Mémoire portant sur le cartel d’essence en Estrie-Québec.
LE CARTEL D’ESSENCE EN ESTRIE – QUEBEC
– LES DOMMAGES ENCOURUS PAR LES CONSOMMATEURS ENTRE JANVIER 2002 et JUIN 2006 –
Introduction
Depuis le début du 19ème siècle, de nombreux chercheurs, à savoir des économistes, des commissaires, des historiens ainsi que des juristes ont effectué de nombreux travaux sur l’évaluation des efficacités des cartels. De nombreux critères ont été principalement utilisés pour l’évaluation et des ententes établies entre les entreprises œuvrant dans la vente au détail de l’essence dont la stabilité, l’efficacité et la protection sociale.
Selon les économistes, une augmentation des prix de vente par rapport au prix de référence, que l’on appelle prix-plancher, est appelée une surcharge. Il s’agit principalement d’un transfert de la richesse d’un acteur économique (acheteurs et consommateurs) à un autre acteur économique (membre du cartel). Cet acte se produit suite à un accord collusoire entre deux ou plusieurs membres du deuxième type d’acteur économique. Selon Connor et al. (2004), le taux de surcharge (dommage) est déterminé en faisant la comparaison entre les prix de cartel dans un cadre de concurrence.
Dans ce travail, nous nous proposons de calculer les dommages subis par les consommateurs d’essence en Estrie sur la période allant de Janvier 2002 à Juin 2006. Pour cela, dans une première partie, nous allons cadrer le sujet. Dans une deuxième partie, nous allons donner une revue de littérature du cartel en Estrie. La troisième partie de ce mémoire est consacré à l’étude du cas du cartel d’Estrie sur la période suscitée.
Première partie : Généralités sur le sujet
1- Description du rapport
Ce travail a pour but de faire une étude sur les cartels et d’en mesurer leurs répercussions sur les consommateurs. En général, en présence d’un cartel, on peut observer des imperfections sur le marché lesquelles se traduisent par un surplus du consommateur plus petit, un surplus du producteur plus grand et même une période sèche.
Ce rapport est consacré à l’étude de l’impact d’un cartel sur les consommateurs. Il est important de noter que ce cartel a fixé les prix de vente.
La réalisation de cette étude se base sur le récent démantèlement d’un cartel sur l’essence en Estrie. En se servant des données recueillies, j’essaierai de déterminer l’impact que ce cartel a pu avoir sur les consommateurs d’essence sur la région d’Estrie. Afin de parvenir à ce but, je présenterai plusieurs méthodes pour essayer de calculer l’impact sur les consommateurs. Ce même impact sera ensuite estimé en utilisant une autre méthode.
2- L’industrie de l’essence au Québec
Au Québec, l’industrie de l’essence se divise essentiellement en trois grandes branches :
– la production de l’essence : c’est l’extraction du pétrole, une opération relativement rare au Québec
– la raffinerie et la distribution
– la vente au détail
Au Québec, l’industrie de l’essence est fortement intégrée verticalement. Cela signifie d’une part que, assez fréquemment, les trois branches précédemment énoncées appartiennent à une même compagnie, et d’autre part que les trois branches peuvent être reliées à l’aide de contrats d’exclusivité. C’est essentiellement en raison de cette forte intégration verticale qu’a été causée, en 1996, une guerre de prix de grande ampleur entre les détaillants d’essence. Comme quelques vendeurs puissants se trouvaient sur le marché, ils pouvaient supporter les pertes financières dues au coût réduit sur une période plus ou moins longue. La réduction des prix avait principalement pour but d’éliminer les petits détaillants indépendants sur le marché.
En 1996, un grand nombre de petits détaillants ont été conduits à la faillite. Dans le meilleur des cas, ils se sont associés à une grande bannière. En effet, les grandes entreprises ont un très grand pouvoir sur le marché. Par conséquent, les petits détaillants ont fait face à ce qu’on appelle une concurrence prédatrice.
Afin de faire face et d’essayer de résoudre ce problème, la Régie du Québec a instauré un prix plancher lequel crée une pression à la hausse sur les prix de vente au détail de l’essence.
- a) Les particularités du marché de l’essence au Québec
Il est primordial de prendre en considération quelques facteurs relatifs à l’approvisionnement en pétrole brut et en produits raffinés afin de bien comprendre la dynamique du marché de l’essence au Québec. Comme les prix du pétrole sont en dollars américains sur les marchés internationaux et comme le Canada figure parmi les plus grands producteurs de pétrole, le prix du pétrole est un facteur qui influence le dollar canadien sur le marché des changes. Par conséquent, « par l’effet du taux de change, le prix du pétrole brut ne signifie pas nécessairement une variation équivalente du prix du pétrole brut [1]».
Au Canada, le marché de la vente au détail présente des particularités dans le sens où les détaillants affichent souvent leurs prix sur des grands panneaux et enseignes sur la rue. Comme les vendeurs savent que la plupart des consommateurs sont à la recherche du prix le plus bas, les stations visent toujours à offrir un prix inférieur à celui proposé par la concurrence. C’est particulièrement pour cette raison que les prix disponibles sur le marché sont quasiment identiques. Toutefois, il est important de noter que des prix ou des changements semblables ne sont pas nécessairement le résultat d’un accord commun entre les détaillants.
- b) En quoi consiste mon étude ?
Pour le cas que je vais étudier ici, le cartel est relatif à la fixation des prix de vente de l’essence au détail. Nous nous intéresserons donc particulièrement à la troisième branche, c’est-à-dire la vente au détail de l’essence.
Comme le marché de l’essence au Québec est un marché qui ne dispose quasiment pas de biens différenciés, les consommateurs ont toujours tendance à chercher les vendeurs qui proposent le prix minimal. Ainsi, les détaillants proposent un prix inférieur ou égal à celui de leurs concurrents. Pour cette raison, la mise en évidence de l’existence d’un cartel parait difficile. Il est à préciser que les prix indiqués ne sont pas forcément en raison d’un cartel mais peuvent être dus aux forces du marché. Afin de mettre en évidence un cartel, il est nécessaire de procéder à une enquête. Par ailleurs, des variations peuvent être toujours observées aussi bien en période de cartel ou en d’autres périodes. Toutefois, un petit écart de prix est toujours possible même si le produit brut est le même.
Afin de mettre en évidence l’existence d’un cartel, il s’avère utile d’approfondir les recherches en procédant à une vérification. L’enquête consiste à détecter d’éventuelles conversations entre les commerçants et l’existence d’un changement de prix aux mêmes moments ou encore l’existence d’une marge de profit plus élevée dans une région que dans une autre, cela sur une période de temps bien déterminée. L’enquête peut aussi consister en une mise en évidence d’autres facteurs, par exemple l’intimidation des petits détaillants.
- c) Le prix-plancher (mode de détermination par la Régie de l’énergie)
Au Québec, l’essence est mise en vente à un prix au détail fixé par certaines lois entre autres la loi sur le prix plancher. Il est important de noter que ce dernier a pour effet de parvenir à des distorsions au sein du marché en faveur des détaillants d’essence. Avec la mise en place de ce prix-plancher, il se crée une sorte de pression à la hausse sur les prix de la vente d’essence.
Au Québec, la législation relative aux produits pétroliers a été promulguée au début de l’année 1997 et elle est régie par la Régie de l’énergie au Québec. Le Conseil de l’Energie, suite à une guerre des prix en été 1996, a choisi d’intervenir. En effet, la mise en place du prix plancher a été particulièrement motivée par le désir de freiner, voire anéantir, les techniques prédatrices adoptées par les grandes firmes de vente au détail de l’essence dont Shell, Esso, Ultramar, Petro-Canada et Irving. Il est nécessaire de préciser qu’afin de minimiser la fréquence de ces guerres de prix, le gouvernement s’est lancé dans une politique de protection des détaillants indépendants dans le cadre de la vente au détail de l’essence contre certaines stratégies agressives de prix fixé par les magasins et les grandes chaînes. Le mandat du Conseil se résume en trois points :
- Assurer la surveillance de l’industrie de l’essence et recueillir toutes les informations relatives aux prix
- Déterminer un prix par semaine appelé Minimum Estimated Price (MEP)
- Prévenir la survenance de guerres de prix en instaurant une réglementation minimale de la marge sur un périmètre géographique bien déterminé
Le prix-plancher est donné par la formule suivante :
où wt : prix de gros minimum au Terminal (prix minimal à la rampe de Montréal)
τmt : coût de transport (coût relatif à la livraison de l’essence)
Tmt : somme des taxes fédérales et provinciales, y compris les TPS[2] et TQS
Le MEPmt est calculé et affiché sur le site web du Bureau tous les lundis.
Le rôle du MEP est d’indiquer un prix au-dessous duquel une entreprise est en droit de poursuivre un concurrent pour compensation financière basée sur pratiques commerciales déraisonnables. Si les stations ne parviennent pas à respecter le MEP, le règlement élaboré par le Conseil prévoit la possibilité de mettre en place une marge supplémentaire minimale pour le prix. Ainsi, il est autorisé d’ajouter 0,03$ par litre sur la base de la valeur donnée par le MEP, cela dans une région bien déterminée et suite à une période jugée suffisante pour l’application de prix moins élevé.
La marge minimale correspond à deux buts bien définis :
- établissement d’un prix applicable sur le long terme et au-dessous duquel le Bureau considère que les stations n’arrivent pas à couvrir leurs coûts fixes
- possibilité de compenser indirectement les stations suite à une guerre des prix.
Généralement, la politique s’opère ainsi :
Après la constatation d’un bas prix sur une période plus ou moins longue, un détaillant de carburant a la possibilité de demander à la Commission d’ouvrir une enquête afin de révéler d’éventuelles anomalies de prix. Ensuite, le Conseil se lance sur une consultation formelle des différents acteurs concernés, à savoir les détaillants et les groupes œuvrant pour la protection des consommateurs. En effet, cela est nécessaire afin de pouvoir évaluer la crédibilité des plaintes et accusations. Si la Commission arrive à réunir des preuves suffisantes pour soutenir les plaintes, les détaillants peuvent ajouter une marge maximale de 0,03$ par litre sur le coût du MEP pour une période déterminée et uniquement sur une zone géographique bien définie. Cette marge minimale est relativement proche du coût moyen d’exploitation d’une station en province. D’une manière générale, la zone géographique concernée inclut tous les marchés locaux sur lesquels ont été observées des guerres de prix. De même, la période pendant laquelle la marge minimale est observée est telle qu’elle est proportionnelle à la durée de la guerre des prix. Cette marge minimale a été appliquée trois fois sur deux marchés différents, Saint Jérôme et la ville de Québec. A Saint Jérôme, elle a été observée du mois d’Avril 2002 jusqu’au Février 2003 et ensuite de Décembre 2003 jusqu’au mois de Juin 2005. Dans la ville de Québec, cette marge a été ajoutée sur le MEP de Juillet à Octobre 2001. Sa mise en place a fait suite à une guerre des prix très sévère dans la zone métropolitaine de la ville québécoise au cours de l’automne 2000.
Il est très important de noter que la réglementation relative au prix-plancher peut induire des distorsions très importantes sans qu’il y ait équilibre.
Il n’est pas très simple de comprendre les raisons des fluctuations quotidiennes des prix de l’essence à la pompe. En effet, ces prix sont indiqués par les acteurs d’un marché concurrentiel libre mais tout en tenant toutefois compte du prix plancher. Il est important de noter que plusieurs facteurs, notamment démographiques, économiques, géopolitiques et climatiques ont une influence sur le marché mondial du pétrole brut et sur les produits raffinés.
3- Le cartel
- a) Définition
Un cartel est une convention établie entre deux ou plusieurs entreprises, sociétés ou individus qui travaillent dans un même secteur d’activité. Ces entreprises visent à réduire la concurrence et ont pour but de contrôler le marché en fixant les quantités et les prix. Leur principe consiste à fixer un système de distribution ou à utiliser une autre technique déloyale. Le principal but des différentes parties se mettant d’accord par cartel est d’augmenter leurs profits sur le marché.
Le principal inconvénient d’une telle pratique est la perte subie par les consommateurs. Dans certains cas, il peut même exister une perte de bien-être sèche. Il est utile de préciser que cette entente tacite est une démarche illégale et anti-concurrentielle dans de nombreux pays, entre autres au Canada.
Généralement, un cartel a plus de probabilité de sévir au sein d’un marché oligopolistique que d’un marché concurrentiel. Cela parait évident car pour qu’il y ait cartel, il faut qu’il y ait un réel pouvoir sur le marché oligopolistique en raison de l’existence d’une grande part de marché pour un certain nombre d’entreprises.
- b) Loi canadienne sur le cartel
Même s’il n’y a pas eu de grands litiges relatifs au cartel au Canada au depuis 2010, nous pouvons noter des changements très importants concernant la législation canadienne grâce notamment à la promulgation de déclarations par le Bureau de la concurrence. Par ailleurs, il est important de dire que la loi canadienne relative au cartel a toujours existé depuis bien longtemps mais elle a été particulièrement effacée par des amendements inclus dans la législation fédérale laquelle a été appliquée pour faire face à la crise mondiale. Il n’y avait pas de consultation quant aux modifications apportées. En effet, un tel changement important dans la loi aura un impact potentiellement étendu. De leur côté, les législateurs ne sont pas vraiment sensibles à la critique et le Bureau de la concurrence se déclare satisfait des modifications apportées. Par conséquent, les poursuites pénales peuvent devenir plus faciles.
Depuis le mois de Mars 2010, Canada dispose d’une législation très stricte en matière de cartel. Les amendes maximales pour les conspirations ont augmenté d’un facteur de 2,5 et les peines de prison maximales ont presque triplé.
L’article 2 de la loi sur la concurrence a été particulièrement modifié dans le but de mettre en place une nouvelle section comme suit :
– modification de la loi décrite comme « règle partielle de la raison »
– augmentation de l’amende maximale de 10 à 25 millions de dollars
– augmentation de l’emprisonnement de 5 à 14 ans
– création d’une nouvelle disposition civile pour les collaborations entre les concurrents en vertu de laquelle on a une analyse des arrangements, avec un examen complet de la répercussion sur la concurrence
Il est nécessaire de préciser que le Bureau a engagé des consultations approfondies avec la justice canadienne pour s’assure de son immunité et de sa clémence. Par ailleurs, le Bureau est parfaitement conscient des avantages de l’efficacité du fonctionnement de l’entreprise au Canada.
La nouvelle infraction pénale sur le cartel
Le nouvel article 45 prévoit en partie ce qui suit :
(1) Les complots, les accords ou arrangements entre concurrents
Commet une infraction quiconque qui, avec un concurrent, complote, s’entend ou se concerte en :
– fixant, maintenant, augmentant ou contrôlant le prix de la distribution du produit
– allouant des ventes, des territoires, des clients ou des marchés pour la production ou pour la fourniture du produit
(2) Peine
Quiconque commet une infraction prévue dans (1) est coupable d’un acte criminel et passible d’emprisonnement pour une durée maximale de 14 ans et/ou d’une amende maximale de 25 millions de dollars
(3) Preuve de complot, d’accord ou d’arrangement
Dans une poursuite en vertu de (1), le tribunal peut inférer l’existence d’un complot, d’un accord ou d’un arrangement de preuve circonstancielle, avec ou sans preuve directe de communication établie entre les présumées parties mais pour être plus sûr, l’accord ou l’arrangement doit être prouvé dans le cas où il n’y a pas de doute raisonnable.
(4) Défense
Nul ne peut être déclaré coupable d’une infraction en vertu de (1) à l’égard d’un complot, accord ou arrangement que si la personne établit, selon la prépondérance des probabilités qu’elle est accessoire à une entente plus distincte ou plus large.
Les principes de détermination de la peine pour les infractions sur les cartels au Canada
Le projet de nouveau Bulletin traitant le programme de clémence couvre les principes de détermination de la peine. Cela est assez évident dans la mesure où les demandeurs désirent connaitre la détermination de la peine dans le cadre de son évaluation. En effet, il est toujours nécessaire de connaitre s’il faut s’engager ou non dans le processus de clémence.
Il existe des aspects des aspects de la section sur les peines qui reflètent une approche plus récente laquelle est sans controverse. Au Canada, l’objectif de la peine est, tel qu’il est énoncé dans le Code criminel, de contribuer au maintien d’une société juste et au respect de la loi. La peine doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité de la personne qui commet l’erreur[3]. D’autres déterminations de la peine sont mentionnées dans le Code pénal et référencés dans le projet Bulletin.
Comme il est indiqué par Le Bureau de la concurrence, la notion habituelle d’un préjudice économique du cartel est la « surcharge ». Le préjudice économique possède une dimension quantitative (hausse des prix pour les consommateurs) et une dimension qualitative (étouffement de la concurrence et innovation de l’économie dans son ensemble). En raison de la difficulté pour la quantification du préjudice économique, le Bureau utilise un proxy : le « volume du commerce » en rapport avec les « activités de l’entente » multiplié par un « facteur de trop-perçu ».
Remarques : Le « volume du commerce » est la valeur totale des ventes du produit en question au Canada et au cours du terme de l’infraction. La « surcharge » est la somme d’argent dépensée par les victimes de l’entente au-dessus de ce qu’ils auraient payé s’il n’y a pas eu d’entente.
Le bureau de la concurrence utilise un proxy de 20% comme surcharge applicable dans tous les cas. Elle est appliquée à la pertinence du volume de commerce. Dans le bulletin, il est dit que tout projet de nombreuses études estime que la surcharge est d’environ de 10%. Le projet de bulletin indique que « le Bureau prendra toujours en considération la preuve pertinente et convaincante présenté par accusés qui démontre une surcharge supérieure ou inférieure à 10% du proxy[4] ».
Bref, au Canada, il n’est pas obligatoire de démontrer que les consommateurs ont subi un préjudice pour mettre en évidence l’existence d’un cartel. Il suffit de démontrer qu’une entente tacite existe entre les parties.
- c) Le cartel de fixation de prix
Le cartel de fixation de prix de l’essence fonctionne de la manière énoncée ci-après :
Un gérant de station-service contacte d’autres gérants en vue de conclure avec ceux-ci un arrangement afin d’empêcher qu’il y ait concurrence sur la vente de l’essence à la pompe. Comme exemple, on considère le cas de Sherbrooke entre avril 2005 et mai 2006. « Pendant cette période, le Bureau de la concurrence a établi que le prix de l’essence à la pompe avait été fixé à 16 reprises, et ce, dans des dizaines et des dizaines de stations-services sherbrookoises[5] ».
Quant au fonctionnement du réseau, il s’agit principalement d’un fonctionnement relativement complexe. Denis Pilon explique que « C’est comme une pyramide, a-t-il imagé. En haut, il y a les instigateurs. Ils sont partout au Québec. C’est eux qui discutent du prix de l’essence. Dans chaque marché, il y a les relayeurs. Leur rôle est important. Ils transmettent le message aux stations-services. Et les propriétaires de ces dernières appliquent les directives [6]».
Deuxième partie : Revue de la littérature sur le cartel de l’essence de l’Estrie
1- Le cartel de l’essence en Estrie
Dans cette partie, nous allons étudier de plus près le mode de fonctionnement interne relatif à la vente au détail de l’essence en Estrie. Le cartel ayant sévi dans cette région québécoise a principalement eu lieu entre 2002 et 2006. L’analyse est principalement concentrée dans quatre principales villes : Victoriaville, Sherbrooke, Thetford Mines et Magog. D’après les preuves collectées par le Bureau, la collusion a été faite suite à des conversations téléphoniques entre les détaillants, une opération nettement rudimentaire et très rapide.
1-1- La découverte des cartels
La découverte des cartels a eu lieu suite à la publication d’un article paru le 6 Juin 2004 dans un journal local de Victoriaville, La Nouvelle, dans lequel Christian Goulet, un propriétaire d’une station d’essence, prétendait être victime de harcèlement de la part d’autres propriétaires de stations d’essence lesquels ont fixé un prix. Il est à noter que Goulet a proposé un prix cinq à huit cents moins élevé par litre par rapport à la concurrence, ce qui est considéré comme un écart important car les écarts n’excédaient pas les deux cents par litre, d’où une « guerre des prix ». Quant aux marges moyennes, elles ont fluctué entre cinq et dix cents lors de cette période.
Suite à cette interview de Christian Goulet, le Bureau Canadien a effectué une enquête auprès de Goulet lequel a confirmé ce qu’il a déjà annoncé lors de l’interview mais a refusé de fournir de plus amples détails. Dès lors, le Bureau a entamé une enquête auprès des autres propriétaires de stations d’essence et d’employés de Victoriaville. Ce qu’a dit Goulet lors de l’interview semblait être confirmé par d’autres propriétaires de stations d’essence, à l’instar de Vicky Nolet lequel a même affirmé que la concurrence n’existerait même pas sur le marché de détail de l’essence à Victoriaville. Il semblait que Nolet ne savait pas que le fait de « s’entendre » pour une fixation des prix est illégal. Cependant, le Bureau de la concurrence affirme clairement que les propriétaires des autres stations d’essence sont en connaissance du cadre juridique concernant la fixation des prix ainsi que des risques relatifs à cette pratique. Sur la base de ces informations déjà recueillies, le Bureau de la concurrence a continué de collecter d’autres informations et a procédé à un suivi des prix proposés sur le marché à partir de Septembre 2004 et jusqu’en Janvier 2005. Après analyse des données collectées lors de cette période, le Bureau a décidé de commencer officiellement une enquête sur la collusion présumée dans la vente en détail de l’essence à Victoriaville, Sherbrooke, Magog et Thetford Mines. Le Bureau a ensuite obtenu l’autorisation de la Cour de Québec pour intercepter les conversations téléphoniques privées afin de procéder à une enquête plus poussée quant à l’existence d’une entente présumée entre les propriétaires de stations d’essence. A Victoriaville et Thetford, les écoutes téléphoniques ont duré pendant environ 4 mois tandis qu’à Magog et Sherbrooke, les enquêtes ont perduré jusqu’en Avril 2006.
A la fin de l’enquête en 2010, 14 entreprises et 38 individus ont été inculpés.
1-2- Remarques sur la découverte des cartels
Sur le marché, le prix de l’essence devait être fréquemment ajusté en raison de la volatilité des prix de gros. Par ailleurs, il est également possible d’avoir d’autres mécanismes, par exemple la coordination des différences de prix afin de parvenir à des parts de marchés convenables pour les participants. Le leader du cartel, de son côté, pourrait mettre en œuvre plusieurs transferts. L’utilisation d’une règle de majoration constante basée sur le plancher est possible, les transferts existant aussi bien pendant les périodes de hausse et de baisse de prix.
Nous pouvons noter une asymétrie sur les cycles de prix ainsi que des baisses de prix lesquelles sont à l’origine de retard. Nous présumons que la rareté des transferts est due à l’existence de coordination qui limite encore l’accord de collusion. Lors des périodes de transferts, les leaders de cartel s’assurent que tous les participants suivent le mouvement dès le début de la journée. En effet, comme cette observation dès les premières heures n’est pas toujours possible, certaines stations d’essence tendent à retarder le changement des prix. La mise en place d’un cartel requiert un suivi très pointu ainsi que des plans de communication bien élaborés afin de détecter les éventuelles défaillances, notamment les stations qui ne s’apprêtent pas à appliquer « ce qui a été convenu ». Cette mise en place est également coûteuse en matière de temps, à noter que la communication, si elle est trop ouverte risque d’être interpellée par le Bureau de la concurrence.
L’existence d’un prix plancher constitue un barrage assez important pour la mise en place du cartel en raison cela encourage certaines entreprises à défier le carte. Par ailleurs, le statut d’indépendance de certaines stations complique la tâche de surveillance. Le choix d’une entente de collusion peut être considéré comme un effort instauré pour équilibrer l’action de soutenir la collusion sur un prix relativement élevé ainsi que le coût d’entente entre les différents participants. D’après Blanchard et Fisher[7], le problème de cartel est analogue à la mise en place d’un prix d’ajustement.
2-Le recours collectif sur le cartel de l’essence de l’Estrie et le démantèlement
Vers le mois de Juin de l’année 2005, de nombreux propriétaires de stations d’essence sont devenus de plus en plus préoccupés par les conséquences juridiques des conversations téléphoniques secrètes pour la convention d’une mise en place d’un prix commun de l’essence. Cette hypothèse proviendrait essentiellement de la publication de l’article en 2004 lequel a conduit à une enquête par le Bureau de la concurrence. Deux marques intégrées verticalement, Petro-Canada et Irving, ont envoyé des lettres de mise en garde à leurs exploitants respectifs afin de les prévenir des risques encourus pour les conversations téléphoniques sur les prix de l’essence et de quasiment les interdire d’entamer de pareilles discussions. En Avril 2005 par exemple, le représentant régional d’Irving a discuté de la nouvelle politique avec Couche-Tard, son homologue, lequel a assuré son approvisionnement en ces termes : “Je ne serai probablement pas en mesure de discuter avec nos amis, de la concurrence. […] Je vais changer mon prix et vous déciderez vous-même. Je serai en mesure de parler avec vous, mais pas avec Shell.”[8]. Plus tard, Bourassa, le co-leader du cartel en Sherbrooke et celui de Magog ont annoncé qu’ils ont interrompu toute communication avec les concurrents mis à part Couche-Tard, après avoir mentionné la crainte d’un emprisonnement pour activité de collusion.
A l’exécution des mandats de perquisition en Mai 2006, les accords de collusion ont déjà été instables. Les marges de Thetford Mines et de Victoriaville ont chuté de façon considérable dès l’exécution des mandats de perquisition et les prix sont restés très bas pendant les semaines suivantes. A Sherbrooke et à Magog, les prix n’ont pas baissé aussi rapidement que dans les deux villes précédemment énoncées. Cependant, les marges étaient relativement faibles après le mois d’Août 2006.
Quand les accusés ont été déclarés coupables, ils ont reçu différents types de peines allant des amendes de 5 000 à 2 000 000 de dollars et à des emprisonnements dont la durée est d’environ une année. Certains coupables se sont trouvés dans l’obligation de réaliser des heures de travaux communautaires. Par ailleurs, un juge de la Cour Supérieure québécoise a mis sur pied un recours collectif dont le but a été de dédommager les automobilistes de la région pour les dommages financiers que ces derniers ont subi entre janvier 2002 et juin 2006.
Dans ce travail, nous allons essayer d’estimer les dommages encourus par les consommateurs d’essence de l’Estrie sur la période allant du 1er janvier 2002 au 30 juin 2006.
3-Les différentes méthodes d’évaluation des dommages
Pour l’évaluation des dommages, il est possible d’utiliser principalement quatre techniques lesquelles permettent de comptabiliser les dommages subis par les consommateurs.
3-1- La méthode comparative
Appelée également la technique de comparaison avant-après, la méthode comparative consiste à prendre en considération le prix disponible sur le marché pendant le cartel, le prix avant le cartel et le prix après le cartel. La comparaison se tient entre ces paramètres. Le problème pour l’application de cette méthode est la détermination de l’impact du cartel. En effet, le prix sur le marché lors du cartel peut être influencé par des facteurs autres que la présence seule du cartel. Dans ce cas, il est assez difficile de mettre en exergue l’effet direct du cartel et donc les dommages subis par les consommateurs.
Afin de pallier à cette difficulté, il peut être possible d’utiliser une grande banque de données pour éviter les fluctuations de prix engendrées par les évènements extérieurs. Toutefois, cette méthode ne peut être appliquée que si le cartel ne dure que sur une période suffisamment longue laquelle permet de disposer de cette banque de données.
3-2- La technique de marchés comparables
Cette technique a pour principe d’effectuer une comparaison du prix sur le marché lors d’un cartel au prix d’un marché comparable ou connexe dans le but d’en calculer la différence et le dommage subi. Il s’agit d’une méthode qui procure d’excellents résultats, notamment quand le cartel ne concerne qu’une zone bien déterminée, de préférence locale. Dans ce cas, il est nécessaire de faire une comparaison du prix du marché dans une ville avec le celui d’une ville voisine. Cependant, il est nécessaire de trouver une ville comparable car plusieurs facteurs peuvent influencer le prix au détail. Par ailleurs, il faut que le produit étudié soit fait à partir des mêmes matières premières, cela dans le but de s’assurer qu’il n’existe aucun effet cartel. D’une manière générale, l’idée consiste à comparer les tendances durant les périodes de cartel.
3-3- La méthode des coûts de production
Cette méthode consiste à considérer tous les coûts relatifs à la production d’un bien. Cependant, elle est rarement utilisée car il est difficile de trouver des données véridiques. Pour le cas de l’étude sur l’essence, les coûts de production peuvent être variables d’une région à une autre en raison de plusieurs facteurs. De plus, d’une station à une autre, le prix de l’essence est même variable dû essentiellement aux contrats d’exclusivités que les raffineries établissent avec leurs distributeurs d’essence.
3-4- La méthode économétrique
La méthode économétrique est une technique basée sur la théorie des marchés oligopolistiques et sur la théorie des jeux. Il s’agit d’un modèle d’élaboration de la technique avant-après que nous avons précédemment énoncée.
La méthode économétrique consiste à élaborer un modèle de demande et d’offre dans le but d’effectuer des comparaisons entre les prix d’un marché avec cartel et un autre prix sans cartel.
Plusieurs facteurs peuvent être introduits dans l’utilisation de cette méthode économétrique, ce qui a pour conséquence d’en augmenter le degré de crédibilité. Mais dans ce mémoire, il est très compliqué de faire une dérivation d’une formule d’offre. En effet, les prix de la matière première, c’est-à-dire le pétrole, sont très variables d’un distributeur à un autre et pour des raisons multiples.
Les quatre méthodes présentées ci-dessus sont celles qui devraient être appliquées afin de faire une évaluation des dommages subis par les consommateurs. Cependant, dans ce travail, elles ne peuvent pas être appliquées en raison de l’indisponibilité de certaines donnes, par exemple les données sur les périodes avant et après le cartel, ce qui rend impossible l’application de la méthode comparative et la méthode des marchés comparables. Par ailleurs, on ne dispose pas de coûts véridiques pour appliquer la méthode des coûts de production. La méthode économétrique ne peut pas être appliquée vu qu’on n’est pas en présence d’un marché oligopolistique.
Nous essaierons donc d’utiliser une méthode plus simple que nous décrirons dans la troisième partie de ce travail.
4- Notions théoriques de base en microéconomie
3-1- La demande et l’offre
Afin de mieux décrire le marché de la vente en détail de l’essence et d’étudier les différents changements observables suites aux chocs, il s’avère utile de bien comprendre la demande et l’offre qui correspondent à ce marché. Il est à noter que les consommateurs d’essence et les automobilistes correspondent à la demande d’essence. Ces consommateurs notent parfaitement les prix de l’essence de manière parfaite car ceux-ci sont affichés au bord des routes sur des grands panneaux. Par conséquent, ils ont la possibilité de choisir l’offre qui leur convient le mieux vu qu’ils sont en connaissance de cause. Par ailleurs, d’après Clark et Houde (2011), il est nécessaire de préciser que le la différence essentielle au niveau du marché ne concerne pas le type d’essence mais plutôt les habitudes des consommateurs et la situation géographique. En effet, le seul critère de choix pour l’achat n’est que le prix.
L’essence est un produit caractérisé par une faible élasticité-prix. Cela signifie que la variation de prix n’a pas beaucoup d’influence sur la quantité consommée. De ce fait, quand le prix augmente, les consommateurs moyens ne consommeront pas moins d’essence.
En résumé, avec la vente au détail de l’essence, on est en présence d’une demande faiblement élastique face au prix. Cependant, les consommateurs feront leur choix parmi les détaillants présents sur le marché afin de profiter du meilleur prix, à noter qu’ils disposent d’une information parfaite (information par l’affichage des prix).
3-2-La particularité des marchés de l’essence
L’emplacement des stations-services est tel qu’un amas s’installant généralement à des coins stratégiques. Cela laisse penser qu’on est en présence d’un marché concurrentiel parfait. Compte tenu de cela, la demande devrait être sensible par rapport au prix car si un détaillant propose un prix inférieur à celui existant sur le marché, sa part de marché devra augmente de façon notable. Mais comme les prix sont faciles à lire, l’écart de prix entre deux détaillants devrait être remédié. Cette situation devrait normalement aboutir à une guerre de prix. Dans cette situation, les firmes les moins compétitives sont écartées par les firmes plus puissantes. Afin de remédier à la réapparition de cette guerre de prix, apparue en 1996, le Conseil en Energie a mis en place un prix-plancher.
3-3-Situation favorisant la collusion
Compte tenu de la méthode d’affichage de prix facilitant la communication de prix aux consommateurs, l’existence d’un prix-plancher ainsi que la faible élasticité du prix par rapport à la demande, les entreprises œuvrant dans la vente au détail de l’essence sont facilement incitées à faire une collusion entre eux. Cependant, le fait de démontrer qu’il y a présence de cartel par les autorités est assez difficile, compte tenu de ce contexte.
Remarques : Concernant l’offre, elle est beaucoup plus complexe à décrire. En effet, il est très compliqué d’estimer la courbe de l’offre étant donné le fait qu’il est complexe de mentionner les véritables coûts appliqués par les détaillants. Il est important de noter que ces coûts sont fonction de nombreux facteurs lesquels peuvent varier d’une compagnie à une autre, voire d’un détaillant à un autre.
Afin de faciliter l’étude, nous choisissons de prendre le prix plancher comme comparatif et vu aussi que celui-ci inclut déjà les coûts moyens que doivent supporter les entreprises.
Troisième partie : Etude du cas du cartel d’essence en Estrie
Le but de ce travail est d’essayer d’estimer les dommages subis par les consommateurs lors du cartel en Estrie. Pour cela, nous essaierons de calculer le dommage financier subi par les consommateurs d’essence de la région.
1- Les facteurs influençant le prix de la vente d’essence au détail
Afin de pouvoir utiliser la méthode comparative pour l’évaluation du dommage, il s’avère utile de préciser qu’il existe des facteurs qui influencent le prix de la vente en détail de l’essence, entre autres :
– le coût de l’essence en tant que tel : le coût est quasiment le même (le coût est le principal facteur)
– le coût du transport : pouvant être isolé en comparant des prix d’une même région.
– le niveau de concurrence : il peut constituer un autre facteur, notamment dans le cas où on a un amas de stations-services
– l’agglomération : c’est n facteur très important, vu que dans certaines régions, le prix est relativement élevé par rapport à celui dans d’autres régions. Par exemple, à Montréal, le prix proposé est à 10 cents de plus que celui dans les autres régions telles que le Saguenay.
2- Description du calcul des dommages subis par les consommateurs en Estrie
Pour le calcul des dommages subis par les consommateurs d’essence en Estrie, il est donc nécessaire de calculer la différence entre le prix que les consommateurs ont payé et celui qui aurait dû exister. En effet, on considère que le prix de cartel est celui qui est fixé par les vendeurs et qui comprend une marge bénéficiaire trop élevée.
Dans les notions théoriques en microéconomie (demande et offre), il est possible de :
– estimer les fonctions de demande et d’offre
– établir le prix-plancher
– déterminer le prix de cartel
– calculer le dommage subi par les consommateurs (en se référant au prix qu’ils auraient dû payer).
Dans la réalité, il est compliqué de faire une détermination, du moins une estimation, de la courbe de demande et d’offre.
Concernant la courbe d’offre, il est difficile de calculer le prix de l’essence au brut, vu que les données en question sont quasiment introuvables car le prix brut de l’essence est variable d’un détaillant à un autre. La fixation du coût est fonction de son niveau d’intégration ainsi que du contrat de fourniture. Il faut préciser que, dans la plupart des cas, les détaillants ont recours à des contrats d’exclusivité avec une grande chaîne dans le but de se procurer de l’essence brute. Cela explique sans doute la différence du prix de l’essence brute pour chaque station : variation en fonction du contrat d’exclusivité, de la bannière, du mode de paiement etc.
Dans les données que nous allons utiliser, le prix de l’essence à la rampe est déterminée de façon très approximative.
Concernant la courbe de la demande dans laquelle on a une très forte inélasticité, le calcul est également très compliqué.
Compte tenu de la difficulté de l’application des théories microéconomiques dans notre mémoire, nous allons tenter d’utiliser une autre méthode et nous allons faire une comparaison des résultats trouvés à ceux qui sont disponibles dans la littérature.
3- Choix de la méthode à utiliser
Pour la détermination du dommage causé par le cartel sur les consommateurs, nous allons effectuer une comparaison de l’écart entre le prix de vente et le prix-plancher estimé. La comparaison concernera la ville de Sherbrooke et d’Estrie avec les autres régions administratives et les autres grandes villes québécoises.
Nous ferons également une comparaison de l’historique de l’évolution de l’écart en question pour Estrie et Sherbrooke pendant la période d’avant et d’après le cartel avec la période pendant le cartel.
Dans ce travail, les dommages encourus par les consommateurs d’essence sont évalués par année, depuis le mois de Janvier 2002 au mois de Juin 2006. Pour chaque année, l’évaluation est effectuée tous les trimestres.
Les données consignées sur les graphes ont été calculées à partir des données présentées en Annexes[9]. Ces valeurs ont été obtenues en faisant la moyenne des prix donnés par mois.
Pour l’évaluation des dommages encourus par les consommateurs d’essence en Estrie (correspondant à Sherbrooke), nous allons faire une estimation par rapport à Montréal. Les villes de Chicoutimi, Gaspé et Québec feront l’objet de comparaison.
3-1- Evaluation des dommages encourus par les consommateurs d’essence en 2002
Au cours de l’année 2002, les dommages encourus par les consommateurs d’essence en Estrie s’élèvent à 78,6$ par litre d’essence vendu. Il est donc nécessaire de multiplier cette valeur par le volume total d’essence venu afin de trouver la valeur des dommages encourus en dollars.
Les représentations graphiques montrent que les dommages les plus élevés concernent principalement Chicoutimi.
3-2- Evaluation des dommages encourus par les consommateurs de l’essence en 2003
Pendant l’année 2003, les dommages encourus par les consommateurs d’essence en Estrie sont évalués à 81,2$. C’est au mois de Mai que le dommage est le plus élevé : 7,3$. Toutefois, on constate que les dommages subis sont moins élevés par rapport à ceux subis par les consommateurs de Chicoutimi, Gaspé et, pour quelques valeurs, Québec.
3-3- Evaluation des dommages encourus par les consommateurs de l’essence en 2004
Au cours de l’année 2004, les dommages subis par les consommateurs d’essence en Estrie s’élèvent à 66,3$ par litre d’essence vendu. Cette valeur n’est qu’approximative, vu qu’on ne dispose pas des valeurs en Juillet et Août 2004. Les dommages les plus élevés sont notés en Juin. Lors de cette année, on remarque toujours que c’est à Chicoutimi que les dommages encourus sont les plus élevés.
3-4- Evaluation des dommages encourus par les consommateurs de l’essence en 2005
Au cours de l’année 2005, les dommages subis par les consommateurs d’essence en Estrie sont de 77,7$ par litre d’essence vendu. Nous pouvons remarquer que les dommages les plus élevés concernent le mois de Janvier, avec une valeur de 7,8$ par litre.
3-5- Evaluation des dommages encourus par les consommateurs de l’essence en 2006
Du mois de Janvier au mois de Juin 2006, les dommages subis par les consommateurs d’essence en Estrie sont de 45,1$ par litre d’essence. Nous pouvons ici remarquer que c’est au mois de Mars que le dommage est le plus élevé, avec une valeur de 8,7$.
Conclusion sur l’évaluation des dommages
Afin de bien déterminer les dommages subis par les consommateurs d’essence en Estrie pour la période de notre étude, c’est-à-dire de Janvier 2002 à Juin 2006, nous allons présenter sur le graphe suivant les montants des dommages subis par année et nous donnerons également la valeur moyenne.
Figure 19 : Dommages encourus, Janvier 2002 à Juin 2006
Pour la période allant de Janvier 2002 en Juin 2006, le montant total des dommages subis par les consommateurs d’essence en Estrie s’élèvent à 348,9$ par litre d’essence, ce qui représente un montant élevé. Le montant total des dommages encourus est déterminé en multipliant cette valeur par le volume de l’essence vendu.
Sur cette représentation graphique, nous pouvons lire que la valeur moyenne annuelle des dommages s’élève à 69,9$ par litre. C’est uniquement en 2004 que les dommages subis se situent au-dessous de la moyenne. En 2006, nous ne pouvons pas dire que les dommages subis par les consommateurs sont faibles, vu que notre étude ne concerne que le premier semestre de 2006.
4- Les Limites de l’étude
Cette étude m’a permis, grâce à une méthode simple, de calculer les dommages subis par les consommateurs d’essence en Estrie. Cependant, elle présente des limites que sont :
- a) Les données exploitées dans ce travail sont le prix moyen pour une ville. Ainsi, il est compliqué de déterminer l’impact du cartel sur le prix de toute la ville. Cependant, pour faire preuve du cartel, il est nécessaire de disposer d’un nombre suffisant de marchands.
- b) Le prix est mentionné à un moment précis de la journée. De plus, le prix n’est prélevé qu’à un intervalle de 7 jours avec éventuellement une nuance lors des périodes de fêtes. Il nous est possible d’avancer qu’il peut exister d’importantes fluctuations en fin de semaine, ce qui pourrait conduire à un certain biais pour les données. Par ailleurs, les stations appliquant le cartel pourraient donc augmenter les prix pendant les périodes où on n’a pas de collecte de données. Vu aussi que la fixation du cartel se faisait par téléphone, il est facile de fixer le prix rapidement.
- c) Les données disponibles ne concernent que celles de la ville de Sherbrooke. En effet, le recours collectif a rendu plus difficile le recueil des données.
- d) Selon le recours collectif, la Cour souhaite dédommager tous les consommateurs d’essence lors de la période allant de Janvier 2002 à Juin 2006. Cependant, il n’est pas fait mention expresse qu’à chaque fois que le consommateur a acheté de l’essence, il aurait subi un préjudice. De plus, il y a des consommateurs qui n’ont pas acheté auprès des stations concernés par le cartel.
Conclusion
Ce travail est consacré à la détermination des dommages subis par les consommateurs d’essence en Estrie pour la période allant de Janvier 2002 à Juin 2006. Les données recueillies sur les sites officiels donnant les prix de l’essence au Canada nous ont permis de procéder à une évaluation des dommages. Cependant, les résultats que nous avons présentés dans ce mémoire ne reflètent pas vraiment la réalité, à noter que les données exploitées demeurent insuffisantes pour établir une étude plus précise. Toutefois, dans ce travail, nous avons pu utiliser une méthode plus facile afin de faire une estimation lors de la période étudiée.
ANNEXES
Document 1 : « Le Bureau de la concurrence découvre un cartel sur l’essence au Québec »
Précis d’informations, le 12 Juin 2008
Source : Bureau de la concurrence,
Document disponible sur le site www.bureaudelaconcurrence.gc.ca
L’enquête
Dans le cadre de sa surveillance active des marchés canadiens de la vente au détail de l’essence, le Bureau de la concurrence a pris connaissance d’allégations de fixation des prix à des stations d’essence à Victoriaville au Québec. Les faits recueillis pendant l’enquête menée à Victoriaville ont permis de découvrir des pistes liées à d’autres marchés locaux au Québec, à savoir ceux de Thetford Mines, Sherbrooke et Magog.
Au cours de son enquête, le Bureau a constaté que des concurrents s’étaient entendus pour fixer le prix auquel l’essence était vendue aux consommateurs. Les faits démontrent que des participants dans les marchés visés ont principalement comploté en se téléphonant pour s’entendre sur le prix de l’essence et sur le moment des augmentations des prix, ce qui est contraire à l’article 45 de la Loi sur la concurrence.
Même si certains des accusés exploitent leurs stations d’essence sous le nom ou la bannière d’une grande société pétrolière, dans ces cas, les exploitants locaux étaient responsables de déterminer le prix final à la pompe.
Un certain nombre d’outils ont servi à mener l’enquête, notamment l’écoute électronique, des perquisitions et le Programme d’immunité du Bureau de la concurrence. À la suite de l’exécution de mandats de perquisition, des sociétés ont approché le Bureau pour offrir leur collaboration à l’enquête. Dans le cadre du Programme d’immunité du Bureau, l’immunité contre les poursuites peut être octroyée par le directeur des poursuites pénales du Canada à la première partie qui divulgue au Bureau de la concurrence une infraction non détectée ou qui fournit des preuves menant au dépôt d’accusations, en autant que la partie collabore à l’enquête du Bureau.
Le Programme d’immunité du Bureau constitue un outil puissant pour inciter les personnes impliquées dans des cartels à se manifester.
Document 2 : « Enquête du Bureau de la concurrence dans le sud-est du Québec »
Source : Pleins Gaz, Partager des idées sur les prix de l’essence et le rendement du carburant
Document disponible sur le site : http://www.pleinsgaz.ca
Le Bureau a annoncé jeudi que des accusations criminelles avaient été portées à la suite d’une enquête sur les pratiques d’établissement des prix de détail de l’essence dans le sud-est du Québec. Bien qu’aucune accusation n’ait été portée contre des employés ou des détaillants de Petro-Canada, ce type d’histoire peut susciter, chez vous et d’autres conducteurs, de nombreuses questions. Je partage donc ici certaines de nos impressions.
Des accusations criminelles ont été portées jeudi contre 13 personnes et 11 entreprises «accusées d’avoir fixé le prix de l’essence à la pompe à Victoriaville, à Thetford Mines, à Magog et à Sherbrooke». Les détails et les noms se trouvent dans le communiqué de presse. Bien que Petro-Canada ne soit pas visée, nous prenons la chose très au sérieux.
Nous appuyons et respectons les lois canadiennes sur la concurrence et nous approuvons les actions du Bureau, qui indiqueront clairement que les infractions ne seront pas tolérées. Comme l’a déclaré hier Sheridan Scott du Bureau : «La fixation de prix prive les consommateurs des avantages d’un marché concurrentiel, par exemple un prix plus bas.»
À Petro-Canada, nous adoptons une approche large pour nous assurer que les personnes travaillant dans les ventes au détail comprennent et respectent toutes les lois en vigueur :
- Nos contrats de vente au détail stipulent que tous les détaillants doivent se conformer à toutes les lois en vigueur.
- Nous organisons régulièrement des ateliers de formation obligatoire pour toutes les personnes participant directement à nos activités de vente au détail.
- Nous envoyons régulièrement des rappels à tous les détaillants pour s’assurer qu’ils comprennent et respectent toutes les lois en vigueur.
- Et nous avons un Code des pratiques commerciales que tous les employés de Petro-Canada doivent lire et respecter. Les employés doivent en outre passer le code en revue régulièrement.
Document 3 : Les données servant pour l’évaluation des dommages encourus lors du cartel de l’essence entre Janvier 2002 et Juin 2006
Sources : http://www2.nrcan.gc.ca/eneene/sources/pripri/prices_bycity_f.cfm
http://www.regie-energie.qc.ca/energie/petrole_tarifs.php
Les valeurs ci-après ont été déterminées à partir des données disponibles sur les sites suscités. On a fait les moyennes des valeurs pour évaluer la marge de profit mensuel pour chaque ville.
Rappel : La marge de profit est obtenue en soustrayant le prix vendu au prix-plancher.
Bibliographie
Peter Davis, Eliana Garcés. 2010. “Quantitative Techniques for competition and antitrust analysis” p.347-381
Clark, R. et Houde, J-F. 2011. “Collusion with asymmetric retailers: Evidence from a gasoline price-fixing case study of the internal organization of a bidding carte”l. HEC Montreal working paper.
Clark, R., Houde, J-F. et Carranza, JE. 2009. “Price controls and market structure: Evidence from gasoline retail markets”
Connor, John M. And Bolotova, Y. 2005. “Cartel overcharges : survey and meta-analysis”. International Journal of Industrial Organisation 24(6) p.1109-1137.
Connor, John M. 2005. “Price-fixing ovecharges: legal and economic evidence”. Selected Paper, annual meeting of the American Agricultural Economics Association, Providence, Rhode Island, July 26, 2009
Nieberding, James F. 2005. “Estimating overcharges in antitrust cases using a reduced-form approach: methods and issues”. Journal of Applied Economics. Vol IX, No. 2 (Nov 2006), 361-380
Table des figures
Figure 1 : Marges de profit estimé, Janvier 2002-Mars 2002. 13
Figure 2 : Marges de profit estimé, Avril 2002-Juin 2002. 13
Figure 3 : Marges de profit estimé, Juillet 2002-Septembre 2002. 13
Figure 4 : Marges de profit estimé, Octobre 2002-Décembre 2002. 14
Figure 5 : Marges de profit estimé, Janvier 2003-Mars 2003. 14
Figure 6 : Marges de profit estimé, Avril 2003-Juin 2003. 15
Figure 7 : Marges de profit estimé, Juillet 2003-Septembre 2003. 15
Figure 8 : Marges de profit estimé, Octobre 2003-Décembre 2003. 15
Figure 9 : Marges de profit estimé, Janvier 2004-Mars 2004. 16
Figure 10 : Marges de profit estimé, Avril 2004-Juin 2004. 16
Figure 11 : Marges de profit estimé, Juillet 2004-Septembre 2004. 16
Figure 12 : Marges de profit estimé, Octobre 2004-Décembre 2004. 17
Figure 13 : Marges de profit estimé, Janvier 2005-Mars 2005. 17
Figure 14 : Marges de profit estimé, Avril 2005-Juin 2005. 17
Figure 15 : Marges de profit estimé, Juillet 2005-Septembre 2005. 18
Figure 16 : Marges de profit estimé, Octobre 2005-Décembre 2005. 18
Figure 17 : Marges de profit estimé, Janvier 2006-Mars 2006. 18
Figure 18 : Marges de profit estimé, Avril 2006-Juin 2006. 19
Figure 19 : Dommages encourus, Janvier 2002 à Juin 2006. 19
Table des matières
Première partie : Généralités sur le sujet 1
2- L’industrie de l’essence au Québec. 1
Deuxième partie : Revue de la littérature sur le cartel de l’essence de l’Estrie. 7
1- Le cartel de l’essence en Estrie. 7
2-Le recours collectif sur le cartel de l’essence de l’Estrie et le démantèlement 8
3-Les différentes méthodes d’évaluation des dommages. 9
3-1- La méthode comparative. 9
3-2- La technique de marchés comparables. 9
3-3- La méthode des coûts de production. 9
3-4- La méthode économétrique. 10
4- Notions théoriques de base en microéconomie. 10
3-1- La demande et l’offre. 10
3-2-La particularité des marchés de l’essence. 10
3-3-Situation favorisant la collusion. 11
Troisième partie : Etude du cas du cartel d’essence en Estrie. 11
1- Les facteurs influençant le prix de la vente d’essence au détail 11
2- Description du calcul des dommages subis par les consommateurs en Estrie. 11
3- Choix de la méthode à utiliser. 12
3-1- Evaluation des dommages encourus par les consommateurs d’essence en 2002. 12
3-2- Evaluation des dommages encourus par les consommateurs de l’essence en 2003. 14
3-3- Evaluation des dommages encourus par les consommateurs de l’essence en 2004. 15
3-4- Evaluation des dommages encourus par les consommateurs de l’essence en 2005. 17
3-5- Evaluation des dommages encourus par les consommateurs de l’essence en 2006. 18
Conclusion sur l’évaluation des dommages. 19
[1] Régie de l’Energie – Québec
[2] TPS : Taxes sur les Produits et sur les Services
[3] Section 718.1 of the Criminal Code
[4] KATHERINE L. KAY, STIKEMAN ELLIOTT LLP, Canadian Cartel Law: Canada Ups The Ante In 2010
[5] Marie-Pier Cornellier. Dec 2012. « Sherbrooke : u détaillant impliqué dans le cartel de l’essence condamné à 5 000 $ d’amende ». Agence QMI
[6] Marie-Pier Cornellier. Dec 2012. « Sherbrooke : u détaillant impliqué dans le cartel de l’essence condamné à 5 000 $ d’amende ». Agence QMI
[7] Blanchard et Fischer « Instance », chapitre 8. 1989
[8] Extrait de la conversation téléphonique du représentant régional d’Irving avec Couche-Tard
[9] Annexes, Document 3
Mémoire de fin d’études de 36 pages.
€24.90