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Le Logement Collaboratif : Une Menace pour l’Hôtellerie Traditionnelle ? Étude Comparative et Analyse Concurrentielle

Thème : L’Economie Collaborative (le logement collaboratif)

 

Problématique : Le logement collaboratif constitue-t-il une menace pour le développement et la pérennité de l’hôtellerie traditionnelle ?

 

Plan

 

Introduction

Partie 1. Revue de la littérature

1.1. Le concept de logement collaboratif

1.1.1. L’économie collaborative : une analyse conceptuelle

1.1.1.1. Essais de définition : une multiplicité conceptuelle, un périmètre flou

1.1.1.2. Les secteurs couverts par l’économie collaborative

1.1.2. Le logement collaboratif

1.1.2.1. Les précurseurs à l’origine du logement collaboratif à grande échelle

1.1.2.2. Différentes formes de logement collaboratif

1.2. Le logement collaboratif et l’hôtellerie traditionnelle

1.2.1. Chiffres-clés sur les deux types d’acteurs : l’hôtellerie traditionnelle et le logement collaboratif

1.2.2. Le logement collaboratif comme une alternative à l’hôtellerie traditionnelle

1.2.3. Une rivalité entre les deux types d’acteurs

1.2.3.1. Le logement collaboratif : entre menace et opportunité pour l’hôtellerie traditionnelle

1.2.3.2. Contre-attaque des hôteliers : lobbying

1.2.3.3. Revendications des hôteliers pour contrer le logement collaboratif

Partie 2. Etude empirique

2.1. Contextes et problématique

2.2. Méthodologie et Résultats d’investigation

2.3. Analyse des résultats

2.3.1. Diversification de l’offre et des prix

2.3.2. Informations riches sur internet et sur les réseaux sociaux

2.3.3. Les communautés d’utilisateurs du logement collaboratif

2.3.4. La confiance

2.3.5. Niveau de personnalisation de l’hébergement

2.3.6. L’authenticité, le local et l’échange culturel

2.3.7. Une alternative aux systèmes existants

2.3.8. Une forme d’altruisme

2.3.9. Optimisation de la consommation (consommation responsable)

Conclusion

Bibliographie

 

Introduction

 

Le fait de passer la nuit sous le toit d’un inconnu n’est pas un phénomène nouveau, une pratique qui semble même être courante dans les ères bibliques. L’existence et la médiatisation même de telle pratique à la fin du XXème siècle n’a pas susciter l’attention du public (et ainsi des opérateurs œuvrant dans l’hébergement temporaire) tant que le phénomène reste marginal et occasionnel. C’est ainsi que l’émission télévisée « J’irai dormir chez vous », diffusée sur France 5 pendant des années, restera longtemps comme l’une des histoires insolites dont l’expérience est encore loin de portée du voyageur traditionnel, une expérience vue alors comme trop aventureuse et réservée aux globes trotteurs comme Antoine de Maximy (Sharinplace, 2016).

 

Mais, à partir des années 2000, il suffit de faire une recherche sur internet pour se rendre compte que cette pratique s’est largement développée à l’image des grandes firmes qui ont même pu bâtir leurs empires sur ce concept lointain mais trouvant sa prolifération dans le XXIème siècle. Le phénomène en question se nomme « logement collaboratif », une notion qui sonne dans un registre de militantisme, de recherche d’alternative au système dominant (à entendre par là le capitalisme sous toutes ses formes) pour un monde plus libre et moins libéral. Propulsé donc par une idéologie anticapitaliste, plusieurs projets ont émergé jusqu’à devenir géants que de nombreux investisseurs ont décidé de les convertir en sociétés hyper-capitalisées.

 

Après que les militants ont maintes fois dénoncé la mise à profit des « initiatives citoyennes » (Vanloqueren, 2014), c’est au tour des acteurs de l’offre hôtelière de s’inquiéter sur le gigantisme et le développement spectaculaire de certains modèles d’affaires se positionnant comme du logement collaboratif. C’est probablement le contexte de crise financière et économique de 2008 qui a renforcé cette inquiétude, une crise qui a certainement fait baisser les activités de l’hôtellerie traditionnelle (une appellation choisie pour la distinguer des autres pratiques émergentes en matière d’offre d’hébergement temporaire) mais surtout conduit les consommateurs à chercher d’autres solutions moins coûteuses. Le monde d’une économie dite « collaborative » a proposé ainsi d’autres voies qui ne promettent pas seulement une possibilité de contourner les effets de l’inflation mais promettent aussi des éléments faiblement pris en compte par les opérateurs hôteliers (tels que l’authenticité, l’immersion dans la culture locale, …).

 

En toute légitimité, les hôteliers questionnent et se questionnent sur l’avenir de leurs activités en considérant le développement du logement collaboratif. S’agit-il d’une nouvelle forme de concurrence ou bien s’adresse-t-il à un tout autre segment de clientèle ?

 

C’est dans ce contexte que s’énonce alors la problématique de la présente étude : Le logement collaboratif constitue-t-il une menace pour le développement et la pérennité de l’hôtellerie traditionnelle ? En d’autres termes, il s’agit d’appréhender le positionnement concurrentiel du logement collaboratif vis-à-vis du secteur de l’hôtellerie traditionnelle.

 

Pour répondre à cette question centrale, ce document se divise en deux grandes parties :

 

  • Dans la première partie, il convient de faire une revue de la littérature sur le sujet afin d’appréhender les concepts clés (dont celui d’économie collaborative et de logement collaboratif) ainsi que les éléments devant permettre d’apprécier le positionnement du logement collaboratif face à l’hôtellerie traditionnelle ;

 

  • Dans la deuxième partie, une étude empirique cherchera à identifier les éléments constituant éventuellement un avantage concurrentiel conséquent pour le logement collaboratif, rendant alors ce dernier comme une menace pour le développement de l’hôtellerie traditionnelle.

 

  1. Revue de la littérature

 

Cette première partie de l’étude se concentre sur le concept de « logement collaboratif » dans le développement de l’économie collaborative. Cela conduit par la suite à l’appréhension du positionnement complexe de ce modèle sur le marché du logement temporaire face à l’hôtellerie traditionnelle.

 

  1. Le concept de logement collaboratif

 

Dans un premier temps, il importe d’appréhender le « logement collaboratif » dans son concept parent qu’est l’économie collaborative. Cela devrait permettre d’apprécier les différentes formes existantes du logement collaboratif.

 

  1. L’économie collaborative : une analyse conceptuelle

 

Il est possible de dire que l’économie collaborative est un phénomène d’actualité avec un gain d’intérêt, aussi bien au sein des communautés optant pour une alternative au régime capitaliste qu’au niveau des acteurs de l’économie du marché. Ainsi, le chiffre d’affaires de l’économie collaborative a été estimé à 3.5 milliards d’euros en 2013, avec une croissance annuelle de l’ordre de 25% malgré la crise économique du moment. De plus, la prévision estime que ce chiffre d’affaires augmentera de 15 milliards de dollars en 2015 jusqu’à environ 335 de dollars après une décennie (Courtois, 2015). Pourtant, la littérature scientifique aborde ce thème avec un peu de timidité et d’hésitation.

 

  1. Essais de définition : une multiplicité conceptuelle, un périmètre flou

 

Il est remarqué une absence de définition « académique » concernant ce phénomène (Duthoit, 2015). Dès lors, les définitions formulées pour l’économie collaborative sont presque toutes issues de celle fournie par l’un des grands précurseurs du monde collaboratif, Wikipédia : c’est « l’activité humaine qui vise à produire de la valeur en commun et qui repose sur de nouvelles formes d’organisation du travail, plus horizontales. Elle s’appuie sur l’usage plutôt que sur la possession entraînant la mutualisation des biens espaces et outils ; sur l’organisation des citoyens en “réseau” ou communautés ; et généralement sur l’intermédiation par des plateformes Internet » (Duthoit, 2015, p. 15).

 

Il faut constater que chaque auteur/organisme s’intéressant à ce sujet propose une définition intégrant des éléments à la base de ses influences théoriques. Le grand pionnier dans le domaine du collaboratif, OuiShare, avance une définition assez simpliste en mettant simplement l’accent sur la mutualisation des biens et services comme composante principale de l’économie collaborative. Pour sa part, Botsman (2013, cité par Massé, Borel, & Demailly, 2015) insiste sur le caractère alternatif du concept (au regard du capitalisme) en affirmant que l’économie collaborative est un « modèle économique basé sur des réseaux distribués d’individus et de communautés connectés, par opposition aux institutions centralisées, et qui transforment nos façon de produire, consommer, financer et apprendre » (p. 5). Cependant, Duthoit (2015) croit plutôt en la possibilité de mettre ce concept au service de l’entreprise (capitaliste) en mettant en relief dans sa définition un « rapport triangulaire » entre les collaborateurs, l’activité que ces derniers organisent, et le contexte dans lequel cette activité est réalisée. Cette multiplicité de définitions (quelque peu subjectivées) démontre à quel point le phénomène est difficilement appréhendable du point de vue scientifique.

 

Malgré cette multiplicité conceptuelle, la plupart des auteurs sur le sujet semblent se mettre d’accord sur trois principes majeurs caractérisant l’économie collaborative (Masset & Luyckx, 2014 ; Courtois, 2015 ; Borel, Massé, & Demailly, 2015) :

 

  • Une logique horizontale qui se base sur l’organisation en réseau, la décentralisation et le modèle du P2P (Peer to Peer ou de Particulier à Particulier). Cette logique se traduit par l’extension de la sphère de l’activité humaine davantage étendue au désavantage de la hiérarchisation dans l’économie de production. L’horizontalité implique une coordination directe entre les acteurs de manière transversale et « désintermédiée ».

 

  • La mutualisation des outils et des connaissances où il y a accès libre des contributeurs à ces éléments mutualisés. Cela peut correspondre à une idée d’optimisation des ressources à travers le partage entre particuliers ou entre groupe de particuliers : notion de « recyclage », l’accès plutôt que la rétention ou la possession.

 

  • Une logique de coopération étendue concernant des communautés d’intérêt ou locales en s’appuyant sur l’intelligence, la créativité et le savoir-faire de ces dernières pour réaliser certaines tâches.

 

Ces trois principes sont rarement observés dans leur plénitude dans la pratique : il s’agit là d’un modèle théorique, d’un idéal-typique, c’est-à-dire un outil pour réaliser une analyse critique des manifestations proposées comme faisant partie de l’économie collaborative (Massé, Borel, & Demailly, 2015). Cela s’inscrit alors dans une tentative de délimiter le contour de cette autre forme de l’économie. Néanmoins, une certaine ambiguïté apparait lorsque l’économie collaborative est située par rapport à d’autres concepts connexes.

 

En effet, Duthoit (2015) tente de définir le périmètre de l’économie collaborative en la considérant comme l’intersection de trois concepts connexes : l’économie d’usage (ou fonctionnelle), l’économie circulaire, et l’économie relocalisée. L’économie de la fonctionnalité cherche à substituer la vente d’un bien par la commercialisation d’un service intégrant les mêmes fonctionnalités que ce bien. Quant à l’économie circulaire, elle se focalise sur la notion d’optimisation de la consommation et de limitation du gaspillage. Concernant l’économie relocalisée, il y a surtout une insistance sur la revalorisation du territoire (par exemple, à travers des circuits courts d’approvisionnement et/ou de distribution). Si l’économie collaborative semble alors trouver des points communs entre ces différentes notions, il existe tout de même des éléments d’opposition qui fait en sorte que celles-ci se distinguent les unes des autres. Par exemple, la logique horizontale de l’économie collaborative n’est pas considérée comme indispensable dans l’économie circulaire. Il est ainsi commode de parler de « chevauchement » entre ces différentes concepts connexes.

 

Une des conséquences de ce caractère flou du périmètre de l’économie collaborative réside dans la difficulté de classification des activités appartenant (ou n’appartenant pas) à cette forme de l’économie. A titre d’exemple, il est impossible de faire une typologie des organisations pouvant être qualifiées de « collaboratives » sans recourir à des arguments subjectifs : le géant Airbnb est presque toujours cité sur internet lorsqu’il est question de « logement collaboratif », alors que son appartenance à l’économie collaborative est vivement contestée notamment par les militants anticapitalistes (Vanloqueren, 2014). « Comment dès lors faire un distinguo entre une économie collaborative qui procède d’un « capitalisme nétarchique » (…) et une autre économie collaborative, à définir, centrée sur un projet commun ? » (Vallat, 2015).

 

  1. Les secteurs couverts par l’économie collaborative

 

En termes de classification, l’économie collaborative couvre principalement quatre grands secteurs, à savoir :

 

  • La consommation collaborative ou économie du partage avec laquelle la notion « d’usage » passe avant celle de « propriété ».

 

  • La production collaborative, appelée également par certains auteurs la « réparation ou fabrication collaborative » (Massé, Borel, & Demailly, 2015). Cela se traduit par une création matérielle et immatérielle « de biens communs et de plateformes de partage » (Masset & Luyckx, 2014, p. 4). A titre d’exemple, cela concerne les mouvements du « faire » au sens décrit par Lallement (2015) à l’image des Hackers qui œuvrent dans des ateliers de fabrication, profitant des ressources partagées pour produire soi-même un bien.

 

  • Le financement collaboratif qui rassemble des alternatives à celui faisant intervenir l’intermédiation bancaire, c’est-à-dire les investissements et prêts entre particuliers. Le mode de financement collaboratif peut se décliner en partage de fonds, en partage de prêt, ou en création de monnaie alternative.

 

  • La connaissance collaborative, s’appuyant sur le principe de « savoirs libres » (mise à disposition de manière gratuite de la connaissance, sans qu’il y ait une restriction légale ou technologique de la reproduction de cette connaissance). Parmi les exemples célèbres dans ce domaine, Wikipédia et les logiciels Open Source sont les plus cités, mais également les MOOCs (Massive Open Online Course).

 

Figure 1 – Les principaux secteurs de l’économie collaborative

Source : ETOPIA, 2014

 

La consommation collaborative est le plus mûr d’entre ces quatre secteurs, d’autant plus qu’il attire le plus l’attention des médias et de l’opinion publique. Le champ couvert par ce secteur est très vaste, concernant le partage et les échanges de biens matériels ou de services, tels que le covoiturage et le logement collaboratif. Avec le développement technologique, une demande qui se concentre sur l’usage rencontre une offre qui n’a pas eu l’occasion d’être exprimée jusqu’à l’avènement de l’économie collaborative. Il est possible d’identifier trois formes de pratiques dans la consommation collaborative :

 

  • Les systèmes de redistribution, comme la revente ou le troc, permettant de redistribuer (ou transférer) des biens d’un individu à un autre qui veut les acquérir. Ces systèmes peuvent être marchands (en citant l’exemple d’eBay) ou non (freecycle, par exemple).

 

  • Les systèmes transformant des biens matériels en services offrant une opportunité de partage d’usage d’un bien ou service avec d’autres individus.

 

  • Les styles de vie collaboratifs dans les partages ou échanges de ressources immatériels, comme le temps, l’espace, la compétence, … Le couchsurfing du logement collaboratif en est un exemple marquant : partage de lieu de vie avec un ou des voyageurs de passage.

 

Désormais, l’économie collaborative est essentiellement soutenue par plusieurs piliers, dont entre autres :

 

  • Le pilier numérique, surtout qu’elle trouve son fondement dans un héritage culturel (en matière organisationnelle, comportementale, technique, …) issu des Technologies de l’information et de communication (TIC), en particulier dans les logiciels libres et internet (Duthoit, 2015).

 

  • Le pilier économique, en considérant par exemple la crise financière qui a davantage motivé la recherche de baisse de coût dans le partage. Aussi, environ 23% des dépenses des ménages français sont estimés comme partageables (Demailly & Novel, 2014).

 

  • Le pilier social, en citant par exemple l’envie tout simplement de collaborer ou la recherche de lien social qui conduit à s’intéresser à l’échange sous diverses formes (Vanloqueren, 2015).

 

  • Le pilier environnemental, en faisant l’idée que les pratiques du partage accordent une « seconde vie » à des biens, diminuant ainsi les déchets (textiles, par exemple) causés par ces biens (Demailly & Novel, 2014).

 

Dans une énumération de Botsman et Rogers (2011, cités par Massé, Borel, & Demailly, 2015), ils distinguent le partage de logement comme une composante majeure de l’économie du partage. Certes, le phénomène de logement collaboratif ne peut pas être considéré comme tout à fait nouveau. Néanmoins, c’est son ampleur considérable lui attribuant une nouvelle image, grâce notamment à l’évolution technologique, qui l’a mis au premier plan depuis les débuts des années 2000 (Bernheim-Desvaux, 2015).

 

  1. Le logement collaboratif

 

Pour mieux comprendre le concept du logement collaboratif, il apparait intéressant de l’aborder dans ses premiers pas en tant que phénomène grand public. C’est aussi une manière d’apprécier l’évolution de cette forme d’économie collaborative, impliquant alors de décrire certaines des formes de logement collaboratif modernes.

 

  1. Les précurseurs à l’origine du logement collaboratif à grande échelle

 

Le guide de partage et de l’économie collaborative, élaboré par Sharinplace (2016), donne quelques indices sur le début du logement collaboratif en tant que phénomène grand public. Deux grands précurseurs dans ce domaine sont ainsi cités : Couchsurfing et Wwoofing.

 

« Couchsurfing (idée de voyage en passant d’un canapé à l’autre) est sans doute le pionner de l’hébergement chez l’habitant » (Sharinplace, 2016, p. 16). L’origine du projet remonterait en 1999 lorsque Casey Fenton contactait des étudiants de l’université de Reykjavik en Islande par liste de diffusion. Une demande a alors été envoyée par cette occasion pour être hébergé gracieusement en metant l’accent sur la notion de rencontre avec « des amis dont vous n’avez pas encore rencontrés » (« friends you haven’t met yet ») (Couchsurfing International, 2016). Le nombre considérable de réponses positives de la demande a convaincu Fenton qu’il s’agit d’une opportunité à explorer/exploiter. L’association CouchSurfing a ainsi été fondée en 2004 avec trois autres cofondateurs, provenant presque tous du milieu web.

 

Littéralement, le terme anglais « couchsurfing » peut être traduit par l’action de « passer d’un canapé (couch) à un autre », faisant en quelque sorte référence au surf sur internet mais pour un but précis : trouver un canapé pour servir de lit où dormir. L’image promue dans ce sens est celle d’un voyageur voulant découvrir le monde et ses habitants en utilisant le couch comme moyen de transport.

 

Un site internet a alors été créé sur lequel tout le monde peut participer librement et gratuitement au projet CouchSurfing. Le site fonctionne un peu comme les célèbres réseaux sociaux (facebook, twitter, …) sur lequel chaque membre a la possibilité de dialoguer et demander l’hébergement auprès d’un autre membre. Les gouts, orientations, préférences, intérêts … de chaque membre peut être consultés sur son profil personnel. En principe (du moins au début), la base du CouchSurfing est l’hébergement reposant sur la gratuité du logement. Ainsi, l’hôte accueille un ou plusieurs invités par un repas avec un hébergement qui dure souvent quelques jours. 

 

Au tout début, la vision des fondateurs du CouchSurfing, dépassant le simple concept d’hébergement, peut être exprimée en ces deux points :

 

  • « Un monde où tout un chacun explore et entre en interaction avec les gens qu’il est amené à rencontrer et les lieux qu’il est amené à fouler » : insistant donc sur les notions de rencontre et d’exploration (Zeyer, 2012, p. 17).

 

  • « Nous croyons que plus nous considérons le monde en tant qu’un stimulant mélange de personnes uniques, plus nous serons motivés pour protéger et préserver cette diversité » : insistant également sur cette notion de diversité (ibid.).

 

Il faut mentionner que, étant une association à but non lucratif lors de sa création, CouchSurfing (International) est devenu une société commerciale à partir d’août 2011.

 

Le Wwoofing, pour sa part, a une origine bien plus lointaine que le Couchsurfing puisque celle-ci est située en 1971 (dans une démarche singulière entamée par une citadine anglaise pour échapper à la campagne le week-end). La particularité de cet autre concept de logement collaboratif réside dans la signification de l’acronyme WWOOF au tout début : « Weekends de travail dans des fermes biologiques » (Working Week-ends on Organic Farms). La création du WWOOF s’inscrit dans une volonté d’offrir aux citadins une opportunité de découverte de la campagne en mettant l’accent sur l’agriculture biologique. Plus tard, lorsque le nombre de bénévoles augmentait pour un travail de plus longues périodes, le nom a changé pour devenir : Travailleurs volontaires dans des fermes biologiques (Willing Workers on Organic Farms). Puis, en 2000, une autre dénomination a été adoptée mais en gardant le domaine-clé d’intervention : Opportunités dans des fermes biologiques du monde entier (World-Wide Opportunities on Organic Farms) (WWOOF, 2015).

 

Les objectifs du Wwoofing peuvent être résumés par les termes suivants : pratique de l’agriculture biologique pour des non-initiés, découverte des manières alternative et écologiquement saines de vivre, échange culturel et trans-générationnel, partage de savoir-faire écologique et biologique, communication et solidarité avec le mouvement écologique et agriculture bio, liens durables entre ruraux et citadins (WWOOF France, 2014). Le Wwoofing est alors un exemple de la multiplicité des formes que peuvent prendre le logement collaboratif.

 

  1. Différentes formes de logement collaboratif

 

Sans vouloir en élaborer une liste exhaustive, ci-après des exemples des principales solutions offertes, permettant d’apprécier encore cette multiplicité de formes possibles pour le logement collaboratif (Sharinplace, 2016) :

 

  • Recherche d’appartement, allant du simple couchage dans le salon, en passant par la chambre privative, jusqu’à l’entièreté d’un appartement ou d’une maison à titre d’hébergement temporaire.

 

  • Des services d’accompagnement : découverte de la région, passer du temps avec les hôtes, … La plateforme MyWeekendForYou, par exemple, propose d’ailleurs un échange avec les hôtes dans un séjour découverte.

 

  • Allant de la recherche d’hébergement de longue durée (proposé par des plateformes comme Roomlala, par exemple) jusqu’à la cohabitation.

 

  • Des plateformes de réciprocité, en utilisant notamment le système de points et de communauté : Les utilisateurs cumulent des points pouvant être échangés contre hébergement, à condition de recevoir également des membres de la communauté pour être hébergés chez soi.

 

  • De l’échange direct sans transaction financière (pendant les vacances, par exemple) (comme celui proposé par le site TrocMaison).

 

  • De l’aventure, à l’exemple du camping dans le jardin de l’hôte, d’un séjour dans des cabanes perchées dans des arbres, …

 

Cette multiplicité des formes pouvant être prise par le logement collaboratif pourrait également être traduite d’une certaine manière dans la coexistence de ce modèle collaboratif avec l’hôtellerie traditionnelle.

 

  1. Le logement collaboratif et l’hôtellerie traditionnelle

 

Pour mettre en évidence la problématique de la présente étude, il importe d’apprécier l’évolution du marché du tourisme à travers quelques chiffres-clés. Il convient également de survoler quelques modèles d’affaires donnant une idée sur l’éventuel caractère alternatif du logement collaboratif par rapport à l’hôtellerie traditionnelle. Enfin, il faut considérer des éléments illustrant l’existence d’une certaine rivalité (ou concurrence ?) entre ces deux types d’acteurs (logement collaboratif et hôtellerie traditionnelle).

 

  1. Chiffres-clés sur les deux types d’acteurs : l’hôtellerie traditionnelle et le logement collaboratif

 

Les hôtels du tourisme peuvent être définis comme « des établissements commerciaux d’hébergement, qui offrent des chambres ou des appartements meublés en location à une clientèle de passage ou à une clientèle qui effectue un séjour à la journée, à la semaine ou au mois mais qui, sauf exception, n’y élit pas domicile » (DGE, 2014, p. 52). Quelques éléments méritent d’être mentionnés sur l’évolution du secteur de l’hôtellerie française, surtout dans la période post-crise de 2008 (Tomasian, 2014) :

 

  • Une montée en gamme de l’offre hôtelière, soit 57% des établissements classés de 3 à 5 étoiles en 2012 contre seulement 19% en 1995. Cela pourrait être interprété comme une forme de renchérissement des prix des services offerts dans ce secteur.

 

  • Une évolution en baisse du nombre de parc hôtelier : « les 2/3 des hôtels non-classés sont passés de 9 000 établissements à 3 000 en 2011 » (Tomasian, 2014, p. 12).

 

  • Une augmentation en nombre d’autres formes d’hébergement à côté de l’offre hôtelière (2011) : les résidences de tourisme (+179%), les villages de vacances (+32%) et les chambres d’hôtes (+122%). De plus, l’hôtellerie de chaînes s’est développée à raison de 21.7% en nombre de chambres dans la période 2003-2013 contre une baisse de l’ordre de –6.2% pour l’hôtellerie indépendante.

 

  • Une relative concentration du secteur : en 2014, 60 enseignes présentes en France ne représentent que 18% du nombre d’hôtels, mais correspondent à 39.8% de la quantité de chambres et presque la moitié des parts de marché français.

 

  • Une difficulté des structures modestes à suivre les normes imposées pour les opérateurs hôteliers (telles que la sécurité incendie, l’accès pour les personnes à mobilité réduite, …) : ces exigences ont, soit évincé les petits opérateurs du secteur, soit obligé ces derniers à opter pour une requalification en maison d’hôtes.

 

  • Une diminution de la fréquentation dans l’ensemble de l’hébergement de tourisme (– 1.2% entre 2012 et 2013), soit d’une baisse de 3.1% pour l’hôtellerie.

 

  • Une baisse de consommation pour les établissements bas de gamme (allant de 72% à 65% de part de marché en 2003-2013) contre une croissance pour le haut de gamme (de 60% à 65% de part de marché sur la même période).

 

Une conclusion émise par un auteur est que « la clientèle des hôtels basse et moyenne gamme se détourne de ces établissements au profit d’une autre forme d’hébergement tel que les hébergements collaboratifs » (Tomasian, 2014, p. 14). En effet, les faits ci-après semblent être en faveur de cette thèse (Tomasian, 2014) :

 

  • Vif intérêt pour l’économie collaborative dans le domaine du tourisme : 2/3 des consommateurs ont déjà expérimenté le logement collaboratif ou envisagent de le faire.

 

  • Développement manifeste de l’hébergement alternatif, en citant par exemple Couchsurfing dont la plateforme compte près de 9 millions d’utilisateurs en 2015 et couvrant 120 000 villes (après une décennie d’existence) ; il y a aussi Airbnb qui sert 10 millions de voyageurs et 6 millions d’individus en 2013 (le double des chiffres de l’année précédente), couvrant 173 pays.

 

  • Une conquête du marché français pour Airbnb : en 2013, un million d’utilisateurs français et 450 000 nouveaux voyageurs pour cette année.

 

  • Recherche d’expérience inédite de la part du consommateur qui ne se contente plus de la rationalité objective de l’offre proposée traditionnellement par l’hôtellerie : « Il souhaite être surpris, charmé, amusé,… tout en restant exigeant quant à la qualité d’équipements et de confort » (Ramos & Watkins, 2014, p. 11). Ce « nouveau » consommateur semble être en quête d’expérience « authentique » (Schéou, 2014).

 

  • Quête de personnalisation : « D’après un rapport d’Amadeus et Fast Future Research (2010), 92% des sondés pensent que la clientèle des hôtels espèrent avoir un séjour personnalisé » (Tomasian, 2014, p. 20) ; les chaînes hôtelières aux chambres standards n’ont pas toujours la capacité d’offrir cette personnalisation.

 

  • Importance accrue d’internet (online) en matière de tourisme : en 2013, l’e-tourisme représentait 12.4 milliards d’euros en France, avec 30 millions de Français qui ont recours à internet pour la préparation de leurs vacances. Aussi, 62% des internautes auraient acheté au moins un voyage sur internet en juin 2014 (+6% relativement à 2011) (FEVAD, 2014).

 

A première vue, tout cela semble dire qu’il y a une certaine concurrence entre l’hôtellerie traditionnelle d’une part, et le logement collaboratif, d’autre part.

 

  1. Le logement collaboratif comme une alternative à l’hôtellerie traditionnelle

 

L’idée n’est pas d’établir une liste exhaustive de toutes les possibilités déjà exploités par le logement collaboratif, mais plutôt d’avoir une idée sur les formes de concurrence éventuellement établie entre les deux types d’opérateurs en termes d’hébergement. Ci-après quelques-uns des business models parmi les plus célèbres (outre les standards comme celui d’Airbnb), en mettant l’accent sur leur diversité :

 

  • Le Collectionist, né en 2012, cible une clientèle haut de gamme, un opérateur qui se définit comme « agent immobilier 3.0 » (Lesechos.fr, 2015). L’opérateur offre des garanties financières et une police d’assurance aux propriétaires (immobiliers). « Côté locataires, le service de conciergerie est sans limite: une palette de grands chefs ou leurs seconds pour cuisiner, besoin d’un professeur de français ou d’un hélicoptère pour rejoindre la destination, Le Collectionist s’en charge » (Lesechos.fr, 2015).

 

  • One Fine Stay, fondé en 2010, propose également des services haut de gamme et agit comme une « marque intégrée ». Ainsi, One Fine Stay effectue une sélection rigoureuse des appartements et réalise une sorte de « mise à niveau » de ceux-ci. Il mise à la fois sur l’online et l’offline : une mise en réseau pour promouvoir la location d’une part, et un partenariat étroit avec les propriétaires comprenant un service d’accompagnement pour être plus près des utilisateurs d’autre part.

 

  • Room Mate : « Entre 2007 et 2013, les locations d’appartements aux touristes ont augmenté de 44%, contre 4,5% pour les réservations hôtelières; j’ai donc imaginé des hôtels où l’on se sent comme chez des amis » (Sarasola, 2015, cité par Lesechos.fr, 2015). Il s’agit d’un exemple de rapprochement entre hôtellerie traditionnelle et logement collaboratif.

 

  • At the Corner, une startup qui a pour ambition de « réconcilier » les hôtels et le logement collaboratif. La société propose ainsi à l’hôte un réseau d’hôtels partenaires situés à proximité du logement lorsqu’il n’est pas disponible pour l’accueil ou le départ de son voyageur. Les services pouvant être proposés par l’hôtel va de la gestion des clés jusqu’au petit déjeuner (voire des excursions) en passant par le stockage des bagages. Les offres de la startup s’adressent plus particulièrement aux utilisateurs des plateformes de logement collaboratif dont Airbnb, HouseTrip, Sejourning, …

 

Figure 2 – Un échantillon des opérateurs du logement collaboratif parmi les plus célèbres

 

Ainsi, il faut reconnaitre que pratiquement toutes les activités composant l’offre de l’hôtellerie traditionnelle sont susceptibles de figurer également dans le portefeuille du logement collaboratif. Néanmoins, le positionnement de ce dernier est assez complexe et n’est pas encore explicitement défini : le logement collaboratif pourrait être à la fois un concurrent frontal et un partenaire pour le développement de l’hôtellerie traditionnelle.

 

  1. Une rivalité entre les deux types d’acteurs

 

Pour apprécier la complexité du positionnement du logement collaboratif, il faut tenir compte de deux types d’actions/réactions réalisées par ces deux types d’acteurs : d’un côté, le logement collaboratif qui se développe à grand pas et pouvant ainsi bouleverser le marché de l’hôtellerie traditionnelle et, d’un autre côté, cette dernière qui réagit en essayant la voie de la réglementation.

 

  1. Le logement collaboratif : entre menace et opportunité pour l’hôtellerie traditionnelle

 

Désormais, plusieurs chiffres laissent entrevoir un relatif sentiment de lésion de la part de l’hôtellerie traditionnelle par rapport au développement du logement collaboratif, un élément pouvant être pris comme moteur de ce genre d’hostilité faite nécessairement par les hôteliers (Dutheil & Rey-Lefebvre, 2016) :

 

  • Après son établissement en France en 2011, Airbnb dispose au début de 2016 près de 88 700 chambres contre environ 75 000 pour les hôteliers ; certains parlent même de 200 000 logements revendiqués par la société sur le territoire français en 2015 (Russell, 2015), 50 000 en Île-de-France seulement (Visseyrias, 2015).

 

  • Airbnb reste discret, refusant de communiquer publiquement sur son chiffre d’affaires en France. Il laisse tout de même savoir que ses « hôtes » dans le pays ont totalisé (septembre 2014 à août 2015) 481 millions d’euros de recettes. En faisant le calcul sur les commissions prélevées par le géant du logement (3% auprès de l’hôte, 6% à 12% auprès du client), il aurait obtenu environ 72 millions d’euros. Pourtant, le groupe ne dispose d’aucun actif immobilier, ne verse jusque-là que moins de 100 000 euros d’impôts et les salaires de seulement vingt-cinq personnes.

 

  • L’Union des Métiers et des Industries de l’Hôtellerie (UMIH) déplore une baisse de leurs activités malgré une hausse du nombre de touriste : 75 millions à 85 millions de touristes en une décennie alors que le taux d’occupation des hôtels diminue de 83% à 80%, en 2015.

 

  • Il semble qu’Airbnb s’établit sans véritablement de problème dans la Capitale française : La Mairie de Paris a loué à Airbnb les catacombes pour la nuit d’Halloween de 2015 (pour une somme de 350 000 euros). De son côté, Airbnb a collecté pour la Mairie 5 millions d’euros de taxe de séjour durant le dernier trimestre de l’année 2015.

 

  • « Selon le Comité régional du tourisme (CRT) Paris Île-de-France, 8 % des touristes français et étrangers séjournent désormais dans des hébergements non marchands. Toutes les catégories d’hôtels sont touchées, jusqu’aux palaces. Si les voyageurs cherchent à vivre une expérience de vie locale chez l’habitant, ils sont aussi attirés par des prix plus compétitifs qu’à l’hôtel » (Visseyrias, 2015).

 

Dans les accusations (qui ont probablement abouti à l’adoption de l’amendement évoqué plus bas) portées par les hôteliers contre le logement collaboratif, et plus particulièrement contre Airbnb, ils dénoncent « une économie collaborative détournée de ses principes initiaux, comme le partage, la convivialité et la proximité » (Russell, 2015). L’UMIH parle d’industrialisation du modèle de logement collaboratif, mais également de « concurrence déloyale », « d’économie grise », de « tromperie » et de « publicité mensongère » (Visseyrias, 2015).

 

Ce qui inquiète surtout les hôteliers, pouvant être interprété comme une forme d’industrialisation du modèle de logement collaboratif, c’est l’existence à grande échelle de multipropriétaires qui louent leurs appartements sur les plateformes célèbres d’Airbnb, d’Homelidays, d’Abritel, … Il y aurait de nombreux investisseurs qui ont trouvé un moyen à travers ces plateformes pour mettre en location « des dizaines d’appartements » sans passer par la voie légale qui leur serait probablement lourdement coûteuse. Le DG de l’Alliance 46.2 regroupant en France une vingtaine de grandes entreprises du tourisme, Frédéric Pierret, explique : « A New York, les propriétaires de plus de 2 appartements génèrent 37 % des revenus d’Airbnb […] Le plus important en contrôle 272. Le phénomène s’étend à Paris, où 19 % des logements sont loués par des propriétaires de plusieurs appartements. Le plus gros en a 173 » (Visseyrias, 2015). L’UMIH poursuit qu’un tiers du chiffre d’affaires d’Airbnb repose sur les annonces multipropriétaires.

 

Pour sa part, Airbnb affirme que 90% de ses hôtes ont seulement une annonce et que 83% de ceux-ci en réalisent une location occasionnelle de leur résidence. Selon ce géant du logement, « Airbnb ne vole pas de parts du gâteau : elle fait grossir ce gâteau » (Visseyrias, 2015). Cette affirmation se rapproche ainsi de la déclaration de Me Odile Cohen, avocate du groupe Madar (nouvel arrivant de l’hôtellerie haut de gamme de Paris) et membre de l’Association des avocats lobbyistes : « L’apparition de cette nouvelle économie collaborative ne doit pas être considérée comme une menace mais comme une opportunité » (Dutheil & Rey-Lefebvre, 2016).

 

  1. Contre-attaque des hôteliers : lobbying

 

Principalement, la « rivalité » annoncée (Dutheil & Rey-Lefebvre, 2016) entre l’hôtellerie traditionnelle et le logement collaboratif trouve une expression d’une de ses plus importantes manifestations à travers l’amendement au projet de loi « pour une République numérique » adoptée par les parlementaires français (l’Assemblée Nationale le 26 janvier et le Sénat le 3 mai 2016). Essentiellement, l’amendement bouleverse en quelque sorte les activités des plateformes de réservation en ligne. Ainsi, toute offre de logement doit être soigneusement vérifiée avant sa diffusion, notamment la qualité de l’annonceur (propriétaire ou locataire, l’hôte dans le vocabulaire du logement collaboratif) : « Le défaut de justification de la qualité de propriétaire ou de l’autorisation du bailleur est puni, pour le loueur et les professionnels précités, conformément aux articles L. 651-2 et L. 651-3 » (Article 23 ter de la loi pour une République numérique).

 

Les opérateurs se qualifiant du logement collaboratif, tel qu’Abritel considère cet amendement comme « contraire au droit européen et à une jurisprudence constante qui exonère les sites internet de responsabilité sur le contenu des annonces qu’ils publient » (Vincent Wermus, DG France d’HomeAway, maison-mère d’Abritel, cité par Dutheil & Rey-Lefebvre, 2016). Il faut dire que l’adoption de cet amendement pourrait être le résultat d’un travail de lobbying des syndicats hôteliers, et cela malgré des « discussions » qu’auraient également entamé Airbnb France avec le gouvernement. En effet, un lobby aurait été créé en juillet 2015 pour contrer l’avancée d’Airbnb et les autres opérateurs de son genre, pour faire rempart à ce que les professionnels de l’hébergement et du tourisme nomme « escroquerie intellectuelle » qui génèrerait (selon ces derniers) 80% du chiffre d’affaires de ces opérateurs du collaboratif.

 

En décembre 2015, l’Association pour un Hébergement et un Tourisme Professionnel (AHTOP) a en quelque sorte réussi à mettre fin au partenariat entre SNCF et Airbnb, juste quelque jours après l’annonce du contrat (Ouest-France, 2015).

 

  1. Revendications des hôteliers pour contrer le logement collaboratif

 

Les opérateurs de l’hôtellerie traditionnelle entendent continuer leur « lutte » contre le logement collaboratif (contre Airbnb en particulier, et non contre les loueurs, selon les hôteliers). Dans ce sens, leurs revendications peuvent être classées en trois points (Russell, 2015) :

 

  • La considération de la location, même occasionnelle, comme activité commerciale, ce qui implique que de telle location serait plus qu’un simple complément de revenu. De ce fait, les syndicats des hôteliers appellent à l’intégration des locations de courte durée des particuliers dans la réglementation touristique des hébergements. Ainsi, les opérateurs de l’hôtellerie veulent que la réglementation des chambres d’hôtes soit appliquée à Airbnb. Tout cela implique également une procédure formalisée d’enregistrement et de permis d’exploitation obligeant les concernés à faire une déclaration d’activité commerciale. Ces syndicats pensent même qu’il faut faire en sorte qu’il y ait une nette distinction entre usage commerciale et usage d’habitation.

 

  • Une harmonisation fiscale, à l’exemple du prélèvement de taxe de séjour sur les locations. Les hôteliers veulent une synchronisation des données sur les locations de courte durée avec les données des autorités fiscales. Les syndicats des hôteliers espèrent même inscrire dans la loi la responsabilité solidaire des opérateurs de logement collaboratif et des hôtes en cas de fraude fiscale.

 

  • Un allègement de la réglementation au profit des hôteliers ou une uniformisation de l’application entre l’hôtellerie traditionnelle et les plateformes de location entre particuliers. Cela concernerait les exigences de sécurité pour la location de courte durée, la collecte de données sur l’identité du locataire (une responsabilité du loueur).

 

En somme, bien qu’il soit encore difficile de juger du positionnement concurrentiel du logement collaboratif vis-à-vis de l’hôtellerie traditionnelle, les opérateurs de cette dernière manifeste explicitement un sentiment de menace qui pèse sur leurs activités.

 

  1. Etude empirique

 

Dans cette étude empirique, il convient surtout de chercher à savoir si le logement collaboratif constitue une menace ou bien une opportunité pour l’hôtellerie traditionnelle. Pour cela, il convient de rappeler le contexte et d’étudier le positionnement concurrentiel potentiel de ces deux types d’acteurs de l’hébergement temporaire.

 

  1. Contextes et problématique

 

Le logement collaboratif peut être considéré comme un phénomène émergent (en tenant compte de son ampleur importante depuis le début des années 2000) qui continue à se développer. Certains, notamment la majorité des opérateurs de l’hôtellerie traditionnelle, voient dans ce développement une menace pour cette dernière. Des actions sont même engagées par les syndicats des hôteliers pour contrer l’avancée de certains opérateurs qualifiés souvent comme faisant partie de l’économie collaborative. D’autres observateurs plus optimistes voient dans cette progression du logement collaboratif une opportunité à saisir pour l’hôtellerie traditionnelle dans le développement de leurs activités.

 

Il y a alors une certaine ambigüité quant au positionnement concurrentiel du logement collaboratif. Des hôteliers lui pointent du doigt comme un obstacle à leur développement, grignotant même leur part de marché. Il existe aussi des acteurs qui ont tenté de tendre leurs mains entre les deux types d’offre d’hébergement pour proposer des solutions conciliant l’hôtellerie traditionnelle et le logement collaboratif (à l’exemple du modèle At the corner). La problématique de la présente étude est ainsi rappelée : Le logement collaboratif constitue-t-il une menace pour le développement et la pérennité de l’hôtellerie traditionnelle ?

 

Selon les hôteliers, le logement collaboratif constitue à la fois des produits de substitution et des nouveaux entrants, dans le cadre des cinq forces concurrentielles de Porter (cf. Figure 3 – Positionnement du logement collaboratif selon les Hôteliers). Mais, cela reste à déterminer du fait que le logement collaboratif pourrait aussi constituer une opportunité pour le développement du secteur hôtelier, selon d’autres observateurs.

 

Figure 3 – Positionnement du logement collaboratif selon les Hôteliers (Les 5 forces concurrentielles de Porter pour l’hôtellerie traditionnelle)

 

Dans l’hypothèse que le logement collaboratif constitue une menace pour l’hôtellerie traditionnelle (c’est-à-dire à la fois un produit de substitution et des nouveaux entrants pour cette dernière), il se pourrait que les hôteliers aient moins de pouvoir de négociation face à leurs fournisseurs et leurs clients par rapport aux opérateurs du collaboratif.

 

Tableau 1 – Pouvoir de négociation des fournisseurs et des clients pour l’hôtellerie traditionnelle et pour le logement collaboratif

Hôtellerie traditionnelle Logement collaboratif
Fournisseurs Des partenaires comme les agences de voyage, de transport, de tourisme, … Les hôtes
Pouvoir de négociation des fournisseurs Plus ces fournisseurs sont nombreux et regroupés, moins les hôteliers ont de pouvoir Le nombre important de plateformes de logement collaboratif augmente le pouvoir des hôtes
Clients Clientèle traditionnelle Communautés des utilisateurs du logement collaboratif

Clientèle des hôtels ?

Pouvoir de négociation des clients Le nombre importants des hôteliers diminue leur pouvoir vis-à-vis des clients Les communautés ont de pouvoir important proportionnellement à leurs poids

 

  1. Méthodologie et Résultats d’investigation

 

La méthodologie empruntée pour répondre à la problématique cherche à confronter les avis des opérateurs du logement collaboratif et des consommateurs de ce type d’hébergement avec les avis des consommateurs de l’hôtellerie traditionnelle. Pour cela, les deux étapes ci-après sont suivies :

 

  • Relever les principaux arguments et éléments de motivation qui devraient conduire les consommateurs d’hébergement à choisir le logement collaboratif.

 

  • A partir de ces éléments de motivation, en demander les avis des clients de l’hôtellerie traditionnelle, de manière à juger si ces éléments pourraient être considérés comme des avantages concurrentiels effectifs du logement collaboratif. 

 

Dans un premier temps, il importe d’identifier les principaux éléments pouvant constituer des avantages concurrentiels pour le logement collaboratif face à l’hôtellerie traditionnelle. Dans ce sens, les informations sur les différentes plateformes considérées ou se considérant comme faisant partie du logement collaboratif constituent des ressources intéressantes. La question de représentativité importe peu car il s’agit nécessairement de recueillir les éléments de motivation. La consultation d’une vingtaine de plateforme (Airbnb, HomeExchange, CouchSurfing, …) et une dizaine de forums de discussion sur le logement collaboratif a permis alors d’identifier un certain nombre d’items pouvant constituer d’éléments de motivation dans le choix de ce type d’hébergement temporaire.

 

Plus exhaustivement, ces items concernent (l’ordre est aléatoire) :

 

  • Une offre et des prix très diversifiés devant alors permettre une optimisation entre qualité et dépense d’hébergement temporaire : large choix, prix diversifiés, prix préférentiels (voire de la gratuité dans certains cas, tels qu’avec les systèmes d’accumulation de points comme monnaie alternative).

 

  • Des informations riches de la part des acteurs de l’offre, dont sur internet et sur les réseaux sociaux : ce sont des informations venant aussi bien des hôtes (qui ont intérêt à enrichir leurs présentations pour attirer les internautes) que des plateformes (qui offrent souvent leurs prestations afin d’accroitre la visibilité des annonces : recours à des photographes professionnels, la « mise à niveau » des appartements, de l’assurance et/ou garantie, assistance, …

 

  • Des communautés d’utilisateurs qui partagent des informations sur leurs expériences (constituant une sorte de cautionnement ou garantie sur la qualité de l’hébergement offerts par les hôtes et les services fournis par les opérateurs intermédiaires). Ces communautés améliorent également le pouvoir de négociation des consommateurs face à l’offre de logement temporaire, ce qui peut jouer sur la qualité et les prix de l’hébergement et des services annexes.

 

  • La confiance entre des inconnus, ce qui est possible grâce aux plateformes qui se portent souvent caution.

 

  • Niveau de personnalisation de l’hébergement (et de l’expérience lié à cela) relativement élevé, à travers un catalogue très étendu proposé par plusieurs opérateurs.

 

  • L’authenticité, le local et l’échange culturel, c’est-à-dire une possible totale immersion culturelle, répondant alors favorablement aux besoins d’expérience unique et d’aventure de la part des consommateurs.

 

  • Une alternative aux systèmes existants, un argument à caractère idéologique qui émane surtout des militants anticapitalistes et ou en faveur des initiatives citoyennes (par opposition à une recherche de profit financier par une firme).

 

  • Une forme d’altruisme, favorisant le partage et l’échange, surtout pour des perspectives non monétaires.

 

  • Optimisation de la consommation dans le cadre de la consommation responsable (économie circulaire, économie fonctionnelle), notamment avec une idée de préservation de l’environnement.

 

Dans un deuxième temps, des entretiens individuels semi-directifs ont été réalisés auprès de quelques clients de l’hôtellerie traditionnelle. Il s’agit de confronter ces avis des opérateurs et des consommateurs du logement collaboratif à ceux des consommateurs de l’hôtellerie traditionnelle. Dans l’espoir de recueillir plus d’idée et de réponses, les interviewers ont été choisis de la manière la plus diversifiée possible, surtout au regard des types d’hôtels auxquels ils ont l’habitude de fréquenter.

 

Voici la répartition des interviewés :

 

Prénom Profession ou secteur d’activités Tranche d’âge Classification de l’hôtel habituellement fréquenté Type de logement collaboratif déjà expérimenté
Gilles Cadre [35 – 50[ 4 et 5 étoiles Aucun
Marie Libérale [35 – 50[ Non classé Location d’appartement
Gérard Cadre 60 et plus 4 étoiles Haut de gamme
Muriel Commercial Moins de 35 1 et 2 étoile Aventure
Julie Etudiante Moins de 35 3 étoiles Camping
Bill Chef d’entreprise [35 – 50[ 5 étoiles Aucun
Jean Primaire 60 et plus Non classé Aucun

 

Cette répartition montre la diversité quant aux profils des interviewés, ce qui devrait alors favorisé également la diversité au niveau des opinions (un enrichissement des informations recueillies). Il est impossible de se permettre un a priori de jugement sur une éventuelle relation entre habitude de consommation dans l’hôtellerie, le profil du consommateur et le type de logement auquel celui-ci a déjà fait une expérience.

 

Chaque entretien a fait l’objet d’un enregistrement audio (avec le consentement de l’interviewé). Néanmoins, l’anonymat a été une condition imposée même par les interviewés, un anonymat qui concerne également les noms des hôtels et (dans la mesure du possible) ceux des plateformes collaboratives qu’ils ont cités dans le cadre de l’interview. Des extraits des verbatim seront cités dans l’analyse des résultats pour illustrer les propos recueillis.

 

  1. Analyse des résultats

 

Pour mieux apprécier la confrontation d’idées, celles-ci seront analysées de manière sémantique, c’est-à-dire en prenant en compte les différents arguments identifiés comme potentiellement constituant un avantage concurrentiel pour le logement collaboratif. L’étude ne consiste pas systématiquement et/ou nécessairement à une analyse comparative entre les deux types d’offre d’hébergement, mais s’inscrit surtout dans les éventuelles possibilités pour l’hôtellerie traditionnelle de concurrencer efficacement le logement collaboratif (en proposant des offres similaires et/ou susceptibles d’amélioration). Il ne faut pas oublier que, principalement, il s’agit d’appréhender le positionnement concurrentiel du logement collaboratif face à l’hôtellerie traditionnelle.

 

  1. Diversification de l’offre et des prix

 

Sur ce point, l’hôtellerie traditionnelle semble être « submergée » et « attaquée » dans tous les domaines par le logement collaboratif :

 

  • Le logement collaboratif est présent partout […] Il n’y a pas un seul domaine où le collaboratif est absent. [Marie].

 

  • Un jour, quand j’ai voulu trouvé un hôtel pour mes enfants dans le cadre de leur voyage d’étude, je suis tombé sur un site qui propose pratiquement tous les services auxquels on a l’habitude d’attendre d’un hôtel […] Par curiosité, j’ai poussé un peu mes recherches sur d’autres sites, et là, je me suis rendu compte que c’est peut-être l’avenir du secteur hôtelier. [Gérard].

 

  • Je pense que le collaboratif est comparable à l’hôtel. C’est surtout le nom qui change, mais en fait, ça revient au même. [Muriel]

 

Au niveau de l’offre, les clients de l’hôtellerie traditionnelle ont aussi pris conscience de la présence du collaboratif dans « tous les fronts ». Sans encore aborder les caractéristiques de l’offre de logement collaboratif par rapport à celle de l’hôtellerie, une chose au moins certaine est : les consommateurs sont pratiquement tous informés qu’ils pourraient trouver les mêmes types de services que proposent les hôteliers chez les opérateurs du collaboratif. Il est alors possible de dire que ces derniers disposent d’un minimum de notoriété (dans le sens de la connaissance d’une marque ou d’une offre) pour affronter la concurrence avec les hôteliers traditionnels.

 

Concernant le prix, cette diversité est moins prononcée chez les interviewés. Il apparait une certaine indifférence sur cette question de prix pour les types de clientèle haut de gamme :

 

  • C’est vrai, il y en a pour tous les prix chez les collaboratifs […] Mais, c’est aussi au prix de la qualité. [Gilles].

 

  • Je ne sais pas. C’est probablement moins cher pour attirer les clients, sinon, on ira à l’hôtel. [Bill].

 

  • Il y a des prix préférentiels, mais c’est surtout pour les aventuriers. On n’est pas à l’abri des mauvaises surprises avec ces prix-là. [Gérard]

 

Les clients de l’hôtellerie considèrent en quelque sorte les prix comme un indicateur du niveau de qualité. En d’autres mots, la qualité est proportionnelle au prix : ce qui pourrait insinuer que l’hébergement « à petit prix » proposé par certains opérateurs du collaboratif sont d’une qualité inférieure à celle des hôtels traditionnels.

 

En somme : la question de la diversité de l’offre présente le logement collaboratif comme un substitut pour l’hôtellerie traditionnelle. Quant au sujet du prix, il apparait que les clients des hôteliers le présentent même comme une sorte de point faible du logement collaboratif.

 

  1. Informations riches sur internet et sur les réseaux sociaux

 

Cet item semble être un point fort qui avantage jusque-là le logement collaboratif par rapport à l’hôtellerie traditionnelle.

 

  • Il faut dire que c’est un point fort de l’économie collaborative. Le couchsurfing est même né dans le web. [Julie].

 

  • Je crois que tout le monde utilise actuellement internet. C’est sûr que le collaboratif a tout compris que la préparation du voyage se fait toujours en ligne. [Marie].

 

  • Voyez vous-même sur le site d’Airbnb, c’est plein de photos, et il dépense beaucoup de temps et d’argents pour soigner son image […] Les hôtels sont beaucoup en retard, certains ne prennent même pas la tête pour alimenter leurs sites et négligent de passer par les réseaux sociaux. [Marie]

 

Les clients des hôtels traditionnels ont compris qu’internet et les réseaux sociaux constituent un terrain fertile pour le développement du logement collaboratif. L’hôtellerie traditionnelle aurait alors encore beaucoup à apprendre de ce dernier sur ce point. Néanmoins, du fait du caractère « imitable » de ce point fort du logement collaboratif (en ce qui concerne l’abondance d’informations sur internet et sur les réseaux sociaux), il ne peut pas être considéré comme un avantage concurrentiel surtout qu’il s’agit d’un élément ne nécessitant pas d’investissement hors de portée des opérateurs hôteliers.

 

  1. Les communautés d’utilisateurs du logement collaboratif

 

Sur ce sujet, les clients des hôtels traditionnels y voient un créneau très difficilement exploitable pour les hôteliers :

 

  • Les entreprises qui opèrent sur le collaboratif s’appuient sur le communautaire pour vendre plus. Il suffit pour elles de créer des évènements et le tour est joué ! C’est quelque chose difficilement accessible pour les hôtels. [Jean].

 

  • Le online peut être imité par les hôtels, mais faut-il admettre que c’est toujours le terrain des collaboratifs. Sur le offline, … c’est leur monopole ! [Marie].

 

Il y a presque une unanimité que la capacité des plateformes collaboratives à créer et à développer des communautés d’utilisateurs constitue un avantage concurrentiel conséquent pour elles. C’est une véritable stratégie marketing efficace pour entretenir une relation client, assurant la conquête du marché et la fidélisation de la clientèle. Bien que c’est difficile pour les hôteliers d’imiter cet avantage stratégique, ce n’est pourtant pas impossible (par exemple : en optant pour un regroupement dans le secteur, en développant aussi un partenariat avec les créateurs d’évènements, et même avec les opérateurs du collaboratifs) : cet avantage concurrentiel reste alors relatif et temporaire pour le logement collaboratif.

 

  1. La confiance

 

Les avis des clients de l’hôtellerie traditionnelle restent mitigés concernant la question de confiance :

 

  • Il n’y a pas meilleur que l’hôtel quand il s’agit de confiance, de sécurité. Il y a tellement de dérives sur ces plateformes collaboratives. [Bill].

 

  • Dernièrement, j’étais invité par un ami, et nous avons eu une excellente expérience dans les prestations d’un opérateur de collaboratif sérieux. Il nous a même proposé une garantie. C’est cher mais … [Gérard].

 

  • Je crois que le collaboratif se rapproche progressivement de l’hôtel en matière de sécurité, surtout avec les nouvelles dispositions réglementaires dans le numérique pour protéger le consommateur. [Julie].

 

Les incidents associés à des pratiques non-contrôlées du logement collaboratif sont toujours présents à l’esprit du public, nourrissant alors la méfiance. Mais, les progrès faits pour sécuriser davantage le consommateur sont également connus et commencent à influencer les clients des hôteliers. L’hôtellerie traditionnelle ne peut plus prétendre qu’elle est la seule à même d’offrir la sécurité recherchée du consommateur. D’ailleurs, la disposition des plateformes collaboratives de nombreuses communautés d’utilisateurs est un élément conséquent de confiance en faveur de celles-ci.

 

  1. Niveau de personnalisation de l’hébergement

 

La mise à disposition des utilisateurs d’un catalogue très étendu est un fort argument pour la personnalisation en faveur du logement collaboratif :

 

  • Ça reste un point perfectible pour l’hôtellerie. Tout est standard. C’est un peu la règlementation et les normes qui en sont les responsables. L’investissement requis est énorme. [Gilles].

 

  • Il suffit de se rendre sur l’une de ces plateformes et vous verrez ! Le niveau de personnalisation est tellement élevé que vous pouvez être très exigeant dans votre choix. Moi-même, j’ai simulé la commande d’une chambre avec un piano, deux lits superposés et un manoir … Et ils l’on trouvé ! [Jean].

 

C’est probablement le caractère « collaboratif » et « participatif » même des offres qui les a conféré un tel avantage. Le nombre d’opérateurs et d’hôtes ne cessent de croitre avec le nombre d’utilisateurs. C’est bien plus facile de servir de manière collaborative que d’essayer de le faire seul. Devant la demande devenant de plus en plus exigeante et de moins en moins rationnelle, la question de personnalisation constitue d’emblée un avantage concurrentiel pour le logement collaboratif (à moins que les hôteliers ne réagissent en conséquence en se regroupant ou en nouant des partenariats avec d’autres acteurs du monde collaboratif).

 

  1. L’authenticité, le local et l’échange culturel

 

Il apparait que les consommateurs sont en quête d’authenticité : ils veulent plus que des solutions standardisées et banales.

 

  • C’est ce que je recherche toujours en voyageant : l’authentique. Je veux me plonger au cœur du terroir. [Gilles].

 

  • Tout le monde trouve toujours du plaisir dans des histoires insolites. L’hôtel peut vous offrir un coin pour dormir, à manger, à boire, … sauf celles-là. Tout au plus, il vous tend une carte aux couleurs locales au resto. [Muriel].

 

  • Il y a toute une différence dans la convivialité d’une réceptionniste et celle de la population locale. C’est l’arme privilégiée du collaboratif. [Julie].

 

  • Ça va sûrement grossir le budget mais l’hôtellerie a intérêt à s’y mettre. [Bill].

 

  • Les gens qui travaillent à l’hôtel sont sympas. Mais, chez Airbnb, on parle d’amitié, de rencontre, de retrouvaille, … [Marie].

 

Les besoins des clients de l’hôtellerie ont évolués : c’est probablement une tendance universelle. Il est clair qu’il est plus facile pour le monde collaboratif d’intégrer des éléments tels que l’authenticité, le local et le culturel, bien plus que les opérateurs hôteliers. Ces derniers ne devraient donc pas sous-estimer cette mutation dans les attentes de leurs consommateurs puisque le risque d’attrition (départ des clients vers les concurrents, dont ceux du collaboratif) est réel.

 

La notion de convivialité est très entretenue dans les maisons d’hôtes de l’hôtellerie traditionnelle. Mais, le logement collaboratif a su le développer pour l’associer à des valeurs auxquelles l’hôtellerie traditionnelle aurait un accès non aisé.

 

  1. Une alternative aux systèmes existants

 

Ce sujet est d’une subjectivité un peu « trop » poussé qu’il rend les clients des hôtels relativement indifférents (vis-à-vis de ce sujet) :

 

  • C’est de la pure idéologie. [Gilles].

 

  • Ce sont surtout des modèles capitalistes qui se développent dans le collaboratif. Voyez les exemples d’Airbnb, de couchsurfing, … C’est même pas une solution alternative comme on dit. [Bill].

 

  • Peut-être. Mais au final, ces plateformes collaboratives deviendront aussi des hôtels d’un autre type. [Jean]

 

Le caractère alternatif souvent associé au logement collaboratif ne constitue pas un argument positif fort auprès des clients de l’hôtellerie traditionnelle. Il est même possible qu’un accent mis sur cet élément risque d’influer négativement sur l’hébergement collaboratif du fait de certains modèles devenus très capitalistes.

 

  1. Une forme d’altruisme

 

Ceux qui n’ont pas encore expérimenté la gratuité dans le logement collaboratif ne perçoivent pas systématiquement le sens du mot altruisme en matière d’hébergement :

 

  • L’altruisme… Certes lorsqu’il s’agit d’aventure. C’est très instructif. [Muriel].

 

  • Ça passe probablement au second plan. Quand vous cherchez un hébergement via Airbnb, vous pensez d’abord à vous-même, à votre bénéfice, à votre sécurité, à ce que les autres peuvent vous offrir. [Gérard].

 

Il apparait que le monde de l’hôtellerie traditionnelle a peu de connaissance concernant l’altruisme. Ce qui fait que cet argument semble être non conséquent pour convaincre les clients de ce secteur à rejoindre le monde collaboratif.

 

  1. Optimisation de la consommation (consommation responsable)

 

L’influence de l’économie circulaire et de l’économie fonctionnelle existe mais encore très nuancée suivant les représentations qu’on les sujets de ces formes d’économie :

 

  • C’est vrai, plus vous partagez votre logement, plus vos invités consomment moins. [Julie].

 

  • Tout le monde est d’accord avec cette idée. Mais, en pratique, c’est tout à fait autre chose. [Jean].

 

Certes, il y a une réelle prise de conscience du public concernant l’intérêt de l’optimisation de la consommation. Mais, toujours est-il qu’il faut pouvoir expérimenter de manière substantielle les bénéfices d’une telle optimisation pour l’intégrer dans les habitudes de consommation des individus. C’est probablement à cause des intenses sensibilisations dans ce sens dans le monde du collaboratif que l’optimisation de la consommation y est un argument fort. Ce qui n’est pas nécessairement le cas en dehors de ce cercle collaboratif (comme chez les clients de l’hôtellerie traditionnelle où le concept d’économie circulaire et économie d’usage est probablement moins développée, voire inhibée : l’important pour les opérateurs est souvent de faire consommer plus).

 

En somme, parmi les arguments analysés, sont susceptibles de constituer un avantage concurrentiel pour le logement collaboratif (face à l’hôtellerie traditionnelle) les éléments suivants :

 

  • La diversité de l’offre à travers un large catalogue proposé au consommateur.

 

  • L’existence et le développement de communautés d’utilisateurs favorisant le partage d’informations et d’expériences (dans le cadre de l’économie de réseau : plus il y a d’utilisateurs, plus cela attire de nouveaux adhérents).

 

  • Le degré de personnalisation élevé de l’hébergement proposé dans le logement collaboratif (du fait de l’abondance de l’offre grâce au concept même de « collaboration »).

 

  • Les notions d’authenticité, du local et de l’échange culturel qui confère aux utilisateurs une expérience unique répondant à leurs exigences.

 

Au regard de ces éléments, le logement collaboratif pourrait apparaitre comme une menace pour l’hôtellerie traditionnelle. Tout de même, il est possible pour cette dernière de réagir à cette situation à travers des actions qui pourraient coûter cher mais nécessaires pour faire face à des concurrents émergents. Parmi les actions pouvant être entreprises par les hôteliers, on peut citer le partenariat avec les opérateurs du collaboratif même. Dans ce cas, le logement collaboratif pourrait être vu comme une opportunité (plutôt qu’une menace) à saisir pour l’hôtellerie traditionnelle.

 

Conclusion

 

Le « logement collaboratif », un concept d’hébergement temporaire, pris comme une alternative à l’hôtellerie traditionnelle, est un composant très actif de l’économie collaborative. Le contour flou de cette dernière influe alors sur la définition de ce concept, impliquant donc une difficulté dans la délimitation du périmètre du logement collaboratif. Le caractère « particulier à particulier » (peer to peer) de certains modèles dans ce domaine tend ainsi à disparaitre du fait d’une implication de plus en plus forte des intermédiaires, c’est-à-dire des plateformes de logement considérées ou se considérant comme collaboratives. Le débat sur ce qui relève (ou ne relève pas) du logement collaboratif dépasse le cadre de la présente étude.

 

En effet, l’important dans ce travail de recherche est d’essayer d’appréhender le positionnement concurrentiel du logement collaboratif par rapport à l’hôtellerie traditionnelle. Il faut dire que, a priori, ce positionnement est complexe :

 

  • D’abord, le secteur hôtelier en général prend certains des géants du logement collaboratif (comme Airbnb) à la fois comme nouveaux entrants du secteur et un produit de substitution à l’hôtellerie traditionnelle. En d’autres mots, le logement collaboratif serait une menace pour le développement des activités hôtelières traditionnelles.

 

  • Mais, il y a aussi d’autres observateurs, voire des opérateurs hôteliers qui considèrent ce nouvel arrivant comme une opportunité pour le secteur, apportant des innovations et des leçons que l’hôtellerie traditionnelle devrait apprendre pour son développement.

 

  • Finalement, il existe des opérateurs qui tentent de concilier les deux types d’acteurs de l’hébergement temporaire (comme At the corner), impliquant ainsi un partenariat actif entre le logement collaboratif et l’hôtellerie traditionnelle (démontrant que de tel partenariat n’est pas impossible).

 

Les analyses empiriques ont montré qu’il existe des éléments que le logement collaboratif utilise jusque-là comme des avantages concurrentiels par rapport à l’hôtellerie traditionnelle, à savoir : la grande diversité de l’offre, l’existence et le développement de communautés d’utilisateurs favorisant le partage d’informations et d’expériences (entretenant alors la relation client), le fort degré de personnalisation de l’hébergement proposé, et l’accent mis sur les notions d’authenticité, du local et de l’échange culturel (tant recherchées par un profil émergeant de clients de ce secteur). Il existerait alors deux perspectives, deux scénarios envisageables :

 

  • Si les hôteliers privilégient le statu quo, le logement serait alors pour eux un concurrent effectif et constitue une menace réelle pour leur développement. Dans ce cas, il est attendu que le logement collaboratif passerait progressivement des statuts de « nouvel entrant » et de « produit de substitution » vers celui de « concurrent frontal » pour l’hôtellerie traditionnelle.

 

  • Si, au contraire, les hôteliers réagissent en cherchant, soit à imiter les caractéristiques du logement collaboratif, soit à nouer un partenariat durable avec les acteurs du monde collaboratif, l’économie collaborative se présente comme une opportunité de développement de l’hôtellerie traditionnelle.

 

Il faut tout de même reconnaitre certaines limites de la présente recherche, telles que la non-prise en compte des avis des différents acteurs de l’hôtellerie traditionnelle concernant les éléments considérés comme constituant un avantage concurrentiel pour le logement collaboratif (il serait intéressant de connaitre la capacité des opérateurs hôteliers d’intégrer éventuellement ces éléments). Une étude quantitative apparait également nécessaire pour « confirmer » les résultats » de ce travail de recherche. Par ailleurs, une piste de recherche importante semble se dessiner concernant les modalités et la réalisation du deuxième scénario évoqué ci-dessus, c’est-à-dire l’intégration de l’hôtellerie traditionnelle dans l’économie collaborative ou bien dans un partenariat avec des acteurs de cette dernière.

 

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