art. XXVIII bis, 1).
Cependant, cet article ne règle pas tous les aspects pratiques de la question, bien loin s’en faut. En effet, rien n’est dit du cadre dans lequel les négociations se dérouleront. Rien n’est dit de la convocation des réunions (sauf la première qui devra se tenir avant le 1er mars 1948 et sur convocation du… secrétaire général de l’ONU, art. XXV, 2).
Rien bien sûr n’est dit quant à leur tenue. Rien n’est dit non plus quant à leur périodicité ;la seule obligation que les parties contractantes acceptèrent alors de souscrire fut de se réunir de temps à autre pour assurer l’application du GATT, ce qui n’était en rien contraignant en raison de sa nature d’accord-cadre.
Mais malgré ses lacunes, l’institutionnalisation du GATT[19] devait lui permettre de remplir avec plus d’efficacité et de succès sa mission fondamentale de centre de négociations commerciales multilatérales entre les parties contractantes. De l’action générale initialement prévue, on est progressivement passé aux négociations commerciales multilatérales entreprises de façon quasi permanente par les pays « membres » du GATT.
Il n’empêche que l’imprécision domine quand même. L’article XXV précité fait référence « d’une manière générale » à l’application du GATT, ce qui veut dire que les négociations commerciales internationales sont susceptibles de porter sur tout le domaine matériel couvert par l’Accord.
Cependant, l’Accord général, et en cela il est bien le produit de son époque, privilégie les « négociations tarifaires ». Dans cette optique, et par la force des choses, le GATT assigne aux négociations commerciales à venir « l’abaissement des droits de douane » ou la « consolidation » de ceux-ci à des niveaux prédéterminés, l’un et l’autre étant considérés comme des concessions équivalentes (art. XXVIII bis, 2, a).
L’Accord de 1947 n’a donc pas du tout pris en compte le fait que ce sont les barrières (ou obstacles) non tarifaires qui allaient constituer les plus grands obstacles au commerce et non plus les barrières tarifaires.
Et pour ce qui est des méthodes de négociation, l’Accord général demeurait très imprécis et est vite apparu comme dépassé. Le problème, c’est que le GATT ne donne que de rares précisions quant aux méthodes de négociation dans la seule matière tarifaire.
À ce titre, il privilégie les négociations bilatérales engagées pays par pays sur la base de la règle du « principal fournisseur » (art. XXVIII) et produit par produit (art. XXVIII bis, 2, a). L’Accord général n’exclut cependant pas le recours à des « procédures multilatérales acceptées par les parties contractantes en cause » (art. XXVIII bis, 2, a).
Initialement, les premiers cycles de négociation, qui d’ailleurs ne portèrent que sur les droits de douane, se déroulèrent selon la méthode bilatérale. Il apparut vite à l’expérience qu’elle était à la fois trop lourde, peu efficace et manquant totalement de transparence. Elle fut clairement et définitivement abandonnée au profit de méthodes multilatérales à partir du cycle Kennedy (Kennedy Round 1963-1967).
Le concept de réciprocité se trouve à la base du droit des obligations qu’il soit interne ou international. Le GATT fait de la réciprocité le principe central de toutes les négociations commerciales multilatérales, que celles-ci se déroulent dans des cycles (rounds) organisés périodiquement ou à l’occasion de renégociations ponctuelles à la suite de modification de concessions initiales[20].
La notion de réciprocité dépend en effet du jugement porté par chaque partie contractante participant aux négociations commerciales sur la valeur des concessions obtenues de la part des autres participants. Autrement dit, est réciproque une concession commerciale jugée comme telle par les parties contractantes ayant participé aux négociations.
Mais ce concept a été très rapidement contesté par les parties contractantes en voie de développement pour qui la réciprocité ne saurait jouer qu’entre pays de même niveau de développement. Point de vue suivi par l’Accord puisque les pays du tiers-monde, parties contractantes du GATT, ont pu obtenir satisfaction avec l’adjonction à l’Accord général en 1966 de la partie IV portant sur « le commerce et le développement ».
Le nouvel article XXXVI, 8, contient un nouveau principe de non-réciprocité dans les rapports commerciaux Nord/Sud. Il dispose que « les parties contractantes développées n’attendent pas de réciprocité pour les engagements pris par elles dans les négociations commerciales de réduire ou d’éliminer les droits de douane et autres obstacles au commerce des parties contractantes peu développées».
Les dispositions précitées de l’Accord général associent toujours « réciprocité » et « avantages mutuels », alors qu’il s’agit là de deux concepts séparés ; le second venant simplement préciser et qualifier le premier. En effet, il est loisible d’envisager des situations où le principe de réciprocité joue sans que celui-ci entraîne une égalité ou une mutualité des concessions accordées. La réciprocité peut se satisfaire de l’inégalité des concessions mutuelles que les parties contractantes ont décidé de s’accorder.
Or, l’économie générale du GATT en matière de négociations commerciales multilatérales va incontestablement dans le sens d’un équilibre des concessions que les parties contractantes vont s’accorder mutuellement. Il en va de même en cas de retraits de concessions par une partie contractante qui pourra, au nom d’une réciprocité égalitaire négative, entraîner d’autres retraits « de concessions substantiellement équivalentes » (art. XXVIII, 3, b).
Sans doute, les raisons essentielles de ces lacunes sont-elles à trouver dans l’insuffisance des instruments de mesure et d’évaluation existants et dans l’imprécision relative des statistiques douanières. Il n’y a qu’un seul domaine où le GATT se montre directif en affirmant l’équivalence entre une réduction de droits de douane élevés et la consolidation de droits peu élevés, voire un régime d’admission en franchise (art. XXVIII bis, 2, a, in fine).
L’égalité de traitement entre les parties contractantes se vérifie ici concrètement en matière de généralisation des concessions négociées au sein du GATT et sous ses auspices.
En effet, les concessions commerciales offertes par les parties contractantes et insérées dans leurs listes (schedules) sont automatiquement étendues à toutes les autres parties contractantes.
Mais si la réciprocité joue au niveau et à l’occasion des négociations commerciales proprement dites, elle ne s’appliquera pas aux résultats, c’est-à-dire aux concessions offertes par les parties contractantes et insérées dans leurs listes, qui, elles-mêmes font partie intégrante de l’Accord général et possèdent la même force juridique obligatoire (art. II).
Cette généralisation automatique et inconditionnelle des concessions commerciales négociées (ou renégociées) a donc pour but principal d’assure l’absence de la moindre discrimination entre les parties contractantes. Cependant, cette mesure, bien qu’ayant des avantages considérables et certains, n’est pas exempte d’inconvénients. Et d’inconvénients sérieux.
En effet, si la réciprocité joue bien au niveau et à l’occasion des négociations commerciales proprement dites, elle ne s’appliquera pas aux résultats, c’est-à-dire aux concessions offertes par les parties contractantes et insérées dans leurs listes, qui, elles-mêmes font partie intégrante de l’Accord général et possèdent la même force juridique obligatoire (art. II).
Cette situation va avoir pour résultat de permettre certaines parties contractantes du GATT, de bénéficier automatiquement de toutes les concessions commerciales négociées en son sein ou sous ses auspices, sans ne présenter de son côté que des offres limitées. C’est ce que les américains appellent « course gratuite » (free ride) ou « repas gratuit » (free lunch).
La conséquence la plus logique, et la plus dangereuse pour la survie de l’Accord Général était que les autres parties contractantes risquaient de retirer leurs offres au nom d’une absence de « réciprocité ou d’avantages mutuels ». De plus, lesdites offres risquaient d’être alignées sur la plus basse d’entre elles, limitant gravement ainsi la libéralisation des échanges tant recherchée par les parties contractantes, puisqu’elle serait dans ce cas de figure réduite au plus petit dénominateur commun.
Il s’agit là de l’une des nombreuses lacunes dont souffrait le GATT et pour lesquelles l’on a essayé de trouver une solution appropriée pour éviter que les pays contractants ne versent dans la lause de la nation la plus favorisée de type conditionnel, qui impliquerait qu’ une partie contractante du GATT ne pourrait bénéficier des concessions commerciales offertes par les autres que si, elle-même, avait fait des concessions équivalentes.
Car cette solution risque d’entrainer une discrimination commerciale entre les Nations et qui serait fondée sur leurs inégalités de puissance de négociation. Situation qui aurait anéanti tous les efforts accompli et aurait ramené le monde économique au même point qu’avant la mise en place du GATT.
L’Organisation Mondiale du Commerce, OMC, est entrée en fonction à la date du 1er janvier 1995 et succède ainsi au GATT. L’OMC est une organisation internationale au sens juridique du terme, contrairement au GATT qui n’en avait pas les caractéristiques. Mais le GATT et l’OMC ont la même vocation qui est de gérer le système commercial multilatéral.
La mise en place de l’OMC s’inscrit toujours dans la logique du multilatéralisme. Elle est, tout comme le GATT, basée sur la doctrine de la libéralisation des échanges, du libre-échange. Leur existence est justifiée par le fait que s’il ne fait aucun doute que la logique des négociations commerciales multilatérales est de réduire toutes les formes de protectionnisme, cela ne peut se faire en dehors de tout cadre juridique. La libéralisation commerciale ne peut être pensée sans régulation.
La mise en place de l’OMC fait suite à la constatation de l’effritement du GATT. Les nombreuses lacunes du GATT, dont nous avons évoqué des échantillons supra, ont fait que les pays membres ont décidé de trouver un moyen de mettre en place un nouveau système multilatéral des échanges, à la fois mondial et renforcé.
C’est dans cet esprit que les parties contractantes à l’Accord Général ont mené les cycles de l’Uruguay qui avaient aboutis à la création de l’OMC. L’objectif avoué desdites parties était de « repousser le protectionnisme par l’établissement d’un système commercial plus ouvert»[21].
Ainsi après plusieurs conférences[22], les pays membres de l’Accord Général parviennent à édifier un texte destiné à fondé le futur OMC, une organisation à vocation réellement international qui serait à même d’éviter les écueils qui sont venus à bout du GATT. Ainsi le 15 avril 1994 à Marrakech, les pays membres du GATT signeront l’Acte final du cycle de l’Uruguay Round et signifieront la fin du GATT et l’entrée dans l’ère OMC et ce dès le 1er Janvier 1995.
L’OMC reprend les principes phares du GATT, comme la non-discrimination, la réciprocité, ainsi que le principe de la transparence. Par contre, il est innovant par rapport au GATT en ce que son acte final constitue un ensemble unifié.
Cela signifie qu’il doit être considéré comme un tout à prendre ou à laisser par les États intéressés. Ceux-ci sont alors tenus de respecter tout le texte sans avoir le droit de choisir entre les clauses qui conviennent à leurs attentes et les autres.
On peut également constater qu’il a été opéré une réintégration de secteurs anciennement exclus par l’Accord général, comme par exemple le secteur de l’agriculture qui a fait l’objet d’une éviction de facto[23]. On assiste aussi à l’intégration du textile et des vêtements, secteur qui a également fait l’objet d’une exclusion qui s’est effectuée tacitement et de manière progressive à travers les différends accords passés par les pays membres de l’Accord général entre eux. Des accords qui ont opéré un démembrement de l’Accord en sortant le textile de son sphère de compétence.
La dernière innovation, mais qui n’est pas des moindre consiste en l’intégration de nouveaux secteurs. L’OMC inclue dans sa sphère de compétence de nouveaux secteurs, notamment celui du service, des investissements et de la propriété intellectuelle.
Pour ce qui concerne les services, son introduction résulte du constat selon lequel le commerce de services était important pour la croissance et le développement de l’économie mondiale. Quant à l’investissement, son introduction dans le champ de compétence de l’OMC a pour but de combattre l’effet néfaste sur le commerce international en raison des détournements d’échange entraînés par les obligations de résultat[24] dans leur ensemble et notamment de celles prenant la forme d’engagement d’exportation ou d’approvisionnement de biens et services.
Et pour ce qui est de la propriété intellectuelle, elle a été introduite dans le champ d’application de l’OMC car le développement des évolutions technologiques, des découvertes scientifiques et des savoir-faire importants[25] pour l’amélioration des produits dans le commerce ont fait apparaître « la nécessité de promouvoir une protection efficace et suffisante des droits de propriété intellectuelle et de faire en sorte que les mesures et les procédures visant à faire respecter les droits de propriété intellectuelle ne deviennent pas elles-mêmes des obstacles au commerce légitime ».
Nous dénombrons un peu moins d’une dizaine d’organisation internationales qui on grandement œuvré à favoriser le commerce et les échanges au niveau internationales. Des organisations qui ont été instituées directement par les accords de Bretton Woods ou qui ont été créées sous l’égide des Nations Unies peu plus tard.
Le Fonds Monétaire International a été créé afin de promouvoir la coopération monétaire internationale, faciliter l’expansion et l’accroissement harmonieux du commerce international et contribuer ainsi à l’instauration et au maintien d’un niveau élevé d’emploi et de revenu réel et au développement des ressources productives, promouvoir la stabilité des changes et éviter les dépréciations compétitives.
Il doit également favoriser l’établissement d’un système multilatéral de règlement des transactions courantes et éliminer les restrictions de change qui entravent le développement du commerce mondial, veiller à l’application du code de bonne conduite monétaire défini dans ses statuts en assurant « une ferme surveillance » sur les politiques économiques des pays membres.
Et enfin il doit mettre à disposition des Etats membres des ressources financières, à court terme, pour leur permettre de se conformer à ce cadre, tout en corrigeant ou en prévenant les déséquilibres des paiements par des politiques économiques appropriées.
La banque mondiale pour sa part est formée par plusieurs institutions dont le but est de d’accorder des prêts à long terme pour financer des projets précis de reconstruction et plus généralement de développement économique quand les capitaux privés refusent de le faire.
Tout comme le FMI, la Banque Mondiale ne travaille pas avec les opérateurs privés, elle ne peut financer que les Etats ou les organismes garantis par l’Etat et elle fonctionne aujourd’hui selon des principes directeurs établis dans le début des années 90. Principes élaborés afin de satisfaire la « la nécessité d’un cadre juridique global qui doit incarner les principes juridiques essentiels afin de promouvoir les IED »[26].
La Banque Mondiale s’est donc donné pour mission de promouvoir les Investissements Directs Etrangers (IDE), car « un plus grand flux d’IDE apporte des avantages substantiels pour supporter l’économie mondiale, et l’économie des pays en développement en particulier, en termes d’amélioration de l’efficacité à long terme du pays d’accueil par une plus grande concurrence, le transfert de capitaux, de technologies et de compétences managériales et l’amélioration de l’accès aux marchés et en termes d’expansion du commerce international »[27].
L’Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE) fait certes partie des Nations Unies, mais elle est cependant issue d’une initiative européenne, elle succède ainsi à l’Organisation européenne pour la coopération économique (OECE).
L’OCDE n’est pas un organe d’intégration, elle ne dispose donc pas de pouvoirs très étendus, cependant elle jouit quand même d’un poids certain dans le domaine des échanges et du développement.
L’article 1 de la Convention de l’OCDE définit sa mission de la sorte : « L’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (appelée ci-dessous l’ « Organisation ») a pour objectif de promouvoir des politiques visant : a) à réaliser la plus forte expansion possible de l’économie et de l’emploi et une progression du niveau de vie dans les pays membres, tout en maintenant la stabilité financière, et à contribuer ainsi au développement de l’économie mondiale ; b) à contribuer à une saine expansion économique dans les pays membres, ainsi que non membres, en voie de développement économique ; c) à contribuer à l’expansion du commerce mondial sur une base multilatérale et non discriminatoire conformément aux obligations internationales ».
L’OCDE intervient donc du point de vue économique dans l’agriculture, la concurrence, le développement régional, urbain et rural, au niveau des entreprises ainsi que des Entreprises, industrie et services.
Du point de vue du développement, l’OCDE, au début des années 2000, a rejoint le Groupe de direction chargé d’en suivre la mise en œuvre des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) définis par l’Organisation des Nations Unies. L’organisation a également rejoint le programme 2030 du développement durable en soutenant les 17 objectifs de développement durable adoptés par les 193 pays représentés à l’Assemblée générale des Nations Unies[28].
Mais l’OCDE reste pour l’essentiel un « Club des pays riches » puisqu’il rassemble la plupart des pays européens, le Canada, l’Australie, la Nouvelle Zélande et le Mexique, et d’autres Etats, comme la Russie, sont sur le point d’intégrer cette organisation, et même si elle participe dans la mise en œuvre des ODD, ses actions pour le reste du monde sont assez restreintes.
La Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement a été crée en 1964, et cela suite à la demande pressante des pays en développement qui voulaient avoir un rôle à jouer dans le développement du commerce international. Ces pays voulaient la tenue d’une véritable conférence pour traiter de leurs problèmes et trouver des moyens d’action appropriés à l’échelon international. Ainsi la toute première conférence dans le cadre de la CNUCED a eu lieu en 1964, au cours de laquelle les pays membres avaient de tenir la Conférence tous les quatre ans.
La CNUCED est vite devenue une instance intergouvernementale de dialogue et de négociations Nord-Sud Sud sur les sujets constituant les premières préoccupations des pays en développement, à l’instar du « Nouvel ordre économique international ». Et également un organe se consacrant à la recherche et à la fourniture de conseils concernant les questions de développement.
L’une des plus grandes réalisations de cette organisation est sans soute la promotion de la coopération Sud-Sud, en effet, en 1989, est entré en vigueur l’Accord sur le Système global de préférences commerciales entre pays en développement (CGSP), en vertu duquel les pays signataires s’accordent mutuellement des préférences tarifaires et non tarifaires[29].
Le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) a été créé en 1965 pour faire face aux besoins croissants des pays en développement nés de la marche à l’universalité. En fait le PNUD n’est pas vraiment un nouvel organisme de l’ONU puisqu’il résulte de la fusion du Programme élargi d’assistance technique (PEAT) créé en 1949 et du Fond Spécial créé en 1958).
Dans le domaine du développement, le PNUD est l’agence centrale de planification, de financement et de coordination du système de l’ONU. Le PNUD promeut le développement humain durable et accorde la plus haute priorité à la lutte contre la pauvreté.
Pour réaliser ses objectifs, le PNUD a axé ses actions sur plusieurs points : la gouvernance démocratique, la lutte contre la pauvreté, la gestion de l’environnement et de l’énergie en promouvant la gestion durable des ressources, et enfin la prévention et maîtrise des crises.
L’Organisation des Nations Unies pour le développement industriel (ONUDI) a été créé le 17 novembre 1966 par la résolution 2152 (XXI) de l’Assemblée Générale. Sa mission ainsi que l’indique son nom d’ailleurs est de promouvoir et d’accélérer l’industrialisation des pays en voie de développement.
Comme les autres organisations étudiées précédemment, l’ONUDI a pour principal but de réduire la pauvreté et cela par le développement industriel durable. Ses actions sont axées sur trois points importants. A savoir la réduction de la pauvreté grâce à des activités productives ; le renforcement des capacités commerciales ; l’énergie et l’environnement[30].
La CNUDCI ou Commission des Nations Unies pour le Droit Commercial International a été créé en 1966 dans le but d’assurer la liberté la plus étendue dans la circulation internationale des marchandises, des services, des capitaux, des hommes et des entreprises. En d’autres termes, faire progresser la mondialisation, renforcer la sécurité (à tous égards) de ces échanges.
La CNUDCI a ainsi reçu la mission de défendre les intérêts du droit commercial international. Mais son action devait être purement normative. Il lui incombe d’édicter ou du moins de proposer des règles destinées à favoriser les échanges internationaux. John Honnold, qui fut le secrétaire de la C.N.U.D.C.I. de 1969 à 1974, rappelle que les objectifs qui devaient guider ses travaux étaient la clarté (ou la prévisibilité), la flexibilité, la modernisation et l’équité[31].
Quoi qu’il en soit, dans sa résolution qui créait la C.N.U.D.C.I. en 1966, l’Assemblée Générale des Nations Unies, en définissant les missions du nouvel organisme, déclarait : « La Commission prend en considération les intérêts de tous les peuples, et particulièrement ceux des pays en développement (…) »[32].
L’idéal d’universalité était clairement affiché. Pour l’accomplir, une attention particulière devait être portée aux pays moins développés. Et dans une telle perspective, il était nécessaire que ces pays, les plus nombreux, soient en mesure de participer effectivement aux travaux de la C.N.U.D.C.I.
Les œuvres de la CNUDCI sont essentiellement normatives et l’uniformisation intervient principalement dans des matières telles que les échanges physiques de marchandises qui restaient au cœur du commerce international. La vente et le transport maritime deviennent ainsi les instruments majeurs de la participation des pays membres, surtout ceux en voie de développement, à ce commerce.
La CNUDCI est l’une des organisations qui participent le plus à la libéralisation des échanges au niveau international. Ses travaux révèlent souvent que les lois nationales comportent ou entraînent de multiples restrictions au commerce international. Soit par archaïsme, soit par un souci de protéger les particuliers dans leurs relations internes, la liberté contractuelle des professionnels du commerce international s’en trouve inutilement entravée. La méthode des conflits de lois ne fait qu’aggraver la situation, en niant le particularisme des relations économiques internationales.
Dès lors, dans les règles élaborées par la C.N.U.D.C.I, apparaît un effort constant pour éliminer ces restrictions, adapter le commerce international aux nouvelles techniques de communication et faire prévaloir, comme dans la C.V.I.M, le principe de la liberté contractuelle.
Dans l’ordre juridique international, la coopération revêt divers visages. L’un d’eux consiste en la création d’organisations internationales. On en dénombre aujourd’hui grand nombre et sous des formes variées, et au champ de compétence toujours plus vaste car le nombre des Etats qui y adhèrent leur donne une vocation universelle. C’est par exemple le cas des organisations créées sous l’égide de l’ONU.
La mise ne place de telles organisations dans le domaine du commerce international a contribué à dynamiser le domaine, à rapprocher des acteurs économiques qui étaient séparés par un cloisonnement incontournable au plus fort de l’époque protectionniste (voir supra). Pour autant, les résultats de ces organisations internationales restent contrastés. Le principal reproché étant le déséquilibre avéré et évident entre les différents acteurs.
Pour compenser ce déséquilibre, on assiste alors à l’avènement du régionalisme économique. Notons tout d’abord que la question du fait régional fait son apparition en droit international à partir du moment où ce dernier cesse d’être exclusivement européen.
Le fait régional, dont la première manifestation remonte au début du XIXe siècle, la Commission centrale du Rhin, chargée d’élaborer des règles uniformes de navigation, est cantonné à un nombre limité d’États, réunis en fonction de leur proximité géographique, de leurs affinités, de leurs intérêts[33].
Le fait régional a conduit à la construction d’espaces juridiques et/ou économiques régionaux qui sont plus connus sous l’appellation de Communauté Economiques Régionales (C.E.R).
L’intégration économique peut être définie comme étant l’élimination des frontières économiques entre deux ou plusieurs économies. Elle est donc perçue comme l’élimination de toute démarcation qui limite la circulation des biens, de la main d’œuvre et des capitaux.
L’intégration économique se réfère généralement à un processus à travers lequel un groupe de pays œuvre pour coordonner ou fusionner progressivement leurs politiques économiques au fil du temps. Cette coordination peut être bilatérale ou réalisée par une organisation multilatérale, ce qui est la technique la plus courante appliquée par les organisations régionales comme l’ASEAN ou MERCOSUR.
Le but de l’intégration économique est généralement d’abaisser les barrières commerciales et autres obstacles économiques entre les pays, elle vise ainsi l’expansion des marchés et du commerce, la baisse des prix et l’amélioration de la compétitivité des partenaires commerciaux en réduisant les coûts et les économies d’échelle.
Pour certains arrangements d’intégration économique, le but ultime est un marché unique dans lequel il y a une libre circulation des biens, des services, des capitaux et du travail, et l’harmonisation de la politique économique et monétaire[34].
Dans d’autres cas, les pays membres conçoivent une autre politique et œuvre pour devenir une simple zone de libre échange, une union douanière ou un marché commun, sans aucune intention de s’intégrer davantage.
L’intégration économique peut également être considérée comme l’un des visages de l’intégration régionale qui est « le processus par lequel plusieurs Etats s’unissent, par un abandon progressif de leur souveraineté, en vue d’un nouvel acteur collectif, dans l’ordre international. L’intégration est d’abord un processus de nature économique impulsé par la volonté politique. Elle passe par plusieurs étapes, dont la plus importante est la constitution d’un marché commun »[35].
L’intégration économique ne serait donc qu’une part de l’intégration régional mais une part importante.
Car l’intégration régionale se présente comme le processus par lequel les Etats opèrent l’interpénétration de leurs espaces et de leurs politiques publiques en vue de créer un nouvel acteur, de nature collective dans le champ international.
C’est un processus qui va toucher tous les secteurs de la vie de l’Etat et des interventions publiques. Et va aboutir à l’articulation inter-entité par le biais de mécanismes desquels va résulter un abandon partiel de souveraineté individuelle des Etats, au bénéfice d’une nouvelle souveraineté d’extension régionale, opposable aux autres acteurs internationaux, extérieurs à la région.
« L’intégration régionale est le processus par lequel deux ou plusieurs pays réduisent progressivement et suppriment les obstacles aux échanges entre eux et les disparités entre leurs économies de manière à constituer à terme un espace économique homogène. Ce processus implique autant des aspects commerciaux et macroéconomiques que les politiques sectorielles »[36]. Elle vise également « la réalisation de grands ensembles au sein desquels différents pays d’une même aire géographique, créent les conditions pour unifier leurs structures et harmoniser leurs institutions sur la base d’accords »[37].
La Communauté Economique Régionale peut être définie comme des organisations intergouvernementales créées par des groupes de pays pour stimuler des liens économiques plus solides et la coopération, pour aboutir à la création d’une communauté économique à plus grande échelle, par exemple une communauté économique africaine.
Dans l’état actuel de la multilatéralisation des échanges, l’intégration régionale, et particulièrement l’intégration économique est un outil juridique qui a le vent en poupe. La raison en est que, « les organisations régionales ont l’avantage d’être proches des menaces et de mieux connaître ces dernières … La réponse des acteurs locaux à une menace régionale peut tirer profit d’une vision socioculturelle plus homogène »[38].
Pour le dire plus simplement les organisations régionales sont plus à même d’avoir une meilleure appréhension des enjeux et des problèmes relatives à une région, et cela par rapport à des organisations universelles comme l’OMC ou encore la CNUDCI. L’outil de l’intégration permet en somme de trouver une plus grande efficacité pour les pays qui y adhèrent.
Quand on étudie de plus près les différentes organisations régionales existantes, on s’aperçoit que ce sont les raisons principales avancées pour justifier la mise en commun des efforts.
Ainsi, cette volonté d’intégration apparait, même si ce n’est pas de façon explicite, dans la charte de l’Organisation de l’Unité Africaine dont le préambule peut se lire ainsi « désireux de voir tous les Etats africains s’unir, désormais, pour assurer les liens entre nos Etats en créant des institutions communes et en les renforçant ; résolus à raffermir les liens entre nos Etats en créant des institutions communes et en les renforçant »[39].
Il en va également de même pour le Pacte de la Ligue arabe, en son article 2 selon lequel « La Ligue a pour objet le resserrement des rapports entre Etats membres et la coordination de leur action politique en vue de réaliser une collaboration étroite entre eux…»[40].
Il y a donc deux éléments à prendre en compte en matière de C.E.R : la parenté géographique et une solidarité fondée sur des intérêts communs[41].
La parenté géographique peut jouer un rôle assez diffus[42], mais la solidarité elle constitue un facteur clé dans la configuration du phénomène institutionnel régional. Et dans certains traités constitutifs, elle est explicitement caractérisée par le terme « interdépendance »[43].
Les Etats se regroupent au sein d’organisations régionales dans le but de satisfaire un besoin auquel ils ne peuvent aboutir par des mécanismes nationaux ou par l’intermédiaire des organisations universelles[44].
Cependant les besoins économiques constituent un moteur particulièrement important de l’intégration d’une organisation régionale pour les Etats. Ainsi, une autre raison a trait à la volonté de développement économique par la création de zones de libre-échange[45] ou d’unions douanières, ou encore à celle d’intégrer étroitement leurs économies à l’échelon régional[46].
On dénombre différentes sortes de mode d’intégration (voir supra), mais également différents degré de réussite. On assiste ainsi à des modèles de réussite qui dépendent en général du niveau d’intégration du fait régional et de la cristallisation de celle-ci. C’est le cas par exemple des organisations régionales comme l’Union Européenne, l’Accord de libre échange nord-américain (ALENA), ou encore le Marché commun du sud ou Mercado Común del Sur (MERCOSUR) et l’Association des nations de l’Asie du Sud-est (ASEAN).
Les phénomènes de regroupement régionaux se rencontrent donc dans de nombreuses parties du monde. Leur vocation étant, le plus souvent, de créer un marché commun ou en tout état de cause une zone de libre-échange économique, nous n’allons pas revenir sur tous les succès de ces modèles d’intégrations réussies, par contre comme il y est fréquemment prévu un régime relatif aux investissements opérés entre les États partenaires, il nous semble qu’il s’agit là d’un point important par le truchement duquel on peut avoir un aperçu de la réussite de ces organisations, ces Communauté Economiques Régionales (CER).
Le Marché commun du sud ou MERCOSUR est jusqu’à présent l’une des expériences les plus sérieuses en matière d’intégration régionale. C’est le Traité d’Asuncion (TA) de 1991 a créé le Marché commun du sud qui est en fait une union douanière en vue de la construction d’un marché commun et, énoncé plus récemment, d’une intégration culturelle, sociale et politique.
Le MERCOSUR a été constitué par l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay – les quatre pays fondateurs – auxquels se sont associés le Chili et la Bolivie en 1996 et 1997 respectivement. Cet ensemble économique représente actuellement la quatrième économie du monde[47]. Et la concrétisation des accords en matière de libéralisation des échanges a provoqué un spectaculaire progrès du commerce intra-zone (plus de 500 % en six ans).
Ces données sont très encourageantes et elles signalent une voie possible de développement économique pour la sub-région, encore très marquée par les énormes écarts entre les plus riches et les plus pauvres, et par les difficultés à consolider et à approfondir l’Etat de droit.
Le MERCOSUR est une organisation sub-régionale à caractère intergouvernemental[48], ce qui veut dire que les pays membres n’ont pas voulu créer une organisation supra-gouvernementale évitant ainsi de déléguer certains pouvoirs considérés comme partie intégrante de la souveraineté nationale.
Ce qui veut dire que les pays membres n’ont pas voulu créer une organisation supra-gouvernementale évitant ainsi de déléguer certains pouvoirs considérés comme partie intégrante de la souveraineté nationale. Malgré cela, les normes issues des organes communautaires se sont considérablement accrues ces dernières années.
Plus important encore, le caractère strictement économique semble dépassé au profit d’une dimension plus politique du processus d’intégration. En effet, le Protocole d’Ushuaia de 1998 établit que le régime démocratique est une condition indispensable pour l’appartenance d’un Etat à cet ensemble sub-régional, des sanctions jusqu’à l’exclusion étant prévues en cas d’interruption du système démocratique dans l’un quelconque des Etats membres.
L’ASEAN ou Association des nations de l’Asie du Sud-est fait partie des accords de libre-échanges les plus fructueux dans la région Asie-Pacifique. Cet accord d’échange préférentiel a été signé en 1965 par l’Indonésie, la Malaisie, le Singapour, la Thaïlande, les Philippines et enfin le Burnei.
Cet accord a clairement contribué à la performance économique si remarquable des « Tigres asiatiques ».
L’ASEAN était initialement mise en place dans le but d’assurer la sécurité politique de la région, mais la coopération économique a vite gagné du terrain et n’a cessé de croître depuis les années 70. La première étape importante vers l’intégration du marché de l’ASEAN a été initiée en 1992, lorsque les membres ont convenu de créer la zone de libre-échange de l’ASEAN (AFTA).
L’AFTA prévoit la réduction ou l’élimination des droits de douane sous un régime tarifaire préférentiel effectif commun (CEPT) et l’élimination des restrictions quantitatives et autres mesures non tarifaires (MNT). Il a également abordé d’autres mesures transfrontalières, telles que la facilitation des échanges et l’harmonisation des normes[49].
En 2003, les responsables de l’ASEAN ont convenu d’établir une Communauté de l’ASEAN d’ici 2020, un objectif qui a été par la suite accéléré pour 2015. La Communauté de l’ASEAN se compose de trois piliers: Communauté politique et de sécurité, la Communauté économique et la Communauté socio-culturelle. Afin de guider la création de la Communauté de l’ASEAN, en 2009, les dirigeants de l’ASEAN ont publié la Feuille de route pour une Communauté de l’ASEAN, qui comprenait des plans pour la réalisation de chacune des communautés pilier ainsi qu’un plan de travail actualisé de l’Initiative pour intégration de l’ASEAN (IAI), un programme qui vise à réduire l’écart de développement entre les membres.
Selon la déclaration de 2003 sur la Communauté de l’ASEAN, la Communauté économique de l’ASEAN (AEC) sera la «réalisation de l’objectif final de l’intégration économique … pour créer une région stable, prospère et hautement économiquement concurrentiel dans lequel il y a une libre circulation des biens, des services, des investissements et une plus libre circulation des capitaux, le développement économique équitable et la réduction de la pauvreté et des disparités socio-économiques »[50].
L’AFTA, ainsi que les accords sur le commerce des services (AFAS) et les investissements (AIA), forment la base de l’AEC[51].
Aujourd’hui, l’ASEAN est devenue le deuxième exportateur mondial de composants informatiques, elle concurrence ainsi directement la Chine. Mais cette concurrence entrave les efforts visant à créer une plus grande intégration régionale dans la production de composant d’ordinaire.
L’intégration régionale a également permis aux pays membres de faire développer la production de vêtements. De même que la production de matériaux de construction comme les contreplaqués et les planchers. On remarque également une large croissance des entreprises de soins de santé privés dans le marché de l’ASEAN. Ce qui a contribué à l’accroissement du commerce et de l’investissement en la matière.
L’ASEAN tente également de faire se développer son marché de l’automobile. Cependant des beaucoup reste encore à faire dans ce domaine car le marché de l’automobile est loin de connaître une intégration suffisante dans la sous-région. Il en va de même pour la production et le commerce de l’huile de palme.
L’ALENA est la réponse à une série de pressions à l’intérieur et à l’extérieur de l’économie nord-américaine, mais il n’est cependant pas le seul en son genre. L’ALENA ne comprend que trois membres, mais trois membres qui font partie des pays les plus prospères aujourd’hui, à savoir le Canada, les Etats-Unis et le Mexique.
L’ALENA est entrée en vigueur le 1er Janvier 1994 et peut aujourd’hui être considéré comme l’un des plus ambitieux accords de commerce jamais conclus dans le genre. En effet, lors de son entrée en vigueur, l’ALENA représentait une population de 300 million et pesait environ 60 milliards de dollars. 10 ans plus tard, la valeur des échanges trilatéraux entre les pays membres est passée à 621 milliards de dollars américains et les investissements étrangers directs effectués dans les trois pays par les autres partenaires de l’ALENA ont plus que doublé, passant à 299,2 milliards de dollars américains en 2000.[52]
Pour autant l’ALENA est loin d’être une intégration économique parfaite. En effet, l’intégration a été limitée à bien des égards, ainsi, elle n’a rien prévu en ce qui concerne la limitation de l’immigration clandestine et n’a ait que gratter en surface en ce qui concerne les problèmes de travail à long terme et les problèmes environnementaux.
De même des questions économiques et sociales importantes ont été évacuées du Pacte. De même les tentatives pour élaborer des règles communes ALENA sur les subventions et sur les mesures antidumping et les droits compensateurs, ont été abandonnées.
Mais ces problèmes ne sont pas insolubles et même si les politiques qui gouvernent chaque pays sont réfractaires quant à des réformes plus approfondies de l’Accord, chacun est conscient des avantages qu’il peut tirer de cette alliance.
Mais c’est l’Union Européenne qui représente aujourd’hui le modèle d’intégration le plus abouti dans le monde. Non seulement ses membres ont réussi à mettre en place un marché commun efficace et véritablement profitable pour chacun d’entre eux. Mais en plus, ils ont réussi à pousser l’intégration au-delà de l’économique pour atteindre un degré d’harmonisation capable de rendre cohérentes toutes les actions menées, que ce soit au niveau politique, juridique ou économique pour améliorer les performances économiques de la région.
La construction européenne engagée lors de ses débuts, à l’époque de la CECA[53] est un projet politique destiné à réaliser une unité qui n’a jamais existé, dans aucune époque du passé, entre les pays européens. Elle s’est poursuivie par les traités de Rome du 25 mars 1957, entrés en vigueur le 1er janvier 1958, qui ont constitué deux Communautés européennes nouvelles : la Communauté économique européenne[54].
Ces traités ont été ultérieurement modifiés par l’Acte unique européen, signé le 28 février 1986[55] qui a également consacré la coopération politique européenne, jusque-là fondée sur des rapports des ministres des Affaires étrangères et établie de manière séparée et parallèle à la construction communautaire.
Le traité de Maastricht du 7 février 1992[56] a établi l’Union européenne globalisant dans le même traité le politique et l’économique, jusque-là traités dans des cadres différents. L’Union comprenait cependant trois piliers gérés par les mêmes institutions mais selon des modalités différentes : le pilier communautaire formé par les Communautés européennes, d’une part, et, d’autre part, les piliers de coopération : Politique étrangère et de sécurité commune et Justice et affaires intérieures devenu Coopération policière et judiciaire en matière pénale après le traité d’Amsterdam.
Des modifications au traité sur l’Union européenne et aux traités communautaires ont été opérées par le traité d’Amsterdam du 2 octobre 1997[57] et de Nice[58]. Un autre traité a été signé à Lisbonne le 13 décembre 2007[59]. Parallèlement, la Charte des droits fondamentaux a été signée et proclamée le 12 décembre 2007 à Strasbourg par les présidents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission[60].
Ce traité fait disparaître la Communauté européenne. Il modifie le traité sur l’Union européenne et substitue au traité instituant la Communauté européenne le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne[61]. Il fait disparaître les piliers. Il est entré en vigueur le 1er décembre 2009, le processus de ratification ayant rencontré de multiples difficultés.
Aujourd’hui, il est devenu quelque peu difficile de qualifier juridiquement l’Union Européenne, la raison en est qu’elle ne constitue plus seulement une organisation d’intégration économique. Il faut d’abord constater que Communautés européennes ne pouvaient être réduites à la notion classique d’organisation internationale vue qu’elles sont dotées de compétences autonomes qui échappaient aux États.
Le processus de création et d’exécution du droit communautaire était institutionnalisé à un degré sans commune mesure avec ce que l’on pouvait observer dans les organisations internationales, l’appareil institutionnel de Communautés faisant apparaître des institutions indépendantes des États qui partageaient le pouvoir de décision avec des organes interétatiques au sein d’un ordre juridique largement juridictionnalisé. En outre le droit communautaire se caractérise par une immédiateté normative et juridictionnelle spécifique et par la primauté sur les droits nationaux.
La prise en compte de ces spécificités a conduit certains auteurs à considérer que l’Union Européenne relevait de l’organisation d’intégration et pouvait donc apparaître comme une organisation supranationale distincte des organisations superétatiques.
Elle relèverait d’un droit de l’intégration, porteur de réaménagements des souverainetés traditionnellement conçues comme indivisibles et modifiant à la fois la structure des États qu’elles regroupent et celle de la société internationale où elles apparaissent comme des entités irréductibles aux catégories traditionnelles[62].
Mais c’est une position qui est loin de faire l’unanimité chez les auteurs. Pour ce qui est de la jurisprudence communautaire, la Cour de justice des Communautés européennes s’est montrée prudente et a rarement qualifié la construction communautaire, préférant sans doute établir des principes constitutionnels audacieux marquant la rupture avec le droit international.
Pour elle, « la Communauté constitue un nouvel ordre juridique de droit international au profit duquel les États ont limité, bien que dans des domaines restreints, leurs droits souverains et dont les sujets sont non seulement les États membres mais également leurs ressortissants »[63].
Et c’est justement là que se situe la réussite de l’intégration de l’Union, en ce que les Etats membres aient accepté la primauté du droit européen à leur droit propre. Ainsi, « à la différence des traités internationaux ordinaires, le traité de la CEE a institué un ordre juridique propre, intégré au système juridique des États membres lors de l’entrée en vigueur du traité et qui s’impose à leurs juridictions (…). En instituant une Communauté de durée illimitée, dotée d’institutions propres, de la personnalité, de la capacité juridique, d’une capacité de représentation internationale et plus particulièrement de pouvoirs réels issus d’une limitation de compétence ou d’un transfert d’attributions des États à la Communauté, ceux-ci ont limité, bien que dans des domaines restreints, leurs droits souverains et créé ainsi un corps de droit applicable à leurs ressortissants et à eux-mêmes (…) que le transfert opéré par les États, de leur ordre juridique interne au profit de l’ordre juridique communautaire, des droits et obligations correspondant aux dispositions du traité, entraîne donc une limitation définitive de leurs droits souverains contre laquelle ne saurait prévaloir un acte unilatéral ultérieur incompatible avec la notion de Communauté »[64].
Aujourd’hui, l’Union Européenne est considérée comme la première puissance économique mondiale, avec 23,21 % du PIB mondial[65]. Elle réalise environ 40% des échanges mondiaux soit à peu près ce que réalisent l’Amérique du Nord et l’Asie réunies.
Elle est la première exportatrice de services, et également la première puissance agricole aux côtés des Etats-Unis. Et même si elle subit de plein fouet la crise économique, elle tient quand même une place confortable sur l’échiquier de la concurrence mondiale.
La place du continent africain dans l’économie mondiale est loin d’être brillante. Malgré le fait que le continent soit le plus riche qui soit en termes de matière première, il est loin d’avoir su en tiré parti. Si bien qu’aujourd’hui c’est en Afrique qu’on retrouve le plus grand nombre des pays les plus pauvres et les moins développés.
L’économie africaine est à la traîne, la raison en est que les marchés nationaux sont trop cloisonnés, leurs structures de production sont peu développées et connaissent de nombreuses carences. Carences qui s’observent également du point de vue du cadre juridique.
Le cloisonnement des marchés intérieurs ajouté à ces carences font que le continent africain n’a pas encore vraiment sa place en matière de concurrence internationale. Délaissé par les investisseurs privés découragé par l’insécurité politique et juridique, le continent africain n’a pratiquement pas non plus de pouvoir de négociation.
Ce qui les laisse particulièrement vulnérables face aux autres acteurs économiques. Cette situation ne leur permet malheureusement pas de tirer avantage de leurs points forts, notamment dans le domaine miniers et dans le domaine des énergies fossiles.
Il leur est alors apparu urgent d’unir leurs efforts pour se créer une meilleure place dans le marché mondial et ainsi avoir de meilleures armes pour affronter la mondialisation. C’est la raison d’être de la mise en place d’acteurs sous-régionaux comme les CER par le biais de l’intégration régionale.
En effet, l’intégration régionale permettrait aux pays africains de créer de nouvelles possibilités d’échange, de permettre des investissements plus importants et inciter les industries à se réinstaller. Mais surtout, elle permettrait d’inciter les gouvernements à entreprendre des réformes, accroître le pouvoir de négociation, renforcer la coopération et améliorer la sécurité.
C’est la raison pour laquelle on a assisté ces dernières années à la mise en place d’un certain nombre de CER en Afrique.
Les efforts d’intégration en Afrique ont débuté dans les années 1970[66], ils n’ont pas toujours été fructueux, mais aujourd’hui, nous pouvons voir quelques CER qui ont réussi à se démarquer des autres.
La COMESA a été créée en 1993 pour succéder à la Zone d’Echanges Préférentiels pour l’Afrique de l’Est et Australe (ZEP), qui avait été créée en 1981. Les pays membres avaient l’ambition d’en faire une communauté économique entièrement intégrée, en vue de la prospérité, la compétitivité internationale, prête à fusionner au sein de l’Union Africaine.
La COMESA regroupe le Burundi, les Comores, la République Démocratique du Congo, Djibouti, l’Egypte, l’Erythrée, l’Ethiopie, le Kenya, la Libye, le Malawi, Madagascar, Maurice, le Rwanda, les Seychelles, le soudan, le Swaziland, l’Ouganda, la Zambie et le Zimbabwe.
Les domaines de l’intégration au sein de la COMESA sont pour l’essentiel, le commerce des marchandises et des services ; l’intégration monétaire, y compris les arrangements de paiement et de règlements ; la promotion et la facilitation de l’investissement ; le développement des infrastructures (aériennes, routières, ferroviaires, maritimes, transports terrestres, TIC, énergie) ; commerce électronique ; paix et sécurité.
La CEEAC regroupe 10 pays : Angola, Burundi, République Démocratique du Congo, République du Congo, Guinée Equatoriale, Gabon, Sao tomé et Principe. Créée en 1983, la CEEAC devient opérationnelle en 1985, mais ne rencontre pas autant de succès qu’attendu lors de sa création.
En effet, elle a dû tout de suite faire face aux conflits dans la région et au non paiement de leurs contributions par les États membres. Pour surmonter ce handicap, la CEEAC décide d’incorporer les efforts en matière de paix et de sécurité dans ses opérations au sens large.
Mais ce ne sera qu’en 1999 que sera créé le Conseil de Paix et de Sécurité en Afrique Centrale (COPAX) dans le but de promouvoir, maintenir et consolider la paix et la sécurité en Afrique Centrale. Et il faudra encore attendre 2004 pour que le COPAX entre pleinement en vigueur.
La CEEAC vise l’autonomie collective, elle entend relever le niveau de vie de ses populations et maintenir la stabilité économique à travers une coopération harmonieuse. Son but ultime est l’établissement d’un Marché Commun de l’Afrique Centrale.
La SADC regroupe des pays où l’agriculture et l’exploitation des ressources naturelles constituent les principales activités économiques qui assurent la sécurité alimentaire et les moyens d’existence. Ces pays ce sont l’Angola, la République Démocratique du Congo, le Lesotho, Madagascar, le Malawi, Maurice, le Mozambique, la Namibie, les Seychelles, l’Afrique du Sud, le Swaziland, la Tanzanie, la Zambie et le Zimbabwe.
La SADC entend réaliser le développement et la croissance économiques, alléger la pauvreté, relever le niveau de vie et la qualité de la vie des peuples de l’Afrique australe et soutenir les désavantagés sociaux à travers l’intégration régionale. Elle veut également promouvoir la paix et la sécurité ainsi que l’auto-suffisante collective et l’interdépendance des pays membres.
Pour atteindre ces objectifs, elle a mis en place la zone de libre échange entre les Etats membres en 2008, mais cette ZLE est encore loin de fonctionner comme elle le devrait. Elle mise également particulièrement sur le développement des les télécommunications, la poste et les Tic, ainsi que sur une meilleure gestion de l’énergie ainsi que sur le tourisme.
Succédant à l’IGADD, l’IGAD regroupe six États frappés par la sécheresse : Djibouti, Ethiopie, Kenya, Somalie et Soudan et l’Ouganda. En 1993, l’organisation s’est élargie avec l’admission de l’Erythrée en tant 7ème membre.
L’IGAD jouit d’une plus grande marge de manœuvre que l’IGADD, en effet, elle ne vise plus seulement à coordonner les aspirations des Etats membres au développement et alléger les effets de la sécheresse dans la région. Elle vise à mettre en place une approche véritablement régionale de la résolution des problèmes posés par la sècheresse et les famines à répétition qui sévissent dans la région.
L’IGAD vise la promotion des stratégies conjointes de développement et l’harmonisation progressive les politiques et les programmes macroéconomiques au niveau social, technologique et scientifique. Elle cherche aussi à rapprocher et rationnaliser les politiques commerciales, douanières, ainsi que celles qui ont trait aux transports et communications, à l’Agriculture et aux ressources naturelles, et la promotion de la libre circulation des marchandises, des services et des personnes dans la région.
L’une des plus grandes réalisations de l’IGAD pour l’accomplissement de ses objectifs reste à ce jour la mise en place du mécanisme de pré-alerte et de réponse aux situations de conflit (CEWARN). Il s’agit d’une institution spécialisée qui a pour but d’anticiper systématiquement et de répondre aux situations de conflits violents en temps utile et de façon efficace.
La mise en place du CEWARN concrétise l’élargissement du mandat de l’IGAD aux domaines de la paix et de la sécurité ainsi qu’aux questions concernant le développement en général.
La Communauté des Pays Sahélo-sahariens (CEN-SAD) a été créée le 4 février 1998, aujourd’hui, elle regroupe 28 pays situés dans le Nord, l’Ouest, le Centre et l’Est de l’Afrique : Bénin, Burkina Faso, République Centrafricaine, Comores, Côte d’Ivoire, République du Tchad, Djibouti, Egypte, Erythrée, Ghana, Guinée, Guinée Bissau, Gambie, Kenya, Libéria, Libye, Mali, Mauritanie, Maroc, Niger, Nigéria, Sao Tomé et Principe, Sénégal, Sierra Leone, La République Démocratique de Somalie, Soudan, Togo et Tunisie.
Ce qui en fait la plus grande organisation régionale en Afrique, aucune autre CER n’atteint le même nombre d’adhérents.
La CEN-SAD a été créée pour mettre en place union économique globale sur base de la stratégie mise en œuvre conformément au plan de développement qui serait intégrée dans les plans nationaux des États membres. Il inclut l’investissement dans les domaines de l’Agriculture, de l’Industrie, des Affaires Sociales, Culturelles et Énergétiques. Elle vise également la facilitation de la circulation des personnes, des capitaux et des marchandises.
Le Traité d’Abuja portant création de la CEN-SAD soulignait ainsi particulièrement l’importance de liberté de résider, de travailler et droit à la propriété et à exercer une activité économique. L’importance de liberté de circulation des biens nationaux, des marchandises et des services. Il a également mis en exergue l’importance de la paix et de la sécurité dans le développement de la région.
La Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC) est entrée en vigueur en juin 1999 après l’achèvement du processus de ratification du Traité par les six pays membres à savoir : le Cameroun, la République Centrafricaine, le Congo, le Gabon, la Guinée Equatoriale et le Tchad.
La CEMAC succède à l’Union Douanière et Economique d’Afrique Centrale (UDEAC) et vise la mise en place d’un marché commun. En effet, « préoccupés par les insuffisances de la stratégie et des méthodes appliquées », depuis lors, « et désireux de voir s’opérer un grand bond qualitatif » de la coopération entre les pays membres vers « un espace économique intégré »[67], les pays membres ont décidé de mettre en place la CEMAC qui constitue la principale organisation d’intégration pour l’Afrique Centrale et se compose de l’Union Economique de l’Afrique Centrale (UEAC) et l’Union Monétaire de l’Afrique Centrale (UMAC).
La CEMAC regroupe donc des Etats qui veulent passer « d’une situation de coopération qui existe déjà entre eux, à un stade d’union susceptible de parachever le processus d’Intégration économique et monétaire »[68].
La CEMAC prône entre ses membres l’unicité des taxes à l’importation, l’harmonisation des législations fiscales, des régimes d’investissement, des politiques industrielles, des plans de développement et de transport et la solidarité inter-Etats.
L’OHADA a été créée le 17 octobre 1993 par le Traité de Port Louis (Île Maurice). Elle regroupe 17 pays africains à savoir le Bénin, la Burkina Faso, le Cameroun, la Centrafrique, les Comores, le Congo, la Côte d’Ivoire, le Gabon, la Guinée, la Guinée Bissau, la Guinée Equatoriale, le Mali, le Niger, la République Démocratique du Congo (adhésion en cours), le Sénégal, le Tchad et enfin le Togo.
Les Etats membres ont voulu faire de cette organisation un instrument simple et efficace d’élaboration et d’application du droit uniforme des affaires pour garantir la sécurité juridique et la sécurité judiciaire.
Cette organisation rencontre un certain nombre de succès depuis sa création, et cela grâce notamment à sa construction originale et qui a été voulue d’une simplicité qui permettrait une plus facile et meilleure appréhension de la part des pays membres.
A ce jour, l’OHADA dispose d’un cadre juridique assez important avec huit actes uniformes relatifs à : l’harmonisation du droit commercial en général, au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique, l’organisation des sûretés, l’organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, l’organisation des procédures collectives d’apurement du passif, au droit de l’arbitrage, au droit comptable et enfin au contrat de transport de marchandises par route.
L’UEMOA a été créée le 10 juin 1994 et succède ainsi à l’UMOA qui a été créé le 12 mai 1960 par les Etats fondateurs de la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest. A savoir, le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo. La Guinée Bissau a rejoint le rang de ces Etats depuis 1997.
La principale raison de cette succession est que les Etats membres ont voulu approfondir l’intégration monétaire qui a déjà été mise en place.
L’UEMOA a pour principales missions l’unification des espaces économiques nationaux en vue de transformer l’Union en un marché porteur et attractif pour les investisseurs, ainsi la consolidation du cadre macro-économique des Etats membres, à travers l’harmonisation de leurs politiques économiques, notamment budgétaire, ainsi que par le renforcement de la monnaie commune, le Franc de la Communauté Financière Africaine (FCFA).
La CEDEAO fera bien évidemment l’objet d’une étude particulière dans la mesure où elle est au cœur de notre travail. La CEDEAO est un regroupement régional de quinze pays, qui a été fondée en mai 1975. Elle a été vue par ses créateurs comme un moyen d’assurer l’intégration économique et le développement avec l’intention de déboucher sur une éventuelle union économique en Afrique de l’Ouest, renforçant ainsi la stabilité économique et les relations entre les États membres.
La CEDEAO est une organisation d’intégration, en effet elle résulte d’une « démarche volontaire des différents Etats partenaires en vue d’une mise en commun d’une partie de leurs ressources. Ce processus a pour finalité l’émergence et le renforcement des relations techniques et économiques d’interdépendance structurelle à effets d’entrainement positif sur les revenus »[69].
Mais c’est un processus qui ne s’est pas accompli en un jour, il aura fallu plusieurs années d’attentes et autant d’étapes avant que la CEDAO telle que nous la connaissons aujourd’hui voie enfin le jour.
Les premières étapes franchies par les Etats membres dans la construction de la CEDAO a été la mise en place d’une Union douanière destinée à uniformiser les règlementations en vigueurs dans chaque pays en matière douanière.
En réalité la volonté d’intégration dans région de l’ouest africaine remonte aux lendemains de la colonisation, quand l’Afrique Occidentale Française (AOF) a été dissoute. Les Etats qui ont acquis leur toute nouvelle souveraineté nationale ont alors décidé d’acquérir leur autonomie par rapport aux mécanismes commerciaux organisés par l’ancienne puissance de tutelle.
C’est dans ce contexte que seront signées les conventions de 1959 et de 1966 qui inaugureront les initiatives de regroupement entre les Etats de l’Afrique de l’Ouest, initiatives axées sur la coopération.
La toute première union douanière en Afrique de l’Ouest voit alors le jour. Six pays signeront alors le Traité qui va constituer l’Union Douanière de l’Afrique de l’Ouest (UDAO)[70] : il s’agit de la Côte d’Ivoire, le Bénin, le Burkina Faso, la Mauritanie, le Niger et la Fédération du Mali (République du Mali et le Sénégal).
Cette première union douanière avait alors pour objectif « d’instituer entre les Etats signataires une union douanière totale qui s’étend aux droits d’entrée et de sortie perçus sur les produits et marchandises en provenance ou à destination desdits Etats »[71].
La convention prône également, dans ses sept premiers articles, la liberté totale de circulation des produits entre les Etats membres de l’Union ainsi que le principe d’un tarif unique à l’entrée des produits dans l’Union.
Malheureusement la mise en œuvre de la politique préconisée par les Etats membres n’aura pratiquement aucun succès. En effet, les mécanismes mis en place n’ont pas été appliqués de manière effective. La raison en est que les conditions nécessaires à une union douanière totale n’étaient pas remplies dans une région où les pays étaient encore en construction.
Malgré les échecs de cette première union douanière, les Etats membres ne vont pas abandonner l’idée de la coopération entre eux. C’est ainsi qu’en 1966, ils vont de nouveau se réunir pour repenser à une nouvelle union avec une formule améliorer. Les Etats membres signent alors le 6 juin 1966 à Abidjan la convention qui va mettre en place l’UDEAO qui innove par la mise en place d’un système de préférence tarifaire.
Les pays membres conviennent donc que les produits et marchandises originaires de l’UDEAO ne seront taxés qu’à concurrence de 50% du taux global de la fiscalité la plus favorable appliquée à un produit similaire importé d’un pays tiers.
Mais encore une fois, la tentative de rapprochement entre les pays membres est confrontée à quelques difficultés qui vont finalement faire échouer, encore une fois, le processus. Des difficultés comme par exemple le fait que les Etats membres ont commencé à manipuler de manière autonome leurs tarifs douaniers et leurs législations fiscales. La conséquence en a été qu’en 1969, le commerce entre les Etats de l’UDEAO, évalué à 22 milliards de francs CFA ne représentait qu’à peine 10% du commerce extérieur de ces Etats estimé à 233,6 milliards[72].
Pour tenter de sauver le processus d’intégration et maintenir les progrès déjà acquis, les pays membres décident une fois de plus, en collaboration avec la Communauté Economique Européenne (CEE), d’entreprendre la création d’une nouvelle organisation qui prenne en compte aussi bien les aspects commerciaux de la coopération que les aspects relatifs au développement économique régional.
C’est ainsi que la CEAO voit le jour vers le début des années 70.
Créée par un Traité en date du 17 Avril 1973, entré en vigueur le 1er Janvier 1974, la CEAO va regrouper six Etats de l’Afrique de l’Ouest à savoir, la Côte d’Ivoire, le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger et le Sénégal.
La CEAO est alors fondé sur une « volonté des chefs d’Etats de s’engager dans une solidarité de destin » et elle se dote à cet effet d’une « organisation bien structurée, caractérisée par des instances bien fonctionnelles et permanentes »[73].
Ses objectifs sont clairement énoncés à l’article 3 du traité constitutif qui dispose : « La communauté a pour mission de favoriser le développement harmonisé et équilibré des activités économiques des Etats membres en vue de parvenir à une amélioration aussi rapide que possible du niveau de vie de leur population ».
Mais la CEAO assistera très vite l’avènement d’une autre organisation d’intégration ouest africaine, qui va la concurrencer : la Mano River Union (MRU), créée en 1974 par le Libéria, la Sierra Léone et la Guinée. Cette organisation a été créée pour organiser la gestion du fleuve Mano que partageaient ses Etats membres et pour promouvoir dans le même mouvement le développement économique de ceux-ci.
Malheureusement, le chevauchement des champs de compétence et du domaine d’activité des deux organisations régionales risquaient de compromettre non seulement l’efficacité de leurs actions mais également leur existence.
C’est dans ce contexte que les Etats ouest-africains, conscients de la nécessité d’une coopération entre eux pour favoriser leur développement respectif, également conscients des problèmes engendrés par une concurrence directe entre organisations régionales œuvrant dans le même domaine géographique. C’est donc dans ce contexte qu’ils vont décider de combiner leurs efforts pour mettre en place une nouvelle organisation, a Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), créée par le Traité du 28 Mai 1975 à Lagos au Nigéria.
La création de la CEDEAO va concrétiser un projet qui date de 1964-1965 et qui avait pour objectif de communauté de l’Afrique de l’Ouest alliant Liberia, la Côte d’Ivoire, la Guinée et la Sierra Leone. Le projet ne produira malheureusement aucun effet.
Mais devant les échecs successifs des différentes tentatives d’intégration régionale (voir supra), les présidents Yakubu Gowon du Nigeria et Gnassingbé Eyadema du Togo relancent le projet en 1972. Ils réussiront alors à convaincre leurs homologues de douze autre pays de la région ce qui permettra l’organisation d’une réunion à Lomé en vue d’étudier une proposition de traité. Suivie d’une seconde en Janvier 1975 à Accra qui réunira cette fois des experts et juristes.
Ce qui aboutira à la signature du traité constitutif de la CEDEAO, le 28 mai 1975 à Lagos, par quinze pays à savoir Benin, Burkina Faso, Cote d’Ivoire, Guinée, Mali, Niger, Togo, Sénégal, Gambie, Ghana, Liberia, Nigeria, Sierra Leone, Cap-Vert et Guinée Bissau[74]. Les protocoles établissant la CEDEAO ont été signés à Lomé, le 5 novembre 1976. A cette époque, les pays membres de la CEDEAO représentaient ensemble 130 millions d’hommes soit presque le tiers de la population totale de l’Afrique[75].
C’était la première fois que des pays issus de l’ancienne Afrique anglaise et de l’ancienne Afrique française acceptaient de se lier constitutionnellement pour former un ensemble économique régional.
Ce qui différencie la CEDEAO avec les autres organisations régionales c’est que les fondateurs sont allés bien au-delà du concept de « coopération économique » en envisageant une communauté destinée à réaliser l’intégration africaine. Ils ont cherché à établir une forme de coopération plus structurée visant la fusion des économies des Etats partenaires et souverains afin de promouvoir et d’encourager le développement économique et social de leurs Etats et d’améliorer le niveau de vie de leurs populations[76].
C’est l’article 2 du Traité qui va définir les objectifs de la Communauté : « le but de la Communauté est de promouvoir la coopération et le développement dans les domaines de l’activité économique, particulièrement dans les domaines de l’industrie, des transports, des télécommunications, de l’énergie, de l’agriculture, des ressources nationales, du commerce, des questions monétaires et financières…et contribuer au progrès et au développement du continent africain »[77].
La CEDEAO veut également promouvoir des mesures visant à « reconnaître le droit de résider et de s’installer dans n’importe quel pays de la région et à faciliter la libre circulation des personnes grâce à un système permettant aux citoyens de pays de l’Afrique de l’Ouest de voyager sans visa à travers la région »[78].
Elle « encourage également la formation d’un certain nombre d’associations dans le but de mobiliser les populations de l’Afrique de l’Ouest autour de processus d’intégration, parmi lesquelles l’Union des jeunesses ouest africaines, l’Association des femmes Ouest –africaines et l’union des Travailleurs de l’Afrique de L’Ouest »[79].
A travers ces objectifs, il se dégage plusieurs missions qu’elle est appelée à assumer. Ainsi elle doit procéder à[80] :
- l’élimination entre les Etats membres des droits de douanes et toutes autres taxes d’effet équivalent à l’importation et à l’exportation des marchandises, le but principal étant ici de surmonter le problème posé par l’étroitesse des marchés intérieurs n’offrant aucune perspective sérieuse aux États ouest-africains face aux grands blocs commerciaux
- l’abolition des restrictions quantitatives et administratives au commerce entre les Etats membres,
- l’établissement d’un Tarif douanier commun et d’une politique commerciale commune à l’égard des pays tiers,
- la suppression, entre les Etats membres, des obstacles à la libre circulation des personnes, des services et des capitaux,
- l’harmonisation des politiques agricoles et la promotion des objets communautaires des Etats membres notamment dans les domaines de la commercialisation, de la recherche et dans celui des entreprises agro-industrielles,
- la réalisation de programmes concernant le développement commun en matière de transports, de communications, d’énergie et d’autres équipements d’infrastructure ainsi que l’élaboration d’une politique commune dans ces domaines,
- l’harmonisation des politiques économiques et industrielles des Etats membres et la suppression des disparités du niveau de développement des Etats membres ;
- l’harmonisation nécessaire au bon fonctionnement de la Communauté des politiques monétaires des Etats membres;
- la création d’un Fonds de coopération, de compensation et de développement;
- toutes autres activités visant à atteindre les objectifs communautaires que les Etats membres peuvent entreprendre en commun à tout moment.
Pour que ces objectifs puissent être atteints, les pays membres ont accepté de se soumettre à certains principes destinés à encadrer les actions qu’ils mènent dans la poursuite du développement.
Ainsi les Etats membres ont déclaré solennellement leur adhésion aux principes fondamentaux de l’organisation qui sont : l’égalité et l’indépendance des Etats membres ; la solidarité et l’autosuffisance collective ; la coopération inter-Etats, l’harmonisation des politiques et l’intégration des programmes ; la non-agression entre les Etats membres. Ainsi que le maintien de la paix, de la sécurité et de la stabilité régionale par la promotion et le renforcement des relations de bon voisinage[81].
A ce titre, la vision stratégique 2020 de la CEDEAO, adoptée le 15 juin 2007, définit trois chantiers principaux : la construction d’une véritable union économique, monétaire et commerciale ; la promotion du développement durable et l’éradication de la pauvreté ; la paix, la sécurité régionale, la consolidation de la paix et de la démocratie. Cette dernière est plus prioritaire par rapport aux deux premiers[82].
La CEDEAO est sans doute la plus grande organisation d’intégration qui existe dans la partie occidentale de l’Afrique : les quinze pays membres couvrent aujourd’hui une superficie de 5 113 000 km2, et compte en 2012, quelques 308 millions d’habitants.
Selon le Fonds Monétaire International, le Produit Intérieur Brut en Parité du Pouvoir d’Achat global des États membres de la CEDEAO s’élevait à 564,86 milliards de dollars US, ce qui en fait la 25e puissance économique du Monde[83].
A côté de ces chiffres plutôt encourageants, du moins à première vues, la CEDEAO peut également se targuer de plusieurs réussites importantes. Ainsi par exemple, L’affirmation du droit à la libre circulation et la création du passeport CEDEAO font l’unanimité. Les violations de ces droits sont imputées aux États. Et la mise en circulation chèque de voyage CEDEAO lancé en juillet 1999 pour faciliter les opérations de commerce et de paiement a permis une fluidification des échanges entre les pays membres.
Pour autant, la CEDEAO n’est pas seulement réussite, bien loin s’en faut. D’abord sur le plan économique. La sous-région demeure et représente une énorme potentialité économique mais qui reste sous-exploitée.
Ensuite sur le plan institutionnel, il s’agit du principal problème de la CEDEAO. Le modèle institutionnel des organisations africaines revêt un caractère diplomatique qui a poussé certains auteurs de qualifier les organisations comme la CEDEAO d’institutionnalisation et non d’intégration[84].
En effet, dans le cadre de la CEDEAO, mais également des autres organisations d’intégration ouest-africaine, on assiste plus à une « routinisation de contacts superficiels »[85] au lieu de véritables efforts d’intégration.
Car « la multiplication des réunions intergouvernementales (chefs d’Etat, ministres, représentants), la prolifération des organismes principaux ou subsidiaires (comités, commissions, services et bureaux) ne constituent pas des indicateurs très sûrs d’un progrès réel vers l’intégration; elles indiquent simplement un déploiement de l’activité diplomatique et une extraversion des phénomènes bureaucratiques internes sur le modèle des organisations universelles »[86].
Malheureusement, ce genre de déploiement diplomatique mobilise de gros moyens qui entrainent inéluctablement des contraintes budgétaires qui ne font que grever encore plus la trésorerie de l’organisation déjà affaiblie par son incapacité à mobiliser assez les Etats membres à payer leur dû en matière de cotisation.
Une autre difficulté subie pas la CEDEAO concerne l’absence d’institutions publiques internationales, comme pour le cas de l’Union Européenne avec le parlement par exemple. Des institutions qui auraient vocation à assurer le dynamisme de l’organisation. L’absence de telles institutions a pour résultat directe l’ampleur amoindrie de la compétence de gestion au niveau de la CEDEAO et cela par rapport aux compétences des décisions politiques.
Le CEDEAO a bien une commission, mais elle ne dispose pas de réels pouvoirs de décision comme c’est le cas pour la Commission Européenne par exemple. Elle ne peut de ce fait constituer un centre d’impulsion capable d’entretenir un processus intégrateur. Ainsi, à l’instar des autres organisations africaines, la CEDEAO par son fonctionnement obéit à des usages diplomatiques qui se caractérisent par la primauté de l’organe politique : chefs d’Etat voire ministres[87].
Ce qui explique pourquoi cette commission ne semble avoir que des tâches essentiellement administratives qui consistent en l’exécution matérielle des décisions prises par les instances comme la conférence des chefs d’Etat et de gouvernement, et agissant seulement sur recommandation des conseils de ministres.
De plus, la CEDEAO ne reconnait aucun pouvoir qui serait revêtu d’un caractère supranational. La raison en est que les pays membres ont construit la CEDEAO sur le principe de la primauté de la souveraineté des Etats qui se traduit par leur égalité absolue. Cela se traduit par l’adoption du principe de la majorité dans les prises de décision.
Ainsi donc, pour les pays membres, l’accent doit toujours être mis, et fortement mis, sur la souveraineté et l’indépendance. Et malgré les discours des chefs d’Etats, force est de constater que l’organisation régionale ne s’est pas encore dotée d’institutions à même d’édicter des lois, et des textes visant à encadrer la mise en œuvre d’une intégration accomplie et efficace, à l’image de l’Union Européenne qui elle est capable d’édicter, par ses directives, des règles de droits qui ont vocation à s’appliquer à tous les Etats et de primer sur les règles étatiques.
Et enfin, la dernière, mais non la moindre, difficulté subie par la CEDEAO concerne le volet financier. En effet, les Etats membres de la CEDEAO payent mal leurs contributions aux organisations qu’ils ont eux-mêmes créées.
On assiste alors à des arriérés qui s’accumulent, atteignent des volumes astronomiques[88] et menacent l’organisation d’asphyxie pure et simple. Or ce manquement des Etats membres compromet sérieusement le bon fonctionnement des instruments de l’intégration.
Ainsi donc, même si la CEDEAO est considéré comme l’un des acteurs sous-régionaux les plus performants[89] en Afrique et plus particulièrement en Afrique de l’Ouest, force est de constater que la construction de la CEDEAO est loin d’être aboutie, puisqu’elle est encore loin d’avoir atteint les buts qu’elle s’est fixée à savoir, « élever le niveau de vie de ses peuples, de maintenir et d’accroître la stabilité économique »[90].
En dressant ce bilan qui est loin de convaincre, par rapport aux autres organisations d’intégration que nous avons cité, nous ne cherchons pas à faire le procès de la CEDEAO, ou en tout cas, nous ne cherchons pas à remettre en cause sa pertinence et son utilité.
Bien au contraire, nous cherchons à apporter une contribution pour améliorer cette organisation régionale qui pourrait être un instrument formidable pour faire face à la concurrence internationale de plus en plus féroce. Et qui pourrait également être, étant donné le poids non négligeable de chacun des Etats membres du point de vue de la géopolitique, un interlocuteur de poids dans la représentation du continent sur la scène internationale.
La question qui se pose à ce stade de notre réflexion est alors la suivante : comment optimiser les résultats de l’intégration au niveau de la CEDEAO ?
Les membres de la communauté ont bien compris qu’aucune intégration économique ne peut se réaliser sans un minimum de règlementation pour encadrer les politiques adoptées et leur mise en œuvre, cependant en l’état actuel des choses, les structures mises en place ne permettent pas cette règlementation.
La CEDAO doit mettre en place un nouveau cadre, plus performant afin de pouvoir faire tomber toutes les entraves aux affaires et aux échanges et ainsi accélérer l’intégration et le développement en Afrique de l’ouest.
L’optimisation doit donc passer par la mise en place d’un cadre juridique efficace, le tout est de savoir comment ? Quel serait le cadre juridique et institutionnel qui serait adapté au contexte économique et sociopolitique particulier de l’Afrique de l’Ouest ? Faut-il complètement balayer le système existant pour mettre en place un nouveau totalement différent ? Ou faut-il simplement apporter des ajustements pertinents au cadre déjà mis en place ?
Notre travail sera donc entièrement axé sur la recherche d’une réponse à ces questions. La CEDEAO traverse des problèmes qu’il faut résoudre. Mais pour trouver les remèdes, il nous faut d’abord identifier ces problèmes, nous allons donc mener notre étude en deux phase, dans un premier temps il nous faudra étudier l’approche de l’intégration économique de la CEDEAO qui nous permettra d’appréhender les principes qui sous-tendent l’institution, mais également les obstacles qui empêchent son épanouissement (partie I). Ce qui nous permettra de déterminer ce qui doit être amélioré, les réformes qui doivent être faites afin de pouvoir mettre en place le cadre juridique et institutionnelle qui conduira à une meilleure intégration économique et sociopolitique dans la CEDEAO (Partie II).
PARTIE I : UNE REGLEMENTATION MITIGEE DES ECHANGES DANS L’ESPACE CEDEAO
Les zones régionales d’échanges sont aujourd’hui au centre des considérations à caractère économique sur le plan international. A cela il y a trois explications. La première tient du succès considérable de la plus aboutie des communautés économiques créées à ce jour, l’Union Européenne. En effet, l’Union économique européenne a effectué ces dernières années nombres d’élargissements envers les pays de l’Est.
Élargissements qui sont d’ailleurs loin de s’essouffler si l’on se fie aux troubles qui sévissent en Ukraine, un autre pays membre de l’ancien bloc soviétique, suite au refus du gouvernement d’opérer un rapprochement avec l’Union Européenne. Et cela malgré les graves difficultés financières que traverse l’Europe suite à la crise financière de 2008 qui n’a pas encore fini de faire des ravages.
D’un autre côté, la quotte des zones régionales d’échange s’explique aussi par le changement d’orientation de la politique commerciale Américaine qui, suite à l’accélération des politiques régionalistes à travers le monde, ont décidé de se tourner vers les communautés régionales pour rationaliser leurs échanges avec l’extérieur.
La dernière explication tient du fait que les différentes négociations sur la libération du commerce multilatéral ont connu une vague successive d’échec[91]. Ce qui a donné de l’eau au moulin des défenseurs de l’approche régionale des échanges.
Les mouvements régionaux, ainsi que nous l’avons déjà évoqué dans l’introduction de ce travail, ont pour but principal de promouvoir le renforcement du libre-échange, mais surtout le développement de la capacité régionale dans la conduite de négociation multilatérale et dans la promotion du libre-échange justement. Le but sur le long terme étant d’éradiquer le protectionnisme généralisé qui a longtemps gangréné les économies nationales de certains pays, notamment celles des pays en développement, et plus particulièrement celles des pays africains.
La mise en place de structures régionales est donc particulièrement justifiée pour le continent africain. Surtout en ce qui concerne les pays enclavés qui ont besoin de réduire leurs coûts d’importation et d’accroître leur compétitivité. Chose qui leur serait particulièrement difficile s’ils sont freinés dans leur élan par les barrières établies par les pays voisins.
Les communautés régionales permettent ainsi aux pays africains de disposer de marchés plus vastes qui leur donnent la possibilité de séduire en vue d’obtenir des investissements directs étrangers. Cela leur fourni également les conditions nécessaire pour être compétitifs, et pouvoir ainsi bénéficier d’économies d’échelle et représenter un poids important dans les négociations internationales sur les enjeux les plus importants.
Nombre d’initiatives ont été ainsi menées par les Etats africains[92] afin d’unir leurs forces pour mieux combattre leurs faiblesses respectives. Mais c’est dans la région Ouest-Africaine que les initiatives ont été les plus remarquées, avec l’avènement d’importantes communautés régionales comme l’UEMOA et la CEDEAO.
La région Ouest-Africaine est l’une des régions les plus dynamiques sur le continent. Et cela malgré la couverture médiatique actuelle qui n’en dresse pas vraiment une image flatteuse, avec les nombreuses poches d’activités à caractères terroristes[93] et les activités sécessionnistes[94] qui défraient les chroniques régionales et internationale.
Il n’en demeure pas moins que la région est très dynamique. Et plus particulièrement la région de la CEDEAO. Et cela tient du fait que les pays membres possèdent des ressources particulièrement abondantes : des ressources humaines, territoriales, énergétiques (pétrole et gaz) et minérales[95].
La région doit évidemment faire face à des difficultés qui sont plutôt sérieuses, comme la prédominance du Nigeria, qui représente respectivement 50 % et 68 % de la population et du PIB de la région[96]. Cette prédominance ne sert pas les intérêts de la communauté dans la mesure où le Nigéria a souvent le dernier mot sur toutes les décisions et les politiques à entreprendre, le dernier mot qui dépend évidemment de ses intérêts propres.
Il y a également la taille plutôt modeste des autres marchés nationaux et l’accès limité au marché des trois pays enclavés à savoir Burkina Faso, Mali et Niger. Sans oublier la fragilité politique et économique qui persiste dans la période post-conflit en raison des niveaux élevés de la pauvreté et des inégalités sociales[97].
Malgré tout, la CEDEAO présente quand même des avantages non négligeables. Comme par exemple, le fait que les populations peuvent plus facilement circuler, ce qui n’est pas le cas dans les autres régions, comme la SADC par exemple.
La raison en est que la région de la CEDEAO a su se doter de règlementations encourageant la libre circulation des personnes, mais également, du fait d’une histoire commune[98], les pays membres de la CEDEAO ont su se tisser un tissus social commun qui facilite par bien des côté le processus d’intégration.
Et du point de vue économique, la CEDEAO peut se targuer de performances importantes en matière de croissance. Ainsi, cette croissance a été considérée comme relativement forte durant la dernière décennie.
Le taux de croissance du PIB réel était supérieur à 5 % en 2004 et 2005, et a avoisiné les 6 % en 2007, avant de subir la crise économique mondiale et de baisser en 2009. La croissance avait de nouveau pu être revue à la hausse en 2010.
Cela était notamment dû à la hausse des prix des produits de base, en particulier du pétrole et des minerais. Hausse qui a bénéficié aux pays ouest-africains riches en ressources naturelles comme le Nigeria, Ghana, Côte d’Ivoire, Niger et Guinée. Cette hausse a également stimulé la croissance dans l’ensemble de la région. Croissance qui a enregistré un taux de croissance du PIB réel de 6,7 % en 2010, un taux considéré comme étant le plus élevé parmi les cinq communautés économiques régionales de l’Afrique[99].
Mais cette apparente bonne santé de la région cache une face bien moins glorieuse. En effet, même si des efforts ont été menés pour améliorer la gestion des ressources et des investissements. Force est de constater qu’il y a une dynamique effective mais lente des programmes intégrateurs et de structuration dans l’espace économique de la CEDEAO.
La réelle volonté de mobilité, de recherche de nouvelles opportunités et d’échanges qui existe au niveau des opérateurs économiques, de la circulation des biens et des personnes à l’échelle régionale n’arrive plus à compenser la faiblesse des structures mise en place qui n’arrivent pas protéger les intérêts de la communauté des considérations politiques et les intérêts particuliers des dirigeants des Etats membres.
Cette première partie de notre travail vise justement à étudier ces structures et cadres mis en place en vue d’une intégration effective au sein de la CEDEAO. Ce sera l’occasion pour nous de nous familiariser avec les ambitions des fondateurs et la promotion de la règlementation des échanges qui en a résulté(Titre I), puis leur déception face à la maigreur des résultats obtenus (Titre II).
Titre I : LES ACQUIS DE LA REGLEMENTATION DES ECHANGES DANS L’ESPACE CEDEAO
Chapitre 1 : La promotion « prudente » de la réglementation des échanges
Pour mener à bien leurs missions et atteindre le but qu’ils se sont fixés, à savoir mettre en place une organisation régionale viable et faire de la sous-région un acteur économique et politique important et performant en matière de concurrence international. Pour atteindre ce but donc, les penseurs de la CEDEAO ont décidé de doter l’organisation d’un cadre institutionnel fort apte à prendre des décisions importantes, des décisions sensibles et fortes qui seraient de nature à engager chaque Etat membre.
En effet, des institutions politiques indépendantes des Etats membres et fortes sont indispensables pour mener à bien les politiques de la sous-région, et défendre les intérêts de la CEDEAO. Sans institutions politiques suffisamment pourvues en matière de compétence, une organisation régionale n’est pas viable, et cela malgré toute la bonne volonté des Etats membres. En effet, elle devient stagnante et s’effrite peu à peu, jusqu’à devenir complètement obsolète.
Les penseurs de la CEDEAO ont donc mis en place un cadre institutionnel important pour doter l’organisation de toutes les institutions indispensables à son bon fonctionnement (Section 2). Cependant, un cadre intentionnel aussi fort soit-il ne peut être efficace s’il n’y a pas de volonté politique réelle derrière la mise en place desdites institution (section 2).
Section 1 : L’apport des volontés politiques
La coopération Sud-Sud est à la fois une réalité et un projet, un ensemble de faits et de vœux, un mouvement dont on dresse tantôt un constat de crise, tantôt un acte de reconnaissance. Il est vrai qu’il y a un peu de tout cela, car si les rapports internationaux en général ne sont pas simples, ils sont encore plus complexes et plus insaisissables lorsqu’ils sont internes au Sud, comme nous le verrons plus loin.
Para 1er : Les nouvelles orientations sociopolitiques
Les penseurs de la CEDEAO ont réalisé assez tôt la nécessité pour eux de s’unir, malgré leur diversité afin de pouvoir « peser » sur la scène de la politique internationale. Cette volonté doit cependant composer avec la grande diversité constatée chez les futurs pays membres. Cette diversité peut être une richesse, un atout. C’est aussi une source de complexité et, le cas échéant, un frein à l’intégration. C’est ce qui justifie la recherche et la garantie de la dose d’unité jugée appropriée à la réalisation, dans de bonnes conditions, des objectifs et des projets communs aux membres de la CEDEAO.
La volonté d’intégration est apparue assez tôt en Afrique, quand on pense que le continent est le dernier à émerger sur la scène internationale, puisque la majeure partie des pays africains étaient encore des territoires coloniaux au début des années soixante.
L’Afrique a une superficie de 30 225000 kilomètres carrés, soit environ 20 % des terres émergées, elle est forte d’une population jeune levier potentiel pour un développement soutenu face à des pays européens « vieillissants ». Les ressources naturelles du continent sont importantes ; il est le premier producteur de chrome (97 %), de platine (85 %), de diamant (66 %), de manganèse (64 %), d’or (57 %), de cobalt (45 %), et il est un important producteur d’uranium, de phosphates, de ressources forestières.
Malgré ce poids géographique, démographique et économique, l’Afrique ne participe que pour environ 2,5 % du commerce mondial; par comparaison les autres régions ont une participation autrement plus importante, l’Europe occidentale avec 45 %, l’Asie 23%, l’Amérique du Nord 13,5 %, l’Europe de l’Est 8,5 %, l’Amérique latine 4% et le Moyen-Orient 3,5 %. La faiblesse de l’Afrique s’accentue encore lorsque l’on analyse la structure des échanges qui montre qu’elle exporte eessentiellement des matières premières minières ou agricoles (85 %) et importe des produits manufacturés (75 %).
De ce rappel de données et chiffres, on peut tirer les conclusions suivantes :
- les richesses du continent sont importantes, mais elles sont mal ou insuffisamment valorisées et, parfois, elles sont en voie d’épuisement ou de dégradation, notamment pour les forêts et les terres ;
- la population est jeune et en forte croissance, aggravant ainsi la situation et le nombre de déshérités puisque, sur quarante et un pays classés comme pauvres par l’ONU, il y a vingt-huit pays africains, soit plus de la moitié des pays du continent[100];
- la marginalisation de l’Afrique tant sur le plan économique, avec le désintérêt des investisseurs, que sur le plan politique, avec à la fois l’écroulement de l’URSS, qui enlève tout intérêt stratégique au continent[101], et des désordres internes qui empêchent la plupart des Etats d’être présents et actifs sur la scène internationale.
On sait que l’idéologie panafricaine qui va servir de soubassement à la revendication de l’indépendance et de l’unité du continent trouve son origine chez les Noirs américains[102], pour ensuite être reprise par un certain nombre de leaders africains, en mettant l’accent sur l’aspect culturel pour défendre l’existence d’une culture nègre et d’une contribution négro-africaine à la civilisation universelle[103].
L’ancien président du Sénégal, L. S. Senghor, soutient qu’il existe une communauté culturelle, l’africanité, qui est antérieure à toutes les influences et occupations et qui correspond à l’âme profonde des Africains dont elle fait l’unité ; cette africanité dans sa triple dimension nègre, arabe et berbère est le ressort authentique du sentiment d’unité qui parcourt tout le continent.
Certes, on peut discuter ces affirmations ou réflexions qui mêlent des données réelles et des éléments plus mythiques pour construire une croyance commune, valoriser le passé africain et trouver, en fonction des nécessités présentes, des raisons de mobiliser les peuples africains en faveur d’un destin commun ; mais, comme toute idéologie, le panafricanisme a besoin d’une telle démarche, notamment dans le contexte de la lutte contre l’occupation coloniale, de la revendication pour l’autodétermination individuelle et collective, du renforcement du message de solidarité.
L’idéal panafricain est d’abord partagé par tous les mouvements de libération, puis par les jeunes Etats qui émergent, même si le contenu varie d’un Etat à l’autre ou d’une époque à une autre; les variations deviennent des désaccords lorsqu’il s’agit d’envisager les aspects juridiques c’est-à-dire les institutions et règles devant régir les relations interafricaines.
Pour certains, le panafricanisme est porteur d’une exigence d’unité politique iimmédiate ; pour d’autres, il est simplement porteur d’une solidarité entre des Etats souverains ; enfin, pour d’autres encore il est porteur d’un projet d’unité à long terme et par étapes. Ces points de vue vont s’affronter, en 1963, au moment de la création de l’Organisation de l’unité africaine (OUA).
La création d’une organisation internationale met naturellement en présence des conceptions juridiques différentes qui ne font que refléter des divergences plus profondes d’ordre politique, comme le montre l’exemple de l’Afrique où le clivage entre la tendance modérée ou réformiste s’est longtemps opposée à la tendance progressiste ou révolutionnaire[104]. Ce clivage inscrit dans l’opposition entre l’Est et l’Ouest, avec un caractère parfois artificiel et contes- table dans le classement des pays africains entre les pro-occidentaux et les procommunistes, permet de mieux comprendre l’enjeu des débats sur la nature et la forme de l’organisation que l’on envisageait de créer à Addis-Abeba : fallait-il opter pour une fédération, une confédération ou une organisation internationale classique ?
Le partisan le plus ardent de la fédération était le chef d’Etat du Ghana, Kwame Nkrumah, qui avait plaidé la cause des Etats-Unis d’Afrique[105] ; en partant d’un constat, celui des faiblesses économiques, politiques et diplomatiques de la plupart des jeunes Etats, il estimait urgent de réaliser l’unité politique, car celle-ci est un préalable nécessaire à tout autre progrès sur le continent ; il rejette donc les démarches qui préfèrent procéder par étapes et par secteurs, en proposant immédiatement une forme fédérale d’organisation avec un gouvernement, un parlement, une défense, une diplomatie, une citoyenneté, une banque et une monnaie pour le continent[106].
- Nkrumah pensait que son projet était seul susceptible, d’une part, de dépasser les clivages politiques, culturels et linguistiques que connaît l’Afrique, d’autre part, d’éviter ou de limiter les ingérences extérieures que subissent tous les Etats en vue de les maintenir dans une situation d’allégeance vis-à-vis des grandes puissances.
Ce projet maximaliste, appuyé par très peu d’Etats, était jugé non seulement ambitieux mais dangereux par les autres, qui préféraient s’en tenir à une organisation intergouvernementale plus classique de coopération entre les Etats. Ils n’ont eu aucune difficulté à tenir en échec le projet de fédération africaine immédiate, qui était effective- ment irréaliste. L’expérience leur a donné raison puisque des groupements régionaux moins ambitieux n’ont pas réussi à fonctionner et la seule expérience de fédération africaine entre deux Etats, la Séné- gambie, n’a eu qu’une existence très éphémère[107].
Sur ce débat entre fédéralistes et antifédéralistes s’en est greffé un autre relatif aux rapports entre l’organisation continentale et les organisations régionales avec toutes les interférences et ambiguïtés y afférentes.
Pour les uns, les organisations régionales ne sont que la reproduction des divisions de l’Afrique, particulièrement celles de la période coloniale et postcoloniale qui a balkanisé le continent en créant un grand nombre de territoires puis d’Etats regroupés ensuite en ensembles régionaux soumis à l’influence des différentes puissances dominantes ; il faut non seulement s’abstenir de créer de tels regroupements, mais remettre en cause et dissoudre les organisations existantes qui constituent des obstacles à l’unité continentale.
Pour les autres, les organisations régionales sont le point de départ du processus de coopération puis d’intégration et il convient donc d’encourager leur multiplication et leur consolidation, en privilégiant les aspects économiques ou techniques et en tenant compte des solidarités et spécificités de chaque ensemble.
Ce débat entre partisans et adversaires du régionalisme s’est traduit pendant quelque temps par une division du continent en deux groupes opposés, le groupe de Brazzaville puis de Monrovia, représentant l’Afrique dite réformiste, le groupe de Casablanca représentant l’Afrique dite révolutionnaire.
L’OUA porte la marque de cette période conflictuelle, puisque sa charte constitutive reste silencieuse sur ses relations avec les organisations régionales, pour ne pas avoir à trancher entre les deux tendances ; c’est ensuite seulement que l’une des premières résolutions du Conseil des ministres du 10 août 1963 prend en considération la coopération et l’intégration régionales en tant que contribution à la réalisation de l’unité continentale, à condition qu’elles se conforment aux buts et principes de l’OUA[108].
Quant au débat sur le fédéralisme, il a laissé des traces manifestes dans la Charte elle-même, qui a opté pour une organisation interétatique et écarté toute conception supranationale. Certes, il est parfois fait référence à l’unité de l’Afrique[109] mais d’autres dispositions énoncent encore plus fermement le respect des principes prioritaires que constituent l’égalité souveraine, le droit à la non-ingérence et le droit inaliénable à l’indépendance de chaque Etat[110] ; il est donc discutable de soutenir, comme le font certains auteurs, que la Charte réalise un compromis entre la thèse de la fédération et celle de l’association, puisque la première thèse demeure une clause de style ou plus précisément une aspiration, alors que la seconde thèse caractérise toutes les règles régissant l’OUA.
Celle-ci est tellement préoccupée de renforcer les jeunes Etats, leur souveraineté et leurs frontières généralement artificielles qu’elle encourt le reproche d’entre- tenir au nom de l’unité du continent l’émiettement de l’Afrique[111]. Ce souci va entraîner l’OUA à se désintéresser longtemps des problèmes économiques et c’est tardivement, à la suite des sécheresses affectant le Sahel, qu’elle va se tourner plus sérieusement vers ces problèmes laissés jusque-là à la commission économique régionale de l’ONU[112].
C’est dans ce contexte qu’a commencé à germer l’idée d’une Communauté Economique commune aux pays ouest-africain. Les idées qui ont conduit à la création de l’OUA et la tentative de création d’une Communauté Economique Africaine commune aux cinquante-quatre pays africains ont naturellement imprégné les penseurs de la CEDEAO.
La diversité de l’Union européenne est d’abord « naturelle ». Il s’agit à la fois d’une diversité des situations (physiques, culturelles…) en Europe et d’une diversité des visions de l’Europe (fédéralistes, souverainistes….).
Cette diversité « donnée » se double d’une diversité « construite ». Nous entendons par là celle qui est tantôt organisée, favorisée ou promue (lorsqu’elle ne préexiste pas), tantôt préservée (lorsque, même préexistante, son maintien nécessite des actions positives de la part de l’Union et de ses Etats membres).
La diversité est alors « protégée » par des instruments par des principes qui ont cours dans toutes les formes d’organes d’intégrations (subsidiarité, reconnaissance mutuelle, autonomie procédurale des Etats membres) et des d’instruments juridiques particuliers (la directive communautaire dans sa conception originelle, les dérogations).
Qu’elle soit donnée ou construite, la diversité devra nécessairement être « inscrite » dans le système institutionnel et décisionnel de la Communauté. Il est tenu compte – même si c’est parfois de manière imparfaite ou contestable – du poids respectif de chaque Etat membre dans la composition des principaux organes de la Communauté (Conférence des Chefs d’Etats, Parlement, Commission).
Il serait inexact de prétendre que la diversité constatée au sein de la CEDEAO entraînerait nécessairement, à plus ou moins long terme, la désintégration (au sens juridique du terme) de celle-ci. L’intégration ouest africaine a été organisée et stimulée dès l’origine dans et à cause d’un cadre marqué par la diversité. Il n’y a pas de raisons, dans ces conditions, qu’elle ne puisse pas progresser dans un cadre divers préservé. Toutefois, outre la complexité qu’elle implique, la diversité peut, dans certains cas, présenter des risques pour l’intégration, laquelle nécessite un socle minimal de règles et d’actions communes. En tous cas, la diversité au sein de la CEDEAO crée et justifie la différenciation (l’intégration différenciée), qui peut elle-même, si elle est mal maîtrisée, conduire à la désintégration. D’où la recherche et la garantie de la dose adéquate d’unité…
Les inconvénients d’une diversité excessive et mal canalisée, dès lors qu’il s’agit de conduire sur la durée un projet commun dans le cadre d’institutions communes et dans le respect de règles communes, expliquent la volonté de la Communauté de promouvoir un minimum d’unité, d’apparaître une (et d’agir comme telle), tant à l’intérieur que vis-à-vis de l’extérieur. Les manifestations de la volonté d’unité sont en effet à la fois intracommunautaires et dirigées vers le reste du monde.
Il s’agit non seulement de garantir en son sein l’unité et la cohérence indispensables à la viabilité du projet commun, mais également d’apparaître une vis-à-vis de ses partenaires, au moins sur le plan économique, à défaut d’y parvenir suffisamment sur le plan politique, du moins pour l’instant.
Les manifestations intracommunautaires de la volonté d’unité sont bien connues. Outre le rôle essentiel dévolu dès l’origine à la Conférence des Chefs d’Etat, à la fois incarnation et gardienne de l’intérêt commun, on peut mentionner la recherche permanente du consensus dans le cadre du processus décisionnel de la Communauté, ainsi que la reconnaissance, en tant que principe général du droit déduit de la nature des Communautés, du principe de solidarité entre les Etats membres qui se trouve au fondement même des principales politiques communes.
L’unité est, en tout état de cause, stimulée par des politiques et actions spécifiques. Outre les politiques spécifiquement destinées à atténuer les disparités (politique d’harmonisation, politique régionale), une volonté de renforcer le sentiment d’appartenance à une Communauté une s’est manifestée, à travers la mise en place d’une citoyenneté commune, par exemple.
Bien entendu, la dose appropriée d’unité, nécessaire à la réalisation dans de bonnes conditions des objectifs communs, devrait être garantie par le Juge de la Cour de Justice. Elle l’est d’abord, via la reconnaissance, par la Cour de justice, d’un intérêt commun ou communautaire. Elle l’est ensuite à travers les méthodes d’interprétation du juge communautaire. Elle l’est enfin, via l’encadrement de l’autonomie procédurale des Etats membres.
Para 2 : Les nouvelles orientations économiques
La coopération entre les pays en développement est tributaire d’un certain nombre de circonstances dont l’influence est ambivalente, en encourageant ou en entravant les mécanismes d’échanges. Si la coopération Sud-Sud a d’abord été inexistante ou balbutiante, elle s’est ensuite affirmée pour devenir un élément non négligeable des relations internationales actuelles qui appelle quelques remarques.
Lorsque l’on examine la stratégie juridique de la coopération Sud- Sud, pendant les décennies soixante et soixante-dix, on s’aperçoit qu’elle se positionne par référence à la coopération avec le Nord qu’il s’agit de compléter, substituer ou dénoncer. Il y a eu parfois la tentation de la rupture avec le Nord qu’il est intéressant d’évoquer avant de voir l’attrait exercé par le postulat de l’unité économique des pays en développement et par l’idée d’autonomie économique collective.
En ce qui concerne l’évolution des pays du Sud en général, et celle des pays ouest africain en particulier, il y a un point d’accord ou plutôt un constat : les pays de ces régions doivent combattre le sous-développement, surmonter les faiblesses et obstacles qui bloquent leur croissance, devenir des partenaires dans les échanges internationaux. Mais, ce constat n’entraîne pas les mêmes analyses et conclusions sur les causes du sous- développement et les remèdes permettant d’y faire face.
En effet, au moment d’entrer dans le processus d’intégration, cette controverse portait la marque de l’opposition idéologique entre l’Est et l’Ouest. Entre le libéralisme et le socialisme, l’alignement et le non-alignement : selon le cas, on a mis l’accent sur les causes et remèdes internes ou externes, identifiant ainsi soit la responsabilité propre à chaque pays, soit la responsabilité du système international et plus précisément le marché mondial capitaliste.
Selon le courant de pensée libérale, le sous-développement est endogène et trouve son origine dans les faiblesses et contradictions propres à chaque pays. Les groupes sociaux, les agents économiques et les Etats se révèlent inaptes à prendre en charge la mise en valeur optimum des ressources disponibles ; ils ont accumulé un retard historique et se maintiennent dans un état séculaire de pauvreté qui s’entretient de lui-même.
Il convient donc de libérer l’initiative des individus, notamment par l’intervention d’une aide extérieure qui doit agir comme un aiguillon pour réveiller et stimuler les capacités de production et d’innovation de chaque pays et l’engager sur la voie du décollage économique et de l’insertion dynamique dans les relations économiques internationales.
Selon le courant opposé, le sous-développement est exogène et trouve ses causes moins dans les structures internes que dans les relations économiques internationales organisées et unifiées autour d’un système dominé par les pays développés capitalistes. Du fait de cette relation de domination où le développement des uns s’articule avec le sous-développement des autres, il est vain de croire que l’action sur les facteurs internes puisse changer l’état des choses ; il y a un cercle vicieux du sous-développement qui ne peut être rompu que si les rapports entre le Nord et le Sud sont radicalement transformés, y compris par la rupture ou la déconnexion[113].
Ces deux approches, présentées ici de façon très schématique alors qu’il y a des points de vue plus complexes et plus nuancés, ont marqué tout le débat sur les relations Nord-Sud, les politiques d’aide ou de coopération, le droit international du développement et le nouvel ordre économique international.
Avec la revendication pour un nouvel ordre économique international, les pays en développement ont esquissé une stratégie relativement originale et qui se veut intermédiaire entre le statu quo et la rupture ; il s’agit de contester ferme- ment la structure actuelle des relations Nord-Sud, mais sans aller jusqu’à la confrontation et la déconnexion ; autrement dit, il y a une tentation de la rupture qui s’exprime surtout dans les intentions et les discours, alors qu’il y a une pratique plus prudente, de type réformiste, en vue d’obtenir des concessions et des compromis. Par cette ambiguïté, le nouvel ordre économique international a suscité des objections opposées.
Du point de vue des pays développés, on a plutôt retenu l’aspect contestataire pour y voir une sorte de machine de guerre contre l’ordre existant, un moyen de subversion visant l’ensemble des institutions et règles internationales. Certains auteurs ont été jusqu’à soutenir que le nouvel ordre économique international est une stratégie de dépendance, malgré les velléités de bouleversement qui sont restées au stade de quelques incantations verbales[114].
On voit dans ce rappel des débats sur les relations Nord-Sud toute la marque d’une époque où les oppositions idéologiques, avec leurs aspects polémiques et systématiques, l’emportaient souvent sur l’observation objective des faits. Toute règle ou institution liée au problème du développement était jugée selon l’alternative sommaire et assez manichéenne de la dépendance ou de la rupture ; le nouvel ordre économique international, qui est pourtant un champ complexe de relations, est analysé de manière univoque dans l’optique soit de la soumission, soit de la subversion vis-à-vis de l’ordre existant[115].
En fait, l’idée d’une rupture avec le Nord n’a influencé qu’un nombre très limité de pays, notamment ceux qui se sont trouvés en conflit armé avec les puissances coloniales pour acquérir leur indépendance. Les pays du Sud, en tant que groupe, n’ont jamais engagé de processus de mise à l’écart du marché mondial, se limitant à revendiquer avec véhémence, mais sans trop d’illusion, la réforme substantielle des règles et institutions, aussi bien dans le cadre des Nations Unies que lors des conférences au sommet des pays non alignés ou des réunions fort nombreuses du groupe des Soixante-dix- sept. Cette revendication a permis de cimenter la solidarité des pays en développement, au point de faire croire à l’unité du Sud et à la possibilité de s’autonomiser par rapport aux pays développés.
En cherchant à réduire, à défaut de rompre, les rapports de domination qui prévalent dans les relations internationales, les pays en développement comprennent vite qu’une telle action ne peut progresser que si les actions individuelles s’enchâssent dans une vision et une pratique collectives. Encore faut-il que la stratégie d’action commune soit clairement conçue et fermement menée.
Or, l’observation montre que ce n’est pas le cas, car les pays du Sud ont pré- jugé de leur unité et ont eu tendance à penser que leur solidarité ainsi que leur unité sont des données, des choses évidentes et naturelles, au point qu’elles n’ont pas vraiment besoin d’un support institutionnel ou d’un corps de règles.
Lors des réunions et conférences, on fait sans cesse l’inventaire des diverses raisons de constituer un front solidaire et uni, en se référant à divers paramètres d’ordre géo- graphique, économique, social et culturel, sans se soucier des insuffisances et contradictions et sans se préoccuper des voies et moyens de concrétiser ou de consolider effectivement l’unité par des engagements fermes ou des procédures contraignantes. Il y a une vision idéologique de l’unité inéluctable et de l’autonomie qui ne va pas sans poser quelques problèmes dans la stratégie d’intégration.
a. L’idéologie de l’unité
Pendant une longue période, une perception excessivement généreuse a privilégié tout ce qui unissait le Sud, en faisant prévaloir un sentiment très fort de solidarité avec l’espoir d’en faire le moteur non seulement de la coopération mais aussi de l’intégration régionale ou intercontinentale.
La force de ce sentiment est d’avoir permis de souder les rangs des pays en développement et surtout d’avoir donné une relative cohérence à l’action internationale d’un groupe si important par le nombre de ses membres que l’on s’étonne parfois qu’il ait pu constituer et maintenir un front dans sa confrontation avec le Nord.
La faiblesse de ce sentiment est qu’il est insuffisant ou inapte à fonder une communauté organisée et opérationnelle, quelle que soit son intensité ou sa générosité. L’idée d’une unité normale, naturelle des pays en développement peut même devenir un facteur négatif en méconnaissant les réalités et en inspirant des processus de coopération ou d’intégration hâtifs ou utopiques.
b. L’autonomie du Sud
La nouvelle orientation économique qui a dicté les efforts d’intégration des pays ouest africains s’inscrivent dans la période où les pays en développement ont bénéficié d’une conjoncture internationale favorable, c’est-à-dire pendant les années soixante-dix, pour militer en faveur d’un nouvel ordre économique international, ils ont laissé planer la menace d’une rupture avec le marché mondial, en disant qu’il leur fallait déployer une stratégie économique et juridique d’autonomie individuelle et collective.
Cela a eu pour effet de générer une réflexion intéressante sur les tenants et aboutissants de l’autonomie qui devait logiquement orienter et structurer la coopération au sein de ces pays.
Que signifie l’autonomie et quels sont, notamment sur le plan juridique, les voies et moyens permettant d’aller dans ce sens ? L’autonomie, sous son aspect tant individuel (à l’échelle de chaque Etat) que collectif (à l’échelle de chaque région), est une notion apparemment simple mais dont le contenu n’est pas facile à identifier, surtout s’il doit s’adapter à chaque situation concrète. Pour mieux la saisir, il convient de se référer aux objectifs qu’elle se propose, ou plutôt aux finalités que veulent lui assigner les pays du qui ont décidé de créer l’organe d’intégration.
Tout d’abord, l’autonomie se propose de corriger ou de mettre fin à la désarticulation de l’économie des pays en développement où les structures de production et d’échange sont éclatées, fonctionnent selon des niveaux technologiques différents qui les isolent les unes des autres et obéissent à des statuts juridiques variés.
Il y a notamment une structure dualiste et dissymétrique entre un secteur moderne lié au marché mondial qui apparaît comme un îlot de prospérité et un secteur traditionnel, archaïque et pauvre où se concentre la grande majorité de la population. Lorsque des rapports s’établissent entre un secteur et l’autre, c’est au détriment du plus faible qui se trouve ainsi dominé et exploité.
Chaque pays doit mettre fin à cette désarticulation en intégrant son espace économique pour en faire un marché unifié et dynamique ; il appartient à l’Etat d’être le maître d’œuvre d’un tel projet par la transformation, entre autres, des statuts juridiques.
Ensuite, la stratégie d’autonomie se propose de corriger l’extraversion qui caractérise l’économie de chaque Etat ou de l’ensemble des Etats de l’Afrique de l’Ouest. En effet, la plus grande partie des échanges continue de se faire avec le Nord, plus précisément avec les anciennes puissances coloniales ; il s’agit là d’un héritage que les politiques de coopération bilatérale ont perpétué alors qu’il convient de sortir de ce tête-à-tête trop inégal par la diversification des partenaires du Nord et la recherche de complémentarités nouvelles dans le Sud général et en Afrique de l’ouest en particulier.
L’autonomie de ces pays suppose la substitution d’une nouvelle division internationale du travail où il s’agit pour chacun de participer effectivement à l’ensemble des relations internationales, en valorisant ses richesses naturelles lors de chacune des phases du cycle économique, qu’il s’agisse de la production, de la transformation ou de la commercialisation[116].
Enfin, l’autonomie signifie le contrôle ou la maîtrise des activités productives par le biais d’un ensemble de mesures internes ou externes, telles que la réglementation des investissements, le contrôle des sociétés transnationales, l’association des entreprises nationales publiques ou privées, par la nationalisation ou la participation dans les secteurs importants, la conclusion d’accords de pro- duits de base ou la constitution d’associations de producteurs pour réguler les fluctuations des prix internationaux.
Ayant ainsi cerné les finalités attachées à la stratégie d’autonomie, on peut en même temps percevoir ce que les pays du Sud attendent de la règle de droit ; celle-ci doit baliser les chemins d’une coopération permettant d’aller vers l’intégration entre les pays en développement.
En essayant d’aménager les relations de coopération entre eux, les pays futurs membres de la CEDEAO ont rencontré la même interrogation que pour leur choix du développement : quel modèle adopter ?
Le principal dilemme, surtout dans la politique industrielle, est de savoir s’il faut choisir un processus progressif avec des étapes, en partant des industries les plus simples pour passer ensuite aux industries complexes, puis à la technologie la plus avancée, ou bien s’il faut raccourcir le processus et sauter les étapes en se positionnant immédiatement au niveau technologique le plus élevé.
Dans le domaine de la coopération, c’est un peu le même dilemme qui se pose : convient-il de passer par les phases successives que constituent l’instauration des échanges, leur libéralisation, l’union douanière, l’union économique et éventuellement l’union politique ou bien convient-il, d’entrée de jeu, de viser des objectifs ambitieux, notamment l’intégration économique ?
Les solutions retenues sont finalement très variables et l’on retrouve tous les profils de coopération, des plus modestes aux plus ambitieux. Nous privilégions, ici, l’analyse des expériences d’intégration, d’abord parce que l’examen de toutes les formes de coopération entre pays en développement dépasse les limites de ce travail du fait de l’ampleur de la matière ; ensuite toutes les formes de coopération ne présentent pas le même intérêt du point de vue du droit économique ; enfin, parce que ce qui nous intéresse dans le cadre de cette étude, ce sont les expériences d’intégration qui ont révélé si les pays qui se rassemblé dans cet organe d’intégration qu’est la CEDEAO ont réussi quelque apport original ou quelque construction juridique spécifique prenant en considération les conceptions et positions affirmées face aux pays développés.
Section 2 : Le déploiement du cadre institutionnel
Le cadre institutionnel de la CEDEAO a été pensé de manière à couvrir tous les domaines indispensables à la viabilité d’une organisation, et à plus forte raison une organisation à caractère transnationale. Il a donc fallu penser à une institution politique dont le rôle serait de déterminer une ligne directrice de travail, la politique à suivre et à mettre en place pour le développement de la sous-région.
Il a fallu aussi mettre en place une institution juridique qui serait à même de sanctionner les manquements d’Etats membres par rapport à leurs obligations envers la communauté. Mais qui serait également à même de renforcer la portée du droit de la communauté en assurant la liaison entre ladite communauté et les Etats membres. Notamment en expliquant la portée des obligations des Etats membres.
En expliquant également jusqu’où l’Etat membre doit abandonner ses compétences souveraines en faveur de la compétence de la communauté, car c’est le propre des organisations régionales, les Etats membres doivent abandonner une partie de leur compétence souveraine pour permettre à l’organisation de remplir correctement ses missions.
Ce rôle des institutions judiciaires peut clairement s’observer au niveau des organisations régionales telles que l’Union Européenne. En effet, la CJUE (Cour de Justice de l’Union Européenne) anciennement CJCE (Cour de Justice de la Communauté Européenne) qui se voit régulièrement posée des questions préjudicielles sur la portée de tel ou tel article du Traité instituant l’Union ou d’un règlement…
A côté des institutions politiques et judiciaires, il faut également des institutions plus techniques chargées de matérialiser sur le terrain les politiques adoptées au niveau des institutions politiques. Des institutions dont le rôle est essentiellement technique et consiste à mener à bien les réalisations de la communauté.
Para 1er : Les institutions politiques et judiciaire de la CEDEAO
C’est le chapitre III du traité révisé de 1993 qui défini quels sont les organes et les institutions de la CEDEAO et quels en sont les rôles et les attributions. Ledit concerne autant les institutions politiques que les institutions judiciaires.
C’est l’article 6 en son alinéa 1 qui en fait l’énumération : « les institutions de la communauté sont les suivantes :
- La Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement
- Le Conseil des Ministres
- Le Parlement de la Communauté
- Le Conseil Economique et Social de la Communauté
- La Cour de Justice de la Communauté
- Le Secrétariat exécutif
- Le fonds de Coopération, de Compensation et de Développement
- Les commissions techniques spécialisées
- Toutes les institutions qui peuvent être créées par la Conférence »
Ce dernier alinéa semble indiquer la volonté des Etats membres et des penseurs de la CEDEAO de ne pas établir une liste exhaustive qui aurait empêché l’intégration au sein des institutions de la CEDEAO de nouvelles structures rendues indispensables par l’évolution du processus d’intégration.
Comme institutions politiques, la CEDEAO compte la conférence des chefs d’Etats, le conseil des ministres, ainsi que le secrétariat exécutif devenu commission de la CEDEAO depuis 2007, sans oublier le parlement. Nous allons étudier ces institutions une à une, apprendre en quoi consiste leurs missions et voir si elles servent réellement les intérêts de la communauté et dans quelle mesure.
C’est l’article 7 du Traité révisé de 1993 qui traite des questions de la Conférence des Chefs d’Etats et de Gouvernement. La conférence des chefs d’Etats est l’institution suprême de la communauté et qui est composée des Chefs d’Etats et de gouvernements des Etats membres » (alinéa 1).
Elle se réunit en session ordinaire au moins une fois par an et peut être convoquée en session extraordinaire à l’initiative de son Président ou à la demande d’un Etat membre. Mais dans ce dernier cas, il faudrait que la demande reçoive approbation de la majorité simple des Etats membres (article 8, alinéa 1).
Cette institution est chargée « d’assurer la direction et le contrôle général de la Communauté et de prendre toutes mesures nécessaires en vue du développement progressif de celle-ci et de la réalisation de ses objectifs » (alinéa 2).
Ce qui signifie que la Conférence des chefs d’Etats est chargée de déterminer la politique générale et les principales orientations de la Communauté, donner des directives, harmoniser et coordonner les politiques économiques, scientifiques, techniques , culturelles et sociales des pays membres. Elle est également chargée d’assurer le contrôle du fonctionnement des Institutions de la Communauté, ainsi que le suivi de la réalisation des objectifs de celle-ci.
Une formulation aussi large qui convient à une organisation politique est inadéquate pour une organisation économique ; celle-ci doit être opérationnelle, efficace et cela requiert une détermination claire des domaines d’intervention et des compétences à exercer pour que des mesures concrètes soient prises en vue de donner effet au processus d’intégration. Cet article 7 énumère donc les attributions, même si l’énumération n’épuise pas la liste car d’autres dispositions confèrent telle ou telle compétence particulière à la Conférence.
Parmi les principales attributions, il y a celles qui lui réservent le soin de déterminer la politique générale et les orientations de la Communauté, de donner des directives, de coordonner et d’harmoniser les politiques des Etats membres dans les domaines économiques et sociaux. En somme, il appartient à la Conférence de poser les fondements de l’intégration en arrêtant les objectifs et en prenant les mesures pour les atteindre progressivement par le biais d’une zone de libre-échange, d’une union douanière, d’un marché commun et, enfin d’une communauté économique continentale.
Les autres attributions consistent à contrôler l’action des autres organes, suivre la réalisation des objectifs, donner des directives aux communautés régionales et saisir la Cour de justice pour la solution d’un litige ou l’obtention d’un avis.
La Conférence des Etats est ainsi chargée de nommer le secrétaire exécutif et nommer sur recommandation du Conseil les commissaires aux comptes. Elle peut enfin déléguer au Conseil le pouvoir de prendre des décisions dans les cas visés à l’article 9 du Traité (alinéa 3).
A la lecture de cet article 7, l’on s’aperçoit qu’en fait la Conférence des Chefs Etats et de Gouvernement est la seule instance de « Policy making power »[117]. Elle concentre à elle seule tous les pouvoirs au sein de la CEDEAO ce qui traduit la philosophie politique des Etats Africains, philosophie qui est marquée par un manque de constitutionnalisme qui mine au final le processus d’intégration au sein de la CEDEAO.
Le Traité de la CEDEAO donne un véritable pouvoir de décision à cette institution. Dans son article 9, alinéa 4, il dispose en effet que « Les décisions de la Conférence ont force obligatoire».
On sait que traditionnellement les organisations internationales disposent d’un pouvoir de recommandation et il est rare, surtout pour les organisations politiques, d’être habilitées à prendre des mesures obligatoires pour les membres[118]. C’est là une caractéristique des organisations de coopération, qui respectent la souveraineté des membres et prennent non des décisions, mais des résolutions dont la valeur juridique n’a pas fini de susciter des débats au sein de la doctrine internationale.
Si l’on par exemple le cas de l’OUA, il convient de ne pas se laisser abuser par le langage de la Charte d’Addis-Abeba qui parle de « décisions » de la Conférence des chefs d’Etat (art. 10, par. 2, et art. 13, par. 2) ; en réalité, il s’agit de recommandations avec toute l’incertitude qui s’attache à leur portée juridique[119]. Cette incertitude n’a pas de raison d’être dans une organisation d’intégration comme la CEDEAO dont le statut constitutif déclare non seulement que les actes de la Conférence des chefs d’Etat sont des décisions, mais ajoute que celles-ci «Les décisions de la Conférence ont force obligatoire à l’égard des Etats Membres et des Institutions de la Communauté ».
Comment va se manifester ce pouvoir de contrainte et plus précisément quelle forme peut-il prendre ?
Rappelons que le droit communautaire européen distingue trois types d’actes qui produisent des effets juridiques obligatoires distincts : le règlement, la directive et la décision. Le Traité d’Abuja n’est pas aussi riche et subtil dans ses classifications ; il se contente de parler des décisions et d’évoquer les directives sans définir outre mesure ces dernières, ni préciser leurs effets juridiques et il faut attendre le fonctionnement des institutions pour savoir l’usage qui sera fait des directives.
Quant aux décisions, il est dit qu’elles sont exécutoires de plein droit trente jours après leur publication au journal officiel de la Communauté (article 9, alinéa 6). On retrouve, ici, l’inspiration du Traité de Rome et, pour parer aux problèmes de communications et de circulation de l’information qui demeurent mal résolus, et pour donner aux décisions un maximum de publicité, le dernier alinéa du même article dispose que « Chaque Etat membre public les mêmes décisions dans son Journal Officiel dans les délais prévus au paragraphe 5 ».
Les décisions de la Conférence sont prises par consensus ou, à défaut, à la majorité des deux tiers[120]. Ce processus à double détente réalise une combinaison entre le vote à la majorité qualifiée et la pratique du consensus, cherchant ainsi à concilier le principe démocratique de la majorité et le respect de la souveraineté de chaque Etat.
Une telle recherche a également eu lieu en Europe, notamment avec le fameux compromis de Luxembourg de janvier 1966 qui tend à éviter la décision majoritaire en obligeant les membres à négocier en vue de parvenir à un accord de tous[121].
Mais la solution ouest-africaine est inverse de la solution européenne, puisque la procédure de décision est, en principe, le consensus et c’est seulement en cas d’échec du consensus que l’on recourt à un vote majoritaire ; en fait, l’Afrique a codifié la pratique des Nations Unies qui s’efforce, avant de recourir au vote à la majorité des deux tiers conformément à la Charte, d’obtenir un consensus parmi ses membres.
Un autre aspect du processus de décision mérite d’être relevé, celui de l’égalité des Etats,
avec le refus de pondérer le vote selon l’importance de chacun au sein de la Communauté. On sait que la pondération du vote est admise au sein d’organisations économiques, plus particulièrement en matière financière ; l’Afrique qui reste très attachée au principe de l’égalité ne l’a admis que pour la Banque africaine de développement.
Dans le cas de la CEDEAO, « la peur des plus petits pays d’être dominés par le Nigeria est une pré- occupation constante. Le Nigeria surpasse de loin tous les autres pays de la région en vertu de son poids démographique, de son produit intérieur brut et de sa dotation en ressources naturelles. Un effort a été fait pour contrebalancer ces avantages en plaçant les États membres de la CEDEAO sur un même pied d’égalité dans tous les domaines, sauf en ce qui concerne leurs contributions financières à la Communauté (qui sont fixées au prorata) »[122].
Mais en écartant cette pondération, à propos de la Communauté économique, on peut se demander si cela est très réaliste ; tant que la Communauté en était à ses balbutiements et qu’il n’y avait pas encore de décisions mettant en cause les intérêts des Etats, l’égalité dans le vote ne fait pas problème ; mais lorsque des décisions adoptées à la majorité des deux tiers heurteront les intérêts des grands Etats, il est douteux que ceux-ci acceptent de s’incliner.
Il y a une prédominance des petits Etats dans la CEDEAO ; les deux tiers d’entre eux, qui peuvent constituer une majorité, représentent seulement un quart de la population et un quart du PNB de la Communauté et on voit mal comment le Nigeria qui représente une grande part de la population et du PNB, se laissera dicter sa conduite par une alliance des petits Etats.
D’ailleurs, les tensions et les frictions entre le Nigéria et les autres Etats membres sont très courants et constitue un des plus importants facteurs de blocage à la réalisation d’une véritable intégration. Les Etats membres doivent chercher un certain équilibre dans le pouvoir de décision, en s’inspirant de l’exemple européen[123] et en introduisant une forme ou une autre de pondération.
Le conseil des ministres occupe le deuxième échelon dans la pyramide institutionnelle de la Communauté, et c’est l’article 10 du traité révisé qui porte création de ce conseil. Ledit article en définit également la composition et les fonctions.
Il est composé de délégués gouvernementaux, à savoir des Ministres des affaires étrangères des Etats membre et de tout autre ministre désigné par chaque Etat (article 10, alinéa 2). Ainsi, outre les Ministres des affaires étrangères, le conseil des ministres peut également rassembler tout autre ministre aux attributions plus techniques comme le ministre ayant en charge l’industrie, les finances ou la santé par exemple. Des technocrates directement impliqués dans le développement de la Communauté.
Cette institution présente des ressemblances frappantes avec l’institution de l’OUA. La composition du Conseil est établie dans l’article 12 de la Charte de l’OUA, qui indique que les membres sont les ministres des Affaires étrangères ou tous autres ministres désignés par les Etats membres.
La prééminence accordée aux chefs de la diplomatie par la Charte de l’OUA est justifiée, car c’est une organisation essentielle- ment politique ; cette prééminence l’est moins pour la CEDEAO qui est essentiellement une organisation économique et où la présence des ministres responsables des affaires économiques et du développement apparaît plus importante.
Toutefois, dans la mesure où le processus d’intégration prévu par le Traité dépasse l’aspect économique et technique pour revêtir un intérêt politique majeur, il est normal que les ministres des Affaires étrangères soient impliqués ; dans la pratique et pour les problèmes importants, il y aura sans doute la présence concomitante des ministres principalement concernés.
Dans le cas de l’OUA, le Conseil est étroitement subordonné à l’organe suprême, au point que l’article 13 de la Charte de l’OUA va jusqu’à déclarer qu’il « est responsable envers la Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement » ; la formule est excessive ou du moins il faut la comprendre non pas dans le sens parlementaire d’une responsabilité de l’organe exécutif devant l’organe législatif, mais plutôt dans le sens que le conseil doit rendre compte de ses activités devant la Conférence en lui adressant ses propositions et résolutions.
Le Conseil tient deux sessions par an et il peut siéger en session extraordinaire à l’initiative de sou Président ou à la demande d’un Etat membre, sous réserve de l’approbation de cette demande par la majorité simple des Etats Membre.
Ce rythme des sessions, qui était raisonnable au stade initial, peut se révéler étriqué étant donné que le rythme d’intégration peut s’accélère et faire passer de plus en plus de domaines sous la compétence communautaire.
Dans le cadre de l’OUA, le Conseil est pour ainsi dire un organe secondaire[124] et cela ressort clairement des dispositions de la Charte qui le subordonne totalement à la Conférence, dont il est simplement l’organe d’exécution. Il ne prend pas de décisions mais seulement des résolutions qui sont transmises à la Conférence, qui a seule le pouvoir de leur faire produire des effets juridiques en les approuvant ; faute d’une telle approbation, les résolutions constituent des vœux qui n’engagent personne ; mais elles ne sont pas frappées de nullité, contrairement à ce que soutient un auteur[125] ; celui-ci déduit la nullité du fait que l’on ne peut pas en assurer l’exécution, alors que cette déduction procède d’une confusion entre l’existence d’un acte et sa valeur exécutoire ; or, un acte juridique peut exister sans être obligatoire ou exécutoire, comme l’attestent précisément les résolutions d’organisations internationales.
En revanche, lorsque le Conseil des ministres agit comme organe de la CEDEAO, la situation est différente ; en effet, le Traité de Lagos de 1975 lui attribue des compétences propres et l’habilite parfois à prendre de véritables décisions. L’article 10, paragraphe 3, le charge d’assurer le fonctionnement et le développement de la Communauté ; on reconnaît là un premier volet assez classique correspondant aux attributions d’un organe exécutif et consistant à veiller au bon fonctionnement des autres structures, y compris la conférence des chefs d’Etat dont il prépare les réunions et délibérations.
Si la soumission du Conseil à la Conférence est réelle, elle est cependant relative, car il dispose d’un certain nombre de compétences spécifiques énumérées expressément dans le Traité et lui permettant d’influer sur les décisions de la Conférence.
Ainsi, il a le pouvoir de formuler des recommandations sur toute mesure visant les objectifs du Traité, de soumettre des projets de programmes et de budgets, de proposer les nominations pour certains postes ; il détient une compétence identique à celle de la Conférence pour demander un avis consultatif à la Cour de justice ; il exerce certaines compétences particulières en matière de clause de sauvegarde (art. 10, par. 3, h), d’harmonisation et de coordination des politiques d’intégration économique (art. 10, par. 3,c). Enfin, il peut recevoir délégation de la Conférence pour agir en ses lieux et place et prendre des actes ayant alors la même force obligatoire et exécutoire que les décisions des chefs d’Etat.
Du fait de ce rôle actif du Conseil on pourrait penser que ses actes dénommés « règlements » seraient tous obligatoires. Pourtant une telle conclusion serait trompeuse car les règlements ne deviennent obligatoires qu’après leur approbation par la Conférence, sauf exception prévue par le Traité ou découlant d’une délégation de pouvoir.
La procédure de décision au sein du Conseil est la même qu’au sein de la Conférence, c’est-à-dire le consensus ou, à défaut, la majorité des deux tiers ; sur ce point le Traité d’Abuja s’écarte de la Charte d’Addis-Abeba où le Conseil statue à la majorité simple.
Le secrétariat exécutif de la Communauté est une institution qui a déjà existé sous le régime du traité de 1975. Dans le traité révisé, c’est l’article 17 qui en parle : « il est créé un secrétariat exécutif de la Communauté ». Le secrétariat exécutif est le principal exécutif de la CEDEAO, il est dirigé par un secrétaire exécutif qui devient ainsi le premier responsable administratif de la communauté dans la mesure où il est chargé de l’administration courante de la communauté et de toutes ses institutions. Il est également le représentant légal de l’ensemble des institutions de la CEDEAO (article 19, alinéa 2).
Cet organe est directement inspiré de celui de l’OUA. Dans l’organigramme de l’Organisation de l’Union Africaine, le secrétariat exécutif constitue le quatrième organe commun, placé sous la direction d’un secrétaire général et de quatre adjoints élus par la Conférence de l’OUA pour un mandat de quatre ans.
S’il est habituel que l’instance suprême élise le responsable d’une organisation internationale (secrétaire général ou directeur général, selon le cas), il n’en n’est pas de même pour les adjoints ; il est plus logique de laisser au responsable le soin de nommer ses adjoints qui agissent alors sous son autorité et sont responsables devant lui[126].
Mais, avec la Charte de l’OUA, les chefs d’Etat africains ont décidé de prévoir et d’élire les adjoints dans le but précisément d’affaiblir le Secrétaire général dont la fonction a suscité une grande méfiance, en raison précisément de l’expérience de l’Organisation des Nations Unies et des reproches encourus par Dag Hammarskjöld dans l’affaire du Congo belge (actuel Zaïre)[127].
En créant l’OUA, les Etats africains ont voulu se prémunir contre un exécutif trop entreprenant et ils ont entendu limiter ses fonctions à celles d’un responsable « administratif », ce qualificatif étant destiné à bien marquer l’aspect très subordonné et les limites rigoureuses qui enserrent l’action du Secrétaire général[128].
Un peu plus tard, les Etats africains ont pris conscience de l’erreur consistant à brider excessivement les pouvoirs du Secrétaire général et ils ont envisagé une réforme qui s’est limitée finalement à supprimer l’épithète « administratif » dans l’article 16 de la Charte de l’OUA[129].
Le traité de Lagos s’est efforcé de reconnaître au Secrétaire général les attributions qui doivent être les siennes, sans les renvoyer — comme le fait la Charte de l’OUA — à un règlement intérieur établi par la Conférence des chefs d’Etat. En tant qu’organe de préparation, il assume un ensemble de tâches matérielles permettant de faciliter le travail de tous les autres organes.
Ces tâches lourdes et ingrates ont un impact décisif sur le bon déroulement et l’efficacité des réunions dans un continent qui souffre d’insuffisances diverses notamment sur le plan technique et financier. Organe d’initiative et de proposition, il est en fait la source de tout projet ou programme susceptible de contribuer à l’intégration.
Le Traité a fixé le processus et les étapes à suivre pour réaliser la Communauté économique africaine, mais il s’agit d’orientations très larges et très vagues dont la concrétisation repose sur l’action du Secrétariat général, sa capacité à rassembler les informations pour les traiter et en tirer les conséquences sous forme de propositions.
On voit tout de suite la difficulté en même temps que l’importance de l’entreprise avec des pays où les informations économiques manquent, soit parce qu’elles n’existent pas ou ne sont pas fiables, soit parce qu’elles sont considérées comme sensibles et confidentielles par les Etats qui refusent qu’on les communique ou les recueille.
Organe d’exécution, le Secrétaire général veille à l’application des décisions — et non des résolutions comme dans le cas de l’OUA — de la Conférence et du Conseil ; autrement dit, il doit intervenir auprès des Etats et des organisations régionales pour s’assurer qu’ils donnent tous leurs effets aux actes qui les obligent ; si des manquements sont relevés, ils feront l’objet de rapports présentés lors des sessions du Conseil et de la Conférence auxquels il appartient de tirer les conséquences.
On voit donc que le Secrétaire général exerce, au titre de la CEDEAO des attributions qui rehaussent sa fonction et s’il accomplit cette fonction à la satisfaction des Etats il en résultera nécessairement des effets sur la fonction qu’il assume au titre de l’OUA ; celle-ci pour- rait alors plus aisément reconsidérer et réévaluer le statut du Secrétaire général. Inversement, si la mission ne réussit pas ou suscite la contestation des Etats, ceux-ci seraient confortés dans leurs suspicions et portés à tenir en lisière l’exécutif.
La naissance de la Commission de la CEDEAO résulte du renforcement statutaire de l’institution du secrétariat exécutif. Ce renforcement statutaire doit se traduire par la sortie de la tutelle politique exercée par la Conférence des chefs d’Etat, il s’agit en effet de mettre sur place une institution qui serait à même de défendre efficacement les intérêts de la Communauté. Or une telle entité ne pourrait efficacement agir que si elle est effectivement autonome et indépendante vis-à-vis des Etats membres.
La réforme qui a conduit à la mise en place de la Commission de la Communauté « vise donc à réaliser la mission, la vision et les objectifs fixés dans le cadre des Protocoles de la CEDEAO ». Pour cette raison, elle est composée de « départements et directions comprenant diverses origines culturelles, ethniques, nationales, professionnelles, pour aider à la réalisation du mandat de la CEDEAO ».
Car le but ultime après tout est de « promouvoir la coopération et l’intégration, conduisant à la création d’une union économique de l’Afrique de l’Ouest afin d’élever le niveau de vie de ses habitants, améliorer et maintenir la stabilité économique, favoriser les relations entre les Etats membres et contribuer au progrès et au développement du continent africain »[130].
En 2006, le conseil des ministres de la Communauté avait opté pour la mise en place d’une commission dont les membres, chaque commissaire, auraient la charge d’un domaine déterminé. Il s’agissait de mettre en place une institution très spécialisée, qui aurait également pour avantage de présenter plus de proximité avec les besoins sur le terrain dans la mise en œuvre du processus d’intégration.
On assiste donc à une spécialisation de l’institution, spécialisation qui valorise les projets d’intégrations de l’organisation et qui est gage également de la visibilité de l’organisation dans les Etats membres. Visibilité indispensable pour que les Etats membres et leurs populations ne soient pas déconnecté de la réalité communautaire.
Au final, la mise en place de la Commission permettra à l’organisation d’abord d’établir un lien de proximité entre l’organisation et les populations des Etats membres qui ne se sentent pas toujours concernées par l’intégration, étant donné que les efforts menés au sein de l’Organisation ne transparaissent pas toujours à leur niveau.
Elle permettra d’autre part de repositionner l’organisation et les Etats membres sur le marché international et notamment en matière de concurrence international. Les commissaires en effet pourront mieux se concentrer sur leurs missions et ainsi plus facilement mener des actions ciblées pour rendre la sous-région plus attractive aux yeux des investisseurs internationaux et aussi pour attirer plus facilement les financement en matière de développement.
C’est l’article 13 du traité révisé de la communauté qui parle du parlement de la Communauté et il n’en dit pas grand-chose, il faut bien l’avouer. Il y est simplement dit qu’il est porté création d’un parlement de la Communauté et le mode d’élection de ses membres, sa composition, ses attributions, ses pouvoirs et son organisations sont définis par un Protocole y afférent.
L’introduction du parlement dans la CEDEAO apparaît hésitante ou réticente, ce qui transparaît dans le fait qu’il y a une seule disposition le concernant (art. 13), dont la brièveté est frappante alors qu’un tel organe n’existait pas dans l’OUA et appelait donc l’adoption de plu- sieurs dispositions pour déterminer sa composition, son fonctionnement et ses attributions.
On a l’impression que les dirigeants ouest-africains se sont trouvés contraints de prévoir un parlement pour répondre aux exigences d’ordre interne et international en faveur de la démocratisation ; le principe d’un organe représentatif étant incontournable, il fallait y souscrire mais sans trop savoir comment l’insérer dans les institutions de la Communauté.
L’embarras n’est guère étonnant puisque beaucoup d’Etats africains n’ont pas de parlement ou disposent d’un parlement élu dans un système de parti unique dont la représentativité démocratique n’est pas démontrée. En outre, une revendication générale parcourt le continent pour récuser les parlements existants, réclamer des élections démocratiques et le respect des droits de l’homme ; des conférences nationales se multiplient dans des conditions plus ou moins pacifiques pour obtenir des changements d’institutions et de personnels politiques.
Dans ce climat, le Traité de Lagos a préféré la prudence pour s’en remettre à un protocole ultérieur chargé de préciser les règles devant régir le Parlement de la CEDAO, en espérant que la situation interne de chaque Etat se serait décantée entre-temps.
C’est le protocole A/P.2/8/94 du 6 Août 1994 qui a institué le Parlement de la CEDEAO. Le Parlement a son siège à Abuja, au Nigéria. Et ses membres représentent toutes les populations de l’Afrique de l’ouest, c’est du moins en ces termes que le site officiel de l’institution la décrit[131].
Le Parlement de la Communauté est constitué de 115 sièges, et chacun des 15 Etats membre dispose d’un nombre de sièges de 5 au minimum. La répartition des sièges est faite en proportion avec la population des Etats membres.
Ainsi, le Nigéria qui dispose du plus grand nombre d’individus constituant sa population dispose de 35 sièges. Le Ghana en a 8, la côte d’Ivoire 7. Tandis que le Burkina Faso, le Mali, le Niger et le Sénégal disposent chacun de 6 sièges. Les autres pays à savoir, le Benin, le Cap Vert, la Gambie, la Guinée Bissau, le Libéria, la Sierra Leone et le Togo eux disposent chacun de 5 sièges.
L’institution judiciaire de la Communauté est dénommée Cour de Justice de la CEDEAO. Dans le Traité originaire de 1975 en ses articles 4 et 11, il avait été prévu la création d’un « Tribunal » sans entrer dans les détails.
Cette sous-partie sera donc consacrée à l’étude de cette institution qui est placée à la cinquième position dans la pyramide institutionnelle de la Communauté. Il nous faudra voir alors quels sont les textes qui sont à sa base, quelle en sont la composition, les attributions et compétences ainsi que la procédure.
L’acceptation d’une cour de justice à l’échelle de la région est l’indice d’un changement significatif d’attitude des Etats ouest-africains vis-à-vis de la justice internationale. Il convient de rappeler que, lors de la création de l’OUA, tout en considérant le règlement pacifique des différends comme un principe important[132], ils n’ont pas créé de cour de justice et ils ont prévu une commission de médiation, de conciliation et d’arbitrage dont la compétence est facultative[133] et qui a été très rarement saisie, puisque les Etats ont préféré recourir à des procédures ad hoc, de nature non juridictionnelle[134].
On a expliqué cette réticence, à l’égard de la procédure juridictionnelle, par l’attitude de la Cour internationale de Justice dans l’affaire du Sud- Ouest africain qui aurait déçu et découragé les membres de l’OUA[135] ; bien que cela soit vrai, cela ne constitue pas une explication suffisante, car les jeunes Etats africains avaient une approche trop politique des conflits internationaux et de leurs solutions pour accorder un intérêt important à une approche juridique et à des mécanismes de nature juridictionnelle.
Mais, peu à peu, la méfiance va s’atténuer et, dès le milieu des années soixante-dix, certaines organisations régionales acceptent le recours à un organe juridictionnel[136], tandis qu’à partir des années quatre-vingt les Etats africains acceptent de saisir soit la Cour internationale de Justice[137] soit un tribunal arbitral[138] pour le règlement de leurs litiges.
L’institution d’une cour de justice au sein de la CEDEAO apparaît ainsi comme le couronnement d’une évolution qui s’est accélérée pour des raisons aussi bien internes qu’externes au continent.
Elle correspond à deux fonctions, l’une consultative, l’autre contentieuse.
Dans sa fonction consultative, la Cour donne des avis sur toute question juridique dont elle est saisie par la Conférence ou le Conseil. Bien que les avis ne lient pas ceux qui les ont demandés, on sait qu’ils peuvent revêtir une grande autorité morale par leur qualité et leur rigueur et aussi par l’unanimité ou la quasi-unanimité qui a présidé à leur émission ; ils peuvent avoir une force encore plus grande lorsqu’ils ont pour objet de constater le droit, au point de rejoindre alors l’acte proprement juridictionnel[139].
Dans sa fonction contentieuse, la Cour assure le respect du Traité et du droit communautaire en veillant sur l’interprétation et l’application de leurs dispositions ainsi qu’en statuant sur les litiges portés devant elle. Le Traité s’est efforcé d’énumérer les différents recours susceptibles d’être introduits ; toutefois, la formulation, inspirée du traité de 1983 relatif à la Cour de justice de la CEEAC, sans être aussi confuse n’est pas entièrement satisfaisante d’un point de vue terminologique et logique[140].
Comme nous venons de le souligner, le Traité de 1975 n’a rien prévu en ce qui concerne la Cour, hormis le fait qu’il fallait créer un Tribunal de la Communauté. Il aura fallu fallut attendre l’adoption du Protocole A/P1/7/91 du 6 juillet 1991 d’Abuja pour que la Cour soit enfin véritablement créée. Le nom n’est plus « Tribunal » mais devient « Cour », et c’est dans ce protocole que sont définis pour la première fois ses compétences et son fonctionnement.
Ainsi donc, La Cour de Justice de la Communauté a été créée par l’Article 11 du Traité originaire en tant que principal organe judiciaire de la Communauté. Et elle est constituée et exerce ses fonctions conformément aux dispositions du Protocole relatif à la Cour de Justice.
La création de la Cour de Justice de la Communauté répond aux besoins de la réalisation de l’objectif des pays membres de la CEDAO ainsi formulé : « Déterminés à conjuguer nos efforts en vue de promouvoir la démocratie dans la sous région sur la base du pluralisme politique et du respect des droits fondamentaux de l’homme tels que contenus dans les instruments internationaux en matière de droits de l’homme universellement reconnus et dans la Charte africaine des droits de l’homme et des peuple »[141].
En cas de manquement au traité ou à une règle de droit communautaire, l’action peut être engagée soit par un Etat membre, soit par la Conférence.
Le recours introduit par un Etat contre le manquement d’un autre Etat s’intègre apparemment dans la procédure assez classique de règlement obligatoire des différends ; en adhérant à la CEDEAO, tout Etat accepte la compétence de la Cour et il ne peut plus se soustraire à une action engagée contre lui.
Le recours introduit par un Etat contre un organe agissant au nom de la Communauté est une procédure spécifique à certaines organisations internationales, celles qui sont dotées d’un pouvoir de décision, c’est-à-dire essentiellement les organisations d’intégration. Etant donné que les décisions de la Conférence ou les règlements du Conseil s’imposent aux Etats, il est normal que ceux-ci puissent contester leur éventuelle irrégularité ; on se rapproche du droit interne et il n’est pas étonnant qu’une certaine parenté s’établisse entre les procédures internationales et nationales.
Le recours introduit par la Conférence est une autre illustration de l’éloignement des procédures interétatiques classiques qui réservent l’action contentieuse aux seuls Etats. Si l’on prend l’exemple de la Cour internationale de Justice, elle ne peut jamais être saisie par un organe d’une organisation internationale par la voie contentieuse ; seule la voie consultative est possible pour l’ONU ou l’une des institutions spécialisées.
C’est avec la création des Communautés économiques européennes que la faculté d’agir par la voie contentieuse est ouverte à un autre requérant que les Etats ; la voie ainsi ouverte a été suivie par quelques autres organisations régionales du Sud (Pacte andin, CEEAC, UMA) ainsi que par la CEDEAO.
Selon l’article 9 du Protocole A/P.1/7/91 relatif à la Cour de Justice, la Conférence peut saisir la Cour de toute violation du Traité ou du droit communautaire par un Etat membre ou par un organe ou une autorité de la Communauté.
La saisine de la Cour est réservée à l’organe suprême, c’est-à-dire la Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement ; une telle restriction s’explique par le souci de mettre l’accent sur l’importance et la gravité d’une action contentieuse et donc la solennité de la procédure de mise en œuvre. Il reste que la solution retenue est susceptible de rendre illusoire la saisine de la Cour par la Conférence ; en effet, ou bien le litige est grave et l’on peut douter que les chefs d’Etat et de gouvernement se mettent d’accord pour mettre en œuvre une procédure juridictionnelle[142] ou bien le litige est mineur et on voit mal un organe aussi solennel que la Conférence en débattre pour savoir s’il faut ou non saisir la Cour.
Il aurait fallu permettre au Conseil des ministres de saisir la Cour pour donner plus de souplesse et d’efficacité à une telle procédure. Par ailleurs, nous avons vu que les décisions et règlements s’imposent non seulement aux Etats membres mais aussi aux organisations régionales ; pourtant celles-ci ne disposent pas de recours et il y a là une lacune qui mérité d’être comblée pour régulariser les rapports entre la CEA et les communautés régionales.
En agissant devant la Cour, la Conférence peut mettre en cause soit l’action d’un Etat, soit celle d’un organe ou d’une autorité de la Communauté. Si le recours contre un Etat est une situation claire, le recours contre un organe ou une autre autorité de la Communauté ne manque pas de laisser perplexe.
D’une part, ces organes ou autorités n’ont pas généralement de pouvoir de décision ; d’autre part, à sup- poser qu’ils aient un tel pouvoir, ils agissent alors comme organes ou autorités subordonnés à la Conférence et celle-ci détient un pou- voir hiérarchique qui lui évite de recourir à la Cour de justice si elle veut désavouer un acte ou agissement illégal ou inopportun.
C’est donc le Protocole A/P.1/7/91 qui détermine la composition de la Cour. Et selon son article 3, « La Cour est composée de sept (7) membres dont deux (2) ne peuvent être ressortissants du même Etat Membre. Les membres de la Cour élisent en leur sein un Président el un Vice-président qui agissent en cette qualité pendant une période de trois (3) ans » (alinéa 2).
Pour pouvoir siéger à la Cour de justice, il faut remplir certains critères, et notamment celui d’être « juge indépendant choisi parmi des personnes de haute valeur morale » (article 3, alinéa 1). Cet alinéa écarte donc d’emblée toute personnalité qui ne présenterait pas la neutralité qui sied à la fonction de juge et qui serait impliquée dans des questions douteuses que ce soit d’ordre politique ou judiciaire.
De plus il faut également être ressortissant d’un Etat membre, ce qui est tout-à fait logique. Et il faut finalement posséder « les qualifications requises dans son pays respectifs pour occuper les plus hautes fonctions juridictionnelles, ou qui est un jurisconsulte de compétence notoire en matière de droit international et nommés par la Conférence ». Car il faut vraiment présenter un haut niveau de compétence et une connaissance particulièrement poussée de la région pour pouvoir siéger à si haut niveau.
Le Protocole additionnel prévoit également le cas où l’un des juges siégeant à la Cour aurait une double nationalité. La double nationalité ne constitue pas un obstacle à l’éligibilité d’un juge. Il suffirait que la personne concernée choisisse clairement au début de son mandat la Nationalité dans laquelle elle exerce habituellement ses droits civils et politiques, (alinéa 3).
Il faut cependant souligner que c’est encore une fois la Conférence des chefs d’Etat qui désignent les membres de la Cour. En effet, l’article 3, en son alinéa 4 dispose que « La Conférence nomme les membres de la Cour à partir d’une liste de quatorze (14) personnes présélectionnées sur proposition du Conseil ».
Ce qui pourrait mettre en doute la neutralité de ces juges et surtout leur indépendance dans la mesure où nous avons démontré supra que la structure de l’organe dirigeante est telle que les membres risquent de faire prévaloir avant tout leurs intérêts.
Aux termes des articles 6 et 15 du traité révisé, la Cour connait des différends relatifs à l’application et à l’interprétation des normes communautaires. Cela signifie donc que la saisine de la Cour était exclusivement réservée aux Etats et les particuliers n’y avaient pas accès.
Le Protocole de 2005 maintient ce rôle. La Cour constitue donc un organe de contrôle et de sanction de la législation communautaire. Elle connait donc de tous les litiges qui ont pour objet L’interprétation et l’application du Traite, des Conventions et Protocoles de la Communauté ; L’interprétation et l’application des règlements, des directives décisions et de tous autres instruments juridiques subsidiaires adoptés dans le cadre de la CEDEAO ; L’appréciation de légalité des règlements, des directives, des décisions et de tous autres instruments juridiques subsidiaires adoptes dans le cadre de la CEDEAO[143].
Elle a également compétence pour statuer sur les manquements des Etats membres aux obligations qui leur incombent en vertu du Traite, des Conventions et Protocoles des Règlements des décisions et des directives et elle veille à ce que les dispositions du Traité et de tous les instruments juridiques de la Communauté reçoivent application effective de la part des Etats membres.
La Cour peut également connaître des litiges opposant les Etats membres. Elle joue donc le rôle d’arbitre. Mais elle est également compétente pour statuer dans le cadre de la remise en cause de la responsabilité des institutions de la Communauté et de ses agents dans le cadre de la responsabilité non-contractuelle.
Notons que dans les textes avant 2005, les particuliers ne pouvaient prétendre saisir la Cour que par le truchement de l’intervention de l’Etat dont ils sont ressortissants. Ainsi, selon l’article 9.3 du Protocole A/P.1/7/91 « un Etat membre peut, au nom de ses ressortissants, diligenter une procédure contre un autre Etat membre ou une institution de la Communauté, relative à l’interprétation et à l’application des dispositions du Traité, en cas d’échec des tentatives de règlements à l’amiable ».
Ce protocole fera l’objet de modifications importantes, modifications dont le but principal était d’« accroitre la productivité de l’organe judicaire et de mieux le faire connaitre aux citoyens de la communauté »[144].
Ces modifications se sont traduites par l’adoption par la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement le 19 Janvier 2005 du Protocole additionnel A/SP.1/01/05 portant amendement du Préambule, des articles 1er, 2, 9, 22 et 30 du Protocole A/P1/7/91 relatif à la Cour de Justice de la Communauté.
« Convaincues de la nécessite de doter la Cour de Justice de la Communauté, de pouvoirs lui permettant d’exercer le contrôle sur l’exécution des engagements de Etats membres ; désireuses de faciliter la mission de la Cour à cet égard, au moyen de l’extension de ses compétences ; désireuses de prendre toutes autres mesures qui favorisent le bon fonctionnement de la Cour et garantissent l’exécution de ses décisions»[145], les Hautes parties contractantes au protocole additionnel de 2005 ont entendues apporter ces modifications afin de substantiellement élargir les compétences de la Cour.
Le nouveau protocole permet à la juridiction communautaire de connaitre de tous les cas de violations des droits de l’homme intervenant dans le territoire de tout Etat membre et consacre en même temps un accès individuel direct au prétoire de la Cour.
Selon l’article 4 du Protocole additionnel de 2005, Peuvent saisir la Cour : tout Etat membre et, à moins que le Protocole n’en dispose autrement, le Secrétaire Exécutif, pour les recours en manquement aux obligations des Etats membres ; tout Etat membre, le Conseil des Ministres et le Secrétaire Exécutif pour les recours en appréciation de la légalité d’une action par rapport aux textes de la Communauté ; toute personne physique ou morale pour les recours en appréciation de la légalité contre tout acte de la Communauté lui faisant grief ; ainsi que toute personne victime de violations des droits de l’homme.
Para 2 : Les institutions économiques et techniques de réglementation des échanges
Le Traité de 1993 prévoit enfin la création d’institutions techniques spécialisées qui seront chargée de penser au moyen de mettre en œuvre les politiques adoptée auprès de l’exécutif de la Communauté et qui auront également à les réaliser sur le terrain.
Dans la catégorie des institutions économiques, nous pouvons dénombrer le Conseil économique et social, ainsi que la Banque d’Investissement et de Développement de la CEDEAO et le Fond de Coopération, de Compensation et de Développement.
Le Conseil économique et social a été institué par le Traité de 1993, l’article 14 en dispose ainsi que « Ce conseil a un rôle consultatif et est composé des représentants des différentes catégories d’activités économiques et sociales. ».
Cela signifie que le Conseil, bien qu’il soit le plus à même de se prononcer en matière de développement économique et social, qu’il soit plus proche du terrain pour déterminer des politiques adéquates à adopter pour permettre un développement rapide et durable qui profiterait directement aux populations de la Communauté n’a pas de pouvoir décisionnelle.
A l’instar de toutes les institutions clés de la CEDEAO, le Conseil économique et social est privé d’un rôle qui nous semble pourtant hautement pertinent pour l’amélioration des acquis de la Communauté. Malheureusement dans le CEDEAO, on assiste à la prépondérance de la Conférence des Chefs d’Etats qui semble avoir le dernier mots sur tout ce qui a vocation à se passer dans l’espace juridique, économique et social de la Communauté.
Le Fonds de Coopération, de Compensation et de Développement a été institué par le Traité Révisé en son article 21. Le but en est alors de mettre en place une institution qui permettrait de compenser la perte de recettes subie par les Etats membres du fait de l’application du Traité.
La Décision A/1 9/5/80 de la Conférence des Chefs d’Etats et de Gouvernement de la CEDEAO du 28 mai 1980 à Lomé relative à l’application de la procédure de compensation des pertes de recettes subies par les Etats membres du fait de la libéralisation des échanges intracommunautaires en donne une idée exacte : « la perte de recettes est constituée par l’ensemble des moins values enregistrées par cet Etat en raison de la libéralisation des échanges intérieurs de la Communauté. Elle est égale à la différence entre le revenu qui aurait été perçu en appliquant le taux de la nation la plus favorisée ou le taux général, consolidé au 28 mai 1979 et le revenu actuel perçu en utilisant le taux de taxation préférentielle découlant du programme de libéralisation tel que décidé par le Conseil des Ministres ».
Notons que c’est la Décision A/1 9/5/80 de la Conférence des Chefs d’Etats et de Gouvernement qui régit le fonctionnement et en défini les objectifs et les missions. Selon l’article 9 de la Décision A/DEC/19/5/80, le Fonds est alimenté par la contribution de chaque Etat membre proportionnellement à la valeur des exportations de produits industriels qu’il réalise dans l’espace économique communautaire.
Ainsi ce sont les Etats membres exportateurs de produits industriels qui sont principalement appelés à alimenter le fonds. La raison en est qu’ils sont dans une situation économique bien plus confortables que les autres membres non exportateurs qui doivent compter sur le marché intérieur désorganisé et dominé par le secteur informel.
Bien que logique, cette politique de financement est de plus en plus contesté par les puissants membres de la CEDEAO pour la raison qu’ils le juge non équitable, ce qui a abouti à un compromis. Ainsi, si les Etats membres qui sont actuellement les principaux bailleurs de fonds du FCCD veulent diminuer leur charge financière, il leur appartient d’acheter plus à leurs partenaires de la CEDEAO des produits industriels fabriqués dans ces Etats.
Les pertes de recettes subies du fait de la taxation préférentielle seront intégralement compensées. Cependant dans un esprit de solidarité, les 1/5 de compensation des pertes subies par quatre Etats (le Nigeria, la Côte d’Ivoire, le Ghana et le Sénégal) fera l’objet de répartition suivante : pendant les 5 premières années de la libéralisation, ce 1/5 sera mis à la disposition des Etats les moins industriellement avancés proportionnellement à l’inverse de leur contribution au budget communautaire. Après ces 5 années, il sera mis à disposition des 15 Etats sur la base ci-dessus.
En conséquence, on constate selon les statistiques officielles établies par la Direction d’Etude Commerciale, une évolution des échanges des produis agréés à la TPC. Ainsi entre 1975 et 2004, 1486 entreprises ont été agréées à la TPC, le commerce intracommunautaire a progressé de 148% entre 1976 et 2004, passant de 8930 millions de FCFA à environ 990 milliards de FCFA en 2004. Les échanges de produits communautaires qui ne représentaient que 14,8 % de l’ensemble des échanges dans la CEDEAO en 1976 ont progressé pour atteindre 48 %. Cette évolution est significative au regard des échanges intra africains relevés dans la région ouest Africain.
La Banque d’Investissement et de Développement est le principal organe de financement de la Communauté. Le Traité de Lagos de 1975 n’avait pas d’emblée prévu la mise en place d’une banque de développement pour la Communauté, il s’est contenté d’institué le Fond de la CEDEAO qui permettrait une plus grande coopération entre les Etats membres et favoriser ainsi une intégration réussie.
Cependant, le Fond en question a rapidement atteint ses limites, il ne permettait en effet qu’un financement restreint qui au final ne permettait pas une très grande marge de manœuvre aux pays membres.
Pour cette raison, les Etats membres ont décidé, en 1999, lors de la vingt-deuxième session qui s’est tenue les 09 et 10 décembre, de la transformation du Fond de la CEDEAO en la BIDC. Le but étant de renforcer les ressources financières du Fonds à travers l’ouverture de son capital aux partenaires non-régionaux.
La BIDC prend alors la forme d’une société de holding, ayant donc pour mission de gérer les actions des valeurs mobilières. Elle est constituée de deux filiales spécialisées, à savoir le Fond Régional de Développement de la CEDEAO (FRDC) et la Banque Régionale d’Investissement de la CEDEAO (BRIC). Le groupe n’est réellement devenu opérationnel qu’en 2003, soit quatre ans après son institution.
En 2006, la BIDC fut réorganisée pour ne plus faire qu’une seule institution et cela afin de rationnaliser les charges d’exploitation et ainsi favoriser la concentration des actions du groupe. Désormais, la BIDC est une structure unique et cela depuis le 14 Juin 2006. Elle devient ainsi une institution financière internationale instituée par l’article 21 du Traité révisé de 1993 tel qu’amendé par l’Acte additionnel A/SA.9/01/07 du 19 janvier 2007.
Cette institution financière est alors constituée de deux guichets dont l’un est destiné à la promotion du secteur privé et l’autre au développement du secteur public.
Ainsi dans ses interventions au profit du secteur public, la BIDC accorde la priorité aux projets d’infrastructure économiques de base, dans la mesure où ces dernières constituent des supports à la production et contribuent à la réduction des coûts des facteurs tout en renforçant la compétitivité du secteur privé, ce dernier étant le catalyseur de croissance, de création d’emploi et de richesse des Etats membres.
En ce qui concerne l’intervention de la BIDC au niveau du secteur privé, elle se focalise surtout sur le développement des capacités de production, et l’amélioration de la qualité, de la compétitivité et de la diversification des industries et des services.
Le but principal de la BIDC est avant tout de contribuer à l’essor économique de l’Afrique de l’Ouest à travers le financement des projets et programmes de la CEDEAO et du NEPAD (Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique).
Cela concerne notamment les programmes relatifs au transport, à l’énergie, à la télécommunication, à l’industrie, à la réduction de la pauvreté, à l’environnement et aux ressources naturelles.
Il s’agit de faire de la BIDC, à terme, la première banque régionale de financement de l’investissement et du développement en Afrique de l’Ouest. Une institution qui aurait alors la puissance nécessaire pour faire la promotion du secteur privé dans la région et constituer ainsi un instrument efficace dans la lutte contre la pauvreté et un levier important dans la création de richesses et la promotion de l’emploi en vue d’améliorer le bien-être des populations.
Notons que la principale raison pour laquelle il a été procédé à la modification de la structure de la Banque est que la mobilisation des ressources financières externes et internes est un processus important pour permettre à la Banque de donner l’impulsion nécessaire à ses activités et accomplir convenablement la mission de contribution au développement et à l’intégration des Etats membres en finançant des projets et programmes de développement définis par la Communauté.
La BIDC fait également de la lutte contre la pauvreté une de ses priorités, son but étant de permettre aux Etas membres d’atteindre les OMD (Objectifs du Millénaire pour le Développement)[146].
C’est la raison pur laquelle la Banque met l’accent sur le financement des projets d’infrastructures économique de base (voir infra), et mobilise les bailleurs de fonds pour l’obtention des ressources financières nécessaires à cet effet.
Notons que les interventions de la BIDC en faveurs des Etats se matérialise par des financements directs des projets, mais également par le biais de financement indirects à travers des structures intermédiaires comme des organisations non gouvernementales (ONG), associations, organisations de microfinance ou encore les banques locales.
En articulation avec les objectifs que nous venons d’étudier, la mission principale de la BIDC est de contribuer à la création des conditions permettant l’éclosion d’une Afrique de l ’Ouest économiquement forte, industrialisé et prospère, en un mot parfaitement intégrée tant au plan interne que par rapport au système économique mondial, afin de profiter des opportunités offertes par la mondialisation.
Dans le cadre de la réalisation de cette mission, la BIDC peut accorder des prêts et garanties pour le financement de projets et programmes d’investissement relatifs au développement économique et social des Etats membres.
Elle peut également mobiliser des ressources destinées au financement de ses projets et programmes d’investissement que ce soit à l’intérieur ou hors de la Communauté. Mais aussi de fournir une assistance technique à chaque fois que cela est nécessaire au sein de la Communauté pour l’étude, la préparation, le financement et l’exécution de projets et programmes de développement.
La BIDC peut également compter parmi ses attributions la possibilité de recevoir et de gérer la part des ressources du prélèvement communautaire destiné au financement des actions de développement de la Communauté, ainsi que celle de gérer tous les fonds spéciaux de la Communauté relatifs à son objet.
Elle peut enfin mener toute activité commerciale, agricole ou industrielle et cela dans la mesure où une telle action serait accessoire à son objet ou nécessaire au recouvrement de ses créances.
Notons que la banque peut coopérer avec des organismes nationaux et sous-régionaux de développement œuvrant dans la sous-région pour la réalisation de ses missions, mais également avec des organisations internationales s’intéressant au développement de la Communauté.
La BIDC peut donc être appelée à intervenir dans le domaine des infrastructures et équipements de base relatifs au transport, à l’énergie et aux télécommunications. Elle peut donc financer la construction de routes, de chemins de fer, des infrastructures portuaires et aéroportuaires, des infrastructures de production, de transport et de distribution d’énergie, ainsi que des dispositifs de communication.
Elle peut également intervenir dans le domaine du développement rural et l’environnement en finançant l’irrigation, le contrôle des crues ainsi que l’agriculture et l’élevage, la pêche, sans oublier la protection de l’écosystème.
Dans le secteur social, la BIDC peut être amenée à financer des projets concernant la formation professionnelle, l’éducation, la santé ainsi que des projets ayant pour objet principal l’appui à la décentralisation.
Et enfin, elle peut également intervenir en matière d’industrie et de services. Pour ce qui est de l’industrie, la BIDC peut être amenée à financer l’agro-industrie, l’industrie minière, elle peut également faciliter le transfert de technologie et favoriser les innovations technologiques. Pour ce qui est des services, elle intervient surtout en matière de services financiers, de services relatifs aux technologies de l’information, ingénierie, hôtellerie, bref dans les secteurs les plus prometteurs en ce moment.
La BIDC ne peut intervenir que si certaines conditions sont remplies et elle n’intervient que selon un cadre bien défini. Pour les conditions, elles concernent autant les bénéficiaires que le type d’aide demandée.
Peuvent demander l’assistance de la BIDC les Etats membres de la CEDEAO ou alors leurs démembrements (ministères, collectivités décentralisées…). Peuvent également demander l’intervention de la BIDC les entreprises publiques et privées, ainsi que les sociétés d’économie mixte des Etats membres.
Sont également éligibles à recevoir financement de la part de la BIDC les institutions financières locales ainsi que les personnes morales ressortissantes de la CEDEAO. Notons cependant que depuis les modifications structurelles et institutionnelles apportées à la Banque, il est également possible pour les entreprises étrangères de demander l’intervention de la banque, la seule condition étant que ces entreprises étrangères veuillent effectivement investir dans l’espace économique de la CEDEAO et dans les domaines de compétence de la BIDC.
La première condition est que les montants demandés doivent être exprimé en Unité de Compte (UC), il ne peut s’exprimé en monnaie locale qu’exceptionnellement, notamment quand la levée de fonds se fait au niveau local. Pour le montant des garanties émises ou reçues par la BIDC, ils sont exprimés dans la monnaie de l’opération garantie.
Ensuite, en ce qui concerne le montant des aide octroyé, il a été fixé que le niveau d’intervention de la Banque est de 1 million d’unité de compte au minimum, et 10 millions d’unité de compte au maximum pour les projets d’envergure nationale. Et enfin, le niveau d’intervention est fixé à 15 millions d’unité de compte au maximum pour les projets d’envergure régionales.
Pour ce qui est du taux d’intérêt pratiqué par la Banque, il varie selon la nature des projets et de leur rentabilité. Ce taux d’intérêt évolue ainsi entre 1,5% à 4 % l’an pour les projets du secteur privé et de 6,5 % à 12% l’an pour les projets du secteur privé.
La durée du prêt sera déterminée en fonction toujours de la nature et de la rentabilité du projet, le prêt peut ainsi être à court terme (0 à 2 ans), moyen terme (2 à 7 ans) et il peut enfin être à long terme (plus de 7 ans).
En raison de l’ampleur et de la technicité des tâches à accomplir pour construire une communauté économique, le Traité a prévu sept comités techniques spécialisés dans les différents domaines couvrant l’ensemble des activités économiques et sociales.
Chaque comité est un organe intergouvernemental composé non pas d’experts choisis par les organes de la Communauté, mais de représentants manda- tés par les Etats pour préparer et appliquer les mesures sous le contrôle de la Commission économique et sociale.
Autrement dit, à côté de la Commission (ancien secrétariat exécutif), les comités constituent des structures semi-permanentes dont la contribution peut être d’autant plus importante qu’elle se situe à l’intersection des problèmes politiques et techniques. Leur efficacité va dépendre de l’équilibre à trouver entre l’aspect politique et l’aspect technique des solutions qu’ils vont pro- poser aux difficultés rencontrées ; il faut reconnaître que cet équilibre n’est pas aisé, comme le montre l’expérience d’autres organisations internationales où l’on reproche aux comités techniques d’être trop politisés ou inversement d’être trop technocratiques.
Les Commissions prévues dans le Traité de 1975 ont été intégralement reprises par le traité révisé de 1993. Leur rôle essentiel est de préparer des projets et programmes communautaires et de les soumettre à l’approbation du Conseil des Ministres et d’assurer l’harmonisation et la coordination des projets et programmes de la communauté. Il s’agit des commissions techniques pour :
- L’alimentation et l’agriculture ;
- L’industrie, Science et Technologie et Energie ;
- L’Environnement et les ressources naturelles ;
- Les transports, télécommunications et tourisme ;
- Le commerce, douane, fiscalité, statistique, monnaie et paiement ;
- Les ressources humaines, information, affaires sociales et culturelles ;
- L’administration et les finances[147]
Aussi, faut-il signaler qu’en matière de commission, le traité révisé de 1993 a apporté une innovation non négligeable. La révision du traité a été l’occasion de mettre sur pied d’une commission technique « affaires politique, judiciaire et juridique, sécurité régionale et immigration » ; le volet « juridique » et « judiciaire » n’existant pas dans le traité de 1975.
Toutes ces institutions politiques, économiques et techniques constituent l’arsenal institutionnel de la CEDEAO. L’efficacité de cet appareil institutionnel peut se vérifier à l’aune des réalisations effectuées par l’organisation régionale depuis sa création. Cet essai de perfectionnement organique peut aussi se justifier à travers le fonctionnement même de l’organisation.
Chapitre 2 : La construction matérielle de la réglementation des échanges dans l’espace CEDEAO
Section 1 : L’articulation entre droit interne et droit communautaire
Para 1er : La réception communautaire par les constitutions des Etats-membres
Le premier aspect des rapports du droit communautaire avec le droit national, et qui contribue à les conditionner, tient au caractère constitutionnel du premier de ces droits; du moins de celles de ses dispositions contenues dans les traités instituant les Communautés et dans les traités qui les ont modifiés et que l’usage désigne sous le nom de droit communautaire «originaire». Cette qualification ne se justifie pas seulement d’un point de vue chronologique. Elle vise aussi et surtout à indiquer que ces dispositions sont à l’origine et servent de fondement à l’ensemble du droit communautaire et en commandent le développement.
Considéré sous cet angle, ce premier aspect soulève une question de principe préalable, celle de la qualification constitutionnelle appliquée à des traités internationaux. L’objection étant écartée, il reste à rechercher quelles conséquences principales entraîne la nature constitutionnelle de ces traités en tant qu’actes du droit international.
Qualifier de constitutionnel le droit communautaire «originaire» se heurte à une objection de principe. Celle-ci se fondait traditionnellement sur cette considération qu’une telle qualification n’est pas transposable à ces actes du droit international que sont les traités, parce qu’elle utilise une notion du droit public interne liée à une catégorie déterminée d’actes de celui-ci, les constitutions.
C’est cependant méconnaître que, même en droit interne, la notion de droit constitutionnel n’est pas liée à une catégorie formelle d’actes juridiques. Elle se définit d’un point de vue matériel en fonction de l’objet, de la nature et de l’autorité des normes qui, pour une collectivité donnée, fût-elle de pur droit privé, en régissent l’existence, l’organisation et le fonctionnement.
En ce sens il n’est donc nullement exclus que cette notion trouve à s’appliquer en droit international[148]. S’agissant plus spécialement des organisations internationales, résultat d’un processus volontaire d’institutionnalisation, il semble bien que les traités qui les fondent, les dotent d’organes propres et en règlent les compétences et le fonctionnement doivent être considérés comme leurs constitutions.
Aussi bien, la doctrine contemporaine du droit international, loin de récuser ou de contester encore cette qualification, s’emploie au contraire à en établir la pertinence et à en déduire les conséquences[149].
Que les Traités institutifs des Communautés soient bien leurs constitutions se manifeste dans nombre de leurs dispositions dont la nature matériellement constitutionnelle n’est pas discutable en ce qu’elles établissent un «pouvoir public commun»[150] , dont elles désignent les détenteurs et dont elles règlent les conditions d’exercice[151].
Cette nature constitutionnelle des traités institutifs est expressément reconnue par la jurisprudence de l’Union européenne. Très tôt évoquée par les avocats généraux dans leurs conclusions devant la Cour[152], elle a été depuis constamment affirmée par celle-ci[153], dont le caractère de juridiction constitutionnelle, tout d’abord discuté[154], est aujourd’hui hors de doute, comme suffit à elle seule à le montrer sa jurisprudence sur l’«équilibre institutionnel».
De toutes les formules qui consacrent cette nature matérielle des traités, partant le caractère de juridiction constitutionnelle de la Cour, aucune n’est sans doute plus significative que celle suivant laquelle «la Communauté économique européenne est une communauté de droit en ce sens que, ni ses Etats membres, ni ses institutions n’échappent au contrôle de la conformité de leurs actes à la charte constitutionnelle de base qu’est le traité»[155].
Il n’en reste pas moins que cette «charte constitutionnelle de base» est, du point de vue formel, un traité négocié, conclu et ratifié dans les conditions applicables aux traités multilatéraux. Ce caractère ne peut pas être purement et simplement ignoré ou méconnu, même si ces traités doivent à leur nature matérielle de ne pouvoir pas être interprétés «à la seule lumière du droit des gens»[156].
Cette considération a conduit la Cour de justice à estimer que ces traités présentaient, au vu de leur objet, des particularités qui les distinguaient des traités «ordinaires»[157].
Elle rejoint certaines des indications du droit international, tel que codifié par les Conventions de Vienne sur le droit des traités[158]. Ces conventions disposent en effet en termes identiques, dans leurs articles 5, qu’elles s’appliquent à tout traité… qui est l’acte constitutif d’une organisation internationale, sous réserve de toute règle pertinente de l’organisation.
En d’autres termes, de tels traités sont soumis au droit commun des traités, y compris aux règles particulières que celui-ci leur consacre, à moins que ces traités n’y dérogent par des règles propres. Cette possibilité illustre ainsi une liberté qui est tout autant celle inhérente à la souveraineté des Etats que celle du constituant dans l’exercice de son pouvoir originaire. La question est dès lors de savoir dans quelle mesure les traités communautaires comportent des règles propres en ce qui concerne, d’une part, les Etats qui y sont parties et, d’autre part, leurs modalités de révision.
Le traité communautaire de la CEDEAO a été conclu pour une durée indéterminée, mais s’il contient une clause relative à un retrait (art. 91), il ne prévoit rien en ce qui concerne l’exclusion, ou la dénonciation. Ce sont des caractères que tous les traités institutifs des communautés ont en commun. On peut expliquer cette situation par le fait que ces traités sont le fondement d’un ordre juridique dont l’édification est nécessairement progressive, sans qu’il soit possible d’en fixer le terme.
Cette durée indéterminée a pu être interprétée comme exprimant, de la part des parties à ces traités, l’engagement d’exécuter de manière continue et complète les obligations que ces traités comportent.
Et, comme un tel engagement vaut pour toute convention internationale, qu’elle comporte ou non une clause relative à sa durée, il en résulterait que cette clause de durée indéterminée ne fait pas obstacle à l’application des règles générales sur l’extinction, l’abrogation ou la révision des traités.
Une telle interprétation est conforme aux règles générales, telles que codifiées dans les Conventions de Vienne, qui la confirment. Après avoir posé que l’extinction d’un traité ou le retrait de l’une des parties peuvent avoir lieu conformément aux dispositions de ce traité ou, à tout moment, par le consentement de toutes les parties, ces conventions (art. 54) règlent spécialement l’hypothèse d’une dénonciation ou d’un retrait dans le cas de traités qui ne contiennent pas de dispositions à ce sujet.
On va aborder dans cette sous-partie de notre travail la question de l’application du droit communautaire. Nous allons parler de la place que tient le droit communautaire dans le système juridique africain.
On a pu écrire avec raison que la primauté est une « condition existentielle » du droit communautaire[159]qui ne saurait contribuer à la réalisation des objectifs définis par les traités de Paris et de Rome qu’à condition que son autorité ne puisse être battue en brèche par la volonté unilatérale des États appartenant à la Communauté.
L’intégration exige l’unité et l’uniformité du droit communautaire de sorte que les États ne sauraient prétendre opposer leur droit à celui de la Communauté sans lui faire « perdre son caractère communautaire » et sans mettre « en cause la base juridique de la Communauté elle-même »[160].
Le processus d’intégration juridique est un « phénomène consistant à incorporer dans un ensemble plus vaste de relations immédiates des rapports juridiques jusque-là isolés dans leur encadrement juridique »[161] qui devrait normalement laisser entrevoir que que peu de domaines échappent à l’emprise du droit de la Communauté et qui devrait laisser entrevoir la perspective d’une union effective sur le long terme.
La densification matérielle de ce droit interroge sur la fonction (la raison d’être) d’un principe que chacun s’accorde à concevoir comme matriciel. En toute logique, la Communauté a donc besoin que les règles qu’elle édicte soient respectées. Si les États qui sont convenus de la création des Communautés veulent être cohérents avec leur intention première, ils se doivent d’accepter la primauté du droit communautaire comme la conséquence de leur engagement.
L’affirmation du principe de la primauté du droit communautaire est largement tirée du droit de l’Union Européenne qui est le pionnier en la matière et qui est donc incontournable quand il s’agit de déterminer les fondements, mais également la portée du principe.
Dans le droit de l’Union Européenne, le principe de la primauté du droit communautaire, aujourd’hui droit de l’Union, n’a pas été consacrée explicitement par les traités qui ont créé les Communautés[162] même si la Cour de justice a pu estimer que ces conventions postulaient ce principe.
Sur ce point et en dépit des vicissitudes qui en compromettent l’avenir immédiat, le traité établissant une Constitution pour l’Europe contribue toutefois à renouveler les termes de la problématique[163].
En consacrant ce principe, l’article I-6 du traité assure la légitimation d’un processus initié par la Cour de justice au début des années soixante. En effet, l’affirmation de la primauté du droit communautaire sur les droits étatiques procède avant tout de la volonté prométhéenne, d’une Cour qui, se faisant « chief architect of the Community’s legal order »[164] a su identifier les besoins essentiels du système communautaire, en saisir l’essence profonde et tracer la voie d’un renforcement constant de l’intégration. C’est la jurisprudence qui a, tout à la fois, déterminé le fondement et défini la portée de ce principe.
Nous allons aborder séparément le fondement et la portée du principe, cela va nous aider à mieux comprendre le fonctionnement du système juridique européen.
Nous allons voir ici deux positions qui n’ont pas toujours convergentes, d’un côté la position de la cour de justice de la communauté européenne, aujourd’hui CJUE, et de l’autre la position des juridictions nationales.
Ramenée à l’essentiel, la question de la détermination du fondement de la primauté du droit de l’Union européenne revient à se demander si les règles qui régissent les rapports du droit de l’Union et des droits nationaux doivent être posées par le premier ou par les seconds.
Juridiquement, mais aussi politiquement, l’enjeu est considérable. Au-delà des rapports de droit, il engage la nature de la Communauté. Cette dimension n’a pas échappé à la Cour de justice qui dans son arrêt « Costa c/ Enel »[165] s’est efforcée de démontrer que la nature spécifique des Communautés commandait la primauté de leur droit.
Dans cette arrêt, la Cour a entendu asseoir le principe de la primauté du droit communautaire par ses considerations qui ont trait à l’applicabilité directe du droit communautaire, à l’effet utile du traité instituant la CE, à l’attribution de compétences à la Communauté, limitant les droits souverains des États, à l’unité et l’autonomie de l’ordre juridique communautaire. Des considérations identiques se retrouvent dans les décisions ultérieures de la Cour de justice[166] qui soulignent le « principe fondamental de la primauté de l’ordre juridique communautaire »[167].
La primauté, bien que nulle part mentionnée dans les traités, constitue donc bien la « poutre maîtresse» de l’édifice. Il s’agit à la fois d’une « condition existentielle » du droit communautaire et d’un puissant facteur de sa pénétration dans l’ordre juridique des États membres. La Cour a consacré la prévalence absolue du droit communautaire en tenant compte principalement de trois éléments.
Il lui est apparu, en premier lieu, que l’immédiateté et l’applicabilité directe demeureraient sans effet si un État pouvait s’y soustraire à sa guise. L’applicabilité directe, principe propre à sauvegarder le statut juridique du citoyen européen, est consubstantielle à la nature même des Communautés.
Dans son arrêt fondateur « Van Gend en Loos »[168], la Cour a considéré qu’en fixant pour objectifs au traité l’institution d’un marché commun, dont « le fonctionnement concerne directement les justiciables », les États membres ont admis qu’il constitue « plus qu’un accord qui ne créerait que des obligations mutuelles ».
L’implication des individus dans la construction européenne est d’ailleurs soulignée par le préambule qui « vise les peuples et, de façon plus concrète, par la création d’organes qui institutionnalisent les droits souverains dont l’exercice affecte aussi bien les États membres que leurs citoyens ». Une caractéristique qui signe le particularisme d’un ordre juridique perçu comme totalement autonome par rapport aux prescriptions des droits nationaux.
Rappelant, en second lieu, que l’attribution de compétences aux Communautés s’est accompagnée d’une limitation subséquente des pouvoirs étatiques, elle a jugé, au nom de la cohérence, que les États membres ne pouvaient revenir sur leur engagement initial[169]. Elle a, enfin, considéré que l’unité de l’ordre juridique communautaire et l’uniformité de l’application du droit communautaire ne sauraient s’accommoder de pratiques nationales hétérodoxes.
Au total, pour la Cour de justice, la primauté du droit communautaire ressortit à la nature même de la Communauté. C’est exclure tout renvoi aux droits nationaux pour fonder au contraire l’autonomie du droit communautaire. Ce faisant, elle récuse les prémisses d’une approche « internationaliste » en vertu de laquelle la construction communautaire aurait une dimension essentiellement interétatique.
À cette perception, la Cour oppose la thèse « communautaire », selon laquelle ce n’est pas le droit national mais le droit communautaire lui-même, qui règle la matière. Simultanément la Cour de justice approuve la spécificité du droit communautaire par rapport aux « traités internationaux ordinaires »[170]. Cette spécificité tient à l’existence d’un ordre juridique communautaire autonome.
La Cour ne se contente pas de consacrer la primauté du droit communautaire pour elle-même ; elle ajoute qu’au plan national, le droit communautaire « ne (peut) se voir opposer un texte interne » se reconnaissant le droit d’enjoindre aux juges nationaux la manière dont ils devront trancher un éventuel conflit entre leur droit et celui de la Communauté. Selon la doctrine, la Cour affirme en même temps la « primauté internationale » et la « primauté interne » du droit communautaire[171].
L’originalité de la démarche de la Cour est de fonder ces deux aspects de la primauté du droit communautaire sur sa nature propre alors que si « la distinction entre « primauté internationale » et « primauté interne » était connue de la doctrine internationaliste (…) seule la première était considérée comme une règle du droit des gens ; la seconde était laissée au droit public interne des États, qui pouvaient la reconnaître ou non, de manière discrétionnaire ».
« Par rapport aux canons classiques du droit international public » l’innovation introduite par l’arrêt « Costa c/ Enel » vient de ce que « dans cet arrêt, la Cour ne se borne pas à proclamer la primauté du droit communautaire (…) », elle ajoute que ce droit au plan national, « ne pourrait (…) se voir opposer un texte interne quel qu’il soit »[172].
La Cour de justice a donc récusé le « dualisme » inhérent à la conception internationaliste pour consacrer l’unité du fondement de la primauté du droit communautaire, conception étrangère à la distinction d’une « primauté internationale » et d’une « primauté interne ».
Les relations entre l’ordre juridique de l’Union et les systèmes juridiques internes restent souvent tumultueuses. En effet, malgré les aspirations contraires de la Cour, le principe de primauté demeure, dans une certaine mesure du moins, sujet à caution dans les États membres.
Même s’il ne faut pas en exagérer les conséquences concrètes, un profond malentendu oppose encore parfois juges nationaux et européens à propos du fondement de la primauté du droit communautaire. Le filtre constitutionnel subsiste pleinement et la spécificité du droit communautaire par rapport au droit international reste, sous cet angle, exceptionnellement tenue pour pertinente.
En pratique, la primauté reconnue au droit de l’Union l’est tantôt sur la base du droit constitutionnel, tantôt plus rarement, en raison de sa nature, parfois en associant ces deux fondements. Le choix de l’une ou l’autre de ces solutions est fonction de nombreux facteurs à commencer par les données constitutionnelles de chacun des États. On ne saurait évidemment prétendre procéder à une étude systématique de droit comparé, ce qui serait une gageure dans une Union comptant désormais vingt-sept membres. Aussi se contentera-t-on de restituer l’essentiel des solutions nationales.
Aussi iconoclaste que puisse paraître cette remarque, on relève que pour déployer pleinement ses effets dans l’ordre interne, le droit de l’Union doit aujourd’hui encore faire l’objet d’une sorte de reconnaissance interne (il est vrai quasiment acquise).
Quittant le terrain des certitudes doctrinales, force est de constater que le droit de l’Union, comme le droit international du reste, continue à être appréhendé comme un droit second. Il serait illusoire d’attendre des États, seules entités à résulter d’un processus d’autocréation[173], qu’ils reconnaissent à une organisation internationale et au droit qu’elle engendre une quelconque omnipotence fondatrice.
Sur ce point, la situation ne peut qu’être imparfaite eu égard au caractère incomplet de l’ordre juridique de l’Union lui-même. Longtemps, le rôle des États membres, dans la mise en oeuvre du droit et des politiques communautaires, fut sous-estimé. Ils paraissaient réduits à une attitude purement passive consistant à laisser faire l’action du droit d’origine supranationale.
Or, la réalité révèle qu’il n’en est rien. En effet, et ce n’est pas le moindre de ses paradoxes, le droit de l’Union doit compter sur et avec les structures nationales existantes, structures juridiques, dont il dépend crucialement. Bien entendu, les États membres interviennent pour la transposition des directives, mais cette activité n’est que l’aspect le plus visible d’une coopération indispensable à la bonne application du droit communautaire dans son ensemble.
Il est donc clair que dans sa configuration présente, la Communauté ne saurait se passer de la collaboration des États ce qui les conforte probablement dans leur refus d’accepter une primauté d’origine purement communautaire.
Une réalité qui incline à tenir particulièrement compte des dispositifs constitutionnels d’insertion du droit de l’Union dans les ordres juridiques internes[174]. On assiste, en effet, à une véritable européanisation de la texture constitutionnelle[175].
Il n’est, au cours des vingt-cinq dernières années, de constitutions nationales qui n’aient été enrichies de dispositions visant à préciser les conditions d’appartenance des États à l’Union et les modalités de mise en oeuvre des principes et des droits établis par les institutions communautaires. Ce faisant, les traités et le droit dérivé reçoivent, ab origine, un « sceau constitutionnel apte à leur conférer une véritable immunité constitutionnelle »[176].
Dans cette perspective, on relève que certains États ont porté leur choix sur une habilitation constitutionnelle large (sans jamais être illimitée) permettant de circonvenir les inconvénients liés à la nécessité d’adapter, à jet continu, les dispositions constitutionnelles à chaque nouvelle étape de la construction communautaire (tel est le cas, comme nous le verrons, par exemple, de la République fédérale d’Allemagne). D’autres États, à l’instar de la France, ont préféré un système d’habilitation ponctuelle ou sélective[177].
Cette option impose une adaptation de la loi fondamentale à chaque révision du traité afin d’assurer l’adéquation de la première aux engagements souscrits au titre du second. Ces clauses sont réputées assurer un contrôle démocratique en amont du processus d’intégration, l’intervention ultérieure du juge en garantissant l’encadrement en aval. En tout état de cause, elles offrent à la prééminence du droit communautaire une base constitutionnelle rejetant ainsi à l’arrière-plan la nature spécifiquement originale de celui-ci. Rien n’est cependant tout à fait simple.
Quoi qu’il en soit, le refus de fonder exclusivement la primauté du droit de l’Union sur sa nature sui generis témoigne de la volonté unanime des États membres, au-delà des particularités de leurs systèmes respectifs, de tenir la Constitution comme seul creuset (et donc principale limite) de cette prévalence.
La mise en oeuvre du « rapport de validation » défini par la Cour implique que la primauté est indivisible, inconditionnelle et absolue. Elle vaut, par conséquent, à l’égard du droit national dans son ensemble. Cette option radicale n’a pas manqué de poser rapidement la délicate question des rapports hiérarchiques entre le droit communautaire et, notamment, les normes constitutionnelles.
Pour la Cour, la primauté n’est pas le privilège du seul droit communautaire originaire c’est-à-dire des dispositions des traités institutifs. Alors que dans l’arrêt « Costa c/ Enel » le conflit opposait le traité de la CEE à une loi postérieure, l’arrêt « Internationale Handelsgesellschaft »[178] voyait s’affronter des dispositions constitutionnelles à celles d’un règlement, en d’autres termes des règles du droit communautaire dérivé et la loi suprême d’un État.
C’est encore la primauté des règlements qui est affirmée par la Cour dans les affaires 43/71[179] et 84/71[180]. De même les décisions adressées par les instances communautaires aux États membres s’imposent à tous les organes de l’État destinataire, y compris à ses juridictions. Celles-ci ne sauraient leur opposer des dispositions internes de nature legislative[181]. Cette solution vaut aussi pour les directives.
Dans une formulation dont elle ne se départira pas, la Cour estime qu’ « (…) un justiciable ne peut se voir opposer par une autorité nationale des dispositions législatives ou administratives qui ne seraient pas conformes à une obligation inconditionnelle et suffisamment précise de la directive »[182].
La primauté englobe enfin les accords internationaux conclus par les Communautés. Comme le souligne le professeur J.-V. Louis, « partie intégrante de l’ordre juridique communautaire, les accords jouissent dans les ordres juridiques nationaux de la primauté reconnue du droit communautaire en général »[183]. La jurisprudence de la Cour de justice épouse cette conception[184].
Le principe de la primauté du droit de l’Union européenne paraît d’abord se relier étroitement à celui de l’autonomie de l’ordre juridique de l’Union. Pour définir les rapports entre le droit de l’Union européenne et les droits nationaux, le premier doit être considéré comme un ordre juridique global au sein duquel il n’est pas permis de déterminer l’autorité en fonction du rang des règles qui en font partie.
Aucune différence ne doit non plus être opérée, au moins pour ce qui est du principe de la primauté envisagé en lui-même, c’est-à-dire sans considérer sa mise en œuvre, entre le droit de l’Union européenne directement applicable et celui qui ne l’est pas. Les raisons avancées par la Cour de justice pour justifier ce principe valent pour l’ensemble du droit de l’Union européenne.
De plus, la Cour n’a pas hésité à constater des infractions étatiques aux règles dépourvues d’effet direct, qu’il s’agisse de dispositions inscrites dans les traités ou dans des directives. Le manquement est une notion indépendante de toute considération relative à l’effet direct de la norme méconnue puisque l’ensemble du droit de l’Union européenne peut obliger les États.
Ce n’est qu’au stade de la mise en œuvre de la primauté du droit de l’Union européenne que des différences déterminantes se font jour. L’efficacité de la primauté se trouve considérablement renforcée par l’incidence de l’effet direct.
Mais il faut cependant souligner que les deux principes (primauté et effet direct) ne peuvent pas se confondre, l’étroitesse de leurs rapports procède d’une communauté d’origine à savoir l’arrêt « Costa c/ Enel ».
Le principe de la primauté semble avoir une base très solide en ce qu’il découle des décisions de la CJCE (aujourd’hui CJUE). En effet, au terme d’une évolution dont le rythme a varié d’un État à un autre le principe de la primauté du droit de l’Union est finalement admis dans l’ordre interne, même si des difficultés appréciables subsistent parfois. Ces îlots de résistance ne doivent pas faire oublier l’importance des progrès accomplis.
L’attitude des juridictions nationales peut se résumer en ces termes :
- comme nous l’avons précédemment souligné, le fondement de la primauté du droit de l’Union n’est pas nécessairement celui retenu par la Cour de justice : si la spécificité du droit communautaire est parfois consacrée, le plus souvent le juge préfère rechercher les assises de sa primauté dans son droit constitutionnel, dans certains cas, enfin, il conjugue ces deux fondements ;
- la portée de la primauté du droit de l’Union s’étend aux lois après qu’ont été surmontées de sérieuses difficultés, elle se heurte, par contre, à des résistances dès lors que sont en cause des normes constitutionnelles.
La primauté du droit de l’Union européenne sur la loi même postérieure est désormais largement admise. Dans certains États membres cette solution n’a été acquise qu’assez récemment, parfois après des décisions contradictoires émanant de juridictions situées au sommet de la hiérarchie juridictionnelle. La reconnaissance de la primauté du droit de l’Union européenne sur la loi interne a été facilitée dans plusieurs États par l’existence de dispositions constitutionnelles ou d’une tradition juridique favorable.
Ainsi, aux Aux Pays-Bas, la question des rapports entre le droit international et le droit interne a été résolue par les révisions constitutionnelles intervenues en 1953 et en 1956. L’article 66 de la Constitution néerlandaise affirme expressément la prééminence du traité sur la loi, sous réserve que les dispositions conventionnelles soient d’effet direct.
En vertu de l’article 67 de la Constitution, ces principes sont déclarés également applicables aux règles édictées par les organisations internationales auxquelles ont été attribués par convention des pouvoirs législatifs, administratifs ou judiciaires. Par leur combinaison, ces dispositions permettaient de conserver la primauté du droit communautaire tant originaire que dérivé du moins dès lors qu’il est directement applicable.
La révision constitutionnelle intervenue en 1983 qui a substitué les articles 93 et 94 aux articles 65 et 66 de la précédente Constitution n’a rien changé aux relations du droit néerlandais avec le droit international et au principe de la primauté du droit international directement applicable acquis depuis 1953[185].
La primauté du droit communautaire a été reconnue alternativement sur la base des dispositions constitutionnelles, en vertu desquelles les lois ne reçoivent pas application lorsqu’elles contreviennent aux prescriptions de traités ou de décisions d’organisations internationales obligatoires pour toute personne, ou sur le fondement de sa nature propre[186].
Ainsi au Luxembourg, la Constitution luxembourgeoise ne comporte aucune disposition destinée à régler les rapports du droit interne avec le droit international et, à plus forte raison le droit communautaire. L’article 49 bis autorise cependant la dévolution de pouvoirs étatiques à des institutions internationales. Quoi qu’il en soit, la jurisprudence a toujours été orientée vers l’ouverture au droit international.
Déjà, dans son arrêt du 14 juillet 1954, « Pagani c/ Chambre des métiers », la cour supérieure avait souligné l’essence supérieure du traité[187]. Le Conseil d’État et le tribunal correctionnel de Luxembourg ont suivi cette orientation en consacrant sans ambiguïté la primauté du droit communautaire sur la loi[188].
En Belgique, après des décisions équivoques et hésitantes de juridictions subalternes, la Cour de cassation dans un très important arrêt « État belge c/ Sté des Fromageries Franco-suisse Le ski »[189] a consacré avec force la thèse de la primauté de la règle communautaire sur la loi postérieure.
Cet arrêt constitue un revirement décisif par rapport à une jurisprudence datant de près d’un demi-siècle. En dépit de certaines hésitations de juridictions inférieures[190], la primauté du droit international conventionnel et du droit communautaire directement applicable sur la loi belge a été réaffirmée par la Cour de cassation[191].
Et enfin, en France, la situation a été à la fois plus complexe et moins satisfaisante. Car malgré les dispositions constitutionnelles en vigueur depuis 1946, et spécialement l’article 55 de la Constitution de 1958, les juridictions judiciaires s’étaient montrées timorées. Le Conseil d’État était encore plus rétif.
La consécration de la primauté du droit international conventionnel ainsi que du droit communautaire se heurtait essentiellement à deux lignes de résistance :
- l’interdiction traditionnellement faite au juge en vertu des principes de la séparation des pouvoirs et de la souveraineté du législateur de contrôler la constitutionnalité des lois ;
- l’existence d’un organe spécialement compétent pour ce faire, le Conseil constitutionnel.
Ces deux obstacles ont été levés par une décision du Conseil constitutionnel du 15 janvier 1975[192]. Se fondant sur un raisonnement jugé contestable par d’aucuns, le Conseil constitutionnel a considéré qu’il n’avait pas à assurer le contrôle de la conformité des lois aux conventions internationales prévu à l’article 61 de la Constitution.
Plus précisément le Conseil constitutionnel a estimé qu’entre le contrôle de la compatibilité d’une loi avec un traité et le contrôle de constitutionnalité des lois dont il est chargé, existe une différence de nature. Simultanément il reconnaît que l’article 55 de la Constitution prescrit le respect du principe de la supériorité du traité sur la loi.
On a pu en déduire que la vérification du respect de ce principe ne ressortissant pas au contrôle de la constitutionnalité et par là même de la compétence du Conseil constitutionnel cette tâche incombe donc aux juridictions[193].
Constatant cette évolution, la Cour de cassation statuant en chambre mixte s’est prononcée sans ambiguïté en faveur de la primauté du traité de la CEE sur la loi postérieure dans son arrêt « Jacques Vabre » du 24 mai 1975[194].
Mais le Conseil d’État n’a pas cru devoir suivre la voie tracée par la Cour de cassation. Les raisons avancées par le Conseil d’État pour se déclarer incapable d’écarter une loi contraire à un traité paraissaient pour lui si fondamentales qu’on ne pouvait raisonnablement espérer qu’il se déjuge.
« Il est peu de questions où le divorce entre une doctrine quasi unanime et une juridiction administrative apparemment sans faille soit aussi net que celle de savoir quelle attitude le juge doit adopter lorsqu’il est en présence d’un conflit entre un traité et une loi postérieure »[195].
Ce constat exprimait parfaitement la réalité. Si la doctrine estimait généralement qu’il appartenait au juge de faire prévaloir le traité, les tribunaux, spécialement les juridictions administratives ne se reconnaissaient pas ce droit alors même que l’article 55 de la Constitution dispose que « les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie ».
Le Conseil d’État n’hésitait pas appliquer l’article 55 de la Constitution pour asseoir la prééminence des engagements internationaux sur les lois qui leur étaient antérieures[196]. Le principe « lex posterior priori derogat » aurait pu suffire à assurer ce résultat. En revanche, le Conseil d’État s’interdisait d’user de l’article 55 de la Constitution à l’encontre d’une loi postérieure[197].
Pour le Conseil constitutionnel, si l’article 55 de la Constitution consacre la supériorité du traité sur la loi, il ne « paraît pas que le respect de ce principe doit être assuré au moyen de contrôle de la conformité des lois à la Constitution prévue à l’article 61 de celle-ci ». Il ne « l’implique » même pas.
Les deux « contrôles » – celui de l’article 55 et celui de l’article 61 – sont, en effet, séparés par « une différence de nature », puisque la supériorité du traité sur la loi « a un caractère relatif et contingent » alors que la supériorité de la Constitution sur la loi a un caractère « absolu et définitif ». Pour être contraire à une convention internationale, une loi n’est pas nécessairement contraire à la Constitution[198].
Il faudra attendre l’arrêt « Nicolo » du 20 octobre 1989[199] pour voir le Conseil d’État abandonner son attitude traditionnelle de refus de faire prévaloir les conventions internationales sur les lois postérieures qui leur seraient contraires.
Cet arrêt a initié une dynamique à bien des égards irrésistible. Elle a contribué à ébranler les vieilles certitudes de la juridiction administrative. Rompant son isolement, cette dernière s’autorise désormais à écarter, le cas échéant, une loi méconnaissant une stipulation du droit primaire.
La faille ainsi ouverte dans la théorie de l’écran législatif ne pouvait que s’élargir. L’extension de cette solution au droit dérivé, celui qui finalement appelle le plus d’actes de mise en œuvre, n’est restée à l’état de virtualité que fort peu de temps.
Cette évolution a été amorcée, à propos des règlements par l’arrêt « Boisdet »[200], puis confirmée, s’agissant des directives, par les arrêts « Arizona Tobacco » et « Rothmans international »[201]. Par un arrêt « SNIP », enfin, le Conseil a accepté la primauté de principes généraux du droit communautaire, assimilés à la norme de rang primaire et rattachables au traité lui-même, sur la loi interne[202].
Si, pour la Cour de justice la primauté du droit de l’Union vaut à l’égard de l’ensemble des normes nationales, les juridictions des États ont souvent exprimé des réserves concernant leurs droits constitutionnels. Dit autrement, celles-ci entendent pour beaucoup exercer un droit de regard vigilant sur la construction européenne.
Il est, en effet, tout à fait intéressant de relever que le conflit entre la Cour de justice et les cours constitutionnelles allemande ou italienne s’est cristallisé autour de la question cruciale de la protection des droits fondamentaux. Pour ces juges nationaux, la construction de l’ordre juridique communautaire ne devait pas se faire sur les dépouilles d’un État de droit patiemment (re)construit.
Il est vrai que la Cour avait, par la rudesse de ses assertions, créé les conditions propices à un affrontement : « l’invocation d’atteintes portées soit aux droits fondamentaux tels qu’ils sont formulés par la Constitution d’un État membre soit aux principes d’une structure constitutionnelle nationale ne saurait affecter la validité d’un acte de la Communauté ou son effet sur le territoire de cet État membre »[203].
La Cour a constamment réaffirmé sa position initiale[204]. Ainsi, interrogée par le Tribunal constitutionnel espagnol notamment sur le point de savoir si les autorités d’exécution d’un mandat d’arrêt européen (MAE) pouvaient se soustraire, en vertu de l’article 53 de la Charte des droits fondamentaux, à leur obligation de remise d’une personne jugée par défaut au motif que celle-ci heurterait le droit à un procès équitable tel que garanti par la Constitution, la Cour a jugé assez brutalement que « cette interprétation de l’article 53 de la Charte porterait atteinte au principe de la primauté du droit de l’Union, en ce qu’elle permettrait à un État membre de faire obstacle à l’application d’actes du droit de l’Union pleinement conformes à la Charte, dès lors qu’ils ne respecteraient pas les droits fondamentaux garantis par la Constitution de cet État »[205]. Toutefois, il convient de ne pas perdre de vue le fait qu’elle est parvenue à apaiser les craintes des juges nationaux par le développement des principes de l’Union de droit[206].
Mais il faut reconnaître que en l’état actuel des relations qu’entretiennent les ordres juridiques de l’Union et des États membres, force est toutefois de constater que des difficultés conceptuelles et pratiques subsistent au moins de manière latente. Chaque ordre continue de disposer « d’une capacité d’auto-connaissance propre » qu’illustre éloquemment le refus par la plupart des cours nationales de ce qui pourrait s’apparenter à une subordination des normes constitutionnelles aux normes communautaires[207].
A tort ou à raison, l’analyse de l’évolution des pays africains depuis un certain temps prend sa source implicitement dans les bouleversements qui sont intervenus sur le continent en 1989 et 1990[208]. Replacer cette évolution dans son contexte revient généralement en effet à reconstruire une connaissance du droit constitutionnel et de la science politique en Afrique autour des premières conférences nationales, notamment celle du Bénin en 1990[209].
Ce mouvement, il est vrai, a connu une ampleur phénoménale et des effets durables par sa ramification dans plusieurs pays de l’espace francophone.
Il s’est manifesté notamment par une implosion imprévue et imprévisible des régimes politiques africains, qui a eu une influence aussi bien sur les systèmes de gouvernance eux-mêmes que sur les organisations internationales. Les in- stances de concertation et de décision comme l’OUA (Organisation de l’Unité Africaine) et la CEDEAO (Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest), surpris par la profondeur du mouvement de revendication pour plus de démocratie, ont dû se réajuster en se donnant une nouvelle « raison d’être »[210].
Un des effets pervers de ce mouvement a été l’instabilité des Etats qui n’étaient pas préparés à répondre à cette quête de démocratie. La refondation des organisations internationales africaines s’est opérée pour l’essentiel autour de trois pôles : La résolution des conflits, la promotion de l’Etat de droit et des droits de l’homme et la lutte contre la pauvreté[211].
Les deux premiers ont provoqué un regain d’intérêt pour le constitutionnalisme en Afrique. Ce dernier y était en effet purement formel jusqu’à ce qu’il est convenu d’appeler l’ouverture démocratique. Il sera désormais entendu sur le continent au sens d’un encadrement juridique et de limitation de l’exercice du pouvoir politique. C’est une nouveauté dans la mesure où on peut soutenir aujourd’hui, à la lumière de l’expérience des pays de démocratie avancée, qu’il a longtemps existé en Afrique des constitutions sans constitutionnalisme. C’est progressivement, sous la pression de cette demande de plus d’Etat de droit, de démocratie et de respect des droits de l’homme, qu’un droit constitutionnel substantiel commence à voir le jour sur le continent africain[212].
A partir de ce moment, comme dans d’autres pays européens, le droit constitutionnel tend de plus en plus à devenir la branche maîtresse du droit public interne. Cependant, bien qu’étant en progrès par rapport au droit constitutionnel qui se faisait au début des indépendances, le nouveau droit constitutionnel sur le continent reste encore largement archaïque : Il continue de privilégier les aspects formels et procéduraux de ce droit par rapport à son contenu matériel. Ce droit constitutionnel semble donner la primauté à l’organisation d’élections libres comme fondement quasi-exclusif de la légitimité politique[213].
Le droit constitutionnel classique revêtait, il est vrai, deux dimensions : Une partie consacrée à la théorie générale et un aspect institutionnel. Le droit constitutionnel moderne en revanche, qui correspond à la naissance du constitutionnalisme, ajoute deux nouvelles dimensions : Les droits et libertés fondamentaux d’une part, la justice constitutionnelle d’autre part.
Le renforcement de ces deux nouveaux aspects du droit constitutionnel en Afrique du moins a été, curieusement, en large partie, le résultat de la contribution des institutions internationales à la résolution des problèmes d’ordre interne des Etats. Il en a été ainsi notamment de la CEDEAO, de l’UA (Union Africaine)[214].
Cette situation s’explique par le fait que les pays ouest africain faisaient face dans les années 90 (et font encore aujourd’hui) face à des conflits nationaux qui se sont internationalisé et qui avaient besoin de solutions régionales.
L’application des indices servant à mesurer le degré d’exposition d’un pays à des probabilités de conflits montre que presque tous les pays africains sont potentiellement sujets à des risques de tension. La plupart de ces conflits sont qualifiés, de façon parfois artificielle, soit de politiques soit d’ethniques.
En fait, il s’agit pour l’essentiel de conflits, de tension ou de crise ayant pour origine la lutte pour l’accès au pouvoir de régions ou de groupes dans une position d’infériorité ou d’inégalité ou aux sources de revenus ou pour des questions de redistribution. En milieu urbain, ce sont essentiellement des conflits opposant des partis en lutte pour le pouvoir.
Les mesures considérées comme un « politicide », consistant en une élimination systématique d’opposants politiques, sont dénoncées par la société civile qui internationalise leur contestation. Les crises et tensions peuvent aussi naître, en milieu rural, de la dispute autour de l’accès et de la gestion des ressources naturelles. Mal gérées, elles dégénèrent en conflits nationaux tout en se politisant alors qu’au départ, il s’agissait d’une question économique et de survie.
Quelques exemples suffisent à confirmer cette nature et cette identité des conflits en Afrique. Le génocide au Rwanda en 1994 a eu comme conséquence, entres autres, d’embraser toute la région des grands lacs. On peut ainsi con- sidérer que la situation actuelle de la République Démocratique du Congo (RDC) est, au moins, en large partie le prolongement des affrontements qui ont eu lieu au Rwanda.
Paradoxalement, la situation s’est relativement normalisée au Rwanda et au Burundi, alors que la tension reste encore vive en RDC, aussi à cause de fractures sociopolitiques internes. Avec les conflits en Sierra Leone et au Liberia, tous les pays limitrophes, notamment la Guinée et la Côte d’Ivoire, ont été touchés. Dans le cas de la Côte d’Ivoire, le Mali et le Burkina en ont subi les conséquences.
L’onde de choc de la tension au Darfour s’étend au moins jusqu’au Tchad et en Centrafrique. Enfin, au moment des troubles qui ont suivi la disparition du président togolais, le Ghana et le Bénin ont connu un début de déstabilisation.
La cartographie des conflits en Afrique montre que leur internationalisation se fait en deux temps. La plupart du temps, ils naissent de la dispute pour l’accès et la gestion des ressources naturelles sur le sol d’un pays déterminé ; ensuite, ils provoquent à plus ou moins long terme des déplacements de populations qui, à leur tour, entraînent une promiscuité avec les autochtones. Cette situation finit par faire éclater des conflits d’intérêts.
Ces confrontations, au départ purement locales, mais mal gérées, finissent par devenir un enjeu national. Chacune des parties fera alors appel à la solidarité internationale. Ainsi, au pire, les différentes composantes de cette communauté, en fonction de leurs intérêts, prendront partie chacune en ce qui la concerne pour une des factions en conflit. Au mieux, les institutions internationales, d’une seule voix, exercent des pressions sur le gouvernement du pays concerné pour l’amener à trouver une solution au problème posé. C’est alors que le conflit s’internationalise.
Aucune solution nationale ne sera pertinente pour ce genre de conflit qui caractérise le continent africain. Les solutions régionales s’imposent en raison de l’impact des crises mais aussi de leur mode de règlement. Les organisations internationales sont saisies ou se saisissent et jouent le rôle soit de cadre de négociations soit d’instruments d’action pour la résolution de ces conflits. Elles se trouvent ainsi souvent en situation de proposer des solutions ou d’imposer des sanctions aux parties.
C’est ainsi que pour la Côte d’Ivoire, sont inter- venues, pour s’en tenir aux organisations multilatérales : La CEDEAO, l’UA, l’OIF et l’ONU (Organisation des Nations Unies). Plusieurs accords ont alors été signés dont celui de Linas Marcousis est considéré comme la base du processus de règlement de la crise[215].
La nature juridique de ces accords a peut- être été discutée, mais il reste incontestable que son contenu renvoie généralement aux principes de base qui régissent actuellement l’organisation et le fonctionnement des pouvoirs publics ivoiriens. Mais l’internationalisation résulte aussi en partie du fait que les termes de l’accord sont facilement transposables à d’autres situations sur le continent.
Pour les cas de la Sierra Leone et du Liberia, l’ONU, la CEDEAO et l’UA ont été fortement impliquées et sont à l’origine des multiples accords de cessez-le-feu signés entre les différentes factions en guerre. Mais le retour définitif de la paix passait nécessairement par des accords avec des pays voisins qui ont été parfois des bases de repli pour des « mercenaires » ou des « rebelles ».
Dans tous les cas, la solution régionale implique une pacification de la situation et un retour à la légalité constitutionnelle. Le droit en vigueur étant con- testé, la solution consiste à lui substituer un autre droit, plus consensuel, qui tienne compte des aspects internes et externes de la crise. Ce droit négocié sous l’égide des organisations internationales accompagne généralement le pays en crise jusqu’à l’organisation d’élections démocratiques devant permettre la mise en place d’autorités légitimes. De ce point de vue, le droit généré par ces instances comportera des principes de droit constitutionnel d’inspiration internationale[216].
Le nouveau processus d’internationalisation est relatif à la manière dont le droit constitutionnel s’internationalise. Le contexte détermine largement le processus. L’initiative revient soit aux Etats qui s’inspirent des principes et règles en cours dans d’autres pays, soit aux organisations internationales qui appliquent à un pays un certain nombre de règles de conduite ayant montré leurs vertus ailleurs dans les accords de paix[217].
L’analyse du processus renvoie donc à l’identification de ses initiateurs et des techniques utilisées. On se rend compte alors qu’il obéit à deux mouvements allant en sens contraire : L’un vient d’en haut, alors que l’autre part du bas.
Comme nous l’avons vu, l’initiative de la création et du suivi de l’application de certaines règles relevant du droit constitutionnel appartient parfois aux organisations internationales, aux juridictions internationales ou à des puissances étrangères[218].
Il s’agit d’une nouvelle donne. En ce qui concerne les organisations internationales, l’internationalisation est le résultat de l’affirmation, dans leurs chartes respectives, de principes relatifs à l’organisation et au fonctionnement des institutions publiques nationales.
Ainsi, l’Acte constitutif de l’UA prévoit, à l’article 3 (g), parmi ses objectifs, « la promotion des principes et des institutions démocratiques, la participation populaire et la bonne gouvernance ». De même, à l’article 4 (m), dans la liste des principes qui régissent son fonctionnement, l’Acte cite « le respect des principes démocratiques, des droits de l’homme, de l’Etat de droit et de la bonne gouvernance ».
Dans le même sens, on peut noter aussi des déclarations adoptées par l’OUA, allant dans le sens de la régulation du fonctionnement des systèmes politiques de ses Etat membres. Il en est ainsi de la Déclaration sur le cadre pour une réaction de l’OUA face aux changements anticonstitutionnels de gouvernement[219], de la Déclaration sur les principes régissant les élections démocratiques en Afrique[220] et de l’article 30 de l’Acte constitutif de l’UA qui prévoit que : « Les gouvernements qui accèdent au pouvoir par des moyens anticonstitutionnels ne sont pas admis à participer aux activités de l’Union »[221].
Ceci a largement été repris dans le cadre de la CEDEAO. Ces textes, il est vrai, n’ont pas tous une valeur juridiquement contraignante. Cependant, progressivement, ils répètent un certain nombre de principes qui, à force de se stratifier, finissent par constituer un corpus de règles admises par la communauté africaine. Tous les acteurs de la vie politique, notamment la société civile de plus en plus présente, s’approprient ce corps de règles qui finissent par devenir des normes de référence pour tous[222].
C’est en effet à partir du respect de ces règles, plus qu’en fonction des constitutions, que se fait largement maintenant l’évaluation des régimes politiques africains. La création de nouvelles juridictions internationales africaines ne fait d’ailleurs que confirmer cette tendance à l’internationalisation du droit constitutionnel. Elles seront en effet amenées, dans les années à venir, à produire une jurisprudence qui va s’appuyer sur les principes dégagés par les organisations internationales et leur donner un contenu précis et une force juridique incontestable[223].
Elle consiste, comme on l’a vu, en une tendance des pays africains à reprendre, sur des questions spécifiques, notamment les élections, des normes qu’on peut considérer comme appartenant au patrimoine commun des pays en transition démocratique[224]. On relève en effet, à quelques nuances près, les mêmes dispositions dans les constitutions des pays africains. Il en est ainsi de la création d’autorités administratives indépendantes comme les Commissions Electorales Nationales et la généralisation des juridictions constitutionnelles chargées du contentieux électoral.
Dans ces cas, l’internationalisation résulte moins de l’application de normes produites par des institutions internationales que de la reprise, par un Etat, de dispositions figurant dans les constitutions d’autres pays. Dans la même région, un pays ayant connu une trajectoire particulière peut servir de modèle aux autres, même si certaines règles font l’objet d’une nécessaire adaptation. Ainsi, le Bénin ayant ouvert le cycle des conférences nationales en Afrique franco- phone, le régime politique qui en est issu a servi de source d’inspiration à beaucoup d’autres pays[225].
La Constitution béninoise de la transition ayant prévu un régime présidentiel, ce type est devenu celui de la plupart des pays africains. On retrouve d’autres similitudes entre les constitutions des pays africains. Cet échange de pratiques a contribué à la formation et à la diffusion progressive d’un droit constitutionnel régional. Son maintien est assuré par l’organisation de rencontres périodiques, à l’occasion desquelles une synthèse et un bilan des pratiques sont régulièrement faits[226].
On peut cependant regretter que le droit comparé ne soit pas encore une source du droit constitutionnel sur le continent malgré le développement des juridictions constitutionnelles et d’une jurisprudence au moins quantitativement appréciable[227].
La référence des pays africains au même corps de règles tendant à régir leur fonctionnement et surtout leurs rapports avec leurs citoyens constitue un progrès. Elle va dans le sens de la recherche de solutions identiques à des problèmes communs. En outre, elle permet une harmonisation du droit constitutionnel africain. Cette tendance rencontre cependant des limites.
Malgré la communauté de référence et des dispositions relatives à la vie politique dans presque toutes les constitutions d’après 1990 en Afrique francophone, le droit constitutionnel qui se fait n’a pas encore les caractéristiques d’un droit transnational. Même dans le cas des résolutions prises par les organisations inter nationales ou des accords signés entre forces politiques, leur valeur peu contraignante et l’ineffectivité des sanctions prévues pour leur violation affectent leur effectivité[228].
Deux facteurs expliquent essentiellement la difficulté à internationaliser le droit constitutionnel africain. Le premier est relatif à la forte territorialisation de ce droit marqué par la politique. Le deuxième est l’absence d’une approche transcontinentale des droits fondamentaux.
Tout ce qui touche à la renonciation à une parcelle de souveraineté de la part des Etats africains reste encore une question sensible. La conception que ces pays se font de la souveraineté dans le domaine politique est toujours vivace. Ils sont encore réticents à appliquer, dans leurs systèmes juridiques et politiques, les engagements pris à l’échelle internationale, particulièrement en matière de droits de l’homme.
Les normes engendrées par le système international africain dans le domaine politique ne sont pas directement applicables dans les ordres juridiques nationaux. Certaines conventions contiennent cependant des recommandations invitant les Etats à intégrer leurs dispositions dans leur ordonnancement juridique. Cette intégration reste cependant en général soumise au bon vouloir des gouvernements. Rarement ils prennent les mesures d’application pertinentes de ces engagements.
En outre, en cas de non application ou de violation de ces règles, les sanctions prévues sont ineffectives. Il est vrai qu’il s’agit en général de situations de crise où une sanction peut avoir des effets contre-productifs. Cependant, les organisations internationales, plus que les Etats, condamnent les manquements aux engagements pris.
Ainsi, pour tout ce qui concerne l’Etat de droit, la démocratie et les droits de l’homme, seules les pressions politiques des organisations internationales derrière lesquelles s’abritent les Etats, s’exercent sur l’Etat coupable de violation de certains principes[229].
Le droit constitutionnel de la crise a encore du mal à s’affirmer sur le continent. Son contenu est relativement clair et fait l’objet d’un consensus, mais les moyens de son application font défaut. L’absence de juridictions internationales opérationnelles, en mesure de condamner effectivement les Etats, affaiblit ce droit en création[230].
L’Union Africaine a innové en consacrant le droit d’ingérence dans les affaires intérieures d’un Etat à l’article 4 (h) de son acte constitutif. Il est cependant permis de douter de la capacité de l’organisation continentale à mettre en œuvre ce principe chaque fois que de besoin, pour des raisons liées au processus décisionnel et à la faiblesse des moyens financiers et matériels de l’Union.
Dans certains cas de violation massive et flagrante des droits de l’homme, les pays africains seront tentés de se recroqueviller sur eux-mêmes et de faire valoir leur souveraineté exclusive pour le traitement de ces questions. Dès lors, l’élan de promotion de la citoyenneté risque d’être brisé au détriment de la nationalité. Cette menace est d’autant plus sérieuse aujourd’hui qu’il n’y a pas, comme en Europe, de jurisprudence internationale africaine consistante à laquelle les juridictions nationales se réfèrent en matière de droits de l’homme.
Vingt ans après l’ouverture de la transition démocratique, les Etats africains restent encore attachés à un paradigme anachronique et dangereux de la démocratie. L’élection libre et transparente est érigée en dogme car elle semble être encore aujourd’hui le fondement exclusif de la légitimé démocratique en Afrique.
Le danger de cette conception est qu’entre deux élections, il n’existe pas de critère d’évaluation du degré de démocratisation d’un régime politique. Elle signifie en effet que dès lors qu’une autorité est démocratiquement élue, sa légitimité devient incontestable jusqu’au terme de son mandat. On voit ce qu’une telle approche peut comporter d’excessif surtout dans un contexte où le respect des droits de l’homme n’est pas encore fortement ancré dans la pratique des gouvernements.
Pour que les régimes politiques africains évoluent vers une démocratie majeure, il leur faut un renouvellement de ce paradigme, en lui substituant un autre plus moderne et plus substantiel. Le respect des droits fondamentaux du citoyen devrait pouvoir jouer ce nouveau rôle de fondement de la légitimité démocratique. Il présente en effet un double avantage. Le premier est qu’il donne la primauté à l’exercice du pouvoir et non à sa conquête.
Une des faiblesses du droit politique africain est qu’il accorde une importance excessive aux modalités d’accession au pouvoir au détriment des conditions de son exercice. Le deuxième est qu’il offre la possibilité de vérifier la soumission du pouvoir à un contrôle permanent et non plus seulement pendant les élections. C’est seulement de la sorte que le constitutionnalisme, entendu au sens d’encadrement de l’exercice du pouvoir politique, pourra donner naissance à une démocratie substantielle et non formelle.
La contribution de la jurisprudence de ce point de vue est déterminante. Il suffit de se rappeler la part importante prise par les juridictions internationales européennes tant dans la conceptualisation que dans la mise en œuvre des droits fondamentaux en Europe[231].
La Cour de justice des Communautés européennes et la Cour européenne des droits de l’homme ont dégagé une conception typiquement européenne des droits fondamentaux, qui a fini par s’imposer progressivement aux juridictions nationales comme le Conseil constitutionnel, la Cour de cassation et le Conseil d’Etat en France[232].
La primauté donnée aux droits fondamentaux d’une part, la collaboration verticale entre juridictions internationales et juridictions nationales d’autre part, ont fini par donner naissance à une approche transversale des droits fondamentaux en Europe. En Afrique, du fait que certaines juridictions internationales ne sont pas encore opérationnelles et que la collaboration avec les juridictions nationales est encore faible, on n’assiste pas à une émergence de cette approche transnationale des droits fondamentaux comme en Europe, dont peut se réclamer le citoyen quelle que soit sa nationalité. Nous développerons cette question plus en avant dans la partie suivante.
Dans le droit de ces deux organisations d’intégration, contrairement au droit de l’Union Européenne, la primauté du droit communautaire est clairement affirmée dans les traités constitutifs.
Ainsi, le principe de la suprématie des décisions des organes de l’UEMOA sur celles des Etats membres est posé par l’article 6 du Traité de Dakar constitutif de l’Union qui dispose que « les actes arrêtés par les organes de l’Union pour la réalisation des objectifs du présent Traité et conformément aux règles et procédures instituées par celui-ci, sont appliqués dans chaque Etat membre nonobstant toute législation nationale contraire, antérieure ou postérieure ».
Pour l’OHADA, la primauté est affirmée dans l’article 10 du Traité de Port Louis instituant l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires, qui dispose que « les actes uniformes sont directement applicables et obligatoires dans les Etats Parties, nonobstant toute disposition contraire de droit interne, antérieure ou postérieure». Cet article aménage une applicabilité immédiate et inconditionnelle des décisions de l’OHADA dans l’ensemble de ses Etats membres.
La transposition du droit communautaire dans le droit national dans le cadre du système juridique du droit de la CEDEAO se fait ainsi par le biais de la technique du monisme. La mise en œuvre de cette technique conduit alors à un résultat qui ne souffre d’aucune équivoque : le droit qui est d’essence communautaire prime sur le droit national des pays membres.
Le principe de la primauté devient ainsi la clé de voûte de l’ordre public communautaire et assure dès lors, et cela dans les deux ordres juridiques, l’élément essentiel de la cohésion et de la cohérence de l’ordre juridique, l’élément essentiel de l’articulation entre le droit national et le droit de la communauté.
Et il ne pouvait aller autrement, en effet, cet axiome de la primauté du droit communautaire est essentiel pour répondre aux impératifs d’uniformité, d’unité et d’efficacité[233] qui doivent être visibles dans toute organisation d’intégration réussie.
La primauté est une base indispensable au droit de la communauté, et en l’absence de celle-ci, « l’ordre juridique communautaire risquerait de se décomposer en série d’ordres partiels, autonomes et divergents » [234].
Ainsi donc, les normes édictées par les organes de l’UEMOA et de l’OHADA, c’est-à dire le droit dérivé constitué par les règlements pour l’UEMOA, et des actes uniformes pour l’OHADA occupent clairement une place supérieure aux lois nationales. Et cette primauté découle directement d’une affirmation expresse des traités constitutifs des deux organisations d’intégrations. Elle n’a pas d’origine prétorienne comme ce que nous venons d’étudier dans le droit de l’Union Européenne[235].
Et comme le principe de la primauté ne découle pas des constitutions nationales, tout renvoi à ces derniers pour fonder l’autonomie du droit communautaire est exclu. Les normes communautaires ne constituent pas des obligations qu’il reviendrait au législateur de mettre en œuvre.
Comme les Etats ont entendu reconnaître les normes internationales, et cela de manière formelle, en ratifiant le traité constitutif, ces normes communautaires sont revêtues d’un « effet abrogatoire automatique » pour les dispositions nationales qui leur seraient contraires[236].
Cela ne prête plus à discussion. Mais il reste quand même le problème de savoir si ces normes tiennent la même place vis-à-vis des constitutions des Etats membres.
La question de la supériorité des normes internationales vis-à-vis des lois nationales n’est plus à discuter. Ainsi, on peut constater dans la plupart des constitutions nationales l’affirmation de ce principe. Il en va de meme dans la plupart des pays africains, à l’image de la France, autorité colonial de laquelle ils ont hérité le droit national. La constitution française de 1958 contient en effet une disposition ainsi libellé « les traités et accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie »[237].
Mais pour ce qui est de la supériorité des normes internationales sur la Constitution, la réponse à cette question est, tout comme dans le droit des pays membres de l’Union Européenne, très délicate. Les avis sont très divergents sur le sujet, une partie de la doctrine estime que pour les intérêts de l’intégration la réponse devrait être positive. Mais pour les incorruptibles défenseurs de la souveraineté nationale, il ne faut pas donner trop d’ascendance aux normes communautaires.
Il faut noter que les pays membres des deux organisations d’intégration n’ont pas expréssément rejeté la possibilité de rendre les normes communautaires supérieures à la constitution. On peut ainsi noter que les constitutions des Etats membres prévoient que si un texte international auquel l’Etat devrait s’engager contient une disposition contraire à la Constitution, la ratification de ce texte ne peut intervenir qu’après la modification de la constitution.
Est-ce que cela veut dire que les traits internationaux sont supérieurs à la constitution? La réponse à cette question penche vers l’affirmative dans cette hypothèse. En effet, même si le principe n’est pas fermement affirmé, il semblerait que le fait que la constitution doit être adaptée au traité et non le contraire conduise à penser que le traité est bien supérieur à la constitution.
Les pays qui s’engagent à être partie dans un traité international se doivent de reconnaître la supériorité de celui-ci aux normes internes, fussent-elles constitutionnelles. En effet, il en va de l’efficacité du droit international. Cette dernière risque en effet d’être irrémédiablement compromise si l’application des normes conventionnelles internationals devait faire l’objet d’une conformité à la règle interne, même constitutionnelle[238].
Il ne faut cependant pas se tromper sur cette relative ouverture envers l’affirmation du principe de la primauté des règles conventionnelles sur la constitution. En effet, si cela a été compliqué à mettre en place dans des pays comme la France qui est pourtatnt bien consciente de la nécessité de faire des concessions pour l’avancée des acquis communautaires[239], il est encore plus difficile de mettre en pratique la théorie dans des pays qui en sont encore à adopter une position qui va dans la sacralisation de la souveraineté nationale qui est matérialisée dans la constitution[240].
Il faut donc être très prudent et ne pas oublier de prendre en compte le fait que les pays membres de ces organisations d’intégration ont encore une très forte tendance nationaliste, et donc parfaitement incompatible avec l’idée selon laquelle les actes du droit dérivé et du droit primaire de la communauté doivent être considérés comme supérieurs à la constitution nationale.
Ces Etats sont encore très attachés à la conception classique de la supériorité de la constitution aux normes conventionnelles internationales. Dans les pays membres de l’UEMOA et de l’OHADA le principe selon lequel c’est la constitution qui prévoit la supériorité des traits sur les lois internes et non un principe general du droit est encore très present et ne souffre d’aucune possibilité de remise en cause.
De plus, il faut reconnaître qu’il y a l’obstacle majeur pose par le fait que dans la pratique, aucun traité qui serait contraire à la constitution n’a aucune possibilité d’être ratifié. Et cela d’autant plus qu’il nous faut « prendre en considération le fait que les autorités habilitées à signer et à ratifier les traits tiennent leur pouvoir de la constitution et ne peuvent donc agir que dans les limites fixées par celle-ci »[241], ce qui met à mal le principe de supériorité de la norme international à la constitution.
Dans le droit communautaire de la CEDEAO, le principe de la primauté des normes communautaires est posé par les articles 9 (les décisions de la conférence des chefs d’Etats), et 12 (règlements du conseil des ministres) du traité révisé de 1993. Ces deux articles posent le principe que les décisions de la conférence ont force obligatoire à l’égard des Etats Membres et des Institutions de la communauté. Il en va de même pour les règlements qui ont, de plein droit, force obligatoire à l’égard des institutions relevant de son autorité. Ils sont obligatoires à l’égard des Etats Membres après leur approbation par la Conférence.
On note donc que les normes d’origines conventionnelles issues de la CEDEAO ont également valeur supralégislatives. C’est le même principe que pour le droit de l’UEMOA et de l’OHADA. Mais il faut noter que le principe ne vaut réellement que pour les décisions de la Conférence des Chefs d’Etats.
Pour les règlements du conseil des ministres en effet, il en va autrement. L’article 12 du Traité révisé dispose en effet que les règlements sont obligatoires à l’égard des Etats membres, mais ils ne le sont pas de plein droit, il faut encore l’approbation de la Conférence, donc l’approbation des Etats membres.
Les règlements ne jouissent donc pas du caractère de l’effet direct puisqu’il faut encore une formalité supplémentaire pour qu’ils revêtent le caractère exécutoire. Ce qui en limite aussi la portée, dans le sens où ils ne sont pas de plein droit supérieurs aux lois nationales.
La pensée nationaliste est donc encore plus perceptible dans le cadre de la CEDEAO que dans le cadre des deux organisations voisines. On note une volonté nationaliste qui est encore très forte et qui risque de mettre en échec les avancées de l’intégration effective, puisque la deuxième principale institution de la communauté n’a pas de pouvoir de décision réel et n’a donc pas de compétence effective puisqu’elle est encore subordonnée à la volonté des chefs d’Etats.
Et pour ce qui est de la supraconstitutionnalité des normes produites par la CEDEAO, il nous semble logique d’affirmer que la réponse ne prête pas vraiment à discussion dans l’état actuel des choses. Elle n’est pas du tout effective, si les Etats membres ne se sentent même pas prêts à rendre supralégislatifs les normes conventionnelles malgré les obligations qu’il leur incombent, ils seront encore moins enclins à leur octroyer le caractère de supraconstitutionnalité.
Para 2 : La construction jurisprudentielle de la construction communautaire
Un constat empirique est à l’origine de cette étude : les États d’Afrique ne traitent pas de façon identique les conflits internes et internationaux. Cette étude voudrait montrer que loin de l’idée que ces États soient réticents au règlement juridictionnel des conflits internationaux, ils sont plutôt engagés dans un véritable processus de juridictionnalisation en matière de règlement des conflits internationaux en Afrique.
La juridictionnalisation du règlement des conflits[242] suppose le phénomène par lequel les États ouest-africains acceptent qu’une institution tierce, un juge, règle les différends qui les opposent à d’autres États ou entre eux avec le pouvoir de dire le droit en rendant une décision obligatoire[243]. Le concept de juridictionnalisation a connu une certaine actualité ces dernières années en droit international[244]: d’abord par le mouvement réellement juridictionnel qui concerne la création des juridictions, ensuite par le processus par lequel certains États règlent de plus en plus les conflits par des organes judiciaires déjà existants[245]. Ce phénomène, plus qu’il n’y paraît, n’est pas étranger aux États d’Afrique.
La contribution des pays de la zone ouest-africaine à la formation du droit international n’est plus à dire. Nombreux ouvrages en font leur objet[246]. La thématique est diversifiée. Il serait d’ailleurs ambitieux de tenter une énumération. Les apports jurisprudentiels de ces États et leur propension à mettre en œuvre la juridiction internationale sont en revanche mal connus.
Pourtant, les affaires portées devant le juge international renferment déjà une grande part contributive des États d’Afrique au droit international[247]. Saisir le juge, c’est aussi accepter l’empire du droit. À la base de cette analyse se trouve donc la question dite de la juridictionnalisation du règlement des conflits internationaux. Elle renvoie, à celle plus spécifique, qui se situe en amont des jurisprudences rendues par le juge.
En effet, tout le droit international _ les sujets, le domaine public, l’économie internationale, le règlement des conflits… _ s’enrichi des contentieux internationaux au sein desquels ces États sont justiciables avec une contribution plus marquée pour les jurisprudences relatives au domaine public maritime et terrestre ou aux délimitations des espaces[248]. Tout semble intégrer une logique ; une « politique juridictionnelle extérieure » commune (pour reprendre les mots du juge français G. de Lacharrière) à ces États d’Afrique qui tendent de plus en plus à saisir le juge international.
L’Histoire des États d’Afrique avec le juge international est relativement récente. La tentation fut forte en Afrique dans les années 1960, celles des indépendances, d’ester en justice pour revendiquer des droits fondamentaux. Les droits qui fondaient l’existence politique des nouveaux États comme celui relatif à la souveraineté internationale. L’exemple de la requête du Cameroun contre le Royaume-Uni devant la Cour de la Haye en 1963 en est éloquent[249]. Ce mode de revendication judiciaire sera généralisé en l’utilisant également pour les conflits à caractère économique.
« La différenciation entre les conceptions ouest-africaines endogènes et les expériences modernes de la justice, remarque si bien le professeur Maurice Kamto, tient à l’invention, en occident et en relation avec la vision judéo-chrétienne du monde, de la justice »[250]. La ruse coloniale a été en effet d’investir les espaces normatifs locaux en Afrique en parvenant à une certaine dépréciation de leur capacité d’ordonnancement, sinon à faire croire idéologiquement à leur infériorité qualitative.
Le lien entre cette histoire et la part ouest-africaine dans l’élaboration des institutions judiciaires internationales actuelles est quasiment direct. Se trouve posée, la question de l’adaptation de ces institutions judiciaires aux contentieux auxquels les États d’Afrique sont parties.
Ce n’est qu’à partir de l’anthropologie juridique et de l’histoire ouest-africaines qu’on peut reconstituer véritablement et comparativement les déterminants sociaux typiquement ouest-africains de l’institution de justice en tant qu’espace de règlement des conflits entre États[251]. La grande partie des contentieux d’Afrique ont un lien direct ou indirect avec la question historique, les contentieux de l’uti possidetis juris le montrent[252].
Cela met en évidence l’idée que la formation de l’État[253] est particulièrement en cause dans l’émergence des conflits. À dire le vrai, ce n’est qu’à la marge que la recherche du droit du for en droit du contentieux international implique des coutumes locales ouest-africaines. Ce droit n’est en principe pas localement déterminé et ce ne sont pas les chefferies, mais plutôt des États qui sont jugés. On peut dire que le paradigme est quelque peu particulier ; au sens où, les conflits internationaux naissent des rapports des États d’Afrique entre eux ou avec les États d’autres continents.
Les États ouest-africains ont volontiers porté leurs conflits aux juridictions internationales. Un cas en offre un exemple suffisant concernant la Cour internationale de justice. Il s’agit de l’affaire qui oppose le Burkina-Faso au Mali en 1986. Comme l’a fait remarquer le professeur Gautron : « Le fait que deux États ouest-africains, le Burkina-Faso et le Mali, aient conclu un compromis visant à soumettre à une chambre de la CIJ le différend qui les opposent depuis l’origine sur une partie de leur frontière mérite une réelle attention ».
Il poursuivait en ajoutant que cela « s’inscrit dans la perspective d’une ouverture de ces États ouest-africains au règlement judiciaire international qui, si elle persistait pourrait infirmer les conséquences qui ont été tirées du deuxième arrêt de la Cour sur le Sud-Ouest africain (18 juillet 1966) : méfiance vis-à-vis de la juridiction internationale et du droit international lui-même »[254].
L’aspect juridictionnel du règlement des conflits dans ce continent, tout en montrant la part importante que ces pays prennent dans la justice internationale, permet de souligner une idée importante : les pays ouest-africains ne sont pas dans un contexte classique d’émergence de conflits.
L’Afrique connaît des motifs plus diversifiés du fait de son histoire. Dans son ouvrage sur La résolution des conflits en Afrique[255], William Zartman, s’interroge sur l’origine des conflits actuels en Afrique. Ils en dénombre six : 1) la lutte pour le pouvoir consécutif à la décolonisation ; 2) la consolidation après l’indépendance ; 3) les restes de mouvement de libération nationale (Swapo en Namibie, FLNC et l’UNITA en Angola…) ; 4) les territoires mal définis (lutte autour de l’uti possedetis)[256] ; 5) les rivalités structurelles (les prétentions du Ghana à la direction du continent, actuellement le Sénégal, la Libye, le Maroc, l’Algérie et le Mali) et ; 6) l’emballement des moyens (le danger potentiel que sont les politiques d’armement avec appui extérieur : l’aide russe à l’Éthiopie en 1977). La diversité des conflits _ reconnaissance étatique ; souveraineté économique ; frontières terrestres et maritimes ; compétence sur les personnes… _ en Afrique témoigne d’un fort encrage historique commun de ces collectivités.
La question ne peut s’écarter de son contexte politique. En multipliant les mécanismes juridictionnels de règlement de différends, les États ouest-africains ont la certitude de « conjurer le sort » ou de prévenir les conflits. Le continent étant devenu un cadre de prédilection. L’existence de mécanisme de règlement par des tiers constitués comme juge en est un excellent moyen. Comme le disait Politis, c’est le « règne de la justice qui suppose la paix »[257] .
L’intérêt d’une telle analyse vient en outre corriger l’idée que les États de la zone ouest-africaine seraient peu sensibles au droit écrit. Or, ces pays montrent un engouement manifeste pour la justice internationale. Cet engouement s’articule autour de deux constatations qui peuvent être liées : d’une part, la fréquence des États ouest-africains devant les prétoires internationaux comme demandeurs ou défendeurs, d’autre part, les engagements internationaux que prennent ces États pour le règlement pacifique des différends éventuels.
La question est centrale : le recours au juge pose le problème de la fiabilité internationale d’un État, donc de l’acceptation a priori du droit par cet État. Ce n’est pas du juge que l’État se méfie, mais du droit devenu obligatoire que le juge appliquera[258].
Les États ouest-africains préfèrent le règlement juridictionnel à différents niveaux. On peut déceler une orientation juridictionnelle manifeste sur le plan régional. Ce sont les différentes constitutions ouest-africaines qui préparent cette orientation par le fait que la plupart d’entres-elles consacrent un titre au droit international et admettent la primauté du droit international sur les droits nationaux. Les vagues de démocratisation de ces dernières décennies ont accru cette tendance.
Les États d’Afrique accédant à la souveraineté internationale ont dû accepter la formation d’État de droit. Ces États ont dû se constituer par acceptation du droit international, y compris de son droit contentieux. Les textes fondamentaux de ces États, les accords internationaux[259] et leurs textes constitutionnels marqueront une adhésion massive au droit international préexistant.
Mise à part la question de leur application effective, les constitutions ouest-africaines[260] sont, dans l’ensemble, monistes avec primauté du droit international. Elles admettent, par principe, la « primauté du droit international ». Aussi préparent-elles les États aux procédures contentieuses internationales. Membres des Nations unies, les États ouest-africains ont tenu compte d’une partie de l’alinéa premier de l’article 33 de la Charte des Nations unies de 1945.
« 1. Les parties à tout différend dont la prolongation est susceptible de menacer le maintien de la paix et de la sécurité internationales doivent en rechercher la solution, avant tout, par voie de négociation, d’enquête, de médiation, de conciliation, d’arbitrage, de règlement judiciaire, de recours aux organismes ou accords régionaux, ou par d’autres moyens pacifiques de leur choix »[261].
Article 33 dont les professeurs Queneudec et Ascensio soulignent qu’il sert de charnière entre les prescriptions normatives qui doivent guidées les conduites des États et les règles institutionnelles qui fixent les modalités d’action des organes des Nations unies pour le règlement pacifique de différends[262] . Les États d’Afrique admettent donc l’obligation de comportement que leur impose la Charte.
En réalité, ces dispositions de la charte, outre de n’induire que des obligations de comportement, n’établissent pas non plus une hiérarchie entre les différents modes de règlement énumérés. Les États étant libres de leur choix quant aux procédures à adopter, seul l’objectif du règlement pacifique reste constant. Aujourd’hui la plupart des conflits d’importance internationale en Afrique sont réglés en procédure juridictionnelle.
Sans récuser la diversité de moyens offerts, les États membres des organisations régionales ont en même temps qu’ils adhéraient au principe du règlement pacifique des conflits[263], choisi le juge comme autorité tierce pour connaître des différends dans la plupart des cas. On trouve donc au sein des institutions économique ou douanière des dispositions relatives au juge interne de ces organes. Cela donne à penser que l’intégration régionale est synonyme de justice régionale.
La charte de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) adoptée le 25 mai 1963 à Addis-Abeba, en Éthiopie, par les chefs d’État et de gouvernement africains renvoie également au règlement juridictionnel en son article 3. Cet article 3 rédigé avec imprécision souligne l’importance de l’arbitrage à côté des autres modes de règlement[264] . Il exprime de façon non équivoque l’engagement de ces États aux principes figurant dans la charte des Nations unies[265].
En 1981, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples est signée à Nairobi (Kenya). À Ouagadougou (Burkina-Faso) sera signé le 10 juin 1998, comme en laissait la possibilité l’article 66[266], le Protocole créant une Cour qui devra régler les conflits liés aux droits de l’homme.
La Cour tire son pouvoir, comme la Commission, de la Charte africaine, elle présente par rapport à cet organisme d’importantes différences. Contrairement à la Commission, dont le rôle est en grande partie consultatif et éducatif, les décisions de la Cour ont force exécutoire, du moins pour les gouvernements signataires du protocole.
Le protocole fondateur de la Cour confère également aux particuliers et aux organisations non gouvernementales de défense des droits de l’homme un droit de saisine. Il est cependant restreint par le consentement de l’État partie au protocole selon l’article 18 du Protocole instituant la Cour.
Pour la première fois, la Charte et d’autres traités de défense des droits de l’homme sont ainsi dotés d’un mécanisme d’application. La commission, les gouvernements africains _ y compris les gouvernements agissant au nom de particuliers _ et les organismes africains intergouvernementaux sont habilités à saisir la Cour.
L’engagement juridictionnel au niveau de la protection des droits de l’homme bénéficie d’une dimension nationale et panafricaine, comme le relève l’article 26 : « Les États parties à la présente Charte ont le devoir de garantir l’indépendance des Tribunaux et de permettre l’établissement et le perfectionnement d’institutions nationales appropriées chargées de la promotion et de la protection des droits et libertés garantis par la présente Charte ».
Les 53 États signataires de l’Acte constitutif de l’Union africaine (à Lomé au Togo 11 juillet 2000) adoptent les articles 5 et 18 qui instituent une Cour de justice de l’Union africaine. Cette Cour est en quelque sorte l’aboutissement réel et symbolique de l’adhésion des États d’Afrique à l’idée de justice régionale.
La juridictionnalisation du règlement des conflits a été étendue aux différends commerciaux. Un nouveau cadre de justice et d’arbitrage a été mis en place en 1997[267] dans le cadre de l’OHADA (Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires)[268]. Vont se révéler par exemple, des particularismes juridiques des échanges commerciaux dans ce continent, qui viendront compléter le droit commercial international existant.
Il reste à souligner que outre ces instruments installés au plan régional, d’autres le sont dans un cadre sous-régional[269] où les institutions économiques sont plus importantes. Ainsi, en renouvelant l’UDEAC (Union douanière et économique de l’Afrique centrale) par la création d’une Communauté Économique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC)[270] , les États d’Afrique centrale y inséraient un organe juridictionnel[271]. À l’article 38 du Traité de l’Union économique et monétaire ouest africaine (UEMOA)[272] est instituée de la même façon une Cour de justice[273].
Par ailleurs, les pays de l’Afrique de l’Ouest (les huit pays ouest-africains de la Zone franc CFA auxquels on associe le Cap Vert, la Gambie, la Ghana, la Guinée, le Libéria, le Nigeria, le Sierra Leone) sont regroupés dans le cadre de la CEDEAO[274]. Organisation qui a pour missions de promouvoir la coopération et le développement dans tous les domaines de l’activité économique, d’abolir, à cette fin, les restrictions au commerce, supprimer les obstacles à la libre circulation des personnes, des services et des biens, l’harmonisation des politiques sectorielles régionales.
Les renvois juridictionnels à des instruments externes par des institutions sous-régionales sont aussi nombreux. Le point commun est celui de mettre en place des organes autonomes d’interprétation des textes et de correction des difficultés naissant de l’application des textes communautaires.
La Cour de justice du COMESA, instituée en 1994 par le traité créant le marché commun de l’Afrique de l’Est et de l’Afrique australe a une particularité qu’il convient de souligner. Cette juridiction est un organe décisionnel indépendant de l’ensemble du système. Aussi a-t-il pour mission de « préserver l’État de droit » dans la zone et dans le cadre du Traité[275]. Des tribunaux ont été créés, arbitraux et administratifs, afin de répondre aux autres catégories de litiges.
Il s’établit un échange ou une multiplication de mécanismes dans le règlement des différends. Les États d’Afrique ne sont donc pas dépourvus de moyens propres au continent de règlement de conflits. Ces conflits ont une sorte d’a priori judiciaire laissant croire qu’ils seraient mieux réglés localement. Comme l’entendait l’OUA à propos du conflit somalo-éthiopien : « l’unité de l’Afrique exige que le règlement de tous les conflits qui peuvent survenir entre États membres soit recherché dans le cadre »[276]. Cette idée n’est qu’apparente, les États africains, à peine internationalement constitués, se sont affirmés sur le plan universel.
Section 2 : La matérialisation de la réglementation des échanges
Para 1er : La marche en cours
Depuis son institution en 1975, la CEDEAO a eu largement le temps de se constituer des instruments juridiques communs à tous les Etats membres dans le but de faciliter les échanges entre eux.
Ces instruments sont principalement axés sur la facilitation de la libre circulation des capitaux, des biens et services et des personnes, mais également sur une amélioration du climat des affaires dans ces pays, sans oublier bien sûr la règlementation de la politique tarifaire qui est l’un des principaux obstacles à la mise en place d’une véritable intégration régionale.
L’exemple de l’intégration européenne a montré à toutes les Communautés d’intégration régionales l’importance capitale de l’élaboration de textes destinés à encadrer les relations qui vont forcément se développer entre les pays membres et leurs populations. Et les textes le plus importants et même élémentaires parmi tous ceux que les pays membres oint l’obligation de doter leur organisation d’intégration ce sont bien évidemment ceux qui concernent la circulation des personnes, mais également des marchandises et des biens.
Si les Etats membres ne se préoccupent pas de se doter d’un cadre juridique avec des normes destinées à faciliter la circulation et l’établissement sur l’espace juridico-politique de la Communauté, l’ambition d’intégration serait complètement vidée de sa substance.
Dans le cadre du droit de l’Union Européenne, la libre circulation des personnes entre dans le cadre de ce que l’on appelle « libertés économique de circulation »[277]. La liberté de circulation pour les personnes est la base même de la mise en commun des efforts pour établir un espace économique commun.
La liberté de circulation des personnes est un instrument essentiel matérialisant les politiques d’intégration régionale à travers le monde. Comme nous l’avons souligné dans l’introduction de cette sous-partie, c’est l’intégration de l’Union Européenne qui est la plus aboutie en la matière. Et pour pouvoir expliquer l’importance de cette liberté dans l’espace communautaire de la CEDEAO, nous allons en étudier les justifications à travers les acquis et les succès de l’Union Européenne. Mais il nous faut avant tout déterminer en quoi consiste exactement cette liberté.
Il s’agit d’un droit qui est inhérent à tout individu au sens de droit naturel[278], mais c’est également la faculté qu’a tout être humain, toute personne n’étant soumise à aucune restriction, de se mouvoir à l’intérieur de l’espace de juridiction de l’État dont il est ressortissant.
En tout cas telle est la conception qu’on en fait dans le cadre de la vision libérale de la Déclaration française des droits de l’Homme de 1789, qui sert aujourd’hui de principe général de droit pour bon nombre de pays en matière de droit de l’homme.
L’article 4 de cette Déclaration pose ainsi le principe selon lequel, le droit la libre circulation est avant tout une liberté physique que le droit des États modernes se doit de garantir. Et aujourd’hui les Conventions internationales relatives aux droits et libertés individuels.
La liberté de circulation consiste en la possibilité de se déplacer à l’intérieur du territoire national, s’y fixer, le quitter et le retrouver à son gré ; c’est donc une sorte de sûreté que l’État aménage à l’individu, et qui a, à travers l’évolution de la jurisprudence, reçu valeur constitutionnelle[279].
Cette liberté d’aller et venir a fait l’objet d’une consécration certaine dans les constitutions des pays comme la France, mais également dans la constitution de pays Africains[280]. Une consécration qui en fait aujourd’hui un droit inaliénable, et aussi une expression de ce que l’on peut appeler de souveraineté individuelle.
Ce droit est d’autant plus particulièrement encadré et protégé qu’il a fait l’objet d’une admission progressive, et a même fait l’objet de codification, au sein du droit des gens qui règle les rapports entre États, acteurs de la société internationale[281].
Voilà pour le droit interne, mais sur le plan international et communautaire, la liberté de circulation est considérée comme la faculté reconnue à toute personne ne faisant l’objet d’aucune restriction ou privation de ses droits civiques, de se déplacer et de s’établir sans conditions préalables dans un lieu qu’elle aura choisi pour des convenances d’ordre socio-économique.
C’est le principe, mais dans la réalité, cette liberté est, même si elle est considérée comme un facteur déterminant du processus de souveraineté, n’est accordée que sous réserves de conditions particulières. Elle devient alors une simple prérogative individuelle admise par les seules législations des États en tant qu’entités juridiques souveraines et dotées des compétences matérielles dans le cadre de leurs limites territoriales.
Cependant, pour ne pas nuire aux intérêts de l’intégration, la libre circulation en dehors des frontières de l’Etat dont une personne est ressortissante, fait le plus souvent l’objet d’un encadrement par le biais de Traités et Conventions passés entre États dans le cadre de leurs relations multiformes, sans préjudice aucune des normes précises qui sont codifiées par les États constitués en regroupements communautaires[282].
Notons que dans le cadre de la communautarisation de l’espace juridico-économique au sein de la CEDEAO, la liberté de circulation des personnes se révèle être l’une des finalités du long processus de construction d’ensembles communautaires, elle ne mobilise pas toujours les instruments nécessaires à sa réalisation. Ce n’est d’ailleurs pas une lacune propre à la CEDEAO, mais elle est commune à la majorité des organisations d’intégrations économiques qui existent dans le monde[283].
Or la réalisation effective de cette liberté étendue aux populations des Etats membres reste soumise à des aménagements normatifs spécifiques dont le but final doit être la mise en place d’un autre processus, celui d’« effacement des frontières » entre les États qui s’engagent à coopérer dans divers domaines. À travers une coopération étroite, qui implique la mise en commun par les États liés par un accord particulier, les États parties à une organisation communautaire définissent un programme d’action commun dans des domaines spécifiques, en vue d’atteindre des objectifs préalablement fixés.
La mise en place effective de la liberté de circulation des personnes au sein de la communauté ne peut se faire que sur la base de la coopération des Etats souverains qui la composent. Une coopération qui, que ce soit dans sa forme ou dans ses modalité de mise en œuvre, doit vraiment être un moyen de réalisation de l’intégration[284].
La coopération doit ainsi se présenter comme une étape préalable à l’intégration, celle-ci n’étant en réalité que l’aboutissement d’un processus dont l’instrument essentiel de réalisation est la coopération multisectorielle entre les États. En somme, l’intégration apparaît comme une volonté de dépassement de l’État par l’idée qu’il existe un pouvoir de droit qui s’impose aux États qui acceptent ainsi de renoncer partiellement à leur souveraineté.
La mise en place de la liberté de circulation des personnes dans le cadre du droit communautaire de la CEDEAO s’inspire de la méthodologie intégrationniste mise en place dans la Communauté européenne qui a fait de la liberté de circulation des personnes et des biens un instrument de réalisation de l’Union économique et monétaire[285].
Les Etats membres de la CEDEAO sont ainsi parvenus à la conclusion que la mise en place effective de cette liberté leur permettrait, comme dans le modèle européen, de parvenir à un idéal de rapprochement des États et des peuples.
Droit d’essence naturelle[286], même s’il fait l’objet de règlementation parfois assez stricte des États qui y posent certaines restrictions, la liberté de circulation des personnes est un jalon indispensable à la construction d’ensembles communautaires pérennes en Afrique.
Mais la prise en compte de cette liberté de circulation dans le cadre juridique de la Communauté ne résulte pas seulement de sa valeur du point de vue de l’intégration juridique. Cette prise en compte résulte aussi de la réalisation du danger des effets néfastes d’exercice de cette liberté sur l’intégration.
Les citoyens de l’Afrique de l’Ouest figurent parmi les populations les plus mobiles du monde. Les recensements de la population indiquent que les pays de la région abriteraient aujourd’hui environ 7,5 millions de migrants originaires d’un autre pays ouest africain, soit près de 3% de la population régionale[287]. Mais les migrations, dans la plupart des cas ne profitent pas au développement de la sous-région, car elles ne sont pas rationnalisées, et il y a encore une forte prédominance de la migration irrégulière.
La prise en compte de la liberté de circulation dans les corpus juridique de la communauté résulte également de la préoccupation de Etats membres à pourvoir répondre correctement aux questions suivantes :
- Comment renforcer les acquis de la mobilité intra régionale et garantir la libre circulation à l’intérieur de l’espace CEDEAO ?
- Comment articuler la mobilité à la promotion du développement local dans les zones de départ et dans les zones d’accueil ?
- Comment promouvoir la migration légale vers les pays tiers, notamment en Afrique, en Europe et en Amérique du Nord ?
- Comment lutter contre les migrations irrégulières ?
- Comment assurer la protection des droits des migrants, des demandeurs d’asile et des réfugiés ?
- Comment intégrer la dimension genre dans les politiques migratoires en raison d’une féminisation croissante des migrations ?[288]
La libre circulation des personnes, des biens et services et des capitaux est un jalon très important dans la mise en place d’une zone d’intégration efficiente. Les pères fondateurs de l’Union européenne l’ont très bien compris et ont fait de l’effectivité de cette libre circulation une priorité absolue : elle est aujourd’hui le principe fondamental du droit communautaire[289].
Depuis plus de deux décennies, l’Europe tente d’instaurer en son sein un espace de libre circulation des personnes entre les Etats signataires. Tentative réussie, même si la réussite n’est pas parfaite, matérialisée par les Accords de Schengen (1985)[290].
Cet Accord « instaure un espace de libre circulation des personnes entre les Etats signataires et associés tout en garantissant une protection renforcée aux frontières extérieures de l’espace »[291], et il avait instauré un système qui permettait plus facilement les ressortissant des Etats tiers d’intégrer l’ensemble du territoire de l’Union. Mais tout en instaurant un contrôle plus effective sur la migration au sein de l’Union.
En effet, pour franchir les frontières de l’espace Schengen, les ressortissants des pays tiers à l’UE, auxquels appartiennent les pays ouest-africains, sont ainsi soumis à un visa dit « visa Schengen » ; il s’agit d’un visa unique délivré par un des Etats membres, valable pour l’ensemble de la zone Schengen.
Mais la volonté des Etats d’avoir une coopération accrue sur les questions migratoires ne s’est pas limité à cet accord, une intense activité législative et réglementaire est alors mise en œuvre. Depuis, le chantier ne s’est pour ainsi dire plus arrêté ni en interne ni au niveau bilatéral ni au plan communautaire.
Tous les aspects de l’immigration font ainsi régulièrement l’objet de restrictions nouvelles : les conditions de délivrance des visas ont été révisées et rendues plus drastiques, l’accès au droit d’asile est de plus en plus limité, les contrôles aux frontières ont été renforcés et de nouveaux systèmes de lutte contre l’immigration irrégulière sont mis au point.
Si les efforts normatifs n’ont pas manqué non plus dans le cadre de la CEDEAO, ils sont loin d’égaler celui de l’Union Européenne.
« S’inspirant de la méthodologie intégrationniste mise en place dans la Communauté européenne qui a fait de la liberté de circulation des personnes et des biens un instrument de réalisation de l’Union économique et monétaire[292], les ensembles communautaires que forment la C.E.M.A.C. et la C.E.D.E.A.O. manifestent une volonté identique à travers l’idéal de rapprochement des États et des peuples que poursuivent les deux organismes d’intégration régionale »[293].
- Le protocole A/P1/5/79 sur la libre circulation des personnes, le droit de résidence et d’établissement
La CEDEAO s’est ainsi doté d’un Protocole de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest[294] sur la libre circulation des personnes, le droit de résidence et d’établissement[295].
Mais la volonté politique de poser la liberté de circuler comme l’un de ses principes généraux de la CEDEAO transparaît déjà dans l’esprit du Traité fondateur de la CEDEAO en 1975[296] :
« Les citoyens des Etats Membres sont considérés comme citoyens de la Communauté, en conséquence les Etats Membres s’engagent à abolir tous les obstacles qui s’opposent à la liberté de mouvement et de résidence à l’intérieur de la Communauté. », chapitre 4, article 27, alinéa 1.
Le Protocole de 1979 quant à lui établit les normes juridiques et les modalités d’application, prévue en trois étapes : la première étape se traduira par la facilitation du droit d’entrée et l’abolition du visa pour les ressortissants des Etats membres[297], ensuite, l’idée était de généraliser le droit de résidence[298], et enfin celui du droit d’établissement[299].
Grâce à la mise en œuvre du protocole et de ses modalités d’application, « tout citoyen de la Communauté, désirant entrer sur le territoire de l’un quelconque des Etats membres » y est autorisé, « par un point d’entrée officiel, sans avoir à présenter de visa », s’il possède « un document de voyage et des certificats internationaux de vaccination en cours de validité ». Il peut s’il le désire « séjourner dans un Etat membre pour une durée maximum de quatre-vingt-dix jours (90), mais lu faudra à cette fin obtenir une autorisation délivrée par les autorités compétentes. ».
Ces dispositions juridiques, destinées à favoriser la libre circulation des personnes, se sont matérialisées tout d’abord par l’instauration d’un carnet de voyage en 1985[300], ensuite par la mise à disposition d’une carte de résident en 1990[301] et enfin par l’établissement d’un passeport au début des années 2000[302] pour tous les Etats membres.
Il a été établi que la détention de l’un ou l’autre dispense le citoyen de la Communauté de remplir le formulaire d’immigration et d’émigration des Etats membres de la CEDEAO. Il a également été établi que, à terme, le passeport était appelé à remplacer le carnet de voyage.
Quant à l’effectivité de ces trois outils, le Burkina Faso, la Gambie, le Ghana, la Guinée, le Niger, le Nigeria et la Sierra Leone ont déjà mis en circulation le carnet de voyage, mais pour le moment, seuls le Sénégal et le Mali ont mis à disposition de leurs ressortissants le passeport CEDEAO.
Notons que la directive du 29 mai 1979 de la Conférence des Chefs d’Etats prévoit également la création de guichets spéciaux par chaque Etats membres à chaque point d’entrée officiel aux frontières. Le but étant de faciliter les formalités d’entrée pour leurs propres nationaux et les autres citoyens de la Communauté.
Dans la deuxième partie du protocole[303], il est clairement établi que « Le droit d’entrée, de résidence et d’établissement mentionné… ci-dessus sera établi progressivement, au cours d’une période maximum de quinze (15) ans, à compter de l’entrée en vigueur définitive du présent Protocole, par l’abolition de tous obstacles à la libre circulation des personnes et au droit de résidence et d’établissement »[304].
C’est dans cette partie du protocole que sont prévue les trois étapes de mise en œuvre que nous avons cité supra, à savoir droit d’entrée et abolition de visa, droit de résidence, et droit d’établissement.
Le protocole prévoit également expressément que « Cinq ans maximum après l’entrée en vigueur définitive du présent Protocole, la Communauté, se fondant sur l’expérience acquise au cours de l’exécution de la première étape, fera des propositions au Conseil des Ministres pour une libéralisation plus poussée durant les étapes du droit de résidence et d’établissement des personnes à l’intérieur de la Communauté. Ces étapes feront l’objet d’autres documents annexés au présent Protocole. ».
Ce qui signifie que, techniquement et se fondant sur les textes du protocole, l’ensemble des pays membres de la CEDEAO auraient tous dû satisfaire à la première étape (droit d’entrée et abolition des visa) entre 1980 et 1985. Ensuite, ils auraient du établir le droit de résidence de 1985 à 1990. Et enfin le droit d’établissement aurait dû être effectif sur l’ensemble du territoire de la Communauté en 1995. Mais nous venons de voir que l’effectivité de ce texte n’a pas été parfaitement respectée par les Etats membres.
Ce protocole vise à parvenir à l’aboutissement du paragraphe 1 de l’article 27 du Traité de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest modifié qui dispose que les citoyens de la Communauté sont les citoyens des Etats Membres qui remplissent les conditions à définir dans un protocole portant code de la citoyenneté de Communauté.
Le Protocole A/P5/5/82 vise donc à déterminer qui sont les citoyens de la Communauté. Il est ainsi prévu à son article 1 que sont considérés comme citoyens de la communauté « Toute personne qui, par la descendance, à la nationalité d’un Etat Membre et qui ne jouit pas de la nationalité d’un Etat non membre de la communauté. »[305].
Il prévoit également que « toute personne qui a la nationalité d’un Etat Membre par le lieu de naissance et dont l’un ou l’autre des parents est citoyen de la Communauté conformément aux dispositions du paragraphe (1) ci-dessus, à condition que cette personne ayant atteint l’âge de 21 ans, opte pour la nationalité de cet Etat Membre. »[306].
Les dispositions suivantes traitent du cas des enfants adoptés, des personnes naturalisées d’uns Etat membre, les enfants ayant une nationalité inconnues à la naissance, mais nous n’allons pas entrer trop dans les détails car cela ne relèvera pas la qualité de notre travail.
Il faut cependant souligner que ce protocole n’entend pas se substituer aux Etat membres dans les conditions d’octroi de leur nationalité : « les Etats Membres continueront à exercer leur droit souverain pour l’octroi de leur nationalité »[307].
De même il prévoit expressément que « les conditions requises pour l’acquisition, la perte, la déchéance et la réintégration dans la citoyenneté de la Communauté ne sont pas nécessairement les mêmes que celles des Etats Membres »[308].
- Le Protocole additionnel A/SP1/7/85 portant CODE DE CONDUITE POUR L’APPLICATION DU PROTOCOLE SUR LA LIBRE CIRCULATION DES PERSONNES, LE DROIT DE RESIDENCE ET D’ETABLISSEMENT
Convaincus que « l’application, par tous les Etats membres, des dispositions des textes sur la libre circulation des personnes, des biens, des services et des capitaux constitue la base fondamentale de l’édification de la CEDEAO et conditionne le développement harmonieux de toutes les activités économiques, sociales et culturelle au sein de la sous-région pour le bien-être des populations des Etats membres de la Communauté »[309], les pays membres ont adoptés ce protocole afin de satisfaire à « l’impérieuse nécessité d’établir une coopération étroite et efficace entre les administrations des Etats membres en vue d’une assistance mutuelle administrative entres elles en matière de libre circulation des personnes, des bien des services et des capitaux »[310].
Ce protocole donne alors une définition harmonisée de ce qu’est le droit de résidence[311], le résident[312], le droit d’établissement[313], le migrant[314], le migrant irrégulier[315]. Mais également les Droits fondamentaux de l’homme[316] pour bien rappeler aux Etats membres que l’application du protocole, tout comme des autres instruments juridiques de la communauté, doit se faire dans le respect de ces derniers.
Le Protocole additionnel A/SP1/7/85 établit ensuite une suite de règle de conduite qui s’imposent aux Etats membres. Ainsi, il prévoit que « les Etats membres, feront en sorte que leurs ressortissants se rendant sur le territoire d’un autre Etat membre soient en possession des documents de voyage encours de validité reconnus à l’intérieur de la Communauté. ». Qu’ils sont « tenu de mettre en place ou de renforcer les Services administratifs appropriés de manière à fournir aux migrants toutes les informations nécessaires et de nature à leur permettre d’entrer régulièrement sur le territoire des ces Etats. ».
De plus, dans le but de prévenir les embauches illégales effets négatifs, ils devront prendre toutes les dispositions requises en vue d’exercer un contrôle plus strict sur leurs employeurs. Et les Etats devront enfin s’obliger à autoriser la tenue de réunions périodiques des responsables nationaux en vue d’échange de renseignement et d’expériences de toute nature.
Le protocole prévoit également les droits et obligation des migrants dans les Etats membres, ses dispositions concernent surtout l’encadrement des conditions et procédures d’expulsion qui devront se faire dans le respect des droits humains : « les droits fondamentaux de l’homme reconnus au migrant expulsé ou sujet à une telle mesure en vertu des lois et règlements de l’Etat Membre, pays d’accueil, ainsi que les droits qu’il a acquis du fait de son emploi doivent être respectés. Toute mesure d’expulsion sera appliquée d’une manière humaine et sans conséquence dommageables pour la personne, sa famille, ses droits et ses biens ».
- Le protocole additionnel A/DEC.2/7/85 portant institution d’un carnet de voyage des Etats membres de la CEDEAO
Ce texte a été élaboré en vue de rendre effectif le carnet de voyage par des Etats membres convaincus de la nécessité et de l’opportunité de l’adoption d’un document harmonisé de voyage au sein de la CEDEAO, autre que le passeport national, en vue de faciliter et de simplifier les formalités de mouvement des personnes au passage des frontières des Etats Membres.
Il s’agit d’un document se présentant sous la forme d’un livret de format (12,5 cm x8,5 cm) a couverture rigide, de couleur bleu clair, frappé de l’emblème de la CEDEAO. Où doivent figurer le signalement descriptif du titulaire ; une photo d’identité, format 4 cm x 4 cm, prise de face ; l’empreinte digitale du titulaire et le cas échéant, sa signature ; la signature et le cachet de l’Autorité l’ayant délivré ; le lieu et la date de délivrance ; la date d’expiration.
Il est prévu que le carnet peut être délivré à tout ressortissant d’un Membre, âgé de quinze (15) ans au moins, peut solliciter la délivrance ou le renouvellement d’un CARNET DE VOYAGE DES ETATS MEMBRES DE LA CEDEAO dès lors qu’il remplit les condition prévues par les lois et règlements de son pays d’origine.
La délivrance en sera faite sur présentation d’une pièce d’état civil (acte de naissance extrait de transcription d’un jugement supplétif en tenant lieu) ou une pièce d’identité nationale ; de 4 photos, format 4 cm x 4 cm ; ainsi que d’un formulaire reproduisant les indications susceptibles d’identifier le requérant du CARNET. En cas de besoin, celui-ci sera tenu de justifier de son identité, de sa nationalité et de sa capacité ai regard des lois et règlements en vigueur dans son pays d’origine.
Les CARNET DE VOYAGE sont imprimés et délivrés à la diligence et sous le contrôle des Autorités compétentes dans chaque Etat membre. Ils sont rédigés en langue française et en langue anglaise.
- Protocole additionnel A/Sp1/7/86 relatif a l’exécution de la deuxième étape (droit de résidence) du protocole sur la libre circulation des personnes, le droit de résidence et d’établissement
Ce protocole commence par rappeler que l’expression « Travailleurs migrants » exclut :
- Les personnes exerçant des fonctions officielles qui sont employées pur le compte d’un Etat en dehors de son territoire dont l’admission et le statut sont régis par le droit international général ou par des Accords internationaux ou Conventions internationales spécifiques ;
- Les personnes exerçant des fonctions officielles qui sont employées pur le compte d’un Etat en dehors de son territoire pour l’exécution de programmes de coopération aux fins de développement convenus avec le pays d’accueil et dont l’admission et le statut sont régis par des Accords internationaux ou Conventions internationales spécifiques ;
- Les personnes dont les relations du travail avec un employeur n’ont pas été établies dans l’Etat membre d’accueil ;
- Les personnes sui deviennent résidentes en qualité d’investisseur d’un pays autre que leur Etat membre d’origine ou qui, dès leur arrivée dans ce pays, exercent une activité économique en qualité d’employeur.
Il rappel également qu’ aux fins de l’exécution de la deuxième étape (doit de résidence) du Protocole sur la libre circulation des personnes, le droit de résidence et d’établissement, chacun des Etats membres reconnaît aux citoyens de la Communauté ressortissants des autres Etats membres, le droit de résidence sur son territoire en vue d’accéder à une activité salariée et de l’exercer[317].
Et que ce droit de résidence comporte, sous réserve des limitations justifiées par des motifs d’ordre publique, de sécurité publique et de santé publique, le droit :
- De répondre à des emplis effectivement offerts ;
- De se déplacer, à cet effet, librement sur le territoire des Etats membres ;
- De séjourner et de résider dans un des Etats membres afin d’y exercer un emploi conformément aux dispositions législatives, réglementaires et administratives régissant des travailleurs nationaux ;
- De demeurer, dans les conditions définies par les dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats Membres d’accueil, sur le territoire d’un Etat membre après y avoir occupé un emploi.
- Protocole additionnel A/SP2/5/90 relatif à l’exécution de la troisième étape (droit d’établissement) du protocole sur la libre circulation des personnes, le droit de résidence et d’établissement
Ce protocole additionnel a été adopté en vue de veiller à l’application homogène, par tous les Etats membres, des dispositions des textes de la CEDEAO sur la libre circulation des personnes, des biens des services et des capitaux. Et cela parce que cela constitue une base fondamentale de l’édification de la Communauté et conditionne le développement harmonieux des activités économiques, sociales et culturelles des Etats membres de la sous-région pour le bien-être de leurs populations.
Le protocole additionnel A/SP2/5/90 définit la « Carte de Résidence », ou « Permis de Résident » comme étant le titre ou le permis de résidence délivré par les autorités compétentes accordant le droit de résidence sur le territoire d’un Etat Membre.
Il rappelle que le « Travailleur migrant ou migrant » est tout citoyen, ressortissant d’un d’Etat Membre, qui s’est déplacé de son pays d’origine pour se rendre sur le territoire d’un autre Etat Membre dont il n’est pas originaire et qui cherche à occuper un emploi. Et que le « Travailleur frontaliers » est un travailleur migrant qui, tout en exerçant un emploi dans un Etat Membre, maintient leur résidence normale dans un Etat voisin, son pays d’origine, où il revient en principe chaque jour ou au moins une fois par semaine.
Tandis que les « Travailleurs saisonniers », sont les travailleurs migrants qui exercent pour un employeur ou pour leur propre compte, dans une Etat membre dont ils ne sont pas ressortissants, une activité qui, par sa nature, dépend des conditions saisonnières et ne peut donc être exercée que pendant une partie de l’année. Et que les « Travailleurs itinérants », sont les travailleurs migrants qui, ayant leur résidence normale dans un Etat Membre, doivent, aux fins de leur activités, se rendre dans une autre Etat Membre pour une courte période.
Le protocole additionnel rappelle également que « le droit d’établissement … comporte l’accès aux activités non salariées et leur exercice ainsi que la constitution et la gestion d’entreprise et notamment de sociétés a sens de l’Article 3 ci-dessous dans les conditions définies par les lois et règlement du pays d’implantation pour ses propres ressortissants »[318].
Il dispose également que « en ce qui concerne le régime applicable en matière d’établissement et de services, chacun des Etats Membres s’impose d’accorder sur son territoire un traitement non discriminatoire aux ressortissants et sociétés des autres Etats Membres »[319].
Toutefois, si pour une activité déterminée, un Etat membre n’est pas en mesure d’assurer un tel traitement, il doit l’indiquer par écrit au Secrétariat Exécutif et les autre Etats Membres, selon le cas, ne sont pas tenus d’accorder un tel traitement aux ressortissants et sociétés de l’Etat en question.
La liberté de circulation constitue un instrument absolument essentiel dans le contexte actuel de globalisation, elle matérialise les politiques d’intégration régionale à travers le monde et dont le modèle le mieux achevé à ce jour est celui de l’Union européenne.
Dans le contexte actuel, une place très importante est laissée à l’aspect individuel dans la traduction de ce que l’on entend par liberté au sens de l’article 4 de la Déclaration française des droits de l’Homme (de 1789). Aspect individuel qui est consacré par le droit individuel inaliénable de mouvement.
La liberté de circulation, nous l’avons vu concerne les personnes, mais elle se concrétise également dans la liberté des capitaux et des marchandises. Ce deuxième aspect de la liberté de circulation est fondamental aux fins de la réalisation du marché intérieur.
Nous allons donc étudier ces deux dernières sortes de liberté de circulation dans la partie qui suit. Cela nous permettra de voir quelles sont les réalisations de la CEDEAO, surtout en matière de circulation des capitaux qui est vraiment essentiel comme nous le montre les expériences dans les autres organisations d’intégration régionales et économiques.
Moyens traditionnels de limitation et de contrôle des investissements et de protection des marchés financiers, les restrictions aux mouvements de capitaux ont toujours constitué des instruments de politique économique que les États ont tenté de sauvegarder. Le droit international, tant multilatéral que bilatéral, a prévu de nombreux dispositifs pour restreindre les effets de l’encadrement étatique des mouvements de capitaux.
C’est un fait qu’on a pu observé pendant longtemps dans les systèmes européens, et qu’on observe encore dans des pays en voie de développement comme les pays membres de la CEDEAO. Il n’est pas nouveau, mais il faut dire que même dans la plus aboutie des organisations d’intégration, et cela dans un passé encore très récent, la libre circulation des capitaux et des moyens de paiement faisait figure de parent pauvre du marché commun.
Ainsi, dans le droit communautaire européen, elle a pu être qualifiée de liberté partielle et relative dans la mesure où, en vertu du traité CEE du 25 mars 1957, elle ne couvrait pas l’ensemble des mouvements de capitaux dans la Communauté et son bénéfice était soumis à une série de conditions et à la mise en œuvre d’actes d’exécution.
Cependant, au vu des objectifs ultérieurs de réalisation d’un marché intérieur puis d’une Union économique et monétaire, la libre circulation des capitaux et des moyens de paiement s’est imposée comme un moyen indispensable pour la réalisation de tels objectifs. Désormais, cette liberté est une liberté fondamentale à part entière et complète qui s’applique non seulement entre les États membres mais également dans les échanges avec les États tiers.
Cette constatation n’est pas seulement valable dans la zone économique de l’Union Européenne, elle est valable dans tous les espaces économiques des organisations d’intégration régionales.
Le champ d’application de la quatrième liberté de circulation prévue par le traité de la CEDEAO n’est pas précisément défini par les dispositions de ce traité, ni dans l’acte additionnel y afférent d’ailleurs.
Il aurait alors été très pratique de se référer au droit dérivé et à la jurisprudence sur ces questions pour pouvoir trouver des solutions logiques. Malheureusement, comme nous l’avons déjà évoqué dans les développements précédents, le droit dérivé et la jurisprudence de la Cour de Justice ne sont pas assez forts ni élaborer pour nous aider dans ce sens. Il nous faut donc voir dans le droit comparé les éléments qui pourraient nous éclairer quant à ce champ d’application.
La définition du champ d’application de cette liberté exige, tout d’abord, de délimiter la notion de capitaux et de moyens de paiement, ensuite de délimiter les échanges visés et d’identifier les personnes qui sont concernées par cette liberté et enfin de délimiter cette liberté au regard des autres libertés garanties par le traité.
La libre circulation des marchandises constitue, avec la libre circulation des personnes, des services et des capitaux, l’une des quatre libertés fondamentales concourant à la réalisation du marché intérieur. Le marché intérieur comporte un espace sans frontières intérieures dans lequel la libre circulation des marchandises doit être assurée par les Etats membres, protégée par le Traité constitutif.
La libre circulation des marchandises est présentée comme le corollaire du principe fondamental d’unité de marché. Elle consiste à permettre aux « produits ou marchandises originaires des États membres d’une organisation d’intégration économique de franchir les frontières des États membres sans être soumis à la fiscalité de porte (droits de douane et autres droits et taxes qui frappent (touchent) exclusivement les produits étrangers lors du franchissement de la frontière »[320].
Mais quelles marchandises sont concernées par cette liberté de circulation des biens ?
Il faut d’abord souligner le fait que dans le vocabulaire des organisations d’intégration, on emploi indifféremment les mots « marchandises » ou « produits ». Sont considérées comme des marchandises au sens du traité « les produits appréciables en argent et susceptibles, comme tels, de former l’objet de transactions commerciales ».
Les principes relatifs à la libre circulation des marchandises s’appliquent à une gamme de produits très étendue et de nature variée. Il pourra s’agir de biens de production, ou de biens de consommation, de produits de loisir, ou de produits de première nécessité, de produits à forte valeur ajoutée comme les produits couverts par un brevet, tels que les médicaments[321], de produits ayant subi une faible transformation ou de produits agricoles, de végétaux, ou d’animaux. Aucun jugement d’ordre moral, qualitatif ou relatif à la valeur marchande d’un produit ne saurait soustraire celui-ci à la définition des marchandises.
En claire, le principe de la liberté de circulation va permettre une circulation en franchise de tout droit de porte des produits du cru, des produits de l’artisanat traditionnel, des produits industriels originaires. Mais également octroi le bénéfice d’un taux préférentiel pour les marchandises n’ayant pas le label de « produit originaire »[322].
Notons que le principe de la libre circulation n’affranchi pas les produits qui en bénéficient de la fiscalité intérieure, c’est-à-dire aux droits et taxes qui frappent au même titre les produits nationaux[323].
Dans le système juridique de la CEDEAO, la liberté de circulation des marchandises ne s’applique qu’en faveur des produits originaires des Etats membres et ne concerne pas les produits venant de pays tiers qui restent assujettis au tarif extérieur commun et à la fiscalité intérieure.
En dehors du Traité constitutif qui prévoit cette liberté dans les objectifs communs aux Etats membres, la Communauté dispose de quelques textes qui visent à assoir fermement le principe dans le système juridique de la CEDEAO. Nous pouvons ainsi recenser plusieurs protocoles : le protocole relatif à la définition de la notion de produits originaires des Etats membres de la communauté[324], le Protocole relatif à la réexportation au sein de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest des marchandises importées des pays tiers[325].
Sans oublier les protocoles modifiant le protocole portant modification de la définition de produit originaire[326] :
- Protocole Additionnel A/SP1/5/79 portant amendement du texte français du Protocole relatif à la définition de la notion de produits originaires des Etats Membres (Article 1), signé à Dakar le 29 mai 1979 et entré en vigueur le 02 avril 1982.
- Protocole Additionnel A/SP2/5/79 portant amendement du Protocole relatif à la définition de la notion de Produits originaires des Etats Membres (Article 2), signé à Dakar et entré en vigueur le 30 juillet 1984.
- Protocole Additionnel A/SP3/5/80 portant modification de l’article 8 du texte français, du protocole relatif à la définition de la notion de produits originaires des Etats Membres (Régime applicable aux mélanges), signé à Lomé le 28 mai 1980 et entré en vigueur le 29 juin 1985.
- Protocole A/P1/1/03 relatif à la définition de la notion de «produits originaires» des Etats membres de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest[327] qui est provisoirement entré en vigueur à la date de sa signature.
A côté de ces protocoles, la CEDEAO dispose également de la Convention A/P4/5/82 relative au Transit routier inter-Etats des marchandises signée à Cotonou le 29 mai 1982. Ainsi que la Convention Additionnelle A/SP1/5/90 portant institution au sein de la Communauté d’un mécanisme de garantie des opérations de transit routier Inter-Etats de marchandises, qui a été signée à Banjul le 29 mai 1990 et qui est entrée en vigueur le 19 mai 1992.
Il ressort de ces textes que « la promotion du commerce des produits originaires des Etats Membres, ainsi que le développement économique commun de la Communauté requièrent la participation des nationaux »[328]. Et que les marchandises sont considérées comme originaires d’un Etat Membre en vue de la libéralisation du commerce intra-communautaire si :
- Elles ont été entièrement produites dans les Etats Membres[329], ce qui inclus tous les produits que nous avons cités supra[330], mais également es articles hors d’usage qui ne peuvent servir qu’à la récupération des matières, à condition qu’ils aient été recueillis auprès des utilisateurs dans les Etats Membres ; les déchets et rebuts résultant d’opérations manufacturières effectuées dans les Etats Membres.
- Elles ont été obtenues dans un Etat Membre par la mise en œuvre de toutes opérations et procédés autres que ceux prévus à l’article 4 du présent Protocole, soit avec des matières d’origine étrangères ou indéterminée utilisées dans le processus de fabrication de ces marchandises et dont la valeur CAF ne dépasse pas 60 pour cent coût total des matières mises en œuvres, ou avec des matières d’origine communautaire dont la valeur ne doit en aucun pas être inférieur à 40% du Coût total des matières mises en œuvre dans le processus de fabrication, soit avec des matières premières de base d’origine communautaire représentant en quantité au moins 60% de l’ensemble des matières premières mises en œuvre dans le processus de production, ou
- Elles y ont été obtenues à partir des matières d’origine étrangère ou indéterminée ayant reçu dans le processus de fabrication une valeur ajouté d’au moins 35% du prix FOB du produit fini.
Les processus d’intégration et un degré accru d’autosuffisance collective impliquent trois actions interdépendantes à savoir: l’intégration des infrastructures physiques, institutionnelles et sociales; l’intégration des systèmes de production; l’intégration des marchés africains. Et dans ce schéma, le transport tient une place très importante.
Les modes de transport classiques routier, ferroviaire, aérien, maritime et fluvial constituent des piliers important pour la mise en œuvre effective de la liberté de circulation au sein de l’espace CEDEAO.
Dès la création de la CEDEAO, les Etats membres ont identifié comme condition et facteur essentiels de l’intégration sous régionale le développement des infrastructures et des facilitations dans le domaine des transports. Ils ont ainsi clairement prévu une politique commune en matière de transports et de communication dans le Traité constitutif.
« Les Etats membres s’engagent à élaborer progressivement une politique commune en matière de transports et de communications grâce à l’amélioration de leurs réseaux de transports et de communications existant et à l’établissement de nouveaux réseaux, afin de renforcer la cohésion entre eux et d’encourager les mouvements de personnes, de marchandises et de services au sein de la Communauté »[331].
Ils ont donc logiquement prévu aussi des politiques communes sur les réseaux permettant l’amélioration des relations sociales et commerciales entre les Etats membres : cela consiste alors en l’élaboration d’un programmes en vue de l’établissement d’un vaste réseau de routes utilisables par tous les temps à l’intérieur de la Communauté grâce à l’amélioration des routes existantes et à la construction de nouvelles routes qui soient conformes aux normes internationales[332].
Grâce à l’amélioration et la réorganisation des chemins de fer des Etats membres en vue de l’interconnexion des divers réseaux ferroviaires[333], grâce à l’harmonisation et la rationalisation des politiques relatives aux transports maritimes et fluviaux internationaux dans les Etats membres qui doit notamment passer par le truchement de la création de compagnies multinationales de navigation maritime et fluviale[334].
Et enfin, « les Etats membres s’engagent à tout mettre en œuvre afin de réaliser la fusion de leurs compagnies aériennes nationales de façon à assurer l’efficacité et la rentabilité en matière de transport aérien des passagers et des marchandises à l’intérieur de la Communauté au moyen d’aéronefs appartenant aux gouvernements des Etats membres et/ou à leurs ressortissants. A cet effet, ils s’engagent à coordonner la formation de leurs ressortissants ainsi que leurs politiques en matière de transports aériens et à normaliser leur équipement »[335].
Ces dispositions dans le traité constitutif ont pour principaux objectifs l’amélioration et l’expression des réseaux de transport et de communications existants, une mobilité accrue, et l’établissement d’un vaste réseau inter-états praticable en toute saison.
Le traité révisé a encore réaffirmé ce principe fondamental dans son article 32, sans oublier les protocoles, conventions, décisions et résolution prises par la CEDEAO depuis 1975 à ce jour qui ont élargi la déclaration dans le traité constitutif, ainsi que les stratégies en matière de transport.
On se trouve alors en présence de déclarations qui prennent la forme de directives prônant la libre circulation des personnes, des biens et des capitaux, l’introduction d’une assurance régionale pour les véhicules, la définition des axes routiers inter-Etats, la réglementation des charges à l’essieu sur les routes inter-Etats, la création d’un commerce de transit routier inter-Etats pour les pays sans littoral, la mise en œuvre de fonds autonomes pour l’entretien des routes[336].
Aujourd’hui, nous pouvons dire que la politique de la CEDEAO en matière de transport est entièrement tournée vers « la création d’un espace CEDEAO sans frontière, l’achèvement dans les meilleurs délais des programmes routiers de la région, l’incitation du secteur privé à jouer un rôle plus indépendant dans le processus, l’organisation de séminaires à l’intention des services de douane, de police et de l’immigration et des transporteurs sur les procédures et pratiques requises par une sone sans frontières, la définition des modes de transport rentables, la mise en œuvre de projet d’infrastructures nécessaires au renforcement du processus d’intégration, notamment les chemins de fer et les liaisons maritimes, et aériennes entre les pays de la CEDEAO »[337].
Et pour la réalisation de ces objectifs, les membres de la CEDEAO ont prises les décisions de supprimer les postes de contrôle et la simplification des formalités aux frontières ; l’étude de faisabilité de la route et du chemin de far Lagos-Cotonou-Lomé-Accra ; l’achèvement de la route trans-côtière ; la mise en œuvre de l’initiative d’entretien routier ; la création d’un terminal portuaire spécialisé pour des services de cabotage[338].
Mais la CEDEAO a aussi une politique sectorielle dont le but est de mieux cibler les urgences. Cette politique se traduit alors par une tendance à « la libéralisation et à un désengagement de l’Etat de la gestion directe du secteur et à une certaine privatisation »[339]. Elle se traduit également par la mise en œuvre d’un certain nombre de mesures introduites pour améliorer la sécurité routière.
Ainsi par exemple, les Etats membres sont chargés de mettre effectivement en ordre la règle adoptée par la CEDEAO et qui fixe la charge à l’essieu à 11,5 tonnes sur les routes inter-Etats. Notons que ces règles communes sont destinées à être mises en œuvre en parallèle avec les règlements nationaux.
Nous allons étudier les instruments juridiques élaborés par la Communauté, mais également les institutions qui sont chargées de les mettre en application :
La prise de conscience de l’importance de la mise en place d’’un cadre commun pour le transport a conduit les Etats membres à adopter des textes réglementaires qui sont nombreux dans ce domaine. Nous citons ci-après les décisions, protocoles et conventions importants par rapport à l’application desquels le progrès de la sous région doit être mesuré :
- En premier lieux, il y a la Décision A/DEC/20/5/80 relative au Programme des Transports de la CEDEAO qui a pour principal objectif la promotion du développement et de l’intégration des infrastructures de transport, l’harmonisation des réglementations, l’élimination des barrières physiques et non physiques entre les Etats membres et désenclaver les pays sans littoral.
La politique définie dans cette décision visait surtout à supprimer les excès de contrôles routiers ; garantir un accès équitable aux cargaisons générées par le commerce extérieur des Etats contractants, harmoniser les dispositions réglementaires relatives au code de la route et des transports; assurer une autonomie suffisante pour l’approvisionnement des pays sans littoral en rapport avec les moyens de transport des pays de transit.
- Ce sont les principes que l’on retrouve dans la Convention n° A / P2 / 82 portant réglementation des Transports Routiers Inter-Etats (TIE) qui prévoit la fixation chaque année d’un quota de véhicules entre pays, autorisés à effectuer le transport Inter – Etats ; la fixation de règles de partage du fret entre Etats de transit et pays sans littoral pour les marchandises en transit et celles prises sur le marché local du pays de transit ; la fixation de la charge à l’essieu.
- Il y a également la Convention A / P4 / 5 / 82 relative au Transit Routier Inter –Etats de Marchandises (TRIE) qui « permet le transport par route de marchandises, en suspension des droits, taxes et prohibitions d’un bureau de douane d’un Etat membre donné vers un bureau de douane d’un autre Etat membre, sous la couverture d’un document unique et sans rupture de charge »[340].
Le TRIE permet d’agréer les caractéristiques techniques des moyens de transport ;d’identifier la marchandise, le véhicule, objet du transit ; de repérer l’itinéraire et les bureaux de passage, frontière, destination ; de préciser les prescriptions de délai de traversée et autres obligations exigées au conducteur du véhicule ; de déterminer le champ d’application du régime et de la déclaration du transit (territoire national, plusieurs frontières) ; de déterminer la responsabilité du principal obligé (Transporteur / Transitaire), de fixer les procédures en cas de force majeure et enfin de servir de supports statistiques et d’informations en cas d’infractions, de règlement des différends et de coopération douanière[341].
- Notons que le protocole portant création de ma carte brune de la CEDEAO entre également dans la règlementation sur les transports dans la mesure où il parle également de l’assurance responsabilité civile automobile au tiers.
Le protocole A / P1 / 5 / 82 fait obligation au transporteur routier de contracter une assurance au tiers pour couvrir dans les pays membres, les accidents causés par les véhicules. La Carte Brune CEDEAO fonctionne ainsi sur la base d’une caution solidaire entre des compagnies d’assurance agréées.
Ce sont les textes principaux mais il en existe d’autres qui sont destinés à mettre en œuvre la politique commune telle que définie dans les textes principaux. Comme la Décision A/DEC.2/5/81 relative à l’harmonisation des législations Routières dans la Communauté, Journal officiel Volume 3 – 1981, la Convention A/P2/5/82 relative à la réglementation des transports routiers inters Etats de la CEDEAO (TIE), Journal officiel, Volume 4 – 1982, la Décision C/DEC.2/5/83 relative à la mise en application de la Carte Brune d’assurance système de la CEDEAO, Journal officiel, Volume 5 – 1984.
Il y a également Carnet TRIE CEDEAO à la Convention A/P4/5/82 Transit routier inter Etats Suppléments 1985 des marchandises, Journal officiel Volume 6, la Décision C/DEC.8/12/88 relative à La deuxième phase des projets routiers de la CEDEAO sur les routes d’interconnexion pour le désenclavement des pays sans littoral, Journal officiel Volume 14 – 1988.
Il y a également la Résolution C/RES.4/5/90 relative à la Réduction des postes de contrôles routiers dans les Etats membres de la CEDEAO, Journal officiel, Volume 17- 1990. La Résolution C/RES.6/5/90 relative à la Réalisation des tronçons restants du réseau routier d’interconnexion pour le désenclavement des pays sans littoral, Journal officiel, Volume 17 – 1990.
Nous avons encore la Convention additionnelle A/SP.1/5/90 relative à l’institution au sein de la Communauté d’un mécanisme de garantie des opérations de transit routier inter Etats des marchandises, Journal officiel, Volume 17 – 1990. Et enfin, la Décision C/DEC.7/7/91 relative à la réglementation de la circulation routière sur la base de la charge à l’essieu de 11,5 tonnes pour la protection des infrastructures routière et des véhicules de transports routiers, Journal officiel, Volume 19 – 1991.
Les principales institutions de la CEDEAO qui ont la charge de mettre en œuvre ces textes sont le Secrétariat Exécutif et le Fonds de la CEDEAO. Ils ont pour mission de suivre la suppression effective des barrières non physiques au commerce et à la circulation des personnes entre Etats par l’élimination des difficultés aux postes frontières.
Mais il faut également noter la création d’organes spécifiques dans le cadre de la politique commune en matière de transport. Il y a ainsi le comité supérieur des transports terrestres de la CEDEAO qui rassemble les différentes administrations chargées de la réalisation des infrastructures de transports terrestres, de l’exploitation, de la sécurité, les douanes et les opérateurs et syndicats du secteur.
Il y a aussi les organes dont la principale raison d’être est la facilitation du transport routier : ainsi en est-il de l’Union des Transporteurs de l’Afrique de l’Ouest qui regroupe les organisations nationales chargées de questions et d’intérêts spécifiques. Il s’agit là d’une plateforme commune qui permet aux transporteurs, principaux acteurs, de partager leurs expériences pour améliorer les services et protéger leurs droits.
Et enfin le « conseil des bureaux de la Carte Brune CEDEAO qui est un regroupement des bureaux nationaux d’assurances lesquels sont eux mêmes formés des assureurs opérants dans un même pays membre. L’assurance Carte Brune CEDEAO, rappelons le, couvre la responsabilité civile automobile à travers tous les Etats membres. »[342].
- L’amélioration de l’environnement juridique des affaires : la règlementation de la concurrence et la politique communautaire de la concurrence
La règlementation de la concurrence est inséparable de la création d’un marché intérieur qui constitue l’un des objectifs fondamentaux de la CEDEAO. Or, il faut dire que beaucoup reste encore à faire en la matière, surtout quand on sait que le droit de la concurrence est encore loin d’être une vraie priorité même au niveau des droits nationaux.
Un marché unique, commun à tous les pays membres représente pourtant une réelle chance pour les entreprises de la CEDEAO, cela leur permettrait de faire une percée sur de nouveaux marchés qui leur étaient peut-être fermés, jusque-là, en raison d’obstacles publics.
Un marché unique leur faciliterait d’autant plus la tâche que l’on sait que toute entrée sur de nouveaux marchés prend du temps, exige de lourds investissements et comporte des risques. Un marché unique permettrait la conclusion d’accords entre des producteurs désireux de se lancer sur un nouveau marché et des distributeurs locaux et faciliterait l’entrée sur le marché national des entreprises des autres pays membres.
Le seul ennui c’est que les accords entre producteurs et distributeurs, s’ils peuvent être particulièrement efficaces pour ouvrir la voie d’un marché aux entreprises, peuvent également avoir l’effet inverse. En effet, ils peuvent également servir à maintenir le cloisonnement des marchés et à interdire l’accès d’un marché à de nouveaux entrants qui intensifieraient la concurrence et provoqueraient des tensions à la baisse sur les prix.
Il n’est pas rare de voir des accords entre producteurs et distributeurs, cela constitue le moyen le plus rapide de favoriser l’intégration des marchés et présente en plus la particularité de renforcer l’efficience dans la distribution. Malheureusement, ils peuvent également avoir l’effet inverse : c’est en effet le moyen le plus rapide et le plus simple de faire obstacle à l’intégration et à la concurrence.
Or ces pratiques sont assez courantes aujourd’hui, car les écarts de prix qui subsistent entre les États membres incitent les entreprises à pénétrer sur de nouveaux marchés, mais aussi à ériger des barrières à l’encontre de nouveaux concurrents. C’est pour cette raison qu’il est très important de réglementer ces pratiques pour ne pas désorganiser le marché au risque d’aboutir à un résultat contraire à ce qui est recherché.
« Le droit de la concurrence se définit de façon informelle comme un ensemble de règles (législatives ou coutumières) appliquées par les Etats, particuliers et sociétés afin d’évaluer et de corriger une conduite publique ou privée qui fausse le « libre jeu » des transactions sur un marché concurrentiel »[343].
Dans le droit de la CEDEAO, la mise en place d’un droit commun de la concurrence a pour fondements d’encourager un marché libre et ouvert, de garantir des conditions de concurrence juste et équitable à tous les acteurs du marché de promouvoir une allocation optimale des ressources. Sans oublier la maximisation de la protection des consommateurs et enfin, d’assurer la transparence et l’équité dans les procédures réglementaires[344].
Cela répond parfaitement aux impératifs visant à « maintenir un ordre concurrentiel libéral qui optimise les avantages comparatifs nationaux, encourage la libre circulation des marchandises et des services au prix le plus bas, promeut l’innovation et renforce les capacités de production sur les plans nationaux et régional »[345].
Cela signifie que les efforts à fournir au sein de la communauté devront se concentrer sur le fait de faire admettre en amont aux Etats membres que « la liberté de concurrencer suppose la liberté de pénétrer sur le marché, la liberté de se développer et de croître sur le marché, la liberté de créer des associations ou agrégats artificiels et la liberté d’exercer des pressions monopolistiques »[346].
Car c’est seulement de cette manière qu’il sera possible de créer une chance égale à toutes les entreprises originaires de tous les pays membres sans aucune distinction ni discrimination pour réellement assoir une concurrence saine, loyale et de promouvoir l’efficacité, la croissance et le développement économiques.
Finalement, la politique de la concurrence se fonde sur l’importance de la liberté d’agir sur un marché, sur la reconnaissance de l’importance du droit de propriété, la nécessité d’une compétitivité internationale accrue et la facilitation de l’entrée sur les marchés.
Mais le contexte général dans l’espace CEDEAO qui se traduit par un déséquilibre au niveau du développement entre les pays membres, oblige à tenir compte du fait qu’il faut corriger les déséquilibres structurels dans la politique commune de la concurrence.
La mise en place d’un droit commun de la concurrence nécessite donc des efforts très importants mais qui se justifient largement par les principales retombées positives qui sont de nature à augmenter la compétitivité de l’ensemble des Etats de la sous-région.
En effet, « dans certains cas, le droit de la concurrence peut servir à lever les obstacles au commerce et à maximiser les avantages de la non-discrimination qu’exigent les régimes multilatéraux et régionaux. En outre, une politique de concurrence bien conçue est de nature à optimiser les efforts d’intégration en minimisant la capacité des sociétés privées (et des états) à user de pratiques nationales afin d’éluder des obligations commerciales »[347].
Sur le long terme, l’efficacité d’un cadre commun de la concurrence va se traduire par la démultiplication des avantages liés aux retombées économiques associées à l’intégration des échanges régionaux. Il permettra ainsi une meilleure règlementation des prix, de la qualité des produits déversés sur le marché commun et donc aussi les marchés nationaux. Et un bon cadre commun de la concurrence permettra l’épanouissement des recherches et innovation dans la perspective de l’amélioration de la production.
Ce qui permettra également de compenser partiellement les pertes de recettes dues à l’ouverture du marché intérieur et l’élimination des obstacles qui sont sources de revenus assez important pour l’Etat.
Pour résumer, la création d’un cadre commun de la concurrence est réellement indispensable pour la création d’un marché commun qui soit réellement efficient et qui puisse effectivement augmenter l’effectivité de la compétitivité des pays membres au niveau du droit commercial international. Le cadre commun servira de levier pour le renforcement de la compétitivité des entreprises, de leur productivité et donc pour la croissance au niveau de chaque Etat membre. Et donc à terme leur apporter le développement.
Le marché commun peut être considéré comme l’espace qui va accueillir la mise en œuvre effective de la liberté de circulation des personnes, des biens, des services et des capitaux, seul principe qui garantisse véritablement l’intégration régionale.
« La politique commune de la concurrence est déterminante dans la réalisation effective d’une intégration, en assurant aux populations une liberté de circulation, une liberté de commerce transnational, donc une disparition progressive des frontières héritées de la colonisation. Cette liberté de circulation et d’échange entre peuples, jadis cloisonnés dans leur espace naturel et limité, permet aux populations, surtout les commerçants, de se découvrir et d’échanger »[348].
La nécessité d’une politique commerciale commune se justifie par le fait que cette dernière va permettre de faire tomber les barrières nationales qui cloisonnent les marché nationaux ouest-africains et qui les rendent trop exigus pour permettre aux entreprises nationale d’avoir un réel poids, compétitivement parlant.
Un meilleur cadre du point de vue de la concurrence leur permettrait de conquérir de nouveaux marchés dans leur espace géographique proche, ce qui constitue un pas très important dans la préparation à partir à la conquête d’un marché beaucoup plus grand : le marché mondial. Car à cette heure où la mondialisation est le maître-mot, c’est la finalité logique de tous les efforts entrepris par les différents acteurs économiques : avoir une part de marché sur le marché mondial.
Pour véritablement préparer les entreprises ouest-africaine à la compétition internationale, la « politique commune de la concurrence dans l’espace de la CEDEAO doit contribuer de façon directe au bien-être des consommateurs, des populations car favorisant la mise à leur disposition d’une pluralité de produits similaires, concurrents ou directement substituables. Elle devrait également profiter aux entreprises qui vont développer leur clientèle et innover, et ainsi accroître leur compétitivité »[349].
Mais c’est surtout dans le cadre du développement des investissements au niveau régional que la mise en place d’une concurrence saine entre les investisseurs s’est faite pressante. En effet, la mise en place d’un marché commun des investissements est présentée comme un « volet crucial du processus d’intégration économique » de l’Afrique de l’Ouest[350]. « Une étape majeure de l’intégration régionale est donc réussie avec la communautarisation du droit des investissements, permettant d’offrir aux investisseurs un même dispositif juridique, quel que soit le lieu de leur intervention »[351].
Une règlementation régionale de la concurrence serait donc un atout majeur pour établir un climat des affaires sain, propre à attirer les investisseurs étrangers, venant des autres pays membres, et également de nature à soutenir les efforts des entreprises nationales qui visent à étendre et régionaliser leurs activités.
La politique de la concurrence communautaire doit donc être concentrée sur l’élaboration d’une règlementation qui sera réellement au service de l’intégration régionale et qui n’en constituera pas un frein au contraire, il faut donc des « règles dont la finalité est la promotion du développement économique »[352].
Cette finalité a été parfaitement comprise par les Etats membres de la CEDEAO, et a été clairement affirmé dans le document portant Cadre régional de politique de concurrence : « les États membres de la CEDEAO, qui cherchent tous de développer des économies durables et de stabiliser les conditions de marché, ont tout intérêt d’adopter un cadre régissant la concurrence à l’échelle régionale »[353].
Cette vision résulte du fait que les Etats ouest-africain ont bien intégrés le fait que les pays développés aujourd’hui doivent la majeur partie du succès de leur économie et la prospérité de leur nation à une politique et un droit de la concurrence qui ont contribué de manière cruciale à l’essor et le maintien de la croissance, au dynamisme de la productivité, ainsi qu’à la protection des consommateurs et la stabilité sociale qui manque malheureusement cruellement aux Etats ouest-africains.
Dans cette optique, il apparaît que la mise en place d’un cadre commun de la concurrence ne vise pas seulement à augmenter la compétitivité des entreprises ouest-africaine, ou à leur ouvrir un plus grand marché.
Le cadre commun vise aussi à répondre aux besoins les plus basiques des populations ouest-africaines. Il peut en effet constituer un instrument très efficace pour réduire de manière perceptible la pauvreté et assurer aux populations l’accès aux services de base, ne serait-ce que le minimum rédhibitoire.
C’est un objectif qui a d’ailleurs été clairement établi depuis le début par les fondateurs de la CEDEAO. En effet, l’article 3 du traité identifie l’harmonisation et la coordination des politiques commerciales nationales comme moyen de maintien et de renforcement de la stabilité économique dans la sous-région[354].
De même, l’Acte additionnel portant adoption des règles de la concurrence dans l’espace CEDEAO précise que « la promulgation des règles communautaires de la concurrence est compatible avec les objectifs de développement des États membres de la CEDEAO ». Objectifs dont l’un des plus importants réside dans la nécessité d’avoir une économie «dynamique et compétitive afin de promouvoir et de favoriser les conditions nécessaires à la croissance économique dans la région »[355].
A la lecture de ce texte, nous pouvons constater qu’un lien très fort est établi par les Etats parties entre la croissance économique dans la CEDEAO, l’existence d’une économie dynamique de laquelle dépend l’effectivité de la croissance. Et enfin la compétitivité qui favorise l’existence d’une économie dynamique.
- Situation actuelle du droit de la concurrence au sein de la CEDEAO
La situation actuelle dans l’espace CEDEAO en matière de droit de la concurrence est caractérisée d’un côté par la situation très éparse au niveau du droit national des Etats membres. Ce qui peut constituer un frein assez important sur la mise en place d’un cadre commun puisqu’il faudrait alors, dans certains cas, créer un cadre légal à partir de rien.
Elle se caractérise également par le fait que le droit commun de la concurrence en est encore à ses balbutiements, malgré les efforts qui ont déjà été, et qui sont encore en cours au niveau de la CEDEAO. Il est évident qu’il y a encore beaucoup de travail qui doivent être menés, et cela doit commencer au niveau national pour éviter qu’une trop grande disparité au niveau de la situation nationale de chacun ne vienne compromettre la capitalisation des efforts faits en commun au niveau de la CEDEAO.
La règlementation des échanges ne fait pas vraiment partie de la culture juridique africaine, il faut bien l’avouer. Si bien qu’il n’est pas rare de constater que les acteurs économiques font un peu ce qu’ils veulent sur le marché national, une des raison qui font que ce dernier manque autant de dynamisme et pour laquelle le secteur informel s’y sent si à l’aise.
Le droit de la concurrence dans les pays ouest-africains se caractérise donc par la disparité au niveau des systèmes juridique, encore accentué par la présence d’Etats francophones et ceux du common-law dans la même organisation d’intégration. Mais également par la différence des niveaux de développement économique entre les États concernés.
La cohabitation au niveau de l’organisation d’intégration peut donc être parfois un peu difficile du fait de ces différences. En effet, « dans le système romano-germanique, l’intervention économique de l’État est très poussée, le conduisant souvent à être un producteur, alors que dans le système anglo-saxon, l’État n’est qu’un arbitre entre les acteurs économiques qui produisent et distribuent les biens »[356].
Et le dernier fait à prendre en compte est la différence de niveau de développement qui va se traduire par la faiblesse des initiatives privées et la somnolence des pouvoirs publics compétents dans l’élaboration d’un cadre national de la concurrence. D’où la situation de disparité.
Ainsi, pour faire un rapide tour d’horizon de l’état du droit de la concurrence dans les pays membres de la CEDEAO, nous pouvons par exemple souligner le fait que, en 2007, lors de l’élaboration du document officiel de la CEDEAO sur le cadre régional de politique de la concurrence, la Guinée était entrain de se doter d’une loi sur la concurrence alors que la Gambie, le Nigeria et le Ghana disposaient d’un projet de loi sur la concurrence[357].
Pour le Nigeria, il y a plusieurs points important qui méritent notre attention dans son tout nouveau droit de la concurrence. Ainsi, la loi nigériane interdit « tous accords entre entreprises, toutes décisions d’associations d’entreprises et toutes pratiques concertées qui sont susceptibles directement ou indirectement, d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché national. . . »[358].
Cette loi considère qu’il y a Six types précis d’ententes/pratiques concertées incompatibles avec le bon fonctionnement du marché. A savoir, la fixation directe ou indirecte des prix ou autres conditions de transaction; la limitation ou contrôle de la production, des débouchés, du développement technique ou des investissements; la répartition des parts de marché, de la clientèle ou des sources d’approvisionnement; le boycott ; la discrimination en termes d’échanges commerciaux et refus de permettre l’accès à des accords ou associations décisives pour la concurrence; et les accords de vente liée.
Cette loi interdit également les pratiques de « monopole » du marché qu’elles soient unilatérales ou conjointes et réprime « tout agissement ou comportement constituant un abus ou une acquisition et abus de position dominante sur le marché »[359].
Le projet de loi sur la concurrence a dû attendre une dizaine d’année avant de faire l’objet d’une promulgation. Ce projet de loi prévoit également l’interdiction des comportements anticoncurrentiels que nous avons déjà constatés dans le projet de loi nigérian. Ce qui n’est pas très surprenant, dans la mesure où ces interdictions constituent les normes minimales évidentes dans de nombreux autres systèmes juridiques. Notons que le projet de loi a été adopté et promulgué, il est entré en vigueur le 22 décembre 2000[360].
Cette loi définit également les accords interdits : ceux qui limitent ou contrôlent la production, les débouchés, le développement technique ou les investissements; se répartissent les marchés ou sources d’approvisionnement; appliquent des conditions différentes à des transactions équivalentes; ou renferment des accords de vente liée[361].
Cet avant-projet prévoit également l’interdiction des accords de fixation des prix au détail « dans la mesure où ils visent à restreindre une concurrence loyale ». La position monopolistique y est également proscrite en ces termes : il est « interdit à toute personne jouissant d’une importante position de force sur un marché d’abuser de cette position dans le but, entre autres, d’éliminer toute concurrence loyale, de bloquer la pénétration sur le marché et de fixer des prix des biens ou services à un niveau excessivement élevé ». Mais l’avant-projet de loi prévoit également les soumissions collusoires et offres collusoires dans les appels d’offres.
Ces deux exemples témoignent de combien le droit de la concurrence tient encore une place très peu importante dans la plupart des pays africains qui constituent les pays membres de la CEDEAO.
Mais les choses se compliquent encore plus du fait que certains pays membres de la CEDEAO font déjà partie d’autres organisations d’intégration comme l’UEMOA qui dispose déjà d’un cadre assez élaboré en la matière.
L’UEMOA, ou Union Economique et Monétaire Ouest-Africaine, est l’organe d’intégration qui se rapproche le plus de l’accomplissement dans la région ouest-africaine. Elle a le droit commun le mieux construit aujourd’hui, et un marché commun mieux encadré. Et elle nous intéresse ici dans la mesure où huit Etats membres de la CEDEAO[362] sont également membres de l’UEMOA. Ce qui signifie que le droit de l’UEMOA est applicable dans l’espace juridique de ces pays membres de la CEDEAO.
Du point de vue de la concurrence, l’UEMOA dispose de quatre principaux instruments : trois Règlements et deux Directives introduits en 2002, et entrés en vigueur au 1er janvier 2003. Les trois règlements règlementent les questions relatives aux pratiques anticoncurrentielles[363], les abus de position dominante[364], et les aides d’Etat[365].
Pour les deux directives, elles portent sur la transparence dans les relations financières entre Etats Membres et entreprises publiques, et entre Etats Membres et organisations étrangères ou internationales, d’une part. Et d’autre part, la coopération entre la Commission de l’UEMOA et les autorités nationales de la concurrence.
Le cadre législatif de l’UEMOA ne diffère pas de ce que l’on pourrait trouver dans le droit positif des pays qui ont déjà réussit à mieux assoir le droit de la concurrence dans leur système juridique. En effet, on peut trouver dans ce cadre législatif l’interdiction des accords et pratiques concertées restreignant le commerce ; la règlementation des fusions et acquisitions; ainsi que l’interdiction des les monopoles, c’est-à-dire l’abus de position dominante sur le marché.
Mais en plus de règlementer les pratiques qui pourraient nuire à la saine concurrence, le droit commun de la concurrence de l’UEMOA a aussi pour but de réglementer les « les distorsions du marché imputables aux Etats telles que les aides publiques et les agissements anticoncurrentiels des entreprises publiques »[366].
On retrouve cela dans le Traité de l’UEMOA qui dispose en son article 88 que sont interdits a)les accords, associations et pratiques concertées entre entreprises, ayant pour objet ou pour effet de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur de l’Union; b) toutes pratiques d’une ou de plusieurs entreprises ou des associations assimilables à un abus de position dominante sur le marché commun ou une partie significative de celui-ci; c) les aides publiques susceptibles de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou, certaines productions. Une quatrième catégorie d’infractions dites pratiques anticoncurrentielles imputables aux Etats a été introduite sur la base des dispositions des articles 4(a), 7 et 76 (c) du Traité[367].
Nous avons vu que certains pays membres de la CEDEAO font également partie d’autres organisations d’intégration régionale, notamment l’UEMOA[368], cette situation fait que les risque de concurrence normative sont particulièrement élevés dans la sous-région. Les deux organisations utilisent en effet pareillement le droit pour réaliser leurs objectifs d’intégration[369].
Les différentes organisations d’intégration régionale existant en Afrique de l’Ouest constituent autant d’espaces juridiques superposés avec des interférences complexes car ces organisations ne couvrent pas le même espace géographique. Il en découle une cohabitation normative difficile à gérer dans certains secteurs. Cette cohabitation normative est aujourd’hui réelle et manifeste concernant le droit de la concurrence.
En effet, autant l’UEMOA que la CEDEAO se sont dotées d’un cadre juridique régissant la compétition économique. Ces législations communautaires, édictées en 2002 pour l’UEMOA[370] et en 2008 pour la CEDEAO, sont applicables, pour une grande partie, dans le même espace géographique, même si le droit CEDEAO a un champ d’application territoriale plus vaste. Du traité de Dakar et de ses textes d’application[371]
La concurrence entre le droit de l’UEMOA et celui de la CEDEAO se manifeste par la friction qui peut résulter de la mise en application de l’article 88 du Traité de Dakar et celui de l’Acte Additionnel portant législation de la CEDEAO de la concurrence. Particulièrement en ce qui concerne l’applicabilité.
Les rédacteurs l’Acte additionnel de la CEDEAO n’ont pas ignoré ce risque. Aussi, la question s’est-elle posée de savoir s’il ne fallait pas considérer la zone UEMOA comme constitutive d’un État au sein de la CEDEAO, tout au moins au regard de l’existence d’une législation UEMOA de la concurrence. Mais, à la vérité, une telle solution ne pouvait prospérer, l’UEMOA n’ayant pas elle-même définitivement réglé la question de l’articulation du droit interne et du droit communautaire de la concurrence. Au demeurant, il est possible de penser que la cohabitation des législations communautaires de la concurrence dans la zone ouest-africaine n’aboutira pas inévitablement à une concurrence normative que le juge serait amené à résoudre.
En effet, en spécifiant le champ d’application des règles communautaires de la concurrence, l’article 4 de l’Acte additionnel précise qu’elles ne sont applicables qu’aux pratiques « susceptibles d’affecter les échanges commerciaux au sein de la CEDEAO ». Ce texte impose donc une analyse de l’incidence du comportement en cause sur le commerce intra-communautaire dans la CEDEAO. C’est une analyse difficile, autant pour le juge de la concurrence que pour le plaignant qui l’invoquerait.
Aussi, il peut paraître préférable de se référer au droit UEMOA qui n’exige pas une telle affectation du commerce entre ses États membres. Face au dilemme du choix entre deux dispositifs communautaires, a priori également applicables, la solution la meilleure peut être de mettre en œuvre celui qui pose le moins de difficultés pour la détermination de son applicabilité. Bien évidemment, c’est une solution de paresse, mais aucune des deux législations n’en propose une meilleure.
En outre, la CEDEAO admet la possibilité d’une coexistence entre une réglementation nationale de la concurrence et la réglementation communautaire. Ainsi s’explique que la législation de la CEDEAO ne soit applicable qu’aux pratiques portant atteinte aux échanges entre États. Il en découle naturellement que les pratiques dont les effets anticoncurrentiels sont limités à un espace national sont soumises à la législation interne du pays concerné.
Mise à part cette question de la cohabitation, les droits CEDEAO et UEMOA de la concurrence se recoupent du point de vue de leur contenu normatif. Non seulement ils interdisent les ententes illicites et les abus de position dominante, mais également ils encadrent les aides publiques et soumettent les entreprises publiques au droit de la concurrence.
On note donc que la législation CEDEAO de la concurrence porte sur les différents aspects des pratiques anticoncurrentielles, qu’il s’agisse de pratiques des entreprises privées ou de celles imputables aux pouvoirs publics. Les principes fondamentaux du droit de la concurrence sont donc respectés par la législation de la CEDEAO.
Toutefois, des différences notables peuvent être constatées dans les définitions des notions utilisées, différences qui peuvent avoir des conséquences majeures dans le contrôle de l’activité économique. Nous prendrons quelques exemples pour mettre en évidence ce risque.
Le premier est relatif au rôle différent que l’on fait jouer, dans les deux ordres normatifs, à l’affectation du commerce entre les États membres. Alors que dans la législation UEMOA il n’y est fait référence que dans la directive n° 04/2002 relative à la coopération entre la Commission et les structures nationales de la concurrence pour le contrôle des pratiques anticoncurrentielles, cette exigence de l’affectation des échanges entre les États membres apparaît dans le droit CEDEAO comme une condition d’applicabilité.
Autrement dit, alors que l’UEMOA fait le choix d’une unification du droit de la concurrence, avec la substitution d’une législation unique aux différentes législations nationales, la CEDEAO fait le choix de la double barrière, en maintenant des législations nationales applicables aux pratiques anticoncurrentielles à dimension nationale.
Cette diversité de choix n’est pas sans conséquence dès lors que certains États membres appartiennent à la CEDEAO et à l’UEMOA, et que, dans le cadre de cette dernière appartenance, leur droit national de la concurrence est neutralisé par la législation UEMOA. Pour ces pays, la question de la détermination du rôle de l’exigence de l’affectation des échanges commerciaux entre États membres va se poser. La réponse déterminera soit l’applicabilité du droit CEDEAO soit la compétence de la Commission de l’UEMOA.
Par ailleurs, en considérant l’interdiction de l’abus de position dominante, il faut constater que la CEDEAO a une conception sinon incompréhensible du moins très restrictive de la position dominante. La position dominante est assimilée à la détention d’une partie substantielle d’un marché déterminé de manière à pouvoir contrôler les prix ou en exclure la concurrence[372].
La définition retenue par le droit UEMOA rend mieux compte de la subtilité et de la diversité des situations de domination. Il vise « la situation où une entreprise a la capacité, sur le marché en cause, de se soustraire à une concurrence effective, de s’affranchir des contraintes du marché, en y jouant un rôle directeur »[373].
Clairement, cette dernière définition est plus complète. Elle est en outre plus adaptée au contexte de l’Afrique de l’Ouest car permettant d’appréhender la diversité des situations économiques qu’implique la dualité de l’économie de la région.
Une autre différence fondamentale à relever concerne les pratiques anticoncurrentielles pouvant faire l’objet d’une exemption. La législation de la CEDEAO prévoit que les pratiques qui contribuent au progrès social peuvent échapper à l’emprise du droit de la concurrence alors que l’UEMOA n’a pas fait ce choix.
L’article 4 (2) de l’Acte additionnel A/SA.1/12/08 vise en effet expressément les accords et activités dont l’objet porte sur « les questions relatives au travail, notamment les activités des employés visant à protéger légitimement leurs intérêts » et « les accords de négociations collectives conclus entre les employeurs et les employés aux fins de fixer les termes et modalités de service ». Le constat est donc que la législation de la CEDEAO tient mieux compte des exigences du droit du travail par rapport au droit de la concurrence.
Le droit processuel de la concurrence dans la CEDEAO est caractérisé par la diversité du contrôle institutionnel dont le risque d’inefficacité peut être corrigé par l’unité de la méthodologie mise en application par les instances de contrôle.
Appelant à une recomposition du paysage juridique, Mireille Delmas-Marty nous invite à tenir compte des « hiérarchies discontinues » et des « pyramides inachevées »[374]. Le paysage institutionnel de l’Afrique de l’Ouest est, lui, en perpétuelle construction, les organisations d’intégration se succédant et cohabitant au gré de l’évolution des volontés politiques des gouvernants des États membres.
Cependant, une certaine stabilité peut être notée, ces dernières années, avec la cristallisation de la construction communautaire autour de l’UEMOA et de la CEDEAO. Mais l’observateur ne peut manquer de se demander s’il existe une quelconque hiérarchie ou pyramide en Afrique de l’Ouest concernant le contrôle de la concurrence. De multiples organes ont été créés aux niveaux interne et communautaire pour assurer ce contrôle sans tenir compte de la cohérence d’ensemble.
Ainsi, en raison de la concurrence normative, le contrôle de la concurrence peut être exercé par les organes créés par la CEDEAO ou par ceux auxquels le droit UEMOA donne cette compétence. Au demeurant, la CEDEAO a fait un choix de structuration institutionnelle du contrôle de la concurrence différent de celui de l’UEMOA. En effet, alors que l’UEMOA reproduit le modèle européen en confiant à la Commission la compétence de contrôle de la concurrence, la CEDEAO opte pour la création d’un organe spécialisé.
Ainsi, l’Acte additionnel A/SA.2/12/08 institue une Autorité régionale de la concurrence de la CEDEAO dont la mission est la surveillance du marché commun de la CEDEAO en matière de respect des règles de la concurrence et, le cas échéant, la sanction des pratiques anticoncurrentielles.
La création de cet organe, dont la mise en place effective se fait toujours attendre près de trois ans après l’adoption de l’acte additionnel, s’explique par le souci d’éviter la faible effectivité du droit de la concurrence telle qu’on peut la constater dans l’UEMOA en raison de l’absence d’une structure communautaire de contrôle dédiée. À ce titre, la CEDEAO a essayé de tirer les leçons de l’échec de l’UEMOA en la matière.
Pour autant, la question de l’efficacité du contrôle de la concurrence en Afrique de l’Ouest peut se poser au regard de la multiplicité des instances impliquées, qu’il s’agisse de structures nationales ou d’organes communautaires. Ce sont principalement les risques de contradiction entre les décisions rendues par les différentes instances communautaires qui retiennent l’attention.
Dans cette perspective, la mise en place d’un mécanisme de coopération peut apporter des solutions efficaces. Il est envisagé et prévu par le droit de la CEDEAO. Ainsi, l’article 13.3 de l’Acte additionnel A/SA.1/12/08 dispose que « dans la mise en œuvre des règles de la concurrence de la Communauté, l’Autorité Régionale collabore avec les autres agences de concurrence existantes (UEMOA) ».
Hiérarchies enchevêtrées et boucles étranges, donc. Peut-être sommes-nous dans la perspective d’une forme curviligne[375] de mise en œuvre du droit ouest-africain de la concurrence. Changement de perspective dont l’objet est de garantir l’inévitable mise en œuvre du droit de la compétition économique, l’applicabilité d’un dispositif juridique déterminé et l’intervention des organes créés à cet effet, permettant de couvrir l’inapplicabilité d’un dispositif mis en place concurrent ou la défaillance de ses instances.
A l’issu de tout ce développement donc, « il apparaît qu’aucune expérience d’intégration économique ne peut faire l’économie d’une politique communautaire de la concurrence. Autrement, cette intégration serait fragilisée par les pratiques anticoncurrentielles qui favoriseraient le développement de situations de rente pour les sociétés qui les pratiqueraient et l’institution d’obstacles à l’innovation. Et les chances d’atteindre les objectifs de base visés par l’organisation d’intégration régionale seraient considérablement réduites »[376].
Para 2 : La matérialité attendue
Quand les pères fondateurs de la CEDEAO ont commencé à imaginer cet organe d’intégration, ils avaient eu dans l’idée de créer une organisation qui pourrait contribuer à la mise en commun des efforts de développement et de cette manière favoriser le développement économique de chaque pays membre.
Dans la réalisation de ce grand projet, l’exemple de l’intégration européenne a tenue une très grande place. Il était donc entendu que, comme pour la Communauté européenne, des efforts devaient être menés pour mettre en place un marché commun et unique où les acteurs économiques des États membres pourraient évoluer en toute liberté, sans aucun obstacle que ce soit douaniers ou autres, et dans une saine concurrence entre eux.
La CEDEAO aurait donc pu être un plein succès si, comme sa grande sœur, elle avait réussi à mettre en place certains mécanismes et surtout suffisamment de cohésion pour que tous les États puissent faire évoluer leurs ressortissants de la même manière, pour que le marché commun soit réellement effectif, et cela dans tous les domaines, pour en faire une plateforme économique de référence, capable de soutenir la concurrence non seulement africaine, mais également mondiale.
Pour pouvoir avoir une idée précise de la valeur réelle de ce qui a été effectivement réalisé au niveau de la CEDEAO, nous allons procéder à un petit travail de comparaison du degré d’avancement de l’intégration au niveau de la matérialité entre les deux organisations d’intégration.
Comme à notre habitude, nous allons ici mener un travail de comparaison avant de nous atteler à décortiquer les lacunes au niveau de la CEDEAO.
L’article 114 TFUE, issu de l’Acte unique européen, et destiné à la réalisation du marché intérieur, s’explique surtout par le semi-échec de son prédécesseur, l’ex article 94 du traité CE[377]. En effet, cet article s’était retrouvé largement paralysé non seulement par l’exigence d’unanimité mais également par la lourdeur des méthodes d’harmonisation. Les auteurs de l’acte unique avaient voulu présenter cette nouvelle disposition comme secondaire et dérogatoire par rapport à l’ex-article 94 CE (devenu 115 TFUE) qui était censé demeurer l’article de principe.
Cette vision paraissait cependant dès l’origine erronée dans la mesure où le nouvel article se voyait attribuer la tâche capitale de mettre en place le marché intérieur envisagé par le livre blanc de la Commission de 1985[378].
Le traité de Rome dans sa version originaire ne définissait pas le marché commun. La Cour de justice avait cependant pallié cette lacune en indiquant dans un arrêt Schul de 1982 que celui-ci visait « à l’élimination de toutes les entraves aux échanges intracommunautaires en vue de la fusion des marchés nationaux dans un marché unique réalisant les conditions aussi proches que possibles de celles d’un véritable marché intérieur »[379].
S’inspirant de cette définition, et d’une manière plus sobre, l’Acte unique européen définissait à son tour le marché intérieur, selon les termes de l’ex-article 14 § 2 CE, comme « un espace sans frontières intérieures dans lequel la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux est assurée selon les dispositions du présent traité ».
Cette définition permettait enfin de donner une vision synthétique des quatre célèbres libertés de circulation reconnues dès 1957. De plus l’évocation de la disparition des frontières intérieures – même si le terme frontières doit être pris dans son sens économique – permettait de symboliser le projet européen en soulignant qui plus est son caractère dynamique.
Selon les termes de l’ex-article 14 § 1er CE, le marché intérieur devait être mis en place progressivement au cours d’une période expirant le 31 décembre 1992. La Commission présidée par Jacques Delors misait sur le facteur temps et l’effet d’entraînement pour réaliser son ambitieux projet, reprenant ainsi les recettes qui avaient si bien réussi pour la mise en place de l’Union douanière et de la PAC dans les années 1960.
Mais il va de soi que les techniques de réalisation du marché intérieur et notamment la nouvelle procédure d’harmonisation du marché intérieur ne se voyaient pas limitées à cette seule période, ce qu’une interprétation restrictive de l’ex-article 95 CE par rapport à l’ex-article 94 aurait pu laisser penser.
En effet, outre qu’à la date précitée, l’ensemble des mesures appropriées n’avaient pu être toutes adoptées, il est évident que le marché intérieur une fois établi suppose une gestion au quotidien comme une actualisation régulière. Celles-ci relèvent de l’article 114 TFUE d’autant que cette disposition concerne non seulement l’établissement mais aussi le fonctionnement du marché intérieur.
D’ailleurs le traité de Lisbonne, tout en reprenant à l’article 26 TFUE l’essentiel de l’ex-article 14 CE, a abrogé son paragraphe premier qui établissait l’échéance de 1992, pour se rallier à une conception intemporelle du marché intérieur (art. 26 § 1er TFUE). Cet article donne compétence à l’Union pour adopter les mesures « destinées à établir ou assurer le fonctionnement du marché intérieur… ».
Le marché intérieur, souvent qualifié de marché unique par la Commission, n’est pas une construction définitive et figée. Il implique une gestion au quotidien, d’autant que les États membres ou les opérateurs économiques savent faire preuve d’ingéniosité pour instaurer de nouvelles barrières ou entraves aux échanges intracommunautaires.
La perspective 2012, marquant le vingtième anniversaire de l’ouverture des frontières, a suscité de nombreux projets et réflexions de la part des institutions de l’Union, notamment de la Commission, porteuse et gardienne de la conception originaire. Ainsi a-t-elle présenté le 20 novembre 2007 une communication dénommée Un marché unique pour le xxie siècle[380], puis le 29 juin 2009 une recommandation « concernant les mesures visant à améliorer le fonctionnement du marché unique »[381].
L’ancien commissaire européen Mario Monti a rédigé un rapport à la demande de son institution d’origine en vue d’une initiative visant à relancer le marché unique, présenté le 9 mai 2010 sous le titre Une nouvelle stratégie pour le marché unique. Le rapport entend lutter contre une certaine « lassitude de l’intégration » et dénoncer l’appartenance au passé du marché unique.
Il propose une stratégie globale autour de trois grands ensembles d’initiatives. Trente-cinq d’entre elles visent à renforcer le marché unique à la fois par des mesures juridiques et économiques. L’accent est mis aussi sur certains domaines novateurs (l’économie numérique, la croissance verte, etc.). Le souci de simplification et d’allègement de la réglementation est également présent de même que celui du renforcement de certains contrôles.
La Commission, sous l’impulsion du commissaire au marché intérieur Michel Barnier, a ensuite présenté une cinquantaine de propositions dans un document intitulé Vers un acte pour le marché unique publié le 27 octobre 2010[382]et lancé le débat public autour d’elles. Une communication du 13 avril 2011 opère le lien avec la stratégie de Lisbonne et les projets de relance économique sous le titre Douze leviers pour stimuler la croissance et renforcer la confiance[383].
Ultérieurement, une seconde communication dénommée « l’acte pour le marché unique II » du 3 octobre 2012[384] retient douze actions-clés regroupées en quatre objectifs prioritaires. Les transports et l’énergie viennent en tête suivis par l’encouragement de la mobilité transnationale des citoyens et des entreprises. Pour ce qui est de la libre circulation des marchandises, l’accent est mis principalement sur la sécurité des produits.
La pratique comme la jurisprudence confirment la conception large, sinon attractive, tant du marché intérieur que de la procédure d’harmonisation qui lui est associée selon les termes de l’article 114 TFUE[385]. Cette disposition a servi d’instrument pour la mise en œuvre du livre blanc de la Commission, lequel n’envisageait pas moins (dans sa version initiale) de trois cents mesures pour l’ouverture totale du marché unique européen.
De plus, les institutions de l’Union en général, sous réserve peut-être du Conseil, manifestent en cas d’hésitation sur la base juridique d’une mesure une nette préférence pour cette disposition qui, relevant depuis le traité de Lisbonne de la procédure législative ordinaire, cumule les avantages de la légitimité (codécision du Parlement européen) et de l’efficacité (majorité qualifiée au Conseil).
Il en va de même pour la Cour de justice, qui, dans les nombreux conflits de base juridique auxquels il lui faut répondre, a souvent tranché en faveur de l’article 114, même si aujourd’hui, on peut considérer sa doctrine bien établie autour du critère du contenu et du but principal de la mesure envisagée[386].
Cette doctrine permet également de trancher les conflits de frontière avec les domaines où le traité refuse toute compétence d’harmonisation aux institutions de l’Union[387]. C’est le cas pour certaines politiques « nouvelles » mises en place par le traité de Maastricht, comme la culture (art. 167 § 5 TFUE), l’éducation (art. 165 § 4 TFUE) ou la santé publique (art. 168 § 5 TFUE).
Ce dernier domaine a provoqué de nombreuses hésitations, surtout confronté à l’article 114 § 3 TFUE, qui invite la Commission à prendre pour base un niveau de protection élevé pour ses propositions d’harmonisation « en matière de santé, sécurité, etc. ». Dans la première affaire de la publicité pour le tabac, la Cour de justice a annulé, pour erreur de base juridique, une directive qui avait pour objet essentiel la protection de la santé publique et non la facilitation des échanges intracommunautaire[388].
Une seconde version de la directive (2001/31 du 5 juin 2001) plus nettement centrée sur les exigences de la libre circulation a recueilli l’approbation de la Cour[389] sur la base du critère du but et de l’objet principal de la mesure[390].
S’inspirant du traité constitutionnel, soucieux sur ce point de prendre en compte les réactions négatives de certains États membres face aux interprétations systématiquement larges à leurs yeux de la jurisprudence de la Cour, le traité de Lisbonne entend lutter contre certaines déviances pouvant résulter d’une utilisation excessive des procédures d’harmonisation.
Le garde-fou qu’il met en place ne se situe cependant pas parmi les procédures d’harmonisation, mais dans une modification de la procédure d’adaptation (dénommée clause de flexibilité par le traité constitutionnel – art. I-18) de l’ex-article 308 CE, devenu 352 du TFUE.
Ce texte prévoit que ladite procédure ne pourra pas servir de substitut à l’interdiction d’harmoniser qui peut résulter de dispositions précises des traités de l’Union, pour beaucoup regroupées au sein d’une catégorie nouvelle de compétences : les domaines des actions d’appui, de coordination ou de complément[391] (art. 6 TFUE)[392]. Il y a cependant fort à parier, que par le jeu du choix de la base juridique, ces clauses prohibitives n’auront guère plus de succès qu’hier.
Mais pour large que soit son champ d’application, le recours à l’article 114 TFUE n’en demeure pas moins subsidiaire, puisqu’il s’incline lorsque « les traités en disposent autrement ». Plus précisément, l’article 114 apparaît comme une procédure certes générale mais aussi résiduelle qui cède le pas devant deux autres catégories de dispositions.
D’abord celles qui lui sont extérieures et qui résultent de dispositions spécifiques des traités, comme celles qui existent en matière d’environnement (art. 191 TFUE), de droit d’établissement (art. 53 TFUE), de fiscalité (art. 113 TFUE) ou d’espace de liberté de sécurité et de justice (art. 82 et 83 TFUE) etc., ces dernières ayant le caractère de lex specialis par rapport à la procédure générale.
Ensuite d’autres dispositions, internes celles-là, qui résultent de la clause dérogatoire figurant à l’article 114 § 2 TFUE lequel exonère du dispositif général « les dispositions fiscales, la libre circulation des personnes, et celles relatives aux droits et intérêts des travailleurs salariés ».
C’est le cas aussi en matière de fiscalité où s’appliquent cumulativement les articles 114 § 2 et 113 TFUE. Ces deux dispositions impliquent le vote à l’unanimité au Conseil, ce qui peut expliquer les résultats assez modestes atteints par l’harmonisation en matière fiscale, y compris pour les marchandises.
En effet, si ce n’est la fameuse « sixième directive »[393] consacrée à l’uniformisation de l’assiette de la TVA, la réalisation du marché unique au 1er janvier 1993 n’a pas eu l’effet d’entraînement escompté[394]. Les États se sont ralliés à une vision minimaliste se limitant à une certaine harmonisation des taux de TVA[395] autour d’un taux normal et d’un ou plusieurs taux réduits. Dans le même sens, l’harmonisation des droits d’accises se heurte à l’énorme diversité des situations nationales sur des produits aussi sensibles que les tabacs, les alcools ou les combustibles et les résultats portent essentiellement sur des points mineurs[396].
La prise en compte de la cohésion économique et sociale est réellement entrée en ligne de compte dans la politique européenne en 1988 lors de l’entrée dans la Communauté de l’Espagne et du Portugal. Une réforme a ainsi été conduite pour donner une nouvelle importance au concept de cohésion économique et sociale.
En effet on constatait en 1988 que le revenu par habitant des dix régions les plus développées représentait plus du triple de celui des dix régions les plus attardées.
L’Acte unique de 1986 en tira les conséquences en créant un chapitre entier du traité consacré à cet impératif et pour la première fois en fit non seulement un objectif de la Communauté mais encore, et c’était là une nouveauté, le dotait de moyens conséquents. Par ailleurs, il prévoyait que des règlements seraient préparés et mis en oeuvre pour concrétiser cette nouvelle orientation politique.
Les règlements du 20 juin 1988 et du 19 décembre de la même année qui régissent la réforme des fonds structurels entrèrent donc en vigueur le 1er janvier 1989.
L’objectif de cette réforme est d’en faire de véritables instruments de développement économique qui doivent permettre à toutes les régions de la Communauté de participer progressivement aux bénéfices économiques attendus du Grand Marché sans frontières.
Aussi la réforme est-elle organisée autour de quelques principes qui devront permettre d’atteindre cet objectif général.
Objectif 1 : les régions en retard de développement dont la définition comprend les régions ayant un PIB inférieur à 75% du budget communautaire ainsi que la Corse et l’Irlande du Nord. Ces régions devront bénéficier de 80% du FEDER et les trois fonds concourront à leur développement.
Objectif 2 : les régions de reconversion industrielle et sociale définies à travers les critères suivants : :
– taux de chômage supérieur à la moyenne communautaire,
– part de l’emploi industriel supérieur à la moyenne communautaire,
– déclin de l’emploi industriel.
Participent à cet objectif le FEDER et le FSE.
Objectifs 3 et 4 : formation des jeunes de moins de 25 ans et des chômeurs de longue durée : ces objectifs correspondent à un besoin qui se présente de manière horizontale et nationale, non régionalisée. La formation n’est financé que par le FSE.
Objectif 5 a : amélioration des structures agricoles : il ne s’agit pas là non plus d’un objectif régionalisé mais d’actions horizontales d’amélioration des structures agricoles financées uniquement par la section Orientation du FEOGA.
Objectif 5 b : développement rural qui bénéficie du financement des trois fonds et ne porte que sur les régions correspondant à un certain nombre de critères :
– taux d’actifs agricoles,
– valeur ajoutée brute par unité de travail agricole,
– produit intérieur brut
ainsi qu’un certain nombre de critères qualitatifs.
Enfin, et bien qu’elles doivent participer aux objectifs énoncés, des fonds sont réservés aux « initiatives communautaires » qui doivent permettre à la Commission de mettre en oeuvre des actions, dans des domaines spécifiques, destinées à compléter l’ensemble des mesures incluses dans les cadres communautaires d’appui.
La création d’un marché unique est le socle même de la CEDEAO, afin d’assurer la fluidité de la libre circulation des personnes, des biens et des services entre les Etats membres. L’idée était d’unifier les règles de marché, qui restaient nationales. Mais au-delà de la suppression des barrières commerciales internes et de la politique commerciale commune, qu’il a déjà été assez difficile en mettre en place d’ailleurs. Au-delà de cela, il faut aussi fabriquer un espace sans frontières, un espace de liberté et de mobilité, avec une administration, des infrastructures et des règles unifiées.
Mais le marché unique ne doit pas seulement être un objectif économique, il doit aussi être un espace de vie commune, avec des dimensions sociales et sociétales partagées. Il s’agit pour la CEDEAO de faire face aux mutations de la technologie, de la société et de la mondialisation. Dans une situation de stagnation de la situation générale de la région[397], il faudrait un changement qualitatif pour que la CEDEAO ne soit pas plus en retard encore face aux nouveaux défis de la compétition, de la croissance et de l’emploi.
Et force est de constater que cela ne pourra pas se faire sans une préparation suffisante des citoyens des pays membres. Il faut clairement établir que grâce au marché unique, il serait plus facile pour les Etats membres de créer des emplois, de rendre la croissance beaucoup plus dynamique, et cela en diminuant le coût des transactions et en ayant des opportunités d’investissement et d’innovation beaucoup plus large grâce à un espace économique plus vaste.
La matérialité de la CEDEAO ne peut se résumer à la production de normes juridiques, encore faudrait-il que les dites normes soient intégrées par les citoyens, et pour cela il aurait fallu investir beaucoup plus dans l’information concernant notamment la nécessité d’avoir des infrastructures communes et de politiques industrielles. Il faut également insister sur le fait « qu’un marché exige la formation de citoyens, d’acteurs, de sociétés civiles capables de se l’approprier et d’y prendre des initiatives. »[398].
On ne peut pas nier que beaucoup de choses ont été accomplies avec la liberté d’établissement des entreprises dans d’autres pays de la Communauté qui est maintenant[399] , la circulation des capitaux et celle des marchandises également est en marche avec la « création du conseil régional des marchés de capitaux en janvier 2013, chargé d’étudier et de mettre en œuvre un marché intégré en CEDEAO, un passeport commun pour les courtiers devrait voir le jour bientôt[400]. Il leur permettra d’opérer sur les quatre places boursières d’Afrique de l’Ouest, « et aux investisseurs de n’avoir qu’une porte d’entrée »[401]. Les étapes suivantes comprendront une reconnaissance mutuelle des visas (l’autorisation d’une émission par un régulateur sera reconnue par tous les autres) et la création d’une plate-forme unique pour certaines valeurs, « essentiellement pour les grandes entreprises » »[402].
Mais les autres dimensions du marché, notamment la circulation des services et celle des personnes, sans parler des réalisations sociales et environnementales sont loin d’être accomplies. L’une des plus grandes lacunes du droit de la CEDEAO est l’absence d’un droit social ouest-africain qui serait fondé sur le principe de non discrimination, mais la mise en place d’un tel droit qui est évidemment un vrai choc dans beaucoup de pays.
Avec les préoccupation de développement durable et les nombreuses exploitation minières et agricoles qui prédominent dans les pays membres, un droit ouest-africain de l’environnement qui serait très supérieur au national et qui fait référence internationale serait également nécessaire.
C’est par ce genre de lacune que transparaît à quel point le droit communautaire de la CEDEAO reste encore à construire. Alors que les droit des autres organes d’intégration comme l’Union européen, ont réussi, par les mutations qu’ils ont initié et accélérer à changer le monde.
En effet, « La révolution de l’information et des technologies et l’abaissement massif des coûts d’information et de communication à l’échelle transnationale ont permis d’internationaliser la recherche, la production et la distribution, avec la segmentation et la restructuration des chaines de valeurs, et une imbrication inouïe des services et des produits »[403].
De même, la globalisation financière a permis de briser « la tutelle étatique du financement et imposé un capitalisme patrimonial, où la relation nouvelle des actionnaires et des managers rompt le compromis capital-travail. Quant à la montée des pays émergents comme la Chine et l’Inde, elle était encore complètement sous-estimée par l’Union européenne en 1999, à l’époque de la réunion de l’OMC à Seattle. Le besoin d’élaborer une stratégie de compétitivité de l’Union était rarement perçu. On pensait avoir de l’avance en matière de technologies et de savoirs, et être assez armés pour affronter les défis de la compétition, pourvu qu’on réussisse à bâtir notre marché intérieur »[404].
La matérialité attendue de la CEDEAO aurait donc permis de mettre en place tout l’arsenal juridique, institutionnel et administratif nécessaire pour le parachèvement du marché intérieur, et cette mutation nécessitera également la création de la monnaie unique qui n’a toujours pas vu le jours .
« Un vaste chantier de normalisation a permis de bâtir un socle de marché et des règles de concurrence. Le souci est grand de ne pas régresser avec le risque de remettre en question les fondements mêmes de l’entreprise. Mais la viabilité de ce qui est engagé et l’achèvement du marché unique exigent des corrections et des développements considérables »[405].
Aujourd’hui, l’acceptation d’un marché unique et d’une monnaie commune est affaiblie. Surtout quand on regarde à quel point l’organisation de référence, ce modèle de réussite qu’est l’Union européenne est affaiblie par la tentation des replis nationaux visible, caractérisé par l’euroscepticisme qui va en grandissant.
« La légitimité des États se fonde sur la responsabilité des fonctions collectives de la croissance : cohésion, investissements stratégiques, biens publics… »[406].
La stratégie de la CEDEAO doit impérativement miser sur des politiques nationales sur ces questions et mettre en évidence les besoins de complémentarité entre la coordination de ces politiques et les politiques communes de marché intérieur. Que ce soit sur les questions de l’économie, de l’emploi, de la compétitivité ou encore la protection sociale, d’autant plus que cette dernière question constitue une condition très importante dans l’effectivité réelle de la liberté de circulation dans l’espace commun de la CEDEAO.
Le Traité constitutif de la CEDEAO prévoit déjà que les Etats membres doivent mettre en commun leur effort pour faire se développer le marché commun dans neuf de ses chapitres[407], mais les termes choisis pour la rédaction du Traité parlent de coopération et non de réelles politiques communes qui auraient vocation à s’appliquer par priorité à la politique nationale. Et même si le terme « harmonisation » associé à la « promotion du développement régional » est évoqué à chaque fois, le texte ne se montre pas assez vigoureux quant à l’obligation qui incombe aux États membres de fournir tous les efforts nécessaire pour arriver à cette harmonisation.
Elle reflète en effet la frilosité, les hésitations et les replis nationaux[408] face à certaines avancées institutionnelles, illustrant l’inquiétude des États membres[409] face à une possible extension de la compétence communautaire de faire voter en son sein la direction de la politique commune dans les domaines définis dans les article IV à XII du Traité. Et que soient donc soumises au vote toutes les décisions importantes dans lesdits domaines.
Or une telle extension des compétences de la Communauté permettrait de de résoudre tous les risques de blocages et les risques liés à une moindre efficacité de la politique commerciale extérieure qui nuisent actuellement au dynamisme de la région.
Les risques de blocage pourraient survenir, par exemple, du fait que le commun accord des États membres est nécessaire pour la conclusion des accords O.M.C., même pour les dispositions relevant de la compétence communautaire, puisqu’il s’agit d’un accord « mixte » signé conjointement par la Communauté et les États membres. De plus, une absence de ratification par un ou plusieurs États de l’accord relevant de leur compétence pourrait entraîner la non-entrée en vigueur de l’accord dans sa totalité. Il faudrait donc se montrer favorable à la réduction au maximum des cas de mixité par le transfert de compétence.
En ce qui concerne l’efficacité de la politique commerciale, l’hypothèse d’un veto émis par un Etat membre constitue toujours un risque pour la négociation communautaire et risque d’affaiblir la Communauté dans le jeu des relations commerciales.
Mais les Etats quant à eux, on visiblement plusieurs craintes. Celle d’abord, d’ordre tant politique que juridique, d’être écartés de la négociation et de la conclusion des accords commerciaux internationaux. Celle ensuite, relative aux conséquences internes que pourrait produire un passage au vote dans les nouveaux domaines que couvriraient la compétence communautaire, c’est-à-dire les services et les droits de propriété intellectuelle.
En effet, en ce qui concerne le premier point, les gouvernements craignent qu’une extension de la compétence communautaire aux domaines précités ne mettent définitivement fin aux accords mixtes et donc de leur souveraineté commerciale.
Ici, non seulement le transfert serait total, à l’instar des autres instruments commerciaux, mais d’un point de vue procédural, le vote les exclurait de la décision de conclure l’accord en supprimant leur droit de veto. En tous cas, ceux mis en minorité ne pourraient s’opposer à sa conclusion.
Les répercussions internes pourraient être, quant à elles, de deux sortes. Tout d’abord, du point de vue de la répartition des compétences entre la Communauté et les États membres, la conclusion de tels accords à la majorité qualifiée pourrait avoir des conséquences dans les secteurs où les États conservent une compétence totale ou concurrente résiduelle au plan interne : éducation, formation professionnelle, la culture, la santé.
L’abandon de souveraineté réalisé au plan externe pourrait avoir pour équivalent un abandon interne non souhaité, dès lors que tout accord conclu par la Communauté impliquant une mise en œuvre interne, exigerait l’adoption d’actes correspondants sous peine de s’exposer à une procédure de rétorsion devant l’O.M.C.
De même, les États seraient dans l’obligation de prendre les mesures adéquates pour l’intégration de ces accords dans leur ordre national au détriment de leur compétence, au risque de s’exposer à une action en manquement. Certains gouvernements craignaient qu’il n’en résulte une harmonisation non voulue du droit interne, et qu’à terme, l’existence de compétences externes et leur exercice par la Communauté mène implicitement à l’attribution de compétences exclusives au plan interne, rendant la construction européenne dépendante de la négociation internationale.
Au final, on s’aperçoit alors que, du fait de cette frilosité des Etat, l’harmonisation « qui a pour pendant l’intégration des systèmes d’échanges et de production des États membres, cet objectif souvent implicitement énoncé par les actes constitutifs des organisations communautaires ne mobilise pas les instruments nécessaires à sa réalisation »[410].
De profondes réformes doivent être menées afin de rendre réellement efficace toutes les « stratégies » communes afin de rendre la région plus productive, dynamique et lui faire occuper une place de choix au niveau international.
Titre II : La maigreur des résultats engendrés dans la règlementation des échanges
Chapitre 1 : Les résultats discutés de la réglementation des échanges dans l’espace ouest-africain
Section 1 : L’évolution de l’économie générale de la CEDEAO
L’étude des réalisations économiques de la CEDEAO constitue une part importante de notre travail, dans la mesure où ces réalisations constituent un pilier important du progrès de la zone d’intégration.
Le commerce tiendra une place non négligeable dans cette étude consacrée aux réalisations économiques. La raison en est que le commerce est l’un des vecteurs de croissance économique et il constitue un baromètre assez fidèle pour appréhender la conjoncture économique de la sous-région.
Pour ce qui concerne la région CEDEAO, il faut souligner le fait que c’est une région où le commerce a toujours tenu une place de premier ordre dans la préoccupation des décideurs politique. Preuve en est le fait que les pays de la sous-région se soient ouverts assez tôt, non seulement entre eux, mais également au reste du monde dans le cadre de son insertion dans l’économie mondiale.
Ainsi, on peut déjà noter l’ouverture de la sous-région au commerce international un peu avant le 16è siècle, avec le commerce de produits tels que le sel, perles, cotonnades contre kola, ivoire. Puis à partir du 16è siècle avec l’émergence du commerce triangulaire dominé par la traite des esclaves. Dans le même temps, les pays de l’Afrique de l’Ouest sont devenus une des sources principales d’approvisionnement en matières premières brutes pour les industries des métropoles : France, Grande-Bretagne, Portugal.
Mais cette première phase dans l’ouverture de la sous-région n’a pas apporté des résultats réellement positifs. Car elle a surtout contribué à reléguer les pays de la sous-région à la marge du commerce mondial avec une contribution pour moins de 0,5% aux transactions commerciales internationales[411].
Après l’indépendance, les pays membres de la sous-région ont voulu instituer des changements destinés à faire émerger leur économie par le moyen de la consolidation des relations commerciales avec l’Europe tout d’abord, et par la promotion des regroupements économiques régionaux considérés comme un vecteur du développement des échanges intracommunautaires ensuite[412]. Un projet ambitieux, mais qui malheureusement n’ont pas eu les résultats escomptés, ainsi que nous pouvons le constater aujourd’hui.
D’abord concernant la première phase du projet, dans la concrétisation, des réalisations peuvent pourtant être constatées, telles que l’institution d’une zone de libre entre l’Europe et les pays africains qui est certes tacite mais qui a pu voir le jour grâce aux conventions de Yaoundé et de Lomé avec lesquelles l’Europe a accordé des préférences commerciales aux pays ACP en général et à ceux d’Afrique en particulier : les matières premières des pays ACP peuvent entrer dans les marchés des pays de la Communauté européenne en franchise de droits de douanes.
Cette mesure était accompagnée de mécanismes destinés à stabiliser les économies des pays membres, et cela afin d’atténuer les effets de l’imperfection des marchés et des chocs internes, tels que les catastrophes naturels. Le Fonds Européen de Développement a été également institué pour le financement des infrastructures nécessaires pour la structuration de l’économie nationale des pays africains parties au projet.
Malheureusement, ces relations avaient un caractère unilatéral qui n’était pas sans rappeler la situation avant l’indépendance. En effet, les mesures mises en place étaient surtout destinées à garantir aux unités industrielles de manière à régulariser l’approvisionnement des pays européens en matière première.
Ce qui a conduit à délaisser des secteurs entiers et gâcher l’énorme potentiel de la région en matière économique. La marginalisation dont les pays africain voulaient tellement sortir s’est installée plus que jamais et dans les années 90, les pays africains représentaient toujours moins de 1,7% des échanges mondiaux.
La seconde démarche qui consistait à initier des ensembles économiques régionaux, comme un des moyens les plus efficaces de promotion du marché régional et des échanges intracommunautaires a eu des résultats plus que mitigés.
En effet, si elle a permis la création d’ensemble économique régional, comme la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Dans les faits, ces ensembles économiques régionaux se sont trop longtemps cantonnés au traitement des questions politiques et sécuritaires, sans qu’aucune base économique solide régionale aie été mise en place. Ce qui a fait que « la plupart des marchés des Etats membres de l’union ont fonctionné comme des relais des maisons de traite : agents de collecte des matières premières sans valeur ajoutée à bas prix et de distribution des produits manufacturés provenant de la métropole »[413].
La démarche a donc certes permis aux pays membres d’organisation d’intégration telle que la CEDEAO de disposer d’une zone de libre échange facilitant la libre circulation des hommes et des biens. Mais le manque de base solide caractérisant leur économie et qui se matérialise par les multiples fragmentations n’a pas encore permis la sortie de la paupérisation de la population et l’exploitation de tout le potentiel économique de la région[414].
C’est dans l’optique de remédier à ces problèmes qu’il a été procédé à la révision du traité de la CEDEAO en 1993. Le but des pays membres était d’installer un marché régional stable par le biais de la libéralisation des échanges. « Au terme de son achèvement en 2003, les produits du crû du règne animal et végétal et de l’artisanat devraient circuler en franchise de droits de douanes dans l’espace communautaire. Quant aux produits transformés, ils devront justifier d’au moins 35% de la valeur ajoutée locale, pour bénéficier des mêmes conditions de circulation dans l’espace communautaire. »[415].
Aujourd’hui qu’en est-il de la situation économique de la sous-région ?
Para 1 : L’environnement économique de l’espace communautaire
Nous avons déjà vu que des instruments juridiques ont été mis en place pour améliorer le climat général des affaires au sein de l’espace économique de la CEDEAO, il s’agit maintenant de voir si dans la pratique, ces instruments ont apporté les changements attendus et s’ils ont contribué à stabiliser et à assainir l’environnement intérieur de l’espace économique de la CEDEAO, surtout en ce qui concerne l’amélioration des échanges intracommunautaires.
Cette partie de notre travail va nous permettre d’identifier ce qui fait la base des échanges intracommunautaire de la CEDEAO, mais également d’identifier si les efforts menés ont bien trouvé échos auprès des premiers intéressés : les acteurs du développement économique.
Sur le plan économique et commercial, il nous semble qu’il n’est pas exagéré de dire que les choses évoluent très lentement en Afrique en général, et dans l’Ouest également malgré les réformes entreprises au cours des vingt cinq dernières années dans le cadre des différents ajustements structurels qui se sont succédés.
Cependant, les efforts réalisés sont indéniables : la mise en œuvre du principe de la libre circulation a ainsi permis de faire évoluer les choses. Ainsi, même si elle contribue très faiblement aux échanges commerciaux internationaux. En valeur, elle ne représente que 0,7% des exportations mondiales et 0,5% des importations, il faut noter qu’elle représente la première région exportatrice de cacao du monde.
De plus, le commerce global récent de la CEDEAO s’est accru en moyenne de 18% par an entre 2005 et 2010. Mais cette évolution s’est faite en dents de scie. En 2006, le commerce s’est accru de 28% par rapport à 2005 et n’a progressé que de 1% en 2007. Il a enregistré un bond de 57% en 2008 avant de plonger à -33% en 2009. Il a repris son accroissement en 2010 en progressant de 36% par rapport à 2009.
La forte hausse en 2008, de plus de 100% par rapport à 2005, s’explique toutes choses égales par ailleurs, par l’exacerbation de la crise économique et alimentaire qui a entraîné des importations massives de biens non alimentaires, dont les facteurs de production, pour contenir à terme l’envolée des prix des denrées de base de 2007. Les importations ont ainsi atteint 108 002 millions $US contre 102 068 millions $US d’exportations et 3 178 millions $US de réexportations. Mais les importations alimentaires ont reculé en 2008, affichant 10 215 millions $US contre 11 862 millions $US en 2007.
Leur relance en 2009 et 2010, avec respectivement 10474 millions $US et 10500 millions $US, montre que les importations des biens de consommation courante n’ont pas eu un effet immédiat très significatif dans la maîtrise de la crise alimentaire. Mais si la crise a réduit les exportations limitant ainsi les capacités d’autofinancement interne de la CEDEAO de ses importations en 2007 et 2009, elle a paradoxalement favorisé le bond commercial de 2008 essentiellement induit par les exportations de combustibles du Nigeria qui ont affiché 74 839 millions $US contre 51 998 millions $US en 2007 et 44 942 millions en 2009.
La structure sectorielle de l’économie ouest africaine a peu évolué : elle comprend un secteur primaire, secondaire et tertiaire qui contribue respectivement à hauteur de 45%, de 22% et de 33% à la formation du PIB régional.
Il y a les produits miniers, les produits agricoles, mais également les produits industries, ainsi que des activités de service.
L’Afrique de l’Ouest est un véritable réservoir en matière de ressource minière, des ressources qui sont, exportées à l’état brut pour la majorité des transactions. Ces produits ce sont surtout :
- Des produits pétroliers : quatre pays membres disposent de réserves importantes en cours d’exploitation : avec en tête le Nigeria qui produit dans les 2 200 000 barils par jour ; il y a ensuite le Ghana qui produit 120 000 barils par jour ; la Côte-d’Ivoire et ses 50 000 barils par jour, et enfin le Niger et ses 20 000 barils par jour. Les produits pétroliers sont les premiers en tête des transactions commerciales de la région. Le gaz est compris dans cette catégorie de produit.
- Le fer. La région CEDEAO produit près 27% de la production africaine de minerai de fer.
- De l’uranium. A travers le Niger, la région possède une des plus importantes réserves d’uranium d’Afrique. En 2007, les réserves du Niger étaient évaluées à 243 mille tonnes, devant celles de la Namibie 176 mille tonnes.
- De la bauxite. La Guinée Conakry fournit presque la totalité de bauxite sur le marché mondial.
- Le manganèse. L’Afrique fournit environ 45% de la production mondiale de manganèse et les 34% de cette production viennent de la région CEDEAO.
- De l’or, les principaux pays producteurs de l’or sont le Ghana, où la production a connu une hausse de 45% l’année 2016 avec 4,1 millions d’onces (contre 2,1 millions d’onces l’année précédente)[416]. Le Mali où il représente 23% du PIB et 70% des recettes d’exportation en 2016. En enfin il y a le Burkina-Faso qui a exporté à 180 milliards de francs Cfa, contre 120 milliards pour le coton en 2009.
« L’exploitation minière contribue pour 19,3 % à la formation du Produit Intérieur brut de l’Afrique de l’Ouest en 2006 (PICAO, 2010) »[417].
Les produits agricoles exportés par la CEDEAO sont très varié, mais les plus en vue sont :
- Le Cacao: il s’agit de l’un des produits les plus demandé en Afrique et la région CEDEAO a un quasi-monopole sur sa production. Les principaux fournisseurs sont donc la Côte-d’Ivoire, premier pays producteur mondial ; le Nigéria, ainsi que le Ghana et enfin le Togo. Le volume de la production est passé de 880 000 tonnes en 1980 à 2 672 000 tonnes en 2006, soit 66% de l’offre mondiale.
- Le coton: pour lequel l’Afrique de l’Ouest, à travers le Burkina-Faso, le Mali, le Bénin et dans une moindre mesure le Togo, le Sénégal, s’est positionnée pendant longtemps comme une des plus importantes régions exportatrices du monde. La production du coton connait une baisse tendancielle due aux effets combinés de l’incomplétude des réformes entreprises, des difficultés d’insertion dans le marché international, du fait des subventions que les pays du Nord accordent à leurs producteurs et enfin des retombées des changements et variabilités climatiques dont la région est durement confrontée. La production ouest africaine est passée de quelques 500 000 tonnes en 1980 à près 2.800 000 en 2006, avant de chuter à environ 2 000 000 de tonnes en 2010. La région se situe au 5ème rang et ne contribue qu’à hauteur de 5 % de la production internationale.
- Le café: est produit pour l’essentiel par la Côte-d’Ivoire, le Ghana, le Nigeria et le Togo. La production ouest africaine de café demeure modeste. Elle se caractérise par une baisse tendancielle au cours des trente dernières années. Le volume de la production est passé de quelques 300 000 tonnes à environ 220 000 tonnes entre 1980 et 2006.
- L’hévéa qui produit principalement au Liberia, au Nigeria et en Côte d’Ivoire et accessoirement en Guinée Conakry. Bien que le Libéria abrite la plus grande plantation du monde (48 000 ha gérés par la société américaine Firestone), l’Afrique de l’Ouest ne représente que 5% du marché mondial.
- Les fruits: notamment la banane, dont la Côte-d’Ivoire (250 000 tonnes en 2010) et dans une moindre mesure la Guinée Conakry (5000 tonnes) sont les plus gros producteurs et exportateurs. Par contre la production et les exportations d’ananas semblent marquer le pas, avec la baisse drastique de l’offre ivoirienne (180 000 tonnes en 2000, moins de 30 000 en 2010). Cependant la production issue des petites exploitations familiales est en expansion au Bénin et dans une certaine mesure au Nigeria. A ces fruits, il faut ajouter les noix de cajou pour lesquelles, la Guinée Bissau, le Nigeria et le Bénin sont les plus gros producteurs.
- Les autres produits agricoles : La diversité des systèmes agro-écologiques confère à l’Afrique de l’Ouest, une large gamme de produits agro-pastoraux qui alimentent les échanges régionaux. Il y a dans cette catégorie les tubercules et racines, au rang desquels figurent l’igname et le manioc. L’Afrique de l’Ouest constitue la première région mondiale productrice d’ignames, avec une offre estimée à 50 millions de tonnes en 2010. La production de manioc (72 millions de tonnes en 2010), et ses nombreux dérivés, notamment les produits à forte valeur ajoutée comme l’amidon, le tapioca est devenu un des produits stratégiques de la région.
Il y a également les céréales sèches (mil, sorgho, maïs) et le riz dont l’offre régionale a été multipliée par 3,5 entre 1980 et 2010, en passant de 16 millions de tonnes à 56 millions. Les céréales constituent une des composantes essentielles des échanges commerciaux de l’Afrique de l’Ouest.
Sans oublier les produits animaux. Le cheptel de l’Afrique de l’Ouest est estimé à 60 millions de têtes pour les bovins et 160 millions pour les petits ruminants, pour l’essentiel, fournis par le Nigeria, le Niger, le Mali et le Burkina-Faso. Avec les combustibles, les transactions des animaux sur pieds constituent une des composantes majeures du commerce intrarégional.
La production industrielle de l’Afrique de l’Ouest est encore relativement faible, situation qui contribue à maintenir à un niveau bas, le volume et la valeur des échanges intracommunautaires et internationaux de la région. La part des produits industriels dans les exportations totales de l’Afrique de l’Ouest est estimée à 0,1%.
Alors que le secteur secondaire contribue pour 30,3% à la formation du PIB, la production manufacturière, par ailleurs dominée par l’agro-industrie ne contribue qu’à hauteur de 7,3% à la création de la richesse régionale (PICAO, 2010). La production est dominée par quatre pays : le Nigeria 39,7% ; la Côte d’Ivoire 23,4% ; le Ghana, 10,0% et le Sénégal, 9,3%. Les produits mis sur le marché vont des denrées alimentaires (les conserves de jus de fruits, les bières) aux combustibles (pétrole raffiné, huile à moteur) en passant par les produits chimiques, le ciment et les cotonnades etc.
Le commerce des services connaît une montée en puissance, même s’il est encore difficile d’évaluer son importance. Ainsi les transactions financières qui occupent le premier poste du commerce des services sont favorisées par l’extension régionale des grands groupes bancaires : UBA (United Bank of Africa), EcoBank, Bank of Africa, Diamond Bank, Banque Atlantique. Certaines, comme le groupe NSIA combinent les fonctions bancaires et des assurances. Les BTP et le tourisme commencent également à faire une percée sur le marché communautaire avec l’émergence des groupes d’envergure régionale. C’est le cas de la Compagnie Sahélienne d’Entreprise du Sénégal (CSE), de Kanazoé au Burkina-Faso pour les BTP et du groupe AZALAI du Mali pour l’hôtellerie. Les bases d’un commerce des services se consolident avec la naissance de grands groupes ouest africains.
Dans son ensemble, le commerce de la communauté économique ouest africaine est caractérisé par une structure bipolaire asymétrique composée d’un quarté représenté par le Nigeria, la Côte d’Ivoire, la Ghana et le Sénégal qui domine le commerce régional de par leur poids économique, et d’une « frange commerciale » occupée par les autres pays membres de la CEDEAO. Cela est vrai, aussi bien au niveau des échanges intrarégionaux, qu’au niveau du commerce global de la CEDEAO où leur poids est de 87% (133 312 millions $US par an) contre 13% pour la frange commerciale. Le quarté représente 79% des importations régionales (55 520 millions $US par an) et 94% des exportations et réexportations (77 792 millions $US par an). Il constitue incontestablement le moteur de la communauté économique ouest africaine et définit une structure concentrée du marché régional.
Mais aucune hiérarchie n’est respectée, ni parmi les membres du quarté, ni au sein de la frange commerciale, au regard de l’analyse des flux commerciaux de sorte que certains pays de la frange viennent parfois bousculer la quasi légitimité du quarté. Ainsi, le Ghana deuxième importateur de la communauté après le Nigeria occupe la troisième position dans les exportations derrière le Nigeria et la Côte d’Ivoire. Cette dernière se place en quatrième position dans les importations derrière le Sénégal.
La CEDEAO n’est que l’ombre du Nigeria qui assure à lui seul 77% des exportations et réexportations de la communauté, tous produits confondus. Il représente à lui seul 60% du commerce régional (92696 millions $US par an) et 79% des exportations hors réexportations de la CEDEAO (63702 millions $US par an).
Le Nigeria joue sa force dans les exportations de combustibles qui représentent 73% des exportations globales de la CEDEAO d’une part, et sur son marché intérieur d’autre part. Il reste le premier importateur des biens alimentaires de la région (40%). Ses importations de biens non alimentaires sont quasi équivalentes en valeur relative à celles des biens alimentaires soit 41% des importations régionales de ces biens, soit 28 994 millions $US par an.
Mais, le Nigeria est un géant dont l’économie est fortement exposée aux chocs du marché des combustibles. Ces derniers représentent 93% des exportations du pays. Ainsi le pays est moins impressionnant dans le commerce extérieur des produits manufacturés. S’il n’exportait pas de combustibles, il occuperait la deuxième place avec 20% des exportations ouest africaines derrière la Côte d’Ivoire 40%.
La grande faiblesse du Nigeria est donc sa dépendance vis-à-vis des combustibles (pétrole principalement). Mais, cette faiblesse est compensée partiellement par son important marché intérieur approvisionné par un tissu industriel relativement dense.
La production des biens au Nigeria bénéficie d’un marché intérieur dont l’importante taille – plus de la moitié de la population ouest africaine – explique que les opportunités extérieures d’exportation ne constituent pas encore des enjeux importants aux yeux des manufacturiers du pays. Le marché intérieur nigérian reste sous approvisionné par une industrie domestique dont le niveau d’exploitation de la capacité installée demeure faible.
La Côte d’Ivoire, deuxième puissance économique de la région, conserve toujours sa place, malgré la dizaine d’années de crise politique qui a déstabilisé son appareil de production économique. Elle occupe actuellement du fait de cette crise, la troisième position derrière le Ghana et le Nigeria avec 10% du commerce régional. Mais elle reste la deuxième exportatrice régionale : 11% des exportations globales hors réexportations de la CEDEAO soit 8649 millions $US par an, derrière le Nigeria. Cette deuxième place globale ne change pas en prenant en compte les réexportations.
Enfin la Côte d’Ivoire importe moins que ces partenaires du quarté en réalisant 10% des importations globales de la CEDEAO toutes origines confondues. Elle importe 13% des biens alimentaires et 9% de ceux non alimentaires de la région, ce qui la place en quatrième position derrière ses partenaires du quarté.
Bien qu’il représente la deuxième puissance commerciale de la CEDEAO avec 11% du commerce global, tous flux confondus (16 234 millions $US par an) après le Nigeria 60%, le Ghana conforte difficilement sa position parmi le quarté dominant l’économie ouest africaine. Il assure 4% des exportations et réexportations globales de la CEDEAO devant le Sénégal (2%) et derrière la Côte d’Ivoire et le Nigeria, respectivement 10% et 77%.
Mais le poids du Ghana pourrait s’accroître progressivement avec l’exploitation de son gisement pétrolier et l’augmentation de ses exportations énergétiques qui en découlerait. Toutefois le pays est le deuxième importateur régional derrière le Nigeria et devant le Sénégal et la Côte d’Ivoire avec 18% des importations soit 12587 millions $US par an).
Les importations alimentaires du pays représentent 13% (1294 millions $US par an) de celles régionales et celles non alimentaires 19% (11293 millions $US par an).
Le Sénégal représente 6% du commerce global de la CEDEAO et 5% hors réexportations soit respectivement 8893 millions $US par an et 8054 millions $US par an. Son poids dans les importations globales de la CEDEAO toutes origines confondues se réduit à 10%. Il représente seulement 2% des exportations régionales et 1% hors réexportations. Mais il se positionne en deuxième place (14%) derrière le Nigeria dans les importations alimentaires de la région. Ses importations de biens non alimentaires le plaçant en troisième position, sont d’environ 9% de celles régionales, soit 5688 millions $US par an.
Les autres membres de la CEDEAO, ceux que nous appelons les pays de la frange commerciale par rapport au quarté, présentent une situation très hétérogène. Ensemble, ils ne représentent que 21% des importations globales de la CEDEAO, 6% des exportations, 13% du commerce global. La situation est cependant très contrastée entre les pays. Cinq pays (Bénin, Burkina-Faso, Guinée, Mali, Togo) du groupe réalisent 10% du commerce global de la CEDEAO, les autres n’en représentent que 3%.
Para 2 : Les échanges intracommunautaires
Section 2 : Une intégration insuffisante des pays membres au droit de la communauté
Para 1 : Une difficile intégration politique
Le constitutionalisme, selon la doctrine, « représente un ensemble de principes de gouvernement: des restrictions effectives aux pouvoirs des gouvernants, la garantie des droits fondamentaux de la personne (allant de la liberté d’expression à la protection de La vie privée), l’existence d’un système judiciaire indépendant chargé de faire respecter ces droits, des élections libres et périodiques au suffrage universel et la consécration du droit, c’est-à-dire l’absence de toute forme d’arbitraire et l’égalité de tous devant la loi »[418].
Le constitutionnalisme suppose donc « une disposition à accepter le compromis dans les affaires publiques, une conscience des limites du pouvoir, un sens des responsabilités, et une disposition à rendre justice »[419].
Il y a donc constitutionnalisme « quand l’esprit du droit qui naît des écoles et des tribunaux dépasse ces enceintes et pénètre au même de la société et descend jusqu’aux couches les plus basses, de sorte que tout le peuple en vienne enfin à acquérir les habitudes et les goûts des magistrats »[420].
Le constitutionnalisme est important dans le processus de l’intégration économique, en effet, il permet aux Etats d’accepter plus facilement de transférer une partie de leurs souveraineté à l’institution régionale. Habitués au principe de la séparation du pouvoir, les Etats de cette manière s’assurent une stabilité politique et sociale qui règne au sein de l’organisation régionale. Stabilité qui est indispensable pour le succès du processus d’intégration.
Malheureusement, le constitutionnalisme n’est pas vraiment l’apanage des pays africains qui n’ont pas de fondements dans la tradition et la jurisprudence africaines sur lesquels ancrer le constitutionnalisme : le droit y étant considéré comme instrument de contrôle de l’élite au pouvoir ou des responsables de l’ordre social[421].
Longtemps, la doctrine s’est montrée très sceptique quant à l’avenir du constitutionalisme en Afrique. Ainsi, le professeur P.-F. Gonidec, dressant le bilan de trente années de pratiques constitutionnelles, s’était interrogé sur l’utilité même des Constitutions africaines dans son article « À quoi servent les Constitutions africaines ? Réflexions sur le constitutionnalisme africain »[422].
Il a été suivi dans ce sens par d’autres auteurs qui s’étaient eux aussi interrogés quant à l’avenir et avaient parlé du déclin du constitutionnalisme[423], de constitutionnalisme rédhibitoire[424]ou encore de « constitutionnalisme formel et irrationnel »[425].
Il faut dire que l’environnement juridico-politique post-indépendance était très instable, à tel point que « « très vite, les Constitutions furent mises en sommeil, quand les gouvernants civils n’étaient pas tout simplement renversés par des coups d’États. Le parti unique s’est finalement imposé partout »[426].
Et avec l’avènement du parti unique est aussi apparue l’affirmation de la prééminence du Président de la République. Prééminence qui « envoie à première vue à ce qui était prévu dans les Lois fondamentales de l’époque autoritaire. Aujourd’hui comme hier, et à quelques différences près (concernant notamment la durée du mandat présidentiel et la clause de limitation des mandats), la fonction présidentielle est au cœur du dispositif institutionnel. Le statut et les vastes attributions qu’elle recouvre illustrent toujours le rôle essentiel dévolu à l’Exécutif (qu’il soit bicéphale ou monocéphale) dans la nouvelle répartition des pouvoirs. »[427].
Autrefois, sous le constitutionnalisme populaire, le contact entre les constitutionnalistes et le pouvoir politique a nourri des rapports, pour le moins, contrastés[428]. Seulement, à la différence des idées de notre époque, notamment depuis le renouveau du constitutionnalisme libéral en Afrique, celles alors servies par la doctrine au parti unique et à l’État ne furent pas toujours favorables à la démocratie libérale.
L’expertise constitutionnelle des années postcoloniales tendait, pour une grande part, à adouber le monopartisme, la présidence impériale[429], voire la personnalisation du pouvoir[430]. Elle a pu aider les partis uniques à organiser juridiquement le primat de l’unité, de la nation et de la lutte contre le sous-développement au détriment des principes démocratiques.
« L’idéologie […] de la construction nationale[431] », « l’idéologie du rassemblement [432] » et « l’idéologie développementaliste [433] » justifiaient alors, dans le meilleur des cas, ce « constitutionnalisme rédhibitoire [434]» dénoncé par le Professeur Joseph Owona et, dans le pire des cas, l’écriture de constitutions fermement hostiles au pluralisme, à la séparation des pouvoirs et la dévolution concurrentielle du pouvoir politique[435] . C’est dans ces conditions, que plusieurs gouvernements réussirent d’une part, à recruter dans la doctrine les architectes de constructions politiques autoritaires et d’autre part, à adosser des formules institutionnelles controversées aux avis informés par la science.
La nostalgie de cette époque n’a pas totalement disparu de nos jours. Pourtant considéré comme un terrain propice à l’expansion des principes universels de la démocratie, le constitutionnalisme libéral génère, par certains de ces relais, tantôt des opinions dubitatives sur la compatibilité du modèle démocratique à l’environnement socioculturel africain[436] tantôt des formules qui fragilisent les supports essentiels du libéralisme politique. Il est vrai, le renouveau démocratique de la fin des années 1980 a relancé en Afrique, la production d’une doctrine constitutionnelle progressiste sur la libéralisation de l’espace politique. Néanmoins, il persiste dans les études sur les constitutions, des opinions décalées de cette ère de liberté.
Si la période postcoloniale a été caractérisée par l’autisme du politique à l’égard de la doctrine, celle qui s’ouvre après le « règne des pères fondateurs[437] » dès 1990 a créé les conditions du dialogue entre le médecin de l’État que sont le constitutionnaliste et le patient, l’État, sorti de deux décennies de traumatisme politique. Pour exorciser le constitutionnalisme africain de la présidence à vie et du « règne viager »[438], les constitutionnalistes ainsi remis en selle, appelés au chevet des États épuisés par le monolithisme et un excès de pouvoir présidentiel[439], prescrivent une thérapie de choc. Elle passe par l’ouverture à la concurrence des voies d’accès au pouvoir et par une distribution équilibrée des pouvoirs au sein de l’État.
Déjà en 1969, à l’époque du monolithisme triomphant, le Professeur Maurice Ahanhanzo-Glèlè proposait que « le présidentialisme négro-africain[440] » soit corrigé par l’instauration d’un « bipartisme constitutionnel qui permette l’existence au sein de l’Assemblée nationale d’une minorité qui serve de garde-fou au Gouvernement et éveille son attention par ses critiques ». Il faudrait, estime-t-il « prévoir dans la Constitution des moyens de contrôle de l’Assemblée nationale sur l’action gouvernementale [441]».
Cet avis, émis à contre-saison, ne reçut, comme on peut s’en douter, aucun écho favorable auprès du pouvoir politique. Au contraire, comme de nombreux autres auteurs[442] pourfendant le monolithisme et poussant à la libéralisation de l’espace politique, cette idée est battue en brèche.
Elle est contrariée par d’autres opinions nettement compatibles avec les fondements du monopartisme, théorisant la raideur d’un régime politique assis sur la primauté du chef de l’État et niant aux institutions de l’État toute vocation d’organe de contre-pouvoirs.
Plusieurs constitutionnalistes ont servi d’oracles à l’idéologie du parti unique. Ils ont ainsi facilité, par la légitimité de leur savoir, la prospérité des régimes autoritaires bâtis sur la négation des principes et valeurs qui fondent le constitutionnalisme libéral. La fin des années 1980 mit un terme à la monopolisation du pouvoir par l’accélération des réformes pluralistes.
La démocratisation de l’accès au pouvoir s’illustre par une mutation radicale opérée sur les règles de dévolution du pouvoir. Elle est aisément repérable dans nombre d’États africains et le passage des « élections sans choix[443] » ou « d’élection de ratification[444] » à des « élections [âprement] disputées [445] » est le témoignage formel de ce changement de fuseau idéologique. Dans plusieurs États en Afrique noire, ce changement de paradigme politique a contribué à neutraliser « les techniques de rétention constitutionnelle [446] » de la souveraineté du peuple[447]. Il reconfigure les principes et modalités d’organisation de l’État et des pouvoirs en son sein.
En effet, il n’échappe à aucun chercheur que depuis les processus de transition démocratique, l’Afrique noire francophone est saisie par une véritable fièvre électorale. C’est le signe des temps qui changent. Depuis lors, les élections sont plus ou moins libres et concurrentielles. L’on peut en conclure que les gouvernants cèdent aux coups de boutoir de la doctrine qui, dès 1960, n’a de cesse de diffuser le procédé et de vanter les mérites de ce mode concurrentiel de sélection de l’élite politique.
Les années d’expérience politique monopartisane[448] ont, dans la plupart des États, marqué la rupture entre la doctrine libérale et le pouvoir politique. Ces années sont l’illustration d’un double symbole : celui de la distance prise par le politique à l’égard des universitaires, mais aussi le fondement de l’autisme dont les dirigeants africains ont volontairement souffert à l’égard d’opinions considérées comme « venues d’ailleurs », taxées de discours politique dissident et ipso facto subversives.
Mais dès 1990, le changement de régime juridique pour la dévolution du pouvoir politique est significatif[449]. La nouvelle orientation affecte un point sensible du pouvoir politique, longtemps considéré comme un tabou[450] soustrait du débat public et insusceptible d’aménagement. D’un point de vue plus fondamental, la mise en concurrence des candidats donne libre cours à l’expression plurielle de courants d’idées, au débat contradictoire, à la compétition pacifique pour la conquête, la conservation voire l’exercice du pouvoir.
De la monotonie politique ou plutôt de la démocratie contrôlée, l’on est passé à une « effervescence démocratique[451] ». Elle est caractérisée par le droit ouvert aux citoyens de choisir, de reconduire ou de renvoyer leurs dirigeants par la voie des urnes sans contrainte[452].
En poussant par les idées, les constitutionnalistes – professeurs ou ingénieurs, sorciers blancs ou noirs, pèlerins[453] et exportateurs de solutions constitutionnelles – ont ainsi contribué à faire de la démocratie électorale une des pierres de touche des nouveaux édifices constitutionnels africains[454]. Ils érigent de ce fait, l’élection au rang d’unique source de légitimité démocratique des gouvernants. Cette exigence, promue de longue date, reçoit un écho favorable auprès des légistes et transparaît clairement aussi bien en droit interne qu’en droit international.
En droit interne, les lois fondamentales des États francophones protègent non seulement la liberté et la pluralité de candidatures, mais optent également nettement pour l’élection du président de la République au suffrage universel direct. Les effets[455] de cette option radicale sont considérables sur la nature des régimes politiques africains mais aussi sur le fonctionnement des nouveaux systèmes politiques. Sur un plan purement normatif, elles proscrivent tout procédé de conquête du pouvoir, autre que l’élection[456] et l’assortissent, pour certaines, face aux prises de pouvoir inconstitutionnelles, du devoir de désobéissance civile[457].
En droit international, la mise en œuvre de cette idée constitutionnelle est désormais une tendance lourde du droit international de la démocratie. En Afrique noire francophone, le surgissement de l’armée sur la scène politique est formellement prohibé[458]. L’« import-export intellectuel[459] » et la mutualisation des solutions constitutionnelles[460] accélérés par « la globalisation du droit constitutionnel[461] » ont ainsi progressivement mais durablement induit la valorisation d’un patrimoine constitutionnel commun à l’échelle du continent noir [462].
C’est de ce fonds constitutionnel constitué à partir des matériaux générés par la doctrine que l’Union Africaine[463], l’Organisation Internationale de la Francophonie[464] ainsi que les organisations sous-régionales, dont la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest[465], ont puisé les principes politiques de leur droit spécifique.
La preuve la plus éclatante du triomphe de ces idées est donc l’adoption par ces associations d’États, dès les années 2000, d’une série de codes de bonne conduite démocratique. Ils visent à assainir les élections et les mœurs politiques, à améliorer la culture démocratique et à isoler[466] au besoin, les dirigeants parvenus au pouvoir en marge de la légalité constitutionnelle. Que l’on en ait ou non la preuve matérielle, on se doute bien que l’adoption et la généralisation d’un tel principe sont en partie l’œuvre active et discrète de ces universitaires, professant dans les amphi- théâtres ou experts, grands voyageurs et pèlerins du droit constitutionnel[467] qui ont l’écoute de ces organisations mais aussi des dirigeants des États qui en sont membres. Comme pour les élections, l’incidence de l’œuvre de la doctrine peut être raisonnablement étendue à la distribution des pouvoirs.
Le style de Montesquieu relayé par le Professeur Ahadzi-Nonou à l’occasion de la leçon inaugurale de l’hommage des universitaires à Maurice Ahanhanzo-Glélé[468], a bien relevé la séparation des pouvoirs comme le « précepte d’art politique[469] » légué aux régimes politiques par le Baron de la Brède.
Dans tous les traités de droit constitutionnel[470] et depuis le célèbre De l’esprit des lois[471], la séparation des pouvoirs est considérée comme le crédo de la démocratie et un instrument de mesure de la bonne disposition des pouvoirs au sein de l’État. Ces modalités ont fait l’objet d’interprétations diverses et d’applications variables, mais sa substance n’a guère été affadie. En contractant les idées de Montesquieu[472], sans travestir l’originalité de sa « recette de science politique[473] », il est possible de la résumer en cette formule proposée par Koffi Ahadzi-Nonou :
« Au sein de l’État, et afin que tout despotisme soit écarté, devraient fonctionner trois pouvoirs confiés à des personnes ou à des corps distincts : exécutif, législatif et judiciaire. Ces pouvoirs doivent être rigoureusement “séparés” afin que la même personne ou le même corps qui fait la loi ne puisse l’exécuter ou rendre la justice[474]. »
On le sait, les constitutionnalistes utilisent cette théorie comme un étalon pour mesurer le degré de liberté dans un pays et par suite la nature de son régime. On reconnaît bien qu’aux fondements de cette recette technique se trouve une conception idéologique particulière, « un véritable dogme du libéralisme politique[475].
La séparation des pouvoirs est un principe d’ordre général et indissociable de la conception libérale de la démocratie. Elle est intimement liée à l’organisation des pouvoirs, déduite de l’idée de Montesquieu que « tout serait perdu si le même homme ou le même corps des principaux exerçait les trois pouvoirs », d’où la nécessité de distinguer dans le pouvoir de l’État, trois fonctions essentielles : celle d’édicter par l’expression de la volonté générale, les normes, celle d’exécuter et d’appliquer les normes et enfin celle de juger ou plus précisément de sanctionner l’application desdites normes.
S’adossant à ce patrimoine doctrinal, Maurice Ahanhanzo-Glèlè, dès 1982, soit au moment où le monolithisme battait son plein sur le continent africain, professa sa foi en la démocratie et en appela à la rationalisation du pouvoir politique. La démocratie, écrit-il, « étant une conquête quotidienne, et un état d’esprit, il faudrait travailler à l’avènement de son règne afin de supprimer la monocratie, pour plus de liberté, de participation et de contrôle du pouvoir. Il faut que le pouvoir arrête le pouvoir et que l’homme soit le remède à l’homme[476] ».
Aujourd’hui, l’on a déduit de ce principe, devenu cardinal pour tous les régimes politiques démocratiques, une règle simple : elle consiste pour toute constitution à articuler le pouvoir politique autour d’abord, de la distinction des trois pouvoirs classiques, ensuite de leur indépendance organique et enfin de leur spécialisation fonctionnelle. C’est en ces termes que les constitutions des États africains ont disposé les institutions.
L’on distingue formellement, et presque uniformément, les trois pouvoirs classiques : l’exécutif, souvent incarné par un président de la République[477] dont le statut[478] et la fonction[479] varient en fonction de la nature du régime politique ; le parlement[480] à chambre unique dans certains États comme le Bénin, le Burkina Faso, le Niger, le Sénégal, le Togo etc., ou à deux chambres comme au Cameroun, au Gabon, au Mali etc. et, enfin le judiciaire fait des cours et tribunaux à la tête duquel trône dans bien de cas une Cour suprême.
Au-delà de cette classification ordinaire, les constitutions africaines intègrent aussi dans l’organisation du pouvoir politique certains organes que l’on peut qualifier d’institutions de contrepoids ou tout du moins d’équilibre. Ce sont notamment les Cours et Conseils constitutionnels qui ne sont pas toujours intégrés au pouvoir judiciaire, les organes de régulation des médias, les conseils économiques et sociaux, les médiateurs de la République et bien d’autres encore. Si ces organes n’ont pas tous vocation à jouer intrinsèquement un rôle de contre-pouvoirs, leurs activités participent de l’équilibre général des pouvoirs et de la modération de la prééminence de l’exécutif.
Cependant, cette vision formaliste et angélique des textes est nuancée par la pratique institutionnelle des États. Dans la plupart des États, la séparation des pouvoirs est devenue une pétition de principe et l’action attendue des institutions de contrepoids presque un mythe. Au lieu de la séparation des pouvoirs, l’observation des systèmes politiques africains laisse apparaître un alignement des pouvoirs.
À l’exception de quelques rares États où la culture institutionnelle semble progressivement s’implanter, cet alignement se traduit par l’abaissement volontaire ou conditionné du parlement, la mise au pas de la justice au service du pouvoir exécutif, l’impuissance du juge constitutionnel face à la majorité présidentielle et l’effacement des autres organes.
Ainsi le phénomène partisan et plus spécifiquement la concordance des majorités présidentielle et parlementaire mettent en échec la fonction de la séparation des pouvoirs. Par le jeu de la majorité écrasante des partis au pouvoir, devenus dominants et quasi-uniques, le « pouvoir n’arrête plus le pouvoir ».
La distribution des pouvoirs, l’équilibre, voire la nature des régimes politiques en a pâti. Considérée et brandie par la doctrine africaine comme « un antidote au pouvoir absolu[481] », la séparation des pouvoirs était censée aider à la répartition des compétences et au cantonnement du président de la République dans un espace raisonnable. Mais à l’expérience, elle peine à faire émerger des institutions fortes.
On le voit, l’application de la séparation des pouvoirs à l’organisation des fonctions de l’État a permis aux démocraties africaines de décongestionner la fonction présidentielle. Elle fait, mutatis mutandis, amorcer la dévitalisation du tout présidentiel recherchée par les réformes libérales inspirées par les conférences nationales et engage, sans y être encore parvenue, la judiciarisation du politique[482] et plus largement des régimes politiques africains[483].
En revanche, la redistribution des pouvoirs au moyen de la séparation ne parvient nullement à faire éclore durablement et qualitativement les trois fonctions de Montesquieu. Dans ces nouveaux systèmes, la séparation des pouvoirs théoriquement aménagée n’aura jamais réussi à installer dans la pratique des institutions les « freins et contrepoids » qui équilibrent le jeu des pouvoirs. La visibilité constitutionnelle des institutions de contrepoids, contraste avec leur relative efficacité. L’émergence de la justice constitutionnelle, pourtant révolutionnaire à bien des égards, n’échappe pas à cette analyse.
Cependant, ces récentes évolutions n’ont pas encore débarrassé tous les Etats et toutes les organisations d’intégration dans lesquelles ils sont impliqués, du spectre de l’autoritarisme des trente premières années qui ont suivi l’indépendance, les trente premières années pendant lesquelles ont été pensé les organes d’intégration comme la CEDEAO.
Ce qui explique alors la concentration des pouvoirs aux mains des seuls chefs de l’Etat et également la difficulté de la mise en œuvre du processus d’intégration étant donné la jalousie avec laquelle chaque dirigeant a voulu protéger la souveraineté de son propre territoire. L’habitude du partage du pouvoir qui sert d’appui dans le processus d’intégration régional dans les organisations comme l’Union Européenne fait défaut en Afrique et mine le processus.
L’échec du processus se traduit alors par l’instabilité de l’engagement politique des Etats membres, les chefs d’Etats n’hésitant pas à renier la parole donnée ou à faire une interprétation très personnelle des accords passés en fonction de leurs intérêts propres et non en fonction de celui de la communauté. Instabilité qui peut également être le résultat d’un changement de chef d’Etat, et cela dans la mesure où il n’y a quasiment jamais de continuité dans les politiques des chefs d’Etats qui se succèdent en Afrique.
Et enfin la concentration du pouvoir rend difficile la mise en place de relations intergouvernementales a des niveaux inférieurs a celui des chefs d’Etat, ce qui ne va pas favoriser la réalisation concrète des politiques adoptées au niveau de la Conférence des Etats, les institutions chargées de les mettre en œuvre au niveau nationale ne pouvant pas coordonner efficacement leurs actions.
En bref donc, la configuration de la classe dirigeante de la CEDEAO risque d’hypothéquer les efforts d’intégrations menés par les Etats membre depuis les années CEAO dans les années 50.
Une autre remarque qu’il nous faut faire sur cette Conférence des chefs d’Etat concerne ses attributions. Selon le traité révisé, elle est « chargée d’assurer la direction et le contrôle général de la communauté » (article 7, alinéa 2).
Le problème dans cette attribution c’est qu’elle signifie qu’il revient à la Conférence, un organe très politique où chaque membre pourrait penser à affirmer d’abord son autorité en tant que chef d’Etat devant son électorat national et de faire privilégier les préoccupations nationales au détriment de celui de la Communauté.
Il revient donc à un organe aussi politique de contrôler l’organisation régionale, d’en concevoir et d’en orienter la politique générale. « La conférence décide de tout, statue en dernier ressort, exerce sa tutelle sur l’ensemble des institutions qui lui sont subordonnées et surveille le fonctionnement des mécanismes communautaires »[484]. Et cette situation ne sert pas du tout les intérêts de la Communauté.
1. Les maigres apports de la CEDEAO comme source nouvelle du droit international dans cette région
Les organisations internationales jouent un rôle important dans le processus de formation du droit de l’intégration économique socialiste. Les moyens principaux de leur activité dans ce domaine sont les résolutions. Par résolution, j’entends ici tout acte étant une manifestation formelle de la volonté de l’organe collégial.
L’influence des organisations internationales des États du Conseil sur le processus de formation du droit peut s’exprimer de manières différentes. Il convient d’abord de distinguer les trois variantes suivantes.
La résolution peut inviter les États membres à entreprendre une action concerte dans un domaine particulier. Ce genre de résolution influence d’une manière plutôt indirecte le processus de formation du droit. L’acte de l’organisation internationale constitue alors un point de départ pour la conclusion d’accords sur la base des directives formulées dans la résolution. Cette voie de procédure est particulièrement caractéristique
Des rapports dans le cadre du Conseil surtout en ce qui concerne la coordination des plans économiques nationaux et l’élaboration des programmes de spécialisation de la production. La procédure en question est particulièrement utile dans tous les cas où la réalisation pratique
Des objectifs suggérés par l’organisation internationale exigent la conclusion d’une série d’accords bilatéraux entre les États membres.
La résolution peut inviter les États membres à conclure un accord international d’abord dans le cadre de l’organisation. Dans ce cas l’influence de l’organisation sur la formation des obligations internationales devient encore plus nette et plus directe. La procédure en question est particulièrement utile quand il s’agit de la formation d’obligations multilatérales en vigueur pour une durée illimitée. En pratique, cette procédure a été applique, par exemple, dans le cas du Traité sur les règlements multilatéraux en roubles transférables et de la fondation de la Banque internationale de la coopération économique.
La résolution peut inviter les États membres t faire entrer en vigueur conformément i leurs Dilations respectives un acte dl abord dans le cadre de l’organisation internationale. Il s’agit donc de l’unification du droit interne ou de la formation d’un règlement juridique uniforme dans un domaine particulier. On a procédé ainsi par exemple pour faire entrer en vigueur dans les États membres les conditions générales des livraisons (les règles uniformes relatives aux contrats du commerce extérieur dans le cadre du Conseil). Cette procédure est pourtant discutable.
Les règles uniformes étant introduites par la législation nationale, leur origine internationale ne se manifeste pas du point de vue de l’ordre juridique interne.
Les résolutions du Conseil jouent aussi un réel important d’adaptation du traité constitutif aux besoins nouveaux et plus particulièrement au stade plus avancé de la coopération. Comme exemples caractéristiques de telles résolutions on peut citer les Principes de base de la division internationale socialiste du travail acceptés par les membres en 1962 et le Programme complexe de 1’intégration économique socialiste adopté en 1971 par la 25e Session du Conseil. Les actes de ce genre interprètent, développent et concrétisent des dispositions des statuts du Conseil.
Les résolutions des organisations internationales des États du Conseil différent par leur structure juridique. Ces différences portent aussi bien sur le mode d’adoption des résolutions que sur leurs effets juridiques. Du point de vue des effets juridiques, les résolutions du Conseil d’assistance économique mutuelle relatives à la coopération internationale ne peuvent être que des recommandations.
Les résolutions ayant le caractère de décisions sont en effet limitées aux questions d’organisation et de procédure. Des solutions différentes ont été admises dans les organisations spécialisées. Certaines d’entre elles adoptent non des
Recommandations mais seulement des décisions ou des décisions conditionnelles.
D’autres peuvent prendre aussi bien des recommandations que des décisions relatives A la coopération internationale. En ce qui concerne le mode d’adoption des résolutions, les solutions suivantes sont pratiquées: l’unanimité de tous les États membres et l’unanimité des États membres intéressés par une question concrète, donc l’unanimité relative. Le principe de l’unanimité est obligatoire dans les organisations fortement spécialisées, comme par exemple l’Organisation de la coopération de l’industrie des roulements.
L’unanimité relative en tant que règle générale est proclamée par les statuts du Conseil d’assistance économique mutuelle. Un principe analogue est aussi obligatoire dans quelques organisations spécialisées come par exemple « Interchimies » organisation de la coopération de l’industrie chimique.
Cette solution, propre au système juridique de l’intégration économique socialiste, exige une analyse un peu plus détaillée. Les statuts du Conseil ne connaissent pas de résolutions prises A la majorité des voix obligatoires pour les États mis en minorité. Pourtant, I ‘exigence de la
pleine unanimité de tous les États membres dans toute question examinée ne serait pas conforme aux intér8ts du développement de l’intégration. Tous les États ne sont pas au m8me degré intéressés aux différents aspects de la coopération.
La composition du Conseil est fortement différenciée par les dimensions du territoire, le chiffre de la population, le volume du potentiel économique, et ce qui est sans doute le plus important, par le niveau du développement économique. La possibilité de l’application pratique du principe de l’unanimité relative a donné une grande importance pour la coopération.
Cela signifie pourtant que le processus de l’intégration ne se développe pas d’une manière uniforme. La déclaration de désintéressement dans la question examinée n’empêche pas d’adopter une résolution mais limite ses effets juridiques. Les résolutions du Conseil ne s’étendent pas aux États qui ne sont pas intéressés A la question donnée. La résolution ne peut donc pas contenir d’obligation A l’adresse de ces États.
Pour apprécier la situation juridique de l’État non intéressé A la résolution, la disposition des statuts du Conseil selon laquelle cet État peut adhérer A la résolution dans un délai ultérieur est très importante. Ce droit n’est limité par aucune condition formelle. En prenant cette
disposition à la lettre on pourrait croire que l’adhésion peut consister dans une déclaration unilatérale. En pratique, pourtant, cette procédure n’est pas souvent possible en raison de l’état juridique créé par l’action des États qui sont déjà en train de réaliser la résolution. II convient encore de noter que dans l’un des organismes communs des États du Conseil récemment crées, à savoir dans la Banque nationale d’investissements, une série de résolutions peuvent 8tre prises à la majorité des voix.
Cette règle s’applique pourtant dans les cas OIT la Banque n’exerce pas les fonctions caractéristiques d’une organisation internationale mais les fonctions caractéristiques d’une entreprise, problème qui relève plutôt de la dernière partie du colloque.
En ce qui concerne les effets juridiques des résolutions, il faut procéder h certaines distinctions. Les effets de l’adoption d’une recommandation par un organe du Conseil d’assistance économique mutuelle sont les suivants: les États membres sont obligés d’examiner la recommandation et d’informer l’organisation dans un dé1ai de soixante jours des
Résultats de l’examen; le Conseil est obligé d’admettre et d’enregistrer les déclarations des États sur les résultats de 1’examen d’une recommandation et d’informer sans délai les États membres du résultat de l’examen d’une recommandation par chacun d’eux.
Les recommandations du Conseil peuvent donc être définies comme qualifiées puisque l’adoption d’une recommandation produit certains effets juridiques déterminent par le traité constitutif. Ces effets ne résultent pas du contenu d’une recommandation mais du fait même de son adoption.
Les décisions de caractère conditionnel sont prises par exemple par l’Administration de l’Organisation de l’industrie des roulements. Elles entrent en vigueur si dans un délai de trente jours A partir de la signature du procès-verbal de la séance de l’Administration, les organes compétents des États contractants n’ont pas soulevé d’objection. L’essence d’une décision conditionnelle consiste donc en ce que l’État s’oblige par la résolution de l’organisation internationale à moins qu’il ne déclare dans les délais prévus qu’il se soustrait A l’acceptation des obligations qui en découlent.
Le caractère juridique de cette solution dénommée parfois système de contraction out est discutable. Des résolutions de ce genre ont un caractère de décision, car elles n’exigent pas l’approbation formelle de l’État. Elles sont aussi des recommandations car les États peuvent
D’une manière légale ne pas s’y soumettre. La ressemblance avec les recommandations qualifiées devient encore plus nette si l’absence d’objections de la part de l’État est traitée comme 1’acceptation par omission de soulever une objections. Une telle interprétation parait plus régulière pour les décisions conditionnelles prises par les organisations spécialisées des États du Conseil. Nous avons en effet affaire A une forme simplifiée de conclusion des accords internationaux.
Les décisions relatives à la coopération internationale sont prises par certaines organisations spécialisées comme « lntermetal » (‘organisation de la coopération de la sidérurgie), elles peuvent avoir la force obligatoire sans acceptation de la part des États membres. Sur le plan doctrinal de telles décisions peuvent 8tre analysées soit comme des résolutions créatrices de droit, soit comme des accords internationaux en forme simplifie.
La première thèse pourrait s’appuyer sur le fait que les décisions en cause – comme toutes les résolutions – sont du point de vue formel des actes unilatéraux des organisations internationales. Si elles n’exigent pas d’acceptation ultérieure des États, si elles sont obligatoires d’une manière directe en tant qu’actes unilatéraux, elles ont sans doute du point de vue strictement formel certains traits des résolutions créatrices de droit.
En faveur de la seconde thèse joue le fait que les décisions en cause ne peuvent être prises qu’avec le consentement des représentants de tous les États membres, ou en tout cas de tous les États intéressés dans la question examinée. De ce point de vue, elles sont donc fortement assimi1ées aux accords internationaux.
Il reste encore à examiner les effets juridiques de I ‘acceptation des recommandations du Conseil par leurs États membres. Les États qui ont accepté la recommandation sont obligés d’assurer l‘exécution de la recommandation accepte, d’informer le Conseil sur le déroulement de l’exécution de leur recommandation. Le Conseil est obligé de coopérer avec les États membres A la réalisation de la recommandation.
Du point de vue théorique, une recommandation en tant qu’acte unilatéral de l’organisation internationale ne peut pas se transformer en source de droit. Les directives contenues dans la recommandation peuvent devenir obligatoires non pas A la suite de la volonté de I ‘organisation mais A la suite des déclarations de volonté des États qui les ont acceptes. Si donc les directives en question sont tellement concrétises qu’elles crient des obligations réciproques, il est permis de constater, tout au plus, qu’un accord international est né A la suite des déclarations conformes des États qui ont accepté la recommandation. Pourtant, A la
Lumière de la pratique du Conseil, une telle thèse ne serait applicable que rarement car beaucoup plus souvent les recommandations sont formulées en vue d’établir un point de départ pour le processus de formation du droit. Afin d’apprécier la situation juridique créée par l‘acceptation d’une recommandation par les États intéressés, il suffit donné de faire appel aux statuts du Conseil qui obligent les États A exécuter les recommandations acceptées.
2. L’exemple de l’Union européenne
L’apport des Communautés européennes A cette nouvelle catégorie de sources que sont les actes des organisations internationales est indéniable. La richesse considérable du droit communautaire s’explique par la poursuite de l’intégration économique; 1A aussi une
approche fonctionnelle parait indispensable. La très grande diversité des actes des organes des Communautés européennes est une source de complexité du système juridique communautaire. Seule l’intervention régulatrice de la Cour de Justice des Communautés européennes permet de rétablir un certain ordre.
La diversité du droit communautaire dérivé s’explique tout d’abord par la variété des objectifs à atteindre: économiques mais aussi sociaux et politiques. Le partage des compétences et des pouvoirs entre les Communautés et les États est un autre facteur de diversité. Dans certains
Domaines, les Communautés jouissent de pouvoirs importants tandis que, dans d’autres, ces pouvoirs sont beaucoup plus restreints, parfois même pratiquement inexistants. La très grande variété d’actes du droit dérivé peut 8tre classée d’après deux critères différents: la
Nature et la portée. Sans mime tenir compte des différences de terminologie du Traité de Paris et des Traités de Rome, A l’intérieur mime du système des Traités de Rome, existe une très grande diversité d’actes aux contenus différents. Les actes normatifs ou 1égislatifs du droit communautaire peuvent être subdivisés en deux sous-catégories: d’une part, des actes normatifs complets, les règlements, entièrement obligatoires, et d’autre part, des directives, partiellement normatives, car seuls les buts fixés sont obligatoires, les États conservant le choix des moyens.
On trouve aussi dans les Communautés les décisions avec un contenu spécifique. Enfin, parmi les actes du droit dérivé, figure la jurisprudence avec les arrêts rendus dans les différends contentieux de la Cour de Justice des Communautés européennes – contentieux d’annulation,
Contentieux d’interprétation, contentieux en constatation du manquement des États membres. Cette gamme d’actes est assez comparable A celle d’un État, m8me si leur nature est différente.
La portée de ces actes varie selon qu’ils sont ou non obligatoires et selon qu’ils le sont totalement, on partiellement. On peut aussi distinguer entre ces actes, en fonction de leurs destinataires. Les règlements ont une portée générale; ils lient tous les sujets de 1’ordre juridique communautaire: les États, les individus, les entreprises. D’autres actes ne lient
Que certains sujets du droit communautaire, ainsi les décisions pour les États membres ou les entreprises auxquels elles sont adressées.
La très grande complexité du droit communautaire dérivé vient de la difficulté, en pratique, de distinguer, dans certains cas, entre les actes généraux et les actes individuels. Elle tient aussi, dans une assez large mesure, A l’objet économique du droit communautaire et aux interférences entre le droit communautaire dérivé et le droit conventionnel.
Les conditions d’é1aboration du droit communautaire dérivé font que certains règlements, adoptés par le Conseil des Communautés européennes, n’ont souvent pas un caractère normatif très affirmé, mais sont des compromis entre les différentes thèses soutenues. Cette complexité se répercute dans la pratique du droit communautaire sur deux plans, en provoquant des incertitudes sur les classifications du droit communautaire dérivé et des incertitudes sur les hiérarchies du droit communautaire dérivé et du droit communautaire en général.
Incertitudes, tout d’abord, sur les classifications du droit communautaire, du fait notamment des organes communautaires; la Commission, par exemple, a tendance A rendre ses directives de plus en plus précises, de sorte que les États perdent le choix des moyens que leur reconnait
Pourtant le Traité. Lors de la crise qui avait secoué en 19é5 les Communautés européennes, l’un des reproches majeurs adressés par le Gouvernement frangeais h la Commission était précisément cette remise en cause du partage des pouvoirs entre les Communautés et les États
Opéré par les traités constitutifs. Une autre source d’incertitude sur les classifications tient & 1’existence d’actes du droit dérivé non prévus par les traités, des programmes, des déclarations, adoptais par les organes communautaires, dont on se demandera s’ils ont un caractère normatif, s’ils sont ou non obligatoires et dont on situera mal la place dans les
Hiérarchies juridiques instituées par les traitais.
Incertitudes sur les relations entre les traités constitutifs et le droit dérivé; si le droit dérivé doit 8tre conforme aux traitais constitutifs, ceux-ci, et particulièrement le Traité de Rome, sont souvent des traités cadres qui fixent des principes qu’il appartient aux organes communautaires
de développer. Tris souvent, ces principes sont si géndraux qu’en fait les organes communautaires peuvent les interpréter dans des sens tout h fait différents et changer leur façon .de les appliquer selon les besoins et selon les circonstances économiques – je citerai un seul exemple: les règles de concurrence avec toutes les gammes d’interprétation possible des principes énonces par le Traité de Rome. Incertitudes aussi dans les rapports entre les différents actes du droit communautaire dérivé; les règlements, par exemple, sont définis par le Traité comme des actes généraux, obligatoires, mais la pratique a révé1é deux sortes de règlements: des règlements de base qui tracent les grandes lignes d’une politique, et, d’autre part, des règlements d’application. A l’intérieur de la m8me catégorie juridique se forment des hiérarchies non prévues par le Traité.
J’évoquerai enfin le problème des rapports entre les actes du droit dérivé et les sources conventionnelles autres que les traités constitutifs en citant la décision rendue par la Cour de Justice des Communautés européennes dans l’affaire AETR, qui a montré les imbrications étroites entre les traités conclus par les États membres des Communautés européennes et le droit communautaire dérivé.
La seule source de certitude, le seul é1ément régulateur de cette complexité c’est naturellement la Cour de Justice des Communautés, qui peut clarifier l’ordonnancement juridique communautaire. Elle va assurer le respect des catégories d’actes prévues par les traités. Si un règlement n’a que l’apparence d’un règlement, la Cour, en examinant son
Contenu, rétablira la nature ridelle de l‘acte et acceptera qu’un particulier introduise un recours d’annulation irrecevable autrement. La Cour fera aussi respecter les hiérarchies juridiques en imposant aux organes communautaires de respecter les principes du traité. En raison du caractère souvent vague de ces principes, la Cour dépasse son réel régulateur, et, en fait, elle a un véritable rôle normatif. L’objet économique des traités lui confire une latitude d’action beaucoup plus grande. Elle l’exerce par le choix de ses méthodes d’interprétation et notamment par le recours A une méthode qualifie par M. Chevallier d’effet nécessaire, qui consiste A déduire de l’ensemble des traités et des nécessités tenant A la réalisation de l’intégration économique, certaines lignes de force du droit communautaire. La Cour adopte des positions fondamentales, dont le caractère normatif est évident sur le plan juridique comme sur le plan économique.
Para 2 : Une intégration économique mitigée
L’interdépendance croissante des économies de la Communauté et le début de la mise en place du marché unique et surtout, la vision de procéder à la monnaie unique ont rendu plus importante encore la coordination des politiques économiques, budgétaires et monétaires. Cette nécessité s’est fait ressentir dès les débuts des travaux de construction de la communauté. Elle n’a cessé d’être rappelée par les instances communautaires, Conférence et Commission. Elle figure dans le Traité de constitution de 1975.
A. Une difficile coordination des politiques économiques et financières
L’idée de base est simple, même si sa mise en œuvre est particulièrement complexe. L’Europe communautaire a fait le pari (et le choix) du libéralisme économique. Sa logique est celle de l’économie de marché : priorité à l’offre concurrentielle dans un environnement monétaire stable.
Dès lors, tous les États membres sont à la fois concurrents, par exemple pour attirer l’épargne nécessaire à leurs investissements, et nécessairement solidaires. Tout dysfonctionnement dans un pays risque d’être une source de perturbation pour l’ensemble de la Communauté. Inversement, une politique monétaire commune fondée sur une monnaie unique exige une convergence des politiques financières et des politiques économiques.
Sinon certains États membres, faute de pouvoir disposer de cet instrument d’adaptation qu’est une politique monétaire autonome, risqueraient de se voir confrontés à de graves difficultés internes.
Mais une coordination entre politiques économiques et financières s’avère particulièrement difficile. D’abord, parce qu’elle suppose, pour être effective, qu’un certain nombre de préalables soient levés. L’harmonisation des politiques implique une harmonisation parallèle de l’environnement dans lequel ces politiques vont s’exercer.
Première condition : l’harmonisation des systèmes fiscaux des États membres, nécessaire si l’on veut éviter de trop fortes distorsions de concurrence. Sur ce point de nombreuses difficultés sont apparues, et très peu ont été définitivement aplanies. L’un d’entre ces problèmes concerne la TVA, aussi bien en ce qui concerne le taux normal que le mode de perception. Il a fait l’objet d’un compromis avec la mise en place du Tarif Extérieur Commun de la CEDEAO mais on attend encore l’établissement d’un régime définitif[485].
Autre préalable technique : la création d’un marché unique des capitaux et des services financiers. Cette étape de la réalisation de l’intégration en Afrique de l’ouest est encore très loin d’être achevée.
Tenant compte de toutes les difficultés auxquelles doivent encore faire face les pays membres de la CEDEAO au niveau de l’acceptation et de l’imprégnation de la nécessité de cette intégration, ce n’est pas une réelle surprise.
Par comparaison, la création du marché commun (puis unique) européen a pris des décennies. De plus, la mise en place des coordinations d’envergure comme la coordination bancaire par exemple sonne un peu comme une utopie malheureusement. Quant à l’harmonisation au niveau des droits nationaux, nous sommes encore loin des efforts fournis par les pays membres de l’Union européenne qui, après l’adoption en juin 1989, de la deuxième directive de coordination bancaire a procédé, dès le 1er janvier 1990, à la suppression des derniers éléments du contrôle des changes. Rendant ainsi, pour la première fois depuis 19939, la circulation des capitaux dans le pays totale, pour les entreprises comme pour les particuliers. Cette décision a manifesté, plus que toute autre, l’ouverture de la France sur l’extérieur, mais aussi la nécessité de mener une politique économique dominée par le respect des équilibres fondamentaux.
Il faut aussi dire que tous ces préalables techniques qu’il faut prendre en considération s’inscrivent eux-mêmes dans une problématique plus générale : tous les États de la Communauté sont-ils en mesure de satisfaire aux conditions financières et budgétaires qu’implique l’acceptation de la discipline libérale ? Ce ne sont pas, en effet, les seuls modèles financiers étatiques qui sont en cause, et qui varient de pays à pays, ce sont aussi et surtout les structures et les rapports sociaux qui subiront à la longue (et subissent déjà) les effets de la nouvelle donne communautaire.
Néanmoins, la volonté collective d’harmonisation des politiques économiques, budgétaires et financières est désormais inscrite dans les textes et constitue, ce qui est encore plus important, une nécessité au regard des exigences de la monnaie unique. Reste à savoir comment en mesurer le progrès, et comment en faire respecter l’application.
B. La faiblesse du système de surveillance multilatérale des évolutions économiques dans la CEDEAO
Un système de surveillance multilatérale des évolutions économiques a été mis en place par la Commission et le Conseil. À l’origine les « indicateurs de convergence » retenus prenaient essentiellement en compte le taux d’inflation dans chaque pays, la situation des finances publiques, et l’état de la balance des paiements courants[486].
La Commission et le Conseil des ministres des Communautés devaient procéder à dates fixes à l’examen de ces paramètres, et pouvaient adresser des recommandations à l’État concerné. C’est notamment dans ce cadre que rentrait la procédure de surveillance des déficits publics. Le dispositif a été fortement renforcé par le Pacte de stabilité et de convergence adopté en 1999.
Ce dernier, qui a prévu l’obligation pour chaque État membre de soumettre chaque année à la Commission et au Conseil un « programme de stabilité », permet au Conseil, en cas de dérapage budgétaire d’un État membre, de proposer des mesures correctives, et éventuellement d’imposer des sanctions financières à l’État récalcitrant.
Il s’agit d’un système qui est un peu copié de celui de l’Europe. Mais à l’épreuve des faits, il a quand même déjà montré quelques failles. Il a des limites qui sont à la fois techniques et politiques. Ainsi, au début de 2002, la Commission et le Conseil européen ont renoncé à adresser à l’Allemagne, dont les déficits en 2001 s’étaient approchés de la barre des 3 %, une « alerte rapide » ou « avertissement préventif » (« early warning »), qui n’aurait été pourtant que la première étape de la procédure prévue. Dès l’origine, ces dispositions avaient d’ailleurs été critiquées sur le plan technique (à propos, par exemple, des critères chiffrés en matière d’amendes).
La France s’est trouvée dans une situation identique à l’Allemagne dans la mesure où son déficit pour 2002 était de 3,1 % (4,1 % en 2003)[487]. La Commission européenne, à l’automne de 2003, a présenté des recommandations au Conseil concernant les deux pays. Celles-ci avaient pour objet de mettre en demeure ces États de réduire d’ici à 2005 leur déficit public.
Le Conseil, lors de sa réunion du 25 novembre 2003 n’a pas adopté les recommandations de la commission faute de majorité qualifiée (l’Italie, le Portugal et le Luxembourg ayant apporté leur soutien à l’Allemagne et à la France). En revanche, il s’est prononcé pour une suspension des procédures pour déficit excessif.
Face à cette fin de non recevoir la commission a décidé de saisir la Cour de justice des Communautés européennes[488] qui, dans un arrêt de 13 juillet 2004, a annulé les conclusions du Conseil. La position prise par la CJCE a constitué un signal clair en direction des États ; elle leur a signifié que même si les règles du Pacte de stabilité et de croissance s’avèrent gênantes, ils ne peuvent les enfreindre pour autant.
Par conséquent la seule voie possible était celle d’une réforme de ce Pacte[489]. Ce fut la voie choisie par le Conseil européen de mars 2005 qui décida d’en assouplir les règles. Les principes suivants furent ainsi retenus : la procédure de déficit excessif n’est pas engagée lorsque le pays est en situation de récession ; elle ne peut par ailleurs être prise qu’après l’examen des « facteurs pertinents » démontrant qu’il est justifié de la suspendre ; les délais font également l’objet d’un allongement (deux années au lieu d’une pour réduire le déficit, voire même plus en cas « d’événement économique inattendu ayant des conséquences graves pour le budget survenant pendant la procédure »).
Chapitre 2 : La marginalisation de l’espace CEDEAO dans le commerce mondial.
L’espace économique de la CEDEAO est une véritable référence en Afrique en matière d’intégration, au même titre que l’UEMOA et l’OHADA. Mais cette renommée cache cependant des faiblesses qui ne peuvent être ignorées. Les pays membres de la CEDEAO ne sont pas suffisamment représentés sur le plan du commerce mondial.
Section 1 : L’ouverture vers le marché extérieur
L’ouverture vers le marché extérieur est le but principal de la mise en place de la CEDEAO. Mais le bilan est plus que mitigé dans ce domaine.
Para 1er : La mise en œuvre controversée des APE dans l’espace CEDEAO
Les pays membres de la CEDEAO sont membres dans l’accord de partenariat avec l’Union européenne, qui constitue l’un des plus importants partenariats de ce genre dans la zone mais qui soulève également beaucoup de questionnement.
A. Le partenariat économique avec l’Union Européenne
Les relations de l’Union européenne avec les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique présentent de nombreuses particularités qui font de l’association instituée une association atypique. Ces particularités résultent directement des caractéristiques des partenaires, au nombre de 78, localisés dans trois espaces géographiques distincts et constituant, pour la quasi-totalité[490], des pays en développement.
Dès lors qu’il a été envisagé de régir les relations avec ces pays au travers d’un seul instrument conventionnel commun, ce dernier n’a pu être construit suivant le modèle des accords d’association bilatéraux ou même bi-régionaux.
Les institutions ont donc été adaptées au grand nombre de participants à l’accord. Certes, l’accord de Cotonou[491], qui régit actuellement la relation associative ACP-UE, couvre les trois composantes matérielles de l’accord d’association – dialogue politique, libéralisation des échanges et la coopération multi-dimensionnelle. Néanmoins, ce n’est pas sans quelques ajustements tenant tant à la finalité du partenariat associatif qu’aux caractéristiques et au nombre des partenaires.
Ainsi, à la différence de l’ensemble des accords d’association actuels, qui instituent, quoique souvent de manière progressive, une zone de libre-échange, l’accord de Cotonou ne constitue pas à proprement parler un accord de libre-échange. Il se contente de le préfigurer en prévoyant la négociation spécifique d’accords de partenariat économiques ayant vocation à s’inscrire dans le système juridique établi par l’accord de Cotonou[492].
Les accords de partenariat économiques[493] constituent l’instrument de concrétisation de la dimension économique et commerciale des « stratégies de coopération » de l’accord de Cotonou. Une telle concrétisation reste néanmoins soumise aux aléas de la négociation internationale, lesquels sont particulièrement nombreux s’agissant des pays ACP.
En effet, les accords de partenariat économique envisagés sont bi-régionaux, impliquant dès lors l’existence préalable d’une intégration économique régionale opérationnelle avec laquelle négocier.
De surcroît, tous les partenaires ACP n’ont pas nécessairement intérêt à la négociation de ce type d’accord[494] notamment les plus pauvres d’entre eux qui, en vertu d’un instrument unilatéral institué par l’Union – le système de préférences généralisées[495] sont déjà en mesure d’exporter leurs produits vers l’Union européenne en franchise de droits de douane sans avoir à lui offrir la réciprocité qu’implique nécessairement un accord de libre-échange.
B. Les critiques de l’accord
Indissociable de l’ensemble de ses précédents associatifs, l’Accord de partenariat n’en devait pas moins être négocié en prenant en compte un contexte nouveau. Au Nord comme au Sud, on porte un regard de plus en plus critique sur l’expérience associative. Toujours jugée indispensable, l’association apparaît peu probante. La sensation est partagée qu’il ne sera plus possible à l’avenir d’isoler la coopération spécifique ACP-CE du mouvement général de la mondialisation, plus particulièrement lorsqu’il répond à l’impulsion de l’OMC.
Le contexte géopolitique caractérisé par l’effondrement de l’ancienne URSS exclut toute tergiversation. Une mutation dans la continuité apparaît inévitable. Les négociateurs doivent faire oeuvre originale et dégager des orientations nouvelles témoignant d’objectifs clairs, en nombre plus limité, de principes fondamentaux aux implications exigeantes, d’un esprit de dialogue susceptible d’impulser des coopérations privilégiées.
Plusieurs paramètres devaient être pris en considération par les négociateurs d’un nouvel accord. Les résultats de la coopération étaient trop rarement à la mesure des résultats escomptés ; la politique de Lomé avait peut-être freiné le sous-développement, elle ne l’avait pas empêché. Surtout, les contraintes internationales s’avéraient de plus en plus pressantes.
1. Résultats décevants de la coopération associative : Préférences spéciales non réciproques objet de critiques
Les préférences, en dépit de leur non-réciprocité, ou, précisément, à cause de leur non-réciprocité, n’ont pas contribué, à quelques exceptions près (l’île Maurice, La Barbade, la Jamaïque, le Botswana), à favoriser une pénétration du marché commun. Faute de concurrence à l’abri de leurs propres tarifs, faute également d’une production compétitive à l’échelle d’un marché national ou régional conséquent, en l’absence d’investissements étrangers directs de nature à conférer une valeur ajoutée à des produits primaires, et faute d’avoir pu ou su accompagner la commercialisation de leurs produits exportés, les États ACP ne sont pas parvenus, pour la plupart, à développer leurs propres exportations.
Les exportations à destination du marché communautaire ont même diminué globalement et la part du marché communautaire est passée de 6,7 % en 1976 à 3 % en 1998, puis 2,8 % en 1999. La diversification est demeurée un objectif bien éloigné de la réalité, puisque 60 % du total des exportations ont porté sur 10 produits seulement[496].
Très inquiets néanmoins d’adopter la réciprocité, les États, notamment ceux des Caraïbes, demanderont avec insistance et obtiendront une période préparatoire d’environ huit ans à compter du 1er mars 2000.
Globalement, les États ACP figurent parmi les pays les moins avancés (PMA) dans la proportion de 39 États signataires sur 70 (Annexe VI, de l’Accord de Cotonou), c’est-à-dire que les populations de ces pays vivent avec un revenu annuel d’environ 300 euros par an. Certains États ACP figurent parmi les plus pauvres entre les pauvres, si l’on se réfère au classement établi sur la base de l’Indicateur du développement humain (IDH) en fonction de la durée de vie, du niveau de vie, et du niveau d’instruction.
Cinq États africains figurent même entre le 170e et le 174e rang des États membres des Nations unies, tandis que l’IDH de certains n’est pas même disponible en raison de conflits ethniques violents (Liberia) ou (et) de carences de l’État (République centrafricaine).
En dépit de dispositions plus favorables aux PMA ainsi qu’aux pays enclavés et insulaires, l’association n’a pas pu réaliser leur décollage économique. La Commission souligne au contraire que « le fossé se creuse entre les 5 premiers pays qui reçoivent 55 % des flux d’investissement direct étranger, pour les pays en développement, et les 48 pays les moins avancés recevant moins de 1 % »[497].
2. Coopération financière contestable
La coopération financière peut elle-même être jugée contestable. La stagnation de l’aide au regard du nombre croissant de partenaires ACP et de l’évolution de leurs besoins est souvent dénoncée. Ce serait cependant méconnaître les énormes reliquats des FED précédents (9,9 milliards d’euros pris en compte par l’Accord de partenariat de Cotonou) faute de projets présentés par les ACP ou faute de mise en oeuvre de l’aide de façon efficace et performante… trop souvent en raison de la lourdeur des procédures de gestion financière imposées par la Communauté européenne.
Les conflits intra ou interétatiques, obstacles majeurs au développement, sont d’actualité au Liberia, en Sierra Leone, au Congo, en République démocratique du Congo, au Rwanda, en Somalie (demeurée en fait à l’écart des ACP, depuis la signature de l’Accord de Maurice, faute de structures étatiques représentatives), entre Éthiopie et Érythrée… sans compter les conflits qui s’annoncent alors (Centrafrique, Côte-d’Ivoire).
Il en résulte une désintégration du tissu social incompatible avec une coopération continue et efficace. L’effritement consécutif des intérêts communs entre l’Union européenne et la majeure partie des ACP ne place plus ces derniers au rang des priorités de l’Union au regard de la géopolitique, de l’économie et de la sécurité. Les pays d’Europe centrale et orientale (PECO), puis les pays des Balkans occidentaux, d’une part, les pays méditerranéens, d’autre part, les pays d’Amérique latine, enfin, ont désormais la priorité, sans méconnaître l’attraction latente d’une Union élargie pour les pays de la CEI.
Un recentrage politique de l’Union, à l’échelle de ses responsabilités mondiales, apparaissait donc de circonstance. Seuls des États démocratiques fondés sur la représentation et la participation dans le respect de l’État de droit peuvent apporter durablement une réponse à la lutte contre la pauvreté, à la prévention ou au règlement des conflits, et aux enjeux de la mondialisation, pourvu que l’appui partenarial de l’Union européenne et celui de leurs propres voisins d’une même région d’Afrique, des Caraïbes ou du Pacifique leur soient acquis.
3. De nouvelles orientations, dans la continuité d’une coopération avec l’ensemble des États ACP
Les négociations de l’Accord de partenariat furent longues et parfois difficiles. Néanmoins, elles demeurèrent ouvertes. La Commission sut s’appuyer sur des directives communautaires de négociation pour partie inspirées de larges consultations tant au Nord qu’au Sud, et les représentants des ACP surent jusqu’où ne pas aller trop loin dans la défense de ce qu’ils ne voulaient pas qualifier d’« essentiel ». L’accord put se faire autour de choix politiques majeurs sur la base d’une centaine d’articles contrastant avec la longueur et la complexité des conventions précédentes.
La Commission donna le ton en lançant une vaste consultation sur l’avenir de la coopération ACP-CE. Le processus, prémonitoire de la consécration d’une démocratie participative, déboucha sur la publication d’un Livre vert[498]. Document d’analyse et de discussion, il recense les défis et propose des options pour un nouveau partenariat à l’aube du XXIe siècle.
Le Parlement européen lui apporta un soutien motivé sur la base du triptyque : développement durable et humain, lutte contre la pauvreté, insertion des pays ACP dans l’économie mondiale, et se prononça sans ambiguïté pour un partenariat de caractère politique, sous le signe de l’État de droit, de la diversification des acteurs et de la reconnaissance des genres. Néanmoins, il se montra soucieux de préserver « l’acquis de Lomé » en termes de « contractualité », de prévisibilité, de sécurité, par exemple en ce qui concerne le STABEX et le SYSMIN (… mais en vain), et en s’obstinant à entrer dans un luxe de détails, au risque de pérenniser une coopération souvent trop complexe, sous réserve d’un souhait de plus grande transparence en ce qui concerne la coopération financière (JOCE, no C 138, 4 mai 1998).
Parallèlement, les débats publics sur le Livre vert ont été amples (au cours de séminaires dans la majorité des États membres de l’Union européenne, en Afrique à Accra, dans les Caraïbes à Saint-Domingue, dans le Pacifique aux îles Fidji, tout au cours du 1er semestre 1997), ouverts (aux ONG, grâce au Comité de liaison des ONG) et fructueux.
Les débats ont notamment mis en évidence l’importance pour l’Afrique de la fin du conflit Est-Ouest, et, justifié la fin des aides géopolitiques à des régimes dictatoriaux et corrompus, en dehors de toute considération de démocratie et de développement (séminaire d’Accra).
Les derniers pays adhérents de l’UE (Suède-Finlande-Autriche, tous trois sans passé colonial) se sont déclarés favorables à un nouveau cadre géographique de coopération, c’est-à-dire : ou bien un partenariat réservé à l’ensemble des PMA, sans distinction ACP ou non, ou bien un partenariat avec les ACP intégrant tous les PMA. Ainsi interpellés, les ACP réaffirmèrent leur attachement à l’unité de leur « groupe » établi sur la base de l’Accord de Georgetown en 1975, au nom de la pérennisation d’un dialogue politique naissant.
Para 2 : La coopération intercommunautaire en « arlésienne » en Afrique
Section 2 : Une intégration insuffisante des Etats de la CEDEAO au droit du commerce international
L’économie moderne, dans laquelle les échanges de biens et services connaissent un développement sans cesse croissant, repose largement sur l’ingénierie contractuelle qui accompagne ce phénomène. Par voie de corollaire, le phénomène contractuel a lui-même gagné l’ensemble du droit, dans une tendance unificatrice.
En effet, les distinctions traditionnelles entre le droit privé et le droit public s’estompent presque entièrement, quand il s’agit d’aborder le droit des activités économiques et, à cet égard, l’impérialisme du droit des affaires est parfois dénoncé.
Para 1er : Les instruments internationaux au service du marché commun
Les relations économiques nécessitent un cadre juridique stable et prévisible. Mais, dans un contexte mondialisé où naissent de nouvelles pratiques, doivent aussi naître de nouvelles règles du jeu et de nouveaux outils juridiques. À l’heure de se poser la question d’un droit économique « ouvert et réaliste », il est important d’analyser la rationalité économique à l’œuvre dans les textes et les décisions de justice.
L’approche économique du droit est une discipline pour spécialistes. Pourtant les institutions, la régulation, la concurrence entre systèmes de droit sont souvent au cœur des débats actuels de politique économique. Il est clair que le droit joue un rôle considérable dans le développement économique.
Pas seulement parce que tous les fondements, tous les acteurs et tous les instruments du (ou des) capitalisme(s) tirent leur force du système juridique (liberté d’entreprendre et liberté des contrats, propriété privée, sociétés par actions…), mais aussi parce que le droit et la régulation portent en eux-mêmes une dimension profondément économique qui fait qu’il n’est pas possible de douter un instant de leurs répercussions tantôt en termes d’accélérateur tantôt en termes de frein pour la croissance économique.
Jusqu’à une date récente, la réflexion sur le droit et l’économie semblait circonscrite à la microéconomie. Les outils de la théorie des prix et de la théorie des jeux étant largement mobilisés pour décrire et expliquer les effets des règles de droit sur les comportements individuels, voire pour justifier des changements de règles à partir des critères de jugement utilisés par les économistes.
Certes, la question de l’efficacité économique du droit dans son ensemble a pu faire l’objet de débats[499] mais la démarche se cantonnait à une analyse microéconomique du droit. Nous y reviendrons toutefois dans la mesure où l’analyse économique du droit se présente souvent comme l’héritière « formaliste » du réalisme juridique prôné par Holmes.
Nous retiendrons surtout de ces travaux de Law and Economics, l’approche du prix Nobel Ronald Coase selon lequel le droit apparaît comme une institution essentielle pour les activités économiques à travers l’organisation des firmes et des marchés dans la mesure où elle détermine l’ampleur des « coûts de transaction »[500], c’est-à-dire des coûts d’organisation d’une économie de marché. C’est sans aucun doute cette approche en termes de coûts de transaction qui a inspiré le changement de perspective.
Depuis une quinzaine d’années en effet la réflexion des économistes sur le droit s’est déployée de manière notable dans le champ macroéconomique. Les théoriciens de la croissance se sont pris d’intérêt pour les institutions, comprises dans le sens introduit par Douglass North comme les « contraintes formelles et informelles qui pèsent sur les interactions économiques, politiques et sociales ». Pour l’économiste, le droit apparaît donc comme une institution susceptible d’influencer pour le meilleur comme pour le pire les termes de l’échange entre agents.
Il est important de mesurer ici le chemin parcouru en très peu de temps puisque les sources classiques de la croissance économique étaient essentiellement liées à la géographie (i. e. dotations factorielles en matières premières, capital et travail) et le commerce international. C’est ce que se bornaient à étudier les théories de la croissance jusque dans les années quatre-vingt-dix. Dans la littérature macroéconomique moderne, la qualité des systèmes juridiques et réglementaires, mesurée à travers des indicateurs empiriques sur la pertinence desquels il convient également de s’interroger, est désormais considérée comme un des déterminants de la croissance.
Il convient d’abord de s’interroger sur la façon dont la mondialisation force à repenser le droit et sur le rôle que peut jouer la concurrence entre les normes juridiques. Il faut ensuite apprécier la pertinence des travaux visant à mesurer les mérites respectifs des traditions juridiques et tout l’intérêt d’une approche interdisciplinaire.
A. Les instruments de la CNUDCI dans le droit communautaire de la CEDEAO
L’appartenance à la Communauté fait que la règle de droit international privé interne préexistante est en principe évincée par la règle nouvelle établie à l’échelon communautaire, dans les rapports entre les États membres. Cette éviction joue quelle que soit la source, jurisprudentielle, légale ou conventionnelle, de la règle nationale de droit international privé. Elle n’est toutefois que partielle, car cette règle nationale continue de s’appliquer aux relations entre les États membres et les États tiers, la substitution de la règle d’origine communautaire ne valant que pour les seules relations entre États membres, sauf lorsque cette règle a expressément vocation à régir des relations qui ne soient pas purement intra-communautaires.
Pour autant, il ne s’agit pas d’un principe absolu, et les dispositions des textes communautaires, qui tous comportent un chapitre relatif aux « relations avec les autres instruments», en précisent, pour chaque règlement, la portée.
En revanche, il est beaucoup plus délicat de le mettre en oeuvre lorsqu’un règlement communautaire vise à instaurer une règle de compétence internationale ou de conflit de lois, alors qu’une convention antérieure a retenu un critère de compétence ou de rattachement différent que souhaitent conserver les États membres parties à cette convention, mais rejeté par les États membres qui ne l’ont pas ratifiée ou n’y ont pas adhéré. Dans cette hypothèse, la nécessaire harmonisation communautaire cédera le pas à la recherche d’un compromis entre ces antagonismes nationaux, ce qui aura pour résultat soit de retenir finalement une disposition acceptable par chacun, souvent peu lisible, soit de laisser en suspens le sort de la convention internationale en question.
Par ailleurs, la hiérarchisation entre les règles communautaires et les règles conventionnelles antérieures soulève des controverses dès que cette question n’a pas été traitée par le texte communautaire.
Une autre difficulté est de déterminer qui de la Communauté ou de ses États membres, a compétence pour conclure des accords internationaux avec les États tiers. La ligne de partage a été fixée par le principe selon lequel, « chaque fois que, pour la mise en œuvre d’une politique commune prévue par le traité, la Communauté a pris des positions instaurant, sous quelque forme que ce soit, des règles communes, les États membres ne sont plus en droit, qu’ils agissent individuellement ou même collectivement, de contracter avec les États tiers des obligations affectant ces règles ; qu’en effet, au fur et à mesure de l’instauration de ces règles communes, la Communauté seule est en mesure d’assumer et d’exécuter, avec effet pour l’ensemble de domaine d’application de l’ordre juridique communautaire, les engagements contractés à l’égard d’États tiers».
Ce principe trouve fréquemment matière à être mis en œuvre, donnant lieu à une application distributive des compétences de négociation entre la Communauté et ses États membres lorsqu’une partie seulement des dispositions de l’accord international concerné, quel que soit d’ailleurs son objet, empiètent sur un domaine soumis à harmonisation communautaire. On parle alors d’accord mixte, situation qui concerne principalement, au regard de leur transversalité, les instruments communautaires de droit international privé.
Il ne pourrait être ici question de discuter le bien-fondé des négociations puisqu’elles sont abritées par une enceinte internationale suivant son propre mode de fonctionnement (Conférence de La Haye[501], CNUDCI[502] et UNIDROIT[503], pour en citer les principales). Elles s’imposent donc en pratique à la Communauté, et la question qui se pose ici n’est pas celle de savoir si ces négociations doivent avoir lieu, mais, au contraire, de pouvoir y participer, ce qui concerne tout autant les instruments de hard law (conventions) que de soft law (loi modèle, guide législatif) discutés dans ces enceintes internationales.
Au préalable, il faut bien évidemment établir l’existence d’une compétence de la Communauté, et le cas échéant, déterminer qui sera chargé de la représenter et de prendre part aux négociations en son nom : un double rôle en principe dévolu à la Commission, qui présentera une proposition de mandat de négociation, laquelle sera discutée puis actée, selon la procédure de codécision, par le Parlement et le Conseil. Les termes du mandat doivent donc fixer les conditions de négociation sur le ou les points relevant de la compétence de la Communauté, avec pour principal objectif d’assurer l’équivalence, ou, à tout le moins, la cohérence avec les règles communautaires affectées par le projet d’accord international.
La décision qui confère le mandat peut provoquer des débats épineux, et des échanges plutôt vifs lorsqu’il s’agit de déterminer si cette compétence relève exclusivement de la Communauté, ou si elle doit être partagée entre la Communauté et ses États membres.
Inversement, il arrive également à la Commission d’ignorer un possible empiètement sur le droit communautaire, à moins que ne soit prêté attention aux mises en garde effectuées par des États membres. La discussion est tout aussi délicate s’agissant de la délimitation des termes du mandat. Certains États membres tendent en effet à s’appuyer sur la négociation internationale en cours pour tenter d’altérer la portée de règles communautaires qui ne leur conviennent pas, tandis que la Commission entend conserver une certaine autonomie dans la recherche de compromis, pour des raisons avant tout politiques, avec les États tiers.
L’idéal serait que l’élaboration du mandat précède le début de la négociation, ce qui est loin, on l’aura compris, d’être toujours le cas. Si les prémisses, ou, lorsqu’elle est déjà commencée, les premier éléments de la négociation internationale laissent augurer que la norme qui sera adoptée dans ce contexte divergera de la règle communautaire existante, ou sera incompatible avec des dispositions communautaires sur lesquelles elle va influer, on prévoira généralement de négocier une clause dite de « déconnexion», qui autorisera la poursuite de l’application de la règle communautaire dans les rapports entre États membres, même s’ils deviennent par ailleurs partie à l’accord international : ils n’en appliqueront alors la règle que dans leurs relations avec les États tiers à la Communauté qui sont parties à l’accord. Il faut cependant noter que ces clauses de déconnexion, dites partielles, ne sont pas les plus appropriées pour assurer la réelle sauvegarde des règles communautaires de droit international privé.
La tendance actuelle est de préférer à la négociation de clauses de déconnexion totales celle de clauses dites d’opting in ou d’opting out, dont la technique a l’avantage d’être plus souple que celles des réserves. Dans le premier cas, un État ne sera lié par les dispositions concernées de l’accord que s’il déclare, lors de la ratification ou de l’adhésion, vouloir l’être. Dans le second cas, l’État sera lié par ces dispositions sauf s’il déclare le contraire.
Les États tiers acceptent l’adoption de clauses de déconnexion ou d’application optionnelle quand l’instauration de règles de compétence ou de conflit de lois ne sont qu’accessoires à l’objectif principal de l’accord, qui reste l’harmonisation des règles de fond d’une matière donnée, a fortiori lorsque cette matière demeure de la seule compétence des États membres.
Par exemple, le projet de convention CNUDCI sur le contrat de transport international de marchandises effectué entièrement ou partiellement par mer, dont le but est avant tout de déterminer le contenu des obligations des parties à ce contrat, a rendu optionnel l’ensemble des dispositions de son chapitre consacré à la compétence judiciaire internationale.
En revanche, la discussion est bien plus délicate dans le cadre de la négociation d’un instrument de droit international privé qui relève dans sa totalité de la compétence de la Communauté. Il n’est pas envisageable d’y introduire des clauses optionnelles, et en même temps, la nécessaire recherche d’un compromis empêchera la Communauté de faire concorder toutes les dispositions de l’accord international avec celles du règlement communautaire concerné : il est donc nécessaire de déterminer de quelle manière, et sous quelles conditions, vont s’articuler ces deux types d’instruments juridiques.
De manière générale, la participation de la Communauté aux négociations multilatérales est contrariée par la question de son statut au sein des instances internationales. En effet, la Communauté n’est membre de la Conférence de La Haye, en tant qu’Organisation régionale d’intégration économique, que depuis avril 2007. Auparavant, elle y bénéficiait d’un simple statut d’observateur, au même titre que les ONG ou les associations professionnelles, comme c’est encore le cas auprès des autres enceintes internationales (CNUDCI, UNIDROIT etc.).
On s’attendrait donc en principe à ce qu’il appartienne aux États à la fois membres de la Communauté et de l’instance internationale de répercuter la position commune définie par le mandat d’une part, mais aussi par les réunions de coordination ad hoc conduites sur place sous l’égide de la présidence, de l’autre. Concrètement, toutefois, la Commission est bien souvent la seule à s’exprimer, plus rarement la présidence, puisqu’il est admis qu’elle ne fait que refléter l’avis de tous ses États membres, lesquels n’interviendront qu’en tant que de besoin, pour soutenir le propos de la Commission.
Il serait trop hâtif de conclure que les États membres ont de ce fait perdu tout pouvoir de négociation. Celui-ci s’exercera en amont, lors de la négociation des termes du mandat et des réunions ad hoc de coordination communautaire, ainsi qu’en aval, lorsqu’il s’agira d’adopter la décision autorisant ou non la Communauté à ratifier l’instrument.
Lorsque la négociation est achevée, et le texte international adopté, la Communauté en effet devra encore autoriser la signature, puis la ratification de la décision, ce qui appelle, selon les cas, un ou deux nouvelles décisions séparées. Même si elle dispose d’une compétence exclusive, la Communauté ne peut en principe signer et ratifier elle-même les conventions négociées dans le cadre d’une enceinte internationale dont elle n’est pas membre en tant que telle.
Dans ce cas, la convention peut pallier cette difficulté, si elle inclut une clause spécifique indiquant qu’une organisation régionale d’intégration économique peut y devenir partie. Au cas contraire, le Parlement et le Conseil autoriseront les États membres à signer puis ratifier la convention au nom de la Communauté (en même temps qu’ils le feront pour eux-mêmes dans l’hypothèse de compétences partagées).
Si les règles négociées dans le cadre international concordent avec les règles communautaires, ou si une clause de déconnexion, voire d’application optionnelle pu être obtenue, l’autorisation de signature et de ratification ne poseront pas, en principe, de difficultés majeures. Le Parlement et le Conseil autoriseront les États membres qui le désirent à adhérer à la convention, à la condition que tous effectuent la même déclaration dans le sens qui aura été décidé comme permettant la sauvegarde du droit communautaire. Il serait en effet absurde, même si la Convention le prévoit, que la Communauté adhère à l’instrument dans le seul but de pouvoir déclarer qu’elle ne sera pas liée par les dispositions qui relèvent de sa compétence.
À défaut, la ratification ne pourra pas intervenir sans modification du droit communautaire, et au cas contraire, la Communauté ne ratifiera pas l’accord ni n’autorisera ses États membres à le faire. Ainsi, par exemple, faute de mandat négocié à temps et de déconnexion satisfaisante, la signature et la ratification de la convention CNUDCI du 23 novembre 2005, sur l’utilisation des communications électroniques dans les contrats internationaux, ne peuvent être en l’état envisagées, à la grande colère de certains pays membres qui souhaiteraient pouvoir le faire et avaient en temps utile appelé la Commission à plus de vigilance.
Autre exemple, la Convention de La Haye du 5 juillet 2006 relative à la loi applicable à certains droits sur des titres détenus auprès d’un intermédiaire, qui n’est pas compatible avec les dispositions déjà déterminées, et transposées, de trois directives communautaires, voit s’opposer les États membres quant à l’opportunité de s’engager en sa faveur. Certains, en effet, le réclament, afin d’obtenir la modification d’un droit communautaire qu’ils estiment obsolète ou contraire à leurs intérêts internationaux, tandis que d’autres s’y opposent, souhaitant conserver le droit communautaire en l’état[504].
B. La lex mercatoria en Afrique
La règle modélisée occupe une place à part dans la hiérarchie des règles de droit. Les règles impératives s’imposent aux parties, les règles supplétives s’appliquent dès lors qu’elles ne sont pas écartées par la volonté contraire des parties. La norme modélisée a besoin d’être l’objet d’un accord de volonté des parties pour être effective. Pourtant, ces normes ne sont pas le pur produit de la rencontre des volontés et du rapport de force contractuel. Leur contenu est extérieur aux parties qui ne manifestent qu’une volonté d’adhésion.
Ces règles intègrent en général des préoccupations transcendant l’intérêt égoïste des parties : intérêt du marché, satisfaction des besoins du commerce international, recherche de l’équilibre objectif du contrat, préoccupations éthiques, volonté de réguler les interactions du marché avec les intérêts des États. En effet, les règles modélisées sont produites par des organismes investis à des degrés divers d’une mission d’intérêt général.
Tantôt les règles modélisées sont produites par des organismes corporatistes ayant en charge les intérêts d’une branche du commerce, voire de l’ensemble du commerce international. Il est classique de citer dans le commerce des céréales, la G.A.F.T.A., dans celui des grands travaux, la Fédération internationale des ingénieurs-conseils et bien entendu la Chambre de commerce internationale, grande productrice de droit modélisé (les Incoterms, les règles et usances en matière de crédit documentaire, etc.).
D’autres organismes, créés par la communauté des États, ont a priori des missions plus larges de conciliation des intérêts de l’ensemble de la communauté des acteurs du commerce international et des États. Tel est le cas de la C.N.U.D.C.I. ou de l’Unidroit.
Les rapports du droit modélisé ainsi créé et de la lex mercatoria sont complexes. La lex mercatoria peut être définie à la fois comme une collection de règles d’origine variable rassemblées sur le seul fondement de leur adéquation aux besoins du commerce international[505], et comme une méthode de sélection des règles aptes à régir le commerce international, utilisée par les tribunaux arbitraux qui constitue de facto la « justice » du commerce international[506].
La singularité de ce droit matériel est qu’il est un « droit spontané », créé par les opérateurs du commerce international ou par leurs juges, les arbitres, hors l’activité normative des États. B. Goldman décrit la lex mercatoria comme « un droit spontané, formé d’usages professionnels codifiés, de montages juridiques et de clauses contractuelles dont on peut et dont il faut se demander si la répétition ne les élève pas progressivement au rang d’institutions coutumières, de sentences arbitrales »[507].
La caractéristique principale de la lex mercatoria est qu’elle échappe à tout ordre juridique étatique, pour se former à l’intérieur d’une communauté transnationale d’opérateurs du commerce international. Elle constituerait ainsi un ensemble de normes « mondialisées », la norme mondialisée s’affirmant comme une solution juridique applicable dans l’espace international, indépendamment de la localisation de la situation qu’elle entend régir.
Certaines règles modélisées appartiennent très certainement à la lex mercatoria. Tel est le cas, en particulier, des règles modèles établies sous forme de contrats types, par les institutions corporatives du commerce international. Il importe peu que ces règles s’offrent à la volonté des parties et ne s’imposent pas à elles.
L’important est l’effectivité de ces règles modèles. Les opérateurs s’y réfèrent systématiquement, quels que soient leur nationalité ou leur établissement, quelle que soit la localisation géographique et juridique de leur contrat, quelle que soit l’éventuelle loi choisie par les parties pour le régir.
Plus encore, très souvent, en raison de leur usage constant, elles peuvent être reconnues comme des règles coutumières du commerce international[508]. Les Incoterms, les règles et usances du crédit documentaire émanent en effet des milieux professionnels et répondent bien à la description faite de la lex mercatoria.
L’intégration dans la lex mercatoria des règles modélisées créées par des organes interétatiques tels que la C.N.U.D.C.I. ou Unidroit est plus problématique. Pour reprendre une expression à la mode, il ne s’agit pas d’un droit venu « d’en bas », mais plutôt créé « d’en haut ». Ce droit, porté par des règles modèles, est une création des États, même si cette création est indirecte puisque ceux-ci sont relayés par une institution internationale[509].
Pourtant, même créé par des organisations internationales, le droit modélisé a vocation à être intégré dans la lex mercatoria. La théorie de la lex mercatoria a évolué. Celle-ci est comprise comme une méthode de sélection des normes plus que comme une collection de normes. Cette sélection est le fait des arbitres du commerce international appelés à juger selon les règles de droit choisies par les parties, mais aussi, à défaut, selon celles qu’ils jugent appropriées (article 1496 du nouveau Code de procédure civile). Une analyse attentive de la lex mercatoria montre que celle-ci se nourrit des ordres juridiques étatiques.
À l’inverse, dans le même temps, le droit modélisé créé par les organes interétatiques spécialisés absorbe les règles issues de la lex mercatoria stricto sensu. Ce double mouvement de mélanges des sources, déjà constaté à propos de la genèse et de l’application de la Convention de Vienne sur la vente internationale de marchandises, rapproche la lex mercatoria et le droit modélisé de la C.N.U.D.C.I. ou de l’Unidroit.
Le droit modélisé incorpore les matériaux fournis par la lex mercatoria. Ce constat est vrai pour l’ensemble des instruments proposant aux opérateurs des règles modèles aptes à régir les relations commerciales internationales et cela même lorsque des organisations interétatiques ont l’initiative de la production de ces normes modèles.
Dès l’immédiat après-guerre, la Commission économique pour l’Europe des Nations unies (C.E.E.-O.N.U.) a élaboré des conditions générales de vente aptes à régir le commerce Est-Ouest en s’inspirant des pratiques suivies par les exportateurs et les importateurs. Il en a été de même lorsque l’O.N.U.D.I. et la C.N.U.D.C.I. ont fourni des règles modèles applicables aux transferts de technologies à destination des pays en voie de développement (Guide pour l’achat de matériel industriel, Check Lists for Individual and Planning States or Used in Project Screening Operation).
Comme le constate Philippe Kahn, ces règles modèles sont construites selon la méthode utilisée déjà par les premières grandes codifications privées sous forme de conditions générales de vente et des Incoterms[510] . Il n ‘est donc pas surprenant que le même constat ait été fait à propos de la genèse de la Convention de Vienne de 1980 sur la vente internationale de marchandises. Jean-Michel Jacquet a bien montré que « l’on aurait une image déformée du syncrétisme pratiqué par la Convention de Vienne si l’on ne relevait pas que celui-ci s’étend aussi aux règles dégagées dans la société internationale des vendeurs et des acheteurs étudiées dans la thèse de Philippe Kahn.
Des contrats types, des usages et des conditions générales auxquels se réfèrent les contractants, découlent des solutions qui ne sont nullement en contradiction avec la Convention de Vienne, mais dont celle-ci semble avoir tenu le plus grand compte »[511]. Faite à propos d’un instrument qui ne contient pas à proprement parler des règles modèles, mais des règles supplétives du contrat de vente, cette remarque montre que la lex mercatoria irradie l’ensemble des instruments interétatiques du commerce international.
L’utilisation des matériaux fournis par la lex mercatoria par les instruments modèles a pris une tournure nouvelle lorsque ceux-ci ont puisé dans le riche réservoir des sentences arbitrales pour codifier des principes généraux applicables aux contrats du commerce international. Les principes de l’Unidroit, fondés sur une synthèse des solutions en vigueur dans de très nombreux pays, ont utilisé abondamment les solutions dégagées par les arbitres du commerce international.
Il est vrai que ces derniers, à la recherche de règles appropriées aux besoins du commerce international, avaient déjà, en partie, réalisé la synthèse codifiée par cet organisme international. L’étude des sentences arbitrales, comme celle des travaux préparatoires des principes d’Unidroit, révèle la même méthode de fabrication des règles.
Celle-ci est fondée sur « le syncrétisme juridique », à savoir la sélection de règles dont les solutions sont communes à l’ensemble des systèmes juridiques, et le darwinisme juridique », image illustrant l’idée que seules sont sélectionnées parmi les règles en concurrence, celles qui sont le plus aptes à satisfaire les besoins du commerce international[512].
Il est très significatif que les principes de l’Unidroit revendiquent expressément leur appartenance à la lex mercatoria. Le préambule énonce que les principes « peuvent s’appliquer lorsque les parties acceptent que leur contrat soit régi par les principes généraux du droit, la lex mercatoria ou autre formule similaire ». Bon nombre de « principes » contenus dans le document modèle élaboré par l’Unidroit avaient déjà été dégagés par la pratique arbitrale sur la base de ces deux considérations.
C’est ainsi que l’obligation faite à la victime de l’inexécution du contrat de minimiser son dommage, consacrée par les principes de l’Unidroit à l’article 7-4.8. et par la Convention de Vienne sur la vente internationale de marchandises (article 77), a été affirmée comme un principe général du droit du commerce international par des sentences arbitrales rendues sous l’égide de la C.C.I. bien avant la publication de ces deux instruments[513].
De même, l’obligation de bonne foi proclamée à l’article 1.7 des principes de l’Unidroit est affirmée depuis bien longtemps par la pratique arbitrale comme l’un des principes directeurs de la lex mercatoria[514]. Il en est de même du principe de la réparation intégrale du préjudice consacré par l’article 7-4-2 des principes et affirmé par de très nombreuses sentences arbitrales[515].
Para 2 : L’ostracisme économique de l’Afrique de l’Ouest
Selon certains auteurs[516] , c’est à la fin des années 80 que les entreprises ont été affectées par l’explosion des frontières sous la combinaison de quatre phénomènes majeurs de nature idéologique, financière, économique et technologique[517] . Ces quatre phénomènes ont attisé brutalement la concurrence et bouleversé les échanges traditionnels.
La mondialisation tend à se jouer des droits nationaux, en créant ses propres règles et usages, dans un espace de liberté de plus en plus élargi par l’accélération liée à l’avènement du commerce électronique[518] . Sur ce point, un rapprochement intéressant peut être fait avec l’arbitrage international qui fonctionne selon des principes de liberté : liberté des parties de convenir des règles applicables à leurs différends ; liberté des arbitres de déterminer « la règle de droit » la plus appropriée ; obligation des juges étatiques de respecter cette liberté des parties.
A. L’Afrique en marge de la mondialisation
Comme dans tous les espaces de liberté, le rapport de force en faveur du puissant tend à constituer la source du droit, au détriment du plus faible.
Il en va de même aussi bien de la mondialisation que de l’arbitrage international, qui ne sont pas « idéologiquement » neutres. Ils véhiculent tous les deux les « attributs » des modèles économiques, culturels et juridiques dominants, dont ils sont les moteurs[519].
Le rôle des organismes internationaux comme la Commission des Nations unies pour le droit commercial international (C.N.U.D.C.I.), est de veiller à pallier certains problèmes de suprématie, en empruntant à divers systèmes, pour limiter l’emprise forcée de certains modèles sur d’autres[520] .
Le but visé est de favoriser dans tous les continents une harmonisation des procédures, des règles et des usages spécifiques de la pratique de l’arbitrage commercial sur le plan mondial.
C’est ainsi que le règlement de la C.N.U.D.C.I. de 1976 a été recommandé par la résolution de l’Assemblée générale des Nations unies du 15 décembre 1975[521] . Par la suite, l’Assemblée générale des Nations unies a adopté la résolution no 40-72 du 11 décembre 1985, et a recommandé à tous les Etats procédant à des réformes de s’inspirer de la loi-type de la C.N.U.D.C.I. de 1985 sur l’arbitrage commercial international[522].
Ces deux instruments, à l’élaboration desquels l’Afrique a participé, peuvent être considérés comme des solutions multilatérales et consensuelles aux problèmes posés par le règlement par voie d’arbitrage des différends nés de la « guerre économique ».
Si l’influence du règlement C.N.U.D.C.I. qui concerne l’arbitrage ad hoc est difficile à apprécier, on peut analyser plus facilement l’impact de la loi-type de la C.N.U.D.C.I. dans les réformes du droit de l’arbitrage international en Afrique, au regard de la mondialisation des affaires.
La loi-type de la C.N.U.D.C.I. sur l’arbitrage commercial international semble constituer à la fois un facteur d’harmonisation et une ligne de cloisonnement entre deux régions en Afrique. La première région concerne les pays dont les lois sur l’arbitrage s’inspirent essentiellement du droit français, la seconde vise ceux qui ont repris en tout ou partie les dispositions de la loi-modèle dans leurs textes.
On constate que l’attraction du droit français dans les anciennes colonies françaises continue à s’exercer fortement dans le domaine de l’arbitrage. Ce droit a notamment influencé les pays d’Afrique francophone comme l’Algérie, la Côte d’Ivoire, Djibouti, le Mali et le Togo, en matière d’arbitrage international.
L’une des explications qu’on peut retenir est que le droit français de l’arbitrage international, codifié par les articles 1442 à 1507 du nouveau Code de procédure civile, est reconnu comme un modèle méthodique, clair, efficace, et d’usage simple. Il énonce des définitions et concepts larges et universels, et consacre des règles matérielles propres à l’arbitrage commercial international. De plus, son interprétation ne semble poser aucune difficulté majeure aux tribunaux français.
Toutes ces dispositions sont parfaitement adaptées à la résolution des différends pouvant naître dans le cadre de la mondialisation des affaires. Mais il n’est pas exclu que d’autres pays d’Afrique francophone adoptent, dans les mois ou les années à venir, la loi-type de la C.N.U.D.C.I.
Contrairement à l’Afrique francophone[523] , on observe un mouvement à la fois « d’émancipation », et « d’éclatement » dans la zone d’influence anglaise, par rapport au droit de l’arbitrage de l’ancienne puissance coloniale.
En effet, la Grande-Bretagne a procédé dans son Arbitration Act de 1996, à une réforme qui ne retient pas la loi-type. La Commission consultative ministérielle (Departmental advisory committee on arbitration law _ D.A.C. ), chargée de conseiller le gouvernement sur le choix du modèle qui devait servir de base à la réforme, s’était prononcée contre l’introduction de la loi-modèle en Angleterre et au pays de Galles[524] . A travers cette réforme, l’Angleterre a exprimé sa méfiance à l’égard d’une adoption « trop automatique » de mesures internationales ou « mondialistes », visant à harmoniser les lois et pratiques commerciales[525] .
A l’inverse, l’Afrique anglophone[526] a, quant à elle, opté franchement pour des réformes s’inspirant étroitement de la loi-type.
Mais quelle que soit la source d’inspiration, les principes fondamentaux et la philosophie qui gouvernent l’arbitrage international tendent vers une certaine convergence ou universalité des solutions[527] , qui ne répondent pas nécessairement aux spécificités africaines. Il est alors intéressant de savoir si le système d’arbitrage régional de l’O.H.A.D.A. constitue un « démarquage » par rapport à cette universalité, dans le but d’élaborer des solutions propres à l’Afrique.
B. L’exemple probant de l’OHADA
Il n’y a pas lieu ici de reprendre ce qui a déjà été dit et écrit sur le traité O.H.A.D.A. et la C.C.J.A[528] . D’une certaine façon, ce traité et ses institutions, de même que la création de l’U.E.M.O.A. et de la C.E.M.A.C., sont l’aboutissement d’une réflexion et de diverses initiatives pour permettre à l’Afrique de faire face au défi de la mondialisation en optimisant ses opportunités et en essayant de renforcer l’insertion du continent noir dans l’économie mondiale.
S’agissant plus particulièrement de l’arbitrage O.H.A.D.A., l’examen des apports novateurs et de l’arbitrabilité des litiges semble confirmer cette analyse.
En dehors du rôle particulier de la C.C.J.A. qui a déjà été abondamment développé[529] , les aspects novateurs du traité O.H.A.D.A. qu’il paraît intéressant de relever ici concernent l’uniformisation du principe de validité de la clause compromissoire, et les critères d’application de l’arbitrage
L’article 21 du Traité O.H.A.D.A. introduit directement et de manière uniforme la convention d’arbitrage dans le droit positif de tous les Etats membres. Il s’agit d’une véritable unification qui introduit dans ce domaine une parfaite cohésion sur le plan régional.
En attendant l’adoption de l’acte uniforme sur l’arbitrage et du règlement d’arbitrage de la C.C.J.A., cette cohésion crée un vaste espace juridique sécurisé, de nature à faciliter la « globalisation » des investissements étrangers dans la région.
L’arbitrage O.H.A.D.A. ne pose ni des critères de nationalité, ni une limitation géographique. Un simple contact, une simple localisation géographique, par le domicile ou la résidence de l’une des parties ou le lieu d’exécution du contrat, même partiel, dans au moins un Etat membre, suffit.
C’est la preuve que tout en visant les entreprises africaines, l’arbitrage O.H.A.D.A. peut être un outil parfaitement adapté à la résolution des litiges transfrontières, et donc à la mondialisation.
L’arbitrabilité procède d’un souci de protection de l’intérêt général et suppose d’une part, que la convention d’arbitrage porte sur une matière susceptible d’être tranchée par voie d’arbitrage et d’autre part, qu’elle soit passée entre des parties admises à recourir à ce mode de résolution des litiges[530] .
Dans le cadre de l’O.H.A.D.A., elle est délimitée par les notions de différends d’ordre contractuel et d’ordre public international
Le traité O.H.A.D.A. (article 21, paragraphe 1) a considérablement élargi le domaine habituel des litiges arbitrables à la notion de « différends d’ordre contractuel » sans que cette notion soit définie, même si l’article 2 du traité donne la liste des matières qui entrent dans le champ du « droit des affaires »[531].
On perçoit toutefois, sous l’expression « différends d’ordre contractuel », la volonté des auteurs du traité O.H.A.D.A. de ne pas limiter l’arbitrabilité à des critères restrictifs comme celui de la « commercialité », consacré par la plupart des législations nationales, et par la Convention de New York de 1958. En effet, la définition restreinte de la commercialité n’est plus adaptée aux exigences de la mondialisation de l’économie. Elle tend à être abandonnée pour une conception plus large afin de désigner toute relation d’affaire à caractère contractuel[532].
Cette qualification institue une grande flexibilité que les acteurs de la mondialisation ne pourront qu’apprécier.
Les ordres publics nationaux des Etats membres de l’O.H.A.D.A. sont sans effet sur l’arbitrabilité des litiges. L’article 25[533] du Traité O.H.A.D.A., qui énumère les cas où l’exequatur pourra être refusé, ne vise que l’ordre public international. On s’achemine sans doute ici vers la création d’un ordre public régional qui jouerait (il s’agit d’une hypothèse) à la fois comme un garde-fou vis-à-vis des « dérives » des ordres publics nationaux, facteurs de blocages possibles des politiques d’intégration régionale ; et des « excès » de la mondialisation, qui peuvent faire perdre brutalement à des pays et à des régions entières le bénéfice de plusieurs années d’investissements économiques et d’acquis sociaux.
La crainte des « excès de la mondialisation », attisée par l’explosion des « bulles » financières et immobilières, a semblé contraindre les tenants de l’ultralibéralisme économique à admettre l’idée que l’intervention des Etats est nécessaire pour réglementer, surveiller et maîtriser les marchés en cas de nécessité.
Dès lors, si la présence de l’Etat et les considérations d’ordre public national ne sont plus considérées comme des obstacles à l’arbitrage en matière internationale, l’ordre public régional dont les contours et le contenu restent à définir dans le cadre de l’O.H.A.D.A. et des autres institutions d’intégration africaine, pourrait en revanche, constituer un obstacle à l’arbitrabilité, sur le même plan que l’ordre public international.
L’arbitrage international peut constituer, dans un contexte d’Etat de droit, l’un des facteurs permettant à l’Afrique de tirer un meilleur profit de la mondialisation de l’économie dans la perspective de son développement.
A cet égard, les instruments tels que ceux de la C.N.U.D.C.I. et les principes d’Unidroit relatifs aux contrats du commerce international sont utiles, car ils résultent d’un consensus mondial et de règles auxquelles les Etats africains ont adhéré, et que certains ont déjà introduites dans leur législation nationale.
Mais à ce jour, l’impact de ces instruments, et plus particulièrement celui de la loi-type de la C.N.U.D.C.I. sur l’arbitrage commercial international, est assez contrasté en Afrique.
En effet, alors qu’on assiste à la formation d’un bloc législatif cohérent en matière d’arbitrage international autour du modèle français, la zone d’influence anglaise connaît une évolution marquée à la fois par l’émancipation à l’égard de l’ancienne métropole, et des réformes législatives inspirées par la loi-type de la C.N.U.D.C.I.
Par ailleurs, des institutions régionales comme la C.C.J.A., visent à permettre à l’Afrique de se doter d’un environnement juridique propre à répondre aux problèmes spécifiques d’une partie de ce continent.
Il s’agit sans doute moins d’une réaction négative à la mondialisation de l’économie que d’un « recentrage » régional autour de valeurs et principes communs aux pays concernés, pour une participation plus cohérente et plus efficace à la mondialisation des affaires. Le caractère novateur et plus favorable de certaines dispositions relatives à l’arbitrage dans le Traité O.H.A.D.A., par rapport à des traités internationaux comme la Convention de New York de 1958, tendent à conforter cette analyse.
Il est à souhaiter que les exigences de l’universalité dans un monde de plus en plus « intégré » ne soient trop en contradiction avec le droit régional en cours d’élaboration.
Partie 2 : LE RENOUVEAU ENVISAGE DE LA REGLEMENTATION DES ÉCHANGES DANS L’ESPACE CEDEAO
Le processus d’intégration ouest-africaine a produit un vaste corpus de législation européenne uniformisée, codifiée dans des traités, règlements, réglementations, directives et jugements des tribunaux communautaires. Ces règles n’ont qu’une portée limitée, étant donné qu’elles n’affectent que les domaines des systèmes juridiques nationaux pour lesquels les États membres ont transféré la compétence à la Communauté Il en résulte un droit communautaire sectoriel, qui ressemble à une mosaïque[534], constitue une entité incohérente et présente souvent des contradictions internes.
C’est la raison pour laquelle la Commission européenne a proposé, dans diverses communications relatives au droit européen des contrats, de renforcer la cohérence de l’acquis communautaire.
Aujourd’hui, on dénonce l’éclatement de la réglementation et suggère de nouvelles voies d’intervention pour l’avenir, fondées non seulement sur l’amélioration des directives existantes ( approche verticale ) mais aussi sur des instruments traitant de questions communes à toutes les directives (approche horizontale).
Maintes questions sont alors soumises à l’avis de la communauté juridique, dont les suivantes : un instrument à large champ d’application serait-il applicable à la fois aux transactions intérieures et transfrontalières ? Quel est le degré d’harmonisation nécessaire (harmonisation minimale, totale ou solutions intermédiaires) ?
Ces questionnements soulèvent en réalité une interrogation fondamentale, dont découleront ensuite les réponses aux questions posées : jusqu’à quel point avons-nous réellement besoin d’uniformité en droit ? Ou bien encore, pour utiliser les termes du préambule du projet de Traité pour une Constitution européenne, dans quelle mesure la CEDEAO doit-elle être « unie » et jusqu’où doit-on aller pour restreindre sa « diversité » (juridique) ?
Dans les pays membres, le débat est intense. Les plus grands auteurs y sont volontiers conviés. Devons-nous prêter attention à l’avertissement de Montesquieu qui, après avoir analysé les législations de différents pays, a conclu qu’en dépit du fait que toutes les lois faisaient référence aux mêmes principes de justice, il était préférable de préserver leur diversité, ainsi que celle des formes de gouvernement et des religions, en raison des expériences historiques, des traditions culturelles et des situations géographiques très différentes[535]?
Ne devrions-nous pas suivre plutôt Condorcet qui écrivait, trente ans plus tard, dans son commentaire critique sur l’Esprit des lois de Montesquieu : « Comme la vérité, la raison, la justice, les droits des hommes, l’intérêt de la propriété, de la liberté, de la sûreté, sont les mêmes partout, on ne voit pas pourquoi toutes les provinces d’un État, ou même tous les États, n’auraient pas les mêmes lois criminelles, les mêmes lois civiles, les mêmes lois de commerce, etc. Une bonne loi doit être bonne pour tous, comme une proposition vraie est vraie pour tous »[536]?
Nombreux sont ceux qui considèrent aujourd’hui que « l’uniformité » ne vaut pas forcément mieux que la « diversité »[537] . Au demeurant, ce point de vue se retrouve dans l’article 151-1 CE, qui impose à la Communauté de contribuer « à l’épanouissement des cultures des États membres dans le respect de leur diversité nationale et régionale, tout en mettant en évidence l’héritage culturel commun »[538].
Pourtant, il n’est pas impossible de faire l’éloge de la diversité et, dans le même temps, d’observer sans défaveur les entreprises actuelles de rapprochement des droits privés en Europe, voire d’y participer, sous une forme ou une autre. En effet, indépendamment même de l’intégration européenne, une véritable culture juridique et judiciaire commune se crée en Europe. Elle inspire juges, législateurs praticiens et universitaires, parfois même au-delà des frontières de l’Union européenne.
Il faut se garder des réflexes protectionnistes et des attitudes de replis qui, vus de l’extérieur, risquent d’être interprétés comme une crainte de la mondialisation. Il faut à tout prix éviter l’isolement intellectuel de la France dans les développements contemporains de la pensée juridique européenne[539]. Comment les juristes français, qui ont si souvent dénoncé le caractère technocratique de l’élaboration du droit européen, pourraient-ils, sans contradiction, refuser d’apporter leur contribution à des projets qui s’ouvrent enfin à d’autres acteurs du droit[540]?
Il existe indéniablement des différences considérables entre les systèmes juridiques européens (principalement entre les systèmes de common law, et ceux de droit romaniste et germaniste), accentuées par le mouvement de codification du XIXe siècle. L’émergence de ce mouvement était étroitement liée à l’apparition d’États-nations puissants sur le continent européen, qui voyaient dans la codification un symbole de fierté nationale et une preuve d’indépendance[541]. À l’aube du XXIe siècle, au sein de l’Union européenne, le projet d’uniformité des lois se heurte à la diversité des cultures et des mentalités juridiques qui en est résulté.
Avant d’entreprendre de rapprocher les systèmes juridiques, par une voie ou une autre, il faut les connaître, les comprendre, c’est-à-dire les comparer. Concrètement, cela suppose de s’engager plus avant dans la voie savante, qui repose sur la comparaison des droits et doit précéder toute entreprise d’harmonisation du droit. Quant à la voie communautaire, elle ne débouche pas nécessairement sur l’intégration et peut emprunter des méthodes souples, telle que la méthode ouverte de coordination.
En ce domaine comme dans beaucoup d’autres, le recours à la méthode ouverte de coordination est souhaitable, tandis que la voie d’un règlement obligatoire pour tous les États membres se heurte à des obstacles majeurs[542]. Cette méthode a été promue par le Conseil européen de Lisbonne, en mars 2000, en vue de répondre à la problématique persistante suivante : comment promouvoir la convergence dans des domaines sensibles et importants où rares sont les États à vouloir consentir des transferts de compétences aux organes de l’Union ? Afin de mieux faire connaître cette méthode, les voies qu’elle emprunte, les objectifs qu’elle poursuit, un plan d’action serait particulièrement bienvenu.
Titre 1 : LA NECESSAIRE REVITALISATION DE LA REGLEMENTATION DES ECHANGES
La différence de style et des mentalités héritée des autorités coloniales transparaissent aussi dans la construction juridique des pays ouest-africains et ont des incidences certaines dans la construction du droit communautaire.
Dans ses conférences Goodhart prononcées à l’Université de Cambridge en 1984-1985 et publiées sous le titre de « Juges, législateurs et professeurs »[543], Van Caenegem compare les particularités des droits anglais, français et allemand, le premier étant établi par les juges, le second par la législation, et le troisième portant l’empreinte du pandectisme.
Ces différences de mentalité juridique ressortent clairement de la comparaison des décisions de la Chambre des Lords à celles de la Cour de cassation et du Bundesgerichtshof. C’est uniquement dans un système de common law qu’un juge peut écrire dans sa décision que « l’état d’esprit d’un homme est autant un fait que l’état de sa digestion »[544], ou plus prosaïquement (et plus récemment) qu’un lord judiciaire peut s’exprimer sur la question délicate de la wrongful life (naissance préjudiciable) en ces termes : « Je n’ai pas consulté les autres usagers du métro londonien mais je pense qu’une majorité écrasante répondrait à la question… par un « non » très ferme »[545] .
En revanche, comme l’a relevé le célèbre juge américain Cardozo, la pratique des juges allemands consiste « à avancer pas à pas vers des conclusions sans pitié, animés par une logique sans remords qui est censée ne laisser aucune alternative »[546]. Par ailleurs, aussi cartésiens que soient les juges français, cette caractéristique ne transparaît pas dans les décisions de la Cour de cassation, qui à la manière des textes législatifs français, exprime son opinion avec un minimum de justifications et d’explications.
Dans l’ensemble, les décisions anglaises continuent de refléter le langage parlé d’un juge qui siège, tandis que les décisions allemandes ressemblent encore à des textes juridiques didactiques très raisonnés. Quant aux décisions françaises, elles sont toujours formulées sur le ton autoritaire des lois édictées par le corps législatif. Chacun de ces styles juridiques exprime la mentalité représentative des « juges, législateurs et professeurs », à savoir les caractéristiques respectives du droit jurisprudentiel, du droit codifié et du droit savant.
Ces caractéristiques résultent de différences profondes entre les trois traditions juridiques qu’incarnent respectivement le droit anglais axé sur des solutions (case-oriented), le droit français axé sur des règles (rule-oriented) et le droit allemand axé sur des concepts (concept-oriented).
Les mentalités et méthodologies juridiques ont pourtant évolué, d’autant que les pays des trois grandes familles juridiques (ainsi que celle scandinave), aujourd’hui membres de l’Union européenne, sont soumis au même corpus législatif et jurisprudentiel communautaire. Ainsi, depuis la Seconde Guerre mondiale, les tribunaux britanniques adoptent une attitude de plus en plus « finaliste » dans leur pratique de l’interprétation de la législation.
Cette tendance s’est confirmée, et se renforcera sans doute, car les juges britanniques connaissent de mieux en mieux l’approche téléologique appliquée par les instances juridiques communautaires (et par la Cour européenne des droits de l’homme).
Dans le même esprit, les tribunaux britanniques ont changé d’attitude concernant l’utilisation de ressources extrinsèques, en particulier les documents parlementaires. Ils ont également commencé à débattre, dans leurs décisions, des travaux d’auteurs vivants. Ce dernier point peut paraître anecdotique, mais il est significatif d’un changement fondamental dans la perception de l’autorité juridique : celle-ci n’est plus uniquement fondée sur la reconnaissance officielle, au travers des lois ou des décisions judiciaires, mais dépend également, comme c’est le cas en Allemagne, de l’autorité naturelle issue de la qualité de la connaissance des écrits extra-judiciaires.
Inversement, dans les systèmes juridiques d’Europe continentale, la fonction normative des juridictions, principalement des cours suprêmes, est de plus en plus ouvertement reconnue. Cette tendance est stimulée par la créativité dont font preuve la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) et la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH)[547].
Ces différences de style et de mentalité se reflètent également dans l’attitude de ces trois systèmes juridiques face aux lois, plus particulièrement face à la codification. Comme Zweigert et Kötz le rappellent dans leur Introduction au droit comparé, « les lois ont un statut particulier en droit anglais en raison de l’influence des juges anglais sur l’élaboration et le développement de la common law non écrite : jusqu’au XIXe siècle, l’activité législative était considérée comme « utile uniquement pour résoudre des problèmes sociaux et économiques particuliers ».
En effet, « avec leur empirisme pratique et leur habitude de traiter progressivement une affaire après l’autre, les Anglais auraient considéré qu’il était dangereux et anormal de formuler à l’avance le dénouement de procès comparables en élaborant une législation qui engloberait tous les aspects de la vie ». En conséquence, « les lois anglaises étaient initialement des dispositions sporadiques et ad hoc qui, en tant que sources légales, avaient beaucoup moins de force que la common law non écrite »[548].
En réalité, cette réserve à l’égard du droit codifié explique pourquoi les lois doivent être rédigées de la manière la plus précise possible et interprétées de façon très restreinte, étant donné qu’elles constituent un écart par rapport à la common law. Elle pourrait également expliquer pourquoi l’approche peu méthodique du droit communautaire suscite moins d’inquiétude au Royaume-Uni que sur le continent.
Le rôle historiquement subalterne du droit écrit dans les pays de common law est sans aucun doute à l’origine de la réticence qu’éprouvent les juristes de common law à adopter une législation globale et à accepter les principes ou concepts généraux qui la sous-tendent. En réalité, lorsqu’ils doivent résoudre un problème juridique, les juristes de common law ne cherchent pas des principes généraux ou des règles à partir desquels ils pourraient obtenir une solution.
Ils se mettent plutôt en quête d’arrêts qu’ils pourront, soit utiliser comme des précédents s’ils ont été rendus dans des circonstances comparables, soit au contraire écarter si les circonstances différaient. Le paradigme qui prévaut dans la common law n’est donc pas un précepte d’égalité de traitement dans des situations comparables à la lumière de règles ou de principes généraux, mais plutôt la nécessité d’un traitement équitable des plaignants selon les principes de justice naturelle et d’équité, en tenant compte des circonstances particulières de l’affaire en cours.
Cependant, ici aussi, la common law et le système juridique continental se sont rapprochés au cours des dernières décennies : les considérations liées à l’équité jouent aujourd’hui un rôle important dans le raisonnement des tribunaux continentaux et les aspects de la sécurité juridique ne sont pas totalement absents de l’esprit des juristes de common law.
Tout ce qui précède montre le peu d’enthousiasme, pour ne pas dire la réticence, des juristes de common law à adopter une législation codifiée. Cet élément doit être pris en considération dans l’évaluation de la nécessité de promulguer une législation globale à l’échelle européenne. Toutefois, cela ne doit certainement pas empêcher la promulgation de textes spécifiques couvrant de larges domaines du droit communautaire si cela est nécessaire à des fins d’application cohérente et uniforme de droit dans les États membres.
Encore faut-il qu’il existe à cet égard une base juridique dans les traités communautaires (infra). De telles considérations ne doivent pas non plus faire obstacle au projet de la Commission européenne de développer un cadre de référence commun en matière contractuelle (infra), à condition toutefois qu’il s’agisse d’un cadre de référence pratique, et non purement abstrait ou conceptuel, permettant de trouver des solutions et d’en tirer des enseignements.
Chapitre 1 : L’harmonisation des règles de construction du marché commun de la CEDEAO
Les différences fondamentales de style entre les systèmes de common law et de droit civil n’ont pas pour seule conséquence des attitudes divergentes quant aux sources du droit ; elles engendrent également des méthodes d’enseignement différentes.
Contrairement au type d’enseignement qui prévaut sur le continent européen, à savoir un enseignement axé sur des cours magistraux et formels, celui pratiqué au Royaume-Uni et plus particulièrement aux États-Unis est fondé sur la méthode jurisprudentielle. Élaborée par Dean Langdell de l’Université de Harvard durant la deuxième moitié du XIXe siècle, cette méthode a été adoptée par la plupart des grandes facultés de droit sous l’influence de l’Association américaine des juristes.
Selon le principe qui la sous-tend, les règles de droit doivent être présentées à l’étudiant dans le contexte d’affaires déjà jugées. Cette approche tient parfaitement compte tenu de l’importance accordée au développement judiciaire du droit dans le système de common law.
Alors que la méthode « magistrale » se fonde sur des ouvrages de doctrine dans lesquels les règles de droit sont expliquées et commentées, la méthode jurisprudentielle utilise des casebooks qui reproduisent les décisions de justice les plus marquantes et posent des questions aux étudiants. Cette méthode est moins systématiquement appliquée au Royaume-Uni qu’aux États-Unis, mais de nombreux ouvrages anglais utilisés en cours contiennent de longs extraits de décisions de justice et d’autres sources, des lois, des textes juridiques et des questions.
Encore une fois, la distinction entre les pays de common law et de droit civil est aujourd’hui moins significative qu’auparavant. Sur le continent également, notamment dans des pays comme la Belgique et les Pays-Bas, les cours magistraux et les séminaires axés sur la jurisprudence font partie intégrante du cursus et un grand nombre de ressources jurisprudentielles sont mises à la disposition des étudiants, souvent à l’initiative d’enseignants ayant étudié le droit au Royaume-Uni ou aux États-Unis et connaissant la méthode jurisprudentielle.
L’approche « descendante » de la loi (top down, c’est-à-dire celle qui consiste à étudier les lois pour trouver une solution et l’appliquer aux faits) constitue certainement un des aspects de l’apprentissage du droit. Elle doit toutefois s’accompagner d’une approche « ascendante » (bottom up, qui consiste à examiner des décisions de justice pour savoir comment les lois s’appliquent aux faits et si elles aboutissent à des solutions acceptables dans des affaires comparables).
De ce point de vue, la méthode jurisprudentielle, assortie de l’utilisation des casebooks (ainsi que d’autres sourcebooks), en ce qu’elle permet d’appliquer les règles de droit à des situations concrètes, constitue une partie essentielle du processus d’apprentissage. Elle est du reste reconnue comme telle, non seulement dans les pays de common law, mais également dans d’autres systèmes juridiques.
Différents constats ressortent de ce qui précède. Tout d’abord, la codification n’est pas un paradigme partagé par les États membres de la Communauté ; quant au simple phénomène de « production de lois », il n’est pas perçu de la même manière selon les systèmes des États. De plus, l’élaboration du droit par le biais de l’activité judiciaire est tout autant une source de droit que l’activité législative. Le même constat peut être fait dans la Communauté, en raison de l’importance constitutionnelle des décisions des instances judiciaires européennes, principalement de la Cour de Justice Commune, lorsqu’elles interprètent les dispositions des traités de manière contraignante pour les instances communautaires. De fait, comme nous allons le voir, la convergence des droits, via la jurisprudence communautaire, produit souvent le même effet que celui opéré par la législation sous la forme de directives.
Section 1 : La nécessité d’une rationalisation des CER en Afrique de l’Ouest
Le meilleur moyen de favoriser la convergence des droits consiste à former de jeunes juristes à l’esprit ouvert. Pour cela, il est indispensable d’élaborer des supports pédagogiques utilisables par les professeurs et leurs étudiants dans l’ensemble de l’Union, mais aussi par les juges et praticiens souhaitant étudier les autres systèmes juridiques et s’en inspirer.
Les supports les plus appropriés en la matière sont les casebooks contenant les textes originaux de décisions judiciaires, mieux dénommés sourcebooks car ils contiennent aussi d’autres sources de droit : des extraits de textes législatifs ou de doctrine, et des notes de jurisprudence. L’essentiel est que ces ouvrages prennent comme point de départ des situations réelles, ayant fait l’objet de décisions par des juges et législateurs nationaux et supranationaux.
Ils établissent des comparaisons entre les différents systèmes, afin d’en identifier les points communs et d’expliquer leurs différences au niveau paneuropéen, et démontrent l’interaction entre les systèmes nationaux et supranationaux afin d’indiquer la convergence qui est en train de se réaliser.
Cette méthode ascendante (bottom up) apporte un complément et un soutien indispensables à des approches descendantes (top down) qui partent de règles et de concepts.
Concrètement, les étapes successives de la méthode ascendante sont les suivantes. Tout d’abord, le matériau (c’est-à-dire les décisions de justice, mais aussi des règles législatives et des extraits de doctrine) est recueilli auprès des juridictions nationales. Celles-ci doivent être aussi nombreuses que possible et appartenir à l’une des quatre grandes familles (les pays scandinaves sont compris).
Doivent s’y ajouter des éléments provenant des systèmes juridiques supranationaux et internationaux. Les matériaux sont ensuite triés selon leur contexte factuel et juridique, et regroupés par thèmes (une dizaine de chapitres, voire plus) qui sont communs à la plupart des systèmes analysés.
Lors d’une deuxième phase, le document est replacé dans le contexte du système juridique qui l’a produit, et dont on identifie les particularités procédurales, constitutionnelles et politiques. Est ainsi décrite l’importance de ce matériau dans le système dont il est extrait, et son intérêt eu égard à la convergence ou à l’intégration dans un système européen plus vaste. La troisième étape consiste à examiner et à définir en quoi les concepts, principes généraux et règles spécifiques contribuent, dans les matériaux sélectionnés, à l’élaboration d’une solution adéquate et équitable, et à comparer ce rôle avec celui qu’ils occupent dans les autres systèmes.
La quatrième étape analyse l’impact de considérations méta-juridiques (souvent de nature éthique, politique, économique ou sociologique) sur le processus d’élaboration du droit d’après les matériaux sélectionnés, toujours comparés à ceux issus d’autres systèmes.
Constituer et utiliser un recueil de jurisprudence et de textes de lois ou d’extraits de doctrine n’est pas une entreprise aisée. C’est même une tâche plus ardue que de rédiger ou d’utiliser un manuel. Mais ce travail en vaut la peine, car il apporte à l’auteur comme au lecteur une compréhension du droit que ne peut procurer un manuel.
En effet, apprendre le droit par l’étude de cas permet d’observer le fonctionnement des lois dans des situations concrètes, familières au lecteur car facilement identifiables, pour peu qu’elles soient extraites de la vie quotidienne (en outre, la vie quotidienne offre des exemples similaires dans tous les systèmes juridiques).
Pour une parfaite compréhension, auteur et lecteur doivent tenir compte des particularités du système dont l’exemple est extrait. De plus, il leur faut se familiariser avec les positions adoptées et les arguments employés par les parties en présence, ainsi qu’avec les raisonnements et arguments qu’ont empruntés les juges et les législateurs. Il s’agit de comprendre non seulement une démarche juridique, mais aussi les intérêts et jugements de valeur qui la sous-tendent et ont conduit à choisir une solution plutôt qu’une autre, qui aurait résulté d’un autre raisonnement.
Para 1 : Les impérities rédhibitoires du marché intégré
Dans une zone ayant vocation (en vertu d’un empilement impressionnant de traités d’ailleurs en partie superfétatoires)[549] à se transformer en marché commun ouvert à la libre circulation des personnes et des biens, la création d’un droit commercial uniforme constitue, après des démarches identiques touchant au droit des assurances, au droit comptable, au droit bancaire, au droit de la propriété intellectuelle etc., une étape supplémentaire dans l’édification de la région probablement la plus (sinon la mieux) intégrée au monde.
Pourtant, même l’observateur le plus bienveillant ne peut que constater, quarante ans après Lagos, les limites de l’exercice : efficacité économique non démontrée ; institutions encore dans les limbes ou à la mise en place laborieuse ; à peu près, flou et incomplétude privant le système de son attractivité (défaut de cohérence et parfois de professionnalisme des juridictions nationales compétentes commercialement en premier et deuxième ressorts, que ne supervisent même plus les cours suprêmes locales, auxquels s’ajoute l’absence d’une procédure commerciale commune ; défaut de toilettage de la totalité des législations commerciales internes, opération pourtant indispensable qui consisterait dans la suppression expresse des normes commerciales internes contra legem et dans le recensement des normes commerciales internes résiduelles ou praeter legem) ; persistance de difficultés pour le franchissement des frontières terrestres, maritimes et aériennes…
On pourrait multiplier à l’envi les exemples de faiblesses, d’impasses, voire d’échecs.
Reste que tous ces défauts et lacunes peuvent trouver remède et n’emportent nullement condamnation du principe même de la CEDEAO : des moyens matériels et humains peuvent être dégagés, les comportements modifiés, les textes améliorés, les institutions regroupées, démocratisées et rationalisées…
Sur le fond, on est en droit par ailleurs d’estimer que la CEDEAO, sous réserve de correctifs puissants et d’une vision nécessairement à long terme, est une chance pour l’Afrique, qui ne saurait être exceptée du mouvement universel d’intégration régionale, laquelle ne va jamais sans abandons de souveraineté. Il est permis de croire que la multiplication des échanges humains, que le rapprochement continu, au fil des années et des générations, des jurisprudences, des doctrines et des pratiques, que l’intensification de la circulation des personnes, des idées et des richesses ne pourront que contribuer à la pacification de l’Afrique, condition nécessaire de son essor économique : l’Europe d’après 1945 n’a pas procédé autrement, pourquoi l’Afrique échapperait-elle aux effets de ce cercle vertueux ?
La question qui nous occupe présentement est ailleurs et ne saurait être occultée par des considérations technicistes, des incantations intégrationnistes ni un volontarisme mondialisant, aussi honorables soient-ils.
La question est la suivante : portée sur les fonts baptismaux par la France (relayée ensuite par de grandes organisations internationales, telles que le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), le Fonds européen de développement (FED) ou la Banque mondiale), affligée d’un dysfonctionnement démocratique flagrant, peu convaincante sous l’angle judiciaire, l’Ohada peut-elle (à supposer qu’elle le doive) faire l’objet d’acculturation par les Africains, et si oui, à quelle condition et à quel prix ?
On entend ici par acculturation juridique, non pas bien sûr l’assimilation pure et simple, « clé en main », d’un système de droit, de façon plus ou moins consentie et réfléchie par ses bénéficiaires prétendus, mais sa réception « sous bénéfice d’inventaire », mûrement et volontairement pesée par ses nouveaux utilisateurs.
Trois aspects retiendront notre attention et contribueront à éclairer le débat del’acculturation de la CEDEAO : les actes uniformes ; les langues de travail et les traditions juridiques ; l’architecture judiciaire.
- Les actes uniformes, élaboration et adoption : quand la technocratie confisque la démocratie au détriment de l’économie
La réflexion sur le déficit démocratique qui pourrait être reproché tant en matière d’élaboration que d’adoption des actes uniformes est un sujet, sinon tabou ou impensé, du moins peu traité et peu médiatisé. Des protestations, des réticences, voire des rébellions existent, mais jusqu’à présent, elles n’ont pas eu d’écho ni, partant, de conséquences.
Aux termes de l’article 5 du Traité, « les actes pris pour l’adoption des règles communes prévues à l’article 1er (…) sont qualifiés « actes uniformes. »
De l’avis général, on estime que globalement les actes uniformes (AU) donneraient satisfaction sur le plan qualitatif. On ne peut que s’en réjouir et il n’est pas utile de s’appesantir ici sur les difficultés qui ont été relevées ces huit dernières années dans l’application des actes uniformes, n’ont pas manqué à juste titre d’émouvoir les professionnels, méritent d’être corrigées, et le seront bien un jour.
On se bornera à rappeler pour mémoire que la concurrence avec d’autres législations régionales supranationales soulève de délicats conflits de loi et de juridiction qui n’ont pas été prévus ni a fortiori résolus.
De même, l’article 10 du Traité indique que « les AU sont directement applicables dans les États parties nonobstant toute disposition contraire de droit interne, antérieure ou postérieure ». Or la question cruciale, mais ingrate et fastidieuse, de la « mise en conformité » des droits internes a été laissée en jachère, pour ne pas dire à l’abandon. De telle sorte qu’en pratique, le risque existe de voir abusivement appliquée ici ou là une législation nationale contraire au droit harmonisé, ou encore une législation interne prétendument supplétive…
Concrètement, jusqu’à présent, en dépit de la formulation pudique du Traité[550], tous les actes uniformes en vigueur ou en chantier ont été rédigés par d’éminents universitaires ou avocats, pas toujours africanistes d’ailleurs, qui ont pieusement décalqué la législation française ou les standards internationaux. La compétence et la bonne volonté des auteurs ne sont pas discutables, les textes ont le mérite d’une universalité éprouvée, mais cela ne suffit pas à légitimer des actes uniformes dont le simple survol montre cruellement le manque de « couleur locale », voire d’esprit pratique (carence frappante lorsque l’on touche aux questions de procédure judiciaire, faute d’avoir interrogé des praticiens du prétoire).
Certes, de façon coutumière, dans chaque État-partie, existe, au moins sur le papier, une « Commission nationale », composée de représentants de l’administration et d’experts et supposée examiner et proposer d’amender les projets d’actes uniformes, mais l’activité de ces commissions est souvent virtuelle ou poussive. Surtout, il faut avoir assisté au moins une fois, en marge d’un conseil des ministres, à la réunion des délégués de l’ensemble des Commissions nationales sous la ferme houlette du prestigieux rédacteur du projet d’AU, pour mesurer combien il est difficile pour ces délégués d’infléchir le cours inexorable des choses, d’amender le projet, sans même parler de le modifier sensiblement.
Or le mode d’adoption des AU vient accuser encore le malaise.
Si l’on considère en général le fonctionnement des institutions démocratiques (Parlement, université, mais aussi quatrième pouvoir), il n’en va, en Afrique, au mieux, pas différemment qu’ailleurs : l’adoption d’un Traité à la technicité absconse, dans un domaine peu propice à flatter ou alarmer les opinions publiques, mais lourd d’abandons de souveraineté futurs, passe quasi inaperçue, signature et ratification étant fournies complaisamment par les exécutifs et les organes législatifs.
La démocratie formelle est sauve, mais c’est ensuite que les ennuis commencent. L’article 8 du Traité dispose en effet que « l’adoption des actes uniformes par le conseil des ministres requiert l’unanimité des représentants des États-parties présents et votants » ; que « l’adoption n’est valable que si les deux tiers au moins des États-parties sont représentés » et que « l’abstention ne fait pas obstacle à l’adoption des AU ».
Ainsi, on le voit, non seulement les représentations nationales sont totalement évincées de la procédure d’adoption des AU, mais un État-partie peut voir intégrer dans son droit positif une législation qu’il n’a pas acceptée, soit qu’il ait été absent du conseil des ministres, soit qu’il se soit abstenu.
De manière platonique, on peut se féliciter d’un tel dispositif, mais il n’est que de regarder combien, dans l’Union européenne, suscitent encore de passions et de polémiques le fonctionnement des institutions communautaires et leur délicate dialectique avec les souverainetés nationales, pour deviner que, sur un continent qui expérimente tout juste l’État-nation, dont les sociétés civiles peinent à s’affirmer, et où l’État de droit et la démocratie sont encore balbutiants, la quête effrénée d’efficacité, aussi louable soit-elle, pèche contre elle-même.
En Afrique, l’heure et l’urgence sont à associer le maximum d’intéressés aux processus décisionnels. Pas le contraire.
Le caractère universel de la CEDEAO., la diversité des cultures juridiques (des acteurs), amènent à des choix de forme et de fond, qui peuvent séduire, mais aussi heurter. De plus, ce même caractère aggrave le jeu de l’interprétation (de la mise en scène !) qu’il rend plus malaisé. L’Union européenne_ organisation certes régionale, mais de caractère international _ connaît pareillement certaines de ces infortunes, dont elle s’accommode ou qu’elle adoucit. Son modèle peut-il aider à les résoudre ? Ou n’est-ce là qu’un miroir aux alouettes ? S’avère-t-il au fond inaccessible ?
Comment refléter et respecter les approches des rédacteurs venus de toutes les parties du monde ? La CEDEAO y répond, tantôt au prix de compromis, d’arbitrages maladroits, de lacunes délibérées, de silences contraints, de confusions voulues, de priorités données à un « droit leader »[551], souvent de common law, ou à des intérêts particuliers[552].
Tantôt, elle parvient (avec bonheur) à concilier l’inconciliable… La Convention de Vienne constitue à ce propos un exemple éloquent : abandon aux droits nationaux du sort de la validité du contrat et de ses clauses ; référence au concept vague « d’excuse raisonnable » ; réunion de véritables antinomies (en particulier quant à la règle de détermination du prix) ; influence manifeste de l’Uniform Commercial Code (voir la faculté pour l’acquéreur de déclarer la résolution du contrat) ; recours concomitant à des règles issues de traditions juridiques contraires (cas de la révocabilité de l’offre). Même si ce texte ne figure pas parmi les plus critiquables[553].
Or ne trouve-t-on pas écho de tout cela dans le droit communautaire ? On a utilisé à ce sujet l’image du « pont de l’Europe »[554] : pont entre les cultures nationales ; pont entre chaque ordre national et l’ordre communautaire ; eux-mêmes figurés par le « pont de métal » du chevalier Lancelot _ symbole d’un passage parfois périlleux _ ou le « pont du diable » _ incarnant l’angoisse du choix qui peut conduire à la damnation ou au salut.
On connaît ainsi l’influence, voire la mainmise, du droit allemand sur le droit communautaire des sociétés[555], du droit français sur le droit communautaire de la consommation[556], de la langue anglaise sur le droit communautaire de l’étiquetage[557], etc. Comment oublier l’action (réussie) des banquiers allemands contre la proposition de 13e directive sur les offres publiques d’achats et d’échanges[558]? des juristes anglais contre la directive sur les agents commerciaux, car celle-ci repose principalement sur le droit allemand[559]? Des praticiens (de toutes nationalités) contre la société européenne _ action qui a tenu celle-ci en échec pendant plus de trente ans _ [560]?
On sait les désaccords sur le droit des marques entre les textes communautaires et du Bénélux[561] … La duplication des activités d’harmonisation en matière de responsabilité du fait des produits. Sur ce point, la directive communautaire a privé les États membres de tout intérêt pour le projet du Conseil de l’Europe[562].
Dans ce contexte, les Communautés européennes organisent le travail législatif autour des principes d’« harmonisation » (le plus souvent « minimale »), de « reconnaissance mutuelle » (toujours plus usité) et de « subsidiarité ».
L’harmonisation minimale permet à chaque État d’adopter une norme plus exigeante. L’harmonisation se combine aussi avec une autorégulation, favorable à une « harmonisation spontanée », à une « diffusion imitative ». La logique du marché unique paraît être à l’origine d’une raison naturelle, commune, qui transcende les frontières. Mais si le droit fiscal, le droit comptable, le droit financier et le droit des contrats, sont le creuset de cette logique dans l’espace européen[563], la multiplication des contrats types, conditions générales et usages codifiés, en témoigne dans l’espace international[564].
La reconnaissance mutuelle _ second principe _ apparaît d’ordinaire comme un palliatif à l’absence ou à l’insuffisance d’harmonisation. C’est ce qu’observe la loi type sur la signature électronique, où, à défaut de définition unitaire, est proposée aux États la méthode des équivalents fonctionnels qui défère une même force obligatoire (article 3).
Quant au principe de subsidiarité, la loi type sur les virements internationaux le reprend lorsqu’elle laisse à chaque partie le soin de choisir le niveau auquel sera élaborée la règle[565].
Le règlement communautaire établit un droit unique, directement applicable. Une directive doit être transposée dans des formes claires et non équivoques, sachant que les États membres sont liés par les normes minimales qu’elle impose. Cependant, quand on regarde comment la mise en œuvre est effectuée dans les pays membre, on a l’impression que ces textes sont simples directives d’interprétations, facultatives et les conventions peu contraignantes. L’autorité normative de celles-ci dépend du nombre de ratifications, d’où une lenteur désespérante pour entrer en vigueur (lorsqu’elles y parviennent).
On peu alors se poser la question suivante : la CEDEAO ne consacre-t-elle pas l’existence d’un réseau de droits, sans centre, sans hiérarchie ? une interopérabilité des systèmes juridiques, des cultures juridiques ? Elle paraît ainsi _ dans quelques domaines, comme en droit des contrats _ s’éloigner de la seule relation hiérarchique pour développer une perspective de convergence, comme une interface entre des normes d’origine différente[566]. Et pour que ce système fonctionne, il faut simplement des principes communs, des définitions communes aux concepts centraux. Comme on a pu le noter, la C.N.U.D.C.I. ne réagit pas autrement.
Cependant, si ce premier fossé semble comblé, l’obstacle tiré des difficultés d’interprétation paraît plus redoutable.
Pour Michel Villey, le procès serait « le berceau du droit »[567]. Or, la CEDEAO,, contrairement aux Communautés européennes, ne conna ît pas « réellement »un juge supranational, à même d’homogénéiser l’interprétation des textes, pour les rendre effectifs. Tout au plus a-t-elle réfléchi à créer un tribunal supranational _ qui pourrait tirer profit de l’expérience de la Cour de justice des Communautés européennes _, mis sur pied des « correspondants nationaux », prévu de publier sur le réseau internet des jurisprudences nationales, précisé les conditions d’interprétation simplifié certains textes.
Elle bénéficie là de l’appui, voire du relais, des États membres, des juges nationaux. Dans nombre de droits nationaux, les juges sont invités à se reporter aux documents de la CEDEAO lorsqu’ils interprètent une loi interne, inspirée d’un texte communautaire.
Malgré tout, la Cour de justice _ acteur majeur de l’intégration régionale _ s’efforce de corriger, combler, jouer « la mouche du coche » (lorsque, par ses décisions, elle incite la Commission[568]), voire contraint le juge interne à se livrer à une interprétation conforme du droit national! Et de déclarer : « (…) chaque disposition de droit communautaire doit être replacée dans son contexte et être interprétée à la lumière de l’ensemble des dispositions de ce droit, de ses finalités et de l’état de son évolution (…) »[569] .
Certes, un « vent » subversif de subsidiarité juridictionnelle souffle parfois, faisant fi de l’application uniforme des textes. La Cour de justice peut également hésiter à convenir de concepts autonomes, détachés des conceptions nationales. On citera entre autres les notions de « consommateur moyen »[570], d’« abus de droit »[571] , de « fraude »[572], de « risque de confusion »[573], etc.
Mais en même temps, la Commission, le Conseil et le Parlement communautaire, par des mesures (le plus souvent non contraignantes), tentent de simplifier le droit communautaire, de le rendre plus transparent, plus accessible.
Para 2 : l’indispensable fusion des Accords régionaux
Du point de vue de ses structures donc, la CEDEAO apparaît plutôt comme une institution achevée comportant tous les organes nécessaires, même si leurs statuts ne sont pas encore tous élaborés et adoptés. Qu’en est-il du point de vue des mécanismes d’intégration ?
La démultipication des organes d’intégration dans la région ne favorise pas le plein épanouissement de la CEDEAO, en effet, les Etats membres sont engagés auprès de trop d’organes d’intégration avec leurs propres règles et les obligations qui en découlent.
On a alors pour résultat une intégration beaucoup moins satisfaisant dans la mesure où il énonce des objectifs ambitieux en termes vagues ; il s’agit davantage d’intentions et de voeux que de programmes opérationnels. Les Etats africains sont d’ailleurs conscients de la faiblesse de leur projet communautaire et ils ont cru y remédier en prévoyant un calendrier d’une articulation logique et rigoureuse qu’il convient d’analyser avant d’apprécier le type d’espace économique que la CEDEAO envisage de mettre en place pour l’avenir.
Ce qu’on a pu comprendre de ce qui a été étudié jusqu’ici c’est que la communauté a montré les principales carences du processus d’intégration ; l’une d’entre elles est l’absence, l’insuffisance ou le non-respect du calendrier nécessaire aux différentes étapes de la construction. Il aurait fallu penser à une construction par étapes sur une période de quinze à vingt-cinq ans ; et rappeler dans les Actes de la Communauté l’engagement de fixer comme délai l’horizon 2000 et en arrêtant un plan d’action pour les deux décennies (1980 à 2000). Il aurait alors fallu tirer les conséquences de ces options en précisant le calendrier tout en l’étalant dans le temps ; avoir une disposition qui prévoit une période de transition déterminée à partir de l’entrée en vigueur du Traité ; période qui aurait été subdivisée en six étapes allant de la zone de libre-échange à la communauté économique en passant par l’union douanière et le marché commun, qui sont les suivantes :
— une première étape de cinq ans pour le renforcement des communautés régionales existantes et la création de nouvelles là où elles n’existent pas ;
— une seconde étape de huit ans pour la constitution de zones de libre-échange régionales ;
— une troisième et longue étape de dix ans pour la mise en place d’unions douanières régionales ;
— une quatrième et brève étape de deux ans pour l’institution d’une union douanière continentale ;
— une cinquième étape de quatre ans pour la réalisation d’un marché commun africain ;
— enfin, une sixième étape de cinq ans pour le parachèvement du processus d’intégration, avec la création de la communauté économique proprement dite.
La présentation de ce calendrier laisse ressortir un plan cohérent et rigoureux d’autant plus remarquable que les autres expériences d’intégration à travers le monde n’ont pas osé en établir, sauf la Communauté économique européenne. En faisant ce choix d’une construction planifiée méthodiquement, les Etats africains ont voulu faire face à plusieurs objections ou difficultés. D’une part, on leur reproche souvent d’avoir beaucoup de projets ambitieux qui sont plutôt objets de palabres infinies et débouchent rarement sur des réalisations.
D’autre part, les Etats du continent étant au nombre de cinquante-deux, l’absence d’un calendrier complet et précis avec l’engagement de le respecter aurait entraîné des négociations répétées et aléatoires pour chaque progrès que l’on voudrait réaliser dans l’intégration. Enfin, bien que le calendrier soit clairement et minutieusement établi, il conserve une réelle souplesse et un certain réalisme dans sa durée comme dans ses objectifs : chaque étape a une durée maximum, mais il n’y a pas de passage automatique de l’une à l’autre et il appartient à la Conférence d’en décider, sur recommandation du Conseil (art. 8, par. 4) ; de ce fait, la durée totale fixée à un maximum de trente-quatre ans n’est pas un délai impératif et la période de transition peut être plus longue sans excéder toutefois quarante ans, durée qui correspond à peu près à celle de l’achèvement du marché unique européen.
En évoquant les circonstances dans lesquelles est née l’OUA, nous avons relevé l’intensité du débat qui a opposé les partisans et adversaires des organisations régionales, avant que l’opposition se dissipe et que chacun admette qu’elles sont compatibles avec une organisation continentale. Effectivement, à partir des années soixante-dix, les organisations économiques régionales ou sous régionales se multiplient, avec les encouragements d’abord de la Commission économique des Nations Unies puis de l’OUA elle-même.
Avec le Traité de Lagos, les régions deviennent les éléments essentiels de toute la stratégie continentale et, pour la première fois, une condition et une exigence avec une articulation juridique et une série de liens et d’implications qui posent évidemment un certain nombre de problèmes. C’est sur ce point que les Etats africains innovent considérablement, car le droit international classique n’offre pas vraiment de base pour éviter ou surmonter les difficultés d’articulation entre les communautés régionales et la communauté continentale.
C’est avec la création de l’ONU que s’est posé concrètement le problème des relations entre elle et les organisations régionales, plus précisément en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationales[574]. Si les solutions retenues, dans ce domaine, établissent une certaine subordination à l’égard de l’ONU[575], en matière économique les dispositions de la Charte sont vagues, en se limitant à la coopération et en laissant le champ libre aux organisations régionales.
Pour trouver une comparaison utile, on peut songer à se reporter plutôt aux relations entre l’ONU et ses propres démembrements régionaux, notamment les commissions économiques régionales[576] ou les organismes subsidiaires[577] cependant, cette situation d’une organisation centrale qui se déconcentre ne fournit pas un cadre juridique adéquat pour comprendre la situation africaine où les communautés régionales préexistent à la communauté continentale et souhaitent sans doute conserver par rapport à elle une grande autonomie, sinon une réelle indépendance.
L’exemple de l’OUA n’est pas plus significatif, bien que celle-ci ait aussi rencontré dès sa création le problème de ses relations avec les organisations régionales africaines. Dans un premier temps, celui de la méfiance, elle a voulu poser des règles susceptibles de lui permettre
un contrôle de leur compatibilité avec la Charte d’Addis-Abeba; dans un second temps, celui de la compréhension, elle a voulu encourager les organisations de nature économique ; dans un troisième elle s’efforce de s’appuyer sur elles pour sa stratégie de coopération mais sans disposer de moyens juridiques de faire prévaloir le point de vue continental sur les intérêts régionaux.
Finalement, ni le droit international universel ni le droit international régional ne semblent offrir d’expérience juridique appropriée pour appréhender et analyser les relations originales que la CEA se propose d’instaurer avec les communautés régionales et qui rappellent un système de type fédéral où la loi de superposition entraîne une subordination entre l’une et les autres.
Les réflexions et conclusions de Georges Scelle, évoquées précédemment à propos du fédéralisme international, apparaissent assez pertinentes pour comprendre l’articulation des relations entre les communautés régionales et la communauté continentale en Afrique.
C’est le fédéralisme par agrégation qui inspire le Traité d’Abuja et entraîne une forme de subordination des communautés régionales qui se manifeste aussi bien à propos de leur création que du processus interne d’intégration ou des relations entre elles.
Puisqu’il existe déjà des communautés régionales ou sous-régionales,il faut prend en considération cette situation et la nécessité de les renforcer, ce qui entraîne une ingérence dans leur évolution interne, notamment pour indiquer la méthode et le calendrier de leur participation à l’intégration continentale ; à bien des égards, il se superpose aux traités régionaux pour fixer les objectifs et les étapes que les parties doivent respecter. Ainsi, chaque communauté régionale doit instaurer une zone de libre-échange dans un délai de huit ans ; en principe, cet objectif ne présente pas de difficulté particulière car il est déjà prévu par les statuts de chacune d’entre elles. Chaque communauté doit également passer à l’union douanière et à l’adoption d’un tarif extérieur commun dans un délai de dix ans. La comparaison entre les calendriers de la communauté continentale et des communautés régionales permet de faire un certain nombre de constatations quant à leur éventuelle harmonisation. Pour trois d’entres elles, le délai d’instauration de l’union douanière est fixé respectivement à douze ans (CEAO et CEEAC) et quinze ans (CEDEAO); cependant, ces calendriers n’ont pas été respectés pour la CEAO et la CEDEAO puisque les délais ont expiré sans que l’union douanière soit effectivement réalisée ; pour la CEEAC, le délai est sur le point d’expirer et le retard pris pour parvenir à l’union douanière n’est pas de bonne augure. La CEA a tenu compte de ces expériences et retards, pour retenir un délai relativement long pour une opération qui aurait dû être sur le point de s’achever. Pour les autres communautés qui n’ont pas arrêté de délais, c’est le calendrier du Traité d’Abuja qui en tient lieu et qui les incite à réaliser progressivement l’objectif d’intégration.
Il est nécessaire de coordonner ou d’harmoniser les activités des communautés régionales de manière à ce qu’elles s’inscrivent dans la stratégie d’intégration continentale qui additionne et fusionne les intégrations régionales A cet égard, la tentative africaine s’écarte de l’expérience européenne. L’Europe a retenu une méthode de construction qui repose sur un cercle s’agrandissant au fur et à mesure pour inclure d’autres Etats, en faisant tache d’huile ; parti d’un noyau initial franco-allemand, on est passé à une communauté à six membres en 1957, puis neuf membres en 1973 et douze membres actuellement, en attendant d’autres adhésions éventuelles.
L’Afrique a opté pour une méthode différente en partant de la juxtaposition de plusieurs cercles qui vont d’abord coexister pour ensuite s’harmoniser et enfin se fondre dans le cercle final à l’échelle continentale ; on peut même penser à l’image des matriochkas, avec des poupées gigognes s’emboîtant les unes dans les autres, en allant du cercle sous-régional au cercle régional puis continental.
De cette différence de méthode découle une différence de technique juridique dans l’agencement des relations entre la communauté et les Etats membres selon qu’il s’agit de l’Europe ou de l’Afrique. Dans la CEE, on est en présence du schéma classique d’une négociation internationale et d’un accord entre elle et l’Etat qui adhère afin de définir les conditions et modalités de l’adhésion.
Dans la CEA, les choses sont plus complexes parce que les Etats ne sont pas seuls concernés et l’on peut même dire qu’ils ne sont pas directement concernés ; en effet, il leur est demandé de se constituer en communautés régionales et ce sont celles-ci qui deviennent les partenaires de l’intégration continentale ; il en résulte des relations juridiques singulières dont la forme et le contenu méritent d’être analysés.
- Les formes de la coordination et de l’harmonisation
Selon le professeur R.-J. Dupuy, il faut distinguer, dans les relations entre les organisations internationales, trois types selon qu’elles sont subordonnées, contrôlées ou concertées[578] s’instaurer entre la CEA et les organisations régionales et il convient donc de la compléter.
La première forme découle d’accords conclus entres les communautés continentales et régionales ; elle se situe dans le cadre maintenant bien établi des traités d’organisations internationales fondés sur le respect de l’indépendance et de l’égalité de chacune d’entre elles
et dont le régime juridique est désormais codifié par la Convention de Vienne du 21 mars 1986. Cette forme de relations relève du droit international classique de la concertation et de la coopération, même si la CEA a un rôle de leader qui rappelle celui de l’ONU vis-à-vis des institutions spécialisées elle concerne plutôt les autres organisations continentales africaines (Banque africaine de développement, Centre africain d’études monétaires).
La seconde forme est plus spécifique et elle est interne à chaque organisation régionale, en ce sens que ce sont des Etats membres qui décident d’organiser et d’orienter leur communauté conformément au Traité d’Abuja. En effet, en acceptant ce traité, chacun d’entre eux s’est engagé à atteindre les objectifs fixés et plus précisément à coordonner et harmoniser les activités de leurs organisations en fonction de l’intégration continentale (art. 88).
La troisième forme est la participation des communautés régionales aux activités de certains organes de la communauté continentale, plus précisément la Commission économique et sociale ainsi que ses organes subsidiaires. Toutefois, les modalités et la portée de cette participation ne sont pas encore connues, en l’absence du protocole devant les préciser ; s’agit-il simplement de consulter les représentants des communautés concernées ou bien s’agit-il de les associer plus étroitement aux projets et aux actions concernant aussi bien les affaires régionales que les affaires continentales ?
La quatrième forme est une relation de subordination incontestable, avec la reconnaissance en faveur de la communauté continentale du droit d’intervenir pour coordonner, harmoniser et évaluer les activités des communautés régionales. La relation ne s’effectue plus par voie d’accords mais par voie d’actes unilatéraux, émanant de la Conférence ou du Conseil, qui s’imposent aux communautés régionales, comme nous l’avons indiqué précédemment. Dans ce cas, on sort des formes habituelles de collaboration pour aller vers des formes de relations hiérarchiques, ou à tout le moins des relations de tutelle qui s’établissent au sein d’un système décentralisé.
Bien que les termes coordination et harmonisation soient d’un usage courant en droit international, particulièrement en droit des organisations internationales, leur signification précise n’est pas aisée, surtout qu’ils sont souvent accolés et même confondus[579]. Il est vrai que l’on glisse facilement de l’un à l’autre, la frontière étant assez fragile[580].
Pourtant, il y a une différence puisque la coordination consiste à faire en sorte que les activités des organisations internationales concernées soient orientées pour produire certains effets concertés ; c’est une méthode très souple où l’on respecte l’indépendance et la liberté d’action de chaque partenaire, tout en visant un objectif commun ; elle correspond essentiellement aux relations de coopération. L’harmonisation consiste dans une action plus directive, impliquant qu’il faut atteindre des objectifs bien définis et limitant la liberté d’action de chaque partenaire ; elle correspond plutôt aux relations d’intégration. Sur le plan de la technique juridique, la coordination et l’harmonisation peuvent parfois se manifester par les mêmes procédures, la distinction n’apparaissant qu’au niveau des finalités. Sur le plan chronologique, la coordination précède normalement l’harmonisation, en lui préparant le terrain pour lui céder la place.
En examinant les règles et procédures de la CEA on retrouve cette différence entre la coordination et l’harmonisation, avec même une gradation dans l’utilisation de l’une ou de l’autre selon le calendrier de la construction. Lors de la première étape, la CEA met en œuvre la coordination à l’égard des communautés régionales ; avec la seconde étape l’harmonisation apparaît mais la coordination prédomine; elles sont à égalité au cours de la troisième étape ; lors de la quatrième étape, la coordination se réduit en faveur de l’harmonisation, qui la supplante totalement avec la cinquième étape. Autrement dit, la coordination joue tant que les intérêts régionaux sont présents et servent de référence au processus d’intégration continentale tandis que l’harmonisation joue dès que les intérêts régionaux s’effacent devant l’espace communautaire africain[581].
Section 2 : Un programme nouveau de réalisation du marché commun
En concluant le traité de 1991, les Etats africains se sont fixé un objectif ambitieux dès le départ : la création d’une communauté intégrée qui ne se limite pas aux seuls aspects économiques. L’ambition du projet s’accompagne d’une approche et d’une méthode assez prudentes, avec les séquences habituelles allant de la zone de libreéchange à la communauté en passant par l’union douanière et le marché commun. Il convient donc de mieux voir le contenu de chacune de ces séquences.
Para 1 : Une armature juridique assouplie en matière d’échanges
La Communauté économique africaine est un projet à la fois utopiste et réaliste ; utopiste si l’on considère les difficultés qui assaillent le continent de tous côtés (économiques, politiques, sociales, culturelles) ; réaliste si l’on considère le processus retenu et les délais fixés pour construire, d’abord, des espaces régionaux intégrés, puis l’espace continental lui-même. On ne peut pas faire, ici, l’inventaire et la discussion de l’ensemble des facteurs favorables et défavorables pour déterminer de quel côté penchera la balance, mais on peut évoquer succinctement les chances du projet africain d’un point de vue plus global concernant respectivement les aspects institutionnel et normatif, économique et politique.
L’examen fait précédemment des institutions, règles et procédures de cette nouvelle communauté continentale laisse transparaître deux principales conclusions : la complexité institutionnelle avec le déséquilibre entre l’appareil institutionnel et l’appareil normatif. La complexité des structures provient d’une double articulation, horizontale et verticale. L’articulation horizontale concerne les relations entre la CEA et l’OUA, dont il est encore difficile de voir les conséquences ; on peut seulement se demander dans quelle mesure la symbiose entre une organisation économique et une organisation politique parviendra à conforter l’une et l’autre ou, au contraire, à les affaiblir.
L’articulation verticale concerne les relations entre les Etats, les communautés régionales et la communauté continentale dont nous avons vu, à plusieurs reprises, qu’elles comportent de grandes zones d’ombre; les liens de subordination entre les communautés régionales et la CEA soulèvent de sérieux problèmes théoriques et pratiques susceptibles de devenir des éléments de blocage ; l’engrenage institutionnel mis en place prend parfois l’allure d’un bricolage juridique où l’emboîtement des structures apparaît bien fragile et à la merci du moindre grain de sable, surtout si celui-ci se présente sous la figure de la souveraineté. Cette complexité institutionnelle entraîne un déséquilibre par rapport au contenu de l’intégration dont les règles substantielles sont d’une faible teneur juridique. Autant les structures et organes apparaissent nombreux et relativement bien définis, autant les actions concrètes à entreprendre et les procédures de décision à cet effet apparaissent imprécises et fuyantes ; il y a, pour reprendre une formule imagée et fort significative du professeur R.-J. Dupuy, un
«buissonnement organique » qui s’explique par le fait que l’on cherche à conforter des normes sans force juridique en multipliant les structures chargées de leur donner une certaine efficacité212 ; on a ainsi l’espoir de surmonter la carence normative par l’inflation institutionnelle.
Les dispositions du Traité d’Abuja relatives aux différents secteurs économiques sont plus indicatives que contraignantes et elles viennent enrichir le champ de la normativité relative que la doctrine croit déceler dans le droit international contemporain.
Certes, il y a bien un double engagement général souscrit par les Etats africains (art. 5), l’un négatif de s’abstenir de gêner l’intégration, l’autre positif d’agir en faveur de l’intégration ; il y a même une sanction en cas de manquement avec la suspension des droits et privilèges de l’Etat fautif ; mais tout cela demeure assez platonique en raison de l’incertitude du contenu et de la portée des obligations prévues par le Traité, ce qui laisse une ample marge de manoeuvre à chaque Etat. Finalement, les règles et procédures de l’intégration sont élastiques ou à l’état d’ébauche et il incombe aux Etats, aux communautés régionales et à la communauté continentale de les préciser pour les rendre opérationnelles si le contexte économique s’y prête[582].
L’expérience de la Communauté économique européenne montre clairement que la politique d’intégration réussit dans un espace économique régional où les relations entre les espaces économiques nationaux sont déjà solidement organisées et relativement équilibrées ; la construction communautaire apporte alors une plus-value en accroissant les échanges et en insufflant une dynamique et une efficacité supplémentaires susceptibles de transformer qualitativement les rapports entre les partenaires. Ajoutons que la construction européenne a été lancée et confortée dans une conjoncture internationale extrêmement favorable, la période forte pendant laquelle l’économie mondiale était en pleine expansion et entretenait avec les économies internes des flux de stimulation mutuelle.
Avec le projet de Communauté économique africaine, en ce début des années quatre-vingt-dix, les circonstances sont complètement différentes. La conjoncture mondiale est toujours en phase de récession et au lieu d’être porteuse d’initiatives elle est décourageante et pleine de risques[583].
Par ailleurs, comme nous l’avons déjà relevé, l’espace africain réunit des économies nationales inorganisées, désarticulées et de plus en plus isolées les unes des autres. Est-il possible de construire des économies régionales et une économie continentale de toutes pièces, alors que les échanges entre les partenaires sont faibles ou inexistants et qu’ils sont souvent pris dans l’étau de l’extraversion ? Là est le pari du Traité d’Abuja qui ne peut être comparable à celui du Traité de Rome et qui montre le difficile, pour ne pas dire l’impossible, chemin de l’intégration continentale africaine.
Cet aspect, qui est naturellement présent dans tout projet de communauté économique, notamment sous l’angle de la volonté de réaliser l’objectif d’intégration, n’est pas négligeable et permet parfois de compenser les faiblesses et difficultés objectives. Toutefois, il semble que les Etats africains aient fait preuve d’un volontarisme excessif ; dans leur souci de jeter à tout prix les fondements d’une communauté, ils ont sous-estimé ou négligé certains obstacles susceptibles de contrarier leur projet.
Nous savons que le continent comporte plus d’une cinquantaine d’Etats dont aucun ne dispose d’un régime vraiment stable ; or, à partir du moment où chacun se préoccupe nécessairement de sa propre stabilité interne, les engagements pour l’établissement de communautés régionales ou de la communauté continentale ne peuvent que devenir secondaires ou bien constituer une sorte de fuite en avant. Un grand nombre d’Etats connaissent présentement des conflits armés ou des tensions politiques d’une extrême gravité qui les menacent d’éclatement, créent des crises et font monter toutes les suspicions à l’égard des voisins avec lesquels ils devraient normalement coopérer pour atteindre les objectifs d’Abuja.
Addis-Abeba, le siège de l’OUA et de la CEA, ainsi que l’Ethiopie étaient un lieu de conflits au moment même où se tenait le sommet pour adopter le traité de création de la Communauté économique africaine ; c’est d’ailleurs l’une des raisons qui ont entraîné le déplacement du sommet à Abuja et il faut souhaiter que cela ne soit pas un mauvais présage pour la nouvelle communauté.
En tout cas, tant qu’un minimum d’apaisement interne et externe n’apparaît pas à l’horizon, on peut craindre que l’intégration africaine soit une grande ambition avortée.
Para 2 : Une véritable union douanière instaurée
Les règles régissant une zone de libre-échange sont maintenant bien établies en droit international et correspondent à un ensemble de mesures portant sur les droits de douane, les autres taxes d’effet équivalent et les obstacles non tarifaires.
S’agissant des droits de douane et autres taxes d’effet équivalent, les Etats membres de chaque région doivent d’abord les geler, c’està-dire s’abstenir d’en créer de nouveaux ou d’augmenter les taux ; cette période de stabilisation est destinée à ouvrir la voie à des mesures plus positives de réduction progressive, puis d’élimination définitive des droits et taxes.
S’agissant des obstacles non tarifaires (contingentements, restrictions, prohibitions à l’importation), chaque région s’engage à les assouplir puis les éliminer, pour assurer la libre circulation des pro duits des Etats membres. D’autres obstacles non tarifaires visant à avantager les produits nationaux, comme le dumping, les subventions ou les pratiques discriminatoires doivent également disparaître, selon le Traité d’Abuja, qui en parle expressément. Pour ceux qui n’y sont pas mentionnés et dont la diversité n’a d’égal que la subtilité des Etats qui y recourent, il faut se reporter aux règles du commerce international, plus spécialement celles du GATT, pour les identifier. Cela veut dire que l’institution d’une zone de libre-échange régionale suppose une surveillance constante des législations et des pratiques des membres pour s’assurer que chacun met en oeuvre effectivement et loyalement le démantèlement de tous les obstacles pour s’engager dans une union douanière, avec l’adoption d’un tarif extérieur commun.
Elle vient consacrer la réalisation des unions douanières régionales pour les dépasser et instituer la première forme d’harmonisation économique à l’échelle du continent. L’harmonisation s’effectue par le biais de trois règles relatives respectivement à l’origine des produits, au tarif extérieur commun et aux clauses de sauvegarde.
La notion de produit originaire est déjà définie dans les règles propres à chaque organisation régionale et il en résulte donc des disparités de l’une à l’autre qu’il faut harmoniser pour que les régions s’ouvrent les unes aux autres. Le Traité d’Abuja se préoccupe d’une définition des produits originaires, mais en renvoyant à un protocole le soin de la fixer (art. 33, par. 2) ; son intervention rendrait caduques les dispositions des accords régionaux et unifierait les règles d’origine pour l’ensemble du continent ; toute la question est de savoir si les membres de la CEA vont s’entendre rapidement sur ce point qui suscite déjà de sérieuses divergences dans les unions douanières existantes.
Parallèlement à cette harmonisation concernant les échanges commerciaux intracommunautaires, doit intervenir également celle concernant les échanges avec les tiers et qui se traduit par un tarif extérieur commun. Là, encore, il existe déjà dans certaines organisations régionales un tarif extérieur s’appliquant aux produits tiers, y compris ceux provenant des autres régions d’Afrique ; il est parfois prévu une extension possible de l’union douanière à d’autres Etats africains (article 50 de la CEAO et article 86, paragraphe 5, de la CEEAC), ce qui témoigne du souci d’ouverture des communautés régionales et facilite une harmonisation graduelle à l’échelle continentale.
Selon le Traité d’Abuja, l’union douanière continentale doit intervenir lors de la quatrième étape, qui est la plus brève, avec une durée de deux ans seulement pour substituer aux tarifs extérieurs régionaux un tarif extérieur commun africain : la brièveté du délai s’explique précisément par le fait que, la coordination et l’harmonisation ayant commencé lors des étapes précédentes, il ne reste plus qu’à parachever le processus. Ce processus permet de comprendre
aussi pourquoi le tarif extérieur africain ne résulte pas d’un acte d’autorité de la CEA, comme pour les règles d’origine, mais plutôt de l’action des communautés régionales en vue de supprimer progressivement les différences entre leurs tarifs extérieurs respectifs et de parvenir normalement à un tarif uniforme.
Il n’en va pas de même pour les clauses d’exception et de sauvegarde qui font l’objet de l’article 35 du Traité, qui s’impose aux communautés régionales dont il remplace les dispositions. En étudiant précédemment la CEAO, nous avons vu que les conditions de déclenchement des clauses de sauvegarde sont assez vagues et, en outre, la décision d’y recourir momentanément dépend de la seule volonté de l’Etat concerné ; les clauses prévues par l’UDEAC et la CEDEAO ne sont pas plus exigeantes ; en revanche, celles prévues par la CEEAC sont plus précises et contraignantes et elles ont inspiré l’article 35 du Traité d’Abuja. En vertu de cette disposition le recours aux clauses de sauvegarde pour imposer des restrictions ou prohibitions ne serait légitime que dans certaines conditions relatives aux circonstances invoquées et suivant une procédure déterminée.
Une distinction est faite selon que les motifs invoqués se rattachent soit au domaine de la sécurité, de la santé et de la protection du patrimoine, soit aux difficultés économiques ; dans le premier cas, l’Etat peut de lui même prendre les mesures nécessaires alors que, dans le second cas, il faut l’accord des autorités de la Communauté qui déterminent en même temps la durée des mesures de sauvegarde ; en outre, les difficultés économiques invoquées doivent correspondre à certains événements expressément identifiés : déséquilibre de la balance des paiements, protection d’une industrie naissante ou stratégique, préjudice économique grave résultant de l’importation d’un produit.
Lorsque l’union douanière continentale sera réalisée, cela voudra dire que les unions douanières régionales seront déjà en train d’évoluer vers des marchés communs ; il y a ainsi un emboîtement original entre les ordres juridiques régionaux et l’ordre juridique continental : pendant que certaines règles des premiers s’effacent pour être remplacées par celles du second, d’autres règles nouvelles apparaissent dans les ordres juridiques régionaux pour approfondir le processus d’intégration ; les systèmes régionaux évoquent ainsi les chrysalides qui devancent la mue continentale pour laisser apparaître d’autres formes d’intégration.
Chapitre 2 : Le renforcement des compétences communautaires des échanges dans l’espace CEDEAO
Les enjeux de la politique commerciale de la CEDEAO touchent la vie quotidienne des Européens : croissance économique, compétitivité des entreprises, création d’emplois, mais aussi préservation du « modèle » social, protection du consommateur, développement durable…
Au-delà, la politique commerciale concourt de façon déterminante au renforcement de la place de la CEDEAO dans le monde. L’accélération de l’internationalisation des économies sous l’effet de la croissance des technologies de l’information et de la dérégulation _ le phénomène de « globalisation » ou « mondialisation » _ est un défi pour l’Afrique de l’Ouest.
Jouissant par sa production intérieure d’une puissance économique incomparable en Afrique, la CEDEAO doit affirmer cette place par la recherche permanente d’une participation optimale à l’échange international et, pour ce faire, à la négociation commerciale.
L’histoire nous a enseigné, à plusieurs reprises, que le repliement économique était soit une impasse politique, soit un obstacle majeur au développement. Le commerce international est maintenant devenu un élément essentiel de la puissance économique.
Mais elle doit savoir tirer parti pour sa croissance économique du marché commun grâce à leurs deux dimensions de libéralisation et de réglementation. Forte de cette réussite, elle pourra prendre la place qui lui revient dans l’échange international. Elle entend maintenant poursuivre avec ses partenaires des négociations pour établir des conditions et des règles équitables du commerce international à l’aube du troisième millénaire.
Section 1 : Une uniformisation des politiques économiques
La CEDEAO, représentant une grande part du commerce mondial en Afrique, est un acteur clé dans le cadre de la mondialisation. Les objectifs de la politique commerciale commune consistent donc, d’une part, à assurer la défense des intérêts commerciaux de l’Union et de ses acteurs économiques et, d’autre part, à œuvrer pour doter la mondialisation en cours de règles acceptées par l’ensemble des participants.
Malheureusement, elle ne s’est pas encore donné tous les moyens nécessaires pour se faire réellement de la place au niveau du commerce mondial. Le modèle européen en ce sens est un exemple incontournable.
Para 1 : La coordination des législations nationales
Les bases juridiques du rapprochement des législations nationales, à l’instar des autres bases juridiques du droit dérivé communautaire, sont les dispositions des traités constitutifs habilitant les institutions communautaires à adopter des mesures selon certaines conditions d’ordre matériel (le champ d’application dans le cadre duquel pourront être prises les mesures d’harmonisation), d’ordre instrumental (la forme juridique des mesures : directive et/ou règlement) et d’ordre procédural (la procédure à suivre permettant d’adopter la mesure). Les bases juridiques figurant plus particulièrement dans le Traité de la CE sont la traduction du principe des compétences d’attribution de l’article 5, alinéa 1er, de ce Traité.
Il convient ainsi d’examiner dans le présent chapitre les bases juridiques plus générales et les bases juridiques spéciales du Traité de la CE. Outre le nombre important de ces bases juridiques, les nouvelles procédures introduites par l’Acte unique puis par le Traité sur l’Union européenne ont, dans un premier temps, rendu centrale la question du choix de la base juridique.
Dans un deuxième temps, les Traités d’Amsterdam et de Nice se sont fait l’écho de la nécessité de simplifier les procédures législatives, ce qui a eu pour conséquence de diminuer sensiblement les conflits relatifs au choix de la base juridique des actes législatifs entre les institutions communautaires initiés par le Parlement européen. Par ailleurs, les traités d’adhésion constituent également des bases juridiques additionnelles venant modifier les mesures d’harmonisation des législations nationales qu’il y a lieu également d’examiner.
Les bases juridiques principales du rapprochement des législations nationales sont tout d’abord les articles 94 et 95 du Traité de la CE. Il convient de signaler l’article 96 du Traité de la CE, disposition qui n’a jamais été entièrement appliquée, ainsi que l’article 308 du Traité de la CE dont certaines des mesures d’application relèvent de la notion de rapprochement des législations nationales. Lorsque des dispositions du Traité de la CE octroyant des compétences à la Communauté n’ont pas prévu de base juridique spéciale correspondante, la mise en oeuvre de ces compétences peut s’effectuer sur le fondement des bases juridiques plus générales si la mesure proposée répond effectivement aux objectifs de ces dernières[584]. Cependant, la Cour a ensuite rappelé dans son arrêt de principe du 5 octobre 2000 concernant la directive no 98/43 sur la publicité du tabac que l’article 100 A (devenu art. 95) du Traité de la CE ne donne pas au législateur communautaire une compétence générale pour réglementer le marché intérieur[585].
En vertu de l’article 94, « le Conseil, statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen et du Comité économique et social, arrête des directives pour le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres qui ont une incidence directe sur l’établissement ou le fonctionnement du marché commun ».
L’article 95, paragraphe 1er, stipule que, « par dérogation à l’article 94 et sauf si le présent traité en dispose autrement […] le Conseil […] pour la réalisation des objectifs énoncés à l’article 14 […] statuant conformément à la procédure visée à l’article 251 et après consultation du Comité économique et social, arrête les mesures relatives au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres qui ont pour objet l’établissement et le fonctionnement du marché intérieur ».
Le paragraphe 2 de l’article 95 vient préciser que « le paragraphe 1 ne s’applique pas aux dispositions fiscales, aux dispositions relatives à la libre circulation des personnes et à celles relatives aux droits et intérêts des travailleurs salariés ».
Le paragraphe 3 de l’article 95 indique que « la Commission, dans ses propositions prévues au paragraphe 1 en matière de santé, de sécurité, de protection de l’environnement et de protection des consommateurs, prend pour base un niveau de protection élevé ».
L’article 14 auquel renvoie l’article 95 stipule que « la Communauté arrête les mesures destinées à établir progressivement le marché intérieur au cours d’une période expirant le 31 décembre 1992, conformément aux dispositions du présent article, des articles 15 et 26, de l’article 47, paragraphe 2, et des articles 49, 80, 93 et 95 et sans préjudice des autres dispositions du présent traité. Le marché intérieur comporte un espace sans frontières intérieures dans lequel la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux est assurée selon les dispositions du présent traité ».
Il convient d’ajouter que l’article 3, lettre h, du Traité de la CE indique que « le rapprochement des législations [s’effectue] dans la mesure nécessaire au fonctionnement du marché commun ».
La première phrase de l’article 95 doit tout d’abord s’interpréter comme signifiant une absence de choix de la part des institutions communautaires entre les articles 94 et 95, pour la base juridique d’une mesure de rapprochement des législations nationales dès lors que les conditions d’application de l’article 95 sont remplies. Le membre de phrase « sauf si le présent traité en dispose autrement » a pour objet de rappeler l’existence des bases juridiques plus spécifiques[586].
Dans l’affaire C-350/92, l’Espagne contestait le choix de l’article 100 A (devenu art. 95) comme base juridique du règlement du 18 juin 1992 concernant la création d’un certificat complémentaire de protection pour le médicament[587]. Selon l’Espagne, cet acte aurait dû se fonder sur l’article 100 (devenu art. 94) ou sur l’article 235 (devenu art. 308) du Traité, dispositions requérant l’unanimité des membres du Conseil.
Pour l’article 235 (devenu art. 308), la Cour indique que son recours aurait été justifié si le règlement avait créé un titre nouveau de droit de propriété industrielle (à l’instar de la marque communautaire créée par Règl. no 40/94 du Conseil, 20 déc. 1993, JOCE, no L 11, 14 janv. 1994), mais ce n’était en l’occurrence pas le cas. Pour l’article 100, l’Espagne faisait simplement valoir que l’article 100 A (95) n’était pas applicable puisque le règlement ne contribuait pas à l’objectif de libre circulation des marchandises poursuivi par l’article 8 A (14) en prolongeant le cloisonnement du marché des médicaments par la continuation du monopole de commercialisation.
La Cour répond tout d’abord que l’article 100 A (95) déroge à l’article 100 (96). Elle rappelle ensuite que les mesures d’harmonisation prises sur le fondement de l’article 100 A (95) sont nécessaires dans les domaines où il y a le risque que les disparités entre législations nationales créent ou maintiennent des conditions faussées pour la concurrence ou que de telles disparités risquent d’entraver la libre circulation des marchandises au sein de la Communauté.
Lors de l’adoption du règlement, deux États membres avaient instauré un tel système de certificat complémentaire de protection pour les médicaments, et un autre disposait d’un tel projet. Le règlement vise dans ces conditions « à prévenir une évolution hétérogène des législations nationales aboutissant à de nouvelles disparités de nature à entraver la libre circulation des médicaments au sein de la Communauté et à affecter, de ce fait, directement l’établissement et le fonctionnement du marché intérieur » (rappel de la Cour du sixième considérant du règlement en cause).
En conséquence, pour la Cour, c’est à juste titre que le Conseil souligne « qu’une différenciation de la protection dans la Communauté pour un médicament identique donnerait lieu à une fragmentation du marché caractérisée par des marchés nationaux où le médicament serait encore protégé et des marchés où cette protection n’existerait plus ».
Ainsi, c’est à raison que le Conseil a établi sur la base de l’article 100 A (95) une solution uniforme au niveau communautaire en créant un certificat complémentaire susceptible d’être obtenu par le titulaire d’un brevet national ou européen selon les mêmes conditions dans chaque État membre, notamment par la prévision d’une durée uniforme de protection, laquelle respectait le principe de proportionnalité puisqu’elle ne dépassait pas un délai de cinq ans.
Une telle solution n’était pas évidente, car l’argument de l’Espagne selon lequel le règlement créait de nouveaux obstacles aux échanges de médicaments, plus particulièrement les médicaments dits « génériques » dont la fabrication n’est plus protégée par le brevet, n’était pas dénué de pertinence.
On retrouve ici la tension entre l’instauration par l’harmonisation de systèmes parallèles et semblables dans chaque État membre, mais non uniformes, d’une part, et, d’autre part, l’application concrète des libertés fondamentales, plus particulièrement la libre circulation des marchandises, laquelle dans un tel cas se trouve affectée dans les États membres qui ne possédaient pas de réglementation antérieure à l’adoption de la mesure d’harmonisation.
- Notion de marché commun et de marché intérieur
Ces deux notions sont distinctes. Le marché commun est l’objet principal du Traité instituant la CEE signé à Rome en 1957, et comprend l’essentiel des règles qui y figurent[588]. Le marché intérieur est une notion à la fois plus restreinte d’un point de vue matériel – elle ne comprend pas, par exemple, les règles relevant du tarif douanier commun -, mais dont le niveau d’intensité normative est potentiellement plus important puisqu’elle se définit comme visant à la création d’un espace sans frontières intérieures dans lequel la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux est assurée selon les dispositions du Traité de la CE.
Ces différences dans la définition de ces deux notions n’ont cependant pas eu de conséquence juridique particulière dans la jurisprudence de la Cour. Celle-ci, dans sa définition du marché commun, fait d’ailleurs appel à la notion de marché intérieur, antérieurement à son introduction dans le Traité : « La notion de marché commun […] vise à l’élimination de toutes les entraves aux échanges intracommunautaires en vue de la fusion des marchés nationaux dans un marché unique réalisant des conditions aussi proches que possible de celles d’un véritable marché intérieur »[589].
L’établissement d’un « véritable marché intérieur » implique le rapprochement non seulement des législations qui entravent les libertés de circulation, mais également celles qui concernent les conditions de production des entreprises lorsque les disparités entre elles créent des distorsions de concurrence.
En outre, la Cour a également explicité le principe d’unité du marché commun, lequel empêche toute atteinte à l’acquis communautaire, y compris par le biais des politiques sectorielles : « les compétences étendues, notamment de caractère sectoriel et régional, accordées aux institutions communautaires en vue de la conduite de la politique agricole commune doivent, en tout cas dès la fin de la période de transition, être utilisées dans la perspective de l’unité du marché, à l’exclusion de toute mesure portant atteinte à l’élimination entre les États membres des droits de douane et des restrictions quantitatives ou des taxes ou mesures d’effet équivalent ; toute atteinte à l’acquis communautaire en matière d’unité du marché risquerait d’ailleurs de déclencher des mécanismes de désintégration, en violation des objectifs de rapprochement progressif des politiques économiques des États membres, exprimés à l’article 2 du traité »[590].
Les avantages du marché commun et du marché intérieur doivent également profiter aux particuliers qui poursuivent des opérations économiques au-delà des frontières nationales, en dehors du commerce professionnel[591], ainsi qu’à l’ensemble des consommateurs[592].
Considérant que cette distinction était dépassée, la Convention et la CIG ont fait disparaître la notion de marché commun dans le Traité établissant une Constitution pour l’Europe.
- Limites de la notion de marché intérieur
La poursuite de l’objectif d’achèvement du marché intérieur a entraîné l’adoption d’un nombre important d’actes législatifs fondés sur l’article 95 du Traité de la CE. Comme l’avait permis la jurisprudence « Defrenne » et comme le souligne le paragraphe 3 de l’article 95, ces actes législatifs peuvent tout à la fois viser à la réduction des entraves aux échanges et des distorsions de concurrence, mais aussi à assurer un haut niveau de protection de la santé des personnes, de l’environnement et des consommateurs. Il ne faut cependant pas que les dispositions d’un acte législatif poursuivant ces derniers objectifs prennent le pas sur les dispositions purement « marché intérieur » de libre circulation au point de les rendre accessoires.
La Cour a ainsi eu l’occasion de fixer deux limites au champ du marché intérieur dans son arrêt de principe « Publicité du tabac »[593] annulant la directive du 6 juillet 1998 concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de publicité et de parrainage en faveur des produits du tabac[594]. Cette directive se fondait sur les bases juridiques « marché intérieur », à savoir les articles 100 A, 57, paragraphe 2, et 66 (devenus art. 95, 47-2, et 55).
La première limite est que la mesure législative doit avoir effectivement pour objet d’améliorer les conditions de l’établissement et du fonctionnement du marché intérieur. Pour la Cour, la simple constatation de disparités entre les réglementations nationales ainsi que le risque abstrait d’entraves aux libertés fondamentales ou de distorsions de concurrence susceptibles d’en découler, n’est pas suffisant. Elle constate ainsi que la directive no 98/43 n’assure pas la libre circulation des produits qui seraient conformes à ses dispositions, et comporte un certain nombre d’interdictions qui ne contribuent nullement à faciliter les échanges des produits concernés.
La deuxième limite est que la mesure législative doit effectivement contribuer à la suppression de distorsions sensibles de concurrence. Elle a ainsi considéré que le législateur communautaire ne saurait se fonder sur la nécessité de supprimer des distorsions de concurrence, soit dans le secteur de la publicité, soit dans le secteur des produits du tabac, pour adopter la directive no 98/43, interdisant de façon générale la publicité et le parrainage sur le territoire communautaire, sur le fondement des bases juridiques « marché intérieur » (attendu 114 de l’arrêt).
Pour la Cour, au regard de la nature de l’interdiction générale de publicité figurant dans la directive, elle ne pouvait procéder à une annulation partielle sauf à se substituer au législateur communautaire. Elle a donc purement et simplement annulé la directive no 98/43 dans son ensemble.
Il n’y avait en effet pas d’autre base juridique alternative dans le Traité puisque l’article 129 (devenu art. 152) du Traité de la CE sur la santé publique exclut explicitement toute harmonisation des dispositions législatives et réglementaires des États membres. Le litige était donc en dehors du cadre du choix entre différentes bases juridiques du Traité de la CE pour adopter la directive en cause, et soulevait la question des limites de la compétence communautaire en référence à l’article 5, alinéa 1er, du Traité de la CE (attendu 83 de l’arrêt).
Suite à cette annulation, la Commission a formulé une nouvelle proposition de directive qui a abouti à la directive du 5 juin 2001 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de fabrication, de présentation et de vente des produits du tabac, fondée sur l’article 95 du Traité de la CE[595], laquelle a été considérée par la Cour comme étant cette fois valide au regard de sa base juridique[596].
La directive no 2001/37 est en effet de nature plus « technique » en ce qu’elle fixe notamment les teneurs maximales de certaines substances (nicotine, goudron…) dans les produits du tabac et qu’elle contient une clause de libre circulation pour les produits qui y sont conformes. Par ailleurs, la Cour considère que les différentes interdictions de commercialiser des produits non conformes à la directive sont proportionnées à ses objectifs.
Une deuxième directive du 26 mai 2003 concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de publicité et de parrainage en faveur des produits du tabac a été également adoptée[597]. Comme la directive no 2001/37, qui se limitait aux aspects techniques des produits du tabac, cette directive harmonise les conditions de la publicité des produits du tabac et assure la libre circulation des services qui y sont conformes. Elle a également fait l’objet d’un recours en annulation de l’Allemagne, qui est toujours en cours[598].
Dans son arrêt du 20 mai 2003[599], la Cour est venu préciser sa jurisprudence « Publicité du tabac » dans une affaire qui concernait l’interprétation de la directive du 24 octobre 1995 relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données[600], fondée sur l’article 100 A (devenu art. 95) du Traité de la CE.
Pour la Cour, le recours à la base juridique « marché intérieur » ne présuppose pas l’existence d’un lien effectif avec la libre circulation entre États membres dans chacune des situations visées par l’acte fondé sur une telle base, dès lors que l’acte adopté a effectivement pour objet l’amélioration des conditions de l’établissement et du fonctionnement du marché intérieur (attendu 41 de l’arrêt).
Cette situation n’autorise cependant pas la Commission à adopter une mesure d’exécution allant au-delà du champ de la directive no 95/46 et de l’article 95 du Traité de la CE. Ainsi, dans son arrêt du 30 mai 2006, la Cour annule deux décisions du Conseil et de la Commission qui autorisaient le transfert de données personnelles des passagers par les transporteurs aériens aux autorités américaines en charge de la sécurité intérieure afin plus particulièrement de lutter contre le terrorisme[601].
Para 2 : L’effectivité des politiques communes
- Idée et intérêt dans la construction économique ouest-africaine
A. Idée et intérêt dans la construction économique ouest-africaine
Bien qu’il y ait eu fréquemment, aussi bien chez les classiques que chez la plupart de leurs opposants, des appréciations fort sceptiques de l’action économique des États, tous n’ont cessé, depuis les débuts de la science économique moderne au XVIIIe siècle, de présenter d’innombrables propositions de réforme des institutions et des interventions économiques, fondées sur l’hypothèse implicite de politiciens et de fonctionnaires animés de la volonté de servir le bien commun.
Même les auteurs libéraux les plus hostiles au dirigisme ou à l’interventionnisme de l’État admettaient a priori que les détenteurs du pouvoir étaient susceptibles de réaliser des réformes conçues rationnellement et même de limiter volontairement leur propre pouvoir pour assurer le bon fonctionnement et le développement optimal de l’économie.
Les néo-libéraux du XXe siècle et en particulier les fondateurs de l’ordolibéralisme allemand réclamaient même de manière déterminée un État fort pour s’opposer aux intérêts particuliers coalisés et lui faisaient confiance pour rétablir une économie de marché bien organisée et bien régulée dans l’intérêt général.
Quant aux économistes les plus nombreux, purs théoriciens ou prévisionnistes, s’ils ont intégré et « endogénéisé » progressivement le comportement économique de l’État dans leurs modèles, c’est toujours en lui attribuant une fonction objectif idéaliste de croissance et de stabilité de l’économie nationale.
Si cette conception de l’État a été et continue d’être dominante dans la science économique, un courant de pensée, on le sait, y a été dès son origine radicalement opposé. Le marxisme a vu de tout temps dans l’État le représentant des intérêts de la classe sociale dominante, mais cette analyse a pâti dès le départ de son intégration dans une théorie évolutionniste contestable et d’ailleurs historiquement démentie et n’a donc pas réussi à s’imposer dans la discipline.
C’est le mérite de ce qu’on a appelé la « nouvelle économie politique », initiée par Schumpeter (1947) et Downs (1957) et poursuivie par l’école dite du « Public Choice », d’avoir enfin cherché à lever le voile et d’avoir développé une analyse rigoureuse et approfondie des vrais motifs des détenteurs du pouvoir et des déterminants profonds des décisions publiques en matière économique.
Ils ont ainsi pu établir que les hommes politiques et les fonctionnaires ne sont pas différents en règle générale des autres acteurs économiques et poursuivent en réalité bien souvent dans leurs décisions et leurs actions, consciemment ou plus souvent inconsciemment, la maximisation de leurs propres intérêts de pouvoir, de prestige ou tout simplement de confort.
De même, pour ce qui concerne les partis, l’objectif naturel de la maximisation des votes des électeurs ne vise généralement pas tant la réalisation d’un programme d’intérêt général que l’obtention ou la conservation du pouvoir, de sorte que, contrairement à la concurrence entre les entreprises, la compétition entre les partis ne conduit pas nécessairement les vainqueurs à assurer l’avantage collectif, mais avant tout la satisfaction des intérêts particuliers des partis et, à travers eux, des groupes de pression économiques ou sociaux les mieux organisés.
Cette clarification réaliste des comportements politiques a beaucoup amélioré la compréhension des politiques économiques des États. Elle a facilité en particulier, avec la prise de conscience des compétences limitées de nombreux responsables politiques et administratifs, l’explication d’une multitude de décisions politiques erronées et elle n’a certainement pas encore épuisé tous ses effets positifs.
Mais, s’il n’est plus possible d’ignorer le poids très lourd des intérêts dans l’esprit des détenteurs du pouvoir économique, l’expérience montre également qu’il serait tout aussi injustifié de nier, comme le font certains adeptes de la nouvelle économie politique, toute influence d’idées et même de valeurs dans les décisions de politique économique. « Nous sommes convaincu, écrivait déjà John Maynard Keynes, qu’on exagère grandement la force des intérêts constitués par rapport à l’empire qu’acquièrent progressivement les idées ».
Il serait absurde en tout cas de tomber d’un extrême dans l’autre, d’un idéalisme naïf dans un matérialisme tout aussi naïf. La diversité des idées et des intérêts, des objectifs et des contraintes dans une société évoluée ainsi que la complexité des processus de consultation, concertation, délibération et ratification dans l’appareil d’État moderne font d’ailleurs que toute décision politique importante ne peut être que le fruit de compromis collectifs traduisant l’interaction de facteurs multiples. Toute analyse unidimensionnelle est nécessairement insuffisante.
Pour l’explication de la conception et de l’évolution de la construction économique européenne par les Traités de Rome, l’Acte unique européen et finalement les Traités de Maastricht et d’Amsterdam ainsi que les nombreux accords complémentaires d’approfondissement et d’élargissement, il y a à la fois des analyses idéalistes et matérialistes, au sens qui vient d’être évoqué.
On rencontre bien évidemment la conception idéaliste dans la plupart des publications officielles de la Communauté européenne et dans de nombreux anciens manuels qui visent à présenter à leurs lecteurs l’intégration européenne comme une construction méthodique et logique, à la suite de l’abandon de la voie « militaire et politique » et de l’option en faveur du « moteur économique »[602].
La théorie déjà ancienne des étapes de l’intégration économique[603] et surtout la théorie du fédéralisme fiscal[604] justifient pleinement la libéralisation progressive des marchés et la centralisation parallèle des politiques comme des évolutions rationnelles résultant de la volonté de réunir progressivement diverses économies nationales dans une économie supranationale unifiée.
La première étape de l’intégration _ l’union douanière _ se caractérise par l’élimination des droits de douane et des contingents et donc la création du marché commun. Simultanément, les externalités négatives possibles exigent l’installation d’une politique douanière commune ainsi que de règles d’une concurrence loyale.
L’étape suivante _ l’union économique _ entraîne l’élimination des obstacles non tarifaires et constitue ainsi le marché intérieur unique. Suivent logiquement, pour les mêmes raisons tenant aux externalités potentielles, la politique commune du commerce extérieur, un système monétaire commun et une coordination des politiques monétaires. Le principe de l’équivalence fiscale (et aussi juridique) des décisions, avantages et coûts exige simultanément une politique commune de redistribution ainsi qu’une certaine politique d’harmonisation et éventuellement une politique structurelle coordonnée.
Finalement, la troisième et dernière étape _ l’union économique et monétaire _ élimine les derniers obstacles monétaires et crée ainsi les conditions du marché totalement intégré, ce qui entraîne une politique monétaire unique ainsi qu’une coordination budgétaire et éventuellement un système solidaire de stabilisation et achève ainsi le processus d’intégration purement économique entre États conservant leur pleine souveraineté politique.
Dans cette perspective, tous les éléments progressivement constitués de l’organisation économique européenne correspondent parfaitement à la rationalité économique. En particulier dans des analyses françaises de l’intégration européenne[605], celle-ci a été présentée comme le produit tout à fait exemplaire d’hommes d’État idéalistes et visionnaires qui se sont engagés en faveur d’une Europe unie et pacifique, en dépit de la résistance récurrente d’intérêts sectoriels et d’égoïsmes nationaux opposés aux nécessaires transferts de compétences nationales à l’échelon supranational. La construction économique européenne serait donc dans cette optique avant tout une œuvre des idées contre les intérêts.
Cette vision idéaliste ne manque pas de justifications. De fait, l’intégration européenne est due, si l’on fait abstraction de diverses vicissitudes historiques et d’événements secondaires, à une volonté politique remarquablement constante et elle a suivi en gros un plan d’étapes rationnel.
Toutefois, quelques politiques particulièrement discutées, comme la politique agricole commune ou la politique industrielle, ne s’intègrent pas dans ce schéma logique, qui ne donne pas non plus d’indication précise sur l’étendue de la centralisation souhaitable ni sur la forme concrète des diverses politiques[606]. Enfin et avant tout, ce schéma repose implicitement sur une conception unilatérale de l’intégration économique, sans considérer des concepts alternatifs éventuellement plus satisfaisants pour une communauté économique vaste et hétérogène, comme l’est la communauté européenne, tels que l’intégration flexible ou variable ou l’intégration par la concurrence des systèmes nationaux.
Une appréciation matérialiste et par conséquent tout à fait opposée à la précédente de la construction européenne a été présentée par des tenants de la « nouvelle économie politique » et plus particulièrement les auteurs allemands de ce courant de pensée[607]. Dans cette optique, la construction européenne et surtout la centralisation croissante des pouvoirs économiques ne s’expliquent pas principalement par des contraintes objectives mais presque exclusivement par les intérêts des politiciens et des fonctionnaires et surtout des forces économiques et sociales européennes.
Le comportement systématique de maximisation des votes de la part des hommes politiques de tous les États membres les pousse à centraliser plus ou moins certaines politiques pour pouvoir satisfaire de cette manière plus aisément les intérêts de groupes européens homogènes que sous le contrôle politique et budgétaire national. Cette analyse vaudrait en particulier pour les politiques agricole, industrielle et de recherche ainsi que la politique sociale et même la politique du commerce extérieur.
Par contre, ce sont des intérêts sectoriels ou régionaux spécifiques à certaines nations qui expliqueraient le développement progressif des fonds structurels régionaux et sociaux. Même le transfert au niveau européen de compétences en matière de politique de concurrence ou de politique monétaire pourrait s’expliquer principalement par le fait que les institutions nationales compétentes dans ces domaines sont généralement autonomes et souvent gênantes pour les classes politiques et que la supranationalisation réduirait cette contrainte sur la poursuite des objectifs politiques nationaux.
Enfin, c’est naturellement aussi la recherche de pouvoir des technocrates européens qui contribuerait à la tendance générale et excessive de centralisation au niveau européen. Dans cette interprétation, pratiquement toutes les politiques européennes apparaissent donc, en parfaite contradiction avec la thèse précédente, comme liées aux intérêts et sans justification vraiment rationnelle.
L’approche de la nouvelle économie politique attire à juste titre l’attention sur des facteurs réels ayant certainement influencé l’élaboration concrète du système économique européen et surtout l’évolution progressive des politiques économiques européennes. Même si l’on considère, ce qui n’est guère historiquement contestable, que les gouvernements nationaux ont poursuivi l’œuvre d’unification européenne depuis la seconde guerre mondiale pour des raisons politiques honorables, cela ne signifie pas qu’ils aient perdu de vue, dans les décisions prises, leurs propres intérêts politiques et donc aussi ceux d’importants groupes de pression.
Il est bien connu qu’il existe, particulièrement chez les hommes d’État les plus marquants, un lien étroit entre leur haute ambition politique et leur volonté de se maintenir au pouvoir. Des intérêts particuliers ont ainsi pu déterminer certains éléments des politiques communautaires et parfois influencer leur application concrète.
Néanmoins, cette tentative d’explication a certainement tendance à surestimer grandement l’influence des intérêts dans la conception d’ensemble de la construction économique européenne. Les faiblesses logiques et factuelles de cette approche très « économiste » sont évidentes et ont été mises en évidence très rapidement[608] : sous-estimation évidente de la dimension politique, surestimation de la valeur d’alternatives idéales voire utopiques, non prise en compte d’intérêts particuliers opposés et donc susceptibles de se neutraliser mutuellement et enfin contradiction interne dans l’explication des transferts de compétences politiques et administratives au niveau supranational. L’interprétation purement matérialiste de la construction économique européenne apparaît ainsi encore moins satisfaisante que l’interprétation idéaliste pour rendre compte de la complexité de la réalité.
En définitive, il est aujourd’hui généralement admis dans la plupart des études récentes aussi bien françaises qu’allemandes[609] de la construction économique européenne que, pour rendre compte d’une réalité complexe, il convient d’adopter une interprétation mixte combinant les deux analyses et, plus généralement, de considérer la plupart des décisions politiques, dans ce domaine comme dans d’autres, comme le résultat de compromis élaborés dans les institutions et processus étatiques complexes de prises de décisions.
On est surtout conscient du fait qu’il faut soigneusement distinguer, dans la politique économique, entre trois catégories : les interventions conjoncturelles ou sectorielles, les réformes structurelles ou institutionnelles et enfin les conventions internationales. En ce qui concerne les premières, dont les effets économiques, sociaux et politiques sont assez prévisibles, au moins à court terme, et qui sont décidées par le gouvernement lui-même ou sa majorité parlementaire, des considérations partisanes peuvent sans aucun doute jouer un très grand rôle.
Dans les réformes constitutionnelles, par contre[610], qui produisent des effets principalement à long terme et souvent peu prévisibles, qui donnent de surcroît lieu à des procédures et des consultations extrêmement complexes et variées au sein des appareils d’État et dont l’adoption requiert généralement, au terme de débats médiatiques intenses, des majorités renforcées ou même des référendums, une exploitation partisane est beaucoup plus invraisemblable.
Dans l’élaboration de telles décisions de principe, les conceptions intellectuelles ont nécessairement un poids plus élevé que la pression des intérêts, même si ceux-ci peuvent en définitive jouer un rôle déterminant dans leur ratification ou leur rejet, notamment en cas de consultation populaire. Enfin, en ce qui concerne les traités internationaux, l’analyse doit être encore plus nuancée parce que, dans ces conventions entre États souverains, il faut nécessairement prendre en compte, outre les intérêts particuliers et les critères intellectuels, l’interaction et la rivalité des intérêts généraux et des conceptions idéologiques dominantes des nations concernées.
La construction économique européenne entre évidemment dans cette dernière catégorie, exigeant une analyse complexe. Celle-ci devrait partir de l’hypothèse centrale que les nouvelles institutions ont été établies parce que cette nouvelle organisation de leurs relations apparaissait à tous les États participants comme susceptible de leur être profitable, dans le domaine économique par la minimisation des coûts de transaction et la maximisation des performances de production.
La conception de cette réorganisation était cependant, par la nature des choses, très différente entre des États de tailles, de structures, de cultures et de comportements et donc d’intérêts et d’idéologies très divers et variés. Mais, comme les nouvelles institutions ne pouvaient être établies que par des conventions unanimes entre ces États souverains et égaux en droit, il a fallu obtenir, à toutes les étapes de l’intégration, un consensus général sur leur réalisation concrète.
Chaque nouvelle phase de l’intégration exigeait donc de nouveaux compromis entre des intérêts et des idéologies souvent contradictoires ainsi que des mesures compensatoires pour des coûts d’interdépendance prévisibles ou éventuels, de sorte que, comme cela est normal dans tout contrat et en particulier dans un contrat entre États, la balance entre les avantages et les coûts ou les chances et les risques apparaisse positive, aussi bien sur le plan matériel que sur le plan idéologique, pour chaque partenaire.
L’incertitude des prévisions a naturellement encore conduit à établir, par mesure de précaution, de nombreuses clauses d’exception et possibilités d’interventions correctrices. Lors de ces négociations internationales, les responsables politiques ou administratifs n’ont naturellement pas abandonné d’un seul coup leurs motivations habituelles de pouvoir, de prestige ou d’avantage matériel, mais ils n’étaient généralement pas en état d’évaluer les effets personnels précis de ces modifications à long terme des règles du jeu politique et n’avaient donc aucune raison de ne pas poursuivre avant tout d’une part, l’intérêt général national et d’autre part, la conception nationale dominante de l’organisation supranationale optimale.
Les intérêts personnels de ces responsables tout comme la pression des groupes d’intérêts pouvaient en revanche reprendre le dessus dans le cadre du fonctionnement des institutions et de l’application des politiques mises en place.
S’il y a aujourd’hui un large consensus sur cette interprétation générale des déterminants de la construction économique européenne, des débats parfois vifs continuent d’opposer les économistes de divers pays européens et notamment ceux des pays ayant toujours défendu une conception spécifique de l’intégration européenne, comme la Grande-Bretagne, l’Allemagne ou la France. Je m’en tiendrai ici à l’opposition traditionnelle entre économistes allemands et français.
- Enjeux et défis des politiques communes
Section 2 : Une uniformisation des politiques fiscales
Para 1 : La nécessaire concession des attributs souverainistes en matière fiscale
Dans l’esprit du traité de Rome, la réalisation d’un marché unique au sein de l’Union européenne suppose, pour que les marchandises circulent librement, qu’ «aucun État membre ne frappe directement ou indirectement les produits des autres États membres d’impositions intérieures, de quelque nature qu’elles soient, supérieures à celles qui frappent directement ou indirectement les produits nationaux similaires»[611]. Pour parvenir (imparfaitement) à cet objectif il aura fallu 34 ans, longue période qui peut se découper en plusieurs phases, dont la première sera rappelée ici pour mémoire[612].
Aujourd’hui, tout le monde s’accorde à penser que la construction européenne ne se fera pas sans un rapprochement[613] des fiscalités de l’ensemble des États membres. Sans cette coopération des États de la Communauté, l’instauration d’une concurrence fiscale nous conduirait à une fiscalité réduite à son maximum, phénomène qualifié de « moins-disant fiscal ». Pour attirer les capitaux dans son pays, l’État diminue les taux ou l’assiette de la fiscalité de l’épargne. Face à l’impuissance de la Communauté pour l’instauration d’une retenue à la source minimale dans tous les États, le gouvernement de M. Bérégovoy avait procédé dans la loi de finances pour 1990, à de substantielles diminutions de taux du prélèvement forfaitaire[614] .
Cette stratégie (du moins-disant fiscal) menacerait à très court terme les finances publiques et donc des services publics indispensables en privilégiant essentiellement les contribuables aisés (entreprises ou particuliers détenteurs de capitaux importants). Ce sont eux qui sont toujours les plus à même de bénéficier des mesures fiscales les plus avantageuses.
On ne peut à ce stade que partager la thèse simple mais efficace de Mario Monti (Commissaire européen chargé du Marché unique et de la fiscalité en 1998) : « On ne peut pas construire en Europe une économie sociale de marché, quelle que soit la pondération donnée aux termes « social » et de « marché », sans un minimum de coordination fiscale. Car l’État ne pourra pas remplir un minimum de rôle social et de fonction de redistribution de la richesse si les bases mobiles de la fiscalité ne sont pas imposées »[615] .
Si la fiscalité est au coeur de la souveraineté des États, l’intégration européenne, l’internationalisation des échanges et la mobilité des hommes comme celle des services et des capitaux créent aujourd’hui un faisceau de contraintes de plus en plus lourdes pour les gouvernants, venant réduire leurs marges de manœuvre en matière de politique budgétaire et fiscale.
Au plan international, seule la construction européenne, dont la vocation est de plus en plus supranationale, peut toutefois être la source de normes juridiquement contraignantes pour la les pays membres dans le domaine de la fiscalité. Ainsi, l’harmonisation communautaire est déjà avancée s’agissant des prélèvements en matière de fiscalité sur la consommation (droits indirects et T.V.A.), les taxes assises sur les biens et services ayant une répercussion directe sur les conditions de concurrence.
En revanche, la fiscalité directe échappe pour l’essentiel au droit communautaire. Et les quelques textes qui existent en matière d’impôt sur les sociétés et de fiscalité de l’épargne ne permettent pas vraiment de parler d’harmonisation. Il est probable toutefois que la réalisation de l’Union européenne condamne à terme les écarts trop importants dans ce domaine entre les États membres.
La construction ouest africaine a imposé une harmonisation minimale des règles fiscales au sein de l’Union européenne, largement réalisée aujourd’hui. Cependant, les disparités persistantes entre les fiscalités nationales peuvent aujourd’hui constituer un frein à la construction européenne, ce qui nécessite de nouvelles avancées.
- Une construction marquée par une harmonisation minimale des règles
L’instauration d’un grand marché intérieur a imposé une harmonisation minimale des fiscalités nationales mais celle-ci est largement achevée depuis le début des années 1990.
- Les principes fondant l’harmonisation des fiscalités
Le droit communautaire appréhende la fiscalité sous l’angle de l’harmonisation des législations dans la mesure où celle-ci est « nécessaire pour assurer l’établissement et le fonctionnement du marché intérieur ». Cette harmonisation n’est prévue par le Traité de Rome que pour la fiscalité indirecte (articles 95, 96 et 99), les décisions du Conseil dans ce domaine devant être prises à l’unanimité. La fiscalité directe n’est pas mentionnée par le Traité. A notre avis, il n’est pas nécessaire, en effet, pour le bon fonctionnement de la Communauté, que tous les impôts soient harmonisés. Les travaux d’harmonisation ont donc naturellement porté sur les impôts qui mettent en cause la libre circulation des marchandises et des services. Il s’agit pour l’essentiel des accises et des taxes sur le chiffre d’affaires.
- L’absence d’harmonisation en matière de fiscalité directe
Il n’existe pas de disposition précise du Traité de Rome prévoyant l’harmonisation des impôts directs, contrairement à la fiscalité indirecte. Il n’existe, par conséquent, pas de projet communautaire d’ensemble en la matière. Ainsi, juridiquement, rien ne s’oppose à ce qu’au sein de la Communauté, les États agissent de manières divergentes. C’est d’ailleurs surtout indirectement que les sujets de fiscalité directe sont appréhendés par la construction communautaire, en tant qu’obstacle éventuel à d’autres politiques (liberté d’établissement s’agissant du transfert de l’avoir fiscal à des succursales de sociétés résidentes d’autres États membres, prohibition des régimes d’aides sur le fondement des articles 92 et 93 du Traité, réduction des distorsions de concurrence en matière de transport avec la taxe à l’essieu…)
- Une harmonisation minimale achevée depuis le début des années 1990
- Les taxes sur chiffre d’affaire
La mise en place de la T.V.A. intracommunautaire a marqué l’année 1993 comme l’événement fiscal européen. Cette harmonisation a été réalisée sur la base de taux moyens inférieurs à ceux que la France pratiquait. Un mouvement du même ordre est ensuite intervenu pour les accises.
Les taxes sur le chiffre d’affaires sont certainement les impôts qui ont les plus étroites relations avec le marché intérieur. Leur harmonisation était donc une priorité absolue, et ce d’autant plus que cet impôt constitue une ressource propre du budget communautaire, les États membres souhaitant que leur contribution soit calculée sur une base homogène pour ne pas être inégaux devant le prélèvement communautaire.
Elle a été entreprise à partir de législations nationales très divergentes, tant sur le plan des structures que des taux. C’est la T.V.A. française qui a largement servi de modèle pour la mise en place d’un système uniforme d’impôt sur la dépense.
Depuis la 6e directive T.V.A. de 1977, ce travail d’harmonisation est accompli pour l’essentiel en ce qui concerne l’assiette de l’impôt, mais il n’est pas achevé pour ce qui a trait aux taux. Il a été convenu de limiter le nombre des taux à un taux normal au moins égal à 15 % et à un ou deux taux réduits au moins égaux à 5 %, avec des exceptions permettant de maintenir, quand ils étaient appliqués depuis une date antérieure au ler janvier 1991, les taux super-réduits (par exemple le taux de 2,10 % appliqué en France à la presse et aux médicaments remboursés par la Sécurité sociale, ou le taux zéro appliqué au Royaume-Uni essentiellement).
Ce système a obligé à une harmonisation de la liste des produits bénéficiant respectivement du taux normal et du taux réduit de T.V.A. afin d’atténuer les risques de délocalisation. La France a supprimé le taux majoré de 33,3 % en 1992 après l’avoir progressivement réduit. Parallèlement, le taux réduit de 7 % a été abaissé à 5,5 %. Le taux normal de T.V.A. qui atteint aujourd’hui 20,6 % en France (N.D.L.R. : ce taux sera abaissé à 19,6 % à compter du 1er avril 2000) se situe dans la tranche supérieure des taux européens.
Le 1er janvier 1993 a marqué le point de départ d’un nouveau régime de T.V.A. pour les opérations réalisées entre les résidents de l’Union européenne car il n’existe plus depuis cette date de frontière douanière ou fiscale entre les États membres. Sous ce nouveau régime, la T.V.A. applicable aux entreprises acheteuses reste celle du pays de consommation et seuls les particuliers sont soumis à la T.V.A. du pays vendeur pour leurs achats sur place, sous réserve du cas particulier des moyens de transport (véhicules automobiles).
A terme, l’objectif est de parvenir à une taxation généralisée des biens et services dans le pays d’origine. Ce nouveau dispositif ne vise plus seulement à permettre une coexistence harmonieuse des économies des États membres ; il cherche à favoriser une plus grande interpénétration, y compris sur le plan des procédures administratives. Lorsque l’on connaît les chiffres annoncés par la Cour des comptes des Communautés (70 milliards d’euros par an de fraude à la T.V.A.), on ne peut qu’espérer le passage au système fondé sur la taxation dans le pays d’origine du bien.
Le régime transitoire mis en place le ler janvier 1993 devait s’achever le 1er janvier 1997 pour permettre la mise en place d’un régime définitif où la taxe serait payée dans le pays de départ et non d’arrivée. Mais les modalités précises du futur système définitif de T.V.A. n’ont toujours pas été arrêtées. En effet, le régime définitif nécessite, notamment, une certaine harmonisation des taux qui, selon les dernières constatations, n’est pas encore effective. La fourchette des taux pratiqués oscille entre 15 % au Luxembourg et 25 % au Danemark et en Suède.
Indépendamment des taux, la T.V.A., impôt le plus harmonisé, comporte de substantielles distorsions de l’appréciation des droits à déduction, notamment dans le cadre des dépenses régulières des entreprises telles que les dépenses de déplacement, de restauration, de transport… De manière générale, on ne peut que souhaiter un rajeunissement de la 6e directive T.V.A. qui a plus de vingt ans, afin de prendre en compte l’évolution des directives façonnées par les décisions de la C.J.C.E. .
Ainsi, dans l’arrêt du 6 avril 1995, B.L.P. Group, la Cour a indiqué que, pour l’application de cette disposition, il convenait de prendre en compte la nature de chaque opération effectuée par l’entreprise et non la globalité des opérations effectuées par cette dernière. Pour ouvrir droit à déduction, la Cour a décidé que les biens ou services utilisés par un opérateur « doivent présenter un lien direct et immédiat avec les opérations taxées » et cela quel que soit le but poursuivi par l’assujetti[616] .
L’impossibilité avérée de parvenir au système commun a donc conduit la Commission à élaborer un régime dit «transitoire» permettant malgré tout de respecter l’Acte Unique en attendant qu’ un régime «définitif» puisse voir le jour. En effet, si les États membres avaient fait le constat de l’impossibilité de réaliser le projet initial de la Commission, ils n’entendaient pas pour autant renoncer à la disparition des frontières fiscales et douanières. Ils entendaient de plus que ce régime transitoire entre en vigueur au 1er janvier 1993, c’est-à-dire à la date prévue par l’Acte unique.
La Commission a donc élaboré un projet combinant la suppression des contrôles aux frontières pour les échanges intracommunautaires entre assujettis, avec le maintien du principe de taxation dans le pays de consommation.
Pour les particuliers ou organismes non assujettis, en revanche le principe de la taxation dans le pays d’achat des biens s’appliquerait au 1er janvier 1993, à quelques exceptions près.
Ainsi au 1er janvier 1993, est né un régime dit «de T.V.A. intracommunautaire» où, pour l’essentiel des opérations entre assujettis, les principes généraux de territorialité n’étaient pas modifiés, mais où les contrôles aux frontières étaient supprimés. La T.V.A. sur les importations, devenues acquisitions intracommunautaires, est toujours acquittée dans le pays de destination du bien, non plus à la douane, lors du passage à la frontière, mais directement par l’entreprise, sur sa déclaration normale de T.V.A. du mois d’acquisition. C’est dans la plupart des cas une opération pour ordre puisque cette T.V.A. est généralement déductible.
De même, les exportations, devenues livraisons intracommunautaires sont toujours exonérées dans le pays de départ. Mais alors que précédemment cette exonération n’était définitive qu’après présentation du document douanier attestant que la marchandise avait bien quitté le territoire, désormais l’assujetti doit simplement s’assurer que son client est bien lui aussi assujetti à la T.V.A. dans le pays de livraison. La bonne foi des opérateurs est donc présumée, et tout au plus peut-on leur demander de fournir «tout moyen de preuve», bon de transport, facture transporteur etc.
On attribue à ce système, basé pour beaucoup sur la confiance, des fraudes à la T.V.A. de grande ampleur (exonération d’opérations pour des marchandises n’ayant pas quitté en réalité le territoire national), sans que rien de probant sur les montants de cette fraude ait été démontré. Elle existe certainement mais son ampleur réelle n’a pas pu être estimée avec rigueur.
En revanche, les particuliers qui effectuent des achats sur le territoire de l’Union acquittent la T.V.A. dans le pays où ils acquièrent les biens, aux taux et conditions de ce pays, hormis pour les achats de véhicules neufs ou les ventes à distance du type vente par correspondance, pour éviter des distorsions de concurrence trop fortes dues aux différences de taux encore existantes.
Ce système dit transitoire devait prendre fin au plus tard le 1er Janvier 1997 pour laisser la place à un régime définitif basé sur la taxation dans le pays d’origine des biens. Mais ainsi qu’il a été indiqué plus haut cet objectif d’une harmonisation totale de la T.V.A. au sein de l’Union par l’adoption d’un régime unifié dans son assiette, ses taux, sa collecte, et son contrôle n’est plus raisonnablement un objectif de court, ni même de moyen terme.
C’est pourquoi le régime transitoire que nous connaissons aujourd’hui a encore une belle vie devant lui. Sa pérennisation est aussi due au fait qu’il a été particulièrement bien conçu et qu’il peut encore fonctionner sans accroc majeur. Aussi, la perspective de l’harmonisation des impôts indirects pour les années à venir, c’est le perfectionnement de ce système qui ne devait exister que de 1993 à 1997.
A côté de l’impôt général sur la dépense qu’est la T.V.A. et qui se présente comme un impôt ad valorem, les droits sur la quantité achetée ou consommée qui frappent certains produits particuliers tels que les alcools, le tabac, les huiles minérales ou des services tels que les spectacles ou les assurances procurent une part non négligeable des recettes fiscales et sociales des États membres de la Communauté. Or, comme tout impôt intégré au prix des produits et des services, le défaut d’harmonisation minimale de ces droits est susceptible de fausser la concurrence entre les États membres.
La Commission a classé les droits indirects en trois catégories qu’elle entend traiter de manières différentes :
_ dans la première catégorie, elle a retenu les accises, à harmoniser prioritairement. Il s’agit des accises frappant le vin, la bière, l’alcool, le tabac et les huiles minérales. Trois séries de directives portant respectivement sur le tabac et les cigarettes, l’alcool et les boissons alcooliques et les huiles minérales ont été adoptées afin de permettre l’achèvement du marché intérieur. Elles ont eu pour objet de fixer l’assiette et les modalités de taxation, les taux minima d’imposition, les exonérations et les règles de circulation de ces produits dans la Communauté ;
_ la seconde catégorie concerne les droits qui n’affectent pas directement les échanges entre États membres. Ceux-ci pourront demeurer du ressort exclusif des États membres. L’exemple le plus caractéristique est fourni par les taxes sur les spectacles ;
_ la troisième catégorie de droits indirects pose les problèmes les plus délicats. Ce sont les droits qui, sans frapper directement des produits échangés, peuvent avoir une incidence considérable sur des secteurs économiques donnés. Les taxes que la plupart des États perçoivent sur les primes d’assurances ou sur les transactions sur titres en constituent l’illustration la plus parfaite. La Commission a proposé d’harmoniser cette catégorie de taxes.
Para 2 : Autres mesures à vocation supranationaliste en matière fiscale
Les disparités qui persistent aujourd’hui entre les diverses fiscalités nationales peuvent constituer un frein à la construction européenne, ce qui nécessite de nouvelles avancées.
Les disparités fiscales nationales peuvent aujourd’hui constituer un obstacle à l’achèvement de la construction européenne. Les limites indirectes à la liberté des États en matière de fiscalité directe sont significatives mais n’empêchent pas des disparités fiscales sources de distorsions regrettables lorsqu’elles ont comme unique objectif d’attirer des capitaux.
Le Traité sur l’Union européenne comporte des dispositions visant à assurer la libre circulation des travailleurs (article 48) et des capitaux (article 67) et le libre établissement des entreprises (article 52). La Cour de justice des Communautés européennes interprète ces dispositions générales comme ayant une portée fiscale. Elle leur donne même une interprétation extensive : ainsi estime-t-elle que les discriminations en matière de « rémunération », interdites par l’article 48, incluent les discriminations dans le traitement fiscal des rémunérations. Ces dispositions ne permettent cependant pas de fonder une véritable harmonisation des fiscalités nationales, mais c’est une étape. Ces clauses ne créent, en effet, qu’une obligation de traitement national. Elles n’interdisent que les différences de traitement fondées sur la nationalité.
Il n’est certes pas possible d’exclure totalement que la C.J.C.E., pressée par la Commission, élargisse encore dans l’avenir la portée des clauses de non-discrimination. Encore faut-il observer que le seul véritable enjeu d’une telle extension est le maintien ou non de la distinction entre résident et non-résident, opérée pour des raisons objectives par toutes les fiscalités. C’est sur ce point qu’ont été portés les arrêts rendus à ce jour en matière fiscale par la Cour de justice des Communautés européennes (ci-après C.J.C.E.) sur le fondement du principe de non-discrimination.
Or, le Traité de Maastricht conforte désormais la distinction fiscale entre résident et non-résident par l’article 73 D nouveau : cet article prévoit que les États membres peuvent appliquer les dispositions pertinentes de leur législation fiscale qui établissent une distinction entre les contribuables ne se trouvant pas dans la même situation quant à leur résidence ou quant au lieu où leurs capitaux sont investis, sous réserve que ces restrictions ne constituent pas une restriction déguisée à la libre circulation.
De surcroît, la France peut constituer un exemple en matière de non-discrimination parmi les États membres. Elle se distingue de plusieurs de ses partenaires en donnant une portée effective au principe de traitement national prévu par le Traité. Par ailleurs, la législation fiscale française ne connaît pas de dispositions discriminatoires telles que celles qui ont été récemment attaquées devant la C.J.C.E. dans des affaires impliquant le Royaume-Uni (affaire Commerzbank)[617] ou l’Allemagne (affaire Schumackers)[618].
On sait que, pour les entreprises, aucun taux minimum n’a été fixé dans le code de bonne conduite mais il a été prévu de proscrire les régimes fiscaux spéciaux plus favorables pour attirer les entreprises étrangères. A titre d’exemple, l’Irlande qui avait un taux d’imposition de 35 % sur les bénéfices de ses entreprises et de 10 % pour notamment les Dock de Dublin et les non-résidents, a décidé de passer à un taux de 12,5 % pour tout le monde.
Les interventions de l’Union dans le domaine de la fiscalité directe ne peuvent trouver pour fondement que les dispositions de l’article 100. Cet article dispose en effet que « le Conseil, statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission, arrête des directives pour le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres qui ont une incidence directe sur l’établissement ou le fonctionnement du Marché commun ».
Il a été admis que cette disposition générale pouvait concerner la fiscalité. Mais elle comporte plusieurs limites. D’une part, cet article ne peut être mis en oeuvre que pour modifier les dispositions nationales qui ont une incidence directe sur le Marché commun. D’autre part, ce rapprochement ne peut s’opérer que par voie de directives (définies par l’article 189 du Traité), à l’exclusion de règlements, ce qui vise à garantir aux États membres la maîtrise des modalités d’application du principe retenu au plan communautaire. Enfin, la directive ne peut être adoptée qu’à l’unanimité des États membres.
L’Acte unique, pour remédier aux difficultés créées par la règle de l’unanimité, a prévu à l’article 100 A la possibilité d’adopter certaines directives à la majorité qualifiée. Mais le paragraphe 2 de cet article exclut expressément les dispositions fiscales de cette procédure. Avec l’arrivée de l’Euro et la possibilité de comparer plus aisément les charges fiscales, les entreprises européennes marquent davantage leur volonté d’accélérer l’ homogénéité de leur fiscalité au sein de la zone euro. Cette perspective ne saurait s’engager sans la mise en place d’un large débat sur la règle de l’unanimité pour s’orienter vers une majorité qualifiée réclamée par l’Allemagne et la France.
Au-delà des conditions posées par l’article 100, s’ajoute le principe de subsidiarité contenu dans l’article 3 B du Traité sur l’Union européenne qui dispose que « la Communauté agit dans les limites des compétences qui lui sont conférées et des objectifs qui lui sont assignés par le présent Traité. Dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, la Communauté n’intervient, conformément au principe de subsidiarité, que si et dans la mesure où les objectifs de l’action envisagée ne peuvent pas être réalisés de manière suffisante par les États membres et peuvent donc, en raison des dimensions ou des effets de l’action envisagée, être mieux réalisés au niveau communautaire. L’action de la Communauté n’excède pas ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs du présent Traité ».
Dès lors que, pour l’essentiel, la fiscalité directe relève de la compétence nationale, mais que la Communauté a en ce domaine une compétence en vertu de l’article 100, même si cette compétence est subsidiaire et conditionnelle, la fiscalité directe peut être considérée comme un domaine « qui ne relève pas de la compétence exclusive de la Communauté », soumis en tant que tel au principe de subsidiarité. La Communauté n’est donc fondée à agir en cette matière que lorsque l’objectif peut être mieux réalisé à son niveau qu’à celui des États membres agissant unilatéralement ou par voie d’accords bilatéraux ou multilatéraux. Les moyens qu’emploie la Communauté doivent, de surcroît, être proportionnés à l’objectif poursuivi. Sur ce fondement nouveau, la Commission a elle-même, dès 1992, annoncé le retrait de plusieurs propositions de directives : impôts indirects sur les transactions sur titres (impôt de bourse) ; impôts indirects sur les rassemblements de capitaux (droits d’apport)…
L’article 220 est la seule disposition du Traité visant expressément la fiscalité directe. Il prévoit « l’obligation pour les États membres d’engager entre eux, en tant que de besoin, des négociations en vue d’assurer en faveur de leurs ressortissants l’élimination de la double imposition à l’intérieur de la Communauté ».
Ce texte ne crée cependant qu’une obligation de moyens, renvoyée à des négociations entre États membres, et non une action de l’Union. Il est en effet difficile de considérer comme juridiquement contraignante une obligation formulée en des termes aussi peu impératifs : il y a obligation de négocier mais non de conclure, et encore seulement « en tant que de besoin ». Ainsi la Cour n’a-t-elle jamais sanctionné pour manquement la Grèce, le Luxembourg, l’Irlande et le Portugal, qui n’ont pourtant pas une convention fiscale avec chacun des autres États membres. Au demeurant la France, quant à elle, a un réseau complet de conventions avec les autres États membres.
L’harmonisation de la fiscalité directe de l’impôt sur le revenu comme de l’impôt sur les sociétés, ne représente pas le même enjeu symbolique et politique, de suppression des frontières fiscales, que l’harmonisation de la fiscalité indirecte. L’harmonisation fiscale n’est pas une fin en soi. Il n’y a lieu de l’entreprendre que si elle répond à une nécessité économique.
Or, l’incidence économique des différences de taxation entre les entreprises, par exemple, est faible par rapport à d’autres éléments tels que le coût de la main-d’oeuvre ou la qualité des infrastructures. De plus, l’exemple des États fédéraux montre que, même dans un cadre institutionnel beaucoup plus contraignant que la Communauté européenne, il est possible de conserver une large décentralisation en matière fiscale. Ainsi, par exemple, les États fédérés américains et les cantons suisses sont-ils libres d’instaurer ou non un impôt sur les sociétés, dont le taux n’est par ailleurs pas encadré.
Le désir d’intervention de la Commission dans le domaine de la fiscalité directe malgré l’absence de base juridique est patent. En effet, en 1975, elle avait déposé un projet de directive harmonisant de manière complète l’impôt sur les sociétés, tant sur le plan de l’assiette que du taux et de l’élimination de la double imposition au niveau de l’actionnaire (système de l’avoir fiscal)[619] . Cependant, la Commission a annoncé le retrait de ce projet le 20 avril 1990 en déclarant que « l’action communautaire doit se concentrer sur les mesures indispensables pour l’achèvement du marché intérieur ».
Les impôts directs sont réapparus au programme de l’harmonisation fiscale européenne avec deux directives adoptées en 1990[620] , relatives respectivement à la suppression des retenues à la source sur les dividendes versés par des sociétés filiales aux sociétés mères établies dans la C.E.E. et à la neutralité fiscale des regroupements communautaires (opérations transfrontalières de fusions, scissions, apports partiels d’actifs et d’échanges d’actions). Ces deux directives ont demandé néanmoins vingt années de discussion.
Soulignons deux autres propositions de directives qui n’ont pas encore été adoptées prévoyant l’exonération de retenue à la source sur les paiements d’intérêts et de redevances intra-groupe, ainsi que la prise en compte de pertes subies dans les filiales et établissements stables à l’étranger. Malgré ces mesures, on constate que le domaine de la fiscalité des entreprises n’a été que très peu touché par l’harmonisation européenne.
En marge de l’harmonisation fiscale, il est aussi nécessaire de rappeler l’adoption par le Conseil, aujourd’hui entrée en vigueur, d’une convention multilatérale relative à l’élimination de la double imposition en cas de correction de bénéfices d’entreprises associées, convention conclue sur le fondement de l’article 235 du Traité sur l’Union européenne. Cet article permet au Conseil de prendre les dispositions appropriées pour l’adoption de mesures entrant dans l’objet de la Communauté mais pour lesquelles celle-ci ne dispose pas de pouvoirs d’action.
Depuis quelques années mais sans succès, la Commission met en avant la nécessité d’une taxation des revenus du capital financier qui permettrait de rééquilibrer la structure des prélèvements obligatoires pesant sur les différents facteurs de production (travail, capital, ressources naturelles rares) afin de favoriser l’emploi. Un projet de directive sur l’épargne remontant à 1989 comporte deux aspects : retenue à la source sur les revenus de capitaux mobiliers et assistance fiscale mutuelle entre États.
Le principe de base de cette harmonisation serait qu’une retenue à la source minimale, éventuellement libératoire, soit pratiquée dans chaque État membre sur l’ensemble des revenus de valeurs mobilières perçus par des résidents communautaires, dans le but d’éviter l’apparition ou le développement de mouvements de délocalisation de l’épargne. Ce projet élaboré durant la période précédant la libre circulation des capitaux n’a pu aboutir malgré les craintes d’alors. Il est vrai que les capitaux se sont montrés moins sensibles aux différences de taxations entre États membres qu’on le pensait à cette époque.
Quant aux recommandations faites à la Commission par un groupe d’experts désignés par elle (comité présidé par Oimo Ruding dont le rapport a été publié en mai 1992), elles mettent l’accent sur la nécessité de poursuivre l’harmonisation notamment sur le terrain de l’imposition des bénéfices des sociétés (harmonisation de la base d’imposition et des taux) et du traitement des flux financiers de toutes natures (intérêts, redevances, redistribution des dividendes de filiales) entre sociétés résidentes d’États membres différents.
L’absence d’harmonisation en matière de fiscalité de l’épargne pose un problème particulier au regard de la libre circulation des capitaux, puisqu’en cas de disparités notables des fiscalités, les capitaux devraient se placer là où les revenus qu’ils engendrent seront les moins taxés. Dans la perspective d’un espace financier européen, des différences notables d’imposition du revenu et notamment du revenu de l’épargne auraient donc sans aucun doute une influence décisive sur la localisation des épargnes nationales.
L’expérience allemande a été éclairante à cet égard : après avoir mis en place une retenue à la source le 1er janvier 1989 au taux de 10 % sur les revenus des placements mobiliers autres que les actions, le gouvernement a dû la supprimer 6 mois plus tard après avoir constaté une fuite de capitaux vers l’étranger, notamment le Luxembourg, atteignant 100 milliards de marks (340 Mds de francs, 51 Mds d’écus) en l’espace de quelques mois. C’est pourquoi, à la veille de la libération des capitaux en 1990, des mesures d’allégement de la fiscalité de l’épargne ont au contraire été prises en France, notamment pour les placements à revenus fixes.
Une certaine harmonisation communautaire pourrait également permettre de réduire la compétition fiscale exercée, notamment, dans le domaine des plus-values et des activités financières.
Or, un tel rapprochement des législations est doublement freiné. D’une part, la règle de l’unanimité s’impose, qui reflète l’attachement des Étatsmembres à conserver leur souveraineté fiscale et le contrôle de leur Parlement sur ces questions. Accessoirement, cela signifie que le Parlement européen n’intervient que dans le cadre de la procédure de consultation, ce qui ôte tout caractère contraignant aux propositions d’amendements qu’il pourrait formuler. D’autre part, la Commission détient le monopole de proposition en la matière, ce qui l’a conduite à revendiquer une compétence que le Traité sur l’Union européenne ne lui confère pas.
Sans base institutionnelle, la Commission est réduite à rechercher le soutien de l’opinion, ce qui la conduit dans ses propositions à être plus favorable au contribuable qu’au Trésor en évitant de mettre l’accent sur les problèmes de fond que pose le marché intérieur (la concurrence fiscale entre États, l’échange de renseignements et le secret bancaire…). De telles initiatives sont d’autant plus mal ressenties par les États membres que l’harmonisation communautaire de la fiscalité indirecte a réduit leurs marges de manœuvre.
De plus, sur le plan technique, la Commission dispose actuellement d’une équipe « fiscalité directe » d’une dizaine de personnes seulement. Quelle que soit la qualité des personnes qui la composent, elle peut difficilement se comparer aux administrations fiscales des États membres. Par ailleurs, il manque à la Commission l’expérience pratique de la gestion d’un système fiscal et des contraintes budgétaires pesant sur les États membres.
A court terme, et dans le cadre institutionnel actuel, il est peu probable que la Commission parvienne à des avancées significatives dans le domaine de la fiscalité directe, concernant notamment les revenus. Sa priorité serait en effet l’impôt sur les sociétés, en raison de ses effets possibles sur l’économie. Mais on ne peut exclure à court ou moyen terme une intervention en matière d’épargne.
Titre 2 : LA NECESSAIRE REDEFINITION DU CADRE OPERATOIRE DES ECHANGES DANS L’ESPACE CEDEAO
Chapitre 1 : L’impérieuse réussite de l’intégration monétaire et financière dans l’espace CEDEAO
Section 1 : Les perspectives d’harmonisation du système monétaire
Para 1 : L’appropriation des concepts et paramètres
La monnaie unique marque la concrétisation de l’Union économique et monétaire qui est le stade le plus avancé d’une intégration économique régionale. La monnaie unique permet, notamment, d’assurer le parachèvement du marché unique. La centralisation de la politique monétaire au niveau d’une Banque centrale ne totalement indépendante et ayant pour objectif principal le maintien de la stabilité des prix est une autre avancée majeure de l’intégration, mais s’est avérée, dans le cas de la monnaie unique, source de controverses permanentes.
- Les apports de la monnaie unique à la dynamique de l’intégration ouest-africaine
- La parachèvement du marché ouest-africain
La monnaie unique, en éliminant les distorsions monétaires et les coûts du change la monnaie unique va contribuer au parachèvement du marché unique .
Le remplacement des monnaies nationales par une monnaie unique ne garantit la transparence sur les niveaux des prix relatifs dans l’ensemble de la zone euro, condition nécessaire d’une concurrence effective et non faussée.
La monnaie unique entraîne, en effet, la disparition des coûts du change dans les transactions intra- nes et fait disparaître les perturbations liées aux changes flottants entre monnaies des États membres. L’introduction de la monnaie unique modifie donc les conditions monétaires et financières pour l’ensemble des transactions intra-zone en assurant une plus grande transparence sur les niveaux de prix relatifs dans les différents États, ce qui conduit à une connaissance plus précise de la compétitivité _ prix de chaque production de biens et services.
La concurrence à l’intérieur de la zone euro n’est plus affectée par les variations monétaires des différentes devises et par les coûts du change (commissions des intermédiaires financiers, couverture sur le marché à terme des devises, primes de risque, etc.). Le parachèvement d’un marché unique véritablement transparent et concurrentiel exige une monnaie unique qui préserve sur courte, moyenne et longue période contre les avatars des fluctuations entre monnaies nes.
Dès 1990, les services de la Commission soulignaient sous la forme la plus concise dans le titre d’un rapport (Marché unique – monnaie unique) 3 la nécessité d’une monnaie ne pour l’achèvement d’un marché unifié. L’instauration d’une monnaie unique constitue un changement considérable en regard de l’histoire des changes entre monnaies nationales depuis les débuts de l’intégration économique ne. Cette histoire est, en effet, marquée par les dérives du long terme, par des fluctuations de moyen terme impossibles à contrôler, par de fréquentes crises de court terme apparaissant comme de véritables « tsunamis ». À ces trois niveaux le fonctionnement du marché commun, puis du marché unique, se trouvait gravement perturbé jusqu’à la création de la monnaie unique.
Faut-il rappeler que la parité 1 mark/1 franc qui était celle constatée en 1959 au début du marché commun était devenue, quarante ans plus tard, à la veille de la création de la monnaie unique, une parité 1 mark/3,38 francs français ?
Faut-il rappeler les déboires du « serpent monétaire » au début de la décennie soixante-dix ? En 1972, une résolution du Conseil suivie d’un accord entre banques centrales du 10 avril (accord de Bâle) crée un engagement de limitation des fluctuations de change : les monnaies nes ne peuvent fluctuer que de plus ou moins 2,25 % par rapport au dollar, l’écart instantané entre monnaies nes ne pouvant excéder 4,50 %. Or ces engagements de limitation des fluctuations entre monnaies de la Communauté vont vite se révéler impossibles à respecter pour une large fraction d’États membres :
_ les trois nouveaux États membres qui doivent entrer dans la Communauté au 1er janvier 1973 décident, dans un bel enthousiasme, d’appliquer l’accord de limitation des fluctuations à compter du 1er mars 1972… mais doivent renoncer à leurs engagements sept semaines plus tard (1er mai 1972) ;
_ la lire italienne quitte le serpent monétaire le 13 février 1973 ;
_ quant au franc français, son entrée dans l’accord de limitation des fluctuations de change au printemps 1972 est suivi d’une sortie au 1er janvier 1974, puis d’un retour au sein du mécanisme de limitation des fluctuations du change le 10 juillet 1975, pour une sortie définitive le 13 juillet 1976.
En fait, dès le début de janvier 1974, il apparaissait très clairement que l’accord de limitation des fluctuations de change (première étape de la construction de l’Union économique et monétaire) se limitait à une zone mark au sein de laquelle le Benelux et le Danemark étaient rattachés à la monnaie allemande.
Faut-il, enfin, parmi les différents « tsunamis » du court terme, évoquer la crise de septembre 1992 ? La sortie de la livre britannique du système monétaire le 17 septembre 1992 entraîne une dépréciation de plus de 20 % de la monnaie britannique après une perte équivalant à près de 5 milliards d’euros pour le Trésor britannique. Le 16 septembre 1992, le Quantum Fund dirigé par George Soros vend à découvert pour l’équivalent de 10 milliards de dollars de livre sterling et empoche un bénéfice de plus d’un milliard de dollars en une nuit…
Ces fluctuations du change entre monnaies des États membres ont faussé pendant quatre décennies la concurrence dans le cadre du marché commun et largement perturbé la mise en oeuvre de la politique agricole commune : l’instauration de montants compensatoires monétaires n’ayant qu’imparfaitement corrigé les distorsions créées par les fluctuations de change.
L’unification monétaire au sein de la zone CEDEAO constitue donc un changement considérable qui entraînera la disparition des coûts du change et des fluctuations monétaires intra-zone. Elle accroît, en conséquence, la transparence des transactions entre États et régions d’un vaste marché unifié et conduit vers une concurrence qui ne sera plus perturbée par les fluctuations du change.
- Une centralisation de la politique monétaire source de controverses
La politique monétaire dans la zone euro définie par le Traité de Maastricht (1992) est une politique centralisée et uniforme gérée en toute indépendance par la Banque centrale ne (BCE) et le système de banques centrales (SEBC) qui place les banques centrales nationales sous la houlette de la BCE. Cette politique est centrée sur l’objectif principal qui lui a été assigné par le Traité de Maastricht (la stabilité des prix)[621].
L’article 107 du Traité de Maastricht et l’article 7 des statuts du SEBC garantissent l’indépendance de la BCE, des banques centrales nationales et des membres de leurs organes de décision dans l’exercice de leurs fonctions et attributions en leur interdisant de demander ou d’accepter des instructions de gouvernements d’États membres, d’institutions communautaires ou de tout autre organisme.
De leur côté, ces gouvernements, institutions et organismes s’engagent à ne pas tenter d’influencer la BCE ou les banques centrales nationales dans l’accomplissement de leurs missions. Cette indépendance doit permettre aux organes de décision de la BCE de concentrer leurs efforts sur l’accomplissement de leur mission et d’adopter des orientations à moyen terme de la politique monétaire ne sans être influencés par des considérations politiques de court terme.
Inspiré par la politique monétaire de la Bundesbank allemande qui, depuis 1948, n’avait cessé de proclamer que la stabilité des prix était un impératif prioritaire pour assurer la croissance économique et la cohésion sociale, le Traité de Maastricht stipule que l’objectif principal du SEBC est de maintenir la stabilité des prix.
Sans préjudice de l’objectif de stabilité des prix, le SEBC apporte son soutien aux politiques économiques générales dans la Communauté, en vue de contribuer à la réalisation des objectifs de cette Communauté. Le SEBC agit conformément au principe d’une économie de marché ouverte où la concurrence est libre, en favorisant une allocation efficace des ressources.
Ce mandat donne clairement la priorité au maintien de la stabilité des prix comme fondement de conditions économiques propices à la croissance durable de la production, au niveau élevé de création d’emplois et à l’amélioration du niveau de vie qui figurent parmi les objectifs de la Communauté ne dans le Traité de Maastricht. Cette politique monétaire centralisée suscite cependant de multiples controverses dont on souhaite, ici, donner de simples aperçus.
Signalons tout d’abord que, tout au long de ces dix dernières années, l’omnipotence en matière monétaire d’une institution dépourvue de légitimité démocratique mais imposant néanmoins sa politique aux gouvernements des États membres issus du suffrage universel a été de plus en plus violemment contestée, notamment dans les pays qui n’ont adopté qu’assez récemment le principe d’indépendance des banques centrales (France).
Une deuxième controverse s’est développée autour du concept d’inflation et de la mesure du phénomène. La BCE prétend mesurer l’inflation à travers l’évolution d’un indice des prix à la consommation harmonisé (IPCH), indice construit par la Banque ne pour mesurer les prix des biens et services proposés à l’achat sur le territoire en vue de satisfaire la demande des consommateurs.
La BCE a établi un objectif de maîtrise de l’inflation qui conduit à rechercher une progression de l’IPCH sur un an inférieure à 2 % ou proche de 2 % à moyen terme. La structure de l’indice peut faire apparaître un décalage entre l’évolution de l’IPCH et la perception de l’inflation que ressentent les consommateurs et l’ensemble des agents économiques. Par ailleurs, la pertinence de cette mesure de l’inflation pour l’orientation de la politique monétaire est mise en cause.
Il conviendrait de rechercher une mesure plus précise de la seule inflation directement maîtrisable par la politique monétaire à travers le concept d’inflation sous-jacente (hors prix de l’énergie et de l’alimentation). La hausse des taux d’intérêt de la BCE et les autres moyens de la politique monétaire ne n’ont, à l’évidence, aucun effet sur l’évolution du prix relatif du pétrole qui dépend des niveaux mondiaux de la demande et de l’élasticité de l’offre.
Il convient, cependant, d’observer que les hausses brutales de l’énergie et des matières premières enregistrées depuis 2007 auront, directement ou indirectement, des répercussions sur l’ensemble des prix des produits et services offerts et sur les revendications salariales cherchant à maintenir le pouvoir d’achat, autant de facteurs pouvant engendrer des cycles inflationnistes. En mars 2008, le rythme annuel de hausse des prix atteignait 3,7 %, largement supérieur à l’objectif de 2 % initialement retenu pour la zone euro.
Cette poussée inflationniste, en grande partie imputable à l’évolution des prix de l’énergie, relance le débat sur l’opportunité, en cette circonstance, d’une politique monétaire restrictive envisagée par la BCE pour lutter contre les menaces inflationnistes, mais qui risquerait de ralentir une croissance économique de la zone euro déjà réduite par la conjoncture mondiale et ne : cruel dilemme pour la Banque centrale ne… qui ne semble pas décidée à abandonner son objectif principal de lutte contre l’inflation.
Une déclaration du gouverneur de la Banque de France, Christian Noyer, paraît, à cet égard, significative : « Les pressions inflationnistes nous paraissent constituer une menace encore plus importante pour la croissance que la crise des subprimes. Ce que les banquiers centraux regardent, c’est l’inflation globale, qui a monté sous l’effet d’un choc extérieur, la hausse des matières premières. Les politiques monétaires trop souples menées dans les pays émergents, dont les monnaies sont liées au dollar, ont une lourde responsabilité dans la montée de l’inflation et dans les déséquilibres mondiaux. Si la BCE ne peut pas contrer directement ce mouvement, il est de son devoir d’éviter tout dérapage en ancrant les anticipations d’inflation afin d’éviter les effets de « second tour ». Si la hausse des prix de l’énergie se transmettait aux salaires et aux marges, on entrerait dans une spirale d’inflation défavorable à la croissance et au pouvoir d’achat et les taux d’intérêt à long terme remonteraient fortement. Il ne faut pas refaire les mêmes erreurs que celles commises dans les années 1970 »[622].
Bien avant les péripéties de la conjoncture 2008, une troisième controverse a surgi concernant le dogmatisme de la BCE qui concentrerait sa politique monétaire sur la lutte contre l’inflation et ne développerait pas une réactivité comparable à celle de la Réserve fédérale américaine face aux aléas de la conjoncture économique et aux vicissitudes de la mondialisation. Pour la BCE, l’accomplissement en toute indépendance de sa mission principale (garantir la stabilité des prix) permet de répondre à la fois aux défis institutionnels (créer et gérer une nouvelle monnaie sans autorité politique, asseoir la crédibilité de cette monnaie sur les différents marchés) comme aux défis conjoncturels.
La BCE considère que les politiques pour le soutien direct à la croissance, l’emploi et la compétitivité doivent être recherchées dans la gestion budgétaire (encadrée par le pacte de stabilité et de croissance) et dans l’ajustement structurel (accroissement de la flexibilité et de la concurrence sur les différents marchés des biens et services). En conséquence, la BCE, depuis plus de dix ans, ne cesse de répéter que « la stabilité des prix est une condition nécessaire de la croissance et de la création d’emplois durables ». Elle observe que la zone euro a créé 15,7 millions d’emplois depuis son origine voici neuf ans, chiffre supérieur à celui enregistré aux États-Unis sur la même période.
En dépit de la persistance de ces importantes controverses et de l’ampleur qu’elles ont pu prendre en certaines circonstances (campagnes électorales, débats politiques) quelques repères incontournables nous semblent devoir être réintroduits pour cadrer les débats. La totale indépendance de la BCE face aux pouvoirs politiques résulte de la lettre du Traité sur l’Union ne (1992). Elle a été présentée comme la condition sine qua non de l’acceptation de l’Union économique et monétaire par différents États membres, notamment l’Allemagne. Elle est intégralement maintenue dans le Traité de Lisbonne (2007) en cours de ratification.
La dénonciation du dogmatisme de la politique monétaire conduite par la BCE, systématiquement mis en cause dans différents milieux économiques et politiques, doit faire l’objet d’une évaluation plus nuancée. S’il est incontestable que la BCE se concentre, comme le lui enjoint le Traité sur l’Union ne, sur son objectif principal la stabilité des prix, sa réactivité aux circonstances exceptionnelles a été démontrée en plusieurs occasions.
Face aux perturbations du système bancaire et financier liées en 2007 et 2008 à la crise des « subprimes » américains, la BCE n’a pas hésité, en liaison avec la Réserve fédérale américaine et d’autres banques centrales, à procéder à des injections massives de liquidités pour pallier le risque d’insolvabilité de certaines banques et les menaces d’effondrement du système financier international (été 2007, injection de plus de 200 milliards de dollars de liquidités en trois jours). Le 7 octobre 2008 après plusieurs autres injections massives de liquidités par la BCE, M. Trichet réaffirme que la Banque centrale ne continuera à injecter des liquidtés dans le système bancaire « aussi longtemps que nécessaire ».
La participation de la BCE à la baisse concertée d’un demi point des taux directeurs le 8 octobre 2008 avec les banques centrales des États-Unis, du Canada, de Grande-Bretagne, de Suède et de Suisse s’inscrit dans cette volonté de réaction face au développement de la crise financière en Europe. Plus généralement, commentant les trois premières années d’existence de la BCE, Artus et Wyplosz observaient dès 2002 : « La BCE a su faire preuve d’un pragmatisme de bon aloi : elle n’est pas obnubilée par la seule évolution des prix et a su, conformément à son mandat, tenir compte du besoin de stabilisation de la conjoncture ».
En réalité, c’est la centralisation et l’uniformité de la politique monétaire ne aboutissant à « traiter de façon égale des choses inégales »[623] qui constitue la principale contrainte de la politique monétaire ne pour les différents États membres et pour les différentes régions. Les contraintes les plus lourdes de la politique monétaire de la zone euro ne sont peut-être pas celles fréquemment dénoncées (concentration des objectifs sur la stabilité des prix) mais concernent l’unicité des taux d’intérêt s’appliquant à des économies nationales et régionales qui connaissent des disparités dans les rythmes de croissance comme dans les taux d’inflation ou de chômage.
La conséquence la plus pernicieuse apparaît au niveau des taux d’intérêt réels (taux nominaux pondérés par le taux d’inflation) qui, dans la zone euro, divergent et s’appliquent à contresens : ils sont souvent négatifs pour les pays les plus dynamiques en termes de croissance (Espagne au début de la présente décennie) et ils peuvent être positifs pour les pays englués dans une conjecture basse (Allemagne en 2003). Le taux directeur de la BCE est donc souvent trop élevé pour les pays à faible croissance et trop faible pour les pays plus dynamiques. Ces taux d’intérêt réels divergents sont d’autant plus déstabilisants que les structures économiques auxquelles ils s’appliquent uniformément sont fortement dissemblables.
La solitude institutionnelle actuelle de la BCE renforce la fonction traditionnelle de bouc émissaire qui, selon les spécialistes, est, explicitement ou implicitement, dévolue à toute banque centrale. Dans le contexte institutionnel , la BCE, seul organe de type fédéral dans l’Union économique et monétaire, va souvent être rendue responsable de toutes les difficultés économiques, sociales, politiques, sectorielles, internationales, qui peuvent venir contrarier l’évolution économique dans chacun des États membres ou dans l’ensemble de l’Union ne. On a évoqué, à cet égard, un procès en sorcellerie fait à la BCE.
Car, si la BCE peut avoir certaines responsabilités liées à sa politique des taux et du crédit, l’impact de cette politique ne doit pas être surestimé : ce n’est pas la seule variation de quelques dixièmes de point des taux d’intérêt de base qui peut ajuster le marché du travail, restaurer la compétitivité, remplacer les réformes structurelles, dynamiser tel secteur ou tel ensemble de secteurs dans un monde globalisé où la concurrence émane de toutes parts, notamment des grands pays émergents.
Para 2 : Les approches intégratives
Para 2 : Les approches intégratives
Le projet d’UEM a été perçu par beaucoup comme un moyen d’aborder les causes sous-jacentes de la mauvaise performance économique de la région au cours des trois dernières décennies. Depuis des années, la plupart des pays ouest-africains ont en effet subi, en termes de production et de taux de chômage, les conséquences d’un environnement macroéconomique instable, caractérisé par une forte inflation, des taux d’intérêt réels élevés, une volatilité élevée des taux de change et des finances publiques dégradées.
- Fondement économiques de l’approche intégrative
Beaucoup d’observateurs ont considéré que la mise en place d’une monnaie unique permettrait de palier un certain nombre de ces faiblesses, via plusieurs canaux. Tout d’abord, l’UEM garantirait une plus grande stabilité macroéconomique. Les tensions sur le marché des changes au sein de la zone euro disparaîtraient, et la crédibilité des politiques économiques serait renforcée.
L’UEM était également perçue comme un moyen de stimuler la coordination des politiques économiques nationales et, avec le temps, de progresser vers une intégration économique accrue. Enfin, la mise en place de la monnaie unique européenne devait permettre une plus grande transparence et comparabilité des niveaux de prix, conduisant à un renforcement de la concurrence et une allocation plus efficace des ressources. L’ensemble de ces effets devait se traduire par une amélioration de la performance économique.
- Risques et coûts associés à la participation à l’UEM : un risque calculé
Un certain nombre d’économistes ont toutefois exprimé des doutes sur le bien-fondé d’une monnaie unique européenne. Certains étaient opposés à l’UEM en elle-même, tandis que d’autres avaient des craintes sur le moment choisi pour sa réalisation ou sur l’opportunité pour certains pays d’y participer. Nombre d’observateurs ont alors souligné les risques liés à la perte de contrôle des politiques monétaire et de change au niveau national pour un groupe de pays aux structures économiques différentes, et dont la synchronisation cyclique demeurait imparfaite.
En particulier, ils ont fait valoir que les bénéfices potentiels de l’UEM seraient plus que contrebalancés par les coûts impliqués par une politique monétaire unique, inévitablement sous optimale pour certains pays de la zone. La rigidité des marchés du travail et la faible mobilité de la main-d’oeuvre de plusieurs pays candidats à l’UEM ont également suscité des interrogations sur la capacité de certains pays à corriger d’éventuels déséquilibres macroéconomiques. L’absence de mécanismes d’ajustement efficaces pouvait aboutir à des périodes prolongées de croissance lente et à des niveaux durablement élevés de chômage dans certaines régions ou certains pays.
Enfin, certains économistes doutaient de la capacité du cadre institutionnel à faire face aux défis liés à l’introduction de l’euro. Certains craignaient que pendant les premières années de l’UEM, la BCE ne suive une politique monétaire excessivement restrictive afin d’asseoir sa crédibilité.
D’autres ont avancé que la croissance serait freinée par les règles budgétaires excessivement strictes établies dans le Traité et le PSC. L’argument contraire selon lequel une orientation budgétaire plus laxiste serait adoptée dans l’UEM, du fait notamment du relâchement de la contrainte exercée par les marchés financiers, était également défendu.
Un examen des développements économiques au sein de l’UEM permet de tirer quelques conclusions concernant ces questions et, de manière plus générale, concernant l’impact de l’UEM sur la stabilité macroéconomique et la croissance.
- Une union économique accélératrice du développement économique
Avec une inflation moyenne à peine supérieure à 2 % depuis 1999, il est possible d’affirmer que la stabilité des prix a prévalu depuis le début de l’UEM. Les anticipations d’inflation sont restées stables à un bas niveau. En outre, même si les différentiels d’inflation se sont quelque peu élargis jusqu’en 2003, les économies de la zone ont assuré un degré élevé de convergence nominale. Les taux d’intérêt ont été maintenus à un faible niveau historique.
Certains observateurs considèrent que la BCE a fait preuve d’une précaution excessive face à une situation économique dégradée ; d’autres suggèrent au contraire qu’un certain degré de précaution était justifié dans un environnement plus incertain. De façon générale, la BCE a contribué à créer un environnement macro-économique stable.
En ce qui concerne la politique budgétaire, les développements ont été encadrés par les dispositions du Traité imposant aux États membres de maintenir des niveaux de déficit et de dette inférieurs aux valeurs de référence de 3 % et 60 % du PIB respectivement. Ces dispositions ont été complétées et clarifiées au début de l’UEM par le PSC, qui renforce les mécanismes de surveillance multilatéraux et fixe pour objectif aux États membres, d’atteindre des positions budgétaires proches de l’équilibre ou excédentaires en moyenne sur le cycle économique.
Plusieurs pays de la zone euro ont atteint cet objectif, et les déficits publics sont en moyenne restés plus faibles qu’observé dans d’autres régions du monde (États-Unis, Japon notamment), et que lors des épisodes de ralentissement économique précédents. Toutefois, les déficits ont augmenté depuis 2000 dans la plupart des pays de la zone, à la fois en termes nominaux et ajustés du cycle. En 2004, les déficits publics ont été supérieurs ou égaux à 3 % du PIB dans quatre pays de la zone euro. Dans la plupart des cas, les problèmes budgétaires rencontrés par les États membres ont trouvé leur origine dans l’incapacité à conduire des politiques budgétaires prudentes lors des phases hautes du cycle économique.
Au total, les premières années d’UEM se sont caractérisées par une grande stabilité macroéconomique. Cette stabilité est d’autant plus remarquable que de nombreux chocs ont frappé l’UEM depuis son lancement, tels que la crise asiatique de 1998, la hausse des prix du pétrole depuis 1999, l’éclatement de la bulle des prix d’actions en 2000, et le ralentissement brusque de la croissance du commerce mondial en 2001.
Malgré ces réalisations, la performance de la zone euro en matière de croissance est restée décevante. Après avoir atteint près de 3 % en 1999 et 3,5 % en 2000, la croissance de la zone euro a été en moyenne de 1,3 % par an entre 2001 et 2004, un rythme nettement inférieur à son potentiel.
La faiblesse de la croissance au cours de ces dernières années reflète celle des composantes internes de la demande, dont l’atonie semble résulter principalement de la nécessaire correction des bilans des entreprises après la crise financière du début des années 2000 et d’une augmentation inattendue du taux d’épargne des ménages.
Cette dernière peut être attribuée à une combinaison de plusieurs facteurs : détérioration des perspectives d’emploi, viscosité de l’inflation, incertitudes temporaires liées aux annonces de réformes structurelles (notamment en matière de santé et de retraites), perception croissante des ménages des conséquences de la dégradation des finances publiques.
Du point de vue de l’offre, la faiblesse persistante de la productivité constitue une préoccupation particulière. La performance récente de la zone euro contraste par rapport à celle des États-Unis, où la croissance de la productivité a nettement accéléré pendant la deuxième moitié des années 1990.
Au total, il ressort des premières années d’UEM que la stabilité macroéconomique, condition préalable à une croissance durable, ne permet pas à elle seule de stimuler le potentiel de croissance économique. Cela donne plus de relief encore à la nécessité de mettre en oeuvre les réformes envisagées au niveau européen dans le cadre de la stratégie de Lisbonne.
- Des défis à relever
L’introduction de la monnaie unique pour douze pays souverains a été réalisée sans à-coups, y compris en ce qui concerne les aspects pratiques liés à l’introduction des pièces et des billets. La principale déception des premières années d’UEM est le manquement à convertir la stabilité macroéconomique en dynamisme économique.
La plupart des observateurs s’accordent sur le fait que des réformes structurelles ambitieuses doivent être mises en oeuvre en Europe, et dans la zone euro en particulier, afin de lever les freins à la croissance. Ces réformes sont également rendues nécessaires par les implications économiques et budgétaires du vieillissement de la population européenne. Enfin, au regard de l’expérience des premières années d’UEM, il semble prioritaire de renforcer le cadre pour la coordination des politiques économiques et budgétaires.
1. Lever les freins à la croissance
Les premières années d’UEM ont confirmé que la stabilité macroéconomique seule ne permet pas une élévation durable du potentiel de croissance économique et d’accroître la capacité des économies à sortir rapidement des épisodes de ralentissement conjoncturel. Seule la mise en oeuvre de réformes structurelles ambitieuses, sur les marchés des biens et services et sur le marché du travail, permettra d’atteindre ces objectifs. Bien qu’un large consensus existe au niveau européen sur la nécessité de telles réformes, les actions mises en oeuvre au niveau national demeurent insuffisantes.
Le 2 février 2005, la Commission européenne a décidé de relancer le programme de réforme économique de l’UE engagé en 2000 (l’agenda de « Lisbonne »). Elle a présenté une nouvelle stratégie visant à stimuler la croissance et la création d’emplois et a défini un programme d’action pour l’UE et ses États membres. Les principaux axes du programme d’action présenté par la Commission visent à :
_ faire de l’Europe une zone plus attrayante pour l’investissement et le travail. Cela suppose de progresser dans la mise en place du marché unique et de continuer à veiller à ce que les marchés demeurent ouverts et concurrentiels à l’intérieur et à l’extérieur de l’Europe. Cela suppose également de réorienter les aides publiques vers les secteurs à fort potentiel de croissance, de renforcer les infrastructures européennes et d’améliorer les réglementations communautaire et nationale en allégeant le poids des contraintes administratives ;
_ mettre la connaissance et l’innovation au service de la croissance. Le développement des technologies de l’information et de la communication doit être accéléré, et l’UE doit atteindre l’objectif de consacrer 3 % de son PIB aux dépenses de recherche et développement. En outre, l’émergence de pôles d’innovation et les initiatives technologiques européennes doivent être encouragées, notamment dans le cadre de partenariats public-privé ;
_ créer des emplois plus nombreux et de meilleure qualité, en attirant un plus grand nombre de personnes sur le marché du travail et en réduisant le chômage structurel. Cela passe par des mesures concrètes visant à réduire le chômage des jeunes et à moderniser les systèmes de protection sociale. En outre, l’investissement dans le capital humain, la flexibilité des marchés du travail, ainsi que la capacité d’adaptation des travailleurs et des entreprises doivent être renforcés.
2. Préparer les implications économiques et budgétaires du vieillissement de la population
Stimuler le potentiel de croissance des économies européennes est indispensable compte tenu de l’ampleur des changements démographiques qui affecteront l’UE au cours des prochaines décennies. Le nombre de personnes en âge de travailler diminuera progressivement à partir de la fin de la décennie, alors que la progression du nombre de personnes âgées s’accélérera encore, accentuant la pression sur les dépenses publiques.
L’ensemble des études disponibles montre notamment que les engagements implicites des gouvernements en matière de dépenses liées à la retraite et à la santé pourraient compromettre la soutenabilité des finances publiques dans la plupart des pays de la zone euro.
La Commission considère que les États membres doivent mettre en oeuvre une stratégie en trois volets. Tout d’abord, les États membres doivent viser, dès aujourd’hui, une réduction plus rapide de la dette publique. Cela suppose d’intensifier les efforts pour assainir les finances publiques dans un certain nombre de pays afin de converger vers des positions budgétaires en équilibre ou en excédant, conformément à l’objectif fixé dans le PSC.
Deuxièmement, des réformes structurelles ambitieuses visant à élever les taux d’emploi des jeunes et des travailleurs âgés doivent être mises en oeuvre sans tarder. Enfin, des réformes appropriées de systèmes de pension et santé doivent être conduites. Certaines réformes ont d’ores et déjà été mises en oeuvre dans la plupart des pays de l’UE. Bien qu’allant dans la bonne direction, elles demeurent souvent insuffisantes pour assurer la soutenabilité à long terme des systèmes de protection sociale (retraites, santé) et des finances publiques.
3. Renforcer le cadre pour la coordination des politiques économiques et budgétaires
La coordination des politiques économiques a été insuffisante au cours des premières années d’UEM. En particulier, la mise en oeuvre du PSC s’est avérée plus difficile que prévu. La décision du Conseil Ecofin en novembre 2003 de ne pas souscrire à une recommandation de la Commission, contre l’Allemagne et la France, dans le cadre de la procédure pour déficit excessif, a remis en question le cadre existant.
Le cadre budgétaire, et notamment la pression des pairs, a probablement aidé plusieurs petits pays à résoudre leurs déséquilibres budgétaires, mais il s’est avéré moins efficace pour les grands pays de la zone, qui ont rencontré des difficultés à respecter les règles. Cela a suscité des interrogations sur la capacité du cadre budgétaire à assurer la prévention de situations budgétaires insoutenables.
Dès lors, il était essentiel de rétablir un cadre crédible et efficace pour la surveillance et la coordination des politiques économiques et budgétaires. Ce cadre doit mettre davantage l’accent sur la soutenabilité des finances publiques et doit permettre une meilleure prise en compte des réalités économiques. L’objectif est double. Il s’agit à la fois de renforcer les règles fiscales et d’améliorer le fonctionnement du cadre de surveillance.
Paragraphe 3 : la mise en place d’un pacte de croissance et de stabilité selon le modèle européen
Le Conseil européen a entériné, les 22 et 23 mars 2005, les grandes lignes d’une réforme du PSC. Cette décision est le fruit de plusieurs mois de discussions au sein du Conseil, sur la base des propositions formulées par la Commission dans une communication adoptée le 3 septembre 2004. À la lumière des expériences passées, mais également de changements structurels intervenus ces dernières années, la Commission a considéré qu’un certain nombre de modifications devaient être apportées au cadre de surveillance budgétaire européen.
La réforme du Pacte est équilibrée. D’un côté, elle introduit davantage de raisonnement économique dans l’application des règles budgétaires, afin de mieux prendre en compte la diversité des situations économiques nationales. De l’autre, elle renforce les éléments essentiels du cadre budgétaire et les États membres ont renouvelé leur engagement à conduire des politiques budgétaires appropriées au cours du cycle économique.
A. Pourquoi un Pacte de stabilité et de croissance ?
Maintenir des finances publiques saines est une condition essentielle pour une croissance durable. Afin de garantir un environnement macroéconomique stable, et un niveau d’endettement supportable, de nombreux pays à travers le monde ont adopté des règles budgétaires. Dans le cadre d’une union monétaire, l’adoption de règles budgétaires est nécessaire, la mise en oeuvre de politiques budgétaires laxistes dans un État membre pouvant avoir des effets négatifs dans l’ensemble de l’Union.
Dans le cadre de l’UEM, les États membres conservent la responsabilité de la conduite de leurs politiques budgétaires, dans les limites fixées par le Traité et le PSC. Le Traité fixe des critères budgétaires précis que doivent respecter les pays participants à l’euro. Le déficit et la dette publique de chaque État membre doivent rester au-dessous de 3 % et de 60 % de leurs produits intérieurs bruts respectifs. Le Traité spécifie également les règles de base pour identifier l’existence d’un déficit excessif dans un État membre et la procédure visant à corriger cette situation. Pour les pays de la zone euro, si des mesures correctives ne sont pas mises en oeuvre pour corriger une telle situation, la possibilité de sanctions financières est prévue.
Le PSC clarifie les dispositions du Traité. Il fixe l’objectif de finances publiques proches de l’équilibre ou excédentaires en moyenne sur le cycle économique. Les pays qui se conforment à cet objectif n’ont que très peu de risques de dépasser le plafond de déficit de 3 %, même pendant un net ralentissement de l’activité économique. Le PSC clarifie également les procédures pour la surveillance multilatérale et spécifie le type et l’échelle des sanctions à appliquer au cas où un pays ne prend pas les mesures recommandées pour mettre un terme à une situation de déficit excessif.
B. Pourquoi une réforme du Pacte de stabilité et de croissance ?
Le PSC a contribué à une plus grande discipline budgétaire que par le passé (cf. II.A). Toutefois, plusieurs difficultés sont apparues. Notamment, la réalisation d’une position budgétaire équilibrée ou excédentaire est devenue une cible mouvante au cours du temps, et la tendance au déclin du ratio de la dette dans la zone euro s’est inversée. En outre, les difficultés à maintenir le déficit sous le seuil des 3 % du PIB ont parfois conduit les États membres à mettre en oeuvre des politiques budgétaires à courte vue (développement des mesures one-off, des astuces comptables, etc.).
À ces difficultés se sont ajoutés deux dysfonctionnements en matière de procédure. D’une part, les mécanismes d’alerte rapide prévus par le Traité et le PSC se sont avérés inefficaces pour éviter l’apparition de déficits excessifs. D’autre part, des tensions sont apparues dans l’application des règles. Le point culminant a été atteint en novembre 2003, lorsqu’un désaccord est apparu entre le Conseil et la Commission sur les procédures pour déficit excessif engagées pour la France et l’Allemagne.
Enfin, certains changements structurels dans l’environnement économique et politique européen appelaient une réforme du PSC. Premièrement, la croissance a fléchi au sein de l’UE. Une croissance potentielle et une inflation plus faibles qu’anticipées par les auteurs du Traité ont affaibli le lien entre les critères de dette et de déficit. Maintenir un endettement inférieur à 60 % du PIB nécessitera à l’avenir des déficits bien inférieurs à 3 % du PIB.
Deuxièmement, l’Union européenne est aujourd’hui composée de 25 pays, et est donc caractérisée par une plus grande diversité que par le passé. Cela milite pour la mise en place d’un cadre enrichi accordant plus de place au raisonnement économique et permettant de formuler des réponses mieux adaptées aux situations économiques nationales. Enfin, le vieillissement des populations rend nécessaire de mettre davantage l’accent sur la soutenabilité des finances publiques.
C. Les principaux axes de la réforme
La réforme a permis de retrouver un consensus sur un ensemble de règles cohérentes et soutenues par tous, et donc de lever l’incertitude qui entourait le cadre budgétaire de l’UEM depuis quelques mois. Ces nouvelles règles ne sont ni plus laxistes, ni plus strictes. Elles accordent plus de place au raisonnement économique, tout en préservant les éléments essentiels d’un système fondé sur des règles claires et simples.
Afin de mieux tenir compte des situations économiques nationales, le Conseil a décidé d’introduire davantage de souplesse dans l’application des règles budgétaires. Premièrement, les objectifs budgétaires à moyen terme, censés fournir une marge de sécurité par rapport à la limite de déficit de 3 % et assurer une convergence rapide vers un niveau d’endettement prudent, seront différenciés par pays, en fonction des niveaux d’endettement et de croissance potentielle. Cela permettra de mettre davantage l’accent sur la dette et la soutenabilité des finances publiques. En outre, la réforme conduira à une meilleure prise en compte des réformes structurelles dans le cadre de la surveillance budgétaire.
Deuxièmement, le Conseil a introduit davantage de flexibilité dans l’application de la procédure prévue pour la correction des déficits excessifs. Un certain nombre de facteurs seront pris en compte lorsqu’une décision sera prise sur l’existence d’un déficit excessif dans un État membre. Par ailleurs, les délais pour la correction des déficits excessifs seront fixés de manière moins automatique, en tenant compte des situations propres à chaque pays. Enfin, l’évaluation de la réponse des États membres aux recommandations adressées par le Conseil sera moins focalisée sur les résultats, et davantage sur les mesures prises par les gouvernements.
D’un autre côté, la réforme préserve les éléments essentiels du cadre budgétaire. Premièrement, le Conseil a confirmé que le cadre budgétaire doit rester fondé sur des règles claires et simples. Le seuil de 3 % de déficit demeurera un plafond, et tout dépassement de ce plafond amènera la Commission à adopter un rapport et donc à activer une procédure pour déficit excessif. Tout déficit supérieur à 3 % du PIB qui ne soit pas temporaire et ne demeure pas proche de la valeur de référence sera automatiquement considéré comme excessif par le Conseil.
Deuxièmement, si les nouvelles dispositions introduisent davantage de flexibilité, elles s’accompagnent de garanties essentielles qui assurent que les déficits excessifs seront corrigés rapidement, en ligne avec l’esprit du Traité. Tout pays en déficit excessif devra améliorer son solde budgétaire structurel d’au moins un demi point de PIB chaque année. La flexibilité ne sera accordée que dans le cas où un État membre fait la preuve de sa détermination pour corriger son déficit excessif.
Troisièmement, le Conseil a décidé de renforcer le volet préventif du Pacte. Les pays qui n’ont pas encore atteint leur objectif budgétaire à moyen terme, qui doit être proche de l’équilibre ou en excédent, devront également fournir un effort structurel de l’ordre de 0,5 % du PIB en moyenne. Le Conseil s’est également mis d’accord sur le fait que les États membres doivent accélérer la consolidation de leurs finances publiques dans les phases hautes du cycle.
Le nouveau PSC laissera donc davantage de place à l’analyse et au jugement. Le renforcement de la rationalité économique des règles doit se traduire par un soutien national accru au cadre budgétaire, et un plus grand respect des règles. Pour ce faire, le Conseil, à l’initiative notamment de la Commission, a confirmé qu’il était nécessaire de renforcer la gouvernance économique au sein de l’UE. Il s’agit en pratique de combler le décalage entre les mots, les textes et les actions. Les États membres doivent respecter les règles et se conformer aux recommandations du Conseil ; la Commission doit exercer son droit d’initiative et appliquer les règles strictement ; le Conseil doit exercer son pouvoir discrétionnaire à bon escient. Le Conseil a par ailleurs invité les États membres à mettre en place des règles budgétaires nationales, complémentaires de celles existant au niveau européen. Il a également souligné que la surveillance budgétaire réalisée au niveau communautaire doit trouver davantage d’écho au niveau national. En particulier, les programmes de stabilité et les procédures mises en oeuvre dans le cadre de l’application du Pacte pourraient à l’avenir être davantage discutés devant les parlements nationaux.
La Commission, en consultation avec les États membres, poursuit les travaux visant à développer ces idées et à les rendre opérationnelles. Elle présentera au cours des prochaines semaines des propositions législatives visant à renforcer la gouvernance économique dans un sens qui contribuera au maintien de finances publiques saines et à la promotion du potentiel de croissance économique de l’UE et de la zone euro.
Para 1 : Une libéralisation sécurisée des capitaux
Le principe de la libre circulation des personnes, avec le droit de résidence et d’établissement, est clairement posé pour que les Etats s’engagent à en assurer progressivement le respect. Mais, comment passer du principe à l’application, compte tenu des craintes suscitées par les mouvements migratoires sur le continent ? Certains Etats reçoivent beaucoup de ressortissants d’Etats voisins et veulent se protéger en apportant des restrictions parfois sévères au déplacement des populations.
Ainsi le Nigeria a encouru des critiques à la suite d’expulsions massives et brutales prises à l’encontre de ressortissants étrangers, y compris des ressortissants de la CEDEAO dont le traité prévoit la libre circulation, avec les droits de résidence et d’établissement198. Cette expérience qui montre la difficulté qu’il y a à trouver une solution régionale, illustre en même temps l’ampleur de la difficulté si l’on passe au niveau continental, à un moment où la multiplication de guerres civiles et de conflits divers entraîne un accroissement considérable du nombre de réfugiés.
La circulation des capitaux africains fait l’objet de dispositions un peu plus précises, avec un engagement des Etats en faveur de l’élimination des restrictions en fonction d’un calendrier fixé par le Conseil des ministres de la Communauté. Pour les capitaux non africains, le Traité ne fixe aucune règle et se contente de renvoyer le problème à la Conférence ; il s’agit là d’une lacune et d’une faiblesse parce que tous les pays africains ont un besoin énorme et urgent d’apports extérieurs et il eût été préférable de rassurer les éventuels investisseurs au lieu de renvoyer à un avenir incertain les principes et règles devant régir les capitaux extérieurs.
En outre, cette lacune et cette faiblesse sont quelque peu surprenantes puisque la plupart, sinon l’ensemble, des Etats africains ont déjà accepté beaucoup de règles dans ce domaine, soit en adhérant à des conventions bilatérales ou multilatérales de garantie des investissements[624], soit en édictant des codes d’investissement dans ce sens[625] ; ces règles auraient pu figurer parmi les dispositions du Traité d’Abuja sans difficulté majeure puisqu’elles font l’objet d’un consensus.
La liberté de circulation des biens, des personnes et des services ne serait que partielle si, parallèlement, on n’assurait pas une libéralisation des mouvements de capitaux et des services financiers ainsi qu’un système monétaire le plus homogène possible car les contraintes et les aléas qui en résulteraient décourageaient entreprises et opérateurs économiques de se déplacer, d’échanger, d’investir.
La libéralisation des capitaux, entamée au début des années 60 et dont les mécanismes s’étaient enlisés pendant environ trente ans, a été finalement atteinte au seuil des années 90.
Cette liberté a été acquise aux termes de deux étapes.
En vertu de deux directives adoptées en 1960 et 1962, les opérations en capital les plus directement liées à l’exercice des autres libertés fondamentales du Traité (investissements directs, garanties et crédits commerciaux, mouvements de capitaux à caractère personnel ainsi qu’acquisitions de titres négociés en bourse) ont été inconditionnellement libérées.
Le 24 juin 1988, la Communauté a adopté une directive (entrée en vigueur le 1er juillet 1990) qui libéralise tous les autres mouvements de capitaux (opérations monétaires à court terme, opérations de dépôt, comptes courants, prêts financiers, crédits, etc.) après qu’une directive de 1986 avait libéré des prêts à long terme, les valeurs non cotées en bourse et l’émission de titres étrangers.
En vertu de cette réglementation ont été éliminées toutes les restrictions de capitaux et a été assuré l’accès de tout citoyen et opérateur économique de la Communauté aux systèmes et aux produits financiers des autres Etats membres. L’on soulignera en particulier la suppression des restrictions relatives à l’exportation et à l’importation de capitaux, à l’achat et au placement de devises étrangères, à l’ouverture de comptes bancaires dans d’autres Etats membres, à l’achat de titres (actions, obligations étrangères, etc.).
En juin 1989, bien avant donc l’échéance du 31 décembre 1992, les Etats membres ont pris la décision de perfectionner le Marché unique européen par le lancement opérationnel de l’Union économique et monétaire. Ayant en effet constaté que la suppression des contrôles des capitaux n’avait point perturbé le bon fonctionnement du système monétaire ainsi que du mécanisme du taux de change, ils ont décidé que la première phase de l’Union économique et monétaire commencerait le 1er juillet 1990.
La deuxième phase a elle aussi débuté comme prévu, à savoir le 1er janvier 1994. La troisième phase, qui débutera le 1er janvier 1999, comportera l’introduction d’une monnaie unique, l’euro, dans les Etats membres qui seront prêts à faire partie de la première vague de pays adhérents. La décision, à cet égard, interviendra au printemps 1998.
Au cours de la même année, interviendra la fixation irrévocable des taux de change. L’euro s’appliquera aux paiements officiels pour s’étendre ensuite progressivement aux opérations commerciales, aux paiements et aux transferts bancaires électroniques. Les billets et les pièces libellés en euros seront introduits entre janvier et juin 2002.
L’introduction de la monnaie unique accroîtra l’efficacité du Marché unique en supprimant les coûts de transaction et les risques de change et en augmentant la transparence et la concurrence. Dans le même temps, l’euro aura un impact favorable sur l’évolution de l’économie mondiale et renforcera la stabilité du système monétaire international.
Dans le cadre du régime soumis à la Cour, les contribuables résidents disposaient de la possibilité d’imputer sur leur impôt sur le revenu ou sur leur impôt sur les sociétés l’impôt acquitté par les sociétés qui leur distribuaient des dividendes. Outre cette imputation, il était possible de procéder à un amortissement partiel de la valeur des parts lors de la distribution de dividendes. Cette dernière possibilité d’amortissement de la valeur des parts était réservée aux seuls titres acquis auprès de sociétés résidentes. La société Glaxo Wellcome qui avait acquis des titres de sociétés auprès de sociétés établies au Royaume-Uni contestait la limitation de l’amortissement des titres qui lui était applicable, affirmant que celle-ci était illégale au regard du droit communautaire. « En réalité, une telle législation pouvait être considérée comme contraire à deux libertés : la liberté d’établissement et la liberté de circulation des capitaux », rappelle Me Nicolas Jacquot.
« La liberté de circulation des capitaux a une portée différente de la liberté d’établissement. Elle est à la fois plus large et plus étroite », avance le fiscaliste. Plus large car son champ d’application matériel s’applique non seulement entre États membres mais également à l’égard des États tiers. Le champ d’application personnel de la liberté de circulation des capitaux s’avère plus vaste. Si l’on examine le détail du régime des capitaux, il ne comporte comme critère d’application ni la nationalité, ni la résidence du propriétaire des capitaux.
Ainsi, toute personne fondée à invoquer le Traité doit pouvoir arguer de la liberté de circulation des capitaux avec les États tiers pour faire obstacle à toute restriction aux mouvements de capitaux avec les États tiers. « Cependant, elle est infiniment plus difficile à faire valoir dans la réalité, en particulier dans le cadre d’une relation avec un pays tiers, analyse Me Nicolas Jacquot. Dans les faits, il convient de passer trois tests successifs avant de considérer que la libre circulation des capitaux est entravée.
Tout d’abord, il faut que la liberté soit invocable. Ensuite, il convient que la clause de « stand still » ne soit pas applicable. Cette clause de gel (article 57, § 1 du Traité CE) autorise le maintien de restrictions nationales ou communautaires à certains mouvements de capitaux qui existaient au 31 décembre 1993. Enfin, il faut montrer que l’entrave au droit communautaire n’est pas justifiée, ce qui, dans le cadre de relations avec des États tiers, est difficile », analyse Me Nicolas Jacquot.
Le juge communautaire confirme que le régime allemand constitue une atteinte à la libre circulation des capitaux dès lors que ce dispositif peut dissuader un contribuable allemand d’acquérir des titres d’une société résidente auprès d’un non-résident ou encore un non-résident d’acquérir les titres d’une société allemande. L’atteinte est constituée dès lors qu’une société allemande acquérant des titres auprès d’une société non-résidente se trouve dans la même situation que celle qui acquiert des titres auprès d’une société résidente.
Pour la Cour une telle atteinte est justifiée par la nécessité de préserver une répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres. « En effet, d’un point de vue économique, l’acquisition des titres auprès d’un non-résident peut permettre à celui-ci de bénéficier d’un avantage équivalent à un crédit d’impôt sans que l’administration fiscale allemande ait la faculté de taxer la plus-value réalisée sur la cession des titres », analyse Me Nicolas Jacquot.
En outre, la législation en cause peut également se justifier par la volonté de prévenir les montages purement artificiels dépourvus de réalité économique ayant pour objectif de bénéficier indûment d’un avantage fiscal. Cette restriction doit cependant respecter le principe de proportionnalité c’est-à-dire que le dispositif en cause ne doit pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs recherchés.
Ainsi, les restrictions quant à la faculté de pratiquer un amortissement partiel des titres ne doivent pas présenter un caractère exagéré et le dispositif en cause ne doit pas avoir de conséquences préjudiciables en termes d’autres impositions que l’impôt sur le revenu ou sur les sociétés (exemple au cas d’espèce : augmentation des bases de la taxe professionnelle). Enfin, s’agissant de la lutte contre les montages abusifs, le dispositif ne doit s’appliquer qu’aux montages présentant un caractère artificiel et ne doit pas avoir une portée trop générale.
Le juge communautaire, dans son analyse de la conformité du régime allemand de dépréciation des parts sociales lors de la distribution de dividendes aux libertés communautaires, privilégie de façon novatrice la libre circulation des capitaux.
La Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) appelée à se prononcer sur la compatibilité au droit communautaire du régime fiscal allemand applicable aux détenteurs de titres de sociétés nationales s’est fondée sur le principe de la liberté communautaire 1. « L’intérêt de cet arrêt ne réside pas tant dans les circonstances de l’affaire que dans l’attitude de la Cour, explique Me Nicolas Jacquot, associé du cabinet d’avocat Landwell Associés. En effet, de façon novatrice, le juge communautaire choisit de faire primer la liberté de circulation des capitaux sur la liberté d’établissement ».
Une législation discriminatoire
Dans le cadre du régime soumis à la Cour, les contribuables résidents disposaient de la possibilité d’imputer sur leur impôt sur le revenu ou sur leur impôt sur les sociétés l’impôt acquitté par les sociétés qui leur distribuaient des dividendes. Outre cette imputation, il était possible de procéder à un amortissement partiel de la valeur des parts lors de la distribution de dividendes. Cette dernière possibilité d’amortissement de la valeur des parts était réservée aux seuls titres acquis auprès de sociétés résidentes. La société Glaxo Wellcome qui avait acquis des titres de sociétés auprès de sociétés établies au Royaume-Uni contestait la limitation de l’amortissement des titres qui lui était applicable, affirmant que celle-ci était illégale au regard du droit communautaire. « En réalité, une telle législation pouvait être considérée comme contraire à deux libertés : la liberté d’établissement et la liberté de circulation des capitaux », rappelle Me Nicolas Jacquot.
Deux libertés
La liberté d’établissement au sein de l’Union européenne est consacrée par l’article 43 (ex-article 52) du Traité CE aux termes duquel : « Dans le cadre des dispositions ci-après, les restrictions à la liberté d’établissement des ressortissants d’un État membre dans le territoire d’un autre État membre sont interdites. Cette interdiction s’étend également aux restrictions à la création d’agences, de succursales et de filiales, par les ressortissants d’un État membre établi sur le territoire d’un État membre ». La liberté de circulation des capitaux est, quant à elle, consacrée par l’article 56 (ex-article 73 B) du Traité CE : « Dans le cadre des dispositions du présent chapitre, toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers sont interdites ».
Deux libertés de portées différentes
« La liberté de circulation des capitaux a une portée différente de la liberté d’établissement. Elle est à la fois plus large et plus étroite », avance le fiscaliste. Plus large car son champ d’application matériel s’applique non seulement entre États membres mais également à l’égard des États tiers. Le champ d’application personnel de la liberté de circulation des capitaux s’avère plus vaste. Si l’on examine le détail du régime des capitaux, il ne comporte comme critère d’application ni la nationalité, ni la résidence du propriétaire des capitaux. Ainsi, toute personne fondée à invoquer le Traité doit pouvoir arguer de la liberté de circulation des capitaux avec les États tiers pour faire obstacle à toute restriction aux mouvements de capitaux avec les États tiers. « Cependant, elle est infiniment plus difficile à faire valoir dans la réalité, en particulier dans le cadre d’une relation avec un pays tiers, analyse Me Nicolas Jacquot. Dans les faits, il convient de passer trois tests successifs avant de considérer que la libre circulation des capitaux est entravée. Tout d’abord, il faut que la liberté soit invocable. Ensuite, il convient que la clause de « stand still » ne soit pas applicable. Cette clause de gel (article 57, § 1 du Traité CE) autorise le maintien de restrictions nationales ou communautaires à certains mouvements de capitaux qui existaient au 31 décembre 1993. Enfin, il faut montrer que l’entrave au droit communautaire n’est pas justifiée, ce qui, dans le cadre de relations avec des États tiers, est difficile », analyse Me Nicolas Jacquot.
Une discrimination effective…
Le juge communautaire confirme que le régime allemand constitue une atteinte à la libre circulation des capitaux dès lors que ce dispositif peut dissuader un contribuable allemand d’acquérir des titres d’une société résidente auprès d’un non-résident ou encore un non-résident d’acquérir les titres d’une société allemande. L’atteinte est constituée dès lors qu’une société allemande acquérant des titres auprès d’une société non-résidente se trouve dans la même situation que celle qui acquiert des titres auprès d’une société résidente.
… mais justifiée
Pour la Cour une telle atteinte est justifiée par la nécessité de préserver une répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres. « En effet, d’un point de vue économique, l’acquisition des titres auprès d’un non-résident peut permettre à celui-ci de bénéficier d’un avantage équivalent à un crédit d’impôt sans que l’administration fiscale allemande ait la faculté de taxer la plus-value réalisée sur la cession des titres », analyse Me Nicolas Jacquot. En outre, la législation en cause peut également se justifier par la volonté de prévenir les montages purement artificiels dépourvus de réalité économique ayant pour objectif de bénéficier indûment d’un avantage fiscal. Cette restriction doit cependant respecter le principe de proportionnalité c’est-à-dire que le dispositif en cause ne doit pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs recherchés.
Ainsi, les restrictions quant à la faculté de pratiquer un amortissement partiel des titres ne doivent pas présenter un caractère exagéré et le dispositif en cause ne doit pas avoir de conséquences préjudiciables en termes d’autres impositions que l’impôt sur le revenu ou sur les sociétés (exemple au cas d’espèce : augmentation des bases de la taxe professionnelle). Enfin, s’agissant de la lutte contre les montages abusifs, le dispositif ne doit s’appliquer qu’aux montages présentant un caractère artificiel et ne doit pas avoir une portée trop générale.
Lorsque les deux libertés peuvent être invoquées devant la Cour, celle-ci n’examine pas successivement la violation de chacune de ces libertés. Dès qu’une violation de liberté est constatée, elle ne juge pas nécessaire de constater la violation d’une autre liberté pour fonder sa décision[626].
Pour déterminer quelle liberté doit primer, elle s’attache au pouvoir de gestion détenu. Lorsque les participations s’accompagnent d’un pouvoir de gestion, permettant à leur détenteur d’exercer une influence certaine sur les décisions de la société et lui permet d’en déterminer les activités, la question doit être analysée sous l’angle de la liberté d’établissement. Dans le cas contraire, elle devrait l’être sous l’angle de la libre circulation des capitaux[627].
« Initialement, la liberté de circulation des capitaux fonctionnait de façon subsidiaire à liberté d’établissement. En effet, le juge ne vérifiait pas in concreto si un pouvoir de gestion était attaché à la participation mais considérait que dès qu’un niveau de seuil de détention était requis, in abstracto, par la législation, le contribuable pouvait exercer un pouvoir de décision dans la société ; dans ce cadre, le juge faisait primer la liberté d’établissement », explique le spécialiste[628]. Par la suite, la jurisprudence a évolué et commencé à considérer l’objectif du régime examiné. Mais généralement, le juge continuait à faire primer la liberté d’établissement[629]. Puis, troisième courant auquel se rattache la jurisprudence Glaxo, la Cour a commencé à examiner in concreto les circonstances des affaires pour juger si un pouvoir de gestion était ou non exercé.
C’est la raison pour laquelle, le juge se prononce ici sur le fondement de la liberté de circulation, le régime allemand en cause ayant pour objectif de décourager les prises de participations, sans volonté d’immiscions dans la gestion, pour des raisons purement fiscales. C’est d’ailleurs le même raisonnement in concreto qui vient de conduire le juge européen à faire primer la liberté d’établissement dans une autre affaire »[630].
Si ce courant se confirme et que la violation de la liberté de circulation des capitaux est examinée plus systématiquement, de nouveaux arguments vont pouvoir être présentés devant la Cour, « notamment pour les fonds de pensions des États tiers qui se plaignent de la retenue à la source à laquelle ils sont soumis sur leurs dividendes de source européenne ; pour le futur de telles plaintes en France ne seront néanmoins plus opérantes puisque la loi de finances rectificative pour 2009 vient d’aligner le traitement des organismes non lucratifs français sur leur régime pour supprimer toute discrimination », conclut l’avocat.
Para 2 : Un système bancaire unifié
« Aujourd’hui est un grand jour pour l’Union bancaire. Un jour qui fera date pour le secteur financier européen ». Ainsi s’exprimait le commissaire chargé des Services financiers, Michel Barnier, le 19 décembre dernier, lors de la conférence de presse ECOFIN au cours de laquelle il présentait son rapport pour mieux réglementer, superviser et réguler le secteur financier et pour une meilleure intégration et un marché unique moins fragmenté. L’objectif est de redonner confiance aux investisseurs et de contribuer à une croissance économique européenne durable.
- Barnier a rappelé les accords intervenus de nature à offrir ce cadre global souhaité pour la gestion des crises bancaires, afin d’éviter qu’en cas de survenance du risque, elles ne se transforment en crise de la dette, c’est-à-dire que les États d’origine ne soient contraints de renflouer l’établissement bancaire en faillite :
– Accord en trilogue sur le redressement des banques et la résolution des défaillances bancaires : « Une boîte à outils pour mieux prévenir et gérer une crise bancaire dans les vingt-huit États membres » ; l’objectif est bien que les créanciers et les actionnaires des banques soient d’abord mis à contribution, et les contribuables le moins possible ;
– Accord en trilogue sur les systèmes de garantie des dépôts : « Chaque épargnant devrait maintenant avoir l’assurance que si sa banque fait faillite, tous les dépôts seront garantis à hauteur de 100 000 €. Partout en Europe. Et les régimes seront partiellement préfinancés et les paiements effectués plus rapidement » ; l’objectif clair est bien la protection des contribuables et des déposants et la mutualisation des garanties ;
– Approche générale du Conseil sur le mécanisme de résolution unique, complément indispensable de la supervision du secteur financier dont il a été décidé qu’il sera confié à la Banque centrale européenne (BCE) en novembre 2014. Les négociations ont commencé le 8 janvier 2014 entre le Conseil, la présidence grecque de l’UE et le Parlement européen, de telle sorte que cette proposition puisse être adoptée avant la fin de la législature actuelle. La Fédération bancaire française a accueilli favorablement cette « avancée importante pour la stabilité du système bancaire européen ».
Michel Barnier a ajouté que « les deux co-législateurs se sont engagés à faire progresser l’Union bancaire. Le compromis est donc possible. Mais il est également vrai que les positions des deux parties à la négociation sont éloignées sur certains points importants. Les deux parties devront faire preuve de flexibilité afin de parvenir à un accord avant Pâques ».
Un encadrement efficace et efficient du secteur bancaire et financier est un enjeu majeur des prochaines années. L’actualité nous le rappelle régulièrement depuis l’été 2007, date à laquelle la crise dite des subprimes a débuté. Cette crise a laissé entrevoir les graves risques et les importantes conséquences qu’une crise bancaire, financière, et plus largement économique, mondiale pourraient entraîner.
Si les secteurs bancaire et financier sont nécessairement exposés à des risques qu’il serait inopportun de nier, ils reposent également sur un mécanisme de confiance. La confiance des épargnants, celle des investisseurs et celle des autres acteurs économiques méritent d’être protégées et sont indispensables à l’activité économique. Or, la confiance est fragile et la survenance des risques entraîne une défiance à l’égard du système bancaire et financier dans son ensemble. La polémique et l’encadrement des rémunérations des professionnels du secteur bancaire et financier en est une parfaite illustration.
Sans nier les risques inhérents à l’activité bancaire et financière, il convient toutefois de les maîtriser, et ce afin d’éviter leur réalisation. C’est précisément l’objet de la règlementation prudentielle qui instaure des normes de gestion de prévention des risques. Les règles prudentielles ont pour but « d’assurer la solvabilité des établissements de crédit et la liquidité des dépôts et de garantir ainsi les déposants »[631].
Les principaux risques, auxquels les banques sont confrontées, sont connus.
Les banques peuvent tout d’abord être exposées à un risque de solvabilité, visé à l’article L. 511-41 du Code monétaire et financier. Le risque de solvabilité est celui encouru par tout créancier du fait de la perte de tout ou partie de sa créance, en raison notamment de l’insolvabilité de son débiteur.
Il s’agit, ensuite, du risque de liquidité, également mentionné à l’article précité. L’intermédiation financière et la spéculation, propres de l’activité bancaire, conduisent inévitablement les établissements de crédit à modifier les échéances en effectuant avec les sommes détenues des placements à plus long terme que les termes initialement fixés. En cas de retrait massif des dépôts à vue, les échéances ayant été transformées, les établissements risquent de ne pas pouvoir faire force à leurs engagements à court terme.
Les banques peuvent, en outre, être exposées à un risque de marché qui ne doit pas être négligé depuis que les banques interviennent sur les marchés financiers. Une évolution défavorable des paramètres du marché engendre une perte de la valeur des titres.
Enfin, il existe un risque dit opérationnel qui se définit comme le risque de préjudice qui serait causé par la survenance d’un évènement externe ou interne tel une panne, une fraude, un dysfonctionnement ou encore une grève. Si les probabilités d’occurrence de ce risque sont assez faibles, ses éventuelles conséquences sont importantes.
La crise des subprimes et de la faillite de certaines banques, de même que la crise économique mondiale que connaissent certains pays et que tentent d’éviter d’autres ont donc posé avec plus d’acuité la question de la régulation de système bancaire et financier. Elles ont démontré, avec plus de force encore, la nécessité d’encadrer les activités bancaire et financière afin d’éviter la survenance de ces risques.
Dans un contexte de mondialisation de l’économie, et en raison de la multiplication des échanges transfrontaliers, la règlementation pour la prévention des risques ne pouvait pas se limiter au seul droit national. Au plan international, la régulation prudentielle émane principalement du Comité de Bâle, dont le rôle croît incontestablement depuis quelques années. Les accords Bâle I de 1988 ont été complétés en 2004 par les accords Bâle II, amendés dès juillet 2009 par les accords dits Bâle II bis.
Cependant, les accords Bâle II bis ayant montré leurs limites, tant la nécessité de renforcer le cadre prudentiel était importante. Aussi les accords Bâle III ont-ils vu le jour et ont-ils été publiés en décembre 2010. Ce texte relatif au « dispositif réglementaire mondial visant à renforcer la résilience des établissements et systèmes bancaires » a déjà été actualisé en juin 2011. Les premières mesures prévues par ces accords auraient dû entrer en vigueur dès le 1er janvier 2013.
Si les efforts sont incontestables pour prévenir la survenance des risques, on peut néanmoins s’interroger au vu des crises récentes, de surcroît dans des secteurs régulés, si la règlementation nationale et européenne est réellement efficiente. Les accords Bâle III ont-ils conduit à l’adoption de palliatifs pertinents pour écarter l’occurrence de certains risques ? L’encadrement croissant du domaine bancaire et financier ne tend-il pas à devenir trop contraignant ?
I – Une règlementation diverse et complexe
La règlementation existante est déjà relativement dense (A). Néanmoins, ayant montré certaines limites, elle a vocation à être prochainement complétée par les nouvelles mesures des accords Bâle III (B).
A – La règlementation prudentielle existante
Les règles prudentielles sont articulées autour de la notion de fonds propres, lesquels ont vocation à absorber les pertes qui ne seraient pas couvertes par des fonds suffisants. Ces pertes découlent de la réalisation des risques. Pour se prémunir contre la survenance de ces risques, des ratios ont été institués.
Tout d’abord, le Comité de Bâle a fixé, dès 1988, un ratio prudentiel de solvabilité. Il a pour vocation d’éviter l’insolvabilité de l’établissement de crédit du fait notamment de l’insolvabilité de ses clients ou encore du risque pays. Pour déjouer un tel risque, le ratio Cooke fixait à un minimum de 8 % le rapport entre les fonds propres règlementaires et les engagements de crédit de l’établissement. Ce ratio possédait ses limites, notamment en ce qu’il ne prenait en considération que le risque de crédit, alors même que la solvabilité d’un établissement bancaire peut être compromise par un risque de marché. Les accords Bâle II ont affiné le ratio de solvabilité en intégrant au dénominateur, non seulement les engagements de crédit pris par les établissements envers leurs clients, mais également les risques opérationnels et les risques de marché.
Le ratio de liquidité institue un rapport entre les liquidités, avoir liquides ou mobilisables, et les engagements à vue ou à court terme doit être au moins égal à 100 %.
En outre, un ratio de division des risques a été instauré. Figurant à l’article L. 511-14 du Code monétaire et financier, ce ratio permet d’éviter une concentration des risques sur un même client qui, s’il était défaillant, déstabiliserait la situation financière de l’établissement de crédit. Ainsi « le risque assumé par un établissement de crédit à l’égard d’un client ou d’un groupe de clients sera considéré comme un grand risque lorsque sa valeur atteint ou dépasse 10 % des fonds propres de l’établissement »[632]. Si tel devait être le cas, ce risque doit être notifié aux autorités compétentes.
En outre, l’ensemble des risques pris sur un client ne peut dépasser 25 % des fonds propres de l’établissement de crédit. Ce taux est élevé à 40 % des fonds propres pour les établissements dont les fonds propres sont inférieurs à sept millions d’euros. S’agissant de l’ensemble des grands risques, c’est-à-dire ceux supérieurs à 10 % des fonds propres de l’établissement bancaire, ils ne peuvent quant à eux excéder 800 % des fonds propres.
Les accords Bâle II et Bâle II bis ont établi des règles relatives à l’adéquation des fonds propres des établissements bancaires qui ont été repris, en droit positif, par le biais de quatre directives, la directive concernant l’accès à l’activité des établissements de crédit et les directives CRD, CRD 2 et CRD3.
Toutefois, les faillites bancaires de ces dernières années ont mis en valeur l’importance pour les banques de détenir suffisamment de liquidités, rapidement mobilisables, afin de pouvoir faire face à un risque conjoncturel de pertes. En réponse à cela, les accords Bâle III ont proposé l’adoption de mesures macro-prudentielles, introduisant notamment la notion de coussins de capital contracyclique.
B – Les apports de Bâle III
L’innovation majeure de la règlementation Bâle III tient à la création de règles qui tentent de réduire la procyclicité et le risque systémique. Les coussins de capital contracyclique sont des fonds propres disponibles permettant d’absorber les pertes en cas de retournement de conjoncture. Les établissements de crédit seraient contraints d’augmenter le niveau de leurs fonds propres en période favorable, et pourraient en conséquence les réduire en période moins favorable. Une proposition est incluse dans la proposition de directive du 20 juillet 2011, dite directive « CRD4 ».
Cette directive modifierait le droit européen relatif à l’accès à l’activité d’établissement de crédit. Elle aurait pour vocation de modifier les directives du 14 juin 2006 n° 2006/48/CE, concernant l’accès à l’activité des établissements de crédit et son exercice, et n° 2006/49/CE, sur l’adéquation des fonds propres des entreprises d’investissement et des établissements de crédit, en rehaussant le niveau des fonds propres que doivent détenir les établissements de crédit. Le renforcement de la qualité des fonds propres se ferait à deux niveaux. Il concernerait les fonds propres de base et les fonds propres complémentaires. Les premiers seraient augmentés de 2 % à 4,5 % en 2015. En outre, le ratio de solvabilité, qui inclut ces deux types de fonds propres devrait être augmenté à 10,5 %, au lieu de se limiter à 8 % comme c’est le cas en droit positif. Ces mesures permettraient de renforcer le niveau des fonds propres tant généralement, que pour certaines opérations de titrisation considérées comme risquées.
Les accords Bâle III introduisent deux ratios sur la liquidité et un ratio sur l’effet de levier, dans le but de renforcer la qualité des fonds propres détenus par les organismes de crédit, qui seraient intégrés en droit positif par le biais d’un règlement. Ces accords tentent de tirer les enseignements des risques survenus ces dernières années en renforçant la liquidité des banques. Le premier ratio de liquidité à un mois, liquidity coverage ratio, permettrait aux établissements de crédit de faire face à une crise de liquidité à court terme. Il devrait entrer en vigueur au 1er janvier 2015. Le second ratio de liquidité à un an, net stable funding ratio, tente quant à lui de prévenir des difficultés structurelles de plus grande ampleur. Son entrée en vigueur ne se ferait qu’à compter du 1er janvier 2018.
Un ratio de levier, leverage ratio, serait instauré à compter du 1er janvier 2017. Il est défini comme le rapport entre le montant des fonds propres et le total du bilan et du hors-bilan de l’établissement de crédit. Ce ratio n’opère pas de distinction entre les différents actifs bancaires de sorte que la présence de sûretés ne saurait répondre aux expositions de bilan. Il permettrait de contenir un endettement excessif du système bancaire.
Nul doute que l’arsenal prudentiel tend à s’accroître et met en place une règlementation complexe et technique, reste à savoir si celle-ci est efficace.
II – Une règlementation prudentielle efficace
Malgré les critiques émises à l’endroit des accords Bâle III (A), ceux-ci présentent des mérites certains (B).
A – Des critiques à nuancer
À peine adoptés, les accords Bâle III semblent déjà pour d’aucuns posséder des limites. L’éradication de tout risque est impossible. Cependant, la règlementation n’a pour vocation de les éviter, mais d’inciter les acteurs à agir prudemment.
En premier lieu, l’un des effets néfastes de l’introduction de règles trop rigides en est le contournement. Certaines pratiques ont été dénoncées comme ayant contribué à accroître l’ampleur de la crise des subprimes et ses effets. Par exemple, afin de respecter les ratios de solvabilité, certains établissements de crédit ont eu recours à des instruments financiers à terme, permettant un refinancement de ces établissements, sans qu’il n’y ait d’augmentation des fonds propres.
Cette pratique a transformé le risque crédit en un risque marché. Les ventes à découvert ont dès lors été interdites. En dépit des contournements que l’édiction de règles contraignantes peut entraîner, l’absence de régulation serait bien plus néfaste. La règlementation prudentielle institue des normes qui contribuent à la stabilité du système bancaire et financier. En second lieu, la multiplication des règles contraignantes pourrait entraîner une raréfaction du crédit bancaire, qui pourrait pénaliser certaines entreprises présentant un risque de non-remboursement du crédit octroyé.
Ces risques existent. Pour autant il ne faut pas nier les efforts réalisés sur un plan national et international.
B – Les mérites de la règlementation prudentielle
Tout d’abord, bien qu’elle soit complexe, la règlementation prudentielle tend à prévenir l’occurrence de nombreux risques : risque de solvabilité, liquidité, marché… Certes, la survenance de certains, comme l’illustrent les faillites de certaines banques, démontre l’inadéquation de certaines règles, et milite inévitablement pour une amélioration de la règlementation existante. Il en va ainsi du ratio de liquidité, puisque certaines banques ne disposant pas de fonds suffisants disponibles à court terme n’ont pas pu faire face à des retraits massifs de la part de leur clientèle.
Ensuite, la prévention des risques au niveau micro-économique se combine désormais avec des règles qui prennent en compte des données dépassant le seul cadre de l’établissement. Ainsi sont intégrés des facteurs macro-économiques, par exemple, propres au secteur ou au marché. Le souhait de renforcer la règlementation prudentielle, tel qu’en atteste Bâle III, à un échelon microprudentiel et macroprudentiel est tout à fait louable, voire indispensable.
Enfin, une harmonisation internationale des règles est à saluer en ce qu’elle conduit à accroître leur efficacité. Comme il l’a été noté, le ratio de levier ne pouvait posséder une pertinence que dans la mesure où les règles comptables seraient uniformisées. Il en va de même des coussins contracycliques. L’harmonisation est donc nécessaire à la bonne régulation du marché.
Chapitre 2 : La nécessaire réforme des structures des économies de la CEDEAO
L’éclatement de la crise financière dans les pays développés en 2008 a eu un impact négatif sur les économies des pays en développement.
En effet, partant de la marge de manœuvre dont ils disposent, les pays confrontés à la crise ont pris des mesures de relance de différentes natures : réduction du taux d’intérêt, recapitalisation et injection de liquidité dans les institutions financières, refonte des politiques sectorielles et relance budgétaire. Cette dernière qui était au centre des mesures prises dans la plupart des pays a été conduite en douceur dans les pays disposant d’une large épargne ou d’une importante réserve de devises accumulées durant les années d’euphorie, notamment les pays exportateurs de pétrole et la Chine.
Bien qu’il fasse preuve d’une grande capacité de résilience, le Maroc a dû faire face à partir de la fin de l’année 2008 aux effets de la crise qui ont été transmis à l’économie nationale via de nombreux canaux, notamment les échanges extérieurs[633].
C’est pour cette raison que la loi de finances pour l’année 2009 a déjà prévu un programme de relance qui repose sur la réalisation d’un important nombre de projets d’investissements. Ensuite, le Comité de veille stratégique créé à cette fin a décidé l’octroi de crédits supplémentaires à certains organismes publics opérant dans des secteurs touchés par la crise.
Section 1 : La promotion des exportations et le développement des infrastructures
Cela étant précisé, les éléments de réflexion émis dans le cadre de cette modeste contribution vont porter d’une part sur les caractéristiques des mesures budgétaires de relance entreprises au Maroc en 2009, et d’autre part sur quelques réflexions sur le rôle de la Cour des comptes dans ce contexte.
Para 1 : Une nouvelle dynamique de production
I – CARACTÉRISTIQUES DES MESURES BUDGÉTAIRES DE RELANCE ENTREPRISES AU MAROC
Les mesures budgétaires de relance telles qu’elles sont mise en application au Maroc se caractérisent à la fois par leur pragmatisme, leur volontarisme mais également par leur modestie.
1. Des mesures volontaristes
De prime abord, il est à préciser que les limites de l’activisme budgétaire n’ont pas permis aux mécanismes des stabilisateurs automatiques budgétaires de jouer pleinement leur rôle dans la réduction de l’instabilité conjoncturelle due à la récession dans un contexte global de crise[634].
En effet, le degré d’activisme budgétaire est considéré comme faible au Maroc en ce sens que la sensibilité du cadre budgétaire à la conjoncture économique est faible compte tenu du caractère inélastique des grandes masses budgétaires, notamment la masse salariale, le service de la dette et les dépenses de compensation.
L’adaptation à la crise a conduit par voie de conséquence les pouvoirs publics à recourir en 2009 à des mesures budgétaires, dites discrétionnaires, pour réduire les effets de la crise et relancer la demande et l’emploi. Ce recours serait plus large pour l’année 2010 du fait que les manifestations de la crise vont probablement s’accentuer.
Le volontarisme des mesures de relance visant l’atténuation des effets de la crise s’est illustré au travers de la consolidation des projets structurants qui ont été lancés auparavant. Lesquels ont eu pour objectif de consolider et de moderniser les réseaux d’infrastructure et d’appuyer certains secteurs[635] industriels porteurs pour l’économie marocaine.
En dépit de la crise, aucun de ces projets d’investissement n’a été abandonné compte tenu de leur caractère hautement stratégique. C’est un choix judicieux porteur d’un double message :
– La résistance de l’économie marocaine à la crise ce qui contribue à renforcer la confiance en ses capacités de stabilisation.
– Ces projets sont en mesure d’immuniser les secteurs concernés contre les effets de la crise vu leur impact considérable sur l’investissement et l’emploi.
Toutefois, il est à noter la modestie des mesures préconisées et mises en œuvre en 2009, puisque d’importantes possibilités n’ont pas encore été investies selon des approches audacieuses. Il s’agit en particulier de la réforme de la politique de compensation, la maîtrise de la masse salariale…
En somme, à l’exception de l’ouverture de crédits supplémentaires qui ont été accordés au secteur de tourisme et celui de l’exportation, il a été estimé suffisant de se limiter aux prévisions de la loi de finances pour l’année 2009 qui a prévu un programme d’investissement très ambitieux, sans qu’il soit qualifié d’un programme de relance.
2. Des mesures pragmatiques
Contrairement à certaines expériences comparées[636], le Maroc n’a pas exploré toutes les voies juridiques offertes par la loi organique des finances de 1998 en matière de traitement de crise, notamment les lois de finances rectificatives lorsque les données d’équilibre financier changent ou des prévisions budgétaires sont révisées soit à la baisse ou à la hausse.
Certes, cette approche pragmatique qui consiste à mettre en œuvre un programme de relance sans recourir aux lois rectificatives des finances, a des avantages indéniables en termes de souplesse, de flexibilité et de célérité, mais elle présente l’inconvénient de l’insuffisance d’information des parlementaires et de l’opinion publique. D’autant plus, qu’elle a des limites au niveau de la conception et de la programmation, du fait qu’elle n’associe pas suffisamment d’autres secteurs touchés par la crise (secteur immobilier par exemple) de même elle ne fait pas suffisamment appel aux différents acteurs (Parlement, professionnels…).
En tout état de cause, l’institution du conseil économique et social apportera sans aucun doute la réponse définitive à ces préoccupations.
II – LE RÔLE DE LA COUR DES COMPTES DANS LE CONTEXTE DE CRISE
Selon un schéma général, les institutions de contrôle supérieur des finances publiques assument deux grandes fonctions dans le contexte actuel de crise économique et financière : la première correspond à la prévention des crises, quant à la seconde, elle s’attache à l’appréciation des mesures prises par les autorités budgétaires en vue de faire face à la crise.
S’agissant de la prévention des crises, il faut admettre qu’il s’agit d’une mission très complexe dont les résultats ne peuvent être qu’approximatifs. Ceci s’explique par la complexité des facteurs ayant été à leur origine et de leur caractère exogène.
Cependant, force est de constater que ces institutions peuvent, à travers l’évaluation des politiques de régulation financière contribuer à prévenir certaines crises et les éviter. De même, le contrôle de certaines institutions financières constitue l’occasion aux Institutions supérieures de contrôle des finances publiques pour se prononcer sur les insuffisances des systèmes financiers qui faute d’être redressées à temps, risquent de compromettre tout le système financier et d’affecter les secteurs économiques dans leur ensemble.
On peut citer dans ce cadre, les conclusions dégagées par la Cour des comptes du Royaume du Maroc à l’issue de son contrôle de la Caisse Marocaine des Retraites (CMR)[637] et du Régime Collectif d’Allocation de Retraite (RCAR)[638]. En effet, la Cour a mis l’accent sur le risque du déséquilibre financier qui menace le régime des retraites ce qui ne manque pas de porter atteinte aux droits des cotisants et de perturber tout le système financier qui entretient de liens étroits avec ces organismes.
Dans le même souci de prévention de crise, la Cour des comptes du Maroc a adressé un référé dans le cadre des compétences qui lui sont dévolues par la loi, pour attirer l’attention des pouvoirs publics sur les risques présentés par une nouvelle loi relative à la titrisation sur certains intervenants vulnérables dans ce dispositif. Ce référé a mis également l’accent sur d’autres risques que peut générer cette technique, d’ailleurs pointé du doigt comme facteur amplificateur des perturbations du marché des subprimes qui ont précédé à la crise financière que vit le monde actuellement.
En ce qui concerne l’évaluation des programmes budgétaires de relance, il convient de noter que de nombreuses institutions supérieures de contrôle ont choisi d’intervenir concomitamment avec la mise en œuvre de ces programmes. Cependant, en sus des difficultés d’appréciation des résultats des interventions qui sont en cours, les institutions supérieures de contrôle risquent, en choisissant d’accompagner la mise en œuvre des mesures de relance, de glisser vers le consulting au lieu de l’auditing.
Pour le cas du Maroc, le contrôle de la Cour des comptes intervient a posteriori et s’exerce à différents niveaux :
– le contrôle de l’exécution de la loi de finances et la déclaration générale de conformité qui l’accompagne ;
– le contrôle de la gestion (ou auditing) des entités publiques ;
– le contrôle juridictionnel (jugement des comptes et Discipline budgétaire et financière).
Dans ce cadre, et sous l’aune du code des juridictions financières promulgué en 2003, la Cour des comptes a mené plusieurs missions relevant de son domaine d’attribution. Ces missions ont débouché sur des observations et recommandations qui demeurent valables en matière d’évaluation des mesures budgétaires de relance, notamment celles qui concernent la gestion budgétaire surtout dans sa phase exécution et évaluation (budgets ministériels, projets publics, commande publique…).
Par rapport à la problématique de la crise, on peut ranger les différentes conclusions de la Cour des comptes dans de nombreux axes.
1. L’assainissement des finances publiques
Bien que le Gouvernement soit engagé depuis plus de trois décennies sur la voie de l’assainissement des finances publiques, il convient de préciser que de nombreuses perspectives sont proposées par la Cour des comptes, parmi lesquelles on peut citer à titre indicatif et non limitatif :
a) Réforme de la caisse de compensation :
Cette réforme devient une nécessité impérieuse, du fait qu’elle accapare une masse importante de crédits, sans pour autant atteindre les objectifs sociaux visés[639].
b) Optimisation des relations État – EEP[640]
Les différentes conclusions dégagées par la Cour des comptes préconisent de revoir avec plus de rigueur les considérations qui président aux transferts entre l’État et les EEP, dans le sens soit de réaliser des économies et/ou de procurer des recettes additionnelles. Dans ce cadre, de nombreuses possibilités d’économie pour le budget de l’État existent notamment à travers le transfert de certaines taxes collectées par les EEP au profit du budget de l’État, ou la réduction du rôle de l’État en transférant certaines de ses activités aux EEP, ou au secteur privé.
c) Redéfinition des relations État – Collectivités locales[641]
L’expérience des Cours régionales des comptes a montré que la part des investissements des collectivités locales va crescendo, sachant qu’une bonne partie de financement de ces investissements provient du budget de l’État (Impôts transférés, notamment TVA). L’assainissement des finances de l’État passe donc par celui des finances locales, car il est tout à fait normal que les investissements des collectivités locales se réalisent, au même titre que ceux de l’État, dans un cadre obéissant aux règles de la transparence et de la performance.
2. L’orientation des choix budgétaires vers la qualité de la dépense
Parmi les nouveautés du code des juridictions financières, il y a lieu de citer l’évaluation des projets publics. À la lumière des conclusions dégagées par les différentes missions de contrôle, il convient de préciser que pour important qu’il soit, le programme de relance budgétaire risque de perdre en efficacité si on opte pas pour une démarche audacieuse qui privilégie la qualité des dépenses.
À cet égard, notre pays gagnerait dans le cadre de sa politique budgétaire à étendre, voire généraliser l’approche du choix des investissements. Ainsi, à l’instar des grands projets, les projets moyens d’investissement doivent faire l’objet d’une véritable analyse – cas par cas –en vue de leur priorisation en termes d’impact socio-économique et sur la croissance.
De nombreuses conditions doivent être satisfaites :
– la faisabilité économique du projet qui se mesure à l’aune du bénéfice que la communauté publique peut en tirer ;
– la faisabilité financière de certains projets à caractère commercial notamment leur rentabilité financière (méthodes basées sur la VAN et le TRI) ;
– enfin, l’atteinte des objectifs qui leur sont assignés sur le plan social.
Parallèlement, il s’avère nécessaire d’asseoir une rationalité budgétaire à travers l’engagement d’un effort pour la réduction des coûts de certains projets et leur réalisation dans les délais.
En somme, la qualité de la dépense doit être au centre des préoccupations. Cette qualité repose sur de nombreux principes : économie, efficience et efficacité. Et son suivi doit se faire selon les mécanismes avérés de monitoring et de reporting.
3. La réforme budgétaire
Bien que les réformes budgétaires n’empêchent pas les crises de se produire, elles contribuent à en atténuer les effets. Par conséquent, toute mesure de relance budgétaire demeure inefficace si le dispositif budgétaire mis en place n&rsquo