RAPPORT ENTRE LE TEXTE ET L’IMAGE EN ORIENT MEDIEVAL
RAPPORT ENTRE LE TEXTE ET L’IMAGE EN ORIENT MEDIEVAL.
Introduction
Le voyage est une étape de la vie des musulmans. Cette étude fait l’objet d’une analyse de la relation entre le texte et l’image à travers le voyage en terre d’Islam. La représentation en image, en tant qu’art pictural figuratif, n’étant autorisée qu’à partir du XIIIème siècle, peut être conçu actuellement comme un reflet visuel du texte et/ ou, dans certains cas, l’interprétation d’un imaginaire basé sur d’autres sources que le texte lui-même. Il s’agit donc, de montrer les différents aspects de la représentation en image du texte, tant sur le contexte du voyage que sur la conception générale de l’image dans la culture musulmane.
A partir de l’exploitation de l’image pour illustrer le texte, l’image devient une représentation visuelle du texte. Cette représentation peut être soit le reflet perceptible et appréciable du texte, soit la conception d’un imaginaire qui est basé sur d’autres sources artistique, littéraire ou religieuse, déterminées par un vent de culture, autres que le texte concerné. Dans cette analyse, il s’agit de transcrire en image un voyage fictif de deux hommes en terre d’Islam. Le voyage témoigne d’un caractère intellectuel : l’objectif est de se rendre aux centres intellectuels. Le texte met en valeur l’œcoumène musulman et ne parle pas du reste du monde, une vision partagée avec l’image. Le voyage s’appuie sur un semblant d’unité du royaume arabo-musulman, par une abstraction faite de la présence de royaumes franc en terre sainte.
- L’Iconoclasme musulmane : évolution de la conception de l’image
La prohibition de la représentation en image résulte du souci de préserver le monothéisme et d’éviter toute forme d’idolâtrie. En effet, la religion est l’essence de l’existence musulmane. La vision du monothéisme conçoit la suprématie d’un Dieu unique et transcendant, bien au-delà de l’humanisme. L’Islam prêche l’adoration du Dieu sans l’associé à une quelconque forme. Néanmoins cette absence d’expression en image du texte a orienté la définition de l’art et de la culture musulmane basés sur la lettre dont l’adab.
Le XIIIème siècle a marqué une révolution dans l’art. La représentation en image prend place, dans un premier temps avec les illustrations animalières des fabliaux de Kalila et Dimna, et les miniatures à caractère scientifique ; et dans un second temps, essentiellement avec des ouvrages des Maqamat, pendant deux siècles. Cela est dû au fait que les Maqamat sont une œuvre de fiction du XIIème siècle et qui a servi dans le classique du programme d’études des lettrés. Ce qui confère une certaine notoriété de l’œuvre et profite aux peintres pour approuver leur produit par rapport à la religion et la loi.
Néanmoins, la représentation en image ayant surpassé les interdits, la représentation humaine commence également à se développer. Toutefois les portraits sont présentés de façon à ne pas mettre en évidence les traits particuliers de chaque figure de personnalité. C’est ce dont témoignent les miniatures du voyage. Les deux voyageurs qui voyagent parfois séparément ont décidé de prendre la route ensemble. Dans l’image, on ne peut les identifier parce que leurs visages sont dessinés pareillement. Et ce sont les archétypes conformément à l’esthétique musulmane qui n’admet pas le portrait avec des traits individualisés selon le critère de « l’invraisemblance ». On représente tout simplement des types : sémitique, asiatique, seldjukide turque, ce dernier étant le parangon de la beauté dans l’art arabe.
- Relation entre le texte et l’image
- La représentation en image du texte
L’image sert de représentation visuelle du texte. L’interprétation par l’image du texte revient à une extrême signification, dans le sens où ce que l’image montre ne doit sortir de ce que le texte raconte. Néanmoins, associée à l’imaginaire, l’image dispose d’un large contexte de manière à élargir son champ de réflexion. C’est ce qui fait la plus grande différence entre le texte et l’image. Le texte est par exemple limité à la récolte de l’adab littéraire, et ne peut traduire l’étrange et le merveilleux que par rapport à l’aspect littéraire du texte et de la prouesse de la langue arabe. Là où la Maqâma (le texte) ne fait que signaler les lieux en privilégiant le discours, al-Wâsitî (l’image) va au-delà du texte en reconstituant un décor, un milieu, et va nous léguer une véritable imagerie colorée du voyage terrestre et maritime.
En outre, l’image, sur certains points, crée une animation plus vivante et redonne un nouveau décor au texte. Un avantage de la représentation en image est que l’image apporte un plus d’imaginaire pour illustrer le texte, dont le mélange de la faune (les animaux) dans le cadre d’une description de l’humain. Toute une scène campagnarde médiévale est présentée à l’arrière plan ou plutôt à l’étagement supérieur, à cause de l’absence de perspective, et animée de divers détails ; des petits métiers comme la fileuse à la quenouille à droite, renommés dans la région de Bagdad. Outre les deux chameaux, plusieurs animaux sont peints sur la miniature ; Quatre chèvres et une vache. En haut du tableau un clin d’œil pittoresque ; des animaux de la basse cour paradent sur le toit, peut-être le coq cherche à rivaliser avec le muezzin ! Tous ces détails ne figurent pas dans le texte, et donnent l’impression qu’ils sont pris sur le vif par le peintre. L’originalité réside dans le fait qu’avec Wâsitî nous assistons à une évolution dans la représentation de la faune. C’est la première fois que des animaux sont intégrés dans une scène de genre.
Dans cette analyse, le point commun entre le texte et l’image se situe au niveau de la description des lieux et des sites du voyage. De son côté, l’image fait preuve d’un réalisme certain avec le décor (les palmiers et les animaux). Les critiques se trouvent au niveau de la représentation humaine. Les vêtements des personnages font contraste avec cette apparence réaliste ; toutes les étoffes sans exception sont ornées d’arabesques et rehaussées de riches brassards d’or « tiraz », même les dromadaires ont leur selle richement décorée. Ce procédé est appliqué aussi à toutes les étoffes des autres miniatures, et devient comme une sorte de signature de Wâsitî. Il pourrait s’agir d’étoffes « possibles » car il existait effectivement de riches brocarts et vêtements de soie qui étaient l’apanage des princes et des riches marchands, mais en aucune façon ces tissus ne pouvaient convenir à des villageois, et à plus forte raison à A.Z le vagabond, « affublé de haillons » comme il est dit dans le texte.
Seul le narrateur marchand aisé aurait pu, à la rigueur, s’en revêtir. En réalité, les plages de couleurs des étoffes et les ors des motifs semblent se renvoyer leur chatoiement. On retrouve les mêmes motifs arabesques sur les vêtements, les selles des chameaux, à la surface de l’eau ce qui crée un monde arbitraire, indépendant du réel, renforcé par la profusion du doré non seulement sur les vêtements, mais aussi en collier au cou de la vache. Ainsi, les formes et les couleurs se répondent « créant un monde autonome où chaque élément est choisi essentiellement en fonction des nécessités internes de l’œuvre ». L’artiste ne cherche ni à imiter le réel, ni à illustrer avec fidélité le texte, mais à créer un monde nouveau, imaginaire, poétisé, embelli et a recours une fois encore au principe d’invraisemblance qui confère par là même à son art plus de licéité.
- Aspect critique de la représentation en image
Au retour du voyage, pour représenter l’espace de temps du voyage, l’image rajoute une nouveauté sur les miniatures destinées à décrire la ville de retour, tout en reprenant les aspects originaux déjà connus.
En suivant le texte, Wâsiti peint La Grande Mosquée de Bassora où Abû Zayd a repris du souffle. Dans cette œuvre on trouve les mêmes éléments mobiliers que dans la mosquée de Samarkand agrémentés des mêmes arabesques géométriques et florales entrelacées. Un élément externe architectural externe est nouveau, un minaret de style Seldjukide des XIIe– XIIIe siècle qui ressemble à s’y méprendre à celui déjà vu et qui faisait partie du paysage campagnard bagdadien.
La formule de la profession de foi « Muhammad est son Prophète » complète sur l’épigraphie du minaret, l’amorce de la formule déchiffrée sur le minaret du village bagdadien. Ainsi la formule entière gravée dans la pierre : Lâ Ilâha illa allâh, Muhammad rasûl Allâh tend à rendre le paysage peint de Wâsitî « littéralement » musulman.
Dans la salle de prière de la mosquée, Abû Zayd fait l’éloge de Bassora « ville, dit-il, n’a connu que l’Islam » puisqu’elle fut bâtie sous les Abbassides, il reconnaît néanmoins l’exagération de ses louanges en tant que topos littéraire (Maqâma Basriyya, pp. 550-557). Il en est de même de voyageurs géographes tel al-Muqadassî qui faisait déjà l’éloge de Bagdad au Xe siècle tout en reconnaissant que cela ne correspondait pas à la réalité mais qu’il était obligé de se soumette aux conventions littéraires. Azraf al aqâalîm al-‘Irâq…Kânat jalîla fî al qidam, wa qad tadâ‘at al ’ân ila al-kharâb wa dhahaba bahâ’uhâ wa lam astatibhâ wa lâ ,u‘jibtu bihâ wa ,in madahnâhâ fa-llita‘âruf.
Le territoire le plus agréable est l’Irak…Le plus ancien mais actuellement il est tombé en décrépitude et son lustre d’antan a disparu. Je ne l’ai pas aimé, ni apprécié mais si je l’ai vanté c’est par pure convention !
Plus tard, Abû Zayd se retirera dans sa ville natale Sarûj après le départ des Byzantins. Ainsi le parcours de la Maqâma est encadré au début et à la fin par un important certa habitatio lieu fixe : Sarûj. Il y vivra en sufî mystique le reste de son âge, attendant le voyage vers le maqâm le lieu de séjour éternel.
- Différence de conception entre l’image et le texte – Conception du merveilleux
La différence dans la représentation textuelle et la représentation en image réside dans l’espace de représentation même. Tandis que le texte se cantonne à l’expression intellectuelle, l’image reflète un cadre plus élargie de ce que le texte contient : expression visuelle.
- Conception de l’image
- Les couleurs et le décor
L’image à elle seule contient le cadre, et les expressions formulées par le texte de façon à donner vie au texte, et tente de lui donner une signification par rapport aux caractères et jeux de couleurs utilisés. L’espace de la miniature est bien marqué symboliquement par la présence des deux emblèmes de l’Islam figurant en haut à gauche, la mosquée et le palmier. Alors que la figure du dromadaire, est une figure emblématique du monde arabe que les artistes ont voulu imposer face à l’éléphant icône de l’Inde des fables de Bidpay. Le type d’architecture du minaret est de style seldjukide avec cette épigraphie coufique où l’on peut déchiffrer « Allah unique», était bien connu en Irak.
Il a été fait mention par ailleurs de couleurs arbitraires ; violettes, bleues, roses utilisées pour peindre des dromadaires dans certaines miniatures arabes. En revanche, le fait de représenter des dromadaires blancs ne relève pas de l’arbitraire ; le texte cite à plusieurs reprises la chamelle blanche du narrateur, espèce rare et prisée sous le terme « al-‘îss »
- L’iconographie de la géographie
Une autre caractéristique de l’image est de donner forme à la géographie. Dans ce contexte, le voyage offre la possibilité d’un retour. A partir de ces allers et retours, les savants et géographes ont pu définir une représentation iconographique de la géographie. Il est intéressant de souligner que le voyage dans la Maqâma n’est pas véritablement un périple car il y a de nombreux retours en Irak, à Bagdad et Bassora essentiellement. Ces allers-retours décèlent une perception vue à travers le prisme de l’Irak, considéré comme « nombril du monde ».
Cette représentation géo-politique ne serait qu’une transposition iconographique de la cartographie symbolique de certains géographes arabes antérieurs, de la configuration de la terre, surat al-ard qui plaçaient l’Irak au centre de la cartographie. Cependant bien que Bagdad soit encore du temps de Harîrî et de Wâsitî le siège du califat et le carrefour de la route caravanière, Cette ville commençait à perdre ses prérogatives et les Sultans Seldjukides disputaient au calife le pouvoir temporel en ne lui laissant que le pouvoir spirituel, et l’empire musulman se morcelait peu à peu en Provinces et certains centres urbains brillaient d’un rayonnement intellectuel intense rivalisant ainsi avec les villes irakiennes en voie de déclin. D’ailleurs, « l’adab ne constitue plus une valeur marchande en Irak » ce que souligne A.Z.
- Représentations symboliques
Par ailleurs, la représentation en image peut ne pas intégrer des textes de précisions. Tout peut se traduire en symbolique, typique d’un endroit à un autre… Les miniatures relatives aux lieux intellectuels jalonnant le parcours de nos deux personnages ainsi que celui de tout savant, telles une bibliothèque, une madrassa ou une mosquée, sont considérées comme les lieux de rencontre par excellence au moyen âge musulman.
Les trois miniatures présentées ne laissent deviner aucun élément typique d’une région donnée ; la bibliothèque de Bassora pourrait être n’importe quelle autre bibliothèque. Il en est de même pour la madrassa, école censée être celle de Homs en Syrie et aussi pour la mosquée supposée représenter la grande mosquée de Samarkand. En fait, l’artiste n’a pas cherché à rendre la réalité du lieu, mais à en suggérer la fonction par l’apport d’éléments caractéristiques telles les niches dans la bibliothèques où les livres sont disposés horizontalement, la gestuelle du maître et des élèves dans la madrassa, et pour la mosquée, la présence du minbar, chaire et le mihra, niche indiquant l’orientation de la prière. On retrouve d’ailleurs la même disposition de l’espace avec les trois arcades, les mêmes lustres de mosquée, ainsi que le minbar et le mihrab en bois ajouré dans d’autres miniatures illustrant d’autres mosquées. Ces deux mobiliers ont une présence « possible », car on retrouve un minbar en bois, à masjidi al-Maydan dans la province d’Ispahan daté de 1103, et un mihrâb aux motifs quasi semblables à ceux de la grande mosquée de Mossoul datée aussi du XII è siècle. Cependant, celui de Mossoul est en marbre et non en bois comme dans la miniature, le mihrâb est d’habitude construit en marbre, en stuc ou en brique. Ainsi Wâsitî peint une mosquée telle qu’il se la représente virtuellement avec ses attributs les plus caractéristiques empruntés à d’autres édifices du monde musulman. D’apparence authentique, l’architecture de Wâsitî est donc entièrement réinventée, recrée.
En ce qui concerne les vêtements, ils sont de facture irakienne ce qui n’est pas étonnant, car à cette époque, l’engouement pour cette mode était si vif qu’elle s’était répandue jusqu’à Samarkand aux confins orientaux du monde musulman « Tous rivalisent de luxe et de prestance vestimentaire en s’habillant comme les Irakiens ».
Sur la miniature, A.Z déguisé en Imam a revêtu une robe noire le taylasân, porte un turban dit bagdadi et tient dans sa main un sceptre Qadîb censé représenter le bâton sur lequel s’appuyait le Prophète. Tous ces attributs, symboles religieux, tendaient à montrer l’autorité et la présence du califat abbasside dans ces contrées éloignées.
Et pourtant cette mosquée de Samarkand estampillée abbasside n’aurait pas pu exister en 1237 au temps de l’illustration du livre puisque les Mongols s’étaient emparés de cette ville en 1220 et l’avait détruite et incendiée entièrement, bien avant le dessin de Wâsitî. Il peint donc un monde disparu à jamais. Mais paradoxalement, c’est dans l’espace réduit de cette miniature anachronique, voire trompeuse, que l’empire abbasside retrouve son espace et sa grandeur d’antan.
- Représentation caractéristique
Le voyage intellectuel considère un seul voyage maritime. L’image est représentée par une seule miniature qui représente cette étape : une manière de montrer le caractère unique du passage maritime.
Le narrateur dans la Maqâma de Harîrî, « lassé des chevauchées à dos de chameaux, désire s’aventurer sur la mer à partir du port de Bassora pour le pays d’Oman, afin de faire du commerce ». Le choix de la mer d’Oman et du golfe Persique, ramification de l’océan Indien n’est pas anodin, car dans ces parages, la milâha, la navigation musulmane avait conservé toute sa suprématie et sa puissance contrairement à la milaha musulmane en Méditerrané en déclin depuis le XI è siècle concurrencée par la flotte Franque. Par ailleurs, la milâha dans l’océan Indien était caractérisée par une absence totale de flotte de guerre et aussi par la nature purement commerciale de cette route de l’encens.
La miniature rend compte de cette caractéristique commerciale de la flotte arabe par la représentation d’un voilier marchand, en bois, de taille moyenne, à mât unique et à trois niveaux qui vient de lever l’ancre. La manœuvre s’effectue à partir du pont supérieur par un équipage composé probablement de marins Gudjaratis, islamisés, reconnaissables à leurs visages cuivrés, recrutés dans la province de Gujarat sur la côte occidentale de l’Inde. Ces marins étaient particulièrement appréciés pour leur expérience et leur compétence en matière de navigation. En fait, la représentation de l’Autre, de l’étranger ne se fait qu’à partir du moment où il est musulman ainsi, en était-il des marins Gujaratis. Le bateau, à tribord, laisse voir à un étage quelques voyageurs et marchands de type sémite et Seldjukide sont visibles à un étage intermédiaire tandis que deux rameurs noirs probablement esclaves sont dans les soutes de l’embarcation. Aucune indication technique n’est précisée dans les Maqâmat et seule, la connaissance, de visu, de voiliers de cette époque a pu servir de modèle à wasiti. En recoupant le voilier de Wâsitî avec des navires décrits de l’époque, on suppose qu’il s’agit d’un voilier nommé baghla, mule. Souvent, l’arabe utilise des termes de montures pour les navires de haute mer et inversement.
Une dimension mystique va se surajouter au voilier, ce qui découle du texte que l’image est censée illustrer. En effet, le texte inclut de nombreuses intertextualités coraniques où il est mentionné plusieurs fois un bateau désigné par le terme Fulk attribué à l’arche de Noé dans le Coran. Du fait de l’insertion de la miniature dans cette prose, le voilier de Wâsitî, tout profane qu’il soit va se trouver sublimé et le voyage va s’imprégner d’une connotation profondément religieuse, préparant au voyage vers l’au-delà où tout au moins vers un havre de repos comme cela fût pour le fulk de Noé après le déluge.
- Conception du merveilleux
En Islam, la pensée théologique orthodoxe a refoulé le merveilleux « fantastique, féerique » dans une littérature populaire, car considéré comme une catégorie intellectuelle inférieure par rapport à l’adab, à la littérature savante. Le texte ne considère pas le merveilleux, ce dernier s’exprime sur l’image. Bien que le texte renferme un imaginaire du merveilleux, c’est l’image qui représente le mieux sa mise en forme.
- Le merveilleux en image
Au cours du voyage, les deux hommes se sont échoués sur une île, après une très forte tempête. Puisque le texte ne donne pas de précision sur l’identité de l’île, l’image donne forme au mystérieux et au merveilleux de ce contexte. Tout porte à croire qu’il s’agit de l’une des trois îles conçues par la tradition arabo-musulmane d’île du bout du monde. Et suivant une logique de proximité, il s’agirait de l’île proche du monde musulman située au large du Yemen. Sur la miniature de Wâsitî, considérée comme la représentation du « premier paysage dans la peinture islamique », est peint un véritable jardin d’Eden à la flore tropicale luxuriante où se côtoient des animaux terrestres réels tels des singes et des oiseaux exotiques et deux animaux fabuleux hybrides la harpie et le sphinx.
- Sources probables de l’inventif du peinre
Cette irruption du ‘adjîb étrange, cette intrusion d’éléments fantastiques dans le tableau ne découlent pas du texte où il n’est fait mention à aucun moment de créatures étranges. Cependant le texte souligne l’isolement de cette île, à l’abri de toute corruption à tel point qu’A.Z qui errait d’un lieu à l’autre, projette de rester sur cette île qui lui fait oublier son pays natal.
Mise à part son propre génie inventif, il aurait peint à travers le filtre de toute une tradition nourrie de l’imaginaire collectif, de l’épistémè médiévale arabe incarnée dans la littérature du ‘adjâ’ib les merveilles, dans les sources iconographiques, et au-delà du merveilleux antérieur, celui des Antiquités grecques, Mésopotamiennes et égyptiennes foisonnant d’animaux étranges tels les sphinx et les harpies.
Il est intéressant de souligner que la littérature arabe du ’adjîb a intégré ces « vieilles merveilles » dans son bestiaire mythique et les a placées dans le cadre des îles de Wâq-Wâq. D’ailleurs, ces deux figures la harpie et le sphinx sont parmi les rares animaux fantastiques de la tradition arabo-musulmane, la harpie ‘anqa’ occupant une place de choix.
Un fait certain est que la peinture proprement dite n’a pas pu avoir d’impact sur Wâsitî car la peinture antérieure et contemporaine qu’il aurait pu connaître, byzantine ou arabe chrétienne du Proche Orient était une peinture religieuse, portée essentiellement sur l’art de l’icône. Cependant il est un domaine où notre peintre-miniaturiste aurait pu trouver son inspiration, celui des objets d’art décoratif seldjukides agrémentés de motifs hérités de civilisations antiques tels le sphinx et la harpie qui ornaient coupes, brûle-parfums, aiguières. Ces figures qui avaient « une fonction protectrice par le passé », conservaient encore en tant qu’ornement des réminiscences de leur pouvoir bénéfique et protecteur.
Une autre influence pourrait être à l’origine de l’inspiration de Wâsitî, celle qui découle d’un Hadîth, parole prophétique qui faisait l’éloge de la harpie, créature de Dieu parfaite et bénéfique d’avant la corruption et qui devenue ultérieurement maléfique, fut maudite et vouée à l’éradication. Seule la harpie bénéfique aurait retenu l’attention de Wâsitî, celle qui n’est pas encore souillée, d’autant plus que l’île exempte de corruption pouvait sans enfreindre les lois divines, abriter une harpie bienfaisante, salutaire.
Plus que toute autre illustration, celle-ci s’écarte davantage du texte lui faisant un pied de nez, par l’introduction du merveilleux, et de l’insolite tant dénigrés par l’adab.
Conclusion
La représentation en image du texte est de nature complexe. La différence de dimension entre l’intellectuel et l’imaginaire le justifie. Toutefois, l’illustration du voyage a permis de définir cette différence, et les caractéristiques de l’image.
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