Étude des adaptations du roman « Scènes de la vie de bohème » : De l’opéra à la comédie musicale, La Bohème de Puccini et Rent de Jonathan Larson
1.. henry murger, une vie de bohème. 7
1.2 Le roman « Scènes de la vie de bohème ». 8
1.2.1 L’origine du roman et la bohème selon Murger 8
1.3 La réception du roman (critiques, succès) 11
1.4 Les personnages du roman : 14
1.5 Les différentes versions du roman: 15
1.6 Sens de la bohème dans le milieu artistique. 18
1.7 Qu’est-ce qu’un artiste bohème ?. 22
2.1 La bohème : un opéra en 4 tableaux. 25
2.1.1 Présentation générale de l’œuvre. 25
2.1.2 Contexte culturel (Bohème & Scapigliatura) 26
2.1.3 Puccini : Eléments biographiques. 27
2.2 L’ adaptation comme processus : des sources à la création artistique. 30
2.2.1 Scènes de la vie de bohème d’Henry Murger et la pièce de Barrière. 30
2.3 L’adaptation comme produit : l’œuvre et le sens. 38
3.1 Rent : la comédie musicale qui raconte la réalité. 48
3.1.1 Présentation générale de l’œuvre. 48
3.1.3 Jonathan Larson : Eléments biographiques. 52
3.2 L’ adaptation comme processus: des sources à la création artistique. 53
3.2.1 Puccini, Henri Murger et la vie personnelle. 53
3.2.2 La collaboration avec Billy Aronson. 54
3.2.3 From NYTW reading to Broadway premiere. 56
3.3 L’adaptation comme produit : l’œuvre et le sens. 58
En considérant les différentes définitions de la bohème, nous nous rendons compte qu’il s’agit d’un mode de vie, voulu ou non voulu, d’une étape de la vie artistique, et d’une description d’une classe sociale souvent opposée à la bourgeoisie. Au début, le terme « bohémien » désigne les Tziganes qui ont migré des Indes vers la Bohême, un pays d’Europe Centrale situé dans la République de Tchécoslovaquie.[1] Au fil du temps, le sens de ce terme a évolué. Les bohémiens sont donc un “ un groupe d’écrivains ou d’artistes jeunes et pauvres qui survivent tout juste grâce aux médiocres productions de leur esprit.[2] ”
Ces artistes sont dans la vingtaine, vivent dans la misère et n’ont pour atout que leur imagination. Ils sont capables de produire des récits ou des œuvres remarquables et finissent par se faire un nom ou une réputation grâce à cela, sans compter sur leur état financier. Les écrivains se sont longtemps intéressés aux bohémiens. Cependant, l’œuvre qui marque le plus la bohème est celle d’Henry Murger intitulée Scènes de la vie de bohème (1845-1848) parue en 1851. Dans ce roman, Henry Murger livre une définition explicite de ce qu’est la bohème : “ La Bohème, c’est le stage de la vie artistique ; c’est la préface de l’Académie, de l’Hôtel-Dieu ou de la Morgue[3] ”
D’après cette définition, la bohème est donc une étape de vie des écrivains miséreux ou misérables, une transition qui peut les conduire à la gloire ou à l’échec. Les Scènes de la vie de bohème de Murger décrivent la vie de ces artistes qui vivent dans des conditions des plus précaires, au jour le jour, et parfois de manière insouciante de par leur jeunesse, à Paris. Elles ont inspiré de nombreux artistes qui en ont fait diverses adaptations. Parmi ces dernières, nous retrouvons La Bohème (1896) de Giacomo Puccini, un opéra qui raconte l’histoire d’amour impossible entre un poète idéaliste du nom de Rodolfo et une phtisique nommée Mimi vivant tous deux à Paris.
Rent (1996), est une comédie musicale également inspirée des Scènes de la vie de bohème de Murger. C’est en me renseignant sur Puccini et La Bohème que j’ai appris l’existence de cette dernière. Les critiques sur La Bohème parlent d’une comédie musicale américaine adaptée de cette dernière qui a connu un franc succès. La curiosité m’ayant emporté, j’ai décidé de regarder Rent sur DVD afin d ‘en avoir un aperçu et d’en savoir un peu plus. Toutefois, mes impressions n’ont pas vraiment rejoint celles des critiques que j’ai lues étant donné que j’ai trouvé plus de similitudes entre la comédie et le roman de Murger qu’entre celle-ci et l’opéra de Puccini. De là, l’idée d’analyser La Bohème et Rent en tant qu’adaptations des Scènes a germé en moi. En effet, aucune analyse de Rent en tant qu’adaptation du roman de Murger et non de l’opéra de Puccini n’existe, du moins à ma connaissance et d’après les recherches que j’ai réalisées en vue de mener à bien ce travail. Ma contribution s’inscrit donc dans une initiative personnelle qui, je l’espère, apportera des idées nouvelles sur les adaptations des Scènes de Murger.
Dans la comédie musicale Rent où toutes les paroles sont chantées, Jonathan Larson met en scène la vie d’un groupe d’amis artistes vivant à New York, dans les années 1990. Ces derniers, comme les personnages de Murger ou de Puccini, vivent dans la pauvreté et essaient de survivre dans un monde miséreux où la maladie règne.
Notre mémoire est une étude de ces deux adaptations, en partant de l’œuvre originale de Murger qui a servi de source d’inspiration, et s’intitule « Du récit à l’opéra jusqu’à la comédie musicale. Etude des adaptations du roman « Scènes de la vie de bohème » d’Henry Murger : « la Bohème » de Giacomo Puccini et « Rent » de Jonathan Larson. » En effet, on remarque des similitudes sur divers plans ainsi que des différences entre ces deux adaptations, ainsi qu’entre ces dernières et l’œuvre originale de Murger. Quelles sont les ressemblances et les différences entre ces deux adaptations sur le plan de l’histoire, des personnages et des idées qui ressortent des œuvres et quelles en sont les raisons en fonction du médium utilisé, des cultures des deux pays, du moment historique, du climat culturel et du message que l’auteur de l’adaptation a voulu transmettre ? Afin de répondre à cette problématique, nous allons subdiviser notre travail en trois chapitres distincts.
Le premier chapitre est un prélude à notre travail et s’intitule « Henry Murger, une vie de bohème ». On y retrouve une brève biographie de l’auteur, une description du roman Scènes de la vie de bohème, une exposition de la réception du roman à sa parution, une présentation de ses personnages ainsi que des différentes versions qui en ont été tirées et une définition de la bohème dans le milieu artistique et l’explication de ce qu’est un artiste bohème. Le second chapitre est consacré à « La Bohème de Puccini ». Elle commence par une présentation de l’opéra en tant qu’opéra en quatre tableaux, suivie de l’adaptation comme processus et de celle-ci comme produit. Le dernier chapitre concerne Rent. On y parle de Rent comme comédie musicale qui raconte la réalité et comme dans le chapitre précédent, nous étudions également l’adaptation de cette œuvre en tant que processus et produit.
1 henry murger, une vie de bohème
1.1 Biographie de l’auteur
La vie d’Henry Murger elle-même reflète la bohème. Henry Murger est né à Paris le 24 Mars 1822 dans une maison située dans la rue Saint-Georges. Ses parents étaient les concierges de la maison d’un bourgeois parisien. Plus tard, ces derniers sont cruellement renvoyés par leur patron, mais guidés par leur bonne étoile, ils ont l’occasion de créer un atelier de tailleur et donc de travailler à leur compte. Henry Murger passe une assez grande partie de son enfance dans cette maison située rue des Trois-Frères entourée de personnalités importantes dont le peintre Isabey et Monsieur de Jouy de l’Académie Française. Il a pu suivre des cours dans une école élémentaire jusqu’à treize ans. Sa faiblesse en orthographe le fait sortir des bancs de l’école pour être un « petit clerc » auprès d’un avoué de M. Cadet de Chambine. En 1838, soit trois années plus tard, il occupe le poste de secrétaire intime du compte Tolstoy (surveillant politique du czar et correspondant officiel avec le prince Ouwaroff) afin de transcrire ses dépêches durant un certain temps. Retiré de son travail à cause de son intelligence, il décide de consacrer son temps au travail de rimes et à lire les poésies de Victor Hugo.[4]
Ne disposant d’aucun moyen financier, c’est dans une totale pauvreté qu’il vit sa passion pour l’art et qu’il va vivre pour de vrai une vie de bohème, une vie où les peintres et les musiciens sont représentés misérablement et où ils ne vont jamais pouvoir s’imposer, et non pas la vie de bohème riche de projets réalisés concrètement dont fait part Borel, Gautier ou encore Nerval. C’est de ce mode de vie assez triste que naît son ouvrage Scènes de la vie de bohème, publié par le Corsaire en 1848. Ce dernier connaît un succès triomphal prolongé par une adaptation aux Variétés le 22 novembre 1849.
La vision de la bohème par Murger est reflétée par une vie de grandes misères et de joies infimes. Il est également à l’origine des ouvrages : Le Pays latin, Scènes de la vie de jeunesse (1851), Scènes de campagne (1854), Les Buveurs d’eau (1855). Mais ces derniers ne connurent pas le même succès triomphal que Scènes de la vie de bohème.[5] Henry Murger mourut en 1861.
1.2 Le roman « Scènes de la vie de bohème »
1.2.1 L’origine du roman et la bohème selon Murger
Nous avons découvert au cours des quelques lignes qui décrivent la vie de Henry Murger que l’ouvrage Scènes de la vie de bohème découle de la vie menée par l’auteur lui-même, mais aussi de sa vision propre de ce que signifient les mots « vie de bohème ». Dans son récit, il raconte la manière dont il conçoit la vie de bohème et fait alors allusion à trois types de bohèmes : la bohème ignorée, les amateurs et la vraie bohème.
Il est primordial de passer par une explication courte et concise de ces trois types de la conception de la vie de bohème pour pouvoir comprendre d’une manière simple et directe la signification propre du mot selon le point de vue de Murger.
La bohème ignorée renferme en elle les artistes qui sont pauvres et cruellement condamnés à être dans l’ombre, inconnus de tous et du grand public en raison de leur incapacité ou de leur ignorance à trouver un moyen de se faire connaître et de partager leurs arts. Ce sont des gens pour qui l’art est resté sur son statut en tant que foi et non en tant que métier. Ces gens vivent totalement pour la beauté des œuvres établies sans se soucier de l’auteur de ses dernières. Ainsi, émane en eux une joie inconsidérée à la vue d’un chef-d’œuvre et leur cœur palpite à la simple vue de tout ce qui est beau sans avoir à en connaître l’origine. Cet esprit de bohème se rencontre surtout chez les jeunes gens qui ont pour principe de croire que lorsque une œuvre est faite, il reste juste à attendre que les gens l’aiment et que la fortune frappe à la porte par la suite. Ils sont inconscients de la vie pratique et vivent d’espérance.
La bohème dont nous parlons ici est également une facette qui montre à quel point certains artistes peuvent être changés dans l’art. Ils accumulent à la lettre les symboles du dithyrambe académique : ils attendent qu’on vienne les trouver dans l’ombre. Peu nombreux, ce type de personnes existe quand même. On les appelle « Les disciples de l’art pour l’art », ils ont pour devise de s’entraider entre eux étant donné que personne d’autre ne le fera et attendent que le succès vienne orner leurs vies. Certains d’entre eux trouvent donc une légère joie à vivre dans la misère car pour eux, tout ce qui est relié à la vie moderne et réelle est signe de bourgeoisie. Cette bohème là est une bohème marginale qui vit à l’écart de tous. Il s’agit d’un mode de vie sombre et sévère auquel ils adhèrent passivement jusqu’à ce que la mort vienne les chercher (les artistes de la bohème ignorée meurt souvent jeunes dû au mode de vie drastique qu’ils adoptent).[6]Ils vivent inconnus du monde qui les entoure et meurent également dans cette existence tenue secrète.
Le récit de Murger montre également que la bohème ignorée représente aussi des gens qui vivent de fantaisie pour ensuite vivre dans une tromperie volontaire ou provoquée par les gens de leur entourage. Cela signifie qu’il prennent le fruit de leur imagination comme une vocation à vivre dans le quotidien, ils s’aperçoivent au final qu’il ne s’agit que de chimères et finissent par mourir dans cette fausse idée qu’ils véhiculent.
Pour renforcer la vision de cette vie de bohème ignorée, nous empruntons l’affirmation d’Axione qui dit que » La Bohème ignorée n’est pas un chemin, c’est un cul-de-sac« .[7]En d’autres termes, c’est une manière de vivre qui ne mène à rien. Le bon de la vie devient mauvais, l’intelligence se meurt dans les principes absurdes de marginalisation, l’air frais de la vie devient une zone où l’asphyxie se fait sentir en permanence, asphyxié par l’envie de misère et de torture et par la volonté de ne pas s’ouvrir au changement.
La bohème amateur est surtout une nouvelle route prise par des gens qui se sont levés un beau matin et qui ont pris la décision de ne pas vivre dans la routine et de faire des choses sortant de l’ordinaire. Ce sont ces gens qui ont décidé de bouleverser leur quotidien pour pouvoir vivre une aventure en sautant dans le vide qu’est la spirale de la vie. Souvent, vivre de cette manière est une décision prise par les personnes qui ont une vie ou une carrière toute tracée et qui souhaitent vivre la vie différemment.
Mais souvent, étant habitués à une vie différente de la bohème, même les plus motivés ne résistent pas longtemps et finissent par revenir à leur ancienne vie. La seule différence est qu’au lieu d’avoir l’avenir honorable normalement prévu, ils finissent par avoir une vie humble et tranquille et se fondre dans la masse.[8] Les plus faibles, c’est-à-dire ceux qui n’ont pas su vivre cette bohème et qui sont entrés en conflit avec leur famille pour adhérer à ce mode de vie connaissent une vie solitaire et une mort des plus silencieuses et inconnus des leurs.
La vraie bohème, comparé aux deux autres types de bohèmes, est la facette de la vie de bohème qui remplit parfaitement les critères définissant le terme et c’est ce troisième type de bohème qui est réellement détaillé dans l’ouvrage de Murger. Les gens de ce monde vivent de misère et de doute mais qui ont toutefois la tête sur les épaules et érigent entre tout cela un chemin orné de buts atteignables et faisables. En effet, les vrais bohémiens sont à la fois marginaux mais réalistes. Ils savent se mettre en valeur dans la société en exprimant leur personnalité et en faisant part au grand public de leurs œuvres pour pouvoir en tirer avantage convenablement. Pour ce faire, ils y mettent de leur effort.
L’idéologie véhiculée par ceux qui vivent les deux premiers types de bohème que nous avons présentés s’y retrouve mais sous une juste mesure. Nous pouvons voir dans la vie de ces artistes la misère qu’ils s’infligent, le doute qui plane sur leur vie mais aussi le résultat de leur imagination traduit comme il se doit et connu de tous, tant dans le domaine de la littérature que dans celui de l’art. Et c’est justement là que se trouve la grande différence entre es trois types de bohème. La bohème de Murger, contrairement aux deux autres, est connue et appréciée par l’entourage. C’est ce mode de vie que Murger décrit et transmet dans son roman Scènes de la vie de bohème. Il ne veut pas seulement montrer comment était sa vie, il veut aussi donner une définition de ce que peut être une vie de bohème.
Vivre avec cette façon d’être et de penser ne nécessite pas pour autant d’être dans une souffrance profonde. En effet, Murger démontre ans son roman que les bohémiens sont des gens qui osent affronter la misère et qui vivent avec le doute tout en réalisant leurs fantaisies. Ils savent se mélanger à la bourgeoisie tout comme ils savent s’abstenir d’être en contact avec ces elle.
1.2.2 Le type de roman
L’origine du mot roman provient de l’imaginaire qui s’y trouve. Généralement, tout ce qui y est raconté découle de l’imagination de l’auteur.[9] Par la suite, il en va de ce dernier de mettre dans sa narration des éléments réels ou dont il est lui-même un personnage.
Le roman de Murger peut être considéré comme un roman picaresque dans la mesure où le personnage principal rencontre différents types d’aventures durant un long voyage. Le voyage de Murger dans le récit peut se traduire par son envie incontournable à vouloir maîtriser la littérature et son domaine, lui qui était faible en orthographe alors que ce dernier est la base même de l’art littéraire. En effet, il a du faire un parcours assez long avant de pouvoir avoir le titre d’auteur qu’il voulait et qu’il a su obtenir.
Nous pouvons également affirmer que cette œuvre peut être considéré comme un roman psychologique. Il représente avec des détails bien spécifiques les émotions et l’évolution spécifiques des héros. Nous pouvons voir comment les acteurs présentés sous leur aspect démuni évoluent dans le livre de Murger.
Mais le roman de Murger est avant tout un roman réaliste, une sorte d’autobiographie. L’auteur y décrit la réalité, sa réalité. Il s’st inspiré de sa propre vie, de sa propre histoire et de sa propre misère. Il a couché sur papier une réalité qui le concerne et concerne ses proches, ses amis. Il y réalise également une opposition de classe sociale dans un Paris des temps ancien qui persiste encore aujourd’hui : bohème versus bourgeoisie.
1.3 La réception du roman (critiques, succès)
1.3.1 Le succès du roman
Le roman a connu un franc succès, d’où les différentes interprétations de celui-ci au fil des années. En effet, le livre véhicule un vent de liberté et de marginalisation qui a été accueilli à bras ouverts par beaucoup de personnes. Nous pouvons voir dans le roman de Murger l’enchaînement des idées véhiculées par les gens qui mènent la vie de bohème mêlant à la fois insouciance et doute. Ce dernier nous permet de tirer plusieurs leçons telles la capacité à vivre par les moyens mis à notre disposition à un moment quelconque, la capacité de pouvoir s’unir à un monde différent tout comme celle de pouvoir rester en dehors de ce dernier si besoin est et si on le veut.
Son succès repose également sur les tumultueuses aventures de l’auteur durant sa tendre enfance. Nous pouvons voir dans le livre une partie où il raconte son aventure avec une jeune fille. Nous entendons par aventure les différents feuilletons qui ont décoré la vie de l’acteur principal durant la période où il a connu et vécu avec le personnage féminin mentionné dans son récit[10].
La joie de vivre transmise dans le récit permet aux lecteurs de s’évader durant la lecture. Entre autres, nous avons pu constater plusieurs lignes qui font allusion à cette idéologie : avoir la faim au ventre et être quand même heureux ou encore être mis à la porte brutalement et s’en sortir dans la vie grâce à sa bonne étoile.
Scènes de la vie de bohème a fait du chemin depuis ses débuts de publication dans le Corsaire-Satan (1845-1849). Les feuilletons diffusés ont touché un nombre considérable de gens, les feuilletons deviennent un incontournable de la Comédie-Française. De cette gloire découle la notoriété de l’auteur qui voit sa condition de vie de bohème améliorée. Edité en 1851 par la maison Michel Levy, le roman Scènes de la vie de bohème a connu un franc succès en séduisant le lectorat, les rééditions répétées du livre en 1890 en sont la preuve.[11]Le succès fut tel que même la parution d’une contrefaçon belge de celui-ci a été découverte. D’ailleurs, lorsque la Bohème de Puccini est mise en avant dans les affiches, le nom de Murger lui est toujours associé.
Même actuellement, lorsque le mot bohème est prononcé, le monde littéraire ne peut s’empêcher de faire référence au nom de l’auteur et à son roman qui a su décrire d’une manière simple et harmonieuse la signification d’une vie de bohème. Il a su imposer sa propre vision de la vie de bohème ( une vision basée sur des faits ayant déjà existé auparavant).[12]
De l’autre côté de l’Atlantique, par exemple, la bohème représentée par le théâtre de Murger et de Barrière continue de fasciner. C’est le cas des publics de Montréal en 1900. La presse libérale canadienne, elle, aime les spectacles du type bohème tant qu’ils véhiculent des valeurs morales et qu’ils permettent d’affirmer les valeurs de la bourgeoisie. [13]
1.3.2 Les critiques
Murger a écrit les feuilletons de Scènes de la vie de bohème lorsqu’il n’était qu’un jeune homme à peine sorti de l’adolescence. Connu pour ses maladresses en orthographe à l’école, son livre n’a pas manqué d’être le témoin de cette faiblesse. Jugé comme un livre manquant cruellement d’imagination, il est considéré comme un récit qui narre la vie de l’auteur embelli par quelques poésies. Cela signifie que rien n’a été inventé, la lecture du roman ne réveille pas l’esprit de surprise face à l’imagination de l’écrivain car tout tient du réel, un réel qui n’a pas été cherché bien loin tant il reflète le quotidien de Murger.
Le fait que les personnages principaux soient des connaissances de Murger est un autre facteur rendant le livre peu crédible. Etant des personnages connus, leurs traits de caractères ne sont pas nouveaux au public. Lorsque l’auteur leur attribue des qualités et traits qu’ils n’ont pas, cela éveille l’esprit critique par rapport aux raisons qui l’ont poussé à donner une image faussée des acteurs principaux.[14] Ici, le réalisme du roman joue en défaveur de celui-ci.
Une des idées véhiculées par la vie de bohème repose sur la liberté sexuelle. D »ailleurs, nous pouvons voir clairement ce reflet de liberté dans la partie où Murger raconte une période de sa vie passée avec une jeune fille en particulier. Cette idéologie a fait monter en flèche le taux d’union libre.[15] Elle a été mal accueillie par une France encore pudique qui ne fait pas librement état de sa liberté sexuelle.
Mais d’un point de vue objectif, la critique la plus solide sur le roman de Murger résulte de l’attitude des personnages à vivre « en quarantaine », en marge, par rapport à la société à laquelle ils appartenaient. Marginaux par principe, le fait d’être en discorde avec la famille reste souvent l’une des raisons pour laquelle ils sont souvent critiqués. Considérés comme des gens qui se croient supérieurs ou qui se montrent fortement indépendants, ils poussent souvent les gens à avoir une vision négative de la vie de bohème.[16] En même temps, ils sont un peu précurseurs d’une façon de penser libre et en contradiction avec la bourgeoisie. En effet, il devient systématique, en pensant à la bohème, de l’opposer à la bourgeoisie. Quand on pense aux bohémiens, on pense systématiquement aux gens pauvres et démunis qui vivent en marge de la société et qui s’opposent à la bourgeoisie dont les conditions de vie sont différentes et nettement meilleure que les leurs.
Cela nous amène à penser, d’une certaine manière, que les bourgeois auraient pu durement critiquer la vie de Bohème des personnages de Murger qui font l’étalage de leur misère. D’un autre côté, un véritable mouvement social s’est fondé autour de la Bohème de Murger : celui des bohémiens amateurs, des artistes qui se sont découverts un penchant pour cette bohème libératrice de la bourgeoisie et qui ont décidé de s’essayer à la sédentarité de la vie de Bohème. La Bohème, d’une certaine manière, est donc considérée comme une insurrection, comme une révolte contre la bourgeoisie, surtout si l’on considère les artistes bohémiens amateurs qui ont trouvé en la Bohème une façon de contourner la bourgeoisie et de goûter en quelque sorte au fruit défendu qu’est la misère pour les bourgeois.
1.4 Les personnages du roman :
Comme nous l’avons précédemment stipulé, les Scènes de la vie de Bohème de Murger retracent l’histoire réelle, presque très peu modifiée, de Murger et de ses amis. Ainsi, la personnalité ou encore les carrières des personnages du récit ne sont pas éloignés de ceux des amis de l’auteur dans la réalité. Les personnages du roman que nous allons vous présenter brièvement ci-dessous ont, en 1845, entre vingt et trente ans.
– Henry Murger : Le personnage principal de l’ouvrage, il y raconte sa vie de Bohème. Artiste pauvre , il y décrit les différentes étapes qui ont fait de sa vie celle qu’elle est. Murger est incarné dans le roman par le poète Rodolphe, le personnage principal de ce dernier.
– Alexandre Schanne : Né en 1828 en France, Alexandre Schanne est un artiste pauvre et un fabricant de jouet vivant à Paris, connu dans le récit de Murger sous le nom de Schaunard. Artiste de son plein gré, il devient fabricant de jouet pour succéder à son père à sa mort. Le roman veut qu’il soit en quelque sorte considéré comme la personne de qui découle la profession de designer. Etant à la tête de son entreprise de construction de jouet, il avait pour tâches de concevoir et de dessiner les jouets. L’histoire de Schaunard est traduite comme celle d’un garçon qui avait la possibilité d’avoir un avenir honorable mais dont les circonstances ont fait de lui une personnalité enfouie dans la vie de Bohème : il a eu la possibilité de faire des études mais ses parents l’en ont empêché faute de pouvoir faire de même pour ses frères. Murger use du personnage de Schaunard pour faire refléter dans son roman cette vie de bohème d’un artiste figé dans le rôle d’un constructeur de jouet.[17] Il lui offre la possibilité d’être le musicien Schaunard en raison de leur amitié
– François Tabar : Il s’agit d’un peintre français né à Paris en 1818. Tabar décide de se spécialiser dans les tableaux historiques et prend l’initiative d’exposer ses œuvres au salon de 1859 durant lequel il se fait remarquer par Baudelaire. Il est également l’auteur de Le Supplice de Brunehaut ou encore d’Épisode de la campagne d’Égypte. En tout, il a réalisé sept tableaux de son vivant. Il est mort en 1869 à Argenteuil. De par sa carrière de peintre, Murger lui a attribué le rôle du peintre Marcel dans le roman.[18]
– Joseph Desbrosses : Connu dans le roman sous le nom du » sculpteur Jacques », Desbrosses est un sculpteur né en France dans les années 1819. Il est considéré comme le représentant de la bohème parisienne. Il est mort durant sa jeunesse à l’hôpital. Cette situation a fait que ses œuvres n’ont pas pu être analysées comme il se doit mais en tant qu’ami de Murger, il s’est vu attribuer un rôle dans son récit : celui d’un sculpteur.[19]
– Charles Barbara : Ecrivain aux origines françaises né à Orléans en 1817, Charles Barbara étudie au lycée Louis-Le-Grand à Paris puis devient répétiteur au collège de Nantua pour ensuite devenir précepteur au sein de la famille d’Edouard Drouyn de Lhuys. Peu connu pour son propre parcours professionnel, il se fait surtout connaître pour son rôle dans le roman de Murger en tant que Carolus Barbemuche. Il est également l’ami de Tabar et de Schanne et était en contact avec Baudelaire, Naudar et Champfleury tout comme l’était Murger.
– Jean Wallon : Connu principalement pour ses talents d’écrivain, il est à la fois philosophe et théologien catholique,. Il est né à Laon en 1817 et a également passé ses années de lycée au sein de l’établissement Louis-Le-Grand à Paris. Champfleury l’intègre à la vie de Bohème dans laquelle il fait la connaissance de Murger. Dans le roman de ce dernier, il incarne Colline, un personnage très instruit et doté d’une intelligence hors norme qui représente la théologie dans la vie de Bohème conçue par l’auteur. D’ailleurs, il est plus connu pour son rôle dans le livre que par son parcours individuel. Il est mort à Paris en 1882.[20]
1.5 Les différentes versions du roman:
Le roman de Henry Murger a su capter l’attention du monde littéraire. Nombreuses sont les personnalités qui ont félicité son travail, d’autres ont tout simplement pris la décision de reprendre son œuvre et de l’adapter selon leur idéologie comme c’est le cas pour Puccini et Larson.
Les Scènes de la vie de bohème ont marqué la littérature bohémienne si bien qu’elles ont fait l’objet de nombreuses adaptations allant du cinéma à la musique. La première adaptation connue est celle de Giacomo Puccini en 1896 : La Bohème. Il s’agit d’un opéra qui raconte l’amour entre Rodolfo et Mimi, tous deux locataires d’un immeuble miteux à Paris, en 1830, et qui finissent par s’aimer éperdument. Leur amour est mis à l’épreuve par leur vie d’artistes pauvres, par la maladie et la mort.
Un an plus tard paraît La Bohème[21] de Ruggero Leoncavallo. Il s’agit également d’une adaptation sous forme d’opéra du roman de Murger. Leoncavallo est un écrivain né à Naples en 1857. Bien avant la réalisation de cette adaptation, Puccini et Leoncavallo sont entrés en conflit car ils ont tous deux eu l’idée de reprendre l’œuvre de Murger à l’opéra. La scène se compose de quatre actes et le livret comprend deux musiques dont la Valse de Musette et La Bohème. Il est incontestable, d’un point de vue objectif, que l’adaptation de Puccini a eu plus de succès pour de multiples raisons dont la conception de la musique qui est décevante dans certaines scènes de La Bohème de Leoncavallo.
La troisième adaptation du roman de Murger est un film muet intitulé Bohème réalisé par King Vidor. Il s’est servi et du roman de Murger et de l’opéra de Puccini comme sources d’inspiration. [22] Classé dans la catégorie dramatique, le film retrace la célèbre histoire d’amour entre Mimi et Rodolphe. Elle met également en avant la vie de Bohème vécue par les acteurs principaux au sein du Quartier latin de Paris. Etant resté fidèle au roman et à l’opéra, le film débute un jour d’hiver de l’année 1830 et finit avec la mort tragique de Mimi après ses retrouvailles avec son compagnon Rodolphe. Le film dure 95 minutes et est sorti en 1926 en collaboration avec Metro-Goldwin-Mayer Distributing Corporation.
Parmi les différentes versions du roman de Murger, Mimi de Gertrude Lawrence est une des plus controversées. Ce film sorti en 1935 raconte la vie d’une jeune fille vivant dans la pauvreté qui tombe amoureuse d’un écrivain vivant lui aussi dans la misère. Celle-ci meurt après l’avoir encouragé dans son métier. Dans cette adaptation, les personnages principaux portent toujours les mêmes noms que ceux dans le roman de Murger. L’intrigue du roman est également gardée. Ainsi, Mimi et Rodolfo vivent d’un amour empreint de misère et de maladie.
Avant sa parution, Mimi a d’abord été visionné par le personnel du PCA à New York. Il a fait l’objet de nombreuses objections étant donné qu’aucune coupure dans les scènes ne pouvait le rendre acceptable. Ainsi, sa sortie a été refusée et controversée. Ce film a été jugé comme étant immoral et prône, selon Joseph I. Breen du PCA, un amour illicite tout en rendant le mal attrayant et présentable. Malgré un rejet notoire, il a fini par être diffusé en novembre 1935, bien qu’il figure dans les films interdits aux Etats-Unis.[23]
Un autre film adapté des Scènes de la vie de bohème sort en France en 1945. La vie de bohème de Marcel l’Herbier est tiré du roman de Murger, il relate la vie de quatre jeunes dans le Quartier latin de Paris et la manière dont ils allient difficulté financière et bonheur quotidien. Pour rester fidèle au roman qui en est la source, les personnages ont gardé les mêmes noms que ceux que Murger a choisis pour son livre : Mimi, Rodolphe, Colline, Musette, Schaunard et Marcel.[24]
La vie de bohème de Dave Burell [25] est une version musicale tirée des Scènes de la vie de bohème. Musicien dans la catégorie jazz, Burell reprend le roman phare de Murger pour l’adapter à sa manière tout en le respectant. Il possède 40 enregistrements et la vie de bohème en fait partie.
En 1992, un autre film tiré du roman de Murger sort. Intitulé La vie de bohème, ce film franco-finlandais réalisé par Aki Kaurismäki reprend l’intrigue des Scènes de la vie de bohème ainsi que ses personnages principaux. Ainsi, l’amour, l’amitié et la pauvreté sont des thèmes récurrents dans ce film. L’histoire se passe à Paris et met en scène la vie d’artistes pauvres : Rodolfo, un peintre albanais qui n’a pas de permis de séjour, Marcel, un écrivain français ainsi que Schaunard, un compositeur d’origine irlandaise. Le hasard les fait se rencontrer et devenir de grands amis. Rodolfo tombe également amoureux de Mimi dans l’histoire.
Enfin, Rent, la comédie musicale de Jonathan Larson adaptée du roman de Murger paraît en 1996. L’histoire ainsi que les personnages sont semblables à ceux des autres versions susmentionnées. Le récit concerne un groupe d’amis artistes pauvres vivant dans la misère. C’est au niveau de la localisation qu’on retrouve un écart entre cette version et les autres puisque l’histoire se passe à New York et non à Paris. Pour résumer, Roger et Mimi sont voisins de palier et s’aiment. Après une séparation de plusieurs mois, ils se retrouvent et leur amour fait triompher Mimi de la maladie.
Nous voyons, à travers l’existence de ces différentes versions, que le roman Scènes de la vie de bohème d’Henry Murger a touché énormément de gens, surtout des artistes. Toutes ces versions reprennent les thèmes principaux du roman de Murger
1.6 Sens de la bohème dans le milieu artistique
Avant de dresser le portrait de la bohème dans le milieu artistique, il convient de définir ce terme et d’en réaliser un bref historique.
Nathalie Heinich, une sociologue de renom, définit la bohème comme étant « une solution aux problèmes divers qu’éprouvent ‘dans le réel’ les artistes au moment où, par la loi de finances du 1er brumaire an VII, ils acquièrent le droit de pratiquer leur art hors des corporations[26]« . Ainsi, la bohème représente donc un acte de liberté, l’artiste bohémien est celui qui se libère de l’affranchissement et trace sa propre route, réalise un art personnel et voulu, comme il le souhaite sans contraintes et surtout sans obéir à un code de groupe quelconque.
Dans ce sens, il adopte un mode de vie tombé dans l’excentrisme et part à la conquête de la gloire par son propre moyen. L’artiste bohémien est un artiste en quête de prestige et qui œuvre par ses propres moyens, de manière indépendante, pour y parvenir. Dans sa quête, son parcours est semé d’embûches.
Heinich continue en affirmant que « la bohème n’est pas réductible à une conjoncture sociohistorique ou à l’évolution du statut d’artiste. Elle est le lieu de fantasmes et l’objet de fictions, au travers desquels se perçoivent les représentations idéalisées et les valeurs partagées par la communauté artiste, lesquelles, en bout de ligne, fondent le statut d’artiste, créent des vocations et forgent le réel. Autrement dit, on ne peut parler de bohème sans tenir compte des faits, des valeur véhiculées par les fictions (la singularité, la pauvreté, la vocation…) et de leur charge symbolique. »
Jerrold Seigel parle des facettes culturelles, sociales, politiques et morales de la bohème. Il dénie l’opposition entre bohème et bourgeoisie en prenant comme exemple les artistes bourgeois qui décident de leur plein gré de vivre pauvrement dans la bohème. Ainsi, il prouve que de nombreux bohémiens dits « officiels » étaient, au départ, des fils de bourgeois séduits par la bohème pour des raisons morales et sociales.
La bohème représente un mode de vie modeste, voire même pauvre, dans lequel on se complaît par fierté, indépendance ou choix. La vie de bohème se passe généralement à Paris, notamment dans le Quartier latin (Murger), à Montmartre, à la Brasserie des Martyrs ou au Boulevard des Italiens. Dans ces endroits, ceux qui vivent de la bohème consomment sans tomber dans l’excès, travaillent en s’amusant et vivent modestement tout en se permettant quelques amusements. Il s’agit donc, en quelque sorte, d’une pauvreté heureuse qui ne se résigne pas à la complainte mais se réjouit du peu que l’on possède.
Glinoer (2009) dresse le portrait typique du bohème et de la vie de bohème en leur conférant une personnalité volatile qui aime l’orgie en termes de plaisirs personnels de la vie. Pour ce faire, il emprunte une définition du bohème donnée par Jerrold (1991) : « Costume étrange, cheveux longs, existence au jour le jour, absence de domicile fixe, liberté sexuelle, enthousiasmes politiques extrémistes, penchant pour la boisson, pour la drogue, peu de goût pour le travail régulier, beaucoup pour la vie nocturne.[27] »
La bohème est associée à ce mode de vie distrait et sans souci. Brissette et Glinoer (2010) complètent cette définition en ajoutant que l’individu vivant dans la bohème a « une tête chevelue, un habit qui en a vu d’autres, les doigts tachés d’encre ou de tabac, le verbe leste, une existence au jour le jour, l’amour de l’Art, des grisettes ou des groupies, la haine du travail réglé et quotidien…[28] » En somme, il s’agit d’un individu ou d’un mode de vie volage proche du « hakuna matata« , c’est-à-dire du « sans souci ».
Cependant, ce serait une erreur de penser que le bohémien ou l’artiste bohémien est un être inoffensif qui vit humblement. En effet, ce portrait véhiculé par Murger et Puccini profite de la vie tandis que la bohème vue par d’autres auteurs tels que Marx, Vallès ou Mirabeau est une bohème dangereuse et hétéroclite qui dépasse le simple champ de l’art et de la littérature. Ces auteurs la dépeignent comme un monde dans lequel les actes de banditisme, l’instabilité ou encore l’égoïsme sont fréquents.
La bohème n’est pas définissable sur le plan chronologique. Cependant, la bohème fait partie intégrante de l’art et de la littérature du XIX et du XXe siècles. Glinoer (2009) parle d’une bohème empreinte d’orgie, notamment en termes de consommation d’alcool. Cette consommation ne se fait pas en solitaire mais dans un contexte social, dans un esprit festif[29]. Cette orgie alcoolique constitue une échappatoire à son pauvre quotidien, elle s’accompagne de consommation de nourriture presque à volonté. L’artiste bohème consomme donc sans faire attention à sa misère.
D’un point de vue historique, les « Bohémiens » ( également appelés les « Tziganes, les Egyptiens, les Gitans) sont arrivés en France au XVIe siècle. Les artistes peintres ou dessinateurs commencent à les remarquer et à leur prêter attention au XVIIe siècle, notamment aux diseuses de bonne aventure et aux cortèges de misère qui font partie de leur culture.[30] La littérature française, elle, s’imprègne de la bohème vers le XIXe siècle. Baudelaire est un des tous premiers à écrire un poème sur les Bohémiens intitulé « Bohémiens en voyage ».
Déjà en 1873, le Dictionnaire Littré définissait la Bohème ou le Bohémien comme suit: « Par extension, vagabond, qui est de mœurs déréglées. Mener la vie de Bohème ». « Vie de bohème » : avec trente ou quarante ans de recul, le dictionnaire enregistre l’apparition à Paris, au Quartier Latin précisément, de groupes de jeunes artistes (nous dirions aujourd’hui des « bandes »), écrivains, peintres, musiciens…, méconnus et donc souvent désargentés, avides de nouveauté et adeptes forcenés de l’anticonformisme. « Mœurs déréglées » : Gérard de Nerval jette l’argent par les fenêtres ; Baudelaire dilapide une partie de son héritage en quelques mois, s’installe dans un hôtel particulier de l’île Saint-Louis, mène une existence fantasque de dandy… [31]
Le Bohémien type est donc désordonné que ce soit dans sa façon de vivre ou dans sa personnalité. De nos jours, l’Académie française réalise une distinction entre la Bohême et bohème, deux homonymes. Bohême est un terme représentant une région d’Europe centrale, plus particulièrement le centre politique de la Tchécoslovaquie. La bohème d’où sont issus les bohémiens est considérée comme un groupe d’écrivains ou d’artistes jeunes et pauvres dont la survivance ne dépend que de leurs maigres productions.[32] Ce sont les habitants de la Bohême que l’on appelle Les bohèmes. Le bohème, lui, est un membre de la Bohème.
La perception du bohémien a évolué au fil du temps. Au début, on associait le bohémien à un vaurien sans morale et particulièrement pauvre qui passait son temps à être heureux sans se soucier de sa condition miséreuse. Plus tard, le bohémien prend un caractère trompeur, voire même criminel. Au final, la bohème représente des individus indifférents aux valeurs matérielles et qui ne semblent pas vouloir gérer leur temps. Dans Scènes de la vie de bohème, Murger qualifie les bohèmes comme étant des rêveurs qui dépensent leur temps sans compter, comme s’ils étaient éternels. Ils sont gais, insouciants et vivent au jour le jour.[33]
Comme le montre Honoré de Balzac, la bohème a un temps et un âge : » La bohème se compose de jeunes gens, tous âgés de plus de vingt ans, mais qui n’en ont pas trente, tous hommes de génie en leur genre, peu connus encore, mais qui se feront connaître, et qui seront alors des gens fort distingués…Tous les genres de capacité, d’esprit, y sont représentés…[34] »
Ces jeunes gens sont souvent en proie aux questionnements existentiels qui les conduisent à prendre des décisions impulsives. Ils ont peur d’être emprisonnés dans l’ennui d’une vie bien rangée et prévisible. Ils n’aiment pas la quiétude et souhaitent plutôt l’imprévu. Ils sont, en quelque sorte, téméraires. C’est dans ce sens que la bohème est perçue comme un simple passage de la vie qui mène généralement de la jeunesse à l’âge adulte. Les jeunes étudiants sont donc passibles d’être attirés passagèrement par la bohème. Elle devient une étape de leur vie qui les conduit de leur jeunesse à leur vie d’adulte.
Le renoncement à la routine et à la quiétude pour la bohème relève d’un sentiment individuel, d’une volonté de liberté et d’indépendance. Les bohèmes ont énormément d’amour-propre et n’aiment pas être promus à un destin trop banal. Ils aiment sortir du cadre, raison pour laquelle on a tendance à les qualifier de marginaux. Les bohèmes troquent le confort et la richesse contre une liberté individuelle. Dans ce contexte de liberté, on note un penchant pour la liberté sexuelle[35] de la part des bohèmes. C’est à cause de cela que ce mode de vie est souvent jugé immoral.
La bohème ne serait pas ce qu’elle est sans la ville de Paris qui en est la patrie, bien qu’elle soit répandue partout dans le monde. Elle est née aux alentours de l’époque postnapoléonienne. Dans un contexte historique, la bohème est associée à l’opposition contre Napoléon. Ses membres sont contre l’adoration de ce roi et étaient des jeunes opposés aux aïeux. L’antagonisme est le propre de la bohème : les jeunes bohèmes étaient contre Napoléon, puis contre les vieux, ensuite contre le cléricalisme et de nombreuses idéologies véhiculées par les aïeux.
La bohème s’épanouit dans un Etat faible. Elle est dépourvue de considération pour les valeurs éthiques et sociales. La bohème a touché de nombreux pays tels que l’Allemagne où elle est apparue à peu près en même temps qu’en France; et l’Angleterre où elle ne s’est pas du tout épanouie du fait de la mauvaise considération que les mœurs anglaises ont de la vie libre contraire au puritanisme. Bien qu’elle soit caricaturée, la bohème n’est pas vraiment un mauvais mode de vie, bien qu’elle ne soit pas un bon mode de vie non plus. Les auteurs s’accordent surtout à dire qu’elle représente une étape vers une vie meilleure : « La bohème serait ainsi le stade du recueillement et de la préparation à une existence rangée, voire à une position dans la vie respectable et assurée.[36]« Et c’est le cas pour des auteurs tels que Murger qui sont passés à un meilleur stade de leur vie et ont acquis plus de notoriété après être passés par la bohème.
1.7 Qu’est-ce qu’un artiste bohème ?
Un artiste bohème est avant tout quelqu’un qui possède un mode de vie détaché de la normalité de la société, fixé par la jeunesse ( la vingtaine), l’amitié, l’amour libre, sans lieu de résidence fixe (en déplacement fréquent). C’est donc un artiste qui mène une vie insouciante.
Nous avons l’image de cet artiste bohème décrit comme une personne qui ne court pas après la richesse mais qui est plutôt orientée vers tout ce qui touche à l’intelligence humaine et le monde divin. C’est pour cette raison que les artistes bohémiens vivent à l’écart de la société et que le monde se met à parler de personnalité marginale, souvent incomprise ou mal comprise de leur entourage mais pourtant connue et appréciée pour cette personnalité hors du commun.[37]
En nous appuyant sur les bases de ce qu’est la bohème, nous pouvons également dire qu’un artiste bohème est un artiste qui vit à Paris, car il est dit que la bohème ne peut se faire qu’à Paris. De plus, il se doit d’être jeune, c’est-à-dire dans la vingtaine et pas plus de la trentaine, autrement, la figure que nous avons pu voir des artistes bohèmes ne serait pas tangible et validée.[38]
Cependant, nous pouvons également revoir les principes de Murger et réaffirmer qu’un artiste ne peut vivre une vie de bohème s’il n’est pas à la fois marginal, connu et auteur de diverses œuvres à son nom.
1.8 Conclusions
Dans cette première partie de notre travail, nous avons vu que la bohème est avant tout un mode de vie ancré dans le social. Certains la considèrent comme la psychologie du pauvre et l’assimilent même au banditisme, d’autres, comme Murger, sont moins sévères envers elle et la considèrent tout bonnement comme un esprit volatile qui aime jouir de la vie malgré la misère. La bohème existe depuis l’époque postnapoléonienne à Paris, mais c’est l’œuvre de Murger, Scènes de la vie de bohème, qui a marqué la littérature bohème du XIXe siècle. Son succès et sa notoriété ont été tels que le roman a donné naissance à diverses adaptations allant de l’opéra à la comédie musicale pour finir à l’album jazz et aux différents films.
Nous allons, à partir du second chapitre de notre mémoire, parler de ces adaptations, notamment de deux versions du roman de Murger qui ont largement marqué les esprits : La Bohème, un opéra de Puccini, et Rent, une comédie musicale de Larson.
2 la bohème de Puccini
Avant d’entrer dans le vif du sujet, attardons-nous quelques instants sur le sens de l’adaptation. En effet, il faut savoir que de nos jours, aucune œuvre n’est réellement originale. Les histoires et récits, qu’ils soient fantastiques, tragiques, romantiques etc. sont tirés d’autres histoires. Ce fait est surtout rencontré dans la culture occidentale qui tend à adapter de nombreuses œuvres occidentales ou non.
Les adaptations sont considérées comme des créations secondaires aux œuvres originales. Hutcheon (2011) affirme que de nombreux auteurs tels que Priscilla Galloway, un auteur spécialisé dans l’adaptation de récits historiques et mythiques pour enfants et jeunes adultes, considèrent l’adaptation comme un moyen de préserver les histoires qui gagnent à être connues.[39]
Les essais de définition du terme adaptation sont nombreux et différents les uns des autres. Certains auteurs tels que Ladmiral (1994) l’assimilent à la traduction : « L’adaptation désigne au moins un procédé de traduction qu’elle n’en indique les limites : c’est la cas limite, pessimiste, de la quasi-intraduisibilité, là où la réalité à laquelle se réfère le message source n’existe pas pour la culture cible.[40] »
En effet, on peut considérer comme une adaptation une œuvre dans une langue bien définie qui a été traduite, fidèlement ou non, dans une toute autre langue. Mais dans le cadre de notre mémoire, la définition la plus appropriée à l’adaptation est celle de Melon (2002) :
L’adaptation est une pratique de transposition d’une œuvre (texte ou image) d’un mode d’expression vers un autre. (…) L’usage courant emploie cependant ‘adaptation’ pour désigner plus spécifiquement la transposition d’un texte littéraire en un spectacle (cinéma, télévision et théâtre ou opéra lorsqu’il s’agit de textes qui ne relèvent pas de ces genres)… (…) l’adaptation n’est pas seulement une appropriation d’un texte source. Elle est une transposition, un transfert d’une forme artistique vers une autre (…)[41]
Dans notre cas, La Bohème de Puccini et Rent de Larson sont deux adaptations sous forme de transposition du roman d’Henry Murger vers deux formes artistiques entièrement différentes de celle initiale : l’opéra et la comédie musicale. Au final, l’adaptation est la transposition d’une œuvre connue[42], une sorte d’interprétation. Comme toute œuvre produite, une adaptation peut obtenir un franc succès et même dépasser celui de l’ouvre de laquelle elle a été tirée ou, au contraire, passer inaperçue face à celle-ci. Les critiques, en général, font toujours référence à l’œuvre d’origine. Il arrive même que les adaptations soient plus connues et plus appréciées, à court ou à long terme, que l’œuvre originale.
2.1 La bohème : un opéra en 4 tableaux
2.1.1 Présentation générale de l’œuvre
La Bohème de Puccini est une des toutes premières adaptations des Scènes de la vie de bohème d’Henry Murger. Il s’agit d’une adaptation musicale sous forme d’opéra. En Europe, au terme du XIXe siècle, l’opéra a connu un grand épanouissement représenté par sa diversification. En effet, de nombreux courants esthétiques apparaissent et entrent en opposition ou se combinent (romantisme, naturalisme…). L’usage du leitmotiv, comme on le voit chez Giacomo Puccini, devient courant. Il garantit l’unité musicale et permet aux artistes d’insuffler cette atmosphère musicale qu’ils prônent.[43]
Puccini a donc choisi l’opéra pour adapter le roman de Murger. Cet opéra s’illustre en quatre tableaux joués sur un livret en italien de Giuseppe Giacosa et Luigi Illica. La source d’inspiration de Puccini est le roman de Murger complété par son adaptation théâtrale intitulée La vie de Bohème. C’est à Milan que se fait la création de La Bohème, plus précisément au Teatro Regio, le 1er février 1896. Arturo Toscanini en est le chef d’orchestre. Le livret se compose de quatre tableaux dépeignant un épisode de la vie de quatre jeunes amis et artistes. Tous les quatre vivent à Paris dans les années 1830.
Comme dans les Scènes de la vie de bohème de Murger, La Bohème de Puccini est basée sur l’histoire d’amour impossible de Mimi et Rodolfo. Leur maison se situe dans le Quartier latin marqué par la misère.
2.1.2 Contexte culturel (Bohème & Scapigliatura)
Après l’avènement de la Bohème à Paris, elle se répand partout, surtout à Milan où des artistes dans la fleur de l’âge se mettent à copier la bohème française dans un mouvement appelé « Scapigliatura »[44]. La Scapigliatura est la version italienne de la bohème. Ce mouvement s’épanouit en Italie du Nord de 1860 à 1880. Les bohémiens ou Scapigliati sont influencés par les Scènes de la vie de bohème de Murger ainsi que par des auteurs vivant dans la bohème et inspirés par ce mode de vie et cette littérature tels que Baudelaire. La Bohème et la Scapigliatura présentent des similitudes prouvant que le mouvement italien s’est essentiellement inspiré de la bohème française. Ainsi, les Scapigliati sont des artistes hors caste qui ne se conforment ni aux valeurs ni aux éthiques et n’appartiennent à aucune école ni classe sociale. Ces êtres épris de liberté sont l’essence même de la Scapigliatura qui s’oppose aux valeurs, romantisme et mœurs traditionnels véhiculés par la bourgeoisie.
C’est au café Momus[45] que se rencontrent la Bohème artistique et littéraire (Chateaubriand, Baudelaire…) ainsi que les journalistes. Il se situe au rez-de-chaussée du Journal des débats, au 17 rue des Prêtres, près de Saint-Germain-L’auxerrois[46]. Les personnages des Scènes de la vie de bohème s’y retrouvent de temps en temps. Comme nous l’avons vu dans la première partie du mémoire, Murger s’est inspiré de la vie réelle pour la création de ses personnages (Marcel, Rodolphe, Schaunard ainsi que Colline) ainsi que leurs histoires. Leur nom a été quelque peu modifié, notamment la terminaison, pour pouvoir s’inscrire dans le ton bohème, à l’instar de Schanne qui est devenu Schaunard, la terminaison « ard » représentant l’idéologie Bohème.
La Bohème et la Scapigliatura s’inspirent du Naturalisme qui est un courant littéraire apparu au terme du XIXe siècle et qui consiste en l’introduction de la méthodologie des sciences humaines et sociales dans les écrits. On le remarque notamment dans le roman de Murger qui dépeint la Bohème que l’on pourrait assimiler à une classe sociale à part entière. Ces courants littéraires sont également assimilés au vérisme. Dans le cas du livret de Giacosa et d’Illica, deux critères du vérisme y sont insufflés :
– le réalisme est mis en avant, le fantastique et le légendaire n’ont pas leur place dans le récit qui est plus proche de la réalité et pourrait donc refléter le quotidien de tout un chacun
– les personnages de l’histoire sont de condition modeste
Cela est également perceptible dans Les scènes de la vie de Bohème de Murger. La dernière condition du vérisme ne s’applique pas aux œuvres de Puccini et de Murger étant donné qu’ils ne dénoncent et ne calomnient pas la condition humaine. Au contraire, ils prônent plutôt le mode de vie insouciant et libre des jeunes bohèmes.
2.1.3 Puccini : Eléments biographiques
C’est à Lucca en Toscane que Giacomo Puccini voit le jour en 1858. Il descend d’une génération d’organistes. Toutefois, il ne suivra pas cette voie tracée par sa famille, bien qu’il ait décidé d’être soprano à la maîtrise de San Martino et d’étudier l’orgue et la composition. Pour Puccini, devenir compositeur d’opéra devient une évidence après qu’il ait assisté à une représentation d’Aïda à Pise en 1876. Il se met donc à composer des opéras dont Le Villi, son tout premier opéra, qu’il présentera lors d’un concours de composition en 1882. Bien qu’elle soit d’une grande originalité, cette composition ne connaîtra pas la gloire contrairement à Manon Lescaut, son opéra composé en 1893, qui le rendra célèbre.[47]
Trois ans après Manon Lescaut, il crée La Bohème à Turin avec Toscanini. Bien que l’enthousiasme ne l’accueille pas lors de sa première représentation, La bohème deviendra pourtant célèbre dans le monde entier. Il en sera de même pour Tosca, sa composition de 1900. Tout comme Murger, Puccini connaît une vie de bohème, bien que les circonstances ne soient pas les mêmes pour les deux auteurs. La bohème de Puccini prend la forme de la Scapigliatura également appelée la ligue des « Echevelés » ou des « Hirsutes ». Cette ligue est formée par divers jeunes artistes musiciens, peintres et écrivains et se distingue par son anticonformisme.
Durant sa vie, Puccini a connu deux types de bohème. La première se passe à Milan, durant sa jeunesse d’étudiant, et est caractérisée par le froid et le manque d’argent. La seconde bohème est la bohème artistique qui représente les années durant lesquelles il a produit La Bohème à Torre delLago, une petite ville donnant sur le lac Massaciuccoli, proche de la mer en Toscane[48]
Girardi (1995), dans le chapitre IV intitulé La poetica realtà della Bohème de L’arte internazionale di un musicista italiano[49], évoque la vie de bohème de Puccini à Milan et à Torre del Lago. Elle y raconte comment Puccini, bien qu’étant hébergé par son oncle, pouvait être à court d’argent dans sa chambre d’étudiant au conservatoire de Milan (1880-1883). Girardi a retranscrit une part de la fameuse lettre de Puccini adressée à son oncle Nicolao Ceru qui est millionnaire et dans laquelle il se plaint de la froideur de sa chambre et de la nécessité d’acheter un poêle à feu. Pour cela, il demande à son oncle d’augmenter le peu d’argent dont il dispose. Voici un extrait de cette lettre écrite en décembre 1882, citée par Jean Cabourg dans Avant-Scène La Bohème (p. 101) : » Ma chambre est très, très froide et il me faudrait un peu de feu. Je n’ai pas d’argent ; […] il me faudrait quelque chose pour m’acheter un de ces poêles à charbon peu coûteux…[50] »
Ce chapitre de l’ouvrage de Girardi (1995) raconte également la vie de Puccini à Torre delLago, là où sa bohème artistique se passe. Il met en exergue le fait que contrairement à Leoncavallo, Puccini n’a pas besoin de se trouver en France, ville de naissance de la bohème artistique, pour s’imprégner de l’atmosphère bohémienne et trouver son inspiration. Il a composé La Bohème dans son chalet sur les rives du lac Massaciuccoli qui finira, plus tard, par devenir son repaire secret lorsqu’il sera submergé par le succès. Torre del Lago aura une influence considérable sur la composition de son opéra, et cela même jusque dans les caractères des personnages. En effet, il s’inspirera de l’histoire d’amour de son ami Francesco Fanelli, un peintre qui a vécu à Torre avec une jeune veuve avec laquelle il se disputait constamment pour les personnages de Marcello et de Musette et leur histoire d’amour tumultueuse.
Puccini a composé La Bohème de manière exigeante, aidé par Giacosa et Illica. Il procède à l’orchestration du tout premier tableau de l’opéra à Torre del Lago le 21 janvier 1895. Minutieux, il s’attèle à sa tâche avec acharnement et ne s’autorise que de rares instants de plaisir tels qu’aller à la chasse une fois avec le comte Grinori.[51]
Pour Puccini, la bohème, sur le plan artistique, est un choix puisqu’il décide de rejoindre de son plein gré la Scapigliatura. Pour Murger, en revanche, c’est la misère qu’il vit qui le force à vivre de la bohème dans ses débuts en tant qu’artiste. S’il a été faible en orthographe à l’école et si la misère l’a poursuivi, Puccini, lui, a été hébergé par son oncle et ne connaît pas vraiment la faim. Il peut même se permettre quelques plaisirs tels que le fait d’assister de manière régulière à différents spectacles. Il vit librement et dans une grande désinvolture. Cependant, Puccini connaît quand même des périodes de manque d’argent comme en témoigne la lettre que nous avons montrée plus tôt. Le froid est également une part inoubliable de la vie de Puccini qu’il intègrera partout dans son opéra. On le retrouvera dans chaque tableau de La Bohème. De nombreuses références au froid composent les tableaux de l’opéra (« ho un freddo cane » signifiant « je crève de froid » ou « Che gelida manina » signifiant « quelles petites mains gelées » dans le premier tableau intitulé « La mansarde« ). Au final, la bohème puccinienne n’est donc pas relative au destin, mais plutôt à un choix artistique. Elle se manifeste par l’amour de la liberté que le compositeur ressent dans son acte de création.
Nous pouvons émettre l’hypothèse que Puccini rejoint la Scapigliatura, la bohème italienne, par amour pour l’anticonformisme dont il fait preuve depuis sa jeunesse. En effet, si toute sa famille, depuis des générations, a étudié la musique dans les « hauts lieux académiques » de Bologne et de Naples, Puccini, lui, décide d’étudier exclusivement ce que l’on considérait à l’époque comme « le plus clinquant, profane voire suspect de tous les genres : l’opéra[52] » au conservatoire de Milan en 1880.
La Scapigliatura marquera la vie de cet artiste. Bien que cette bohème restera de passage dans sa vie, elle se reflètera toujours dans son comportement, surtout en termes de composition. En effet, Puccini se montrera toujours très indépendant et voudra toujours corriger lui-même et imposer ses goûts durant la composition de ses œuvres. La bohème puccinienne se manifeste également par une vie sentimentale volage et passagère marquée par le passage d’une aventure à une autre et la relation qu’il entretient avec une femme mariée.
2.2 L’ adaptation comme processus : des sources à la création artistique
2.2.1 Scènes de la vie de bohème d’Henry Murger et la pièce de Barrière
Les Scènes de la vie de Bohème ont été initialement publiézs en tant que feuilletons dans le Corsaire entre 1845 et 1848. En 1849, Murger et Barrière créent une pièce de théâtre issue de ces feuilletonq intitulée La Vie de bohème. Ce théâtre est accueilli avec des éloges au Théâtre des Variétés et donne suite à un roman édité par Michel Lévy en 1851. Ce roman propulse la bohème au-devant de la scène artistique et relate la vie de jeunes artistes vivant à Paris dans les années 1830.
Le succès du roman de Murger dépasse la France et arrive en Italie où les compositeurs commencent à s’intéresser à l’œuvre et à émettre des projets d’adaptation. Parmi ces derniers, Leoncavallo et Puccini ont tous les deux, à la même époque, décidé de composer un opéra basé sur le roman de Murger. Leoncavallo, tout comme Puccini, use de la traduction italienne du livre qui arrive en Italie en 1872 et paraît chez Sonzogno cette même année et crée un opéra qui sera plus connu que celui de Puccini à ses débuts. Toutefois, celui-ci tombera vite dans l’oubli au profit de celui de Puccini qui restera célèbre longtemps. Une rivalité s’installe entre les deux compositeurs qui ont pourtant collaboré dans la création et la composition de Manon Lescaut trois ans plus tôt. Des similitudes et des écarts sont notés dans les deux opéras. Girardi (1995) évoque cette querelle entre les deux compositeurs à laquelle Puccini a mis fin en affirmant que Leoncavallo pouvait écrire son opéra, lui aussi écrirait le sien et au final, c’est le public qui déciderait.[53]
Puccini, un fervent admirateur de la bohème, voit dans le roman de Murger une occasion de créer un opéra qui véhiculerait l’anticonformisme auquel il est habitué. Cet ouvrage qui a permis à la carrière de Murger de démarrer devient la source d’inspiration de Puccini. Il aurait pu se servir de la pièce de théâtre de cinq actes de Murger et Barrière comme source d’inspiration, mais celle-ci était protégée par des droits d’auteur, contrairement au roman. Le roman devient donc la source officielle de l’opéra. Giacosa et Illica en parlent avant chaque tableau en insérant au début une citation tirée des Scènes. Ils le soulignent également dans la préface du livret tout en expliquant la technique qu’ils ont utilisée pour l’écriture de ce dernier :
Gli autori del presente libretto, meglio che seguire a passo a passo il libro di Murger (anche per ragioni di opportunità teatrali e soprattutto musicali), hanno voluto ispirarsi alla sua essenza racchiusa in questa mirabile perfezione.
Se stettero fedeli ai caratteri dei personaggi, se furono a volte quasi meticolosi nel riprodurre certi particolari ambienti, se nello svolgimento scenico si attennero al fare del Murger suddividendo il libretto in «quadri ben distinti», negli episodi drammatici e comici essi vollero procedere con quell’ampia libertà che – a torto o a ragione – stimarono necessaria alla interpretazione scenica del libro più libero, forse, della moderna letteratura.
Chi può non confondere nel delicato profilo di una sola donna quelli di Mimì e di Francine? Chi quando legge delle «manine» di Mimì più «bianche di quelle della dea dell’ozio», non pensa al manicotto di Francine?
Gli autori stimarono di dover rilevare una tale identità di caratteri. Parve ad essi che quelle due gaie, delicate ed infelici creature rappresentassero nella commedia della Bohème un solo personaggi cui si potrebbe benissimo, in luogo dei nomi di Mimì e Francine, dare quello di: Ideale. [54]
Comme son titre l’indique, le roman de Murger présente des « scènes » de la vie de jeunes artistes bohèmes, ce qui explique l’incohérence et le manque de suite logique dans l’écriture du livre. Le lecteur doit parfois faire preuve d’imagination pour relier certaines scènes à d’autres. C’est Puccini, dans son adaptation, qui apporte de la cohérence, du sens et de la consistance dans ce « fouillis » qu’est la création artistique des Scènes par Murger[55]. Puccini fait revivre le roman de Murger et le fait découvrir sous un aspect plus esthétique et artistique, tout en respectant quand même l’intrigue chaotique de la vie des jeunes artistes que Murger veut montrer dans son roman.
2.2.2 Les librettistes
La composition de La Bohème de Puccini est une collaboration entre le compositeur et deux librettistes du nom de Luigi Illica (1957-1919) et de Giuseppe Giacosa (1847-1906). Illica est un dramaturge polémiste tandis que Giacosa est un écrivain de renom à la tête d’un groupe d’écrivains naturalistes. Ils sont connus pour avoir écrit divers livrets d’opéras de Puccini : Manon Lescaut (1839), La Bohème (1896), Tosca (1900) et Madame Butterfly (1904). Le choix de Murger pour ces deux librettistes s’explique par leur talent indéniable. D’un côté, Illica excelle dans l’invention de scénarios et la dramaturgie et d’un autre, Giacosa s’impose comme un expert en écriture poétique.
La collaboration entre les deux librettistes et Puccini sur l’opéra dure deux ans. C’est Illica qui réalise une première trame de l’opéra en 1893 et la soumet à Giacosa. Cette dernière reste proche du roman de Murger. La coopération entre les trois artistes reste tendue. Les désaccords sont fréquents étant donné la nature exigeante de Puccini ainsi que les divergences exprimées par Illica. Ricordi, un conseiller artistique et payeur, apaise les tensions entre les trois artistes et les dirige dans cette collaboration. Il joue le rôle de médiateur afin de permettre l’aboutissement de cette adaptation collective des Scènes de Murger.
L’indépendance et le caractère exigeant de Puccini compliquent la tâche des librettistes. Ils ont du mal à créer une œuvre qui puisse les satisfaire en raison des exigences excessives ainsi que du perfectionnisme affichés par Puccini. Les librettistes finissent par se décourager comme le montre la correspondance entre Giacosa et Ricordi en 1893. Giacosa y décrit sa lassitude et son envie d’abandonner face à la complexité de sa tâche: « J’abandonne. Je vous envoie ce que je pense valable et j’arrête. Je vous avoue que je n’en peux plus.[56] » Il a fallu près d’un an, du 21 janvier au 10 décembre 1895, pour rédiger les quatre tableaux de La Bohème de Puccini. Cette rédaction a duré plus longtemps que la composition de la musique de l’opéra. Quant à la création du texte, elle a pris deux ans aux librettistes. Durant leur collaboration, Puccini a demandé à plusieurs reprises à ce qu’ils opèrent des réécritures et à des modifications, quitte à remanier quatre fois, intégralement, le dernier tableau de l’opéra.[57]
2.2.3 L’écriture du livret
Le manque de cohésion est une des critiques reçues par l’œuvre de Murger, qu’il s’agisse des feuilletons, du théâtre ou du roman. Le roman est particulièrement marqué par cette incohérence que Puccini s’efforce de corriger dans son opéra. Les épisodes qui se succèdent dans Les Scènes de Murger est une succession d’épisodes qui ne sont pas correctement liés entre eux. Le rôle de Giacosa et d’Illica est de trouver cette cohésion, d’opérer une liaison entre les scènes et d’en faire une œuvre dramatique. C’est surtout la recherche de cette cohésion qui a rendu difficile la contribution des deux librettistes.
En effet, on note un manque d’intrigue concrète dans Les Scènes. Comme le titre l’indique, le roman de Murger présente des scènes de la vie de bohème. On y retrouve des thématiques telles que l’amour, l’amourette passionnée, la naissance de celle-ci et sa fin prématurée. L’histoire se passe de Noël au printemps 1830. Giacosa et Illica puisent leur inspiration dans ce roman pour écrire les livrets de La Bohème. Illica est chargé de l’architecture du livret tandis que Giacosa s’occupe de la rédaction du texte, de la réalisation des vers et du choix des mots à utiliser. Puccini joue le rôle de « vérificateur » puisque rien ne se fait sans son accord. Il est à l’origine des modifications et des remaniements sur le livret, et il se montre particulièrement difficile à satisfaire.
Dans l’acte d’adaptation, il est intéressant de voir comment Giacosa et Illica ont opéré afin de rendre La Bohème plus cohérente. Ils ont travaillé cinq éléments essentiels de l’opéra afin de lui donner plus de cohésion par rapport au roman dont il est tiré :
- le ton
- le dénouement
- l’unité de temps
- les personnages
- les sentiments des personnages
Etudions de plus près ces éléments qui ont servi à l’écriture du livret par les deux librettistes. Giacosa et Illica ont modifié le ton que Murger a utilisé en le maintenant toujours fantasque et pittoresque, tout en y ajoutant plus de nuances. Ce n’est que dans les scènes les plus tragiques, notamment dans le 3e et le 4e tableau, que ce style pittoresque n’est plus maintenu. Ils ont tenu à mettre de l’équilibre dans le livret en nuançant style noble et lexique familier dans des vers très souples. Puccini, lui, utilise un registre de langue sur l’autre, s’exprime dans la fantaisie dans une phrase et passe ensuite au pathétique tout en restant dans l’élégance.
Quant au dénouement, celui de La Bohème diffère sensiblement de celui de Murger. En effet, à la fin des Scènes, nous voyons Rodolphe et Marcel sur le point de réussir dans leur vie d’adultes tandis que la fin de La Bohème est plus tragique car elle met en scène le décès de Mimi dans la mansarde. Pour Murger, l’unité de temps importe plus étant donné la périodicité du récit. Pour les librettistes, en revanche, les personnages n’étaient pas obligés de « durer » comme chez Murger. Si le roman initial montre un dénouement classique qui se résume à la résolution des problèmes des personnages et à leur passage vers une meilleure vie, le livret des librettistes montre plutôt une fatalité : celle de la mort qui suit les conditions de vie misérables des personnages.
En abordant la question des personnages, ceux de La Bohème ont été plus réduits par rapport à ceux des Scènes. Ainsi, le livret est constitué de quatre personnages principaux dont deux couples : celui de Rodolphe et Mimi et celui de Marcel et Musette. La Bohème se concentre essentiellement sur le tragique de l’histoire ainsi que sur la vie de Rodolphe et Mimi. Les changements au niveau des personnages que ce soit en termes de nombre ou de condition sont très palpables. Quelques personnages secondaires des Scènes ont été gardés dans La Bohème (le propriétaire, Schaunard et Colline). Cependant, le caractère psychologique des personnages se trouve modifié étant donné leur nombre réduit des personnages et parce que le livret ne peut pas faire autrement. On note donc que Mimi est touchée par la phtisie dans La Bohème alors que c’est Francine qui contracte cette maladie dans les Scènes. Si le personnage de Francine n’existe pas dans La Bohème, on peut supposer qu’il a été incarné par Mimi, ce qui fait d’elle une combinaison des personnages de Mimi et de Francine de Murger à la fois. En outre, le réalisme est plus visible dans La Bohème, de par la maladie de Mimi.
Enfin, en termes de sentiments des personnages, on note une absence de romantisme. Si d’habitude, on ne montre pas à l’opéra comment les personnages se rencontrent et quand leur histoire d’amour commence, les librettistes font fi de cette constatation en mettant en œuvre la rencontre entre Rodolphe et Mimi et la manière dont ils tombent amoureux. En même temps, l’absence de romantisme est mise en avant par le fait que l’histoire ne se termine pas comme un conte de fée, mais plutôt dans un réalisme absolu. On voit donc un couple qui brave la misère, vit de conditions très modestes, marqué par la maladie et qui, au final, est séparé par la mort. La menace d’une fin tragique au bonheur plane sur les personnages de La Bohème. Le bonheur précaire et passager est le thème principal de l’opéra.[58]
Comme nous l’avons précédemment évoqué, la collaboration entre Giacosa, Illica et Puccini a été pénible. Vers la fin de la rédaction du livret, Giacosa a failli abandonner face aux diverses contraintes relatives à son écriture, au manque de temps et aux exigences trop marquées de Puccini. Ricordi dissuade Giacosa de le faire et continue à jouer le rôle de médiateur et d’intermédiaire en vue d’apaiser la tension régnant entre les trois artistes.
En outre, comme la préface du livret le suggère plus haut, il a été difficile pour les librettistes de respecter la structure en forme de scènes et d’épisodes du roman, surtout étant donné la nature musicale de l’adaptation de Puccini. C’est Murger lui-même qui a tenu à ce que l’opéra soit subdivisé en tableaux et non en actes comme d’habitude. Girardi (1995) explique ce choix par l’influence des peintres à Torre del Lago avec lesquels Murger a eu une relation authentique. Ce sont ces peintres-là, parmi lesquels on retrouve Francesco Fanelli, qui ont inspiré Puccini pour les personnages de La Bohème, un peu à l’image de Murger inspiré par ses amis artistes. Les tableaux sont un hommage à cette amitié empreinte de bohème artistique entre Puccini et ses amis peintres avec lesquels il s’adonne à la chasse, aux jeux de carte ou aux réunions dans sa cabane à Torre del Lago. Giacosa et Illica respectent le choix de Puccini et divisent le livret en quatre tableaux.
Leur structure est intéressante dans la mesure où les deux premiers tableaux sont plus gais et racontent la vie et l’amour naissant et florissant ainsi que l’amitié entre les jeunes artistes que sont Rodolfo, Mimi, Marcello, Musetta, Schaunard et Colline. Les deux derniers tableaux sont tristes et parlent de la pauvreté des jeunes amis, des querelles amoureuses, de la jalousie, de la maladie et de la mort.
Chaque tableau est précédé d’une citation tirée des Scènes de Murger. Chaque citation est une présentation du thème central dudit tableau :
- Quadro I – In soffitta
» … Mimi era una graziosa ragazza che doveva particolarmente simpatizzare e combinare cogli ideali plastici e podici di Rodolfo. Ventidue anni ; piccola ; delicata… Il suo volto pareva un ebbozzo di figura aristocratica ; i suoi lineamenti crano d’una finezza miabile…
» Il sangue della gioventù correva caldo e vivace nelle sue vene e coloriva di linte rosee la sua pelle trasparente dal candore vellutato della camelia…
» Questia belià malaticcia sedusse Rodolfo… Ma quello che più lo rescro innamorato pazzo di madamigella Mimi furono le sue manino che essa sapeva, anche tra le faccende domestiche, serbare più bianche di quelle della dea dell’ozio. [59] » (G. Giacosa E L. Illica, La Bohème, Musica Di Giacomo Puccini, Edizioni Ricordi, Copyright 1896 by G. Ricordi & Co, p. 8)
- Quadro II – Al Quartiere Latino
» … Gustavo Colline, il grande filosofo ; Marcello, il grande pittore ; Rodolfo, il grande poeta ; e Schaunard, il grande musicista – come essi si chiamavano a vicenda – frequentavano regolarmente il Caffè Momus dove erano soprannominati : I quatiro Moschettieri : perchè indivisibili.
» Essi giungevano infatti e giucavano e se ne andavano sempre insieme e spesso senza pagare il conto e sempre con un « accordo » degno dell’orchestra del Conservatorio. »
« Madamigella Musetta era une bella ragazza di venti anni…
« Molta civetteria, un pochino di ambizione e nessuna ortografia…
» Delizia delle cene del Quartiere Latino.
» – O che volete ? – Di tanto in tanto ho bisogno di respirare l’aria di questa vita. La mia fille esistenza è come une canzone ; ciascuno de miei amori è une strofa , – ma Marcello ne è il ritornello. – [60] » (G. Giacosa E L. Illica, La Bohème, Musica Di Giacomo Puccini, Edizioni Ricordi, Copyright 1896 by G. Ricordi & Co, p.35)
- Quadro III – La Barriera D’Enfer
» La voce di Mimi aveva une sonorità che penetrava nel cuore di Rodolfo come i riniocci di un’agonia…
» Egli pero aveva per lei un amore geloso, fantastico; bizzarro, isterico…
» Venti volte furono sul punto di dividersi.
» Convien confessare che la loro esistenza era un vero inferno.
» Nondimeno, in mezzo alle tempeste delle loro lili, di comune accordo si soffermavano a riprender lena nella fresca oasi di una notte d’amore… ma all’alba del domani una improvvisa battaglia faceva fuggire spaventato l’amore.
» Cosi – se fu vita – vissero giorni lieli alternati a molli pessimi nella continua altesa del divorzio… »
» Musetta, per originaria malattia di famiglia e per materiale istinto, possedeva il genio dell’eleganza. »
« Questa curiosa creatura dovette appena nata domandare une specchio. »
» Intelligente ed arguta, ribelle soprattutio a quanto sapesse di tirannia, non aveva che una regola : il capriccio. »
» Certo il solo nomo da lei veramente amato era Marcello – forse perchè egli solo sapeva farla soffrire – ma il lusso era per lei une condizione di salute.[61] » (G. Giacosa E L. Illica, La Bohème, Musica Di Giacomo Puccini, Edizioni Ricordi, Copyright 1896 by G. Ricordi & Co, p. 50)
- Quadro IV – In soffita
» …. In quell’ epoca già da tempo gli amici erano vedovi.
« Musetta era ridiventata un personaggio quasi officiale ; – da ire o quatiro messi Marcello non ne aveva più sentilo parlare che da sè medesimo quando era solo.
» Un di che Marcello di nascoto baciava un nasiro dimenticalo du Musetta, vide Rodolfo che nascondeva une cuffietta – la cuffietta rosa – dimenticata da Mimi :
» – Va bene ! mormoro Marcello, egli è vile come me !
» Vita gaia e terrible ! … « [62] (G. Giacosa E L. Illica, La Bohème, Musica Di Giacomo Puccini, Edizioni Ricordi, Copyright 1896 by G. Ricordi & Co, p. 66).
2.3 L’adaptation comme produit : l’œuvre et le sens
2.3.1. Synopsis
Comme nous l’avons maintes fois abordé dans ce travail, La Bohème de Puccini est composée de quatre tableaux :
- In soffitta (Une mansarde)
- Al Quartiere Latino (Le réveillon au quartier Latin)
- La Barriera d’Enfer (La Barrière d’Enfer)
- In soffitta (Dans la Mansarde)
Le premier tableau intitulé Une mansarde commence par une description de cette modeste mansarde dans laquelle toute l’histoire commence et dans laquelle elle se termine, dans le quatrième tableau. Le récit de ce premier tableau se passe lors de la veille de Noël. On y voit d’emblée le froid sur lequel Puccini insiste et qui peut également être interprété comme une fatalité pour ceux qui vivent de la bohème : la pauvreté ne permet pas de se réchauffer mais les force à s’habituer au froid. Cette petite mansarde abrite trois jeunes artistes pauvres dont Rodolphe, un écrivain, Marcel, un peintre et Colline, un philosophe.
Les trois compères essaient de vaincre le froid autour d’un feu qui ne les réchauffe même pas. Ils retrouvent leur joie de vivre lorsque leur ami Schaunard, un musicien, arrive avec du vin, des victuailles, des cigares ainsi que des écus et du bois pour se chauffer. Ils se font ensuite surprendre par le propriétaire de la maison qui réclame le loyer. Etant pauvres, les quatre amis n’ont de choix que de le faire boire jusqu’à le rendre saoul tout en l’injuriant de ses infidélités conjugales afin d’esquiver sa demande. Puis, ils se rendent au Quartier Latin, plus précisément au Café Momus, pour passer le réveillon de Noël. Cependant, Rodolphe doit d’abord achever un article. Mimi vient ensuite frapper à sa porte, elle a perdu sa clé et sa chandelle ne brûle plus :
MIMÌ (di fuori)
Scusi.
RODOLFO
Una donna!
MIMÌ
Di grazia, mi si è spento
il lume.
RODOLFO
(aprendo)
Ecco.[63]
Rodolphe s’éprend immédiatement pour la jeune brodeuse qui habite en face de sa petite chambre. Il fait exprès de la retarder chez lui et cache sa clé lorsqu’il la retrouve. Mimi éprouve également de l’attirance pour Rodolphe, tous deux commencent à discuter de leur vie. Les amis de Rodolphe l’interpellent pour leur réveillon au Café Momus et Mimi décide de se joindre à eux.
Le second tableau intitulé Le réveillon au Latin quartier raconte le déroulement de la soirée du groupe d’amis au Momus. Le quartier Latin est particulièrement animé, surtout par les marchands, malgré le dur froid d’hiver. Rodolphe introduit Mimi à ses amis et le groupe prend une table à la terrasse du café Momus. L’ambiance festive est subitement assombrie par l’arrivée de Musette, l’ancienne amante de Marcel:
MARCELLO
(vedendo Musetta che entra, ridendo)
Ch’io beva del tossico!
SCHAUNARD, COLLINE e RODOLFO
Oh! Musetta![64]
Celle-ci aborde le groupe d’amis en compagnie d’un vieux bourgeois du nom d’Alcindor, son compagnon. Toutefois, Musette aime toujours Marcel et cherche à le faire revenir auprès d’elle. Pour ce faire, elle fait semblant d’avoir mal au pied dans l’objectif d’envoyer Alcindor chez un bottier. Sa tentative porte ses fruits car Marcel succombe à son charme. Tandis que les deux anciens amoureux se réconcilient, les six amis quittent le café et laissent la note à Alcindor qui devra la régler à son retour. Ils décident de rejoindre la foule de gens partis suivre la retraite aux flambeaux.
Dans le troisième tableau intitulé La Barrière d’Enfer, nous retrouvons à nouveau le thème du froid. Durant un matin d’une grande froidure, les laitières, les balayeurs ainsi que les paysans de Paris se présentent à l’octroi surveillé par deux douaniers. Musette, qui vit dans un cabaret avec Marcel, chantonne sa valse préférée. Marcel, lui, repeint la façade du cabaret lorsque Mimi le rejoint en pleurant et en se plaignant de la jalousie maladive de Rodolphe. Ce dernier rejoint ses deux amis, prend Marcel à part et lui dévoile la maladie, la phtisie, dont sa bien-aimée est touchée. Rodolphe reproche à Mimi son entêtement à vivre de sa bohème qui ne lui permettra aucune guérison. Mimi entend la conversation et comprend qu’elle devra se séparer de son amant tôt ou tard, notamment au printemps prochain. Musette, quant à elle, passe sont temps à se disputer et à s’insulter avec Marcel duquel elle pourrait se séparer bientôt :
MUSETTA
(mentre ella se ne va)
Pittore da bottega!
MARCELLO
Vipera!
MUSETTA
Rospo!MARCELLO
(ritornando nella taverna)
Strega![65]
Le dernier tableau de La Bohème se passe dans la mansarde, tout comme le premier tableau. On y voit Rodolphe et Marcel qui tentent de travailler bien que le froid soit particulièrement tenace. Les deux amis pensent à leurs amantes respectives. Colline et Schaunard les rejoint, le groupe d’amis rit de leur situation financière plus que modeste. Leur joyeuse raillerie est vite interrompue par Musette qui les rejoint effarée. En effet, Mimi s’est effondrée sur le seuil de la porte. Paniqués, ses amis décident d’appeler un médecin. Le manque d’argent les conduit à vendre certains biens personnels : Musette veut vendre ses boucles d’oreille tandis que Colline veut vendre sa redingote. Schaunard, lui, laisse de l’intimité à Rodolphe et Mimi. Mais Mimi succombe peu à peu à sa maladie dans la petite mansarde silencieuse, ses cinq amis autour d’elle[66] :
RODOLFO
Io spero ancora. Vi pare
che sia grave?
MUSETTA
Non credo.
(Schaunard s’avvicina al letto.)
SCHAUNARD
(piano a Marcello)
Marcello, è spirata.[67]
2.3.2. Les personnages
Les personnages principaux de La Bohème sont tirés des Scènes de Murger, et presque tous leurs noms ont été préservés. La Bohème retrace l’histoire de six personnages principaux.
Rodolfo est un artiste, plus précisément un poète de la bohème qui se voue entièrement à son art. Tout change lorsqu’il rencontre Mimi, sa voisine dont il tombe éperdument amoureux. Devenu son amant, ce ténor se distingue, dans l’opéra, par une voix lyrique empreinte de beaucoup d’ardeur, de fougue et de passion.
Mimi, elle, est une couturière atteinte de phtisie mais qui ne s’en rend compte qu’au troisième tableau de l’opéra. Il s’agit d’une jeune femme dans la vingtaine, comme tous les autres personnages principaux. Elle est de condition modeste et se distingue par sa beauté à la fois pure et innocente. A l’opéra, elle est incarnée par un soprano lyrique au timbre vocal profond et simple à la fois.
Marcello (baryton) est un des plus grands amis de Rodolfo. Il est peintre et amant de Musetta avec laquelle il entretient une relation plus que tumultueuse. Toutefois, on note à travers le livret que bien qu’ils se disputent constamment, bien qu’ils se font mal, ils s’aiment énormément.
Musetta est l’amante de Marcello. Elle est chanteuse et son apparence fait penser à une beauté fatale indépendante et indomptable. Elle aime être courtisée et apprécie les flatteries des hommes desquels elle s’entoure volontiers. Elle aime la liberté sentimentale mais avoue avoir des sentiments sans égal pour Marcello, son amant, avec lequel elle vit et duquel elle se sépare et se remet quand elle veut. Shaunard et Colline viennent compléter le tableau d’artiste. Schaunard est musicien tandis que Colline est philosophe. Avec Marcello et Rodolfo, ils passent la plupart de leur temps au Quartier Latin, au Café Momus où ils sont de grands habitués et où on les surnomme les « quatre mousquetaires ».
Les personnages principaux de La Bohème sont semblables à ceux de Murger. Ils ont la vingtaine, ils sont artistes et vivent de la bohème dans une jeunesse insouciante pourtant marquée par la maladie. D’autres personnages secondaires tels que Benoît le propriétaire, Parpignol le vendeur de jouets ou encore Alcindoro, le conseiller d’Etat ornent également l’opéra.
2.3.3. Thématiques
La Bohème de Puccini est un opéra basé sur le roman Scènes de la vie de bohème de Puccini, et servira, plus tard, de source d’inspiration à Jonathan Larson pour sa comédie musicale Rent. Nous retrouvons des thématiques principales communes aux trois œuvres que nous allons présenter ici.
Parmi ces thématiques, la vie de Bohème des artistes elle-même se trouve au centre de l’histoire dans le roman et dans les deux adaptations de Puccini et de Larson. Chez Puccini, cette vie de Bohème se reflète du début jusqu’à la fin de l’opéra et est symbolique. En effet, comme nous l’avons évoqué plus tôt, Puccini a vécu une vie de Bohème marquée par le manque d’argent durant sa jeunesse à Milan. Giacosa et Illica aiment également ce thème car ils sont partisans de la Scapigliatura. Les artistes concernés par ce mouvement littéraire voient en la Bohème une véritable philosophie de la vie et l’opportunité de discuter sur la relation entre la bourgeoisie et les artistes de l’époque.
La pauvreté est une autre thématique récurrente dans La Bohème de Puccini. Elle est visible dès le début de l’opéra et dans le livret, à travers cette modeste mansarde dans laquelle la plupart des scènes se passent. Que ce soit dans l’œuvre d’origine ou dans La Bohème et Rent, la pauvreté se manifeste par un manque d’argent qui empêche les jeunes artistes de payer leur loyer. Elle marque l’amitié et l’amour entre ces jeunes amis. Chez Puccini, la pauvreté poursuit ses personnages principaux jusqu’à la fin, nous le voyons lorsque Musette et Marcello se sentent obligés de vendre leurs biens devant la santé fragile de Mimi et sa mort. Chez Murger, par contre, les personnages principaux que sont Rodolphe et Marcel finissent par triompher de cette dernière à la fin du roman.
L’amour et l’amitié sont d’autres thématiques retrouvées dans les trois œuvres. Puccini et Larson restent fidèles à l’amour à la bohème présenté par Murger dans les Scènes. Cet amour, ou plutôt cette amourette, n’est pas conventionnelle comme le voudrait la bourgeoisie. Il s’affranchit de la société et de ses normes et s’attache à la liberté. L’amour dans La Bohème s’oppose au mariage de convenance et se manifeste par la passion et la flamboyance. L’amitié, elle, est l’édifice qui permet aux personnages principaux de tenir dans leurs mauvais jours. C’est ensemble que Rodolfo, Marcel, Schaunard et Colline affrontent la pauvreté, la faim et le froid. L’amitié les marque à un tel point qu’ils sont surnommés « Les quatre mousquetaires » étant donné qu’ils sont quotidiennement inséparables.
Le froid est un autre thème omniprésent dans La Bohème. Elle représente la bohème vécue parle compositeur et marque l’opéra depuis le début du premier tableau jusqu’au dernier tableau. Avec le froid vient la question de la pauvreté qui, au lieu d’être un fardeau, conduit à une jeunesse insouciante. Cette dernière se manifeste par une totale émancipation, beaucoup de fougue, de la désinvolture et de la frivolité, des attitudes types des Bohèmes. La jeunesse insouciante est ici une métaphore qui représente la Bohème artistique. Malgré les aléas de la vie, ces jeunes artistes ont énormément d’espoir et de rêves et croient que l’amour et l’amitié demeurent éternels.
2.3.4. Images de Paris
Dans La Bohème comme dans les Scènes, l’histoire se déroule dans le Paris des années 1830. La ville de Paris elle-même est présentée et découverte à travers l’évolution de l’histoire. L’opéra présente divers lieux de Paris de façon moderne : le café Momus, Montmartre, l’église Notre Dame de Lorette, le Café chantant dans le troisième tableau, le Quartier latin, la mansarde, la rue des trois frères dans le 18 è arrondissement et la Barrière d’Enfer.
Le café Momus, par exemple, est un lieu de rencontre entre les amis artistes, que ce soit chez Murger ou chez Puccini. Situé au Quartier latin et dirigé par Momus, le café Momus sert de lieu de célébration, de rencontre et de restauration à Rodolfo, Marcello, Schaunard et Colline, accompagnés de Mimi et de Musette. Il est évoqué dans le premier tableau mais c’est dans le second tableau que nous voyons les amis y passer leur réveillon et rencontrer Musette. En même temps, leur passage au café Momus reflète la vie de Bohème, la jeunesse insouciante qui se matérialise par la consommation et l’envie de consommer. Dans le second tableau, on voit Marcello, Colline et Schaunard qui commandent un festin alors qu’ils viennent, dans le premier tableau, de renvoyer le propriétaire de Rodolfo qui venait de lui réclamer le loyer :
SCHAUNARD
Cervo arrosto.
MARCELLO
Un tacchino.
SCHAUNARD
Vin del Reno!
COLLINE
Vin da tavola!
SCHAUNARD
Aragosta senza crosta![68]
2.4. Conclusions
La Bohème de Puccini, en tant qu’adaptation, a respecté de nombreux éléments des Scènes de la vie de Bohème de Murger. Ainsi, nombreuses sont les scènes, les séquences ou encore les allusions que nous retrouvons dans l’opéra. A titre d’exemple, Rodolfo est un poète qui, dans le premier tableau de l’opéra, ne rejoint pas immédiatement ses amis mais reste pour terminer un article pour le « Il castoro » (Io resto per terminar l’articolo del mio giornale : Il Castoro ». Dans le huitième chapitre des Scènes intitulé Ce que coûte une pièce de cinq francs, Rodolphe est un rédacteur travaillant pour L’Echarpe d’Iris et le Castor.
Toujours dans ce premier tableau, Mr Benoît, le propriétaire de Rodolphe, réclame le loyer qu’il ne paie pas faute d’argent, comme c’est le cas dans le chapitre 10 (Le « Cap des Tempêtes ») des Scènes de Murger. Le second tableau de l’opéra reflète également le roman de Murger, notamment le chapitre 11 (Café de la bohème). Les amis y réveillonnent, il y règne une atmosphère joyeuse… Le café Momus est un lieu de rencontre pour ces jeunes amis dans les deux œuvres.
Dans la Bohème, les librettistes ne sont pas adeptes des histoires d’amour classiques qui se terminent sur une note joyeuse, tout comme Murger. L’histoire d’amour qui se termine par une mort causée par la maladie est donc commune aux deux œuvres : Mimi meurt à la fin de La Bohème et Rodolphe est inconsolable tandis que dans les Scènes, c’est Jacques qui est inconsolable suite au décès de Francine provoqué par la tuberculose. Certaines scènes du roman de Murger sont reproduites de manière un peu modifiée dans La Bohème. A titre d’exemple, Colline veut vendre son manteau à la mort de Mimi, une idée empruntée à Murger pour le décès de Mimi.
Le travail d’adaptation réalisé par les librettistes et Puccini est remarquable et original. Ils ont conservé certains aspects du roman qu’ils ont, dans certains cas, modélisés à l’image de l’opéra et des exigences de Puccini. A titre d’exemple, le ton utilisé dans l’opéra est réaliste comme celui utilisé par Murger dans les Scènes. Les librettistes ont conservé le ton drôle, pittoresque et fantasque du roman lorsqu’ils parlent de la vie. Cependant, on retrouve plus d’amour, de romantisme et de poétisme chez Puccini. Ce ton se trouve aussi plus nuancé chez Puccini par rapport à Murger, le vérisme est très marqué et une alternance entre registre noble et registre familier est perceptible tout au long de l’opéra.
Le dénouement de l’histoire, surtout à la fin, n’est pas semblable à celui de Murger. En effet, le roman de Murger se termine sur une victoire : celle de la bourgeoisie sur la pauvreté car à la fin du roman, Rodolphe et Marcel finissent par devenir adultes et par vivre dans de meilleures conditions de vie que dans leur jeunesse. Chez Puccini, par contre, l’histoire se finit de manière plus tragique avec le décès de Mimi dans la petite mansarde silencieuse où tout a commencé. Au final, le récit chez Puccini reflète une certaine fatalité : Mimi finit par décéder suite à ses conditions économiques et sociales miséreuses. Puccini n’avait pas besoin de « faire durer ses personnages » comme c’est le cas pour Murger.
Au niveau des personnages, on note une réduction de leur nombre dans l’opéra de Puccini. L’histoire est centrée sur le couple de Mimi et de Rodolphe qui vivent plus de souffrance que de joie et sur celui de Musette et Marcel qui sont, caractéristiquement, à l’opposé du premier couple. Certains personnages secondaires qui ne font que passer ont aussi été conservés chez Puccini, à l’instar du propriétaire de Rodolfo. Entre autres, Francine ne figure pas parmi les personnages de La Bohème. On la retrouve pourtant un peu chez Mimi. Le réalisme est plus prononcé chez Puccini. Il n’hésite pas à symboliser la pauvre condition de vie de ses personnages par des petits objets significatifs tels que le petit bonnet rose de Mimi.
Au final, nous pouvons dire que le mouvement littéraire Scapigliatura, une version italienne de la Bohème, et la première traduction des Scènes de Murger ont permis à Puccini, Giacosa et Illica d’adapter un roman à succès grâce à une première adaptation théâtrale réalisée par son auteur ainsi qu’un musicien dénommé Théodore Barrière. Les Scènes de Murger, un roman emblématique, a été traduit et adapté peu après sa parution, permettant à Puccini de réaliser La Bohème. Etant une adaptation collective, La Bohème est un opéra inspiré des Scènes réalisé par un musicien italien et deux librettistes. L’inspiration de Puccini est accentuée par le fait qu’il a vécu la Bohème et côtoyé des artistes du mouvement littéraire de La Bohème dans sa jeunesse. De leur côté, les librettistes ont également fait partie de la Scapigliatura milanaise, la Bohème à l’italienne.
Nous parlons de La bohème en tant qu’adaptation collective car son livret a été écrit par deux librettistes, sa composition musicale réalisée par un musicien, et le tout a été arrangé et supervisé par un éditeur (Ricordi) qui a eu un rôle fondamental dans cette collaboration semée d’embûches. La Bohème se démarque par son poétisme que l’on doit à la coopération entre les deux librettistes. Cette collaboration est une caractéristique de l’adaptation dans le domaine musical italien, et elle n’est pas nouvelle en ce qui concerne Puccini et les deux librettistes. Elle a été décisive car elle a procuré une certaine valeur au contenu de l’œuvre adaptée. Enfin, bien que le livret ait connu un franc succès, rappelons que son écriture a posé beaucoup de problèmes à Giacosa et Illica qui ont été soumis à diverses contraintes telles que le temps et les exigences parfois exagérées de Puccini…
3 RENT
Dans ce dernier chapitre de notre mémoire, nous allons nous focaliser sur Rent, une comédie musicale américaine qui a toujours été considérée comme inspirée de La Bohème de Puccini. Pourtant, au vu des critiques et de l’histoire en elle-même, nous pensons qu’il s’agit plus d’une adaptation des Scènes de Murger que de l’opéra de Puccini. Cette partie s’attachera à le démontrer.
3.1 Rent : la comédie musicale qui raconte la réalité
3.1.1 Présentation générale de l’œuvre
Rent n’est pas une simple comédie musicale, il s’agit surtout d’un sing-through musical dans lequel les comédiens chantent toutes les paroles. On doit la naissance de la comédie musicale à l’aube du XXe siècle. Elle se démarque par la combinaison de chant, de danse et de comédie, ce qui en fait un sous-genre de l’opéra ou des ballets. En effet, on retrouve dans la comédie musicale un air de théâtre mélangé à la musique classique. A ce sujet, Cadieux (2013) souligne qu’à son émergence, la comédie musicale a copié de nombreuses caractéristiques de l’opéra. Elle parle d’histoires tragiques intégralement chantées sur scène. Cependant, au fil du temps, elle a commencé à prendre ses repères et à créer sa propre identité. Les ballets d’entre scènes sont donc délaissés au profit des chorégraphies ajoutées à l’intrigue.[69]
Malgré une naissance plutôt récente, un début de comédie musicale a été recensé vers le XIIIe siècle. Il s’agit d’un jeu appelé « Jeu du chapelet » décrit dans l’ouvrage du poète et compositeur Jacques Bretel intitulé Le tournoi de Chauvency écrit en 1285. Ce jeu ressemble fortement à une comédie musicale : il est joué par une troupe de théâtre qui s’adonne au chant, à la danse et au mime des sentiments des personnages en se basant sur une thématique amoureuse.
Sur le plan étymologique, le terme comédie musicale, en latin commedia musicale, est apparu pour la première fois en Italie, au XVIIIe siècle. Il désigne des œuvres musicales dans lesquelles on retrouve une combinaison entre le chant et les dialogues. Selon les historiens, The Black Crook (L’escroc noir) créé en 1866 fait figure de toute première comédie musicale. Elle se divise en deux actes et parle de la littérature allemande. Les premières comédies musicales manquent de cohérence, ce sont celles apparues dans les années 1940 que l’on considère comme des comédies musicales « plus construites » (Pal Joey, The Boys from Syracus). Ces années marquent la coopération entre le compositeur, scénariste et producteur américain Richard Rodgers et Oscar Hammerstein, un librettiste de renom. La comédie musicale commence également à se répandre en ce temps-là.
C’est aux Etats-Unis, plus précisément à New-York, que la comédie musicale est le plus populaire. Elle y trouve son essence et devient de plus en plus moderne à partir de 1910, année durant laquelle elle devient de plus en plus recherchée avec l’usage de genres musicaux différents de la musique classique comme c’est le cas du jazz en Amérique du Nord. Des musiques populaires comme le jazz y sont intégrées et la comédie musicale ne cible pas seulement un public noble mais tout le monde, toutes classes sociales confondues. Avec sa modernisation, la comédie musicale devient peu à peu un art populaire. Elle a ainsi connu un succès fulgurant et le théâtre de Broadway est devenu une référence mondiale en la matière.
L’apogée de la comédie musicale américaine se fait entre 1940 et 1960. Métro-Goldwyn Mayer est une pointure en la matière et a produit diverses comédies musicales au succès international telles que la célèbre Singing in the rain (Chantons sous la pluie) en 1952.[70]
Dans son mémoire intitulé La comédie musicale Rent, entre l’art et l’expérience : création d’un espace alternatif où traiter du SIDA, Cadieux (2013) explique que cette pièce « emprunte certes bon nombre d’éléments propres au genre, mais s’en sert pour mettre de l’avant une réalité crue et marginale, dépeinte sur un fond musical résolument plus rock[71]. »
Rent est donc marquée par la réalité que la comédie musicale prône, une réalité plutôt triste dans le sens où elle est centrée sur une maladie en particulier : le Sida. Sur le plan littéraire, sa genèse résulte de l’attrait de Billy Aronson, un dramaturge sortant de Yale, pour La Bohème de Puccini. Au terme des années 1980, l’idée lui vient de remettre cet opéra au goût du jour. Il s’adresse à Ira Weitzman, la directrice du programme de théâtre musical de Playwrights Horizons, qui lui conseille Jonathan Larson, un jeune compositeur qui commence à se faire un nom dans l’univers de la comédie musicale.
L’idée d’Aronson séduit Larson, le projet de ce dernier visant à réactualiser La Bohème de Puccini à New York et à y intégrer des réalités sociales d’actualité telles que le sida, la pauvreté ou le fait, pour les artistes, de vivre difficilement de leur art. A cette époque, Larson va avoir trente ans et se sent frustré par son art, malgré un goût plus que prononcé pour la discipline et un dévouement sans égal à sa passion. En effet, un tel acharnement ne le fait toujours pas connaître des producteurs, ce qui l’amène au bord de la dépression.
Larson s’intéresse déjà aux causes sociales, au Sida et à l’indifférence envers les artistes qui règne aux Etats-Unis à l’époque. Ses propositions artistiques étant constamment refusées, il décide de créer un monologue rock dans lequel il exprimera toutes ses frustrations personnelles et artistiques. Il le produira lui-même, aidé par une amie, et l’intitulera Tick, Tick…BOUM!. Le titre évoque clairement une bombe prête à exploser qui finit par y parvenir et reflète l’état d’esprit du compositeur. Le monologue dénonce le désintéressement général de la société et des autorités devant des problèmes sociaux évidents tels que le sida. Le monologue permet également à Larson d’exprimer son mécontentement face au sentiment d’impuissance qu’il ressent lorsqu’il apprend que certains de ses plus proches amis sont séropositifs : « My friends are coughing and screaming from jevers that rage like runaway wildfires and the men with powers send them nothing but autographed copies of their 8×10. I wanna help, but I don ‘t know what to do [72][73] … »
Tout cela contribue à l’intérêt de Larson pour le projet d’Aronson. Il voit dans ce projet une continuité à la sensibilisation qu’il a entamée dans Tick, Tick…BOUM!. Pour lui, Rent sera également l’occasion de réaliser une de ses plus grandes ambitions : réactualiser la comédie musicale afin d’attirer un jeune public à Broadway. Pour Larson, de nombreux enjeux personnels, sociaux et artistiques se cachent donc derrière Rent. Nous entrerons dans les détails de la collaboration entre Larson et Aronson plus bas.
Rent se situe à la veille d’un nouveau siècle. L’histoire parle d’un an de la vie d’un groupe d’amis vivant dans le Lower East Side, à New York, dans les années 1990. Ces jeunes amis sont dans la vingtaine et ont pour point commun la Bohème dans laquelle ils vivent. En effet, ils sont pauvres et n’arrivent pas à payer leur loyer. D’ailleurs, le titre Rent en anglais signifie Loyer et fait d’emblée référence au problème de loyer auquel ces jeunes font constamment face. Ces jeunes ont également pour caractéristique le manque d’ambition sociale, ils sont rêveurs et irresponsables et cherchent à assouvir leurs idéaux plus qu’à gravir des échelons sur le plan social.
Ils vivent un peu comme des marginaux par rapport à la société. Leur mode de vie marginal les confronte à un clivage évident entre leurs rêves et la réalité. Et leur réalité est tragique car elle est marquée par un fléau qui en décime plus d’un : le sida. Cette maladie funeste accapare toute la comédie musicale et les personnages sont, de manière directe ou indirecte, touchés par ses conséquences. Malgré tout, nous voyons dans Rent un élan de positivité qui fait envier. La maladie ne constitue pas un frein pour les huit amis qui, loin de se laisser abattre par le virus, célèbrent la vie, à l’image d’un Jonathan Larson qui a exprimé que la comédie musicale parlait de la vie et de non de la mort, en faisant référence au fait qu’à la fin du second acte de sa comédie musicale, il choisit de faire vivre Mimi contrairement à Puccini. On voit donc de la joie, un esprit combattif et une amitié sincère et profonde entre les personnages de Rent qui savourent chaque instant qu’ils passent ensemble tout en sachant que le sida a comme fatalité la mort.
3.1.2 Contexte culturel
Rent se place dans un contexte culturel, social et politique marquant : la propagation du VIH Sida en Amérique dans les années 1990. En Amérique comme ailleurs dans le monde, le Sida fait des ravages et est considéré comme le fléau d’un certain type de personnes : ceux qui jouissent d’une sexualité libre. Ce sont des individus vivant en marge de la société dont les pratiques sexuelles sont pointées du doigt et blâmables. Le sida est considéré comme une punition pour ceux qui le contractent car ils s’adonnent au plaisir de la chair, un péché beaucoup plus tabou et critiqué à cette époque par rapport à la nôtre. Associé à cela, la toxicomanie est aussi considérée comme moyen de propagation de la maladie, plus précisément le sang des toxicomanes.
Les informations sur le Sida sont surtout diffusées par les médias. Les personnes séropositives sont appelées « victimes du sida » et non plus « Personnes vivant avec le sida (PVAS) » pour maquer la fatalité de cette maladie et l’impuissance de ceux qui sont atteints par le virus et qui n’ont d’autre choix que d’attendre leur mort. Larson a côtoyé de nombreuses victimes du sida dont ses amis proches, une des raisons fondamentales qui l’a conduit à coopérer avec Aronson pour créer Rent. L’œuvre est une fenêtre ouverte sur le quotidien de ceux qui vivent avec cette maladie.
Larson voulait en faire un outil de sensibilisation face à l’indifférence manifestée à l’égard de cette maladie et de ses victimes en Amérique. La plupart des critiques ont pourtant été négatives et sévères, à l’instar de celle de John M. Clum, cité par Sebesta (2006), qui affirme que « Rent, de manière irresponsable, rend romantique l’abus d’héroïne et rend le sida cool et le fait d’être pauvre chic[74] » (notre traduction)
Rent a une visée politique, sociale et culturelle. Larson veut en faire un instrument afin de combattre le désintéressement voué au Sida et à ses victimes. Il veut sensibiliser la société et l’Etat en même temps. Cependant, son but n’est pas réellement atteint car la comédie musicale n’est pas bien comprise par le public. Certaines critiques la jugent mesquine et pensent qu’elle se sert de thèmes sérieux et polémiques dont l’homosexualité, la pauvreté et le sida dans un but commercial : pour récolter de l’argent.
3.1.3 Jonathan Larson : Eléments biographiques
Né le 04 février 1960 à Mount Vernon à New-York, aux Etats-Unis, Jonathan Larson est un compositeur, scénariste, réalisateur et acteur. Il est le fils d’Allan et Nanette Larson et a grandi dans une famille qui aime particulièrement l’art. D’ailleurs, on entend très souvent la musique de leur maison, surtout lorsque Larson joue du piano. Sa famille l’a énormément encouragé lorsqu’il s’est engagé dans la voie de l’art. Le piano est son instrument de musique fétiche, ce qui lui a valu le surnom de « piano man » par ses amis au collège.
Il a intégré la White Plains High School dans laquelle il a été très actif en musique et au théâtre. Parmi ses amis, on remarque un certain Matt O’Grady qui a inspiré un bon nombre de ses personnages dans ses compositions. Plus tard, il a fréquenté le conservatoire de l’université d’Adelphi à Long Island où il a écrit sa toute première comédie musicale. Ce jeune compositeur est longtemps resté à l’ombre et la célébrité ne l’atteint qu’à la création de Rent, une célébrité hélas posthume car il est mort d’un anévrisme du cerveau, une rupture de l’aorte, la veille de la première présentation de la comédie musicale le 25 janvier 1996 au New York Theatre Workshop (NYTW). Rent est sa comédie musicale la plus connue, mais il possède également d’autres œuvres artistiques. Il a composé, écrit le scénario et réalisé Away we go en 1996. Il a également joué dans cette comédie en tant qu’acteur, notamment un passager de l’ascenseur.
Rent est l’aboutissement d’un projet personnel et artistique de Larson. Dans les années 1990, il assiste à des réunions de victimes du sida en soutien à ses amis atteints par le VIH. De là, il a composé l’histoire de Rent en se basant à la fois sur cette expérience personnelle et en s’inspirant de La Bohème de Puccini et de Hair de Rado.
En sus, nous voyons des similitudes entre Rent et l’œuvre qui a inspiré La Bohème elle-même, à savoir Les Scènes de Murger. Nous en parlerons dans la sous-partie ci-après.
3.2 L’ adaptation comme processus : des sources à la création artistique
3.2.1 Puccini, Henri Murger et la vie personnelle
Nous avons vu que La Bohème est une adaptation des Scènes de Murger et qu’elle a énormément de similitudes avec sa source d’inspiration. Rent, elle, est inspirée à la fois de l’œuvre de Murger et de celle de Puccini. En parallèle, ces deux auteurs se sont inspirés de leur propre vie et de la réalité pour créer leur œuvre. Il en est de même pour Larson qui, à l’image des auteurs de Hair – Jim Rado et Gerry Ragni- s’est servi de sa propre vie et de celle de ses amis comme matériau de conception de sa comédie musicale. Scott Miller, dans son analyse de Rent, affirme que de petits détails de la vie de Larson ont été insérés dans la comédie musicale, à l’instar des noms de ses amis victimes du Sida. Les personnages de Mark et Roger sont une incarnation de Larson et représentent deux faces de sa personnalité. D’un côté, on retrouve l’artiste cantonné à l’observation du cas de ses amis et d’un autre, on retrouve celui déterminé à agir.
Les amis de Larson affirment qu’il est comme Mark, qu’il aime étudier minutieusement ses amis, en demandant souvent pourquoi certains couples sont ensembles. Il veut découvrir l’histoire de la vie de ses amis et n’hésite pas à poser des questions personnelles, dans certains cas, en vue de comprendre les gens. Un de ses amis affirme qu’à la veille de sa mort, Larson lui a avoué qu’il a appris d’un ami victime du sida que ce n’est pas le nombre d’années vécues par une personne qui compte, mais plutôt la manière dont elle dépense le temps qu’elle passe ici bas. Cette philosophie, Larson l’a certainement partagée avec Roger. En même temps, il a tenté d’injecter son optimisme à Angel. Pour Miller, Larson vit et survit à travers les personnages de sa comédie musicale.[75]
Bien que notre mémoire ne s’attache pas à découvrir toutes les sources d’inspiration des œuvres adaptées que nous traitons, il est utile de mentionner qu’à part les Scènes et La Bohème, Rent s’inspire de Hair, une comédie musicale. Larson a emprunté à Rado et Ragni, ses créateurs, leur volonté d’aborder un thème et de défendre une cause qui leur tient particulièrement à cœur, qui leur est très cher et qu’ils veulent à tout prix exprimer. Rent parle de survie, de bataille contre une maladie fatale. Larson veut prouver que la véritable bravoure, le courage ultime consiste à vivre sa vie malgré la maladie.
De ce fait, la comédie musicale n’est pas tragique, elle est plutôt drôle, à l’image des Scènes de Murger et contrairement à La Bohème de Puccini. L’envie de vivre est prônée par Larson qui ne se focalise pas sur la mort et qui a fait de son œuvre une comédie amusante et non déprimante. Bien que la vie des personnages soit triste, la joie et la bonne humeur ne sont jamais ternies. Même si Angel meurt, on ne se focalise pas sur le décès mais sur la joie qu’il a apportée à ses amis. Scott Miller pense que Rent est une œuvre spirituelle, bien que l’auteur ne fasse pas mention de Dieu. La vie elle-même est la religion de Rent : « The Life Café, le groupe de support « Life Supports » d’Angel, la vie en groupe lorsque les personnages déambulent dans les rues de New York et la force de vie qui dirige les personnages de la comédie alors qu’ils doivent faire face à une maladie fatale pour survivre. Les personnages ont le sens de la famille, de l’amitié et de la communauté. Larson prouve leur solidarité à travers les épreuves difficiles. Bien que son œuvre traite d’une réalité grande et triste, elle n’en est pas pour le moins sérieuse et déprimante. Au contraire, elle apporte le sourire dans un monde empreint de tristesse.
3.2.2 La collaboration avec Billy Aronson
Comme nous l’avons mentionné au début de ce chapitre, Rent a initialement été proposé à Larson par le musicien Billy Aronson en 1989. Giel (1997) affirme qu’Aronson avait comme idée principale d’adapter l’opéra de Puccini en le retravaillant avec des personnages qui ne pourraient pas facilement gérer leurs sentiments, contrairement à ceux des Scènes qui expriment facilement leurs émotions.[76] Aronson et Larson se sont mis d’accord pour que les personnages soient victimes du Sida et non atteints de la tuberculose comme dans La Bohème. Dès le début, Larson avait sa propre idée de la comédie musicale, cette phrase mythique qu’il a prononcée lors de sa première rencontre avec Aronson le confirme : « It’s time for an new Hair« [77] (Il est temps pour un nouveau Hair)
Titrington (2007) évoque la collaboration entre Aronson et Larson. Au début, les deux ont créé des brouillons, des essais basés sur La Bohème. La célébration du réveillon de Noël chez Puccini a, par exemple, été conservée. De même, Aronson et Larson gardent la manière dont Mimi est présentée à Rodolphe dans La Bohème pour la scène de rencontre entre Mimi et Ralph : cette dernière se présente à son voisin pour une histoire de lumière, plus précisément pour emprunter une ampoule. Comme dans l’opéra, Mimi et Ralph chantent « Résumé arias ». Toujours dans ces brouillons, la fin des deux œuvres est la même: Mimi meurt à la fin de Rent comme à la fin de La Bohème.
La collaboration entre les deux artistes n’est cependant pas facile. Ils ont de nombreux désaccords, notamment sur la manière de mettre à jour l’opéra. Les premiers brouillons de Rent s’intitulaient Boheme. Dans le film documentaire No day but today : The Story of Rent, Aronson affirme que Larson a commencé la composition des chansons correspondant aux quinze pages de paroles qu’il a écrites. Durant l’hiver 1989, trois chansons ont été terminées par les deux collaborateurs. Un premier brouillon de onze pages correspondant au premier acte apparaît, il n’est pas daté mais on spécule sa réalisation avant ou durant l’année 1989. Par la suite, on retrouve un brouillon entier de 42 pages incluant les deux actes de la comédie musicale et daté du 22 septembre 1989.
En comparant ces brouillons à la version finale de Rent, on note d’énormes différences, notamment du côté des personnages principaux masculins. Le premier brouillon fait état de deux personnages principaux masculins du nom de Mark et Ralph qui sont respectivement peintre et poète, ce qui rappelle le peintre Marcello et le poète Rodolfo de La Bohème de Puccini. Le nom de Mimi est conservé dans les deux brouillons mais sa profession change d’un brouillon à un autre : d’abord artiste et brodeuse puis sculptrice. Musetta est une chanteuse du nom d’Isabella dans un brouillon et de Suzanne dans un autre. Colline le philosophe devient Cornell tandis que Schaunard le musicien est incarné par Schaun. [78]
Tout comme la collaboration de Puccini et des deux librettistes, celle d’Aronson et de Larson est parsemée d’obstacles et n’est pas réellement heureuse. Outre le fait que seules trois chansons de l’histoire ont été composées au bout d’un an, de grandes divergences d’opinion divisent les deux artistes. Aronson, par exemple, souhaite un rapprochement entre la comédie et son histoire personnelle et la situer dans l’Upper West Side à New York. Il en est de même pour Larson qui veut se servir de sa propre vie comme source d’inspiration et cadrer l’histoire dans le Lower East Side qu’il juge plus approprié. Les deux collaborateurs sont devant une impasse, mais le projet étant particulièrement cher à Larson, celui-ci veut le continuer seul et en obtient l’aval de la part du dramaturge en 1991.
Les critiques sur Rent ainsi que les informations que nous en détenons affirment toutes qu’elle est basée sur La Bohème de Puccini. Nous soutenons pourtant l’hypothèse qu’elle a également été inspirée de l’œuvre originale de laquelle Rent à été tirée, à savoir les Scènes de la vie de bohème de Murger. Scott Miller le confirme en affirmant qu’une fois que Larson a repris le projet tout seul, il a lu le roman de Murger duquel il a tiré de nombreux éléments. Les personnages changent : Rodolfo le poète devient Roger l’auteur-compositeur, Marcello le peintre devient Mark le cinéaste, Colline reste philosophe mais son nom se transforme en Tom Collins. Schaunard reste musicien mais son nom devient Angel Dumott Schunard. Quant à Musetta, elle devient Maureen, une artiste de performance tandis que Mimi la brodeuse devient une danseuse S & M. Benoît le propriétaire, lui, devient Benny le colocataire qui devient, plus tard, le propriétaire.
3.2.3 From NYTW reading to Broadway premiere
Concevoir Rent a pris du temps et de l’énergie à Larson qui finira par mourir sans voir ni tirer profit de la gloire de la comédie musicale à l’âge de 35 ans. Bien qu’il ait continué seul le projet suite à son désaccord avec Aronson, le fait d’avoir la mainmise et une totale liberté dans sa conception n’a pas facilité sa tâche. Rent fait ses débuts au New York Theatre Workshop (NYTW) avant même d’être achevée. Larson décide de soumettre un premier aperçu de la comédie musicale à Jim Nicola, directeur du NYTW, en 1992. Celui-ci voit un avenir prometteur pour Rent dont il reconnaît la qualité mais dans laquelle il trouve de nombreuses lacunes et qu’il juge encore imparfaite, de nombreuses modifications devant y être apportées afin qu’elle devienne une comédie musicale à part entière.
Cela n’empêche pas Nicola de s’intéresser à Rent qui insuffle un air contemporain à la comédie musicale. Il reconnaît le talent de Larson en tant que compositeur et décide de l’aider en lui proposant une séance de lecture publique de la comédie musicale dans son théâtre en mars 1993. Les deux amis « collaborent » sous certains aspects afin de parvenir à l’aboutissement de la comédie musicale et obtiennent une bourse en 1994. Elle leur permet de mettre en scène un atelier durant lequel Rent est mis en avant. Un nouveau collaborateur entre en scène et apporte sa contribution au bien-être de Rent : le metteur en scène Michael Grief. Son apport, la lecture publique ainsi que l’atelier organisés avec l’aide de Nicola permettent à Rent de devenir plus mature. Malgré un rendu peu raffiné, des producteurs vouent un certain intérêt à la comédie musicale. Larson est heureux de cet intérêt et décide de peaufiner son œuvre. L’atelier mis en place en 1994 montre que Rent n’est pas abouti au niveau de la trame narrative que Larson décide d’améliorer. C’est au terme des années 1995, suite à un dévouement sans relâche, que Larson termine une version satisfaisante, revue et corrigée de la comédie qui ravit tous ses collaborateurs.
La pièce connaît alors un succès immédiat. Jouée au NYTW en janvier 1996, Rent conquiert Broadway trois mois après cette représentation. Elle est mise en scène au Nederlander Theatre à Broadway et connaît un succès retentissant. La pièce révolutionne le genre de la comédie musicale et remporte de nombreux prix et distinctions. Plusieurs Tony Awards lui ont été attribués en 1996 dans les catégories meilleure comédie musicale, meilleur livret d’une comédie musicale et meilleure partition d’une comédie musicale. Elle remporte également le prix Pulitzer et ses acteurs deviennent plus connus. Witson Jermaine Heredia qui incarne le rôle d’Angel gagne le Tony Award du meilleur second rôle masculin. De nombreux magazines font appel aux acteurs pour être affichés en page de couverture.
Au-delà du succès artistique et musical, Rent est devenue une véritable emblème et a entraîné des mouvements sociaux non négligeables. Des magasins de prestige créent, à la suite de la représentation, une ligne de vêtements inspirée de l’esthétique bohémienne de Rent. De même, les jeunes que Larson a souhaité toucher avec sa comédie musicale se sont rués au théâtre. Cadieux (2013) parle même de jeunes gens qui veulent voir et revoir Rent et se font appeler « Rent Heads ».[79]
Il faut souligner le caractère unique de Rent qui est une des rares comédies musicales présentées à Broadway dont les personnages principaux sont homosexuels sur scène. De plus, son succès a été tel qu’elle a été jouée jusqu’en septembre 2008, ce qui fait de cette comédie musicale le 8e spectacle qui est aussi longtemps représenté à Broadway. Elle a même été adaptée au cinéma par le réalisateur Chris Columbus en 2005.
3.3 L’adaptation comme produit : l’œuvre et le sens
3.3.1 Synopsis
Rent met en scène un an de la vie d’un groupe de jeunes amis vivant dans l’East Village à New York en 1990. Ils tentent à leur manière de survivre et de vivre de leur condition d’artistes en étant pauvres, dans un monde dévasté par le virus du VIH SIDA et en étant dépendants de la drogue. Comme son titre l’indique, Rent, qui signifie loyer en français, est basée sur l’histoire de deux jeunes amis dont Mark, un aspirant-réalisateur à la recherche d’un sujet et Roger, un guitariste en dépression qui a perdu toute source d’inspiration depuis le décès de sa petite amie. Tous deux essaient tant bien que mal d’esquiver Benny leur propriétaire afin de ne pas régler leur loyer. Les deux amis ont des fréquentations quelque peu inhabituelles. Leur amie Maureen, ex petite amie de Mark, est lesbienne. Collins le philosophe entretient une relation avec la drag-queen Angel et tous deux sont victimes du Sida. Quant à Mimi, leur voisine de palier, elle exerce le métier de strip-teaseuse.
Mark et Roger risquent l’expulsion à la vielle de Noël. A la recherche d’un sujet intéressant à réaliser, Mark se met à filmer son entourage. Roger, de son côté, essaie de composer une dernière chanson qu’il espère, pourra enfin le rendre célèbre avant qu’il ne périsse du Sida. Mimi, une voisine des deux artistes, frappe à la porte de ces derniers. Elle est toxicomane et séropositive et apporte un nouveau souffle dans la vie de Roger qui déprime de la mort de sa petite amie également séropositive du nom d’April. Le quartier dans lequel ils vivent est peu sûr, une manifestation contre l’expulsion s’y tient car ses habitants sont tous marqués par la pauvreté. De leur côté, Roger et Mimi filent le parfait amour mais tout se dégrade petit à petit à cause de la jalousie maladive de Roger. Mimi tombe de plus en plus malade tandis que Roger et elle entament leur rupture. Dévasté, le musicien finit par quitter la ville mais revient plusieurs semaines après car il a réussi à composer une chanson en choisissant Mimi comme source d’inspiration. A son arrivée, c’est une Mimi au bord de la mort qu’il retrouve. Il lui chante alors sa composition qui, miraculeusement, fait diminuer la fièvre de Mimi et la fait revivre, ce qui permet aux amoureux de revenir ensemble.
Les six amis tentent de vivre au jour le jour et de profiter de chaque moment comme si c’était le dernier. Ils sont colocataires d’un immeuble ancien dans l’East village connu pour être le quartier des artistes. Roger Davis et Mark Cohen habitent un loft modeste duquel ils pourraient être expulsés par leur propriétaire qui était leur ami et colocataire auparavant : Benjamin Coffin III. Roger traine un passé douloureux. Séropositif, il a perdu sa petite amie April qui s’est suicidée après avoir appris qu’ils étaient tous les deux séropositifs. L’histoire tourne autour d’une période d’un an de la vie des six amis et de deux de leurs partenaires. L’histoire est entrecoupée et un peu confuse, à l’image de La bohème. On y retrouve les ambitions ainsi que les problèmes auxquels les personnages font face. Elle se divise en deux actes.
Le premier acte contient 25 chansons tandis que le second en contient 17 :
- Act I Act II
- Voice Mail #1 Seasons of love
- Tune Up #2 Happy new Year
- Rent Voice mail #3
- You Okay Honey? Happy New Year B
- Tune Up #3 Take me or leave me
- One Song Glory Seasons of love B
- Light My Candle Without you
- Voice Mail #2 Voice mail #4
- Today 4 U Contact
- You’ll See I’ll cover you
- Tango: Maureen Halloween
- Life Support Goodbye Love
- Out Tonight What you own
- Another Day Voice mail #5
- Will I? Finale
- On the Street Your eyes
- Santa Fe Finale B
- I’ll Cover You
- We’re Okay
- Christmas Bells
- Over the Moon
- La Vie Boheme
- I Should Tell You
- La Vie Boheme B
Mark décide de raconter la vie et le passé de Roger en tant que séropositif dans son film documentaire. Benny arrive ensuite pour réclamer le loyer de la maison mais se retrouve éconduit par les amis. Maureen, ancienne petite amie de Mark, décide d’intervenir et organise un spectacle pour protester contre l’expulsion, aidée par Joannae, sa nouvelle petite amie qui est avocate. Une bagarre éclate durant le spectacle, forçant la police à intervenir. Mark filme tout et se fait un nom grâce au documentaire réalisé. Il est même contacté par un tabloïd appelé Buzzline.
L’histoire met en scène l’amour entre les différents personnages de la comédie musicale malgré leur séropositivité. A l’image du couple de Rodolphe et Mimi de Murger ou encore de Rodolfo et Mimi de Puccini, le couple Collins et Angel est en parfaite harmonie et s’aime profondément. Joanne et Mimi sont comme Marcello et Musetta : elles enchainent les disputes et se retrouvent très souvent au bord de la rupture. Entre Roger et Mimi, l’amour laisse place à la jalousie lorsque Roger découvre l’ancienne liaison entre sa dulcinée et Benny son propriétaire. Entre temps, Mimi est accroc aux drogues et médicaments. L’évènement tragique qui marquera cette comédie musicale dosée d’une très bonne pointe d’humour est la mort d’Angel qui succombe au VIH malgré l’amour, l’attention et le soin affectueux que Collins lui apporte.
Le décès d’Angel disperse les amis. En effet, Roger décide de partir alors que l’état de santé de Mimi s’aggrave. De son côté, Collins se mure dans sa tristesse d’avoir perdu celle qu’il aime. Maureen et Joanne, elles, continuent leur histoire d’amour tumultueuse loin des regards de leurs amis. Quelque temps après, Roger revient en ayant pris conscience de l’amour qu’il porte pour Mimi tout en craignant d’être arrivé trop tard. Il croise Mark et Collins qui s’affairent dans le grenier et lui apprennent qu’ils n’ont pas vu Mimi depuis un certain temps. Les amis sont surpris par Maureen qui appelle au secours : Mimi a atterri dans ses bras, prise de frissons et atteinte d’une fièvre assez élevée. Roger lui déclare son amour dans un bref moment de lucidité avant qu’elle ne devienne inconsciente. Anéanti, il craint le pire et décide de lui chanter la chanson qu’elle lui a inspiré. Elle raconte à quel point sa vie ne vaut pas la peine d’être vécue sans Mimi à ses côtés.
La fièvre de Mimi s’estompe et elle revient peu à peu à la vie. Elle raconte à ses amis qu’elle a vu une lumière blanche lorsqu’elle a été inconsciente. En la suivant, elle a rencontré Angel qui lui a dit de revenir pour écouter la chanson de Roger. A la fin de la comédie musicale, un épilogue montre les personnages principaux masculins qui, heureux d’avoir plus de temps à passer ensemble, soulignent que seul le moment présent compte et qu’il faut oublier les regrets au risque de perdre tout sens de la vie.[80]
3.3.2 Les personnages
Sept personnages principaux sont retrouvés dans Rent. Mark Cohen fait figure de personnage principal et Larson lui a confié, à travers le film documentaire qu’il réalise, la narration de l’histoire. Il est documentariste et s’entoure d’amis victimes du Sida. Il devient le témoin de leur lutte quotidienne mais n’est pas atteint du virus. Il sait que ses amis séropositifs partiront avant lui, aussi se sert-il de sa caméra pour immortaliser le peu de temps qu’il passe avec eux.
Roger Davis est le colocataire de Mark. C’est un guitariste et aspirant-chanteur séropositif et dépressif qui passe tout son temps à tenter de composer une nouvelle chanson, au point d’arriver à l’obsession. Cette obsession l’empêchera de profiter du peu de temps qu’il peut passer avec ses amis et d’aimer pleinement Mimi, sa nouvelle petite amie également atteinte du Sida. Il réussira vers la fin de l’histoire à composer sa chanson en se servant de son amour pour Mimi comme source d’inspiration.
Tom Collins était le colocataire de Mark et Roger auparavant. Il s’agit d’un philosophe activiste afro-américain également victime du sida et qui revient à New York la veille de Noël auprès de ses amis. Il rencontre Angel lors de son agression et tombe follement amoureux de ce dernier.
Angel est un travesti hispano-américain également séropositif qui se distingue par sa bonté. Collins et lui filent le parfait amour suite à leur coup de foudre, leur relation a des répercussions positives sur leurs amis. Il meurt quelques mois après, ce qui changera radicalement la relation ainsi que l’univers de ses amis.
Maureen Jonson est une jeune femme séduisante connue pour ses performances d’art contemporain. Elle est l’ex petite amie de Mark et a également habité avec lui et Roger auparavant. Elle a quitté Mark pour sortir avec une avocate afro-américaine du nom de Joanne Jefferson.
Benny ou Benjamin Coffin III est le propriétaire de Mark et Roger. Il était leur colocataire jusqu’à ce qu’il épouse une riche bourgeoise qui l’a fait accéder au rang de propriétaire de l’immeuble où vivent nos héros ainsi que des immeubles qui les jouxtent.
Mimi Marquez est la petite amie de Roger. Elle vit également dans l’immeuble dans lequel il habite. Elle n’a que 19 ans, mais elle mène une existence extravagante de strip-teaseuse et d’accroc à l’héroïne. Egalement séropositive, elle tentera jusqu’au bout de combattre son addiction à la drogue.
Les personnages de Larson sont plus instables et déjantés que ceux de Murger et Puccini. Leur tranche d’âge se situe pourtant toujours dans la vingtaine, une caractéristique fondamentale de la Bohème. On peut dire que Rent est une adaptation à l’américaine des Scènes et de La Bohème, avec en sus un contexte culturel omniprésent qui forme l’essence de la comédie musicale : le sida.
3.3.3 Thématiques
Il existe des thématiques en commun entre Les Scènes de la vie de bohème, La Bohème et Rent. Dans Rent, on parle également de la jeunesse insouciante. Elle est marquée par la pauvreté et la maladie, mais surtout par la liberté sexuelle. Rent est focalisée sur le sexe dépravé contraire au « safe sex ». On y retrouve l’homosexualité mais aussi l’addiction au sexe qui conduit les personnages à mener une vie de débauche. Cela ne semble donc pas très étonnant de voir que la plupart d’entre eux sont atteints du sida.
L’amour et l’amitié sont des thématiques plus abordées par Larson que Puccini. Dans Rent, les personnages sont particulièrement solidaires. Leur maladie les lie et les unit. On le voit dans l’exemple de Mark qui, loin de fuir les séropositifs comme le montrent les stéréotypes, soutient et assiste ses amis bien qu’il ne soit pas atteint du VIH. Cette amitié est renforcée par la fatalité du Sida. Tous les personnages savent qu’ils risquent de périr du jour au lendemain et décident de vivre au jour le jour de manière soudée et de profiter de chaque instant pour ne pas avoir de regret.
Cette philosophie nous rappelle la vie de Bohème, une autre thématique récurrente dans cette œuvre musicale. Les personnages sont pauvres et fuient leur responsabilité, notamment lorsqu’il s’agit de payer le loyer de leur modeste loft. L’addiction à la drogue et la sensibilisation envers les victimes du sida trop marginalisées dans les années 90 sont d’autres thématiques principales de la comédie musicale. La maladie est également présente ici. Mais contrairement aux deux œuvres précitées, elle touche le plus grand nombre du groupe d’amis et n’a pas de remède : le Sida. L’art est un autre thème en commun aux œuvres d’origine de Rent. Ici, nous assistons également à la vie quotidienne de jeunes artistes qui essaient de percer dans l’art malgré des conditions de vie modestes et qui se contentent de l’art comme seule source de revenu, quitte à vivre dans la Bohème.
L’amour dans Rent fait face au Sida, aux drogues et ne se manifeste pas uniquement à travers la relation homme-femme mais aussi à travers l’homosexualité, ce qui fait de cette comédie musicale une œuvre unique à sa parution. En traitant des thèmes aussi sociaux qu’actuels, Rent a su toucher le cœur de nombreux jeunes et sert de porte-parole à une jeunesse déjantée qui essaie de survivre face au Sida. L’amour dans Rent est plus fort que dans La Bohème. Il triomphe de tout y compris de la maladie, et c’est le message que Larson veut véhiculer en guérissant Mimi par la force de l’amour de Roger et non en la laissant mourir comme le fait Puccini.
3.3.4 Images de New York
Rent se passe dans le New York des années 1990. Les personnages de la comédie musicale vivent à East Village dans un loft très modeste. Le quartier d’East village est considéré comme celui des artistes et l’histoire se passe en grande partie dans ce dernier. Les lieux fréquentés par les personnages principaux sont le quartier et ses rues, le loft, le Life Café qui sert de lieu de rencontre et de restauration de la bande d’amis ainsi que le Scratch Cat Club, le lieu de travail de Mimi.
Larson dépeint un New York vivant et jeune. Le quartier misérable dans lequel vivent les jeunes amis est pauvre mais gai et animé. Il est également dangereux comme le montre le premier acte dans lequel Collins se fait agresser par une bande de voyous qui s’emparent de son manteau alors qu’il retourne dans le quartier pour revoir ses vieux amis.
3.4 Conclusions
Rent est connue en tant q »‘adaptation musicale de La Bohème de Puccini. Comme cette dernière, il s’agit d’une adaptation collective dans laquelle Billy Aronson et Jonathan Larson ont collaboré. Après des désaccords entre les deux artistes, Aronson a confié le projet à Larson qui a ensuite coopéré avec Nicola du NYTW afin de faire de sa comédie musicale une référence à Broadway. Rent relève de thématiques propres aux Scènes et à La Bohème (amour, pauvreté, vie de Bohème, amitié, maladie…).
C’est Aronson qui a eu l’idée de prendre La Bohème de Puccini comme source d’inspiration dans la création de Rent. De nombreuses ressemblances entre les deux œuvres artistiques sont notables tant au niveau des scènes que des personnages ou de l’intrigue proprement dite. Les critiques fustigent Rent pour son manque de cohérence, un fait également constaté chez La Bohème. Pour notre part, nous nous accordons à dire que Rent est une réponse à La Bohème de Puccini. Cependant, nous ne nous arrêterons pas là. Le visionnage du DVD de Rent et l’étude de cette comédie musicale nous amènent à penser qu’elle a également été inspirée du roman de Murger.
Scott Miller, dans son analyse de Rent, l’évoque vaguement en affirmant que Larson a lu le livre de Murger après s’être séparé d’Aronson et a donc été influencé par ce dernier pour son adaptation. De mon côté, j’ai trouvé des similitudes frappantes entre Rent et les Scènes, ce qui m’amène à penser que la comédie musicale est basée sur le roman culte de Murger.
Comme nous le savons, Puccini a mis en scène un opéra tragique qui se termine par la mort de Mimi. Dans Rent, par contre, Mimi survit à une maladie grave. Il s’agit là d’une vision positive de la vie et, comme nous l’avons précédemment vu, Rent célèbre la vie. On le voit à travers l’histoire dans laquelle la vie est mise en avant partout : dans le nom du café « Life café » et dans celui du groupe de support aux victimes du Sida qui s’appelle « Life Support ». Rent n’est donc pas tragique mais plutôt vive et gaie, à l’image des Scènes de Murger qui nous font rire du début jusqu’à la fin de leur lecture.
Ensuite, nous voyons que la description de la vie des jeunes artistes par Puccini est très poétique, bien qu’elle soit réaliste. Chez Rent, en revanche, la réalité décrite est dure, comme si l’auteur était fâché contre la réalité et que les personnages devaient l’affronter avec courage. Le roman de Murger est également très réaliste. En ce qui concerne le groupe Life Support, son étude me mène à penser qu’il pourrait représenter un cénacle moderne à l’image du cénacle des quatre artistes dans le premier chapitre du roman de Murger. Dans les Scènes, les quatre amis ont créé le cénacle pour se regrouper en tant qu’amis et artistes. Dans Rent, Life Support n’est pas constitué par des artistes mais plutôt par des amis de Mark et par lui-même. Le cénacle de Murger et celui de Larson ont pour point commun l’amitié entre les personnages principaux. Pour Larson, il a été tiré de la réalité car il allait vraiment à ce type de réunions pour soutenir ses amis séropositifs dans la vie réelle.
En outre, les critiques de Rent affirment que la mort de Mimi a été transférée sur le personnage d’Angel. Mais à mon avis, Larson a plutôt calqué sur le dix-huitième chapitre des Scènes (Le manchon de Francine). Dans le roman, Francine et Jacques forment un couple très uni tout comme Collins et Angel dans Rent. La mort de Francine représente l’unique moment de tristesse dans les Scènes, et c’est également le cas pour la mort d’Angel dans Rent. Ainsi, nous pouvons affirmer que le couple Collins-Angel a été copié sur celui de Jacques et Francine et que le seul moment triste des Scènes ressemble à celui de Rent.
Dans Rent, Collins et Angel représentent un véritable couple, et le seul d’ailleurs. C’est également le cas dans les Scènes avec Jacques et Francine. Les critiques sur Rent ne comprennent pas la raison pour laquelle Larson a tenu à faire mourir Angel et à garder Mimi en vie, ce qui les amène à penser que Larson est moins fidèle à Puccini. Pourtant, en regardant bien, on se rend compte que c’est parce qu’il a suivi la trame de Murger.
D’autres similitudes m’interpellent, notamment la manière dont Rodolphe fait la connaissance de Mimi. Dans le roman de Murger, Mimi est l’ancienne maîtresse d’un ami de Rodolphe et dans Rent, elle est l’ancienne amante de Benny le propriétaire. L’amitié, une thématique essentielle aux trois œuvres, nous permet également de confirmer notre hypothèse. Dans les Scènes, Murger nous montre quatre personnages inséparables, des amis soudés qui se nourrissent de l’amitié qu’ils vouent les uns aux autres. Ils ont l’habitude de se rendre ensemble au restaurant et de ne pas payer leur addition. Dans Rent, le groupe d’amis se rend au Life Café où ils ne sont pas les bienvenus : le serveur refuse de les faire entrer car ils ont l’habitude de ne pas payer en partant. Il en est de même dans le roman où les quatre amis ne sont pas les bienvenus dans le Café Momus où le propriétaire ne les aime pas en raison de leur désertion lors du règlement de leur note. Tout cela est absent dans l’opéra de Puccini.
Il existe également d’autres éléments que Larson a empruntés aux Scènes de Murger. Au niveau de la structure de la comédie, par exemple, nous notons des similitudes avec celle du roman. En effet, ces deux œuvres sont racontées par un narrateur qui est Mark dans Rent et Rodolphe dans les Scènes. En ce qui concerne l’intrigue proprement dite, nous avons vu que les librettistes se sont surpassés en vue de mettre de la cohérence et de l’équilibre dans leur histoire tirée des 23 scènes très peu liées entre elles de Murger.
En effet, le roman de Murger se démarque par sa structure un peu en désordre résultant du fait que ce sont des scènes de vie qui y sont relatées et qu’il est difficile de passer d’une scène à une autre. Cela rend le roman intéressant. Dans Rent, la structure est également confuse. Bien qu’elle soit divisée en deux grands actes, on remarque que l’histoire est très intriquée et que de nombreuses scènes de vie y sont exposées, comme dans le roman de Murger. Cela manque dans l’œuvre de Puccini qui cherchait à tout prix à mettre de la cohésion et de l’équilibre dans ce désordre.
Les critiques font de Rent une œuvre où l’histoire est très emmêlée et compliquée, et cela parce qu’elles ne pensent pas que c’est Murger que Larson a voulu imiter, au lieu de Puccini. Il faut donc rapprocher Rent des Scènes pour le comprendre, et non de La Bohème. Nous nous avançons à dire que Rent, dans sa structure, a été inspirée des Scènes de Murger et non de La Bohème de Puccini. Prenons à témoin les différentes chansons dans la comédie. Il en existe 40 et chacune d’entre elles raconte une scène précise. Il y a donc quarante chansons pour quarante scènes. Chez Murger, il y a 23 chapitres pour des dizaines de scènes emmêlées. Chez Puccini, par contre, il n’existe que quatre tableaux qui font état d’un récit composé d’extraits du roman. Il est donc clair que Larson a plutôt copié sur Murger dans ce contexte que sur Puccini.
conclusions générales
Dans ce mémoire, nous sommes attachés à étudier deux adaptations du roman culte et emblématique d’Henry Murger intitulé Scènes de la vie de Bohème. Ce roman datant de 1830 raconte des scènes de la vie d’un groupe d’amis artistes qui vivent dans la Bohème. La bohème, comme nous l’avons vu, est un mode de vie marginal souvent opposé à la bourgeoisie. Ceux qui vivent de ses préceptes sont considérés comme des marginaux, des gitans et parfois même des voyous qui ne suivent ni les mœurs ni les codes de la société. Ce sont des êtres à part qui ne vivent pas de la même manière que les autres membres de la société. Ils sont pauvres et ne cherchent pas d’ascension sociale. Ils se contentent de vivre au jour le jour et s’adonnent aux grosses consommations malgré leur précarité.
Dans les années 1830, les artistes de la Bohème ont émergé à Paris, et Henry Murger en a fait partie. Ces artistes vivent au jour le jour, profitent du moment présent, sont dans la vingtaine et ne dépassent pas la trentaine. Ils sont rêveurs et espèrent pouvoir vivre de leur art. Ce sont ces artistes là qui sont représentés dans les Scènes de Murger. Rodolphe est rédacteur dans un journal à Paris, son ami Marcel est peintre, Schaunard est musicien et Colline est Philosophe. Tous les quatre sont pauvres et ont du mal à payer leur loyer. Ils sont unis par une amitié inconditionnelle et une solidarité à toute épreuve. Dans leur entourage sillonnent Mimi, Musette et Francine.
Les Scènes tournent principalement autour de l’histoire d’amour de Rodolphe et Mimi. Mais au-delà, elle raconte le quotidien de jeunes gens en proie à la pauvreté. Le ton est pittoresque et fantasque, il invite au rire et ce rire sera présent dans tout le livre, sauf à la mort de Francine, seul épisode triste de l’histoire. Les Scènes ont acquis une telle notoriété qu’elles ont donné naissance à diverses adaptations théâtrales, musicales et scéniques. La première adaptation faite des feuilletons originaux des scènes est la pièce théâtrale de Murger et Théodore Barrière sortie en 1849, deux ans avant la sortie officielle du roman. Le roman se termine sur une note positive : la victoire de Rodolphe et Marcel sur la bohème et l’amélioration de leur condition de vie en tant qu’adultes.
Près de quarante ans plus tard, en 1896, Giacomo Puccini, aidé de deux librettistes, profite de la traduction des Scènes parue en Italie en 1872 pour créer une adaptation à l’opéra du roman. Intitulée La Bohème, elle reprend les thématiques principales du roman avec, en prime, une petite touche personnelle du compositeur italien. Ainsi, les noms des personnages principaux sont gardés tels quels mais seulement traduits en italien. Certains personnages tels que celui de Francine sont absent mais se retrouvent chez d’autres personnages de La Bohème à l’instar de Mimi. Si le roman est divisé en 23 chapitres, La Bohème se divise en quatre tableaux. Ici, les personnages principaux restent des artistes et la vie de Bohème est mise en avant. Puccini lui-même exige que l’on mette des citations du roman de Murger avant chaque tableau afin de rappeler l’origine de l’adaptation. L’opéra de Puccini s’achève sur une note tragique : le décès de Mimi entourée par ses amis proches dans la petite mansarde où tout a commencé.
Un siècle plus tard, Jonathan Larson, convaincu par l’artiste Billy Aronson, reprend le thème de la Bohème dans une adaptation musicale, plus précisément une comédie, intitulée Rent. Ici, le procédé d’adaptation est toujours l’emprunt et le compositeur part d’une œuvre à succès pour façonner à sa manière une histoire à la fois similaire et différente de l’original. Larson, tout comme Murger et Puccini, écrit un roman très réaliste et se sert de son expérience personnelle comme source d’inspiration. Les trois auteurs se retrouvent donc dans les personnages de leurs œuvres. Chez Larson, l’opéra revêt un caractère très personnel, il lui permet de s’exprimer sur une cause qui lui tient à cœur et sur un fait qui l’indigne : le manque de considération pour les victimes du Sida. Tout comme chez Murger et chez Puccini, on retrouve dans l’œuvre de Larson un groupe d’amis soudés qui mènent une existence de Bohème. Mais tandis que l’histoire se passe dans le Paris des années 1830 chez les deux premiers auteurs, elle se déroule plutôt à New York, dans les années 1990, chez Larson.
On a tendance à croire que Rent est tirée de La Bohème de Puccini. Mais lorsque nous analysons ces deux œuvres en profondeur, nous découvrons un processus d’adaptation ayant pour principale source les Scènes de Murger. Dans le dernier chapitre de mon mémoire, j’ai tenu à faire le point sur ce sujet et à lever le voile sur certaines incompréhensions dans les critiques sur Rent. A titre d’exemple, les critiques ne comprennent pas pourquoi Larson ne fait pas mourir Mimi à la fin de l’histoire alors qu’il s’inspire de La Bohème dans laquelle Mimi décède à la fin de l’opéra. Certes, Larson a affirmé que sa comédie musicale célèbre la vie et qu’elle doit donc se terminer de façon positive et non tragique comme l’opéra de Puccini. Mais pour ma part, l’explication se trouve autre part, c’est-à-dire chez Murger qui ne fait pas mourir Mimi à la fin mais termine son roman sur une note positive, un message d’espoir, une célébration de la vie à sa manière.
De nombreux autres éléments me permettent également d’affirmer que Rent n’est pas seulement issue de La Bohème mais également des Scènes de Murger. La structure de la comédie musicale en témoigne. Elle est aussi désordonnée que celle des Scènes et, le plus important, c’est le personnage principal qui raconte l’histoire : Mark dans Rent et Rodolphe dans les Scènes.
Ouvrages
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Mémoires et ouvrages pédagogiques
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- Elizabeth Corbin Tritington, « Over the moon : The creation and development of Rent by Jonathan Larson », Master of Arts, University of Maryland, 2007, pp. 14-17.
- Françoise Carret, La Bohème de Giacomo Puccini, livret de Luigi Illica et Giuseppe Giacosa dans Isabelle, Tourtet, « La politique éducative et culturelle de l’académie d’Aix-Marseille Domaine musique – Chorégies d’Orange – Document pédagogique associé 2011-2012, p. 2.
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- Opéra Orchestre National Montpellier, La Bohème Giacomo Puccini, Cahier pédagogique, saison 2012-2013
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[1] Disponible sur http://www.europemaxima.com/?p=2427, consulté le 30 août 2016
[2] Robert Michels, « Sociologie de la bohème et de ses rapports avec le prolétariat intellectuel », Trivium[En ligne],
18 | 2014, Textes traduits en français, mis en ligne le 17 décembre 2014, consulté le 28 juillet 2016. URL : http://
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[3] Henri, Murger, « Scènes de la vie de bohème », Calmann-Lévy. Paris, 1851, p. 6
[4] Eugène, De Mirecourt, « Henry Murger », Troisième édition, Librairie des contemporains, Paris 13 rue de Tournon, 1869, pp. 7-9.
[5] www.universalis.fr, consulté le 03 septembre 2016
[6] http://www.atramenta.net/lire/scenes-de-la-vie-de-boheme/14838/1#oeuvre_page, consulté le 03 septembre 2016
[7] Ibid.
[8] Ibid.
[9] Larousse 2006,Imprimerie Maury-Eurolivres à Manchecourt, p.376,
[10] https://trivium.revues.org/4986, consulté le 3 septembre 2016
[11] Lise, Sabourin, » Henri Murger, Scènes de la vie de bohème », Studi Francesi, 2014, p.172
[12] Pascal Brissette, Anthony Glinoer, « Bohème sans frontière », p.1
[13] Pascal, Brissette et Anthony, Glinoer, « Introduction ‘La bohème, ça voulait dire…’ « , p. 18.
[14] La critique française, 1862, p.392
[15] Sandrine Berthelot, l’Art de la dérision dans les romans dans les romans de la période réaliste en France, Honoré Champion , 2004 , p.231
[16] Lise, Sabourin, p.172.
[17] https://strenae.revues.org/792, consulté le 3 septembre 2016
[18] Annuaire de la Gazette des Beaux-arts, volume 1 ,p.46
[19] Loïc Chotard, « Approches du 19èmesiècles », Paris, Presse Paris-Sorbonne, p.204
[20]Félix Nadar, André Rouillé, « Correspondance », Volume 1, J. Chambon, 1998, p.384
[21]Opéra Orchestre National Montpellier, La Bohème Giacomo Puccini, Cahier pédagogique, saison 2012-2013
[22] http://www.afi.com/members/catalog/DetailView.aspx?s=&Movie=2950, consulté le 09 septembre 2016
[23]Anthony, Slide, « Banned in the USA : British films in the United States and their Censorship, 1933-1966 », I.B. Tauris. Londres, 1998, p. 106.
[24] « L », 1895. Mille huit cent quatre-vingt-quinze [En ligne], 33 | 2001, mis en ligne le 26 juin 2006, consulté le 18 septembre 2016. URL : http://1895.revues.org/96 ; DOI : 10.4000/1895.96, consulté le 09 septembre 2016
[25] http://www.daveburrell.com/,consulté le 09 septembre 2016
[26] Pascal, Brissette et Anthony, Glinoer, « Introduction ‘La bohème, ça voulait dire…’ « , p. 12.
[27] Seigel, Jerrold, « Paris bohème. Culture et politique aux marges de la vie bourgeoise. 18301930 », traduction d’Odette Guitard, Paris, Gallimard, « Bibliothèque des histoires », 1991, p. 21.
[28] Pascal, Brissette et Anthony, Glinoer, « Bohème sans frontière », Presses Universitaires de Rennes, Paris, 2010, p. 9.
[29] Anthony, Glinoer, « L’orgie bohème », Contextes (en ligne), pp. 1-3, mis en ligne le 28 août 2009, disponible sur http://contextes.revues.org/4369 ; DOI :10.4000/contextes.4369.
[30] Jean-Jacques, Issouli, « La Bohème : approche littéraire. Bohème et Bohémiens dans la littérature », disponible sur http://sites.crdp-aquitaine.fr/opera/la-boheme-approchelitteraire/, consulté le 05 septembre 2016, p. 1.
[31] Ibid., p. 2
[32] Robert, Michels, « Sociologie de la bohème et de ses rapports avec le prolétariat intellectuel », Trivium [En ligne], 2014, disponible sur http://trivium.revues.org/4986, consulté le 28 juillet 2016, p. 1
[33] Id., p. 2
[34] Ibid.
[35] Id., p. 3
[36] Id., p.8
[37] Jean-Jacques Issouli, professeur de lettres, La bohème, approches littéraire, 1896, p.2-3
[38] Ibid.
[39] Linda, Hutcheon, « A Theory of Adaptation », 2nd édition, New York, Routledge, 2011, p. 8
[40] Jean-René Ladmiral, « Traduire: théorèmes pour la traduction », Paris, Editions Gallimard, 1994, p. 20
[41] Marc-Emmanuel Melon, « Adaptation », dans « Le Dictionnaire du littéraire »,(ouvrage collectif sous la direction de Paul Aron, Denis Saint-Jacques, Alain Viala), Presses Universitaires de France, Paris, 2002, p. 4
[42] Linda, Hutcheon, p. 8
[43] Françoise, Carret, La Bohème de Giacomo Puccini, livret de Luigi Illica et Giuseppe Giacosa dans Isabelle, Tourtet, « La politique éducative et culturelle de l’académie d’Aix-Marseille Domaine musique – Chorégies d’Orange – Document pédagogique associé 2011-2012, p. 2.
[44] Jean-Jacques, Issouli, « La Bohème : approche littéraire. Bohème et Bohémiens dans la littérature », disponible sur http://sites.crdp-aquitaine.fr/opera/la-boheme-approchelitteraire/, consulté le 05 septembre 2016, p. 2.
[45] Françoise, Carret, La Bohème de Giacomo Puccini, livret de Luigi Illica et Giuseppe Giacosa dans Isabelle, Tourtet, « La politique éducative et culturelle de l’académie d’Aix-Marseille Domaine musique – Chorégies d’Orange – Document pédagogique associé 2011-2012, p.9
[46] La Bohème Giacomo Puccini, Dossier pédagogique 2011-2012, Opéra national du Rhin, p. 3
[47] La Bohème Opéra de Puccini, Dossier pédagogique 2014-2015, Opéra de Reims, p. 7
[48] Puccini y a passé plusieurs années pour produire La Bohème. Un festival portant son nom (Festival Puccini) s’y tient chaque année en l’honneur du compositeur. Depuis 1938, la localité de Torre de lago a ajouté le nom du compositeur à son appellation devenue « Torre delLago Puccini » pour rendre hommage au compositeur.
[49] Michele, Girardi, « L’arte internazionale di un musicista italiano », Venizia, Marsilio Editore, 1995.
[50] Ibid.
[51] L’Avant-Scène Opéra, « La Bohème Puccini », Paris, Editions Premières Loges, n° 20, p. 104.
[52] Jean-Jacques, Issouli, p. 5
[53] Michele, Girardi, op. cit.
[54] Au lieu de suivre à la lettre le livre de Murger et pour mieux répondre aux exigences théâtrales et surtout musicales, les auteurs du présent livret ont cherché à s’inspirer de son essence, contenue dans son admirable préface. Ils sont restés fidèles au caractère des personnages et ont été parfois presque pointilleux dans l’évocation de certains détails d’atmosphère. Ils ont respecté la subdivision en « tableau bien distincts » voulu par Murger. Mais dans les épisodes dramatiques et comiques ils ont tenu à procéder avec toute la liberté qu’il jugeaient – à tort ou à raison – indispensable à l’interprétation scénique de cet ouvrage, le plus libre peut-être de la littérature moderne. Dans ce livre étrange les personnages possèdent et expriment des caractères vivants authentiques et spécifiques. Pourtant, il arrive souvent qu’un même caractère se présente sous différents noms, s’incarne en quelque sorte dans deux personnages.
[55] Id., p. 7
[56] Lettre de Giacosa à Ricordi, le 16 octobre 1893.
[57] Opéra de Reims, p. 11
[58] Isabelle, Tourtet, p. 7.
[59] Premier tableau
«… Mimi était une charmante femme et d’une nature qui convenait particulièrement aux sympathies plastiques et poétiques de Rodolphe. Elle avait vingt-deux ans; elle était petite, délicate… Son visage semblait l’ébauche d’une figure aristocratique… ses traits, d’une certaine finesse…
« Le sang de la jeunesse courait chaud et rapide dansses veines, et colorait de teintes rosées sa peau transparente aux blancheurs de camélia…Cette beauté maladive séduisait Rodolphe… Mais ce qui contribua surtout à rendre Rodolphe amoureux fou de Mademoiselle Mimi, ce furent ses mains que, malgré les soins du ménage, elle savait conserver plus blanches que les mains de la déesse de l’Oisiveté. »
[60] Deuxième tableau
«En ce temps-là, Gustave Colline le grand philosophe, Marcel le grand peintre, Schaunard le grand musicien, et Rodolphe le grand poète, comme ils s’appelaient entre eux, fréquentaient régulièrement le café Momus, où on les avait surnommés les quatre mousquetaires, à cause qu’on les voyait toujours ensemble. En effet, ils venaient, s’en allaient ensemble, jouaient ensemble, et quelque fois aussi ne payaient pas leur consommation, toujours avec un ensemble digne de l’orchestre du Conservatoire.
« Mademoiselle Musette était une jolie fille de vingt ans…beaucoup de coquetteries, un peu d’ambition et guère d’orthographe… après avoir fait la joie des soupers du quartier Latin… une grande mobilité dans son existence, qui était une perpétuelle alternative de coupés bleus et d’omnibus, d’entre-sol et de cinquième étage, de robes de soie et de robes d’indienne.
« Que voulez-vous? fit Musette, j’ai besoin de temps en temps d’aller respirer l’air de cette vie-là. Mon existence folle est comme une chanson ; chacun de mes amours est un couplet, mais Marcel en est le refrain. »
[61] Troisième tableau
«La voix de Mimi avait des sonorités cristallines qui entraient dans le cœur de Rodolphe comme un glas funèbre…
« Il avait pour elle cet amour jaloux, fantasque, querelleur et bizarre…
« Rodolphe fut vingt fois sur le point de se séparer de Mademoiselle Mimi…
« À proprement parler, cette existence était devenue pour tous deux un enfer.
« Deux ou trois fois par mois, au milieu de leurs orageuses querelles, Rodolphe et Mimi s’arrêtaient d’un commun accord dans l’oasis fraîche d’une nuit d’amour… Mais le lendemain, le plus futile prétexte amenait une querelle, et l’amour épouvanté s’enfuyait encore pour long temps.
« Ainsi, leur vie – si l’on peut parler d’une vie – était un mélange de jours heureux et de jours détestables, dans l’attente continuelle du divorce…
« Musette possédait instinctivement le génie de l’élégance. En arrivant au monde, la première chose qu’elle avait cherché du regard avait dû être un miroir…
« C’était une fille intelligente et spirituelle… et rebelle à toute chose imposée, elle n’avait jamais pu ni su résister à un caprice.
« Marcel avait été vraiment le seul homme qu’elle eût aimé. C’était du moins le seul pour qui elle avait réellement souffert… pour elle le luxe était presque une question de santé.»
[62] Quatrième tableau
« À cette époque, il y avait déjà long temps que les bohèmes étaient en état de veuvage…
« Quant à Musette, elle était devenue un personnage presque officiel, et il y avait trois ou quatre mois que Marcel ne l’avait rencontrée.
«Pour Mimi, Rodolphe n’en avait plus entendu parler, excepté par lui-même quand il était seul.
« il est aussi lâche que moi »… « Vie charmante et terrible… »
[63] MIMÌ
(du
Une femme dehors)
Excusez-moi.
RODOLFO!
MIMÌ
S’il vous plaît,
ma chandelle s’est éteinte.
RODOLFO
(courant ouvrir)
Me voici.
[65] MUSETTA
(en partant)
Espèce de gribouilleur !
MARCELLO
Vipère !
MUSETTA
Crapaud !
MARCELLO
(regagnant la taverne)
Sorcière !
[66] Opéra orchestre national Montpellier la Bohème Giacomo Puccini, Languedoc-Roussillon, Cahier pédagogique 2012, 2013.
[67] RODOLFO
J’ai encore un espoir.
Pensez-vous que c’est grave ?
MUSETTA
Je ne crois pas.
(Schaunard s’approche du lit.)
SCHAUNARD
(bas, à Marcello)
Marcello, elle est morte…
[68] SCHAUNARD
Du chevreuil rôti.
MARCELLO
Une dinde.
SCHAUNARD
Du vin du Rhin.
COLLINE
Du vin de table.
SCHAUNARD
Un homard décortiqué !
[69] Andréa, Cadieux, La comédie musicale Rent, entre l’art et l’expérience: création d’un espace alternatif où traiter du sida, Mémoire présenté comme exigence partielle de la maîtrise en Etudes littéraires, Université du Québec à Montréal, 2013, p. 61.
[70] Noémie, Cénent & Victoria, Navega & Manon, Hoarau & Charlotte, Servera & Roxane, Garcia, « Naissance et origine de la comédie musicale à Broadway : mythe ou réalité ? A travers West Side Story », pp. 3-4.
[71]Andréa, Cadieux, résumé.
[72]« Mes amis toussent et crient à cause de jevers que la rage comme les feux de forêt en fuite et les hommes avec les puissances les envoient rien mais des copies dédicacées de leur 8×10. Je veux aider, mais je ne sais pas quoi faire
[73] Jonathan Larson cité par Jeffrey, Schwarz, « No Day But Today: The Story of« Rent» », USA, 2006, 36:15
[74] Rent ‘irresponsibily romanticizes heroin abuse’ and mlakes AIDS ‘cool’ and being poor ‘choc' ».
Judith, Sebesta, «Of Fire, Death, and Desire: Transgression and Cami val in Jonathan Larson’s Rent», Contemporary Theatre Review, vol. 16, no 4, 2006, p. 419-438, p. 422.
[75]Scott, Miller, « Inside Rent: background and analysis « , disponible sur http://www.newlinetheatre.com/rentchapter.html, consulté le 20 septembre 2016.
[76] Kate, Giel ed. “Rent”: Book, Music,and Lyrics by Jonathan Larson. Interviews and text by Evelyn Mc Donnell with Kathy Silberger. NewYork : Rob Weisbach Books –William Morrow, 1997, p. 18.
[77] Amy, Asch & Maggie, Lally, “Jonathan Larson Rocks Broadway,” in The Playwright’s Muse, ed. Joan
Herrington, NewYork : Routledge, 2002, p. 215.
[78] Elizabeth, Corbin Tritington, « Over the moon : The creation and development of Rent by Jonathan Larson », Master of Arts, University of Maryland, 2007, pp. 14-17.
[79] Andréa, Cadieux, p. 3
[80] Valentina, Margiotta, Da La Bohème (1896) a Rent (1996) : Intertestualta e dialettica dei generi nel teatro musicale, Universita Deglu Studi Roma « La Sapienza », Facolta’ Di Scienze Umanistiche, 2010-2011.
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