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Les offres anormalement basses dans le cadre des marchés publics


PRINCIPALES ABREVIATIONS

 

–oo0oo–

ACCP Actualité de la commande et des contrats publics
AJDA Actualités juridiques de droit administratif
BJCP Bulletin juridique des contrats publics
CA Cour d’appel
CAA Cour administrative d’appel
CCAG Cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux
CE Conseil d’Etat
CJCE Cour de justice de la Communauté européenne
CMP Contrats et marchés publics
Dr. adm. Droit administratif
JCP A Semaine juridique Administrations et collectivités territoriales
Mon. TP Moniteur des travaux publics et du bâtiment
OAB Offre anormalement basse
RDI Revue de droit immobilier
RFDA Revue française de droit administratif
RJEP Revue juridique de l’économie publique
RLCT Revue Lamy des collectivités territoriales
TA Tribunal administratif


SOMMAIRE

 

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PARTIE I. – OFFRE ECONOMIQUEMENT AVANTAGEUSE : PAS NECESSAIREMENT LA PLUS BASSE

CHAPITRE I. – NOTION D’OFFRE ECONOMIQUEMENT LA PLUS AVANTAGEUSE ET CHOIX DES CRITERES D’ATTRIBUTION

Section I. – Notion d’offre économiquement la plus avantageuse

Section II. – Détermination des critères d’attribution

CHAPITRE II. – NOTION D’OFFRE ANORMALEMENT BASSE

Section I. – Identification des offres anormalement basses

Section II. – Offre anormalement basse : du fait d’une aide publique ; face au principe d’égalité de traitement

PARTIE II. – REGIME JURIDIQUE DE L’OFFRE ANORMALEMENT BASSE

CHAPITRE I. – ELIMINATION DES OFFRES ANORMALEMENT BASSES : SIMPLE FACULTE OU OBLIGATION POUR L’ACHETEUR PUBLIC ?

Section I. – Le code des marchés publics : simple faculté

Section II. – La jurisprudence : obligation

CHAPITRE II. – REJET DES OFFRES ANORMALEMENT BASSES

Section I. – Une offre suspectée d’être anormalement basse est subordonné à une procédure contradictoire…

Section II. – …au cours de laquelle on vérifie la viabilité économique de celle-ci pour pouvoir être rejetée


INTRODUCTION

 

Les candidats à un marché public présentent aux personnes publiques des offres de prestations qui sont obligatoirement assorties d’un prix. Force est cependant de constater que leur tentation de déposer des offres les plus basses possibles est grande et ce, en raison de l’importance donnée au critère du prix. Le prix comprend toutes les dépenses et les charges liées à l’exécution de la prestation par l’entrepreneur. Cela couvre ses dépenses d’approvisionnement mais aussi les impôts et taxes. Les dépenses et charges à inclure sont en général visées à titre indicatif par les cahiers des clauses administratives générales.

 

Nonobstant le fait que le marché doit être attribué à l’entrepreneur qui présente l’offre « économiquement la plus avantageuse », le prix constitue le critère déterminant. Pourquoi ? Soit parce que l’objet du marché permet au pouvoir adjudicateur d’en faire le critère unique, soit à cause de l’importance qui lui a été donnée lors de la pondération ou de la hiérarchisation des critères d’attribution.

 

Le fait que les soumissionnaires déposent des offres excessivement basses comporte des risques que ce soit pour la concurrence que pour la collectivité publique. D’une part, le jeu normal de concurrence peut être altéré. En effet, les entreprises les plus puissantes peuvent être tentées de casser les prix pour éliminer les entreprises plus faibles, et inversement, les entreprises, que le jeu normal de concurrence aurait dû faire disparaître, peuvent trouver ici le moyen de survivre en remportant le marché à n’importe quel prix. D’autre part, en optant pour l’offre anormalement basse, la collectivité publique peut s’exposer à des risques conséquents que le guide Le prix dans les marchés publics élaboré en avril 2013 par la direction des affaires juridiques du ministère de l’économie et des finances publiques a rappelé. L’entreprise aux abois, prête à tout pour remporter le marché, peut se révéler incapable de répondre aux exigences techniques du cahier des charges ou, à tout le moins, d’assurer des prestations de qualité. Elle sera alors tentée de demander à la collectivité des rémunérations complémentaires ou, plus grave encore, de compenser le prix de son offre en ayant recours, dans des conditions illégales, à la sous-traitance ou à l’emploi de salariés non déclarés. La collectivité publique peut également souffrir d’avoir choisi l’offre d’une entreprise puissante poursuivant une stratégie d’éviction : à terme, la concurrence peut se raréfier, voire disparaître, plaçant la collectivité sous dépendance.

 

Pour ces raisons, il a fallu permettre au pouvoir adjudicateur d’éliminer les offres particulièrement basses. La prise en compte des offres anormalement basses dans la réglementation des marchés publics est directement issue du droit communautaire. Dès la directive 71/305/CEE du Conseil du 26 juillet 1971 portant coordination des procédures de passation de marchés publics de travaux, les « offres présentant un caractère anormalement bas par rapport à la prestation » ont été stigmatisées. Après les avoir détectées, le pouvoir adjudicateur n’était censé les rejeter qu’après avoir demandé « au soumissionnaire de fournir les justifications nécessaires », dans l’exacte mesure où ces justifications n’étaient pas convaincantes. Des dispositions analogues ont ensuite été imposées aux marchés publics de fournitures et de services et aux marchés des entités adjudicatrices. Une rédaction sensiblement plus précise est aujourd’hui applicable aux marchés publics des pouvoirs adjudicateurs et des entités adjudicatrices.

 

La transposition de ces directives a été tardive. Depuis l’entrée en vigueur du décret n° 2001-210 du 7 mars 2001, les dispositions relatives aux offres anormalement basses figurent à l’article 55 du Code des marchés publics, dans des termes rigoureusement identiques. Aux termes dudit article : « si une offre paraît anormalement basse, le pouvoir adjudicateur peut la rejeter par décision motivée, après avoir demandé par écrit les précisions qu’il juge utiles et vérifié les justifications fournies ». Et le même article cite des justifications susceptibles d’être prises en considération pour décider de rejeter ou non l’offre suspectée d’être anormalement basse :

  • les modes de fabrication des produits, les modalités de la prestation de services, les procédés de construction ;
  • le caractère exceptionnellement favorable des conditions d’exécution dont bénéficie le candidat ;
  • l’originalité du projet.

 

La lecture de l’article 55 suscite deux questions. La première est : qu’est-ce qu’on entend par offre anormalement basse ? La seconde est : par quelle méthode l’acheteur public pourrait-il détecter une telle offre ? Ce dispositif est muet sur ces points. Le développement qui va suivre s’y focalisera d’ailleurs.

 

Pour une meilleure appréhension du sujet, il importe de voir dans une première partie en quoi consiste une offre économiquement avantageuse qui ne doit pas être nécessairement confondue avec la plus basse (Partie I). Dans une seconde partie, il sera question du régime juridique de l’offre anormalement basse (Partie II).

 

PARTIE I. – OFFRE ECONOMIQUEMENT AVANTAGEUSE : PAS NECESSAIREMENT LA PLUS BASSE

 

Dans cette première partie, il sera analysé successivement la notion d’offre économiquement la plus avantageuse (Chapitre I) et celle de l’offre anormalement basse (Chapitre II)


CHAPITRE I. – NOTION D’OFFRE ECONOMIQUEMENT LA PLUS AVANTAGEUSE ET CHOIX DES CRITERES D’ATTRIBUTION

 

La mention de l’obligation d’attribuer le marché à l’offre économiquement la plus avantageuse apparaît dans le Code des marchés publics de 2001 succède à celle présente dans le code de 1964, d’offre jugée la plus intéressante choisie librement par l’administration. Cette reformulation textuelle est à resituer dans le cadre de la contrainte générale qui pèse sur les pouvoirs et entités adjudicateurs de respecter les principes fondamentaux de la commande publique (liberté d’accès à la commande publique, égalité de traitement des candidats, transparence des procédures) qui sont considérés par les rédacteurs du Code des marchés publics comme permettant d’assurer l’efficacité de la commande publique et la bonne utilisation des deniers publics. Par ailleurs, elle manifeste la résolution du pouvoir réglementaire de traduire dans le vocabulaire juridique sa volonté de remplacer l’octroi des marchés au « moins-disant » par celui au « mieux-disant ». Aussi, la détermination de l’offre économiquement la plus avantageuse est-elle fondamentale car elle conditionne la réussite et même la régularité de la procédure de passation – puisqu’elle est une obligation qui s’impose à la passation de tous les marchés quelle que soit la procédure utilisée.

 

Toutefois, la notion d’offre économiquement la plus avantageuse est complexe et sa signification précise repose en réalité sur les critères d’attribution du marché et peut donc apparaître variable d’un marché à l’autre, d’un besoin à l’autre. C’est pourquoi, la détermination de ces critères est essentielle.

 

Section I. – Notion d’offre économiquement la plus avantageuse

 

  • 1. – Analyse sémantique de la notion

 

Choisir l’offre économiquement la plus avantageuse signifie que l’on opte pour l’offre qui présente le plus d’atouts d’un point de vue économique, qui est supérieure sur le plan économique, qui permet de faire des économies en retenant la proposition la moins coûteuse. En effet, la simple lecture d’un dictionnaire, en l’occurrence le petit Larousse, nous rappelle que l’adjectif avantageux veut dire « qui procure un avantage […], marché avantageux », économique, intéressant, l’avantage étant un atout, un gain ou un profit, l’adverbe économiquement désignant une façon économique, le point de vue de l’économie.

 

Si on retient une acception très littérale de l’offre économiquement la plus avantageuse, il faut comprendre que celle-ci correspond à l’offre la meilleure pour le pouvoir adjudicateur au regard de critères exclusivement économiques comme, notamment, son prix, son coût qui inclut outre le prix, les frais d’utilisation, d’entretien, entre autres, ce qui la distingue de l’offre la plus intéressante qui n’intègre pas que l’appréciation économique d’une offre et qui peut donc s’appuyer sur une plus grande diversité de critères.

 

L’offre la plus intéressante, si on l’analyse également sous un angle sémantique, recouvre une acception bien plus large que l’offre économiquement la plus avantageuse, elle ne se cantonne pas à l’intérêt économique mais inclut par exemple l’intérêt social, environnemental, esthétique, architectural. De fait, comme l’écrit C. Emery, « l’achat public est d’abord un acte économique et c’est une analyse économique qui doit permettre de sélectionner l’offre » économiquement « la plus avantageuse ». Dès lors, l’offre économiquement la plus avantageuse peut être, selon les critères retenus, l’offre la moins-disante ou la mieux-disante, ce qui dans la dernière hypothèse correspond à l’offre présentant le meilleur rapport qualité prix.

 

Cependant, cette conception littérale et exclusivement économique de l’offre économiquement la plus avantageuse est à nuancer fortement car elle apparaît, à bien des égards, trop réductrice et est contredite par des dispositions du Code des marchés publics et par la jurisprudence.

 

  • 2. – L’appréhension purement sémantique de la notion d’offre économiquement la plus avantageuse ne correspond pas à la réalité

 

Les enseignements de l’analyse sémantique mentionnés plus haut ne correspondent pas à la réalité du droit des marchés publics telle quel résulte des textes et de la jurisprudence.

 

Le fait est que les critères de jugement des offres ou critères d’attribution qui, comme leur nom l’indique, vont servir à analyser les offres transmises par les candidats, n’ont pas tous une nature économique, si bien que la grille d’analyse des offres peut ne pas être exclusivement économique, voir faire passer l’analyse économique au second plan. C’est ainsi, que la liste non exhaustive des critères d’attribution énumérée à l’article 53 du Code des marchés publics, contient, notamment, la qualité, la valeur technique, le caractère esthétique et fonctionnel, le caractère innovant, cet article indiquant que le pouvoir adjudicateur peut prendre en compte d’autres critères à condition qu’ils soient justifiés par l’objet du marché. Ces derniers n’ont donc pas nécessairement une nature économique.

 

Ces solutions sont confortées par le droit communautaire des marchés publics puisque les critères d’attribution énoncés de manière non limitative par l’article 53 de la directive 2004/18 du 31 mars 2004 relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, fournitures et services et qui sont tous repris par le Code des marchés publics n’ont pas tous non plus un caractère économique. Ceci a conduit la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) à considérer qu’un pouvoir adjudicateur peut retenir des critères d’attribution fondés sur « des avantages non susceptibles d’évaluation objective immédiate » et n’ayant pas un caractère purement économique comme des critères écologiques. Nonobstant le fait que l’affaire s’est déroulé sous l’empire de la directive services 92/50 du 18 juin 1992 modifiée par la directive 97/52 du 13 octobre 1997, cela ne change rien à l’analyse car les dispositions de cette directive sur les critères d’attribution sont très proches de celles de la directive 2004-18 du 31 mars 2004.

 

Bien plus, le critère du prix, critère emblématique car essentiel d’une analyse purement économique des offres n’est pas, comme les autres critères, obligatoire et la jurisprudence admet la légalité d’une procédure qui ne le retient pas dans la liste des critères d’attribution utilisés pour juger les offres.

 

Il résulte de ces solutions que l’analyse des offres faite par le pouvoir adjudicateur n’est pas nécessairement strictement économique et que le choix opéré sur le fondement des critères d’attribution retenus n’est pas forcément l’offre la plus avantageuse d’un point de vue purement économique mais sera tout de même qualifiée juridiquement d’offre économiquement la plus avantageuse car correspondant à l’offre la meilleure au regard de ces critères. Dès lors, on peut avancer qu’en réalité, l’offre économiquement la plus avantageuse est l’offre qui répond le mieux aux critères d’attribution fixés par le pouvoir adjudicateur, c’est l’offre la plus intéressante du point de vue de ceux-ci. En conséquence, l’ancienne terminologie d’offre la plus intéressante correspondrait mieux à la réalité du droit des marchés publics. Certains auteurs ont même supprimé l’adverbe économiquement et parlent plus simplement d’offre la plus avantageuse

 

Bref, l’offre économiquement la plus avantageuse n’est pas une notion univoque, elle apparaît variable d’un marché à l’autre, d’un besoin à l’autre, en fonction des critères d’attribution fixés par le pouvoir adjudicateur. Sa consistance ou sa nature dépend de ces critères. D’où l’importance fondamentale du choix de ces critères.

 

Section II. – Détermination des critères d’attribution

 

  • 1. – Choix en faveur d’une pluralité de critères ou en faveur du critère unique du prix

 

Comme l’indique l’article 53 du Code des marchés publics, pour attribuer le marché à l’offre économiquement la plus avantageuse, le pouvoir adjudicateur se fonde soit sur une pluralité de critères, soit, compte tenu de l’objet du marché, sur le critère unique du prix. Dès lors, l’offre économiquement la plus avantageuse au regard du droit français peut recouvrer deux réalités : l’offre répondant le mieux à plusieurs critères, qu’on pourrait qualifier assez imparfaitement de mieux disante, ou l’offre la moins chère, qu’on pourrait qualifier aussi assez imparfaitement de moins-disante.

 

Cette formulation n’est pas en adéquation totale avec celle retenue dans la directive 2014/24/UE du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics pour qui les critères sur lesquels se fonde le pouvoir adjudicateur sont soit, lorsque l’attribution se fait à l’offre économiquement la plus avantageuse, divers critères liés à l’objet du marché public, soit uniquement le prix le plus bas. Ainsi, en vertu de la directive, l’attribution à l’offre économiquement la plus avantageuse implique nécessairement la fixation d’une pluralité de critères, le choix du critère unique du prix est aussi possible mais ne s’inscrit pas dans le cadre de l’offre économiquement la plus avantageuse. Mais cette différence n’est que d’ordre sémantique, elle n’a pas de portée juridique puisque les deux textes autorisent soit à recourir au critère unique du prix, soit à une pluralité de critères.

 

Cependant, le recours au critère unique n’est juridiquement possible que s’il est justifié par l’objet du marché. Cet objet doit donc être suffisamment simple, courant, pour que le seul recours au critère du prix suffise à identifier de façon précise et objective l’offre économiquement la plus avantageuse. Un tel recours peut donc être utilisé pour des prestations simples comme des fournitures courantes portant sur des produits standardisés ayant des caractéristiques et des qualités similaires quel que soit le fournisseur. À l’inverse, si l’objet du marché porte sur des prestations complexes où la qualité peut être diverse et où le savoir-faire et la technicité du prestataire sont essentiels et peuvent être très variables d’une entreprise à l’autre, le recours au critère unique du prix est proscrit car il ne permet pas de découvrir l’offre économiquement la plus avantageuse. Dès lors, le pouvoir adjudicateur qui souscrit au critère unique du prix doit être capable de prouver que l’objet du marché l’autorisait à faire ce choix. Par conséquent, comme l’écrit D. Supplisson, « le pouvoir adjudicateur devrait en tout état de cause être en mesure de démontrer que les propositions des entreprises mises en concurrence pour le type d’achat concerné ne sont pas susceptibles de se distinguer réellement autrement que par le critère du prix ».

 

On peut donc considérer que le recours au critère unique est limité aux marchés ayant un objet simple, et qu’en conséquence, il est l’exception, tandis que le recours à une pluralité de critères est la règle de principe. À bien des égards, l’examen des offres sous le seul angle du prix est fréquemment trop réducteur car il est clair que, notamment, la valeur technique, le coût d’utilisation sont des éléments d’appréciation des offres très importants pour dégager l’offre la plus avantageuse.

 

  • 2. – Critères utilisables en cas de pluralité de critères

 

Ces critères doivent répondre à certaines conditions qui constituent l’encadrement juridique du choix des critères d’attribution et font l’objet d’une liste non limitative qui permet donc de recourir à d’autres critères que ceux mentionnés dans cette dernière.

  • Encadrement juridique de la détermination des critères d’attribution

 

Tout d’abord, le Code des marchés publics reconnaît au pouvoir ou à l’entité adjudicateurs une liberté de choix des critères d’attribution. Ils peuvent donc librement déterminer les critères les mieux adaptés au marché et au besoin auquel ce dernier répond. Cette détermination suppose, en conséquence, une précise et approfondie définition du besoin à satisfaire et une bonne connaissance du secteur d’activité concerné, c’est-à-dire des solutions disponibles et susceptibles de le satisfaire. Il est donc judicieux de fixer ces critères lors de l’analyse des besoins ou, au moins, en phase avec cette analyse. Autrement dit et comme l’indique M. Crahès, ce choix « doit résulter d’une analyse technique et économique des différentes composantes du besoin à satisfaire ».

 

Ensuite, il faut souligner que cette liberté de choix est conditionnée et encadrée. En effet, ces critères en tout état de cause doivent obligatoirement être liés à l’objet du marché et donc être justifiés par cet objet, être non discriminatoires et permettre, au regard de l’objet du marché, de dégager l’offre économiquement la plus avantageuse. Ainsi, ces critères doivent, à la fois, être objectifs et opérationnels. Ils ne doivent pas conférer une trop large liberté de choix au pouvoir ou à l’entité adjudicateur, choix qui deviendrait alors quasiment discrétionnaire.

 

Enfin, le pouvoir adjudicateur ne peut retenir comme critère d’attribution des critères relatifs à la capacité des candidats : sélection des candidats et sélection des offres sont deux étapes et deux taches différentes de la procédure de passation et ne doivent donc pas être confondues. Les critères d’attribution ou de jugement des offres servent uniquement à évaluer et à juger les offres présentées par les candidats pour permettre de dégager l’offre qui répond le mieux au besoin du pouvoir adjudicateur tandis que les critères de sélection des candidats ont pour objet de jauger la capacité professionnelle, technique, financière des candidats et de sélectionner les candidats qui seront admis à présenter une offre. Les premiers portent donc sur les caractéristiques et qualités des offres alors que les seconds concernent la capacité et donc l’aptitude des candidats. Cette solution est consacrée tant par la jurisprudence communautaire que nationale.

 

Bref, ces conditions de légalité encadrent le choix des critères d’attribution opéré par le pouvoir adjudicateur qui fait l’objet d’un contrôle du juge. Mais l’illégalité d’un critère n’entraîne pas automatiquement la nullité de la procédure. Une telle illégalité ne provoque une telle nullité que si le critère illégalement retenu a pu avoir un effet sur la mise en concurrence, par exemple en dissuadant certains candidats potentiels de faire acte de candidature.

  • Critères d’attribution mentionnés à l’article 53 du Code des marchés publics

 

L’article 53 du Code des marchés publics dresse une liste de critères d’attribution qui peuvent être utilisés par le pouvoir adjudicateur s’ils sont justifiés par l’objet du marché. Cette liste n’est pas limitative puisqu’elle est précédée de l’adverbe notamment, ce qui est confirmé par la possibilité laissée par cet article d’utiliser d’autres critères. Elle est donc aussi indicative comme le corrobore la directive 2014/24/UE du 26 février 2014 qui fait précéder sa liste de critères de la locution « par exemple » et la jurisprudence communautaire. Le pouvoir adjudicateur choisit librement parmi ces critères ceux qui lui permettent de répondre le mieux possible à ses besoins et à l’objet du marché. Ces critères ont une nature économique ou qualitative ou temporelle.

  • Critères économiques

 

Sont mentionnés : le prix, le coût global d’utilisation, la rentabilité et les performances en matière d’insertion professionnelle des publics en difficulté.

 

Le premier critère économique dans la liste des critères de l’article 53 et au deuxième rang dans cette liste, est celui du prix. Ce positionnement traduit l’importance de ce critère dans la détermination de l’offre économiquement la plus avantageuse, la prise en compte du prix étant très fréquemment incontournable dans une analyse économique de l’offre. En effet, il paraît très délicat d’identifier l’offre économiquement la plus avantageuse sans appréhender son prix. Bien des marchés s’analysant comme un acte d’achat, l’achat et le prix étant deux notions consubstantielles, il apparaît peu concevable d’ignorer le prix dans le jugement de l’offre économiquement la plus avantageuse.

 

Pour autant, ce critère, pas plus que les autres, n’est obligatoire comme le confirme la jurisprudence. Dans cet arrêt, le Conseil d’État observe que les dispositions de l’article 53 du Code des marchés publics « n’ont ni pour objet, ni pour effet de rendre obligatoire ce critère [du prix] lorsque la personne publique adopte plusieurs critères d’attribution du marché dans la mesure où les critères retenus, eu égard à l’objet du marché, permettent de déterminer l’offre économiquement la plus avantageuse ». Autrement dit, si l’objet le permet et si les critères retenus suffisent à dégager l’offre économiquement la plus avantageuse, le critère du prix peut ne pas être retenu. Toutefois, les cas où cette situation est possible sont rares et concernent des marchés ayant un objet très particulier comme les marchés de mobiliers urbains.

  • Critères qualitatifs

 

Sont mentionnés : la qualité, la valeur technique, le caractère esthétique et fonctionnel, le caractère innovant, le service après-vente et l’assistance technique, les performances en matière de protection de l’environnement. La qualité est le critère d’attribution mentionné en première position dans la liste des critères de l’article 53 ce qui traduit la volonté des pouvoirs publics d’encourager la recherche du mieux-disant plutôt que du moins-disant. Mais ce critère est général et large et, s’il n’est pas précisé, il risque de laisser une trop grande marge de manœuvre au pouvoir adjudicateur et d’enfreindre la condition d’objectivité et de non-discrimination qui doit être attachée à chaque critère d’attribution. La qualité en tant que critère doit donc être qualifiée – s’agit-il d’une qualité technologique ou d’une qualité liée à la consistance, à la solidité et aux performances des matériaux utilisés ? – et précisée, autrement dit l’acheteur public doit indiquer les éléments qualitatifs qu’il a décidé d’utiliser pour juger les offres. À cet égard, le recours à des sous critères est ici bien venu. Par exemple, pour un marché de travaux, le pouvoir adjudicateur peut décider de prendre en compte la fiabilité et la sécurité des procédés utilisés.

  • Critères temporels

 

Sont cités par l’article 53, la date ou le délai de livraison et la date d’exécution. Il est clair que lorsque la satisfaction du besoin du pouvoir ou de l’entité adjudicateurs est pressante car elle conditionne le fonctionnement du service public, ces critères sont importants. Mais ces critères comme les autres doivent être justifiés notamment par l’objet du marché. Il en va ainsi, par exemple, quand le marché porte sur l’entretien ou la réparation d’équipements indispensables au fonctionnement du service public comme des réseaux de distribution.

 

CHAPITRE II. – NOTION D’OFFRE ANORMALEMENT BASSE

 

Comme il a été évoqué dans l’introduction et tel qu’il découle de l’analyse de la notion d’offre économiquement avantageuse faite ci-dessus, elle ne doit pas être nécessairement confondue avec la plus basse. Toutefois, il est avéré que pour les soumissionnaires, la tentation est grande de déposer les offres les plus basses possibles dans le dessein de se faire attribuer le marché. Cette tentation s’explique par l’importance donnée au critère du prix.

 

Cependant, comme on l’a souligné, le dépôt par les candidats à l’attribution d’un marché public des offres les plus basses possibles présente des risques tant pour la concurrence que pour la collectivité publique. Aussi, il est apparu nécessaire de permettre au pouvoir adjudicateur d’éliminer les offres anormalement basses.

 

Section I. – Identification des offres anormalement basses

 

  • 1. – La détection d’une OAB relève du pouvoir discrétionnaire de l’acheteur public

  • Généralités

 

Comme ses prédécesseurs, l’actuel Code des marchés publics ne donne aucune définition de l’offre anormalement basse. Son appréciation relève du pouvoir discrétionnaire du pouvoir adjudicateur pour les marchés publics passés par l’État et de la Commission des appels d’offres (CAO) pour les marchés des collectivités locales.

 

Cependant, ce pouvoir discrétionnaire ne retire en rien la difficulté à laquelle se trouve confronté le pouvoir adjudicateur ou la CAO puisque l’appréciation du caractère bas d’une offre est particulièrement délicate dans une procédure conduisant au choix de l’offre économiquement la plus avantageuse et non au choix de l’offre moins-disante comme c’était le cas avec l’ancienne procédure d’adjudication. Sans parler de l’appréciation du caractère de ce qui relève de la normalité ou de l’anormalité. Comme vient de l’indiquer le juge administratif dans le cadre d’un référé précontractuel, le requérant qui invoque le caractère anormalement bas d’une offre concurrente doit rapporter la preuve de cette anormalité et pas se contenter de comparer les différents prix proposés par les candidats ou les prix proposés lors de procédures antérieures.

 

Malgré tout, une jurisprudence abondante met en évidence l’importance particulière de l’aspect pécuniaire dans l’identification d’une offre anormalement basse. Ainsi, une offre anormalement basse se décèle, en règle générale, par une offre très intéressante sur le plan financier et qui se démarque largement des offres présentées par les autres candidats. Par exemple, a été jugée comme anormalement basse, l’offre dont les coefficients de marge de l’entreprise étaient excessivement bas et le prix des fournitures non corroboré par les fournisseurs. Il y a également offre anormalement basse, lorsque le faible niveau des prix proposés par rapport au marché actuel sans document justificatif peut être assimilé à une vente à perte

 

Il arrive parfois que l’offre anormalement basse soit le fait d’entreprises en difficulté. Par exemple, il y a offre anormalement basse lorsque la CAO estime que l’offre, du fait de sa sous-évaluation financière, recèle des risques d’inexécution du marché ou d’exécution non conforme aux obligations contractuelles.

 

L’offre anormalement basse est aussi le fait d’entreprises en position dominante qui développent des stratégies prédatrices. Un tribunal administratif a donné une illustration éclairante de cette hypothèse : « la pratique de prix bas ne peut être qualifiée d’anticoncurrentielle que s’il est établi qu’elle a eu pour objet ou peut avoir pour effet l’élimination d’un opérateur sur le marché ; que cette condition est remplie lorsqu’il est établi que la prestation est proposée à un prix unitaire inférieur au coût moyen variable de production, tel qu’il résulte de la comptabilité analytique de l’entreprise mise en cause ».

  • Un prix bas ne suffit pas à caractériser une offre anormalement basse

 

Les acheteurs publics doivent veiller à détecter les offres anormalement basses. En effet, ces offres séduisantes financièrement pourraient se révéler fragiles dans leur exécution et conduire le pouvoir adjudicateur dans de graves difficultés (avenants augmentant le coût total du marché, mauvaise qualité lors de l’exécution du marché, entrepreneur défaillant).

 

Ceci dit, la qualification est difficile car ni le code, ni les directives européennes ne donnent de définition de l’offre anormalement basse. Les pouvoirs adjudicateurs doivent apprécier la réalité économique des offres afin de différencier l’offre anormalement basse d’une offre concurrentielle. Comme l’énonce une récente réponse ministérielle, un prix faible ne suffit pas à exclure une offre. Il n’est pas non plus possible d’exclure automatiquement une offre sur la base du seuil fixé en amont. À tout le moins, le pouvoir adjudicateur peut utiliser une formule mathématique, afin de déterminer un seuil d’anomalie, en deçà duquel les offres sont détectées comme anormalement basses. De plus, la comparaison avec le prix moyen proposé par les autres candidats n’est pas non plus la garantie d’avoir affaire à une offre anormalement basse. Il en va de même de la différence conséquente entre le prix de l’offre d’un candidat et l’estimation de l’Administration. Ces situations ne peuvent que constituer des indices de suspicion d’une offre anormalement basse. Enfin, il appartient au pouvoir adjudicateur de s’assurer que l’offre présentée permet à son auteur de respecter ses obligations sociales issues du Code du travail et des conventions collectives, notamment en matière de rémunération.

  • Un prix compromettant la bonne exécution du marché

 

Dans une décision rendue le 29 mai 2013, le Conseil d’Etat a souligné qu’en cas de soupçon d’une offre anormalement basse, il convient de rechercher si le prix est en lui-même « manifestement sous-évalué », c’est-à-dire « susceptible de compromettre la bonne exécution du marché ».

 

En l’espèce, le ministre de l’Intérieur avait lancé une procédure d’appel d’offres en vue de l’attribution d’un marché de maintenance multiservices et multitechniques pour les centres de rétention du Mesnil Amelot n° 2 et n° 3. La société Artéis, titulaire des deux lots du précédent marché, a été informée que son offre pour le lot n° 1 n’avait pas été retenue, que l’offre qu’elle avait présentée pour le lot n° 2 avait été déclarée irrégulière et que ces lots avaient été attribués à deux autres sociétés. La société Artéis a alors saisi le juge des référés du tribunal administratif de Versailles sur le fondement de l’article L. 551-1 du Code de justice administrative et celui-ci a annulé l’ensemble de la procédure de passation au motif que le prix proposé par la société attributaire du lot n° 1 était nettement inférieur à celui que proposait la société Artéis et que les explications fournies n’étaient pas de nature à justifier la différence de prix entre les deux offres. 

 

Le Conseil d’État a toutefois décidé qu’en se fondant, pour estimer que l’offre de l’attributaire était anormalement basse, sur le seul écart de prix avec l’offre concurrente, sans rechercher si le prix en cause était en lui-même manifestement sous-évalué et, ainsi, susceptible de compromettre la bonne exécution du marché, le juge des référés avait commis une erreur de droit et a donc annulé l’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Versailles. 

 

Dans cette décision, la Haute juridiction paraît aborder la problématique de l’offre anormalement basse sous un angle propre au champ normatif du droit des marchés publics. Elle délaisse en effet l’approche du prix anormalement bas telle qu’elle découle du droit de la concurrence et qui fait du prix anormalement bas, avant tout, un prix prédateur c’est-à-dire qui est insuffisant au regard des différents coûts qui doivent nécessairement être pris en compte dans ce prix et qui est, par conséquent, susceptible de fausser le « jeu normal » de la concurrence. Dans cette approche, l’opérateur économique qui propose un prix anormalement bas est uniquement animé par la volonté d’éviction du marché des autres opérateurs concurrents. 

 

Dans une approche propre au droit des marchés publics, le prix anormalement bas est, comme l’énonce simplement le Conseil d’État, un prix qui, en réalité, de par sa sous-évaluation, est susceptible de compromettre la bonne exécution. Il appartient donc au pouvoir adjudicateur, lorsqu’il estime qu’un prix est anormalement bas (et au juge s’il est saisi d’un recours fondé sur ce moyen) de demander au candidat de justifier son prix et notamment de démontrer que les prestations du marché pourront bien être réalisées sur la base de ce prix.

 

Le Conseil d’État précise que l’article 55 du Code des marchés publics n’impose pas au pouvoir adjudicateur de poser aux candidats des questions précises lorsqu’il estime que ces derniers ont présenté une offre anormalement basse de justifier. Il est suffisant que le pouvoir adjudicateur demande des justifications quant au prix proposé sans davantage de précision.

 

  • 2. – La Charte d’orientation des collectivités territoriales

 

Une Charte d’orientation pour l’élimination des offres anormalement basses signée par de nombreuses collectivités territoriales identifie comme étant anormalement basses les offres inférieures d’au moins 10 % à la moyenne des offres des entreprises, les offres excédant de 20 % ou plus la moyenne des offres présentées. Une telle pratique est sujette à caution pour plusieurs raisons.

 

Outre qu’elle porte atteinte au principe de la liberté des prix, l’application de cette charte pourrait décourager la capacité innovante des entreprises. Un candidat peut proposer un prix des plus attractifs en raison d’une structure de coûts différente ou de l’utilisation de procédés particulièrement innovants qui le démarque des autres candidats.

 

Par exemple, le Conseil d’État a jugé que ne constituait pas une offre anormalement basse, l’offre d’une entreprise qui répondait aux exigences de la réglementation, « la seule modération de ce prix ne pouvait révéler l’incapacité technique de l’entreprise à réaliser les travaux en cause, alors qu’elle présentait un ensemble de référence concernant notamment des travaux routiers d’importance analogue réalisés pour le compte de collectivités publiques ».

 

À cet égard, l’avocat général Ruiz-Jarabo Colomer, dans ses conclusions sur l’affaire Impresa Lombardi SpA, a eu l’occasion d’indiquer que, « le concept d’offre anormalement basse n’est pas un concept abstrait ; bien au contraire, il se définit par référence au marché devant être attribué et relativement à la prestation ». Dans son arrêt, la Cour de Luxembourg, interprétant la directive 93/37 du 14 juin 1993 portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, a indiqué que pouvait être considérée comme anormalement basse l’offre présentant un rabais supérieur à un seuil d’anomalie calculé selon une formule mathématique en fonction de l’ensemble des offres reçues pour l’adjudication en cause.

 

Enfin et peut-être surtout, conformément à l’article 53, II alinéa 1er du Code des marchés publics, l’Administration dispose d’un nombre élevé de critères permettant de fonder son offre. Le prix en est un mais il n’est pas le seul. Autrement dit, l’offre, même si elle est très avantageuse financièrement, doit s’apprécier dans sa globalité.

 

Toutes ces raisons expliquent probablement que l’État se soit clairement exprimé contre cette charte qui ne saurait donc l’engager.

 

En présence d’une offre qu’elle juge anormalement basse, la CAO ne peut pas prendre l’initiative, sans en référer au préalable à l’entreprise concernée, d’amender les propositions qui lui sont soumises et, par exemple, rectifier les prix et les quantités proposées en les alignant sur les prix de séries donnés par l’office des prix du bâtiment ce qui a eu pour conséquence de rendre plus avantageuses les propositions d’une autre entreprise.

 

Section II. – Offre anormalement basse : du fait d’une aide publique ; face au principe d’égalité de traitement

 

  • 1. – Offre anormalement basse du fait d’une aide publique

 

Avant l’adoption de la directive no 2004/18/CE relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services, seuls les textes applicables aux secteurs spéciaux comprenaient des dispositions relatives au traitement des offres anormalement basses du fait de l’octroi d’une aide publique, bien que la problématique de la participation d’organismes aidés aux procédures de mise en concurrence se pose également dans les secteurs classiques. Désormais, le mécanisme figure également dans les textes relatifs aux secteurs classiques.

 

La règle en la matière est celle de l’interdiction du rejet d’une offre fondé sur son caractère anormalement bas, si celui-ci est lié à l’obtention d’une aide publique dont le candidat est en mesure de prouver qu’elle a été notifiée à la Commission européenne ou a été autorisée par celle-ci.

 

Pour pouvoir rejeter une offre du fait de son caractère anormalement bas, l’acheteur public doit demander par écrit des précisions au candidat quant à la justification du montant de son offre. Dans l’hypothèse où le candidat a pu proposer un prix particulièrement bas grâce à une aide publique, l’opérateur de réseau doit lui demander la preuve de la validité de l’aide publique au regard du droit communautaire. Si l’aide est effectivement autorisée légalement (autorisation individuelle après notification, ou insertion dans un régime d’aides autorisé), l’acheteur public ne peut pas rejeter l’offre du fait de son caractère anormalement bas. Si tel n’est pas le cas, il peut rejeter l’offre au motif qu’elle est anormalement basse, et doit informer la Commission européenne de sa décision.

 

  • 2. – Offre anormalement basse face au principe d’égalité de traitement

 

De manière générale, il faut rappeler qu’en matière administrative, toute décision de l’Administration doit scrupuleusement respecter le principe général d’égalité et son corollaire, le principe de la libre et égale concurrence entre les entreprises privées. Il s’agit là d’un principe général du droit applicable, notamment, à l’ensemble des procédures de concours.

 

En matière contractuelle, la notion d’égalité de traitement commande le régime d’attribution des contrats publics. Dans des conclusions célèbres, le commissaire du gouvernement Romieu soulignait que : « Le soumissionnaire évincé a le droit de demander l’annulation de l’adjudication pour inobservation des règles fondamentales, même si elles sont édictées dans l’intérêt de l’administration, du moment où une inégalité a été créée entre les concurrents ».

 

Ainsi, lorsqu’un pouvoir adjudicateur demande à un soumissionnaire de justifier son prix pour vérifier que son offre n’est pas anormalement basse, il ne peut pas par la suite attribuer le contrat à un autre soumissionnaire proposant un prix moins élevé s’il ne lui a pas également demandé de justifier son prix pour vérifier l’absence d’offre anormalement basse.


PARTIE II. – REGIME JURIDIQUE DE L’OFFRE ANORMALEMENT BASSE

 

Dans cette seconde partie, il sera question de savoir si l’élimination des offres anormalement basses par le pouvoir adjudicateur est une simple faculté ou une obligation d’une part (Chapitre I), et la procédure qu’il doit respecter avant de prendre une décision (Chapitre II).


CHAPITRE I. – ELIMINATION DES OFFRES ANORMALEMENT BASSES : SIMPLE FACULTE OU OBLIGATION POUR L’ACHETEUR PUBLIC ?

 

L’article 55 du Code des marchés publics autorise le pouvoir adjudicateur ou la CAO pour les marchés des collectivités territoriales à écarter une offre anormalement basse. La question qui se pose alors est de savoir si cette mise à l’écart constitue une faculté pour l’Administration ou une obligation.

 

Section I. – Le code des marchés publics : simple faculté

 

  • 1. – Généralités

 

La question de savoir s’il était opportun ou pas d’ériger le rejet des offres anormalement basses en obligation a fait l’objet de vifs débats qui a débouché, en 2001, à l’adoption du nouveau code des marchés publics.

 

L’avant-projet de réforme, annexé au rapport Trassy-Paillogues, avait avancé de rendre obligatoires, d’un côté, la mise sur pied par les collectivités publiques d’un mécanisme permettant de détecter les offres suspectes et, d’un autre côté, d’éliminer les offres anormalement basses dès lors qu’elles semblent manifestement insusceptibles de couvrir les coûts du marché. Il étendait par ailleurs ces mêmes obligations à la partie sous-traitée des travaux. 

 

Cependant, le Conseil de la concurrence s’est montré hostile à ce dispositif. Dans son avis du 2 juillet 1996, celui-ci a fait observer que « le droit de la concurrence n’interdit pas que, pour pénétrer les marchés nouveaux, des entreprises consentent des efforts, parfois importants, en matière de prix ou de services, éventuellement jusqu’à une marge nulle, voire négative, et répartissent les pertes et les profits qu’elles retirent entre les différents marchés qu’elles obtiennent ». 

 

Il a relevé, par ailleurs, qu’une offre peut paraître anormalement basse par rapport à celle de ses concurrents pour la simple raison qu’elle émane d’un « dissident » réellement compétitif et que les autres candidats ont noué une entente les conduisant à déposer des offres anormalement élevées.

 

Toujours selon le Conseil de la concurrence, seules devraient, par conséquent, être condamnées, « les stratégies de prix prédateurs qui consistent, pour l’entreprise soumissionnaire, à rechercher l’élimination de ses concurrents en proposant des prestations à des prix inférieurs à ses coûts moyens variables ou encore des prix entraînant obligatoirement une perte substantielle et en compensant ultérieurement les pertes résultant de son offre sous-évaluée, soit par la conclusion d’avenants plus avantageux, soit à l’occasion d’autres marchés ».

 

Aussi bien, le Conseil de la concurrence était-il d’avis que le rejet des offres anormalement basses ne devait pas être rendu obligatoire et qu’en toute hypothèse, l’appréciation du niveau d’une offre ne devrait résulter que d’une analyse du rapport entre le bordereau des prix unitaires et la structure des coûts de l’entreprise concernée, à l’exclusion de tout mécanisme d’élimination automatique fondé sur une moyenne arithmétique des offres en présence.

 

Cette position très ferme du Conseil de la concurrence est sans doute, pour une large part, à l’origine du recul du projet de loi par rapport aux mesures initialement envisagées. Dans sa version définitive, le texte déposé devant l’Assemblée Nationale adopte une position de compromis entre les souhaits des PME et ceux du Conseil.

 

Répondant au souci des premières, il maintient l’obligation pour les collectivités publiques de déceler les offres particulièrement basses. Il précise en outre que leur détection devra s’opérer au regard de l’estimation prévisionnelle du montant des travaux et de l’ensemble des autres offres, selon des modalités arrêtées par décret en Conseil d’Etat. En cela, il s’inspire des propositions faites par certaines organisations syndicales du bâtiment et des travaux publics.

 

Mais, suivant sur ce point l’avis du Conseil de la concurrence, le texte ne fait de l’élimination des offres anormalement basses qu’une simple faculté pour le maître de l’ouvrage. Rappelons les termes de l’article 55 qui prévoit que, « si une offre paraît anormalement basse […], elle peut la rejeter par décision motivée ».

 

  • 2. Eliminer une offre anormalement basse, une simple faculté : un choix insatisfaisant pour deux raisons

 

Le fait de ne faire le rejet d’une offre anormalement basse en une simple faculté pour le pouvoir adjudicateur n’apparaît guère satisfaisant. Deux types de préoccupations peuvent faire place à la méfiance à l’encontre d’une telle offre :

  • protection du libre jeu de la concurrence contre des comportements qui pourraient l’entraver ;
  • protection des collectivités publiques contre les offres susceptible de compromettre la bonne exécution du marché. 

 

Or, aucune de ces deux considérations ne peut se satisfaire d’une simple faculté d’élimination.

 

Primo, la censure d’un comportement susceptible de fausser le libre jeu de la concurrence ne devrait pas être une simple faculté laissée à la discrétion de l’acheteur public. C’est d’ailleurs dans cette perspective que le juge administratif a pu avancer que l’administration a l’obligation d’éliminer les offres qui portent atteinte au libre jeu de la concurrence, en l’occurrence des offres présentées de manière concertée. Se basant sur cette décision, le Conseil de la concurrence souligne « la charge qui incombe au maître d’ouvrage de ne pas donner suite à un appel d’offres pour lequel il aurait des indices sérieux de pratiques ayant eu pour effet de fausser la concurrence ». Plus largement, le Conseil d’Etat oblige la personne publique responsable du marché « de s’assurer, lorsqu’elle engage une procédure de passation d’un marché public, que les règles de libre concurrence sont effectivement respectées ».

 

Secundo, le moyen privilégié d’assurer une protection des collectivités publiques est de les empêcher de prendre des risques inconsidérés. Nonobstant l’hostilité du Conseil de la concurrence d’imposer une obligation d’élimination des offres anormalement basses parce que cela impliquerait l’existence d’un critère sûr permettant de distinguer une offre anormalement basse d’une offre concurrentielle, cette cette considération n’a vocation à jouer que sur le contrôle opéré par le juge et non sur le principe même de l’obligation. Dit autrement, si elle invite à laisser au pouvoir adjudicateur une marge de manœuvre étendue dans le choix de rejeter ou de retenir une offre qui paraît anormalement basse, il reste la place pour un contrôle de l’erreur manifeste.

 

  • 3. – Absence de sanction dans le droit de la concurrence

 

Le choix opéré par les rédacteurs du code est d’autant plus préjudiciable que les deux moyens qu’aurait pu offrir le droit de la concurrence pour faire sanctionner le caractère anormalement bas d’une offre sont inefficaces.

 

Il en va ainsi, en premier lieu, de la prohibition des prix prédateurs. La pratique des prix prédateurs est considérée comme un abus de structure susceptible de sanction au titre des abus de position dominante. La qualification de prix prédateur implique la réunion de trois conditions : que l’entreprise soit en position dominante, que les prix bas aient été rendus possibles par cette position dominante et que les prix proposés soient véritablement prédateurs, c’est-à-dire qu’ils soient susceptibles d’empêcher l’accès des concurrents au marché ou de les exclure. L’inefficacité du moyen tiré de la pratique de prix prédateurs tient à la difficulté de démontrer que le soumissionnaire détient une position dominante sur le marché pertinent.

 

Est inefficace, en second lieu, le moyen tiré de la violation de l’article L. 420-5 du code de commerce qui prohibe les prix abusivement bas. La qualification de prix abusivement bas suppose la réunion de trois conditions : l’acheteur doit être un consommateur ; le prix de vente doit être insuffisant au regard des coûts de production, de commercialisation ou de transformation ; le prix doit traduire une volonté d’éviction ou une possibilité d’éviction. Or, l’acheteur public, à l’instar de la collectivité délégante, n’est pas considéré comme un « consommateur ». Pour être considéré comme tel, l’acquéreur devrait remplir deux conditions : agir pour la satisfaction de ses propres besoins et ne pas avoir de connaissances particulières dans le domaine dans lequel il contracte.

 

S’agissant de la première condition, le Conseil de la concurrence considère que les collectivités publiques interviennent, « non pour satisfaire leurs propres besoins », mais pour satisfaire ceux de la population. Il en va cependant autrement dans le cas de missions d’assistance à maître d’ouvrage, car, dans cette hypothèse, la demande formulée par le pouvoir adjudicateur « vise bien à satisfaire les besoins propres » de la collectivité. Quant à la seconde condition, il a été jugé que l’exigence qui pèse sur les acheteurs publics d’analyser la composition des offres suppose une compétence technique « incompatible avec la notion de « consommateur » ». Le Conseil de la concurrence a cependant pu se livrer à une appréciation in concreto de la compétence du pouvoir adjudicateur, se montrant sensible à l’argument selon lequel le pouvoir adjudicateur avait dû, en l’espèce, conclure un contrat d’assistance technique, ce qui révélait son inexpérience. Toutefois, le simple fait qu’il ait diligenté la procédure de passation et qu’il ait apprécié les offres proposées a suffi à exclure la qualification de consommateur.

 

La nécessité de sanctionner les offres anormalement basses et l’absence de sanction dans le droit de la concurrence ont conduit le juge administratif à transformer progressivement la faculté d’élimination en une véritable obligation.

 

Section II. – La jurisprudence : obligation

 

  • 1. La consécration par le juge administratif de l’obligation d’éliminer les OAB : CE, 29 mai 2003, n° 30666, min. Int. c/ sté Artéis 

 

Dès 2000, le tribunal administratif de Rouen a consacré, non l’obligation d’éliminer, mais celle de détecter les offres suspectes et, par conséquent, de mettre en œuvre le mécanisme de demande de justifications prévu par l’article 55 du Code des marchés publics. La cour administrative d’appel de Marseille est allée plus loin en consacrant, en 2006, l’obligation d’éliminer les offres anormalement basses lorsque le candidat n’a pas fourni de justifications convaincantes.

 

En résulte une double obligation de détection et d’élimination que plusieurs tribunaux administratifs ont formulée dans un considérant de principe : « Il appartient au pouvoir adjudicateur qui se voit remettre une offre paraissant manifestement anormalement basse […] tout d’abord, de solliciter de son auteur la communication de tous les éléments permettant d’en vérifier la viabilité économique et, ensuite, d’éliminer ladite offre si les justifications fournies par le candidat ne permettent pas d’établir cette viabilité ».

 

Certaines juridictions du fond ont cependant entretenu le doute en maintenant une lecture littérale de l’article 55. Ce doute a été levé par le Conseil d’Etat, d’abord implicitement, puis explicitement, en énonçant qu’il « incombe au pouvoir adjudicateur qui constate qu’une offre paraît anormalement basse de solliciter auprès de son auteur toutes précisions et justifications de nature à expliquer le prix proposé ; que si les précisions et justifications apportées ne sont pas suffisantes pour que le prix proposé ne soit pas regardé comme manifestement sous-évalué et de nature, ainsi, à compromettre la bonne exécution du marché, il appartient au pouvoir adjudicateur de rejeter l’offre ». A cet égard, on peut regretter que les projets de directives Marchés publics se situent en retrait de cette évolution. En effet, s’ils rendent obligatoire la détection des offres suspectes, ils n’imposent leur élimination que lorsque l’offre est anormalement basse « parce qu’elle contrevient aux obligations établies par la législation de l’Union en matière de droit social et du travail ou de droit environnemental ou aux dispositions internationales en matière de droit social et environnemental ».

 

  • 2. – Fondement de l’obligation du pouvoir adjudicateur d’éliminer les offres anormalement basses

 

Si des incertitudes pèsent sur le fondement de cette obligation d’élimination, qui ne peut reposer sur la seule lettre de l’article 55, un consensus s’est formé sur la possibilité de la fonder sur l’article 1er, II du code des marchés publics : « Les marchés publics et les accords-cadres soumis au présent code respectent les principes de liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures. Ces principes permettent d’assurer l’efficacité de la commande publique et la bonne utilisation des deniers publics ».

 

Le choix de ce fondement n’est pas que théorique ; il a des conséquences importantes sur le champ d’application de l’obligation d’élimination. D’abord, dans la mesure où les principes énoncés à l’article 1er, II concernent l’ensemble des marchés publics indépendamment de la procédure de passation, l’obligation de détection et d’élimination vaut « quelle que soit la procédure de passation mise en œuvre ».

 

Plus encore, les principes énoncés à l’article 1er étant communs à l’ensemble des contrats de la commande publique, certaines juridictions du fond ont pu étendre l’obligation de détection et d’élimination aux délégations de service public.

 

Précisons enfin que l’obligation de détection et d’élimination s’applique également et fort logiquement à l’égard des offres présentées par les personnes publiques.

 

  • 3. – Portée de l’obligation d’éliminer les offres anormalement basses

 

La consécration par le juge administratif de l’obligation d’éliminer les offres anormalement basses appelle trois précisions.

 

La première concerne le contrôle du juge, qui se limite à un contrôle de l’erreur manifeste, qu’il s’agisse du contrôle exercé sur la décision de retenir une offre paraissant anormalement basse.

 

La deuxième concerne les recours dont dispose le concurrent évincé pour faire respecter l’obligation de détection et d’élimination. Lui a notamment été reconnue la possibilité d’exercer un référé précontractuel. Le doute était permis en raison de la limitation des irrégularités qui peuvent être utilement invoquées aux seuls manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence. La jurisprudence retient certes une approche extensive de ces irrégularités, mais le juge du référé précontractuel ne peut pas se prononcer sur le bien-fondé du choix opéré par le pouvoir adjudicateur. Il a cependant été jugé que la décision de retenir ou de rejeter une offre anormalement basse affectait la liste des offres et se situait donc en amont du choix de l’offre. Ainsi, de même qu’il peut apprécier si une offre est irrégulière, inacceptable ou inappropriée, le juge du référé précontractuel peut apprécier si une offre est ou non anormalement basse.

 

La troisième remarque concerne la charge de la preuve, qui pèse sur celui qui soutient le caractère anormalement bas de l’offre : l’administration lorsque celle-ci a rejeté une offre, le concurrent évincé lorsqu’il soutient le caractère anormalement bas de l’offre retenue par l’administration.


CHAPITRE II. – REJET DES OFFRES ANORMALEMENT BASSES

 

Si l’élimination d’une offre jugée anormalement basse est une obligation pour l’acheteur public, lorsqu’une telle décision est prise, elle ne peut intervenir qu’après que des précisions jugées utiles ont été demandées par écrit et après vérification des justifications fournies.

 

Section I. – Une offre suspectée d’être anormalement basse est subordonné à une procédure contradictoire…

 

Le rejet des offres anormalement basses est subordonné, tant par l’article 55 du code des marchés publics que par les directives Marchés publics, à une procédure contradictoire. L’article 55 oblige ainsi le pouvoir adjudicateur, avant de pouvoir rejeter une offre, à demander au soumissionnaire « par écrit les précisions qu’il juge utiles » et à vérifier « les justifications fournies ». Est ajoutée une liste de justifications qui « peuvent être prises en considération » pour décider finalement de rejeter ou de retenir l’offre suspecte.

 

L’exigence d’une procédure contradictoire répond à deux sortes de préoccupations : la protection du soumissionnaire de l’arbitraire de l’acheteur public et celle des concurrents évincés contre la complaisance de celui-ci.

 

  • 1. – Protection du soumissionnaire de l’arbitraire du pouvoir adjudicateur

 

La principale préoccupation de l’exigence d’une procédure contradictoire en matière de rejet d’une OAB a été soulignée par la Cour de justice de l’Union européenne, qui est de « protéger le soumissionnaire de l’arbitraire du pouvoir adjudicateur ». Pour la Cour de justice, le but est particulièrement d’éviter que le pouvoir adjudicateur ne profite de la faculté ainsi offerte pour rejeter avec trop d’empressement les offres concurrentielles venues d’opérateurs étrangers. En d’autres termes, il ne faudrait pas que l’article 55 soit utilisé comme un instrument de protectionnisme.

 

Cette volonté de protéger le soumissionnaire se manifeste de quatre manières :

 

  • En premier lieu, la demande de justification est obligatoire. En effet, l’objectif de protection du soumissionnaire contre l’arbitraire du pouvoir adjudicateur « ne pourrait être atteint si on laissait à celui-ci le soin d’apprécier l’opportunité d’une demande de justification ». Le juge administratif n’hésite d’ailleurs pas à censurer le rejet d’une offre lorsque la procédure contradictoire de l’article 55 n’a pas été préalablement mise en œuvre. Le caractère obligatoire du débat contradictoire interdit l’exclusion automatique d’une offre sur un critère mathématique, c’est-à-dire au seul motif qu’elle est inférieure à un seuil fixé en amont. Cette interdiction est consacrée par la Cour de justice dans le cas des marchés relevant du champ d’application des directives. Elle vaut également, en vertu de la liberté de circulation et du principe de non-discrimination, pour les marchés d’un montant inférieur au seuil d’application des directives, dès lors qu’ils présentent un intérêt transfrontalier certain. Dans ce cas, l’exclusion automatique est toutefois possible lorsque le nombre des offres est si élevé qu’il ferait obstacle à ce que le pouvoir adjudicateur puisse vérifier sérieusement de manière contradictoire leur composition.

 

  • En deuxième lieu, la Cour de justice exige que le pouvoir adjudicateur formule « clairement la demande adressée aux candidats concernés », afin de mettre ceux-ci en mesure de justifier pleinement et utilement le caractère sérieux de leurs offres.

 

  • En troisième lieu, certaines garanties sont accordées au soumissionnaire quant aux justifications qu’il peut apporter. Premièrement, la liste figurant à l’article 55 s’impose au pouvoir adjudicateur, qui n’est pas libre de déterminer les éléments pertinents à prendre en considération. Deuxièmement, cette liste n’est pas exhaustive. Cela signifie, d’une part, que le soumissionnaire doit pouvoir présenter à l’appui de son offre « toutes les justifications [qu’il] estime appropriées, sans aucune limitation à cet égard » et, d’autre part, que le pouvoir adjudicateur est tenu de prendre en considération l’intégralité des justifications avancées par le soumissionnaire.

 

  • En quatrième et dernier lieu, la protection du soumissionnaire implique que le caractère anormalement bas de son offre soit apprécié de manière globale. Ainsi, si le marché comprend des tranches conditionnelles, le pouvoir adjudicateur ne peut écarter une offre en se fondant sur le caractère anormalement bas du prix proposé sur la seule tranche conditionnelle du marché.

 

  • 2. Protection des concurrents évincés contre la complaisance du pouvoir adjudicateur

 

La consécration de l’obligation d’élimination des offres anormalement basses a conduit à conférer à la procédure de vérification contradictoire un second objectif. Il ne s’agit plus seulement de protéger le soumissionnaire contre l’arbitraire du pouvoir adjudicateur, mais également de protéger les concurrents évincés contre la complaisance du pouvoir adjudicateur, qui aurait retenu une offre sans l’avoir vérifiée « de façon suffisamment sérieuse ». En particulier, le pouvoir adjudicateur ne peut se contenter, pour accepter finalement l’offre, d’une simple réitération de l’engagement d’exécuter le marché aux conditions de l’offre initiale ou d’une simple réévaluation du prix proposé.

 

Section II. – …au cours de laquelle on vérifie la viabilité économique de celle-ci pour pouvoir être rejetée

 

L’objectif ultime de la procédure contradictoire est de permettre au pouvoir adjudicateur de s’assurer de la viabilité économique du candidat qui, si elle n’existe pas, lui permettra d’écarter l’offre comme anormalement basse.

 

Ainsi le pouvoir adjudicateur peut exiger de l’entreprise qu’elle produise un détail des prix de son offre afin de s’assurer qu’elle ne pratique pas une politique inférieure à ses coûts de revient en vue de réduire la concurrence. La jurisprudence communautaire confirme cette analyse en indiquant que l’Administration peut exiger que les offres soient accompagnées, dès leur présentation, de justifications tenant aux composantes les plus significatives du prix représentant ensemble un montant d’au moins 75 % de la valeur de base du marché.

 

Est dès lors illégale la décision du pouvoir adjudicateur écartant une offre jugée anormalement basse au motif que, pour un marché constitué d’un lot unique, l’offre aurait dû être examinée dans son ensemble et non par poste de prix et ce d’autant, qu’en l’espèce, le poste jugé anormalement bas ne représentait que 0,6 % du montant global de l’offre.

 

En l’absence de précisions écrites demandées par l’acheteur public au candidat dont l’offre a été jugée anormalement basse, la décision d’écarter son offre est illégale, comme la décision d’infructuosité prise en conséquence et le marché négocié passé par la suite. La solution est la même en droit communautaire.


CONCLUSION

 

Bien que toute conclusion soit périlleuse et nécessairement partiale, quelques remarques peuvent être faites au terme de tout ce qui vient de précéder.

 

Lorsqu’ils utilisent les procédures d’appel d’offres, les maîtres d’ouvrage public sont guettés par une tentation à laquelle il leur arrive assez souvent de succomber : celle qui consiste à attribuer le marché à l’auteur de l’offre la plus basse. Au cours de ces dernières années, cette tendance a pris une telle ampleur au sein des collectivités locales et a paru si préjudiciable au jeu normal de la concurrence, notamment dans les marchés de travaux, que les pouvoirs publics s’en sont émus. Plusieurs circulaires ministérielles sont ainsi venues rappeler quelques principes élémentaires : à savoir que l’appel d’offres n’est pas l’adjudication ; que le choix de l’autorité compétente doit se porter non pas sur l’offre la moins disante, mais sur l’offre la mieux disante au regard de l’ensemble des critères retenus par la collectivité et que celui du prix ne doit pas être systématiquement privilégié. Il faut dire que la pratique critiquée présente l’inconvénient de favoriser les auteurs de propositions de prix anormalement basses.

 

La présentation d’offres anormalement basses, c’est-à-dire celles qui traduisent un risque d’incapacité ou de difficultés de l’opérateur à exécuter correctement le marché, constitue à n’en pas douter une autre entrave majeure au libre jeu de la concurrence, en même temps que l’un des principaux obstacles à l’accès des PME à la commande publique. Il faut dire que leurs conséquences sont graves. Qu’elles émanent d’entreprises aux abois qui tentent d’emporter des marchés à n’importe quel prix pour redresser leur situation ou d’entreprises puissantes qui cherchent à constituer un monopole dans un secteur déterminé, elles faussent, dans tous les cas et de manière patente, le jeu normal de la concurrence. Ajoutons à cela que leur acceptation présente de multiples risques pour la collectivité : celui de la défaillance de l’entreprise choisie et du surcoût engendré par son remplacement ; celui des demandes de supplément de prix du titulaire destinées à compenser la modicité de son offre ; celui de la raréfaction, voire de la disparition de toute concurrence sur un marché déterminé, avec les conséquences ultérieures qu’une telle situation peut entraîner pour les collectivités publiques en termes de dépendance tant financière que technique.

 

Or, les moyens de lutter contre les prix prédateurs actuellement fournis par le code des marchés publics sont des plus limités et laissent, en tout état de cause, les entreprises qui en sont victimes très démunies puisque ces moyens se résument à la simple possibilité pour les collectivités publiques d’écarter les offres anormalement basses, après avoir demandé toute justification utile à leurs auteurs.


BIBLIOGRAPHIE

 

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Huet M., Peut-on combattre les offres anormalement basses ? : RDI 2011. 241 ;

 

Latrèche A., La détection des offres anormalement basses : Mon. Contrats publics 2014, n° 142, p. 22-26 ;

 

Michelin V. et Cabanes Ch., Offres anormalement basses : des précisions sur une détection anormalement complexe : Mon. Contrats publics 2012, n° 121, p. 95-98 ;

 

Moreau D., Les pouvoirs adjudicateurs doivent rejeter les offres anormalement basses : RJEP 2012, n° 699, p. 22-25 ;

 

Nicinski S., L’offre anormale dans les délégations de service public : AJDA 2011. 879 ;

 

Noguellou R., Offres anormalement basses et référé précontractuel : RDI 2014, n° 1, p. 43-44 ;

 

Noury A., Les offres anormalement basses : RLCT 2012, n° 2291 ;

 

Olivier F., Offres anormalement basses dans les marchés. La fin des idées reçues : Dr. adm. 1998. Chron. 11 ;

 

Ravenel P., Qu’est-ce que l’offre économiquement la plus avantageuse ? : ACCP déc. 2006, p. 55 ;

 

Rees Ph., Offre anormalement basse : examen de l’offre dans son ensemble : CMP 2009, n° 2, p. 22-23 ;

 

Roman-Séquense B., Détection des offres anormalement basses : mode opératoire : CMP 2012, n° 12, p. 34-35 ;

 

Ruellan A., Le choix de l’offre économiquement la plus avantageuse et le Code des marchés publics : ACCP déc. 2004, p. 36 ;

 

Supplisson D., Critères d’attribution : quelques changements dans la continuité : AJDA 2006, p. 1765 ;

 

Touchard V., Quels risques en matière d’offres anormalement basse ? : Mon. Contrats publics 2014, n° 142, p. 36-39 ;

 

Vienne D., Principes et enjeux de la réforme du code des marchés publics : DJF 2001, n° 28, p. 50-52 ;

 

Wally Issop V., Les « vraies » offres anormalement basses : le B.A-BA des OAB : Dr. adm. 2014, n° 1, p. 55-56 ;

 

Zimmer W., Définition de l’offre anormalement basse : CMP 2013, n° 7, p. 24-25.

 

TEXTES LEGISLATIFS ET AUTRES

 

Code des marchés publics ;

 

Directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics ;

 

Cons. conc., avis, 2 juill. 1996, n° 96-A-08, relatif aux propositions formulées dans un rapport portant sur la réforme du droit de la commande publique.


PLAN DETAILLE

 

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PRINCIPALES ABREVIATIONS 1

INTRODUCTION 3

PARTIE I. – OFFRE ECONOMIQUEMENT AVANTAGEUSE : PAS NECESSAIREMENT LA PLUS BASSE 5

CHAPITRE I. – NOTION D’OFFRE ECONOMIQUEMENT LA PLUS AVANTAGEUSE ET CHOIX DES CRITERES D’ATTRIBUTION 6

Section I. – Notion d’offre économiquement la plus avantageuse 6

Section II. – Détermination des critères d’attribution 8

  1. Encadrement juridique de la détermination des critères d’attribution 9
  2. Critères d’attribution mentionnés à l’article 53 du Code des marchés publics 10
  3. Critères économiques 10
  4. Critères qualitatifs 11
  5. Critères temporels 11

CHAPITRE II. – NOTION D’OFFRE ANORMALEMENT BASSE 12

Section I. – Identification des offres anormalement basses 12

  1. Généralités 12
  2. Un prix bas ne suffit pas à caractériser une offre anormalement basse 13
  3. Un prix compromettant la bonne exécution du marché 13

Section II. – Offre anormalement basse : du fait d’une aide publique ; face au principe d’égalité de traitement 16

 

PARTIE II. – REGIME JURIDIQUE DE L’OFFRE ANORMALEMENT BASSE 18

CHAPITRE I. – ELIMINATION DES OFFRES ANORMALEMENT BASSES : SIMPLE FACULTE OU OBLIGATION POUR L’ACHETEUR PUBLIC ? 19

Section I. – Le code des marchés publics : simple faculté 19

Section II. – La jurisprudence : obligation 22

CHAPITRE II. – REJET DES OFFRES ANORMALEMENT BASSES 26

Section I. – Une offre suspectée d’être anormalement basse est subordonné à une procédure contradictoire… 26

Section II. – …au cours de laquelle on vérifie la viabilité économique de celle-ci pour pouvoir être rejetée 28

CONCLUSION 29

BIBLIOGRAPHIE 30

 

Nombre de pages du document intégral:51

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