Face aux changements entrainant un nouveau modèle économique du marché de l’optique, quels en sont les conséquences et les enjeux pour les opticiens de demain ?
Thème : Enjeux des changements sur le marché de l’optique
Problématique : Face aux changements entrainant un nouveau modèle économique du marché de l’optique, quels en sont les conséquences et les enjeux pour les opticiens de demain ?
Plan
Partie 1. Le marché du secteur de l’optique
1.1 Généralités sur la filière optique
1.4 Les principaux acteurs du secteur
1.5 Les principaux facteurs d’évolution du marché de l’optique
Partie 2. Impacts des évolutions majeures et des tendances sur le marché
2.1 Les évolutions réglementaires significatives pour le secteur
2.1.2 Volonté de l’Etat de libéraliser la concurrence en France
2.1.3 Les distributeurs indépendants et leurs concurrents
2.2 Etude de cas d’une entreprise indépendante – Optique Chagrot
2.3 Analyses comparatives (Benchmarking)
3.2 Développer un partenariat avec d’autres distributeurs indépendants
3.3 Segmentation de la clientèle pour la diversification de l’offre
3.3.1 Tenir compte de la question financière
3.3.2 Accorder plus de marge de manœuvre pour les clients plus fortunés
3.4 Diversification des canaux de distribution : développement de l’optique en ligne
3.5 Insister sur certains créneaux : dont les dimensions conseil et livraison
3.6 Améliorer la visibilité de l’entreprise
Introduction
Un ensemble d’opérateurs du secteur optique en France a fait un constat sur la base de quelques informations assez surprenantes concernant essentiellement la santé visuelle et les enjeux de celles-ci. Ainsi, l’Observatoire des Enjeux de la Vision estime qu’il existerait en France environ 10 millions d’individus qui souffrent de trouble de vision et auraient donc besoin de dispositifs de correction (4.2 milliards de personnes, à l’échelle mondiale). Au niveau de l’économie nationale, les impacts de cette situation en termes de perte de compétitivité (associés à la mauvaise vision des travailleurs) sont chiffrés à environ 2.1 milliards d’euros par an (50 milliards de dollars pour le cas de l’Europe et 269 milliards de dollars pour l’économie mondiale) (Gautier, 2013) (Infolunettes, 2013). En effet, 38% des salariés âgés de plus de 50 ans auraient des difficultés sur ce point. Aussi, le Syndicat National des Ophtalmologistes de France (SNOF) estime quant à lui que 20% des individus impliqués dans des accidents de circulation sont des malvoyants (Comité Filière optique d’excellence, 2014, p. 7). Les coûts associés aux frais médicaux concernant les fractures de la hanche suite à d’accidents impliquant une mauvaise vision se chiffreraient à 38 millions d’euros par an (Infolunettes, 2013).
A ces données parlantes peuvent aussi ajouter d’autres relatives à la correction visuelle. Dans les pays développés, les erreurs de réfraction n’ayant pas fait l’objet de correction constitueraient la cause principale de la déficience visuelle. Ces informations viennent en paradoxe du fait que bien plus de la moitié des Français portes des lunettes correctrices (en 2014). Le Comité Filière Optique de l’Excellence (dont sont signataires des grands opérateurs du secteur de l’optique : des producteurs et des distributeurs) avancent des causes de ces phénomènes : 43% de la population française penseraient qu’ils peuvent identifier eux-mêmes (sans l’aide d’ophtalmologiste ou d’opticien, en l’occurrence) leur problème de vue ; 29% des porteurs de lunettes estiment qu’il n’est pas nécessaire de toujours porter celles-ci dans certaines circonstances (dans la maison, par exemple) (Comité Filière optique d’excellence, 2014, p. 7).
Par ailleurs, il est attendu dans les prochaines décennies une augmentation continuelle du niveau des besoins en correction visuelle de la population, ce qui nécessite alors un besoin d’assistance des opticiens pour cette population. En effet, outre le vieillissement de cette dernière, il est observé une évolution dans les habitudes de vie des Français (en dépensant plus de temps devant l’écran, par exemple). Sans encore approfondir le sujet, il est logique de penser que le métier d’opticien est plus que nécessaire et son existence/absence devraient avoir des impacts importants (dont au niveau socioéconomique) pour le pays. De plus, cette profession particulière a été le sujet de quelques déréglementations du secteur de l’optique réalisées par l’Etat, ces quelques dernières années.
Ce contexte, un peu bouleversé par une évolution plutôt accélérée du secteur, fait en sorte que l’étude de l’avenir de la distribution des produits d’optique reste un sujet d’actualité. La présente étude pose alors une question centrale : Face aux changements entrainant un nouveau modèle économique du marché de l’optique, quels en sont les conséquences et les enjeux pour les opticiens de demain ? En d’autres termes, il y a lieu d’apprécier sur les opticiens les impacts majeurs de la conjoncture actuelle qui anime fortement le marché de l’optique en France. Il faut toutefois noter que cette étude se limitera essentiellement à analyser le cas particulier des distributeurs indépendants (c’est-à-dire, n’étant pas affiliés à une enseigne nationale) des produits d’optique.
Pour mieux appréhender cette problématique, il importe alors de diviser ce mémoire en trois grandes parties :
- Dans la première partie, il convient de définir d’abord le cadre général de l’étude, et cela en appréciant les caractéristiques des principales composantes du secteur étudié (le métier d’opticien, les produits, le marché, les acteurs) et leurs évolutions.
- La deuxième partie se penchera sur les enjeux des changements qui se sont opérés et accélérant l’évolution du secteur, et les impacts de ces changements sur le développement des distributeurs (essentiellement indépendants). Le cas d’une entreprise française indépendante sera étudié dans cette partie.
- La troisième partie se focalisera sur des recommandations à émettre à l’endroit de l’entreprise étudiée, dans le but d’améliorer sa situation face à la conjoncture qui n’est pas très favorable au développement des distributeurs des produits d’optique.
Partie 1. Le marché du secteur de l’optique
Cette première partie a pour raison d’être la définition du cadre général de l’étude. Pour cela, il convient de se concentrer sur les principales composantes du marché de l’optique en France et leurs comportements.
1.1 Généralités sur la filière optique
Lorsqu’il est question de la filière optique, il est légitime de se focaliser essentiellement sur la profession d’opticien qui est considéré comme un acteur majeur du secteur. En effet, même si ce dernier est très vaste et faisant alors intervenir une multitude d’acteurs, ce sont surtout les opticiens qui sont au contact direct avec les consommateurs finals quand ils achètent des équipements optiques. Désormais, le marché de l’optique (dans le sens de la présente étude) est constitué de deux principaux segments :
- En amont, il y a le segment de la production ou fabrication proprement dite des équipements optiques ;
- Et en aval, il y a le segment de la distribution des produits optiques vers les consommateurs finals. En fait, bien que les producteurs disposent également leurs propres réseaux de distribution, l’essentiel de la commercialisation de ces produits est assurés par d’autres opérateurs dont la plupart se spécialisent ainsi.
Il faut souligner que les produits d’optique ne sont commercialisables que par des opticiens agréés : selon l’article L.4362-9 du Code de la santé publique, « les établissements commerciaux dont l’objet principal est l’optique-lunetterie, leurs succursales et les rayons d’optique-lunetterie des points de vente ne peuvent être dirigés ou gérés que par une personne remplissant les conditions requises pour l’exercice de la profession d’opticien-lunetier ». Cependant, les textes réglementaires ont tendance à connaitre un certain assouplissement sur ce point depuis la seconde décennie du XXIème siècle. Toutefois, il apparait que les opticiens tiennent un rôle central dans l’écoulement de ces produits, quels que soient les canaux de distribution.
D’ailleurs, concernant les opticiens, l’exercice de leur profession est soumis à un certain nombre de contraintes réglementaires imposées par le Code de la santé publique. En l’occurrence, un opticien doit avoir un brevet de technicien supérieur ou un brevet professionnel d’opticien-lunetier pour pouvoir exercer le métier d’opticien (article 4362-2 de ce Code). En outre, un opticien ne peut être enregistré (auprès de la Direction départementale de l’assistance sanitaire et sociale) que dans un seul département. Il est intéressant de mentionner que le nombre d’opticiens actifs (en exercice) n’a cessé d’augmenter au moins depuis l’année 2004 et atteignant plus de 23 000 en 2010/2011, soit avec plus de 20 000 opticiens de plus en une demi-douzaine d’années (Martimort & Pouyet, 2012, p. 38) ; la population d’opticiens a connu une croissance de 80% en France entre 2005 et 2013 pour atteindre 29 000 (XERFI, 2015). Le nombre de jeunes diplômés (opticiens-lunetiers) a tout de même diminué (de 18%) entre 2013 et 2014 après une croissance presque maintenue pendant une décennie. A part la question relative aux ressources humaines, il faut dire que la filière optique est aussi caractérisée par les différents produits écoulés sur le marché, essentiellement par ces opticiens-lunetiers.
1.2 Les produits
Il est possible de distinguer deux grandes catégories de produits vendus sur le marché de l’optique en France : les produits à vocation correctrice d’une part, et ceux à usage esthétique d’autre part. En 2012, les verres correcteurs dominent le marché en aval (commercialisation auprès des consommateurs finals) avec 57% du chiffre d’affaires (56% en 2013, cf. Figure 1), suivis par les montures (un-quart du chiffre d’affaires) (XERFI, 2015). En fait, les produits d’optique peuvent être classés en six (6) grandes familles, à savoir : les verres, les montures, les solaires, les lentilles, les produits d’entretien, et les autres produits.
Figure 1 – Part de chaque famille de produit dans le chiffre d’affaires total du marché de l’optique en France (2013)
Source : Xerfi700 (2013)
Les produits d’optiques répondent surtout à des besoins de correction qu’à des fins d’esthétique : les verres correcteurs sont classés comme dispositifs médicaux, tout comme les lentilles oculaires de contact (article L.5211-1 du Code de la santé publique). Les types d’équipements achetés par les consommateurs varient d’abord en fonction des troubles visuels à corriger, essentiellement des troubles de la réfraction dont la myopie, l’hypermétropie, l’astigmatisme, et la presbytie : outre cette dernière qui est souvent traitée avec de verres progressifs, les trois premiers sont généralement traités avec des verres unifocaux ou des lentilles de contact. La qualité des produits, et plus particulièrement des verres, peut varier fortement et accentue la différenciation de ces produits. A côté des caractéristiques géométriques (distinguant les verres unifocaux, progressifs, etc.), cette qualité varie en fonction des matières de fabrication, la présence ou non d’antireflets, la résistance aux rayures, la sensibilité aux traces, les teintes, etc.
Les montures sont qualifiées également comme des accessoires de dispositifs médicaux, mais souvent aussi considérés comme de réels produits de luxe. D’ailleurs, il existe des marques haut de gamme associées aux griffes de grands parfumeurs, bijoutiers et couturiers, ainsi que des marques célèbres dans le domaine sportif. Ainsi, le marché des équipements d’optiques connait une sorte de banalisation/démocratisation du luxe, un élément qui fait désormais partie du quotidien des consommateurs finals.
Outre les dispositifs strictement médicaux (selon les textes réglementaires), il y a aussi d’autres équipements tels que les lunettes prémontées (qui ne sont pas des dispositifs médicaux selon les articles L.5211-1 et R.5211-1 du Code de la santé publique). Certaines lentilles de contact sont aussi utilisées dans le domaine du cosmétique (notamment les lentilles colorées). Il convient aussi de citer les lunettes de soleil qui sont classées suivant leur protection (selon une échelle de 0 à 4). Ces dernières sont commercialisées via des canaux de distribution largement plus variés que les produits médicaux : le recours aux services d’un opticien est secondaire dans l’achat de ces produits non strictement médicaux.
En tenant compte de la grande variété des produits d’optique, il faut reconnaitre qu’ils sont assez complexes, une situation qui pourrait embarrasser le consommateur éprouvant alors une difficulté de procéder à un arbitrage (entre ces différents produits) sans l’aide d’un opticien. Par ailleurs, il apparait très important d’apprécier le comportement du marché de l’optique en France.
1.3 Offre et demande
Du côté de l’offre, il faut dire que le segment amont (celui de la fabrication des produits d’optique) domine la filière optique en termes de chiffre d’affaires puisqu’il représente environ les trois-quarts de l’ensemble du secteur. D’après les demandes émanant des structures de distribution des équipements d’optique, la production de verres ophtalmiques constitue 75% des chiffres d’affaires des fournisseurs de ces équipements (Martimort & Pouyet, 2012, p. 26). Malgré l’apparence d’une atomisation du marché amont, partagé entre quelques centaines d’entreprises dont la plupart sont de Très petites entreprises (employant moins de 10 salariés), c’est aussi un segment très concentré. En effet, ce marché est organisé notamment entre quelques principaux acteurs, dont Essilor pour la fabrication des verres (à citer également Zeiss et Hoya) et Luxottica pour les montures. Cette concentration du secteur amont a tendance à s’accentuer davantage d’autant plus que le leader (Essilor) tient surtout sa réussite dans le développement de produits innovants, assurant ainsi sa croissance et sa dominance. En termes de volume, la Fédération Nationale des Opticiens de France parle de 8.5 millions d’équipements fournis par an (Gerbel, 2014).
Le segment aval (la distribution des produits d’optique) est surtout caractérisé par la forte densité des points de vente en France, à comparer avec les situations dans d’autres pays occidentaux. Avec 11 400 points de vente d’optique recensés en 2012 (Diricq, 2013, p. 5), plus de 11 800 magasins d’optique ont été enregistrés en 2013, soit une croissance de 30% par rapport à 2005. A titre de comparaison, la France dispose de 0.0019 point de vente par habitant, contre 0.0015 pour le Royaume-Uni et 0.0007 aux Etats-Unis pour une population équivalente (Martimort & Pouyet, 2012, p. 91). A côté de ces points de vente « en dur », les opticiens en ligne sont aussi en train de se développer, même si ce développement est encore assez limité en France.
Selon les données de 2013 (XERFI, 2015, p. 14), les verres vendus étaient surtout unifocaux dans 65% des cas, soit 36% du chiffre d’affaires total du marché, et progressifs dans 33% des cas, constituant pourtant 60% du chiffre d’affaires. Par ailleurs, près de 73% de l’ensemble du chiffre d’affaires en montures concernent les montures optiques, contre 27% pour les montures solaires. Finalement, 70% des ventes de lentilles de contact sont relatives aux lentilles mensuelles, et seulement 22% pour les lentilles journalières. Près de 5% de la population française, soit environ trois millions d’individus porteraient de lentilles de contact (Comité Filière optique d’excellence, 2014, p. 8).
Du côté de la demande, elle émane principalement des individus atteints de trouble visuel (impliquant environ deux-tiers des Français) et qui devraient porter des équipements d’optiques tels que des lunettes et/ou des lentilles de contact. Entre 6 et 7 Français sur 10 sont des consommateurs des produits d’optique : 64% portent des lunettes correctrices (51.6%, soit 33 millions d’individus en 2012 (UFC – Que Choisir, 2014, p. 4)), 2% sont équipés de lentilles et 7% les deux équipements à la fois, c’est-à-dire qu’un peu plus d’un-quart de la population française seulement ne portent aucune correction (Martimort & Pouyet, 2012, p. 57). Il est intéressant de savoir que ces statistiques sont similaires à l’ensemble des pays développés. Les clients particuliers des points de vente d’optique font en majorité des achats utilitaires, c’est-à-dire en cas de besoin seulement (changement de la correction visuelle, détérioration ou destruction des équipements). En moyenne, ces clients renouvellent leurs équipements d’optique tous les trois ans et demi (XERFI, 2015, p. 12). Mais, des innovations réalisées par les producteurs de ces équipements ont tendance à modifier les comportements des consommateurs (multiplication des équipements, par exemple). Il faut dire que, pour le ménage français, l’optique constitue un poste dynamique dans son budget avec environ 191 euros (84 euros par individu) d’achat d’équipements optiques en 2010, pouvant atteindre en moyenne 130 euros pour les individus atteints de défaut visuel (Martimort & Pouyet, 2012, p. 63). En somme, les Français sont des « gros consommateurs » de produits d’optique : 11.7 millions auraient acheté au moins une paire de lunettes en 2012 (UFC – Que Choisir, 2014, p. 4).
En ce qui concerne les profils des consommateurs finaux (les utilisateurs) des produits d’optique, il s’agit surtout de personnes relativement âgées : 48% des porteurs de lunettes ont plus de 55 ans, contre seulement 37% dans l’ensemble de la société française. Plus d’un-tiers de ces consommateurs sont des retraités, contre seulement 27% (de retraités) dans l’ensemble de la population française (Cros, 2012, p. 5). Il faut aussi mentionner que la possession d’équipement d’optique est en partie en relation avec le niveau de vie des individus concernés : 10% de ceux ayant un revenu supérieur à 2 500 euros par mois possèdent à la fois des lunettes et des lentilles, et 5% de ceux ayant un revenu inférieur à ce seuil ; aussi, 71% des individus à haut revenus ont des lunettes contre 55% seulement pour ceux à bas revenus (Martimort & Pouyet, 2012, pp. 58, 60). Par ailleurs, 9 porteurs de lunettes sur 10 sont couverts par une complémentaire santé, et plus de la moitié d’entre eux le sont à titre individuel (IPSOS, 2012, p. 21). Il apparait donc que le secteur de l’optique fait intervenir plusieurs acteurs autres que les producteurs et les consommateurs finals.
1.4 Les principaux acteurs du secteur
Les principaux acteurs intervenant dans la filière optique en France sont (cf. Figure 2 – Schéma simplifié du secteur de l’optique : cartographie des acteurs) :
- Les producteurs (les fournisseurs) dans le segment amont qui est largement dominé par Essilor, le géant et leader mondial de la fabrication de verres et de matériel optique (plus de 90% de ses ventes) : ce groupe a réalisé 4.19 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2011(Martimort & Pouyet, 2012, p. 32).
- Les grossistes (des têtes de réseaux relatifs à des enseignes) et centrales d’achat qui sont en quelque sorte les intermédiaires entre les producteurs et les distributeurs : en effet, si les producteurs français n’approvisionnent que 17% du marché, 78% des marchandises transitent à travers les grossistes et les centrales d’achat français(XERFI, 2015, p. 42).
- Les distributeurs dont des opticiens qui commercialisent les produits d’optique sous ou sans enseigne.
- Les acteurs sanitaires, dont les ophtalmologistes qui sont à l’origine des prescriptions des équipements de correction visuelle. En effet, les ophtalmologistes interviennent en premier lieu dans le processus d’achat de ces équipements. Mais, depuis 2007, les opticiens sont dotés d’une compétence dans le renouvellement des prescriptions n’excédant pas 3 ans (s’il n’y a pas opposition des médecins ou si le patient est âgé de moins de 16 ans).
- Les organismes de Sécurité sociale et de Complémentaire santé qui tiennent un rôle essentiel dans le remboursement des achats faits par les consommateurs finals. L’Assurance maladie prend en charge les corrections optiques ayant fait l’objet de prescription médicale : en 2011, les lunettes et les lentilles devaient être remboursées jusqu’à 60% en général, sur la base d’un forfait annuel fixe, mais ce taux varie en fonction des produits et l’âge des patients. En revanche, les Complémentaires (de) santé (mutuelles, sociétés d’assurance et institutions de prévoyance) interviennent dans la couverture d’une part non prise en charge par la Sécurité sociale. Près de 94% des Français ont adhéré à une complémentaire santé, en 2012(Martimort & Pouyet, 2012, pp. 70-71). Mais compte tenu des prix des lunettes, l’Assurance maladie obligatoire n’assume qu’environ 3% du prix total, tandis que les Complémentaires prennent en charge les 55%, le reste (42%) étant alors à charge du consommateur (cf. Figure 3 – Répartition de la prise en charge du prix d’une paire de lunettes à 500 euros). Il apparait donc que les Complémentaires ont une influence considérable dans la motivation de l’achat d’une part, et dans l’incitation à la hausse du prix d’autre part (Martimort & Pouyet, 2012, p. 74).
- Les consommateurs finals qui, malgré l’apparence (à leurs yeux) d’un tiers payant, paient seuls le financement de leurs achats d’optique : indirectement via leur cotisation auprès de l’Assurance maladie et d’une Complémentaire santé d’une part, et directement à l’opticien d’autre part.
Figure 2 – Schéma simplifié du secteur de l’optique : cartographie des acteurs
Source : L’optique en France, Etude économique, Altermind (2012)
Figure 3 – Répartition de la prise en charge du prix d’une paire de lunettes à 500 euros
Source : IPSOS – Mutualité Française, septembre 2012
L’évolution du marché de l’optique dépend alors des actions et influences de ces différents acteurs ainsi que d’autres facteurs significatifs. Les ophtalmologistes délivrent environ 10 millions de prescriptions optiques par an (Martimort & Pouyet, 2012, p. 66)
1.5 Les principaux facteurs d’évolution du marché de l’optique
Plusieurs forces sous-tendent le marché de l’optique en France, dont certaines sont attribuées aux acteurs de l’offre (cf. Figure 4 – Facteurs de dynamisme du marché de l’optique en France) :
- Il y a celles qu’exercent les organismes de Complémentaire santé et (de moindre mesure) de sécurité sociale. Outre l’incitation à l’élévation des prix des produits d’optique et à la motivation à l’achat, les Complémentaires jouent aussi un rôle d’intermédiaire entre les consommateurs finals et les opticiens. Désormais, les Organismes de complémentaire d’Assurance maladie (OCAM) ont développé des réseaux d’opticiens partenaires : les consommateurs adhérents à un OCAM sont alors orientés par ce dernier vers les opticiens partenaires (de cet OCAM). Selon des données de l’année 2010, les Français ont bénéficié en moyenne d’un remboursement composé de 100 euros par monture et 50 euros par verre pour l’optique simple, ou de 200 euros par verre pour l’optique complexe(XERFI, 2015, p. 19).
- Il y a aussi le système de santé généralement animé par les ophtalmologues qui ont le monopole de la première prescription en correction visuelle. Ils délivrent environ 10 millions de prescriptions optiques par an en France(Martimort & Pouyet, 2012, p. 66). A côté du transfert de compétence des ophtalmologistes (vers les opticiens) en matière de prescription, le système de santé agit aussi sur le marché de l’optique dans les politiques de santé publique, notamment à travers des campagnes de sensibilisation et de prévention (relatives à la santé visuelle).
- L’offre marketing des producteurs et des distributeurs des produits optiques est également très significative. Les opticiens sous enseigne bénéficient des campagnes publicitaires réalisées en continue par les têtes de réseaux tandis que les opticiens indépendants peuvent profiter de la communication réalisée par les centrales d’achat. A titre d’exemple, les opticiens sous l’enseigne Optic 2000 bénéficient d’une communication particulièrement offensive menée par le Groupe qui est d’ailleurs l’un des plus importants annonceurs de ce secteur. Aussi, Alain Afflelou offre à ses opticiens une forte notoriété auprès du public français, avec une communication qui tourne autour de l’innovation et des offres promotionnelles (nouveaux produits et prix attractifs). Il faut dire que la concurrence est très forte et frontale entre les opérateurs de la distribution des produits d’optique. Le public est habitué à une promesse misant surtout sur la qualité des produits et des services offerts par ces opérateurs.
A côté de ces facteurs qui tiennent surtout des actions et comportement de l’offre, il y a aussi des éléments caractéristiques de la demande qui impactent significativement l’évolution du marché de l’optique en France :
- D’abord, l’accroissement du nombre des personnes concernées (ayant des troubles de la vue, en l’occurrence) est logiquement dû à la croissance démographique. Désormais, deux-tiers environ de la population âgées de plus de 15 ans souffrent de défaut de vision en 2013(XERFI, 2015, p. 18).
- Aussi, un autre moteur sociodémographique maintient (voire accentue) le dynamisme de la demande en France : le vieillissement de la population. Ainsi, le port de lunettes devient de plus en plus certain pour les personnes âgées : 92% des Français ayant plus de 50 ans portent des lunettes en 2011. De plus, il est attendu que la part des personnes âgées continuent à croître pour les prochaines décennies : si cette part est de 23.4% en 2012, elle devrait passer à 27.3% en 2020 et atteindre 32% trois décennies après(Martimort & Pouyet, 2012, p. 65).
- Il faut également parler de certains modes de vie qui augmentent les risques de détérioration de la vision, notamment avec l’ère de l’informatique et le développement de l’innovation technologique : le temps passé devant l’écran (télévision, ordinateur, terminal mobile, etc.) est significativement plus important, en comparant par exemple le XXème et le XXIème siècle.
- Il faut aussi reconnaitre que les Français ont un intérêt croissant pour les questions sanitaires, ce qui pourrait au moins maintenir (voire augmenter) la part que le ménage alloue au soin optique dans son budget. Les dépenses consacrées par les ménages à l’achat de lunettes auraient progressé de 3% par an en une décennie (2005-2014) pour atteindre 205 euros en 2014(XERFI, 2015, p. 18).
- La question financière, c’est-à-dire du pouvoir d’achat des consommateurs est également un facteur important déterminant leurs comportements d’achat. Toutefois, cette question est souvent atténuée par le remboursement offert par les organismes de complémentaire santé.
En plus de tous ces facteurs, le climat instauré par les autorités compétentes à travers des interventions réglementaires est aussi déterminant. Il en est surtout concernant la volonté de l’Etat de favoriser davantage la concurrence avec la loi Hamon par exemple (cet élément sera abordé plus en détail dans la partie 2 de la présente étude). Le dynamisme du marché de l’optique ne peut qu’être encore plus ravivé.
Figure 4 – Facteurs de dynamisme du marché de l’optique en France
1.6 Evolution du marché
Le secteur de la distribution des produits d’optique est très dynamique avec une importante augmentation annuelle de la vente : 2.8% en volume et 4.1% en valeur, depuis l’année 2002. Il apparait même que la hausse en volume atteint 3% annuellement à partir de 2004. Ces taux sont désormais à comparer avec l’augmentation du pouvoir d’achat qui n’est que de 1.6% par an, en moyenne. Visiblement, ce secteur n’est pas tellement bouleversé par les importantes crises économiques ayant sévi le monde occidentaux au cours du XXIème siècle. Les statistiques disponibles en 2013-2014 révèlent d’ailleurs que 74% des Français portent au moins un équipement optique (lentille ou lunettes), ce qui correspond à une taille de marché de 5 851 milliards d’euros (cf. Figure 5 – Evolution du marché de l’optique en France) (XERFI, 2015, p. 15). Toutefois, il est possible de constater (à travers l’allure de la graphique de la Figure 5) que la croissance du secteur est en train de ralentir depuis quelques années.
Figure 5 – Evolution du marché de l’optique en France (en millions d’euros)
Source : GfK – données traitées par Xerfi
Concernant les activités des opticiens en particulier, deux grandes périodes peuvent être mises en évidence (cf. Figure 6 – Evolution des activités des opticiens en France).
- Le chiffre d’affaires des opticiens a connu une progression de l’ordre de 5% par an entre 1997 et 2004(XERFI, 2015, p. 15). Cette période est caractérisée par une structuration du secteur (aval, principalement) voyant la croissance nette de quelques grandes enseignes (Krys, Atol, Optic 2000, etc.) qui se positionnent comme des acteurs centraux du marché. Le développement du secteur est surtout emporté par la croissance des besoins en produit d’optique émanant des consommateurs dont la proportion par rapport à l’ensemble de la population semble augmenter. Les distributeurs ont amélioré l’offre (comme l’élargissement des catalogues et le renouvellement plus fréquent des gammes, par exemple), ce qui a entrainé l’émergence de nouveaux profils de consommateurs. En effet, les comportements de ces derniers ne sont plus exclusivement utilitaristes avec la multiplication des équipements proposés, l’adaptation des produits (dont les verres) aux activités pratiquées (lunettes prémontées pour la lecture sur écran, par exemple), l’intérêt donné à l’esthétique et au confort, etc.
- En revanche, la période entre 2005 et 2014 est caractérisée par un ralentissement de l’activité des opticiens. Sur ce point, il faut reconnaitre que la crise économique ainsi que les difficultés que la France a connues en matière financière (augmentation du chômage, baisse du pouvoir d’achat, etc.) n’ont pas été sans conséquence sur le segment aval du marché de l’optique. Les comportements des consommateurs ont alors suivi cette tendance au ralentissement de l’économie, avec plus d’intérêt pour les solutions moins onéreuses. Il arrive même que les personnes concernées reportent l’achat d’équipement optique face à des contraintes budgétaires limitant leur marge de manœuvre. Il en résulte que l’offre réagit conséquemment en multipliant le recours au levier commercial avec de plus en plus d’offre promotionnel et des offres low cost.
Figure 6 – Evolution des activités des opticiens en France
Source : INSEE – données traitées par Xerfi
La concurrence dans le segment aval (distribution) du secteur optique s’intensifie au fil du temps. Un indicateur de cette intensification de la concurrence est l’augmentation considérable du nombre de point de vente, et cet accroissement devrait encore gagner d’ampleur en considérant la stratégie d’extensification adoptée par certaines grandes enseignes (telles que Générale Optique ou Krys). Il est aussi attendu que les opérateurs de la vente en ligne fassent davantage raviver la concurrence frontale entre les opticiens.
Cette vive concurrence devrait alors profiter aux consommateurs finals des produits d’optique qui vont probablement privilégier des offres qui leur sont devenues plus avantageuses. Ainsi, cette situation est associée à un essoufflement du marché, de sorte que ces consommateurs sont surtout attirés par des offres promotionnelles et des produits low cost. Entretemps, la croissance du marché est (jusqu’en 2014) toujours soutenue par les ventes de verres de correction qui ont représenté plus de la moitié des achats réalisés en 2013. Aussi, des études révèlent que les impacts de cet essoufflement du marché ne seront pas les mêmes pour les distributeurs. En effet, il apparait que les opticiens sous enseigne résisteraient mieux à cette crise que ceux qui sont indépendants : la décroissance serait seulement de 0.5% en valeur pour les opticiens sous enseigne contre 2.5% pour les indépendants (XERFI, 2015, p. 25).
En somme, la conjoncture sur le marché de l’optique en 2014-2015 n’offre pas une perspective significativement meilleure pour les opticiens, bien que les effets du ralentissement des ventes enregistré depuis quelques années soient moins pesants pour les opticiens sous enseigne. Par ailleurs, à côté des évolutions conséquentes suite aux comportements de certains facteurs intrinsèques au marché (concernant notamment les principaux acteurs de l’offre et de la demande), il faut aussi s’attendre à des impacts éventuels des dispositions prises par les pouvoirs publics qui veulent intervenir davantage pour réguler ce marché.
Partie 2. Impacts des évolutions majeures et des tendances sur le marché
L’essentiel des analyses de cette deuxième partie concerne une étude de cas, relative à une entreprise de distribution de produit d’optique, qui est un distributeur indépendant c’est-à-dire non associé à une des grandes enseignes en France. Mais avant de se focaliser sur cette étude de cas, il apparait important de se pencher d’abord sur les existants du secteur (de la distribution), surtout en terme réglementaire. Dans ce sens, il importe aussi d’apprécier le contexte dans lequel les distributeurs indépendants évoluent
2.1 Les évolutions réglementaires significatives pour le secteur
Pour mieux apprécier et comprendre les évolutions devant être conséquentes dans le secteur, il importe de tenir compte certains faits constituant des enjeux majeurs pour les opérateurs de ce secteur.
2.1.1 Enjeux sur le secteur
Le contexte de la distribution de produits d’optique en France est caractérisé par une tendance à la concentration de ce secteur : 7 points de vente sur 10 et 73% du chiffre d’affaires total du secteur ne concernent que les 5 groupes les plus importants (de ce secteur) (Martimort & Pouyet, 2012, p. 76)[1]. Une conséquence plutôt logique de ce phénomène (de concentration) est la hausse globale des prix de ces produits sur le marché français. Ainsi, l’Etat veut réagir à cette situation : selon la Ministre de la Santé et des Affaires Sociales, Marisol Touraine, « le secteur des opticiens est trop concentré et ne permet donc pas d’avoir des prix accessibles »[2]. Le débat a été alors ouvert entre les différentes parties prenantes (dont devant Mutualité française) à la recherche de solutions plus avantageuses pour les consommateurs finals, et qui risquent donc d’être défavorables vis-à-vis des opticiens. Cette question devrait alors avoir des impacts très significatifs sur l’ensemble du secteur, d’autant plus que la vue (ainsi que le lifestyle, dans une moindre mesure) concernerait l’une des préoccupations majeures des français. En fait, ces derniers sont de gros consommateurs avec une hausse de 60% de la consommation durant les années 2000 (près de ¾ des français porteraient au moins un dispositif de correction optique) (Martimort & Pouyet, 2012, p. 14). Il faut également dire que les équipements optiques constituent un poste budgétaire assez significatif pour le ménage français, soit une augmentation de 50% en une décennie pour atteindre en moyenne 84 euros par personne en 2010. En ne considérant que les consommateurs potentiels (ayant besoin de correction), les dépenses en ces équipements se chiffreraient à 130 euros (Martimort & Pouyet, 2012, p. 63).
Désormais, selon plusieurs études réalisées sur ce secteur, l’essentiel des conclusions semble vouloir affirmer que les prix sont très élevés pour les consommateurs finals, malgré le fait que les moyennes des prix des produits d’optique sont complexes à déterminer. En effet, les prix moyens des verres correcteurs (autour de 2010-2012) varient fortement selon ces études : de 107 euros selon Xerfi, de 215 euros pour GfK, de 350 euros pour Optical Center, de 434 euros selon Mutualité française, et de 91 à 722 euros pour Que Choisir, soit une moyenne de 333 euros pour l’ensemble (à l’exclusion de ceux de Que Choisir). Environ ¾ des consommateurs français estimeraient que les prix de ces produits sont trop élevés[3] ; 70% penseraient même à des prix non justifiés (Martimort & Pouyet, 2012, p. 14). Une grande partie des consommateurs potentiels auraient alors renoncé à des soins faute de moyens financiers, notamment au regard de la baisse du pouvoir d’achat. En fait, des éléments associés aux prix (rapport qualité-prix, remboursement, tiers payant, etc.) des produits d’optique constituent les principaux critères d’achat des consommateurs lorsqu’ils se rendent chez un opticien.
Toujours en matière de prix et de pouvoir d’achat, il est peut-être possible de parler de fracture sociale : ce sont surtout les personnes ayant des revenus relativement élevés qui peuvent s’offrir certains produits. Par exemple : 71% de celles ayant des hauts revenus, contre seulement 55% pour les bas revenus, portent des lunettes. Dans ce sens, les organismes de complémentaire santé jouent un rôle central, bien que ceux-ci donne seulement à travers leur intervention l’impression d’une gratuité de soin. Conséquemment, presque la totalité des consommateurs donne de l’importance à l’intervention d’un tiers payant parmi leurs critères d’achat.
Désormais, pour une paire de lunettes qui coute 400 euros, l’Assurance maladie ne prend en charge que 3% (15 euros) contre 55% (275 euros) pour les organismes de complémentaire santé. Le reste (42%) étant à la charge directe du bénéficiaire, ce dernier a ainsi l’illusion de ne pas payer l’intégralité des coûts de ses produits d’optique (alors qu’ils le font indirectement). L’importante part remboursée par les organismes de complémentaire santé constitue un facteur majeur pour l’élévation des prix. En effet, les clients qui sont affiliés à un organisme complémentaire peuvent obtenir de meilleur remboursement s’ils se rendent chez des opticiens agréés à cet organisme. Il est ensuite constaté que de tel organisme a tendance à « solvabiliser » leurs clients pour des dépenses élevées en produits d’optique, ce qui incite alors à une hausse considérable des prix de ces produits.
Du côté de l’offre en particulier, il semble que le secteur de l’optique est très lucratif en France, surtout concernant le segment aval (distribution). En moyenne, la marge brute réalisée par le secteur tourne autour de 60% en 2010, avec un résultat courant moyen d’environ 20% des ventes. En termes de chiffre d’affaires, « le marché français de l’optique s’avère en moyenne supérieur de 1,5 milliard d’euros à ce qu’il devrait être sur la base d’un fonctionnement comparable à celui de ses voisins » (Martimort & Pouyet, 2012, p. 86). Ainsi, par rapport à des pays voisins (Allemagne, Italie, Espagne, Royaume-Uni), le marché français de l’optique réaliserait 35% de surplus de chiffre d’affaires, un « excès » difficilement explicable en dehors de la structure propre au secteur français (Martimort & Pouyet, 2012, p. 87).
Concernant justement cette structure, il convient aussi de mentionner quelques faits qui peuvent influencer de manière subséquente le marché de l’optique en général :
- D’abord, il faut parler de la relation assez conflictuelle entre les acteurs du marché, jusqu’à porter des affaires devant la justice. Par exemple, l’Autorité de la concurrence a sanctionné le Syndicat national des ophtalmologistes de France (SNOF) lorsque celui-ci a organisé un boycott vis-à-vis des opticiens membres du réseau Santéclair. A citer également le refus de certains producteurs de verres et/ou de montures d’approvisionner les nouveaux opérateurs qui veulent exploiter la distribution en ligne(Acuité, 2011).
- Aussi, il y a un risque élevé de forclusion dû essentiellement au positionnement concurrentiel d’Essilor qui domine désormais le marché amont (90% de part de marché local avec sa filiale BBGR, et 42% au niveau mondial(Martimort & Pouyet, 2012, pp. 77-78)). Cet acteur adopte une double stratégie de diversification et d’intégration, amplifiant alors ce risque : multiplication des monopoles multi-produits intégrés verticalement dans un renforcement de sa position de leader, d’une part, et acquisition de centre de distribution et de laboratoires de prescriptions, d’autre part. Essilor peut donc décider de ne pas fournir convenablement le marché aval en dehors de son propre réseau, et surtout les nouveaux distributeurs en ligne.
- L’utilisation courante de l’optimisation de facture dans le secteur (des distributeurs au détail ont déjà été condamnés par la justice concernant cette pratique[4]). A partir d’une investigation menée auprès de nombreux opticiens, il a été estimé que 36% des consommateurs finals ont déjà vu proposer des prix arrangés, et avec comme argument la maximisation du remboursement des lunettes par les mutuelles pour un cas sur cinq. 16% des consommateurs se seraient même incités à acheter lorsque l’opticien garantissait que les dépenses seront remboursées par la mutuelle(Martimort & Pouyet, 2012, p. 75).
- Il faut noter enfin la faible transparence du marché quant à la formation des prix : ceux-ci sont très difficilement lisibles pour les consommateurs étant donné qu’il n’existe pas de grille permettant la comparaison de prix. En fait, cela est essentiellement dû à la pluralité des paramètres entrant dans la détermination des prix (qualités des verres, niveaux de correction, les composants de la correction, etc.). Mais l’existence de l’optimisation de facture fait en sorte que les prix diffèrent d’un organisme de complémentaire santé à un autre. Tout cela renforce davantage le rôle de l’opticien en matière de conseil.
Dans ce contexte un peu particulier, l’Etat a décidé d’intervenir au bénéfice des consommateurs finals, et cela surtout à travers les organismes complémentaires (d’assurance maladie, OCAM).
2.1.2 Volonté de l’Etat de libéraliser la concurrence en France
Quelques dispositions ont alors été prises par l’Etat pour faire baisser les prix des produits d’optique, dont principalement :
- En décembre 2013, avec l’adoption des amendements du projet de loi Hamon, la détention d’un diplôme d’opticien n’est plus obligatoire pour être propriétaire d’un fonds de commerce d’optique, à condition toutefois d’employer un opticien au moins. Désormais, les ophtalmologues sont tenus d’indiquer dans l’ordonnance l’écart pupillaire du patient pour faciliter toute commande de lunettes dans les grandes surfaces et sur internet.
- En 2014 (nouvelles règles applicables à partir d’avril 2015), le gouvernement accorde encore plus de poids aux organismes complémentaires jouant le rôle de régulateur pour le secteur, de véritables acteurs de la négociation sur le marché de soins. Des mesures de plafonnement du montant de remboursement ont été adoptées, fixant alors la prise en charge maximale des paires de verres entre 450 euros (simples) et 850 euros (les plus complexes), et 150 euros pour la monture. Aussi, le remboursement est limité à deux verres et une monture pour une période de deux ans, en général.
Ces nouvelles dispositions ainsi que l’évolution du contexte sur le marché ne devraient donc pas être sans conséquence sur le développement des établissements qui distribuent les produits d’optique. Mais ces impacts pourraient être différents selon qu’un établissement est affilié à une enseigne de distribution ou non.
2.1.3 Les distributeurs indépendants et leurs concurrents
La composition historique du secteur optique, sur le segment aval, le divise en deux types de distributeurs : d’un côté, les opticiens sous enseigne qui jouissent alors de l’image de marque et des conditions d’approvisionnement (qui sont d’ailleurs assez avantageuses) du réseau auquel ils sont affiliés ; d’un autre côté, les opticiens libres qui sont alors indépendants mais peuvent aussi être en partenariat avec une centrale d’achat. Mais, depuis quelques années, une nouvelle forme de concurrence émerge, propulsée par la loi Hamon : la distribution par internet des produits d’optique. Certains acteurs se démarquent déjà sur cet assez nouveau créneau, tels que Sensee et Luxview. Il faut toutefois noter que le marché de l’optique en ligne est jeune, d’autant plus que l’évolution vers la distribution dématérialisée connait encore un relatif ralentissement par rapport à d’autres pays développés comme les Etats-Unis : la distribution en ligne ne représente en 2012 que 0.1% à 3% du secteur, tandis qu’aux Etats-Unis, elle occupe près de 10% du marché d’optique (Martimort & Pouyet, 2012, p. 10).
Désormais, les distributeurs « traditionnels » (à entendre par ce terme ceux qui ne sont pas des pure players quant à leur présence/absence sur internet pour la distribution de produit d’optiques) ne veulent pas non plus laisser leurs parts de marché entre les mains de ces nouveaux entrants. En guise de réponse, ces acteurs traditionnels (appelés aussi, acteurs « en dur ») n’ont pas hésité à lancer leurs propres sites internet pour proposer de nouvelles expériences d’achat aux consommateurs. En tout cas, il est attendu un essor du e-commerce des produits d’optique sur le moyen terme, notamment pour les lentilles de contacts pour lesquelles ce type de commercialisation occupe déjà entre 10% et 15% du marché global en France (contre 75% à 80% pour les distributeurs traditionnels, les restes étant partagés entre les pharmacies/parapharmacies et les magasins de déguisement) (XERFI, 2015, p. 49). Il a été constaté que l’achat dans les points de vente en ligne est surtout motivé par des raisons d’ordre financier ; tandis que pour les points de vente physiques, de tel achat est essentiellement motivé par l’habitude (d’achat) des consommateurs (Auzanneau & Chardron, 2011, pp. 10-11).
Concernant les distributeurs « en dur », il est important de noter que l’accès d’un nouvel entrant sur le marché n’est pas aisé. En 2012, le coût d’ouverture d’un nouveau point de vente d’optique était estimé à 403 000 euros ; le fonds de commerce représente 61% de ce montant (les points de vente d’optique seraient les 4ème fonds les plus chers, en 2011, après les pharmacies, les terrains de camping et les hôtels). Aussi, les droits d’entrées sont très variables suivant le réseau auquel le nouvel entrant veut adhérer : ils peuvent aller de 8 000 euros pour des réseaux assez modestes, jusqu’à 50 000 euros pour ceux d’Afflelou, par exemple. Par rapport aux distributeurs indépendants, ceux sous enseigne bénéficient en général de services (d’approvisionnement, par exemple) plus rapide, et surtout d’une plus large gamme de produits. Ainsi, 55% des points de vente en 2012 sont détenus par des opticiens indépendants, alimentés par des centrales d’achat ou de référencement (telles que Alliance Optique, La Centrale des opticiens, Optalor, Luz, et Rev). Les autres (sous enseigne) sont des franchises ou bien sont détenus, soit par les têtes de réseaux (succursalistes), soit par de groupement coopératifs ou des réseaux mutualistes (Martimort & Pouyet, 2012, pp. 40-41).
Avec l’accroissement presque soutenu du nombre de points de vent d’optique en France, la concurrence devient de plus en plus frontale, surtout entre les deux types d’acteurs traditionnels. Par conséquent, il apparait que le chiffre d’affaires moyen suit une tendance à la baisse : probablement, les acteurs les moins performants seront évincés du marché dans les prochaines années à venir.
Figure 7 – Nombre de points de vente d’optique en France, et Chiffre d’affaires moyen
Il importe donc d’approfondir les effets potentiels des changements majeurs, qui se sont opérés et continuent de bouleverser le marché, sur les opticiens indépendants, en étudiant le cas d’une entreprise particulière.
2.2 Etude de cas d’une entreprise indépendante – Optique Chagrot
Cette étude de cas concerne l’entreprise Chagrot Prost-Bouscle Opticiens (dit « Optique Chagrot »). C’est une entreprise familiale de taille assez modeste : avec un capital social de 130 900 euros (inférieur à ce qui est nécessaire pour ouvrir un nouveau point de vente) en 2015, elle n’emploie que 7 salariés (un de moins par rapport à l’année 2014), tous des opticiens diplômés du BTS OL, dont 4 ont une licence. La Société est composée de deux magasins :
- Celui de l’avenue de Saxe (Lyon 3ème) qui est le plus vieux magasin d’optique de France puisqu’il a été créé en 1899 (appartenant à la famille Chagrot durant 4 générations).
- Celui de Cours Franklin Roosvelt (Lyon 6ème), créé à l’occasion du centenaire de l’entreprise. Les 80% du chiffre d’affaires de la Société sont attribués à ce second magasin.
En fait, concernant la vente, Optique Chagrot a réalisé en 2015 (exercice clos le 30 septembre) un chiffre d’affaires de 1 398 000 d’euros, avec une croissance de 5% par rapport à l’année précédente. D’ailleurs, le chiffre d’affaire net a connu une hausse assez importante de 2013 à 2014 (77%), puis une baisse (mais dans de moindre mesure : 37%)) entre 2014 et 2015. En revanche, les chiffres d’affaires moyens nets des différents articles (monture, verre, solaire, et lentille) ont connu des mouvements plutôt contraires : ils ont très légèrement progressé (de 3% pour les verres à 11% et 14% respectivement pour les lentilles et les montures) de 2014 à 2015 après quelques baisses constatées dans la période précédente. Ainsi, les variations des chiffres d’affaires sont généralement attribuées à celles des quantités d’articles vendues pendant ces périodes : les prix des différents articles ont alors très peu évolués (voire inchangés) durant ces périodes.
Figure 8 – Evolution des chiffres d’affaires nets d’Optique Chagrot, par articles
Figure 9 – Evolution des chiffres d’affaires moyens nets (par unité) d’articles
Généralement, les répartitions des ventes par articles, par clients ou par dossiers (optiques, lentilles, et ventes Etat) sont quasiment constantes de 2013 à 2015. Presque la moitié des articles vendus concerne les verres qui représentent d’ailleurs 61% du chiffre d’affaires brut total (58% du chiffre d’affaires net). En volume de vente les lentilles (22%) passent devant les montures (19%), tandis qu’en valeur, c’est plutôt l’inverse : près de 23% pour les montures (le quart du chiffre d’affaires net total) et seulement moins de 7% pour les lentilles (comparable aux articles solaires). Il est intéressant aussi de mentionner que la Société accorde surtout de remise pour les verres (environ 80 euros par paire de verres) par rapport aux autres articles (33 euros par article solaire, 13 euros par monture et moins de 3 euros par lentille). Au regard de ces chiffres, il est possible de dire que la vente de verres constitue un axe important pour la survie et le développement de l’entreprise. D’ailleurs, cela confirme l’analyse de Xerfi affirmant que « les ventes de verres correcteurs […] ont soutenu presque à elles seules la croissance du marché au cours de l’exercice, [et] ont compensé les mauvaises performances observées au sein de plusieurs segments davantage exposés aux arbitrages (montures solaires et produits d’entretien en tête) » (XERFI, 2015, p. 25).
Figure 10 – Part de chaque article sur la totalité des ventes réalisées en 2014-2015
Figure 11 – Remise accordée par unité d’article
Par ailleurs, sur un peu moins de 2 900 ventes réalisées pour l’exercice 2014-2015, 83% concernaient un équipement (une paire de verres et une monture), ce qui représente 95% du chiffre d’affaires net total (un peu plus d’un millions d’euros pour les équipements). Les achats de pair de verres ou d’un seul verre (sans monture) ne représentaient que (respectivement) 9% et 3% des quantités vendues. Aussi, au regard des clients, les produits vendus sont surtout destinés à des personnes adultes (près de ¾ en volume et 88% en valeur), et majoritairement pour les femmes (presque la moitié en valeur) (cf. Figure 12 – Ventes réalisées par type de client : en volume (à gauche) et en valeur (à droite)).
Figure 12 – Ventes réalisées par type de client : en volume (à gauche) et en valeur (à droite)
En outre, il apparait qu’Optique Chagrot est un établissement qui veut surtout miser sur sa bonne image de marque pour faire vendre ses produits. En effet, ses fournisseurs sont presque tous de grands producteurs ayant de forte notoriété (mais Optique Chagrot accorde également une place non négligeable à la lunetterie française) :
- Le géant Essilor pour 90% des verres ; mais également Seiko et Zeiss ;
- Aussi, des grands lunettiers tels que Luxottica et Safilo pour l’approvisionnement en montures.
En matière de prix, Chagrot Optique se positionne sur des gammes moyennes et hautes, d’autant plus que l’opticien ne veut pas non plus être en retard en termes d’innovation : commercialisation des dernières générations de verres et utilisation de prise de mesures électronique, par exemple. Par ailleurs, la Société respecte les prix conseillés par les fournisseurs.
Du côté marketing, la politique de communication de l’entreprise semble être moins agressive (notamment par rapport aux grands opticiens sous enseigne). D’ailleurs, la Société ne dispose pas d’organe spécifique à la fonction communication. Les moyens utilisés par Chagrot Optique peuvent être regroupés en deux catégories, sur ce point :
- Des actions en permanence, presque toutes utilisant les technologies de l’information et de la communication (TIC) :
- le mailing conçu et réalisé par une boîte externe (à l’entreprise),
- le site internet de la Société (www.chagrot.com) qui est jusqu’alors un site vitrine et non encore marchand. Outre la présentation et la description de l’historique de la Société, ainsi que la présentation de ses activités, ce site internet permet aussi un essayage virtuel (Virtual try on). Optique Chagrot envisage (de manière non encore officiel) d’effectuer des ventes en ligne pour certains produits en complément de celles réalisées dans les magasins physiques.
- le référencement payant sur internet (à travers Webicine).
- Des actions ponctuelles sur les lieux de vente, dont l’organisation de soirée ou de showroom dans les boutiques en invitant les clients et les prescripteurs.
Optique Chagrot se veut être un magasin de proximité, et apparemment n’a pas encore prévu une réelle réorientation stratégique concernant son positionnement sur le marché. L’opticien s’approvisionne toujours auprès de la centrale d’achat Optique libre, et aucune action concrète n’a encore été entreprise concernant un éventuel rapprochement à une enseigne existante. En fait, un rapprochement avec Krys avait déjà été envisagé, mais d’autres opticiens de la ville de Lyon sous cette enseigne avaient fait pression auprès du Groupe (Krys) pour que celui-ci n’accepte pas ce rapprochement. Cette situation a, semble-t-il, raffermi la décision de la Société Optique Chagrot de rester un opticien indépendant.
La Société développe un partenariat avec un organisme de complémentaire santé, sur un seul réseau « fermé » : Santéclair. Mais, sur un réseau « ouvert », elle travaille aussi avec tous les autres organismes de complémentaire santé existants.
Du côté de la gestion financière, la santé de l’entreprise est plutôt bonne, d’autant plus que le propriétaire de la Société se préoccupe de l’avenir de cette dernière : la totalité du bénéfice réalisé lors de l’exercice 2014-2015 a été entièrement mis en réserve (évalué désormais à un peu moins de 500 000 euros, à la clôture de cet exercice). Ainsi, le gestionnaire de l’entreprise veut jouer une stratégie de prudence face à la conjoncture qui n’apparait pas très favorable aux activités d’opticien, au regard des bouleversements possibles du secteur à cause de l’évolution du marché et des facteurs socioéconomiques et juridiques. Désormais, les dirigeants de la Société est conscient de la forte probabilité d’effondrement du chiffre d’affaires par magasin pour l’année 2016 qui, selon eux, est essentiellement dû au plafonnement de remboursement opéré afin de faire baisser les prix.
Pour résister à cette crise imminente, les stratégies d’Optique Chagrot tournent autour de deux principaux points :
- Affirmer son positionnement haut (et moyen) de gamme : cela devrait surtout engager des actions dont entre autres le réaménagement des magasins pour donner un autre aspect vivant de l’entreprise aux yeux du public ;
- Améliorer les marges sur les ventes, notamment pour réagir aux chocs causés par le plafonnement de remboursement : pour cela, la Société prévoit un changement de verrier (afin de bénéficier d’un tarif plus avantageux vis-à-vis des fournisseurs). Mais, Optique Chagrot va probablement abandonner une bonne part de sa notoriété en prenant cette décision (ce qui pourrait remettre en cause sa volonté de renforcer son positionnement haut de gamme).
En somme, la situation d’Optique Chagrot est plutôt complexe, une complexité attribuée essentiellement à la conjoncture qui est en train de bouleverser également l’ensemble du secteur optique, probablement. Pour avoir une appréciation plus approfondie des impacts des évolutions du marché d’optique en France (et de la déréglementation due à l’intervention de l’état sur ce secteur) sur les établissements tels qu’Optique Chagrot, il importe d’effectuer aussi des analyses comparatives (de cet entreprise) par rapport à d’autres acteurs majeurs.
2.3 Analyses comparatives (Benchmarking)
Principalement, des analyses ont permis d’estimer que les facteurs exogènes (dont notamment l’intervention de l’Etat pour faire baisser les prix des produits d’optique) et endogènes (essentiellement associés aux évolutions du marché et des comportements des acteurs sur ce marché) vont jouer en défaveur des opticiens (acteurs de la distribution). Ces impacts devraient surtout être sentis en termes de baisse de chiffre d’affaires dans les prochaines années (voire dans le court terme). L’accroissement du nombre de point de vente va probablement ralentir jusqu’à connaitre une régression. Seuls les établissements solides pourraient alors résister : les autres seront, soit absorbés par les plus robustes, soit évincés complètement du marché de l’optique.
En effet, cette « érosion du marché » a déjà pénalisé les activités (en chute) des opticiens depuis l’année 2014 (voire encore plus tôt). Cependant, les impacts de cette érosion ne sont pas d’une intensité similaire pour tous les opérateurs du secteur : par rapport aux opticiens indépendants, ceux sous enseigne résisteraient mieux au bouleversement causés par les facteurs cités plus haut (une baisse de 0.5% pour le chiffre d’affaires moyen des opticiens sous enseigne contre –2.5% pour les indépendants (cf. Tableau 1 – Variations annuelles des chiffres d’affaires). Cela étant compréhensible en considérant certains avantages significatifs que disposent les distributeurs sous enseigne : conditions favorables en matière d’approvisionnement, meilleure exposition, etc. Ces tendances auraient alors incité de nombreux opticiens indépendants à rejoindre une enseigne (XERFI, 2015, p. 25). De leur côté, les opticiens sous enseigne, et surtout les grands opérateurs, insiste sur la diversification de leur offre à la recherche d’un accroissement de leurs sources de revenus.
2013 | 2014 | 2010-2014 | |
L’ensemble du secteur | +0.9% | +0.5% | +3.6% |
Opticiens sous enseigne | –0.3% | –0.5% | +5.3% |
Opticiens indépendants | –2.0% | –2.5% | –1.1% |
Tableau 1 – Variations annuelles des chiffres d’affaires
Source : Xerfi
Il n’est pas question de stipuler que le fait d’être sous enseigne confère à un opticien des avantages absolus. Certes, les opticiens sous enseigne trouveront des bénéfices en termes de réduction de poids de certaines charges par rapport aux opticiens indépendants. Il en est ainsi du poids des matières premières et des approvisionnements d’une part, et de celui des charges externes d’autre part.
En revanche, le poids des frais du personnel est généralement plus important pour les opticiens sous enseigne (relativement aux opticiens libres), d’autant plus que ce poids connait un accroissement quasi-constant d’année en année pour ce type de distributeurs. De leur côté, les distributeurs libres ont même connu une baisse et une stabilité du poids des frais du personnel à certains moments (2008-2011) avant de suivre une tendance généralisée à la hausse (mais apparemment de niveau moins important que celui des opticiens sous enseigne) (cf. Figure 14 – Poids des matières premières et approvisionnement (haut gauche), des frais du personnel (haut droit), des autres achats et charges externes (bas)).
Du côté des produits, les taux de marge commerciale des distributeurs sous enseigne sont nettement plus élevés que ceux des indépendants. En revanche, cet avantage comparatif n’est plus significativement observable concernant les taux d’excédent brut d’exploitation (EBE) (de même pour les taux de résultat net) (cf. Figure 15 –Evolution du taux de marge commerciale (gauche) et du taux d’EBE).
Figure 14 – Poids des matières premières et approvisionnement (haut gauche), des frais du personnel (haut droit), des autres achats et charges externes (bas)
Source : Xerfi
Figure 15 –Evolution du taux de marge commerciale (gauche) et du taux d’EBE
Source : Xerfi
Xerfi résume désormais les forces et les faiblesses des opticiens sous et sans enseigne dans le tableau ci-dessous (cf. Tableau 2 – Forces et faiblesses des opticiens sous enseigne et de ceux sans enseigne). Mais, il importe de préciser que les différences majeures entre ces types de distributeurs concernent essentiellement le niveau de concept de magasin, d’une part, et le degré d’autonomie que disposent les opticiens d’autre part. Il faut noter qu’un opticien qui est adhérent à une centrale d’achat peut se faire assister par cette dernière au niveau de l’agencement, la promotion du point de vente. Mais, cela n’enlève rien à sa liberté notamment dans le choix de son assortiment, son emplacement et/ou son identité visuelle. En revanche, et de manière générale, les opticiens sous enseigne n’ont pas de telle marge de manœuvre, d’autant plus que les franchises et les coopératives imposent des strictes conditions à leurs adhérents en matière d’agencement du point de vente.
Forces | Faiblesses | |
Opticiens sous enseigne | – Les opérateurs bénéficient de la notoriété d’une enseigne nationale
– Conditions d’approvisionnement avantageuses (achats groupés) |
– Certaines enseignes ont adopté un positionnement low cost, ce qui peut nuire à leur image de marque
– Degré d’autonomie limité (choix des marques et des gammes, agencement du magasin, etc.) |
Opticiens sans enseigne | – Conditions d’approvisionnement avantageuses si adhésion à une centrale d’achats (achats groupés)
– Degré d’autonomie important (choix des marques et des gammes, agencement du magasin, etc.) |
Les opticiens libres peinent à attirer de nouveaux clients en dehors de leur zone de chalandise |
Tableau 2 – Forces et faiblesses des opticiens sous enseigne et de ceux sans enseigne
Partie 3. Recommandations
Cette dernière partie du mémoire est consacrée à la formulation d’un certain nombre de recommandations pour l’entreprise Optique Chagrot. Il ne s’agit pas de citer exhaustivement toutes les suggestions possibles, mais seulement les plus pertinentes découlant bien entendu des analyses faites dans les parties précédentes.
3.1 Politique globale
Il est important d’aborder en premier lieu la politique stratégique globale de l’entreprise, puisque cela vont indéniablement conditionner toutes les stratégies et moyens prises pour atteindre les objectifs fixés. Dans cette optique, il importe alors de parler du positionnement d’Optique Chagrot. Ainsi, il est légitime de penser que le rapprochement de cet établissement avec une enseigne nationale devrait lui conférer des avantages qui pourraient ensuite être matérialisés en terme financier.
Néanmoins, l’expérience assez désagréable qu’avait connue l’entreprise lors de la tentative de rapprochement avec Krys semble raffermir davantage son positionnement actuel. Désormais, il est manifeste qu’Optique Chagrot veut rester un distributeur indépendant. Ce positionnement s’impose alors surtout comme choix idéologique que décision stratégique : le fait d’être indépendant est donc intégré dans la culture et les valeurs même de la Société. De ce fait, il apparait très difficile (voire impossible, du moins pour le moyen terme) de penser autrement. Les recommandations qui seront ainsi émises dans cette dernière partie de la présente étude tiendront alors compte de ce positionnement choisi.
Il importe donc à Optique Chagrot de considérer les principaux points forts et points faibles de cette décision centrale. Le tableau ci-après donne alors un aperçu de ces points (analyse SWOT : Strengths, Weaknesses, Opportunities and Threats ou Forces, Faiblesses, Opportunités et Menaces).
POSITIF | NEGATIF | |
INTERNE | Forces
– Degré d’autonomie important dans le choix des marques, des gammes, dans l’agencement des magasins – Positionnement haut de gamme : bonne notoriété sur les marques/produits commercialisés – Notion de proximité : dimension « conseil » très importante – Conditions avantageuses si achats groupés |
Faiblesses
– Difficultés à étendre son périmètre d’action en dehors de sa zone de chalandise – Positionnement un peu éloigné des clients moins fortunés
|
EXTERNE | Opportunités
– Hausse continue de la demande (en tenant compte des besoins) – Une légère amélioration du pouvoir d’achat des français |
Menaces
– Avantages comparatifs significatifs pour les opticiens sous enseigne – Pouvoir de négociation élevé des fournisseurs (avec la concentration du secteur amont/aval) – Intensité élevée de la concurrence (avec de nouveaux entrants) : d’où importance du pouvoir de négociation des consommateurs finals – Plafonnement de remboursement : baisse imminente du chiffre d’affaires |
Tableau 3 – Analyse SWOT du positionnement d’Optique Chagrot
Il faudrait alors qu’Optique Chagrot trouve les moyens pour profiter encore plus des avantages que lui procure le fait de rester un distributeur indépendant, mais aussi trouve les moyens pour réduire au minimum les inconvénients de ce positionnement. L’essentiel des recommandations qui seront émises dans cette partie chercheront donc à atteindre ce double objectif.
3.2 Développer un partenariat avec d’autres distributeurs indépendants
Il faut se rappeler que l’un des désavantages majeurs associés à l’indépendance d’un opticien vis-à-vis des grandes enseignes nationales concerne le poids des charges. Ce dernier est ainsi plus important, notamment pour les charges relatives aux matières premières et à l’approvisionnement. Ce phénomène tient essentiellement son fondement sur deux facteurs majeurs :
- D’un côté, les fournisseurs (producteurs de produits d’optique) ont un pouvoir de négociation relativement élevé par rapport aux distributeurs. En effet, il ne faut pas oublier la forte concentration du secteur amont, dominé par quelques acteurs. D’ailleurs, 90% des verres commercialisés par Optique Chagrot sont fournis par le géant mondial, Essilor (d’autant plus que cette firme présente des caractéristiques associées à un risque élevé de forclusion).
- D’un autre côté, les distributeurs sous enseigne dispose également un pouvoir de négociation plus important que celui des opticiens indépendants vis-à-vis des fournisseurs. En fait, ce pouvoir tient au soutien que les centrales d’achats accordent aux distributeurs qui leur sont affiliés respectivement.
Si les distributeurs indépendants ne réagissent pas face à ce regain de force des opticiens sous enseigne, ces derniers vont se développer davantage au détriment de ces premiers : Xerfi estime que « seul le chiffre d’affaire des détaillants adossés à une marque nationale progressera en 2015 à périmètre constant » (+0.5% contre –1.5% pour les détaillants libres) (XERFI, 2015, p. 29).
Dans ce sens, il est suggéré à Chagrot une stratégie plus fondamentale : nouer un partenariat limité avec d’autres opticiens indépendants. L’objectif principal de cette action est alors double :
- D’une part, obtenir des prix réduits auprès des centrales d’achats en effectuant d’achats groupés avec d’autres détaillants libres ;
- D’autre part, accroitre son pouvoir de négociation pour faire contrepoids avec celui des fournisseurs. Cela devrait alors attribuer à Chagrot (et ses partenaires) des conditions d’approvisionnement relativement plus avantageux (que lorsqu’ils effectuent leurs commandes de manière individuelle) : prix préférentiel (remises), délai de livraison (priorisation du traitement des commandes), délai de paiement rallongé, etc.
De plus, les charges associées à de tels achats collectifs seraient partagées (et donc moins pesantes) entre les différentes partenaires. Il est toutefois important de souligner qu’il s’agit de partenariat limité pour ne pas confondre à celui entre une tête de réseau et les opticiens qui leurs sont affiliés : essentiellement (et du moins au début du partenariat), ce partenariat devrait uniquement concerner la question d’approvisionnement (autrement, le rapprochement entre opticiens indépendants serait difficile).
3.3 Segmentation de la clientèle pour la diversification de l’offre
Les dirigeants d’Optique Chagrot ont privilégié des stratégies visant un double objectif pour faire face à la conjoncture difficile à laquelle font face les opticiens français. En fait, il s’agit d’objectifs plutôt antagoniques au premier abord :
- D’un côté, Optique Chagrot veut entretenir sa notoriété : la Société veut se positionner sur le haut de gamme. Pour cela, des travaux de réagencement des magasins (relooking) seront réalisés.
- D’un autre côté, l’entreprise (étant consciente de l’effondrement imminent du chiffre d’affaires dans le court et le moyen terme) pense à une amélioration de sa marge via un changement de verrier. Optique Chagrot admet toutefois que cette stratégie va lui coûter en termes d’image.
Si la première stratégie risque de léser les clients plus modestes (financièrement parlant), la seconde risque aussi de ternir l’image de l’établissement et ainsi de repousser les clients plus fortunés. D’ailleurs, il a été constaté que deux importants facteurs influencent les décisions d’achats des consommateurs : le prix d’une part, et la qualité (des produits et services) d’autre part.
Dans ce contexte, plutôt que de décider des stratégies qui pourraient faire perdre à l’entreprise des gains potentiels, il est recommandé à Optique Chagrot d’opter pour une stratégie de segmentation des clients. Il est alors légitime de considérer des critères financiers pour de telle segmentation, et cela se justifie notamment par le fait que l’achat de produits d’optique (dont des lunettes) est fortement influencé par le niveau de vie des consommateurs (cf. Figure 16 – Proportion des Français portant des lunettes, par niveau de revenus). Or, il a été estimé que 47% des porteurs de lunettes ont un revenu mensuel net relativement bas (inférieur à 2 500 euros) (IPSOS, 2012, pp. 21-22). Par ailleurs, il existerait environ 60% des porteurs de lunettes, adhérents à un des OCAM proposant l’accès à un réseau d’opticiens partenaires, qui ont préféré faire leurs achats chez un opticien hors de ce réseau. Il est possible alors qu’une bonne partie de ces porteurs de lunettes cherchent quelque chose d’autre que des avantages financiers dans leurs achats.
Figure 16 – Proportion des Français portant des lunettes, par niveau de revenus
Source : IPSOS
Ainsi, il est alors proposé à Optique Chagrot de privilégier une segmentation suivant deux besoins principaux des consommateurs : recherche d’avantages financiers d’une part, et recherche de produits et services de meilleure qualité (sans nécessairement considérer les questions financières) d’autre part.
3.3.1 Tenir compte de la question financière
En fait, il y a des raisons de croire qu’il importe de considérer les contraintes financières des consommateurs dans leurs achats de produits d’optique, surtout face à la conjoncture actuelle (cette conjoncture est d’ailleurs appréciable à travers l’analyse PESTEL[5], cf. Tableau 4 –Analyse PESTEL de la situation d’Optique Chagrot). Selon une estimation prévisionnelle, il est attendu que les besoins en produits d’optique vont connaitre une hausse à court terme (mais probablement aussi à moyen terme). De telle hausse serait la conséquence du vieillissement de la population française d’un côté, et du mode de vie de cette population dont le temps passé devant un écran a tendance à augmenter, d’un autre côté. « Or, la part des ‘seniors’ dans la population française (comme celle des retraités 270) ne devrait cesser de croître : alors que les plus de soixante ans représente 23,4 % de la population française aujourd’hui, ce taux devrait passer à 27,3 % en 2020 et même à près de 32 % en 2050 » (Martimort & Pouyet, 2012, p. 65).
POSITIF | NEGATIF | |
Politique | Une volonté de l’Etat de faire baisser les prix des produits d’optique : libéralisation de la concurrence (loi Hamon) et plafonnement de remboursement | |
Economie | Une légère hausse du pouvoir d’achat suite à la relative stabilité (voire baisse) des coûts de la consommation en carburant | Forte concurrence, avec annonce du développement des activités des concurrents : réduction possible des parts de marché
Intérêts élevés des consommateurs aux critères financiers dans l’acte d’achat : baisse potentielle des marges |
Social | Hausse potentielle des besoins en produits d’optique : due essentiellement au vieillissement de la population et aux habitudes de vie | |
Technologie | Innovations technologiques permettant d’améliorer les prestations
Développement du commerce en ligne |
Croissance des concurrents sur l’optique en ligne : les pure players et les autres concurrents y œuvrant |
Ecologie | ||
Légal | Loi Hamon et plafonnement de remboursement |
Tableau 4 –Analyse PESTEL de la situation d’Optique Chagrot
Il importe alors d’être en mesure de capter une bonne partie de ces clients potentiels. Mais, dans ce contexte de hausse de la demande globale, il faut mentionner que les aspects financiers pèsent énormément dans les critères déterminant de l’achat des produits d’optique en France (cf. Figure 17 – Proportion des critères financiers déterminants dans l’achat de produits d’optique). Près de 72% des français parleraient même de prix « trop élevés » ; 37% des porteurs de lunettes ont fait d’abord une comparaison de prix avant d’acheter ces produits (Martimort & Pouyet, 2012, pp. 59-60), et 47% calculent d’abord le montant restant à leur charge avant de décider (IPSOS, 2012, p. 12). Tout cela démontre que la dimension financière est un critère de segmentation très importante : une part assez considérable de la clientèle serait en effet intéressée par des produits low cost, c’est-à-dire des équipements à prix modérés. Certes, le maintien à bas niveau des prix du carburant pourrait donner un second souffle au budget des ménages français, mais cela ne devrait avoir qu’une portée assez limitée sur la marge de manœuvre de ces ménages en matière d’achat de produits d’optique.
Figure 17 – Proportion des critères financiers déterminants dans l’achat de produits d’optique
Source : IPSOS
Dans une perspective de baisse généralisée du chiffre d’affaires des opticiens, Optique Chagrot a alors intérêt à donner une importance particulière pour ce segment de clients potentiels : ceux qui cherchent des produits relativement moins chers. Mais, cela ne devrait pas alors nuire à l’image voulue d’Optique Chagrot : d’où la nécessité de la segmentation.
3.3.2 Accorder plus de marge de manœuvre pour les clients plus fortunés
Désormais, il n’y a pas que la question financière (recherche de prix plus avantageux) qui intéresse les consommateurs potentiels de produits d’optique. Ainsi, il y aurait 19% de ces consommateurs qui sont au courant de la possibilité de bénéficier des tarifs préférentiels (associés au remboursement) dans un réseau d’opticiens, mais qui ont toutefois préférés sortir de ce réseau, pour diverses raisons. 63% d’entre eux ont tout simplement choisi un opticien bien précis, parce c’est un opticien habituel, ou encore parce que c’est une recommandation d’un ophtalmologiste, par exemple (Accuité, 2010, p. 3). Ici, la notoriété de l’opticien joue un rôle très important pour guider ces consommateurs potentiels (la question financière importe peu : ils ont même concédé des avantages financiers pour retrouver cette notoriété de leurs opticiens).
Par ailleurs, parmi ceux qui ignorent l’existence de cette possibilité de bénéficier de tarifs préférentiels offerts dans un réseau d’opticiens et qui ont choisi d’aller en dehors de ce réseau (41%) : 86% seraient intéressés par la qualité des produits et 91% par celle des services offerts (Accuité, 2010, p. 3). Environ 71% des consommateurs potentiels ne seraient pas d’accord de choisir leurs montures et verres dans une gamme restreinte de produits, même s’il leur est proposé des conditions de remboursement significativement plus avantageuses (Accuité, 2010, p. 2).
Ainsi, comme critères déterminants de l’achat de produits d’optique, 88% des consommateurs potentiels accordent de l’attention au choix des montures, 90% pour la qualité de la livraison, 94% pour la qualité des conseils, et 96% pour la disponibilité et l’écoute (Martimort & Pouyet, 2012, p. 62). Les notions de qualité, d’esthétique et de notoriété sont donc aussi très importantes.
Figure 18 – Proportion de certains critères non financiers qui sont jugés déterminants pour les consommateurs
En somme, il est proposé à Optique Chagrot d’élargir l’étendue des gammes de ses produits pour mieux servir au moins ces principaux segments de consommateurs. D’ailleurs, c’est une stratégie très utilisée par les distributeurs sous enseigne : proposer un catalogue large aux clients pour ne pas perdre, ni ceux qui cherchent à réduire leurs dépenses financières, ni ceux qui veulent des produits et services haut de gamme (correspondant à l’image que l’entreprise veut porter).
3.4 Diversification des canaux de distribution : développement de l’optique en ligne
L’analyse de la concurrence du marché d’Optique Chagrot (cf. Figure 18 – Analyse des 5 forces de Porter pour le marché d’Optique Chagrot) montre que deux concurrents se distinguent : outre les opticiens sous enseigne (essentiellement), il y a aussi la nouvelle forme de concurrence avec l’optique en ligne. Les nouveaux entrants de l’e-commerce du secteur optique (ce sont donc des pure players) sont en train de se développer, surtout suite à la loi Hamon qui veut libéraliser davantage le marché de ce secteur. Face à cette nouvelle forme de concurrence, les grands groupes ont réagi par l’extension de leur offre, également par l’e-commerce.
Figure 19 – Analyse des 5 forces de Porter pour le marché d’Optique Chagrot
L’exemple d’Optical Center est d’ailleurs très parlant : en 2013, le chiffre d’affaire des ventes sur internet du Groupe a connu une augmentation de 30% (par rapport à l’année précédente) en volume. Aussi, l’audience de son site internet a nettement augmenté : 300 000 visiteurs uniques par mois en 2015, en moyenne. En fait, l’optique en ligne (sur l’ensemble du secteur) aurait entre 10% et 15% de part du marché total de l’optique en 2013, avec une perspective à la hausse dans le court et moyen terme (XERFI, 2015, pp. 49, 69).
Ainsi, Optique Chagrot trouvera probablement plus de bénéfice en exploitant davantage le potentiel qu’offre cet autre circuit de distribution. Pour cela, les actions suivantes sont suggérées, entre autres :
- Etoffer et compléter les services et produits proposés sur le site actuel de la Société : migrer vers un site marchand, en l’occurrence.
- Etendre le catalogue de produits offerts qui est présenté sur le site d’Optique Chagrot, surtout concernant les produits à coûts relativement moins élevés. En effet, ce sont surtout les consommateurs à la recherche de produits low cost qui s’intéressent à ce canal de distribution.
- Renforcer les actions pour accroitre la visibilité du site internet de l’entreprise (référencement).
Un benchmarking avec les sites des autres concurrents pertinents sur ce circuit de distribution devrait apporter des idées très intéressantes (dépassant le cadre de la présente étude).
Figure 20 – Site internet d’Optique Chagrot
3.5 Insister sur certains créneaux : dont les dimensions conseil et livraison
Il est également très important de miser sur des avantages « naturels » d’Optique Chagrot (par rapport à d’autres concurrents), et la dimension conseil en est une composante principale. Entre 94% et 96% des consommateurs seraient sensibles à ce facteur (IPSOS, 2012, p. 13). Il a été démontré que le contact direct avec le client accroit la probabilité d’achat, et que le client a tendance à changer plus fréquemment de lunettes lorsque le nombre de rencontre avec son opticien augmente. De plus, « dans près d’un cas sur dix, il [l’opticien] l’aurait [le consommateur] même poussé à la consommation, augmentant ainsi le sentiment des bénéficiaires d’avoir à subir leur reste à charge » (Martimort & Pouyet, 2012, p. 62).
Il importe alors de penser à encore améliorer les services offerts (la qualité de la livraison intéresse aussi 90% des consommateurs) aux clients, de sorte à les fidéliser et à les utiliser pour véhiculer l’image de l’entreprise. En fait, 90% des français feraient confiance à leur opticien, et plus de 70% des porteurs de lunettes seraient satisfaits de la prestation faite par leur opticien. Il ne faut pas oublier que, si les opérateurs de l’e-commerce captent surtout des clients qui accordent de l’attention particulière à la dimension financière, les opticiens physiques intéressent surtout les « habitués » (portés par l’habitude) : « pour près de la moitié des consommateurs en point de vente, le fait d’avoir déjà acheté leurs lunettes précédentes en point de vente explique le recours à ce canal de distribution » (Martimort & Pouyet, 2012, p. 59).
3.6 Améliorer la visibilité de l’entreprise
Jusqu’alors, la communication de l’entreprise (pour faire vendre ses produits et services) est de moins en moins agressive (voire très timide). En revanche, ses concurrents réagissent très différemment. Optique Chagrot devrait alors prendre la décision de se mettre sur le devant de la scène pour être plus visible sur le marché, en n’oubliant pas que la survie de la Société même en dépend. Pour cela, il y a lieu d’exploiter les éléments de différenciation d’Optique Chagrot avec ses concurrents, d’autant plus qu’il a l’avantage d’être libre de concevoir sa propre stratégie de communication.
Il faut dire que l’une des facteurs majeurs de l’augmentation prévisionnelle de la demande du secteur optique est l’offre marketing des distributeurs. Optique Chagrot a déjà envisagé d’entretenir son image par un relooking de ses magasins. Mais, il apparait essentiel de réaliser une étude particulière pour accroitre les impacts positifs de cette action. Aussi, et de manière plus globale, il est suggéré à l’entreprise d’assoir sa politique de communication sur de bases solides ; et pour cela, il s’avère indispensable d’attribuer toutes les tâches relatives à la conception et à la mise en œuvre de telle politique à une entité bien distincte. Sur ce point, la Société a à choisir entre deux options :
- Soit, la création d’un département/service communication/marketing au niveau de l’organisation interne d’Optique Chagrot. Ainsi, les responsables seront relativement plus proches du terrain (« dans la maison ») et auront donc des connaissances plus élaborées du contexte de l’entreprise. Mais cette dernière aurait alors à supporter les coûts (des charges salariales supplémentaires) associés à ce nouveau service interne.
- Soit, l’externalisation du service de communication/marketing. D’ailleurs, cette option permet à l’entreprise de ne payer que les services faits, surtout lorsque ceux-ci ne sont réalisés que ponctuellement.
En tout cas, il ne faut pas oublier que les existants (actuels) de l’entreprise, dont les deux boutiques et le site internet sont déjà des éléments importants qui véhiculent l’image de l’entreprise.
En somme, il faut reconnaitre qu’Optique Chagrot, a déjà les éléments pour survivre, voire se développer, dans le contexte assez défavorable pour les opticiens indépendants français. Il lui suffit d’effectuer quelques réorganisations et investissements, pourtant nécessaires, de manière à mieux se positionner sur le marché devenant de plus en plus concurrentiel. D’ailleurs, la conjoncture (pouvant être assimilée à une crise) actuelle aura probablement comme conséquence, soit la disparition de cet opérateur sur le marché de l’optique, soit son développement.
Conclusion
Le secteur de l’optique en France est caractérisé par le nombre relativement élevé d’opticiens (par rapport à d’autres pays) et la très grande variété des produits offerts sur le marché. D’ailleurs, les Français sont très consommateurs de ces produits (avec essentiellement des achats utilitaires, mais aussi d’esthétique), sur un marché très concentré en amont comme en aval. Mais, le secteur est également animé par d’autres opérateurs majeurs, dont le système de santé, et plus particulièrement les organismes de complémentaire santé qui jouent un rôle central dans la régulation de ce secteur puisqu’il rembourse en moyenne 55% des prix des lunettes. Ces organismes, qui sont des intermédiaires entre les opticiens et les consommateurs finals, sont désormais pointés du doigt comme un grand responsable de l’incitation à l’élévation du prix des produits d’optique en France. Il est important aussi de mentionner que le segment aval (la distribution) est dominé par quelques groupes (têtes de réseaux et centrales d’achat) qui effectuent généralement des campagnes de communication assez offensives. Du côté de la demande, il est attendu une évolution à la hausse de la consommation de ces produits dans le moyen terme, notamment due au vieillissement de la population et à un changement d’habitude de vie de celle-ci. Par ailleurs, le secteur de l’optique est l’un des plus dynamiques en France, notamment au regard de l’essoufflement du marché (à cause surtout de la baisse du pouvoir d’achat des Français) d’un côté, et du développement significatif des activités de certaines grandes enseignes.
Les enjeux des évolutions sur le segment aval du secteur est assez énorme, notamment le constat d’une hausse relative des prix, jugés par une large majorité des consommateurs comme trop élevés (voire injustes). Ces derniers accordent alors une importance grandissante à l’existence d’un tiers payant pour le remboursement des dépenses d’optique, leur donnant une (fausse) impression de ne pas payer la totalité de ces charges. Aussi, de par sa structure assez complexe, le secteur de l’optique français est très lucratif, où les marges des opticiens sont considérés comme relativement plus élevées que celles dans les d’autres pays occidentaux. En fait, au niveau structurel, outre la forte concentration du secteur, il faut aussi citer le risque élevé de forclusion (du segment amont essentiellement), l’optimisation de facture réalisée par les opticiens pour inciter la consommation, et la faible transparence de la formation du prix des produits. L’Etat intervient alors, nécessairement pour faire baisser les prix, dont à travers la loi Hamon pour libéraliser davantage la concurrence (en favorisant la distribution en ligne de ces produits), et à travers le plafonnement des remboursements réalisés par les organismes de complémentaire santé. La forte concurrence frontale sur le marché de l’optique, et la baisse tendancielle du chiffre d’affaires moyen par point de vente en conséquence, vont probablement déstructurer le marché avec un risque d’éviction pour les opérateurs les moins performants.
L’étude de cas d’un distributeur libre (sans enseigne), Optique Chagrot, illustre les comportements des opticiens indépendants dans le contexte décrit ci-dessus. La vente réalisée par cette entreprise est assez stables, bien que la baisse du chiffre d’affaires net semble confirmer que les distributeurs indépendants résistent mal à la « crise » par rapport aux opticiens sous enseigne. D’ailleurs, la survie de l’établissement est jusqu’alors soutenue par les ventes de verres. Néanmoins, Optique Chagrot veut se positionner sur le haut de gamme, en termes de qualité de produits et de prix. A la différence de certains opticiens indépendants qui optent pour le rapprochement à une enseigne nationale (considérant les avantages que cela devrait leur procurer, Optique Chagrot ambitionne de rester un distributeur de proximité indépendant. Ainsi, le fait d’être indépendant confère à l’opticien quelques avantages comparatifs, dont l’autonomie dans la politique stratégique globale de l’entreprise, et surtout en matière d’agencement des magasins.
Quelques recommandations sont alors émises à l’endroit d’Optique Chagrot pour faire face à cette conjoncture assez défavorable pour le développement de ses activités. En fait, ces recommandations tiennent compte du choix (plutôt idéologique que stratégique) de la Société de rester indépendante. Il est alors crucial pour Optique Chagrot de développer un partenariat (limité) avec d’autres opticiens indépendants sur le domaine de l’approvisionnement pour réduire les coûts relatif à celui-ci (via des achats groupés). Aussi, il importe de segmenter la clientèle, surtout au regard d’une double objectif que l’entreprise veut atteindre : entretenir l’image de la Société d’un côté, et améliorer ses marges (en changeant de verrier, avec un risque de baisse de l’image de l’entreprise) d’un autre côté. Ainsi, il est important de considérer un segment de consommateurs qui cherchent surtout des avantages financiers dans leurs achats ; mais il ne faut pas que cela nuise à la notoriété d’Optique Chagrot et sa volonté de satisfaire les besoins en termes de qualité des services et des produits d’une grande part des consommateurs. Il faudrait donc élargir le catalogue de produits et chercher à améliorer les services offerts. Par ailleurs, l’entreprise a intérêt à exploiter l’optique en ligne, à insister sur les dimensions « conseil » et « livraison », et surtout à améliorer la visibilité de l’entreprise (via une communication plus offensive).
En outre, il faut reconnaitre une grande limite de la présente étude : se focaliser essentiellement sur le développement des opticiens indépendants. Même pour ne considérer que cette catégorie de distributeurs, l’étude de cas n’a concerné qu’un type particulier d’opticien sans approfondir les situations des autres types (ceux voulant se positionner sur le moyen et bas de gamme, ceux cherchant à se rapprocher d’une enseigne nationale, etc.). Des analyses à travers une étude quantitative (en analysant des variables relatives à un échantillon de distributeurs) devraient également permettre d’approfondir le présent travail de recherche.
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XERFI. (2015). La distribution d’optique. Paris: XERFI.
[1] Ces groupes sont : Guildinvest, Group All, Optic 2000, Grand Vision et Schertz/Luz (avec 8 226 points de vente). En termes de chiffre d’affaires, Alain Afflelou est devant les opticiens mutualistes et le groupe Schertz/Luz.
[2] Touraine, M. (2012, octobre 12). Congrès de la Mutualité Française. Discours de Marisol Touraine. Récupéré sur Ministère des Affaires Sociales (social-sante.gouv.fr): http://www.social-sante.gouv.fr/actualite-presse,42/discours,2333/congres-de-la-mutualite-francaise,15303.html.
[3] TF1. (2012, septembre 24). Les lunettes trop chères pour 74% des Français. Journal télévisé de TF1. (wat.tv, Compilateur) TF1. Récupéré sur wat.tv: http://www.wat.tv/video/lunettes-trop-cheres-pour-33g8d_2eyxv_.html.
[4] Par exemple : Cour d’Appel de Paris, Pôle 5, Chambre 5, Arrêt n°10/00413 du 20 septembre 2012.
[5] L’analyse PESTEL permet une appréciation globale des principaux facteurs (nécessairement externes) susceptibles d’influencer significativement l’entreprise sur les domaines Politique, Economique, Social, Technologique, Ecologique et Légal (d’où PESTEL).
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