Ré-vision du Gothique : Une Analyse de Wide Sargasso Sea de Jean Rhys
The Revision of the Gothic in Wide Sargasso Sea by Jean Rhys
La ré- vision du gothique dans La prisonnière des Sargasses par Jean Rhys
SOMMAIRE :
Part I : L’espace gothique – nature et ses pouvoirs. 5
1/ La terreur dans l’espace gothique : 5
2/ Parcours à rebours : retour au gothique du confinement. 11
3/ Espace troublé et trouble des identités : contexte historique / post-colonialisme. 14
Part II : Le devenir fantôme du personnage. 21
1/ Détermination familiale/ logique héréditaire : du naturalisme au gothique. 21
2/ Effets d’une relation aliénante (Rochester et Antoinette/Bertha). 25
2.1/ L’aliénation entre Antoinette et la communauté noire. 25
2.2/ L’aliénation de Rochester par Antoinette et Christophine. 27
2.3/ L’aliénation d’Antoinette par Rochester. 35
3/ Le concept d’aliénation. 43
Part III : L’intertextualité (régime spectral du texte). 45
2/ Modalités plus fantomales/ allusives. 51
3/ Inspiration de Jean Rhys dans l’écriture de Wide Sargasso Sea. 56
Introduction:
Au milieu du XVIIIe siècle le roman gothique, lequel n’a pas manqué de marquer l’histoire du roman dans le monde a fait son apparition.
A la même époque mais bien avant l’avènement de ce genre particulier, un tout autre mouvement appelé romantisme a trouvé naissance. Celui-ci avait pour objectif d’éveiller des émotions discrètes enfouies chez le lecteur.
Avec les progrès qu’a connus l’alphabétisation, de nouveaux lecteurs sont venus s’ajouter à l’élite traditionnelle qui était déjà passionnée par la lecture à l’époque. Ceux-ci étaient moins cultivés et il était plus facile pour les écrivains de satisfaire leur soif d’évasion et de distraction. Il est à noter que les femmes étaient les plus nombreuses parmi ces nouveaux lecteurs dans la mesure où elles étaient les principales bénéficiaires de l’alphabétisation.
Pour toucher ce nouveau public qui était moins exigeant au niveau de la qualité esthétique, de nombreux auteurs ont entrepris de grandes manœuvres éditoriales et la concurrence en la matière a gagné de l’ampleur. L’effet de surenchère est alors devenu la principale préoccupation des romanciers en vue d’un succès rapide. Il n’y a presque plus eu d’œuvres originales et les écrits des auteurs sont constamment remaniés jusqu’à leur publication.
Pour entretenir le maximum d’émotions, les auteurs n’hésitent pas à créer des scénarios imaginaires des plus invraisemblables et c’est dans ce contexte qu’est né le genre du roman gothique. Ce dernier trouve son origine en Angleterre, principalement dans les œuvres d’Horace Walpole et d’Ann Radcliffe. Ces romans décrivent généralement des imaginaires de souffrance et d’angoisses et les situations dans lesquelles se trouvent les personnages sont constamment source de suspense et de malaise pour le lecteur. Les thèmes abordés dans ces romans sont le plus souvent sombres de nature dans une ambiance dominée par le surnaturel, la folie, le mystère et surtout la malédiction. Même le cadre dans lequel se déroule l’histoire emprunte des constructions qui sont des fruits de l’art et du style gothique. Cependant, le roman gothique est à distinguer du roman noir et du roman fantastique même si les trois présentent une certaine ressemblance. Le roman noir est rédigé dans une optique plus métaphysique. Dans le roman fantastique, l’inquiétude provient essentiellement du surnaturel et de la mise en cause du réel.
L’œuvre d’Ella Gwendoline Rees Williams dite Jean RHYS intitulée Wide Sargasso Sea ou La prisonnière des Sargasses datant de 1966 constitue le principal objet sur lequel porte l’étude ici effectuée.
Dans les premières et les troisièmes parties, l’histoire est entamée dans la perspective d’Antoinette laquelle constitue le personnage principal. Cependant, dans la deuxième partie, il y intervient un changement de perspective en faveur de Rochester, lequel constitue le deuxième personnage principal dans le roman.
Elle raconte une histoire fictive qui s’est déroulée en 1840 lorsque les esclaves venaient d’être affranchis en Jamaïque. Le domaine de Coulibri, évoqué dans ce livre, comme bien d’autres, a été laissé à l’abandon parce que les Noirs n’ont plus voulu travailler et ont exprimé de plus en plus ouvertement leur mépris pour les blancs.
La jeune héritière et non moins la narratrice, Antoinette, est une créole blanche, c’est-à-dire née en dehors du sol britannique, qui vivait une vie de misère et de mépris en Jamaïque, un pays qui à la fois la séduit et la bouleverse avec les ombres maléfiques qui viennent transformer le monde environnant en enfer. Elle a été très affectée par l’indifférence de sa mère, mais sa servante Christophine lui a apporté le réconfort. Cette dernière était Martiniquaise et aurait été une «obi», ce qui veut dire une initiée au vaudou. Lorsque les Noirs ont incendié Coulibri, la mère est devenue folle et la jeune fille, très perturbée a été placée dans un couvent.
Dans la deuxième partie du roman, c’est donc le mari d’Antoinette, Rochester, qui conte l’histoire. Celui-ci est venu d’Angleterre pour la dot et pour récupérer la prospérité et la fortune en se mariant avec Antoinette. Dès la lune de miel que les jeunes mariés ont passé dans le domaine de Granbois, en Dominique, où la famille possède une autre propriété. La rupture était inéluctable même s’ils semblaient être très unis. Le Britannique a été très agacé devant l’indifférence dont faisait preuve Antoinette et son entourage. Il en a été amené à se poser des questions concernant le passé du clan des Cosway et d’Antoinette. Cette dernière a définitivement perdu Rochester lorsqu’elle a essayé de recourir à un envoûtement vaudou pour se l’attacher. Devenue alcoolique, elle manifestait la plupart du temps des accès de folie furieuse.
Puis dans la troisième partie, il est surtout question de ce qui s’est passé dans esprit dérangé d’Antoinette laquelle a été séquestrée à Thornfield Hall, un sinistre château situé en Angleterre. Pour retrouver la chaleur des Antilles et rejoindre sa mère, elle a mis le feu au château.
A force de lire et d’approfondir l’ouvrage, tout en le plaçant dans le contexte dans lequel sa rédaction a été réalisée, il peut être observé que Wide Sargasso Sea opère une ré-vision du gothique. Ceci est d’autant plus pertinent dans la mesure où ce livre constitue une sorte de ré-écriture de l’un des caractères du célèbre roman de l’époque victorienne Jane Eyre, qui a été écrit par Charlotte Brontë en 1847. Dans ce roman apparait le personnage de Bertha, une créole blanche, une femme folle emprisonnée dans un grenier par son mari Rochester.
Jean Rhys reprend l’histoire de Bertha, dont le vrai nom serait Antoinette, et qui devient l’héroïne de son livre alors que Rochester devient un personnage sans nom et qu’Antoinette nomme elle-même seulement par « that man »[1]
Comment cet ouvrage a-t-il été conçu et quelles caractéristiques renferme-t-il pour avoir été considéré comme une ré-vision du gothique?
Afin de mieux appréhender la portée des réponses pouvant être apportées à la question posée, il sera de mise de respecter le plan de travail qui sera le suivant :
- L’espace gothique
- Le devenir fantôme du personnage
- L’intertextualité
Part I : L’espace gothique – nature et ses pouvoirs
L’espace gothique est utilisé dans plusieurs concepts, on peut parler de l’architecture gothique, du mouvement gothique, du roman gothique. Dans le cadre de cette étude, il s’agit de parler du roman gothique et de ce qu’il présente. D’une manière générale, le roman gothique renferme la terreur, c’est-à-dire l’inexplicable, la sauvagerie et la nature, voire une liaison entre nature et féminisme.
1/ La terreur dans l’espace gothique :
Un roman gothique est toujours fascinant dans la mesure où il fait le plus souvent référence à la nature et en raison des caractéristiques offertes par celui-ci ; on voit des histoires cruelles, excessives et en même temps sentimentales et sublimes. Les personnages des romans et histoires vivent dans un environnement entouré de châteaux, des tours et des grands paysages. Ces mêmes personnages sont constitués de fantômes, d’héroïnes et des tyrans.
La terreur s’oppose ainsi au rationalisme triomphant et bourgeois. Elle met en exergue notamment la déraison, la mort ainsi que les forces obscures et mystérieuses. A titre d’illustration, dans Wide Sargasso Sea, cette terreur se manifeste par exemple lorsqu’il est question de Christophine, la mystérieuse nourrisse d’Antoinette. Elle a joué le rôle d’une mère pour le personnage principal. C’est elle qui lui faisait la toilette dans son enfance. C’est également elle qui lui a chanté des chansons traditionnelles et qui l’a le plus souvent rassuré dans les moments difficiles. Cependant, au fur et à mesure qu’Antoinette grandissait, celle-ci s’est petit à petit éloignée de sa nourrice. Elle s’est aperçue progressivement que Christophine était une femme très mystérieuse. Celle-ci vivait en effet à l’écart du monde or ce qui était le plus intrigant c’était le fait qu’elle était crainte par les gens de sa condition.
De plus, d’après les rumeurs, elle détenait des pouvoirs surnaturels malgré le fait qu’elle était loin d’être effrayante que ce soit physiquement ou au niveau du caractère. Antoinette a en quelque sorte éprouvée de la frayeur vis-à-vis de la nourrice sans qu’elle ne puisse se l’expliquer et sans qu’elle ne parvienne à établir véritablement un lien entre le sentiment qu’elle a éprouvé et la personne de Christophine.
Le roman gothique, de par l’écriture qu’il évoque, provoque ainsi la terreur aux yeux des lecteurs qui par contre, demeurent fascinés par ce genre. Les lecteurs se trouvent confronter en même temps par le sentiment de sacré, le surnaturel et le mystère. Il en est le cas lorsque l’auteur Jean Rhys parle de l’origine de Christophine laquelle, d’un côté, faisait partie des esclaves noires affranchies, mais d’un autre côté, était la figure du personnage de l’ « obeah woman ». Ce dernier est un personnage antillais traditionnel généralement décrit dans des cas comme guérisseur et dans d’autre comme sorcier, soit un personnage qui détient des dons et pouvoirs surnaturels.
C’est ce dernier qui incarne la terreur. Le mystère dans l’histoire provoque chez les lecteurs un sentiment de vouloir connaître la fin de l’histoire en dépit du fait qu’elle soit terrifiante, comme dans les films d’horreur. Le mystère signifie en même temps l’inconnu et le secret. Les lecteurs dans l’espace gothique sont confrontés à des mystères inconnus que ce soit par rapport aux personnages ou à l’histoire toute entière. L’auteur évoque beaucoup de secrets. Comme Antoinette personnage fictif du roman, Jean Rhys a par exemple été élevée sur une île tropicale, la Dominique, avec sa famille dans un domaine qui tombe en ruine et entouré par une végétation à la fois paradisiaque que menaçante. C’est l’esprit même du gothique, avec des idées sombres mais en même temps intéressantes attirant la curiosité des lecteurs de plus en plus en profondeur dans cette obscurité.
Le mystère induit par l’espace gothique ne fait que traduire la terreur en elle-même. En fait, le mystère évoqué dans le roman gothique fait frissonner les lecteurs. Y-a-t-il par exemple quelqu’un qui n’a pas éprouvé de l’angoisse lorsqu’Antoinette a parlé d’un homme mort caché quelque part dans la maison et du bruit du sang qui s’écoule goute par goutte : « I was certain that hidden in the room […] there was a dead man’s dried hand, white chicken feathers, a cock with its throat cut, dying slowly, slowly. Drop by drop the blood was falling into a red bassin and I imagined I could hear it »[2].
La terreur peut conduire à la provocation d’un sentiment chez la personne qui y fait face, dans l’affirmation d’Otto, il évoque le fait que « Le sentiment qu’il provoque peut se répandre dans l’âme comme une onde paisible; c’est alors la vague quiétude d’un profond recueillement »[3]. Ce sentiment même peut se traduire par la sauvagerie, non de la part des lecteurs, mais en traduisant le sentiment de l’auteur, de ce qu’il veut transmettre de par l’espace gothique créée. Lorsque la terreur se dégrade, elle peut se confondre avec l’horreur et le frisson. L’impact de l’œuvre de Jean Rhys sur les lecteurs a été si intense à tel point que cela a entrainé la division des féministes concernant la tendance masochiste et perverse de l’auteur vis-à-vis de sa personne même et vis-à-vis de la mort.
Dans Wide Sargasso Sea, l’environnement est constitué par des endroits isolés montrant le mystère et l’ambiance surnaturelle, à l’exemple du lieu des offrandes situé tout près de la vieille maison du prêtre, il existe également des tempêtes qui attirent et évoquent la rage chez les personnages, il en a été le cas lorsque Rochester a parlé des tempêtes qui arriveront en hiver quand il s’est plaint de son orgueil blessé : « The hurricane months are not so far away, I thought, and saw that tree strike its root deeper, making ready to fight the wind. »[4]
Plusieurs événements mystérieux se faufilent à travers l’histoire à l’exemple de la révolte de la communauté noire à l’époque et l’affranchissement des esclaves, et l’auteur semble toujours avoir des explications pertinentes pour éclaircir ces mystères. Malgré l’existence de la terreur et d’une mise en scène mettant en exergue le surnaturel, l’auteur ne se limite pas à démontrer un roman fantastique, il intègre dans l’histoire du suspense et en même temps installe le romantisme, ce qui s’est passé dans la vie d’Antoinette et Rochester. L’épisode concernant le mariage entre les deux personnages occupe plus du tiers de la totalité de l’ouvrage et certains extraits reflètent l’intensité des sentiments qui animaient les deux individus dans certaines circonstances, si à ne citer que le passage dans la page 112 : « One afternoon, the sight of a dress she had left on the floor of his room made me mad with desire and panting. When my strength was exhausted, I turned to her and slept without moving, a caress. I woke up under his kisses»[5].
Il est à préciser que non seulement le cadre au sein duquel l’histoire s’est déroulée mais également les relations qu’Antoinette, le personnage principal, entretenait avec ses proches ainsi qu’avec les autres personnages du roman invoquent un sentiment de terreur, à l’exemple de sa relation avec Christophine.
On comprend que la vie dans les îles est difficile et que la majorité des habitants qui y vivent mène une existence douloureuse. L’histoire personnelle d’Antoinette Mason témoigne de la souffrance à laquelle celle-ci a dû faire face lorsqu’elle a vécu en Jamaïque. Lorsqu’elle a raconté son histoire, son père était déjà mort et elle ne pouvait pas compter sur sa mère. Cette dernière préférait s’occuper de son fils lequel était à moitié idiot. Antoinette a ensuite vu son frère mourir lorsque les habitants de l’île ont incendié la maison familiale. Suite à la perte de son fils, la mère est devenue folle. Antoinette pensait enfin avoir trouvé le bonheur lorsqu’elle a épousé Rochester, seulement, elle s’était trompée, car celui-ci n’en voulait qu’à son argent et ne la désirait que physiquement. Elle était très amoureuse et la déception l’a frappé de plein fouet. Même sa beauté faisait ainsi son malheur, elle était certes désirée mais elle était également enviée et jalousée.
Au niveau du caractère, Antoinette pouvait faire preuve de beaucoup de caractère. Cependant, ce qui la défavorisait c’était le fait qu’elle était plutôt indolente et défaitiste. Ces deux caractères étaient d’ailleurs propres à tous les habitants de l’île.
Concernant le cadre environnant au sein duquel le personnage a toujours vécu, le racisme et le colonialisme ont été constamment présents dans la vie quotidienne de chacun des habitants insulaires, dont Antoinette. En effet, sur le plan social, il a existé des catégories sociales et raciales différentes en Jamaïque à l’époque. Ce système a été hérité de la période coloniale et constitue un facteur déterminant dans les relations entre les membres de la société du pays.
La condition féminine y était très rude. C’était en effet les hommes qui avaient tous les droits à l’époque et les femmes n’en avaient pratiquement aucun. Dans la partie de l’ouvrage qui parle de la vie d’Antoinette, l’auteur, Jean Rhys, laquelle faisait partie des femmes écrivaines, n’a pas manqué de mettre en exergue à travers son écrit le malaise de la condition inconfortable dans laquelle se trouvait les membres de la gent féminine. Cette situation à laquelle les femmes ont dû faire face est mise en exergue par l’ouvrage lorsque celui-ci parle de la différence entre la culture matriarcale antillaise et la culture patriarcale anglaise. Cette question a d’ailleurs fait l’objet d’un approfondissement de la part d’autres auteurs à l’exemple de Spivak[6].
Ce qui a le plus fait sombrer le personnage dans la folie ce n’était point son hérédité mais plutôt son passé. Son destin semblait être déjà tracé et comme si elle était condamné à vivre dans le malheur. Pour en quelque sorte se rebeller, elle s’est mise à boire et à sombrer dans la folie. Dans la page 107, Antoinette est qualifiée de quelqu’un qui a perdu l’esprit : « who has been deprived of liberty and autonomy, whose spirit has been broken and stolen »[7].
La place de la femme est toujours mal située par l’auteur. L’image d’Antoinette, telle que l’auteur le décrit, donne une idée précise concernant la condition féministe à l’époque.
Au XIXe siècle, la femme est considérée autrement, elle n’avait pas le droit d’accéder à la liberté, c’est-à-dire qu’il n’y a pas question d’indépendance. Pourtant, l’héroïne qui est Antoinette désire et réclame depuis sa petite enfance liberté et indépendance. Elle fait preuve d’une grande indépendance d’esprit en évoquant ses propres idées et opinions. La mentalité de la jeune fille est bien démontrée par son attitude lorsque le domaine a été brulé. Dans la page 45, elle a dit qu’elle pensait comme elle courait « As I ran, I thought » et qu’elle n’avait pas l’intention de quitter Coulibri « Not to leave Coulibri. Not to go. Not »[8].
Pour se libérer de l’oppression sociale, elle arrivait à créer sa propre fortune. Le fait d’être propriétaire d’une fortune faisant traduire son indépendance, Antoinette pouvait se mettre à égalité par rapport à son mari, Rochester. A l’époque, la femme devait considérer le mari comme étant le maître, Antoinette n’acceptait pas cette qualification, elle voulait le contraire, Rochester doit être vu comme son mari et non comme son maître. Elle donne ses opinions et contredit l’idée selon laquelle la femme est inférieure par rapport aux hommes. Cela reflète bien l’opinion de l’auteur dont l’œuvre est devenu un classique du féminisme.
Selon elle, les deux sexes doivent être égaux, il ne devrait pas y avoir de différence.
Des paroles d’Antoinette démontre cette lutte contre la différence des sexes, ces passages disent : « Généralement, on croit les femmes très calmes ; mais elles ont la même sensibilité que les hommes ; tout comme leurs frères, elles ont besoin d’exercer leurs facultés, il leur faut l’occasion de déployer leur activité. Les femmes souffrent d’une contrainte trop rigide, d’une inertie trop absolue, exactement comme en souffriraient les hommes.
L’oppression masculine a été tellement grandiose que le féminisme dont a fait preuve Antoinette l’a poussé à agir à l’encontre de plusieurs personnages masculins du roman dont principalement Rochester. Cette oppression a été déjà rencontrée dans Jane Eyre et que celle-ci, vis-à-vis de son mari a pu refuser le fait d’être couverte de bijoux et de belles robes pour le seul fait que celui tente de la faire apparaître comme étant un objet lui appartenant. En second temps, après qu’elle ait été rejetée par Rochester elle a manifesté sa rage en brulant la maison, son seul répit réside dans le fait qu’elle n’avait plus à être considérée comme étant une maîtresse. Le fait d’avoir osé brûler sa demeure conjugale n’a fait que confirmer son désir de garder sa dignité et son intégrité.
2/ Parcours à rebours : retour au gothique du confinement
Les ouvrages de différents auteurs à l’exemple de Pascale Auraix-Jonchière[9] soutiennent que dans le confinement heureux, l’être humain est décrit comme étant bon de nature, l’homme est satisfait au niveau de ses désirs et il bénéficie d’une grande liberté dans ses actes et dans sa vie au détriment de la femme.
Sur le plan sentimental, il existe un échange amoureux généralisé. En d’autres termes, chaque être humain vit dans un monde où il s’épanouit en l’absence de toute forme de contrainte. En menant une existence dans de telles conditions, l’homme n’a plus d’autres buts que de faire le bien universel. En ce qui concerne le cadre, l’histoire racontée par les récits se déroule dans des sociétés préservées des imperfections. Dans le genre gothique, le roman présente des caractéristiques opposées à celles des romans du confinement heureux et il en a déjà été question dans les développements antérieurs et il en sera encore question ultérieurement.
Pour pouvoir mieux cerner les influences du milieu environnant sur le caractère des personnages, il sera de mise de parler en premier lieu de l’histoire personnel de chacun de ces personnages. Il sera également indispensable d’analyser l’histoire personnelle de l’auteur dans la mesure où le récit reflète dans certaines parties une réalité ayant vécue par l’écrivain elle-même.
Concernant donc tout d’abord Jean Rhys, celle-ci est née en 1890 à la Dominique, l’une des îles sous le vent dans les Caraïbes. Fille d’un médecin gallois et d’une mère créole, Rhys a grandi à l’époque marquant la fin de 1’ère coloniale sur l’île et au cours de laquelle la culture aristocratique et l’exploitation créole ont connu le déclin. Ayant toujours été située entre des idéologies concurrentes, notamment entre celle qui cherchait à rendre plus exotique la vie des Caraïbes et celle qui prônait les valeurs antillaises, sans parler de l’influence des domestiques noirs qui l’ont initié à la langue, sa vie a été exposée aux coutumes ainsi qu’aux croyances religieuses des Caraïbes indigènes.
L’illustre écrivaine est également entrée en contact avec le modernisme européen lorsqu’à seize ans, elle a quitté son domicile à Dominique pour l’Angleterre. De fréquents déplacements à travers l’Europe l’ont ensuite poussé à se poser des questions concernant l’environnement des différentes sociétés existantes et lequel est dominé par l’homme. Rongée ensuite par la pauvreté, la maladie et l’alcoolisme, elle a senti l’impact psychologique et physique d’être une femme seule dans une culture patriarcale. Ce thème sera abordé à plusieurs reprises dans ses écrits.
Concernant Wide Sargasso Sea, cette œuvre a été publiée vingt-sept ans après l’apparition de son roman précédent lequel a été rendu public avant le début de sa longue absence sur la scène littéraire. Il s’agit de l’aboutissement de ses croquis antérieurs héroïne, tout en mettant l’accent sur un contexte industriel européen tout en entamant un retour au paysage Caraïbes du dix-neuvième siècle.
Concernant le récit gothique, celui-ci constitue le confinement malheureux, donc le contre-pied de l’idéal décrit dans le confinement heureux. L’histoire se déroule dans un cadre lugubre : or les caractéristiques des lieux décrits reflètent déjà le paysage mental des personnes qui y vivent. Les femmes, si elles ne sont livrées contre leur gré à l’appétit des hommes, comme il en a été le cas pour la mère d’Antoinette, deviennent des victimes de la trahison des hommes notamment lorsque Rochester a trompé Antoinette avec la servante. A titre d’illustration, l’auteur Pierre Arnaud[10], dans sa publication intitulée Le roman gothique et l’avènement de la femme moderne a par exemple avancé que l’image que les lecteurs retiennent de la femme dans le roman gothique anglais est celle d’un « être fragile, angélique, exagérément sensible et victime passive d’un séducteur-bourreau, ou bien à l’opposé, celle d’une créature démonique à la beauté ensorcelante et entièrement vouée au mal »[11].
L’une des principales questions qui se pose à propos de la personnalité d’Antoinette, également appelée Bertha, nom du même personnage de créole blanche dans Jane Eyre de Charlotte Brontë, porte sur le fait de savoir si celle-ci est effectivement devenue folle ou bien est-ce que c’est le monde environnant, la vie qu’elle mène ou bien son entourage qui l’a poussée à bout dont notamment et principalement son époux, Rochester. En effet, dans la plupart des circonstances, Antoinette semble se comporter de façon rationnelle or son entourage n’accepte pas cela.
A titre d’illustration, lorsque Rochester lui a par exemple demandé de s’expliquer concernant les accusations ayant été proférées envers elle ainsi qu’envers sa famille, rien ne démontre qu’elle n’a pas été sincère et la réponse qu’elle avait donnée était bien conforme à la logique, pourtant, son mari a refusé de la croire. Christophine, avait au contraire une opinion différente. Elle soutenait que ce n’est pas parce-que son entourage affirme qu’elle est folle qu’elle l’est nécessairement. Dans la page 104, elle a dit « It is in your mind to pretend she is mad”[12].
De plus, ayant été éduquée dans un couvent, elle était hostile à la consommation de tout produit risquant d’induire à la dépendance, cependant, elle a commencé à boire après avoir surpris son mari et la servante ensemble au lit.
Pour conclure le paragraphe, il est effectivement procédé au retour du gothique de confinement dans Wide Sargasso Sea. L’ouvrage apporte une description conforme de la société anglaise du XVIIIe siècle et parle de la condition de la femme avec un ton révolté sans vraiment insister.
3/ Espace troublé et trouble des identités : contexte historique / post-colonialisme
Le roman est un roman postcolonial. Afin de faire des remarques à ce propos, il est important de remonter vers l’histoire même du roman. Comme mentionné plus haut, le roman a été écrit par Jean-Rhys en 1966, une époque pendant laquelle l’Angleterre avait révisé sa politique de colonisation. Jean Rhys avait déjà écrit une dizaine d’autres romans, parmi lesquels en 1939 celui intitulé Good Morning Midnight. Mais elle est restée une auteure presque méconnue des lecteurs. C’est donc très tardivement dans sa vie avec la publication de Wide Sargasso Sea, que l’auteur a été mis en lumière.
Ce roman fut un succès, sans doute aussi et notamment parce qu’il proposait une nouvelle interprétation du personnage de Bertha/Antoinette du célèbre roman Jane Eyre qui a été écrit en 1847 par Charlotte Brönte. Il est important de relater ici le fondement de l’histoire Wide Sargasso Sea.
Le roman a commencé à être rédigé juste après l’émancipation des esclaves en 1833, Jean Rhys situe l’histoire en Coulibrie, une propriété Jamaïcaine. Le roman raconte de long en large l’histoire d’Antoinette, partant de sa petite enfance et circule pendant son mariage avec un Anglais anonyme, le monsieur est considéré comme étant M. Rochester de Jane Eyre. Dans le roman, la jeune femme Antoinette, vit de plus en plus dans la souffrance et marche vers le chemin de la folie.
A titre de rappel, le roman se divise en trois parties. Ainsi, la première partie est racontée d’abord par Antoinette elle-même et dans cette partie, Antoinette raconte son enfance et ce qu’elle a vécu durant celle-ci, sa mère ayant un handicap mental et son frère tué tragiquement. Dans la seconde partie, deux points de vue sont mis en exergue, celui d’Antoinette et celui de son mari. Dans celle-ci, la chute d’Antoinette est marquée par la suspicion que tout le monde porte sur son couple, il y a également un parent supposé de celle-ci qui évoque des machinations à cet égard, il s’agit de Daniel Cosway. De l’autre côté, il y a aussi la vielle nourrice de son mari, Christophine, qui reste méfiante constamment. Daniel Cosway rajoute que son mari devient infidèle. Antoinette même est devenue déséquilibrée de par le sort de son mariage qui n’aboutit pas.
Wide Sargasso Sea peut donc être considéré comme étant une réponse postmoderne et postcoloniale à Jane Eyre, le roman de référence en quelque sorte et lequel sert comme point de départ pour Wide Sargasso Sea. Les auteurs racontent presque la même histoire. Dans son roman, Jean Rhys utilise plusieurs voix similaires à celles trouvées dans Jane Eyre par Charlotte Bronte, comme Antoinette, Rochester, Grace. Il existe donc plusieurs similarités avec le roman de Jane Eyre. En outre, Rhys fait un argument postcolonial quand le mari d’Antoinette refuse le fait que celle-ci procède à son héritage créole, c’est le facteur principal qui a conduit Antoinette dans la folie. L’atmosphère postcolonial de l’époque et les faits marquants du XVIIIè siècle, en rapport avec la condition de la femme, ont alors bien été décrits dans les deux ouvrages ce qui ne fait que confirmer l’appartenance des deux romans au genre gothique, même si les perspectives divergent.
Comme la littérature postmoderne et postcoloniale a pris une très grande place dans les programmes universitaires, le roman a été enseigné plus souvent aux élèves en littérature ces dernières années. Prenons en exemple le roman de Brontë, qui comme il en a déjà été fait mention a été écrit et publié au cours de la période d’expansion impériale, une époque pendant laquelle l’Angleterre vivait dans l’hégémonie totale et les esclaves bientôt détachés des conséquences de la colonisation. Le roman ne discute plus de l’idéologie impérialiste, il est plus ancré sur la modernité. Il est à remarquer qu’Antoinette a pris de nom de Bertha vers la fin de Wide Sargasso Sea, mais uniquement dans la bouche de Rochester. Et ainsi, Jane Eyre est la figue de l’Angleterre, et Antoinette/Bertha la figure des Antilles. Il existe une différence entre ces deux personnages et plusieurs dualismes ont été constatés :
– Europe et colonies
-centre et excentrique
-même et autre
-ici et ailleurs
-culture et nature
-raison et passion
-rationnel et irrationnel
-esprit et corps
-vie et mort
-sain et malsain
-bien et mal
-humain et inhumain
Comme nous le remarquons, les premiers concepts sont plus valeureux que les seconds thèmes, ce sont deux concepts différents.
Et pour mettre en exergue le caractère postcolonial du roman ici étudié, il est toujours important de faire la différence entre la texture de l’histoire de Bertha de Jane Eyre par Charlotte Brontë, par rapport à celle d’Antoinette/bertha dans Wide Sargasso Sea de Jean Rhys. Dans le roman de Brontë, vu que Bertha est descendue dans la folie, son mari utilise des mots péjoratifs, le « monstre »[13] ou même directement la « folle »[14] parmi d’autres.
Bertha est considérée par son mari d’étrangère, il utilise le mot anglais « strange » ou « eccentric », ceci lui a permis de stigmatiser sa femme comme étant une autre personne différente de toute autre. Ainsi, la description se développe et elle est considérée par lui comme étant un animal, il parle de « creature, wild beast,… »[15].
Elle est aussi considérée comme une chose ou bien comme un fantôme, une créature surnaturelle. Son mari ne la considère plus comme étant un être humain, il la traite de personne non civilisée et la met au rang des sauvages, en utilisant le mot « wild »[16], il la compare au mal comme le démon venant de l’enfer et ceci caractérise les Antilles.
Face aux considérations de son mari, Bertha ne pouvait rien faire à part grogner ou rire avec beaucoup d’ironie. L’héroïne est connue de par la laideur de son physique et qui effraie tout le monde, elle est décrite sous ses yeux rouges et son épaisse chevelure noire, un visage tout noir et enflé. Ce qui n’est pas le cas dans l’autre roman écrit plus d’un siècle plus tard. Ici la présentation d’Antoinette / Bertha est différente et tout à fait contraire du même personnage dans le roman de Brontë : elle devient l’icone d’une femme sublime, d’une belle créole, intelligente et rationnelle, il n’y a pas question de folie.
Wide Sargasso Sea est ainsi une nouvelle version du roman qui tente d’apporter un rétablissement à ce que Bertha a vécu. Il tente d’expliquer les raisons qui ont poussé Antoinette / Bertha à descendre dans la folie. Ce procédé permet de considérer ce roman comme étant un texte postcolonial[17].
Le roman vise de ré-écrire une histoire qui se déroule à la période de l’empire coloniale, mais après l’abolition de l’esclavage. Dans le roman de Jean Rhys cependant la perspective change dans la mesure que le premier responsable de la folie d’Antoinette est son mari, Rochester. Ce dernier représente purement et simplement l’idéologie impérialiste[18].
Pour mettre en place une réalité de l’histoire qui se déroule dans les Antilles, l’intrigue est située par lui bien avant dans le temps. Son objectif est de reconsidérer les événements dans une perspective postcoloniale par rapport à son modèle figé dans le contexte oppresseur du XIXe siècle. L’objectif est visible dans toutes les facettes de l’histoire, car les fantômes présents dans le roman Wide Sargasso Sea ne sont pas seulement des fantômes qui hantent dans le temps, mais ils développent une force impérialiste.
Jean Rhys situe le mari dans la place de l’Angleterre et la femme dans la place des colonies, l’attitude du mari par rapport à Antoinette reflète donc le comportement de l’Angleterre vis-à-vis de ses colonies et ainsi, Antoinette et son île ne font qu’une.
Selon l’ethnologue Octave Mannomi[19], il existe le concept du complexe de Prospéro, une personne qui présente cette caractéristique est celle qui est la figure du colonial paternaliste, quelqu’un qui aime dominer, qui veut tout avoir à lui tout seul, qui est matérialiste et orgueilleux[20], le mari d’Antoinette est tout à fait cette personne.
Le complexe se traduit par le ressenti, par la personne qui au fond ne sent pas en sécurité et qui se sent plutôt inférieur. Et pour cacher ces sentiments, elle préfère dominer et faire entendre sa voix. Le colon domine ses colonies tout comme le mari envers Antoinette, les colonies sont considérées comme des îles qui n’ont pas de civilité, tout comme le mari considère Antoinette, il se sent plus valeureux que sa femme, il lui est supérieur, il appelle sa femme par « this creole girl »[21] .
Par contre, Angleterre a eu peur des Antilles, le premier ne se sent pas en sécurité par rapport au dernier, ceci en raison du fait que dans les Antilles, tout est beau : des couleurs vivantes, des fleurs de grande taille, des animaux merveilleux, du bon sens, des émotions. Pareillement à l’Angleterre, le mari ne se sent pas en sécurité par rapport à Antoinette et il préfère tout contrôler à l’avance en lui imposant son égo. Lors du transfert d’Antoinette des Antilles à l’Angleterre, il montre dans ses paroles sa possession pour elle, il veut en avoir la maîtrise totale de sa femme, « She’s mad, but mine, mine »[22]. Sa femme est une chose qui lui appartient et qu’il ne veut partager à quiconque. Pendant la colonisation tout a été question d’argent, celui qui a de l’argent a le pouvoir, c’est toujours le cas d’ailleurs même après la colonisation. Et ceci demeure le thème principal évoqué dans le roman. Le mari n’est pas habitué à la discussion, ainsi, il préfère user de la domination et du sexe violent pour faire preuve de son amour, « I was thirsty for her, but that is not love. I felt very little tenderness for her, she was a stranger to me, a stranger who did not think or feel as I did »[23].
Pour assurer sa survie et sa sécurité, le mari se trouve dans l’obligation de lui porter une toute autre considération, une étrangère par rapport à lui. Et la seule manière pour la garder est de la détruire. Et toutes ces attitudes désagréables et cruelles ont poussé la jeune femme à sombrer dans la folie, étant prisonnière de tous les mépris et des caractères de son méchant mari.
En même temps, Jean Rhys situe aussi le mari comme étant une victime dans l’histoire. La loi de la primogéniture à l’époque voulait que le fils cadet (le mari) n’hérite pas de son père et qu’en plus, ce dernier mette son fils face à une obligation d’épouser une riche héritière des Antilles. Aussi, on lui a éduqué de la manière qu’il ne puisse montrer son émotion et particulièrement ses sentiments. Dans le roman, le mari est aussi présenté comme étant un homme perdu et qui a été l’objet d’un piège, il vit dans un univers qui ne lui appartient même pas.
Le roman de Rhys met en avant le fait que la population entière fut victime de la colonisation et selon Frantz : « Dans ce système colonial, l’infrastructure économique est aussi une superstructure. La cause est la conséquence : vous êtes riche parce que vous êtes blanc, vous êtes blanc parce que vous êtes riche »[24].
Part II : Le devenir fantôme du personnage
1/ Détermination familiale/ logique héréditaire : du naturalisme au gothique
L’histoire d’Antoinette Cosway dans le roman de Jean Rhys commence dès son enfance lorsqu’elle vivait à Jamaïque. En tant qu’enfant, la construction de l’identité relève toujours de l’environnement même dans lequel l’enfant vit, c’est le cas d’Antoinette qui a construit son identité par rapport à cet environnement. A l’époque aux Antilles, l’environnement possible tourne autour de deux caractères : l’invasion de l’Europe dans les Antilles et le déracinement qui peut être présent pendant l’adolescence ou à certain âge de l’enfant. Vient ensuite l’aliénation, c’est un sentiment qui se construit de par un manque d’appartenance.
Antoinette Cosway était au début une jeune fille qui vivait avec sa mère et son frère, ce dernier est un faible d’esprit et que la mère d’Antoinette, Annette n’avait d’œil que pour lui. Sa mère ne la considérait pas comme sa fille, elle lui était indifférente et qu’elle ne considérait comme son enfant que son fils aliéné. Annette est trop occupée par le malheur de son fils qu’elle préfère engager une esclave, Christophine, pour être la nourrice de sa fille Antoinette. Par la suite, sa mère se remarie avec Mr Mason, un être qui a détruit la vie de sa mère en la méprisant et en lui faisant vivre l’enfer. Sa mère est devenue folle après la mort de son frère et de par les comportements de Mr Mason. Dans le roman, il n’y a que peu de questions sur le père d’Antoinette mais par contre, le caractère et l’identité de son personnage ont été en partie des conséquences de ce qu’elle a hérité de son père et de sa mère, c’est-à-dire de sa famille. La lignée familiale d’Antoinette a ainsi joué un grand rôle dans le devenir du personnage qui par la suite, est devenue folle et montrait l’image de l’espace gothique. La folie de sa mère et de son père a été à l’origine de l’aliénation d’Antoinette.
Le père biologique d’Antoinette Cosway appelé le « Vieux Cosway » a été déjà décédé au début du roman[25], ce personnage s’est suicidé en raison de sa ruine qui est survenue après l’émancipation des esclaves, à cette époque où il possédait plusieurs esclaves et il n’y avait même pas eu de compensation financière. Le début du malheur de la famille Cosway a commencé, la société ne parle plus d’esclavage mais plutôt de travail et de rétribution, ce fut la perte. Il n’y a plus de liens personnels entre les employés et les employeurs, il a été installé le respect de toute une hiérarchie, fini l’époque de la colonisation ou régnaient le racisme et le sexe. De plus, le père de l’héroïne s’est montré trop libre en matière de mœurs, ce qui lui a donné l’image de sexualité et de sensualité débridées considérée comme étant une dégénérescence. L’homme a eu beaucoup d’autres enfants dont deux d’entre eux figurent parmi les personnages qui composent le roman de Jean Rhys, ce sont Daniel Cosway et Sandi. Ce dernier est constitué par le personnage qui aide Antoinette victime de plusieurs insultes d’autres enfants et lui a apporté du soutien quand sa mère, devenue folle, fut internée. Dans les quelques dernières pages du roman de Jean Rhys, celle-ci fait apparaître l’illusion selon laquelle il y a eu une relation amoureuse entre Sandi et Antoinette. Il n’y a par contre de précision par rapport au moment de cette relation, avant ou après le mariage d’Antoinette. Le personnage de Sandi joue le rôle de la personne qui veut sauver Antoinette de la pensée des autres comme étant une fille marginale. L’entourage d’Antoinette comme Christophine et tante Cora ne la considérait même pas comme étant un être humain à part entière.
Quant à Daniel Cosway, frère de sang d’Antoinette, celui-ci avait de la haine profonde pour son présumé père et il n’avait que le plaisir de se venger de lui, il a donc écrit un très longue lettre à Rochester après le mariage et dans cette lettre, il a fait valoir l’existence de la folie de son père et ainsi pour avancer le fait qu’Antoinette a hérité d’une folie en même temps de par sa père et de par son père. Cette lettre a ainsi actionné la haine de Rochester vis-à-vis de sa femme. Mr Cosway, malgré sa fortune et sa grandeur, vivait dans un monde où il croyait savoir maîtriser. Il a pris l’initiative d’épouser Annette, une femme d’origine Martiniquaise, c’est-à-dire, ayant une origine européenne, une réaction qui a choqué beaucoup de contemporains à l’époque. Ainsi, après sa mort, c’est sa famille qui en supporte les conséquences. Etant un personnage excessif, il s’acharne sur son passé alors que le monde qui l’entoure a déjà changé, la société même est contre lui. C’est sa famille sui subit l’ostracisme à sa place, son fils Pierre est un retardé mental, Antoinette la belle fille intelligente manque cruellement d’éducation et n’arrive pas à surmonter les impératifs imposés par la société.
Par rapport à sa mère, le personnage d’Antoinette y est similaire également et on dirait que sa folie puise son origine dans le comportement de sa mère vis-à-vis d’elle depuis sa toute petite enfance. Annette a quasiment abandonné Antoinette mais ceci a été faite par elle dans l’inconscience. En fait, sa mère était à la tête d’une plantation de sucre alors même qu’à l’époque, la société n’acceptait pas les femmes d’affaires. Elle se trouve plutôt à la tête de tout un domaine, mais les anciens esclaves refusent de la servir en raison du fait qu’elle n’a pas de mari, « Nobody would work for the young woman and her two children and that place Coulibri goes quickly to bush. » (WSS 57).
Pour pouvoir sauver son domaine, Annette se remarie avec M.Manson, un homme qui se croit être supérieur et qui se comporte ainsi. La mère d’Antoinette vivait dans une infériorité par rapport à son mari et même Antoinette lance cette remarque dans le roman :
« …Mr. Mason, so sure of himself, so without a doubt English… My mother, so without a doubt not English, but no white nigger either. », (WSS 21). Après l’abolition de l’esclavage, la maison d’Annette et de sa famille fait l’objet de la révolte des esclaves et fut incendiée.
Au cours de cette incendie, Pierre d’Antoinette a été décédé mais aussi, Coco l’oiseau d’Annette, celui qui pour elle est le symbole de la liberté et de l’identité, la mort de l’oiseau signifie pour elle une présage à son enfermement et à sa mort.
Face à cette tragédie et face au comportement de son mari, la mère d’Antoinette sombre dans une déprime totale et devient folle, ce qui a conduit à son internement. Elle est donc devenue incapable de prendre soin de sa fille, l’abandon se confirme vis-à-vis de celle-ci. Au fur et à mesure, Antoinette perdait tout contact avec des femmes, se renferme sur elle-même et prisonnière du silence. Mr Mason tente en vain de la soutenir en lui obligeant à avancer dans le mariage : “I want you to be happy, Antoinette, secure, I’ve tried to arrange it, but we’ll have time to talk (…)
On parle alors de logique héréditaire traduisant la folie d’Antoinette, un passé difficile, tous les membres de sa famille ont été considérés par le monde entier comme des personnes qui ont des défaillances mentales et qu’il s’agit inévitablement de maladie héréditaire qui se transmet de génération en génération. Ceci est marqué par le fait qu’Antoinette tout comme sa mère, montrait des comportements étranges et plusieurs symptômes connus comme signe de la folie.
C’est pourquoi tout au long de sa vie, Antoinette est considérée par son entourage comme une copie de sa mère, à nombre de fois, son mari a lancé des propos différents qui la comparent à sa mère. C’est comme une sorte de logique biologique qui actionne une maladie et se transmet de mère en fille.
Antoinette a vécu dans une vie tout à fait normale, auprès d’une famille et de son jardin luxuriant, dans un grand domaine. Suite à la transformation de société et de la politique dans les Antilles, sa vie commence à prendre un caractère gothique, sombre, sauvage et déprimant : suicide de son père, maladie de son frère, abandon et folie de sa mère, son mariage forcé avec un anglais. Tout ceci a changé son monde allant du naturalisme au gothique et c’est ce qui a construit l’identité du personnage principal.
2/ Effets d’une relation aliénante (Rochester et Antoinette/Bertha)
2.1/ L’aliénation entre Antoinette et la communauté noire
Comme on l’a déjà évoqué précédemment, le roman de Jean Rhys comme d’autres romans antillais traite généralement des enfants qui vivaient aux Antilles et devant construire leur identité dans ce concept antillais. Dans le roman, Antoinette vivait dans la Jamaïque, elle est entourée d’une communauté noire avec laquelle elle est en quête d’appartenance, il s’agit pour elle de se construire une identité antillaise.
Par contre, cette identité n’est pas fixe, elle est entravée par certains concepts comme la culture européenne ou la culture antillaise même par rapport à la vie de l’enfant. Antoinette vivait dans cette condition-là dans le roman de Jean Rhys et l’aliénation s’attaque très facilement dans ces cas. Les problèmes relatifs aux questions d’appartenance ne sont pas nouveaux du fait que les Antilles sont constituées par une région qui se heurte au déracinement de sa population faisant suite à plusieurs événements : déportation des africains, génocide des Amérindiens, exil des peuples venant de l’Asie. Aux Antilles, il y a donc plusieurs identités, des noirs et des blancs confondus. Ce mélange de population et d’identité se rencontre dans le roman de Jean Rhys.
Le roman est raconté pendant une période ou l’esclavage vient d’être aboli, au cours du 19è siècle. Au cours de cette époque, le système adopté que ce soit en matière politique, familiale, sociale ou raciale se base sur le patriarcat. Ce système reflète le principe selon lequel les hommes sont supérieurs aux femmes, le sexe masculin exerce plus de pouvoir à l’encontre et par rapport au sexe féminin. Les femmes ont été privées de beaucoup de choses comme pour la mère d’Antoinette qui avait des difficultés dans la gestion de son domaine car une femme ne peut se trouver à la tête d’une affaire.
Avec ce système, les hommes noirs sont devenus des étalons et Antoinette est donc devenue la fille non pas d’un père mais d’un géniteur. Certes, Antoinette s’est perdue dans ce monde ou elle était entourée d’une communauté noire mais le roman de Jean Rhys n’a pas apporté d’analyses profondes sur le caractère des personnages noirs l’ayant entouré sauf celui de la nourrice, Christophine.
L’autre personnage noir proche d’Antoinette est Tia, Jean Rhys a évoqué la rupture importante entre Antoinette et son ami. En tout cas, l’enfance d’Antoinette se déroulait pendant l’esclavage et c’est durant cette époque qu’elle garde un souvenir immense car c’est le seul moment de sa vie ou elle était heureuse et en sécurité, « (My father, visitors, horses, feeling safe in bed—all belonged to the past.) » (WSS 9).
Christophine est la nourrice d’Antoinette et celle-ci est noire. Il est à remarquer ici que Christophine n’est pas considérée par Antoinette comme étant simplement sa nourrice mais aussi comme étant sa mère adoptive vu que la perte de sa mère a provoqué chez elle un sentiment d’aliénation basé sur le fait de l’éloignement et de désaffection. Ainsi, après le mariage d’Antoinette avec Rochester, c’est auprès de Christophine qu’elle se confie, « I knelt close to her [Christophine] touching a thin silver bangle that she always wore. » WSS 65.
Entre les deux femmes, il existe alors une relation très importante mais qui est à la fois compliquée en raison du fait que Christophine était une esclave d’Annette, et Antoinette connaît très bien qu’elle se trouve à un rang bien plus élevé que celle-ci. Le récit montre dans certains passages qu’Antoinette évoquait le racisme vis-à-vis de ses proches qui sont noires et donc aussi vis-à-vis de sa nourrice, également noire et ancienne esclave. Mais pourtant, il est sûr que la perte de Christophine a été une dure épreuve pour Antoinette : When she [Christophine] bent her head she looked old and I thought, ‘Oh Christophine, do not grow old. You are the only friend I have; do not go away from me into being old.’ » (WSS 68).
Les deux îles citées dans Wide Sargasso sea sont toutes deux des colonies anglaises, et qu’aux Antilles, toutes les îles se séparent par le biais d’un gouffre qui n’est que la rivalité entre l’Angleterre et la France, certaines sont des colonies françaises et d’autres des colonies anglaises, deux pays totalement patriarcaux, « …she [Annette] have no friends, for French and English like cat and dog in these islands since long time. Shoot. Kill. Everything. » (WSS 57). Ceci peut être considéré comme étant une aliénation par le patriarcat et qui était présent durant la vie d’Antoinette. C’est du à ce gouffre que la mère d’Antoinette et la nourrice ont subi du mépris de la part des jamaïcains basé sur le fait qu’elles sont d’origine martiniquaise mais qui se sont exilées à la Jamaïque qui est pourtant une colonie anglaise à l’époque. Le sort s’est aussi posé sur la fille Antoinette, alors même qu’elle est jamaïcaine et face à ce mépris, elle éprouve un sentiment de l’aliénation. Ainsi, dans cette recherche de liberté, Antoinette voulait fuir la Jamaïque, pourtant, elle ne trouve pas non plus cette liberté à la Dominique.
Le système du patriarcat inspire pour eux le sentiment de vouloir trouver la liberté. Le choix se porte alors sur la Dominique qui en même temps, est une colonie anglaise et française. Pour les trois personnages, la mère, la nourrice et la fille, la Dominique est synonyme de liberté. Cette pensée est due au fait que dans cette île, l’esclavage a déjà été aboli des années avant les autres îles, Martinique et Guadeloupe.
Certes, la Dominique symbolise la liberté pour les noirs mais pour Antoinette, ce n’est pas le cas car elle s’est mariée avec un anglais et son nouveau patriarcat est son mari.
2.2/ L’aliénation de Rochester par Antoinette et Christophine
Le sentiment de l’aliénation éprouvé par Rochester est dû en grande partie par la puissance de la nourrice d’Antoinette vis-à-vis de lui. Christophine était la servante de la famille Cosway à l’époque, son rôle dans le roman est secondaire, mais par contre, elle est présente dans toutes les scènes importantes de celui-ci. Avec son statut qui est une ancienne esclave, elle a réussi à faire face et à affronter la puissance de l’anglais, Rochester, mari d’Antoinette.
Christophine donne l’image de l’obeah woman, un personnage antillais de la quimboiseuse[26]. De ce fait, elle possède des pouvoirs jugés surnaturels et à la fois magique.
En tant que nourrice d’Antoinette, elle joue le rôle de mère auprès d’elle. Elle fait figure de la femme aimante et qui reste à la disposition d’Antoinette, sa présence dans toutes les difficultés rencontrées par la jeune fille témoigne son amour pour elle. Christophine n’hésitait pas à déployer tous ses efforts pour assurer la protection d’Antoinette contre les influences exercées par Rochester sur elle.
Durant l’enfance d’Antoinette, des rumeurs circulaient en ce qui concerne la personnalité même de sa nourrice, ce qui a altéré l’image qu’elle portait sur Christophine, une femme jugée mystèrieuse. De par ces rumeurs, Antoinette a commencé à considérer sa nourrice comme étant une femme inquiétante, une obeah woman[27]. Tout au long du roman, Christophine était considéré par Antoinette comme une femme à deux visages, en même temps celle qui rassure et celle qui effraie.
L’aspect négatif de l’obeah woman est apparu dans le roman de Jean Rhys dans les passages ou Christophine avait une altercation avec Amélie, la servante. La nourrice a menacé la servante le fait de sombrer dans des maux de ventre grave, give you bellyache like you never see bellyache. Perhaps you lie a long time with the bellyache I give you. So keep yourself quiet and decent. You hear me? [61]. Mais ce nouvel aspect montré n’implique pas que l’obeah woman soit quelque chose de non appliquée aux Antilles, au contraire, cela a toujours fait partie de leur quotidien et de leur culture, dont l’anglais Rochester connaissait depuis le début de sa visite dans les îles. Cela n’empêche non plus que ce soit ce soit reste effrayant pour tout le monde, mais cela ne sort pas du cadre du roman qui investit beaucoup dans le surnaturel, aspect symbolique de l’espace gothique.
L’obeah fait partie intégrante de la culture de la communauté noire et qu’elle veut garder secrète, il n’y a pas eu moyen pour Rochester de la connaître sauf en consultant des ouvrages sur le sujet.
Dans sa relation avec Rochester, les difficultés rencontrées par Antoinette ne cessent de s’amplifier et pour trouver une solution, celle-ci se confie auprès de Christophine, cela marque l’aliénation ressenti par Rochester à l’égard de ces deux femmes.
Dans Wide Sargasso sea, Antoinette dans certains passages fait appel à sa nourrice et les pouvoirs surnaturels de celle-ci en tant que quimboiseuse se confirment de par ses propos :
‘You knew what I wanted as soon as you saw me, and you certainly know now.’
‘Hush up,’ she said. ‘If the man don’t love you, I can’t make him love you.’
‘Yes you can, I know you can. That is what I wish and that is why I came here. You can make people love or hate. Or …or die,’ I said. [67]
Rochester, face à ces propos éprouve un manque d’appartenance par rapport à la culture de la communauté noire mais aussi et surtout par rapport à sa femme et la nourrice.
Les pouvoirs surnaturels de Christophine atteint alors Rochester, des poudres à répandre sur le sol, et il y a des moments ou Antoinette verse de la potion dans le verre de son mari : As I stepped into her room I noticed the white powder strewn on the floor. That was the first thing I asked her—about the powder. I asked what it was. She said it was to keep cockroaches away. […] When she handed me the glass she was smiling. I remember saying in a voice that was not like my own that it was too light. I remember putting out the candles on the table near the bed and that is all I remember. All I will remember of the night. [81-82]
Le roman montre également que le mari d’Antoinette fait figure de victime d’un envahissement culturel, il se trouve déréglé totalement sur le plan physique, il est donc devenu une sorte de zombi ayant perdu son essence et ne connaît plus son origine. La magie noire exercée sur lui affecté profondément la vision même qu’il portait sur son environnement et sur le monde en général.
Le lecteur a cru à une différence de culture, par contre, l’anglais perd de plus en plus sa personnalité, il change. Il n’a pas de nom propre dans le roman, il n’a donc pas d’identité. Suite au geste d’Antoinette qui est considéré comme un empoisonnement (avoir versé de la potion le verre de son mari), la réaction de l’anglais vire au cauchemar, épuisé de toute sa force, il prend l’image d’un zombi possédé. L’homme avait le sentiment d’être une personne qui est enterrée alors même qu’il respire encore. Il est devenu comme un homme à moitié paralysé, des visions horribles et des confusions dans tout ce qu’il regarde, dans ses paroles et dans sa pensée même : « I got up and found my way back to the path which led to the house. I knew how to avoid every creeper, and I never stumbled once. I went to my dressing-room and if I passed anyone I did not see them and if they spoke I did not hear them.” [83]
L’aliénation subit par le mari ne peut être pourtant imputée totalement à Christophine, elle agit tout simplement parce qu’Antoinette lui demande. Elle veut juste apporter du soulagement à sa protégée face à sa souffrance grandiose sur le fait que son mari la trahit en entamant une liaison avec la servante, Amélie.
Jean Rhys parle de la crainte et de la peur de Rochester face à la sauvagerie de la nature désormais présente partout, ces caractères sont aussi dû au fait qu’il n’a aucun contrôle sur la nature elle-même. La nature devient l’intrus parasitaire et semble posséder tous les aspects démoniaques de la rationalité de Rochester. C’est à ce moment que nous pouvons déjà constater que pour Rochester, la nature devient l’épidémie même de la femme. Cette pensée est montrée dans un passage du roman pendant lequel Rochester parle d’Amélie : « A lovely little creature but sly, spiteful, malignant perhaps, like much else in this place » WSS 65
Ici, nous faisons face à une situation où Antoinette a indirectement obtenu son surnom, d’abord comme étant une «humain none », et plus tard dans le roman, elle sera comparée par Rochester à Amélie qui est considérée par lui comme une simple «créature». Rochester met toutes les femmes dans une sorte d’ensemble commun qui le menace inévitablement, il pense que les femmes possèdent les mêmes qualités que la nature, des qualités menaçantes. Dans la partie ou Rochester prend la narration, le lecteur peut sentir tout de suite son hostilité croissante de l’île qui projetait les tendances féminines sur lui.
The falling rain causes « a feeling of discomfort and melancholy » (67), and « the sea crept stealthily forwards and backwards » (66).
A plusieurs reprises, Rochester pense que l’île semble pour lui irréelle, c’est comme un conte de fées, un rêve qui ne fait que passer. Son arrivée sur l’île était une idée indifférente de son père, il se sent expulsé et il se trouve dans une situation décrite par lui comme étrange. Mais non seulement ce lieu est la maison de sa femme étrangère nouvelle, il est aussi l’incarnation de la féminité et du féminisme. Ainsi, il associe l’île à la nature et celle-ci est pour lui synonyme de la femme, il veut donc à tout prix prendre le contrôle.
Par conséquent, afin qu’il puisse contrôler son environnement, Rochester doit être en mesure d’exercer une domination sur les femmes avec lesquelles il est en contact direct et plus spécifiquement, sur le caractère d’une femelle dont il croit être l’origine de sa perte, il s’agit d’Antoinette, sa femme. Celle-ci est pour lui la représentation du mal. Un auteur appelé Irigaray a su décrire avec précision le besoin de Rochester pour avoir le contrôle:
“He must challenge her for power. . . . Identify with the law-giving father, with his proper names, his desires for making capital, in every sense of the word, to the exercise of his pleasures, with the exception of his pleasure in trading women—fetishized objects, merchandize of whose value he stands surety with his peers”[28]
Au sein de l’île, Rochester éprouve un sentiment de «manque» et comme il veut contrôler les femmes autour de lui, il sait qu’il doit surmonter ce sentiment et ainsi prendre le contrôle sur son environnement : What I see is nothing—I want what it hides—that is not nothing »[29]
En définissant l’île en tant que telle, Rochester, encore une fois, fait une association entre l’île et la femme, qu’il existe une connexion entre ces deux-là. Irigaray dans speculum en parle: « a fault, a flaw, a lack an absence, outside the system of representations and auto-representations. Which are the man’s. By a hole in men’s signifying economy »[30]
Selon Irigaray, le manque d’appartenance menace le mode même de la représentation, celui-ci vise à l’exclure, de telle sorte qu’il peut causer la destruction, la fragmentation la rupture face aux systèmes de « présencar il est «un rien qui pourrait causer la destruction, la fragmentation, la rupture de leurs systèmes de « présence « et de la représentation[31]. Et il n’y a donc aucun doute que dans l’esprit de Rochester, il doit remplacer le sentiment de manque en ayant un contrôle total.
Il est donc presque ahurissante de croire que lorsque Rochester rencontre Antoinette, elle était une personne très dynamique. À bien des égards, elle était assez excentrique: pleine de vie, d’intelligence et très expressif à la fois vocalement que sexuellement. Ces caractéristiques qui semblaient d’abord provoqué l’intrigue chez Rochester se sont rapidement transformer en du dégoût, cela est devenu répugnant pour lui. C’était peut-être dû au fait qu’il ne pouvait reconnaître les mêmes qualités en lui-même et cela a produit un sentiment de peur chez lui, c’est ainsi qu’il est devenu accusateur envers son épouse. Elle est devenue pour lui propriétaire des mêmes caractéristiques que l’île, elle est alors devenue l’objet de son dégoût.
Antoinette est devenue une femme qui a été hantée et tourmentée par des milliers d’accusations de la part de son mari. Ceci a occasionné chez elle une paranoïa et elle n’avait que la défense pour se protéger, la seule solution pour elle est d’investir dans la magie noire de Christophine pour tenter de sauver son mariage. Mais le mariage semblait déjà maudit et l’utilisation des pouvoirs surnaturels n’a fait qu’accélérer la fin tragique.
Pourtant, pour être plausible, Rochester doit faire plus pour donner l’étiquette de démoniaque à Antoinette, pour la faire devenir « l’autre ». Rochester a également essayé de présenter une toile de fond à son histoire personnelle et, pour ce faire, il a tenté de créer une explication aux lecteurs les raisons pour lesquelles il méprise sa femme si désespérément. En fait, tout comme Antoinette et Tia qui ont succombé aux conditions raciales de l’époque, Rochester aussi, lui a succombé en attribuant de nombreux stigmates à Antoinette, en représentation de la société patriarcale. La première chose qu’il fait est de conduire les lecteurs dans le jardin d’Eden en présentant Antoinette comme étant la tentation ultime (référence à Eve faisant manger la pomme à Adam). Rochester créé le scénario de lui-même dans son rôle traditionnel attendu comme un homme victorien et Antoinette comme la tentatrice. Quand ils arrivent à Granbois il dit:
“Two wreaths of frangipani lay on the bed. « Am I expected to wear one of these? And when? » I crowned myself in one of the wreaths and made a face in the glass. « I hardly think it suits my handsome face, do you? » « You look like a king, an emperor. » « God forbid, » I said and took the wreath off. It fell on the floor and as I went towards the window I stepped on it. The room was full of the scent of crushed flowers.”[32]
Antoinette n’est pas Eve en tout cas car elle n’a jamais offert une pomme à son mari, par contre, dans le roman, le lecteur peut remarquer à travers les mots, les odeurs et l’ambiance qu’Antoinette évoque une provocation sexuelle vis-à-vis de son mari et elle est devenue pour Rochester une tentation qui nécessite d’être combattue.
En faisant une analyse de Wide Sargasso sea, le lecteur peut comprendre facilement le fait que Rochester en prenant la narration avait le pouvoir de transformer l’image même d’Antoinette, d’abord, une tentatrice souhaitable qui par la suite est transformée en la salope, en une prostituée, elle incarne le mal pour son mari. Ce caractère d’Antoinette est évoqué par lui, dans le roman :
« thirsts for anyone, not for me. . . . She’ll moan and cry and give herself as no sane woman would, or could »[33]
L’accusation de Rochester ne s’arrête pas envers à sa femme et au fil du roman, il tente de justifier ses actes. Ainsi, il utilise des facteurs externes pour amplifier les idées qu’il a déjà de sa femme. Parmi ces facteurs figure la lettre de Daniel Cosway que nous avons déjà évoqué précédemment.
Après avoir lu la lettre de Daniel en tant que témoin de la conversation qui a eu lieu entre lui et Rochester, nous voyons que Antoinette n’est pas seulement une nymphomane déchaînée mais elle est également accusée de relations familiales inter sexuelles la rendant ainsi coupable d’inceste, un sujet que nous ne pouvons l’imaginer, était extrêmement tabou à l’époque. Rochester, dans son besoin de justification de soi, choisit de croire aux accusations de Daniel et accepte qu’Antoinette soit la réincarnation de sa mère Annette, la prostituée créole sexuellement dérangée. Ainsi Antoinette est jugée indéniablement l’origine de tous les maux et la source de l’avenir douloureux de Rochester.
A l’époque, le fait pour Rochester d’accuser sa femme comme étant une tentatrice ultime insinue le fait qu’il entre également dans un flirt avec le monde des ténèbres: un monde du mal et de la sorcellerie ou, dans le cas de Wide Sargasso Sea, l’Obeah! Dans les paroles de Daly:
“The role of witch . . . was often ascribed to social deviants whose power was fearful. All women are deviants from the male norm of society (a point emphasized by the « misbegotten male » theory of Aristotle and Aquinas, the « penis-envy » dogma of the Freudians, and other psychological theories such as the « inner space » doctrine of Erikson and the « anima » theory of Jung). However, those singled out as witches were frequently characterized by the fact that they had or were believed to have power arising from a particular kind of knowledge, as in the case of the « wise women » who knew the curative powers of herbs and whom people went to for counsel and help. Defined as evil they became the scapegoats of society, and in this process, the dominant ethos was reinforced.[34]
L’aliénation ressentie par Rochester puise ainsi son origine en même temps des actes de Christophine mais aussi d’Antoinette, sa femme. Ces deux femmes qui semblent bien connaître l’anglais et les pouvoirs surnaturels jetés sur lui ne font qu’amplifier la faiblesse de Rochester, sa vision même a subi des confusions. Il a eu peur de sa femme:
« But at night how different, even her voice was changed. Always this talk of death. (Is she trying to tell me that is the secret of this place? That there is no other way? She knows. She knows.) »[35]
Antoinette associée par lui à la nature disposait de mêmes pouvoirs que cette dernière peut dégager, face à la voix d’Antoinette, Rochester n’avait plus les mots. Il s’est souvenu se son histoire avec les rats et il avoue :
« I wanted to say something reassuring but the scent of the river flowers was overpoweringly strong. I felt giddy »[36]
Mais pas seulement Antoinette est faite pour être une sorcière avec une intuition surnaturelle et des grandes forces, elle est aussi présentée comme une dangereuse criminelle. Afin de rendre ses prétentions authentiques, Rochester présente sa femme comme une présence maléfique et il confirme cette accusation avec son histoire du poison que sa femme lui a donné, une situation que nous avons déjà évoqué dans cette partie même mais qui nécessite d’être rappelé ici. Une fois de plus, il offre cette explication comme un stratagème pour démontrer la présence des éléments vindicatifs et dangereux chez sa femme, des éléments qui sont extrêmement destructeurs et c’est ce qui explique son besoin de l’obtenir sous son contrôle. Rochester veut obtenir le contrôle sur sa femme car à l’instant, c’est elle qui possède ce contrôle et il souhaite transférer cette prise de contrôle là.
“Suddenly, bewilderingly, I was certain that everything I had imagined to be truth was false. False. Only the magic and dream are true—all the rest’s a lie. Let it go. Here is the secret. Here. (But it is lost, that secret, and those who know it cannot tell it). Not lost. I had found it in a hidden place and I’d keep it, hold it fast. As I’d hold her.”[37]
Les pouvoirs de Christophine d’un côté ne sont pas maîtrisés par Rochester. Rappelons que Christophine dispose d’une double personnalité, c’est ce qui a fait d’elle un personnage très intéressant au cours du roman. Elle a su enlever toute influence que Rochester exerçait sur sa femme en jouant le rôle de la « mère phallique ». À certains égards, elle effectue un type de castration temporaire sur Rochester qui met son identité masculine en question:
« We stared at each other for quite a minute. I looked away first and she smiled to herself”[38]
Le regard même de Christophine intimide Rochester, et il n’a pas d’autre choix que de se conformer à ses «pouvoirs» et de succomber à sa toute-puissance. Les mots lui manquent encore et continueront à lui faire défaut, en présence de Christophine. A chaque fois que Rochester se retrouve face-à-face avec Christophine, elle est toujours une présence difficile pour lui. L’exemple la plus pertinente est visible lors de la scène où elle entre dans la chambre du couple avec le petit déjeuner et, lui tendant son café du matin, elle se réfère à elle comme «… du sang de taureau ». Au même moment, Rochester est, une fois de plus, incapable de s’exprimer verbalement que Christophine semblait avoir jeté un sort sur lui, emportant ses pouvoirs verbaux.
Cependant, dès qu’elle quitte la chambre, Rochester recouvre sa capacité à parler. Sans surprise, ses paroles sont négatives et s’opposent à ce qu’il pense réellement:
« Her language is horrible, » and yet again: « I can’t say I like her language. »[39]
Une fois de plus, la présence de Christophine rend mal à l’aise Rochester pour de nombreuses raisons: Elle a un lien de fraternité avec sa femme, elle est une femme «phallocrate», et elle rabaisse sa virilité:
« The same contempt as that devil’s when she said, ‘Taste my bull’s blood.’ Meaning that will make you a man »[40]
Christophine est évidemment une menace qui doit être contrôlée et, à ce titre, Rochester est heureux de découvrir qu’il a un avantage sur elle. Il est capable d’utiliser la loi pour l’apprivoiser et de calmer son pouvoir surnaturel en la menaçant de l’emprisonner pour empoisonnement et pour sorcellerie. Il a ainsi une assurance sur le plan juridique, il est donc capable de pénétrer la fraternité et de rompre le pacte qui lie Antoinette et Christophine. Il utilise ainsi un système de «diviser pour régner» afin de s’assurer que son avenir soit aussi protégé en affaiblissant les pouvoirs qui unissent les deux femmes.
2.3/ L’aliénation d’Antoinette par Rochester
Pour rappel, Rochester prend le relais de la voix de narration dans la deuxième partie du roman, mais il reste anonyme. En effet, contrairement à Antoinette dans la première partie, il est prudent et s’assure qu’il prenne lui-même le rôle d’un objet dans le récit, ainsi, libéré de l’esclavage et de l’objectivation, un phénomène qui se produit quand un nom est attribué à un individu: Une pratique dont il appliquera plus tard par rapport à sa femme créole. En restant anonyme, le mari d’Antoinette assume la responsabilité d’être le producteur et maître de l’intrigue provoqué sur sa femme, il s’agit pour lui de la transformer en Bertha.
Le diagnostic s’achève sur le fait que Bertha est folle et elle fait face à Rochester qui est sain d’esprit. La folie de Bertha s’explique par le fait que son mari lui impose des pouvoirs phallocentriques. Ce pouvoir de l’homme est, en fait, son seul moyen de contrôle. Au début de la rencontre avec Rochester, il est très remarquable que son rôle en tant que figure masculine a été remis en question.
De par la peur que Rochester éprouvait vis-à-vis de sa femme, il voulait le contrôler et il a tout fait pour y arriver. Il a ainsi fini par faire partir Chrisptophine et éloigner Antoinette d’elle. Sa prise de parole dans la narration n’a fait que confirmer son désir de procéder par lui-même la destruction de sa femme tout en l’ayant sous son contrôle. Dans l’analyse de la « femme folle » faite par Gilbert et Gubar, il a été raconté que « la femme monstre menace de remplacer sa sœur angélique ». L’ange de la maison est pourtant perdue à jamais, ce qui insinue que la « femme monstre » est en effet Antoinette.
“… embodies intransigent female autonomy and thus represents both the author’s power to allay « his » anxieties by calling their source bad names (witch, bitch, fiend, monster) and, simultaneously, the mysterious power of the character who refuses to stay in her textually ordained « place » and thus generates a story that « gets away » from its author.”[41]
Rochester exerce sur elle une sorte de contrôle qui tend spécifiquement vers sa destruction, en l’accusant de sorcière, de monstre, de salope, de folle. A la fin même du récit, Antoinette devient le point culminant de la défaite, elle incarne le monstre parce que l’objectif principal de son mari est de la détruire, de lui faire subir la même folie que sa mère Annette. Dans la narration de Rochester, elle devient la proie vulnérable et elle est donc considérée inévitablement comme un « étranger », appelé aussi par son mari « l’autre ».
Elle n’a plus le droit de prendre la parole, elle n’est représentée que par les yeux de quelqu’un d’autre qui est ici son mari vindicatif. Comme sa mère qui a été enfermée dans une région éloignée, Antoinette a également subi le même sort. Sans voix, sans forme et loin de tout œil vigilant, Antoinette devient le fantôme de Jane Eyre, ainsi, l’apparition d’ «Antoinette Marionnette » est définitive dans toute sa noirceur glorieuse: fantôme, zombie, poupée …
Les mots utilisés par Rochester pour nommer sa femme sont très révélateurs de l’existence même de celle-ci, ou de son absence car il semble que Rochester avait réussi à «tuer» l’Antoinette que les lecteurs connaissaient. Les actes du mari insinuent qu’il a des pouvoirs très puissants: il a une grande puissance comme celle de Dieu : la capacité de donner la vie et de l’emporter à sa volonté.
« I drew the sheet over her gently as if I covered a dead girl »[42]
Mais quand Rochester réincarne Antoinette, elle n’est désormais plus la même personne. La perte totale d’identité est terminée et l’Antoinette Cosway que nous avons rencontrée au tout début de l’histoire est morte de son premier décès. Le roman nous dit que:
« Antoinette stretched on the bed quite still. Like a doll. Even when she threatened me with the bottle she had a marionette quality »[43]
Maintenant que le contrôle a été déplacé, nous avons une sorte d’inversion des rôles où, comme Rochester avant, Antoinette est privée de sa voix. Enfin, nous commençons à voir l’apparition du vrai fantôme. La créature non-humaine a succombé à son rôle et est précisément décrite comme une «poupée» et une «marionnette». Une fois de plus ce fantôme en forme de coquille a été déshabillé de sa voix, les mots deviennent insignifiants:
« I will tell you everything you wish to know, but in a few words because words are no use. I know that now »[44]
Irigararay explique clairement la position Antoinette clairement quand elle dit:
Hysteria, at least the hysteria that is the privileged lot of the « female, » now has nothing to say. What she « suffers, » what she ‘lusts for, » even what she « takes pleasure in, » all take place on another stage, in relation to already codified representation.[45]
Antoinette n’a presque plus la maîtrise de son corps, elle se regarde comme si elle se tenait à l’extérieur de son être physique et observée comme une marionnette contrôlée par des forces extérieures, assemblées en son mari. Elle est finalement devenue l’exécution du plan de Rochester de la femme dont il avait envisagé dans l’intimité de son silence:
« a dot for a head, a larger one for the body, a triangle for a skirt, slanting lines for arms and feet »[46]
Elle est l’incarnation d’une marionnette, « la poupée avec la voix de poupée» (WSS 171). Il est sans aucun doute qu’Antoinette soit devenue l’objet sur lequel Rochester a le pouvoir de créer, il est le producteur principal de l’intrigue et sa marionnette Antoinette n’a aucun moyen de s’en sortir.
“Rather like the prefix post- in the term postcolonial, the prefix re- in rewriting thus designates a double function: repetition and resistance, or reliance on and reversal of the given structures.”[47]
Antoinette subit un manque d’appartenance dans sa vie en générale, et plusieurs autres accusations de son mari sont présentes dans le roman. La réaction de Rochester puise sa source dans le fait qu’il était visiblement repoussé par sa propre femme. Dans la partie ou c’est lui qui raconte, il existe certains signes indubitables qui montre ce comportement d’Antoinette, cela réside dans le fait qu’il ne prononce pas un mot d’elle, restant muet parfois pendant des heures à la fois, et il a aussi pris l’habitude de dormir dans la chambre où elle a désigné comme étant son dressing (WSS 65). Non seulement il est très froid envers Antoinette, mais il commence peu à peu à la transformer en l’appelant Bertha qui est très pénible pour elle, un nom qui a aussi occasionné sa folie, son aliénation. Il est très évident que Rochester essaie de faire d’Antoinette la « créole folle » et elle est très consciente du plan diabolique de son mari :
“Bertha is not my name. You are trying to make me into someone else, calling me by another name. I know, that’s obeah too.”[48]
Pourtant, en dépit du comportement insupportable de Rochester, Antoinette a tenté de briser son attitude glaciale en offrant de dire la vérité sur sa famille à Rochester sa famille, ceci dans l’objectif de sauver son mariage, mais rien n’a changé.
Et nous revenons ici sur la partie du roman ou la présence de Christophine frappait Rochester car les potions magiques conçus pour faire redécouvrir la passion pour sa femme n’a fait que détourner tout l’attention de Rochester. Il s’est de plus en plus éloigné de sa femme et pire même, il accomplit l’acte de trahison ultime en ayant des relations sexuelles avec Amélie, une situation qu’Antoinette connaissait ouvertement. Ceci fait partie de l’aliénation d’Antoinette par Rochester. Pour se dégager de la douleur, Antoinette commence à boire de l’alcool, elle l’utilisait pour apaiser la douleur d’être trompée par son mari sous ses yeux. Et dans la minute où Antoinette succombe aux pouvoirs maléfiques de l’alcoolisme, elle devient Bertha,
“Her hair hung uncombed…looked swollen”[49]
Mais pas seulement Antoinette ressemble physiquement à Bertha, son tempérament subit un changement radical et son comportement est celui d’une personne possédée par des démons. Tout à coup, nous devenons témoins des rages violentes d’Antoinette, comme si elle tente de mordre son mari quand il tente de prendre son verre de rhum. Son comportement est comparable à celle d’un animal sauvage ou d’un animal possédé par des démons, ses gestes confirment l’affirmation de Rochester comme quoi elle n’est plus humaine. Le roman dit:
“She bites his arm, then smashes a bottle against the wall and curses him. Her laugh sounds “crazy” to him.”[50]
Les comportements d’Antoinette provoquent un sentiment de déjà-vu chez les lecteurs, les mêmes que ceux dans le roman de Jane Eyre (la scène dans le grenier à Thornfield). Cependant, il est très important de noter que le comportement d’Antoinette est une réaction agressive en défense par rapport aux railleries et à la cruauté de son mari. Afin de libérer et d’exorciser le fantôme incertain présent en elle, Antoinette a désespérément dégagé sa frustration par la colère. Le fantôme en elle semble être la voix de Christophine contre Rochester pour ses mauvais actes contre sa femme quand elle l’accuse de détruire sa femme: “Breaking her up” (p 99).
Ici, nous pouvons supposer qu’elle se réfère à de nombreuses possibilités inquiétantes. Il est possible que cette femme phallique fasse référence à la torture mentale que Rochester infligeait à Antoinette, comme il devenait de plus en plus clair qu’Antoinette a perdu son esprit. Ou bien, il pourrait s’agir des mauvais traitements physiques, c’est ce qu’explique Chistophine :
“I undress Antoinette so she can sleep cool and easy; it’s then I see you very rough with her eh?”[51]
Dans ce dernier cas, il se constate que lors des rapports sexuels entre les époux, il n’y a pas de douceur de la part de Rochester par rapport à Antoinette. C’est à ce stade que nous commençons à sentir les souffrances d’Antoinette et nous serons d’accord avec Christophine que la douleur la plus dévastatrice pour notre protagoniste n’était pas du tout la douleur physique qu’elle a subi, mais l’émotionnel qui semblait être infini.
La preuve de cette conclusion réside dans le fait qu’Antoinette ne devient pas malade physiquement dans le roman mais mentalement. En effet, la malédiction de la famille a été prononcée, le diagnostic administré et Antoinette, vaincu, commence jamais plus que à ressembler à sa mère. Comme Annette, elle sera enfermée, elle dit constamment qu’elle est folle et, sans surprise, elle va succomber à cette folie. Antoinette finira par être effacé de l’œil du public et deviendra le fantôme du roman de Brontë. Le destin effrayant d’être enfermée perturbe fortement Christophine qui n’a pas seulement peur qu’Antoinette subira le même sort que sa mère, mais qu’elle est tout simplement trop faible physiquement et mentalement et qu’elle risque de ne plus avoir la force pour survivre à ce qui l’attend en Angleterre :
“She is a Creole girl, and she have the sun in her,”[52]
Dans cette situation, Christophine semble, encore une fois, avoir un point de vue particulier sur les pensées de Rochester. Elle semble avoir la clairvoyance surnaturelle dans les plans maléfiques de Rochester et, comme auparavant, elle continue à confronter sa diablerie :
“It is in your mind to pretend she is mad. The doctors say what you tell them to say”[53]
Encore une fois, Christophine semble être précise dans ses prédictions. La seule chose qu’elle n’avait pas prévu, c’est la rapidité avec laquelle Rochester a poussé sa femme dans cet état paralysant de la folie.
Son comportement vis-à-vis d’Antoinette devient par la suite de plus en plus mal et en tant que telle, sa femme répond avec une haine croissante et froide que cela peut être aussi interprété comme un mal. Rochester n’a pas essayé de rattraper son erreur, il continue de sculpter une marionnette en son épouse et tente d’évoquer la pitié en affirmant qu’il est « lié à une folle pour la vie».
Mais d’où provient cette colère qui a fait perdre à Antoinette toute son identité ?
En fait, il croit qu’elle faisait partie de la conspiration contre lui. (P 102) Il croit qu’elle faisait partie de la coalition, en compagnie de Richard Mason, son père et son frère, dans le stratagème visant à le marier, et il pense que c’est le cas, même si elle était assez réticente au début. En fait, et assez étonnamment, c’est Rochester qui a finalement convaincu Antoinette se marier avec lui. Pourtant, il affirme que le fait de ne pas lui avoir dit la vérité sur sa mère, fait d’elle une coupable de trahison qui n’était pas digne de pardon ou d’amour. Ce «mensonge», qui était la racine de la vindicte de Rochester, est le fait qu’Antoinette lui a menti en disant que sa mère est morte quand elle était jeune. (P 77). Même si elle a été conseillée de le faire, elle a probablement choisi de mentir à Rochester parce qu’en raison de l’état dépressif d’Annette, elle était mentalement absente pour Antoinette et donc son rôle de mère a été détruit ou même tué. Elle était considérée par sa fille comme étant « morte ».
Mais Rochester, dans son stratagème pour détruire et démembrer son épouse, n’arrivait plus à comprendre la situation. En fait, il était très impitoyable sur le fait qu’il y avait des antécédents familiaux de démence, il a fait de sa femme une victime et il la pousse vers la maladie mentale. C’était dans certains de ses comportements très simples qu’il a réussi à atteindre son objectif. Par exemple, il a volontairement décidé de la priver de tout ce qu’elle avait pour passion. Tout d’abord, son désir pour lui :
“I could not touch her… Now I’ll do it”[54]
Il fait suite à ses promesses et inflige des souffrances à sa femme. Même le fait pour Antoinette de se regarder dans le miroir n’est pas autorisé :
“he will not let her laugh in the sun again, nor have any more lovers, for he doesn’t want her and others shall not have her.”[55]
Il arrache aussi à Antoinette le seul endroit qu’elle aime «plus que tout dans le monde» (WSS p 53) en s’assurant qu’elle ne le voit jamais à nouveau, en l’emmenant loin. Pourtant, dans le confort de ses mauvaises pensées, il est encore très possessif d’Antoinette en affirmant qu’elle est folle mais elle est à lui : “She is mad, but mine…” (p 108). Son comportement continue d’alimenter la haine de sa femme qu’il doit encore contrôler en refusant de lui donner le moindre plaisir ou la moindre satisfaction ni moins de l’autonomie personnelle. Rochester dit:
“You hate me and I hate you. We will see who hates best. But first I will destroy your hatred. Now. My hate is colder, stronger, and you’ll have no hate to warm yourself. You will have nothing.”[56]
Ainsi Rochester possède le contrôle total de l’esprit et du corps d’Antoinette et il est enfin capable de sceller son sort quand il la transporte en Angleterre. Ce sera la dernière étape de la transformation car il l’a déjà éloigné de tout : Antoinette n’a plus d’amis, elle n’a pas non plus d’argent, il n’y a plus de Dominique et désormais pas de maison. Tout comme l’absence du miroir où l’on pouvait reconnaître l’état physique de personne, la perte de ses environnements familiers mènera Antoinette à la perte de son identité mentale qui va rapidement devenir une vague pensée et lointaine :
“I don’t know what…and who am I?”[57]
Ainsi, cela pourrait donc expliquer pourquoi, quand elle a finalement été confrontée à son image dans le miroir du château de Thornfield, elle ne se reconnaît plus. C’est le facteur qui indique et qui confirme que sa transformation est complète et qu’elle n’est plus Antoinette Cosway. En fait, son voyage a été tout à fait une aventure effrayante car elle est allée d’ Antoinette Cosway à Antoinette Mason, puis de Bertha Mason à Bertha Rochester … « La créole folle dans le grenier ». En bref, sa vie était un cauchemar sans fin dont elle ne pouvait échapper: une paralysie éternelle. Le seul lien restant qu’elle avait avec son passé était sa robe rouge qui, explique-t-elle, a la même odeur que sa maison : la robe sent comme « chez soi » selon elle.
Même si elle a perdu tout sens de la « Self », la couleur de sa robe ramène les bons souvenirs des fleurs et de la chaleur de son bien-aimé « Dominique » sur qui elle a constamment rêvé. Il n’y avait aucun espoir pour Antoinette qui était coincé dans ce cachot obscur et, par conséquent, elle devient de plus en plus folle.
Alors que certains critiques insistent sur le fait que Rochester ne peut être blâmé pour la mort de son épouse, d’autres croient que son insensibilité cruelle et son attitude de supériorité envers sa femme fragile et nécessiteuse n’ont fait qu’accélérer la désintégration mentale de celle-ci. (Étant dans la sécurité et le confort dans sa maison des Caraïbes sous l’œil vigilant de Christophine était peut-être le meilleur remède contre la folie).
3/ Le concept d’aliénation
Nous avons pu voir que le roman de Jean Rhys montre la construction de l’identité antillaise chez les enfants à l’époque. Les enfants tentent d’appartenir à une entité, à une culture ou à une famille quelconque. La construction de l’identité à l’époque se confronte pourtant à quelques éléments déterminants : soit l’enfant a vécu une adolescence difficile, soit il se confronte avec la culture de l’Europe. Et vient ensuite l’aliénation. Ce terme peut faire l’objet de confusion dans l’esprit des lecteurs, il peut avoir beaucoup de sens. Mais dans le roman de Jean Rhys, l’aliénation est synonyme de manque d’appartenance.
En latin, le mot « aliénation » signifie « autre » ou « étranger », des concepts qui sont typiques à Wide sargasso sea car ce sentiment a été senti par presque tous les personnages du roman, à commencer par l’héroïne et Rochester, y compris les personnages secondaires comme Christophine.
L’aliénation dont on parle ici est celle qui est subie par un individu quand celui-ci commence à perdre son identité, c’est la dépossession de l’individu, il perd toute maîtrise de sa propre force au profit d’un autre. On peut citer ici le cas de Rochester vis-à-vis d’Antoinette et inversement. L’aliénation de Rochester a été présente dès le moment où il a épousé Antoinette, il perdait tout contrôle de lui face aux pouvoirs surnaturels exercés par Christophine et Antoinette sur lui. Et inversement, pour Antoinette, son aliénation a déjà existé depuis son enfance que ce soit par rapport à la communauté noire, à sa famille ou à son mari. Mais à la fin, elle a été dépossédée et n’arrive plus à maîtriser son corps au profit de son mari.
La personne n’est plus maître de son corps ni même de son esprit, le contrôle de ceux-ci appartient désormais à quelqu’un d’autre, pour Antoinette, par son mari.
Part III : L’intertextualité (régime spectral du texte)
Pour la commodité et la clarté de l’étude ici effectuée, il importera de définir et de délimiter dans un premier temps le concept d’intertextualité lequel constitue le pivot de cette troisième partie.
Concernant l’origine de l’intertextualité, étymologiquement, le mot est formé du préfixe lequel « inter », lequel est relatif à l’idée de connexion, et du radical latin « textere » qui évoque une idée de tissage. Le terme a été utilisé pour la première fois en 1967 dans l’article ayant été écrit par Julia Kristeva et intitulé Bakhtine, le mot, le dialogue et le roman[58]. Cet auteur a en effet consacré cet article aux travaux du sémioticien soviétique Mikhaïl Bakhtine. A la place du terme intertextualité, lequel a été inventé par Kristeva, Bakhtine utilisait plutôt l’expression « fonction dialogique ». Ce dernier affirme qu’un texte ne vit qu’au contact d’un autre texte et c’est ce qui constitue le contact dialogique[59]. Après les deux auteurs précités, Gresset s’est également intéressé au concept. Celui-ci a définit l’intertextualité comme étant la vision d’une répétition opérationnelle. Littéralement, pour Gresset[60], le terme signifie le tissage d’un texte ou d’une partie de celui-ci sur un autre texte. La notion renvoie donc à une idée de fusion, de répétition et d’enchevêtrement.
Recourir au travail de Greimas est également de mise pour mieux appréhender le concept. Il a soutenu que le phénomène d’intertextualité implique l’existence de sémiotiques autonomes à l’intérieur desquels se poursuivent des processus de construction, de reproduction ou de transformation de modèles, plus ou moins implicites[61]. Quant à Roland Barthes, celui-ci a apporté la précision selon laquelle tout texte est un intertexte et d’autres textes sont présents en lui à des niveaux variables, sous des formes plus ou moins reconnaissables[62]. Ce dernier en a indiqué une acception beaucoup plus large comparée à celles ayant été avancées par les auteurs précédents. Il a affirmé que le texte unique vaut pour tous les textes de la littérature[63].
Il est à préciser qu’il existe principalement trois types d’approches concernant l’intertextualité dont les initiateurs sont Julia Kristeva, Michaël Riffaterre et Gérard Genette. Dans la première approche, notamment celle de Julia Kristeva, c’est la tradition qui y est privilégiée. Cet auteur défend son point de vue à travers son ouvrage intitulé Sémiotikè, Recherches pour une sémanalyse. Kristeva y met en œuvre le concept d’interdiscursivité lequel constitue un prolongement du dialogisme de Bakhtine. Elle explique la production des écrits de tout genre et insiste sur le concept d’inconscient lequel selon elle reste toujours présent dans tout texte, et également la notion de culture ambiante. Son approche se résume en ces quelques mots : « tout texte est un intertexte ».
Concernant la seconde approche qui est celle de Mickaël Riffaterre, l’intertextualité est conçu comme étant un effet de lecture c’est-à-dire la perception par celui qui a lit le texte de rapports entre l’ouvrage ayant été lu et d’autres œuvres ayant été publiées avant celui-ci ou bien ultérieurement.
Quant à l’approche ayant été adoptée par Gérard Genette, laquelle est non moins la plus pertinentes des trois et que cet auteur a présenté dans son ouvrage intitulé Palimpsestes, celle-ci avance qu’il peut se présenter entre les textes cinq types de relations à savoir l’intertextualité, l’architextualité, la paratextualité, la metatextualité et l’hypertextualité. Il a regroupé l’ensemble de ces dernières sous la qualification de transtextualité. Pour lui, il y a intertextualité lorsqu’il y a la présence d’un texte ou la coprésence de plusieurs textes dans un autre texte. Quand il y a la présence de plusieurs textes à la fois, c’est ce qu’on appelle intertexte.
La différence au niveau de l’appréhension semble donc ne résider qu’au niveau du vocabulaire, Kristeva qualifiant d’intertextualité ce que Genette désigne plutôt par transtextualité. Cependant, chez le second, le terme revêt un sens plus étroit. Dans la présente étude, le concept sera envisagé dans son sens plus général. Ainsi si on effectue un rapprochement avec les travaux de Genette, l’intertextualité qui sera utilisée ici correspondra à la transtextualité.
En résumé, l’intertextualité est fondée sur le postulat selon lequel on ne peut faire de la littérature en l’absence des écrits antérieurs. L’approche y afférente consistera alors à discerner comment un texte donné a-t-il été conçu à partir d’un autre et comment a-t-il été placé dans un tout nouveau contexte.
1/ Effets de corps textuel
Comme il en a déjà été fait mention précédemment concernant l’intertextualité, il n’est pas possible d’écrire de nouveaux textes sans se référer à d’autres textes l’ayant précédé. En d’autres termes, chaque œuvre est créée sur la base d’autres ouvrages ayant existé avant lui.
Dans ses travaux, Nathalie Piègay-Gros[64] décrit les principaux aspects ainsi que les modes d’insertion de l’intertextualité dans les textes selon le type de relation existant avec d’autres textes. Dans son approche, elle s’est basée à la fois sur les travaux de Kristeva et sur ceux de Genette. Pour elle l’intertextualité est basée soit sur une relation de coprésence soit sur une relation de dérivation.
En matière de relation de coprésence, les principales formes de l’intertextualité concernées sont la citation, l’allusion, le plagiat et la référence. Dans la citation, il y a échange entre des écrits différents et intégration d’un ou plusieurs textes dans un autre texte. Cette catégorie d’intertextualité est identifiable grâce à la présence d’un texte citant et d’un texte cité. Pour l’allusion, le texte concerné renvoie à un autre texte sans être suffisamment explicite et sans marquer non plus l’hétérogénéité. En ce qui concerne le plagiat, il y a une reprise littérale sans qu’il ne soit procédé à l’utilisation de codes topographiques. En ce qui concerne la référence, le texte renvoi à un autre texte qui n’est pas convoqué littéralement.
A propos de la relation de dérivation, celle-ci regroupe essentiellement la parodie et la pastiche. Dans la parodie, il est procédé à la transformation d’une œuvre en en faisant une caricature ou bien en la transposant. Le pastiche quant à elle prend recours à l’utilisation d’imitations au moyen de jeux verbal ou de techniques de style.
Il est à noter que l’intertextualité qui unit le roman de Jean Rhys à celui de Charlotte Brontë est d’une nature singulière ce qui rend difficile sa classification dans les typologies de l’intertextualité précitées.
En matière d’hypertextualité, lorsqu’il y a relation entre les textes, il y a transposition d’un texte dans un autre. Les personnages ainsi que les événements du premier texte réapparaissent ainsi dans le second texte après avoir subi des modifications plus ou moins importantes selon le cas mais qui ne les rendent jamais tout à fait hétérogènes. Il n’en est pas le cas pour Wide Sargasso Sea et Jane Eyre. Il a certes été procédé à une réécriture et les similitudes sont plus qu’évidentes dans la mesure où les mêmes personnages ont été gardés ainsi que les caractéristiques du milieu environnant. Rochester dans Jane Eyre est resté lui-même dans Wide Sargasso Sea et quant à l’épouse créole de celui-ci, elle se nomme Berta Mason dans Jane Eyre et Antoinnette Cosway dans Wide Sargasso Sea. La première fait avancer une intrigue dramatique alors que la seconde constitue le personnage central d’une œuvre dont la grande partie est fondée sur le regard de celui-ci et narrée par sa propre voix. A priori, il semblerait que tout sépare les deux personnages, notamment l’origine, la destinée et même l’éducation. Chacune fait sa propre description de la relation amoureuse qu’elle a entretenu avec le même homme quoique présentant quelque points de divergence sont tout de même étrangement convergentes. A travers des langages qui leur sont propres lesquels sont primordiaux dans les textes, Charlotte Brontë et Jean Rhys font apparaitre leur appréhension du monde, de l’amour et de l’homme. Les deux écrivains possèdent des points de vue différents fondés sur leur expérience de vie personnelle.
Jane Eyre constitue certes le modèle qui a le plus influencé Wide Sargasso Sea, cependant, il ne s’agit pas du plus ancien. L’œuvre de Brontë constitue elle-même le fruit d’une répétition de type architextuelle donc relève du même genre littéraire que celui d’autres textes l’ayant précédé dont notamment Cendrillon. En effet, dans l’histoire de cette dernière, elle a vécu une vie modeste et a été élevée avec ses méchantes sœurs par sa belle-mère laquelle l’a maltraité. Les rôles des deux sœurs sont tenus dans Jane Eyre par Eliza et Georgiana. Quant aux personnages du Prince et de la fée, ceux-ci sont joués par Bessy et Miss Temple. Le genre littéraire dont il est question ici a été largement influencé par le postmodernisme littéraire. Ce constitue la tendance qui consiste à reprendre les tout premiers romans ayant été publiés comme source d’inspiration.
Leur appartenance au genre gothique rapproche également Wide Sargasso Sea avec Jane Eyre et avec d’autres textes antérieurs. La relation entre les deux ouvrages se manifeste par la récurrence des motifs qui caractérisent généralement le genre gothique à savoir la présence d’une maison isolée, la femme folle enfermée dans le grenier, la maison qui brûle et encore de nombreuses autres caractéristiques.
L’écriture répétitive doit donc être envisagée comme étant la participation à la perpétuation de la descendance de la littérature et chaque nouveau roman publié constitue le résultat de la transformation du texte originel. Et cette nouvelle publication constituera plus tard une autre source d’inspiration intarissable qui contribuera à faire de la littérature un fleuve qui sera perpétuellement sous l’influence des œuvres situées en amont du cours d’eau.
Pour certains auteurs, se servir de l’héritage littéraire est devenu si naturel à tel point qu’ils ne se rendent même pas compte qu’ils commettent des abus en empruntant sans discernement dans les autres textes. Cela a pourtant pour conséquence d’accentuer la confusion entre les différentes typologies intertextuelles. Il en est le cas pour les textes de Charlotte Brontë et de Jean Rhys. Il ne s’agit plus en effet de dérober avec subtilité les traits caractéristiques des principaux personnages ou de copier exactement des parties d’un texte particulier mais plutôt et surtout de reprendre la majeure partie de Jane Eyre ou de Wide Sargasso Sea et de la redire en changeant de perspective et de point de vue tout en concervant l’essentiel. Les mêmes personnes qui interviennent au premier plan dans les deux textes et qui vivent les mêmes aventures sont alors gardées de manière éhontée.
Quoi qu’il en soit, il est indéniable que les deux récits précités présentent des similitudes. Dans un premier temps, des évènements dramatiques se manifestent notamment lorsque l’arbre de vie du jardin d’Eden de Coulibri et le marronnier de thornfield ont été détruits par l’incendie lorsque la plantation du domaine Coulibri a été brulée par les esclaves dans Wide Sargasso Sea ou lorsque la plantation de Thornfield a été ravagé par le feu qui a été provoqué par la foudre. Ces évènements ont marqué la fin d’un ordre établi et le basculement dans le désordre dont le début se caractérise par la déchéance mentale et physique de ceux qui ont dirigé les plantations. Ces personnes sont Annette laquelle a été très affectée par la mort du perroquet auquel elle tenait énormément ainsi que Rochester lequel a perdu un bras et la vue à la suite de l’incendie qu’il a occupé. De même, une autre similitude porte sur le fait que Jane a été enfermée au même titre qu’Annette. La première a été enfermée dans la chambre rouge de Gaeshead hall tandis que la seconde à Spanish town. L’enfermement constitue pour les deux femmes une sanction en raison de l’altération de leur faculté mentale sous l’emprise de la colère. Les jeux de répétitions qui caractérisent la relation entre les deux textes se poursuivent au-delà des simples renvois et vont jusqu’à la reprise des structures des récits.
En résumé, lire Jane Eyre et Wide Sargasso Sea reviendrait à suivre l’histoire d’une fille qui a été maltraité dans son enfance par sa belle-mère et qui a été constamment victime des agressions de la part d’autres enfants et qui une fois adolescente a fait l’objet d’un placement dans une institution dogmatique, Lowood pour Jane Eyre et le couvent de Spanish town pour Antoinnette. Après avoir épousé le prince charmant, la même personne qui a grandi a été amenée à se séparer de celui-ci suite à des infidélités de sa part et a été conduit à l’exil.
Il faut noter que le sort tragique de Wide Sargasso Sea a été tracé dès le début même de l’histoire. Il existe une répétition dramatique mais qui s’exerce plutôt dans un sens inversé, Chacun deux textes va dans le sens opposé à celui de l’autre dans son déroulement. En effet, alors que Jane Eyre raconte l’histoire d’un personnage qui évolue dans sa vie, Wide Sargasso Sea quant à lui raconte la déconstruction progressive du protagoniste.
Cependant, la relation entre l’ouvrage de Charlotte Brontë et celui de Jean Rhys ne se limite pas uniquement à une similitude, on peut avancer que les deux œuvres se répètent. Cette répétition peut être soulignée au niveau de la période chronologique prise en considération dans les deux histoires. Il s’agit de la même période qui a couvert une quinzaine d’année d’un même évènementiel. Cette période peut être divisée en deux parties : il y a tout d’abord la première période qui va du mariage de Rochester avec la fille que Cosway a eu avec son épouse créole. Dans Wide Sargasso Sea, c’est Rochester qui est le narrateur dans cette partie de l’histoire et il le raconte sur le mode extradiégétique c’est-à-dire au premier niveau. Par contre dans Jane Eyre, c’est Jane qui raconte par la voie extradiégétique le récit intradiégétique de Rochester.
En ce qui concerne la seconde période, celle-ci se situe entre l’incarcération de Bertha et l’incendie du château et durant laquelle l’héroïne se suicide. Elle est caractérisée par la présence d’une synchronie dans la mesure où les évènements décrits sont vécus et racontés simultanément par les narratrices extradiégétiques des deux romans. Avec la répétition qui caractérise la narration se rapportant à chacune des deux périodes, on est en présence d’un récit répétitif. Cette catégorie de manifestation narratologique devrait être en principe rencontrée dans un même récit. Cependant, dans Wide Sargasso Sea, elle a été utilisée d’un roman à un autre or il n’y a pas eu de reprise identique, la même intrigue a tout simplement été revisitée.
2/ Modalités plus fantomales/ allusives
Comme il en a déjà été fait mention plus haut et ce à plusieurs reprises, le lien intertextualité et plus précisément d’hypertextualité si on se réfère aux travaux de Gérard Genette se retrouve dans l’évocation de quelques événements similaires voire même communs aux deux textes. Il en est le cas notamment lorsque Bertha a par exemple fait irruption dans la chambre de Jane et s’est mise à déchirer le voile de la mariée qui a été rangé au pied du lit. Jane dans cette partie de l’histoire affirme s’être évanouie après avoir cédé à l’attrait d’une vision terrifiante et fantomatique. Elle a tenu à préciser qu’il ne s’agissait pas de la première fois mais de la seconde fois dans sa vie. En parlant de la première fois, elle faisait allusion à la réaction qu’elle avait eu devant l’apparition du fantôme de son oncle Reed dans la chambre rouge.
Jane, en agissant de comme elle l’a fait assimile en quelque sorte l’héroïne de Wide Sargasso Sea à un personnage de Jane Eyre et lui confère un rôle qui n’a pas manqué de semer le doute concernant la réalité de l’existence d’Antoinette. Ce soupçon ainsi que le sentiment d’incrédulité qui en a découlé ont pourtant fait un va et vient entre les deux récits et l’hypertextualité ne fait que renforcer les effets du doute semé. Lorsque Jane s’est notamment écriée vivement que l’Angleterre n’existait pas, « Mrs Rochester ! She did not exist »[65], elle semble répéter l’idée d’Antoinette dans l’œuvre de Rhys lorsque celle-ci a affirmé qu’il n’y avait peut être pas vraiment d’Angleterre. Elle s’était en effet demandée si l’Angleterre était comme un rève, « Is it true, that England is like a dream »[66]. Rochester a répliqué en répondant qu’il pensait la même chose de la Jamaïque en s’exclamant que c’était comme çà qu’il percevait l’île, irréel et comme un rève, « That is precisely how your beautiful island seems to me, quite unreal and like a dream»[67].
Dans l’hypertexte qui caractérise la relation entre Jane Eyre et Wide Sargasso Sea, Rochester semble assimiler Antoinette à un zombie et dans les passages de Jane Eyre qui parlent d’elle se promenant dans le château le soir avec une bougie à la main lorsqu’elle arrive à trompter la vigilance de Grace Poole. Les domestiques la prenaient pour un fantôme et la fuyait avant de se rendre compte que ce n’était qu’elle. Cette partie de l’histoire rappelle celle de la forêt de Granbois lorsqu’une jeune insulaire s’était enfuit après avoir vu Rochester qu’elle prennait pour un fantôme, notamment pour celui du Père Lilièvre qui a habité la maison en ruine qu’elle venait de découvrir, « a child passed, she seemed very frightened when she saw me »[68]
Un type de comportement qui rapprochait les héroïnes des deux ouvrages se rapporte à leur réaction schizophrénique lorsqu’elles contemplaient leur propre personne devant le miroir. Selon les termes d’Antoinette, la fille qu’elle voyait à travers le miroir était-elle mais pas tout à fait elle-même,« The girl I saw was myself yet not quite myself »[69]. Antoinette répétait étrangement les même propos ayant été tenus par Jane notamment au moment où la servante dénommée Sophie l’a invité à se regarder dans le miroir lorsqu’elle a porté sa robe de mariée, elle s’est écriée vous n’avez pas pris un coup d’œil, alors je me suis tourné vers la porte: J’ai vu une figure vêtue et voilée, si différent de moi-même, pas comme d’habitude que cela semblait presque être l’image d’un étranger, « You have not taken one peep, so I turned at the door: I saw a robed and veiled figure, so unlike my usual self that it seemed almost the image of a stranger »[70].
La répétition a pour effet de créer une fusion entre le personnage principal dans le texte (Jane Eyre) avec les fantômes qu’il voit à travers le miroir. Ces fantômes sont celle de la chambre rouge lorsque Jane a pris son reflet pour une apparition, et celle qu’elle a pris pour Bertha lorsqu’elle s’est regardé dans le miroir la veille de son mariage. Elle a en effet cru que c’était Bertha qui était apparu dans le miroir à sa place.
Il peut ensuite être observé que la répétition textuelle se fait par le mode autodiégétique marqué ou non selon le cas par une variation de point de vue. Lorsque c’est d’Antoinette Cosway qui parle et que sa voix remplace celles de Jane et de Rochester, il y a en effet variation de point de vue. Cependant, lorsque Rochester reprend son discours, il n’y a pas variation de point de vue. Il est à préciser que cette variation permet en théorie de changer le signifié de l’événement répété.
Concernant le signifiant et le signifié lesquels constituent les deux parties qui composent le signe, la théorie y afférente a été développée par Roland Barthès[71] dans le cadre du système sémiolgique second. C’est en définissant les structures formelles du mythe qu’il a abouti à la création des trois concepts. Cependant, il a précisé que tout peut être objet d’un mythe. Et pour concrétiser son travail il a alors donné une définition au mythe. Selon lui, il s’agit d’un système de communication qui se définit non pas par l’objet du message qu’il transmet mais plutôt par la manière dont il le profère[72]. Et à propos de la sémiologie, Barthès a stipulé que toute sémiologie postule un rapport entre le signifiant et le signifié et le signe quant à lui constitue une corrélation entre ces deux premiers. Le système sémiologique rencontré dans le mythe est un système second dans la mesure où il n’est pas autonome mais se base sur une chaîne sémiologique ayant existé avant lui. Le schéma qui va suivre représente la place du signifiant, du signifié et du signe dans le mythe.
Jean Rhys s’était effectivement fixé pour objectif de changer le signifié de l’évènement répété en vue de donner de l’épaisseur au personnage de la Créole et pour défendre sa position . L’effet attendu s’est produit après que Jean Rhys ait procédé à une comparaison entre perception négative de Granbois par Rochester et l’image qu’avait Antoinette dans l’esprit dans le chapitre deux lorsqu’elle redevient narratrice.
Même lorsqu’on se place dans la perspective de Rochester lorsque celui-ci devient narrateur et raconte son histoire en Jamaïque, il peut être observé qu’il a été apporté des modifications dans chaque version qu’il donne des évènements qui sont survenus dans la mesure où il les a restitué sous un mode différent. Le récit de Rochester semble changer de tonalité d’un récit à un autre. La lettre qui a été écrit par Rochester avec des mots remplis d’amertume à l’endroit de son père dans Wide Sargasso Sea a par exemple été amplifiée et explicité avec des propos beaucoup plus diserts dans l’œuvre de Charlotte Brontë. « The thirty pounds have been paid to me without question or condition. No provision made for her. I have a modest competence now. I will never be a disgrace to you or to my dear brother the son you love. No begging letters, no mean requests. None of the furtive shabby manoeuvres of a younger son. I have sold my soul, or you have sold it, and after all is it such a bad bargain ? The girl is thought to be beautiful, she is beautiful. And yet »[73] était alors devenu «And did you ever hear that my father was an avaricious, grasping man, Well, Jane, being so, it was his resolution to keep the property together; he could not bear the idea of dividing his estate and leaving me a fair portion: all, he resolved, should go to my brother, Rowland. Yet as little could he endure that a son of his should be a poor man. I must be provided for by a wealthy marriage. He sought me a partner betimes, Mr Mason, he found, had a son and a daughter; and he learned from him that he could and would give the latter a fortune of thirty thousand pounds: that sufficed. When I left college, I was sent out to Jamaica, to espouse a bride already courted for me. My father said nothing about her money; but he told me Miss Mason was the boast of Spanish Town for her beauty: and this was no lie»[74] dans Jane Eyre.
En revanche, il peut être remarqué ce que Rochester a raconté à Jane dans l’œuvre de Brontë constitue une reprise sous forme de résumé de son récit dans Wide Sargasso Sea[75]. Cette répétition sous une forme raccourcie a cependant pour conséquence d’accentuer la force de la rhétorique qui pousse le lecteur à épouser la cause de Rochester. Celui-ci n’hésite pas en effet à rappeler que grâce à sobn pouvoir de séduction, il a su faire succomber la jeune créole qui était pourtant très réticente au départ.
Tout ce qui vient d’être avancé confirme le postulat selon lequel la répétition textuelle qui se produits entre Jane Eyre et Wide Sargasso Sea revêt finalement un caractère intertextuel dans la mesure où globalement, le texte ancien est cité par le nouveau. C’est surtout à travers les propos de Rochester que cela se confirme. L’enfance d’Antoinette à Coulibri, les détails de la vie à Granbois ainsi que la plupart des autres évènements qui se superposent dans les chapitres de Sargasso Sea et ceux de Jane Eyre renforce la présence d’une expansion textuelle dont la conséquence est telle comme si c’est Charlotte Brontë même qui cite Jean Rhys. D’autres auteurs dont notamment Helen Nebeker n’ont d’ailleurs pas hésité à affirmer que c’était Jane Eyre qui descendait de Wide Sargasso Sea plutôt que l’inverse. Pour aller plus loin, d’autres écrivains distinguent même l’antériorité par la publication de l’antériorité par l’histoire. Jane Eyre va en effet plus en avant vers l’avenir et dans le futur alors que Wide Sargasso quant à lui va plus loin dans le passé.
3/ Inspiration de Jean Rhys dans l’écriture de Wide Sargasso Sea
Il est important ici d’apporter quelques précisions sur l’auteur même de Wide sargasso sea, qui est Jean Rhys ainsi que les œuvres de celui-ci dans le passé afin de remonter aux sources de son inspiration.
Jean Rhys parle de son roman ainsi: « Indeed, it is a demon book and it never leaves me. »[76]. Ceci implique le fait que Jean Rhys est une romancière hantée par son écriture en disant : « il never leaves me », ce qui ne permet pas à l’auteur de reconnaître sa personnalité. Afin de pouvoir expliquer l’existence de cette hantise sur Jean Rhys, nous allons faire un retour en arrière, l’origine ou l’inspiration même de Wide sargasso sea car celui-ci a toujours été considéré comme un roman fantôme d’un autre livre qui est celui de Charlotte Brontë dans Jane Eyre.
Il s’agit en effet de découvrir le défaut ou la partie manquante dans Jane Eyer, il existe un manque qui a permis à Wide sargasso sea de compléter afin de pouvoir reproduire une écriture féminine.
Dans l’œuvre de Brontë, la seconde édition tend à encadrer la première en harmonisant le tout de manière à instaurer une prudence, de manière à faire entrer le texte dans le monde de textes simplement acceptables. Le roman se veut être un roman soumis, un roman qui respecte à la lettre les conventions relatives au prophétisme[77].
Charlotte Brontë décide de ne pas faire une autobiographie de sa personne dans Jane Eyre. Dans la première édition du roman, elle fait une dédicace à Thackeray et dans la deuxième édition, elle utilise un nom d’homme comme étant l’auteur même du roman : CURREL BELL. Et à la fin, le texte même de Jane Eyre ne dévoile pas encore la biographie de l’auteur alors que le texte est raconté par la narratrice elle-même. Et la dédicace se présente comme suit: « To W.W. THACKERAY.ESQ. This work IS RESPECTFULLY INSCRIBED by The Author »
Le roman se veut de se présenter sur un anonymat, le texte marche vers un « ailleurs » ou un « autre ». Les lecteurs ne connaissent pas l’origine même de l’écriture, il existe une confusion. Il ne veut pas être un roman connu de tous, ou considéré comme un grand œuvre mais plutôt comme un petit roman, un travail mineur, ceci est même montré par le fait de l’utilisation de l’auteur des minuscules et des majuscules. Le mot « This work » même est écrit en minuscule et le nom du parrain du livre, THACKERAY, s’écrit en majuscule pour dire que le travail s’incline devant. Aussi, la place de l’auteur, défini par « The author », ne se place qu’à la fin, ceci veut dire que la participation de celui-ci à l’œuvre semble être secondaire.
Dans le préface de l’édition suivante, l’auteur tient à corriger l’erreur de la présente, et met une signature au nom de Currel Bell, on remarque tout de suite deux initiales dévoilant un peu celles de l’auteur qui est Charlotte Brontë, mais cela montre encore sa soumission à la voix du père considéré comme étant le prophète et que le livre doit respecter. Par contre, l’auteur commence à employer le terme « je » dans la préface du roman : « A Préface to the first edition of Jane Eyre’ being unnecessary, I gave none […] »
Malgré le fait que l’auteur emploie le « I », le début de la phrase montre toujours une face cachée et fait revenir aux appréciations précédentes de soumission à la voix du père. L’auteur semble vouloir jouer un jeu qui lui permettrait de fuir les critiques en mettant un masque, pourtant, cela ne coïncide pas trop avec l’histoire des deux femmes du roman : Jane Eyre et la « mad woman » qui semblent être des femmes sans peur et prêtes affronter la loi de la bienséance victorienne.
Dans tout son parcours, Charlotte Brontë n’arrive pas à se personnaliser, elle donne une fausse identité et même dans la mesure où il existe une personnalisation, cela reste très vague. Elle veut montrer le rôle de la féminité de l’époque, les femmes sont faites pour se cacher, pour rester chez soi. Et à chaque fois qu’elle emploie le mot « je », elle montre en même temps sa différence et explique le fait de son appartenance à la nature, au sentiment. Sa peur du public et de la presse « The public and the Press ».
La narratrice vise dans son roman de montrer la nette différence qui existe entre l’homme et la femme et que cette dernière se trouve sous la protection absolue de la première. Ainsi, elle fabrique une héroïne, une femme qui est scandaleuse, Jane, une femme qui aime un homme marié qui est Rochester.
Malgré cette image, le roman semble figurer parmi ceux qui apportent une illusion romantique en parlant du meurtre de l’épouse légitime de Rochester : « the creature of an over-stimulated brain » (Jane Eyre, 287). Le roman montre donc quelque chose de non-conventionnel mais qui se traduit comme étant une moralité du prophétisme.
En fait, contrairement à la relation de Rochester avec sa première épouse, celle avec Jane est basée sur un sentiment spontané. La justice en matière de poésie a rendu Jane en une épouse acceptable du fait que Rochester est devenu une personne invalide et que celle-ci devienne son infirmière : « I will be your neighbour, your nurse, your housekeeper » [Livre III, chap. XI, p. 440]). Ensuite, les lecteurs s’acharnent sur le mort de la première épouse : (« She yelled, and gave a spring, and the next minute she lay smashed on the pavement » [III, X, 433]. Et la scandale se transfère sur « The mad woman in the attic ».
Jane Eyre est considéré comme étant un simple roman victorien[78]. Jane Eyre incarne l’image de la liberté des femmes victoriennes. Mais si l’on se réfère à une lecture post féministe, les lecteurs font face à la monstrueuse Jane Eyre, une image que l’auteur veuille cacher au public. Si l’auteur veut tenir sa promesse prophétique, elle doit faire en sorte d’ignorer l’existence de l’autre femme et de procéder à sa transformation en une femme gothique qui a pour objectif de renverser l’ordre original des romans victoriens. L’auteur veut montrer son désir d’exister à l’image de Jane Eyre. Et celle n’a pas trop le choix que de dégager l’autre de manière à ce qu’elle n’ait pas le droit d’exister. Pourtant, l’existence de cette « autre » hante la littérature post-féministe. C’est ce qui a poussé Jean Rhys à écrire Wide Sargasso sea, faire ressortir cette autre qui a été jetée dans l’oubli du roman.
Il est essentiel de rappeler ici que Jean Rhys, à l’époque était un écrivain oublié, douteux et ce n’est qu’à l’âge de 76 ans que celui-ci la notoriété en faisant une réécriture du roman de Charlotte Brontë. Jean Rhys montre clairement son intention en égalité avec celle de Currel Bell: The Creole in Charlotte Brontë’s novel is a lay figure repulsive, which does not matter, and not once alive, which does. She’s necessary to the plot, but always she shrieks, howls and laughs horribly, attacks all and sundry off stage. For me […], she must be right on stage. [Letters 1931-1966, p. 156]
L’objectif de Jean Rhys tend vers le fait de mettre au-devant de la scène ce qui n’a été qu’une illusion dans Jane Eyre. En d’autres termes, le cas de l’épouse de Rochester dans Jane Eyre n’était que décoratif, n’apparaît que sous une forme gothique de la romance victorienne et que Jean Rhys souhaite mettre au cœur de l’histoire, raconter la réalité de Bertha.
C’est à ce niveau que l’intertextualité intervient et se résume au fait que la réécriture change l’absence en présence, la mort en vie, l’invisible en visible. Le texte tend à faire exister ce qui n’existait pas et Jean Rhys intervient en employant correctement le terme « je » en correction du « je » dans Jane Eyre.
Il s’agit pour Jean Rhys de refaire toute l’histoire, de faire une reproduction de la femme oubliée dans le roman de Charlotte Brontë. Il s’agit de faire monter à la surface une figure rhétorique ayant pour effet de parler en même temps de l’absence et de la présence[79].
Wide sargasso sea ne veut pas seulement évoquer la présence de Bertha qui est considérée comme la « mad woman in the attic », il se concentre surtout sur le rêve traduisant une disclocation. Jean Rhys a fait que le vide présent dans Jane Eyre soit complété. Plusieurs interprétations se dessinent face à cette réécriture. En fait, il ne s’agit pas représenter à nouveau Bertha mais de représenter un personnage qui n’a pas encore été représenté. Bertha a été rêvé de Wide sargasso sea, le rêve concerne non pas un personnage du passé mais plutôt un personnage du futur antérieur, la production d’une identité féminine se fait rétroactivement et ce, en relation avec un autre signifiant pour que celui-ci découvre sa personnalité, la découverte d’elle-même. C’est ce qui nous a conduit à parler précédemment du terme « signifié », Bertha n’est pas un signifié. Le roman Wide sargasso sea tend à donner du sens à la figure du féminin, à instaurer un scandale logique.
Le roman de Jean Rhys est conçue surtout comme étant une re-vision de Jane Eyre, une révision du gothique dans l’écriture de Charlotte Brontë, et même Sylvie Maurel avance que le roman de Jean Rhys veut créer une illusion selon laquelle c’est lui qui précède celui de Brontë (Op. cit. p 139). Dans Jane eyre, Bertha est présentée comme un personnage qui n’existerait plus : ce qui implique le fait que c’est l’héroïne Jane Eyre qui a tué Bertha ou qui le tuera dans un futur proche. Wide sargasso sea en apporte la correction en libérant ce qui aura été refoulé. Jean Rhys évite la duplicité de Jane Eyre.
Comme Wide sargasso sea est la ré-vision de Jane Eyre et étant considéré comme producteur d’allusion d’avoir précédé l’histoire même, Jean Rhys n’a pas nommé le mari d’Antoinette, il est considéré par lui comme innommable avant même qu’Antoinette devienne Bertha. Il a été important de ne pas donner un nom au mari d’Antoinette car ce vide constitue une possibilité de relation. Dans la mesure où Jean Rhys a donné le nom du mari, cela implique la mort de son épouse et voilà qu’Antoinette se transforme en Bertha. Ce passage d’Antoinette à Bertha témoigne l’existence d’une révision féministe dans l’écriture de Jean Rhys. On ne peut donc pas parler de texte matriciel dans ce cas, mais il serait possible d’envisager de l’existence de matriciel allant des deux côtés, d’où les paroles : « There is always the other side, always » (Wide Sargasso Sea, p. 106).
Wide sargasso sea s’est offert un nom décrivant la caractéristique même du texte, « l’inquiétante étrangeté. Il est nécessaire aussi ici de se rappeler du titre du roman : « la mer des Sargasses », Jean Rhys emmène nous emmène dans un espace marin qui à l’époque était couvert d’algues (les sargasses) et que les navigateurs avaient eu peur de passer par cet endroit puisque leurs navires risques d’être emprisonnés. Les algues constituent le lieu de refuge des anguilles lors de leur période de reproduction. Les anguilles sont des animaux qui ne passent pas par les parcours ordinaires et dans la science de la biologie animale, les anguilles sont asexuées et leur naissance dépend des facteurs de l’environnement. Tout cet univers donne son caractère d’étrange au roman.
Wide sargasso sea peut être vu comme un texte qui traduit la folie, la magie noire, les pouvoirs surnaturels, le roman ne fait plus référence comme celui de Charlotte Brontë, à l’ordre prophétique. Cette étrangeté se remarque surtout dans les paroles de Christophine lorsqu’elle s’adresse à Bertha :
« I will be quiet, I will not cry. But Christophine, if he, my husband, could corne to me one night. Once more. I would make him love me. »
« No doudou. No. »
« Yes, Christophine. »
« You talk foolishness. Even if I can make him corne to your bed, I cannot make him love you. Afterward he hate you. »
« No. And what do I care if he does ? He hates me now. I hear him every night walking up and down the veranda. Up and down. When he passes my door he says. Good-night, Bertha.’ He never calls me Antoinette now. He has found out it was my mother’s name. I hope you will sleep well, Bertha’ – it cannot be worse », I said. « That one night he came I might sleep afterwards. I sleep so badly now. And I dream » (p. 93-94).
Le mari d’Antoinette est vu par le public comme un personnage qui éprouve une grande haine pour sa femme, et encore une forme étrange dans le roman car sa haine se concentre surtout le nom de sa femme. Il nomme désormais Antoinette par un autre prénom qui est Bertha, un nom déjà connu car c’est celle de la mère d’Antoinette. Antoinette présente une grande ressemblance avec sa mère que ce soit physiquement que ce soit leur histoire : mariage avec un anglais, ayant sombré dans l’alcoolisme et fini avec la folie.
Rochester considère la folie d’Antoinette comme résultant de sa filiation et qu’il veut rompre la répétition. Afin d’éviter le fait qu’Antoinette répète tout le vécu de sa mère, et il préfère devancer la réalité en la surnommant par le prénom de sa mère en affirmant sa puissance de manière à rappeler sa femme à l’ordre qui est en fait incarné en lui.
Conclusion
L’étude de la littérature anglaise nous a permis de faire une analyse du roman écrit par Jean Rhys, Wide Sargasso sea. Il est donc nécessaire à rappeler ici la teneur de l’histoire. L’héroïne choisit par Jean Rhys dans son roman est Antoinette Cosway qui raconte elle-même son enfance passée en Dominique au domaine Coulibri, dans la Jamaïque. Son destin prend un tout autre chemin malheureux de par l’indifférence de sa mère et de la révolte des esclaves ayant eu lieu à l’époque. La jeune fille est envoyée dans un couvent qu’elle ne quittera qu’à l’âge de dix-sept ans. Après juste sa sortie du couvent, elle a été obligée de se marier avec un anglais qui présente des méchants caractères car il est en même temps arrogant, égoïste et distant. Elle commence à éprouver de la haine par rapport à son mari et utilise des pouvoirs naturels sous l’égide de sa nourrice, mais en vain, le sentiment de son mari sur elle s’est empiré. Elle finit par sombrer dans l’alcoolisme et dans une folie meurtrière, tout comme le destin passé de sa mère.
Au cours de cette étude, il a été important d’aborder tous les points qui font que le roman de Jean Rhys soit une ré-vision de la gothique. Ainsi, dans la première partie, cette espace gothique même a été abordée. En fait, le gothique renferme plusieurs caractères en même temps : la nature, l’attirance, la magie noire, la sauvagerie, le mystère. Et Jean Rhys dans Wide Sargasso sea fait valoir tous ces caractères à travers la relation qui existe entre Antoinette et son mari. Le mari d’Antoinette considère sa femme comme la nature qu’il peut contrôler. Nous avons abordé également le type même du texte, c’est un texte postcolonial du fait qu’il a été écrit juste après l’abolition de l’esclavage, un événement qui a changé définitivement la vie d’Antoinette. Ce roman nous éclaire sur les questions du racisme et de la condition féminine aux Antilles à cette époque-là. La colonisation a installé un racisme important entre les anglais, français et les esclaves. Par rapport à Charlotte Brontë, auteur de Jane Eyre, Jean Rhys figure parmi les écrivains féminins qui ont su raconter cette condition féminine en Angleterre, ce sont les hommes qui possèdent tous les droits et les femmes doivent se soumettre à ceux-ci.
Dans la deuxième partie de ce mémoire, il a été question de l’aliénation évoquée dans le roman. L’aliénation, ici, concerne le sentiment de manque d’affection et d’appartenance ressenti par chaque personnage dont principalement le mari d’Antoinette et Antoinette. L’aliénation d’Antoinette a été causée par certains facteurs comme la communauté noire, sa filiation ayant à l’origine des parents dont le père s’est suicidée et la mère meurt dans la folie, un frère déclaré comme étant un aliéné mental. Elle devait faire face à plusieurs séparations dont les plus douloureuses sont celles avec Tia et Christophine. De l’autre côté, l’aliénation du mari d’Antoinette est en grande partie due à sa femme même et à Christophine, car à cause des pouvoirs surnaturels jetés sur lui, il a perdu toute son identité, il dit des choses qu’il ne pense pas, il a été possédé et ressent ce manque d’appartenance. C’est en se débarrassant de Christophine qu’il pouvait se libérer de la magie noire.
La folie d’Antoinette est évoquée au cours de cette partie même du mémoire, une folie qui s’est enclenchée en Angleterre auprès de son mari. Ce dernier avait pour objectif de la rendre folle en le traitant par toutes les manières violentes possibles, il lui a séparé de ce qu’elle aime le plus, la Dominique, de manière à ce qu’elle ne puisse plus le voir. Il donne des prénoms différents à Antoinette comme « l’autre », la « folle », et même le prénom de sa mère lui est attribué : Bertha. C’est la seule manière trouvée par son mari pour pouvoir la contrôler.
Enfin, dans la troisième partie, il est surtout question de l’intertextualité touchant le roman de Jean Rhys. Il est considéré comme étant une réécriture de Jane Eyre de Charlotte Brontë en raison du fait qu’il évoque la partie cachée par Brontë, l’histoire de l’épouse légitime de Rochester. Il ne s’agit pas pour Rhys d’apporter un éclaircissement en faisant un ré-vision du gothique. Celle-ci a prouvé que Rhys peut être considérée comme une romancière gothique due au fait que Wide Sargasso Sea affiche de nombreux éléments du gothisme respectant ainsi le genre même si elle va au-delà des attentes traditionnelles de ce que la littérature gothique entraîne à travers une perception spécifique de la nature dans sa dimension menaçante dans le cadre du mal.
Jean Rhys a un profil à multiples facettes. Certaines pièces lui critiquent comme étant un simple écrivain antillais, des points de vus qui ont été débattus, mais surtout ses œuvres ont été connus pour prendre sur un ton féministe et post coloniale. Wide Sargasso sea est un roman qui présente tout son intérêt aux yeux des lecteurs car il n’est pas seulement une réécriture de Jane Eyre mais les lecteurs peuvent aussi le lire indépendamment avec toujours plus de curiosité qui s’installe à travers la lecture. C’est un roman que l’on peut considérer comme une grande œuvre.
Bibliographie
Sources principales
-Bronte, Charlotte.1847. Jane Eyre. Ed. Popular classics, London: Penguin 1994
-Rhys, Jean. 1966. Wide Sargasso Sea. Ed. Hilary Jenkins, London: Penguin 2001
Sources secondaires
-Bazin, Claire and Dominique Sipière. 2008. Jane Eyre : L’Itinéraire d’une Femme- Du Roman à l’Ecran. France : Presses Universitaires de France
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[1] Charlotte Brontë, Jayne Eyre, Smith, Elder & Co, 1847, p.120
[2] RHYS Jean, Wide Sargasso Sea, London, 1966, p.18
[3] Rudolf Otto, Le Sacré, op. cit. p.36
[4] RHYS Jean, Wide Sargasso Sea, London, 1966 p.16
[5] RHYS Jean, Wide Sargasso Sea, London, 1966, p.112
[6] Gayatri Chakravorty Spivak, « Wide Sargasso Sea and a Critique of Imperialism », Norton & Company, 1999
[7] RHYS Jean, Wide Sargasso Sea, London, 1966, p.107
[8] idem
[9] Pascale Auraix-Jonchière, Ô saison,Ô châteaux, Châteaux et littérature des lumières à l’aube de la Modernité (1764-1914), Presse universitaire Blaise Pascal, 2004
[10] Pierre Arnaud ,XVII-XVIII, le roman gothique et l’avènement de la femme moderne Bulletin de la société d’études anglo-américaines des XVIIe et XVIIIe siècles Année ,Volume 20, 1985
[11] Idem
[12] RHYS Jean, Wide Sargasso Sea, London, 1966, p.104
[13] Charlotte Brontë, Jane Eyre, New York : Norton critical edition, 2001
[14] idem
[15] Charlotte Brontë, Jane Eyre, New York : Norton critical edition, 2001, p.328-333
[16] Idem
[17] Jean Bessière, Littératures francophones et politiques, Karthala, 2009
[18] Ruth Robbins, Literary feminisms, Ruth Robins, 2000
[19] Octave Mannomi , Psychologie de la colonisation, 1950
[20] Idem
[21] RHYS Jean, Wide Sargasso Sea, London, 1966, p.45
[22] Idem p.108
[23] RHYS Jean, Wide Sargasso Sea, London, 1966, p.56
[24]Franz Fanon, Peau Noire, Masques Blancs, Paris, Editions du seuil 1952
[25] Rhys, Jean, Wide Sargasso Sea (Norton Critical Edition), New York: Norton 1999.
[26] Florence Labaune-Demeule, « Le Double Visage de Christophine Dubois, nourrice et Obeah woman, dans Wide Sargasso Sea de Jean Rhys », Cercles 15 (2006) 29-43.
[27] Antoinette insiste sur la frayeur inexpliquée qui, un jour, s’empare d’elle : Yet one day when I was waiting there I was suddenly very much afraid. The door was open to the sunlight, someone was whistling near the stables, but I was afraid [18]
[28] Irigaray, Luce. Speculum of the Other Woman. Page 140
[29] Rhys, Jean. Wide Sargasso Sea. Page 87
[30] Irigaray, Luce. Speculum of the Other Woman. Page 50
[31] idem
[32] Rhys, Jean. Wide Sargasso Sea. Page 74
[33] Rhys, Jean. Wide Sargasso Sea. Page 165
[34] Daly, Mary. Beyond God the Father: Toward a Philosophy of Women’s Liberation. Page 64
[35] Rhys, Jean. Wide Sargasso Sea. Page 92
[36] Jean Rhys. Wide Sargasso Sea. Page 83
[37] Rhys, Jean. Wide Sargasso Sea. Page 168
[38] Rhys, Jean. Wide Sargasso Sea. Page 73
[39] Idem
[40] Rhys, Jean. Wide Sargasso Sea. Pages 167
[41] Gilbert, Sandra M and Susan Gubar. “A Dialogue of Self and Soul: Plain Jane Progress”. The Madwoman in the Attic: The Woman Writer and the Nineteenth- Century Literary Imagination. Page 34
[42] Rhys, Jean. Wide Sargasso Sea. Page 139
[43] Rhys, Jean. Wide Sargasso Sea. Page 149
[44] Rhys, Jean. Wide Sargasso Sea. Page 135
[45] Irigaray, Luce. Speculum of the Other Woman. Page 140
[46] Rhys, Jean. Wide Sargasso Sea. Page 163
[47] Döring, Tobias. Postcolonial Literatures in English. Page 83
[48] Rhys, Jean. Wide Sargasso Sea. Page 95
[49] Rhys, Jean. Wide Sargasso Sea. Page 87
[50] idem
[51] Rhys, Jean. Wide Sargasso Sea. Page 97
[52] Rhys, Jean. Wide Sargasso Sea. Page 102
[53] idem
[54] Rhys, Jean. Wide Sargasso Sea. Page 99
[55] Deneke, Laura. 2005. Rochester and Bertha in “Jane Eyre” and “Wide Sargasso Sea”: An Impossible Match. Seminar Paper. Page 17
[56] Rhys, Jean. Wide Sargasso Sea. Page 111
[57] Rhys, Jean. Wide Sargasso Sea. Page 107
[58] Julia Kristeva, « Bakhtine, le mot, le dialogue et le roman », Critique, n°239, avril 1967
[59] M. M. Bakhtine, Esthétique de la création verbale, Gallimard, 1984
[60] M. Gresset et N. Polk, Intertextuality in Faulkner, U.P.M.,1985
[61] Julia Kristeva, Semeiotikè, Recherches pour une Sémanalyse, Seuil, 1969
[62] R. Barthès, Théorie du texte, Encyclopaedia Univeralis, 1973
[63] Roland Barthes, S/Z, Seuil, 1970
[64] Piègay-Gross, Nathalie : Introduction à l’intertextualité, Nathan/VUEF, 2002
[65] Charlotte Brontë, Jane Eyre, Smith, Elder & Co, 1847, p.303
[66] Jean Rhys, Wide Sargasso Sea, London, 1966, p.67
[67] Idem, p.67
[68] Jean Rhys, Wide Sargasso Sea, London, 1966, p.87
[69] Idem, p.147
[70] Charlotte Brontë, Jane Eyre, Smith, Elder & Co, 1847,p.315
[71] Roland BARTHES, L’Empire des signes, Essais, 1970
[72] Idem
[73] Jean Rhys, Wide Sargasso Sea, London, 1966, p.59
[74] Charlotte Brontë, Jane Eyre, Smith, Elder & Co, 1847
[75] Jean Rhys, Wide Sargasso Sea, London, 1966, p.65-66
[76] Letters 1931-1966, p. 156
[77] Lyotard, 1977, p. 47
[78] Stone, 1980, p. 13
[79] de Man, 1984, p.75 sq.
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