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Analyse comparative de deux films musicaux français : « On connaît la chanson » et « Les chansons d’amour »

INTRODUCTION

 

Ce mémoire est une étude comparative de deux films musicaux : « On connaît la chanson » d’Alain Resnais et  « Les chansons d’amour » de Christophe Honoré, dont la bande originale a été composée par Alex Beaupain. La raison pour laquelle nous avons choisi de nous intéresser notamment à cette dernière œuvre vient de notre goût pour la chanson française en général, mais aussi et surtout du fait que nous avons eu l’opportunité et la chance de participer à la création en 2003 de ses principales chansons (entre autres : De bonnes raisons, Inventaire, la Bastille, Brooklyn Bridge, Delta Charlie Delta), qui ont été composées avant la réalisation de ce film musical en 2007 et qui l’ont inspiré. Nous avions en effet accompagné au piano le chanteur compositeur interprète Alex Beaupain, avec son frère Pierre Beaupain à la guitare, à l’occasion de quatre concerts joués dans un café-concert du Marais qui s’appelait l’Aller et Retour.

 

Ce film a vu le jour suite à un épisode dramatique de la vie de Beaupain qui a précédé de peu ces quatre concerts. Le réalisateur et écrivain Christophe Honoré, quelques années plus tard, a été inspiré par cette histoire et a fait savoir à Alex Beaupain, son compositeur fétiche avec qui il avait collaboré sur plusieurs de ses films, qu’il souhaitait utiliser ces chansons, ainsi que d’autres à composer pour l’occasion, pour en faire un film musical. Cette  expérience s’est révélée fructueuse et a connu le succès que l’on sait, puisque ce film a été sélectionné au festival de Cannes, a remporté le César de la meilleure musique originale en 2008 et a depuis placé Alex Beaupain sur le devant de la scène.

 

L’intérêt d’une étude comparative avec « On connaît la chanson » d’Alain Resnais tient aux similitudes entre ces deux comédies musicales françaises récentes à succès  (sept Césars en 1997 pour le film d’Alain Resnais), qui utilisent toutes les deux  astucieusement des paroles de chansons très connues comme dialogues du film. Ceci i nous a conduit à considérer que ce deuxième film apportait une ouverture considérable à la problématique du  sujet « les chansons dans ces deux cas tissent-elles la trame du film ? ».

La musique fait, depuis les débuts du septième art, partie intégrante de la mise en scène d’un film. D’autant plus qu’au début du cinéma muet, elle était au cœur du rythme de la narration et du ressenti des émotions chez les spectateurs, puisqu’à cette époque, à défaut de pouvoir  entendre les voix des acteurs, seule l’image était restituée. Ainsi, la dramaturgie reposait-elle le plus souvent sur les pianistes, et parfois même sur les orchestres qui jouaient dans la salle de projection pendant que les spectateurs regardaient le déroulement du film.

 

Il est à noter que cela redevient d’ailleurs d’actualité, puisque des films muets notamment de Charlie Chaplin ou de Buster Keaton ont été projetés récemment à la Cité de la Musique de Paris ainsi qu’au Musée du Cinéma de Bruxelles, accompagnés d’un pianiste au talent d’improvisateur.

 

La musique a évolué avec le cinéma parlant. Ainsi, nul besoin d’un orchestre jouant en simultané, les réalisateurs peuvent désormais synchroniser, réfléchir avec l’aide de divers techniciens ou musiciens, au type de musique qui pourrait refléter au mieux la dramaturgie du film.

 

Aujourd’hui, la musique de film est devenue une œuvre à part entière dont on vante les mérites à travers différentes cérémonies citées plus haut comme, pour les plus connues d’entre elles, les « Oscars » aux Etats-Unis et les « Césars » en France. Mais quelle est cette place, ce rôle qu’a la musique dans une œuvre cinématographique ? Peut-on réellement dire qu’elle est capable de tisser la trame d’un film ?

 

Cette question se pose car, le plus souvent, comme nous avons pu le voir dans différentes comédies musicales, c’est habituellement la musique du film qui est au service des images. Or, dès lors que les comédies musicales comportent des chansons et qu’elles constituent une part des dialogues et renforcent un propos, comme c’est le cas pour les deux comédies musicales qui nous intéressent, la question est de savoir si ce ne sont pas ces chansons précisément qui mettent les images du film à leur service ?

L’hypothèse  que nous proposons est que, dans ces deux films, la musique n’est pas une simple illustration de la narration mais qu’elle représente aussi un élément important au service d’un propos.

 

Dans le cas de « On connaît la chanson », les chansons tissent la trame du film au sens où les paroles des chansons servent aussi de dialogues et participent intrinsèquement au scénario. C’est ce qui  constitue le concept de base, le principe fondamental de ce film. Est-ce également toujours le cas  dans « Les chansons d’amour »,  en particulier pour les chansons composées après-coup pour le film ? Il se trouve que ce dernier film a été inspiré par un épisode réel de la vie de Beaupain, à savoir la mort de sa petite amie. Dans ce cas,  les chansons composées a postériori sont elles aussi faites pour coller à l’histoire et donc au film ?

 

Afin de répondre à cette problématique et vérifier ces hypothèses, nous allons nous baser méthodologiquement sur l’étude de ces deux œuvres cinématographiques.

 

Après le visionnage de ces deux films, il apparaît que la musique est omniprésente dans plusieurs séquences, se rapprochant du type « comédie musicale » mais pas au sens hollywoodien du terme, puisqu’aucun des deux ne comportent de chorégraphie. Il s’agit plus exactement de films musicaux (traduction en anglais du terme « musical »).

 

Nous allons donc comparer ces deux films et analyser l’utilisation de la musique au sein de l’intrigue. Nous diviserons notre étude en deux parties. La première concernera les mobiles de structuration par les chansons et tentera donc de comprendre la narratologie dans les deux films, de décrire les rapports entre les différents éléments qui la composent (I).

La seconde partie étudiera l’esthétique, c’est-à-dire la synchronisation de la musique avec l’image, mais aussi l’apport symbolique qu’apporte une telle réalisation (II). Ces deux parties seront émaillées d’analyses filmiques pour illustrer notre propos et nos recherches.

 

Nous essayerons de parfaire chaque analyse et respecter au mieux les règles méthodologiques tout le long de cette étude.

 

 

 

I  La triangulation texte-image-chanson

 

1- La narration dans les deux films

 

La narration nous paraît importante à étudier car c’est elle qui permet de suivre et de comprendre la trame du récit. Comme dans une œuvre littéraire, celle-ci a un rôle à part entière à jouer dans le film sans être forcément interprétée par un personnage en particulier. Le narrateur raconte l’histoire, les personnages prennent place dans cette narration. Afin de mieux comprendre la place de la musique dans cet ensemble, il est important pour nous de comprendre quelques préalables à travers l’analyse des films que nous avons choisis pour cette étude.

 

  • – L’utilisation des paroles des chansons comme dialogues

 

L’utilisation des paroles des chansons en tant que dialogues est très présente dans les deux films que nous avons choisis pour cette analyse. Contrairement à une comédie musicale à proprement parler, dans ce genre de réalisation, les chansons interprétées par les acteurs sont  enregistrées préalablement puis insérées dans le film.

 

Cette technique permet donc d’un côté, d’éviter de recommencer plusieurs scènes durant le tournage, à cause d’une chanson mal chantée par exemple. D’un autre côté, cette astuce donne la possibilité aux acteurs de se concentrer sur leur jeu plutôt que sur leur voix contrairement à une comédie musicale où les deux éléments doivent être complètement maîtrisés par les acteurs.

 

L’évolution technologique a permis ainsi à la musique de s’intégrer plus facilement dans les paroles de film sans que les acteurs aient à se soucier de gérer les deux éléments, ce qui représente un gain de temps considérable, ainsi qu’une économie budgétaire substantielle. Au niveau technique, le jeu des acteurs reste limpide et la musicalité n’est pas altérée.

 

Afin de pouvoir faire ressortir l’ensemble « musique, parole et gestuelle » sans problème de synchronisation, le travail du réalisateur mais aussi des techniciens et autres monteurs est clé. La principale difficulté se trouve donc dans la capacité des différents membres du « staff technique » à faire ressortir les différentes composantes de cet ensemble comme s’ils étaient naturellement en symbiose.

 

Sans cette rigueur technique et cette harmonisation entre les idées du réalisateur, le sens des chansons et le travail des monteurs de son, l’utilisation des paroles de chansons en guise de dialogue ne peut être réalisée. En effet, ces paroles sont non seulement l’expression du dialogue mais aussi l’expression du non-dit. L’un des meilleurs moyens par lequel la musique peut amplifier l’aspect narratif d’un récit est l’expression des pensées non dites et autres implications invisibles qui sont sous-jacentes à la dramaturgie[1].

 

Pour le film « Les chansons d’amour », il apparaît que les parties musicales sont réellement des dialogues chantés qui expliquent l’état d’esprit, mais aussi rythment les discussions entre les différents personnages du film. L’utilisation des chansons permet de donner du poids à un dialogue, ou de l’alléger selon les cas.

 

Les chansons prennent une place importante dans ce film dans la mesure où certains dialogues sont chantés sur plusieurs minutes. Les échanges entre les personnages sont donc mélodiques en grande partie. Ces chansons ne sont pas seulement des éléments secondaires qui apportent de l’esthétisme au film mais ont été voulues par les concepteurs du film et sont inscrites dans le script du film.

 

 

Dans ce film, nous pouvons voir deux types de dialogues chantés :

 

  • Des dialogues « directs » : ces dialogues sont des échanges entre deux personnages qui se parlent directement mais en chantant. La première chanson entre Ismaël et Julie : « De bonnes raisons » en constitue un exemple. Les deux personnages « parlent » entre eux de leur situation amoureuse à travers les rues de Paris, jusqu’à leur appartement. C’est un chant en duo.

 

  • Des dialogues « interposés » : ces dialogues n’en sont pas vraiment au sens propre du terme car les personnages ne se parlent pas directement. L’exemple le plus probant est « La Bastille », où néanmoins les propos des personnages convergent bien que ceux-ci se trouvent dans des endroits différents. Julie et sa famille sont réunies chez elles et parlent de la morosité du temps. La chanson débute par un dialogue entre Julie et son père puis, par la suite, les pensées intimes de chaque membre de la famille convergent comme pour répondre à la discussion des deux premiers. C’est un développement où tous les membres présents sur la scène participent et y vont de leur couplet, peut-être pour les montrer une dernière fois tous réunis avant la disparition du personnage de Julie ?

 

 

Le jeu des acteurs est en quelque sorte un élément secondaire dans ce film. En effet, ce sont les chansons qui constituent les éléments principaux du film, étant donné que leur jeu est en quelque sorte une interprétation imagée des paroles. Les chansons, même sans image, ont un sens particulier qui donne toute sa direction à l’histoire. Et bien sûr, l’image sans les chansons aurait peu de signification.

 

Dans le film « On connaît la chanson » en revanche, il s’avère que les dialogues sont des chansons qui sont antérieures à la création du film et qui donc au départ, n’ont pas  été créées pour les besoins du film. On peut d’ailleurs noter à quel point le choix  des chansons au film a été judicieux puisque celles-ci s’insèrent tout naturellement pour constituer les dialogues. Ceci  a  constitué un travail remarquable et il fallait tout le talent des scénaristes Bacri-Jaoui, et la collaboration du réalisateur Resnais, dont on connaît la modernité, pour présenter ce large éventail du patrimoine des chansons françaises sur plusieurs décennies qui a probablement beaucoup contribué au succès considérable  de cette œuvre.

 

Cette volonté délibérée du réalisateur et des scénaristes d’insérer soigneusement des extraits de « tubes » des chansons françaises des années 1920 à 1980 dans le discours de personnages fait  tout l’intérêt de ce film et est son véritable concept original de création. Il est vrai que Resnais, féru de comédies musicales,  reconnait avoir été inspiré de Dennis Potter, – auquel il a rendu hommage par la même occasion – scénariste britannique qui avait déjà utilisé ce procédé pour décrire et parodier la société britannique dans les séries « The singing detective » (1986), « Lipstick on your collar » (1993).

 

Dès le début du film nous remarquons que les personnages ne chantent pas mais la voix originale du chanteur est mise à la place du personnage qui mime la chanson. Nous sommes dans un jeu un peu cocasse où la réalité n’est pas vraiment de mise, puisqu’on trouve parfois un personnage de sexe féminin dont l’interprète original est masculin et vice versa. Tel est le cas lors de l’interprétation de Sabine Azéma, de la chanson de René Koval, « c’est dégoutant mais nécessaire » ou lorsque le Général Von Scholtitz prend la voix de Joséphine Baker pour chanter « J’ai deux amours, mon pays et Paris ». Ce stratagème, décalé et plein d’ironie, destiné à faire rire,  nous place d’emblée dans l’irréalité, et contribue à ce que, comme souvent chez Resnais, on ne se prenne pas vraiment au sérieux. On assiste ainsi à de nombreux duos, astucieusement choisis pour faire office de dialogues qui sont au service d’un propos, d’une démonstration qui nous dévoilent la thématique du film sur les apparences trompeuses.

 

1.2 – Honoré, la linéarité du temps respectée grâce à l’intrigue autobiographique de son film

 

Le rapport au temps de la narration du film de Christophe Honoré est linéaire. En effet, l’histoire en elle-même ne met pas en scène des retours en arrière ou même une anticipation du futur. Ainsi, Christophe Honoré a décidé de choisir la simplicité dans son style narratif.  Il n’essaye pas de traduire l’état mental des personnages par la mise en scène d’un flash back, par exemple, et ne joue pas à la façon de Resnais avec les spectateurs dans la mesure où ces derniers n’ont pas à reconstruire un puzzle pour comprendre l’intrigue de l’histoire.

 

Cette linéarité peut s’expliquer par l’intrigue autobiographique qui se cache derrière l’histoire qu’a écrite Honoré. L’intrigue qui l’a inspirée – la presse en a longuement parlé – est un  épisode dramatique de la vie d’Alex Beaupain, compositeur des chansons du film, survenu lorsqu’il avait 26 ans, à savoir la perte soudaine de sa petite amie, avec qui il s’est installé à Paris après avoir quitté ses parents pour suivre des études en sciences politiques[2]. Suit une vie de « débauche » décrite  dans le film, et comme le dit cet article : « Une grande partie de son deuil se passera dans les dédales d’une dissolution festive et sexuelle. «Au bord de la falaise», dit Didier Varrod, journaliste musical sur France Inter et ami d’Alex. La mise en danger, la recherche des plaisirs alors interdits le font passer entre les bras de garçons et de filles. Ensemble ou séparément. «La disparition de A. avait été tellement absurde et brutale, qu’il fallait pouvoir tout s’autoriser, libérer cette colère.» Cette fois, il n’y aura pas l’ombre d’une culpabilité. L’amour et le sexe vivent, maintenant, leur vie chacun de leur côté. Et Beaupain court après. Il parle de «débauche frénétique». Ce qui fait sourire Christophe Honoré : «Alex est trop sage pour cela. C’est quelqu’un de fondamentalement raisonnable.» On peut sans doute parler d’une forme de lâcher prise existentielle. Est-ce en cela que la génération de cette époque y rencontre une certaine résonnance ? Beaupain dit qu’il ne pourra plus jamais vivre en couple. Il se définit comme bisexuel, ne sachant pas très bien vers quel genre il se sent le plus attiré : «Je n’ai plus de sentiment d’évidence. J’ai l’impression d’attendre quelque chose.» Il nous regarde et sourit : «Je suis peut-être en train de devenir un gros con, un vieux garçon.». Il n’en croit pas un mot. »[3]

 

La simplicité narrative par l’utilisation d’un style linéaire est un choix compréhensible car le spectateur peut comprendre aisément la psychologie de chaque personnage à travers les chansons de Beaupain. La profondeur des paroles et le jeu des acteurs permettent d’illustrer leur état psychologique sans avoir à recourir à une intrusion dans leurs pensées par un procédé de narration non linéaire.

 

Le choix d’Honoré de recourir à cette linéarité accentue le côté dramatique de la perte, lors de la mort de Ludivine Sagnier qui interprète la petite amie de Louis Garrel dans l’histoire. Cette approche donne l’impression au spectateur tout au long du film d’un sentiment de regret très fort. Les moments joyeux précédant la mort soudaine de Ludivine Sagnier, que rien ne laissait présager, illustrés notamment par la chanson pleine d’insouciance « Je n’aime que toi », se trouvent être encore plus précieux puisqu’à jamais perdus. Le réalisateur joue donc dans cette histoire sur le sentiment du regret, de la perte, qui se rapproche également du devoir de  mémoire. On se rapproche là d’Alain Resnais, qui a exploré, par exemple sous forme de documentaires (comme dans « Nuit et brouillard ») des pans d’histoire, qui propose de retrouver des chansons du patrimoine national dans « on connait la chanson » – et qui a aussi souvent mis en scène l’idée de la mort, très présente dans  nombre de ses films.

 

Ce sentiment d’amertume, de désespoir, de regret, et cette perte des repères auxquels le héros doit faire face sont bien rendus par les chansons d’Alex Beaupain qui, il faut le rappeler, ont été composées en grande majorité à la suite du drame. Bien sûr, il y a sa poésie, le pouvoir de  ses mots et sa façon très personnelle de les employer,  de jouer avec – on observe ainsi de nombreux jeux de mots Nous pouvons par exemple citer par exemple :

« Petit salaud, ton jeu est clair,

Tu veux tout sans rancune,

Le beurre le cul de la crémière,

Deux pour le prix d’une »

Ici, il se réfère à la citation « vouloir le beurre et l’argent du beurre » qu’il change à sa manière.

Nous pouvons par contre regretter que ses mots soient crus et dits sans réelle subtilité.

Les chansons d’Alex Beaupain, peut-être parce que leur processus de création a quelque chose de poignant et d’authentique, parviennent à exprimer efficacement cette détresse, et évitent au réalisateur de recourir à d’autres techniques narratives pour souligner  ces impressions de perte, de désarroi et de désorientation  omniprésentes tout au long du film. Quant au réalisateur, il avoue avoir du mal à décrire les sentiments amoureux  dans ses films. Comme l’a expliqué Honoré lors d’une interview, « Pour moi, ce n’était pas rien de mettre le sentiment au cœur d’une histoire, je n’ai jamais su faire ça. D’où l’idée de faire un film où les personnages se mettent à chanter dès qu’ils sont dans un état amoureux parce qu’ils sont dans l’incapacité de l’exprimer autrement. »[4]. Ces propos du réalisateur décrivant  la mise en valeur de cette histoire sur le plan narratif par les chansons, nous confortent dans l’idée que ce sont bien celles-ci qui tissent la trame de son film.

 

1.3 – Le voyage dans le temps chez Resnais à travers les chansons de différentes époques

 

La narration chez Resnais est non-linéaire. En effet, nous pouvons voir dans ce film des scènes qui n’appartiennent pas à la chronologie des événements de l’histoire. Nous pouvons par exemple citer les scènes suivantes qui nous font faire des sauts dans le temps : ainsi le retour dans le passé avec le Général Von Scholtitz entonnant « J’ai deux amours » de Joséphine Baker et décidant de désobéir à Hitler et de ne pas détruire Paris, ou André Dussolier à cheval faisant partie d’une parade, défilant ( ?) au son d’une fanfare avant de laisser place « aux vertiges de l’amour » d’Alain Baschung, chanson totalement anachronique et qui convient si peu à ce qu’on voit, – et c’est bien là, le comique de la situation – , mais qui  traduit si bien la timidité de Dussolier qui n’arrive pas à avouer son attirance pour Camille-Agnès Jaoui.

 

Ces scènes sont utilisées non seulement pour traduire l’état mental des protagonistes mais proposent aussi au spectateur d’interagir  et de prendre une part active au film. En effet, le point de vue du personnage dans laquelle il invite les spectateurs à entrer, leur permet de comprendre l’intrigue psychologique. C’est cette découverte des personnages dans leur intimité qui permet au spectateur de s’identifier ou non, d’appréhender les éventuelles suites de l’histoire, les subtilités et la profondeur des différents rôles joués dans le film. Resnais présente les personnages non seulement à travers une narration non linéaire, sans doute pour montrer les relations interpersonnelles qui lient l’ensemble de ses personnages, telle une comédie de Molière, mais surtout à travers l’utilisation des bribes de chansons qui mettent à jour leurs pensées, en aparté. Il sollicite ainsi la connivence du spectateur, qu’il fait en quelque sorte entrer dans l’intimité du film en qualité de voyeur, puisque c’est ce qu’il est en définitive, mais avec un rôle plus actif, plus participatif, en raison des chansons qu’il connait,  – « on connait la chanson ».

 

Néanmoins, c’est paradoxalement l’utilisation d’une intemporalité dans la narration qui donne la possibilité au spectateur d’établir une corrélation entre certains événements de l’histoire et qui donne une dimension dramatique à une action qui n’aurait peut-être pas eu un tel impact autrement. Cela peut se voir notamment dans la scène de la rupture anticipée entre Pierre Arditi et Sabine Azéma. Cette séquence montre Pierre Arditi qui vient de rencontrer sa maîtresse qui a réussi à  le convaincre de rompre avec sa femme. Cette conviction exprimée à travers la chanson « Je suis venu te dire que je m’en vais » de Serge Gainsbourg guide le spectateur vers la certitude qu’il va réellement quitter sa femme, certitude qui s’effrite dès la vue de sa femme qui recherche son soutien moral puisqu’elle est victime de l’arnaque concernant l’achat commun de leur appartement ;  Arditi se montrera finalement solidaire et ne prononcera que le tout début de la chanson « Je suis venu… », en s’interrompant, parole et action confondues. En effet, avec ce « flashforward » qui montre au spectateur l’éventuelle  décision de Pierre Arditi de quitter sa femme, – on ne sait pas dans un premier temps si c’est réel ou pas -, le suspense produit par l’incertitude de l’issue des événements, puis  le soulagement et l’étonnement créés par sa décision finale de ne plus la quitter, sont soulignés et renforcés de la meilleure façon possible grâce aux  chansons.

 

De plus, Resnais choisit de nous faire voyager à travers différentes époques et, plus précisément, des années 1920 à 1980 à travers des tubes français du XXème siècle. Ces chansons ont marqué les générations et ravivent des souvenirs, font se remémorer des pans de sa propre histoire.

Cette capacité à mettre en scène les acteurs et le script tout en illustrant les paroles par des extraits de chansons se révèle être d’une grande originalité ; elle nécessite une bonne culture de la musique française mais aussi une bonne technique de mise en scène. D’après l’interview de Bacri-Jaoui figurant sur le DVD en bonus, la synchronisation a été très travaillée par les acteurs. Le choix des chansons a également été le fruit d’un énorme travail.

 

Si l’on se remémore la scène où Sabine Azema et Jean Pierre-Bacri se donnent la réplique lors d’un dîner avec Pierre Arditi, qui est hors champ et n’apparait pas dans l’immédiat, ce qui crée d’ailleurs la surprise, on pourrait penser que les deux ex-amants se retrouvent. Mais c’est encore une fois une « apparence trompeuse », comme le fait comprendre la chanson « Parole… Parole… » interprétée dans sa version originale par Dalida et Alain Delon, qui est insérée dans la conversation entre les deux protagonistes afin d’exprimer l’aspect parfois « beau parleur » voire « mythomane » du personnage joué par Jean-Pierre Bacri. Il est intéressant de constater l’efficacité du film à transporter le spectateur en dehors du présent, dans un passé pas si lointain que cela. En effet, la plupart des chansons choisies dans ce film font ressentir au spectateur  un sentiment de nostalgie et peuvent néanmoins donner aux auditeurs plus jeunes la possibilité de découvrir ou de redécouvrir des chansons qu’ils ont connues par l’intermédiaire de leurs parents ou grands-parents. Cet aspect intergénérationnel a bien sûr permis au film de connaitre une vraie popularité. C’est l’assurance de plaire au plus grand nombre, mais Alain Resnais a, comme souvent dans sa filmographie, toujours eu le souci d’un devoir de mémoire en tant que cinéaste. Cela l’a conduit à narrer des moments d’histoire comme, dans un registre très différent, lorsqu’il a réalisé son documentaire sur l’horreur nazi, « Nuit et brouillard », ou décrit « Hiroshima, mon amour ». « On connait la chanson » n’échappe pas à ce penchant, puisque l’on se promène dans l’histoire des chansons populaires du patrimoine français, au travers d’une variété de styles : le Rock avec le groupe Téléphone « ça, c’est vraiment toi », mais aussi bien l’opérette, ou la variété des années 1970, avec Claude François, France Gall, etc…

 

Le sentiment de nostalgie fait partie sans aucun doute des ressentis qui cherchent à être provoqués par ce voyage à travers les chansons, au sens de désir de rapprochement « spatial », pour retrouver ses marques[5], ou plus simplement pour retrouver la mémoire d’instants de bonheur ou de moments importants dans une vie, pas forcément toujours heureux d’ailleurs, mais associés à un  temps passé.

 

La thèse de Camille sur les chevaliers-paysans de l’an Mil au Lac de Paladru, dont nous parlerons plus avant, est également une des références à l’histoire qui jalonnent le film, tout comme le métier occasionnel de guide touristique de Paris, qui nous fait voyager dans le temps et dans les rues de la capitale.

 

C’est dans cette perspective que se réalise donc la narration chez Resnais, très libre dans son déroulement, qui se trouve être totalement différente de celle de Christophe Honoré qui lui, se prête à une linéarité dans le temps due majoritairement aux contraintes de l’histoire de Beaupain. Ici, nous avons deux différents types de narration, pour ces deux films musicaux, qui ne sont pas des comédies musicales au sens traditionnel du terme, en tout cas, qui ne ressemblent pas aux comédies musicales de Broadway (il n’y a pas de chorégraphies) mais qui garderaient une certaine spécificité française et où  les chansons, dans les deux cas, semblent servir de guides et même de structure.

 

 

II-  Le rapport images en mouvement, musique et chansons

 

Nous allons dans cette partie étudier le rapport du contenu entre les images en mouvement, la musique et les chansons. Cette étape est essentielle dans le cadre de notre étude, car c’est par le travail des réalisateurs mettant en relation ces différents éléments que nous pourrons comprendre la place et le sens des chansons dans ces deux films. Pour cela, nous allons étudier en premier lieu les formes d’utilisation de ces chansons et tenter de comprendre la manière dont ces réalisateurs ont mis en valeur la dynamique de l’histoire et le rythme même de la narration.

 

2.1- La valorisation des chansons par l’image

 

  1. a) Le son diégétique chez Honoré et Resnais

 

La diégèse est ce que l’on pourrait appeler : « tout  ce qui  appartient,  “dans  l’intelligibilité”  (comme dit M. Cohen-Seat)  à  l’histoire  racontée, monde supposé ou proposé par la fiction du film. »[6]. Cela signifie que le « son diégétique » se réfère à tout son qui ferait partie de la trame du film. Cette définition quelque peu succincte ne permet pas de dire exactement ce qu’est le son diégétique. Pour en comprendre sa signification, il est préférable de se référer à la définition suivante : un son diégétique est un son qui appartient au récit, à l’histoire[7] et qui est audible par au moins un des personnages (comme les bruits de l’environnement, les paroles échangées…). Les sons diégétiques peuvent aussi être  appelés sons intra-diégétiques.

Parmi les sons diégétiques se trouvent :

  • Le « son in » : dont le spectateur peut voir la source à l’écran comme par exemple, les paroles des personnages.
  • Le son « in hors-champ » : dont le spectateur ne peut voir la source qui émet ce son mais qui se trouve néanmoins dans l’espace-temps de la séquence visualisée et qui laisse deviner un environnement extérieur à celui que le film montre à l’écran. Nous pouvons citer par exemple le bruit de fond venant de la rue alors que la séquence mettant en scène les personnages est tournée dans une chambre. Cela laisse donc penser à l’activité d’un environnement citadin (dans nos deux films, le bruit de la ville de Paris) bien que la séquence soit filmée dans un environnement clos.
  • La « voix intérieure » : comme son nom l’indique, que seul  (du moins la plupart du temps) un des personnages entend et se trouve donc être un monologue qui illustre les pensées du personnage en question. On peut citer en  exemple chez Alain Resnais, le cas où Pierre Arditi, à la fin du dîner de retrouvailles de Sabine Azéma et Jean-Pierre Bacri, se retrouve à ruminer seul dans la cuisine, chantant « Moi dans mon coin » d’Aznavour.
  • La « musique de scène » ou « musique in » : musique utilisée dans le film et dont on peut voir la source à l’écran, avec les chansons utilisées sous forme de dialogues entre les différents intervenants. Les films d’Honoré et de Resnais sont en quelque sorte jalonnés d’exemples de ce type puisque l’on peut voir les acteurs mimer les chansons. Par exemple ( ?), on trouve chez Honoré une séquence mettant en scène une musique in dans la séquence du « café-concert » qui précède la mort de Ludivine Sagnier, où Alex Beaupain chante sur scène Brooklyn Bridge.
  • La « musique in hors-champ » : dont la source n’est pas visible à l’écran mais que l’on entend de façon diffuse ; par exemple : peu de temps avant la mort de Julie, interprétée par Ludivine Sagnier, lorsque Louis Garrel la rejoint dans les sous-sols du bar, s’inquiétant de son absence prolongée.

 

La musique elle-même est donc diégétique dans une grande majorité des séquences du film de Christophe Honoré. Dans le cas du film d’Alain Resnais, seules certaines parties de la musique sont diégétiques. C’est le cas par exemple de la scène du dîner où la musique « Paroles… Paroles… » de Dalida et Alain Delon est insérée de manière à ce que la chanson fasse partie de la diégèse ; de plus, une bonne part des musiques est  une sorte de monologue des personnages, et appartient donc à la catégorie de la « voix intérieure »

 

Bien que chacun des deux films utilise les chansons comme des sons diégétiques in, nous pouvons voir que l’utilisation peut être différente selon le contexte même de l’histoire. D’un côté, la musique remplace totalement la parole dans « Les chansons d’amour », d’un autre, elle remplace aussi et surtout la pensée dans « On connait la chanson ». Cette différence nous amène décidément à nous questionner sur le fait que la musique constitue véritablement  la trame principale de ces deux films. Mais avant de pouvoir répondre à cela, il nous faut également étudier la seconde perspective du rôle du son dans le film, à savoir le son extra-diégétique.

 

 

  1. Le son extra-diégétique chez Resnais

 

 

Le son extra-diégétique est l’inverse du son diégétique. Il est aussi appelée « musique de fosse » en référence au cinéma muet où le son était produit par un musicien, pianiste en général, voire un orchestre entier, qui jouaient en simultané Il est encore appelé son off ou musique additionnelle, ce qui signifie un son ne faisant pas partie à proprement parler de ceux liés à l’histoire du film. Parmi ces sons peuvent se trouver la musique, le narrateur extérieur ou la voix de la pensée intérieure[8].  C’est le cas de la musique composée par Bruno Fontaine, notamment les arrangements de fin des chansons, servant à chuinter pour donner une impression de continuité, de fusion de l’image et du son, plutôt qu’une rupture sonore dès la fin d’une chanson. Par ailleurs et surtout il y a « la valse et la marche des méduses », ritournelles insolites, musiques additionnelles qu’on entend le long du film mais majoritairement à la fin, lors de la scène de la pendaison de crémaillère et des apparitions multiples des méduses en surimpression.

Néanmoins, malgré cela, une partie des sons peut être considéré comme extra-diégétique dans la mesure où ils ne s’insèrent pas complètement dans l’histoire et ne sont pas à proprement parler des monologues mais plutôt des chansons pour accompagner l’image. C’est par exemple le cas avec « déjà vu » de Michel Sardou qu’André Dussolier entonne dans la bibliothèque lorsqu’il observe Agnès Jaoui.

 

La notion de son intra et extra-diégétique est assez difficile à définir dans le film d’Alain Resnais dans la mesure où, comme expliqué auparavant,  le jeu des personnages peut sembler un peu cocasse car la réalité n’est pas vraiment de mise. Il s’agit toujours pour lui de dénoncer les apparences trompeuses. Les chansons servent à montrer l’état d’esprit des acteurs et font pleinement partie de la narration, conformément à son souci et sa volonté en tant que créateur de renouveler sans cesse les possibilités narratives qu’offre le cinéma.

 

Plusieurs paradoxes apparaissent donc concernant la nature de certains sons présents chez Resnais. On peut y voir une alternance entre un son diégétique et extra-diégétique contrairement au film de Christophe Honoré qui est uniquement diégétique.

 

2.2 – Le décalage, les ruptures servant la pensée, la situation ou la contradiction

 

2.2.1. Les chansons d’amour

 

  1. Présentation de la séquence filmique

 

Dans le film d’Honoré, nous pouvons voir plusieurs scènes servant généralement à la pensée, à marquer le spectateur. La séquence que nous avons choisi pour présenter une rupture servant à la pensée et à la situation dans le film « Les chansons d’amour » est celle de la mort de Julie  dans Delta Charli Delta, à partir de la découverte du corps par Ismaël jusqu’au début de la deuxième partie.

Nous avons choisi cette séquence étant donné que, la façon du réalisateur pour montrer le mouvement, l’arrêt et néanmoins la continuité de la vie, est traitée de manière journalistique (à noter que Beaupain et Honoré ont beaucoup d’amis journalistes). Rythme d’accélération et de stress avec « Delta, Charlie, Delta »,  il y a toujours de la tension, de l’urgence, et de la précipitation, arrêt sur photos bleutées précisément quand la vie de Julie s’arrête.

 

  1. Découpage séquentiel

 

Cette séquence commence sur un massage cardiaque réalisé par une jeune femme sur Julie avec un fond sonore correspondant à l’environnement extérieur urbain et les décomptes du massage. C’est comme cela qu’Ismaël, encore étonné de la voir affalée sur le sol. Peut de temps après arrive une patrouille de police qui, apparemment a été attirée par l’attroupement des individus et apparemment appelée par le videur.

Nous voyons ensuite Ismaël se faire interroger par les policiers puis entrer dans leur voiture. Pendant ce temps là, malgré le fait que nous entendions leur conversation, cette scène est coupée par un autre où l’on voit Clotilde Hesme entrain de flirter au bar, et qui n’est pas au courant de la situation.

Il entre ensuite dans la voiture de la police. A partir de là, nous voyons des arrêts sur image telle des photos monochromes sur lesquelles nous verrons l’intervention des urgentistes sur Julie. La première photographie met en scène la pose des appareils de mesure et du masque à oxygène. La seconde, le transport de Julie sur une civière, vers la voiture d’ambulance. Après cette photographie, nous voyons une scène où l’actrice Clotilde Hesme embrase son nouveau compagnon dans le bar. Le bruit de fond de l’intervention des urgentistes est toujours présent et pendant que nous voyons Clotilde Hesme continuer à flirter, nous entendons le bruit d’un défibrillateur, ce qui signifie que le cœur de Julie s’est arrêté et qu’elle est dans un état critique. La troisième photo est celle où l’on voit les urgentistes essayer de la réanimer. Des badauds, par curiosité, jettent un œil dans l’ambulance.  Et c’est ensuite que le médecin annonce à l’agent que Julie est morte.  Celui-ci, annonce à la centrale via sa radio, dans la voiture où se trouve Ismaël que Julie est décédée. Sous le choc, nous voyons enfin Ismaël pleurer et c’est là que commence la chanson Delta Charlie Delta, avec Ismaël, en matinée, en route pour rentrer chez lui.

 

Nous pouvons dire que cette scène sert à la pensée, en particulier les effets où l’on bascule sans intermède de la vision de Clotilde Hesme entrain de flirter dans le bar, à la vision du drame vécu par Louis Garrel.

En effet, durant ce basculement allant d’une scène de joie à une scène plus triste, nous nous rendons compte que le fond sonore est toujours celui de la scène triste. Le réalisateur veut lier les deux instants pour marquer la différence de ton et faire réfléchir sur la continuité de la vie, malgré le drame qui se passe en dehors. En effet, l’image du flirt sur le fond sonore de la scène de réanimation de Julie pousse à faire un lien implicite entre l’arrêt du temps pour les personnages. L’arrêt du temps dans la tristesse et la joie car d’une manière ou d’une autre, Clotilde Hesme et son compagnon belge vivent en dehors du temps dans leur flirt tandis qu’Ismaël vit en dehors du temps dans son drame.

 

Cette ambivalence crée même un malaise et pousse à une réflexion sur la valeur de la vie. Le son qui est presque extradiégétique pour la scène du flirt a été mis là pour marquer le sentiment de continuité de la vie malgré le drame.

L’effet le plus important est aussi celui de la mise en relief de la scène qui est ponctuée par des « prises de photos » en noir et blanc. Sachons que ces effets sont présents également lors de l’annonce de la mort de Julie à sa famille, où nous voyons Chiara Mastroianni en pleurs en gros plan, lors de la veille mortuaire avec Ismaël, Julie dans un cercueil et ses parents la regardant.

Les derniers effets « photos » sont celle prises lors de l’enterrement de Julie, quand sa mère donne le livre « La nuit remue » d’Henri Michel, avec un arrêt photographique sur un extrait de ce livre qui dit : « On parle souvent de voler. Ce n’est pas ça. C’est nager qu’elle fait. Et elle nage comme les serpents et les anguilles, jamais autrement. Quantité de personnes ont ainsi une âme qui adore nager. On les appelle vulgairement des paresseux. Quand l’âme quitte le corps par le ventre pour nager, il se produit une telle libération de je ne sais quoi, c’est un abandon, une jouissance, un relâchement si intime. L’âme s’en va nager dans la cage de l’escalier ou dans la rue suivant la timidité ou l’audace de l’homme, car toujours elle garde un d’elle. ». Ce passage raconte apparemment la manière dont l’âme quitte le corps, comme pour expliquer d’une manière spirituelle le « processus » de la mort. Nous voyons enfin, après cette scène, Clotilde Hesme entrain de pleurer dans un taxi et Ismaël sortir apparemment d’une synagogue juive.

 

La chanson « Delta Charlie Delta », durant toute cette séquence est en quelque sorte une description de ce en quoi concerne la chanson. Cette chanson est également une description de la manière dont la mort a été annoncée à Ismaël. Au-delà de l’aspect dramatique marquée par la chanson, il s’avère que cette dernière se suffit également à elle-même. Nous avons plus l’impression que les images sont en quelque sorte présentes pour mettre une explication à la chanson plutôt que le contraire. En effet, la chanson, à elle toute seule permet de comprendre le sentiment et la situation dans laquelle se trouvent les personnages.

Ici, contrairement à tout l’ensemble du film, ce ne sont pas les personnages qui chantent pour s’exprimer. Nous avons plus l’impression que c’est un narrateur extérieur à l’histoire qui raconte l’ensemble de la situation.

 

  1. Études thématiques

 

« Les chansons d’amour » est un film dramatique. Le drame est au centre de ce film, tout autant que l’amour. Nous pouvons remarquer que dans cette séquence, le thème principal est celui de la mort. La mort prend une grande place dans ce film étant donné que cette histoire se base aussi sur l’histoire personnelle de Beaupain.

 

La mort et surtout cette séquence marque un tournant dans la vie de Ismaël et de la famille de Julie. Cette séquence finit la partie du « Départ ». En effet, toute cette  partie servait à introduire cette séquence. Si nous comptons toutes les séquences qui laissent penser à la mort de Julie, nous pouvons penser que l’ensemble de la partie une de ce film n’était qu’un interlude à la mort de Julie, à la vrai histoire qui est celle du chemin emprunté par Ismaël après cette mort.

La mort est ici mise en scène d’une manière assez naturelle, survenant à l’improviste, avec juste un signe avant coureur qui laissait uniquement présager un malaise sans plus. Un malaise qui introduisait, lui, la mort de Julie. Chaque instant de cette séquence a été pensé pour marquer le spectateur de la perte de ce personnage. Cette présence qui a été faite exprès durant toute la première partie pour mieux faire sentir l’absence qui s’en suit, en parallèle avec le drame qui a touché Beaupain dans la perte de sa femme.

Le spectateur est donc appelé par cette mort à se rapprocher du sentiment de perte, du moins en faisant en sorte que ce dernier s’attache au personnage durant la première partie. Cette mort est exprimée d’une façon très explicite à travers la chanson Delta Charlie Delta. Cette chanson est là non seulement pour exprimer la situation et la décrire mais aussi pour soutenir l’intrigue de l’histoire.

Cette chanson, qui, comme nous l’avons déjà dit, se suffit à elle même est donc plutôt soutenue par la scène de la mort et la manière dont Ismaël a perçu l’histoire. Elle est donc la meilleure expression possible pour exprimer l’arrivée et l’annonce de la mort de Julie. Au-delà de la scène, la chanson raconte donc l’histoire de cette mort.

 

Le second thème récurrent à cette scène est la continuité de la vie. Cette continuité est marquée par la mise en place de la scène om nous voyons Clotilde Hesme continuer à flirter avec le Breton tandis que Ludivine Sagnier se trouve entre la vie et la mort. La continuité du temps se manifeste notamment par la communauté du fond sonore entre les scènes malgré le basculement entre deux situations différente et deux endroits différents. Cette continuité ne peut se ressentir sans l’arrêt du temps qui est marquée par les photos en noir et blanc qui ponctuent la mort de Julie. Cette continuité est également inéluctable au sentiment de mouvement qui est lié aux scènes de flirt de qui se superposent aux scènes de morts.

Cette ambivalence entre les deux scènes fait naître un trouble dans les sentiments du public, partagés entre l’instinct de vie suggérée par la scène de flirt, mais aussi celle suggérée par la scène où Julie meurt. En effet, malgré que la mort soit exprimée dans cette séquence, l’instinct de conservation qui est suggérée par la vision de la mort crée encore un trouble avec celle suggérée par la scène de flirt.

 

La peine et la tristesse sont les deux derniers thèmes de cette scène. Ces sentiments sont reliés à la perte de l’être cher, sentiment qu’Ismaël a avec Beaupain. Cette peine est mêlée à la terreur comme il le dit dans la chanson. La peine et la tristesse sont communes à toutes les personnes proches à Julie. En effet, nous verrons des scènes où Ismaël semblera d’abord bouleversé et perdu, comme dans celle où il rentre chez lui après avoir été avec la police. Nous verrons des scènes également où il pleurera comme le moment où le policier annonce via sa radio que le code « Delta Charlie Delta » pour signifier à la « centrale » que Julie est décédée.

Nous apercevrons également durant une des prises photographiques en noir et blanc, le gros plan sur Chiara Mastroianni où une larme coule sur sa joue. Cela semble assez étonnant que ce soit elle qui ait été prise en larmes alors que durant toute la première partie, nous n’avions pas remarqué qu’il existait une certaine connivence entre elle et sa sœur. Nous ne voyons par contre pas les parents pleurer durant cette séquence. En effet, la seule fois où ils apparaissent, est lors de la prise photographique où nous voyons Ismaël et les parent de Julie autour du corps sans vie dans le cercueil. Nous pouvons néanmoins apercevoir leur air sombre.

Nous pourrons également remarquer que même Clotilde Hesme est montrée en train de pleurer dans une voiture. Cette séquence est assez bouleversante étant donné que nous pourrions la considérer comme une rivale de Julie dans leur relation à trois, même si elle-même se considère comme un « pont », un lien qui relierait les deux amoureux.

La jeune sœur de Julie n’est par contre pas montrée entrain de pleurer, mais plutôt bouleversée par la perte de son livre. Nous pouvons deviner que la lecture est son refuge pour faire face à la mort de Julie.

 

Nous nous demandons donc pourquoi seuls ces 3 personnages sont montrés entrain de pleurer. Cette question semble légitime étant donné que les parents sont les plus touchés, normalement dans la perte de leur enfant. Nous pouvons supposer que ce choix est dû au fait que ce sont ces trois là qui ont les rôles les plus importants dans le film. En effet, à partir de la deuxième partie, nous verrons notamment le rôle de Chiara Mastroianni prendre de l’importance. Malgré que le reste du film soit centré sur Louis Garrel, Chiara Mastroianni impose sa présence dans sa vie. Clotilde Hesme sera par contre celle qui fera rencontrer Erwa (Grégoire Leprince) et Ismaël (Louis Garrel).

La question que nous nous demandons maintenant est si la chanson est-elle si importante que cela dans cette séquence. Si nous devions imaginer cette séquence sans chanson, il est à noter que les scènes n’auraient vraiment pas de sens étant donné qu’il n’y aurait qu’une grande majorité de « blanc », de vide dans la séquence. La chanson « Delta Charlie Delta » résume en si peu de mots tout le drame. En effet, si nous devions regarder cette scène sans la chanson, il devrait y avoir à la place un long dialogue qui permettrait de comprendre tout le drame des différentes scènes.

Tel est le cas par exemple lors de la prise photographique des parents de Julie et d’Ismaël autour du cercueil de la défunte. Ici, le dialogue est inexistant, mais nous comprenons ce qui se passe grâce à la chanson qui dit :

« C’est ton père qui dit que tu dors,

C’est ta mère qui voudrait te toucher,

C’est le bois autour de ton corps,

Pour comprendre enfin que tu es,

Delta Charlie Delta

Ca se danse la tête contre les murs

Delta Charlie Delta

La chanson de la mort qui dure »

Plutôt que de faire voire directement la scène, avec un dialogue, nous pouvons comprendre à travers la chanson la peine des parents, qui n’arrivent pas encore à se rendre compte de la vérité, de la perte de leur. Le père qui veut croire que sa fille est endormie et la mère qui veut la réveiller. Seul le cercueil leur faire se rendre compte que leur fille est décédée et cette vérité leur est insupportable au point de les rendre fou. Si le sommeil est une mort éphémère, comparé à cela, le décès est donc une mort éternelle.

 

Exprimer les scènes en chanson est en quelque sorte un moyen de suggérer une idée plutôt que de la montrer, pour la rendre plus profonde. En effet, chanson et les images sont là, plus pour faire imaginer le spectateur sur ce qui se passe réellement. Si nous avions eu dans cette séquence une scène et un dialogue ensemble, plutôt qu’une scène et cette chanson, nous n’aurions pas été invités à imaginer, mais juste à être spectateur d’une mise en scène, qui ne nous aurait peut être pas touché. Inviter le spectateur à imaginer permet donc au réalisateur de le faire se rapprocher du sentiment authentique de ce qui se passe réellement. En effet, plutôt que de se référer à un sentiment qui aurait été montré tel quel à l’écran, la suggestion fait que le spectateur doive se référer à un sentiment qu’il ait déjà vécu ou qu’il imaginerait vivre.

Le spectateur lui même se sentira donc acculé par ses propres sentiments plutôt que par les sentiments des personnages. C’est ainsi que toute cette séquence prend tout son sens. La suggestion de la tristesse est également prise en compte par la perception que le spectateur aura des sentiments ressentis par les personnages principaux.

 

 

 

2.2.2. On connait la chanson

 

Dans le film « On connait la Chanson », on peut dire qu’une scène chantée est au service des personnages, car c’est elle qui dirige l’action dans la mesure où elle vient au premier plan, elle implique des gestes, et un ton (les gestes et le ton du texte chanté), obligeant ainsi les acteurs à s’adapter à elle.  Citons par exemple la scène où André Dussolier entonne lors de la pendaison de crémaillère, « Quoi, ma gueule ? » de Johnny Hallyday, alors qu’il est plutôt habituellement un homme doux et agréable.

Cette chanson, est comme une réponse à Lambert Wilson qui parle de lui comme n’étant pas le bienvenu à la fête. En effet, il marque son mécontentement en en parlant à Agnes Jaoui. Ainsi, malgré le ton calme qu’il a d’habitude, la chanson marque qu’il sent que l’on parle de lui derrière son dos. Après être descendu des marches il s’adresse alors au couple en chantant « Quoi ma gueule ? » de Johny Halliday.

Le couple ne laissant pas transparaître qu’ils parlent de lui, nous nous demandons alors comment a-t-il compris qu’on le médisait dans son dos. Le plus intriguant est qu’il reprenne, après ce refrain, et comme si de rien n’était, sa route vers Jean-Pierre Bacri afin de pouvoir lui parler.  Cela est assez étonnant, comme si l’interprétation de cette chanson était en quelque sorte le reflet de ses pensées et qu’il s’est exprimé sans vraiment le faire. Nous nous demandons également si cela ne fait pas partie de son imagination car nous ne savons pas s’il s’adressait vraiment à Lambert Wilson et à Agnes Jaoui, étant donné que le cadrage était centré sur lui lors de la chanson, et que nous n’avons pas vu comment les autres réagissaient. Seuls, la direction vers laquelle il a chanté cette chanson et son regard de reproche laissaient penser qu’il parlait à son employeur et la femme pour qui il ressent de l’attirance.

 

Nous avons également d’autres  scènes qui ont un rapport particulier avec la chanson dans l’ensemble du film. Nous essayerons donc d’analyser la scène où Sabine Azéma chante « On perd le contrôle » ultérieurement. En effet, nous nous demandons si le scénario en lui-même doit justifier la présence de la chanson, est-ce le contraire ou est ce que les deux se complètent tout à fait naturellement pour construire l’intrigue de l’histoire.

Pour comprendre cela, voyons donc la scène où Sabine Azéma chante « On perd le contrôle », mais également la scène où elle entonne « C’est dégoutant mais nécessaire ».

 

  1. Présentation de la séquence filmique

 

Quand on perd la tête

La séquence filmique où nous pouvons apprécier la chanson de Dranem « Quand on perd la tête » se passe lors de la pendaison de crémaillère. Cette scène se passe dans la cuisine de la maison et nous verrons Jean-Pierre Bacry et Sabine Azéma y parler. D’un côté, nous avons Sabine Azéma est entrain de préparer une salade ou une macédoine, tandis que Jean-Pierre Bacry est entrain de se servir un verre de vin.

Il invite donc sa meilleure amie si elle voulait en boire aussi, mais celle-ci refuse car avoue ne pas supporter l’alcool, surtout qu’elle a déjà bu une coupe de champagne. C’est à partir de là que commence la chanson « Quand on perd la tête ».

 

C’est dégoûtant mais nécessaire

« C’est dégoûtant mains nécessaire est un titre originellement interprété par Koval. Cette chanson, va être utilisée deux fois durant le film. La première fois, il mettra en scène Sabine Azéma et André Dussolier. Suite à la visite de Nicolas (Jean-Pierre Bacri), elle a été obligée de mentir à son mari pour pouvoir justifier le geste d’aide qu’elle a fait pour prendre le frère de Nicolas à la place d’un autre pour un travail.

La seconde fois que cette chanson est utilisée, c’est lors de l’entretien de l’individu qui devait signer pour un poste qu’elle a finalement donné au frère de Nicolas. Ici, nous verrons comme protagonistes Sabine Azéma et l’individu en question.

On constate donc à quel point  les chansons sont au centre des deux films. Elles sont le pivot autour duquel les intrigues se nouent, ce qui tend  à démontrer qu’elles tissent  bien la trame du film.

 

  1. Découpage séquentiel

 

Quand on perd la tête

Dans cette chanson, de Dranem, nous voyons que les deux acteurs mis en scène sont Sabine Azéma et Jean Pierre Bacri. Dans la cuisine, ce dernier demande à Sabine Azéma i elle voulait qu’il lui verse un verre de vin. Elle avoue ensuite qu’elle a déjà bu une coupe de champagne et que cela lui suffisait étant donné qu’elle ne buvait pas (très rarement), sans compter qu’elle ne supporte pas l’alcool.

Cela se finit par l’interprétation de la chanson « quand on perd la tête », pour signifier que l’alcool fait faire des choses auxquelles on ne penserait même pas quand on est sobre.

C’est dégoutant mais nécessaire

La première scène où nous voyons Sabine Azéma et André Dussolier peut être découpée en trois séquences. Nous avons la scène où suite à la visite de Nicolas chez eux, ils sont entrain de ranger les couverts et de débarrasser la table. Durant cette scène, nous voyons le couple qui est entrain de discuter sur le fait que Sabine Azéma ait offert un emploi pour le frère de Nicolas.

Vient ensuite le moment où nous voyons que Sabine Azéma essaye de justifier son choix d’avoir choisi le frère de Nicolas pour un travail où un autre candidat a déjà été choisi. Ici, nous voyons qu’elle dit à son mari qu’elle ne connait pas réellement le frère en question et que l’individu qu’elle avait choisi au début pour le poste ne semblait pas vraiment intéressé par celui-ci. Elle affirme aussi que cela fait un an que le frère de son meilleur ami n’a pas trouvé de travail depuis un an et que finalement, elle souhaitait en réalité aider Nicolas.

Vient ensuite le moment où elle s’assoit à la table avec son mari et chante « C’est dégoutant mais nécessaire », pour signifier qu’elle était obligée de mentir pour quelque chose qu’elle trouvait juste et nécessaire.

 

La deuxième scène où elle utilise cette chanson se trouve être au moment où elle parle avec l’individu qui a été promu pour le poste au départ, qui finalement devra être remplacé par le frère de Nicolas. Elle ment à celui-ci en disant qu’en réalité, le poste n’existait plus et que cela est dû à une restructuration. Elle se met même sur la défensive en essayant de faire en sorte que son locuteur ne rejette pas la faute sur elle. Sans compter que l’excuse de la restructuration n’est pas vraiment sensée étant donné que comme l’a dit son interlocuteur, le choix de restructuration s’est donc passé durant le week-end. Nous apprenons aussi que ce dernier a passé deux ans avant de trouver ce poste et qu’il était sur le point d’être embauché, si le frère de Nicolas n’a pas été choisi à sa place. Au final, nous voyons Sabine Azéma qui rechante c’est dégoutant mais nécessaire.

 

  1. Études thématiques

 

Nous voyons que dans ces deux séquences, le principal thème est celui du masque et du mensonge. Sabine Azéma tien le rôle d’une femme charismatique qui veut toujours paraître bien devant tout le monde. L’attente sociale par rapport à son rôle est donc énorme étant donné qu’elle se veut être une femme parfaite, autant à son travail, chez elle et auprès de ses amis.

A travers la scène où elle chante « Quand on perd la tête », elle essaye de dire à Jean-Pierre Bacri qu’entant qu’hôte, elle ne peut pas se permettre de boire autant que les autres et que de toute façon elle ne buvait pas. Elle porte ici le masque de la maîtresse de maison bonne sous tous rapports, qui se doit de satisfaire ses invités. D’une manière implicite, le réalisateur essaye de nous faire penser au masque que chacun prend devant la société, le personnage incarné par le personnage en lui-même. Peut-on dire qu’elle ne boit pas vraiment, étant donné qu’à chacun des repas où nous la voyons elle a un verre de vin, ou elle dit cela pour faire croire qu’elle ne boit pas ?

Evidemment, entant que maitresse de maison, il serait mal vu qu’elle ne puisse pas bien se tenir devant ses invités. La chanson dans ce cas est plus une explication et une manière d’exprimer ce qui incombe dans le choix de Sabine Azéma à ne pas boire plus qu’elle pense qu’il ne l’en faut.

 

Avec la chanson « C’est dégoutant mais nécessaire », le réalisateur invite le spectateur à juger si le choix de Sabine Azéma est bon, que ce soit par rapport à Nicolas ou par rapport à l’individu qui a postulé pour le poste en premier.

Nous pouvons même remarquer qu’elle doute presque sur le choix qu’elle a fait ressentant une certaine injustice dans celui-ci. Ci bien que la chanson en question n’est pas seulement là pour expliquer la nécessité de la chose au public mais aussi pour dire que le personnage, lui-même essaye de se convaincre de la nécessité de son acte. En, effet, nous pouvons même déjà voir, d’une manière assez implicite qu’alors que le couple discutait de ce geste qu’elle fait pour le frère de Nicolas, l’héroïne essayait non seulement de convaincre son mari mais aussi de se convaincre qu’elle a fait le bon choix. Cela se comprend notamment lorsqu’elle dit que tout le monde fait comme elle et qu’elle ne devait pas s’en vouloir car elle dépannait et aidait un ami.

 

Le mensonge est présent dans tout le film, mais il est flagrant, particulièrement dans cette scène où, le mensonge est presque innocent. D’une certaine manière, comme dit précédemment, le public est amené à réfléchir sur le sens de la justice et donc également à se remettre en question sur une situation semblable qu’il aurait pu rencontrer. Au-delà de cela, la chanson dans ces deux cas est en réalité la manifestation de la pensée du personnage et est une explication concise mais générale de la situation dans laquelle ils se trouvent.

 

Le scénario doit généralement justifier les chansons dans les films, mais dans le cas de ces deux là, ce sont elles qui portent le dit scénario, et cela semble faciliter d’autant le montage,  lorsque les chansons préexistent, comme c’est le cas dans les deux films.

Les chansons semblent bien définir la trame de l’intrigue et font transparaitre les émotions et les états d’âme  des personnages. Citons « Quoi », chanson chantée par Birkin, qui appartient réellement à son répertoire, questionnement sur une relation amoureuse qui va à vau-l’eau.

« Quoi » met en scène Jean Pierre Bacri et André Dussolier lors d’une visite immobilière. Ces deux compères qui se dont les relations sont devenues plus proches que celle d’un simple client et d’un agent immobilier se rendent compte que leur situation amoureuse n’est pas très « reluisante ». Cette situation montre la désolation amoureuse, en particulier pour Jean-Pierre Bacri qui essaye de fuir à ses obligations familiales en ne faisant pas venir sa famille à Paris en prenant pour excuse l’impossibilité de trouver un habitat convenable pour eux.

Nous les voyons assis devant un vitrail entonner la chanson « quoi », qui marque la déroute et l’incompréhension dans un couple. Cette chanson, explique bien mieux qu’avec un dialogue et des confessions entre les deux amis, leurs pensées profondes. Cette chanson invite aussi à la réflexion sur le choix de Jean-Pierre Bacri mais également sur ce qui le pousse réellement à faire ce qu’il fait malgré qu’il porte le masque d’un bon père d’une famille heureuse auprès de ses proches.

Citons également la réaction « éventuelle » suggérée d’Azéma, à l’annonce de « Je suis venu te dire …»

Nous pouvons également dire que cette chanson de Serges Gainsbourg permet de montrer une rupture servant à la pensée, avec cette chanson   qui rythme les pensées de Pierre Arditi dans l’annonce de sa séparation anticipée avec sa femme. Ce flashforward  va aussi influencer la pensée du spectateur avec l’appréhension de ce qui va suivre, voir installer le doute en lui sur la réalité de la séquence.

Dans cette séquence, Pierre Arditi et Sabine Azéma se trouve dans le hall d’entrée, avec Sabine Azéma, affairée à ranger les manteaux de ses invités. Elle est de dos, tandis que Pierre Arditi la parle en posant sa main sur son épaule. Elle fond ensuite en larmes, sur la table où ont été mis les manteaux mais son mari reste impassible et décidé à la quitter.

Cette chanson, comme toutes les autres, est en quelque sorte, une auto-persuasion. En effet, nous voyons quand même dans la prestation de Pierre Arditi que son personnage est dans le doute et qu’il essaye de se rassurer en se reflétant dans le futur et qu’il est capable de quitter sa femme peu importe ses pleurs.

 

Malgré l’effet de fondu enchaîné qui est présent dans cette séquence, il s’avère qu’il est difficile de dire si cette scène est réelle ou le fruit de l’imagination du personnage. Cette séquence appelle à la réflexion dans la mesure où, comme dit antérieurement, il met le doute dans l’esprit du spectateur entre la limite du réel et de l’imaginaire. De plus, nous avons encore dans cette chanson là la thématique du masque, qui cette fois-ci tombe pour laisser place à la vérité et à ses sentiments.

Cette chanson, permet également d’entrer dans l’intimité psychologique du personnage. En effet, nous pouvons comprendre qu’il est réellement entrain de douter sur ses sentiments et qu’il essaye de se persuader qu’il souhaite quitter sa femme.

 

En fin de compte, les chansons, dans cette mesure là, ont un rôle fédérateur de médium entre les pensées des personnages et le public pour comprendre l’intrigue de l’histoire.

 

  1. Étude technique

 

Les chansons d’amour 

Les chansons d’amour montrent qu’il est tout à fait possible de baser une histoire sur une musique diégétique. Néanmoins, avec la chanson « Delta Charlie Delta », nous avons dans ce film la seule musique extra-diégétique de l’ensemble du film. Nous pouvons également remarquer l’utilisation du son extra-diégétique matérialisé par le bruit de fond commun à la scène du flirt de Chiara Mastroianni avec le frère d’Erwan, avec la scène de l’intervention de l’ambulance et de la discussion d’Ismaël avec le policier.

Cette musique peut être dite extra-diégétique, car d’une certaine manière, elle n’appartient pas à un son au sein même de la chanson. Malgré que l’on voie tous les personnages dans cette scène, aucun d’entre eux n’est à l’origine de la musique, qui est interprétée par Beaupain. Ainsi, comme nous l’avons déjà dit, cette musique est pareille à la narration d’un personnage qui observe l’intrigue depuis l’extérieur, un narrateur. En effet, il explique et raconte à la manière d’un individu qui fait partie de l’histoire, qui en est témoin sans pour autant apparaitre dans les scènes.

 

L’utilisation d’un son extra-diégétique, pour la scène de flirt marque un paradoxe entre les sentiments. De même il apparaît que l’utilisation d’un tel son montre la simultanéité entre les deux scènes, qui, s’il n’y avait pas cet effet, pourraient être considérées comme successives ou consécutives que simultanées. Le réalisateur a donc voulu faire savoir au public que les deux situations se déroulent en même temps, au même moment.

C’est l’un des rares moyens qui permet au spectateur de se situer temporellement dans cette histoire car il est très difficile de se rendre compte du laps de temps à laquelle l’intrigue se déroule dans ce film. En effet, nous pourrons remarquer que l’on ne sait pas exactement en combien de temps (peut être quelques jours, quelques semaines, quelques mois) Ismaël s’est rendu compte de son homosexualité ou de sa bisexualité.  C’est justement l’une des critiques que l’on pourrait apposer à ce film. Néanmoins, l’utilisation d’un son extra-diégétique avec les deux scènes a été la bienvenue pour comprendre leur temporalité.

 

L’utilisation des instants de pause à travers les photos en noir et blanc sont intéressantes pour marquer l’intérêt que le spectateur doive porter à certains instants. En effet, cet effet a permis de marquer une pause et un instant de réflexion sur des instants importants et qui méritent un certain intérêt. Apparemment, avec l’utilisation de ces photos, nous pouvons supposer que le réalisateur a voulu montrer les instants qui ont le plus marqués Beaupain dans sa mémoire lors du drame qui lui est arrivé.

On connait la chanson

« On connait la chanson » se différencie de « Les chansons d’amour » par l’utilisation de différents effets de fondu enchaînés pour séparer la réalité de l’imaginaire. Ces effets de fondus enchaînés, au-delà de leur aspect esthétique permettent donc de basculer de la réalité aux pensées intimes des personnages.

Néanmoins, l’utilisation de cet effet, parfois ne suffit pas de différencier la réalité de l’imaginaire inventé par les personnages. En effet, c’est ce qui arrive lors de la chanson « je suis venu te dire » de Serge Gainsbourg. La manière dont la scène a été tournée laissait plutôt penser à un saut dans le futur, sans compter qu’elle avait l’air très réel. En effet, nous voyons dans cette scène à quel point la souffrance de Sabine Azéma et la manière dont Pierre Arditi annonce cette nouvelle paraissent convaincantes qu’il est difficile de dire si c’est le fruit de l’imagination du personnage ou la réalité du futur. La manière dont le temps est géré dans ce film ne permet également pas réellement au spectateur de se situer surtout avec toutes les séquences anachroniques et qui ne font pas partie de l’histoire à proprement parler qui sont insérées dans l’intrigue.

 

La musique, dans cette séquence prend une part importante dans la mesure où elle permet au public de comprendre les sentiments du personnage et de son état d’esprit. La chanson qui porte toute la volonté du personnage donne donc une certaine profondeur à son imagination, et un poids qui le rapproche de la réalité.

Le choix de la musique, rappelons-le, est basé sur le scénario et non l’inverse. En effet, plutôt que de se suffire à l’utilisation du scénario uniquement pour créer l’intrigue de l’histoire, il s’avère que l’utilisation des chansons comme celle-ci se base sur un choix arbitraire des différentes chansons car comme l’a dit Agnès Jaoui : « Il est arrivé une fois ou deux qu’une chanson nous donne l’idée d’une scène mais dans la grande majorité des cas, ce sont les situations qui nous suggèrent les textes des chanson. En ce sens, c’est un scénario « classique », pas un prétexte à chansons. »[9]

L’intégration de cette chanson a donc été un moyen de servir le scénario dans sa généralité et améliorer l’intrigue de l’histoire. En effet, un doute sur la séparation du couple, au dessus du drame concernant l’appartement est encore plus persistant à cause de ce film. La chanson a donc un poids important pour l’ensemble du scénario, en particulier celui-ci.

 

Nous pouvons néanmoins dire que les chansons, même si elles permettent de mieux comprendre l’intrigue du film, ne suffisent pas à elles seules, techniquement parlant car elles préexistent et ne permettent pas de retranscrire dans sa totalité l’ensemble du film. Se suffire à un extrait de chanson est donc assez difficile plutôt que de créer une chanson expressément faite pour le film.

Pour finir, nous pouvons dire que techniquement, le choix de la chanson de Serges Gainsbourg pour exprimer les sentiments de Pierre Arditi a été bien pensé. En effet, cette chanson permet d’exprimer d’une certaine manière toute la profondeur de la pensée du personnage et permet également de comprendre le doute qui subsiste en lui face aux choix qu’il a à faire. Cet extrait est apparemment l’un des plus longs du film. En effet, contrairement au corpus des autres chansons qui ne correspondent qu’à quelques bribes du film, cette chanson correspond dans son ensemble aux sentiments propres au personnage dans cette situation. La scène, également coïncide réellement aux paroles de la chanson, avec Sabine Azéma en pleurs et Pierre Arditi vraiment prêt à la quitter peu importe la tristesse qu’elle aura.

 

2.3 – Principe de déstructuration

 

Nous avons, dans les deux films, deux différents types de narration. En effet, malgré que les deux œuvres soient tous les deux centrés sur les chansons qui les rythment, il s’avère que la manière dont se déroule l’ensemble de l’histoire est différente sur le plan narratif.

 

Dans « Les chansons d’amour », nous pourrons voir que la narration est complètement linéaire. En effet, nous suivons l’histoire des personnages sans que l’ensemble de la narration ne se projette dans le passé ou dans le futur. L’instant présent est au centre de l’histoire, sans que l’intrigue ne perde pas de son intérêt. D’une certaine manière, c’est-à-dire, la manière dont l’histoire est racontée, permet au public de prendre conscience de l’importance du temps. Ce style de narration donne l’impression que l’ensemble de l’histoire est telle une vie dont on ne garde qu’un vague souvenir qui ne se peut pas se matérialiser. Ainsi, l’absence de Julie dans l’ensemble du film se fait presque oublier d’une certaine manière étant donné que nous suivons les pérégrinations d’Ismaël dans sa douleur, qui prend la place de personnage principal.

 

Les systèmes de flashback et de flashforward par contre déstructurent et déconstruisent la narration linéaire dans  « On connait la chanson », contrairement à Honoré, dont le film suit une chronologie. L’impression qui s’en dégage peut aller de la confusion à une meilleure compréhension de l’intrigue. En effet, la manière dont le réalisateur enrichit l’histoire donne une certaine profondeur à l’ensemble. En effet, sans un flashback, par exemple, où Agnès Jaoui se projette dans le Moyen-âge, il serait difficile de comprendre que la source de sa dépression est l’aboutissement de sa thèse.

De même sans le flashforward où nous voyons Pierre Arditi entrain de quitter sa femme, nous ne comprendrions pas l’importance et le poids de ses sentiments. De même, nous n’aurions pas réellement compris à quel point sa volonté était sincère, malgré le doute qui puisse subsister en lui face à une décision. Plusieurs autres moyens permettent également de déstructurer l’ensemble de la narration. Tel est le cas lors de la mise en scène des pensées d’un personnage.

Nous pouvons par exemple citer la manière dont André Dussolier se représente entant que cavalier dans une fanfare, de par le fait qu’Agnès Jaoui les admire. Ainsi, pour se mettre en confiance et pour exprimer l’attirance qu’il ressent. En effet, il est intéressant de voir que l’ensemble de l’intrigue se base sur la manière dont sont mis en scène les sentiments des personnages.

 

Nous pouvons donc comprendre que l’histoire du film suit une certaine anachronie afin de donner un fond à l’intrigue. De même, il est intéressant de prendre en compte que l’histoire serait incompréhensible sans qu’il n’y ait insertion de ces scènes.

 

Au final, nous pouvons dire que l’ensemble de ces films, malgré leur point commun par rapport à l’utilisation des chansons pour étoffer le scénario ont également de grandes différences. En effet, tandis que dans « on connait la chanson », le scénario est complété par la chanson. Tandis que dans « les chansons d’amour », les chansons sont complétées par le scénario car ces chansons sont en quelque sorte les miroirs de la vie de leur créateur, Beaupain, dont la vie a inspiré le réalisateur.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

II – L’inscription esthétique des deux films


Maintenant que nous avons un meilleur aperçu de l’agencement des chansons et de leur complémentarité avec les dialogues et  l’image dans le film, nous allons, dans cette partie, nous intéresser au rôle des chansons par rapport au spectateur, mais aussi aux ressorts esthétiques des deux films que nous avons décidés d’analyser. Nous essayerons également de comprendre l’aspect symbolique de l’ensemble des deux œuvres et de l’influence de leurs réalisateurs par rapport aux nouvelles tendances.

 

1 – La fonction de la chanson et son rôle fédérateur

 

  • – La chanson sert l’inconscient collectif

 

La chanson, en elle-même, n’est pas seulement utilisée dans les films pour mettre en place un dialogue entre les personnages ou pour accentuer les instants d’émotions dans lesquels ils sont représentés. En effet, ils ont été choisis pour raviver auprès du public, certaines émotions, de les rassembler autour d’une idée et pourraient même servir à l’inconscient collectif.

 

Nous pouvons supposer que ces chansons servent à l’inconscient collectif du public qui les regarde. Comme référence, prenons Jung[10], qui se démarque de Sigmund Freud par le concept d’inconscient collectif, à l’opposé de l’inconscient individuel issue de l’histoire personnelle d’un individu, que propose son prédécesseur. Selon lui, « Si l’inconscient pouvait être personnifié, il prendrait les traits d’un être humain collectif vivant en marge de la spécification des sexes, de la jeunesse et de la vieillesse, de la naissance et de la mort, fort d’une expérience humaine à peu près immortelle d’un ou deux millions d’années »[11]. Mais également que «   les instincts et les archétypes constituent l’ensemble de l’inconscient collectif. Je l’appelle « collectif » parce que, au contraire de l’inconscient personnel, il n’est pas fait de contenus individuels plus ou moins uniques ne se reproduisant pas, mais de contenus qui sont universels et qui apparaissent régulièrement. »[12]

Cet inconscient collectif, toujours selon Jung se manifeste par les archétypes, représentations héréditaires de l’imagination et de l’expérience. Par cela, il entend que ce concept a pour base l’expérience et donc que les archétypes sont « des images primordiales, produits spontanés de la psyché, ne reflétant aucun processus physique mais réfléchis par eux »[13] Parmi ces archétypes, se trouve par exemple l’Anima, qui est selon Jung, la clef de la compréhension de la pensée masculine. En effet, l’Anima est une représentation présente chez tout homme, depuis sa plus tendre enfance car est « cette figure de femme qui joue un grand rôle dans les rêves des êtres masculins ; elle porte la désignation technique d’Anima en raison du fait que l’homme, depuis des temps immémoriaux, a toujours exprimé dans ses mythes l’idée de la coexistence d’un principe masculin et d’un principe féminin dans le même corps »[14]. Il en est de même pour l’Animus qui est la représentation de l’homme dans la psychologie féminine.

 

Ainsi, les chansons que nous retrouvons dans « On connait la chanson » en particulier, rassemblent l’inconscient du public dans un rappel du passé, dans une expérience vécue qui est reliée aux chansons en question. Les chansons qui y sont présentes, comme nous avons déjà pu l’expliquer, montrent de manière implicite la pensée des personnages dans la plupart des cas et exprime aussi le non-dit dans les dialogues. Nous sommes ici, dans la perspective de la découverte de la personnalité réelle des différents personnages, au-delà de la représentation qu’ils veulent donner par rapport aux autres protagonistes. Ainsi, les chansons présentes dans ce film font référence à l’archétype de « persona »[15], qui est le compromis entre ce que veut l’individu veut réellement faire et ce que la société attend de lui. Ainsi, Le public comprend mieux les interactions entre les personnages, mais aussi arrive à s’identifier collectivement à chacun d’entre eux à travers les chansons. Nous pouvons par exemple citer la chanson « J’aime les filles » de Jacques Dutronc interprétée Lambert Wilson qui montre son penchant pour les filles et son aspect volage qu’il se garde souvent de montrer au reste de son entourage. Il en est de même pour la chanson « Résiste » de France Gall que chante souvent Sabine Azema dans moments difficiles pour poser un masque de force et de volonté malgré qu’elle ne soit pas en état de force de le faire.

 

Les chansons de « Les chansons d’Amour », tirent plus vers une vision ironique de la notion de couple ou de relations humaines. En effet, nous voyons dans ce film une approche profonde du parcours de la vie d’Ismaël, qui passe, dans les premières parties du film, dans une sonorité légère et insouciante, pour aller vers des chansons, plus lourdes, mélancoliques et confuses. En effet, la confusion qui s’installe dans la pensée du public quant à son attachement au héros, qui peut passer de la compassion au dégoût. Cela est d’autant plus ironique par la présence de chansons comme « J’ai cru entendre » qui décrit d’une manière enjouée, la tristesse et le désespoir du héros, qui finalement se laisse aller et admet ses penchants homosexuels. Cette chanson par exemple marque un questionnement sur la raison du héros de se tourner vers l’homosexualité pour trouver un moyen de supporter sa douleur. Cette chanson marque le non dit et le tabou que représente ce penchant à travers une légèreté qui garde  pourtant une certaine profondeur dans la mesure où elle explique la confusion d’Ismaël. Ce côté ironique donne la possibilité au public d’appréhender avec plus de légèreté certaines tensions créées par l’intrigue de l’histoire. Cette ironie donne lieu aussi au fait qu’il soit nécessaire de se poser certaines questions sur des situations que l’on pourrait trouver anormales dans notre quotidien mais qui, au final, sont devenues banales.

 

  • – Les caractéristiques du corpus des chansons

 

Les chansons, comme nous avons pu le remarquer, mis à part le fait qu’ils soient nécessaires à la mise en place d’un dialogue entre les personnages du film, sont aussi là pour mettre en place un dialogue avec le public.

 

Le corpus des chansons chez Resnais, par exemple, dans le film « On connait la chanson » regroupe un ensemble de tubes des années 1920 à 80. Néanmoins, nous pouvons remarquer que l’ensemble de ces chansons sont limitées aux extraits qui coïncident avec la scène. Le choix de ces chansons s’est basé sur le fait que, comme l’a dit Resnais, « Nous n’avons pas cherché à faire un panachage équilibré que ce soit en fonction des critères chronologiques ou du nombre de chansons empruntées à un même interprète. Les chansons que nous avons utilisées sont celles qui nous sont venues naturellement, par association d’idées. La plupart des extraits sont très courts, coupés quelquefois en plein milieu, ce qui correspond  la démarche de la pensé (il est rare qu’on se souvienne intégralement d’un refrain entier et encore moins d’un couplet). Mais d’autres extraits sont plus longs. Nous ne nous sommes pas imposé des barrières strictes. »[16].

De même, il est intéressant de voir que c’est la relation avec le public qui a été visée dans ce film dans la mesure où les chansons populaires ont été inscrites dans le registre du quotidien des personnages auxquels le public peut facilement s’identifier de par la présence d’une mélodie qui lui est familière. Et, comme le précise Resnais, un tube est facilement reconnaissable[17] ce qui fait que le spectateur, tout comme lui adhèrera à telle ou telle chanson, dans la mesure où elle s’inscrit dans la même perspective que les autres chansons qui sont connues par le public.

Elles ont toutes leur vraisemblance, et ont été choisies avec soin en fonction des dialogues. De plus, elles décrivent mieux des faits plutôt que de longues diatribes. Cela tient du fait que, comme l’a précisé Agnès Jaoui qui fait partie des scénaristes de ce film mais qui est également actrice dans celui-ci, « Il est arrivé une fois ou deux qu’une chanson nous donne une idée de scène, mais dans la grande majorité des cas, ce sont les situations qui nous suggèrent des textes de chansons »[18]. Ainsi, les chansons ont été pensées pour le dialogue, sans pour autant entrer dans le type scénaristique de la comédie musicale. En effet, les tubes insérés dans le quotidien des personnages et, issus d’un quotidien que le public a certainement eu en commun avec ces derniers,  sont efficaces car bien plus explicites et spontanés sous une apparence réelle.

 

Nous pouvons aussi remarquer l’aspect ironique de ces chansons, car, comme le précise Jean Pierre Bacri, « … les chansons ont un rapport direct avec le thème des apparences. Parce que ce médium de la communication qu’est la chanson est à la fois universel et imprécis, approximatif. Donc, oui, les gens communiquent et oui, c’est un ciment, mais c’est aussi un masque et ce n’est pas une façon ambitieuse et personnelle de communiquer. »[19]. Cette citation, rejoint notre théorie de l’archétype de « persona » de Jung par rapport à l’inconscient collectif. L’ironie se trouve donc dans la présence même des chansons dans le film de Resnais selon Bacri. Ironique dans la mesure où, il est vrai que les chansons embellissent et donnent son charme à l’histoire mais qu’en réalité, ils sont une sorte de masque impersonnel et universel par lequel les personnages communiquent. Ce que nous trouvons le plus ironique dans ce schéma, c’est que ce masque, parfois, s’efface quand la chanson parle concerne non plus un dialogue mais plutôt une pensée, car ici, le médium de communication s’adresse au public pour qu’il puisse comprendre la psychologie de l’un des personnages. Tel est le cas par exemple lors de la scène où Sabine Azéma et André Dussolier assistent à une parade militaire et que la chanson d’André Baschung « Vertige d’amour » montre et confirme son attirance et ses sentiments envers Sabine Azéma.

 

De son côté, le corpus musical utilisé par Honoré dans le film « Les chansons d’amour se trouve être plus développé. Cela se ressent dans la mesure où les chansons sont des œuvres complètes et non des refrains ou bribes de chansons, et ont été quelque  peu arrangées afin de correspondre à l’histoire ou au dialogue. Ici, nous nous rapprochons donc plus de la comédie musicale où la chanson, les mouvements et la danse ne s’insèrent pas dans le cadre du « quotidien » mais sont des œuvres artistiques à part entière.

Comme nous avons pu le dire antérieurement, les chansons ont onc été créées dans le but de satisfaire les besoins des films malgré que certaines existaient antérieures au film. Elles ont donc dû être arrangées pour répondre à l’atmosphère et au dialogue des personnages. Tel est le cas de « De bonnes raisons » qui, au départ n’était pas un duo. Mais comme nous pouvons le constater, les chansons sont souvent adressées à quelqu’un, dans le cadre d’un dialogue.

D‘autres chansons ont par contre été créés lors de l’agencement du film et résultent d’une collaboration entre Honoré et Beaupain. Le réalisateur a donc fait part à son compositeur de ce qu’il souhaitait filmer exactement pour définir des contenus de chansons par rapport à l’image. Nous pouvons citer en exemple « Je n’aime que toi », qui a été créé expressément pour le film. Cette chanson qui, à l’origine ne devait pas être tourné dans les rues de Paris mais que Christophe Honoré se représentait plutôt dans un bâtiment où les protagonistes devaient être séparés par un couloir pour marquer une séparation mais aussi un triolisme et un questionnement sur l’incertitude des relations amoureuses. Et pourtant au final, cette incertitude et l’ambiance se trouve être plus légère dans les rues de Paris et n’a pas empêché Christophe Honoré d’insérer certains symbolismes. Nous avons donc un plan où Ludivine Sagnier s’éloigne de la caméra, à la fois immobile et pourtant qui s’éloigne quand même comme mue par une force invisible. Cette scène, si nous nous référons aux œuvres de Cocteau, marque la mort du personnage, qu’Honoré commence déjà à montrer. Les symboles sexuels aussi sont plutôt visibles, pour marquer toujours ce questionnement par rapport aux mœurs qui s’installent dans diverses générations. Ainsi, dès le début de la scène, nous voyons Louis Garrel avec les mains baladeuses, qui, pourtant essaye de dire à Ludivine Sagnier que c’est elle qui compte le plus pour lui. De même, Clotilde Hesme, admet son rôle de « pont » entre ses deux partenaires, son rôle de « médium » qui permettrait d’installer un équilibre dans le couple. A un moment, quand Louis Garrel met ses doigts sur le nez de Ludivine, les paroles de la chanson nous laissent penser qu’il a eu quelques aventures sexuelles avec Clotilde  sans que sa compagne ne s’en rende compte. Le paradoxe créé par la légèreté qui pousse au questionnement sur la réalité de ce genre de relation fait que cette œuvre a été reconnue par toute une génération. Nous pouvons aussi supposer qu’il y a peut-être une légère allusion au triolisme de « La maman et la putain » de Jean Eustache[20]. La référence au triangle amoureux du film d’Eustache est assez flagrante mais elle est néanmoins inconsciente, car Honoré s’en défend dans une interview[21].

 

 

1.3- Le désenchantement, le ton tour à tour léger et grave

 

Le désenchantement et le ton tour à tour léger et grave dans ces films, montre la volonté de créer une intrigue qui permettrait de donner une certaine personnalité à ces deux œuvres du 7ème art. En effet, les chansons, elles même permettent de créer une ambiance parfois sérieuse, triste, lourde voir plus joyeuse et plus légère dans chacune de ces deux créations. La chanson est un médium de communication entre les personnages mais aussi, comme nous l’avons déjà spécifié, entre le film et ses spectateurs. Ainsi, c’est à travers, les gestes des personnages et aussi à travers les chansons que les sentiments de peur, de joie, d’incertitude sont créés chez le spectateur. Pour comprendre cela, nous allons analyser par exemple, successivement les scènes chansons que sont «De Bonnes raisons », « Inventaire », « La Bastille ».

 

« De bonnes raisons » met en scène Louis Garrel et Ludivine Sagnier dans les rues de Paris.  Ludivine, toujours de blanc vêtue et Louis Garrel dans sa veste noire et son jean bleu se poursuivent dans les rues de Paris. Cette scène qui se passe au début du film montre l’aspect encore « ludique » et « enjoué » de la relation entre les personnages. Nous pouvons néanmoins déjà voir Ludivine qui s’éloigne tout en étant plutôt proche physiquement de Louis Garrel et qui s’échappe ou disparaît une fois qu’il a réussi à l’atteindre. Nous pouvons supposer que ce symbole montre aussi prématurément un pan de l’histoire qui marque l’impossibilité pour Louis Garrel de se retrouver éternellement avec elle, et l’aspect éphémère que va prendre leur relation. Les prises de vue sont ici très changeantes, et le mouvement est très présent surtout chez Ludivine Sagnier, qui, on a l’impression, est presque toujours soit filmée de dos, soit filmée sur un plan éloigné sauf quand elle se retrouve avec Garrel. De plus, les gros plans, sur le visage, qui donnent une certaine impression de présence se concentrent surtout sur Louis Garrel plutôt que Ludivine Sagnier, ce qui laisse déjà supposer l’éloignement que le réalisateur veut mettre entre ces personnages : Ludivine qui décédera et Louis Garrel plutôt immobile malgré son mouvement. Nous pouvons remarquer un « montage cut » qui va d’un plan à un autre sans transition réelle et l’utilisation d’un raccord regard pour marquer, peut être une rupture entre les deux personnages mais aussi l’attention qu’ils se portent entre eux. De même, l’utilisation de raccord en mouvement permet d’avoir non seulement une certaine sensation de mouvement par rapport à Ludivine Sagnier mais aussi un sentiment d’immobilité par rapport à Louis Garrel. Le ton est quand même très enjoué dans cette chanson avec un rythme assez entrainant. L’aspect à la fois insouciant et léger de cette chanson, ne laisse pas planer le drame qui risque d’arriver mais a plutôt tendance à faire croire à une certaine joie dans la suite du film, malgré le fait que l’on ressente intérieurement, voir inconsciemment cette impression de drame imminent. A la fin de la chanson, nous avons même un moment de silence et d’abandon qui fait penser que Louis Garrel et Ludivine Sagnier risquent à un ou à un autre de se séparer. Ici, commence déjà un changement de ton, par le silence qui s’installe d’un coup et également par rapport au plan extérieur sur lequel Louis Garrel est resté tandis que Ludivine Sagnier n’est déjà plus dans le champ de vision du spectateur malgré que l’on sait qu’elle soit rentrée chez elle, à l’étage.

La prochaine chanson que nous allons analyser est « Inventaire », qui commence à la suite de « De bonnes raisons ». Ici, nous voyons Louis Garrel entrer dans le studio de Ludivine Sagnier à genoux, comme pour se faire pardonner mais d’une manière assez ironique, comme pour amadouer Ludivine. Ici, l’héroïne a enlevé sa veste blanche et nous rendons compte que le ton est devenu un peu plus lourd. Comme le laisse penser la chanson, ils font dans cette scène un résumé de tout ce qui ne va pas dans leur couple. La scène se passe dans le studio et les protagonistes sont en tenue plus « légère » et essayent quand même de trouver des compromis pour continuer leur relation, des raisons pour s’aimer. Cette fois ci, les personnages sont sur le même plan et nous voyons leur rapprochement dans les scènes de manière à montrer une certaine connivence entre eux. De même, filmée à mi-cuisse dans la grande majorité, à la manière d’un plan américain, cette partie est plutôt lente et moins enjouée que la chanson qui la précède.

C’est dans cette partie que nous voyons l’arrivée de Clotilde Hesme au sein du couple ce qui laisse planer une certaine confusion sur ce qui va se passer. Nous pouvons apercevoir que le changement de ton se fait directement sentir, sans interlude ce qui coupe court à l’engouement et à la joie créée par la première chanson. Ainsi, nous ressentons un retour à la réalité, comme si la scène précédente n’était qu’un rêve car nous entrons directement dans le quotidien, l’intimité du jeune couple dans leur studio. Effet prononcé quand Louis Garrel se met torse nu et Ludivine se retrouve dans ses bras sur le lit. La caméra se trouve sur un même plan, te toujours sur le même angle de vue dans cette partie du film. La scène est entrecoupée de plans sur l’environnement extérieur, la rue, juste en bas du studio, en montage cut. L’impression que cet effet donne et la manière dont le réalisateur le met en scène, montrent une sorte de suspension dans le temps de la vie du couple malgré l’évolution et le mouvement de tout ce qui se passe à l’extérieur du studio. Ce qui accentue encore plus le moment d’intimité créé non seulement entre les personnages. Cela aussi invite le spectateur à y entrer d’une manière implicite afin que ce dernier se rapproche des protagonistes sur un plan psychologique. Cet instant intime est directement coupé par l’arrivée de Clotilde Hesme dans le studio, qui se trouve en fait comme une intruse dans la vie du couple (confirmé par le regard de Ludivine Sagnier) ce qui prête à se demander ce qui se passe réellement et menant à une certaine confusion dans la tête du spectateur.

 

Chez Resnais, pour exprimer la différence de ton, nous allons nous référer à l’alternance du ton de « vertige de l’amour » vers  « l’école est finie ». Le vertige de l’amour est une chanson d’Alain Baschung, qui interprétée par André Dussolier lorsque lui et Agnès Jaoui regardent ensemble la parade militaire. Face à l’admiration de la jeune femme pour les cavaliers qui défilent, Dussolier laisse courir son imagination concernant les sentiments qu’il éprouve pour celle-ci et se voit lui-même en tant que cavalier dans ses pensées. Ici, nous avons un effet de fondu enchainé qui permet de passer de la réalité à l’imagination. Néanmoins, une fois arrivés dans la partie où la musique commence et où nous nous retrouvons dans l’imagination d’André Dussolier, nous nous posons des questions sur le fait que ce soit vraiment réel ou fictif car aucun effet ne permet de différencier la fiction de la réalité mis à par le fondu enchainé de transition. Au début de la chanson, et durant près de 5 secondes, nous voyons un gros plan d’André Dussolier, un peu en contre plongée qui, par ses mouvements laisse penser qu’il se trouve sur un cheval, et est habillé du même costume rouge et du casque doré des cavaliers. Progressivement, l’angle devient plat et laisse apparaître d’autres cavaliers derrière lui. Le ton de la chanson de Baschung, est plutôt lourde, comme celle d’une complainte, et pas très « sérieuse » avec sa voix quelque peu originale.

Les pensées d’André Dussolier sont soudainement arrêtées mais néanmoins l’effet de fondu enchainé est toujours présent pour couper court à cette scène. Les tons et les couleurs plutôt vives du costume, et l’aspect assez anodin de l’ensemble dans un environnement extérieur donnent une certaine vivacité au son qui a un rythme aussi régulier que les pas du cheval. Malgré cela, l’air nonchalant de l’ensemble, donne un ton assez lourd et un peu ironique que l’on pourrait comparer au dualisme de l’envie d’André Dussolier de déclarer sa flamme mais aussi sa peur et sa désolation de devoir garder ce sentiment pour lui-même.

 

« L’école est finie » est une chanson originalement interprétée par Sheila. Dans le contexte de l’histoire, nous voyons Agnès Jaoui finir sa thèse d’histoire concernant le lac des chevaliers de Paladru. Nous voyons ici Sabine Azéma et leur père (dans le film) qui félicitent Agnès Jaoui pour avoir fini avec succès la soutenance de sa thèse. Ce moment est donc celui d’une délivrance pour Agnès Jaoui, et Sabine Azéma en pleure de joie. En gros plan se trouvent les trois protagonistes que l’on retrouve heureux mais nous pouvons remarquer qu’Agnès Jaoui a été prise de dos. En effet, malgré le fait qu’elle ait réussi cette thèse, nous verrons plus tard qu’elle fera une dépression nerveuse, et apparemment cette prise de vue de dos ou de côté tend à accentuer l’effet de surprise par rapport à la crise qu’elle va faire. Malgré cela nous pouvons quand même voir qu’elle a le visage souriant mais cette prise de vue de dos laisse planer une incertitude sur son état d’esprit. Durant la chanson, arrive par derrière Lambert Wilson avec un bouquet de fleurs pour féliciter sa compagne. La chanson a un rythme vif et laisse directement penser à la joie et à la délivrance après une durée indéterminée de dur labeur à l’école et est en quelque sorte une hymne aux vacances. Nous pouvons voir que l’utilisation de ce refrain a été bien pensée de par le contexte qui se rapproche de l’accomplissement et de la joie d’échapper aux exigences de « l’école » que pourraient ressentir Agnès Jaoui après sa soutenance. Et pourtant dès que la chanson finit, nous retrouvons directement un contexte d’incertitude avec le malaise de la thésarde, ce qui fait douter de la suite des événements qui paraissaient tous tracés.

 

Nous voyons ici, dans ces deux films, des exemples d’alternance de sentiment de joie et de bonne humeur avec des sentiments plus sombre comme le doute, la tristesse et la peur. Le choix des chansons est très important dans ce cas pour accentuer le sentiment et l’effet voulu par le réalisateur. Les chansons ne sont donc plus de simples moyens de communication entre les personnages mais sont une illustration du contexte dans lequel l’histoire de chacun d’entre eux évolue. Médiums de communication avec le spectateur, ces chansons ont non seulement une part esthétique mais également communicationnelle qui touche à l’inconscient collectif. Avec une certaine ironie, ces chansons traitent de questionnements, dans un certain sens, de la légitimité de ce que nous croyons être normal et du sens que l’on donne réellement à la vie.

 

1.4- L’évocation des ressorts dramatiques des deux films grâce aux chansons

 

« La Bastille » est une chanson mélancolique qui met en scène la famille du personnage interprété par Ludivine Sagnier et elle-même. L’effet de la mélancolie est accentué par la présence de la pluie et le ton presque nonchalant du jeu des personnages, que l’on retrouve dans leur quotidien. Cela donne l’impression que l’ensemble de cette partie est lente et plutôt lourde, avec une alternance des tons gris dans les différentes cènes qui la constitue. Nous voyons ici la tension créée par le sentiment de servitude que Ludivine ressent par rapport au type de relation homme femme. Nous voyons aussi sa lassitude face à l’aspect soumise que prennent sa mère et ses sœurs face aux caprices de la gente masculine.

Nous commençons donc à ressentir un sentiment de révolte qui naît dans les pensées de Ludivine, sur un air mélancolique. Nous retrouvons au début Ludivine dans une robe bleue qui commence la chanson en faisant face à la fenêtre, l’air triste devant la pluie qui tombe au dehors. Comme pour confirmer cela, suit un plan où l’on retrouve le génie de la Bastille sous un ciel gris, et sous la pluie. En réponse à cela, nous voyons ensuite son père devant également une fenêtre l’air souriant qui essaye de dire, d’une certaine manière, que malgré la tristesse que cette pluie donne à penser, il est aussi possible de se tourner vers quelque chose de plus joyeux comme « s’aimer à jamais sous cette pluie que rien ne termine»[22]. D’un coup, nous repassons dans la cuisine où se trouve Ludivine avec le reste de la famille et qui s’en va sans rien dire, raccompagnée ensuite au métro par sa grande sœur, elle dans son manteau blanc et sa sœur dans un manteau noir, un parapluie à la main. La présence de la pluie est comme un signe de tristesse, comme une complainte avant la mort de Ludivine Sagnier, des larmes qui se versent en réponse à un avenir proche qui s’avère triste. Cette chanson tient son aspect dramatique du fait que nous voyons la famille vivant son quotidien sans douter de ce qui va se passer ensuite. En effet, ce fut la dernière fois qu’ils se rencontrèrent tous ensemble avant la mort de Ludivine Sagnier, et que c’est sur cette tension familiale que se finira au final leur relation malgré les bons moments qu’ils aient passés en famille quelques minutes avant. Après la scène où les deux sœurs se disent au revoir à l’entré du métro, il est apparent qu’il plane un sentiment de peur et de tristesse comme si chacun appréhendait inconsciemment qu’un malheur allait arriver. Un plan sur l’environnement encore bouillonnant des rues de Paris, donne l’impression de contradiction avec le sens de la chanson et pourtant, nous pouvons supposer que le réalisateur a voulu montrer que malgré l’ambiance, la vie continue pour chacun et qu’en réalité, la suspension dans le temps ne s’applique qu’à la famille de Ludivine Sagnier. Nous remarquons donc que toute la famille prend part à cette chanson comme si c’était l’au revoir qu’ils n’ont pas pu dire à Ludivine quand elle est partie précipitamment guidée par sa colère et sa détresse. L’aspect le plus dramatique est que l’on retrouve leur quotidien familial, et qu’ils ne se doutent pas vraiment de ce qui va arriver à Ludivine la nuit du même jour.

La référence à l’ange sur la colonne de la place de la Bastille est non seulement un ancrage dans le réel mais aussi une marque d’éternité, d’intemporalité, de la suspension du cours du temps.  Le réalisateur marque ici une rupture avec l’ambiance assez « bon enfant » du début du film pour introduire la mort prochaine de Ludivine. Nous retrouvons les mêmes techniques de montage que dans les précédentes chansons avec toujours une caméra plutôt fixe et un montage cut.

 

L’aspect dramatique dans les chansons de Resnais, peuvent se présenter par rapport aux exemples suivants. « Je suis venu te dire que je m’en vais », chanson de Gainsbourg commence après que Pierre Arditi sort de la voiture de sa maîtresse, nous le voyons en gros plan décidé à quitter sa femme. Ensuite nous le retrouvons, non plus chantant la chanson mais se convainquant lui-même de vouloir quitter sa femme et anticipant ce qu’il veut lui dire. La troisième fois que ce personnage fait référence à cette chanson, nous le voyons entrain de s’imaginer ce que pourrait être la réaction de sa femme face à son annonce. Ainsi, se trouve d’abord un gros plan sur le visage du protagoniste, suivi d’un effet fondu enchainé ondoyant tel de l’eau.

Son imagination montre une anticipation du futur concernant la réaction de sa femme en pleurs à cause son annonce et sa volonté de vouloir la quitter peu importe les larmes et la douleur que celle-ci ressentirait. La chanson et la scène laissent planer un gros doute sur l’aspect fictif de la scène tellement elle a l’air réelle. La dernière évocation de cette chanson se trouve être quand il voit sa femme en pleurs suite à l’annonce de Jean-Pierre Bacri qu’un immeuble sera construit devant son appartement et fera place à la vue qui a fait tout le charme de ce dernier. Face à cette nouvelle et à l’air attristé de sa femme mais aussi aux mots qu’elle lui dit faisant référence à son soutien qu’elle attend, nous le voyons changer d’avis. Ainsi, il commence par une partie de la chanson « Je suis venu te dire… » puis s’arrête net pour finalement chanter « Mon p’tit loup » de Pierre Perret pour marquer en fin de compte l’affection qu’il ressent encore pour elle et pour marquer sa solidarité face à la mauvaise nouvelle.

Nous rappelons cette chanson car c’est elle qui marque encore plus l’aspect dramatique de la prochaine chanson qui est de Michel Jonasz dont le titre est « Je ne veux pas que tu t’en ailles », interprétée par Jean-Pierre Bacri. Nous retrouvons donc cet acteur qui parle au téléphone, surement avec sa femme, avec qui il s’est disputé.  Tout d’abord filmé sur un plan assez éloigné suit ensuite un gros plan pour montrer l’aspect « repenti » de Jean-Pierre Bacri qui reconnait ses fautes. La chanson de Serges Gainsbourg accentue le drame de la chanson de Michel Jonasz car les thèmes des deux chansons sont complètement opposés. L’une se base sur la séparation et l’autre se base sur une demande réconciliation dans un couple. L’histoire s’éclaircit de plus en plus et cette chanson enlève le doute sur l’avenir de chacun des protagonistes, sur le plan sentimental, laissant entrevoir une lueur d’espoir et de bonheur. Le drame se trouve dans la demande de pardon, la repentance des fautes commises et un questionnement sur les fondations de la solidité d’un couple. Cette scène est dramatique et est aussi une sorte de soulagement pour le spectateur. C’est surtout la prise de conscience que cette scène fait naitre dans l’esprit du public qui lui donne lui  cet aspect dramatique. De plus, la chanson, ressemble à un dialogue avec l’être aimé malgré que l’on « n’entende » que la voix d’un des protagonistes (ici Jean Pierre Bacri qui interprète la chanson de Michael Jonasz). Nous comprenons ici le choix de cette chanson et de la conversation téléphonique que Jean-Pierre Bacri a avec sa femme, qui font que le contexte est réaliste et l’ensemble est complètement homogène sans que le réalisateur n’ait à forcer l’insertion de la chanson dans la scène.

 

Comme nous pouvons le voir, le drame est bel est bien retranscrit à travers les chansons, non seulement pour insérer une certaine ambiance mais aussi pour faire passer un message. Evidemment dans le cas d’Honoré, le registre des chansons qui a été créé pour le film, rend plus facile l’insertion des chansons dans l’histoire. Par  contre, dans le cas de Resnais, la culture musicale mais également l’art de la mise en scène de manière à ce que les chansons s’inscrivent de manière naturelle dans l’ensemble de l’histoire est une tâche qui semble assez difficile à réaliser mais que ce dernier réussit malgré tout.

 

1.5 -L’incommunicabilité – le discours souterrain

 

L’incommunicabilité et le discours souterrain nous paraît essentiel à aborder dans le cadre de cette étude. En effet, comme nous avons pu le voir antérieurement, les chansons permettent de comprendre plusieurs éléments de l’histoire de par leur caractère universel et impersonnelle. Néanmoins, ces chansons permettent de communiquer des sentiments et valent parfois mieux qu’un discours interminable et des palabres qui ne feraient que défaire l’intensité d’une scène.

 

Dans l’œuvre d’Honoré, nous allons nous référer au duo de Louis Garrel et de Grégoire Leprince Einguet qui se passe dans la chambre de ce dernier. Nous commençons à comprendre dans cette scène les tendances homosexuelles du personnage joué par Leprince Einguet à travers le type de livre qu’il lit. Ici, nous voyons donc Louis Garrel et Grégoire Leprince dans la chambre se posant des questions sur la signification de l’amour et de ce qu’est être amoureux. L’alternance de plans rapprochés sur les deux protagonistes marque une certaine intimité sans parler du fait que le son en acoustique renforce encore plus cette impression. Le discours, que les deux protagonistes tiennent au-delà de cette chanson est en quelque sorte une manière de sonder l’autre sur ses sentiments par rapport à sa conception de l’amour. Et c’est seulement à travers cette chanson que toute la scène prend tout son sens car dans l’utilisation d’un dialogue parlé, il est difficile d’exprimer dans sa totalité les sentiments et le message sous-jacent liés à la scène. Nous voyons donc ici un type discours chanté que l’on ne pourrait vraiment, sauf difficilement, communiquer autrement. Le discours souterrain qui y est rattaché, est, comme nous l’avons déjà dit, le questionnement entre les deux protagonistes sur ce qu’est l’amour et sur leur vision même de  leurs expériences amoureuses personnelles. Le message s’adresse aussi au public par rapport à la légitimité de l’homosexualité mais aussi par rapport à ses propres expériences sentimentales.

 

Parmi les discours souterrains que nous pouvons citer dans l’œuvre de Resnais, se trouve par exemple la chanson de France Gal résiste chantée par Sabine Azéma et qui, d’une manière ou d’une autre sort cette chanson pour encourager ou se donner du courage. Elle exprime dans cet extrait de quelques secondes un soutien qui normalement durerait plusieurs minutes de dialogue.

Il en est de même pour « La dernière séance » interprété par Eddy Michel, qui commence après que Jean-Pierre Bacri se soit disputé avec sa femme à la gare. Cette chanson est un discours souterrain et pas vraiment explicite sauf si nous nous référons au contexte qu’il pense que c’est la dernière fois qu’il voit sa femme. Au-delà de ce message que le réalisateur a voulu faire entendre au public, il y a aussi l’idée du fait que ce personnage s’est soumis à l’idée de vivre séparé de son épouse et qu’il est prêt à en assumer les conséquences ainsi que les responsabilités.

 

Comme nous pouvons le voir, dans les deux films, au-delà de ce que veut montrer le réalisateur, il y a plusieurs messages sous-jacents qui sont liés aux chansons et aux scènes qui les entourent. De même les chansons sont devenues des moyens de remplacement de diatribes plutôt longues et ennuyeuses pour ce genre de film. Ainsi, les chansons rejoignent encore une fois dans ce cas, le rôle de médium communicationnel non conventionnel.

 

 

  • – L’imaginaire et l’actualité, définitions esthétiques

 

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  1. L’influence de la Nouvelle Vague dans le Cinéma d’Honoré

 

L’œuvre d’Honoré, est, dans toute sa composition basée sur un fond de réalité et ne peut, voire, ne veut pas s’en détacher. Cette manière de s’incruster dans le réel, de filmer dans un environnement extérieur plutôt qu’en studio, démontre une tendance. Mais quelle est-elle ? C’est ce que nous essayerons de développer ci après.

 

La « Nouvelle Vague » est ce à quoi tout public averti se réfèrerait en regardant le film d’Honoré. Mais qu’est ce que la « Nouvelle Vague ». Malgré que ce terme ait été à ses débuts une dénomination sociologique concernant les phénomènes de génération dans les années 1957, il s’avère que le monde du 7ème art se l’est approprié pour qualifier un nouveau genre de création cinématographique apparu dans les années 1959, notamment ceux vus au Festival de Cannes de cette année sous la supervision de nouveaux réalisateurs. Néanmoins, cette dénomination fut déjà appliquée en 1958, « par la critique à certains cinéastes français (François Truffaut,  Jean-Luc Godard, Claude Chabrol, Éric Rohmer, Jacques Rivette, Jacques Demy, Agnès Varda, Jacques Rozier) qui affirmaient la primauté du réalisateur sur le scénariste et défendaient un cinéma d’auteur, expression d’un regard personnel. L’expression « nouvelle vague » s’applique à la période de l’histoire du cinéma français couvrant les années 1959-1960. Toutefois, elle traverse les décennies et dépasse l’aspect éphémère de son seul moment d’apparition ; nombre d’auteurs nouvelle vague étant encore, en 1990, les metteurs en scène de référence du cinéma français contemporain »[23]. Même si cette dénomination ne fut qu’une simple étiquette donnée aux jeunes réalisateurs de 1958, elle devint un qualificatif à part entière qui concernait même les réalisateurs ayant déjà commencé à superviser leurs premiers longs métrages depuis 1950.

Au-delà des techniques cinématographiques qui ont essayé de renouveler les traditions de l’époque, cette « Nouvelle Vague », dans le cinéma français est particulièrement représentée par les grands noms que nous avons eu l’occasion de citer. Ces jeunes cinéastes, réalisateurs considérés comme des anticonformistes dans le monde du cinéma français qui était très codifié, ont permis de faire émerger le cinéma dit d’auteur. Plus un « raz-de-marée » qu’une simple vague, cette tendance fut jugée comme provocatrice, et ses détracteurs firent de cette dénomination un trait péjoratif d’une œuvre cinématographique désinvolte, voir bâclé au niveau de sa réalisation et sa finition artistiques[24].

 

Et pourtant les grands initiateurs de la « Nouvelle Vague » sont à l’origine des critiques qui souhaitaient également faire leurs preuves dans la réalisation. Parmi eux se trouvaient justement François Truffaut, Jean-Luc Godard et Jacques Rivette qui ont tous été critiques dans les « Cahiers du cinéma »[25]. Derrière la caméra, avec un budget quelque peu modeste et quasiment aucune expérience dans le rôle de réalisateur, ces cinéastes essayent de nouvelles techniques qui permettent d’appréhender le réel tel quel, contrairement aux normes traditionnelles qui excellent dans les techniques et les beaux dialogues qui se révèlent être complètement détachées de la réalité.

Ainsi, naquirent des histoires simples filmées dans un environnement quotidien, sans les fantaisies des anciennes années, avec des inconnus comme acteurs et laissant place à l’improvisation plutôt qu’à l’anticipation et au calcul. De plus, les évolutions technologiques comme la création de caméra portatives stimulèrent la naissance de cette tendance avec notamment la possibilité de tourner des scènes en extérieur. « Les jeunes cinéastes portent bien souvent les casquettes de scénaristes-dialoguistes-réalisateurs et leurs équipes sont minimales. Le résultat de ce travail bouleverse toutes les règles alors en cours à l’époque. Le montage est parfois très approximatif (« À Bout de souffle » de Jean-Luc Godard, 1960). Cependant, même si un objectif commun unit ces divers jeunes réalisateurs – en finir avec le conformisme des années précédentes et avoir une approche novatrice du cinéma – la comparaison s´arrête là. « Notre seul point commun est le goût des billards électriques » disait François Truffaut »[26]. Cette tendance connut un grand succès auprès du public français de par son style se rapprochant de l’amateurisme et de nombreux acteurs firent leur apparition dans le domaine du cinéma. Parmi eux, Jean-Paul Belmondo, Jeanne Moreau et Bernadette Lafond.

 

Le succès immédiat de la « Nouvelle Vague » aboutit aussi à une lassitude immédiate. Malgré que cette tendance finisse par s’essouffler dans les années 60, la petite révolution qu’elle a créée au sein du monde cinématographique français changea la conception du cinéma. Malgré tout, plusieurs réalisateurs issus de cette tendance durent soit changer de métier, soit revenir à un style de cinéma plus classique afin de répondre aux exigences du public.

 

Au final, ce qui reste de cette « Nouvelle Vague », de nos jours, est cette volonté de liberté, issu d’une jeunesse d’après-guerre. Sans parler de cet esprit qui laisse plus parler la créativité et l’originalité, nous pouvons aussi marquer comme influence de cette tendance, ses techniques qui se rapprochent parfois du cinéma amateur et qui ne passe pas vraiment par le moule traditionnel du studio, préférant un environnement réel pour mieux retranscrire une réalité. Mais pourquoi dit-on que le cinéma d’Honoré est influencé par la « Nouvelle vague » ?

Nous pouvons voir plusieurs plan en extérieur montrant Paris dans son quotidien, et la plupart des endroits où ont été filmés les différentes scènes ont été représentés tels-quels. Nous pouvons remarquer également que nous sommes loin des tournages en studio du cinéma plus classique avec un environnement réel. Nous pouvons voir dans ce choix de se référer à la réalité et de s’y incruster l’influence qu’a reçue Honoré de la Nouvelle Vague.

Mis à part cela, nous pouvons également noter les clins d’œil du film faits à Jacques Demy, comme notamment les doutes de l’amour et ses questionnements comme dans le film les « Parapluies de Cherbourg ». Nous pouvons aussi voir dans ces deux films un certain lyrisme, qui fait de chacun d’entre eux un bel exemple d’œuvre cinématographique inspiré de comédies musicales. Il est à noter que Jacques Demy est l’un de ces réalisateurs  associé à la « Nouvelle Vague » de par son style quelque peu original, avec ses scènes tournés en extérieur, loin des tracas et exigences des films en studio. Nous pouvons également voir une certaine similitude dans le découpage du film en trois grandes parties portant le même titre, « le départ », « l’absence » et le « retour ».

Nous pouvons voir à travers cela une manière de  rendre hommage à Demy et à la Nouvelle Vague, Honoré et Beaupain faisant partie de cette génération dont les parents jeunes à cette époque, étaient férus de ce type de cinéma, et dont l’influence a été importante pour eux tous. Néanmoins, malgré cela, Honoré affirme que l’idée du découpage de son film en trois parties ne lui est venue que durant le montage. En effet, il trouvait que la manière dont a été retranscrite l’histoire se prêtait à un tel découpage malgré qu’il n’y ait pas pensé lors de la mise en place du scénario[27].

 

  1. L’unité de lieu : Paris à la manière d’un documentaire

 

Comme nous avons pu le voir dans le film d’Honoré, toutes les scènes ont été filmées dans Paris. En effet, Le Xème arrondissement pour ses rues animées a été directement choisi par le réalisateur pour faire en sorte que le spectateur se sente « happé » dans le quotidien parisien. Le Xème arrondissement de Paris est connu non seulement pour être un endroit fréquenté mais qui en plus est assez populaire. Ainsi, le quotidien de cet arrondissement est retranscris dans toute sa splendeur avec des prises de vue sur les marchés de la ville et les magasins chinois. Nous voyons également les appartements et bâtiments qui caractérisent ces quartiers.

Nous pouvons remarquer que dans ce film, il n’y a pas de plan « cliché », comme nous pouvons le voir dans certains films, qui mettent le monument principal de la ville et qui la caractérise sur le plan géographique, comme une vue sur la Tour Eiffel depuis la fenêtre d’une maison. La manière dont Honoré permet au spectateur de situer géographiquement l’histoire se fait de manière plus subtile. Plutôt que de faire des plans avec la Tour Eiffel comme fond, il préfère se centrer sur d’autres monuments comme la statue de la Bastille ou l’Arc de Triomphe. Ce choix, qui offre une certaine finesse à l’ensemble et qui s’insère très facilement dans l’histoire sans qu’il y ait d’incohérence dans l’ensemble montre la maîtrise du réalisateur de son art. Evidemment, pour les étrangers qui n’ont pas encore eu l’occasion de visiter Paris, il est un peu plus difficile de situer l’histoire, mais l’environnement et l’atmosphère qui se ressent dans ce film, permettent de comprendre presque intuitivement que l’histoire se déroule bien à Paris.

Paris, ville lumière, se caractérise par ses bâtiments presque tous de la même hauteur, alignées le long de ses avenues presque toutes bordées d’arbres, et dont les murs sont ornés au niveau du deuxième étage avec le plus souvent, un balcon filant qui surplombe le cinquième étage. L’homogénéité qui fait la caractéristique de la ville de Paris est essentiellement due aux règles d’urbanisme plutôt strictes qui ont été promulguées depuis les années 1607, jusqu’à nos jours, qui ne laissent les bâtiments d’une certaine hauteur, être construits en périphérie de la ville. La tour Montparnasse que nous pouvons voir sur certaines scènes du film par exemple, qui est élevé à 210 mètres, fut pendant des années la seule grande tour de la ville de Paris.

 

Au final, ce ne sont donc pas que les monuments qui permettent au réalisateur de montrer dans quelle ville se déroule l’histoire. L’environnement complet qui constitue Paris a été « happé » dans le film, pour le retrouver, sans embellissement ni fantaisies, tel quel. Le réalisateur a donc réussi, d’une certaine manière à rendre l’histoire et l’environnement « homogènes », sans pour autant qu’il n’y ait de passages « forcés » pour rendre le tout cohérent. Cela est principalement dû à la prise de vue naturelle que le réalisateur a pu faire, malgré que nous puissions noter que sur certains points, l’ensemble paraît trop propre et lisse pour être vraiment réaliste, car nous voyons avant tout un Paris plus bourgeois qu’un Paris plutôt sombre. Ce sentiment est renforcé par les personnages qui sont, ce que l’on pourrait appeler comme des « bourges » de Paris, que l’on reproche souvent de vivre dans leur monde en étant déconnectés de la réalité. Bien sûr, il serait aussi incohérent avec l’histoire de montrer un Paris très sombre, avec ses ruelles, de nuit, et parfois même sa pauvreté car les personnages eux-mêmes ne « colleront » pas avec et environnement. Nous aurions néanmoins aimé avoir des plans de vue plus sincères d’une réalité « réelle » de la vie parisienne et non d’une réalité choisie.

 

Les plans en environnement extérieur montrent Paris à la manière d’un documentaire. En effet, les prises de vues qui montrent les parisiens dans leur quotidien sans qu’il n’y ait de montage visible en studio, donne cette impression d’incursion dans le réel. Sans compter que nous pourrons voir dans ce film plusieurs plans sur certains monuments historiques comme l’Arc de Triomphe ou le Génie de la Bastille, comme nous l’avons déjà spécifié antérieurement.

Néanmoins, comme l’a dit Honoré, il n’a pas voulu montrer Paris à la manière d’un musée comme dans son film « Dans Paris », apparu avant « Les Chansons d’amour ». En effet, les prises de vue du film « Dans Paris », montre presque un Paris sans vie, dans le calme. Honoré s’est séparé de cette conception avec un Paris en pleine activité. Cette volonté de s’incruster dans le quotidien parisien donne un aspect assez crédible à l’histoire qui a l’air plus réaliste. Rien que dans la première partie du film, nous pouvons voir des prises de vues dans la rue Gustave-Goublier jusqu’à la rue du faubourg-Saint-Martin en pleine nuit qui reste quand même grouillant de vie. Plus tard nous voyons également le boulevard de Strasbourg, toujours en pleine nuit qui reste toujours vivant avec des voitures et des passants qui circulent dans la rue. Plus tard, nous verrons également la salle de spectacle « Etoile » dans laquelle nous assisterons à une prestation live d’Alex Beaupain, qui est existe dans la réalité et se trouve dans la Rue du Château-d’Eau.

 

Dans la deuxième partie, nous verrons également plusieurs scènes tournées en extérieur dans l’environnement urbain de Paris ; ainsi, nous pourrons remarquer que Louis Garrel, lors durant la chanson « Delta Charlie Delta », à partie de la Rue du Château-d’Eau rejoindra la Porte Saint-Denis. Durant la chanson « les yeux au ciel », nous pourrons également apprécier des prises de vue sur le quartier de la Bastille avec Louis Garrel sur les devants de la scène. Et enfin, durant la chanson la « Distance », nous verrons Grégoire Leprince et Louis Garrel jse donner la réplique dans la rue Ambrise-Thomas.

Dans la dernière partie, nous pourrons également apprécier des scènes tournées en extérieur dans le Jardin des Plantes lors de la chanson « Au parc » et au cimetière du Montparnasse dans « pourquoi viens-tu si tard ».

 

Ainsi, les scènes en extérieur sont omniprésentes dans la création d’Honoré et l’histoire du film en général tient toute son originalité dans la manière dont elle offre des vues de la ville de Paris d’une manière naturelle tout en y incrémentant le jeu des personnages. Nous allons ci-après voir en détail la manière avec laquelle l’auteur ancre l’histoire dans le réel en faisant apparaître les éléments que nous allons développer ci-après.

 

  1. Le Quartier Général de la campagne de Nicolas Sarkozy

 

La manière dont le réalisateur mêle la fiction a la réalité tend à rendre l’histoire crédible et l’impact émotionnel encore plus important. Voilà pourquoi nous pouvons voir une scène qui permet de situer temporellement l’histoire malgré que l’on ne sache pas de quand il date exactement. Mais filmer le quartier général de campagne présidentielle de Sarkozy et mettre même une affiche de cette campagne permet de dater cette histoire de 2007. L’élection présidentielle de 2007, qui était la 9ème de la Ve République eut comme finaliste Nicolas Sarkozy pour la droite et Ségolène Royale pour le parti socialiste.

A l’occasion de sa campagne, le candidat de droite a décidé de mettre son quartier général au niveau de la rue d’Enghien. Nous voyons durant le film Louis Garrel, passer devant le bâtiment qui a en ce temps là servi de quartier général au candidat de l’UMP. Après être sorti de son travail, nous nous apercevons que le héros est en quelque sorte suivi, car nous voyons des mouvements de caméra, tels que l’impression donnée est que le spectateur lui-même est entrain d’épier Louis Garrel. Nous nous apercevons ensuite que celui qui l’épiait et le suivait était le jeune Breton joué par Grégoire Leprince, qui a voulu lui faire une surprise en le prenant à son travail. Nous commençons, dans cette scène à avoir des doutes sur les réels sentiments de Grégoire Leprince.

 

Le mouvement de caméra qui fixe tout d’abord l’affiche de Nicolas Sarkozy en gros plan, mais qui paraît plutôt flou, puis, qui regarde vers la direction de Louis Garrel laisse penser à un mouvement de tête, étant donné que ce dernier se fait en réalité suivre par Grégoire Leprince. Nous pouvons remarquer que Louis Garrel lui même a vu l’affiche et a réagit en la voyant. En effet, le plan qui fixe Louis Garrel laisse entrevoir un mouvement de la main droite de ce dernier, comme un bref secouement de haut en bas. Nous nous demandons si ce geste était calculé par le réalisateur ou juste une improvisation.

Néanmoins, ce geste, ressemble à celui associé à une expression du type « on va avoir chaud » ou « ce sera dur » ou . Etait-ce une anticipation de la vision que l’on aura de la politique de Sarkozy, ou tout autre chose ? Quand nous écoutons les commentaires d’Honoré dans le DVD du film, nous nous rendons compte que l’équipe de tournage, était obligée de passer devant ce bâtiment pour rejoindre l’appartement du héros, situé au 45, rue du Faubourg-Saint-Martin, rue Louis-Blanc dans le film. Ainsi, l’équipe de tournage a dû demander l’autorisation aux responsables de campagne et à l’équipe qui gardait ce bâtiment de pouvoir filmer la scène où nous le voyons rentrer chez lui. Le réalisateur avoue même que l’aspect quelque peu criminel de filmer ce bâtiment, malgré qu’ils aient eu l’autorisation de le faire, les ont fait courir, une fois passés devant. Nous pouvons donc déduire, que d’une certaine manière, le mouvement de main d’Ismaël était apparenté à ce contexte et que ce dernier, n’a pas été coupé au montage vu qu’il donnait plus de naturel à l’ensemble.

Nous nous rendons compte que d’une certaine manière, le réalisateur, lors du scénario, a décidé de faire une certaine cartographie du quotidien des personnages de manière à ce que nous voyions chaque endroit où ils ont l’habitude de passer, leur trajet journalier. Nous nous apercevons même qu’après cette partie où le héros passe devant le bâtiment servant de quartier général à la campagne présidentielle de Sarkozy, Erwan (Grégoire Leprince) le surprend au niveau de la rue où Julie (Ludivine Sagnier) et lui ont chanté « De bonnes raisons ».

 

D’une certaine manière, le réalisateur fait donc en sorte que le public puisse situer temporellement mais aussi géographiquement l’ensemble de l’histoire à travers l’environnement dans lequel les héros évoluent. Evidemment, le seul bémol à cette histoire est qu’il est difficile d’avoir la notion du temps, si bien que nous ne pouvons réellement situer si le personnage est finalement tombé amoureux d’Erwan au bout de quelques jours, quelques semaines ou quelques mois. Les seuls repères temporels, ne permettent que de savoir à quelle période et à quelle année ont été tournés le film mais rien n’aide le spectateur à se repérer dans l’évolution temporelle de l’histoire.

 

Nous verrons également ci-après, un autre moyen choisi par le réalisateur d’ancrer l’histoire dans le réel, en utilisant des événements qui se sont passés durant cette période.

 

  1. Le travail des deux journalistes sur le vol du scooter de Jean Sarkozy

 

Durant une scène où Louis Garrel et Clotilde Hesme sont à leur travail, nous pouvons voir que Louis Garrel est entrain de corriger et de mettre en forme un article. Nous pouvons supposer qu’il a donc un travail de pigiste ou de rédacteur au sein du journal, « l’actu ». Nous pouvons également remarquer que lors d’un zoom sur l’écran de son ordinateur, il est entrain de corriger un article concernant le vol du scooter de Jean Sarkozy.

Nous pouvons donc lire l’article suivant sur l’ordinateur : « Scooter volé du fils Sarkozy : trois suspects arrêtés. Le scooter d’un fils de Nicolas Sarkozy, volé à Neuilly (Hauts-de Seine) le 7 janvier, a été retrouvé 10 jours plus tard à Bobigny. Des relevés d’empreinte et d’ADN ont permis l’arrestation il y a une semaine de trois personnes, dont deux mineurs de 17 ans. Des moyens « classiquement utilisés » pour une telle enquête assure un policier. »

Cette actualité qu’ils étaient entrain de corriger était bien évidemment réelle. En effet, le 7 janvier 2007, le scooter utilisé par les deux fils du président Sarkozy avait été volé à Neuilly-sur-Seine. Ce scooter a ensuite été récupéré en Seine-Saint-Denis, puis pour arrêter les voleurs, de grands moyens ont été utilisés par la police. Afin d’accélérer les recherches afin d’appréhender rapidement les voleurs, les forces de l’ordre ont réalisé des relevés d’empreintes et des relevés ADN, comme précisé dans l’article des deux joueurs. Ce scooter a également été retrouvé le 16 janvier à Bobigny, par hasard et les moyens mis en œuvre pour retrouver les fugitifs ont fait polémique dans « Le Parisien ». L’air un peu ironique du ton concernant le fait que ce genre de démarche policière était normal est également avéré étant donné que le porte-parole de l’enquête a annoncé que ce type de prélèvement était tout à fait banal. Soulignons que le candidat centriste François Bayrou a profité des moyens peu communs utilisés pour cet incident afin de prôner l’égalité pour tous s’il devait être élu président[28].

Le rappel de cet événement montre l’incursion de l’histoire dans les faits réels. Rappeler cette politique montre aussi le parti pris du réalisateur contre  Sarkozy. En effet, rappelons que « La Princesse de Clèves », roman de Mme de Lafayette a été adapté en film par Christophe Honoré (« La Belle personne ») en réponse à la réaction de Sarkozy par rapport au fait qu’il trouve le roman désuet et dépassé pour notre temps[29]. C’est donc peu dire de la manière dont Honoré ne porte pas vraiment Sarkozy dans son cœur.

Ce clin d’œil par rapport à l’incident de scooter de Sarkozy fils est non seulement un repère temporel pour mêler la fiction du film à la réalité d’un fait d’actualité dont tout français s’est souvenu, mais aussi une manière de dénoncer les pratiques de Sarkozy qu’il a certainement en horreur.

 

  1. La Bastille

 

Nous verrons tout au long du film, la représentation d’un monument qui sert de repère géographique tout au long de l’histoire. Ainsi, nous verrons plusieurs plans où se trouve le Génie de la Bastille sur sa colonne. Dès le début de l’histoire, la statue est présente au générique, lors de l’apparition du titre du film. Une chanson est même dédie à ce monument. La chanson « Il pleut encore sur la Bastille », est très importante comme transition dans le film. Racontant l’aspect morose de Paris, sous la pluie, cette chanson est, comme nous l’avons déjà dit, est ce qui remplace et marque la séparation de Julie avec sa famille, sur un ton très mélancolique.

Le Génie de la Bastille est appelé « Le Génie de la Liberté » est en en réalité, la représentation d’un ange doré portant un flambeau. Il est le symbole de la liberté, vu qu’il a été construit en l’honneur des combattants qui sont morts lors de la révolution de 1830. Ainsi, près de 500 individus ont été enterrés sur cette place qui est devenue un lieu commémoratif.

Nous voyons que durant la chanson « Il pleut encore sur la Bastille », les scènes sont entrecoupées d’un plan sur le « Génie de la Bastille ». Nous avons supposé que cela est en quelque sorte, un symbole signifiant la continuité du temps qui s’applique à l’environnement des personnages mais pas à eux car la mort de Julie (Ludivine Sagnier) va faire que le temps s’arrêtera, d’une certaine manière pour son entourage. Ce monument qui signifie représente également la liberté, la lumière et les chaînes brisées pour pouvoir enfin s’envoler, pourrait s’apparenter à la mort de Julie, qui est la libération de son âme qui ira vers la lumière.

C’est durant cette chanson, où Julie est raccompagnée par sa sœur sous la pluie, que nous pouvons apprécier l’environnement de la place de la Bastille, qui est l’un des points centraux de ce 10ème arrondissement.

La Bastille est donc non seulement un point géographique autour duquel gravitent les personnages, mais aussi un symbole important qui laisse deviner la mort prochaine de Julie. L’ambiance morose de la pluie qui s’ajoute à l’importance de cette place laisse donc planer ou pressentir un événement triste.

 

  1. Le Parc de la Pépinière à Nancy

 

La chanson chantée par Jeanne (Chiara Mastroianni) au parc est également le générique de début et la mélodie du piano est souvent utilisée comme intermède. Cette chanson est parmi les préférés, si ce n’est le préféré d’Alex Beaupain[30] de par la sensibilité avec laquelle l’interprète a retranscrit la chanson. Cette chanson, qui est en parallèle avec la perte de Beaupain de sa propre femme se déroule exactement à côté de l’endroit où il a habité quand il était étudiant en sciences politiques. Cette chanson, qui est autobiographique a été en réalité tourné au jardin des plantes de Paris. Mais étant donné que la chanson se référait plutôt à l’histoire personnelle de Beaupain, il a été lieu de considérer ce parc come celui de la Pépinière de Nancy.

Nous pouvons remarquer encore une fois l’influence de la Nouvelle Vague dans cette scène où nous voyons Chiara Mastroianni interpréter cette chanson. En effet, au-delà du fait que l’ensemble a été tourné dans un environnement naturel, à l’extérieur, il semblerait que la liberté prise au niveau du cadrage ait été grande. Nous remarquerons donc qu’au niveau du travelling, aucun support n’a été utilisé ce qui a rendu le cadrage assez instable. En effet, plutôt que d’utiliser des grues ou tout autre instrument. La stabilité de la caméra est donc assez précaire, si bien que de légers tremblements se font ressentir au niveau du cadrage. Cette liberté et ce manque de rigueur est encore une fois propre au style de la Nouvelle Vague.

 

Cette chanson fait référence à l’immuabilité de l’endroit, en période d’hiver, avec toujours son même état, malgré l’absence de Julie au sein de la famille. Cette absence se rapproche également de la vision de Beaupain, de ce parc à côté de chez lui et qui le fait ressentir une certaine mélancolie en l’absence de sa femme. Cette scène est donc un écho aux sentiments de Beaupain et une manière de marquer la blessure de l’absence. Il est vrai que Chiara Mastroianni n’est peut être pas une chanteuse émérite mais l’interprétation qui se rapproche de la sincérité de l’actrice met en valeur cette chanson et la rend encore plus profonde et triste.

 

 

  • – Le symbolisme, la distanciation inspirée de la Nouvelle Vague, ou l’incursion de l’imaginaire dans le réel chez Alain Resnais, puis chez Christophe Honoré

 

  • L’unité de lieu : Paris et l’espace temps

 

Paris est le centre de l’histoire dans les deux films que nous avons étudiés. Paris a été choisi étant donné que chacun des réalisateurs a un lien avec ce lieu. En effet, Alain Resnais lui-même, par exemple, a été depuis 1939, un habitant de Paris. En effet, son rêve a toujours été de devenir acteur dans cette ville. Nous pouvons donc comprendre qu’il ait tourné l’un de ses derniers films dans cette ville. Il en est de même pour Christophe Honoré et Alex Beaupain qui ont tous déménagé à Paris à un moment de leur vie.

 

Dans le film de Resnais, Paris est montré, un peu plus à la manière d’une ville touristique. En effet, nous découvrons les différents endroits comme l’Hôtel Meurice, dans le 228 rue de Rivoli dans le 1er arrondissement de Paris, d’où Dietrich Von Choltitz décida de ne pas suivre les ordres d’Adolph Hitler, qui a voulu détruire Paris. Parmi les endroits présentés dans la visite, nous pourrons également entendre par du Dôme (les invalides), mais également du Bois de Boulogne, de Vincennes, le parc Montsouris et les Buttes-Chaumont, deux parcs créés sous Napoléon III et inaugurés lors de l’Exposition universelle du 1er avril 1867. Nous aurons également l’occasion, lors de la visite guidée par Agnes Jaoui, d’apprécier une scène tournée sur le Pont des Suicides, où le rôle d’André Dussolier prend encore plus d’ampleur, étant donné que tout au long de la visite, il surprendra les gens et agacera le guide par sa connaissance de tous les lieux. Parmi les lieux visités se trouve également le château de Versailles, où Agnes Jaoui aura son second malaise et ensuite est aidée par André Dussolier qui lui vole un baiser lorsqu’elle s’évanouit.

 

Evidemment, nous verrons tout au long du film plusieurs autres lieux qui permettront de reconnaitre Paris, comme la sculpture en forme de piles d’assiettes où André Dussolier et Agnes Jaoui se retrouvent pour la première fois.

Le plus intéressant et le plus intriguant est le thème de la recherche d’un habitat, d’un appartement qui prend son importance dans ce film, comme pour lier toute l’intrigue. D’une manière ou d’une autre, ce film nous guide aussi dans l’immobilier parisien, au-delà des lieux historiques. Nous verrons tout au long de l’histoire, des scènes tournées en intérieur également qui nous permettront de découvrir la richesse de l’immobilier parisien, qui malgré tout, de nos jours, reste un secteur assez restreint avec ses prix connus pour ne pas être abordables à tous. Ainsi, d’un côté, Jean Pierre Bacri va visiter une trentaine d’appartements pour au final n’être satisfait d’aucun d’eux, ce qui est en réalité une excuse pour ne pas faire venir sa femme à Paris. D’un autre, nous aurons Sabine Azema, qui, dans son rôle stéréotypé de femme « parfaite d’intérieur », fera en sorte de trouver l’appartement parfait, avec vue panoramique, mais qui au final se fera tromper par son agent immobilier qui lui a expressément omis de dire que cette vue sera bientôt cachée par un autre bâtiment. Ainsi, les deux agents immobiliers, qui, au début du film, n’ont pas vraiment de consistance dans l’histoire, seront au dénouement, les personnages qui changeront la fin de l’intrigue.

 

Nous verrons que les prises de vue dans la ville de Paris, se sont faites en plein jour, dans une grande majorité du film. Nous pourrons donc apprécier le fait que plusieurs scènes auront été filmées à l’extérieur, signe de l’influence de la Nouvelle vague chez Resnais. Au-delà de cela, n’oublions pas que d’une certaine manière, le réalisateur va inviter le spectateur à être dans la peau d’un observateur qui regarde, en travers d’un filigrane, l’effervescence de la vie parisienne. Cette volonté se fait sentir par la présence de scènes, en intérieur, d’où l’on peut apercevoir l’environnement extérieur à travers une fenêtre.

Paris n’est par contre pas montré à travers ses monuments prestigieux les plus connus, comme la Tour Eiffel, la place Vendôme ou l’Arc de Triomphe. Le choix des lieux s’est réalisé à la manière d’un parcours touristique, sur des lieux historiques en particulier.

Paris représente donc le lien qui relie chaque personnage, dont les relations rappellent la forme d’un réseau à la manière d’une comédie boulevardière.

 

  • La thèse des chevaliers-paysans de l’an 1000 au lac de Paladru

 

Cette thèse effectuée par Agnès Jaoui est encore une référence historique sur  un sujet tout-à-fait improbable, ici c’est l’effet cocasse que ça donne, et si pointu que vraisemblablement, seul un nombre extrêmement restreint de connaisseurs chevronnés peuvent s’y intéresser.  Cette thèse a même provoqué une réaction quelque peu intéressante de la part de Jean-Pierre quand Agnès Jaoui lui a annoncé le thème de sa thèse. En effet, ne voulant pas blesser la thésarde, il pose une question comme : « il y a quelqu’un que ça intéresse ? » qui est répondue par un « non » franc d’Agnès Jaoui. Ensuite ce dernier lui demande l’intérêt de ce thème dans ce cas, et elle répond, exaspérée, « C’est pour faire parler les cons ».

Cette scène nous montre à quel point, malgré que cette thèse ait son pesant sur le plan académique, il n’est d’aucun intérêt pour les non connaisseurs. Comme l’a précisé Jean-Pierre Bacri dans son entretien présent dans le dossier du DVD : « Dans le film, le contrepoids des apparences, c’est l’histoire de la thèse. Parce que la on réussit une relation. On va au bout, on instruit un dossier. En l’occurrence sur ces chevaliers paysans de l’an 1000 au lac de Paladru, on va faire 800 pages parce qu’on veut être exhaustif, et là on obtiendra quelque chose de dense, de concret, d’épanoui, et c’est par excellence ce qui va emmerder le monde. Parce qu’on veut des signes brefs et simplistes comme dans la publicité, ou ces chansons qui ne veulent rien dire, mais auxquelles on s’identifie ; qui parlent à tout le monde, comme une espèce de secret de réussite qui serait donné en trois mots »[31].

L’imaginaire et la fiction sont omniprésents dans le film de Resnais, ce qui fait sa différence avec celui d’Honoré. Nous avons donc ici un film ancré dans le réel où l’imaginaire s’incruste d’une manière tout à fait normale et naturelle, sans pour autant faire état de zèle, le rapprochant le plus possible de la réalité. C’est à travers la dépression de la thésarde que Resnais nous fait entrer dans l’imaginaire, en faisant revivre une scène médiévale alors que la héroïne se trouve dans la Brasserie du Louvre[32], descendant un escalier, en robe noire. Manquant certainement d’air et ayant l’impression d’étouffer, elle eut besoin de s’aérer. Mais alors qu’elle descend l’escalier, la rampe de celui-ci, en fer doré, se transforme peu à peu en bois non traité et taillé, plus proche d’une branche. La transition vers l’imaginaire se fait sur un plan fixe, sur la main d’Agnès Jaoui, tenant une rampe d’escalier moderne, coupé par un gros plan en contre plongé sur le haut de son corps, l’air perdue, puis sa main cherchant un appui sur une rampe d’escalier en bois plus rustique.  Nous verrons qu’elle fixe en réalité, une scène se passant dans la forêt, au bord d’un point d’eau (un lac si on se réfère à sa thèse) et où des paysans, dos tournés, marchant nonchalamment dans leurs costumes d’époque et vaquant à leurs occupations. Cette scène est directement par la venue de Lambert Wilson, de Sabine Azema et de plusieurs autres individus qui viennent comme pour l’aider. En réalité, les deux personnages sont encore entrain de parler à leur table, sirotant leur vin blanc. Toute la scène fait donc en réalité partie de l’imagination d’Agnès Jaoui.

 

Le message donné par cette histoire de thèse est, pour les acteurs : « Camille fait une dépression nerveuse au moment même où tout va bien pour elle. Elle est amoureuse, elle vient de réussir sa thèse…. Est-ce que vous pensez que ce sont des choses courantes ?… On se dit Et alors ? J’ai réussi ma thèse ou autre chose et rien n’a changé. Je ne suis pas plus différent, meilleur, plus beau, je ne suis que moi. Je peux mourir demain. A quoi ça sert tout ça ? Et en général, ça arrive quand on a 25 30 ans. Lorsqu’on devient adulte, il y a un certain rêve qui s’arrête : une certaine projection dans le futur, et on se retrouve dans le présent et l’absurdité de cette vie.»[33]. « Quand Pendant des années et c’est le cas des thésards, on consacre toute son énergie à atteindre un but précis, et que ce but est atteint, on se retrouve dans le vide »[34]

 

Cet effet qui rend l’histoire assez discontinue en réalisant une intrusion dans les pensées même de l’acteur et en incrustant cette pensée dans le monde réel donne à ce film toute son originalité.

 

  • Évocation de la publicité de Ricoré

 

Nous verrons dans le film un clin d’œil à la publicité de Ricoré qui est la première à se passer dans un endroit ouvert, à l’extérieur « devant une maison de campagne par une belle matinée ensoleillée, avec en fond sonore de l’accordéon jazzy. Le facteur s’assied à table avec la famille et partage leur petit-déjeuner. La mère de famille dit d’ailleurs qu’ils l’ont surnommé « Ricoré » parce qu’il arrive toujours à la bonne heure pour apporter le courrier ! La marque incarne la convivialité et mise donc sur le partage en famille et la bonne humeur. »[35] . Nous pourrons donc dire que cette publicité est plus ou moins influencée par la Nouvelle vague étant donné qu’elle veut s’insérer dans l’environnement extérieur, sans vraiment faire référence à la présence d’un studio, pour se rapprocher au maximum d’un quotidien que n’importe quelle famille pourrait vivre dans son jardin, d’un sentiment authentique de bonheur.

Elle se trouve être l’une des publicités les plus connues en France grâce à la chanson d’André Georget « L’ami du petit-déjeuner, l’ami Ricoré »[36]. Encore une évocation nostalgique dans la mesure où il rappellera des souvenirs à ceux qui ont connu cette saga publicitaire, évocation du bonheur familial. Ici évoquée deux fois dans le film lorsque Bacri montre à des tiers, une photo de sa famille unie et heureuse alors que la réalité est fort différente et même à l’opposé. Une fois de plus, les apparences sont trompeuses.

L’évocation de l’image de Ricoré est censée représenter l’image du bonheur dans la famille de Bacri, une vie se rapprochant de l’image de la publicité.

Comme l’a dit Jean-Pierre Bacri :   « Dans le film, cette photo de famille que montre mon personnage (Nicolas) et qui ressemble à une publicité pour la chicorée c’est une image du succès. La publicité pour la chicorée, c’est une chanson photographique. « Je te montre un standard de bonheur et tu me juges heureux »[37].

 

La référence à la publicité de Ricoré est donc, d’une certaine manière, un modèle de réussite pour une famille, que Jean-Pierre Bacri, dans le film, essaye d’assimiler à la sienne auprès de ses amis. Remarquons pourtant que, comme dit antérieurement, il a du mal à s’entendre avec sa femme, à un tel point qu’il a trouvé comme excuse l’impossibilité de trouver un habitat convenable pour ne pas la faire venir à Paris.

Il est alors difficile à Sabine Azéma de croire à la situation de son meilleur ami et confident quand ce dernier lui avoue tout cela. De ce fait, nous pouvons voir que, comme l’a dit Jean-Pierre Bacri dans son interview, cette référence à la publicité de Ricoré est une « chanson photographique » car il y a un non dit, un discours souterrain,  à la manière des refrains chantés qui y est présente.

 

  • L’image de « la méduse » en aquarium

 

Durant la fin du film, nous verrons apparaitre en surimpression des méduses blanches plusieurs fois lors de la scène finale de la pendaison de crémaillère. Cette scène finale est en quelque sorte le dénouement tant attendu par le public sur l’intrigue du film. Nous verrons donc au final que les masques tombent. D’un côté, nous verrons le personnage charismatique et très fort de sa présence, interprété par Sabine Azéma ne pas être aussi endurant que ça face à l’annonce que lui fera son meilleur ami concernant la maison qu’elle vient d’acquérir.

Nous comprendrons aussi qu’au final, Agnes Jaoui n’a pas une maladie « physique » mais plutôt un trouble mental, proche de l’angoisse et de la dépression.

Nous pourrons apprécier aussi que l’arnaque de l’agent immobilier est dévoilée, Claude décide par solidarité de ne pas quitter sa femme…Camille (Agnès Jaoui) préfère Simon (André Dussolier) à Marc (Lambert Wilson) … Tout devient plus clair, à l’image de ces animaux translucides, la réalité se fait jour. Cette scène représente un véritable coup de théâtre, (d’ailleurs au passage, on peut noter l’analogie avec le théâtre dans l’œuvre de Resnais, y compris dans ce film, où on assiste à un changement de décor, un nouvel appartement. Le réalisateur fait toujours appel à la même bande d’acteurs, Arditi, Dussolier, Azéma, telle une troupe et bien sûr, parmi toutes les formes d’art qui l’intéressent, il apprécie grandement le théâtre).

La méduse,  dont les apparences sont changeantes, animal symbolique qui se métamorphose et change de forme et d’aspect au gré des situations, translucides, inconsistants,  mous comme certains de ces personnages. Arditi, notamment, qui est éteint et indécis. C’est un symbole  signifiant qu’il ne faut pas se fier aux apparences, qui dénonce la distorsion avec la réalité, accompagné de la ritournelle insolite de la valse des méduses.

 

Néanmoins, si nous nous référons à l’interview donnée par le réalisateur, peu de temps avant sa mort, il avoue que le choix de la méduse ne s’est pas fait selon une certaine musique mais que ce choix s’est tout bonnement imposé lui. Comme il l’a précisé, sans se baser sur une réflexion, «  J’ai un vague principe, que j’ai déjà appliqué dans plusieurs films : s’il y a des images qui viennent comme ça et restent plus d’une semaine, il ne faut pas se poser la question, on les met dans le film. »[38].

De plus, il a précisé, que les méduses ne sont pas un symbole mais juste une image qui a fait son apparition sur un choix personnel au moment des répétitions. Il dit que «  L’idée était donc présente au tournage : la caméra suit la méduse, qui nous amène à d’autres personnages ayant des rapports au cours de la soirée dans l’appartement. Après, on peut bien dire que c’est un symbole de personnages qui flottent, mais je fuis le symbole par tous les moyens. »[39].

Il est à noter que le réalisateur a ressenti une certaine peur par rapport à l’avis des critiques concernant ce choix mais son équipe a adhéré à son idée, mais il avait besoin de cette image pour faire ressentir aux spectateurs l’atmosphère de cette pendaison de crémaillère. Il a également précisé que malgré que ces méduses se rapprochent un peu des rats présents dans son film « Mon Oncle d’Amérique », ces médusent ne recouvrent pas vraiment une notion métaphorique mais plutôt surréaliste qui se rapproche de Max Ernst[40].

Nous devrons donc voir ces méduses comme un moyen pour le réalisateur de faire ressortir sa sensation concernant cet animal, où les personnages, comme des méduses, flottent dans une ambiance incertaine, au gré des courants.

 

Le titre « On connait la chanson » : on ne va pas nous la faire, on est au courant, tout le monde connait ces chansons. Et le film se termine par une question : « Et vous, vous la connaissez cette chanson ? Ca me rappelle quelque chose …pour une sensation de déjà-vu. »

 

  • L’Évocation du spectre de Julie dans Les chansons d’amour, seule incursion dans l’irréel

 

Contrairement à l’ouvre de Resnais où nous réalisons qu’il y a un aller retour incessant entre le réel et l’imaginaire, et nous introduisant dans les pensées des personnages qui se matérialisent tout au long de l’histoire pour ponctuer leurs sentiments, le film d’Honoré, lui n’use pas de ce stratagème.

Au tout début du film, Nous voyons donc Julie marcher dans la rue mais nous apparaissant de dos. Ici, nous pouvons donc comprendre qu’il use d’un symbolisme qui donne l’impression que le personnage ; à un moment ou à un autre de l’histoire s’éloignera de celle-ci. En effet, ce stratagème est encore utilisé dans la chanson « Je n’aime que toi », comme nous l’avons déjà développé avant.

Ainsi, ce symbole marque également le moment où elle tournera le dos à l’intrigue en disparaissant à la fin de la 1ère partie.

Plus tard, nous verrons apparaître le spectre de Julie à la fin du film avec la chanson « Pourquoi viens-tu si tard ? » comme pour clore l’œuvre. Dans cette chanson, lorsqu’Ismaël (Louis Garrel) vient enfin visiter la dernière demeure de Julie, nous verrons la nuit tomber petit à petit avec la chanson qui commence également au même moment. Sur le chemin du retour, dans l’obscurité de la nuit, Ismaël marche avec derrière lui Julie qui lui demande pourquoi est-il venu si tard étant donné qu’elle ne s’attendait plus à le revoir. Tout au long de cette marche, il tourne le dos à ce spectre qui marche derrière lui et qui se demande ce qui l’a motivé à venir. A un moment, nous remarquerons que le spectre de Julie s’arrête, lève les bras comme pour vouloir le retenir, mais lui continue toujours de marcher. Le spectre finit par disparaître dans l’obscurité, pour réapparaitre comme une pensée confuse, en filigrane en gros plan durant la marche d’Ismaël, qui cette fois ci est filmé de dos, s’éloignant lentement. Peut être est-ce une façon de dire qu’un jour, il rejoindra Julie dans sa mort, car cette mort est inéluctable à tout homme. A la fin de la chanson, nous le retrouvons filmé de face, dans la foule du boulevard Montparnasse, continuant sa marche, hésitant de rentrer chez lui ; ce lieu rempli des souvenirs de Julie.

Le spectre de Julie est là, en quelque sorte pour marquer l’esprit de l’absence de ce personnage, des regrets du héros, de la continuité de la vie, du mouvement constant chez Ismaël malgré la perte.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Conclusion

 

Durant toute notre analyse, nous nous sommes donc centrés sur la manière dont sont mis en scène, dont est exprimée l’histoire de ces deux films. Nous avons eu à analyser deux œuvres dont l’utilisation de la chanson est importante pour faire comprendre la l’intrigue qui y est inhérente.

 

Mis  part cela, il est important de dire que nous avons perçu que les deux réalisateurs, à savoir Christophe Honoré et Alain Resnais ont voulu transmettre un message dans la manière dont les spectateurs appréhendent généralement un flim.

En effet, le premier dit « Il ne faut pas fantasmer un film » (cf. son interview dans le bonus du DVD), en dénonçant cette tentation qu’ont probablement beaucoup de gens, de fantasmer également des personnages, un amour. C’est perçu  pour lui comme une attitude perverse, malsaine, dangereuse, car on se leurre soi-même. Selon lui, il faut essayer autant que possible de voir la réalité existante, telle qu’elle est et éviter ainsi bien des désillusions.

 

Le second dénonce les apparences trompeuses, telle une S. Azéma qui se fait un film dans le film,-elle n’a fait que mettre au jour sa culpabilité vis-à-vis de l’homme qu’elle n’a pas embauché. Il n’est pas nécessaire de s’auto-manipuler, sous peine d’être à côté de la plaque, ce qui est précisément le cas du personnage de Sabine Azéma.

 

L’agent immobilier Marc a un simple rhume lorsqu’il rencontre Camille, ce qui l’émeut lorsqu’elle le surprend au téléphone, c’est qu’elle croit qu’il est en pleine rupture, la conversation faisant quiproquo.

Le personnage que joue Pierre Arditi semble être fiable, hors il trompe sa femme. Bacri, au contraire, aux dires de S. Azéma, est un coureur, elle pense le surprendre avec une femme qui n’est qu’une de ses clientes, il est chauffeur de taxi, et il est irréprochable, en réalité.

 

En cela, les chansons, la musique aident à voir les choses dans une autre dimension, voire plus plaisante. Bien sûr, il y a de l’ironie, Alain Resnais demande une certaine connivence au spectateur, qui connait tous les refrains, il ne se moque pas de lui non plus, son concept de l’utilisation originale des chansons est comme un jeu auquel il le fait participer, et lorsque la chanson s’arrête en douceur, comme on l’a vu, on retombe dans la réalité.

La magie agit, le temps d’une chanson, puis « Back to reality », comme lorsque l’on sort d’une salle de cinéma, n’est-ce pas ce que nous ressentons tous ?

Quelles aient été composées à priori ou à postériori, il semble que, liées à l’intrigue, dans les deux cas, elles tissent la trame du film, elles sont le fil conducteur qui fait avancer le film.

 

Dans « Les chansons d’amour », à partir du moment où il y a un scénario bien précis, ce sont les chansons, même composées à postériori, qui tissent la trame du film. On peut subodorer pour ces dernières, que le réalisateur et le compositeur ont collaboré étroitement, Honoré dévoilant les images qu’il souhaitait filmer, les propos qu’il  voulait faire tenir à ses personnages afin que Beaupain puisse mettre des paroles sur une musique convenant aux scènes. Mais y compris dans ce cas précis, on peut affirmer que ce sont les images qui sont au service de la musique et ce sont les chansons qui sont les véritables vedettes du film car la majorité d’entre elles étaient préexistantes et ont été composées peu après le drame de la soudaine mort de Aude, amie de Beaupain, qui les a inspirées.

De même « On connait la chanson » offre une certaine technique d’intégration de chansons qui à l’origine n’étaient pas composés par ce film, mais que d’une certaine manière, la trame de l’histoire permette également l’insertion de ces musiques de par tous les thèmes qu’elle prend en compte. Dans ce cas également, les images servent à illustrer la musique, mais la musique sert à illustrer l’histoire et à y donner un certain esthétisme. La rengaine qui en ressort permet de généraliser la réponse à des faits qui semblent à l’origine banaux mais qui au final donnent de l’intérêt à l’histoire. C’est la manière dont cette histoire est retransmise et la manière dont les émotions des personnages sont exprimées à travers les chansons et non l’histoire en elle-même qui donne son attrait au film.

 

Au final, nous pouvons répondre à la problématique de la manière suivante : les chansons peuvent tisser la trame du film mais à elles seules, ne permettent pas de faire ressortir toute la richesse propre à son intrigue.

Maintenant que nous avons une meilleure idée sur ce fait, il est lieu de nous demander s’il est possible de retranscrire ces films dans une version uniquement chantée sans qu’il n’y ait d’image pour en les illustrer l’histoire ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Bibliographie

 

Bolzinger André (1989), « Jalons pour une histoire de la nostalgie », Bulletin de Psychologie, 62, 389, 310-321.

 

Jolance Jacobi, La psychologie de C. G. Jung, Buchet-Chatel, Neuchâtel, 1950, p.30.

 

Jung C. G., L’Énergétique psychique, Genève, Georg,‎ 1973,p. 99.

 

 

Jung, LES RACINES DE LA CONSCIENCE, Buchet Chastel, Paris 1971, (p.61-85)

 

 

Jung C. G., Collected Works of C. G. Jung, Vol.9, 1ère partie, 2nd ed., Princeton University Press, 1968, (p. 42-53), (§87-110)

 

Souriau, Etienne « Les grands caractères de l’Univers filmique », in L’Univers filmique, Paris, Flammarion, 1953.Jean Douchet, Nouvelle Vague, Ed. Hazan, Paris, 1998

 

Webographie

 

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http://www.lesinrocks.com/1997/11/12/cinema/alain-resnais-sil-y-a-nostalgie-je-ne-cherche-pas-a-la-favoriser-11231802/, consulté le 20 mai 2014.

http://lescopainsd-abord.over-blog.com/article-l-ami-ricore-par-nath-didile-107428828.html, consulté le 29 mai 2014.

 

Autres

Retranscription des interviews à l’intérieur du DVD de « On connait la chanson », présent dans la rubrique « Dossier de Presse

Commentaire du réalisateur dans le DVD du film « Les chansons d’amour ».

[1] Qui est appelée en anglais, « psychological refinements » comme l’a proposé Prendergast, R.M. (1992), Film music : A neglected art. W.W. Norton and Co, New York, p.210

[2]http://www.rfimusique.com/musiquefr/articles/106/article_17407.asp, consulté le 1er avril 2014.

[3] http://www.liberation.fr/culture/2009/02/09/les-chansons-d-a-mort_308720, consulté le 2 avril 2014.

[4] http://www.cinemotions.com/interview/9775, consulté le 4 avril 2014.


[5] Bolzinger André (1989), « Jalons pour une histoire de la nostalgie », Bulletin de Psychologie, 62, 389, 310-321.

[6] Etienne Souriau, « Les grands caractères de l’Univers filmique », in L’Univers filmique, Paris, Flammarion, 1953, p. 7).

[7] http://www.cndp.fr/crdp-lille/newartculture/…/LE_SON_AU_CINEMA.pdf‎, consulté le 03 avril 2014.

[8] http://www.cndp.fr/crdp-lille/newartculture/…/LE_SON_AU_CINEMA.pdf‎, consulté le 03 avril 2014.

 

[9] Extrait de l’interview d’Agnès Jaoui et de Jean-Pierre Bacri dans le dossier de presse du DVD.

[10] Jung, Collected Works of C. G. Jung, Vol.9, 1ère partie, 2nd ed., Princeton University Press, 1968, (p. 42-53), (§87-110)

[11] http://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Carl_Gustav_Jung/126297, consulté, le 13 mai 2014.

[12] C. G. Jung, L’Énergétique psychique, Genève, Georg,‎ 1973,p. 99.

[13] Jung, LES RACINES DE LA CONSCIENCE, Buchet Chastel, Paris 1971, (p.61-85)

[14] http://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Carl_Gustav_Jung/126297, consulté le 13 mai 2014.

[15] Jolance Jacobi, La psychologie de C. G. Jung, Buchet-Chatel, Neuchâtel, 1950, p.30.

[16]Extrait d’interview de Resnais présent dans le DVD, recueilli par Th

[17] Idem

[18] Extrait d’interview de Jean-Pierre Bacri et Agnès Jaoui, issu du DVD et recueilli par

[19] Commentaire de la chanson par Christophe Honoré et Alex Beaupin dans le DVD.

[20] Film français réalisé par Jean Estache en 1973.

[21]

[22] Extrait de parole de la chanson

[23]http://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/nouvelle_vague/148007, consulté le 15 mai 2014.

[24] Jean Douchet, Nouvelle Vague, Ed. Hazan, Paris, 1998

 

[25] Revue de cinéma française ayant vu le jour en avril 1951 dans lesquels plusieurs cinéastes ont publié leurs premières critiques avant qu’ils ne s’essayent eux-mêmes à la réalisation.

[26] http://www.cinemafrancais-fle.com/Histoire_cine/nouvelle_vague.php, consulté le 18 mai 2014.

[27] Voir dans les commentaires du réalisateur sur son film dans le DVD.

[28] http://www.liberation.fr/politiques/2007/01/30/l-adn-pour-retrouver-le-scooter-du-fils-de-sarkozy_9096

[29] http://www.lesinrocks.com/2009/09/02/cinema/actualite-cinema/christophe-honore-linterview-fleuve-1137865/

[30] Commentaires du DVD

[31] Interview de jean Pierre Bacri dans le Dossier de Presse du DVD

[32] Dans cette scène, nous remarquerons que lors du malaise d’Agnes Jaoui, elle longe un corridor, où nous verrons l’écriteau « Le Louvre ».

[33] Entretien avec Sabine Azema dans le dossier de Presse du DVD

[34] Entretien avec Jean Pierre Bacri dans le dossier de Presse du DVD

[35] http://lescopainsd-abord.over-blog.com/article-l-ami-ricore-par-nath-didile-107428828.html, consulté le 29 mai 2014

 

[36] http://lescopainsd-abord.over-blog.com/article-l-ami-ricore-par-nath-didile-107428828.html, consulté le 29 mai 2014

 

[37] Interview de jean-Pierre Bacri dans le Dossier de Presse du DVD

[38] http://www.lesinrocks.com/1997/11/12/cinema/alain-resnais-sil-y-a-nostalgie-je-ne-cherche-pas-a-la-favoriser-11231802/

[39] http://www.lesinrocks.com/1997/11/12/cinema/alain-resnais-sil-y-a-nostalgie-je-ne-cherche-pas-a-la-favoriser-11231802/, consulté le 20 mai 2014.

[40] Peintre et sculpteur allemand né le 2 avril 1891 à Brühl et mort le 1er avril 1976 à Paris, appartenant au dadaïsme et au surréalisme.

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