Quelle(s) perspectives pour l’ASEAN+3 à travers les expériences de l’UE en matière d’intégration économique régionale ?
Problématique : Quelle(s) perspectives pour l’ASEAN+3 à travers les expériences de l’UE en matière d’intégration économique régionale ?
Plan
Introduction générale
1- L’intégration économique régionale de l’ASEAN+3 et de l’Union Européenne
Introduction
1.1. L’intégration économique régionale
1.1.1. Les concepts-clés
1.1.2. Gradation de l’IER
1.1.3. Processus d’IER
1.1.4. Les différentes conceptions de l’IER
1.2. Le processus d’intégration de l’Union Européenne
1.2.1- Le Traité de Rome
1.2.2- L’Acte unique
1.2.3- Le Traité de Maastricht
1.3. Le processus d’intégration de l’ASEAN+3
1.3.1. Une histoire de « reconnexion » régionale
1.3.2. L’ASEAN
1.3.3. Le rôle des crises asiatiques de 1997 et de 2007 dans l’IER de l’ASEAN+3
2- Etude comparative des deux processus d’intégration économique régionale
Introduction
2.1. Intégration institutionnelle
2.2. Intégration régionale
2.3. Accords commerciaux régionaux
2.4. Intégration monétaire
2.5. Rôles du marché dans le processus d’intégration
2.6. Rôles des Etats et des institutions
3- Perspective pour l’ASEAN+3 par rapport aux expériences européennes
Introduction
3.1. Existence de noyau dur ou de bien public régional
3.2. Niveaux de développement et cycles d’activités économiques
3.3. Perspective d’élargissement
3.4. Identité régionale et souveraineté nationale
3.5. Perspectives multiples
Conclusion
Bibliographie
L’intensification de la mondialisation a considérablement refaçonné le commerce international, ce qui a accru le degré d’ouverture des pays envers les échanges extérieurs. L’OMC tend ainsi à poursuivre des objectifs d’intégration mondiale des échanges, une perspective qui est encore loin d’être réalisable à l’aube du XXIème siècle. Les négociations entre les importants acteurs sur ce domaine risquent toujours de léser les autres qui sont moins influents. Les organisations internationales encouragent ainsi le « regroupement » des pays pour peser davantage dans ces négociations. De plus, plusieurs théories sur le commerce international présentent les enjeux d’un tel regroupement, dont les effets de création et les effets de détournement.
C’est dans ce contexte qu’émergent des notions essentielles telles que « région », « régionalisme » et « régionalisation », et surtout « l’intégration économique régionale ». Les formes d’intégration régionale et les zones potentielles d’intégration se multiplient mais un nombre assez limité de « région » se montre plus pertinent. Une question centrale est alors d’actualité : Quelle(s) sont les perspectives pour l’ASEAN+3 à travers les expériences de l’Union européenne en matière d’intégration économique régionale ? Principalement, il s’agit d’étude comparative entre ces deux types de processus d’intégration.
Le présent document est divisé en trois parties, dans l’optique de résoudre cette question centrale :
- La première partie est consacrée à l’appréciation du phénomène d’intégration économique régionale dans sa généralité, et les cas de l’Asie orientale et de l’Europe, en particulier ;
- La seconde partie analyse la similarité et les différences relatives entre ces deux intégrations, ce qui implique une étude implicite des liens éventuels existants entre les deux processus ;
- La dernière partie propose l’analyse des perspectives d’avenir de l’ASEAN+3 à partir des expériences européennes.
1- L’intégration économique régionale de l’ASEAN+3 et de l’Union Européenne
Cette partie entend jeter les bases de l’étude en se concentrant sur le phénomène d’intégration économique régionale. L’étude abordera en premier lieu les composantes de ce phénomène dans sa généralité avant de prendre les cas particuliers de l’Union européenne et de l’ASEAN+3. Il n’est pas question d’étaler exhaustivement tous les éléments ayant structuré ces différents processus d’intégration : l’idée est surtout d’apprécier l’ensemble du phénomène ainsi que certains composants devant permettre de mieux réaliser les analyses comparatives dans les parties suivantes.
1.1. L’intégration économique régionale
Avant de se planer sur les deux processus d’intégration régionale (Union européenne et ASEAN+3), il convient d’abord de considérer ce que révèlent la littérature et la réalité sur ce sujet en général.
Sans remuer toutes les questions étymologiques concernant l’intégration économique régionale (IER), il convient toutefois d’apporter quelques éclaircissements sur certains termes-clés pour bien cadrer l’étude. Bien évidemment, le terme « région » (sauf mention contraire explicite dans ce document) renvoie à un ensemble d’Etats-nations. Il s’agit essentiellement de « région internationale », définie (par L. Van Langhenove (2003) et repris par Figuière et Guilhot) comme « un nombre limité « d’Etats-nations » liés par une relation géographique et par un degré d’interdépendance mutuelle » (Guilhot & Figuière, 2007, p. 897), une interdépendance économique et/ou politique. Définit comme « une partition du Monde » (Siroën, 2008, pp. 1-2) une région n’implique pas seulement des pays proches géographiquement (à considérer par exemple les relations commerciales entre les Etats-Unis et Israël).
En ce qui concerne le concept d’IER, deux éléments essentiels devraient être considérés pour pouvoir appréhender convenablement le phénomène. D’un côté, il faut mettre l’accent sur les flux économiques dans la région, entre les Etats/pays impliqués. Pour un pays de la région, ces flux devraient alors se démarquer de toute autre relation de ce pays avec le reste du monde. Certains auteurs parlent d’intensification et de concentration (Guilhot & Figuière, 2007, pp. 897,898), désignant ainsi les flux (au-dessus du seuil proportionnel enregistré avec les autres pays qui ne sont pas de la « région ») commerciaux et les investissements directs (étrangers), c’est-à-dire les échanges de marchandises et de capitaux entre les pays de la zone concernée.
D’un autre côté, il faut mettre au premier plan la mise en place de règles communes régissant les pays de la région et leur relation. Plus complexes, l’existence et la mise en application de ces règles sont plus difficiles à appréhender. Il y a trois degrés de coordination institutionnelle, suivant les formes de cette dernière (Guilhot & Figuière, 2007, pp. 898,899) :
- La coordination dans le but de déployer des principes communs qui vont régir les relations entre les pays de la zone en question ; ne nécessitant pas d’institutionnalisation, l’accord établi implique alors une « quasi-institution » ;
- La coordination destinée à réguler les pratiques à l’intérieur même de chaque pays membre de la région ; dans ce cas, les règles pourraient régir les actions d’acteurs internes (à chaque pays) qui ne sont pas à priori impliqués par les relations étatiques ; l’institutionnalisation est requise pour ce niveau de coordination ;
- La coordination cherchant à institutionnaliser la région avec attribution de pouvoirs supranationaux.
Alors, l’IER pourrait être assimilé à la combinaison de la « régionalisation » et du « régionalisme ».
La régionalisation désigne ainsi un état de flux économiques intenses dans une région sans aboutir à une élaboration et une mise en application de règles formelles. Plusieurs auteurs désignent ce phénomène par intégration régionale de facto, résultant des politiques stratégiques des firmes sans initiatives des pouvoirs étatiques directement (Regnault, 2008, p. 79). La régionalisation est essentiellement portée par les complémentarités entre les pays membres en termes commerciaux, financiers, mais également culturels et/ou technologiques (Hugon, 2001, p. 7), ces complémentarités étant entretenues, voire stimulées et organisées par les acteurs nécessairement économiques non étatiques.
En revanche, le régionalisme fait appel à des processus d’élaboration politique avec existence de règles communes établies par les pays de la région sans entretien des relations économiques de niveau supérieur au seuil proportionnel (pour chaque pays membre) (Figuière & Guilhot, 2006, p. 83). Par opposition à la régionalisation (intégration régionale de facto), ce type d’IER basée sur les institutions est qualifié de régionalisme de jure (à distinguer de régionalisation « naturelle »). De ces constats ressort la définition de l’IER comme la jonction entre la concentration des flux économiques entre les pays (membres) d’une région avec la coordination institutionnelle établissant des règles communes régissant leurs relations de manière durable (Guilhot & Figuière, 2007, p. 900).
Les différents niveaux de coordination (de l’IER) impliquent aussi de considérer trois types d’IER :
- L’IER aux frontières ou « à la surface des nations » concerne celles qui se caractérisent par des flux économiques intenses dont les Etats membres (de la région considérée) coordonnent les modalités. Il y a essentiellement une coordination spontanée entre opérateurs privés de la région ; cela ne veut toutefois pas supposer une « intégration spontanée » caractérisée par l’absence de cadre formel, par opposition à intégration institutionnelle(Siroën, 2000, p. 22).
- L’IER en profondeur suppose, en plus que les conditions sur les règles aux frontières soient satisfaites, une coordination cherchant à déployer des mesures devant permettre d’harmoniser les pratiques intérieures de chaque pays membre. Bien que ces mesures s’appliquent à l’échelon national, la coordination est attribuée directement à une structure supranationale.
- L’IER souveraine, en plus d’être en profondeur, est caractérisé par l’établissement d’une « forme de supranationalité» dont les lieux d’exercice de la coordination sont déplacés dans un domaine donné (Figuière & Guilhot, 2006, p. 85).
La notion de processus d’IER implique habituellement des analyses des étapes proposées par Bela Balassa (1961). Désormais, ce processus consiste en 5 étapes correspondant à des degrés différents d’approfondissement de l’intégration :
- La première phase qui apparait comme la moins compliquée est la constitution d’une Zone de libre-échange : les pays membres de la région concluent alors l’abolition des droits de douane et de toute restriction commerciale (qualitative et quantitative). Il s’agit d’entamer l’application des mesures discriminatoires, puisque les structures tarifaires d’un pays membre vis-à-vis du reste du monde restent librement définies par ce pays. L’ALENA (Accord de libre-échange nord-américain), mis en vigueur en 1994 et instaurant une zone de libre-échange entre les Etats-Unis, le Canada et le Mexique, en est un exemple parmi d’autres.
- La seconde phase est la création d’une union douanière : cela ajoute à la zone de libre-échange l’harmonisation, l’égalisation des politiques douanières de tous les pays membres vis-à-vis des marchandises provenant des pays non-membres. Le SACU (Southern African Custom Union ou Union douanière d’Afrique austral), créée en 1969 et regroupant l’Afrique du sud, le Botswana, le Lesotho, le Namibie et le Swaziland, fait figure d’union douanière.
- L’étape suivante institue le marché commun, c’est-à-dire une union douanière avec la libre-circulation des mains d’œuvre (population active) et des capitaux (facteurs de production) entre les pays membres. Le MERCOSUR (Mercado Común del Sur ou Marché commun du Sud) formée en 1991 par le Brésil, l’Argentine, le Paraguay et l’Uruguay (intégrant le Venezuela en 2005) est désormais dans cette phase, depuis 1995.
- La quatrième étape ajoute l’union économique au contexte du marché commun : cela instaure une certaine harmonisation au niveau des politiques économiques nationales (des pays membres). L’union économique vise essentiellement à réduire la discrimination résultant de la disparité entre les politiques individuelles des membres. La politique commune pourrait concerner des domaines aussi divers (fiscalité, social, monétaire, agricole, concurrence, sécurité, etc.).
- La cinquième phase de l’IER est la constitution d’une union économique et monétaire qui présuppose une harmonisation générale (unification) des politiques fiscale, monétaire, contra-cyclique et sociale. Exemple : l’UEMOA (Union Economique et Monétaire Ouest-Africaine), créée en 1994 (Bénin, Côte d’Ivoire, Mali, Niger, Sénégal, Togo, puis Guinée-Bissau en 1997).
- L’ultime phase consiste en une IER totale qui, en plus de l’union économique et monétaire, nécessite la mise en place d’une structure supranationale, un véritable gouvernement. Aucune organisation n’a encore pleinement satisfait ces conditions.
Outre les approfondissements, il est possible également de différencier les processus d’IER par leur degré d’institutionnalisation, par leur rythme et par leur élargissement.
1.1.4. Les différentes conceptions de l’IER
Il est également important de distinguer cinq (5) conceptions de l’IER (Hugon, 2001, pp. 9-11) :
- La conception libérale qui assimile l’intégration par le marché à la libéralisation de la circulation des marchandises et des facteurs de production. Il s’agit alors d’un régionalisme ouvert qui consiste à minimiser les incidences des politiques nationales tout en déplaçant les frontières (nationales) pour épouser progressivement le marché international.
- La conception volontariste cherchant la protection des économies contre la mondialisation, d’où des actions pour renforcer la capacité de coalition, pour générer un marché, pour favoriser la complémentarité territoriale. C’est alors un régionalisme fermé, s’appuyant sur un plan régional de développement, visant même la déconnexion au commerce international.
- La conception industrielle et territoriale, il s’agit surtout de considérer l’intégration productive portée par l’internalisation au niveau des firmes multinationales, des conglomérats qui axent l’essentiel de leurs politiques stratégiques dans un cadre régional : division régionale du travail, une recherche de synergie régionale par une coopération sectorielle dans un contexte de concurrence imparfaite. Cette conception insiste sur la notion de régionalisme polarisé de facto.
- La conception institutionnaliste qui se base sur l’établissement d’un système commun de règles par les pouvoirs étatiques. L’institutionnalisation vise nécessairement les anticipations des acteurs économiques (essentiellement privés) via une stabilisation et une sécurisation de l’environnement. De ce fait, un accent est mis sur l’attractivité des capitaux et de la technologie, bien que la réalisation de cet objectif ne soit pas vraiment assurée. La conception institutionnaliste est donc tourné vers le régionalisme normatif de jure.
- La conception diplomatique avance une intégration régionale impliquant des transferts de souveraineté avec des objectifs en matière de prévention de conflit. En face de circonstances défavorables (une crise politique ou financière, par exemple), les Etats de la région s’engagent à transférer leur souveraineté et produire des biens publics régionaux, dépassant ainsi les rivalités et les différends politiques.
1.2. Le processus d’intégration de l’Union Européenne
L’IER de l’Europe a satisfait les quatre premières étapes dans la théorie de Balassa (1961), mais il faut souligner que cette intégration ne s’est pas faite suivant un processus linéaire.
La construction effective de l’Europe aurait pris ses racines après la deuxième guerre mondiale, avec un pas significatif dans la mise en place de l’OECE (Organisation Européenne de Coopération Economique), en 1948, pour gérer l’aide américaine du plan Marshall. Les ripostes de l’Union Soviétique ne se fait pas attendre avec la création du COMECON (Conseil d’assistance économique mutuel) l’année suivante. Il est possible de résumer les principales étapes de l’IER européenne à travers trois programmes importants déployés dans trois grandes périodes de l’histoire de l’Europe après-guerre :
- Le Traité de Rome : de 1957 à 1986 ;
- L’Acte unique : de 1987 à 1993 ;
- Le Traité de Maastricht : à partir de 1993.
Généralement, le Traité de Rome, signé le 15 mars 1957, définit les éléments constituant la base du marché commun européen. Ce traité consiste à mettre en place les institutions nécessaires qui devront élaborer les composantes du marché commun, veiller à la mise en application des mesures prises, et élargir les compétences de l’Europe en matière économique. En fait, il y avait deux importantes institutions créées, à savoir :
- Le Conseil des ministres, qui est un organe législatif ;
- La Commission, qui est un organe exécutif, investi d’un rôle d’initiative au niveau du processus législatif.
Deux grandes idées se trouvent à la base de l’intégration économique à l’européenne dans le Traité de Rome : la définition d’un marché commun et l’intégration économique selon une conception libérale (la loi du marché). Il ne faut pas non plus négliger les crises politiques qui découlent de l’antagonisme entre les pays membres et l’objectif même d’intégration vis-à-vis de certains points du traité.
Il faut se rappeler que le marché commun intègre à la fois l’union douanière qui, en sus d’une zone de libre-échange, est caractérisée par une politique commerciale commune (tarif extérieur commun vis-à-vis des pays non membres), et l’ouverture sur l’ensemble des marchés (biens et services, facteur travail, capitaux). L’année 1957 alors, la Communauté Economique Européenne (CEE) a été créé par six (6) pays occidentaux (Belgique, Pays-Bas, Luxembourg, France, Allemagne et Italie). Il a fallu 12 années pour voir éliminés les droits de douane ainsi que les restrictions (quantitatives) entre les pays membres. La mise en place du libre-échange s’est fait progressivement, au prix de quelques évènements marquants, dont l’affaire du « cassis » de Dijon, en 1965[1]. Ce libre-échange n’a été complètement appliqué qu’en 1968, en même temps que la généralisation de la TVA comme étant le mode d’imposition indirecte. Il faut remarquer que c’est le mécanisme du TVA qui a été le même à cette époque et non pas ses taux.
Concernant l’union douanière, l’unicité est adoptée par ces premiers pays membres suivant un taux moyen. Il s’agit en fait de la moyenne arithmétique des taux appliqués auparavant par ces pays (dans les 4 territoires douaniers de la Communauté). Quant à la libre circulation des travailleurs et des capitaux, le processus a été très lent : celui pour les capitaux n’a été effectivement engagé que peu de temps avant les années 90.
Le Traité de Rome priorisait d’ailleurs les mesures visant à favoriser un climat concurrentiel, ce qui implique une intégration par le marché (optique libérale). Cela devrait mener au développement de l’IER tout en respectant la souveraineté de chaque Etat, libre de définir sa politique. A cet effet, les interventions des pouvoirs publics nationaux sont quasi-inexistantes et marginales. En revanche, deux exceptions échappent à ce principe (libéral) à la base de la construction de l’Europe :
- La politique de concurrence qui fait intervenir la régulation :
- pour interdire les pratiques entravant les règles du marché,
- pour empêcher la formation d’entente et les abus de positions dominantes,
- pour permettre aux gouvernements nationaux de contrôler les aides publiques destinées à leurs entreprises ;
- La politique agricole commune (PAC) qui s’appuie sur l’intervention des pouvoirs publics :
- Fixation des prix minimum et maximum pour chaque produit agricole ;
- Subventions offertes aux plus grandes et plus productives exploitations ;
- Préférence communautaire protégeant les producteurs européens face au marché agricole du reste du monde ;
- Solidarité financière pour les productions européennes non-écoulées (une sorte de subvention pour pénaliser les produits provenant de pays non membres de la CEE)[2].
Le Traité de Rome a mis en évidence certaines questions :
- d’ordre politique, dont les modalités de prise de décision : le Traité de Rome prévoyait un basculement vers la majorité qualifiée (contre l’unanimité), ce qui a provoqué la politique de la chaise vide du Général de Gaulle. La décision qui en découlait (requis de l’unanimité quand des intérêts d’un membre sont en jeu) ralentissait sensiblement le processus d’intégration de l’Europe.
- d’ordre économique, comme la crise des années 70 qui a conduit les membres de la communauté à prendre des mesures entravant les échanges, notamment concernant les normes techniques et les concessions exclusives sur les marchés publics. En outre, les conditions d’accès à l’emploi sont difficiles à harmoniser entre les Etats membres, ralentissant ainsi le processus de libre circulation du facteur travail.
- d’ordre monétaire, avec la crise des années 60 qui a conduit l’adoption du rapport Werner prévoyant l’union monétaire avant 1970. Cette dernière n’a pas été atteinte étant donné que le rapport en question a sous-estimé la nécessité du rapprochement des politiques économiques des pays membres et l’instabilité monétaire, surtout avec le flottement de 1973. Le Système monétaire européen (SME), en vigueur depuis 1979 (après le serpent monétaire en 1972), est une étape importante (supplémentaire) de l’IER bien qu’il ne faisait pas partie intégrante du traité.
Le Traité de Rome constitue la base légale des processus d’IER de l’Europe occidental. Il est intéressant de savoir que, avant son intégration dans la Communauté Européenne (en 1973), l’Angleterre a initié en 1960[3] l’AELE (Association Européenne de Libre-Echange) avec l’Autriche, la Norvège, le Danemark, la Suisse, la Suède et le Portugal. L’Angleterre était défavorable à l’intégration politique et était contre l’union douanière, craignant que cette dernière nuise aux relations d’échanges qu’elle (l’Angleterre) entretenait avec les pays du Commonwealth et les Etats-Unis.
L’Acte unique, signé en 1985, est établi dans un contexte européen caractérisé par :
- Un degré d’ouverture élevé entre les pays membres de la communauté, ce qui suppose des avantages liés à la suppression des obstacles aux échanges ;
- Une dégradation de la position commerciale de la communauté pendant la période relative au Traité de Rome ;
- Une persistance des entraves dans les frontières entre les pays membres :
- Entraves physiques liés notamment à l’application de la TVA du pays de consommation des produits et au respect des normes nationales ;
- Entraves techniques relatifs à des restrictions imposées et portées par une justification sociale (protection des consommateurs, de l’environnement, etc.) et une logique de standardisation industrielle ;
- Entraves sur les discriminations en faveurs des opérateurs nationaux ;
- Entraves fiscales (TVA essentiellement).
L’Acte unique (ou projet de l’Europe 1992) vise à mettre en place les politiques et les mesures devant régir un véritable marché commun. En fait, la philosophie du « marché intérieur » défini dans l’Acte unique (1986) est significativement différente de celle du « marché commun » du Traité de Rome (1957). Pour ce dernier, les pays membres gagneraient surtout en spécialisation et avec davantage d’échanges dans un marché accessible à tout consommateur et tout producteur, sans restriction. Pour le marché intérieur, l’offre est propulsée au premier plan dans une optique de renforcement de la position de l’Europe sur le commerce mondial : amélioration de la compétitivité des entreprises européennes en face des firmes japonaises et américaines (en l’occurrence). Le but ultime de l’Acte unique étant la libre circulation effective des biens et services, des hommes, et des capitaux.
La conception de l’intégration économique européenne reste quasiment la même que celle avec le Traité de Rome : intégration par le marché, mais avec un accent sur la taille (grande) du marché intérieur pour accroitre la pression concurrentielle (à l’image d’une grande firme pouvant profiter d’une économie d’échelle). Cette conception libérale est, tout de même, appuyée par des politiques communes pour corriger les imperfections du marché, dont, entre autres :
- la politique en matière de recherche pour rattraper les retards technologiques, et
- la politique de « cohésion sociale » pour prévenir les effets secondaires du marché intérieur.
En termes institutionnelles, deux nouveaux principes faisaient surface :
- Le principe de reconnaissance mutuelle (considérant les dispositions réglementaires étrangères comme étant équivalents aux dispositions nationales) remplace l’ambition d’une harmonisation des mesures nationales en un ensemble de réglementations unique ;
- Le principe de la majorité qualifiée (pour les décisions à prendre sur la libre circulation des capitaux, la politique de la cohésion sociale, etc.) en extension au principe de l’unanimité (libre circulation des individus, harmonisation fiscale, etc.).
Le marché de la Communauté Européenne s’étend ensuite à celui de l’AELE dans le cadre de l’Espace Economique Européen, mettant en place une grande zone de libre-échange (marchandises et services, personnes, capitaux). En revanche, les pays de l’AELE n’ont pas de pouvoir de décision au niveau de la Communauté Européenne. Le rejet de la Suisse (par référendum) de l’Espace Economique Européen a favorisé l’entrée de la Finlande, l’Autriche et la Suède dans l’Union Européenne, plus tard.
1.2.3- Le Traité de Maastricht
Le Traité de Maastricht, adopté en décembre 1991 et signé en février 1992, a mis en place l’Union Européenne (remplaçant la Communauté Européenne, en 1993) qui s’appuie sur trois piliers :
- Les relations économiques mettant en œuvre un marché unique et des politiques communes via des institutions européennes ;
- Les actions en matière de Politique étrangère et de sécurité communes (PESC) ;
- La coopération dans le domaine des affaires internes (police) et de la justice.
La monnaie unique, l’Euro, constitue le plus important des volets de ce traité, la base même de l’union économique et monétaire de l’Union européenne. L’adoption de la monnaie unique devrait conférer à l’union, entre autres :
- Davantage de réalité pour le grand marché intérieur ;
- Réduction, voire suppression, des coûts de transaction pour les marchés de capitaux ;
- Elimination des effets négatifs liés à la volatilité des changes ;
- Economies d’échelle sur le marché financier ;
- Concurrence directe de l’Euro face au Dollar (monnaie financière, de réserve et d’échange) ;
La mise en place de l’Euro s’est déroulée en trois étapes :
- La première phase (qui débutait en juillet 1990) vise à rapprocher les économies des pays membres concernant l’évolution des prix, le taux de change, la politique budgétaire puisqu’il est question de la définition des parités fixes. Chaque Etat a été soumis à un examen multilatéral.
- La seconde phase (à partir de 1994) qui voyait la mise en place de l’Institut monétaire européen pour préparer l’instauration de la BCE (Banque centrale européenne), qui fut créée en 1998. Les pays membres devaient préalablement satisfaire des critères associés à l’assainissement du budget de l’Etat, à la libre circulation des capitaux, et à l’indépendance du pouvoir de régulation monétaire (Banque centrale). Les critères de convergences sont :
- Déficit budgétaire inférieur à 3% du PIB ;
- Dette publique au-dessous de 60% du PIB ;
- Inflation ne dépassant pas 1.5% de la moyenne des trois pays membres les plus performants en la matière ;
- Taux d’intérêt à long terme au plus égal à la moyenne des taux des trois pays les plus performants en matière d’inflation, plus deux points ;
- Marges de fluctuation normales respectées pour le change dans une période de deux ans.
- La troisième phase, au titre de l’article 121 du Traité de l’Union européenne, onze pays membres ont adopté l’Euro comme monnaie nationale.
Pour le côté politique du Traité de Maastricht, le principe de subsidiarité constitue le fondement. La prise de décision devrait être la plus proche possible des citoyens telle que les actions réalisées sous-jacentes au niveau de la Communauté ne chevauchent pas les possibilités que l’échelon plus restreint (local, national) offre. En outre, la Politique étrangère et de sécurité commune (PESC) devrait, d’une part conduire vers une défense commune, et d’autre part instituer le concept de « citoyen de l’Union » lui (citoyen) permettant de voter dans le pays de résidence. Par ailleurs, le protocole social qui est un prolongement de la charte sociale européenne statue sur le respect des droits sociaux dans les pays membres. Finalement, les fonds structurels et le fonds de cohésion sont instaurés pour pallier aux écarts de développement dans diverses régions et pour favoriser la cohésion socioéconomique.
Pour le post Maastricht, deux traités méritent d’être cités :
- Le Traité d’Amsterdam (mai 1999) qui a modifie le traité de l’Union européenne en visant quatre importants objectifs : un niveau d’emploi élevé et un accent sur les droits des citoyens, la suppression des derniers obstacles à la libre circulation du facteur travail tout en insistant sur le renforcement de la sécurité, la mise en valeur croissante des intérêts de l’Europe dans le monde, une architecture institutionnelle plus efficace et adaptée à l’élargissement de l’Union.
- Le Traité de Nice (février 2001) qui se focalise sur l’avenir institutionnel de l’Union avec une optique d’élargissement vers l’Est : fonction et composition des institutions, procédures décisionnelles, et renforcement de la coopération.
1.3. Le processus d’intégration de l’ASEAN+3
L’ASEAN+3 montre une réalité sensiblement différente par rapport à l’Union européenne en matière d’IER. L’ASEAN+3 regroupe les pays membre de l’ASEAN (cf. infra – 1.3.2. L’ASEAN), le Japon, la Chine et la Corée du Sud.
1.3.1. Une histoire de « reconnexion » régionale
L’intégration régionale de l’Asie orientale est le résultat de tout un processus dont certains composants datent de quelques siècles. En fait, bien que l’essentiel de ces composants serait attribué à la fin du XXème siècle et à la décennie suivante, il ne faut pas négliger l’importance de l’histoire pour mieux appréhender le phénomène. Figuière, Guilhot et Simon (2007) proposent le concept de « reconnexion Nord-Sud » pour illustrer cette histoire d’intégration régionale est-asiatique. Selon les analyses de ces auteurs, les niveaux de développement économiques de la région laissent entrevoir une partition « Nord-Sud ». Le concept « Nord-Sud » est considéré au sens essentiellement économique du terme.
Au sens de ces auteurs, le Japon semble constituer un pays du Nord, bien qu’il n’est nullement considéré comme proche des Etats-Unis ou de l’Europe. En effet, du point de vue économique (dont la structure commerciale extérieure et le niveau de développement) et historique (étant une puissance coloniale), le Japon se démarque des pays du Sud. Désormais, les états des lieux dans certains pays d’Asie orientale permettent d’affirmer leur appartenance à cette catégorie « Sud », voire d’extrême Sud, tels que le Laos qui est un des pays les moins avancés, la Birmanie et le Cambodge. Les auteurs en concluent en une présence de partition Nord-Sud dans cette région, bien que les situations de la plupart des pays ne permettent pas de les classifier (la Corée du Sud qui est membre de l’OCDE, ou encore de la Malaisie).
En parlant de « reconnexion », les premières connexions se situent dans les XIXème et XXème siècles, celles-ci pouvant être classées en deux grandes catégories :
- Une connexion dite « forcée » puisqu’elle est l’œuvre de la colonisation institutionnelle qui était entamée par les pays du Nord vers le début du XIXème siècle, même si les dates de colonisation de beaucoup de pays de cette région sont antérieures à ce siècle.
- Une connexion plutôt « raisonnée », pour la distinguer de « forcée » malgré qu’il n’est pas possible de parler de connexion avec consentement dans ces périodes (autour de la fin du XIXème siècle). En effet, deux pays, le Japon et le Siam (Thaïlande), échappent à l’emprise des empires coloniaux grâce à une « reconstruction de la structure politique» (Figuière, Guilhot, & Simon, 2007, p. 5) Ils ont esquivé la connexion forcée avec des politiques plutôt ouvertes sur les domaines commercial et diplomatique vis-à-vis des puissances impérialistes de l’époque.
Puis, il arrive la période de déconnexion caractérisée par deux réalités :
- La déconnexion vis-à-vis de la colonisation, caractéristique des décennies suivant la seconde guerre mondiale. Il est possible de dire que la naissance de l’ASEAN dans les années 60 rentre encore dans ce processus de déconnexion Nord-Sud.
- La déconnexion des pays socialistes d’Asie, une rupture avec le capitalisme.
La construction de l’ASEAN+3 constitue ainsi une nouvelle étape dans l’histoire des échanges commercial et politique de l’Asie orientale. Cela marque donc la reconnexion des pays du Sud avec le Nord (le Japon, en l’occurrence).
A la sortie de la période coloniale, la plupart des Etats de l’Est-Asiatique manifestent leur volonté de s’écarter de la guerre froide, une volonté concrétisée à travers la conférence de Bandung (en 1955). Les 5 pays fondateurs (Indonésie, Malaisie, Thaïlande, Singapour, Philippines) de l’ASEAN (Association of South-East Asian Nations), créée en 1967 à la signature de la déclaration de Bangkok, n’échappent pas à cette tendance de garder une nette distance avec les influences américaines et communistes (Figuière, Guilhot, & Simon, 2007). A l’origine, cette association poursuivait deux principaux objectifs :
- Un objectif politique en termes de paix et de stabilité régionale ;
- Un objectif économique : promouvoir le développement économique à travers une coopération économique.
L’ASEAN s’appuie sur 5 principes constituant le fondement de ses actions :
- La sécurité des régimes en place ;
- L’anticommunisme ;
- La sauvegarde de la souveraineté de chaque Etat membre ;
- La non-ingérence dans les affaires internes des Etats membres ;
- Le développement de l’économie de marché.
L’ASEAN a été un outil efficace pour freiner l’expansion du communisme dans la région et a contribué largement à la prévention des conflits. Lors de l’occupation du Cambodge par le Vietnam, par exemple, l’affirmation de la position unique des membres de l’association a contribué in fine à la résolution de la crise. Il en est de même de l’apaisement de certaines tensions relatives aux limitations des frontières entre pays membres par divers traités que l’ASEAN a réussi de faire signer, tels que le Treaty of Amity and Cooperation in Southeast Asia (traité d’amitié de coopération en Asie du sud-est). Il est possible de dire que cet objectif d’ordre politique a été atteint par l’association (Guilhot & Figuière, 2007).
En 1976, une première tentative pour développer la coopération économique est entamée par les membres fondateurs via une régulation des tarifs préférentiels, mais cela n’a impliqué que 3% seulement du commerce dans la zone. A citer également certaines coopérations ponctuelles comme les projets industriels de l’ASEAN (ASEAN industrial projects) qui avait comme ambition le lancement de projet pilote dans les pays membre, en 1977 (le financement du projet : 60% pour le pays d’implantation et 10% chacun pour les quatre autres pays) (Figuière & Guilhot, 2006).
Une autre tentative d’instaurer une coordination économique a relancé le processus d’intégration en projetant d’établir une zone de libre-échange avec l’AFTA (ASEAN Free Trade Area). L’objectif était de réduire les barrières tarifaires entre les pays membres de sorte qu’elles soient en dessous de 5% avant l’année 2008 (Siroën, 2000). A l’atteinte de cet objectif, un accord volontaire (tout en maintenant la souveraineté de chaque nation membre) devrait faire éliminer les autres restrictions (non tarifaires) dans une période de 5 ans. Les produits agricoles, représentant 50% du commerce intra-zone, n’ont été intégrés de cet accord qu’en 1994. Ce projet comprenait une clause de protection où les produits sont classés en quatre catégories : produits inclus, temporairement exclus, sensibles, et d’exception générale. Chaque pays membre avait une assez large marge de manœuvre dans l’application de l’accord : possibilité d’écarter certains produits, de choisir le rythme des réductions (normal ou accéléré). L’association voulait accroitre le rythme du processus de réduction douanière, en 1998 à travers le plan de Hanoi. Le projet AFTA a été alors relancé avec l’augmentation du nombre de produits intégrés : 90% au début de l’année 2000 (Guilhot & Figuière, 2007).
Toujours en 1998, un autre projet de création à l’horizon 2020 d’une zone d’investissement (ASEAN investment area ou AIA) est engagé. Ce projet devant compléter l’AFTA (qui est un peu lésé étant donné le faible enthousiasme des gouvernements sur ce projet) en améliorant la libre circulation des capitaux se base sur trois principes (Guilhot & Figuière, 2007) :
- La coopération et la facilitation ;
- La promotion et la conscience ;
- La libéralisation.
Une volonté d’instaurer des règles communes relatives aux relations entre les pays membres est née depuis 2003 (11ème sommet) dans une optique d’harmonisation des pratiques au niveau des Etats membres. La notion de Communauté ASEAN a alors été évoquée, qui devrait s’appuyer sur trois piliers : coopération dans le domaine politique et de sécurité (paix dans un cadre juste et démocratique), économique (stabilité, prospérité et compétitivité avec libre circulation des biens et services, des capitaux et des personnes), et socio-culturel (développement, santé, identité régionale). Les pays membres ont aussi manifesté leur intention d’élaborer une charte régionale qui devrait modifier les relations jusqu’alors non-contraignantes.
Mais il faut insister sur la relative impuissance de l’ASEAN sur divers plan, dont sur le domaine économique, vis-à-vis de ses objectifs en matière d’intégration régionale. Les échanges commerciaux intra-ASEAN n’auraient connu de croissance significative jusqu’au début des années 2000 : il semble que la coopération commerciale entre pays fondateurs ne leur sont pas sensiblement essentiel (avec seulement un niveau d’échange situé généralement entre 17% et 22%) (Du Rocher, 2004). Il a fallu un choc pour voir apparaitre la frontière légitime d’une région disposant les réels ingrédients d’une IER, c’est-à-dire l’ASEAN+3.
1.3.3. Le rôle des crises asiatiques de 1997 et de 2007 dans l’IER de l’ASEAN+3
La crise financière de 1997 en Asie serait due en grande partie des défaillances du Système monétaire et financier international, du moins c’est ce qu’auraient pensé les dirigeants des pays de l’Asie orientale étant données les stratégies qu’ils ont adoptées en conséquence. La crise a en effet mis en évidence l’interdépendance entre ces pays qui sont alors exposés à un niveau de risque de change assez élevé. La plupart des pays de cette zone sont désormais ancrés au dollar pendant une période (années 90) caractérisée par une forte volatilité des changes. Cette forte instabilité monétaire et financière a permis à ces pays de se rendre largement conscience des enjeux de cette crise, notamment face à la relative indifférence de la part de la FMI et des Etats-Unis (Guilhot L. , 2009).
Un besoin urgent émerge alors, celui de produire sur la base régionale d’un « bien public » qui n’est autre que la « stabilité monétaire et financière », étant entendu que ceci (bien public) ne peut pas être fourni à l’échelle internationale pour cette région. L’ASEAN n’ayant pas eu de leader effectif à cette époque, la coopération entre les différents Etats pour produire ce bien public constitue ainsi la base d’un régime hégémonique (Guilhot L. , 2009). Les treize pays de l’ASEAN+3 (les dix de l’ASEAN avec la Chine, le Japon et la Corée du Sud) se sont réunis lors du sommet de 16 décembre 1997 à Kuala Lumpur pour discuter de l’essence du problème financier dans la région. Les rencontrent se multiplièrent, dont celle de 1999 pour trouver des possibilités d’une coopération sur plusieurs domaines (économique, monétaire et financière, développement des facteurs sociaux et humains, etc.). A distinguer aussi le quatrième sommet de novembre 2000 portant sur la perspective d’instauration éventuelle d’une zone de libre-échange entre les treize pays.
En revanche, la réalité de l’intégration régionale pour ces pays est appréhendée à travers deux initiatives importantes qui sont appréciées comme les piliers du régime régional de l’Asie orientale (Figuière & Guilhot, 2011) :
- L’Initiative Chiang Mai (ICM), signée lors du meeting de l’Asian Development Bank qui s’est tenu en mai 2000 dans la ville de Chiang Mai (Thaïlande). L’idée est de pouvoir répondre à tout besoin de liquidités de court terme ainsi que de se permettre la complétude des systèmes financiers existants dans la région. L’ICM elle-même comportait deux principaux volets :
- Renforcer les échanges d’informations et de surveillance en mettant en place en 1999 un processus d’évaluation, de contrôle, d’identification des risques financiers et économique, de renforcement des systèmes bancaires et financiers, et de recherche asiatique en matière de réforme concernant le système financier international. Ce processus appelé ASEAN+3 Economic Policy Review and Dialogue Process (EPRDP) a été intégré de manière officielle à l’ICM en 2005 ;
- Améliorer l’offre de ressources sur la base d’une extension d’accord de SWAPS entre les banques centrales de la région.
- L’Asian Bond Market Initiative (ABMI), instituée (officiellement) en août 2003 à Manille pour compléter l’ICM. L’ABMI cherche une plus grande efficacité des marchés des obligations des pays de l’ASEAN+3 à travers une utilisation efficiente de l’épargne asiatique pour les investisseurs. Cette initiative comportait également deux volets :
- Développer les marchés (émissions et reventes) obligataires par des conditions favorables à l’épanouissement des émetteurs et des produits (en insistant alors sur l’offre) ;
- Améliorer les structures de ces marchés.
Les bilans de ces initiatives sont nettement positifs malgré la relative lenteur des processus : élargissement de la taille des marchés des obligations (4,3 fois pour les pays émergents), constaté à partir de 2003. De plus, ces marchés ont été capitalisés à plus de 5 209 milliards d’USD à la fin de 2010 si la capitalisation n’était que 1 202 milliards en 2003 (Figuière & Guilhot, 2011).
Il ne faut pas non plus négliger les impacts de la crise de 2007 puisque celle-ci apparait comme un facteur accélérateur du processus d’intégration pour l’ASEAN+3. Ainsi, la conception d’un Fonds Monétaire Asiatique (FMA) qui était écartée (puisque vivement critiqué par le FMI et les Etats-Unis après la crise de 1997) a été rediscutée en 2008. Cette volonté de relancer le processus essentiellement à travers le FMA est d’ailleurs marquée par l’engagement des treize pays à accroitre la vitesse dans les dialogues pour se permettre la multilatéralisation de l’ICM (animé jusque-là par des accords bilatéraux). La répartition du montant à allouer a été définie en mai 2009, puis la multilatéralisation est signé (décembre 2009) et mis en vigueur (mars 2010). Plusieurs autres mesures marquant les pas du processus d’intégration ont été prises, telles que le renforcement de l’ERPD notamment avec la création de l’AMRO (ASEAN+3 Macroeconomic Research Office) disposant une dizaine de membres permanents.
Le cadre d’étude ainsi posé montre déjà des éléments qui semblent indiquer la relative similarité et différence entre les processus d’IER de l’Union européenne et de l’ASEAN+3.
2- Etude comparative des deux processus d’intégration économique régionale
Il est intéressant de trouver des relations éventuelles qui pourraient lier deux processus d’intégration régionale. Théoriquement, l’existence de telles relations devrait être vérifiable tant que les hypothèses sous lesquelles ils (les processus) évoluent sont définies. Les analyses comparatives tentent implicitement de trouver ces relations à travers les points communs et les différences entre l’Union européenne et l’ASEAN+3.
2.1. Intégration institutionnelle
Il faut dire que l’institutionnalisation au niveau de l’intégration régionale constitue l’un des plus remarquables points communs des processus européen et est-asiatique. Pour mieux apprécier cette réalité, il convient de rappeler les composantes caractéristiques de l’intégration institutionnelle (Siroën, 2000) :
- Cette intégration renforce (ou du moins, maintient) la politique de discrimination envers les pays non-membres, constituant désormais une sorte de zone de préférence.
A considérer alors deux effets majeurs :
- d’un côté, l’effet de création dès qu’il s’agit de « lâcher » les produits des fournisseurs des pays tiers (non-membres) relativement couteux pour se tourner vers ceux des pays de la région ;
- d’un autre côté, l’effet de détournement existe lorsqu’un pays (de la zone) substitue ses approvisionnements en provenance d’un pays tiers par ceux des pays de la zone bien que les premiers soient plus coûteux que ces derniers.
Il est possible alors de parler de la notion de « fermeture » en ce qui concerne l’intégration institutionnelle par le fait qu’elle n’est pas vraiment attribuée à une libéralisation des échanges intra-zone. Cela n’implique pas que cette libéralisation est écartée dans le processus, mais justement pour insister sur la concession à réaliser par les Etats-membres, une volonté d’internaliser les coûts et les bénéfices de l’IER.
Il faut dire que l’élargissement de l’Union Européenne a apporté une certaine stabilité dans la région, notamment en termes d’unification historique et territoriale. En revanche, les nouveaux membres ont significativement limité l’aptitude de l’Union à atteindre les objectifs définis préalablement, notamment pour les politiques définies par les membres fondateurs. Les statistiques de 2010 (Bafoil, 2013) estiment que les habitants des 10 nouveaux Etats rejoignant l’Union Européenne représentent environ 23% des 15 pays déjà membres auparavant (105 millions sur 395 millions). Toutefois, les PIB de ces nouveaux membres (848 milliards d’euros) ne représentent que 7% de ceux des membres anciens (11 135 milliards d’euros). Cela donne une idée sur le contraste qui devrait handicaper, en quelque sorte, le processus d’intégration ; mais ces éléments n’ont pas constitué d’obstacles infranchissables à l’intégration étant donné le rôle moteur de l’institutionnalisation dans le processus (d’IER).
Déjà avec l’ASEAN, l’instauration d’une zone de préférence économique est toujours envisagée avec des réalisations non négligeables. En fait, les ambitions et les accords établis entre des pays ayant des structures économiques très différentes et des niveaux de développement très contrastés démontrent la réalité institutionnelle de cette intégration régionale. De manière analogue à l’Europe des 25, en 2010 (Bafoil, 2013), le nombre d’habitants des 4 nouveaux adhérents de l’ASEAN représente 28% de celui de l’ASEAN 6 (les fondateurs). Or, les PIB de ce dernier est largement plus élevé que ceux des quatre membres les plus récents (7% seulement des PIB de l’ASEAN 6). Les états des lieux au niveau de l’ASEAN+3 donnent encore plus de force à cette réalité avec l’entrée en groupe du Japon et de la Chine qui viennent ajouter davantage de contraste par rapport aux pays du Sud. Mais il y a une forme d’institutionnalisation qui apparait au niveau des accords et dans les relations entre les pays de cette région faisant en sorte que les Etats membres sont prêts à internaliser également les coûts de l’intégration.
Même au début des rapprochements officiels entre les treize pays de l’Asie orientale, il apparait que les échanges intra-zone étaient relativement importants, avec la moitié des exportations en moyenne, en 1996 (Hugon, 2001). Les données de l’année 2009 a estimé que ces échanges ont légèrement baissé, mais restant toutefois importants (45% pour l’importation et 35% pour l’exportation). Comparées aux données pour les échanges intra-ASEAN (respectivement 24,5% et 21%), cela donne plus de légitimité à la prise en compte des trois derniers arrivants de l’ASEAN+3 (Guilhot L. , 2012). Au moins, ce bloc de treize pays asiatiques aurait le mérite de porter le titre de régionalisation.
- Cette notion de préférence découlant de la discrimination (envers les pays non-membres) s’appuie surtout sur la réciprocité de la levée des barrières.
Chaque couple d’Etats dans la zone s’engage et s’applique dans la levée effective des obstacles à la libre circulation des produits (biens et services), des facteurs de production (travail et capital), et de la monnaie le cas échéant. Certaines zones de préférence comme l’Afrique Caraïbe Pacifique (ACP) ne peuvent pas alors prétendre à la catégorie d’intégration régionale institutionnelle : les pays à l’intérieur de ces zones ne concèdent pas à l’égalisation des tarifs pour les produits et les facteurs.
La réalité de la discrimination vis-à-vis des pays tiers à l’Union Européenne et les mesures de réciprocité à la base ne sont plus à démontrer largement. Il suffit d’apprécier les étapes déjà franchies par l’intégration européenne dans le modèle de Bela Balassa pour se convaincre de la manifestation de l’institutionnalisation de celle-ci. Du côté asiatique, outre les perspectives propres à l’ASEAN dans ce sens (zone de libre-échange, harmonisation des tarifs douaniers, libre circulation des capitaux et des hommes), les trois derniers entrants de l’ASEAN+3 manifestent aussi leurs engagements dans ce sens (Guilhot & Figuière, 2007) :
- Pour le Japon, le projet Japan-ASEAN Comprehensive Economic Partnership annoncé en 2002 avec la signature d’un accord un an plus tard devrait aboutir à un accord de libre-échange entre les deux parties ;
- Pour la Chine, la perspective d’une zone de libre-échange avec l’ASEAN pour l’année 2010 a été signée en 2002 ;
- La Corée du Sud s’est aussi engagée en 2004 dans une déclaration commune avec l’ASEAN, puis un accord-cadre ayant comme objectif l’instauration d’une zone de libre-échange entre les deux parties dans un horizon à moyen terme.
- Des règles régissant les relations des pays de la région et leurs (relations) interactions au niveau national sont communément définies.
Les accords de préférence réciproque nécessitent l’élaboration d’un certain nombre de dispositions règlementaires pour bien fonctionner. En fait, l’établissement des règles d’origine (des biens et services) est une des conséquences logiques de la politique de discrimination dans un accord d’intégration. De manière analogue, force est de reconnaitre que la libéralisation en matière d’investissements directs exige une certaine intervention étatique dans le but d’harmoniser les règles sur les pratiques dans ce domaine.
Entre autres, l’existence de plusieurs institutions au sein de l’Union Européenne avec un abandon de souveraineté nationale des Etats membres sont des concrétisations de l’institutionnalisation de l’intégration européenne. Du côté asiatique, le renforcement des dispositifs déjà déployés notamment sur le plan monétaire et financier et le projet pour un FMA marquent les pas pour l’intégration institutionnelle de l’Asie orientale. Aussi, la projection d’élaborer une charte pour l’ASEAN, et la constitution de l’AMRO pour l’ASEAN+3, sont les prémisses d’une institutionnalisation effective de l’IER est-asiatique.
Les définitions accordées à l’intégration institutionnelle n’incluent pas le concept de région à proprement parler. Autrement dit, la notion de région dans le sens géographique du terme est facultative lorsqu’il s’agit de l’intégration institutionnelle. En tout cas, il semble que cette notion soit satisfaite par les deux intégrations régionales analysées dans la présente étude. En effet, les réalités géopolitiques et géoéconomiques dans ces deux processus ne peuvent pas être niées, ces deux réalités ont d’ailleurs tendance à faire introduire le concept de région dans l’IER.
En sus de la dimension économique de l’intégration institutionnelle, cette dernière s’appuie parfois sur des projets politiques. Pour le cas de l’Union Européenne, l’intégration institutionnelle cherche, entre autres, à préserver la paix et la sécurité dans la région de l’Europe occidentale, surtout dans la période d’après-guerre (et essentiellement pour se prémunir des méfaits de la guerre froide). A rappeler que cela fut également le cas de l’ASEAN qui avait pour ambition (qui fut réalisée) de mettre l’Association au profit de la paix pour l’Asie du sud-est (l’ASEAN étant une étape dans le processus d’intégration vers l’ASEAN+3). Puis, est venue la crise de 97 pour conduire les treize pays de l’ASEAN+3 à se pencher sur les intérêts géoéconomiques de l’Asie orientale, de chercher à produire la stabilité financière et monétaire de la région.
L’économie spatiale tend à soutenir que l’intégration régionale est surtout relative à des pays et territoires proches géographiquement. Le niveau d’échanges commerciaux serait une fonction négative de la distance qui sépare deux pays partenaires, cette dernière étant à son tour inversement proportionnelle aux tailles de ces deux économies.
Tout de même, les deux zones d’intégration (Union européenne et Asie orientale) ont surmonté l’exclusion strictement géographique, même si cela est surtout considéré en termes de perspectives. L’élargissement de la « région » déborde ainsi le cadre purement géographique qui constitue la base initiale des accords, un élément clé dans le processus d’intégration. A considérer, par exemple la candidature à l’Union Européenne de la Turquie qui est un pays asiatique, non occidental, non laïc (la démocratie étant une condition sine qua non d’appartenance à la région). L’ASEAN (dont la +3) projette également d’étendre la coopération « régionale » à des pays en dehors du périmètre géographique de la région d’Asie orientale (l’Australie et la Nouvelle-Zélande se placent d’abord comme pays observateurs).
Par ailleurs, il ne faut pas minimiser les rôles de la continuité de l’espace dans le processus d’IER, aussi bien pour l’Europe que pour l’Asie orientale. Les citoyens européens jouissent désormais de la libre circulation, non seulement des biens et services mais également des facteurs humains (avec l’espace Schengen, en l’occurrence). La faible distance entre les Etats donne au moins des opportunités d’extension des marchés nationaux vers d’autres espaces connexes : les premières alternatives sont pratiquement toujours offertes par les pays voisins. Cela est d’autant plus vrai pour le cas de l’Europe que pour les pays baignant entre l’océan indien et le pacifique. Ces derniers bénéficient d’une facilité relative des acheminements de marchandises entre les différents pays par voie marine, sans forcément être toujours obligé de chevaucher des territoires terrestres d’autres pays. Mais cette continuité de l’espace dans une région perdrait probablement sa première importance dès qu’il s’agit de marchés dématérialisés (de service, monétaire et financier).
Ainsi et à l’aune des extensions qui s’opèrent au niveau de l’Union européenne et de l’ASEAN+3 (même si c’est encore dans le stade de projet), il serait plus plausible de parler de dynamisme de la région plutôt que d’imposer des frontières fixes pour les territoires intégrables.
La notion de région englobe désormais d’autres domaines que géographiques, c’est-à-dire qu’il n’y aurait pas d’exclusivité du facteur géographique. En fait, l’importance de ce facteur est généralement appréciée en termes de coûts de transaction qu’engendrent des distances plus élevées entre deux pays (d’autant plus que l’institutionnalisation implique l’internalisation des coûts). Or, les coûts de la distance géographique ne concernent qu’une partie (parfois même, moindre) de ces coûts de transaction. Dans les logiques des firmes, il faut aussi prendre en compte les multiples réseaux et nœuds importants sur lesquels transitent l’essentiel des échanges dans certaines régions. A considérer, par exemple, les enjeux des nombreuses délocalisations vers les pays d’Asie du sud-est qui tendent même à relativiser la proximité géographique.
L’important est de pouvoir bénéficier d’un marché plus vaste que celui proposé par la dimension nationale, avec un cadre favorable au développement des relations entre les acteurs non-étatiques, au moins pour ce qui concerne le plan économique. Dès fois, il est plus facile d’établir ce cadre pour les pays partageant une même frontière, bien que cette hypothèse n’est pas toujours vérifiée. Un contre-exemple concerne le cas de la relation conflictuelle entre la Chine d’une part, et le Taiwan et la Hong-Kong d’autre part : la perspective d’ASEAN+5 est moins probable (voire, très peu possible) par rapport à l’ASEAN+3. Le concept de région trouve ainsi d’autres composantes que la notion purement géographique, dont des éléments tels que la convergence de règles et normes, donc une part non négligeable de l’intégration institutionnelle. Il y a alors une tendance vers le régionalisme sans région.
2.3. Accords commerciaux régionaux
Chacun des deux processus d’IER (Union Européenne et ASEAN+3) est parsemé d’accords commerciaux régionaux, ou accords de libre-échange plus précisément. D’ailleurs, ces accords constituent l’étape la plus simple, la moins avancée des formes dans le processus d’IER (au sens de Balassa). L’Europe a déjà dépassé cette phase puisqu’il lui reste la cinquième étape pour compléter son intégration. Les avancées de l’ASEAN dans l’AFTA (zone de libre-échange de l’ASEAN) devraient être étendues à l’ASEAN+3 avec les trois membres récents (cf. supra – 2.1. Intégration institutionnelle).
En Europe comme en Asie, les initiatives d’intégration se sont généralement appuyées sur des échanges de biens matériels. Ensuite, le processus s’est ensuite étendu progressivement aux marchés des services et des capitaux, dont les investissements de portefeuille et les investissements directs étrangers. Les accords ont ainsi évolués des échanges de biens tangibles vers les moins tangibles pour essayer de résoudre les problèmes transfrontières concernant l’harmonisation des activités des acteurs privés.
Mais il y a une grande différence (entre les deux processus d’IER) au niveau de la base même de la mise en œuvre de ces accords commerciaux en particulier et de l’IER en général, une constatation faite de la réalité au niveau de l’ASEAN. Mais cette différence est largement atténuée lorsqu’il s’agit de prendre en compte l’ASEAN+3 dans l’analyse comparative avec l’Union européenne. Mais avant de se pencher sur cette différence marquante, il est important de souligner le rôle joué par les institutions étatiques sans lesquels l’établissement des règles devant régir ces accords ne serait que dans le stade des projets.
En fait, les pouvoirs politiques nationaux des Etats membres de l’Union européenne ont consentis un transfert de souveraineté important au profit des institutions régionales dans l’élaboration et la mise en œuvre des règles communes. Ces dernières sont censées harmoniser, non seulement les relations commerciales mais allant jusqu’à la régulation des pratiques internes à chaque pays. Cela montre ainsi que le processus d’IER européenne est très large concernant les politiques concernées par rapport à la réalité asiatique sur ce domaine. La volonté des pays membres à faire avancer ce processus (dans la mise en place des stratégies commerciales, en l’occurrence) peut être constatée à travers les réunions des représentants des pays membres dans ce sens : les responsables (chefs d’Etat, Ministres, Gouverneurs de banques centrales) européens se réunissent beaucoup plus fréquemment (3 fois plus, en 2004) que ceux du côté de l’Asie orientale (Sa, Bonzom, & Strauss-Kahn, 2005), ce qui semble indiquer le degré d’enthousiasme des Etats membres en matière d’IER.
En effet, l’approche asiatique (pour l’ASEAN d’abord) de l’IER est caractérisée par trois principes essentiels :
- Chaque décision devrait être prise de manière consensuelle ;
- Les éventuelles institutions régionales ne s’ingèrent pas dans les affaires internes des pays membres ;
- Les besoins spécifiques des pays membres sont pris en considération (surtout en matière commerciale).
Pour le cas de l’ASEAN qui est encore l’unique institution interétatique véritable dans le continent, deux grands facteurs constituent des risques d’entraves aux accords commerciaux régionaux :
- Les paramètres extra-commerciaux, dont la faible (voire l’absence de) considération des éventuelles problèmes politiques et le manque de confiance entre les Etats membres ;
- Le manque de mécanismes appropriés pour mettre en application ces accords, ce qui limite considérablement leur portée. La vitesse d’avancement du processus d’intégration est dictée en partie par les états des lieux dans les pays les plus faibles (les plus vulnérables dans les échanges commerciaux extérieurs).
Il est possible ainsi de qualifier le processus européen de gouvernance régionale puisqu’il se base d’abord sur des flux d’échanges intra-zone concentrés et très élevés, ainsi que sur des règles appliquées pour harmoniser les pratiques à l’intérieur de chaque pays membres. Mais également, il s’agit de faire référence à un degré de supranationalité plus élevé que celui de l’IER en profondeur. Les institutions supranationales collaborent alors avec les institutions nationales dans la mise en place d’une procédure d’élaboration des règles (destinées à l’harmonisation des pratiques internes des acteurs nationaux). Au niveau de l’Union européenne, il est surtout question de participation, de négociation et de coordination (projet, consensus, partenariat) entre ces deux types d’institution (institutions supranationales et nationales). L’adoption de l’Euro comme monnaie unique dans un stade d’union économique et monétaire est un des exemples manifestes de l’existence de cette gouvernance régionale au niveau de l’Union européenne.
C’est ce qui fait surtout la différence avec le processus sud-est-asiatique (ASEAN) qui malgré qu’il s’agit d’une intégration institutionnelle, celle-ci est seulement en surface (cf. supra – 1.1.2. Gradation de l’IER), au sens de Figuière et Guilhot (2006). Avec la tendance à la concentration des échanges commerciaux intra-zone après la crise de 1997, il s’agit d’une régionalisation (toujours au sens de ces auteures), bien que cette concentration soit relativement lente (21% en 2004, mais plus rapide par rapport au commerce extérieur avec le reste du monde qui est de 19%). Cette régionalisation couplée à une relative coordination des relations d’échanges sur la base de règles établies par des institutions non encore supranationales nécessairement, d’où une intégration « aux frontières ».
Le cas de l’ASEAN+3 est, par contre, sensiblement différent. Trois importants motifs conduisent déjà à privilégier l’ASEAN+3 au détriment de l’ASEAN :
- Le Japon, la Chine et la Corée du Sud sont des principaux partenaires économiques de l’ASEAN ;
- Chacun de ces trois pays a conclu des accords bilatéraux d’échanges commerciaux avec l’ASEAN ;
- L’ASEAN+3 prend progressivement une place plus importante en tant qu’entité sur les relations commerciales internationales (au mépris même de l’ASEAN), notamment pour les discussions avec les grandes régions, dont l’Union européenne (dans le cadre de l’ASEM ou Asia Europe Meeting, par exemple).
A travers trois dimensions, il est possible de qualifier de « en profondeur » l’intégration régionale de l’ASEAN+3. Une concentration de flux d’échanges a commencé à se construire depuis le début des années 2000 faisant en sorte qu’il s’agit d’abord d’une régionalisation. En effet, sur des statistiques de 2003 par exemple (Figuière & Guilhot, 2006, p. 93), en faisant abstraction des relations commerciales avec les Etats-Unis et l’Union européenne, celles de l’ASEAN 6 (membres fondateurs avec le Brunei) avec le Japon, la Chine et la Corée du Sud peuvent être classées de premier rang (respectivement de 11.8%, 6.4% et 4% pour les exportations de l’ASEAN 6 et de 16.3%, 7.8% et 4.2% pour les importations). Les données de 2004 (Figuière & Guilhot, 2006, p. 94) accordent aussi une importance grandissante de l’ASEAN+3 par rapport à l’ASEAN en termes d’échanges commerciaux intra-zone : 35.1% des exportations et 43% des importations circulent entre partenaires de l’ASEAN+3 si ces chiffres sont seulement de 23.3% des exportations et 21.7% des importations pour les échanges intra-ASEAN. De plus, la moyenne géométrique des taux annuels de croissance des échanges de l’ASEAN+3 entre 2002 (première croissance positive après les effets de la crise de 1997 provoquant une croissance négative en 2001) et 2004 est particulièrement plus élevée (17.5%) par rapport à la moyenne de l’ASEAN (11.5%).
La deuxième et la troisième dimension concernent la crédibilité politique et l’existence d’une zone de production de biens publics régionaux. La coordination institutionnelle des échanges régionaux (non seulement pour les biens tangibles) est marquée par de nombreuses perspectives de régulations : depuis la recherche de mécanismes financiers pour prévenir les crises en 1998 à Hanoi, accompagnée de la proposition japonaise de la création d’un FMA, et en passant par le sommet de Brunei de 2001 visant à accélérer la coopération économique régionale. Mais c’est surtout la coopération monétaire avec l’ICM, complétée par l’ABMI, qui constitue le noyau de la coordination politique des relations commerciales au niveau de l’ASEAN+3. A rappeler que l’ICM (et l’ABMI) est aussi la conséquence directe de la recherche d’une stabilité financière et monétaire, représentant ainsi le « bien public régional » produit par l’ensemble des pays de cette zone.
La théorie des zones monétaires optimales donne raison à l’Union monétaire dès lors que la fluctuation des taux de changes ne s’impose pas comme un instrument d’ajustement efficace au regard de l’avantage que devrait procurer les changes fixes. Une union monétaire est envisageable au niveau d’une région dont les pays membres connaissent des chocs symétriques. Cette union peut être aussi efficace si d’autres mesures d’ajustement, telles que la mobilité des facteurs ou encore une politique budgétaire commune, sont réalisables. L’Europe a déjà franchi cette étape d’union monétaire qui s’est basée essentiellement sur une monnaie unique, après avoir rempli un certain nombre de conditions (cf. supra – 1.2.3- Le Traité de Maastricht).
L’ICM (et l’ABMI) semble d’abord plaider en faveur de l’intégration monétaire du côté de l’Asie orientale. Quelques auteurs (Figuière, Guilhot, & Guillaumin, 2013) ont d’ailleurs démontré l’existence d’une convergence monétaire, l’émergence d’un bloc monétaire au niveau de l’ASEAN+3. En d’autres mots, il s’agit d’une volonté (que celle-ci soit consciente ou non) des pays de la zone d’harmoniser leur politique de change dans le but de limiter la variation des taux de change entre les monnaies de ces pays relativement à une (monnaie) ancre. Les tests ont montré que
- il y a un certain décrochage par rapport au dollar ;
- une convergence des taux vers des cibles régionales émerge : vers le « Modified Asian Currency Unit» (MACU, une construction à partir des monnaies des pays de la région, à l’exception du Vietnam, de la Birmanie (Myanmar), du Brunei, du Cambodge et du Laos) plus particulièrement pour l’ensemble des données (1990-1996, 1999-2008, 2008-2011) et vers une autre cible constituée du yen et du yuan pour la période 2008-2011.
Désormais, un bloc monétaire de facto est en train de se constitué en Asie orientale, surtout que la stabilité des (taux de) changes apparait comme un facteur déterminant de la santé des économies de la zone, d’une part, et cette stabilité est probablement obtenue grâce à des interventions régulières des pays (de la région) sur les marchés des changes, d’autre part. Un bloc monétaire est dit « de facto » lorsqu’il s’agit d’étudier les taux de change nominaux, par opposition à « de jure », qui se base sur des taux de change réels. Les tests ont conclu la tendance vers une union monétaire dans l’Asie orientale dictée plutôt par le développement du commerce intra-zone que par une volonté politique.
A remarquer que si les pays de la région arriveraient un jour à constituer une union monétaire (un bloc monétaire de jure) avec des coopérations formalisées en matière de change, il serait beaucoup plus probable qu’ils optent pour la cible MACU au détriment de celle constituée par le yuan et le yen. En effet, la première serait beaucoup plus acceptable politiquement par ces pays que la seconde étant donnée la relative hégémonie de la Chine et du Japon dans la région.
2.5. Rôles du marché dans le processus d’intégration
Le marché a joué des rôles transversalement opposés, en quelque sorte concernant les deux processus d’IER (européen et est-asiatique). D’ailleurs, la prise en compte des états des lieux du marché a, dans les deux cas, impulsé le processus d’intégration régionale. Si cette appréciation se focalise du côté de la demande pour le cas européen, celui asiatique se base plutôt sur les éléments d’offre.
Le modèle économique adopté en Asie dans les années 80, le « vol des oies sauvages » (flying geese), a tenu un rôle très important dans les relations économiques régionales est-asiatiques. En effet, comme les coûts locaux de production japonais ont connu une relative hausse (du moins, par rapport à certains pays voisins), la production des entreprises nippones a alors été transférée vers les nouvelles économies industrialisées, dont la Corée du Sud, le Taiwan, la Hong-Kong et le Singapour. Parallèlement, le décollage dans ces pays a entrainé la délocalisation de la production vers les 4 dragons (Malaisie, Thaïlande, Indonésie et Philippines).
L’expérience asiatique a ainsi montré une complémentarité des productions en favorisant les investissements directs étrangers verticaux. Ce modèle de développement économique a organisé le réseau d’offre régionale à partir des sociétés multinationales japonaises qui ont profité des avantages comparatifs complémentaires des pays de l’Asie orientale. L’intégration de l’ASEAN+3 (aussi ASEAN+5) peut donc être qualifiée de « territoriale », par les firmes. Il s’agit surtout de trouver des alternatives régionales concernant les coûts de transaction, de chercher une compensation des asymétries, de maîtriser les variables clés qui s’interagissent au niveau régional, d’essayer de profiter des externalités positives par les interdépendances des acteurs de la zone.
Les échanges interbranches entre pays différents ont désormais composé principalement le commerce intra-zone de l’Asie orientale. Puis, le rattrapage dans les nouvelles économies industrialisées a favorisé le développement des échanges intra-branches de certains produits comme le textile et les appareils électroniques. Tous ces éléments ont ainsi fortement contribué à la croissance du commerce extérieur interrégional (exportations essentiellement entre les nouvelles économies industrialisées et les quatre dragons).
En revanche, les niveaux de développement des pays membres de l’Union européenne sont relativement homogènes, ce qui favorise la substitution entre les produits de consommation. Les relations commerciales s’appuient alors sur des échanges intra-branches de produits manufacturés. Les stratégies adoptées par les firmes européennes (à la différence des stratégies japonaises) sont d’abord tournées vers l’installation des sites de production dans d’autres pays voisins à travers des investissements directs étrangers horizontaux. Les objectifs poursuivis en sont la croissance des parts de marché et le contournement des obstacles commerciaux. Il s’agit donc et surtout d’étendre le marché plutôt que de chercher une réduction des coûts de production.
L’intensification de la spécialisation interbranche semble amoindrir sensiblement la vulnérabilité aux variations des changes du secteur secondaire. Le processus de production asiatique qui est vertical avec une substituabilité limitée à divers stades (de production) conduirait généralement à une rigidité de la structure (de production). Des taux de change volatile ne devraient donc pas trop influer sur le processus de production.
Par contre, le processus de production européen, qui est horizontal, fait que les activités (de production) relativement similaires devraient permettre une certaine flexibilité. Du coup, une forte volatilité des taux de change pourrait provoquer la délocalisation des étapes de production vers d’autres pays qui se montrent plus compétitifs. Cette intense fluctuation des changes pousse aussi les consommateurs à opter pour une substitution des produits en provenance d’un pays pour acheter d’autres d’un autre pays. L’adoption de l’Euro comme monnaie unique dans le cadre de l’union monétaire découle alors (au moins en partie) de la relative sensibilité de la consommation et de la production aux variations des taux de change en Europe.
2.6. Rôles des Etats et des institutions
L’étude du processus d’intégration européenne montre que les conditions nécessaires devant garantir sa soutenabilité (telles que la symétrie des éventuels chocs sur le plan macroéconomiques, des spécialisations industrielles complémentaires, un marché du facteur travail flexible) n’ont été que réunies partiellement par les membres fondateurs. Cependant, cela n’a pas empêché l’Union européenne d’atteindre ses objectifs d’intégration grâce à une forte contribution de la volonté politique manifeste et un cadre institutionnel affirmé de la part des pays membres. Ces ingrédients politiques ne sont pas réellement trouvés dans le processus est-asiatique, du moins avec l’ASEAN, avant l’avènement de l’ASEAN+3 suite à la crise financière de 97.
Les membres fondateurs de l’ASEAN et ceux de l’Union européenne ont tous poursuivis des objectifs sécuritaires après la deuxième guerre mondiale. Les premiers cherchaient surtout à se regrouper après la période coloniale et à trouver les consensus pour garantir la paix dans la région. Les seconds, notamment l’Allemagne et la France, tenaient à ce que les conflits antérieurs ne se reproduisent plus. Chacun (les membres fondateurs de l’ASEAN et de l’Union européenne) considéraient des objectifs économiques, mais l’Europe était beaucoup plus sérieuse sur ce domaine, dont avec des coopérations au niveau de certains secteurs-clés (charbon, acier, agriculture et commerce). Les objectifs économiques fixés par l’ASEAN n’ont pas été réellement atteints, probablement par manque de volonté politique. D’ailleurs, la question d’IER véritable n’a fait surface qu’ultérieurement, avec l’ASEAN+3 pendant le sommet d’Hanoi (1998). En quelque sorte, l’ASEAN et le projet européen visaient aussi à s’isoler des conflits nourris par la guerre froide.
Mais l’un des points marquant la distinction entre les deux processus, c’est que l’Europe dispose de nombreuses institutions supranationales (à l’instar de la Commission européenne, le Parlement européen, la Banque centrale européenne et la Cour de justice) avec des politiques communes. En fait, les pays membres de la région ont accepté de céder une bonne partie de leur souveraineté dans ce mode décisionnel supranational. Ce dernier étant assez contraignant puisqu’il y a un engagement des membres à respecter les dispositions communes adoptées. Le mode supranational est à distinguer du mode intergouvernemental qui est relatif à l’intégration d’Asie orientale (du moins pour l’ASEAN). Avec la supranationalité de l’Europe, chaque décision prise est votée à la majorité qualifiée, tandis que l’intergouvernemental d’Asie orientale conduit à une prise de décision à l’unanimité. Les membres de l’Union européenne se sont mis d’accord sur des échéanciers assez ambitieux mais avec des projets régionaux réalisables en termes de politique commune et d’institutionnalisation. La création d’institutions apparait comme une condition essentielle mais non pas suffisante de la facilitation du processus d’intégration et de l’efficacité de celui-ci.
A part les institutions, les procédures et règles communes sont également très importantes puisqu’elles peuvent faire accélérer le processus d’intégration, surtout concernant l’union économique et monétaire. Le Pacte de stabilité et de croissance de l’Union européenne est un exemple concret de l’application de la supranationalité en matière de discipline budgétaire. Cette dernière impose alors à chaque pays membre de respecter les limites fixées pour éviter les déficits pouvant faire augmenter la prime de risque des taux à long terme de tous les membres. Les règles communes permettent de faciliter la surveillance multilatérale et de faire pression sur les entités nationales. Toutefois, comme c’est le cas avec le Pacte de stabilité et de croissance, il ne s’agit pas de règles strictes proprement dites :
- les pays membres ne cèdent pas leur souveraineté concernant la politique nationale ;
- les règles reposent essentiellement sur des principes et des procédures qui devraient permettre de les appliquer (ces règles).
L’intégration est-asiatique connait une toute autre réalité avec des mécanismes de surveillance régionale (Sa, Bonzom, & Strauss-Kahn, 2005) étant donné le manque d’engagement politique suffisant, les pays de la zone étant assez réservés sur l’abandon d’une partie de leur souveraineté. L’ICM établit la base de tel mécanisme ou les dialogues politiques devraient contribuer à une IER plus en profondeur, surtout sur les domaines monétaire, commercial et de l’investissement. Ce processus s’appuie sur les principes de pression et d’intérêt général et mutuel entre les membres de l’ASEAN+3. Ces derniers effectuent des échanges d’idées sur les états de l’environnement financier et macroéconomique, identifient et évaluent les risques, puis proposent des solutions en conséquence. Un système d’alerte est ainsi mis en place afin de se prémunir de toute menace dans la région.
Tout cela avance que toute intégration régionale est unique, ou du moins, comporte des composantes spécifiques à la région. En revanche, ces analyses ont démontré en même temps qu’il existe une certaine similarité entre les processus européen et est-asiatique. Aussi, l’étude comparative de ces deux processus pourrait même aller jusqu’à proposer des liens « naturels » entre eux qui prévalent sous certaines hypothèses.
3- Perspectives pour l’ASEAN+3 par rapport aux expériences européennes
Les éléments qui ont servi dans les analyses comparatives des deux processus d’intégration régionale dans la partie précédente donnent ainsi des idées sur une possible appréhension de l’avenir de l’ASEAN+3 à travers les expériences de l’Union européenne. L’appréciation des perspectives d’évolution de l’ASEAN+3 devrait pouvoir se faire autant en considérant ses relatives similitudes que ses différences avec l’Europe. La présente étude ne se vante pas pouvoir effectuer des analyses exhaustives de tous les éléments devant permettre de mettre en exergue ces perspectives. Il y a lieu surtout de démontrer qu’une étude comparative laisse entrevoir au moins ces dernières, suggérant ainsi une certaine relation non nécessairement fonctionnelle entre les différents processus d’IER.
3.1. Existence de noyau dur ou de bien public régional
L’Europe a « bénéficié » d’un noyau dur, composé principalement par l’Allemagne et la France dans le processus d’IER. Ces pays « ancres » ont été essentiels, voire moteurs, permettant des progrès importants dans divers domaines de premiers plans, tels que le commerce, la défense et la monnaie. Ce noyau dur a joué des rôles capitaux à différentes phases du processus d’intégration, notamment dans la création des institutions supranationales. Etant donnée la taille relativement imposante de chacun de ces deux pays, il n’est nullement concevable que l’un concède à ce que le processus soit seulement basé sur les éléments politiques et juridiques de l’autre. L’émergence des institutions supranationales (qui seraient neutres) est alors inévitable pour aboutir à une gouvernance régionale.
L’exemple européen n’insinue pas qu’il ne soit pas possible de voir un unique pays jouant un rôle central dans un domaine spécifique du processus d’IER. A titre d’exemple, l’Allemagne est progressivement devenu l’élément central dans les politiques visant à stabiliser le taux de change. Ceci a été le cas à cause de la performance manifeste de la Banque fédérale (d’Allemagne) et des avantages offerts par certaines caractéristiques, dont une volonté affichée en matière de stabilité des prix et l’indépendance du Comité de la politique monétaire. Néanmoins, pour prôner la neutralité dans le processus, il a été nécessaire de mettre en place des composantes supranationales établissant le cadre institutionnel de cet accord en termes de changes.
Le cas de l’ASEAN+3 est particulièrement complexe puisqu’une copie intégrale de l’expérience européenne pourrait ne pas mener vers la réussite du processus d’intégration. A priori, la Chine et le Japon se présentent comme candidats idéaux et légitimes pour former le noyau dur du mouvement. Il existe tout de même des biais avec cette alternative qui risquent d’entraver les mécanismes d’IER.
La Chine est devenue la seconde puissance économique mondiale en 2010, après les Etats-Unis, ce qui renforce la légitimité de sa position de leader dans l’Asie orientale. Il apparait que la Chine cherche à affaiblir la présence américaine dans le continent pour affirmer sa position dominante dans cette zone. La grande taille de la Chine (et ainsi de son marché) fait en sorte qu’elle devient un partenaire de premier rang pour plusieurs pays de l’ASEAN, en plus des effets structurants qu’elle exercerait potentiellement sur les économies voisines.
Toutefois, la Chine présente des problèmes économiques qui l’empêchent de jouer le leader dans la zone. L’économie chinoise ne pourrait pas rivaliser celle du Japon bien que certains chiffres pourraient se révéler comparables, tels que ceux du PIB (par exemple) : Même si la Chine tient un rang très avancé en termes de PIB dans le monde, elle est encore largement en retard par rapport au Japon en ce qui concerne le PIB par tête : en 2010 (base 100 : PIB par tête des Etats-Unis)[4], si le PIB par tête du Japon est devant ceux de l’Union européenne et de la Corée du Sud avec respectivement 74, 71 et 69, celui de la Chine reste loin derrière avec seulement 19 (Chaponnière & Lautier, 2014). Ceci s’accompagne d’ailleurs d’un relatif ralentissement de la croissance du PIB chinois, notamment à partir de 2012 : si cette croissance dépassait toujours 10% durant les années 2000, elle n’était plus que 7.7% en 2013 (par rapport à 2012), la moins élevée sur une période de 15 ans (après 1999)[5]. De plus, le niveau technologique de la puissance chinoise ne pourrait pas encore rivaliser celui du Japon. Cela dit, la Chine ne peut pas (du moins, jusqu’à prouver le contraire) se prévaloir du rôle d’économie motrice pouvant diffuser des règles d’organisation dans la région d’Asie orientale.
En même temps, le géant de l’Asie qu’est la Chine n’ignore pas ses immenses influences compte tenu de ses puissances que lui confère la grande taille de son marché. Depuis la crise asiatique de 97, et surtout de son entrée dans l’OMC, la Chine a montré sa détermination à s’imposer sur la scène internationale et régionale. Ainsi, elle est la première à s’engager dans un accord de libre-échange avec l’ASEAN avant le Japon et la Corée du Sud. Entre autres, elle a réalisé plusieurs actions économiques et politiques, dont une forte contribution à des opérations de secours financier, des importants excédents d’échanges qu’elle a accordés aux pays de la région. Il ne faut pas non plus oublier qu’elle a osé refuser de dévaluer sa monnaie suite à la crise de 97. Du coup, la Chine pourrait s’imposer telle une force bienveillante auprès des pays est-asiatiques.
Le Premier ministre chinois a, dans une conférence de presse qu’il a donnée[6], affirmé que la puissance chinoise ne viserait jamais l’hégémonie. Le gouvernement chinois s’impose alors dans le vaste territoire d’Asie orientale comme un leader qui « rassure » plutôt qu’un hégémon qui « convainc » (Figuière & Guilhot, 2005). La Chine revêtirait seulement les caractéristiques politiques d’un hégémon.
Le Japon, de son côté, demeure l’une des puissances économiques les plus avancées en termes de nouvelles technologies. Aussi, il y a également les investissements directs étrangers nippons avec leurs structurants effets à travers la division du processus de production dans la région d’Asie orientale. Le Japon serait aussi le premier bailleur de l’Asie de l’est, dans le cadre d’aide publique au développement. Finalement et non le moindre, il faut considérer également les flux considérables d’échanges commerciaux entre le Japon et ses partenaires asiatiques. Pourtant, ce pays ne pourrait pas se permettre de jouer un rôle politique conséquent dans cette région ; deux motifs peuvent être cités, entre autres :
- une sorte d’inhibition au niveau de la politique internationale, probablement (même en partie) à cause des effets néfastes pour le pays après la seconde guerre mondiale (bombardement nucléaire, occupation américaine) ;
- la réserve de certains pays tels que la Chine et la Corée du Sud de lui accorder une chance de tenir un rôle politique dans la région est-asiatique, compte tenu des effets de la colonisation nippone dans ces pays.
En somme, le Japon remplit (seulement) les caractéristiques économiques d’un hégémon. Le Japon se présente comme une menace pour Pékin, de fait que la puissance nippone serait le premier à avoir réussi sa modernisation. De plus, le Japon est un ancien redoutable agresseur de la Chine, d’autant plus que c’est aussi l’allié principal des Etats-Unis dans cette zone. Du coup, la Chine poursuit un double objectif important concernant le Japon : le faire isoler en Asie, mais en même temps, l’arrimer autant que possible à l’économie chinoise.
De par ce conflit sino-japonais qui persiste, prendre ce couple de pays ou bien l’un d’entre eux comme noyau dur de l’intégration de l’ASEAN+3 risque fort de se solder par un échec. Bien que ces deux puissances aient déjà manifesté leur volonté de diriger le mouvement (la Chine est la première à signer un accord de libre-échange avec l’ASEAN, en 2001, et le Japon tient toujours son initiative de prendre des parts majoritaires dans le FMA, une question rediscutée en 2008), il ne faut pas oublier que ce sont des concurrents directs. Ces deux géants tiendraient également des opinions assez divergentes en matière d’intégration régionale (Sa, Bonzom, & Strauss-Kahn, 2005).
En outre, considérer ces deux pays comme ancre pour le processus d’IER risque de se heurter à des problèmes de déséquilibre déstabilisant, puisque d’une part, il y a la puissance chinoise qui gagne toujours plus d’influence en Asie orientale (et ailleurs), et d’une autre part, le Japon prend la même voie mais dans le sens opposé. Ceci n’implique pas que l’ASEAN+3 est vouée à l’échec, que l’ASEAN aurait intérêt à choisir exclusivement l’un (seulement) de ces deux pays comme partenaire. En effet, après la crise de 1997, les échanges commerciaux entre les deux pays ainsi que les investissements directs japonais vers la Chine ne cessent de gagner de l’ampleur.
Plutôt que de s’efforcer d’imiter l’exemple européen, l’ASEAN+3 aurait intérêt à s’appuyer sur un substitut de ce noyau dur. En fait, les Etats membres devraient trouver un élément similaire à un hégémon qui serait capable de donner force à la coopération, tel qu’un objectif en termes de richesses, par exemple, ou encore un certain bien-être collectif à l’échelle régionale. Une quelconque action collective pourrait alors servir de base à la production d’ordre (l’IER) à défaut d’hégémon (Guilhot L. , 2009). C’est dans ce sens que le besoin de stabilité se présente comme « bien public » à produire au niveau régional. Principalement, il s’agit de stabilité financière (stabilité des institutions financières et des marchés financiers) et monétaire (stabilité des prix des actifs financiers, incluant les taux de change), appréciable à travers les solutions que les treize pays se sont convenus de prendre.
Le régime régional de l’ASEAN+3 ne pourrait donc pas être considéré comme hégémonique, dans le sens où un seul pays ou ensemble de pays serait capable de donner une impulsion au processus d’intégration. En revanche, tous les ingrédients semblent indiquer qu’il ne s’agirait pas de régime non hégémonique doté de symétrie du pouvoir (ou régime pur) puisqu’il ne faut pas sous-estimer le rôle de quasi-leaders que jouent la Chine et le Japon. L’ASEAN+3 évolue donc selon un régime non-hégémonique avec asymétrie de pouvoir où les deux pays susmentionnés prennent en main une part majoritaire des coûts de production de la stabilité financière et monétaire dans la région (le bien public régional pour l’ASEAN+3) (Figuière & Guilhot, 2011).
3.2. Niveaux de développement et cycles d’activités économiques
Le modèle européen indique désormais que plus les pays membres d’une région ont des niveaux de développement relativement homogène, plus l’intégration de cette zone est beaucoup plus facile. Ceci n’implique pas pourtant que l’hétérogénéité serait incompatible à l’IER, un facteur bloquant de cette dernière. Au niveau de l’ASEAN, par exemple, les pays présentent des différentiels de PIB par habitant relativement très élevés par rapport ceux de l’Union européenne : l’écart entre le Singapour (le plus riche) et le Cambodge (le plus pauvre) est évalué 1 178% en 2003, tandis que celui entre le Luxembourg (le plus riche) et la Grèce (le plus pauvre) s’élevait à 312% (calculé avec le dollar de 2000)[7]. Dans ce cas, les pays de l’Asie orientale ont intérêt à se fixer comme objectif prioritaire un minimum de synchronisation de leurs niveaux de développement.
En revanche, il ne faut pas nier la différence majeure qu’il faut prendre en compte entre les deux types de processus : l’Union européenne regroupant des pays du Nord et l’ASEAN+3 composée essentiellement de pays en développement. Ces derniers devraient s’attendre à ce que l’intensité de l’intégration serait beaucoup plus importante avec des économies de taille plus grande. Aussi, le niveau des relations d’intégration est proportionnellement plus élevé que les structures de production et de consommation soient diversifiées. Les échanges commerciaux multilatéraux seraient assez limités lorsqu’ils intègrent des pays pauvres qui se spécialisent essentiellement à des produits primaires. En même temps, il semble que l’ASEAN+3 n’intègre pas des pays à faibles avantages comparatifs (bien que nombreux sont ceux qui ont de faible revenu) comme les cas africains (par exemple) où les risques de divergence sont relativement importants (Hugon, 2001).
En outre, dans l’union monétaire et financière de l’Union européenne, les politiques communes au niveau macroéconomique ont une pertinence relativement importante avec des cycles d’activités fortement corrélés des Etats membres. Les pays composant le noyau dur de l’union économique et monétaire européen (dont l’Allemagne, la France, l’Autriche, le Pays-Bas, le Belgique et l’Italie) ont affiché un niveau de corrélation plus élevé ; en revanche, ceux de la périphérie (de ce noyau) présentent un degré de synchronisation plus faible. L’intégration de l’Asie orientale pourrait alors être qualifiée de probable étant entendu qu’il est observé une relative croissance du niveau de synchronisation des cycles d’activités concernant quelques pays de l’ASEAN+3 depuis les années 80, dont la Corée du Sud, l’Indonésie, la Hong-Kong et le Taiwan (étant qualifiés comme « extensions » de la Chine), le Singapour, la Malaisie, la Thaïlande, les Philippines (Sa, Bonzom, & Strauss-Kahn, 2005)[8]. Des efforts sont encore attendus de la part de l’ensemble des pays de cette région pour compléter cette avancée.
Par ailleurs, l’Europe a alloué pendant plus d’une cinquantaine d’années des fonds spéciaux au développement des infrastructures devant impacter sur les échanges entre les pays membres. De tel effort est également à développer davantage pour le cas de l’ASEAN+3, surtout concernant les réseaux de transports maritimes, routiers et ferroviaires afin de ne pas entraver le commerce intra-régional. Pour une région à pays majoritairement en développement comme l’ASEAN+3, il faudrait toujours penser à élargir le marché, d’autant plus qu’un marché étroit limite les gains dynamiques concernant les économies d’échelles. La réduction conséquente des coûts de transport (faisant partie de l’ensemble des coûts de transaction) relatifs aux accords d’intégration régionale est susceptible de favoriser les investissements étrangers.
3.3. Perspective d’élargissement
L’élargissement correspond d’ailleurs à des circonstances dans lesquelles des pays tiers se portent candidats pour faire partie de l’ensemble régional intégré. En principe, cette nouvelle intégration de nouveaux membres se déroule de manière progressive pour ce dernier. Mais cette progressivité est relative, d’autant plus que pour l’Union européenne, les étapes déjà franchies par l’ensemble des pays membres dans le processus d’intégration sont déjà très avancées. A ce titre, l’appréciation de la question d’extension implique également des analyses en prenant en compte la notion « d’approfondissement ». Cette dernière fait référence à des états dans lesquelles les Etats membres visent le renforcement de l’intégration. De tel renforcement pourrait inclure d’importante phase au sens de Balassa (union économique et monétaire, par exemple), mais pourrait aussi ne concerner qu’un seul domaine spécifique (tel que le commerce, la mobilité des capitaux ou du facteur travail, par exemple).
En parlant d’élargissement (et d’approfondissement, par la même occasion), il faut tenir compte des objectifs que les pays membres ont assignés à l’IER. L’Union Européenne a, par exemple, passé par des périodes où la Communauté européenne cherchait à créer un grand marché unique (institué par le Traité de Rome) où les biens/services, le travail et les capitaux peuvent circuler librement. C’est dans ce contexte que des pays comme l’Irlande et le Royaume-Uni font leur entrée au niveau de la Communauté. Quelques décennies après dans le cadre du Traité de Maastricht avec notamment l’union économique et monétaire, les conditions d’adhésion deviennent encore plus contraignantes à l’égard des pays-candidats à l’Union européenne. Ces derniers devaient ainsi prévoir ces conditions à travers les objectifs déjà établis. L’expérience européenne montre que ces objectifs peuvent ne pas être définis de façon claire, surtout avec l’évolution au cours du temps.
L’IER devrait donc être vue comme un processus dynamique et non pas statique, d’autant plus que l’évolution des objectifs suivant les circonstances ne constitue pas, en principe, un obstacle à ce processus. L’adhésion de nouveaux membres (selon le modèle européen) prend en compte le rythme et la séquence d’évolution du processus. L’intégration européenne a débuté avec des pays ayant des niveaux de PIB et de croissance comparables. Puis, au cours du temps, l’élargissement s’est opéré de manière progressive à des économies plus faibles de l’Europe de l’Est et du Sud.
L’élargissement peut être considéré comme stabilisant pour une zone d’intégration et constitue même une réaffirmation des principes de mise en œuvre de l’union régionale. En revanche, les nouveaux adhérents se présenteraient souvent comme les moins regardants au sujet des exigences imposées à tous les membres (Bafoil, 2013). Les extensions de l’Union européenne, surtout celle avec dix nouveaux pays (dont de l’Est et du Sud), ont sensiblement augmenté le niveau de diversité et de complexité de la Communauté. Le Traité constitutionnel adopté en 2004 est alors nécessaire pour élaborer un mécanisme décisionnel plus simple et plus efficace. La région est-asiatique devrait prévoir des éléments analogues pour les éventuels élargissements de l’ASEAN+3, bien que ces derniers ne semblent pas être les plus probables pour la décennie à venir.
Le principe de l’acquis communautaire constitue toujours la base d’octroi du statut d’Etat membre de l’Union européenne. En effet, il est important d’assurer la pérennité des dispositions règlementaires déjà adoptées par les anciens membres, mais il faut également préserver l’égalité des conditions dans lesquelles tous les membres (anciens et nouveaux) seront mis en concurrence (level playing field). Les nouveaux membres se sont vus accorder une certaine phase de transition pour appliquer les composants de l’acquis communautaire, suivant la fragilité de leurs économies et la sensibilité de leurs relations avec leurs partenaires respectifs. Cette pratique est aussi observée en Asie orientale, où les pays les moins avancés ainsi que les nouveaux membres bénéficient plus de temps pour remplir les exigences requises par les objectifs communs. Cependant, de telle pratique n’est pas toujours applicable dans toutes les circonstances, à l’instar de l’adoption d’une monnaie unique avec laquelle la participation d’un membre ne pourrait pas se faire de manière graduelle, dans le cadre d’une IER. La souveraineté monétaire étant impossible à céder partiellement, chaque pays de l’ASEAN+3 devrait prévoir, le cas échéant, à une approche par bond, outre les périodes préparatoires.
L’intégration est-asiatique est, en revanche, entamée (dès la conception, en considérant l’ASEAN comme une étape du processus d’IER de l’ASEAN+3) avec plusieurs pays dont les niveaux de développement économique sont relativement hétérogènes. Dans ce contexte et en faisant abstraction du degré d’avancement du processus d’intégration, les situations de l’Europe et de l’Asie orientale sont comparables, en quelque sorte : les deux processus sont en face d’un défis, celui d’engager une intégration soutenable malgré les divergences qui se manifestent entre les pays membres.
Un facteur très important ne peut pas être éliminé si l’Asie orientale veut prendre des leçons offertes par l’intégration européenne : l’évolution du contexte mondial. L’environnement dans lequel a émergé et a été développé le projet européen a beaucoup changé, notamment en ce qui concerne la mondialisation, une cinquantaine d’année après. A l’époque de la naissance de la Communauté économique européenne, l’intégration régionale est redoutée dans le sens où elle provoquerait plus d’effet de détournement que de création d’échange. Des décennies après, il semblerait que c’est le contraire qui se reproduit (Sa, Bonzom, & Strauss-Kahn, 2005). Dans ce sens, l’ASEAN+3 devrait être prudente dans la copie du modèle européen, puisque l’IER pourrait désormais être appréhendée comme un outil de renforcement de l’intégration à l’échelle mondiale.
Dans le contexte de régionalisme ouvert, l’IER pourrait alors être perçue comme un facteur de complémentarité avec la mondialisation. L’extension du périmètre d’intégration pourrait alors être favorisée dès qu’un pays se montre conscient des avantages de son adhésion à la région, dont le renforcement de sa capacité à jouer sur le commerce mondial. Certains pays du pacifique sont désormais en passe de négocier la possibilité d’accords commerciaux avec l’ASEAN+3, tels que l’Australie et la Nouvelle-Zélande.
3.4. Identité régionale et souveraineté nationale
La construction de l’identité européenne serait partie sur la base d’un évitement de conflit armé au niveau de l’Europe, juste à la suite des guerres mondiales. Cette construction ne s’est pas exécutée systématiquement ou de manière aisée puisqu’il s’ensuit une multitude de crises d’identité régionale, mais également en dualité avec la volonté d’affirmer cette identité. L’affirmation de cette dernière a été confrontée, à plusieurs reprises, à des obstacles, notamment venant des citoyens de l’Union eux-mêmes. Les observateurs ont du mal aussi, parfois, à situer la distinction entre l’identité nationale et régionale (européenne) (Bafoil, 2013).
Manifestement, l’identité régionale européenne s’est progressivement construite également avec l’intégration des pays de l’Est dans l’Union. De telle adhésion a été vue comme un retour vers l’Europe non communiste, non totalitaire et en démocratie. L’opinion publique nationale dans ces anciens satellites de l’Union soviétique a même été plus enthousiaste par endroit (la Pologne, par exemple) à l’idée de cette identité européenne, par rapport à certains occidentaux comme la France.
Tout cela ne signifie guère que l’Europe est insensible aux questions de souveraineté nationale, en même temps que l’Union européenne serait apte à imposer d’important respect des directives communes. Désormais, des points critiques mettent en question les problèmes de souveraineté des Etats en face de certaines régulations européennes. C’est ainsi le cas de l’énergie et l’opinion de la Pologne à ce sujet (exploitation de gaz de schiste) (Bafoil, 2013). Il est possible alors de parler de résilience des Etats membres, une certaine résistance de ces derniers de se séparer de cette souveraineté au profit des institutions supranationales.
L’intérêt de l’identité régionale n’est pas facile à faire émerger dans le continent asiatique ; bien que l’exemple européen ait démontré l’importance de cet élément essentiel dans la construction européenne, le contexte de l’Asie orientale est relativement différent. L’un des premiers problèmes handicapant la recherche même d’identité régionale en Asie orientale est relatif à la colonisation. Les pays de cette zone étaient surtout préoccupés par le nationalisme, la recherche de leur propre identité perdue. Les actions nippones qui s’ensuivent dans la région chassant en quelque sorte les empires coloniaux occidentaux mais s’imposant à son tour comme une puissance impériale n’ont fait que renforcer la concentration des pays de cette zone sur l’identité nationale, au mépris de la collectivité supranationale. Après la décolonisation, les évènements (tels que la conférence de non-alignement, les interventions américaines dans la région, les recherches d’identité sous le drapeau communiste vietnamien) n’ont pas arrivé à créer une véritable cohésion et identité régionale.
La réussite serait seulement attribuée à un cercle presque fermé des fondateurs de l’ASEAN, même si cela reste un sujet de débat pour les observateurs[9]. Tout de même, cela suggère que l’ASEAN+3 devrait accorder plus de place aux valeurs que l’ASEAN a mises en exergue, mais cela tout en évitant les pièges que cette Association a créés (avant la crise de 97) en la matière (dont les propos qui pointent du doigt l’ASEAN comme étant un outil au service de la bourgeoisie dirigeante). L’ASEAN+3 devrait alors profiter de l’extension (l’élargissement) avec les trois récents membres pour réaffirmer l’identité régionale que l’ASEAN a déjà mises en avant avec l’adoption d’une Charte pour l’Association, en novembre 2008 (discutée dès le Sommet de Vientiane, en 2004) et avec la communauté ASEAN prévue pour 2015.
La question politique prend une place de premier niveau dans les préoccupations de l’Union européenne avec des règles supranationales qui régissent les pratiques politiques nationales. Certes que cette question (politique) est surtout attribuée à l’étape ultime dans le processus d’intégration au sens de Balassa, mais l’expérience européenne a démontré qu’elle n’est nullement dissociable de l’IER. Les institutions supranationales interviennent surtout de manière indirecte sur ce point, dont à travers les critères en matière de gouvernance à remplir pour les candidats voulant faire partie de l’Union. Principalement, il est imposé à ces derniers de prôner la démocratie[10], considérée comme garant de l’IER, en quelque sorte, de par les influences qu’elle (la démocratie) devrait accorder : assurer la liberté de circulation des hommes (donc du facteur travail), donner une impulsion au libéralisme (intégration par le marché), etc. La supranationalité des institutions européennes confère une relative homogénéité au niveau de la gouvernance des Etats du vieux continent, et ainsi plus de cohésion et d’affirmation de la valeur régionale. Ceci est d’autant plus nécessaire avec l’élargissement de la région européenne vers l’Est et le Sud du continent.
La situation asiatique montre que l’ASEAN (et +3) souffre d’un manque de coordination politique au niveau régional, une circonstance qui risque d’affecter la bonne marche du processus d’intégration. L’Asie orientale est le théâtre d’une multitude de régimes politiques, allant des régimes totalitaires/autoritaires jusqu’à la démocratie. Ce contexte favorise la divergence entre les différents pays membres et renforce leur réticence quant à la cession d’une partie de leur souveraineté nationale au profit de la région. La prise d’engagements mutuels indispensables au processus d’intégration sur le long terme serait de plus en plus difficile.
Sur cette dimension particulière qui touche de plein fouet les affaires internes de chaque Etat membre (vu, entre autres, le principe de l’ASEAN sur la non-ingérence dans les affaires internes de ces derniers), l’avenir de l’ASEAN+3 est encore incertaine. Désormais, l’intégration de ces principes caractéristiques à une intégration en surface pourrait constituer une barrière considérable au processus (d’intégration), surtout avec une relative affirmation de l’ASEAN. Sur ce point, l’ASEAN+3, qui a déjà connu des avancées importantes en tant qu’intégration en profondeur, devrait surmonter et surpasser l’ASEAN sans pour autant l’ignorer au risque d’éveiller encore plus les sentiments souverainistes des membres de cette Association (ASEAN).
L’ASEAN+3 devrait ainsi prendre des leçons, non seulement de l’Europe mais également et surtout de son ancêtre, l’ASEAN. Cette dernière ne semble pas encore être prête à réaliser des efforts comparables à ceux de l’Union européenne sur divers points. Cette Association n’a pas d’outil supranational, même au niveau décisionnel ; du coup, les Etats membres laissent l’ASEAN prendre des initiatives timidement tant que celles-ci n’empiètent pas sur les attributions régaliennes. Les affirmations et les déclarations publiques des avancées dites notoires en matière d’investissements directs étrangers (par exemple) ne sont pas réellement concrétisées : les chiffres fournis comme preuves de ces avancées (de 23 milliards à 60 milliards de dollars, de 2000 à 2008[11]) ne sont en fait que la somme des investissements (non nécessairement étrangers) dans chaque pays membre. L’ASEAN+3 devrait alors se démarquer de cette réalité, d’autant plus avec des réalisations conséquentes, dont l’accord de la multilatéralisation de l’ICM qui a été entré en vigueur en 2010. Le modèle européen montre qu’il est plus évident de construire efficacement une région sur des bases nouvellement solides (ASEAN+3) que d’essayer de le faire en changeant progressivement les valeurs déjà acquises mais démontrant une relative inefficacité (ASEAN).
Finalement, l’exemple européen apprend à toute autre région en cours d’intégration d’être patiente et persévérante. Le processus d’intégration européen a désormais été jalonné de plusieurs crises, mais cela n’a pas empêché les membres de poursuivre jusqu’à un nouveau progrès manifeste. A titre d’exemple :
- Le projet « Communauté européenne de défense » échoua en 1954, mais le Traité de Rome a tout de suite été signé trois ans après ;
- La mésentente sur le financement du budget de l’Europe s’est apaisée dans les années 80 pour donner place au projet du marché unique ;
- Les évènements difficiles accompagnant la réunification de l’Allemagne en 1989 n’a pas fait obstacle à un accord sur la monnaie unique.
En somme, il apparait que le processus d’intégration régionale est-asiatique n’est pas totalement différent de celui de l’Union européenne. Le parcours de l’Europe offre ainsi des leçons importantes pour les autres régions (dont l’ASEAN+3), suggérant des pistes à suivre. Il est toutefois constaté que chacun de ces deux processus a ses particularités propres qui indiquent qu’une région (et l’IER associée) est unique et devrait être considérée comme telle dans toute analyse faisant intervenir la comparaison avec une autre.
L’intégration économique régionale (IER) est un phénomène assez complexe qui évolue selon un processus répondant à des règles et à un certain nombre d’hypothèses. L’Union européenne a été surtout construite à partir de la volonté expresse des Etats membres de formuler des règles et institutions supranationales, appréciables à travers les différents traités signés. En revanche, l’ASEAN+3 a trouvé son importance après la crise financière asiatique de 1997, mettant un accent sur la recherche de stabilité financière et monétaire de la région d’Asie orientale. Les deux processus d’IER répondent (même en partie, par endroits) aux théories relatives à l’intégration régionale (dont celle de B. Balassa (1961)), mais cela de manière différent suivant les circonstances.
Il existe plusieurs similitudes entre les deux processus d’IER (Union européenne et ASEAN+3) qui confirment, en quelque sorte, ces théories. Désormais, ce sont des intégrations institutionnelles dont celle de l’Europe est notamment marquée par les institutions supranationales de l’Union, et celle est-asiatique avec les initiatives en termes de sécurité et stabilité financière et monétaire (ICM et ABMI) essentiellement. Les deux sont des intégrations régionales, avec un concept de « région » relativement élargie, dépassant le domaine uniquement géographique du terme. Mais les deux processus d’IER présentent aussi des caractéristiques différentes qui semblent insister sur l’unicité de l’intégration régionale. La formation et la régulation des différents accords commerciaux régionaux démontrent ainsi que si l’intégration européenne peut être qualifiée de « gouvernance régionale », celle de l’ASEAN+3 serait plutôt « en profondeur ». La réalité est-asiatique tend a affirmé l’émergence d’un bloc monétaire régional de facto (par le marché), en face de l’effectivité de l’union monétaire européenne, c’est-à-dire de jure (par les règles et les institutions). Si le processus européen est surtout animé par une conception libérale, celui de l’Asie de l’Est est plutôt emporté par une conception territoriale (par les firmes). Mais ce qui diffère l’intégration européenne de celle asiatique, ce sont les rôles des Etats par rapport à ceux de la région : la première fonctionne avec un mode de gouvernance supranationale tandis que la seconde selon le mode intergouvernemental.
Ces similarités et différences entre les deux processus d’intégration devraient permettre l’étude des perspectives de l’ASEAN+3 suivant l’exemple de l’Union européenne. Ainsi, à défaut d’hégémon devant garantir le processus selon le modèle européen, l’ASEAN+3 trouve plutôt un appui dans la collectivité à travers un régime de production d’un bien public régional (qui est la stabilité financière et monétaire régionale). Ensuite, les expériences européennes a montré que le contraste en termes de niveaux de développement et de cycles d’activités économiques ne devrait pas constituer un obstacle au processus d’intégration, même si le degré d’homogénéité sur ces points devrait le (processus) rendre plus aisé. Par ailleurs, l’Asie orientale devrait s’attendre à ce que l’intégration régionale soit dynamique qui, selon l’exemple européen, est le résultat de la conjugaison entre élargissement et approfondissement. Finalement, les pays de l’ASEAN+3 auraient encore de grands efforts à effectuer (dont la concession nécessaire d’une partie de la souveraineté nationale) pour produire l’identité régionale, un élément essentiel à la construction de la région.
D’ailleurs, avec la fin de la première décennie du XXIème siècle, une sorte de concurrence entre l’ASEAN+3 et l’ASEAN est observée. D’une part, l’ASEAN+3 s’affirme avec la multilatéralisation de l’ICM et l’ABMI ainsi qu’avec le Fonds monétaire asiatique. D’autre part, l’ASEAN se prépare pour l’effectivité de la Communauté ASEAN vers 2015. La question se pose alors sur l’avenir de ces deux associations, leur éventuelle fusion après une certaine période de coexistence, ou la dissolution de l’un au profit de l’autre (suite à l’élargissement de l’un ou l’autre, par exemple).
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[1] Malgré le motif avancé par l’administration allemande pour justifier son refus de demande d’importation du cassis de Dijon (taux d’alcool insuffisant par rapport aux normes allemandes), le juge a statué que les restrictions quantitatives à l’importation sont interdites entre les pays membres de la CEE.
[2] En 1967, la fusion de la CEE avec la CEAC (Communauté Européenne de l’Acier et du Charbon, créée en 1952), donna naissance à la Communauté Européenne.
[3] L’AELE fut créée en 1959 sur la base de la Convention de Stockholm qui entra en vigueur en 1960.
[4] Source : CEPII-CHELEM, citée par Chaponnière & Lautier (2014).
[5] Source : National Bureau of Statistics, calculs Insee, citée par Roucher & Bei (2014)
[6] Conférence de presse à Beijing, le 14 mars 2005.
[7] Données de la Banque de France, 2003, citées par Sa, Bonzom, & Strauss-Kahn (2005).
[8] Darvas et Szapary, 2004, puis, McKinnon et Schnabl, 2003, cités par Sa, Bonzom, & Strauss-Kahn (2005).
[9] Bafoil cite d’une part L. Jones, celui qui affirme l’orientation de l’ASEAN vers les intérêts de la classe dirigeante (Jones, 2010), et d’autre part A. Dupont qui soutient le rôle de l’ASEAN dans la mise en valeur du collectivisme et l’affirmation de l’interdépendance entre les pays membres (Dupont, 1996).
[10] A considérer, par exemple, les étapes d’adhésion de la Grèce (1981), de l’Espagne (1986), du Portugal et de certains pays de l’Est et du centre-est de l’Europe (2004).
[11] Statistiques citées par Du Rocher (2004)
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