Mémoire portant sur la bonne ambiance au travail.
Une grande partie de notre vie se déroule en entreprise. Nous y passons plus ou moins entre sept à huit heures par jour. Dans cet espace qui nous devient rapidement familier, nous y retrouvons d’autres individus qui partageront notre quotidien. Ce sont essentiellement nos collègues et nos supérieurs hiérarchiques. L’entreprise constitue ainsi un groupement humain dans lequel nous sommes amenés à nous intégrer.
Pour bien s’intégrer en entreprise, il est nécessaire de se conformer à certaines règles. Celles-ci sont principalement de deux sortes : explicites et implicites. Les règles explicites sont celles fixées par le code du travail, les règlements intérieurs ou encore les conventions collectives qui lient notre entreprise en fonction de son secteur d’activités. Elles doivent aussi bien être respectées du travailleur que de l’employeur et leurs violations sont passibles de sanctions disciplinaires et/ou pénales. Il en va autrement des règles implicites.
Dans tout groupement humain, il existe des règles implicites c’est-à-dire qui ne sont écrites nulle part mais dont le respecter contribue significativement à en améliorer les relations entre ses membres. Ces règles appartiennent au domaine de la communication, de la sociabilité et des relations humaines en général. Ainsi, le code du travail ne précise ni la manière de s’habiller ni encore moins celle de bien s’entendre avec ses collègues.
Pourtant, il est certain que l’employé qui adopte un code vestimentaire très différent de celui de ses pairs ou qui entretient avec eux de mauvaises relations risque fort la mise à l’écart et l’exclusion. Cette réaction du groupe aura certainement des impacts sur le travail de ce salarié dont les plus importants se situent au niveau psychologique.
Chacun étant appelé à fréquenter ses collègues tous les jours, il apparaît alors comme important sinon essentiel d’instaurer une ambiance de travail propice à la bonne entente et à l’épanouissement individuel. Ce qu’on a l’habitude d’appeler couramment une « bonne ambiance de travail ».
La « bonne ambiance au travail » sera la notion centrale de la présente étude. Elle s’attachera plus précisément à apporter une réponse à la problématique suivante : Quelles sont les conséquences de la mise en place d’une « bonne ambiance » dans le cadre d’une équipe professionnelle ? Pour y répondre, elle sera divisée en trois chapitres.
Tout d’abord, il conviendra d’en dresser le cadre théorique à travers la définition du concept d’ambiance au travail et de tout autre concept pertinent. On y présentera aussi les modalités de mesure existantes de l’ambiance au travail (chapitre 1). Seront ensuite abordés, les divers moyens à la disposition de l’entreprise pour instaurer une bonne ambiance au sein de ses équipes de travail (chapitre 2). Dans un dernier chapitre, les effets bénéfiques d’une bonne ambiance seront d’abord traités, notamment au niveau de la productivité des salariés, de leur motivation ou encore de leur créativité. Ensuite, deux cas réels illustreront nos propos à partir d’exemples réels d’entreprises dites libérées et où des efforts pour améliorer l’ambiance de travail ont été accomplis.
CHAPITRE I CADRE THEORIQUE DE L’ETUDE
Tout travail de recherche doit s’intégrer dans une perspective théorique générale qui lui permettra d’être approuvée par la communauté scientifique. Ensuite, il convient de lui dresser un cadre théorique spécifique. Cette nécessité s’explique par le fait que celui-ci doit répondre à un problème précis. Selon Laramée et Vallée (1991) : « Le cadre théorique sert principalement à présenter un cadre d’analyse et à généraliser des relations théoriques déjà prouvées dans d’autres contextes pour tenter de les appliquer au problème »[1].
Ce chapitre consacré au cadre théorique de l’étude sera divisé en deux sections. Dans la première, il s’agira d’aborder la notion d’ambiance au travail. Une définition de l’ambiance au travail sera donnée. Malgré les contours encore assez flous de cette notion, il convient de remarquer qu’il existe des techniques de mesure de l’ambiance au travail. Dans la seconde, on abordera des notions qui sont souvent employées avec celle d’ambiance au travail notamment la motivation, la créativité, le bien-être, la satisfaction et le plaisir.
Section 1 Définition et mesure de l’ambiance
§1 les difficultes pratiques pour definir l’ambiance au travail
Les premières entreprises érigées sur le modèle taylorien étaient dépourvues de préoccupations humanistes, leur seul objectif étant la réalisation de rendement économique. Du côté des travailleurs, aucun ne devait se soucier d’avoir de bonnes relations avec ses collègues, seul son salaire comptait. Mais les mœurs ont évolué et les conditions de travail doivent désormais répondre à de nouveaux standards. D’abord, le seul fait pour un individu de travailler ne suffisait pas à le rendre productif. Le contraindre à produire plus à travers un style de management très directif n’est pas plus efficace. Les nombreuses recherches sur la motivation au travail mettent en évidence l’existence de facteurs humain et psychologique. Depuis peu, l’ambiance au travail est devenue un facteur important au sein des entreprises.
Les réflexions sur l’ambiance au travail demeurent peu nombreuses contrairement à d’autres concepts comme la motivation. Par contre, elle est employée avec d’autres notions notamment pour mesurer le bonheur au travail. C’est pourquoi elle doit être rapprochée de ces notions. Il convient ensuite d’apporter une petite précision terminologique. Les expressions « ambiance au travail » et « ambiance de travail » seront considérées comme équivalentes. Enfin, la conception de l’ambiance au travail telle que donnée par Philippe Laurent, conférencier, coach, formateur et auteur de l’ouvrage Le bonheur au travail sera retenue pour construire une définition propre à cette étude.
Selon Philippe Laurent : « Une ambiance ne se définit pas : elle se sent ! On sent l’ambiance d’une maison, celle d’une famille ; on sent l’ambiance d’un bureau, celle d’une entreprise ». Ces deux phrases résument à elles seules sa conception. L’ambiance est avant tout une impression laissée par une situation donnée et qui s’apprécie par le biais des cinq sens. D’où l’usage de nombreux adjectifs pour décrire l’ambiance, « cette chose si difficile à mesurer »[2]. Ci-après les qualificatifs qu’il emploie et les sens auxquels ils pourraient se rapporter :
- L’ouïe : triste ou joyeuse
- L’odorat : parfumée ou malodorante, « ce qui transpire dans les relations »
- Le toucheret tout ce qui peut avoir rapport avec l’air ou l’atmosphère : morose ou dynamique, plombée ou légère, sérieuse ou cool, froide ou chaleureuse, électrique ou apaisante, extra ou détestable, conviviale
- La vue: triste ou joyeuse, coincée ou détendue, une teinte particulière
- Le goût: fade ou épicée, sans goût
Philippe Laurent ajoute également :
Ignorer l’impact de l’ambiance sur le travail c’est faire fi de la respiration des personnes (…). L’ambiance de travail est aussi vitale que l’oxygène dans l’air : s’il n’y en a pas assez, l’air devient irrespirable et les efforts sont beaucoup plus difficiles.
Une récente étude américaine de l’université de l’Iowa confirme son analyse : « la bonne ambiance au travail prime avant tout sur le salaire »[3]. Ce résultat peut aboutir à deux situations. Soit l’individu qui a le choix entre deux entreprises choisit celle où il y a la meilleure ambiance au travail (même si son salaire y était moindre). Soit un salarié serait enclin à quitter son entreprise pour une autre qui offre une meilleure ambiance de travail. Par ailleurs, Marc Loriol remarquait déjà en 2009 que « les aspects pénibles de leurs activités sont compensés par une « bonne ambiance » (soutien des collègues, échange de plaisanteries, camaraderie…) »[4]. Conformément à la conception de Philippe Laurent, il est possible d’en déduire que l’ambiance possèderait ses caractéristiques :
- elle est bonne ou mauvaise et peut s’améliorer ou se dégrader
- d’une part, elle est facile à dégrader à cause du phénomène de contagion, très rapide; d’autre part, elle repose sur la confiance donc difficile à reconstruire parce que « la confiance se construit goutte à goutte mais se perd en litres »
- elle est omniprésente et évolutive : « l’ambiance est toujours là, variable de jour en jour au grès des personnes et de la conjoncture »
- elle dépend de l’attitude du chef et des managers (modèles pour les employés)
- elle est subjective
- elle impacte positivement ou négativement sur d’autres aspects du travail : la productivité, motivation, créativité
Comme l’ambiance au travail se sent et est subjective, il y aurait alors autant de définitions que d’individus. Dans tout travail de recherche, il est pourtant de rigueur de définir précisément les concepts employés. Et paradoxalement, cette absence de définition stricte ne constitue pas un frein mais une occasion de proposer une définition de l’ambiance au travail qui sera retenue pour le présent travail.
La définition proposée s’inspirera autant que possible des éléments et informations qui ressortent des diverses sources disponibles :
L’ambiance au travail est une impression laissée par les cinq sens. Elle est une appréciation subjective, plus ou moins partagée, de la qualité des échanges humains et des interactions qui se produisent au sein d’une équipe poursuivant un objectif commun. Difficile à quantifier, elle est plutôt perçue comme positive ou négative et peut évoluer dans le temps. Elle impacte significativement sur la productivité, la motivation et la créativité individuelles de ses membres et contribue à leur bien-être. C’est pourquoi on recherche surtout une bonne ambiance sur le lieu de travail.
§2 techniques de mesure de l’ambiance
Il est maintenant évident que l’ambiance au travail est difficile à mesurer. Par contre, elle est utilisée comme variable dans des échelles de mesure du bien-être, notamment en économie, sociologie et psychologie du travail. Il serait alors intéressant de les lui appliquer pour mieux cerner l’ambiance au travail. Il s’agit des mesures hédoniques (A), eudémoniques et combinées (B). Il convient de mentionner que la littérature issue de la psychologie anglo-saxonne semble la plus féconde dans ce domaine. L’intérêt et les limites de chacune des deux approches seront abordés.
Les approches hédoniques couvrent des aspects positifs et négatifs. Issu du grec « hēdonḗ » qui signifie plaisir, l’hédonisme est une philosophie qui voit en la recherche du plaisir dans la vie (amitié, tendresse, sexualité, etc.) et en l’évitement de ce qui n’en procure pas (conflits, violence, privations, etc.) l’objectif de tout être humain. La maximisation du plaisir est atteinte quand les aspects positifs l’emportent sur ceux négatifs. Ainsi, l’individu atteindra alors la satisfaction dans sa vie (Diener 1984)[5]. Ces approches sont utilisées pour mesurer la satisfaction au travail du salarié et la qualité de l’environnement humain : l’individu le fait grâce aux informations et émotions qu’il ressent par rapport aux événements (Diener & al. 2000[6]). D’ailleurs, Berkman (1971)[7] et Warr (1990) préconisent de dresser un inventaire d’émotions. Diener (1994) ajoute qu’il faudrait s’intéresser à la gamme des émotions allant du plus négatif au plus positif, à leur intensité et leur stabilité dans le temps.
Les conceptions hédoniques ne sont pas épargnées par les difficultés opérationnelles. D’abord, il n’y a pas de consensus sur les concepts utilisés dans plusieurs travaux : bien-être, satisfaction générale dans la vie ou au travail, santé psychologique (Gilbert, & al, 2011, Hart, 1999, Dagenais-Desmarais & Savoie, 2011, Massé et al, 1998[8]). Les tenants de la psychologie positive relèvent des difficultés méthodologiques (Argyle, 1987 ; Cowen, 1994 ; Seligman et al, 2005[9]) : ils préconisent « de ne considérer que les affects positifs pour mieux assurer l’assise théorique du concept et en faire un construit à part entière »[10].
Par rapport au thème de la présente étude, les approches hédoniques rappellent que tous les aspects du travail ne sont pas positifs. Des aspects négatifs (absence de plaisir à effectuer une tâche, pression hiérarchique, stress, etc.) ou contraignants (obligation de se conformer à des règles) y coexistent. Par conséquent, elles ne peuvent convenir au contexte professionnel. La solution émergera peut-être des approches eudémoniques et combinées.
Ces conceptions privilégient la réalisation personnelle, l’accomplissement, plutôt que la maximisation du plaisir. Elles estiment que l’utilisation du plein potentiel conditionne le bien-être individuel (Deci, & Ryan, 2008 ; Ryff, & Keyes, 1995[11]). Selon Waterman (1993), « [le bien-être] suppose de relever des défis essentiels, d’avoir le sentiment de vivre pleinement, d’être soi-même, de faire corps avec son activité ». Ensuite, elle possède une dimension sociale, le bien-être social, caractérisée par des relations harmonieuses avec autrui. Enfin, l’individu doit utiliser ses compétences sans attendre de récompense (comme pour les hédonistes). Pour les tenants des approches combinées, l’hédonisme et l’eudémonisme sont distincts (Keyes, Shmotkin & Ryff, 2002, McGregor & Little, 1998[12]), se complètent au lieu de se concurrencer (Keyes, & Lopez, 2002; Ryan, & Deci, 2001[13]). L’une compense les faiblesses de l’autre et réciproquement.
Les mesures eudémoniques et combinées considèrent le bien-être en général et d’autres fois le bien-être au travail, comme Ryff, C.D., & Keyes, C.L.M. 1995. D’autres, portent sur le milieu de travail mais le choix de l’échantillon a été biaisé par une non-représentativité (Dagenais-Desmarais & Savoie (2011). Enfin, le bien-être social doit être relativisé car chaque société humaine possède ses standards de bien-être. Cependant, les mesures eudémoniques et combinées sont plus proches de la réalité professionnelle car le salarié ne recherche pas la maximisation de son plaisir en milieu professionnel. Il cherche avant tout à satisfaire ses besoins et ceux de sa famille. En outre, le lieu de travail peut être source de frustrations. Enfin, elles ont le mérite de considérer le milieu professionnel comme un lieu possible de réalisation de soi.
Section 2 definition des notions qui gravitent autour de l’ambiance au travail
D’emblée, il est opportun de noter que la définition donnée à l’ambiance au travail utilise d’autres concepts propres aux sciences humaines : la productivité, la motivation, la créativité et le bien-être. Le bien-être ne sera plus abordé car l’étude des échelles hédonique et eudémoniques permettent déjà de le comprendre. Quant aux trois autres, chacun pourrait faire l’objet d’études approfondies. On ne visera pas l’exhaustivité.
[1]in LARAMEE, Alain et VALLEE, Bernard (1991), La recherche en communication : éléments de méthodologie, Québec: Presses de l’Université du Québec, p.170.
[2] Philippe LAURENT, « L’importance de l’ambiance au travail. Une bonne ambiance : l’oxygène au travail », Le bonheur au travail [Billet de blog], URL:
http://www.philippelaurent.org/index.php/blog/191-ambiance-au-travail
[3] Sophie LEBEL, « Work Life Balance » : Comment favoriser une bonne ambiance au travail ?, La ruche [billet de blog], publié le 27/05/14, consulté le 05/04/16, URL:
http://laruche.wizbii.com/startup-work-life-balance/
[4] Marc LORIOL, « Discussions informelles au sein du groupe de travail et construction du stress », Communication et organisation [En ligne], 36 | 2009, mis en ligne le 19 avril 2011, consulté le 05 avril 2016. URL : http://communicationorganisation.revues.org/877
[5] Diener, Ed 1984. The independence of positive and negative affect. Journal of Personality and Social Psychology, 47 (5), 1105-111.
[6] DIENER, Ed, NAPA-SCOLLON, Christie K., OISHI, Shigehiro, DZOKOTO, Vivian, & SUH, Eunkook Mark. 2000. Positivity and the construction of life satisfaction judgments: Global happiness is not the sum of its parts. Journal of Happiness Studies, 1, 159–176
[7] BERKMAN, P.L. 1971. Measurement of mental health in a general population survey. American Journal of Epidemiology, 94, 105-111 ; WARR, P. 1990. The measurement of well-being and other aspects of mental health. Journal of Occupational Psychology, 63, 193-210
[8] GILBERT, M.H., DAGENAIS-DESMARAIS, V., & SAVOIE, A. 2011. Validation d’une mesure de santé psychologique au travail. Revue européenne de psychologie appliquée, 61 (4), 195-203 ; HART, P.M. 1999. Predicting employee life satisfaction: a coherent model of personality, work, and nonwork experience, and domain satisfactions. Journal of Applied Psychology, 84, 564-584 ; MASSÉ, R., POULIN, C., DASSA, C., LAMBERT, J., BÉLAIR, S., & BATTAGLINI, A. 1998. Élaboration et validation d’un outil de mesure du bien-être psychologique: l’EMMBEP. Revue canadienne de santé publique, 89 (5), 352-357 ;
[9] ARGYLE, M. 1987. The Psychology of happiness. New York: Methuen ; COWEN, E.L. 1994. The enhancement of psychological wellness: challenges and opportunities. American Journal of Community Psychology, 22, 149-179 ; SELIGMAN, M.E.P., STEEN, T.A., PARK, N., & PETERSON, C. 2005. Positive psychology progress. empirical validation of interventions. American Psychologist, 60 (5), 410-421
[10] Franck BIETRY, Jordane CREUSIER, « Proposition d’une échelle de mesure positive du bien-être au travail (EPBET) », Revue de gestion des ressources humaines 2013/1 (N° 87), p. 26. DOI 10.3917/grhu.087.0023
[11] DECI, E.L., & RYAN, R.M. 2008. Facilitating optimal motivation and psychological well-being across life’s domains. Canadian psychology, 49, 14–23 ; RYFF, C.D., & KEYES, C.L.M. 1995. The structure of psychological well-being revisited. Journal of Personality and Social Psychology, 69 (4), 719-727 ; WATERMAN, A.S., 1993. Two conceptions of happiness: contrasts of personal expressiveness (eudaimonia) and hedonic enjoyment. Journal of Personality and Social Psychology, 64 (4), 678–691
[12] KEYES, C.L.M., SHMOTKIN, D., & RYFF, C.D. 2002. Optimizing well-being: the empirical encounter of two traditions. Journal of Personality and Social Psychology, 82 (6), 1007-1022 ; McGREGOR, I., & LITTLE, B.R. 1998. Personal projects, happiness, and meaning: on doing well and being yourself. Journal of Personality and Social Psychology, 74 (2), 494-512
[13] KEYES, C.L.M., & LOPEZ, S.J. 2002. Toward a science of mental health: Positive directions in diagnosis and interventions in C.R. SNYDER & S.J. Lopez (eds.), Handbook of positive psychology, 45-59, New York, NY: Oxford University Press ; RYAN, R.M., & DECI, E.L. 2001. On happiness and human potentials: a review of research on hedonic and eudemonic well-being. Annual Review of Psychology, 52, 141-166.
Mémoire de fin d’études de 33 pages.
€24.90