DEVOIR DU MODULE ACCOMPAGNEMENT DES PERSONNES EN FIN DE VIE
DEVOIR DU MODULE ACCOMPAGNEMENT DES PERSONNES EN FIN DE VIE
Plan
1.1. Pour vous la mort c’est quoi ?
Question n°2. Besoin d’accompagnement du mourant
2.1. Quels sont les principaux besoins du mourant, de sa famille ?
2.2. Pourquoi l’accompagnement est-il indispensable ?
Question n°3. L’accompagnement du mourant
3.1. Peut-on autoriser quelqu’un à mourir ?
3.2. Quelles sont les différentes étapes du deuil ?
Introduction
L’idée de « la mort » fait froid dans le dos, non seulement pour les personnes dont la menace de mort est imminente, mais également (voire surtout) pour celui qui va annoncer cette mauvaise nouvelle. La peur de la mort est quelque peu universelle, un évènement qui ne s’expérimente pas, car là où l’on va disparaitre, on ne peut plus revenir. Tout cela montre combien la situation d’un patient, connaissant que cette extinction va bientôt agir sur sa personne, est difficile à vivre et complexe. Cela mérite de s’interroger sur la question de la mort au sens général du terme (question n°1), la nécessité de l’accompagnement d’une personne en fin de vie (question n°2), et de la mise en œuvre de tel accompagnement (question n°3).
Question n°1. La mort
1.1. Pour vous la mort c’est quoi ?
La crainte de la mort a conduit les différentes civilisations et cultures au fil des siècles à adopter différentes conceptions représentationnelles de la mort. Cela fait en sorte que, même dans les actuelles sociétés modernes qui reconnaissent une place prépondérante à la Science, à la raison et à l’esprit cartésien, les points de vue divergent à propos de la mort. Aussi, la séparation trop douloureuse occasionnée par la mort a amené les hommes à se construire ces représentations, non seulement pour amortir la brutalité de la rupture inhérente à l’extinction d’une personne mais également (et surtout) le fait que cette extinction est définitive et absolue. D’où, par exemple, la notion de « l’au-delà », de la réincarnation, de la séparation de « l’âme » avec le corps physique, etc.
De plus, chacun a certainement expérimenté la perte d’un être proche de différente manière, de sorte que l’appréhension de la mort ne peut être universelle. Il faut alors dire que chacun pourrait avoir des représentations différentes, rendant les points de vue sur ce plan très subjectifs. Un des enjeux majeurs de cette subjectivité de la conception de la mort réside dans les interventions d’un (psycho)thérapeute auprès d’un mourant et des proches de ce dernier, étant données que ces interventions ne sont jamais totalement dissociables des représentations propres à l’accompagnant de ce qu’est la mort. Il est pratiquement impossible, si bien professionnel qu’il est l’intervenant, de parler de la mort sans faire appel à ses vécus propres, à des souvenirs qui sont parfois soigneusement enfouis pour ne plus surgir à jamais, sur ce sujet. Autrement dit, il est quasiment absurde de parler de « la mort » sans « penser la mort », dont celle vécue si douloureusement[1]. « « Penser la mort », c’est regarder les représentations que l’on a construites dans notre environnement familial et culturel, c’est aussi « sentir » comment cette idée nous investit, nous travaille dans notre globalité d’être au monde, à différents niveaux, corporel, affectif, intellectuel et spirituel, ce qu’elle paralyse en nous ou ce qu’elle dynamise »[2].
Dans cette perspective, je me permets d’évoquer ma (ou mes) propre(s) définition(s) de la mort, en tant qu’individu et non seulement en tant que thérapeute (puisque l’un influence l’autre incontestablement). Ainsi, sur ce point, je me joins à l’idée que la mort détermine pour un individu le début et la fin de l’existence terrestre. En effet, dès la conception d’un être humain, la mort est toute proche, voire liée intrinsèquement à l’individu, attendant seulement sa manifestation, sa réalisation. La mort n’existe désormais pas sans qu’il y ait préalablement la vie, et toute vie (du moins à propos des humains) trouve son bout de chemin à travers la mort. Cette conception personnelle est d’ailleurs empruntée de Sigmund Freud avec son concept de « l’inquiétante étrangeté », évoquant la possibilité de surgissement à tout moment de quelque chose de familier en soi, mais n’appartenant pas à soi bien qu’il y demeure[3]. Alric, Furon, et Thaveau (2010) d’un « déjà-là », mis de côté par l’individu qui tente de l’oublier, quoique la menace soit persistante en permanence à l’intérieur de soi. Il suffit que des évènements « de mort » se réalisent pour réveiller cette « inquiétante étrangeté ».
La mort est également ce phénomène qui est susceptible de modifier le cours de la vie des survivants, si l’on peut dire que l’existence de la victime s’arrête définitivement à ce point de rupture. Dès lors, les caractères « inéluctable » (impossible à échapper) et « irrémédiable » de la mort (dans le sens où il n’y a pas objectivement d’issue pour tout individu ayant déjà emprunté cette voie) font en sorte que tout être humain passe par ce point une fois pour toute. On ne peut jamais en faire l’expérience véritable : c’est un point de « non-retour »[4].
Néanmoins, puisqu’il s’agit de partir vers ce grand néant, la mort reste un mystère, un « inconnu » qui hante continuellement l’humanité. Tant que la perspective d’une véritable « résurrection » n’est pas encore universellement reconnue, la mort pose toujours de nombreux questionnements, bien que la plupart d’entre eux trouvent une réponse dans la Science. Par exemple, à propos de « l’état des morts », l’on ne peut être plus objective que d’admettre que c’est le néant total, le vide absolu. Mais, l’impossibilité « d’expérimenter » la mort ouvre toujours la possibilité d’autres alternatives ; et ces perspectives sont mieux acceptées pour un individu confronté aux souffrances générées par la séparation avec un être cher. Ainsi, « l’espérance » d’une « retrouvaille » dans l’au-delà, par exemple, peut être source de consolation et être mieux assimilée que la disparition totale, pure et simple.
Enfin, puisque la mort est un évènement strictement « futur » pour soi-même, il est possible dans une certaine mesure de « s’y préparer ». Dans ce sens, il s’agit de préparation matérielle qui peut s’effectuer bien à l’avance (rentrent dans ce type de préparation le choix du lieu de sépulture, les dispositions « à cause de mort » comme le testament, les rites funéraires, etc.) ; mais aussi, de préparation nécessairement spirituelle, cette fois, se réalisant lorsque les signes de la « fin » annoncent que le « terminus » est tout proche (éventuellement comprenant « prière », « confession », etc.). Si ceux qui ont les moyens financiers peuvent s’offrir la préparation matérielle avec de plus grande aisance, tout le monde n’a pas toujours l’occasion de se préparer spirituellement à sa propre mort ; et les personnes qui entrent dans une préparation spirituelle, volontairement ou non, n’ont pas nécessairement les moyens et l’accompagnement nécessaire pour que la grande disparition qui s’approche soit vécu avec le moins de malaise que possible.
En somme, la mort est un mot encore « tabou », et il l’est encore plus qu’à l’époque des générations antérieures où ce phénomène est appréhendé avec beaucoup moins de discrétion qu’aujourd’hui. Or, plus un individu est mieux « préparé » à ce grand « départ », moins il souffrira quand l’annonce de sa mort retentit dans ses oreilles. Il est alors du ressort des acteurs pouvant jouer le rôle d’accompagnant, le psychothérapeute en l’occurrence, de chercher à briser « avec douceur » ce tabou afin d’aider le mourant à accomplir avec le moins de souffrance possible cette préparation spirituelle[5].
1.2. Détaillez vos croyances sur le sujet, parlez de vos peurs, de votre expérience, de vos émotions.
Encore personnellement, parler de la mort évoque en moi une dynamique de séparation, de disparition, et d’absence soutenues par une expérience particulière qui sous-tend les perspectives à travers lesquelles j’appréhende également le rôle d’un thérapeute auprès d’une personne en fin de vie. Auparavant (avant cette expérience unique, et encore vivante en moi ; c’est l’expérience qui vit encore et non la personne du défunt dans mon intérieur), la question de la mort n’a été pour moi qu’une réalité lointaine : lointaine car j’étais encore assez jeune, d’autant plus que les relations que j’entretenais avec les « proches » décédées n’impliquaient pas « significativement » mon « fort intérieur ». Mais, cette fois, cette expérience m’a infligé des blessures loin d’être bénignes.
Elevé dans une culture semi-chrétienne, je n’ai pas vraiment eu peur de la mort, du moins pour mon propre compte. J’ai aussi cru que c’est le cas pour ma mère qui était (et est toujours) assez pieuse. Néanmoins, le contexte est tout différent concernant mon père qui s’est déclaré athée, marxiste humaniste plus précisément. Or, la situation de mourant se jette sur ce dernier. J’évoque seulement ce contraste en termes de croyances car pour moi, à l’époque, la perte de ma mère aurait été moins pénible pour moi (et pour elle) car ayant des représentations plus positives de la mort ; tout au moins, elle est mieux préparée spirituellement (au sens de la préparation spirituelle mentionnée plus haut) que mon père. C’est là que la peur de la mort m’a saisi dans tous les sens, pour mon père bien entendu.
L’essentiel de ma peur et de mes souffrances s’installe et s’amplifie durant les quelques semaines qui suivirent l’admission de mon père au service de soins intensifs suite à un accident vasculo-cérébral (AVC) sévère (car c’est la seconde et dernière fois). En effet, je me concentrais sur les souffrances que j’estime que mon père est victime, des souffrances aussi bien physiques que psychologiques.
Désormais, comme il s’agit d’une deuxième expérience d’AVC pour mon père, la famille s’accrochait sur l’espoir d’amélioration, en se disant qu’au moins il pourra survivre même avec de grandes séquelles. Probablement, considérant cette perspective plutôt positive de la famille, l’équipe soignante a réagi en intensifiant les soins « curatifs ». Mais, cette amplification des soins n’a pas été sans coûts immenses visibles en termes de souffrance pénible pour le grand malade. Ce fut une épreuve à mon endroit qui sentait la mort toute proche, avec paradoxalement l’espoir de revoir mon père se remettre. Durant des semaines, je luttais entre ces deux perspectives en essayant de toutes mes forces de réduire autant que je pouvais la souffrance physique de mon père.
A côté de ces enjeux de la souffrance physique, il y avait aussi le tourment psychologique. Qu’est-ce qui se passe maintenant chez mon père qui est loin d’être parfait dans son foyer, qui n’a pas été très fidèle dans sa liaison conjugale, qui n’a pas suffisamment noué des relations d’attachement avec ses enfants. Se sentirait-il coupable, a-t-il besoin de nos pardons pour être en paix avec lui-même ? Qu’est-ce que je puisse faire pour réduire sa peine, que la fin soit proche ou non pour lui ? En tout cas, l’amélioration tant espérée ne s’est pas produite malgré tous nos efforts (équipe médicale et famille) ?
Environ quatre semaines après son hospitalisation, ma sœur qui est également médecin, a insisté auprès de l’équipe soignante pour que toutes les informations médicales concernant mon père nous soient révélées de manière transparente. C’est là, le premier dénouement en apprenant que la chance qu’il survive est quasiment nulle. C’est la première mort de mon père pour moi, pour la famille, une nouvelle que l’on ne révèlera jamais au mourant, celui-ci étant dans un état de conscience court et fragile. En effet, le discours était toujours axé sur le « nous allons nous battre » lorsque s’adressant à mon père, alors que la prise en charge venait juste d’entrer dans sa phase palliative.
Malgré la rupture très douloureuse pour moi que cette annonce a fait, je peux dire que c’est aussi une source de soulagement. Désormais, l’empathie et la sympathie que j’ai pour mon père dans ses souffrances rencontrent enfin une perspective d’apaisement de mes souffrances également. Je peux enfin me focaliser sur une issue.
C’est aussi l’occasion pour la famille d’entamer (déjà) son deuil, même si mon père était encore en vie. Un changement radical de paradigme s’opérait alors puisque l’ambivalence a été dissipée, et le questionnement se focalisait sur le « comment faire pour que mon père puisse partir en paix et dignement ? ». Alors, on profitait des trois dernières semaines pour la préparation spirituelle du départ de notre être cher, sans pour autant s’en préoccuper de la préparation matérielle.
Pourtant, la suite et la fin n’ont jamais été courtes et heureuses, et les souffrances n’ont pas totalement disparues, autant pour le mourant que pour nous-mêmes. Je me demande actuellement si j’ai eu la possibilité de recourir à l’euthanasie : l’aurai-je faite, la famille oserait-elle ? Il ne faut pas oublier que mon père n’a jamais été informé de sa mort certaine. Ce deuil qui vient de commencer a ainsi été très difficile pour moi.
En fait, malgré cette préparation longtemps à l’avance, le choc de l’annonce de la mort a toujours été accueilli avec de très grande détresse, surtout pour ma mère. Ce choc a ensuite considérablement bouleversé sa santé physique. Probablement, le deuil n’a été travaillé que seulement en partie avant que mon père n’a rendu son dernier souffle : ces trois dernières semaines précédant le décès étaient aussi un moment utilisé pour « réparer » les liaisons détruites durant des années, faisant en sorte que la séparation ultime devenait davantage douloureuse, jusqu’à provoquer un traumatisme aigu chez ma mère.
En conclusion, cette expérience douloureuse m’a largement façonné pour prendre conscience des besoins du mourant et de ses proches. Cela a aussi mise en évidence l’importance du basculement des soins curatifs vers les soins palliatifs. Ce fut également l’occasion d’expérimenter un deuil précoce, encore partiel, mais ayant facilité le travail du deuil dans sa plénitude. Néanmoins, le grand absent de cette expérience est bien évidemment l’occasion de parler des « mots de la mort » avec le mourant lui-même. Pourtant, cela apparait nécessaire pour compléter la préparation à la grande disparition : peut-on vraiment parler de préparation si l’on n’informe pas suffisamment le mourant de son destin ?
Question n°2. Besoin d’accompagnement du mourant
2.1. Quels sont les principaux besoins du mourant, de sa famille ?
Du point de vue objectif, en général, l’un des premiers besoins d’une personne en fin de vie est le soulagement, l’apaisement vis-à-vis de ses souffrances, notamment au niveau physique et psychologique. Sur ce point, un contraste peut être fait entre, d’une part la période moderne actuelle avec les grands progrès en médecine qui permettent de réduire largement les souffrances physiques des individus et, d’autre part, les temps anciens où cette possibilité était encore très limitée. Il faut tout de même reconnaitre que, même aujourd’hui, ces souffrances physiques pourraient ne pas être totalement éliminer. En tout cas, tant qu’il en est capable, le mourant devrait comprendre et apprécier que l’apaisement de ses souffrances physiques est un objectif principal des soins qui lui sont apportés. Désormais, la crainte du mourant se focalise souvent sur les souffrances redoutées des derniers instants de vie.
Mais, toujours, en élargissant cette comparaison inter-temporelle, il apparait que le mourant « d’aujourd’hui » a nettement besoin de soulagement pour ses souffrances psychiques. Certains auteurs, à l’instar du cardiologue Claude Bersay[6], du psychanalyste Pr Roland Gori et du psychiatre Marie-José Del Volgo[7], mettent en évidence le fait que, contrairement aux époques des générations passées, le mourant est actuellement mis de côté dans le sens de manque d’assistance, de délaissement psychologiquement. Si le mourant de jadis, en dépit de ses souffrances physiques, est mieux entouré et assisté pour se préparer « spirituellement » à sa disparition « en paix », « aujourd’hui, celui qui va mourir l’ignore. On le traite comme un enfant ; on lui cache la vérité. La famille se lasse de rendre visite à ce corps hérissé de tubes et, au cœur de la nuit, sans personne à ses côtés, il franchit le pas… »[8]. Il faut comprendre que la personne en passe de mourir connait (potentiellement ou réellement) une « crise de la fin de vie » : avec des sentiments contradictoires, des émotions (joie et peine, espérance et révolte, sérénité et angoisse, etc.), l’individu est ramené à sa propre vie et à sa propre mort. Se sentant obligé de faire le deuil de sa propre mort, le mourant a tellement besoin de « quelqu’un prêt à [l’] entendre »[9].
Parfois, la peur de mourir devient insupportable lorsque la personne mourante s’accroche à un quelconque espoir, comme le cas d’un jeune homme atteint de maladie incurable qui avait fixé un message sur son lit : « je ne veux pas mourir »[10]. C’est là que réside l’importance de la transparence quant à l’information des malades sur leurs états de santé et les potentiels d’évolution de ceux-ci. Les besoins d’un individu qui sait qu’il va mourir un jour et ceux d’un autre qui sait qu’il va rendre sa vie sous peu, peuvent être sensiblement différents sur ce plan. Il n’y a pas vraiment de « recette » sur ce point car ce sont essentiellement des besoins très subjectifs : le besoin d’être rassuré peut impliquer l’espoir pour certains, tandis que pour d’autres, cela pourrait signifier un départ en « paix ». Des patients mourants, par exemple, si terrorisés par la peur de mourir, se trouvent dans un blocage complet de la pensée et des affects[11].
Néanmoins, ce besoin d’information de la part du mourant et de ses proches constitue une problématique majeure, surtout pour l’équipe soignante. En fait, l’enjeu de l’information réside sur l’implication de celle-ci sur les perspectives d’avenir : « l’éthique psychanalytique permet au patient de tout dire et à l’analyste de ne pas chercher à rassurer précocement celui qui perçoit que rien ne pourra changer sa direction »[12]. En effet, des questionnements se pose : la mort est-il vraiment inévitable, ou existe-t-il un espoir, aussi mince soit-il ? Si cet espoir existe, mais peut-être trop faiblement objectivement, les informations annoncées ne risquent-elles pas d’éteindre cet espoir et d’aggraver l’état de santé du sujet ? Comment le malade et ses proches vont-ils prendre ces informations, car cela va leur amener à prendre des décisions capitales ? Comment annoncer ces informations pour minimiser les risques de traumatisme ?
Le mourant a aussi besoin d’assistance, d’être entouré socialement, un grand absent dans la société occidentale contemporaine. En effet, le moribond remarque le vide qui s’établit tout autour de lui au fur et à mesure que sa santé se détériore gravement. « Le grand malade est seul au monde »[13]. De temps en temps, nombreux de ceux qui ont conscience de l’imminence de leur mort souhaitent, à ce moment, « parler » de leur mort. Ils ont besoin d’être écouté. Généralement, ce sont les bien vivants qui ont peur d’en parler et non pas ceux qui savent qu’ils vont mourir très bientôt.
La psychologue Cynthia Mauro soulève les enjeux du « parler de la mort » ainsi : « La parole et le mot constituent alors un outil thérapeutique indispensable à la création de l’alliance avec le patient et la famille et s’utilisent à des fins idéalement antalgiques »[14]. En dépit de la complexité de la verbalisation de la mort, aussi bien du côté du mourant que du côté de ceux qui l’assistent, c’est à travers les mots que le grand malade puisse trouver consolation et soulagement pour ses souffrances non-physiques. En effet, la verbalisation permet de reconnaitre la souffrance vécue, de comprendre les enjeux psychiques, d’assumer une fonction cathartique auprès du mourant. En tout cas, l’utilisation des mots doit être faite avec une très grande prudence, en tenant compte de l’histoire personnelle du malade, de la situation intrafamiliale, de l’historique de la maladie, et de l’état physiologique du mourant et de ses proches. L’intervention d’un tiers (un accompagnant, en l’occurrence) ne devrait pas, pourtant, avoir lieu qu’en cas de besoin, c’est-à-dire lorsque ces personnes (le malade et ses proches) accordent un espace de parole à celui-ci, sinon il y a intrusion psychoaffective dans l’évolution du soin apporté au mourant. Entretemps, il ne faut pas oublier que ce dernier a aussi besoin d’être entendu dans son expression de souffrance intime. En fin de compte, la communication est utile pour préparer le « départ », pour se dire « au revoir »[15],
Bien qu’il est possible de parler « d’anticipation » de la mort dans le cas du mourant, le besoin d’accompagnement persiste étant donné le caractère toujours inattendu de la mort pour la personne concernée et ses proches. « L’anticipation de la mort est le propre de l’Homme, quand les animaux ne ressentent que l’absence. [Mais] le coût psychique est lourd à payer en termes d’angoisse ou de tentatives de contrôle de l’angoisse »[16]. A-t-on toujours les moyens (spirituels) pour y faire face ? En principe, la mort est quelque chose que nul ne peut faire l’expérience (en restant en vie). C’est sur les expériences faites par d’autres (qui sont d’ailleurs morts) que l’on peut s’appuyer : la mort « ne s’apprend pas, elle se vit »[17].
Ce caractère inattendu, avec la forte subjectivité de ce phénomène, fait souvent émerger des questions parmi les plus intimes et les plus existentielles pour le mourant et ses proches, et cela risque de bouleverser ces individus, jusqu’à sombrer dans un traumatisme aigu, une souffrante agonie et/ou une mort brutale. Cela montre combien celui qui est en train de s’éteindre a tellement besoin de sérénité de la part de ses entourages. Même sous le choc de la perte imminente qui les bouleverse, les proches se doit de répondre favorablement à ce besoin : le mourant est en attente que ceux-ci lui restent fidèles dans cette épreuve, de sorte que leurs dévouement, rôles, responsabilités, images, ne s’altèrent pas mais soient au moins égaux à ce qui était avant d’avoir connu la terrible nouvelle[18].
2.2. Pourquoi l’accompagnement est-il indispensable ?
Le Pr Didier de Broucker (De Broucker, 2010), en parlant de la fragilité des malades en fin de vie, explique que la notion « d’accompagnement » peut d’abord être compris par le sens étymologique de cette dernière : un champ sémantique comprenant les mots « compagnon », « partage », mais aussi, « rencontre ». Pour lui, l’accompagnement « implique la nécessité d’analyser les besoins, les désirs, les demandes du malade et ainsi cheminer avec lui en essayant de trouver les mesures et les attitudes adaptées sans jugement voire même parfois dans une stricte neutralité »[19]. Cet accompagnement concerne aussi les proches du mourant afin de les soutenir, pour éviter qu’ils sombrent dans l’isolement et l’exclusion. Godefroy Hirsch[20], de la Société Française d’Accompagnement et de soins Palliatifs (SFAP), ajoute que, dérivée de « partager le pain », l’accompagnement signifie une présence à l’autre, un accueil, une écoute. C’est aussi synonyme de respect du vécu de l’autre, de son histoire, de son cheminement : accompagner veut dire « être avec » et non pas « être à la place de ».
Désormais, la fragilité du mourant est souvent associée à une certaine vulnérabilité physique, psychique et/ou sociale. L’existence d’une maladie incurable chez cette personne est en principe la première raison de cette vulnérabilité qui se manifeste sous diverses formes : perte d’autonomie, souffrance, problèmes sociaux, handicap, etc. Ensuite, la fragilité psychique découle des sentiments très difficiles à vivre car touchant souvent la question de sens, la dépression, la peur, l’isolement, le désespoir et la mort. De plus, autant que le malade constate son état de dépendance vis-à-vis de l’équipe soignante et de ses proches, il sombre parfois dans un sentiment de culpabilité. En tout cas, cette fragilité psychique pourrait être un facteur d’aggravation secondaire de la fragilité physique du mourant.
Devant cette fragilité, l’accompagnement du malade fait face à quelques grands défis[21] :
- D’abord, il y a lieu de mettre en œuvre les moyens disponibles pour contester les souffrances physiques (alors que cela pourrait être à l’encontre des soins curatifs, ceux-ci étant alors abandonnés : voir plus bas pour les détails concernant les soins palliatifs).
- Ensuite, il faut reconnaitre que les actes médicaux ont des conséquences quelque peu incertaines, d’où la nécessité d’une certaine humilité et prudence dans les mots rassurants lancés au malade et à ses proches.
- Aussi, il ne faut pas négliger le besoin de considération et de respect de l’unité du sujet malade, c’est-à-dire de prendre en compte toutes les composantes de l’univers de cette personne.
- Enfin, la solidarité devant être témoignée envers le mourant et ses proches est nécessaires, mais cela expose l’accompagnant au risque d’être « affecté » également par la situation propre à l’individu en fin de vie.
En tout, celui qui accompagne ces personnes devrait rester proche tout en respectant leur autonomie[22]. Ainsi, un mourant est toujours un cas singulier qui demande à être appréhendé dans ses vécus subjectifs et individuels. Ce qui est nécessaire ici est alors « un accompagnement personnalisé », capable de soutenir les accompagnés (le mourant et ses proches) dans leur pudeur, leur honte, leur gêne, etc. Du coup, celui qui accompagne doit être à même de répondre positivement, autant qu’il le peut, à toute demande émanant de ses interlocuteurs[23].
Cynthia Mauro[24] rapporte quelques faits démontrant que l’accompagnement du mourant n’est point dissociable de celui de ses proches car les impacts des évènements, qui se passent autour de ce départ, sur la vie des survivants sont généralement lourds :
- Ainsi, la psychologue soulève la problématique de l’annonce de la mort d’une personne à un enfant : sans assistance d’un professionnel, les confusions sémantiques (parler d’un « départ » dans une famille dont le chef de famille exerce un métier de « routier », par exemple) dans cette annonce peuvent être génératrices d’angoisses pour l’enfant.
- Il y a aussi le cas de parents qui cherchent à cacher leur départ à leurs enfants pour ne pas les blesser : cela nécessite de travailler les représentations, demandant souvent l’intervention d’un professionnel. De manière analogue, il en est de même des problèmes de culpabilité parfois sentie par le mourant et/ou par les proches, dont la distanciation nécessite un accompagnement.
- Dès fois, les proches éprouvent de grande difficulté dans la confrontation au défunt : certains refusent de voir le corps de celui-ci, qui est en quelque sorte la preuve matérielle du caractère irréversible de la mort seulement acceptée au niveau psychique. En effet, cela constitue « une étape véritablement traumatogène lorsqu’elle n’est pas accompagnée d’une élaboration psychique»[25].
- Enfin, la psychologue évoque également la situation éprouvante que vive le mourant et ses proches, un contexte aussi traumatique, très difficile à vivre entre angoisse du départ et épuisement physique et psychique, entre deux mondes : cela va durer pour combien de temps ? Le soutien d’un accompagnant pourrait alors être plus que nécessaire durant cette période de crise.
L’importance cruciale de l’accompagnement apparait aussi lorsque vient le moment d’annoncer la mort, auprès des proches du défunt. Le Professeur de psychopathologie clinique à l’Université de Strasbourg, Marie-Frédérique Bacqué (2008), quant à lui, se penche assez longuement sur le risque de psychotraumatisme chez les proches lors de l’annonce de la mort. Une des difficultés de ce problème traumatique psychique vient du fait que la rupture temporelle qui survient dans un premier temps lors de cette annonce n’est pas nécessairement suivie de symptômes. « L’annonce de la mort ou d’une maladie grave engendre un traumatisme lorsqu’aucune distance n’existe plus entre le fait de se savoir brutalement atteint par la mort (sous forme de la perte d’un proche ou de l’atteinte par une maladie) et l’impression de se trouver en danger de mort immédiat. Cette situation doit être absolument évitée »[26].
Il faut dire que les conséquences du traumatisme peuvent être catastrophique : généralement, la scène traumatisante revient sans prévenir dans la tête du sujet souffrant, le poursuivant jour et nuit. « Il est anxieux, hyper vigilant à tous les détails qui pourraient l’inquiéter […] Il a l’impression de devenir fou, parce qu’il passe sans cesse de l’excitation liée à la peur de la répétition de l’événement, au blocage de sa vie psychique pour ne plus ressentir l’effroi. Il se désintéresse de la vie courante et finit par s’isoler des autres et du monde. Il […] ne retient plus les informations, il n’arrive plus à se concentrer ni à raisonner »[27]. L’idéal est alors d’empêcher le psychotraumatisme car ses coûts sont extrêmement élevés, avec parfois des séquelles qui auraient été évitable si les personnes concernées ont été convenablement accompagnées.
Question n°3. L’accompagnement du mourant
3.1. Peut-on autoriser quelqu’un à mourir ?
Désormais, l’euthanasie (que ce soit active ou passive) reste interdite en France[28]. C’est à la suite d’un certain nombre de demande d’euthanasie qu’a alors émergée la loi Léonetti[29], accordant au droit au « laisser mourir » à un patient à travers les soins palliatifs. Après avis collégial, accompagné de l’autorisation des proches ou du patient lui-même, ce droit consiste à appliquer un traitement antidouleur qui n’est pas destiné, a priori, à provoquer la mort : la mort peut seulement survenir en tant qu’effet secondaire du traitement palliatif. Il est à noter que 89% des français, selon un sondage BVA publié en 2014, sont favorable à la légalisation du suicide médicalement assisté pour des situations inextricables. Certains décident de partir « mourir » à l’étranger, là où la législation permet l’euthanasie, plutôt que de recourir aux soins palliatifs mis en place en France légalement depuis 2005[30].
Pour l’instant, il n’est pas question de provoquer la mort d’un patient, que ce soit par un tiers ou par le sujet lui-même. Dès fois, la scène de souffrance et l’angoisse du mourant qui perdure « trop longtemps » amène les proches à se demander : « la mort, je ne l’accepte pas, je ne peux pas l’accepter, mais pourquoi ne meurt-elle pas ? » (Parole d’un homme en train de perdre sa femme souffrante)[31]. De son côté, le mourant, quand il est en pleine conscience de ce qui lui arrive, peut être sous l’emprise de sentiments contradictoires : entre d’une part, le désir de se battre et guérir, ou du moins ne pas mourir tout de suite et, d’autre part, l’envie d’abréger ses propres souffrances et celles des autres.
Dans ce sens, pour sa part, le Dr Bert Keizer, auteur du livre Danse avec la mort. Journal d’un liaison fatale (1994), déconseille vivement de mettre « fin à la vie pour des raisons esthétiques parce que les gens autour ne peuvent pas soutenir la souffrance (…) »[32]. De plus, vouloir abréger à tout prix les souffrances du mourant, en cherchant l’application de l’euthanasie, les proches laissent souvent de côté la « dignité » de celui-ci comme l’insinue Norbert Elias : « Il n’est pas toujours très facile de montrer à des êtres qui sont en route vers la mort qu’ils n’ont pas perdu leur signification pour les autres. Quand cela arrive, quand un être en train de mourir doit éprouver le sentiment – bien qu’il soit encore en vie – qu’il ne signifie plus rien pour ceux qui l’entourent, c’est alors qu’il est vraiment solitaire »[33].
Les enjeux éthiques du droit à mourir trouvent alors peut-être une solution optimale (sans toutefois dire que c’est la meilleure pour tout le monde, étant donné qu’une mort est toujours un évènement singulier) dans les soins palliatifs.
3.2. Quelles sont les différentes étapes du deuil ?
Sigmund Freud définit le deuil comme « régulièrement la réaction à la perte d’une personne aimée ou d’une abstraction venue à sa place, comme la patrie, la liberté, un idéal, etc. »[34]. Duperey précise le sens de l’expression « faire son deuil » : « Je sais bien qu’il ne s’agit pas de renier les morts, ni même de ne plus les regretter, mais se souvenir autrement, porter en soi une douleur pacifiée. Faire la paix avec la mort. […] Il faudrait à présent qu’ils deviennent de « vrais morts qu’on appelle plus »[35]. Tout cela rime avec la conception de Lagache[36] selon laquelle le travail du deuil consiste à « tuer la mort ». En guise de synthèse, Marjorie Lombard conclut que le deuil est « un processus intrapsychique, consécutif à la perte d’un objet d’attachement, par lequel le sujet réussit progressivement à se détacher »[37].
Freud parle d’un phénomène normal, un évènement qui implique une certaine souffrance certes (deuil vient du latin dolus, signifiant chagrin, douleur), mais qui sera surmonté après quelque temps. Ce processus du deuil appelle à une transformation, nécessairement chez l’endeuillé : le problème vient de l’attachement de l’endeuillé à un être qui lui est irremplaçable, alors que le travail du deuil vise le détachement « libidinal » à cet être de façon à y permettre le réinvestissement sur un autre objet « substitutif »[38].
Il est ainsi crucial de débuter ce travail pour garantir l’absence de traumatisme chez les proches, en modifiant l’effroi déclenché par l’annonce de la mort. « L’idée donc que la mise en place du rituel mortuaire limite considérablement les effets négatifs de l’annonce doit convaincre tous les professionnels et également les proches »[39]. Cependant, il faut dire que ce travail du deuil ne va pas toujours de soi, l’entame de ce processus ne garantit pas la complication, ce n’est pas tout le monde qui sait s’y préparer[40].
Kübler-Ross[41] propose ainsi cinq étapes du deuil. Cela part de la « dénégation » durant une période plus ou moins longue où l’individu est amené à refuser la situation. Ensuite, il entre dans l’étape de la « colère » devant ce qu’il qualifie d’injustice (pourquoi moi ?). Au bout de cette étape, l’individu entame une autre, le « marchandage », qui « vise à vouloir allonger la vie par une série d’actions concrètes »[42]. L’étape suivante est la « dépression », se traduisant souvent par un retour sur le passé, ponctué parfois de regrets. Finalement, la dernière étape est « l’acceptation » qui est le dénouement du sujet vis-à-vis des évènements. Selon Kübler-Ross, ces différentes phases peuvent bien se réaliser linéairement, bien que le sujet puisse faire des retours en arrière avant de continuer jusqu’à la fin. Néanmoins, il faut admettre que l’ordre ainsi donné n’est pas immuable, d’autant plus que le travail du deuil ne doit pas enfermer le sujet dans l’un ou l’autre de ces cinq phases.
Michel Hanus[43], quant à lui, suggère un processus à quatre étapes. D’abord la « sidération » à travers notamment une sorte d’anesthésie émotionnelle. Puis, vient la phase de « recherche » caractérisée par une obnubilation, suivie de l’étape de « destruction » marquée par une culpabilité intense et des affects dépressifs, pour aboutir à la phase de « reconstruction ».
De son côté, Bacqué[44] décrit la symptomatologie de ces différentes étapes qui commence par le refus de la réalité jusqu’à l’acceptation de la perte, occasionnant un travail de réminiscence de la mort du proche. Ainsi, dès la prise de conscience de cette perte, le sujet est en état de choc, anéanti physiquement et psychiquement par la fatigue permanente. L’intensification de l’obnubilation focalisée sur le défunt empêche ce sujet de se détacher de la personne perdue. Ensuite, le sujet entre dans une forme de sidération, se manifestant par un blocage des fonctions morales et physiques ; il arrive que le sujet régresse, par exemple en recherchant le défunt à travers un attachement excessif à des objets qui symbolisent celui-ci. Après les funérailles, l’entrée dans la dépression est caractérisée par un moment de profonde tristesse. Enfin, l’on peut parler de résolution du deuil lorsque l’énergie psychique est « libérée », pouvant alors s’investir sur d’autre objet.
En somme, l’accompagnement dans le travail du deuil peut être utile si le sujet a de difficulté dans le passage d’une étape à une autre. En fait, le processus ainsi qualifié de « normal » du deuil peut se « compliquer » lorsqu’il « génère une souffrance disproportionnée en intensité et en temps ainsi que des conséquences inadéquates telle que l’absence d’un retour à une vie acceptable et équilibrée »[45].
3.3. Quelle est la différence entre soins palliatifs et soins curatifs ? quels sont les objectifs de chacun d’eux ?
Les soins curatifs se placent en amont de la limite de viabilité du patient, c’est-à-dire qu’au-delà, lorsqu’aucun traitement ne peut plus préserver son état de santé qui se détériore, se dirigeant vers une mort certaine, il y a basculement vers les soins dits palliatifs. Autrement dit, les soins curatifs se focalisent essentiellement sur les problèmes maladifs, les facteurs de détérioration de l’état de santé de l’individu, pour au moins empêcher cette mort ; la guérison est encore la première perspective a priori des interventions médicales[46]. Le champ des soins curatifs peut alors être défini à travers le concept de soins palliatifs : ces derniers « ont pour objectif de donner aux patients en fin de vie ou atteints d’affections incurables, et/ou lorsque les limites définissant une obstination déraisonnable sont atteintes, un accompagnement d’une qualité telle qu’ils ne puissent plus pour le moins se trouver en condition de devoir exprimer une demande d’euthanasie, liée à une souffrance intolérable »[47].
Plus formellement, les soins palliatifs sont « des soins actifs et continus pratiqués par une équipe interdisciplinaire en institution ou à domicile. Ils visent à soulager la douleur, à apaiser la souffrance psychique, à sauvegarder la dignité de la personne malade et à soutenir son entourage »[48]. Cette fois, l’ultime objectif est la préservation de la « qualité de vie » (et non plus l’état de santé, stricto sensu) du patient et de sa famille, lorsqu’en face d’une maladie potentiellement mortelle. Le paradigme change alors vers des soins restant continus et actifs mais se basant sur le « prendre soin ». Les principaux repères de ce type de soins sont[49] :
- Le soulagement de la douleur (nécessairement physique) en même temps que tous les autres symptômes d’inconfort, tels que les inconforts digestifs, respiratoires, neurologiques ou psychiques.
- L’apaisement de la souffrance, que ce soit physique, psychique, relationnelle/sociale et existentielle. Certes, il peut être impossible de supprimer toute souffrance, mais l’idée est d’amener « un peu de douceur » dans les derniers instants de la vie du patient.
- La sauvegarde de la dignité de la personne concernée qui se voit être un fardeau pour ses proches, qui perd les repères et les sens, qui a peur de perdre l’autonomie, dont l’image corporelle est en altération devant ses yeux, qui doute l’abandon, etc. « La démarche des soins palliatifs et de l’accompagnement cherche à redonner sa place à la personne, en mettant en avant sa parole, ses souhaits, en essayant de faciliter l’émergence d’un récit, permettant ainsi à la personne de se décaler par rapport à ce qu’elle vit, de se replacer dans son histoire de vie»[50].
- Le soutien des proches, ces gens qui sont en train de perdre un être cher. « Il y a une nécessité absolue d’accompagnement des familles, tant sur le plan social, financier, que du soutien relationnel. La mise en place d’aides dans ces différents domaines est parfois complexe, et la compétence d’une assistante sociale est précieuse»[51].
Cynthia Mauro conclut que, « à vocation médicale, éthique et sociale, les soins palliatifs prônent les fondements qualitatifs et humanisants de l’accompagnement d’un patient en fin de vie (…) »[52]. Norbert Elias[53] parle d’un travail systématique mais détaillé, scrutant les besoins du malade et en apporter les réponses ; de là, l’auteur souligne l’importance des dispositifs destinés à arracher le mourant à la solitude (mise à disposition du mourant et de ses proches d’une écoute de psychologues, par exemple)[54].
Il faut dire que les médecins ont toujours cherché à prendre en charge la douleur des mourants, au fil des siècles, mais sans véritable méthode planifiée à la demande, et cela se montre ainsi insuffisante. Du coup, lorsqu’un médecin était confronté à un cas désespéré, il ne s’attardait plus chez ce patient, d’où le sentiment d’exclusion de ce dernier. Les soins palliatifs émergent d’une idée de Cicely Saunders, une travailleuse sociale qui œuvrait à l’hospice de St Christopher de Londres, dans les années 1960. Dès cette époque, les efforts sont concentrés sur le contrôle de la douleur, le soutien psychologique, spirituel et social des patients en fin de vie. La France n’a commencé à intégrer le concept qu’au début des années 1980, puis officiellement avec l’ouverture de la première unité de soins palliatifs de l’hôpital International de l’Université de Paris, en 1987. Depuis, les soins palliatifs ont entrainé un important changement dans la philosophie de la prise en charge médicale ; ce type de soins voit alors son entrée dans les études médicales.
D’ailleurs, ces soins sont essentiellement centrés sur le malade, voire sur ses entourages[55]. Quatre valeurs peuvent alors être associées aux soins palliatifs[56] : la promotion de la qualité de vie jusqu’aux derniers souffles du mourant (à travers notamment le traitement de la douleur), une philosophie reposant sur l’interdisciplinarité (valorisant donc la collaboration de tout un ensemble d’acteurs : équipe médicale, famille et proches, travailleurs sociaux, associations, etc.), une éthique de respect et évitant l’abandon (humanisme), et un esprit de solidarité envers le malade et ses proches (accompagnement).
Il faut alors dire que les soins palliatifs dépassent les soins techniques et médicaux, car il y a lieu de prendre en charge l’angoisse et la souffrance du mourant et de ses proches. Cela va au-delà de la simple « rationalité » dans la gestion de la mort en face[57]. Les soins palliatifs permettent de nuancer la « mécanicité » de la prise en charge des patients de l’époque contemporaine[58].
Conclusion
En conclusion, l’accompagnement d’une personne en fin de vie est une question d’humanité et d’éthique. Dès lors, l’abandon des soins curatifs pour mettre en œuvre les soins palliatifs pour de telle personne démontre combien les perspectives médicales sont limitées, et l’intervention d’autres acteurs pouvant travailler en complémentarité avec l’équipe soignante afin de soulager les souffrances du malade est plus que nécessaire. Il y a lieu aussi de souligner que de tel accompagnement exige de la part de l’intervenant (le thérapeute, en l’occurrence) des compétences devant ce domaine qui révèle toujours de l’inattendu. Les expériences personnelles du thérapeute concernant la mort apparaissent très importantes, au sens de Claudie Bertrand (thérapeute auprès de Gestalt) : « Ne plus être dans l’oubli de soi. Se libérer de soi-même pour s’ouvrir à l’autre. Pouvoir être dans la présence à soi pour pouvoir être dans la présence à l’autre »[59].
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[1] Rosay-Notz, H. (2008). Des expressions de la mort… Études sur la mort(134), 71-86. doi:71-86.
[2] Bertrand, C. (2010). Quand vous me parlez de la mort dans votre vie. Gestalt(38), 61-70. Récupéré sur https://www.cairn.info/revue-gestalt-2010-2-page-61.htm, p. 62.
[3] Freud, S. (1985). L’inquiétante étrangeté. Dans L’inquiétante étrangeté et autres essais (pp. 209-263). Paris: Gallimard.
[4] Rosay-Notz, H. (2008). Op.cit.
[5] Biotti-Mache, F. (2010). Se préparer à sa mort. Études sur la mort(138), 107-124. doi:10.3917/eslm.138.0107.
[6] Bersay, C. (2008). La peur de la mort. Études sur la mort(134), 125-133. doi:10.3917/eslm.134.0125.
[7] Gori, R., & Del Volgo, M.-J. (2011). Est-ce encore rationnel de mourir aujourd’hui ? Le Carnet PSY(154), 25-27. doi:10.3917/lcp.154.0025.
[8] Bersay, C. (2008). Op.cit., p. 130.
[9] Ibid.
[10] Ibid., p. 129.
[11] Bacqué, M.-F. (2011). Existe-t-il une psychologie de la mort ? Le Carnet PSY(154), 22-24. doi:10.3917/lcp.154.0022.
[12] Ibid., p. 24.
[13] Bersay, C. (2008). Op.cit., p. 130.
[14] Mauro, C. (2008). Les mots de la mort en soins palliatifs. Partage d’expériences cliniques. Études sur la mort(134), 51-58. doi:10.3917/eslm.134.0051, p. 56.
[15] Ibid.
[16] Bacqué, M.-F. (2011). Op.cit., p. 23.
[17] Ibid.
[18] Longaker, C. (1998). Trouver l’espoir face à la mort. Paris: Edition de la Table Ronde.
[19] De Broucker, D. (2010). Fragilité des malades en fin de vie : place de l’accompagnement dans la démarche palliative. Études sur la mort(138), 13-18. doi:10.3917/eslm.138.0013, p. 16.
[20] Hirsch, G. (2010). Accompagner la fin de vie & principaux repères des soins palliatifs. Études sur la mort(138), 133-144. doi:10.3917/eslm.138.0133.
[21] De Broucker, D. (2010). Op.cit.
[22] Ibid.
[23] Mauro, C. (2008). Les mots de la mort en soins palliatifs. Partage d’expériences cliniques. Études sur la mort(134), 51-58. doi:10.3917/eslm.134.0051.
[24] Ibid.
[25] Ibid., p. 55.
[26] Bacqué, M.-F. (2008). L’annonce de la mort. Études sur la mort(134), 99-104. doi:10.3917/eslm.134.0099, pp. 100-101.
[27] Ibid., p. 101.
[28] L’euthanasie active implique l’administration d’une substance létale à un malade dans le but de provoquer sa mort, tandis que l’euthanasie active consiste en l’arrêt du traitement, de l’alimentation ou l’hydratation artificielle du patient, ou encore le fait de le plonger dans un coma, de manière à provoquer également sa mort en quelques jours.
[29] Loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie.
[30] Béraud, A.-L., & AFP. (2014, 06 26). Euthanasie, «droit à mourir» : Quelle est la situation en France ? Consulté le décembre 2017, sur 20 minutes: http://www.20minutes.fr/societe/1411399-20140626-euthanasie-droit-mourir-situation-france.
[31] Mauro, C. (2008). Op.cit., p. 55.
[32] Keizer, B. (2003). Danse avec la mort. Journal d’un liaison fatale (1994). Paris: La découverte, p. 71.
[33] Elias, N. (1982). La Solitude des mourants. Paris: Christian Bourgois, p. 44.
[34] Freud, S. (1976). Deuil et Mélancolie. Métapsychologie. Paris: Gallimard, p. 13.
[35] Duperey, A. (1995). Le voile noir. Paris: Seuil, pp. 251-253.
[36] Lagache, D. (1938). Le travail de deuil. Revue Française de Psychanalyse, 10, 693-708.
[37] Lombard, M. (2010). Du compromis au sacrifice : le concept du deuil au fil du siècle. Études sur la mort(138), 53-72. doi:10.3917/eslm.138.0053, pp. 55.
[38] Ibid.
[39] Bacqué, M.-F. (2008). L’annonce de la mort. Études sur la mort(134), 99-104. doi:10.3917/eslm.134.0099, p. 102.
[40] Hanus, M. (2002). Évolution du deuil et des pratiques funéraires. Études sur la mort(121), 63-72. doi:10.3917/eslm.121.0063.
[41] Kübler-Ross, E. (1975). Les derniers instants de la vie. Genève: Labor et Fides.
[42] Lombard, M. (2010). Op.cit., p. 60.
[43] Hanus, M. (2002). Op.cit.
[44] Bacqué, M.-F. (2007). L’un sans l’autre. Paris: Larousse.
[45] Lombard, M. (2010). Op.cit., p. 61.
[46] Goldwasser, F. (2017). Les cancers en phase chronique. Laennec, 71, 6-24. doi:0.3917/lae.171.0006.
[47] Simeoni, U. (2009). Aux limites de la viabilité : la médecine néonatale entre soins curatifs et soins palliatifs. InfoKara, 169-171. doi:10.3917/inka.094.0169, p. 171.
[48] Hirsch, G. (2010). Accompagner la fin de vie & principaux repères des soins palliatifs. Études sur la mort(138), 133-144. doi:10.3917/eslm.138.0133.
[49] Ibid.
[50] Ibid., p. 135.
[51] Ibid., p. 136.
[52] Mauro, C. (2008). Op.cit., p. 56.
[53] Elias, N. (1982). Op.cit.
[54] Higgins, R. W. (2011). Le statut « psychologique » du mourant. Le Carnet PSY(154), 37-42. doi:10.3917/lcp.154.0037.
[55] Hanus, M. (2002). Op.cit.
[56] De Broucker, D. (2010). Op.cit.
[57] Gori, R., & Del Volgo, M.-J. (2011). Op.cit.
[58] Bersay, C. (2008). Op.cit.
[59] Bertrand, C. (2010). Op.cit.
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