Mémoire portant sur les enjeux de la compétence orale dans l’enseignement du français en lycée professionnel
Sujet :
Les enjeux de la compétence orale dans l’enseignement du français en lycée professionnel
Problématique
En quoi l’utilisation de l’oral comme objet d’apprentissage en classe de terminale bac pro peut-il permettre à ces élèves en contact avec le monde professionnel, de prendre conscience des enjeux de la maîtrise de leur propre langue et de les rendre ainsi acteurs de leurs paroles.
Introduction
Etant professeur de Lettres/Histoire en lycée professionnel, je suis en charge de l’enseignement du français à des élèves en classe de 2nde, de 1ère et de terminale Bac pro. Il s’agit de ma deuxième année à ce titre et je découvre des élèves très hétérogènes que ce soit en termes de niveau scolaire ou d’attitude et de comportement. Les classes bac pro sont des classes préparant les élèves à un cheminement professionnel tout de suite après l’obtention de leur diplôme. Les classes dont je suis responsable sont composées, en majorité, de jeunes qui n’ont pas adhéré au système scolaire et ont choisi cette voie pour assurer leur vie professionnelle future. Elle alterne cours et pratiques en entreprises, ce qui permet de découvrir le monde du travail.
Les élèves auxquels j’enseigne le français sont en échec avec cette discipline, notamment avec l’orthographe et la grammaire. Ils montrent une certaine réticence envers le français. Certains élèves ont un registre non inclus dans le registre courant. Leur vocabulaire est pauvre ou lacunaire, traduisant une ignorance des règles syntaxiques. Certains d’entre eux en sont conscients tandis que d’autres ne sont pas attentifs aux véritables problèmes qu’ils rencontrent à l’oral. Ils se contentent du fait que tant que leurs interlocuteurs comprennent ce qu’ils veulent dire, c’est l’essentiel, le reste n’est qu’accessoire.
Je suis donc confrontée depuis l’année dernière, d’une part à un manque de civilité, à des erreurs de français, à un développement lacunaire, à une parole sans épaisseur, qui manque de pertinence, souvent désorganisée, et d’autre part à une parole vivante, spontanée, intempestive. Mes élèves sont en effet très volubiles. Le problème est donc double: en plus des difficultés à manier le langage oral, ils ne savent ni s’écouter, ni se respecter. A ce propos, il est intéressant de constater que je retrouve ce portrait de mes élèves, croqué à grands traits, dans le récent ouvrage du sociologue spécialiste des lycées professionnels, Aziz Jellab : « Pour beaucoup, la particularité de l’enseignement professionnel est son public. En effet, les élèves orientés dans la voie professionnelle le sont majoritairement par défaut, en raison de leurs résultats dans les enseignements généraux au collège, ou parce qu’ils ne maîtrisent pas suffisamment la langue française. Déjà en 1945, les programmes mentionnent les difficultés des élèves et la nécessité de les réconcilier avec l’école (…). J’ai peu à peu pris conscience que la matière français était un révélateur d’échecs successifs et de souffrance : être stigmatisé parce (…) qu’on n’ose pas parler touche au plus profond de soi (…) »1. J’ajouterais que, dans ce contexte, la socialisation prend de plus en plus le pas sur l’enseignement.
A partir de ces premières réflexions, il me semble que l’enjeu de la maîtrise de l’oral apparaît particulièrement décisif pour compenser diverses lacunes d’abord, plus généralement pour la réussite scolaire – et plus tard socio-professionnelle – de mes élèves. Ainsi, émergent les questions autour desquelles mon travail de professeur de Lettres en LP pourrait s’organiser: est-ce que j’accorde une réelle importance à l’apprentissage de l’oral? Effectivement, les enseignants de Lettres ont tous à cœur l’apprentissage de l’écrit, mais continuons-nous à « apprendre à parler » à nos lycéens ?
Plus précisément, comment puis-je aider mes élèves à se doter de compétences orales qui leur permettront de faire face à la diversité des situations de communication aussi bien en tant qu’élèves – je pense notamment à l’oral de contrôle en français durant l’année de terminale2 – que dans leur vie d’adultes – passer un entretien d’embauche ou gérer un conflit, par exemple – et de citoyens – entre autres, affirmer son point de vue dans une démarche de dialogue et de respect de celui d’autrui. Un véritable travail sur les divers aspects de l’oral contribuerait-il à la construction personnelle et sociale des élèves?
De tels problèmes avec l’oral pourraient résulter de lacunes au sein de l’enseignement ou de la réception de celui-ci depuis l’enfance. Quelles qu’en soient l’origine, l’état des lieux de la recherche sur l’usage, l’apprentissage et l’utilité de l’oral, que ce soit à l’école ou au lycée professionnel, est vaste. Elle témoigne de l’importance de l’oral en milieu scolaire en le faisant apparaître comme un vecteur de réussite scolaire : « L’aisance à l’oral, la facilité de communiquer, d’argumenter à l’oral est un facteur essentiel de la réussite sociale et professionnelle, alors que l’inverse explique bien des échecs»3. Ainsi, un échec à l’oral peut conduire à un échec scolaire ou professionnel. L’oral est une voie d’expression, il permet de s’exprimer, d’échanger ou encore de se faire comprendre et de comprendre en même temps.
C’est un vecteur de communication tout aussi indispensable aux élèves à l’école qu’à ceux qui choisissent la voie professionnelle. L’oral se définit souvent suivant son opposition à l’écrit. Il induit des compétences spécifiques relatives à la « linguistique (connaissances phonologiques, morphologiques et syntaxiques)4 » et à la communication « (règles discursives, psychologiques, culturelles et sociales qui régissent l’utilisation de la parole en fonction des contextes) ». De nombreuses capacités sont donc mobilisées pour l’efficience de l’oral, à savoir l’écoute et la parole.
En sa qualité d’outil, d’objet et de moyen de communication, l’oral ne peut être indissociable de l’apprentissage ni de l’écrit. Cependant, la langue écrite et la langue orale sont en opposition, comme le souligne Montelle (2005) : «Orale, la langue vit et s’adapte; écrite, elle est figée, inanimée, latente, et c’est la parole qui lui redonne vite sens en l’actualisant »5. L’oral valorise donc l’écrit. L’enseignement fait état d’un oral moins présent et moins utilisé que l’écrit. L’apprentissage favorise l’écrit et semble délaisser l’oral, que ce soit dans l’enseignement ou dans la pratique simple de la langue.
Dans ce contexte, nous constatons que même au niveau de l’enseignement, l’oral semble biaisé, voire même sous-estimé. Jusque dans les années 60, les Instructions Officielles du Ministère de l’Education Nationale n’intègrent pas le terme « oral »6 Une évolution a été aperçue en 1970, notamment au sein du Plan de rénovation de l’enseignement du français en France, dans tous les pays francophones et dans certains pays européens : « l’objet de l’enseignement du français (…) est l’usage et le développement des moyens linguistiques de la communication ; il s’agit de rendre l’enfant capable de s’exprimer oralement (…) et capable de comprendre ce qui est dit (…)»7.
Actuellement, l’enseignement de l’oral connaît plus d’amélioration dans les lycées professionnels. Une épreuve orale est même incluse au sein du bac pro. Pour autant, ces évolutions ne suffisent pas à nous assurer que l’oral est devenu, plus qu’une compétence que nos élèves doivent acquérir en cours de français, une compétence transversale dont toutes les disciplines ont la responsabilité de leur faire maîtriser. Pour aller plus loin dans la réflexion, l’oral ne pourrait-il pas devenir une discipline à part entière ? C’est-à-dire au sens moderne que lui prête le dictionnaire, « une branche de la connaissance »8, une matière enseignable ?
Cependant, le but de l’oral est de permettre aux apprenants « de développer des compétences langagières qui leur seront utiles dans la vie personnelle ou professionnelle, ils doivent avoir la capacité de transposer dans différents domaines d’activité les savoirs acquis.9 » L’enseignement de l’oral doit donc être centré et dirigé vers l’apprenant, ce qui conduit à une évaluation du rôle et de l’intervention de l’enseignant. J’ai ainsi réalisé que mon enseignement de l’oral devait être repensé. En effet, l’oral n’est pas seulement un vecteur d’apprentissage, un « medium d’enseignement » pour reprendre les termes de Lafontaine, professeure de didactique du français à l’Université du Québec et spécialiste de l’enseignement de l’oral en français langue première au secondaire10. Or, il me semble que depuis mes débuts en lycée professionnel, j’utilise fréquemment l’oral comme moyen d’apprentissage, ce qui est nécessaire mais pas suffisant puisque ce type d’oral n’est pas du tout pris en charge par les élèves. D’où la cause principale de leur désintérêt, de leur démotivation, de leur manque d’écoute ou de leur participation intempestive impossible à cadrer. Dans ces conditions, il est difficile d’espérer que les pensées se construisent et que les élèves deviennent autonomes dans leurs rapports sociaux.
Ainsi, je prévois, à travers une expérimentation, de parvenir à un enseignement plus adapté afin que mes élèves puissent évoluer et s’approprier l’oral, le leur et celui d’autrui. J’envisage, pour ce faire, de réaliser un échange direct avec eux pour discuter des dimensions enseignables de l’oral. Changer ma pédagogie est, pour moi, le meilleur moyen d’y parvenir. J’en suis donc venue à penser que le mode d’enseignement de l’oral doit être réévalué. J’ai alors choisi la problématique suivante: En quoi l’utilisation de l’oral comme objet d’apprentissage en classe de terminale Bac pro peut-il permettre à ces élèves en contact avec le monde professionnel, de prendre conscience des enjeux de la maîtrise de leur propre langue et de les rendre ainsi acteurs de leurs paroles? Selon moi, ces élèves ne sont pas conscients des enjeux de la maîtrise de l’oral. Ils en ignorent la portée qui est immédiate mais aussi à
1JELLAB, A., Sociologie du lycée professionnel, Presses Universitaires Mirail-Toulouse, coll. « Socio-Logiques », 2009, p.211.
2 Site du Ministère de l’Education nationale : Décret n°2009-145 du 10 février 2009, JO du 11 février 2009 ; arrêté du 18 février 2010 ; note de service DGESCO – 2010.
3 BEAULIEU, G., Projet pancanadien de français langue première. Etat des lieux en communication orale, 2008, disponible sur http://www.cmec.ca/docs/phaseII/etat-lieux.pdf .
4 CHIRIAC, L., “L’oral – objet ou moyen d’apprentissage ?”, Professional communication and translation studies, 2013, 6 (1-2), p. 212.
5 MONTELLE, C., La parole contre l’échec scolaire (la haute langue oral), Paris : L’Harmattan, 2005, p. 49.
6 BEAULIEU, G. op. cit.
7Ibid.
8Le petit Larousse illustré 2015, 2014.
9 CHIRIAC, L. op. cit.
10LAFONTAINE, L., « Une épistémologie de la didactique de l’oral au Québec », colloque Acquis et nouvelles avancées de la recherche en didactique de l’oral : pour une innovation durable, Congrès de l’ACFAS, 11 mai 2005.
Mémoire de fin d’études de 84 pages.
€24.90