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Comment émerger dans un marché de plus en plus concurrentiel ? (Le cas Meetic)

Thème : La rencontre en ligne : Enjeux de visibilité et de différenciation

 

Problématique : Comment émerger dans un marché de plus en plus concurrentiel ? (Le cas Meetic)

 

Plan

 

Introduction

Partie 1. Le marché de la rencontre en ligne

Chapitre 1. La rencontre en ligne

  1. Une alternative aux rencontres traditionnelles
  2. Quelques chiffres
  3. Entre la rencontre en ligne et les rencontres traditionnelles
  4. Quelques enjeux majeurs de la rencontre en ligne
  5. Monétisation de la rencontre : payer (directement ou non) pour rencontrer
  6. Les risques de la rencontre en ligne

Chapitre 2. Le marché de la rencontre en ligne et ses principaux acteurs

  1. La demande
  2. Les utilisateurs
  3. Différenciation selon l’usage
  4. Technologie et support utilisés
  5. L’offre
  6. Les principales catégories d’offres de la rencontre en ligne
  7. La tendance du secteur

Chapitre 3. Analyse concurrentielle

  1. Les principaux concurrents et partenaires potentiels des sites de rencontre
  2. Les principaux lieux de rencontre
  3. Les agences matrimoniales
  4. Les sites de petites annonces
  5. Les organisateurs d’événements pour célibataires
  6. Les sites et applications de slow dating
  7. Les réseaux sociaux
  8. Analyse PESTEL de la rencontre en ligne

III. Modèle des 5 forces de Porter de la rencontre en ligne

Partie 2. Etude de cas : Meetic

Chapitre 1. Présentation de Meetic

  1. Généralités
  2. Positionnement de leader

Chapitre 2. Politiques stratégiques évolutives de Meetic pour une meilleure visibilité

  1. La construction de la notoriété de Meetic
  2. Un développement accéléré par la croissance externe

III. Une stratégie de partenariat pour une visibilité accrue

  1. Stratégie de différenciation
  2. Une capacité d’adaptation comme condition de pérennité
  3. La place cruciale de la communication

Chapitre 3. Analyse concurrentielle de Meetic

  1. Modèle de Porter
  2. Analyse SWOT

Chapitre 4. Synthèse, perspectives et recommandations

  1. Les facteurs-clés de succès de Meetic
  2. Perspectives

III. Recommandations

Conclusion

Bibliographie

 

 

Introduction

 

Une étude réalisée par Madden et Lenhart (2006, cité par Sautter, Tippett, & Morgan, 2010) révèle que 70% de la population étudiée, soit une estimation de 30 millions d’Américains (des Etats-Unis) ont déclaré avoir connu au moins une personne qui a eu une relation de longue durée (voire un mariage) issue de la « rencontre en ligne ». Incontestablement alors, l’étude de ce secteur (de la rencontre en ligne) est d’actualité et pertinente, du moins au niveau économique et sociologique. Dans ce sens, la rencontre en ligne peut être associée à un phénomène, certes émergent puisqu’il est nécessairement porté par le développement et la démocratisation d’internet, mais aussi en passe d’être intégrer à la civilisation moderne.

 

Entretemps, ce domaine d’étude particulier soulève un certain nombre de questionnements. Un des plus cités concerne la « monétisation de l’amour » (en faisant référence par-là à la recherche de partenaire sentimental) : comment des grandes entreprises ont su se développer dans ce secteur devenant alors un grand marché alors que l’idée d’acheter la reconnaissance sentimentale d’une personne est encore mal acceptée par la société contemporaine ? Qui sont ces grandes entreprises et quelles en sont les caractéristiques de leurs offres ? Qui sont leurs clients, ces derniers cherchant souvent l’assurance d’une totale discrétion (de la part de leurs prestataires) quant à leur recours à ce type de service ? Quel est l’état de ce marché, plus précisément l’état de la concurrence, ainsi que la perspective d’avenir pour un secteur apparemment en développement ? Sur cette dernière question, une partie de réponse peut donner des idées sur la difficulté que ces acteurs de l’offre rencontre : « Plus de 2.000 acteurs se sont engouffrés dans la brèche, alléchés par les perspectives de croissance de ce marché, estimé à 200 millions d’euros » (Lestavel, 2013). Ce qui implique que, dans un premier coup d’œil, il faut être robuste pour sortir indemne de cette forte densité de la concurrence.

 

Dans ce sens, la problématique de la présente étude s’énonce comme suit : Comment émerger dans un marché de plus en plus concurrentiel, en prenant une étude de cas concernant la Société « Meetic » ? Pour répondre à cette question centrale, cette recherche est divisée en deux grandes étapes correspondant à deux parties dans ce mémoire :

 

  • Dans la première partie, il convient de faire une analyse descriptive de la rencontre en ligne, de la demande et de l’offre sur le marché que cela représente.

 

  • Dans la deuxième partie, il est question de réaliser une étude de cas en se focalisant sur les éléments-clés qui ont permis à Meetic de maintenir son positionnement de leader dans un contexte concurrentiel assez difficile.

 

 

Partie 1. Le marché de la rencontre en ligne

 

Dans cette première partie, il est question de se focaliser sur le marché de la rencontre en ligne. Dans ce sens, il y a lieu de comprendre le concept-clé qu’est la rencontre en ligne et ses principales composantes. C’est ensuite qu’il faut identifier les principaux acteurs qui œuvrent sur ce marché. Enfin, pour une meilleure appréhension de ce dernier, il importe de faire une analyse concurrentielle du secteur.

 

Chapitre 1. La rencontre en ligne

 

Dans ce premier chapitre, il est important de définir le cadre général de l’étude en se focalisant sur le concept de « rencontre en ligne ». Pour cela, il convient de s’intéresser au positionnement de celle-ci par rapport aux autres types de rencontres pouvant être qualifié de « traditionnels ». Une analyse descriptive de quelques enjeux majeurs de la rencontre en ligne devrait aussi permettre une meilleure compréhension de ce concept pour pouvoir ensuite (dans le chapitre suivant) avoir une vue plus complète du marché à étudier dans ce domaine.

 

I. Une alternative aux rencontres traditionnelles

 

Afin de mieux appréhender le positionnement de la rencontre en ligne parmi les autres moyens permettant de mettre en relation deux personnes en vue d’une liaison (d’habitude amoureuse) de plus ou moins long terme, les statistiques sur ce domaine sont quelque peu révélatrices.

 

1. Quelques chiffres

 

Comme l’avancent certains auteurs (Rosen et al., 2008 ; Hitsch et al., 2010 ; cités par Chenavaz & Paraschiv, 2011), la rencontre en ligne prend une place de plus en plus importante parmi les moyens permettant à un sujet d’entrer en contact avec un ou des partenaires potentiels pour une relation amoureuse. Des statistiques montrent que l’engouement pour la rencontre en ligne s’est un peu développé avec l’utilisation d’internet, notamment vers la moitié de la première décennie du XXIème siècle. Selon une recherche de Madden et Lenhart (2006) en 2006, 74% des 10 millions internautes américains se supposant être des célibataires ont avoué avoir déjà essayé l’utilisation d’iternet pour rencontrer « l’âme sœur ». Ainsi, selon ces auteurs, au milieu des années 2000, près d’un tiers des adultes américains auraient connu au moins un utilisateur d’un site de rencontre et 15% de ceux-ci auraient aussi connu une personne qui s’est engagée dans une aventure amoureuse de long terme à partir d’une rencontre en ligne. Dans cette même période, selon Burmaster (2005) :

 

  • Les sites de rencontre se seraient positionner comme troisième moyen de rencontre, juste après le cercle d’amis et le bar ;

 

  • Environ le tiers des internautes se sont prononcés pour une inscription potentielle à ces sites ;

 

  • Presque la moitié des utilisateurs de ces sites sont à la recherche d’une amitié (46%) et/ou d’une relation long terme (45%)

 

A ces chiffres, Chenavaz et Paraschiv (2011) concluent que « les rencontres en ligne sont devenues un mode de rencontre incontournable amené à se développer encore plus dans les années à venir comme une vraie alternative aux rencontres traditionnelles » (p. 125). Les auteurs veulent entendre par « rencontre traditionnelle » tout autre moyen en dehors de la « rencontre en ligne » permettant à une personne d’entrer en contact avec une autre en vue d’une relation généralement amoureuse, que ce soit initié par l’une (ou les) personne(s) en relation potentielle ou par un tiers (une agence matrimoniale, par exemple). Cette perspective d’évolution évoqué par ces auteurs tend à se concrétiser puisqu’un sondage de 2014 révèle qu’un adulte français sur trois serait au moins une fois utilisateur des sites de rencontres sur internet. Il est ainsi possible de parler de développement substantiel de l’utilisation depuis l’apparition des tous premiers sites de rencontre au milieu des années 1990, et le cas français est très révélateur de cette large diffusion de cette utilisation.

 

En effet, déjà en 2006, alors que 42% des ménages français seulement avaient un accès à internet (Bergström, 2016), il y aurait plus de 10% ceux qui s’étaient connectés aux sites de rencontre (Bozon, 2008). La diffusion ne cesse de connaitre un accroissement spectaculaire : pour les Français de 26 à 65 ans, 14% se sont déjà inscrits sur un site de rencontre en 2013 ; l’estimation est encore plus élevée pour les plus jeunes, soit entre 16% et 18% pour l’ensemble des personnes âgées de 18 à 65 ans (cf. Tableau 1 – Taux d’usage des sites de rencontres par groupe d’âges, en 2006 et 2013). Il faut toutefois nuancer les mots pour illustrer les faits malgré que les chiffres français sont plus élevés que ceux d’autres pays : aux Etats-Unis, par exemple, la proportion des individus ayant déjà recouru à l’utilisation d’un site de rencontre est seulement de 9% pour les âgés au moins de 18 ans, en 2013 (Smith & Duggan, 2013). En fait, il convient d’être plus prudent sur les statistiques produits, et Bergström (2016) met en garde à ce sujet contre la production inflationniste de chiffres, un phénomène découlant de l’intérêt accru (surtout du côté de l’offre de service de rencontre en ligne) aux sites de rencontre.

 

Tableau 1 – Taux d’usage des sites de rencontres par groupe d’âges, en 2006 et 2013 (%)

  18-25 ans 26-30 ans 31-35 ans 36-40 ans 41-45 ans 46-50 ans 51-55 ans 56-60 ans 61-65 ans Total

26-65 ans

Total

18-65 ans

2006 28 19 13 10 9 7 4 3 2 9 12
2013 (28-40)(*) 29 21 16 14 12 10 6 3 14 (16-18) (*)

(*) L’enquête EPIC a seulement interrogé les personnes de 26 ans et plus ; pour les plus jeunes (18 à 25 ans), deux types d’estimation peuvent être considérés : d’une part, une estimation « conservatrice » qui suppose la stabilité du taux d’usage (soit de 28%) et, d’autre part, une estimation plus réaliste qui opte pour une hausse de ce taux à peu près au même rythme que les autres catégories d’âge (soit 40%).

Sources : Enquêtes CSF (INSERM-INED, 2006) et Épic (INED-INSEE, 2013-2014), citées par Bergström (2016)

 

Désormais, même si l’usage des sites de rencontre soit en nette croissance en France, il faut dire qu’il ne s’agit pas encore d’une pratique acceptée totalement. En effet, la moitié des utilisateurs seulement ont une relative facilité à révéler à leur entourage de leur inscription sur ces sites : 28% n’oseraient divulguer cette information à qui que ce soit, et 21% sont plus sélectifs sur les personnes à qui partager celle-ci (Bergström, 2016).

 

Ces réalités donnent des idées sur la place de la rencontre en ligne dans la société contemporaine en tant que prolongement des moyens « traditionnels » mettant en relation des individus ayant un potentiel de nouer une liaison de court ou de long terme.

 

2. Entre la rencontre en ligne et les rencontres traditionnelles

 

Il faut dire que l’hésitation dans l’acceptation générale du recours aux sites de rencontre pour rechercher un partenaire n’est pas un phénomène caractéristique à la seule rencontre en ligne. Les services de rencontre ont pratiquement toujours constitué un concept plutôt marginal car, même si les agences matrimoniales et les annonces dans cette lignée existaient une réalité et de manière plus ou moins officielle et acceptée par la loi depuis le XIXème siècle, celles-ci n’ont pas été complètement intégrées dans les mœurs[1]. Ainsi, la proportion des Français de 21 à 44 ans qui utilisaient ces services au milieu des années 1980 n’atteignait même pas 2%. Une large majorité avait rejeté la potentialité d’y recourir un jour (Bergström, 2016). Néanmoins, les sites de rencontre auraient probablement joué un rôle important dans la diffusion de ces services, le rencontre en ligne étant considéré comme une projection de la rencontre traditionnelle dans la dimension d’internet. Lekede (2015) reprend par exemple une définition célèbre du site de rencontre formulée sur Wikipédia : « Un site de rencontre est un site web qui permet aux individus d’entrer en contact et de communiquer afin de développer une relation plus ou moins longue de nature sentimentale, érotique ou amicale » (Lekede, 2015, p. 12). Aussi, Bergström (2016) décrit la relation entre les services de rencontre en ligne avec les moyens traditionnels similaires en ces termes : « Spécialisés dans la mise en contact de partenaires amoureux et sexuels, ces services [offerts par les sites de rencontre en ligne] s’inscrivent dans la lignée des petites annonces, des agences matrimoniales et du « Minitel rose ». Ils s’en distinguent toutefois par le nombre [largement plus élevé] de leurs usagers » (p. 1).

 

A côté de cette différence par le nombre d’utilisateurs, Chenavaz et Paraschiv (2011) identifient quelques points de distinction entre les natures des rencontres traditionnelles et les rencontres en ligne :

 

  • Les sites de rencontre tentent de mettre en relation des individus qui, en général, ne se connaissent pas, un cas relativement rare dans les rencontres traditionnelles(Gibbs, Ellison, & Lai, 2011).

 

  • Le processus de la rencontre même diffère entre les deux types (Gibbs et al., 2011 ; Sautter et al., 2010 ; Chenavaz & Paraschiv, 2011) :

 

  • Dans les rencontres traditionnelles, ce processus commence souvent avec la proximité spatiale ; puis vient l’attirance physique ; c’est ensuite que chacun des deux parties en liaison potentielle découvrent chez l’autre des centres d’intérêt communs ;

 

  • Dans les rencontres en ligne, les utilisateurs peuvent d’abord commencer à discuter directement sur des sujets relativement personnels ; à la suite de ceci, les deux parties développent une relation suivie en ligne à travers d’échange de courriel ou des discussions instantanées (chat) ; et ce n’est qu’après que le processus de rencontre réelle commence vraiment. Il faut cependant noter que le processus de rencontre en ligne n’est pas homogène, car il existe un schéma alternatif vers la rencontre réelle pouvant être emprunté par les utilisateurs expérimentés : ceux-ci procèdent tout de suite à une rencontre dans la sphère réelle juste après un échange de quelques courriels sans disposer beaucoup d’informations afin de gagner du temps.

 

  • Si dans les rencontres traditionnelles, le développement d’une relation amoureuse peut nécessiter des mois, les délais sont relativement plus courts sur les sites de rencontre en ligne : de quelques semaines, voire quelques jours pour des utilisateurs expérimentés(Sautter, Tippett, & Morgan, 2010).

 

Du fait des conditions différentes occasionnées par les rencontres en ligne par rapport aux rencontres traditionnelles, ces deux types de rencontres comportent des risques de natures et de niveaux différents (cf. II- 2 – Les risques de la rencontre en ligne). Cela soulève des forts enjeux à propos de la rencontre en ligne.

 

II. Quelques enjeux majeurs de la rencontre en ligne

 

Deux points au moins laissent entrevoir les forts enjeux de la rencontre en ligne : le premier concerne les enjeux économiques et le second est relatif aux risques associés à cet « outil » particulier.

 

1. Monétisation de la rencontre : payer (directement ou non) pour rencontrer

 

Comme évoqué plus haut, les services de rencontre (réalisés par un tiers) date bien avant le XXème siècle : la mise en relation par l’intermédiaire des proches ou des connaissances communes (une pratique pouvant même être située dans les époques bibliques), les fêtes diverses et les bals en particulier, etc. Lekede (2015) cite aussi les « marieurs/marieuses » qui œuvraient depuis l’Antiquité qui sont, plus tard avec le christianisme, avaient été appelés « proxénètes » (dans le sens d’entremetteur), un métier qui finit par disparaitre au fil du temps. Mais, dans les XIXème siècles, ce métier est repris en quelque sorte par les « agences matrimoniales ». Même si cela n’est pas toujours explicitement évoqué par les historiens, les enjeux économiques que représente le courtage matrimonial peuvent être appréhendés à travers l’engouement de la presse sur le sujet, jusqu’à l’apparition de revues spécialisées en la matière : en citant par exemple « L’alliance des familles » qui est un journal fondé en 1876 (Bologne, 2007, cité par Gaillard, 2013).

 

Mais, le véritable envol de la monétisation des annonces matrimoniales est surtout situé par les historiens au début du XXème siècle, et le journal « Le chasseur français » en est un des plus cités. En fait, les petites annonces de rencontre avaient fait leur apparition en 1892, mais cela ne constituait pas une spécialité du journal que pendant l’Entre-deux-guerres. Un vecteur majeur ayant mis ces annonces sur le devant de la scène sociale de l’époque est l’essor de la presse, la liberté (d’expression, en quelque sorte), le développement des tirages. Le journal « Le chasseur français » ont fait paraitre en 1922-1923 une soixantaine d’annonces, puis environ 450 en 1930-1931. Martin (1980, cité par Gaillard, 2013) décrit que « la prospérité de ce nouveau marché d’annonces est attestée par la présence dans les Chasseur Français de réclames pour des agences et des feuilles spécialisées » (Gaillard, 2013).

 

Une chose pourrait expliquer, même en partie, l’intérêt des investisseurs de l’époque à monétiser le courtage matrimonial : c’est l’intérêt économique que les intéressés ont explicitement intégré dans leur recherche de partenaire. Un journaliste analyse : « Dans les petites annonces de l’époque, on ne parle pas d’amour, de passions, vaguement de loisirs parfois. Non, l’important c’est la situation, donc le métier, (fonctionnaire ou militaire ont la cote), le salaire, la dot si on est une femme, et l’héritage potentiel (on parle pudiquement « d’espérances ») » (Lekede, 2015, p. 7).

 

Par la suite, ce qui a vraiment changés seraient probablement les supports servant de base pour communiquer et se communiquer, l’évolution de ceux-ci ayant étendu les possibilités offertes dans cette communication. Les possibilités de monétisation à travers ces différents supports évoluaient également. Ainsi, par exemple, après les petites annonces, qui n’ont pas véritablement disparues mais ont tout simplement changé de format, les médias de masse ont utilisé surtout la publicité comme mode d’extraction de la valeur, comme dans des émissions de téléréalité (« Tournez manège » qui un jeu télévisé d’origine américaine, la célèbre « L’amour est dans le pré », « Dating Pool », etc.). L’ère de la transformation numérique a apporté également des touches d’innovation importante ayant fait augmenter l’inter-connectivité entre les individus. La concurrence entre moyens de rencontre matrimonial oblige les acteurs de l’offre à faire varier les moyens d’extraction de la valeur, surtout que de nombreux sites internet proposent même des services a priori gratuits jusqu’à éveiller le soupçon des uns et des autres : « Comment font les gratuits pour vivre ? À propos de la gratuité sur le Web : « … comme le dit la règle, sur Internet, si c’est gratuit, c’est que c’est vous le produit » » (Lekede, 2015, p. 12). En tout cas, il n’est pas question pour les industriels de l’internet de rester inactif devant l’augmentation du nombre des célibataires qui sont logiquement les premières cibles de la rencontre en ligne (cf. Chapitre 2- I- 1 – Les utilisateurs).

 

Au prix à payer, il convient aussi de parler « d’efficacité » des moyens utilisés par ces sites pour répondre positivement à la demande de l’utilisateur. Les sites ont presque toujours le devoir d’assurer cette efficacité, au moins par leurs discours, sous peine de baisse d’audience. Pour cela, nombreux s’aident des algorithmes de compatibilité par exemple (à partir des informations fournies par les utilisateurs) pour « démontrer » à leurs publics qu’ils se soucient vraiment de cette question d’efficacité. Le groupe américain Meetic, avec son offre « Meetic Affinity » lancée en 2008 propose par exemple un service de « matchmaking » ou de rencontre par affinité en décryptant le profil de l’utilisateur via un système de gestion statistique : en guise de résultat, l’algorithme permettrait de proposer au sujet des partenaires qui seraient « compatibles » avec ses habitudes de vie, son tempérament et ses attentes. L’utilisation de ces outils « objectifs » se multiplie chez les acteurs de l’offre, comme avec les 280 questions que le leader du matchmaking eHarmony pose à ses utilisateurs (Lestavel, 2013). Des études vantent d’ailleurs le mérite d’internet qui serait même le deuxième moyen le plus populaire pour rechercher son partenaire en Belgique, en 2010, une tendance qui serait celle de la plupart des pays européens (Lekede, 2015).

 

Mais, cette efficacité serait-elle bénéfique aux prestataires de ces services d’intermédiation ? Frédéric Estève, senior manager chez Vertone donne un indice à ce propos : « C’est le nombre d’utilisateurs qui fait la valeur du service. Pour conserver un volume important de membres, les sites doivent investir massivement dans la communication. Le coût d’acquisition d’un membre étant élevé, il faut s’assurer ensuite qu’il renouvelle son inscription plusieurs mois de suite » (Lestavel, 2013). En d’autres mots, le prestataire a intérêt à optimiser entre efficacité absolue qui lui ferait perdre les utilisateurs satisfaits (pour lesquels le site n’a plus alors aucun intérêt) et absence d’efficacité qui démotiveront certainement les utilisateurs potentiels. En tout cas, ces derniers sont très diverses et touchent presque tous les niveaux de revenu, ce qui explique que nombreux sont ceux qui sont prêts à payer cher pour parvenir à leurs fins (CAM4.fr, 2015).

 

Il a été montré que plus d’un tiers des individus ayant déjà utilisé les sites de rencontre en ligne ont pu obtenir un rendez-vous en vrai, une proportion qui n’est pas la même au regard de l’orientation sexuelle (hétéro/homo), de l’âge ou encore de la catégorie socioprofessionnelle de l’individu (cf. Figure 1 – Obtention d’un rendez-vous en vrai avec une personne contactée via un site de rencontre). En effet, si l’appartenance à une catégorie spécifique donne plus de chance aux hommes de décrocher un premier rendez-vous (85% pour les travailleurs indépendants contre 58% pour les ouvriers, par exemple), c’est plutôt l’inverse qui se présente chez les femmes (58% pour les travailleuses indépendantes contre 72% pour les catégories populaires, par exemple). Sans absolument nier l’efficacité des sites de rencontre, cela semble vouloir démontrer que la réussite est en grande partie due à une certaine logique qu’à une véritable efficacité des procédés techniques. Ainsi, en faisant abstraction de ces facteurs de discrimination des individus (genre, orientation sexuelle, âge, CSP), il est encore difficile de dire que tel site soit plus performant que tel autre, que les plateformes payantes soient plus efficaces que les gratuites, que ceux qui déploient un investissement lourd donnent des résultats plus satisfaisants, etc. Du moins, le risque d’échec est toujours présent quoique différent d’un individu à un autre, ceci étant juste un risque parmi d’autres.

 

Figure 1 – Obtention d’un rendez-vous en vrai avec une personne contactée via un site de rencontre

 

2. Les risques de la rencontre en ligne

 

Le risque d’échec peut être partagé par la rencontre en ligne avec les autres types de rencontre. Mais, il est beaucoup plus spécifié pour la rencontre en ligne en termes de « mauvaises surprises » assez fréquentes au moment du premier rendez-vous. 75% des utilisateurs se sont confrontés à une personne dont le profil ne correspond pas à ce qu’elle a affiché sur le site (CAM4.fr, 2015). Cela est en lien à ce que Chenavaz et Paraschiv (2011) qualifie de « risque de mensonges ». Pour 64% de ces utilisateurs pouvant se considérés comme « trompés », la déception est assez forte pour les amener à écourter la durée du rendez-vous ; c’est notamment une stratégie des plus âgés (CAM4.fr, 2015).

 

Un autre risque qui se réalise souvent avec la rencontre en ligne est celui de se retrouver seul au rendez-vous sans que le partenaire souhaité daigne de prévenir son absence, une pratique souvent exprimée par les termes familiers « poser un lapin ». Les hommes sont beaucoup plus victimes (60%) que les femmes (28%), mais le risque chez ces dernières semble être proportionnel à l’âge (CAM4.fr, 2015). En général, ce risque suit, lui aussi, une certaine logique comme le risque d’échec : proportionnel au poids (en termes de corpulence) d’une part, au niveau de revenus d’autre part. Il faut dire alors qu’un utilisateur pourrait évaluer lui-même le risque auquel il s’expose en s’inscrivant sur ces sites, une évaluation dont le prestataire est surtout le mieux placer pour la réaliser.

 

D’ailleurs, à côté du taux de réalisation des risques associés à la rencontre en ligne, il apparait encore plus crucial pour le prestataire d’évaluer les risques « perçus » par les utilisateurs potentiels, car ces types de risques pourraient influer fortement sur la motivation des clients potentiels. Les travaux de Chenavaz et Paraschiv (2011) démontrent que les rencontres en ligne apparaissent aux yeux des utilisateurs comme beaucoup plus risqués que les rencontres traditionnelles. Ces risques sont définis par le Tableau 2 ci-après :

 

Tableau 2 – Définition des risques perçus pour les rencontres en ligne

Type de risques Description
Risque de performance Le risque que les rencontres en ligne ne permettent pas à l’utilisateur de rencontrer un partenaire compatible
Risque de perte de temps Le risque de perdre du temps pour la rencontre d’un partenaire compatible à travers un site de rencontre en ligne
Risque physique Le risque de rencontrer une personne dangereuse via un site de rencontre
Risque financier Le risque de perdre de l’argent en utilisant un site de rencontre
Risque social Le risque que la fréquentation d’un site de rencontre en ligne par un utilisateur dégrade l’image que les autres ont de lui
Risque psychologique Le risque que l’utilisation d’un site de rencontre détériore l’image qu’un individu a de lui-même
Risque global Le risque que l’utilisation d’un site de rencontre conduise à des conséquences négatives quelles qu’en soient les raisons

Source : Chenavaz et Paraschiv (2011)

 

« Pour les rencontres en ligne, l’ordre décroissant de ces dimensions du risque nous conduit au classement suivant : le risque de performance est le plus important, suivi par le risque de perte de temps, par le risque physique, par le risque financier, par le risque social et enfin par le risque psychologique » (Chenavaz & Paraschiv, 2011, p. 135). La question d’efficacité est alors une priorité d’un utilisateur potentiel d’un site de rencontre, suivi par un pesage du coût en termes de temps que l’investissement lui occasionnera. Les mauvaises rencontres pouvant avoir une atteinte à son physique et la perte d’argent sont moyennement considérés. Les questions sociale et psychologique pourraient être perçues comme assez peu risquées, même si ces éléments soient plus importants pour les rencontres en ligne que pour les rencontres traditionnelles.

 

 

En conclusion, même si la rencontre en ligne peut être considérée comme un prolongement des moyens traditionnels pour la recherche de partenaire amoureux et/ou sexuel, elle présente des spécificités attribuées non seulement au niveau de modernisation des technologies employées, mais aussi au degré de monétisation et ainsi de concurrence auxquelles ce type de service est confronté. En tout cas, les utilisateurs attendent de réelle efficacité de la part de leurs prestataires bien que cette efficacité semble dépendre davantage de ces utilisateurs que d’autrui. Il faut dire alors que la rencontre en ligne constitue un vaste marché sensiblement différent des autres marchés (de biens et services) car il est surtout question de préférence (donc comportant des risques humains très élevés) mais aussi associé à une certaine rationalité des utilisateurs (certaines catégories d’utilisateurs ont par exemple une probabilité de réussite plus que d’autres). Il est alors important d’appréhender plus en détail ce marché (cf. chapitre suivant).

 

 

Chapitre 2. Le marché de la rencontre en ligne et ses principaux acteurs

 

Il existerait en 2015 plus de 2 000 sites de rencontre en ligne (s’il n’y avait que, généralistes ou spécialisés, qui ciblent environ 18 millions de célibataires français, sur un marché dont le chiffre d’affaires a été estimé à près de 200 millions d’euros. Les statistiques diffèrent énormément d’un pays à un autre ; le marché des célibataires est par exemple partagé entre 9 sites de rencontre d’origine belge. A l’échelle européenne, le marché de la rencontre en ligne était estimé à 550 millions d’euros, en 2011 avec un taux de croissance annuel de 30% (Lekede, 2015). Ces chiffres donnent alors des idées sur l’intensité de la concurrence sur ce marché qui fait désormais intervenir deux principaux acteurs : les utilisateurs d’où émanent la demande de service des sites, et ces derniers qui fournissent des prestations apparemment très variées.

 

I. La demande

 

Pour avoir une meilleure vue de la demande de rencontre en ligne, il convient d’identifier les principaux utilisateurs des sites de rencontre, de distinguer les différents usages de ces sites, et d’apprécier les technologies et supports les plus utilisés par ces utilisateurs.

 

1. Les utilisateurs

 

Il faut reconnaitre que ce sont les célibataires qui sont considérés comme les principaux utilisateurs potentiels de ces sites de rencontre. Selon une étude réalisée en France en 2014-2015 (qui fait l’objet d’une actualisation régulière, annuelle), il y aurait environ 13.8 millions de célibataires (ne vivant pas dans une relation stable) âgés de 18 à 65 ans, en France. Parmi ceux-ci, 11.5 millions de personnes utilisent plus ou moins régulièrement internet, ce qui les placent comme les principales cibles du secteur (Kuhlmann, 2015). Il faut dire que la croissance incessante du nombre des célibataires, est une véritable source d’attraction sur le marché de la rencontre en ligne : cette croissance est estimée entre deux ou trois fois plus élevée que celle de la population française. Parmi les causes de cette forte multiplication des célibataires, il est possible de citer le fait que les gens ne se marient que très tardivement, d’une part, et que près de la moitié des mariages aboutit à un divorce, d’autre part. Sabrina Philippe, psychologue, spécialiste des relations amoureuses et conseillère du site eDarling, décrit alors la croissance du secteur : « Le marché est en pleine croissance. Il y a quelques années encore, on se posait la question de l’efficacité de telles offres. Aujourd’hui, cela ne fait plus débat. Et, dans un avenir pas si lointain, presque tous les célibataires chercheront un partenaire sur Internet » (Lestavel, 2013).

 

Mais, il n’y a pas que les célibataires qui sont présents sur le marché de la rencontre en ligne, la proportion de celle-ci restant relativement stable entre 2012 (19%) et 2015 (21%). En fait, le nombre de personnes disposant un profil sur les sites de rencontre a quelque peu doublé dans la même période, allant de 3% à 6% (CAM4.fr, 2015) :

 

  • Les personnes vivant en union libre y sont deux fois plus nombreuses que les personnes mariées (respectivement de 4% et de 8%), ce qui suppose que cette pratique s’estompe probablement avec l’intensité et/ou la durée de la relation du couple. Pour ce qui est de la motivation d’inscription sur ces sites des individus en couple depuis peu de temps, on parle surtout du syndrome de « fear of missing out» (peur de manquer quelque chose) qui est associée à une sorte d’anxiété sociale observée chez certains utilisateurs des réseaux sociaux : le sujet craint d’être enfermé dans une relation médiocre, alors qu’il pourrait trouver un partenaire plus conforme à ses besoins. Certains hommes en couple sont inscrits sur des sites de rencontre pour « laisser la porte ouverte » à d’éventuelle rencontre avec un partenaire meilleur.

 

  • Il y a une assez forte différenciation suivant le genre (3% seulement chez les femmes contre 9% chez les hommes en couple), cette pratique semble prévaloir davantage chez les couples gays (par rapport aux couples hétérosexuels) à cause d’une rigueur nettement moindre pour ces derniers à propos du principe d’exclusivité sexuelle.

 

  • Statistiquement, près de 30% des individus inscrits sur les sites de rencontre n’appartiennent pas à la catégorie « célibataire ».

 

« Si la plupart de ces sites sont destinés à des célibataires, ils sont fréquentés en réalité par un nombre élevé de personnes en couple pouvant être à la recherche d’un nouveau partenaire, d’aventures extraconjugales ou de relations virtuelles leur permettant par exemple de tester leur potentiel de séduction sans forcément aboutir à une relation » (CAM4.fr, 2015, p. 4). En tout cas, la question de discrétion est mise sur le premier plan pour ces personnes en couple disposant de profils sur ces sites.

 

Désormais, la notion « d’adultère » est largement exploité sur le marché des rencontres en ligne. Ainsi, le leader du « casual dating » en France, Gleeden, affirme tout faire pour assurer la confidentialité concernant ses clients, ce qui l’amène à changer régulièrement le libellé bancaire associé au paiement du service fait par ceux-ci. Aussi, à titre de deuxième exemple, le leader international de ce même créneau, Ashley Madison, a déployé le service « traveling man » (offrant à un homme en déplacement de se mettre en contact avec une trentaine de femmes dans la ville où il se rend) pour ses 17 millions de clients (dont une partie est déjà en couple) (Lestavel, 2013).

 

Au niveau du genre, même s’il apparait une croissance comparable entre les utilisateurs masculins et féminins, les hommes sont toujours nettement plus nombreux sur les sites de rencontre que les femmes : 45% des hommes contre 34% des femmes auraient déjà tenté l’expérience (à part les plus jeunes, 18 à 24 ans, pour lesquels ces proportions sont relativement rapprochées). Il faut admettre que les sites de rencontre sont encore des espaces à dominante masculine, à l’encontre des publicités que font nombreux de ces sites quant à la parité hommes-femmes : au niveau global, pour les hétérosexuels, il y aurait en moyenne une femme pour deux hommes (CAM4.fr, 2015).

 

Il est aussi possible de dire que le recours à la rencontre en ligne s’est « démocratisé » au fil du temps. En effet, si le nombre des CSP « cadres » et « professions intellectuelles » était deux fois plus nombreux que celui des ouvriers sur ces sites (13% vs 6%), en 2006, sept ans plus tard, il y a réduction considérable de l’écart (16% vs 13%) (cf. Figure 2 – Evolution des taux d’usage des sites de rencontre par CSP de entre 2006 et 2015). Les clivages sociaux sont bien atténués. De même, concernant le lieu de résidence des utilisateurs, la fréquentation de ces sites s’est répandu des zones essentiellement urbaines au milieu des années 2000 vers tout le territoire du pays en 2015. Toutefois, on parle plutôt de « démocratisation ségrégée » puisque, au lieu d’un brassage au cours du temps, les sites se sont spécialisés davantage, s’adressant alors à des populations fortement segmentées en fonction de leur âge, leur lieu d’habitation, leur milieu social et leur culture religieuse. En tout cas, la rencontre en ligne n’est plus considérée comme un outil essentiellement réservé aux CSP aisées (Bergström, 2016).

 

Figure 2 – Evolution des taux d’usage des sites de rencontre par CSP de entre 2006 et 2015

Marie Bergström, Population et Sociétés n° 530, INED, février 2016.

Sources : Enquêtes CSF (INSERM-INED, 2006) et ÉPIC (INED-INSEE, 2013-2014).

Champ : Femmes et hommes âgés de 26 à 65 ans en 2006 (N = 9 690) et en 2013 (N = 7 825).

 

En revanche, les sites de rencontre sont particulièrement fréquentés par les minorités chez lesquelles leur usage est nettement plus prononcé : chez les homosexuels et les bisexuels (72%, dont 76% pour les hommes, contre seulement 37% pour les hétérosexuels), les minorités religieuses (49% contre 38% pour les catholiques et 40% pour les athées). « Le site de rencontre reste donc un outil privilégié pour les membres d’une minorité recherchant des partenaires structurellement peu nombreux dans la population dans la mesure où il leur permet d’élargir considérablement le nombre de contacts potentiels avec des partenaires tout en leur garantissant un certain anonymat » (CAM4.fr, 2015, p. 5).

 

2. Différenciation selon l’usage

 

En termes d’usage, les sites de rencontre sont notamment fréquentés pour l’établissement de relations de couple sans lendemain, plutôt qu’à la formation d’une liaison de longue durée. L’augmentation de la fréquentation de ces sites est quelque peu corrélée avec la banalisation de l’usage de ceux-ci à des fins purement sexuelles. En fait, même si 62% des utilisateurs voient dans la mise en couple un « idéal », ils sont nombreux (22% à 38% de 2012 à 2015) ceux qui n’y recherche que des partenaires occasionnels. Par ailleurs, plus de deux-tiers des utilisateurs (dont 70% des femmes et 79% des moins de 25 ans) ayant déjà engagé une conversation sur les plateformes de rencontre ont décidé d’en rester-là, sans rechercher à rencontrer physiquement son partenaire. Ces sites deviennent alors, de plus en plus, des espaces de flirt, voire des outils pour développer le « sexe à distance ». En outre, une majorité des usagers de ces sites assument la pratique du « sexe sans lendemain » : 46% ont eu un rapport sexuel dès le premier rendez-vous sans rechercher par la suite à revoir la personne partenaire (CAM4.fr, 2015).

 

D’ailleurs, les femmes sont plus motivées à l’utilisation de ces sites pour la remise en couple, surtout qu’elles y sont plus nombreuses à partir d’un certain âge. « Ces services correspondent avant tout à la situation et aux attentes des personnes séparées ou divorcées » (Bergström, 2016, p. 4). Concernant la modalité, le nombre des hommes qui ont recours au paiement des services offerts par ces sites est nettement plus élevé que celui des femmes (45% vs 18%). Désormais, il est très fréquent que c’est le partenaire masculin qui prend en charge les frais relatifs à la rencontre.

 

Enfin, au regard de l’objectif ultime souvent avancé pour ces plateformes de rencontre, il apparait que très peu de couple se sont formé réellement à travers ce type de service, soit moins de 9% de 2005 à 2013. Cela place les sites de rencontre à la cinquième position des contextes de rencontre après le lieu de travail, les soirées amicales, les espaces publics, et l’espace domestique. « Contrairement à une idée reçue, les sites de rencontres ne sont pas devenus un mode de rencontre dominant en France à l’exception des couples de même sexe […] Les sites donnent plus souvent lieu à des relations éphémères qu’à des couples stables » (Bergström, 2016, p. 3). En revanche, les plateformes de rencontre en ligne peuvent être considérées comme le principal moyen permettant aux homosexuels de rencontrer leurs partenaires, soit une personne sur trois dans cette catégorie.

 

3. Technologie et support utilisés

 

L’usage des applications de rencontre constitue un des facteurs majeurs du développement des sites de rencontre, et cela concerne 18% des Français en 2014 (trois fois plus élevé en trois ans). De manière logique, ce sont surtout les jeunes qui utilisent ces applications (30% chez les moins de 35 ans, diminuant avec l’âge). Ces dernières sont également banalisées auprès des gays et des bisexuels (55%). « In fine, lorsqu’on observe uniquement les pratiques des utilisateurs actuels d’une plateforme de dating, on remarque que seule une minorité d’entre eux ont recours exclusivement à un site web (42%) : la majorité d’entre eux (58%) utilisent désormais une appli, que ce soit de façon exclusive (12%) ou conjointement avec un site web (46%) » (CAM4.fr, 2015, p. 6).

 

Il faut aussi parler de la géolocalisation qui offre à l’utilisateur la possibilité de « repérer » des partenaires potentiels résidant à proximité. A citer par exemple les applications Grindr et Scruff qui sont les précurseurs sur ce domaine, notamment adressées aux homosexuels (qu’ils utilisent surtout à des fins sexuelles). Pour un autre exemple, le site Badoo revendique près de 170 millions de membres susceptibles d’utiliser la géolocalisation sur leurs iPhones.

 

Si telles sont les caractéristiques de la demande sur le marché de la rencontre en ligne, qu’en est-il de l’offre ?

 

II. L’offre

 

Pour appréhender l’environnement de l’offre, il importe de considérer les principales catégories de sites de rencontre en ligne présents sur la toile, et d’apprécier les grandes tendances du secteur.

 

1. Les principales catégories d’offres de la rencontre en ligne

 

Il faut dire que les sites de rencontre sont d’une très grande variété, surtout avec la concurrence intense faisant en sorte que nombreux sont ceux qui préfèrent conquérir des « niches » plutôt que de se focaliser sur les créneaux populaires. Voici quelques exemples pour apprécier cette grande multitude de types de service sur ces sites : les rencontres par affinités (meeticaffinity), pour adolescents (superlol.com), pour seniors (ulteem.com), pour célibataires diplômés (happyfewconcept.com), par affinités culturelles (pointscommuns.com), pour les habitants de la zone rurale (atraverschamp.com), etc. Néanmoins, malgré cette grande diversité, la presque totalité de ces sites présentent les trois services classiques suivants : un profil (la partie visible du compte utilisateur, un espace dédié à la présentation de l’utilisateur et à la description du partenaire et de la relation souhaités via une annonce), un moyen de communication (tel qu’une messagerie instantanée, la possibilité de faire signe à un autre utilisateur), et la possibilité de télécharger (upload) une ou plusieurs photographies. Mais, les détails de ces services peut être différents sensiblement d’un site à un autre (certains sites font par exemple payer l’utilisateur à l’envoi de courrier vers un autre utilisateur).

 

A côté de ce socle commun, il y a une forte variation sur le contenu du formulaire (pour recueillir les informations concernant l’utilisateur), les fonctionnalités supplémentaires, les discours véhiculés par les prestataires, et la mise en page. Il faut préciser que ces éléments diffèrent d’une plateforme à une autre en fonction de la segmentation, celle-ci dépendant de trois principaux éléments :

 

  • L’identité sexuelle des utilisateurs : 80% des sites s’adresseraient à des personnes hétérosexuelles, 64% à des gays, 57% à des lesbiennes, et 54% à des bisexuels. « En réalité, seuls les hommes gays constituent une catégorie d’individus à la fois explicitement et exclusivement interpellés par un grand nombre de sites de rencontres» (Bergström, 2011, p. 234). En général, sauf mention explicite, les sites de rencontre sont d’abord généralistes (« présomption d’hétérosexualité »), et ils n’affichent que les orientations sexuelles minoritaires prises en charge. Par ailleurs, les sites de rencontre pour lesbienne est un sous-ensemble faiblement établi, peu nombre en tant que tels, mais, leur présence sont souvent destinée à attirer les hommes où ces sites est conçus comme des « produits dérivés » des sites originellement créés. Aussi, les sites spécialisés pour les rencontres bisexuelles sont très rares, probablement parce que cette orientation sexuelle est tenue comme une pratique libertine plutôt qu’une identité sexuelle par la grande majorité des sites de rencontre (où il n’est possible de mentionner qu’un seul choix pour le genre du partenaire recherché). En résumé, plus de 95% des sites sont hétéro-orientés, moins de 5% pour les trans-homo-bi-sexuels dont 3.5%.

 

  • Les caractéristiques sociales de la population ciblée : il y a des plateformes ciblant une population envisagée comme une « collectivité » dont les membres partagent des intérêts communs, c’est-à-dire que ces plateformes représentent beaucoup plus que de simples moyens de mise en contact relationnel (c’est le cas de certains sites gays et/ou lesbiens qui échangent des informations non nécessairement à de fin relationnelle). Il arrive aussi que les centres d’intérêt commun de la population ciblée soient des éléments caractéristiques tels qu’une tranche d’âge particulière, une zone de résidence spécifique, etc. Il en est par exemple des « sites VIP » (dits aussi « sites sélectifs ») sur lesquels l’acceptation d’un membre se fait par cooptation, se basant souvent sur des critères esthétiques et sociaux. Il faut parler enfin des sites « géo-ethniques » et des « sites confessionnels » qui ont surtout pour rôle de « faciliter » l’appariement des membres.

 

  • Les types de relations amoureuses et/ou sexuelles avec la notion de « sérieux ». D’un côté, il y a les relations dites « sérieuses » qui impliquent la présence de sentiment amoureux pour les partenaires, tandis que celles qui sont « non sérieuses » se rapportent davantage à des pratiques plus libertines. « Est dite « sérieuse » une relation prétendument fondée sur l’amour mais surtout une relation qui dure dans le temps : une relation de « long terme ». Sera « non sérieuse » une relation sexuelle dans laquelle les partenaires ne se projettent pas : une « histoire sans lendemain »» (Bergström, 2011, p. 245). D’où une distinction entre des « sites sérieux » et des « sites libertins » au niveau des sites hétéro-orientés.

 

Bergström (2011) propose ainsi une typologie des sites de rencontre en ligne suivante :

 

Tableau 3 – Les principales catégories de sites de rencontre en ligne[2]

Sans contenu sexuel Sites hétéro-orientés Avec contenu sexuel
Sites « sérieux » (62 %) Sites « libertins » (23 %)
Sites dits « généralistes »

Sites ciblés divers

Sites géo-ethniques

Sites confessionnels

Sites coquins

Sites échangistes

Sites BDSM et fétichistes

Sites lesbiens (2 %) Sites gays (10 %)
  Sites bisexuels (0,7 %)

Sites « trans » (1 %)

 
Sites « trans », homo- et bisexuels

Source : Bergström (2011)

 

De son côté, le Guide des sites de rencontres (Kuhlmann, 2015) propose de classer ces plateformes en 5 catégories, à savoir : les sites de rencontre classiques qui sont des prestataires généralistes proposant souvent une gamme de prix moyenne (Meetic, AttractiveWorld, etc.), les agences matrimoniales en ligne dont le service repose essentiellement sur la question d’affinité (matching) avec des prix élevés (eDarling, Parship, EliteRencontre, etc.), les rencontres sur les réseaux sociaux qui sont d’abord des services flirt de prix plus bas ou freemium (AdopteUnMec, Tinder, Happn, etc.), les rencontres érotiques pour contacts érotiques (AdultFriendFinder, Casualdating.fr, etc.), et les sites de rencontres spécifiques s’adressant à des populations plus ciblées et spécifiques (séniors, homosexuels, parents célibataires, etc.). En 2014, la France compte un millier de portails de rencontre dont la majorité d’entre eux sont de petits sites, mais les 20 premières plateformes réunissent plus de 100 000 membres.

 

2. La tendance du secteur

 

Le chiffre d’affaires du secteur français a connu une croissance annuelle de 9% en début de la deuxième décennie du XXIème siècle pour descendre (pour la première fois) en 2013 (–5%), estimé à environ 122 millions d’euros. Mais, l’année suivante a fait l’objet d’un redressement pour atteindre près de 128 millions d’euros. Cette croissance a été portée par de progrès considérables au niveau technique et de la psychologie commerciale de leurs applications mobiles. Toutefois, les utilisateurs font beaucoup plus confiance à leurs PC dans le paiement plutôt que via leurs smartphones.

 

On constate une tendance à la concentration relative du secteur à l’échelle internationale (comme l’achat du leader allemand Frindscout24 par Meetic et la fusion de ce dernier avec Neu.de pour créer une gigantesque plateforme, en juin 2015). Le marché de la rencontre en ligne en France est d’ailleurs mené par des sociétés solidement établis, dont les 5 leaders accumulent les 60% du chiffre d’affaires total. Ce sont des prestataires offrant des services aux prix élevés dans la branche de la recherche d’une liaison durable, particulièrement appréciés des célibataires âgés de plus de 30 ans.

 

Pour conclure, trois grandes tendances sont observés sur le marché français de la rencontre en ligne :

 

  • La fréquentation des plateformes de rencontre est une pratique qui se répand considérablement avec la progression régulière de la visite des sites de dating et le développement de l’utilisation des applications mobiles de rencontre.

 

  • Les portails de rencontre contribuent notamment à tisser des relations sans lendemain, surtout que ces sites sont davantage utilisés à des fins purement sexuelles, et débouchent souvent à des relations sexuelles sans lendemain.

 

  • Les sites de rencontre favorisent apparemment la pratique du « coup d’un soir » (hooking up) d’autant plus que le sexe sans lendemain est assumé par la majorité des utilisateurs.

 

Chapitre 3. Analyse concurrentielle

 

Le marché de la rencontre est encore en plein développement car présentant de potentiel de croissance considérable du fait de la présence d’un grand nombre de célibataires non encore touchés par le service d’intermédiation de rencontre. Ainsi, pour appréhender les caractéristiques de la concurrence sur ce marché, il convient d’abord d’identifier les principaux concurrents potentiels des sites de rencontre en ligne. Cela devrait, par la suite, aider à approfondir et synthétiser l’analyse concurrentiel avec l’outil PESTEL (Politique, Economie, Socioculturel, Technologie, Ecologie, Légal) et le modèle de Porter (1986).

 

I. Les principaux concurrents et partenaires potentiels des sites de rencontre

 

Quelques catégories d’acteurs majeurs peuvent se comporter comme des concurrents plus ou moins directs aux sites de rencontre en ligne, dont les principaux « autres lieux de rencontre », les agences matrimoniales, les sites de petites annonces, les organisateurs d’évènements de rencontre, et les réseaux sociaux.

 

1. Les principaux lieux de rencontre

 

Il faut le reconnaitre : il n’y a pas que les sites de rencontre en ligne pour jouer le rôle d’intermédiaire ou de facilitateur dans les premiers pas reliant deux individus en vue d’une relation (sentimentale, érotique ou amicale) de durée plus ou moins longue. En fait, comparée aux autres principaux « lieux » de rencontre (qualifiés souvent de « traditionnels » ou « classiques »), les sites de rencontre ne se trouvent pas vraiment au premier rang. En termes de popularité, certes, la rencontre en ligne tiendrait une place dans le trio de tête, du moins au Royaume-Uni (Chenavaz & Paraschiv, 2011). Mais, du côté efficacité, les sites de rencontre ne se trouvent qu’en cinquième position derrière les lieux de travail, les évènements (soirées) entre amis, les espaces publics, et les endroits domestiques (chez autrui ou chez soi). « Contrairement à une idée reçue, les sites de rencontres ne sont pas devenus un mode de rencontre dominant en France à l’exception des couples de même sexe » (Bergström, 2016, p. 3).

 

Bien entendu, ces « autres lieux » de rencontre ne constituent pas des marchés (dans le sens d’un lieu de confrontation d’offre et de demande) en soi. En principe, aucune personne (physique ou morale) ne bénéficie (au moins en terme pécuniaire) à titre commercial d’une rencontre réalisée dans ces lieux. Mais, ils ne restent pas moins des moyens qui concurrencent la rencontre en ligne, car ces « autres lieux » offrent des opportunités qui réduisent (voire neutraliser) toute motivation de recourir ensuite aux services des sites de rencontre. Dans ce sens, ces « autres lieux » de rencontre constituent un ensemble de produits de substitution à la rencontre en ligne parce qu’ils offrent des prestations qui répondent (même en partie) en quelque sorte aux besoins des individus qui sont des utilisateurs potentiels des sites de rencontre. Il faut noter que ces « autres lieux » peuvent présenter des accès différenciés suivant les individus concernés : en citant à titre d’exemple « les transports en commun », il est évident que la fréquentation d’un moyen de transport spécifique (métro, bus, train, avion, etc.) diffère d’un individu à un autre ; de plus, les individus qui fréquentent ces lieux ne font pas nécessairement une démarche volontaire de recherche de partenaire pour une quelconque relation.

 

Bien que ces « autres lieux » de rencontre ne puissent pas être associés à des modèles économiques explicites, leurs effets de concurrence sont réels sur le domaine de la rencontre. En effet, il apparait qu’environ 30% des couples-cadres se sont formés sur la base d’une rencontre faite sur leur lieu de travail, par exemple (Trouver Amour, 2013).

 

2. Les agences matrimoniales

 

Viennent par la suite les agences matrimoniales, celles-ci pouvant être considérées comme des ancêtres de la rencontre en ligne. Malgré la grande popularité des sites de rencontre en ligne, et bien que ces agences ont largement cédé la place à ceux-ci, elles existent encore, comme c’est le cas, par exemple du réseau des 75 agences Unicis réparties sur le territoire français. A l’exemple d’Unicis, les agences matrimoniales fonctionnent tel un cabinet de recrutement, ce qui les différencie énormément de la rencontre en ligne (cette dernière fonctionne plutôt comme un « self-service » de la rencontre). Une autre différence marquante concerne le « facteur humain » inclus dans l’offre des agences matrimoniales qui insistent sur la prise en charge personnalisée des intéressés par des professionnels (Trancoen, 2013).

 

Désormais, les sites de rencontre en ligne (notamment les plus généralistes et les plus fréquentés) ne peuvent pas vraiment offrir ce genre de privilège à leurs utilisateurs, la préoccupation première des plateformes commerciales étant de réaliser des économies d’échelle. Ce qui amène ces prestataires en ligne à proposer des offres plutôt standardisées, même si des efforts sont beaucoup effectués pour construire des outils « logiciels » permettant de réduire au minimum l’intervention humaine du côté de l’offre. D’un côté, cela pourrait constituer un point fort pour les agences matrimoniales de qui sont attendus des prestations de qualité, surtout en matière de sécurité et de conseil. Néanmoins, d’un autre côté, il faut reconnaitre que cela accroit considérablement les coûts de ces services qui ne seraient donc pas accessibles à tout public. Un abonnement d’un an coûte par exemple 1 600 euros pour une agence comme Unicis. Tout cela laisse penser que les personnes qui ont recourt à ces agences matrimoniales recherchent surtout une relation plus sérieuse (en considérant le niveau d’investissement qu’elles réalisent) ; ce qui n’est pas nécessairement le cas des sites de rencontre qui « donnent plus souvent lieu à des relations éphémères qu’à des couples stables » (Bergström, 2016, p. 3). Le psychanalyste Nicolas Sajus explique : « Plus de 90% des rencontres par site, essuient une séparation, associée au non désir de relation « stable ». […] les personnes émettent donc les postulats de la déception, du mensonge, du défaut d’engagement, nombre d’entre elles se tournent vers les agences matrimoniales qui se présentent comme un garant de certains gages de confiance. […] elles plébiscitent largement le respect humain, souvent labélisé d’ailleurs par leurs tarifs 10 à 20 fois plus chers que les sites virtuels, quand ce n’est pas plus. Les « casting » des membres sont réalisés avec la garantie du « sérieux » des personnes » (Sajus, 2013).

 

Il faut également citer qu’à côté de ces agences matrimoniales traditionnelles « en dur » (appelées aussi des « bricks and mortars », briques et mortiers dans le sens qu’elles ne sont pas présentes sur internet), il y a aussi des business models hybrides, c’est-à-dire des « clicks and mortars » du fait de leur présence également sur internet. Il faut préciser que, généralement, les prestataires de rencontre en ligne sont (à la différence des agences matrimoniales) des « pures players », c’est-à-dire qu’ils ne sont présents, en principe, que sur internet (en faisant allusion à une boutique en ligne). Les agences matrimoniales « hybrides » offrent désormais des services relativement moins chers que les bricks and mortars, mais qui sont par contre réputés être plus sécurisants que les produits des sites de rencontre en ligne. Un exemple d’illustration concerne l’agence Meetserious lancée par Anthony Marais en 2013 qui a créé un site sur lequel les « célibataires » peuvent s’inscrire gratuitement ; mais toute conversation s’effectue uniquement « en vrai » (et non sur le site), par groupe de six personnes.

 

3. Les sites de petites annonces

 

Les petites annonces peuvent également considérées comme un ancêtre de la rencontre en ligne. Ces deux moyens de rencontre ont désormais quelques points communs, comme le nombre (réel ou potentiel) de leurs utilisateurs/visiteurs, les publics visés, les outils de communication utilisés, etc. Néanmoins, les sites de petites annonces peuvent, en complément du canal internet, utiliser également d’autres supports pour communiquer à leurs publics. Il faut admettre que les petites annonces ne constituent pas un sujet très étudié au premier plan par la littérature scientifique. Il importe alors de trouver arguments les concernant à partir d’observation : une recherche sur internet rend compte sur le nombre considérable de sites publiant des annonces à des fins de rencontre. Dans ce sens, ces sites se positionnent comme des concurrents plus ou moins directs des sites de rencontre en ligne.

 

Parmi les différences entre ces deux types de sites qui œuvrent dans le domaine de la rencontre, on peut citer :

 

  • La non-nécessité d’inscription de l’utilisateur d’un site de petites annonces pour pouvoir consulter ces annonces ;

 

  • Le caractère généralement « non-primaire » des activités d’annonces pour la rencontre dans ces sites de petites annonces, celle-ci constitue une activité complémentaire, voire auxiliaire pour eux (surtout lorsqu’il s’agit d’un journal qui se focalise sur une autre activité particulièrement différente) ;

 

  • La gratuité du service de publication des annonces, l’extraction de la valeur se faisant soit lors d’une réponse à l’annonce, soit autrement (par la publicité, par exemple).

 

4. Les organisateurs d’événements pour célibataires

 

Il existe aussi des évènements spécifiquement organisés dans le thème de la rencontre, effectués par des professionnels en la matière. Bien entendu, de nombreux sites de rencontre en ligne ont également adopté ce concept de dating, mais plusieurs autres sites se considèrent comme des spécialistes sur ce créneau. Il s’agit de faire rencontrer un groupe d’individus à l’occasion d’un évènement où ils peuvent s’échanger ; généralement, lorsqu’il s’agit par exemple d’un diner, les prestataires se rémunèrent sur un pourcentage des ventes réalisées par l’établissement hôte. Ces rendez-vous prennent en principe la forme d’un slow dating (par opposition à speed dating, rencontre d’une durée courte) auquel les prestataires invitent les participants à des sorties, activités en groupes, des évènements divers (activités culturelles, sportives, de loisir, etc.) : ces prestataires peuvent être généralistes ou encore spécialisés dans des types d’activité ou de sortie. Les participants peuvent avoir eu l’occasion d’être mis en relation préalablement par le prestataire avant l’évènement en question, ou bien non (on parle alors de blind dating).

 

Cependant, ce créneau semble être surtout réservé à des clientèles de haut revenu, à l’image par exemple l’acteur de l’unique assistant dating présent en France, NetDatingAssistant. Son fondateur, Vincent Fabre, explique : « Notre clientèle – 200 personnes, dont 30% de femmes – est avant tout composée de chefs d’entreprise et de membres des professions libérales » (Lestavel, 2013).

 

5. Les réseaux sociaux

 

Finalement, il convient de parler des réseaux sociaux, bien qu’ils ne constituent pas de concurrents à proprement parler des sites de rencontre. En fait, dans un sens, les réseaux sociaux représentent un terrain assez fertile pour la rencontre, ce qui les place comme un produit de substitution à la rencontre en ligne, voire un concurrent frontal. En effet, « mi-janvier [2013], Mark Zuckerberg a annoncé le lancement d’un moteur de recherche interne à Facebook, réservé dans un premier temps à la version anglophone. Cet outil permettra d’entrer des requêtes telles que « les amies femmes de mes amis, célibataires, qui vivent à New York » » (Lestavel, 2013).

 

En revanche, outre la grande variété de raisons (autre que la recherche de partenaire amical, amoureux ou érotique) poussant un individu vers les réseaux sociaux, rien ne prédit que cette présence sur ces derniers l’empêche de recourir parallèlement au service des sites de rencontre. En effet, du fait des représentations instables que fait la société contemporaine de la rencontre en ligne, l’individu en question pourrait être amené à dissimuler (au regard de ses connaissances présents sur les réseaux sociaux) son but ultime de recherche de partenaire et recourir « secrètement » aux services des prestataires spécialisés dans ce domaine. En somme, en attendant que les réseaux sociaux ne prennent explicitement une posture concurrentielle claire vis-à-vis des sites de rencontre, il y a lieu de penser en une opportunité (plutôt que d’une menace), une complémentarité, un partenariat entre ces derniers et ces réseaux sociaux.

 

II. Analyse PESTEL de la rencontre en ligne

 

Voici un résumé de l’état de l’environnement du secteur de la rencontre en ligne à travers l’analyse PESTEL, les domaines politique et écologique ne comportant pas d’éléments majeurs à évoquer :

 

Sur le domaine économique, il faut considérer la croissance effective qu’a connue le secteur de la rencontre en ligne depuis la crise de 2008, ainsi qu’un potentiel de croissance au vu de l’étendu du marché (notamment des célibataires). En revanche, le nombre de concurrents est très élevé, avec la présence de quelques « géants » possédant une certaine notoriété. Enfin, le secteur est exploité par de nombreuses sociétés de divers business models (allant du freemium au haut de gamme en termes de prix, allant des généralistes aux spécialisés).

 

Sur le plan socioculturel, le recours à un intermédiaire de rencontre n’est pas encore un concept totalement accepté par la société (bien que des progrès nets soient réalisés sur ce point). De plus, l’efficacité des techniques utilisés sur les sites de rencontre est encore à démontrer (on a tendance surtout de parler de logique plutôt que d’efficacité, du moins dans certains points). En fait, la rencontre en ligne met surtout en avant des rencontres sans lendemain plutôt que sérieuses (voire à des fins purement sexuelles).

 

Du côté technologique, on peut parler de l’utilisation d’algorithme en termes d’affinité (matching), l’emploi de la géolocalisation, et le recours à des logiciels performants de modération pour améliorer les prestations. Mais, les risques technologiques sont également réels, dont concernant l’utilisation des données personnelles (SPAM, l’affaire du piratage du site « Ashley Madison », la possibilité de divulgation de photos/vidéos, etc.).

 

En terme légal, il faut citer la relative sévérité quant à la loi sur la protection des données personnelles (d’où l’affaire de la mise en demeure de quelques sites de rencontre) (Confolant, 2015).

 

III. Modèle des 5 forces de Porter de la rencontre en ligne

 

Pour compléter l’analyse concurrentielle du secteur de la rencontre en ligne, ci-après les cinq forces (concurrentielles) présentes sur le marché selon le modèle de Porter (1986).

 

  • Etat de la concurrence: Comme montré dans les sections précédentes, la concurrence entre les sites de rencontre est relativement intense, non seulement en la présence de très nombreux prestataires (offrant des services gratuits et payants), mais aussi par l’existence de grandes sociétés bien établies qui dominent le marché (Meetic, eDarling, AdopteUnMec, etc.).

 

  • Produit de substitution: Parmi les produits de substitution pouvant être cité (outre les « autres lieux de rencontre »), il y a aussi les sites de petites annonces, les agences matrimoniales, les organisateurs d’évènement de rencontre, et éventuellement les réseaux sociaux.

 

  • Pouvoir de négociation des fournisseurs: Ce pouvoir est presque inexistant car les prestataires fournissent eux-mêmes leurs services, en principe.

 

  • Pouvoir de négociation des clients: La densité d’offreur étant élevée, le pouvoir de négociation des clients est élevé à cause des offres similaires.

 

  • Les nouveaux entrants: Le marché est encore ouvert, étant donné son potentiel de développement (par rapport au nombre des célibataires potentiellement utilisateurs). Le marché de niche est particulièrement attrayant pour les nouveaux entrants.

 

 

En conclusion, bien que le concept d’intermédiation de « rencontre » (amicale, sentimentale ou érotique) soit loin d’être nouveau, les technologies numériques et internet ont bouleversé ce secteur et ont largement contribué à son développement. Néanmoins, les sites de rencontre en ligne ne restent pas moins exposés à de forte concurrence venant des acteurs « traditionnels » de la rencontre. En tout cas, la pression concurrentielle est également très élevée entre les sites de rencontre en ligne même si le secteur présente encore un large potentiel de croissance. Un acteur à surveiller de près dans ce marché en évolution est le leader Meetic : comment il a pu asseoir un positionnement ferme et établi dans un contexte mouvementé ? C’est l’objet de la partie suivante de la présente étude.

 

 

Partie 2. Etude de cas : Meetic

 

Cette partie est consacrée à l’étude d’une Société particulière, leader dans son domaine, qu’est le célèbre Meetic. Cela devrait aider à comprendre comment ce grand acteur de la rencontre en ligne a pu émerger dans un contexte concurrentiel assez difficile et tenir en une si longue période son positionnement de leader. Pour cela, après une présentation de la Société faisant l’objet de cette étude de cas, il y a lieu d’identifier les principales stratégies du Groupe Meetic pour entretenir et améliorer sa visibilité sur son secteur. Une analyse concurrentielle de cet acteur majeur de la rencontre en ligne devrait par la suite permettre à émettre quelques suggestions en matière de visibilité pour le développement et la pérennité des activités de Meetic.

 

Chapitre 1. Présentation de Meetic

 

Cette présentation de Meetic concerne dans un premier temps les informations générales autour de la Société et de ses activités. Il y a lieu ensuite de tenir compte du positionnement de Meetic sur le marché de la rencontre en ligne.

 

I. Généralités

 

Pour mieux appréhender l’univers de Meetic, un survol de son historique et de ses principales activités apparait nécessaire.

 

1. Bref historique

 

Marc Simoncini crée en 2001 Ilius SAS, la société éditrice de Meetic, une entreprise qui est alors né en France le mois de novembre. Il s’agit d’un service de rencontre en ligne dont la première version de son site (meetic.fr) a été déployée en 2002. L’année suivante, Meetic investit le marché européen en lançant notamment MeeticMobile, et la société ne tardait pas son entrée en bourse en 2005.

 

Concernant son développement, le Groupe Meetic fait quelques acquisitions importantes à partir de 2006, dont Lexa (Pays-Bas), ParPerfeito (Brésil), DatingDirect (Royaume-Uni) et Cleargay (un site de rencontre gay francophone, Allemagne). En 2007, Meetic change un peu de stratégie en faisant payer alors les femmes, mais il est tout de même possible d’entrer en contact gratuitement aux utilisateurs ayant acheté le « meetic pass premium ». Les activités d’acquisition continue, surtout en 2009 (après le lancement de Meetic Affinity) vis-à-vis des activités Europe de Match.com.

 

Son fondateur, Marc Simoncini, annonce en septembre 2010 sa volonté de céder ses parts dans le Groupe qui s’élèvent toujours à un peu moins de 23% du capital de Meetic, au moment où la trésorerie de celui-ci frôlait positivement une quarantaine de millions d’euros. Match.com rachète ces parts et devient l’actionnaire majoritaire de Meetic en 2011 ; mais le service américain ne se contentait pas de détenir près de 97% du Groupe en 2014, et décide de déposer une OPA sur les actions encore en circulation afin d’être l’actionnaire unique de Meetic, ce qui se réalise en fin janvier 2014. Avec Match.com, Meetic fait son entrée au Nasdaq en novembre 2015.

 

2. Les différents services du Groupe

 

Quatre grandes catégories de services offerts par Meetic peuvent être citées :

 

  • Le dating : en fait, Meetic est avant tout un service de dating, permettant aux utilisateurs de se rencontrer en proposant à ceux-ci des services spécifiques à la recherche amoureuse. Sur ce point, Meetic a une approche généraliste, c’est-à-dire qu’il s’adresse à « tout public » souhaitant faire une rencontre, sans vraiment faire de distinction (à la différence des sites spécialisés). Pour le service de dating, l’inscription et la recherche de profils sont spontanées et gratuites : chaque utilisateur a la possibilité de rédiger son annonce à tout moment, ajouter ou modifier une ou plusieurs photos de profil, remplir ou modifier tout ou partie des critères dans le formulaire de recherche, et ainsi effectuer sa recherche de manière spontanée. C’est seulement le service de mise en relation par envoi ou par réponse d’un message entre un autre utilisateur qui est payant, soumis à abonnement.

 

  • Le matchmaking avec Meetic Affinity, un service (actuellement « intégré ») lancé en 2008 qui consiste en une mise en relation d’individus par système d’affinités. Cela implique alors la prise en compte des facteurs de « compatibilité » entre les personnes mises en relation.

 

  • Meetic en technologie mobile : en fait, depuis 2003, Meetic a déjà été présent sur mobile. Mais, le service a été étendu sur d’autres outils à travers des applications pour tablettes, pour mobiles (Android, iOS, et Windows Phone), et pour montres connectées (dont Android Wear et Apple Watch). Jessica Delpirou, Directrice de Meetic France affirmait en 2015 que « sur ordinateur, ce sont 1.4 million de visiteurs uniques par mois qui visitent le site en France. 68% de nos utilisateurs se connectent au moins une fois par jour sur leur mobile, illustration du basculement des usages sur ce canal» (Jaimes, 2015).

 

  • L’évènement (Events) avec Meetic IRL : c’est un service d’évènements organisés pour réunir des célibataires dans des endroits conviviaux et tendances sans que la marque Meetic n’apparaisse. Cela rentre dans une politique considérant que la vie numérique n’est pas à dissocier de la vraie vie, c’est complémentaire et l’une améliore l’autre. Le mécanisme de ces évènements est simple : Meetic invite à chaque utilisateur inscrit (actif ou abonné) sur son site d’assister à des soirées pour célibataires, en fonction leurs lieux de résidence et leurs tranches d’âge. Lorsqu’un utilisateur confirme sa présence sur une de ces soirées, il lui est permis d’être accompagné de trois autres célibataires qui ne sont pas encore membres de la communauté Meetic. Une soirée réunissant de 80 à 200 célibataires peut prendre différentes formes (une trentaine de types différents) : diners, Happy Hours, ateliers (de cooking, par exemple), etc. Ces Events, qui fêtent déjà ses trois années d’existence en novembre 2015 (avec la soirée « La Pop-up Party » ayant animé tout un quartier), ont d’abord été lancés en France avant d’être étendus aux autres pays dans lesquels Meetic est présent. Pour le Groupe Meetic, ces Events s’inscrivent dans une volonté d’« aller chercher les célibataires qui n’ont pas franchi le pas» (Grosset, 2013). Désormais, il y a en moyenne 190 Events par mois organisés par Meetic dans 10 pays et 170 villes, qui a pu attirer environ 330 000 participants depuis le lancement de ce service en 2013 (Groupe Meetic, 2016).

 

Meetic dispose de 350 collaborateurs en France dont 300 à Paris où se trouve le siège, le marketing, le siège technique, la recherche produit, la communication, etc. de la Société. Une grande majorité des revenus de Meetic proviennent des abonnements sur lesquels, la Société pratique des prix dégressifs suivant la durée de l’offre : allant de 30 euros environ pour une période d’un mois à près de 10 euros par mois pour un abonnement de six mois (l’abonnement peut même aller jusqu’à un an dans certains pays). Il faut aussi citer, à côté de cet abonnement, des fonctions très plébiscitées (notamment par les hommes) comme le « boost » qui est censé améliorer la visibilité d’un profil ; ces fonctions s’achètent soit à l’unité, soit intégrées dans l’abonnement. Meetic s’estime désormais bien plus qu’un site de rencontre étant donnée la diversité de ses offres qui ne se limitent pas à la vie numérique sur internet.

 

II. Positionnement de leader

 

Avec une audience de 6.4 millions de visiteurs uniques selon les statistiques de février 2015, Meetic est considéré comme la plus grande et la plus diversifiée communauté de célibataires-utilisateurs dans le monde avec sa présence dans 16 pays[3], sa disponibilité en 13 langues, ses 15 millions et demi de profils et un même nombre de photos modérés par an. Incontestablement, tout cela fait de Meetic un leader sur un marché en évolution permanente (Influencia, 2016). Viséo Conseil a encore choisi Meetic pour la troisième fois consécutive comme le Service Client de l’année 2016 dans la catégorie sites de rencontre (Meetic, 2015).

 

Ainsi, Alexandre Lubot, le CEO de Meetic – Match Group Europe a été fier d’annoncer que le mois de janvier 2016 serait « le meilleur » de l’histoire de Meetic, avec une croissance 30% pour les inscriptions en France et 20% pour le continent européen. Le numéro un français de la rencontre en ligne, tout type de relations confondues, a même atteint 10 millions de visites pour le mois de mai 2016 (en tout cas, il est classé 159ème sur l’ensemble des sites web les plus fréquentés en France, selon Similar Web Trafic, mars 2016). Malgré l’intensité de la concurrence sur le marché de la rencontre en ligne, Meetic arrive à comptabiliser environ 25 000 nouveaux inscrits quotidiennement en Europe, dont autour de 5 500 nouveaux utilisateurs français ; et encore plus élevés au début de l’année 2016 (Datingland, 2016).

 

En termes d’efficacité annoncée, Meetic revendique environ 200 000 mariages, soit près de 6% des célibataires en France, ainsi qu’un million de couples formés entre 2005 et 2010 (ces chiffres monteraient jusqu’à 6 millions de couples formés avec Meetic selon une étude IPSOS en 2014). On estime aussi que Meetic pourrait être à l’origine de 60 000 naissances durant les sept premières années d’existence de ce site de rencontre (Datingland, 2016).

 

Avec son positionnement de « généraliste », Meetic fait front à pratiquement tous les autres sites de rencontre en ligne. A citer à titre d’exemples, Attractive World avec son caractère sélectif et les évènements qu’il organise entre ses membres, Elite Rencontre qui se spécialise pour les personnes de hautes CSP dont la majorité des diplômés, Adopte Un Mec où ce sont les femmes qui choisissent, etc. Il faut également citer les acteurs qui attaquent surtout du côté des applications mobiles tels que Tinder et Happn (ainsi que Once) qui se basent sur le principe de géolocalisation afin de proposer des profils. Devant ces concurrents qui attirent beaucoup l’attention des utilisateurs, notamment en tenant compte de la génération connectée moderne qui opte plus facilement pour les applications de rencontre, Meetic est obligé de se construire des stratégies robustes pour se tenir debout et garder son positionnement sur le marché de la rencontre en ligne.

 

Chapitre 2. Politiques stratégiques évolutives de Meetic pour une meilleure visibilité

 

Meetic est multi-stratège pour garder une meilleure visibilité auprès de son public car cette visibilité constitue une condition de survie pour le leader européen de la rencontre en ligne. Quelques stratégies sont alors identifiées qui sont censées accorder au Groupe cette visibilité plus intense et plus étendue.

 

I. La construction de la notoriété de Meetic

 

Pour comprendre la force stratégique de Meetic, il faut l’apprécier historiquement, durant les premières années d’existence du Groupe. En effet, il est possible d’attribuer la construction de la notoriété de celui-ci à ses cinq premières années, c’est-à-dire entre 2001 (plus précisément depuis la mise en ligne en avril 2002 du site) et 2005. On peut repérer trois principaux axes sur lesquels cette stratégie de construction de notoriété s’articule :

 

  • Le déploiement de versions adaptées de la plateforme Meetic en même temps que l’amélioration progressive du site en version française. Ainsi, des versions belges et espagnoles du site Meetic.fr ont été lancé en été 2002. Ensuite, la Société s’introduit dans les grands marchés européens à partir de 2003, à savoir la France, l’Espagne, l’Allemagne, le Royaume-Uni et l’Italie. S’ensuit ensuite, depuis octobre 2003 jusqu’à mi-2005, une expansion à l’échelle internationale sur d’autres marchés moins stratégiques mais sont toutefois dynamiques (Suisse, Autriche, Pays-Bas, Suède, Danemark, Portugal, et Luxembourg). Il faut citer également dans cet axe stratégique la mise en ligne d’une seconde version du site, plus aboutie et plus conviviale, en juillet 2004.

 

  • Une stratégie de partenariat dynamique auprès d’acteurs des médias (dont internet) et de la téléphonie mobile afin d’accroitre sa visibilité sur d’autres sites (ce point sera développé plus en détail dans la section III – Une stratégie de partenariat pour une visibilité accrue).

 

  • La mise en place de nouveaux sites qui déclinent du site générique de Meetic, censés élargir le périmètre ciblé par le Groupe tout en veillant à segmenter son offre pour mieux satisfaire les attentes de chacune des composantes du secteur de la rencontre en ligne. Dans cet axe, Meetic mobile a été lancé en France en été 2003 à travers un partenariat développé avec i-mode[4] de Bouygues Telecom ; ce site mobile a ensuite été dupliqué en été 2004, d’abord en Allemagne en partenariat avec Vodafone, puis en Espagne avec Telefonica. Le lancement du site Ulteem en 2005 (devenu actuellement Meetic Affinity) qui est une prémisse de diversification vers la rencontre affinitaire (matchmaking) rentre aussi dans cet axe. Enfin, il faut également citer le déploiement en France du site Superlol, devenu rapidement Superlov.

 

A côté de ces trois axes, on peut aussi associer à la construction de la notoriété de Meetic le développement d’activité évènementiel, le Meetic Live, surtout dans ses premières années. A travers des prestataires externes, des diverses opérations ont été réalisées autour du thème de la rencontre, plus précisément dans des soirées et/ou sorties loisirs réunissant non seulement les utilisateurs de Meetic mais également des personnes tierces potentiellement clientes (c’est par exemple le cas de la « Fête des Célibataires » lancée en France juste avant la Saint-Valentin 2003, devenue ensuite un rendez-vous annuel et dupliqué par Meetic dans d’autres pays). Certes, ces évènements ont été repris sous diverses formes en 2013 après des années de mise en veille, mais il faut souligner que, durant les premières années de Meetic, ils servaient surtout à asseoir sa notoriété auprès de son public : il y avait encore lieu de rassurer une partie assez réticente de sa clientèle potentiel à s’engager dans une démarche de rencontre en ligne en entamant d’abord par des opérations « offline ».

 

On peut confirmer que cette stratégie a été payante puisqu’elle a permis au Groupe de développer un contenu et un service de qualité acceptable par les utilisateurs permettant la duplication de ce dernier sur d’autres pays. La forte notoriété obtenue dans cette première période stratégique a alors été confirmée par l’introduction en bourse, en fin 2005, de Meetic pour financer son développement ainsi lancé, une phase très vite relayée par la croissance externe du Groupe.

 

II. Un développement accéléré par la croissance externe

 

Une seconde période stratégique pouvant être distinguée pour Meetic se situe entre 2006 et 2009, pendant laquelle il poursuivait de manière accélérée son développement à l’international, de façon à se construire un positionnement de leader sur les grands marchés où le Groupe était présent d’une part, mais également en vue d’une pénétration dans de nouveaux périmètres prometteurs. En effet, l’année 2006 peut être vue comme un tournant majeur pour le Groupe qui entamait alors une série d’acquisitions ciblées et sélectives. On peut ainsi distinguer une triple logique associée à cette politique de croissance externe du Groupe dans cette période :

 

  • Une expansion à l’international à travers cette série d’acquisitions qui a été couplée à la stratégie de partenariat du Groupe. Ce dernier a donc décidé de reprendre les activités des grands acteurs du secteur dont la plupart sont des leaders sur des marchés domestiques, ce qui confère rapidement à Meetic des positions dominantes dans les pays concernés. C’est dans ce sens qu’ont alors effectué les rachats des opérateurs suivants : eFriendsNet (Chine), Lexa.nl (Pays-Bas), ParPerfeito (Brésil), DatingDirect (Grande Bretagne), et Neu.de (Allemangne) (cf. Tableau 4 –Historique des acquisitions de Meetic de 2006 à 2009).

 

  • A partir de 2007, le Groupe se positionne déjà en tant que leader en Europe, et il a alors cherché à diversifier davantage son offre, mais aussi à optimiser son trafic (étant devenu un acteur de taille critique). On peut donc associer au rachat de Cleargay en 2009 une logique de segmentation en vue de compléter ses destinations envers la communauté gay.

 

  • Ayant acquis une position dominante sur la majorité des marchés européens, le Groupe a procédé à l’acquisition des activités Europe de Match.com, son principal concurrent dans cette zone. Cela a été réalisé pour apaiser la tension concurrentielle entre les deux groupes qui est certainement très coûteuse en investissement marketing, une concurrence frontale très intense du fait de la maturité de ceux-ci. De ce fait, ce rachat devrait permettre à Meetic de renforcer son positionnement de leader en Europe et donc d’étouffer la concurrence en ne laissant que très peu de place aux acteurs de taille plus modeste. Il faut aussi souligner que cette acquisition historique est censée transmettre à Meetic les fortes positions de Match.com dans les pays scandinaves et au Royaume-Uni sur lesquels Meetic enregistrait encore une marge de progression assez sensible. Enfin, cette stratégie d’acquisition devrait améliorer la rentabilité de l’ensemble de la nouvelle structure à travers une meilleure efficience entre synergie et coût : cela devrait être le cas avec la mutualisation des ressources techniques et des savoirs, d’une part, et la cessation de la bataille acharnée entre Meetic et Match.com qui occasionnait toujours un surinvestissement publicitaire.

 

Tableau 4 –Historique des acquisitions de Meetic de 2006 à 2009

Date acqui­sition Société Montant d’acquisition Chiffre d’Affaires à l’acquisition Taille (visibilité) Positionnement
Janvier 2006 eFriendsNet 20 millions $ 2.8 millions $ 4 millions de profils 1er réseau communautaire mobile et de rencontre en ligne chinois
Février 2006 Lexa.nl 11.5 millions € 4 millions € 100 000 profils actifs par mois dont 30 000 abonnés Acteur majeur de la rencontre en ligne hollandais
Mai 2006 ParPerfeito 28 millions € 4 millions € 8 millions profils dont 44 000 abonnés Premier site de rencontre brésilien
Janvier 2007 DatingDirect 27.3 millions € 16 millions € 4.5 millions profils dont 70 000 abonnés Leader historique de la rencontre en ligne britannique
Octobre 2007 FC&Co (Cleargay) 3 millions € 700 000 € 5 000 abonnés Leader en France de la rencontre gay en ligne
Janvier 2008 Neu.de 24.8 millions €   26 000 abonnés Deuxième acteur de la rencontre en ligne allemand
Juin 2009 Match.com 97.5 millions[5] 60 millions € 270 000 abonnés Il s’agit des activités Europe du leader mondial de la rencontre en ligne

Source : Genesta (Roux, 2010)

 

A l’issue de cette série d’acquisitions stratégiques, la visibilité à l’internationale du Groupe ne peut qu’accroitre, et la stratégie de partenariat contribue fortement à l’intensification et l’extensification de cette visibilité.

 

III. Une stratégie de partenariat pour une visibilité accrue

 

Il faut reconnaitre que le partenariat est une des stratégies-clés de Meetic pour améliorer sa visibilité, non seulement sur internet mais aussi sur le offline, et cela date même des premières années du leader européen de la rencontre en ligne. En fait, on peut identifier quatre types de partenariats développés par le Groupe sur ce point :

 

  • D’abord, il y a les partenariats pouvant être qualifiés de « directs » car ils se réalisent avec d’autres sites ou opérateurs de rencontre en ligne directement. Ainsi, par exemple, « une co-entreprise détenue à 50% par Meetic et à 50% Match.com a en effet été mise en place pour gérer leurs activités commune sur le continent sud-américain. Cela permettra d’agréger le site brésilien ParPerfeito détenu par Meetic et les activités de Match.com dans les autres pays d’Amérique Latine et d’Amérique du Sud» (Habian, 2010), Meetic étant détenu par alliance à 27% par Match.com. Le partenariat avec d’autres acteurs de la rencontre en ligne vient donc en complément de la stratégie d’acquisition qu’a fait Meetic vers la fin des années 2000.

 

  • Ensuite, il y a les partenariats noués avec les acteurs de la communication, ceux-ci est attendus conférer à Meetic une croissance de visibilité du fait des positionnements de ces partenaires. On peut alors voir rapidement des partenariats avec trois types d’acteurs dans ce sens. Il y a premièrement les acteurs de l’internet, dont les portails internet (tels que Yahoo, MSN, etc.), les sites de forte notoriété et à fort trafic (comme Virgin, Lastminute, eBay, etc.), les fournisseurs d’accès à internet (à l’image d’Orange, Alice, Free.fr, etc.), les sites communautaires (à l’exemple de Dada, ICQ, etc.). « Le trafic et l’audience générés par ces sites partenaires permettent à Meetic de capter une partie de leur audience et de la rediriger vers ses propres sites, la plupart du temps par la création d’une extension commune à Meetic et au site associé» (Roux, 2010). Deuxièmement, il y a aussi les acteurs des médias (y compris internet) comme TF1.fr, RTL (France, Luxembourg, Allemagne), Terra en Espagne, etc.

 

  • Puis, viennent les partenariats avec les opérateurs de téléphonie mobile et les développeurs d’applications mobiles, surtout en Europe en citant par exemple Orange, T-Mobile (Grande-Bretagne et Autriche), Vodafone, SFR, H2G (Italie), etc. En fait, Meetic veut être présent, non seulement sur ses plateformes traditionnelles mais également (voire surtout) sur les services et supports mobiles. Avec la vulgarisation des applications mobiles, la concurrence sur ce canal s’intensifie et Meetic s’efforce de trouver les bons partenaires pour faire face à des opérateurs majeurs comme Tinter, Happn et Once ; d’où des alliances avec Microsoft (applications Windows Phone, par exemple), SFR (pour le paiement sur facture mobile), etc.

 

  • Enfin, il faut citer les partenariats divers qui s’inscrivent surtout dans le cadre des évènements Meetic : avec des bars et autres lieux nocturnes (dont 80 bars en décembre 2012 lors des soirées « live » pour célibataires, par exemple), des opérateurs du secteur tourisme dans le cadre de l’extension des Events Meetic vers Meetic Voyage (Office du Tourisme de Crans Montana, Belambra en Corse, Alpitour en Grèce, etc.), voire des acteurs inattendus mais de notoriété forte (comme avec Salamander en 2015 ou encore Marionnaud pour les fêtes de Saint-Valentin 2016).

 

Malgré la multiplication de ces partenariats, on peut remarquer que Meetic est plutôt « sélectif » sur les acteurs qu’il qualifie de stratégique, ne gardant alors dans cette dimension que ceux qui disposent d’un rayonnement significatif et global. Ainsi, à la fin des années 2000, la Société n’a privilégié qu’une quinzaine de partenaires-clés ayant une visibilité élevée (MSN, Yahoo, Orange, etc.) parmi une centaine de sociétés qui collaborent déjà avec le Groupe. Il faut dire que Meetic possède un pouvoir de négociation très important sur ce point à cause notamment de sa taille critique : les partenariats sont susceptibles de durer un à deux ans en fonction non seulement du partage des revenus mais aussi sur la base de la performance des partenaires à apporter des valeurs ajoutées réelles à Meetic (en utilisant par exemple des indicateurs comme le nombre de clics vers les sites du Groupe, le taux de conversion, etc.).

 

IV. Stratégie de différenciation

 

Meetic a choisi de se positionner sur plusieurs segments différenciés pour mieux répondre positivement aux attentes spécifiques des cibles de clientèle. En fait, même en se comportant comme un prestataire généraliste, Meetic constate l’existence de nuances sensibles dans les valeurs d’usages et le comportement des utilisateurs des sites de rencontre surtout selon leurs affinités affectives et leurs âges. Il en découle la nécessite d’optimisation de l’offre de services à travers la proposition de prestations différenciées en fonction des cibles visées. Il faut reconnaitre que la Société s’est essentiellement positionnée sur des catégories de rencontre en ligne qualifiées de « sérieuses », par opposition à des activités de rencontre dite libertine (rencontre « sexy » ou « coquine »).

 

Meetic a notamment cherché à développer une offre la plus complète possible, à des services différenciés. Principalement, on peut identifier trois grands types de services offerts ainsi par la Société :

 

  • D’abord, il y a les services de rencontre classique (dating) à travers la marque « Meetic » : ceux-ci répondent plus spécialement aux besoins d’une clientèle assez jeune (25-35 ans, voire jusqu’à 40 ans) ;

 

  • Ensuite, il y a les services de rencontre affinitaire (matchmaking), par la marque « Meetic Affinity », qui s’adressent notamment à une clientèle relativement plus âgée (de 35-40 ans et plus) ;

 

  • Enfin, il y a les services de rencontre plus « légère » qui se trouve à la frontière du réseau social (flirting), essentiellement via la marque PeexMe qui ciblent surtout une clientèle beaucoup plus jeune (18 à 24 ans).

 

Par souci d’efficacité des investissements en marketing, le Groupe décide d’opérer une stratégie de marque « ombrelle » sur ses activités. En effet, les déclinaisons des prestations offertes par Meetic sont identifiables en tant que services intégrés à la marque Meetic tout en se positionnant distinctement. Depuis l’acquisition des activités Europe de Match.com, Meetic a mis en avant l’une ou l’autre marque du Groupe (Meetic Affinity ou Match Affinity) selon les zones géographiques. En effet, dans les zones où la marque Meetic devance en termes de notoriété et de parts de marché la marque Match.com, Meetic est alors mis en avant en matière d’investissement marketing (et vice-versa). Il en est ainsi concernant les pays scandinaves et en Grande-Bretagne dans lesquels la marque Match.com tenaient une position relativement dominante. En tout cas, sur d’autres marques acquises par le Groupe, la politique de celui-ci va dans le sens de la migration vers la marque Meetic/Match, à l’exemple de DatingDirect dont les activités ne font plus l’objet d’investissements marketing significatifs pour n’avoir qu’à gérer une politique de marque double (Meetic/Match) et cohérente.

 

Il est même possible de voir dans les stratégies de Meetic une volonté de se positionner en quelque sorte comme un « généraliste multi-spécialiste » dans le cadre de la préoccupation de fournir une offre complète tout en accentuant la différenciation des prestations. L’important pour la Société est de s’efforcer à trouver une bonne synergie dans les différents services qui ne devraient être que complémentaires.

 

V. Une capacité d’adaptation comme condition de pérennité

 

Tenir le positionnement de leader en résistant aux assauts de la concurrence dans un environnement toujours bouleversé par une évolution technologique continuelle n’est pas chose aisée. C’est ainsi que Meetic s’efforce d’être présent sur les dimensions très influencées par ce bouleversement en mettant au premier plan (selon les segments de clientèle) une offre adaptée. Ainsi, avec la montée en puissance des technologies mobiles, le Groupe essaie de maintenir sa part du marché face à des concurrents de taille comme Tinder et Happn : Meetic a, par exemple, noué un partenariat stable avec SFR pour anticiper la tendance vers le paiement mobile même si les utilisateurs privilégient toujours le canal internet traditionnel (pour le différencier du canal mobile) pour les transactions financières. On peut dire que cette capacité d’adaptation, notamment à travers une meilleure anticipation de l’évolution du marché, constitue un facteur de survie et de développement de Meetic.

 

Le leader européen de la rencontre en ligne a su également optimiser l’intérêt porté par ses utilisateurs (réels et potentiels) quant à l’équilibre recherché entre l’online et l’offline. En effet, il ne suffit plus de suivre la tendance de l’évolution des technologies numériques pour affirmer sa présence dominante sur internet : les utilisateurs a également besoin de « l’humanisation », de contact avec la « vraie vie » afin d’atténuer les effets de cette sorte d’automatisation et de standardisation qui tend à remplacer l’Homme par la machine. C’est probablement dans ce sens que Meetic a décidé de montrer à son public (utilisateurs ou non) qu’il se soucie de cet équilibre en reprenant les Events, activités longtemps abandonnées mais redynamisées depuis 2013. Cela rentre bien évidemment dans une volonté de rompre avec la standardisation (un peu obligée) de la production du fait du nombre considérable d’utilisateurs.

 

De plus, le Groupe développe cette stratégie d’adaptation également dans le sens d’une adaptation de son offre aux spécificités des contextes locaux, c’est-à-dire au-delà de la standardisation. Sans se détacher des principes et valeurs portées par la marque Meetic à travers ses différentes plateformes, le Groupe a senti cette nécessité de s’adapter au besoin de personnalisation émanant des utilisateurs des divers pays d’implantation de Meetic. La multiplication des offres et les rachats et partenariats développés par le Groupe s’inscrivent dans cette stratégie d’adaptation à travers la personnalisation répondant aux attentes des utilisateurs locaux. Alexandre Lubot, CEO Europe de Meetic, confirme tout cela : « Notre secret, c’est l’innovation, l’adaptation permanente à la fois aux nouvelles technologies mais aussi aux évolutions sociétales, tout en restant à l’écoute des besoins de nos clients. C’est la clé » (Rolland, 2016).

 

VI. La place cruciale de la communication

 

Finalement, il faut admettre que la communication est le véritable cheval de bataille de Meetic pour maintenir et améliorer son positionnement, pour accroitre sa visibilité et pour riposter contre ses principaux concurrents. Force est également de faire le constat que Meetic n’est pas une exception dans ce secteur : « Pour conserver un volume important de membres, les sites doivent investir massivement dans la communication », comme l’explique Frédéric Estève, senior manager au sein du cabinet de conseil en stratégie et management de Vertone (Lestavel, 2013, p. 96). En fait, il ne faut pas seulement convaincre les clients potentiels mais également inciter les utilisateurs déjà présents sur les sites de Meetic à dépenser davantage : en effet, « le coût d’acquisition d’un membre étant élevé, il faut s’assurer ensuite qu’il renouvelle son inscription d’un membre étant élevé » (ibid.).

 

Même si Meetic communique de moins en moins (surtout ces dernières années) des statistiques sur son chiffre d’affaires et ses dépenses (dont en communication), il apparait que le Groupe réalloue au marketing publicitaire une large part de ses recettes. C’est compréhensible lorsqu’il est tenu en compte que la question de visibilité est primordiale pour les acteurs présents essentiellement sur internet tel qu’il est, notamment en présence d’une concurrence frontale intense. Se développer devient même une voie obligé à prendre pour survivre, et perdre son positionnement de leader sur le continent européen lui causerait inévitablement des dégâts plus que conséquents jusqu’à l’évincer du secteur.

 

Ainsi, Meetic s’est toujours efforcé d’être innovant en matière de communication publicitaire, surtout depuis qu’il a pu asseoir une notoriété forte. Ses campagnes publicitaires sont assez ciblées et adaptées à ses objectifs stratégiques : mettre en avant sa modernité empathique en 2006 avec « plus jamais seul », convaincre les femmes de la légitimité de s’inscrire sur le site de 2007 à 2012 avec « les règles du jeu ont changé », l’efficacité de Meetic et la connexion du virtuel au réel en 2013 avec « real people » (muni de témoignages d’utilisateurs), la possibilité de trouver l’âme sœur sans être des figures célèbres rendant « hommage aux gens normaux » en 2014, et l’importance de ne pas cacher ses imperfections lors des rencontres avec la célèbre campagne « Love Your Imperfections » en 2015 (reprise d’une autre manière pour 2016).

 

Cette nécessité d’investir massivement en communication constitue un point qui différencie les sites de rencontre avec les acteurs des réseaux sociaux. Pour ces derniers, de par « l’effet de réseau », il suffit d’atteindre et dépasser le seuil critique en matière de nombre d’utilisateurs pour être à l’abri, en quelque sorte, de la décroissance : en effet, à partir de ce moment, le nombre d’utilisateurs ne peut que croitre du fait de l’utilité quasi-permanente de recourir au site (de réseau social) pour eux. Ce qui n’est pas vraiment le cas pour les sites de rencontre même s’ils atteignent une taille considérable puisque l’utilité de recourir à ceux-ci disparait tout de suite dès que l’utilisateur obtient ce qu’il a cherché (ou bien lorsqu’il découvre une certaine inefficacité des services qu’on lui propose et que le site de rencontre en question ne fait que le retenir et lui soutirer davantage d’argent). Il faut alors dire que la présence d’un utilisateur sur un site de rencontre n’est pas censée durer que temporairement, généralement, surtout pour un acteur comme Meetic qui mise surtout sur les types de rencontre dite « sérieuse ». On comprend alors l’indispensabilité d’une communication efficace auprès des cibles aussi bien pour conquérir de nouveaux clients que pour les retenir aussi longtemps que possible sur les sites de Meetic.

 

En somme, Meetic recourt à une multitude de stratégies pour survivre et se développer (le développement étant une condition de survie dans le secteur), dont une stratégie de différenciation, une stratégie d’adaptation, une stratégie de partenariat et un investissement de masse en marketing. L’important est d’ailleurs d’améliorer la visibilité de Meetic conquérir davantage de nouveaux clients, le marché étant encore largement explorable : Alexandre Lubot (CEO de Meetic Europe) affirme que, « depuis dix ans, le nombre de célibataires a augmenté de 12% en France et le nombre de mariages a reculé de 9% » (Rolland, 2016), c’est-à-dire que la taille du marché potentiel s’élargit au fil du temps. Toutes les informations vues jusqu’à ce niveau de la présente étude devraient permettre une analyse concurrentielle plus complète de Meetic.

 

Chapitre 3. Analyse concurrentielle de Meetic

 

Il importe de se focaliser sur deux outils d’analyse concurrentielle pour étudier le cas de Meetic : le modèle des cinq forces de Porter et l’analyse SWOT (Strengths, Weakness, Opportunities and Threats : Forces, Faiblesses, Opportunités et Menaces).

 

I. Modèle de Porter

 

Voici un aperçu des éléments du modèle (cf. Figure 3 – Analyse des 5 forces concurrentielles de PORTER pour Meetic) :

 

  • Etat de la concurrence: Meetic fait face à pratiquement tout type de concurrents présents sur le secteur de la rencontre en ligne. Cela est dû nécessairement à son choix de se positionner comme un acteur généraliste-multi-spécialiste. Mais, sa position de leader sur le marché européen met une nuance sur l’intensité de la concurrence. Désormais, ses principaux concurrents sont essentiellement des acteurs spécialisés qui exploitent des marchés de niche.

 

  • Nouveaux entrants: Le marché présente encore un large potentiel d’exploitation, et cela attire de nouveaux acteurs. Alexandre Lubot (CEO de Meetic Europe) a ainsi déclaré : « Notre secteur présente très peu de barrières à l’entrée, donc il est très facile de lancer un nouveau produit » (Rolland, 2016). Il en est ainsi par exemple des développeurs de nouvelles applications mobiles (dont Once) qui tentent de se frayer un chemin parmi les concurrents majeurs de Meetic (dont Tinder et Happn).

 

  • Produits de substitution: Tous les « autres lieux » de rencontre (autres que la rencontre en ligne, cf. Partie 1. Chapitre 3. I. 5 – Les réseaux sociaux) constituent des produits de substitution des offres de Meetic, au même titre que les agences matrimoniales et peut-être aussi les réseaux sociaux (cela dépend de leur positionnement futur). Avec l’extension des activités « Events » vers « Meetic Voyage », le Groupe essaie de se rapprocher progressivement de ces « autres lieux », voire les intégrer pour alléger l’intensité de la concurrence avec ces produits de substitution.

 

  • Pouvoir de négociation des clients: Certes, la densité des acteurs de l’offre et l’intensité forte de la concurrence accorde un pouvoir de négociation important pour les clients. Mais, le positionnement de leader de Meetic joue en contresens et nuance le degré de ce pouvoir des clients.

 

  • Pouvoir de négociation des fournisseurs: ici, il faut entendre surtout les différents partenaires de Meetic. Le pouvoir de négociation de ceux-ci dépend de leurs tailles et de leurs positionnements stratégiques en matière de visibilité : le risque pour les partenaires stratégiques est donc que ceux-ci décident de s’allier avec les concurrents de Meetic.

 

Figure 3 – Analyse des 5 forces concurrentielles de PORTER pour Meetic

 

 

II. Analyse SWOT

 

L’analyse SWOT de Meetic (cf. Tableau 5 – Analyse SWOT de Meetic) permet de retenir les constats suivants :

 

  • Les principales forces du Groupe reposent surtout sur sa position de leader, sa taille critique, et son caractère d’acteur majeur non seulement sur son propre secteur mais également sur celui d’internet. Cela le rend stratégique également pour ses partenaires, ce qui devrait conforter davantage son positionnement de leader, d’où un effet auto-renforçant bénéfique pour Meetic. Tout cela facilite aussi l’expansion de celui-ci vers les nouveaux marchés (en termes d’activités-produits/services et géographique).

 

  • Les facteurs (internes à l’entreprise) de faiblesse de Meetic résident au niveau de la rentabilité compromettante de ses activités : non seulement il enregistre des reculs importants sur ses ventes mais ses coûts d’exploitation ne cessent pas de croitre. Meetic souffre d’un problème d’optimisation de sa production.

 

  • Le potentiel d’extension du marché des célibataires et la possibilité de nouer des partenariats avec des acteurs stratégiques peuvent être considérer comme des opportunités réelles pour Meetic.

 

  • En revanche, les principales menaces pour le Groupe se situent au niveau de la concurrence : concurrence frontale qui risque toujours de s’intensifier d’une part, et existence de produits de substitution encore difficilement intégrables aux offres de Meetic (même si des progrès sont réalisés sur ce point par la Société).

 

  • Deux facteurs (externes à l’entreprise) s’imposent à la fois comme opportunités et menaces pour Meetic : les évolutions des TIC d’une part, et le développement effréné des réseaux sociaux d’autre part. Leur caractère opportunités-menaces dépend pour Meetic de la capacité de celui-ci à intégrer les évolutions technologiques et à impressionner les acteurs des réseaux sociaux pour nouer avec eux des partenariats stables, pérennes, mais également bénéfiques pour le Groupe.

 

Tableau 5 – Analyse SWOT de Meetic

  Forces Faiblesses
Facteurs interne à l’entreprise –     Leader sur le marché européen de la rencontre en ligne avec des dizaines de millions de profils actifs

–     Forte notoriété surtout sur les types de rencontre « sérieuse » et complémentarité des notoriétés Meetic-Match.com

–     Disposition d’une très grande base de données permettant une analyse pertinente du marché

–     Capable de suivre la tendance dictée par les évolutions technologiques

–     Présence sur de multiples marchés (sur pratiquement tous les segments de clientèle cible, des services diversifiés, avec adaptation aux besoins locaux)

–     De nombreux partenariats pour une meilleure visibilité avec des acteurs stratégiques

–     Politique d’expansion à l’international

–     Trop d’investissement dans le marketing

–     Service payant (mais cela pourrait constituer également un point fort pour le Groupe du fait de son positionnement affirmé sur la rencontre « sérieuse »), mais avec un relatif meilleur tarif sur son secteur, la rentabilité risque d’être pénalisé

–     Chiffre d’affaires annuel instable, en recule sur le moyen terme ; en revanche, les charges d’exploitation évoluent en hausse jusqu’à engendrer une perte d’exploitation pour la Société en 2015 (cf. Figure 4 – Evolution du chiffre d’affaires et des charges d’exploitation de Meetic)

  Opportunités Menaces
Facteurs externes à l’entreprise –     Forte évolution des technologies d’information et de communication (TIC) : une source de différenciation et de diversification des activités pour Meetic, mais ouvrant aussi la voie à de nouveaux concurrents

–     Les réseaux sociaux : potentiel de développement à travers des investissements marketing conséquents sur ces réseaux, voire un partenariat avec ces derniers ; autrement, ces réseaux sociaux risquent de se positionner comme concurrent de Meetic en développant leurs propres offres en matière de rencontre

–     Croissance du marché potentiel à cause de l’augmentation du nombre des célibataires

–     De nombreux partenariats (réels et potentiels)

–     Présence de nombreux concurrents de taille (essentiellement sur des marchés de niche) avec peu de barrière aux nouveaux entrant sur le secteur de la rencontre en ligne

–     Forte concurrence à l’international, le marché américain étant par exemple difficilement pénétrable pour Meetic

–     Présence de plusieurs produits de substitution à la rencontre en ligne

 

Figure 4 – Evolution du chiffre d’affaires et des charges d’exploitation de Meetic

Source : Verif.com (2016)

 

 

Chapitre 4. Synthèse, perspectives et recommandations

 

Pour faire la synthèse des analyses faites précédemment, il convient de citer les principaux facteurs de succès de Meetic. Cela permettra ensuite d’envisager les perspectives d’avenir pour ce leader incontesté de la rencontre en ligne. Le présent chapitre mérite d’être conclu, enfin, par quelques recommandations issues des analyses effectuées jusqu’à ce niveau de l’étude.

 

I. Les facteurs-clés de succès de Meetic

 

De tout ce qui précède, en guise de synthèse, on peut dégager les facteurs de succès de Meetic suivants :

 

  • Optimiser l’extraction de la valeur en faisant payer les internautes. En fait, il faut reconnaitre que la monétisation sur internet est une chose assez complexe, et un succès proche peut très vite sombrer dans un total échec si le mode d’extraction de la valeur ajoutée n’est pas adapté. A priori, cela ne devrait pas poser tant de problème en appréhendant les services offerts par les sites de rencontre en ligne comme une simple projection sur la dimension « internet » des prestations des agences matrimoniales. En effet, ces derniers n’ont pas vraiment de peine à faire payer leurs « clients ». Mais, quelques éléments complexifient la situation, dont entre autres :

 

  • D’abord, et surtout, la cohabitation avec des business models qui proposent des services quasi-gratuitement dans le même secteur : en faisant abstraction à d’autres éléments de différenciation avec ces autres acteurs de la rencontre en ligne, un arbitrage rationnel entre eux et les services payants sera certainement en défaveur de ces derniers.

 

  • Ensuite, il y a aussi des services de substitution sur internet comme les petites annonces de rencontre qui offrent des prestations quasi-similaires à la rencontre en ligne sur certaines points mais ne font pas payer que la mise en relation, la consultation et la publication sont accessibles gratuitement.

 

  • Enfin, la plupart des grandes communautés existant sur internet (dont celles des réseaux sociaux) ne font pas payer (du moins directement, une large majorité d’entre elles se rémunèrent par la publicité) leurs « utilisateurs ». En fait, cette notion « d’utilisateur » apparait mieux intégrée dans le contexte d’internet, plus familier des internautes.

 

Il faut alors trouver un moyen pour faire payer les utilisateurs, et le positionnement de Meetic en tant qu’acteur essentiellement présent sur la rencontre « sérieuse » lui confère cette possibilité dès lors que l’accent est mis sur les éléments de différenciation avec les autres acteurs de la rencontre en ligne.

 

  • Adopter un positionnement attractif car répondant à un problème sociétal sérieux et avéré qu’est la solitude, et ainsi le besoin davantage de social dans un domaine plus intime. Certes, ce n’est pas « tout le monde » qui éprouve de la difficulté à trouver par lui-même (sans aide d’une tierce personne) la solution à ce problème, mais c’est « pratiquement tout le monde » qui éprouve ce même besoin. On peut alors dire que Meetic a su trouver la manière d’intégrer progressivement l’ensemble des célibataires dans ses offres, ceux-ci se sentant alors concernés par celles-ci.

 

  • Comprendre les enjeux de la communication. En effet, Meetic a compris que l’effet de réseau ne suffit pas à faire survivre et à faire développer ses affaires sur internet, à côté des grands portails qui bénéficient largement de cet effet de réseau. Désormais, les offres des sites de rencontre en ligne peuvent être associées à des produits qui, si efficaces, ne sont utiles qu’une seule fois. La conquête permanente de nouveaux clients est alors incontournable, d’où l’allocation d’une large partie des recettes de Meetic à son budget publicitaire. La question de visibilité est vitale pour des acteurs comme lui, où la croissance est synonyme de survie.

 

  • Disposer d’une taille conséquente pour attirer de nouveaux utilisateurs. Bien que l’effet de réseau ne s’applique pas dans sa plénitude pour le cas des sites de rencontre en ligne, il l’est plutôt en matière de nombre d’utilisateurs : plus il y a d’utilisateurs, plus ceux-ci ont de la chance de trouver ce qu’ils recherchent, et un nouvel utilisateur potentiel penchera davantage sur le site qui présente le plus de trafic (en faisant abstraction à d’autres critères de recherche fixés par cet utilisateur potentiel).

 

  • Etendre le marché vers l’international. Cela permet de soulager la concurrence et de bénéficier des expériences réussies dans un pays qu’il convient d’exporter dans un autre.
  • Développer une croissance externe à travers des partenariats, voire des acquisitions. Meetic a pris conscience très tôt de l’importance de nuancer ou même de tuer la concurrence, et le rapprochement avec certains concurrents stratégiques est une des meilleures voies pour y arriver. Cela donne ainsi l’occasion de soulager aussi le budget qu’il faut allouer au marketing.

 

  • Optimiser l’offre entre l’online et l’offline. C’est la combinaison des deux qui peuvent satisfaire vraiment les attentes d’un utilisateur des services Meetic : étant présent fondamentalement sur l’online, les Events organisés par Meetic sont destinés à opérer cette combinaison recherchée par l’utilisateur.

 

  • Multiplier le canal de communication et de distribution. Meetic connait le caractère « multicanal » (voire « cross-canal ») des utilisateurs, et il a saisi toutes les opportunités pour être présent à où ceux-ci l’attendent.

 

En somme, le véritable point fort qui a permis à Meetic de garder une position dominante sur plusieurs marchés pendant une aussi longue période serait sa capacité d’adaptation au changement de contexte. Cela étant grâce notamment à sa capacité d’anticipation en gardant un œil sur tous les indicateurs pouvant pointés sur des éventuels changements susceptibles d’affecter son marché.

 

II. Perspectives

 

Le marché de la rencontre en ligne devrait être en croissance, au moins sur le moyen terme, et cela est favorisé par des facteurs démographiques et sociologiques dont la croissance du nombre de célibataire, une croissance démographique (« naturelle ») accompagnée d’une hausse du nombre de divorces et le retardement de l’âge pour se marier. L’état actuel de la concurrence expose toujours Meetic au risque de perdre une grande partie des clientèles potentielles étant donnée cette forte attraction de nouveaux acteurs de l’offre que présente le secteur de la rencontre en ligne. Néanmoins, il faut s’attendre à ce que les acteurs majeurs présents sur ce marché cherchent à raffermir leurs positions respectives, et cela devraient favoriser leur rapprochement (entre eux). Une perspective de concentration du secteur est alors probable dans ce cas de figure, donnant lieu à deux grandes catégories de business models :

 

  • D’un côté, les prestataires de services payants parmi lesquels la concentration pourrait être la plus importante. Meetic ne s’intéresserait bien évidemment qu’à des alliances qui lui paraitraient stratégiques. Les autres acteurs pourront décider de s’allier entre eux au risque d’être évincés du marché. Le rapprochement est d’autant plus utile que les évolutions technologiques contraignent davantage les acteurs de l’offre à détenir les moyens suffisants pour investir dans ce sens, d’où l’importance de l’alliance pour mutualiser les techniques, les mains-d’œuvre et les moyens pour s’adapter aux mutations de l’environnement.

 

  • D’un autre côté, les acteurs qui offrent des prestations quasi-gratuitement vont chercher à se développer en se rapprochant autant que possible du business model des réseaux sociaux. Les petits acteurs qui n’atteindront pas une taille suffisante pour se développer pourront laisser la place aux acteurs majeurs. Comme l’expérience du passé l’a montré, une partie de ces « réseaux sociaux de rencontre en ligne » vont se convertir en prestataires payants lorsqu’ils atteignent une taille critique.

 

Jusqu’ici, Meetic hésite entre deux grandes stratégies à choisir (selon Porter (1986), de telle hésitation pourrait être fatale pour lui) : D’une part, une stratégie de domination par le coût en pratiquant le meilleur tarif sur le marché et, d’autre part, une stratégie de différenciation. En constatant la perte progressive de rentabilité que le Groupe continue d’enregistrer ces dernières années, il est attendu que celui-ci opte surtout pour la deuxième stratégie, le monopole du secteur lui sera difficile d’accès.

 

III. Recommandations

 

Il n’est pas question pour Meetic de garder le statu quo, cela le conduit certainement vers un déclin inévitable (il a semble-t-il commencé à enregistrer une perte assez conséquente à partir de 2015). Meetic a besoin davantage d’innovation, le secteur en requiert lui-même : une innovation en appelle une autre. Certes, le Groupe dispose actuellement d’une très forte notoriété sur son secteur, voire ailleurs ; mais, encore faut-il insister sur les enjeux de la visibilité non seulement à l’intérieur du secteur puisqu’il est plus important encore pour les acteurs de l’offre de trouver les moyens pour faire intégrer dans ce secteur les individus qui n’y sont pas encore présents. Autrement dit, la véritable question pour la pérennité et le développement de Meetic concerne sa visibilité par rapport à ceux qui ne s’intéressent pas encore à la rencontre en ligne, à ceux qui ne trouvent pas d’intérêt à un service « d’aide » à la rencontre.

 

Même s’il faut admettre que le niveau d’investissement déjà réalisés par Meetic en marketing publicitaire est à la hauteur des enjeux de visibilité pour ses activités, il faut souligner la nécessité d’une meilleure optimisation des dépenses en vue d’une utilisation plus efficace du budget alloué à la communication du Groupe. Dans ce contexte, il faut penser à deux grandes catégories de publics auxquelles il y a lieu d’utiliser les outils adaptés en matière de communication :

 

  • Les individus qui éprouvent de la difficulté à trouver leurs âmes-sœurs et ont alors besoins d’accompagnement, qu’ils en ont conscience ou non. Il faut dire que la majeure partie des efforts en termes d’investissement réalisés par le Groupe sont essentiellement dédiés à cette catégorie d’individus. La préconisation à émettre sur ce point concerne les innovations que Meetic devrait poursuivre en matière de communication publicitaire, des innovations qui découleraient des besoins identifiés émanant de ce public particulier.

 

  • Les autres individus qui n’ont pas du mal à satisfaire leurs besoins sociaux en matière de relation intime, et donc ne voient pratiquement aucune utilité pour les services de rencontre (en ligne ou non). A priori, les acteurs de l’offre pourraient considérer cette catégorie de publics comme des « non-consommateurs absolus » de leurs prestations. Or, la part de cette catégorie dans la communauté des célibataires pourraient être largement dominante (par rapport à l’autre catégorie). Négliger ce type de publics revient alors à rétrécir le marché de la rencontre en ligne, ce qui signifie une presque saturation du secteur. L’essentiel des préconisations qui va suivre se focalise pour une grande partie à cette catégorie encore peu exploitée par les sociétés de rencontre en ligne.

 

Un questionnement important découle de ce qui précède : comment alors intégrer la deuxième catégorie de publics évoquée ci-dessus dans la rencontre en ligne ? Serait-ce possible ? Répondre par l’affirmatif à ces questions serait un peu trop gratuit, mais nier la possibilité qui s’offre dans ce sens serait aussi une erreur stratégique majeure. On préfère alors reformuler le questionnement ci-dessus en ajustant le sens de l’intégration : comment Meetic peut-il s’intégrer dans cette catégorie de publics ? En effet, au lieu d’attirer les gens qui ne s’intéressent pas aux activités de Meetic (ce qui ne devrait pas être impossible, mais certainement très couteux), celui-ci devrait plutôt se déplacer vers eux, pour montrer à ceux-ci qu’il s’intéresse à leurs activités, à leurs situations, à leurs vies. En d’autres termes, cela implique une extension du périmètre d’action de Meetic, voire en la neutralisation des frontières qui séparent traditionnellement les deux catégories citées plus haut.

 

Il ne s’agit pas ici de faire l’inventaire exhaustif des possibilités pour y arriver ; l’idée est simplement de montrer l’existence de cette possibilité à l’aide d’exemples illustratifs. Ces derniers concernent deux cas de partenariats stratégiques qui conféreraient probablement des bénéfices considérables au leader européen de la rencontre en ligne (en le permettant de sortir de son domaine d’activité traditionnel) :

 

  • Le premier exemple de partenariat concerne les relations d’affaires pouvant être noués avec les réseaux sociaux. Les deux catégories de publics citées plus haut sont largement représentées sur ces plateformes qui ne sont pas encore un acteur explicite du secteur de la rencontre. L’idée est de chercher à créer une interaction entre les portails de Meetic avec ceux de ces réseaux sociaux de manière à attribuer des rôles actifs dans la rencontre en ligne les individus qui ne se sentent pas concernés par cette dernière. Par exemple, Meetic pourrait publier des annonces sur les réseaux sociaux auxquelles les membres de ceux-ci peuvent consulter, répondre, et transmettre à des personnes qui sont susceptibles d’être intéressées à de telles annonces.

 

  • Le second exemple de partenariat concerne un tout autre très vaste domaine en forte croissance : l’économie collaborative[6]. Parmi les secteurs touchés par celle-ci, on peut citer le covoiturage, le logement collaboratif, le financement collaboratif, etc. L’idée est alors de mettre en avant les similarités de la rencontre en ligne avec cet environnement collaboratif (en développant par exemple la « rencontre en ligne collaborative »).

 

 

En guise de conclusion, le secteur de la rencontre en ligne présente un potentiel considérable de croissance, ce qui devrait encourager Meetic à trouver les meilleures voies pour profiter d’une extension maximale de son champ d’activité. En même temps, il faut aussi mentionner que c’est un secteur assez fragile car les activités génératrices de revenus pouvant y être exploitées sont éphémères vis-à-vis des utilisateurs. La situation de Meetic est particulièrement sensible étant donné la fébrilité de la productivité de l’industrie de la rencontre en ligne leader en Europe. Pour pouvoir profiter des opportunités du marché et atténuer les menaces qui pèsent sur lui, Meetic devrait étendre davantage son marché et soigner beaucoup plus sa visibilité auprès des publics autres que ceux dont il a l’habitude de côtoyer. Le partenariat avec des acteurs stratégiques dans ce sens est une voie à explorer par le Groupe avant que ses principaux concurrents ne le fassent à sa place.

 

 

Conclusion

 

Il est possible de définir la rencontre en ligne comme une projection de la rencontre « intermédiée » traditionnelle (dont le courtage matrimonial) dans la dimension « internet et technologies numériques ». De ce fait, il se place en concurrence avec d’autres modes de rencontres (faisant intervenir ou non une personne morale/physique pour aider/faciliter les rencontres entre nécessairement deux individus). La rencontre en ligne est surtout caractérisée par la présence dans ce secteur de grands acteurs qui ont su développer des business models efficaces en vue de la monétisation des prestations qu’ils offrent à leurs utilisateurs. Le marché de la rencontre en ligne est défini, d’une part, par une demande déterminée par les types d’utilisateurs et l’usage des services en présence sur ce marché et, d’autre part, par des offres très diverses.

 

Le secteur en question est fortement concurrentiel en considérant le nombre considérable d’acteurs de l’offre qui œuvrent sur ce marché, mais également en tenant compte des autres possibilités de rencontre et d’autres prestataires de services non directement associés à la rencontre en ligne mais pouvant se substituer à celle-ci. Néanmoins, ce secteur présente encore un potentiel de développement considérable au vu de la taille de la population-cible pouvant être considérée comme clientèle potentielle des sites de rencontre.

 

Le Groupe Meetic est un leader incontestable sur ce secteur, notamment pour le marché européen. Cela est essentiellement dû à une combinaison optimale de multiples stratégies en vue d’une meilleure visibilité du Groupe vis-à-vis de son public. Ainsi, Meetic a su asseoir une forte notoriété pendant les cinq premières années de son existence à travers la mise en place de versions adaptées de site Meetic, des partenariats dynamiques avec des acteurs de la communication, et le déploiement d’activités évènementielles. Le Groupe a, par la suite, entamé une série d’acquisitions pour renforcer sa présence et affirmer sa position de leader (notamment avec le rachat des activités Europe de Match.com). Il faut aussi insister sur la stratégie de partenariat poursuivie par Meetic avec des acteurs stratégiques pouvant lui conférer une visibilité accrue. Le leader européen de la rencontre s’est également efforcé à miser sur une stratégie de différenciation en se positionnant comme un acteur généraliste-multi-spécialiste. Le Groupe Meetic met aussi en œuvre une stratégie d’adaptation pour assurer la pérennité de ses activités sur les marchés locaux en optimisant entre standardisation et personnalisation des offres. Enfin, et non de moindre mesure, toutes ces stratégies sont supportées par un fort investissement en matière de marketing pour soutenir et améliorer la visibilité du Groupe.

 

L’analyse concurrentielle de Meetic révèle que celui-ci fait face à une concurrence frontale de densité et d’intensité accrue, mais sa position de leader nuance celle-ci. En se positionnant comme un acteur généraliste, le Groupe rivalise avec pratiquement tous les acteurs de l’offre présents sur le secteur de la rencontre en ligne, en plus de la concurrence indirecte venant d’autres secteurs. Les forces du Groupe résident essentiellement dans son positionnement de leader tandis que ses faiblesses se trouvent dans une diminution inquiétante au fil du temps de la rentabilité de ses activités. Si ses différents partenaires stratégiques lui procurent des opportunités de développement (surtout en termes de visibilité accrue), ce sont notamment l’intensification et l’extensification de la concurrence qui menacent le Groupe Meetic.

 

Ainsi, le Groupe devrait surtout penser à étendre son marché « traditionnel » en essayant d’atteindre également les publics qui ne se sentent pas encore concernés par la rencontre en ligne. Dans ce sens, il est préconisé à Meetic de développer davantage des partenariats avec des grands acteurs dans d’autres secteurs stratégiques censés lui conférer davantage de visibilité pour ces autres publics à cibler, à citer par exemple les secteurs des réseaux sociaux et de l’économie collaborative. De ce fait, cette extension du marché de la rencontre en ligne vers ces autres secteurs, qui ne sont pas très éloignés des sites de rencontre, constituent une multitude de pistes de recherche pour approfondir le présent travail de recherche.

 

 

Bibliographie

 

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[1] Appelés « marieurs/marieuses » dans l’Antiquité, puis « proxénètes » dans le monde romain chrétien, les courtiers matrimoniaux deviennent des agences matrimoniales en XIXème siècle. « L’Indicateur des mariages, l’ancêtre du journal matrimonial; il s’agit d’une feuille d’annonce que publie un « Bureau de confiance » dès la Révolution. Les premières feuilles matrimoniales sont donc celles que publient la plupart des agences qui se développent considérablement au XIXe siècle » (Gaillard, 2013).

[2] Typologie faite sur la base d’un inventaire de 1 045 sites de rencontres réalisé par Bergström (2011).

[3] Le service serait même disponible dans 89 pays dont 15 européens (Datingland, 2016).

[4] Un concurrent équivalent de WAP.

[5] La valorisation de l’apport en actions vaut 97.5 millions d’euros ; en outre, il y a 7.5 millions d’euros de Promissory Note.

[6] L’économie collaborative est « l’activité humaine qui vise à produire de la valeur en commun et qui repose sur de nouvelles formes d’organisation du travail, plus horizontales. Elle s’appuie sur l’usage plutôt que sur la possession entraînant la mutualisation des biens, espaces et outils ; sur l’organisation des citoyens en “réseau” ou communautés ; et généralement sur l’intermédiation par des plateformes Internet » (Duthoit, 2015, p. 15).

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