La Génération Y : Un Nouveau Paradigme du Travail et ses Implications
Chapitre I – Introduction
Le monde du travail tel que nous le connaissons aujourd’hui est né de la Révolution industrielle à la fin du XVIIIe siècle. Les membres de la société avaient alors pris conscience des inégalités sociales existantes et du fait que leur survie ne pouvait plus dépendre du seul travail de la terre : il leur fallait travailler en tant que main d’œuvre dans les usines. Pendant longtemps, le monde moderne du travail a été l’héritage laissé par le système taylorien d’organisation du travail qui a réduit les travailleurs au rang de simples facteurs de production.
Depuis, cette vision du travail a beaucoup évolué. Elle s’est faite non seulement au gré des évolutions sociales, notamment sous l’impulsion de la reconnaissance progressive des droits de l’homme, la naissance des Nations Unies ou la démocratisation. Mais elle s’est également faite grâce aux nombreuses évolutions technologiques qui ont profité au monde du travail, notamment celles des NTIC. D’un point de vue sociologique, de nombreuses générations de travailleurs se sont également succédé sur le marché du travail ces trois derniers siècles. De nos jours, trois générations y sont représentées.
La première et la plus ancienne des travailleurs actuels est la génération des baby-boomers. Celle-ci est née directement à partir de la fin de la Deuxième Guerre mondiale et pendant environ un peu plus d’une décennie, plus précisément entre 1945 et 1964. Ce sont donc des individus âgés entre 53 ans (majoritairement des cadres et responsables proches de la retraite professionnelle) et 72 ans (retraités). Numériquement, les baby-boomers étaient plus nombreux que la précédente génération dénommée génération silencieuse.
La deuxième génération qui est actuellement présente sur le marché du travail est dite génération X : elle est constituée d’individus nés immédiatement après les baby-boomers c’est-à-dire entre 1965 et 1977. Leur tranche d’âge varie donc de 40 à 52 ans : ce sont alors des travailleurs dotés d’une certaine expérience du monde du travail dont certains seront également à la retraite dans les années à venir.
Enfin, les plus jeunes travailleurs sont représentés par la génération Y, née entre 1978 et la fin des années 1990 : ils sont âgés entre 20 et 36 ans et leur vie professionnelle commence juste. Ce sont donc des jeunes hommes et des jeunes femmes. Par ailleurs, c’est cette dernière génération qui intéressera principalement la présente étude. Cet intérêt pour la génération Y est à la fois théorique et pratique. Théorique d’abord parce que plusieurs recherches scientifiques ont été consacrées aux générations des baby-boomers et des X alors que peu de recherches concernent à ce jour la génération Y. Cette recherche ambitionne d’apporter notre contribution à une meilleure compréhension de la génération Y.
L’intérêt est aussi pratique car il semblerait que la génération Y cherche à se démarquer de ses aînés baby-boomers et X. En effet, les entreprises où travaillent des membres de la génération Y éprouveraient une plus grande difficulté à les gérer contrairement aux générations précédentes qui accepteraient plus facilement les règles traditionnelles qui régissent le monde du travail et la gestion des carrières telles que l’ancienneté, le statut et la fonction, la promotion, etc. Leur présence obligerait même les entreprises à réfléchir à une nouvelle conception du management, ce qui conduirait à terme à une modification profonde du monde du travail. D’où tout l’intérêt porté à la génération Y dans le cadre de ce mémoire.
Cette étude s’inscrit dans une démarche visant à démêler le vrai du faux concernant les appréhensions qui existent à l’égard des individus Y et intéresse alors au plus haut degré les managers d’aujourd’hui qui ont déjà des Y au sein de leur équipe.
La problématique suivante sera au cœur de notre recherche : En quoi la génération Y peut-elle modifier le monde du travail ? Afin d’y répondre, nous allons adopter une démarche en trois tapes. Dans un premier temps, nous nous intéresserons au cadre conceptuel entourant la génération Y pour en comprendre l’étendue. Il s’agira alors de relever au niveau de l’état de l’art actuel les éléments qui permettraient de répondre à la problématique. Les sources utilisées seront constitués de tout article académique ou professionnel pertinent. Les caractéristiques de la génération Y, ses motivations ou encore sa vision du monde du travail feront partie des pistes à explorer (chapitre II).
Dans un deuxième temps, il conviendra de confronter les éléments de réponse obtenus dans la partie précédente à une étude empirique. Il s’agira de collecter des données en suivant une méthodologie adaptée à la résolution de notre problématique (chapitre III). Afin de donner une direction à cette recherche, nous émettons l’hypothèse de base que la génération Y va effectivement apporter du changement dans le milieu professionnel dans les années à venir. Sur la base de ce postulat, le chapitre suivant procèdera à la description et l’analyse des résultats obtenus (chapitre IV) qui permettront ensuite de répondre à la problématique et de confirmer ou infirmer l’hypothèse (chapitre V).
Chapitre II – Cadre conceptuel sur la génération Y
Le concept de génération Y est devenu à la mode depuis au moins une petite dizaine d’années, ce qui correspond au moment où ses premiers représentants ont intégré le marché du travail. On doit sa paternité au magazine américain Advertising Age qui l’a employé pour la première fois en 1993 (Boenisch, 2015 ; Reynaud et Petitbon, 2015). Les actualités qui la concernent sont nombreuses et on trouve de tout à son propos, notamment sur internet. En effet, il suffit de taper « génération Y » sur le moteur de recherche Google pour s’en rendre compte. Si internet est une source d’informations non négligeable sur la génération Y, c’est sans doute aussi parce que celle-ci est connue sous de nombreuses autres appellations très liées au monde des nouvelles technologies de l’information et de la communication. Entre autres, on peut citer digital natives, digital generation, dotcoms, net generation ou digital generation (Folon, 2012). D’autres appellations renvoient à l’idée que la génération Y est la première du nouveau millénaire, comme Millenials ou les enfants du millénaire, etc. Dans le ce mémoire, les dénominations seront utilisées indistinctement pour faciliter la lecture.
Il nous apparaît alors essentiel de procéder à une clarification conceptuelle, nécessaire pour une meilleure compréhension de cette frange de la population active. Pour cela, nous procèderons à une analyse thématique en quatre points de la revue de littérature disponible. L’objectif ici ne sera nullement celui de prendre position en faveur ou non des points de vue disponibles, mais simplement de les relater et de les analyser de la manière la plus objective possible.
Ci-après les quatre grandes thématiques sous l’angle desquelles la génération Y sera étudiée dans le cadre de cette revue de littérature :
- La génération Y possède des caractéristiques différentes des précédentes générations de travailleurs
- La génération Y a des motivations nouvelles
- La génération Y oblige l’entreprise à se transformer en profondeur
- La génération Y croit moins que les précédentes au monde du travail
II 1 La génération Y possède des caractéristiques différentes des précédentes générations de travailleurs
« Chaque génération s’imagine être plus intelligente que celle qui précède et plus sage que celle qui vient après elle ». G. Orwell
« Chaque génération se construit par opposition à la précédente ». Strauss et Howe.
Pour commencer avec cette première thématique, intéressons-nous aux caractéristiques d’ordre anthropologiques et sociologiques des individus membres de la génération Y. Nous avons déjà brièvement évoqué dans l’introduction que cette génération est constituée d’individus nés entre 1978 et 1997. Cependant, il convient de nuancer ce propos généralisateur car il n’existe, à cette date, aucun consensus quant à la période de naissance des Y, celle-ci étant très variable selon les auteurs (Folon, 2012). D’autant plus qu’elle est la seule génération à recevoir plusieurs noms. Folon voit dans ces deux formes de diversité de sérieux biais qui limitent le caractère scientifique des études réalisées jusque là sur cette génération.
Sans valider cette prise de position, celle-ci a au moins le mérite de nous faire prendre conscience de la nouveauté du concept de génération Y, de ses contours qui ne font pas l’unanimité et de la prudence qu’il convient d’adopter concernant les caractéristiques qu’on lui attribue. Du point de vue sociologique, cette génération représentait 13 millions d’individus en France en 2015 (Reynaud et Petitbon) et d’ici 2020 elle représentera non seulement la frange la plus importante de la population mondiale mais aussi la majorité des personnes actives.
D’ailleurs, si la génération Y a fait couler beaucoup d’encre ces dernières années c’est par rapport à son insertion difficile dans le monde du travail. La grande majorité des analyses auxquelles nous avons eu accès pour dresser cette revue de littérature donnent aux jeunes de cette génération certains caractères, attitudes et comportements qui ne seraient pas ceux de leurs parents et grands parents. Cette situation a favorisé la naissance de stéréotypes dévalorisants à leur égard du point de vue des entreprises (Meyronin, in Cohen-Bacrie, 2015).
Ainsi, les Yers seraient des électrons libres (Ordas, 2016) car moins engagés, moins concentrés et moins fidèles envers l’entreprise que ne l’étaient leurs prédécesseurs. Si les « Y » ont un problème à s’engager à long terme, c’est à cause de la situation actuelle de l’emploi dans plusieurs pays industrialisés : chômage important, problème de débouchés, environnement et conditions de travail plus incertains qu’auparavant. Les « Y » ont dû s’adapter à ce contexte plus difficile (Krassovsky, 2016a). Dès lors se pose l’enjeu de la fidélisation des « Y »
Le qualificatif d’ « hyperconnectée » est aussi souvent utilisé pour la désigner. L’usage étant même valable auprès de représentants de cette génération comme Duez. Selon Duez (2016), les Yers ont trois caractéristiques : elle est la première génération postmoderne (la première qui croit que le présent est plus sombre que le passé, alors que les baby boomers et les « X » étaient plus optimistes). Elle est aussi la première qui soit mondialisée (avec pour traits caractéristiques l’hyperconnexion, l’impatience, la recherche de la satisfaction immédiate et la vision à court-terme du travail). Enfin, elle sera la plus nombreuse dans la population active. Par son poids numérique en devenir, elle imposera de fait ses règles à l’entreprise.
Certains points de vue adoptent une position plus bienveillante à l’égard de la génération Y, lui trouvant des atouts ou prédispositions importantes pour occuper des emplois tant dans le secteur privé (Grosjean, 2016 ; Meyronin, 2016) mais également dans les collectivités publiques. Les atouts de cette génération sont l’aisance avec les outils numériques, la rapidité et l’agilité dans le travail, la facilitation des rapports sociaux notamment en matière de communication et qu’ils sont moins enclins que leurs aînés aux luttes de pouvoir (Communauté des communes du Val d’Essonne, 2016). Par contre, leur habileté numérique leur donne un levier contestataire contre les pouvoirs autoritaires comme l’ont montré les Printemps arabes (Dagnaud in Bœnisch, 2015).
Par rapport au travail, à l’entreprise et à leurs relations avec leurs managers, les Y seraient également différents des baby-boomers et des « X » (Cathiard, 2014). Ces derniers accordaient beaucoup d’importance au statut du chef, à la position et à l’ancienneté, en somme à une légitimité fondée sur un style de management top-down. Au contraire, les Gen Y n’accordent leur confiance à leur n+1 que si celui-ci leur démontre sa légitimité par un style de management basé sur un mode plus collaboratif, plus horizontal. Les Y ont la caractéristique de moins bien accepter que les anciens la relation traditionnelle de subordination qui existe dans le milieu professionnel et qui est même à la base du code de travail.
II 2 La génération Y a des motivations nouvelles
« Fais un travail que tu aimes et tu n’auras pas à travailler un seul jour de ta vie » Confucius
Non seulement les individus Y sont différents de leurs aînés, mais leurs motivations le sont également. Ce changement s’explique par les difficultés inhérentes au monde du travail actuel (chômage, précarisation de l’emploi, etc.) et le contexte général de crise sociale. Avec l’évolution rapide des technologies, la nécessaire adaptation des compétences doit se produire au même rythme. Les connaissances acquises par les études et les formations ne garantissent désormais plus la sécurité à long terme de l’emploi à laquelle avaient encore plus ou moins droit les précédentes générations de travailleurs, surtout les baby-boomers qui vivaient dans une ère de prospérité.
À cause des transformations induites par l’évolution technologique et économique sur la société et le monde du travail. Avec l’accroissement des incertitudes internes et externes inhérentes à l’environnement actuel du milieu professionnel, la génération Y a vu ses motivations transformées. Celle-ci répond au besoin d’adaptation rapide car détenir un emploi stable à long terme n’est plus garanti. Elle est devenue une génération raisonnant sur le court-terme, une génération pour laquelle un emploi en CDI ne signifie plus rien et pour qui seule la satisfaction immédiate prime.
Selon Duez, seuls les baby-boomers étaient garantis de bénéficier d’un emploi à vie au sein d’une même société. Certains membres de la génération X changeaient déjà d’entreprise en cours de carrière. A fortiori, les Y recherchent l’épanouissement à court terme au travail. Avec l’arrivée des Y sur le marché du travail, on assiste à un véritable bouleversement du paradigme : avant (baby-boomers et X), les employés devaient avoir une raison valable pour songer à quitter leur entreprise, aujourd’hui cette dernière doit suffisamment donner aux Y l’envie de rester. Cette évolution du pacte traditionnel entre l’entreprise et le travailleur est déroutante pour les managers.
Contrairement aux précédentes, cette génération s’inquiète de plusieurs « détails » comme ses rémunérations et ses RTT. Elle a rehaussé son niveau d’exigences envers l’entreprise et souhaite notamment travailler dans un environnement de travail propice : bon matériel, cafétéria, aires de repos, bonne ambiance de travail, organisation souple (Ordas, 2016). Le travail en lui-même n’est plus la priorité des Y qui opèrent volontiers un distanciement envers leur entreprise et leur manager, d’où une moindre fidélité et un moindre respect accordé au statut de sa hiérarchie (Grosjean, 2016). Ce sentiment a certainement favorisé l’émergence des nouvelles manières de travailler qui marquent la distance entre l’employeur et l’employé comme le télétravail ou le travail dans les espaces de coworking.
Pour autant, il serait incorrect de d’affirmer que les Y sont moins irrespectueux envers l’autorité : ils accordent leur respect à leur n+1 si celui-ci leur « prouve » sa légitimité par l’alignement de ses actes avec son comportement et son attitude. Car comme le soulignent plusieurs sources consultées (Zanus, 2016 ; Renouleau, 2012 ; Duez, 2016 ; Fournier, 2015), le leitmotiv des Y tourne autour de thématiques inédites comme la transparence (justifiée par le besoin d’information et le désir d’éviter les rumeurs qui est lui-même le fondement de la sécurité psychologique ; Zanus, 2016), la recherche du sens du travail, la qualité des relations humaines, etc.
Face à cette situation, Bensakoun (in Zanus, 2016) proscrit le management autoritaire et directif auquel étaient habituées les baby-boomers et les « X » et préconise un style de management plus humain fondé sur l’empathie, cette dernière devant l’emporter sur la technocratie. Les valeurs auxquelles les Yers croient sont le respect, la légitimité fondée sur le mérite et non le statut (Duez, 2016), l’égalité homme-femme, la justice sociale, la diversité, la responsabilité sociétale et environnementale des entreprises ou RSE (Fournier, 2015).
Renouleau (2012) estime que les attentes des Yers peuvent être classées en cinq catégories. Celles-ci seront reprises ci-dessous puisque nous estimons qu’elles donnent une vision globale et synthétique des motivations de la génération Y :
- l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle: désormais, les Y ne veulent plus « se tuer à la tâche » comme leurs parents dans leur quête de résultats et de statut au sein de l’entreprise qui les emploie. Si ces derniers plébiscitaient une longue carrière au sein d’une seule entreprise, les Yers recherchent avant tout un métier qui passionne, quitte à changer autant de fois qu’il ne le faut de métiers
- du sens : le Yer veut comprendre en quoi sa contribution améliore les autres, l’entreprise et le monde. Il est plus sensible à l’impact social et environnemental de ses actions
- une qualité des relations humaines : la génération Y cherche l’épanouissement au travail, la bonne entente entre collègues, une bonne ambiance de travail, la confiance mutuelle. Le bonheur au travail est une préoccupation qui tient à cœur les Yers
- du feedback constructif : les « Y » sont plus exigeants envers leur n+1 duquel ils attendent un feedback immédiat et personnalisé et une relation honnête avec celui-ci. La relation de subordination traditionnelle de nature verticale (top-down) est délaissée au profit d’une relation plus horizontale laissant place à une plus grande égalité
- le travail en équipe et la collaboration : le Y promeut une culture inclusive et souhaite vivre ses valeurs personnelles dans son environnement de travail. Ces valeurs sont entre autres le partage, la solidarité, l’échange, la collaboration, l’innovation, la créativité, le respect environnement, etc.
Adeptes de la philosophie « live now, work later » (vivre maintenant, travailler plus tard), on constate à quel point les Yers ont introduit une dimension émotionnelle dans le milieu professionnel (Communauté des communes du Val d’Essonne, 2016). Désormais, l’entreprise doit tenir compte de ces nouveaux besoins si elle veut prospérer, retenir ses travailleurs et limiter le turn-over de ses effectifs.
II 3 La génération Y oblige l’entreprise à se transformer en profondeur
« Le modèle classique des entreprises d’aujourd’hui a été façonné par nos grands-parents, à leur image, avec leur manière de travailler, pour répondre aux besoins de la société de l’époque (…). Nous, Millenials (…) nous nous sentons comme un meuble IKEA au château de Versailles !» in Konrad V., 2017
Selon des chiffres récents, la génération Y est la génération de travailleurs la plus touchée par le chômage de masse et de longue durée : en France, ce phénomène concerne plus d’un quart (25%) des travailleurs de moins de 25 ans soit cinq points de moins que la moyen-ne mondiale (30%). Par ailleurs, les Yers sont conscients qu’ils changeront de travail plusieurs fois durant leur vie active. Aux États-Unis par exemple, il y a actuellement plus de freelance que de CDI chez les jeunes de la génération Y (Fournier, 2015)
D’une part, l’évolution de l’environnement du travail et de la société en général et, d’autre part, l’évolution des motivations des travailleurs issus de la génération Y obligent l’entreprise à s’adapter en profondeur. Selon Cohen-Bacrie (2016), la présence des Y sur le marché du travail impacte sur les modes de management existants et la formation de managers au sein de l’entreprise. Celle-ci doit mettre en place une démarche globale de transformation digitale et des pratiques managériales fondée sur le besoin accru de transparence, de dialogue et de recherche du sens.
En effet, si les travailleurs plus âgés ont de la déférence pour le monde de l’entreprise et exécute les ordres sans poser de question, la génération Y souhaite qu’on lui explique davantage. Cette nécessité de faire de la pédagogie à leur égard est déstabilisante pour le manager traditionnel habitué à la relation de subordination (Communauté des communes du Val d’Essonne, 2016). Aujourd’hui, repenser la transmission des informations dans l’entreprise est devenu une nécessité étant donné la société de l’information dans laquelle nous vivons (Cohen-Bacrie, 2014 ; Cohen-Bacrie, 2016).
Le style de management préconisé est celui où le manager forme son jeune collaborateur tout en apprenant de lui (Cohen-Bacrie, 2016) notamment dans le domaine des NTIC où il est naturellement plus à l’aise. On parle alors de reverse mentoring quand un jeune collaborateur coache un dirigeant moins aguerri aux technologies et aux réseaux sociaux (Meyronin, 2016 ; Cohen-Bacrie, 2016). Le management traditionnel autoritaire (top-down) et le structuralisme rigide sont désuets. Ils doivent céder leur place à un management plus souple (Chaperon, 2015) permettant au Y de prendre l’initiative, de susciter un feedback de son n+1, de travailler avec plus de confiance, de développer ses compétences et son employabilité tout en satisfaisant son besoin plus prononcé de reconnaissance.
À ce titre, Manpower group (2016) recommande six pratiques aux entreprises : offrir la sécurité de carrière, être sensibles aux aspirations des Y, privilégier la variété et la mobilité des carrières, accepter la notion de carrière par étape et être souples, prévoir des entretiens de carrière réguliers et être ouvertes aux nouveaux modes de travail.
Malgré ces constats, le management en France est encore à dominance autoritaire alors qu’un management ouvert, motivant, exemplaire et éthique (Krassovsky, 2016a ; Malherbe, in Krassovsky 2016a), empathique et basé sur le dialogue (Cattiau in Krassovsky 2016c) plus animatrice, plus adapté à l’ère collaborative, à la logique délibérative et aux réseaux (Le Bras-Thomas in Krassovsky, 2016b) est préconisé.
Cette difficulté d’opérer au changement s’explique par la perte d’autorité ressentie par le manager traditionnel. En effet, sa place centrale fondée sur la nécessité de contrôle comme ce fut le cas au début du XXe siècle ne semble plus d’actualité avec les Y qui accordent plus d’importance au sens de leur travail et de leur mission. Il y a au moins deux raisons à cela et celles-ci sont liées aux caractéristiques et motivations des Y. D’une part, les atouts des Y (maîtrise de l’incertitude et maîtrise de l’outil numérique) font que même en l’absence de contrôle, les managers ont plus de facilité à effectuer le suivi des tâches de leurs collaborateurs. D’autre part, les Y ont adopté la culture dite du « deal » et du « win-win » (Reynaud et Petitbon, 2015) à court terme que nous avons généralement relevé auprès des différentes sources consultées.
Enfin, comme les Y ont du mal à s’engager à long terme à cause des difficultés inhérentes au monde du travail actuel (Masson in Ordas, 2016), l’entreprise doit proposer des aménagements souples (ex : sur les horaires en cas de contrainte, sur le lieu de travail, etc.) si elle souhaite limiter son turn-over. En définitive, l’avantage concurrentiel de l’entreprise repose sur la fidélisation des Y, d’autant que sa main-d’œuvre en sera majoritairement constituée dans les années à venir.
II 4 La génération Y croit moins que les précédentes au monde du travail
Plusieurs faits concourent simultanément à la perte de confiance en l’entreprise et au monde du travail en général de la part des jeunes travailleurs issus de la génération Y.
D’abord, cette dernière serait due à un sentiment croissant de déclassement causé par les inégalités économiques entre jeunes et retraités. Selon une vaste étude du Guardian, les retraités sont plus riches que les jeunes. Les Y sont aussi la génération oubliée de la croissance des trente dernières années (Boyer, 2016) : en France et aux États-Unis, le revenu disponible des Yers est de 20% inférieur à la moyenne nationale alors qu’en 1978 la tendance était inverse. Ceci explique sans doute la vision plus sombre que les Y ont de leur avenir et qui fait de cette génération la première du postmodernisme (cf. Duez).
Ensuite, elle est également une réaction symétrique au manque de confiance que l’entreprise témoigne à leur égard. Selon le baromètre OpinionWay – La Croix (novembre 2016), les responsabilités importantes (représenter l’entreprise, manager une équipe, résoudre un problème RH et gérer un projet important) échappent généralement aux jeunes. Les femmes, les chômeurs et les personnes vivant en province sont ceux qui ressentent le plus cette inégalité.
Par ailleurs, cette situation crée du mal-être au travail. Selon Sinek (in Boyer, 2016), si les jeunes Y sont malheureux au travail c’est en partie à cause du manque de bons managers au sein des entreprises qui ne les aident pas à (re)prendre confiance en eux, à leur apprendre la patience et la coopération par la mise en œuvre d’un management bienveillant et empathique. Enfin, la situation du marché actuel de l’emploi (chômage, précarité, etc.) est aussi responsable de la perte de confiance des jeunes envers le monde du travail.
Il semble correct d’affirmer que l’analyse des caractéristiques (électrons libres, hyperconnectés, impatients, etc.) et des motivations (épanouissement à court terme, satisfaction immédiate, nouvelles relations avec le n+1) des Yers montre en fait leur désir de reprendre en main leur avenir et de ne plus compter ni sur l’entreprise ni sur l’État ni sur un tiers (individu ou institution). Elle croit moins que les précédentes générations au statut de salarié d’autant plus qu’elle ne veut plus se tuer à la tâche comme ses aînés et qu’elle souhaite plus de temps libre.
En définitive, les nombreuses thématiques de sens, de transparence, d’engagement, de feedback, de collaboration montrent que la Gen Y souhaite devenir l’auto-entrepreneur de sa formation professionnelle. Selon Manpower group (2016), non seulement les actifs de la génération Y n’hésitent pas à mettre en avant leur employabilité pour évoluer dans leur carrière, mais 80% d’entre eux seraient prêts à quitter leur poste pour un autre à rémunération équivalente mais offrant davantage d’opportunités de formation. La même source indique que 34% des Yers envisagent de travailler en auto-entrepreneur contre 22% seulement en France.
Notre étude de la littérature montre que les « spécimens » de la génération Y sont différents de leurs ainés à plusieurs niveaux : leurs caractéristiques, leurs motivations et leur perte de confiance envers le monde de l’emploi tel qu’il existe aujourd’hui. Elle montre aussi que les Yers sont une force qui oblige l’entreprise à entamer des changements auxquels ses managers et dirigeants actuels n’ont pas forcément envie d’implémenter.
Ces différents angles d’analyse de la génération Y montrent que le monde du travail actuel est en pleine mutation et qu’il leur correspond de moins en moins. Une adaptation de l’entreprise semble nécessaire surtout que les Yers seront majoritaires dans le monde du travail dans les années à venir. À terme, tant les postes de managers que ceux des collaborateurs et, plus tard, ceux des dirigeants seront occupés par des Y alors que les X partiront progressivement à la retraite. D’ici là, la transition numérique et la transformation des organisations sous l’impulsion des Y devrait se dérouler (se poursuivre) en douce et elle semble déjà en cours dans certaines entreprises.
Chapitre III – Méthodologie de recherche
Le précédent chapitre de notre étude a montré que la génération Y est plus qu’un simple concept : il s’agit même d’une nouvelle manière d’appréhender le monde du travail par les jeunes spécimens issus de cette génération. À l’heure actuelle, l’entreprise semble face à un nouveau défi pour sa pérennité. Les managers qui ont à gérer des Yers dans leur équipe éprouvent souvent des difficultés à satisfaire leurs attentes. L’arrivée de cette génération sur le monde du travail pourrait amener des changements majeurs dans un futur plus ou moins lointain.
III 1 Problématique et hypothèses de la recherche
Si l’on s’en tient aux statistiques démographiques, on constate que non seulement la génération Y constituera 30% de la population mondiale d’ici 2020, mais qu’elle sera majoritaire également au sein de la population active puisqu’une bonne partie des « X » en activité partiront à la retraite durant la décennie 2020-2030, le reste dans la décennie d’après.
Cette importance numérique que représentera la génération Y dans quelques années est identique à celle qu’avait représentée la génération des baby-boomers au moment de leur entrée sur le marché de l’emploi. De même, cette dernière a vécu dans une ère de prospérité économique et plusieurs réformes dont l’allongement de la durée des congés payés à cinq semaines en 1982 ou les RTT (réductions du temps de travail). Par contre, la génération Y est la plus touchée par les « maux » actuel du monde du travail (précarité, chômage de longue durée, etc.) comme nous avons déjà eu l’occasion de le montrer. Les différents thèmes abordés dans la revue de littérature ainsi que la combinaison des deux facteurs que nous venons d’évoquer semblent suffire pour s’interroger sur les changements profonds que la génération Y pourrait amener dans le monde du travail par la simple force de la loi de la majorité. D’où la problématique qui a été posée et que nous rappelons : En quoi la génération Y peut-elle modifier le monde du travail ?
Sur la base de la revue de littérature et des constats que nous en retirons, nous décidons d’émettre les hypothèses suivantes :
- la génération Y favorise l’émergence de nouvelles pratiques managériales au sein des entreprises dans un avenir proche
- la génération Y transformera durablement l’organisation future des entreprises à cause de ses caractéristiques et de ses motivations
- la génération Y transformera le monde du travail à cause de la déception qu’elle ressent à son égard
III 2 Les objectifs de la recherche
La recherche suivante doit permettre d’établir la validité ou non des hypothèses posées. Sur le plan pratique, la variété des situations présentées pourrait aider les managers qui ont des collaborateurs issus de la génération Y à adapter leurs méthodes pour faciliter la cohabitation intergénérationnelle ou faire évoluer l’organisation de l’entreprise pour améliorer la performance des salariés.
III 3 Les méthodes de collecte de données
Pour mener à bien la recherche, notre choix s’est porté vers deux méthodes qualitatives que nous estimons pertinentes, complémentaires et suffisantes. Elles sont pertinentes car elles ne s’inscrivent pas dans une démarche de réitération. En effet, des études quantitatives ont déjà été réalisées sur le thème de la présente étude. Au lieu d’en refaire une nouvelle dont les constats seraient probablement identiques, nous avons fait le choix d’exploiter les données disponibles.
Elles sont complémentaires car la première offre un aperçu général de nouvelles formes du travail (coworking, entreprise libérée), présente des initiatives innovantes de la part de startups du numérique. Tandis que la deuxième s’intéresse plus en profondeur au modèle de l’entreprise libérée, forme particulière d’organisation qui tend à se développer en France. Son intérêt est alors d’actualité. Enfin, elles nous paraissent suffisantes car elles nous donnent une vue globale des évolutions qui sont en train de se produire sur le marché du travail, notamment en matière de management des entreprises, et elles sont susceptibles d’apporter de plus grands changements. Nous procéderons en deux étapes.
Tout d’abord, nous allons partir sur une analyse documentaire. Elle sera effectuée sur la base de thématiques qui interpellent la génération Y : la souplesse de l’organisation du travail, le management par la confiance, le bonheur au travail, la flexibilité des horaires, etc. Dans ce but, nous prendrons comme point de départ une sélection d’articles et une émission télévisée portant sur ces thèmes et qui relatent les initiatives prises par certains individus ou entreprises implantées en France ou aux États-Unis dont l’objectif est l’amélioration du bien-être au travail. Ces sources nous conduisent notamment à parler des travailleurs nomades, du coworking, des fameuses start-up du numérique ou encore des entreprises libérées.
Ensuite, nous allons prendre le cas de deux entreprises qui fonctionnent suivant le modèle de l’entreprise libérée, modèle qui tend à se développer peu à peu en France. Même si nous aurons déjà évoqué cette forme d’organisation du travail notamment à partir d’exemples tirées de l’émission TV présentée dans l’analyse documentaire, y accorder une place spéciale permettra d’aller plus en profondeur dans le concept. Ce choix s’explique aussi par le fait que l’entreprise libérée semble au plus proche des motivations et des caractéristiques des travailleurs issus de la génération Y qui recherchent précisément plus de liberté dans la réalisation de son travail.
En effet, les entreprises libérées semblent posséder une organisation différente de celle des entreprises classiques. Deux entreprises pionnières du modèle seront choisies : la FAVI et la SEMCO.
Chapitre IV – Résultats de la recherche
Dans un premier temps, les résultats tirés de la sélection d’articles, de l’émission télévisée et des deux études de cas choisis (FAVI et SEMCO) seront présentés de manière descriptive. Ensuite, nous procèderons à une analyse thématique afin de faire ressortir de ces données leurs liens avec la problématique et les hypothèses à vérifier.
IV 1 Présentation des résultats obtenus
4.1.1. Résultats issus d’une sélection de documents
Nous débutons la présentation des résultats par les données issues d’un ensemble d’articles publiés par Manpower group sur son site internet. Les thèmes abordés sont la génération Y et les start-up du numérique.
Nous commençons par deux articles consacrés à la génération Y. Dans le premier, Manpower group s’interroge d’abord sur l’égalité entre hommes et femmes en entreprise concernant notamment la répartition entre les sexes des hauts postes à responsabilité au sein des entreprises. Plus précisément, le groupe se demande si l’inégalité actuellement constatée en faveur des hommes pourrait s’atténuer voire disparaitre avec l’entrée des Yers sur le marché du travail.
En effet, 95% des postes de PDG d’entreprises du classement Fortune 500 sont détenus par des hommes. Plus de 50% de la population active mondiale est féminine mais seulement 25% d’entre elles accèdent aux postes de direction. Selon des PDG masculins, il faut attendre au moins 17 ans pour voir cette tendance s’inverser. Les femmes de la génération Y sont plus pessimistes en estimant ce délai à 22 ans. Une des causes soulevées est l’absence de soutien pour accéder aux postes de direction : 32% des hommes PDG pensent que le service des RH en est responsable. Cela tiendrait aussi au fait que les femmes tisseraient surtout des relations avec d’autres femmes limitant dans leurs réseaux l’accès aux hommes qui occupent des hauts postes.
Dans le deuxième article, Manpower group a réalisé une étude dans 25 pays auprès d’un échantillon de 19 000 membres de la génération Y. Sur cette base, le groupe d’expert du monde du travail dispense six conseils à l’endroit des entreprises sur les deux problématiques majeures qu’elles rencontrent avec la génération Y : leur attraction et leur rétention. Nous reviendrons ultérieurement plus en détails sur lesdites recommandations.
Ensuite, trois articles portent sur les start-up et notamment leur manière d’innover dans le domaine du recrutement des jeunes. L’ensemble des articles s’intéresse à la rencontre entre l’employeur et le jeune à travers plusieurs sortes d’initiatives.
Ainsi, le premier article s’intéresse à 7 start-up qui proposent des nouveaux outils (applications mobiles, portails online, vidéoconférences) fonctionnant avec des algorithmes poussés pour mettre une relation un recruteur et un candidat. Si la plateforme Jam propose la mise en relation par messagerie mobile (SMS), le service Kudoz, application utilisable grâce au compte Linkedin de l’utilisateur, a adapté le concept de « swipe » propre aux sites de rencontres amoureuses pour faire « matcher » (correspondre) recruteurs et chercheurs d’emplois.
Quant à Jobijoba, l’objectif est de valoriser le profil des candidats au-delà du CV classique. Cette start-up propose un accompagnement pour le tri des offres en ligne et faciliter la recherche d’emploi via l’utilisation des big data. Enfin, Talent.io s’adresse spécifiquement aux entreprises qui recrutent des développeurs. Cette plateforme ne recrute cependant que les meilleurs sur la base d’un entretien du candidat avec son équipe.
Enfin, trois start-up (Fuyons la défense, Jobteaser et Welcome to the jungle) se mettent au service de la marque-employeur pour aider les candidats et entreprises à trouver un terrain d’entente sur la base d’une stratégie de contenus. Elles proposent des emplois dites « dreamjobs » (emplois de rêve), « des jobs excitants » pour permettre aux jeunes talents de s’épanouir au travail. Ces initiatives répondent au désir de changements et aux insatisfactions ressentis par les Y à propos du marché du travail actuel.
Les deux autres articles mettent en avant l’idée que la mise en relation entre une start-up du numérique et un candidat potentiel est avant tout une rencontre humaine. Le pôle de compétitivité et de transformation numérique Cap digital organise, en partenariat avec Pôle Emploi et la société Multiposting, l’événement How I met my startup. À l’occasion de job datings, les start-up (des PME) mettent en avant leur marque employeur et leurs atouts (par rapport aux grands groupes) pour démystifier les préjugés parfois tenaces des jeunes à leur égard (réservées aux geeks, travail 24h/24, salaire moindre, etc.).
De son côté, Welcome to the jungle mise sur la culture d’entreprise qui est, selon cette start-up, l’élément essentiel qui garantit une rencontre qualitative entre recruteurs et candidats très qualifiés. Si les start-up gagnent en notoriété, les candidats trouvent l’entreprise qui leur correspond réellement. Welcome to the jungle met également en cause le système éducatif qu’il juge inadapté aux réalités présentes du marché de l’emploi dans la mesure où de nouveaux métiers et compétences apparaissent en quelques mois alors que le cursus académique peine à s’adapter.
4.1.2. Données issues d’une émission télévisée touchant la génération Y
Dans l’épisode « le bonheur au travail » de l’émission « Tout compte fait » diffusée sur France télévisions, Bugier présente des travailleurs nomades et des entreprises libérées.
Le premier cas présenté est celui d’un jeune entrepreneur belge de 33 ans (donc un spécimen de la génération Y) implanté dans un quartier cossu de Santa Cruz en Californie, près de la mer. Il a converti le garage de sa villa en espace de coworking qu’il loue à des travailleurs indépendants de la « génération connectée de 18 à 35 ans » selon leurs besoins (en jours, semaines ou mois). Les chambres à coucher et la cuisine sont également mis à la disposition de ses clients. Ils partagent la même vision du bonheur au travail : gérer leur emploi du temps, travailler au soleil et à distance. Leur vie privée est aussi préservée. Le soir, les co-workers se retrouvent au salon pour une expérience de vie en communauté que la génération Y apprécie. L’un de ses clients est formel : « Ça me rend super heureux ! ».
L’émission se consacre ensuite aux cas des entreprises libérées, une révolution managériale où les hiérarchies disparaissent. Ce nouveau modèle est vulgarisé par Isaac Getz[1]. Les entreprises présentées montrent les pratiques innovantes instituées par leurs dirigeants pour instaurer le bonheur au travail. Elle pointe aussi du doigt le harcèlement, les suicides et la dépression des travailleurs.
C’est le cas de la Startup Palace à Nantes qui a institué le poste de Chief Happiness Officer (directrice du bonheur au travail). Cette entreprise de coworking accueille une centaine de salariés issus de 20 start-ups différentes. Des rituels sont organisés pour instaurer une ambiance propice au bonheur au travail comme en témoigne l’un des travailleurs qui s’y rend : « Je pense que ça participe à notre bonheur et ça nous permet aussi de nous concentrer sur notre travail ».
L’entreprise ED institut, implantée à Strasbourg et spécialisée dans les études marketing emploie quinze employés et a réalisé 9% de croissance en 2015 contre 2% pour la concurrence en général. Le patron investit environ 1000€ par salarié par mois pour leur offrir une séance de yoga de vingt minutes le matin et une séance de massage de quinze minutes tous les mercredis après-midis. Il leur laisse la liberté de choisir leurs horaires de travail pour qu’il ait le temps d’accomplir un « micro-rêve », essentiel pour l’équilibre entre leur vie privée et leur vie professionnelle. Sa directrice d’études dont le micro-rêve est de pouvoir pratiquer une heure d’équitation quand elle le désire s’exprime en ces mots : « C’est un gagnant-gagnant (…) Il nous donne, il nous fait confiance. Ben, nous on fait pareil de notre côté ».
La dernière entreprise, Chrono flex, est aussi implantée à Nantes. Elle est spécialisée dans la réparation de câbles. Pour rester accessible, son dirigeant ne possède pas de bureau personnel, signe traditionnel du pouvoir et du statut, et ne s’y rend qu’une fois par semaine. À l’intérieur des locaux, le tutoiement est la règle. Par ailleurs, il ne participe jamais aux réunions stratégiques. Il exprime sa vision à contre-courant en ces termes : « C’est ceux qui font le boulot, ceux qui font la richesse qui savent. Et comme c’est vous qui savez, l’idée, par extension, c’est qu’on vous transfère le pouvoir de décision (…) Aujourd’hui, c’est le collectif qui va décider ». Ses salariés apprécient l’absence de hiérarchie et le fait de pouvoir décider.
Selon le reportage, le modèle des entreprises libérées a déjà été adopté par plus de deux cents entreprises françaises.
L’étude des entreprises FAVI et SEMCO permettra de rentrer plus en détail sur les valeurs des entreprises libérées.
4.1.3. La FAVI et SEMCO
La FAVI est une PME française spécialisée en fonderie sous pression d’alliages cuivreux. Elle emploie 400 salariés. Depuis une trentaine d’années, elle a opté pour le modèle d’entreprise libérée sous l’impulsion de son ex-directeur, Zobrist. Sa philosophie et son concept marketing s’expriment à travers la maxime suivante : « L’homme est bon, il faut lui faire confiance, tout le monde a le même but, satisfaire le client et chacun doit être traité de la même façon » (Capital, 2014). La FAVI fabrique des siphons en cuivre, des compteurs d’eau et des boîtes de vitesse pour la moitié des constructeurs européens. Elle compte parmi sa clientèle des grands concessionnaires de voitures pour grand public : PSA, Renault et Fiat.
Dans le tableau ci-après sont récapitulées les principales différences avant et après la libération de la FAVI.
Tableau n°1 : La FAVI ou « l’homme est bon »
À la FAVI, le nombre d’échelons est passé de cinq à deux de 1980 à nos jours. Elle a réalisé un chiffre d’affaires de 80 millions d’euros en 2012, un résultat d’exploitation de 15% et génère environ des gains de productivité de 3%/an depuis vingt ans (Capital, 2014).
Dans le cas de l’entreprise brésilienne SEMCO, le salarié accomplit le travail qu’il aime faire et non celui qu’il sait faire. Elle est spécialisée dans la fabrication de centrifugeuses pour l’industrie de l’huile végétale. Elle réalise donc une activité de support et est présente dans plusieurs domaines sans liens apparents. Par ailleurs, 70% de son effectif détermine librement son salaire : en cas de non atteinte des objectifs, le salarié concerné doit se justifier devant ses pairs (Boyer, 2014). Le tableau ci-après dresse également un comparatif entre SEMCO avant et après sa démarche de libération.
Tableau n°2 : SEMCO ou l’homme qui décide de son travail
IV 2 Analyse des résultats obtenus
4.2.1. L’apparition de nouvelles formes de recrutement exploitant le potentiel des technologies modernes de communication
Traditionnellement, le nouveau candidat, diplômé ou non, cherchait son premier emploi sans l’aide d’outils. Pour le trouver, il devait répondre aux annonces et offres d’emploi partout où il en trouvait, postulait et attendait de savoir s’il était retenu pour l’un des postes visés ou non. Certains travailleurs avaient (ont) la possibilité de se faire « pistonner » pour accéder à l’emploi qu’il désirait au sein de l’entreprise convoitée pour sa notoriété et la stabilité qu’elle offre à son personnel.
Il en résulte que l’adéquation entre le candidat et les entreprises n’était donc pas garantie, les motifs mêmes de la recherche d’emploi étant inadaptés. Au lieu de rechercher une entreprise où il se sentirait heureux de travailler ou un travail qu’il accomplirait avec plaisir, le candidat choisissait avant tout une carrière (en espérant qu’elle soit longue et au sein de la même entreprise) un bon salaire et de la stabilité pour assurer son avenir.
Avec la génération Y qui accède actuellement au marché de l’emploi avec ses nouvelles mœurs et ses attentes nouvelles, les modalités traditionnelles d’accès au marché du travail sont de plus en plus inadaptées à la réalité. Aujourd’hui, le bonheur au travail est devenu un critère de fidélité que l’employeur doit satisfaire pour limiter son turnover.
Il n’est alors pas étonnant de voir émerger lentement mais sûrement les deux nouvelles tendances en matière de recrutement sous l’impulsion de startups innovantes. Celles-ci correspondent également à deux approches différentes. La première tendance consiste à favoriser la rencontre employeur et candidat grâce à des applications téléphoniques fonctionnant sur le principe du « matching ». Il y a quelques années encore, cette démarche aurait été perçue comme intrusive et non respectueuse de la vie privée. Cette tendance a le mérite de faciliter la recherche d’emploi puisque de nombreux critères sont analysés très rapidement pour des milliers de postulants et d’employeurs. Cependant, cette méthode place entièrement la confiance dans la technologie qui peut donc être perçue comme capable d’avoir un meilleur jugement que le candidat ou le futur employeur eux-mêmes. Le job idéal ne serait-il alors qu’une affaire d’algorithme ?
Une deuxième tendance a également fait son apparition. Cette fois-ci, l’accent est mis sur l’humain. Les startups qui la mettent en avant (ex : Welcome to the jungle) privilégient l’accompagnement des candidats chercheurs d’emplois dans le tri des offres disponibles et les aident à améliorer leur profil et leur visibilité pour les employeurs. De l’autre côté, certaines startups focalisent leur action sur la promotion de la « marque-employeur ». L’objectif est de permettre aux candidats de prendre connaissance de la manière la plus complète possible de la culture de l’entreprise qui se trouve en face d’eux. Et une fois engagés, l’entreprise faisait en sorte de leur donner des raisons de rester.
En effet, les entreprises traditionnelles sont souvent les « victimes » de leur propre notoriété, attirant à elles des candidats au profil inadapté. De leur côté, les candidats qui veulent y être recrutés le font sur la base de ce qu’ils savent de l’entreprise, de ce qui se dit sur elle et non pas toujours de ce qu’elle est en réalité. L’usage des outils technologiques dans ce sens peut alors contribuer à la satisfaction mutuelle : celle de l’employé trouvant un emploi adapté à ses besoins, celle de l’entreprise engageant un collaborateur motivé.
Par contre, il est impossible de prédire laquelle de ces deux approches se développera plus que l’autre étant donnée l’importance de la technologie dans la vie quotidienne.
4.2.2. L’engouement progressif des Gen Y pour de nouvelles formes de travail
Traditionnellement, le travail est effectué en entreprise dans un local dédié. Le travailleur s’y rend généralement le matin et ne rentre chez lui qu’après au moins huit heures de travail. Pendant ses allers-retours quotidiens, il doit aussi passer plusieurs heures dans les transports en commun et le trafic urbain d’où le fameux modèle du métro-boulot-dodo.
Ce modèle qui illustre le quotidien de la très grande majorité des travailleurs et employeurs des générations précédentes, les baby-boomers et les X, est en grande partie responsable du stress, de la routine, du burn-out (surmenage), du manque de motivation et surtout de l’absence du bonheur au travail, de la perte de l’équilibre entre la vie professionnelle et la vie privée. Après le travail, les salariés n’ont pratiquement plus de temps à consacrer pour soi-même. Mais ce paradigme traditionnel de l’emploi commence à trouver face à elle des alternatives qui attirent la nouvelle génération de travailleurs, les Yers.
En effet, les Yers optent très souvent pour un travail qui ne les oblige plus à se déplacer et rompent ainsi avec le paradigme traditionnel du travail en entreprise. Aujourd’hui, deux nouvelles « espèces » de travailleurs émergent, exploitant les nouvelles opportunités de travail apportées par les technologies. Travailler à distance de l’employeur est devenu possible, voire même l’idéal pour certains. Les travailleurs nomades, les freelances ou travailleurs indépendants font partie de ce nouveau genre de travailleurs.
Si auparavant ils travaillaient le plus souvent à domicile, ils se rendent aujourd’hui de plus en plus dans les espaces de coworking pour retrouver l’aspect communautaire qui leur manquait. Certaines entreprises offrent la possibilité à leurs salariés de travailler dans un espace de coworking (cas de la Startup Palace). Au lieu de travailler avec des collègues et sous la surveillance d’un manager comme dans une entreprise traditionnelle, les travailleurs nomades sont entourés d’autres individus partageant des affinités et une même vision du bonheur au travail.
Par ailleurs, le cadre souvent atypique (près de la plage, dans un paysage de vacance, un lieu convivial, etc.) stimule la créativité. D’ailleurs, les cas étudiés démontrent les effets positifs de cette nouvelle manière de travailler sur la motivation et la productivité. L’homme est définitivement un être social.
Enfin, un élément majeur est à prendre en considération : le travailleur nomade est entièrement maître de ses horaires de travail. Par conséquent, il est libre d’accepter ou de refuser un travail qu’on lui propose pour des raisons professionnelles ou personnelles contrairement à l’employé de l’entreprise traditionnelle pour lequel le temps s’échange contre de l’argent.
4.2.3. L’essor progressif du modèle de l’entreprise libérée
Traditionnellement, les entreprises sont organisées de manière très structurée. Si plusieurs échelons se partagent souvent le pouvoir de décision (chefs de services, de divisions, d’ateliers, d’équipes, managers, etc.), d’autres ont la charge de contrôler le travail, la qualité des produits, etc. Dans cette bureaucratie, la technique, les procédures et les méthodes ont largement pris le pas sur l’humain, relégué à l’arrière-plan malgré l’existence de la fonction RH. Le travailleur y exécute machinalement ses tâches, ne se posant alors plus la question de d’en connaître le sens ni pour lui-même, ni pour son entreprise ni pour ses clients, du moment qu’il perçoit son salaire.
À terme, cette organisation peut devenir contre-productive et stérile pour le travailleur qui devient une sorte « d’esclave de son travail ». Il s’engage moins, travaille moins bien, etc. La pérennité de l’entreprise peut être compromise.
Face à cela, certaines entreprises ont tenté le pari audacieux de mettre en place une organisation très légère, libérée des contraintes qu’implique l’impératif du contrôle à travers une organisation rigide. L’entreprise libérée est considérée comme une évolution managériale même si des pionnières (la FAVI ou SEMCO) ont emprunté cette voie il y a de cela quelques décennies. Les plus performantes sont souvent celles qui ont laissé à leurs salariés une liberté totale de s’auto-organiser dans tous les aspects liés à leur travail. Le manager n’y fait plus usage du contrôle, qui est vécu comme une contrainte anti-productive en freinant le bonheur au travail qui impacte ensuite négativement sur la performance du travailleur.
Au contraire, on assiste au management par la confiance qui se caractérise par le transfert du pouvoir de décision aux employés, au désengagement même du dirigeant dans les décisions stratégiques (cas de Chrono flex), en la priorisation du collectif sur l’autorité du « chef », à l’absence de hiérarchie au profit d’une structure plus horizontale. En plaçant la confiance en l’homme au centre du mode de management, l’entreprise favorise la créativité et la performance de ses salariés.
Il semble alors que la vulgarisation de cette nouvelle approche du management en entreprise soit plus conforme à « l’air du temps ». En outre, une telle dynamique abonde dans le sens même des évolutions sociales actuelles. En effet, la société en général recherche plus de démocratie, plus de transparence, plus de liberté, plus de loisirs, plus de possibilités pour profiter de la vie elle-même.
IV 3 Validation des hypothèses
4.3.1. La génération Y transformera durablement les pratiques managériales au sein des entreprises dans un avenir proche
Si la génération Y n’est pas la première à avoir connu les entreprises libérées (c’est le cas par exemple de la FAVI qui a instauré cette organisation depuis les années 1980 : donc ce sont des travailleurs issus des générations X et baby-boomers qui ont en fait le premier l’expérience), force est de constater que le phénomène de libération de l’entreprise n’a pas été une parenthèse temporaire dans l’histoire de l’entreprise, notamment en France. Au contraire, elle se développe peu à peu dans l’Hexagone et séduit aussi ailleurs. On peut vraisemblablement présumer que celles qui réussiront leur libération inspireront d’autres entreprises à enclencher le même processus. La raison en est simple.
Si le modèle traditionnel de l’entreprise perdurera encore dans les années à venir, la génération Y sera appelée, qu’elle le veuille ou non, à occuper la majorité des emplois de direction et de management que les X et baby-boomers laisseront à leur retraite. Elle constituera aussi la frange majoritaire des salariés de l’entreprise. Ainsi, elle souhaitera mettre en place les transformations managériales qu’elle aurait voulu voir plus tôt dans les entreprises. Comme on sait que la génération Y est habituée à vivre dans l’incertitude professionnelle, ce trait caractéristique favorisera sans doute la dynamique de transformation durable des pratiques managériales. Cette hypothèse est validée.
4.3.2. La génération Y transformera durablement l’organisation future des entreprises à cause de ses caractéristiques et de ses motivations
Actuellement, la génération Y fait déjà face à des évolutions sur le marché du travail et on peut penser qu’il s’agit plus qu’un phénomène de mode. Aujourd’hui, les entreprises collaborent avec des travailleurs nomades pour des prestations qu’elles externalisent. Certaines entreprises laissent à leurs salariés le choix de travailler dans leurs locaux ou dans les espaces de coworking. Enfin et a fortiori, les entreprises libérées allègent considérablement leur organisation interne pour favoriser le bonheur au travail de leurs salariés.
De ce fait, les membres de la génération Y qui n’ont pas encore l’opportunité de vivre ces changements dans leur propre entreprise les observent certainement avec beaucoup d’intérêt tout en nourrissant le désir secret de vivre la même expérience. D’autant plus que ce ces nouvelles formes du travail intéressent généralement plus les Yers, les précédentes générations semblant préférer un travail exécuté de manière plus classique. Salariés des entreprises libérées, co-workers et travailleurs nomades partagent un point commun : ils paraissent vraiment plus heureux dans leur travail que ne l’est la majorité de la population active. Devant ce succès, la prise de conscience se généralise progressivement car les changements sociaux prennent du temps pour se mettre en place dans la société entière.
En effet, les travailleurs actuels, surtout des Yers qui ne sont qu’au début de leur vie active, prennent conscience du fait que le paradigme traditionnel du travail n’est plus la réponse absolue comme cela a pu encore l’être il y a quelques décennies. Qu’autant donc saisir cette opportunité sans attendre. Quant aux entreprises, elles vont devoir aussi tenir compte de ces nouveaux paramètres et anticiper si nécessaire par l’assouplissement de leur organisation interne. Leur survie peut en dépendre car il paraît aujourd’hui évident qu’une organisation très structurée est complètement décalée par rapport aux mœurs actuelles. La contagion pourrait donc avoir lieu et constituer le berceau de transformations durables de l’organisation des entreprises. Nous validons la deuxième hypothèse.
4.3.3. La génération Y transformera le monde du travail à cause de la déception qu’elle ressent à son égard
La créativité humaine à la base des nouvelles formes de travail (coworking, freelancing, travailleurs nomades, entreprises libérées, etc.) est un processus qui ne se construit pas ex nihilo, elle s’inspire toujours de ce qui existe déjà. Ainsi, celles-ci ne sont pas le fruit du hasard car elles s’inspirent des échecs du monde du travail actuel (chômage, précarité, etc.) mais aussi des déceptions (stress, burn-out, suicides, etc.) et du besoin de changement ressenti et exprimé par la population active, notamment de la génération Y.
L’existence d’alternatives au travail classique fait prendre conscience à la nouvelle génération de travailleurs que le bonheur au travail est désormais possible pour la majorité d’entre eux alors que cela n’était pas le cas pour la majorité des générations précédentes. La Gen Y dispose aujourd’hui d’une réponse face au questionnement perpétuel sur le monde du travail et sur la déception qu’elle ressent à son égard. Nous validons cette hypothèse pour deux raisons : d’une part, pour la cohérence avec la validation des deux premières hypothèses. D’autre part car nous sommes certains que la Gen Y transformera la « face » du travail d’ici peu.
Chapitre V – Conclusion
V 1 Rappel des résultats et des contributions managériales de l’étude
Les principaux résultats que nous avons obtenus de notre étude montrent que le monde du travail actuel connaît des transformations à plusieurs niveaux, en commençant par le recrutement. Désormais, la technologie prend une part plus active dans la mise en œuvre des initiatives visant à faciliter la recherche d’emploi, à favoriser la rencontre entre un potentiel employeur et un candidat et à s’assurer de leur adéquation mutuelle. C’est ce à quoi s’adonnent les startups du numériques que nous avons étudiées. Une fois l’étape du recrutement franchie, les changements s’opèrent également en termes de management : certaines entreprises présentées parmi tant d’autres ont fait le pari de miser sur le bonheur de leurs salariés au travail en instaurant un management par la confiance et non plus sur le contrôle. Enfin, les travailleurs de la génération Y optent pour un modèle plus libre du travail qui les attire plus particulièrement : le coworking, le freelancing, le nomadisme, etc.
La présente étude apporte également ses contributions. Elles se veulent avant tout managériales puisque nous sommes arrivés à la conclusion que la génération Y est loin d’être un simple concept théorique qui touche des individus d’une certaine tranche d’âges. Elle est véritablement un élément qui, par son poids croissant, finira par imposer ses règles, ses valeurs et ses motivations dans le monde de l’entreprise qui devra s’y adapter ou disparaître. En effet, nous croyons que le changement est la seule constante en toutes choses.
Nos contributions sont également originales par rapport à la méthodologie choisie. En effet, nous aurions pu proposer une énième étude quantitative sur le sujet, procéder à des entretiens ou soumettre un questionnaire d’enquête. Mais nous ne voyions ni l’utilité ni l’intérêt de réitérer de telles démarches. Par ailleurs, notre choix méthodologique a permis de mettre en évidence des concepts connexes à notre thème comme le nomadisme, le coworking, les entreprises libérées. Et nous incitons également nos lecteurs à visionner l’émission consacrée à ces nouvelles formes du travail. Souvent, les images parlent plus que les mots.
De ce fait, la transversalité de notre étude est également l’une de ses forces. Elle donne au manager une vue plus globale de la situation actuelle du monde du travail. La problématique actuelle pour les entreprises ne concerne pas uniquement la génération Y. Sous cet angle particulier, on entrevoit une problématique plus vaste pour les organisations et la société : l’idée du changement leur est inhérente et l’immobilisme compromet leur pérennisation. Le changement et le mouvement sont les seules constantes. La résistance au changement est contre-productive.
V 2 Les recommandations managériales
Plutôt que de formuler des recommandations managériales propres à l’intention des entreprises qui souhaitent gérer au mieux les talents de leurs collaborateurs, nous estimons que celles issues d’une étude de Manpower group portant sur un échantillon très large de Yers dans 25 pays semblent un excellent point de départ pour la réflexion managériale :
- Sécuriser leur carrière en leur prouvant qu’ils sont au bon endroit pour améliorer leur employabilité : 93% des interrogés estiment essentiel le développement des compétences (formations et apprentissage en entreprise) pour rester en adéquation avec les évolutions liées à leur poste
- Privilégier la variété des expériences et la mobilité : l’étude montre que 59% des Yers interrogés déclarent rester chez leur actuel employeur, mais cette durée ne dépasse pas deux ans pour 66% d’entre eux et moins de 12 mois pour 25%. Pour éviter le turn-over de ses salariés, l’entreprise devrait créer des opportunités qui répondent à l’envie de relever de nouveaux défis
- Prévoir des entretiens de parcours réguliers : Manpower group préconise de prioriser les objectifs à court terme pour éviter l’ennui au poste. En effet, les Yers auraient un désir plus fort de collaborer avec des personnes enrichissantes pour leurs compétences
- Être sensible aux aspirations des collaborateurs de la génération Y : 50% des interviewés envisagent de changer de travail s’ils n’étaient pas suffisamment reconnus par la hiérarchie. L’entreprise devrait alors apprendre à les écouter, à encourager leur estime de soi, à mettre en place des modes de reconnaissance et d’échange avec leur n+1 et collègues
- Accepter les nouvelles façons de travailler et gérer les parcours de manière plus souple : l’étude révèle que 84% prévoient de longs breaks (congés sabbatiques, voyages, etc.) durant leur vie active pour se donner du « temps pour soi » et pour les loisirs. Cette manière de travailler est nouvelle par rapport aux précédentes générations. Manpower group préconise d’intégrer ces pauses dans la culture d’entreprise, en étant bien clair sur la souplesse accordée et en aidant la réinsertion au retour
- Être ouvert à des modes de travail alternatifs : 50% des membres de la génération Y sont attirés par les formes innovantes du travail (freelance, petits boulots, cumul d’emplois, etc.) car ils sont à l’aise avec les phénomènes de rupture (disruption). Les entreprises gagneraient alors à adopter ces modèles pour attirer et fidéliser les Yers
V 3 Limites de l’étude et perspectives de recherches futures
La méthodologie choisie pourrait constituer la principale limite de notre étude. Malgré les avantages qu’on lui trouve, notre choix ne sera pas forcément celui de tous et nous l’assumons. Mais elle ouvre la voie à des interrogations nouvelles et nous incitent déjà à anticiper ce que sera le monde du travail de demain quand la génération Z l’intègrera elle aussi en masse alors que ses spécimens nés en 1997, qui ont 20 ans aujourd’hui et qui n’ont pas les moyens de poursuivre leurs études, le font certainement déjà. Notre problématique était : En quoi la génération Y peut-elle modifier le monde du travail ? Notre réponse montre qu’il sera modifié en profondeur de plusieurs manières. Nous pouvons alors aller plus loin en nous demandant si l’avènement de la génération Y, du nomadisme numérique et des entreprises libérées ne conduira pas à la fin du paradigme traditionnel du travail, c’est-à-dire en entreprise, et si cela n’aboutira pas à la fin du monde de l’entreprise tel qu’il existe depuis la Révolution Industrielle au profit d’un nouveau contrat de travail qui deviendra la norme. Nous parlons d’un contrat de travail où le principe même du lien de subordination énoncé dans le code du travail (et justifié par le fait de se rendre chez son employeur) sera remplacé par celui plus égalitaire du Win-Win et où chacun pourrait travailler de chez lui. Telles sont à notre avis, les questions qui mériteraient d’être posées par les recherches futures.
Chapitre VI – Références
Anguenot F. (12 août 2014), « X et Y, le management de l’impossible ? », La lettre du cadre, < http://www.lettreducadre.fr/9442/x-et-y-le-management-de-limpossible-2 >, 2017.
Bœnisch G., « Monique Dagnaud, Génération Y. Les jeunes et les réseaux sociaux, de la dérision à la subversion? ». Paris, Presses de Sciences Po, coll. Nouveaux Débats, 2013, 210 pages », Questions de communication, 1/2015 (n° 27), p. 370-372, < http://www.cairn.info/revue-questions-de-communication-2015-1-page-370.htm >, 2017
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Boyer C. (5 janvier 2017), « Pourquoi la génération Y est malheureuse au travail », Les Echos start, < https://start.lesechos.fr/rejoindre-une-entreprise/actu-recrutement/pourquoi-la-generation-y-est-malheureuse-au-travail-6933.php >, 2017.
Bugier J. (2016), « Le bonheur au travail », Tout compte fait, Emission de France Télévisions, < https://www.youtube.com/watch?v=VQVF2JRH4yE >, 2017.
Capital (23/01/2014), « Favi, l’usine qui tourne sans chefs », < http://www.capital.fr/enquetes/strategie/favi-l-usine-qui-tourne-sans-chefs-802390 >, 2017.
Cathiard C. (5 novembre 2014), « Management : quatre générations sous un même toit, le choc des cultures », La lettre du cadre, < http://www.lettreducadre.fr/10054/management-quatre-generations-sous-un-meme-toit-le-choc-des-cultures >, 2017.
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Cohen-Bacrie B. (4 mai 2016), « Benoît Meyronin : « La génération Y doit transformer vos pratiques managériales » », La lettre du cadre, < http://www.lettreducadre.fr/11549/benoit-meyronin-%E2%80%89la-generation-y-doit-transformer-vos-pratiques-manageriales%E2%80%89 >, 2017.
Cohen-Bacrie B. (23 septembre 2014), « Notre modèle social marche sur la tête », La lettre du cadre, < http://www.lettreducadre.fr/9678/collectivites-combattre-efficacement-la-rupture-intergenerationnelle >, 2017.
Communauté des communes du Val d’Essonne (1er mars 2016), « Les atouts de la génération Y au travail », < http://www.valdessonne-economie.com/dossiers/722-les-atouts-de-la-generation-y-au-travail >, 2017.
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[1] Docteur en psychologie, conférencier, spécialiste de l’innovation en entreprise et professeur à l’ESCP Europe.
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