LE DROIT DE NE PAS S’AUTO-INCRIMINER EN DROIT PENAL
LE DROIT DE NE PAS S’AUTO-INCRIMINER EN DROIT PENAL
Introduction
Le droit de ne pas s’auto-incriminer, on en fait grand cas, on en parle beaucoup mais est-ce que l’on sait en quoi il consiste ? Car si tous semblent d’accord sur l’importance de ce droit, il n’y a aucune véritable définition juridique claire qui ait été établie jusqu’à aujourd’hui. Et c’est pourtant bien sur ce sujet que nous allons débattre dans ce travail.
Pour certains auteurs, le droit de ne pas s’auto-incriminer est une variante du droit au silence, en effet, « en première approximation, il est possible de définir le droit au silence comme le pouvoir de refuser de répondre aux questions de la police, mais aussi pour l’accusé le pouvoir de ne pas témoigner à son propre procès, sans que le juge en tire une conséquence. ». Ainsi le droit au silence, c’est non seulement le droit pour l’inculpé de taire toutes les informations susceptibles de le compromettre.
Il faut cependant souligner que dans la pratique, cela peut parfois prêter à confusion car si l’on se place du côté du droit de ne pas s’auto-incriminer, on peut dire qu’il a deux facettes d’une part il signifie que l’inculpé a le droit de se taire, de ne pas répondre du tout aux questions qui lui sont posées et qui risquent de l’accabler devant la justice. Mais d’autre part, il lui permet également de mentir ou de dissimuler des faits.
Ce deuxième aspect du droit de ne pas s’auto-incriminer peut surprendre et pourtant il est reconnu, du moins implicitement, que ce soit dans le droit français ou dans le droit comparé d’ailleurs. Ainsi en droit belge, il est reconnu que le prévenu peut même mentir pour autant que, ce faisant, il ne commette pas d’infraction. Des infractions comme par exemple, une dénonciation calomnieuse, un faux en écritures ou l’usage d’un faux nom.
Nous n’allons nous appesantir sur la différenciation entre les deux notions, qui peut faire l’objet d’un travail tout-à fait à part. Aussi nous contenterons-nous dans se travail d’assimiler le droit de ne pas s’auto-incriminer au droit au silence étant donné que les deux semblent indissociables, l’un emporte l’autre peut importe le point de vue duquel on se place.
Quoi qu’il en soit, le droit de ne pas s’auto-incriminer est aujourd’hui unanimement reconnu par le droit des États démocratiques comme une composante du droit à un procès équitable, un droit reconnu à chaque individu en vertu de la prééminence de la personne humaine quelle que soit les circonstances. Cependant, force est de reconnaitre que ce droit n’est pas toujours très bien accueilli dans les droits nationaux.
En effet, s’il est vrai que les droits du prévenu doivent être protégés, il n’est pas faux non plus qu’il est impératif d’établir la vérité et de procéder à la répression du fait litigieux qui a provoqué préjudice. Dans le droit pénal, il est particulièrement important de rechercher la vérité juridique, surtout lorsqu’il s’agit de vérifier si l’accusé est bien l’auteur des faits litigieux, lorsqu’il s’agit d’établir la réalité des faits.
Ainsi, différents intérêts, d’égale valeur, peuvent entrer en conflit nécessitant une limitation de l’un au profit de l’autre, et dans le droit français, ce conflit n’a pas toujours bien réussi au respect du droit de ne pas s’auto-incriminer. La reconnaissance de ce droit inspire la crainte dans la mesure où il est considéré comme pouvant entraver l’établissement de la vérité et la mise en œuvre des résultats répressifs qui en sont corolaires.
Comme nous l’avons évoqué plus haut, il n’y a pas de définition concise du droit de ne pas s’auto-incriminer tout comme il n’y en a pas en ce qui concerne le droit au silence, cependant la jurisprudence ainsi que la doctrine s’accordent à dire qu’il s’agit là de droits fondamentaux qui devraient être reconnus à tout individu en vertu du Droits de l’Homme et au principe selon lequel chacun doit pouvoir bénéficier d’un procès équitable.
Cependant, cela ne suffit pas à nous donner une idée précise de ce qu’est le droit de ne pas s’auto-incriminer. Et ce sera l’objet de notre travail, il s’agira pour nous de déterminer en quoi consiste exactement ce droit, et d’en déterminer l’étendue.
Pour ce faire nous allons dans une première partie nous familiariser avec la notion (I), il s’agira alors d’étudier les origines de la notion et de la place qu’elle tient non seulement dans le droit national mais également dans le droit comparé et plus particulièrement dans le droit européen. En effet, la perspective européenne (nous parlons ici dans le cadre du Conseil de l’Europe et non au niveau de l’Union Européenne) est susceptible d’apporter de grands bouleversements au niveau du droit national.
Nous aurons ensuite à nous pencher sur la question de la portée du droit de ne pas s’auto-incriminer où nous étudierons véritablement les étendues du droit, plus précisément de la place qu’elle prend tout au long de la procédure, et des répercussions que son non respect pourrait engendrer (II).
Et puisque, ainsi que nous l’avons évoqué plus haut, le droit de ne pas s’auto-incriminer et le droit au silence sont étroitement liés, nous allons parler autant de l’un que de l’autre, tout au long de notre travail.
- Notion du droit de ne pas s’auto-incriminer
Dans l’introduction, nous avons évoqué l’idée selon laquelle, le droit de ne pas s’auto-incriminer serait assimilable au droit de se taire et au droit de mentir, ne serait-cde que par amission, et de dissimuler des informations accablantes. A notre sens, cette deuxième facette n’appelle pas vraiment de réflexions profondes, d’autant plus que quand on y réfléchi, cela semble dire exactement la même chose que le droit de se taire. Aussi allons-nous concentrer notre travail sur le droit de garder le silence.
- Historique de la notion
- Genèse de la notion : le rejet de la torture technique privilégiée pour l’obtention de la vérité juridique
Le principe a été posé depuis fort longtemps par la Cour EDH, qui ne s’en est jamais départie : nul ne peut être tenu de répondre à des questions si ses réponses sont, par la suite, de nature à apporter des preuves à l’accusation.
Cependant, l’origine de la notion remonte déjà au XVIe siècle, au moment où l’on commence à se méfier et à se rejeter la torture comme technique privilégiée de la recherche de la vérité juridique. Technique qui faisait alors principe dans tous les pays européens.
Le droit de ne pas s’auto-incriminer apparait ainsi concomitamment au droit au silence qui apparaît avec les critiques des pratiques judiciaires, en cours dans toute l’Europe, qui associaient la torture et l’aveu.
En effet, en matière pénale, ce qui importe le plus c’est la découverte de la vérité juridique factuelle, seul élément qui permette de mettre en œuvre le processus répressif. Et même si l’incapacité à établir les faits n’induit pas l’échec de la vérité judiciaire qui consistera à déclarer l’accusé non coupable, elle n’en laisse pas moins perdurer l’ignorance de la vérité-réalité et surtout elle ne permet pas à la justice pénale de remplir sa fonction. Ce qui signifie qu’il n’y aura pas répression, ni réparation pour les victimes et toutes personnes qui ont subit un préjudice.
Or, en matière de procédure pénale, l’aveu a longtemps été considéré comme ne preuve à la fois suffisante et indispensable de culpabilité. Il suffisait à lui seul à établir la vérité factuelle, la vérité réalité. Le problème c’est que ce statut juridique particulier en a également fait un instrument d’oppression dans lequel la recherche de la vérité-réalité est ignorée.
Vers le XIIe, au moment de la rationalisation du droit pénal, l’aveu était considéré comme une preuve pouvant garantir les droits de l’accusé, et cela dans la mesure où il constituait « une preuve présentant les intérêts combinés de la rationalité et de l’apparente proximité d’avec la réalité des faits puisqu’il provenait d’un des acteurs (supposés) de ceux-ci ».
Désormais la procédure judiciaire n’est plus basée sur le système accusatoire et probatoire de nature divine, où la culpabilité découlait de la volonté divine et où la preuve tenait en réalité aux qualités physiques de l’individu qui, par sa résistance aux épreuves, permettait à Dieu d’exprimer sa volonté.
Malheureusement, l’aveu n’était pas toujours spontané et cela notamment du fait de l’endurcissement de la population délinquante et de l’extrême sévérité des peines. Le problème c’est que l’obtention de l’aveu était considéré comme primordial dans la mesure où « l’aveu rendait plus aisée la tâche du juge. Il lui permettait d’éviter la recherche de la vérité par l’audition de témoins ou par l’examen d’actes écrits ».
Mais comme la mise en œuvre de la répression effective ne pouvait se faire sans preuve, la torture s’est lentement mais surement insinué dans la procédure judiciaire au fur et à mesure que l’aveu gagnait valeur de preuve pleine et entière et devenait un élément déterminant de la culpabilité.
On aboutit ainsi à un glissement vers une pratique généralisée de la torture dans la procédure pénale car « Au pénal, l’importance reconnue à l’aveu aboutit à la généralisation de la torture ; car les juges ne pouvaient condamner qu’en cas de notoriété (ce qui devait être rare, en dehors de l’aveu) ou de probatio plena ; or, dans les affaires criminelles, cette probatio plena ne pouvait le plus souvent être établie, en fait, que par les dépositions concordantes de deux témoins. Dès lors, les autres preuves – probationes semiplenae (par exemple le testis unus) ou indices – insuffisantes pour permettre au juge de condamner, allaient au moins lui permettre d’ordonner, dans certains cas, le recours à la torture afin d’obtenir l’aveu. ».
Cette pratique de la torture s’installe peu à peu dans les droits occidentaux et y a été instaurée légalement ou pratiquée, tolérée sans reconnaissance légale. Dans le cas de la France, elle a été reconnue et pratiquée en toute légalité sous les divers rois depuis Saint Louis par l’ordonnance de 1254. Sous les Valois par les ordonnances de 1498 et 1539. Sous François Ier par l’ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539. Et sous Louis XIV par l’ordonnance de 1670.
Et pour obtenir l’aveu, la torture était permise dès lors que des indices ou des preuves semi-pleines existaient, indices dont la principale, et à peu près unique fonction, est de permettre au juge de soumettre les accusés à la torture.
Grâce à ces indices et à ces demi-preuves, qui pouvaient se résumer à très peu de faits et à quelques soupçons, une personne pouvait être envoyée à la Question, et fournir sous la contrainte physique les preuves complémentaires contre lui-même et favorisant sa condamnation.
On peut alors faire le constat que « destiné à éviter les condamnations sans preuve et à obtenir que les crimes ne soient pas impunis, le système des preuves légales est devenu, à travers la primauté de fait accordée à l’aveu, un système inique fondé sur la torture et les aveux extorqués. ».
Le système qui était au début destiné à destiné à asseoir la vérité judiciaire sur la vérité-réalité, s’est trouvé dénaturé et s’est transformé en un mécanisme où les aveux n’étaient pas le reflet de la vérité-réalité et où la condamnation, expression de la vérité judiciaire, était détachée de la réalité.
C’est dans ce contexte vicié qu’apparaît les critiques des pratiques judiciaires et les plaidoiries en faveur du droit au silence et donc du droit de ne pas s’auto-incriminer. On assiste ainsi à la naissance d’un droit pour tout accusé « de ne pas avouer son crime et ainsi de ne pas participer activement, sous la contrainte, à la constitution de preuves à charge contre lui ».
L’un des principaux arguments contre la pratique de la torture et la force juridique de l’aveu reposait sur le fait que ce dernier était prononcé pour sauver sa vie et non plus pour faire éclater la vérité, il devient donc une confession impropre à relater la réalité des faits. La recherche de l’obtention de l’aveu devient alors un procédé ignominieux qui est en plus inutile pour l’établissement de la vérité-réalité.
Et Beccaria d’ajouter « que c’est violer toutes les convenances que d’exiger qu’un homme soit en même temps son propre accusateur, que la douleur devienne une épreuve nécessaire de vérité, dont les muscles et les fibres du malheureux qu’on torture seraient l’organe. (…) L’impression de la douleur peut croître au point, qu’absorbant toutes les facultés du torturé, elle ne lui laisse d’autres sentiments que le désir de se soustraire par le moyen le plus rapide au mal qui l’accable. Alors, la réponse de l’accusé est un effet de la nécessité comme les impressions du feu et de l’eau. Ainsi, l’innocent faiblement constitué se déclarera coupable, alors que cette déclaration est l’unique moyen de faire cesser son tourment. (…) L’incertitude reste. La torture n’est donc qu’un moyen sûr d’absolution pour le coupable robuste, et de condamnation pour l’innocent incapable de résister à cette douloureuse opération. Tels sont les funestes inconvénients de cette prétendue épreuve de vérité. ».
- Les fondements de la notion
Le droit de ne pas s’auto-incriminer et le droit au silence sont des droits qui sont corolaire du principe de la présomption d’innocence. La présomption d’innocence qui est une constante dans les droits des pays de l’Union européenne même si son affirmation n’occupe pas la même place dans la hiérarchie des normes.
- Le principe fondamental de la présomption d’innocence
La présomption d’innocence est un principe qui a fait sa première apparition dans un texte écrit dans l’article 9 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, premier fondement du principe dans le droit français. Selon cet article, « Tout homme est présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable » ; ce texte ayant fait l’objet d’une intégration au bloc de constitutionalité, la présomption d’innocence est considéré comme un principe ayant valeur constitutionnelle, fondamental qui ne devrait souffrir d’aucune atteinte.
Le principe de la présomption d’innocence a fait l’objet d’une intégration très poussée dans le droit français, ainsi le paragraphe III de l’article préliminaire du code de procédure pénale dispose : « Toute personne suspectée ou poursuivie est présumée innocente tant que sa culpabilité n’a pas été établie. Les atteintes à sa présomption d’innocence sont prévenues, réparées et réprimées dans les conditions prévues par la loi. ».
Et de rappeler dans son article 304 le principe aux jurés des Cour d’Assises : « Vous jurez et promettez […] de vous rappeler que l’accusé est présumé innocent et que le doute doit lui profiter ».
Principe qui est repris par l’L’article 9-1 du code civil qui dispose que « « Chacun a droit au respect de la présomption d’innocence. Lorsqu’une personne est, avant toute condamnation, présentée publiquement comme étant coupable de faits faisant l’objet d’une enquête ou d’une instruction judiciaire, le juge peut, même en référé, ordonner l’insertion d’une rectification ou la diffusion d’un communiqué aux fins de faire cesser l’atteinte à la présomption d’innocence, sans préjudice d’une action en réparation des dommages subis et des autres mesures qui peuvent être prescrites en application du nouveau code de procédure pénale et ce, aux frais de la personne physique ou morale, responsable de l’atteinte à la présomption d’innocence. ».
Mais également dans le code pénal, même s’il n’est pas fait expressément mention du principe de la présomption d’innocence. Ainsi, « Toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommés, mais dont l’identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés. »
Sur le plan européen, L’article 6.2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales prévoit que toute présomption légale de culpabilité pesant sur la personne du prévenu ne doit pas dépasser des limites raisonnables prenant en compte la gravité de l’enjeu et préservant les droits de la défense.
Et enfin, le principe est également prévu dans la Déclaration Universelle des droits de l’homme de 1948 de l’ONU en son article 11 « « Toute personne accusée d’un acte délictueux est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d’un procès public où toutes les garanties nécessaires à sa défense lui auront été assurées.
Nul ne sera condamné pour des actions ou omissions qui, au moment où elles ont été commises, ne constituaient pas un acte délictueux d’après le droit national ou international. De même, il ne sera infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’acte délictueux a été commis. ».
- Le droit à un procès équitable
Le droit français reconnait désormais le droit à un procès équitable comme un principe à valeur constitutionnel fondé sur l’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme de 1789 et cela depuis 2005.
C’est un droit qui est directement inspiré du droit communautaire et du droit européen puisqu’il est inscrit dans l’article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme. Mais le principe n’a pas de définition juridique unique.
Selon cet article 6§1, principal siège du droit à un procès équitable, « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle ».
Cependant, le principe n’est pas spécifique à la matière pénale puisqu’il se retrouve dans toutes les branches du droit. Ainsi par exemple en matière d’assistance éducative, cette règle s’applique aussi à la durée jugée excessive d’une procédure. Et enfin, l’article s’applique également aux phases administratives de la procédure.
Le droit à un procès équitable signifie que toute personne a droit à un tribunal qui se traduit par l’accès à un juge indépendant et impartial. Que toute personne a, pendant le procès, droit à une égalité des armes et cela pour garantir l’équilibre des droits entre les parties. Et cela implique notamment la garantie du droit de ne pas s’auto-incriminer et du droit au silence.
En effet, selon la Commission Européenne des Droits de l’Homme, l’idée selon laquelle les inculpés et les témoins ont le droit de taire des informations et des faits de nature à les exposer à des poursuites découle de l’interdiction proscrivant l’auto-incrimination et se rattache à l’essence même du procès équitable.
Ainsi, « le principe de protection contre le témoignage contre soi-même est, à l’instar de la présomption d’innocence, l’un des éléments les plus fondamentaux du droit d’être entendu équitablement. ». Bien sûr, « toute personne peut être appelée à témoigner sur des faits dont elle a été témoin et peut être contrainte à apporter son témoignage dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice », mais à la seule condition « que l’on n’exige pas d’elle qu’elle s’auto-incrimine ».
- Le droit de ne pas s’auto-incriminer dans le droit comparé
Le droit de ne pas s’auto-incriminer est également très présent dans le droit comparé, ce qui n’a rien d’étonnant dans la mesure où, nous l’avons évoqué, il s’agit de l’un des plus grands principes des pays démocratique qui entrent dans la protection des droits de l’homme.
- Dans le droit des Etat-Unis
Aux Etats-Unis, le droit au silence est l’un des droits les plus connus et les plus protégés qui soit. C’est une règle très importante de la procédure pénale américaine dégagée par la Cour suprême des États-Unis en 1966 dans l’affaire Miranda v. Arizona. Le droit au silence y plus connu sous les appellations « droits Miranda » ou encore « avertissement Miranda ».
Les droits Miranda consistent en la prononciation d’un avertissement lors de l’arrestation d’un individu, lui signifiant notamment son droit à garder le silence et le droit de bénéficier d’un avocat. Les officiers de polices et toutes autorités judiciaire habilitée à procéder à l’arrestation d’une personne doit donc impérativement lui « lire ses droit » pendant l’arrestation, il doit le faire systématiquement et ne jamais se baser sur le fait que l’individu en question les connait déjà. En effet, même si une personne a déjà fait l’objet de nombreuses arrestations, le fait de ne pas lui lire ses droits est considéré comme un vice de procédure grave, avec toutes les implications.
Les droits Miranda commencent par les phrases désormais très célèbres « vous avez le droit de garder le silence ». « Tout ce que vous direz pourra être retenu contre vous » et « vous avez le droit de consulter un avocat, si vous n’avez pas les moyens un avocat commis d’office vous sera assigné »….
Pour comprendre la justification de cette règle il est nécessaire de rappeler les faits de l’affaire Miranda c/ Arizona. Ernesto Miranda naît en 1941 à Mesa (Arizona). D’un niveau scolaire d’école élémentaire, il sera fréquemment condamné et emprisonné. En 1962, il est soupçonné d’avoir enlevé, violé et volé plusieurs jeunes filles, en 1963 est interpellé et arrêté par la police sans que cette dernière ne lui informe de ses droits et de la possibilité pour lui de contacter un avocat. Il avouera pendant l’interrogatoire avoir perpétré enlèvements et viols et sera condamné jusque devant la Cour suprême de l’Arizona, en avril 1965.
L’affaire sera à nouveau plaidée devant la Cour Suprême des États-Unis du 28 février au 1er mars 1966, la décision sera rendue le 13 juin de la même année. Cette Cour va dégager le principe selon lequel les droits de la personne interrogée doivent être garantis, avant (par la lecture de ses droits pour l’informer de leur existence) et pendant l’interrogatoire (en s’assurant qu’il puisse être assisté par un avocat).
Elle va justifier cette décision par la nature coercitive de l’interrogatoire lors d’une garde à vue qui pouvait facilement conduire à l’aveu de la part de suspects n’ayant pas un niveau d’éducation très élevé et ignorant le plus souvent leurs droits. Elle se fondera ainsi sur sur deux amendements du Bill of Rights, le cinquième amendement qui dispose notamment que nul ne peut être forcé à témoigner contre lui-même, et le sixième amendement selon lequel l’accusé a droit à un avocat.
Finalement, le droit de ne pas s’auto-incriminer et le droit de garder le silence ont toujours existé dans le droit américain bien avant 1966, mais c’est l’arrêt Miranda qui contribuera à les plébiscité pour une plus grande protection des droits de l’individu.
- Dans le droit européen
- Les différents droits nationaux
- Le droit anglais
Le droit de ne pas s’auto-incriminé est droit qui a été reconnu et qui est bien ancré dans le droit procédural anglais et cela depuis 1942. Dans le droit anglais on parle de « privilege against self incrimination » qui est le droit pour toute personne à qui l’on demande de produire une preuve dans un contexte judiciaire ou quasi judiciaire, s’exposant ainsi à des poursuites, de soulever le « privilege against self incrimination » afin de neutraliser cette preuve.
Tout comme le droit au silence dans le droit européen, le « privilege against self incrimination » s’applique autant en matière pénale qu’en matière civile. En ce qui concerne la matière civile, la mise en œuvre du « privilege » permet à une personne d’éviter de produire une preuve, même si elle y a été contrainte par un ordre de la Cour.
Cependant, la place prépondérante du privilege dans le droit civil est de plus en plus contesté car permet le plus souvent aux défendeurs de d’éviter la production de preuves essentielles au débat, compromettant ainsi la bonne administration de la justice, à tel point que le privilege appliqué à la matière civile était considéré comme un procédé archaïque et injustifiable et qui devrait ainsi faire l’objet d’une réévaluation.
Mais le principe a été réaffirmé par dans la décision Cobra Golf Inc en 1999, une des parties accusées de « comptent of Court » pour ne pas avoir produit un élément de preuve, et ce malgré une astreinte (« disclosure order »), a été autorisée à invoquer cette immunité à son profit.
En matière pénale, le droit au silence ne subit pas les mêmes critiques, dans la mesure où il constitue une « fibre étroitement tissée du système de la justice pénale » britannique. La principale justification du principe est qu’aucun désavantage ne devrait découler du refus du défendeur de coopérer avec la police ou de témoigner dans la mesure où il n’y a pas, en Angleterre d’obligation de parler à la police ou de fournir des preuves à l’audience. Ainsi dans le droit anglais, il n’est pas obligatoire de répondre aux questions de la police lors de l’interrogatoire mais cela pourrait aussi nuire à l’inculpé lors du procès. Notons que tout comme dans le droit américain, la police est tenue d’informer les personnes qui font l’objet d’une arrestation de l’existence de ce droit.
- Le droit belge
Dans le droit belge, le droit au silence tient également une place privilégiée. En effet, dans le droit commun belge, il n’y aucune obligation qui pèse sur les justiciables de collaborer avec les autorités judiciaires. Selon la Cour de Cassation belge, « le droit à un procès équitable, garanti au prévenu par l’article 6, § 1er de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, implique que celui-ci, comme le prévoit expressément l’article 14, § 3, g du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ne peut être forcé de témoigner contre lui-même ou de s’avouer coupable ».
Et même si la Cour de Cassation, tout comme la Cour européenne des droits de l’homme, considère que le refus systématique de donner des renseignements peut être pris en compte dans l’appréciation des preuves à charge, il est parfaitement admis que l’inculpé peut s’abstenir de toute collaboration s’il estime qu’il n’est pas de son intérêt ou tout simplement s’il n’a pas envie de participer aux investigations entreprises.
Il est même précisé dans le code judiciaire belge que la permission accordée au juge d’ordonner aux parties litigantes la production des éléments de preuve dont elles disposent, est inapplicable en matière pénale. Et enfin, l’absence de collaboration ne peut en aucune manière être retenue comme une infraction, dans la mesure où cela peut être considéré comme une mesure coercitive au même titre que l’atteinte à l’intégrité physique de l’inculpé.
En contrepartie, le prévenu ne peut être entendu sous serment comme témoin de sa propre cause, même si c’est sur sa propre demande.
- Dans le droit français
Dans le droit français par contre, le droit au silence, et donc aussi le droit de ne pas s’auto-incriminer, n’est pas très apprécié des autorités judiciaires, dans la mesure où il est considéré par les enquêteurs comme un moyen pour l’inculpé de faire obstacle au bon déroulement de la procédure et de lui permettre, à terme de se soustraire à la justice.
Le droit de garder le silence est donc perçu de façon très négative, ainsi que le démontre d’ailleurs les propos de l’ancienne Ministre de la Justice Marylise Lebranchu « la notification à la personne gardée à vue de son droit de ne pas répondre aux questions posées par les enquêteurs a parfois été perçue par ces derniers comme une incitation faites aux intéressés de garder le silence. ».
Il a toutefois toujours été reconnu que l’inculpé a bien le droit de garder ne silence et de ne pas s’auto-incriminer. Preuve en est l’existence de l’obligation de notification du droit de garder le silence pendant la garde à vue qui existait déjà avant la loi du 15 juin 2000. Cependant, cette obligation de notification a fait l’objet d’une suppression dans la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003.
Cette suppression « suggère que l’on ne peut écarter la recherche de la contrainte psychologique que peut exercer l’OPJ sur l’intéressé au cours de la garde à vue ».
- Influence du droit européen sur les droits nationaux, le cas de la France
La Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, entré en vigueur le 3 septembre 1953, est pour beaucoup dans le renforcement de la présomption d’innocence et des droits qui y sont rattachés dans le droit des Etats membres.
Si dans certains Etats membres, le respect des principes posés par la Convention ne pose pas vraiment de problème, comme c’est le cas de la Grande Bretagne ou de l’Allemagne où le droit national prévoyait déjà de toute façon un panel important de mécanisme pour respecter le principe de la présomption d’innocence.
Ce n’est pas le cas de la France où les autorités judiciaires ont tendance à se méfier de ce droit pour les raisons que nous avons déjà cité supra (voir les propos de l’ancienne Ministre de la Justice cité supra). C’est d’ailleurs ce qui a justifié la suppression de l’obligation de notification du droit de garder le silence pendant la garde à vue par la loi n° 2003-239, or il faut rappeler que « la garde à vue permet de priver de liberté et d’interroger une personne présumée innocente et qui n’a encore fait l’objet d’aucune condamnation ».
Une position qui lui a été très souvent reproché par la Cour EDH, reproches qui ont abouti à une réforme importante de la procédure pénale, notamment en ce qui concerne la garde à vue.
Avant la réforme toute récente, la garde à vue, bien que mesure privative de liberté, était laissé à la discrétion des officiers de police judiciaire sous le contrôle lointain du Parquet. Ce qui pouvait donner lieu à un bon nombre de dérives dont la violation du principe de la présomption d’innocence et celui du droit à un procès équitable.
Pour la Cour EDH, pour que la présomption d’innocence soit respecté, et « pour que le droit à un procès équitable consacré par l’article 6, § 1 demeure suffisamment « concret et effectif », il faut considérer qu’ « il est en principe porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense lorsque des déclarations incriminantes faites lors d’un interrogatoire de police subi sans assistance possible d’un avocat sont utilisées pour fonder une condamnation ».
Dans la jurisprudence de la Cour EDH, le droit de garder le silence a été considéré comme un principe du droit international qui ne devrait être violé sous aucun prétexte. Ainsi elle rappelle dans l’affaire Murray c. le Royaume Uni du 8 février 1996, relative à l’application de la législation spéciale de prévention du terrorisme en Irlande du Nord que « le droit de se taire lors d’un interrogatoire de police et le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination sont des normes internationales généralement reconnues qui sont au cœur de la notion de procès équitable consacrée par l’article 6 » .
Principe qu’elle va rappeler dans un arrêt très récent, l’arrêt du 14 octobre 2010 aux termes duquel la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France pour violation des règles du procès équitable prévues par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Les faits sont les suivants, Mr. Brisco, ressortissant français a été interpellé et placé en garde à vue dans le cadre d’une affaire d’agression en le 7 juin 1999. Pendant, la garde à vue il s’est vu obligé de prêter le serment de dire « toute la vérité, rien que la vérité » comme le code de procédure pénale (article 153) le prévoit pour les témoins. S’en suit un interrogatoire pendant lequel il avoua sa participation à cette affaire, en ce qu’il avait embauché les deux agresseurs pour « faire peur » à la victime, et où il nia fermement avoir jamais demandé ou consenti à ce que la victime soit agressé physiquement. Il n’a pu rencontrer son avocat que le 8 juin.
A l’issu de la garde à vue, Mr. Brisco fut mis en examen pour complicité de tentative d’assassinat et placé en détention provisoire. Il saisit la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris d’une requête en annulation des procès-verbaux des auditions de la garde à vue, et des actes subséquents. Sa requête fut rejetée le 28 juin 2001, au motif qu’il avait été conforme à la loi d’interroger M. Brusco en qualité de témoin et donc de lui faire prêter serment. En effet, bien qu’il avait été mis en cause comme commanditaire de l’infraction, aucun élément n’existait pour affirmer qu’il avait réellement voulu les violences exercées. Les exceptions en nullités soulevé par Mr. Brisco ont été systématiquement rejetées jusque devant la Cour de Cassation.
Pour la Cour EDH, lorsque M. Brusco a été placé en garde à vue et a dû prêter serment, il faisait l’objet d’une « accusation en matière pénale » et bénéficiait par conséquent du droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination et de garder le silence garanti par l’article 6 §§ 1 et 3 de la Convention.
- Brusco a été condamné sur la base des déclarations qu’il a faites après sa prestation de serment. La Cour estime que le fait d’avoir dû prêter serment avant de répondre aux questions de la police a constitué une forme de pression sur l’intéressé (par ailleurs déjà en garde à vue depuis la veille), et que le risque de poursuites pénales en cas de témoignage mensonger a assurément rendu la prestation de serment plus contraignante.
La Cour constate également que M. Brusco n’a pas été informé au début de son interrogatoire du droit de se taire, de ne pas répondre aux questions posées, ou encore de ne répondre qu’aux questions qu’il souhaitait. Elle relève en outre qu’il n’a pu être assisté d’un avocat que vingt heures après le début de la garde à vue (délai prévu à l’article 63-4 du code de procédure pénale). L’avocat n’a donc été en mesure ni de l’informer sur son droit à garder le silence et de ne pas s’auto-incriminer avant son premier interrogatoire ni de l’assister lors de cette déposition et lors de celles qui suivirent, comme l’exige l’article 6 de la Convention.
Pour toutes ces raisons, la Cour avait conclu qu’il a été porté atteinte au droit de M. Brusco de ne pas contribuer à sa propre incrimination et de garder le silence. L’article 6 §§ 1 et 3 a été violé. Et avait ainsi condamné la France.
Après cette décision, ce fut au tour de la Cour de Cassation de dénoncer les pratiques adoptées au cours des gardes à vues et de la violation du droit de ne pas s’auto-incriminer et du droit d’avoir une assistance judiciaire en vue de protéger ce droit. Ainsi, le 19 octobre 2010, la chambre criminelle de la Cour de cassation avait jugé que les textes français étaient contraires au droit européen. Position qu’elle a renforcée dans quatre arrêts du 15 avril 2011.
La cour avait en effet constaté que les règles posées par l’article 63-4 du code de procédure pénale ne satisfaisaient pas aux exigences de l’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Elle reprend alors les termes de la Cour EDH (voir supra) en affirmant que « pour que le droit à un procès équitable consacré par l’article 6 § 1 [précité] soit effectif et concret, il faut, en règle générale, que la personne placée en garde à vue puisse bénéficier de l’assistance d’un avocat dès le début de la mesure et pendant ses interrogatoires ».
Or « les Etats adhérents à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales sont tenus de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, sans attendre d’être attaqués devant elle ni d’avoir modifié leur législation ».
Cette jurisprudence, toute somme assez récente, cadre parfaitement avec la décision rendue publique le 30 juillet 2010 du Conseil Constitutionnel qui a déclaré que les règles régissant la garde à vue de droit commun, autorisant un officier de police judiciaire à retenir, dans le cadre d’une enquête et durant 24 heures ne personne à l’encontre de laquelle il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction, ne garantissaient plus le respect des droits et libertés des citoyens. Et cela au vue des évolutions survenues depuis près de vingt ans : modifications législatives (notamment la suppression de l’obligation de notification du droit de garder le silence), augmentation substantielle du nombre d’officiers de police judiciaire et leur impact sur l’utilisation faite de la garde à vue : recours accru, y compris pour des infractions mineures.
Ce qui explique donc la réforme apportée au code de procédure pénale concernant les gardes à vues. La loi N°2011-392 du 14 avril 2011 prévoit ainsi dans son article 3 l’obligation qui incombe aux officiers de police judiciaire de notifier ses droits à la personne gardées à vue, notamment celui de garder le silence et celui de faire appel à un avocat.
Notons cependant que la nouvelle loi laisse encore certains sceptiques, notamment parce que les atteintes au droit de ne pas s’auto-incriminer et le droit de se taire n’ont pas été définitivement éradiquées. Ainsi en est-il de l’art.78 du code de procédure pénal qui permet aux officiers de police judiciaire de convoquer, voire de contraindre à comparaître, et d’entendre une personne suspectée d’avoir commis une infraction pour laquelle la garde à vue est inapplicable.
Le Conseil Constitutionnel estime ainsi que cet article ne viole pas les droits de la défense dans la mesure où « une personne à l’encontre de laquelle il apparaît qu’il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction peut être entendue par les enquêteurs en dehors du régime de la garde à vue dès lors qu’elle n’est pas maintenue à leur disposition sous la contrainte ». mai le conseil de reconnaitre également que « le respect des droits de la défense exige qu’une personne à l’encontre de laquelle il apparaît, avant son audition ou au cours de celle-ci, qu’il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction, ne puisse être entendue ou continuer à être entendue librement par les enquêteurs que si elle a été informée de la nature et de la date de l’infraction qu’on la soupçonne d’avoir commise et de son droit de quitter à tout moment les locaux de police ou de gendarmerie ».
Le droit de ne pas s’auto-incriminé est donc un droit que l’on pourrait considéré de fondamental et qui doit être protégé pour garantir le respect des droits de toute personne impliquée dans une procédure judiciaire. La question maintenant est de savoir jusqu’où peut porter ce droit ? Et qui sont vraiment protégés par lui ?
- La portée du droit de ne pas s’auto-incriminer
Dans cette partie nous aurons à étudier non seulement l’étendue du droit de ne pas s’auto-incriminer mais également les répercussions que pourrait avoir la violation de ce droit sur le déroulement de la procédure.
- L’étendu du droit de ne pas s’auto-incriminer
Pour que le droit de ne pas s’auto-incriminer puisse réellement jouer, il faut que les intéressés soient mis au courant de son existence, en prendre la pleine mesure et en bénéficier de manière systématique sans que la mise en œuvre ne soit soumis à conditions. Pour qu’il puisse jouer pleinement, il ne faut pas directement déduire de la culpabilité d’un individu du seul fait qu’il garde le silence.
Mais qui peut réellement bénéficier de ce droit et jusqu’où l’immunité accordée à l’individu en vertu de ce droit peut aller ?
- A qui bénéficie la protection ?
La protection octroyée par le droit de ne pas s’auto-incriminer est accordée à toute personne qui dans une enquête pénale, fait l’objet d’interrogations par la police non en tant que témoin, mais en tant que personne contre laquelle pèsent de fortes suspicions de culpabilité. En générale, elle s’applique donc aux personnes qui font l’objet d’une Garde à vue, et cela parce que les autorités compétentes disposent d’une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction. » (Art.66 code de procédure pénale).
C’est cette garde à vue qui va donc ouvrir droit à la possibilité de garder le silence pour ne pas s’auto-incriminer. La question est de savoir ce qu’on entend exactement par garde à vue.
Dans l’état actuel du droit français, c’est le nouvel article 62-2 du Code de procédure pénale qui donne une définition de la garde à vue. « La garde à vue est une mesure de contrainte décidée par un officier de police judiciaire, sous le contrôle de l’autorité judiciaire, par laquelle une personne à l’encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement est maintenue à la disposition des enquêteurs. »
Comme la garde à vue est une mesure privative de liberté, elle est soumise à des conditions de mise en œuvre importantes. Ainsi, elle ne peut être décidée que si elle constitue l’unique moyen de permettre l’exécution des investigations impliquant la présence ou la participation de la personne. De Garantir la présentation de la personne devant le procureur de la République afin que ce magistrat puisse apprécier la suite à donner à l’enquête. D’empêcher que la personne ne modifie les preuves ou indices matériels. D’empêcher que la personne ne fasse pression sur les témoins ou les victimes ainsi que sur leur famille ou leurs proches. D’empêcher que la personne ne se concerte avec d’autres personnes susceptibles d’être ses coauteurs ou complices. Ou encore de Garantir la mise en œuvre des mesures destinées à faire cesser le crime ou le délit.
- Le mis en examen et l’accusé
Dans la procédure française, ce sont donc les personnes qui font l’objet d’une garde à vue qui va bénéficier de l’immunité découlant du droit de ne pas s’auto-incriminer. On parle ici du mis en examen, il a le droit de ne pas coopérer avec la police et son manque de coopération de doit pas être interprété d’emblée comme un signe de culpabilité.
Ainsi dans la phase instructive de la procédure, le silence du mis en examen doit s’imposer au juge, ce dernier ne peut décider du seul fait de silence de mettre la personne en détention provisoire qui doit demeurer une mesure exceptionnelle, art. 137 CPP.
En effet, la menace de la mise en détention provisoire est une mesure de coercition qui aurait alors pour but de contraindre le mis en examen à se montrer plus coopératif en répondant aux questions. Ce qui constituerait une violation du droit à ne pas s’auto-incriminer.
Durant la phase de jugement, l’accusé continue de jouir du droit de garder le silence et de ne pas s’auto-incriminer. Et ce droit doit être exercé à sa seule appréciation, le juge n’a donc pas à lui imposer de répondre à ses questions. Et dans la mesure où il le fait, ce n’est pas en tant que témoin, ce qui signifie que contrairement au témoin, il n’est pas obligé de dire « la vérité et rien que la vérité » puis qu’il ne prête pas serment.
- Les témoins
Dans l’ancien système de garde à vue français, toute personne appelée à témoigner auprès de la police et de toute autre autorité judiciaire était tenue de promettre de dire la vérité et rien que la, vérité sous peine de se rendre coupable de parjure et d’être sanctionné en conséquence.
Cette obligation de prêter serment avant de répondre aux questions a été retiré de la nouvelle loi portant réforme de la garde à vue, surtout après l’arrêt Brisco c/ France où la Cour EDH avait condamné cette pratique au motif qu’elle violait le droit de la défense et de ne pas s’auto-incriminer.
En effet, selon la Cour, ce n’est pas le caractère intrinsèquement incriminatoire des dépositions fournies par l’accusé qui doit être pris en compte pour déterminer s’il y a violation du droit au silence mais l’utilisation qui sera faite, au cours du procès pénal, des dépositions recueillies sous la contrainte. C’est ce qui justifie selon elle l’extension de la protection au témoin qui pourrait potentiellement être accusé dans une affaire connexe.
C’est une question sur laquelle, la Cour a eu souvent à se prononcer notamment à l’encontre de la France. Ainsi, dans l’arrêt Serves c/ France, la Cour avait affirmé que « le requérant pouvait redouter que, par le biais de certains des propos qu’il pouvait être amené à tenir devant le juge d’instruction [qui l’avait convoqué comme témoin], il témoigne contre lui-même. Il eût ainsi été admissible qu’il refuse de répondre à celles des questions du juge qui auraient été de nature à le pousser dans cette direction ».
Ainsi la difficulté de déterminer si l’immunité doit jouer ou non dépend donc essentiellement de la qualité de la personne à qui l’on demande de répondre aux questions. En effet, un témoin peut cacher un accusé, ce qui ne facilite pas la tâche des enquêteurs qui peut avoir du mal à tracer la frontière entre l’obligation de témoigner qui incombe aux simples témoins et le droit de ne pas s’auto-incriminer.
Pour résoudre la question la Cour avait suggère que le témoin a l’obligation de prêter serment, mais s’il fait l’objet d’une accusation, il peut ensuite user de son droit à garder le silence. Ainsi, depuis la mise en place de la présomption d’innocence, la procédure commune est celle du témoin assisté et l’article 104 CPP interdit que soit convoqué comme simple témoin (soumis à l’obligation de répondre) celui contre qui « il existe des indices graves et concordants d’avoir participé aux faits dont le juge d’instruction est saisi ».
- Sur quelles matières doit s’appliquer l’immunité ?
Dans le droit français, l’immunité « s’exerce avec une prédilection en droit pénal, domaine dans lequel il est apparu et dans lequel il est reconnu dans le droit des États démocratiques ». La reconnaissance intervient donc seulement dans le droit pénal, et y a connu une consécration constitutionnelle puisqu’elle concerne une législation « portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité ». Le droit de ne pas s’auto-incriminer n’existe pas de droit au silence en droit privé, ni en droit public.
Alors que dans d’autres pays, notamment aux Etats-Unis, la reconnaissance de droit peut aller bien au-delà de la matière pénale. Ainsi, le droit de ne pas s’auto-incriminer ne s’impose pas seulement en droit pénal mais aussi aux procédures d’enquête du Congrès.
Il en va de même dans le droit anglais, où même si l’immunité en matière civile est fortement critiquée par la doctrine, elle n’en demeure pas moins parfaitement valable (voir supra).
Dans le droit canadien, dans l’affaire Hébert, en 1990, la Cour suprême du Canada a considéré que le droit au silence doit avoir une portée suffisamment large pour être véritablement protectrice et laisser à chacun le choix de parler ou de se taire. Mais ce droit doit cependant souffrir de certaines limites pour ne pas porter atteinte à la bonne administration de la justice.
La Cour Suprême du Canada a ainsi souligné que « la présomption d’innocence et l’inégalité du rapport de force entre l’État et le particulier sont la base de ce principe et les protections en matière de procédure et de preuve en découlent ». En conséquence, le droit au silence est violé lorsque, les autorités agissent de manière à supprimer ou contourner ce choix.
Pour ce qui est du droit européen, La Cour européenne des droits de l’homme impose le respect du droit au silence qu’elle tire de l’article 6 relatif au procès équitable, ainsi elle soutient que Les « exigences générales d’équité consacrées à l’article 6 y compris le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination, s’appliquent aux procédures pénales concernant tous les types d’infractions criminelles de la plus simple à la plus complexe. ».
Cependant, la jurisprudence de la Cour montre sa volonté d’étendre le droit de ne pas s’auto-incriminer à des matières sortant de la sphère pénale. Ainsi par une interprétation extensive de l’article 6 de la Convention et de la notion du droit à un « procès équitable » des garanties qui s’inspirent de l’article 14 du Pacte de New York, la Cour EDH s’est montrée particulièrement protectrice dans sa jurisprudence.
Ainsi, dans l’arrêt Funke c/ France du 25 février 1993, la Cour énonce que « les particularités du droit douanier ne sauraient justifier une telle atteinte au droit, pour tout ‘accusé’ au sens autonome que l’article 6 attribue à ce terme, de se taire et de ne point contribuer à sa propre incrimination ».
- Le contenu du droit de ne pas s’auto-incrimination
Précédemment, nous avons vu que le droit de ne pas s’auto-incriminer avait deux composantes, à savoir le droit de garder le silence et le droit de fournir des informations qui ne sont pas tout à fait exacte (du moment qu’on ne se mette pas en infraction). Si nous n’allons pas nous étendre sur la deuxième partie du droit, il est important d’étudier le cas du droit au silence.
- Le droit de se taire
Nous l’avons déjà vu en long, en large et en travers, la Cour RDH préconise le respect du droit de se taire et de ne pas fournir des informations qui pourrait nuire à soi-même. Car « le droit de se taire lors d’un interrogatoire de police et le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination sont des normes internationales généralement reconnues qui sont au cœur de la notion de procès équitable consacrée par l’article 6 ». Ainsi « en mettant le prévenu à l’abri d’une coercition abusive de la part des autorités, ces immunités concourent à éviter des erreurs judiciaires et à garantir le résultat voulu par l’article 6 ».
Nous n’allons donc plus trop nous étendre là-dessus, par contre il importe d’apporter quelques précisions sur le droit de recevoir l’assistance d’un avocat qui, à notre sens est un corolaire de ce droit de garder le silence.
- Le droit de faire appel à un avocat
Dans l’arrêt Murray, la Cour EDH a affirmé que « la notion d’équité consacrée par l’article 6 exige que l’accusé ait le bénéfice de l’assistance d’un avocat dès les premiers stades de l’interrogatoire de police. Dénier cet accès pendant les quarante-huit premières heures de celui-ci, alors que les droits de la défense peuvent fort bien subir une atteinte irréparable, est – quelle qu’en soit la justification – incompatible avec les droits que l’article 6 reconnaît à l’accusé. ».
Cela se justifie notamment par le fait que l’accès à un avocat peut agir comme un contrepoids à l’atmosphère intimidante spécifiquement entretenue par la police afin de saper la volonté du gardé à vue et le faire avouer. Pour cette raison, on doit toujours considérer le refus d’accéder à un avocat pendant les 24 premières heures de la mesure de garde à vue comme une violation de l’article 6 de la Convention.
Pour la Cour donc, « l’équité de la procédure requiert que l’accusé puisse obtenir toute la vaste gamme d’interventions qui sont propres aux conseils. A cet égard, la discussion de l’affaire, l’organisation de la défense, la recherche des preuves favorables à l’accusé, la préparation des interrogatoires, le soutien de l’accusé en détresse et le contrôle des conditions de détention sont des éléments fondamentaux de la défense que l’avocat doit librement exercer. ».
Position qui a finalement été reprise par le Conseil Constitutionnel français quand il a déclaré que les articles 62, 63, 63-1, 63-4, alinéas 1er à 6, et 77 du Code de procédure pénale n’instituent pas les garanties appropriées à l’utilisation qui est faite de la garde à vue ; (…) qu’ainsi, la conciliation entre, d’une part, la prévention des atteintes à l’ordre public et la recherche des auteurs d’infractions et, d’autre part, l’exercice des libertés constitutionnellement garanties ne peut plus être regardée comme équilibrée ; que, par suite, ces dispositions méconnaissent les articles 9 et 16 de la Déclaration de 1789 et doivent être déclarées contraires à la Constitution. »
- A partir de quel moment doit courir le droit de ne pas s’auto-incriminer ?
Depuis la récente réforme, il a été introduit dans le code de procédure pénal français qu’ « En matière criminelle et correctionnelle, aucune condamnation ne peut être prononcée contre une personne sur le seul fondement de déclarations qu’elle a faites sans avoir pu s’entretenir avec un avocat et être assistée par lui. »., et cela afin de se mettre en phase avec la Cour de Strasbourg qui énonçait qu’il « est en principe porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense lorsque des déclarations incriminantes faites lors d’un interrogatoire de police subi sans assistance possible d’un avocat, sont utilisées pour fonder une condamnation ».
C’est pour cette raison que la notification du droit de garder le silence est redevenue obligatoire lors des gardes à vues. Aujourd’hui, dès son placement en garde à vue, la personne interpellée est immédiatement informée par l’officier de police judiciaire de son placement en garde à vue, de sa durée et des prolongations possibles ainsi que de tous ses droits, dont celui de garder le silence. Mais la notification de ce droit ne doit pas nécessairement passer en premier avant tous les autres, le plus important c’est qu’il en soit informé et que son droit court à partir de ce moment de la procédure.
- Les répercussions sur le déroulement de la procédure
Le non respect des droits de gardés à vue peut avoir un bon nombre de répercussions qui peuvent compromettre toute l’instruction et rendre à terme toute la procédure caduque.
- Annulation des procès-verbaux
Etant donné tout ce qui a été dit à propos de l’importance du droit de ne pas s’auto-incriminer dans les parties précédentes, il apparaît que le manquement à ce droit doit être sanctionné de la seule manière possible, à savoir l’annulation de toutes les preuves qui ont découlé de la violation de ce droit. Donc à l’annulation des procès verbaux de garde à vue.
Ainsi, la Cour de Cassation française s’est prononcé dans ce sens dans quatre arrêts du 31 mai 2011. Selon la Cour, « toute personne, placée en retenue douanière ou en garde à vue, doit, dès le début de ces mesures, être informée de son droit de se taire et, sauf exceptions justifiées par des raisons impérieuses tenant aux circonstances particulières de l’espèce, pouvoir bénéficier, en l’absence de renonciation non équivoque, de l’assistance d’un avocat ». Elle a ainsi décidé d’annuler des procès-verbaux établis dans le cadre de la retenue douanière puis de la garde à vue ainsi que des actes subséquents, présentée par requête du 15 mars 2010 et prise de la violation, par les articles 323 du code des douanes et 63 et suivants du code de procédure pénale, de l’article 6 § 3 de la Convention au motif que les auditions recueillies au cours des mesures de rétention douanière puis de garde à vue étaient irrégulières car effectuées en l’absence de l’avocats des gardés à vue.
Il en allait de même dans l’Affaire 11-81412 et dans l’affaire Affaire 10-88293 où la prévenue avait pu s’entretenir avec son avocat avant d’être entendue à deux reprises par les enquêteurs. Selon la Cour elle n’avait pu bénéficier de l’assistance de son avocat au cours de la garde à vue, notamment lorsqu’elle avait été entendue par les enquêteurs, pour cette raison, les auditions recueillies au cours de la garde à vue étaient irrégulières, elles devaient ainsi être annulées et le cas échéant les actes dont les auditions étaient le support nécessaire.
La cour rappelle ainsi qu’il ne suffit pas de donner accès aux gardés à vue à un avocat, le plus important c’est que la personne intéressée puisse bénéficier pendant toute la durée de la garde à vue, auditions et entretiens avec les enquêteurs compris, de l’assistance et du conseil avisé de son avocat.
Ce qui est particulièrement saisissante dans les quatre affaires, c’est que la Cour de Cassation a décider de faire appliquer les réformes attendues de la France bien avant l’entrée en vigueur de loi portant ladite réforme. La raison en est que « Les États adhérents à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales sont tenus de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, sans attendre d’être attaquées devant elles ni d’avoir modifié leur législation ».
- Irrecevabilité des preuves obtenues en violation du droit de ne pas s’auto-incriminer devant le juge
Comme nous le savons, le principe de la présomption d’innocence est désormais le principe qui domine en matière de droit pénal et de procédure pénale. Le régime de la preuve est donc construit autour de ce principe, ce qui explique que dans le droit commun de la preuve, la charge de cette preuve incombe toujours au demandeur, à celui qui accuse et non au défendeur.
La preuve est « un mécanisme destiné à établir une conviction sur un point incertain ». La preuve est une démonstration de l’existence d’un fait (matérialité d’un dommage) ou d’un acte (contrat, testament) dans les formes admises par la loi. La preuve est tout moyen permettant à établir l’existence d’un fait donné, ou encore l’exactitude ou la fausseté d’une présomption. Ce qui signifie qu’en matière pénale donc la preuve tend essentiellement à établir d’une part l’existence d’un fait réprimé par la loi et d’autre part la participation à ce fait de la personne poursuivie.
Aucune condamnation ne peut être prononcée sans preuve à l’appui (voir supra), ce qui signifie que cette preuve une place plus qu’importante dans le droit pénal et surtout en matière de répression. Le juge doit donc se fonder sur la preuve pour pouvoir rendre son verdict, mais pour cela encore faudrait-il que ladite preuve soit recevable.
La production des preuves est l’opération matérielle par laquelle sont apportés au juge des éléments probatoires de la commission d’une infraction et de son imputation à celui qu’on soupçonne d’en être l’auteur. En principe, la production de la preuve est libre en matière pénale. Ainsi que le dispose le code de procédure pénale, « Hors les cas où la loi en dispose autrement, les infractions peuvent être établies par tous modes de preuve et le juge décide d’après son intime conviction. Le juge ne peut fonder sa décision que sur des preuves qui lui sont apportées au cours des débats et contradictoirement discutées devant lui ».
Malgré tout, cette liberté reçoit quelques limites importantes découlant principalement du principe de la présomption d’innocence et du droit à un procès équitable. Ainsi, dans la production de preuves, les parties doivent être placées sur un pied d’égalité, on parle de l’égalité des armes qui interdit notamment la prise en compte des preuves qui ont été obtenues en violation du droit de ne pas s’auto-incriminer.
La jurisprudence de Cour EDH est particulièrement prolixe sur le sujet, ainsi dans l’affaire Funke contre France. En l’espèce le requérant avait été condamné car il avait refusé de fournir au service des douanes des documents l’incriminant. La Cour constate alors que « les douanes provoquèrent la condamnation de Monsieur Funke pour obtenir certaines pièces, dont elle supposaient l’existence sans en avoir la certitude. Faute de pouvoir ou vouloir se les procurer par un autre moyen, elles tentèrent de contraindre le requérant à fournir lui-même la preuve d’infractions qu’il aurait commises. Les particularités du droit douanier ne sauraient justifier une telle atteinte du droit, tout « accusé » au sens autonome que l’article 6 attribue à ce terme, de se taire et de ne point contribuer à sa propre incrimination (-) Partant, il y a violation de l’article 6§1 de la Convention. »
Une jurisprudence à laquelle elle est restée fidèle, ainsi en 2012, dans l’affaire CHAMBAZ c. SUISSE, le requérant se plaint, sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention, que la procédure devant le tribunal administratif du canton de Vaud, et achevée par l’arrêt du Tribunal fédéral du 2 octobre 2003, n’a pas été équitable. Il soutient qu’une amende lui a été infligée pour ne pas avoir produit des documents susceptibles de l’incriminer dans une procédure pénale et que l’égalité des armes n’a pas été respectée.
Pour la Cour EDH, « elle relève qu’en infligeant des amendes au requérant, les autorités ont fait pression sur lui pour qu’il leur soumette des documents qui auraient fourni des informations sur son revenu et sa fortune en vue de son imposition, plus particulièrement en ce qui concerne ses comptes auprès de la Banque S. S’il n’appartient pas à la Cour de spéculer sur la nature de ces informations, elle constate que celles-ci sont également mentionnées dans le rapport établi à l’issue de l’enquête pour soustraction d’impôt.
La Cour observe, par ailleurs, que le requérant ne pouvait exclure que toute information relative à des revenus supplémentaires de sources non imposées l’exposait à être accusé d’avoir commis l’infraction de soustraction d’impôt et était de nature à compromettre sa position dans l’enquête pour soustraction d’impôts.
Le fait que celle-ci ait été ouverte quatre ans plus tard n’est, aux yeux de la Cour, pas déterminant, car au moment où le tribunal administratif a confirmé les décisions litigieuses, l’enquête était déjà ouverte depuis un peu moins de trois ans. Dès lors, les décisions des juridictions internes, confirmant les amendes infligées précédemment au requérant, ont eu pour résultat d’obliger le requérant à contribuer à sa propre incrimination. ».
La prise en compte de preuves obtenues par la violation du droit au silence, du droit de ne pas s’auto-incriminer constitue donc une entorse au principe du procès équitable et ne devrait en aucun, au sens de la jurisprudence de la Cour EDH, être prise en compte par les juridictions nationales pour prononcer une condamnation.
En un mot, les preuves qui ont été obtenues par la violation du droit de ne pas s’auto-incriminer sont frappées d’irrecevabilité devant le juge.
Conclusion
Il est donc désormais pleinement admis en droit français que les inculpés ont le droit de garder le silence et de ne pas coopérer avec la police en vertu du droit de ne pas s’auto-incriminer qui est prévu par la Convention Européenne des droits de l’homme mais également par la Constitution Française. Il est également reconnu que, corolairement à ce droit de garder le silence, ils ont également le droit de demander assistance à un avocat.
Il faut cependant savoir que ce droit de garder le silence n’est pas illimité et que même si le silence ne devrait pas conduire les enquêteur à déduire de la culpabilité du gardé à vue car cela signifie que la condamnation ne repose que sur l’absence de dénégations par l’accusé, il peut cependant jouer en défaveur de ce dernier car il a également une force probante.
En effet, devant la Cour d’assises, la liberté de la preuve est accompagnée de l’intime conviction, et cela dans la mesure où le juge et les jurés forgent leur décision d’après une liberté d’appréciation des preuves et le silence de l’accusé peut les convaincre du bien-fondé des accusations présentées.
Ainsi selon le code de procédure pénal, « (…) La loi ne demande pas compte aux juges des moyens par lesquels ils se sont convaincus, elle ne leur prescrit pas de règles desquelles ils doivent faire particulièrement dépendre la plénitude et la suffisance d’une preuve ; elle leur prescrit de s’interroger eux-mêmes, dans le silence et le recueillement et de chercher, dans la sincérité de leur conscience, quelle impression ont faite, sur leur raison, les preuves rapportées contre l’accusé, et les moyens de sa défense. La loi ne leur fait que cette question, qui renferme toute la mesure de leurs devoirs : Avez-vous une intime conviction ? ».
Bibliographie
Les textes
-
La déclaration des droits de l’homme de 1789
-
La Déclaration Universelle des droits de l’homme de 1948 de l’ONU
-
Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, entré en vigueur le 3 septembre 1953
-
La Charte des droits fondamentaux, signée le 7 décembre 2000
-
Code de procédure pénale français
-
Code pénal français
-
Conseil constitutionnel du 8 juillet 1989 Décision n° 89-258 DC du 8 juillet 1989, JORF du 11 juillet 1989 page 8734
-
Loi n° 2003-239 du 18 mars 2003
-
CC, 20 janvier 2005, Loi relative aux compétences du tribunal d’instance, de la juridiction de proximité et du tribunal de grande instance, n° 2004-510 DC
-
Loi N°2011-392 du 14 avril 2011 portant réforme de garde à vue
Ouvrages
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- Bernard BOULOC, « Le silence de la personne mise en examen peut-il justifier sa mise en détention », D. 1995.315.
- Mireille DELMAS-MARTY, « La preuve pénale », Droits 1996.23.55
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Jurisprudence
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- Imbroscia c. Suisse, 24 novembre 1993
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- 1ère Civ. – 26 septembre 2007
- Arrêt X… c. France du 4 octobre 2007 – req. n°27314/02 rapporté au BICC n°670 du 1er novembre 2007
- Salduz c/Turquie (n° 36391/02) du 27 novembre 2008
- Cour EDH, G.C. 27 novembre 2008, Salduz c. Turquie,Req. n° 36391/02 – ADL du 28 novembre 2008
- CEDH, 13 octobre 2009, n° 7377/03, Dayanan c/ Turquie : AJ Pénal 2010, p. 27, étude C. Saas ; D. 2009, p. 2897, note J.-F. Renucci ; RSC 2010, p. 231, obs. Roets ; Rev. pénit. 2009, p. 837, note Verges ; communiqué CNB du 20 octobre 2009 publié dans JCP 2009, 382, n° 44
- Cour EDH, 2e Sect. 10 novembre 2009,Bolukoç et a. c. Turquie, Req. n° 35392/04 – ADL du 22 novembre 2009
- CEDH, 2 mars 2010, n° 54729/00, Adamkiewicz c/ Pologne : JCP G 2010, doctr. 859, obs. F. Sudre.
- Cass. Crim. 31 mai 2011, n °10-88809, 11-81412, 10-88293, 10-80034
Autres
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- Comm.EDH, rapport K. c/ Autriche, 13 Octobre 1992
- Comm.EDH, décision BBC c/ Royaume-Uni du 18 janvier 1996, DR, 84, P. 129
- Pauline Danjou, « Le silence est d’or» ? Analyse comparée du droit de ne pas participer à sa propre incrimination en droit anglais, français et européen », droit du procès et de la preuve judiciaire, MASTER D’ETUDES BILINGUES DES DROITS DE L’EUROPE, blog de droit comparé, Université Paris Ouest.
- Communiqué de presse du Greffier de la Cour EDH n° 742 14.10.2010
- Marie-Christine BONZOM, « Amnestie de Marc Rich : les témoins invoquent le 5e amendement», dans Swissinfos, 9 février 2001, en ligne : http:///www.politiqueglobale.org/articlephp3?id-article=1423
- Edward LAZARUS, «Why Congressional hearings regarding Enron may actually hurt, not help, in finding out the truth about the company and its auditors », en ligne : http://writ.findlaw.com/ lazarus/20020205.html
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