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Intégration de la musique dans le récit fantastique : Une exploration en trois parties

SOMMAIRE

Partie I. INTEGRATION DU REFERENT MUSICAL DANS LE RECIT FANTASTIQUE 2
         
  Chapitre 1. L’INTEGRATION DU SCHEMA MUSICAL DANS LE RECIT FANTASTIQUE 3
    Section 1. Problématique de la relation entre musique et littérature fantastique 3
    Section 2. Problématique de l’existence des scenarii types d’intégration du schéma dans le récit 6
    Section 3. Problématique de la limite de la place de la musique dans le fantastique 8
         
  Chapitre 2. IMPORTANCE DE LA MUSIQUE SUIVANT LA PENSEE DU ROMANTISME 11
    Section 1. Les schémas d’insertion de la musique selon la période historique 11
    Section 2. Les schémas d’insertion de la musique selon la nationalité de l’auteur du récit 14
    Section 3. L’évolution de la fonction du référent musical dans le récit fantastique 20
         
Partie II. LES MODES DE FONCTIONNEMENT DE LA MUSIQUE DANS LE RECIT FANTASTIQUE 24
         
  Chapitre 3. LA FONCTION DE LA MUSIQUE DANS LE RECIT FANTASTIQUE 25
    Section 1. La musique en tant que décor d’accompagnement d’un processus de retournement du réel 25
    Section 2. La musique comme élément déclencheur du processus 29
    Section 3. La musique comme noyau dur du phénomène fantastique 31
         
  Chapitre 4. A QUOI RENVOIE LA MUSIQUE DANS UN DISPOSITIF FANTASTIQUE ? 35
    Section 1. Le contexte d’un processus allégorique 35
    Section 2. Le phénomène de l’indéchiffrable 38
         
Partie III. LES FORMES PRISES PAR LE REFERENT MUSICAL 41
         
  Chapitre 5. OBJET DU REFERENT MUSICAL 41
    Section 1. Le référent musical entre l’imaginaire et le réel 42
    Section 2. Le référent musical, simple élément ou véritable opéra fantastique 46
         
  Chapitre 6. LES ELEMENTS DU REFERENT MUSICAL 51
    Section 1. Concerne t-il uniquement le personnel romanesque associé aux thèmes traditionnels du fantastique ? 51
    Section 2. S’agit-il des différents instruments textuels, sonores mobilisés à cet effet ? 56

 

LES FORMES D’APPARITION DE LA MUSIQUE DANS LE RECIT FANTASTIQUE DU 19EME SIECLE.

 

Partie I. INTEGRATION DU REFERENT MUSICAL DANS LE RECIT FANTASTIQUE

 

Avant d’entreprendre une quelconque analyse, une clarification sur le fantastique s’impose. Si l’on doit trouver une explication à l’orientation vers la littérature fantastique au XIXe siècle, l’étude menée par Boulanger (2004)[1] se propose d’en être une base de résolution. La littérature fantastique est née de la révolution de l’homme par rapport à leur déception des conséquences de la révolution industrielle qui constituait à ses débuts l’espoir d’un monde meilleur.

 

En effet, le XIXe siècle témoigne d’une avancée spectaculaire de la science et de la technologie, une avancée motivée par la nécessité de concevoir un monde meilleur. « Le positivisme, philosophie qui récuse la religion, la métaphysique et l’imagination pour privilégier la seule connaissance des faits réels, bat son plein et provoque l’émergence de nouvelles théories scientifiques qui cherchent à comprendre le vivant tout en le réduisant commodément à un système rationaliste et fonctionnel. »

 

Ce qui n’est en fait qu’un résultat issu d’une réalité sociale catastrophique allant au désavantage du prolétariat : des conditions de travail et d’hygiène à contre normes. La révolution se tenant alors « contre le fantasme de pouvoir et de contrôle de la science, mais également contre l’idéologie même du Progrès en revendiquant le retour du rêve, du mystère, de l’imagination et même ». Ce sont ces motivations qui ont fait le succès de nombreux écrivains qui témoignent de leur désenchantement et de leur volonté de créer un genre littéraire destiné à exprimer « les peurs les plus profondes et les plus inavouables de l’homme d’hier et d’aujourd’hui. »

 

De cette brève historique se retrace un premier objet du fantastique, impliquant une tendance à la construction d’un imaginaire basé sur le réel. Le mot fantastique, de son origine grecque : « phantatikos » (fantôme) et « phantasia » (imagination) trouve une plus ample définition dans les propos de Pierre-Georges Castex (Castex 1951)[2] :

« une intrusion brutale du mystère dans la vie réelle; […] lié généralement à des états morbides de la conscience, qui, dans les phénomènes de cauchemar ou de délire, projettent devant elle des images de ses angoisses et de ses terreurs. »

 

Boulanger ajoute que « le fantastique, associé au bizarre, à l’insolite et au surnaturel, doit s’inscrire dans le réel pour mieux en exprimer l’ « autre versant », plus menaçant et énigmatique. Ainsi, comme la fillette dans Alice au pays des Merveilles de Lewis Carroll (1865)[3], le lecteur des récits de ce genre doit accepter de se prêter à la traversée des apparences, c’est-à-dire de passer de l’autre côté du miroir, afin d’arriver à un monde où tout est possible. » A ce stade, un questionnement sur la fonction de la musique dans le récit fantastique s’impose.

 

Chapitre 1. L’INTEGRATION DU SCHEMA MUSICAL DANS LE RECIT FANTASTIQUE

 

Bon nombre d’écrivains du XIXe siècle inscrit le récit fantastique dans le contexte de la folie, hallucination, diable, dédoublement, vampire…., afin de « cultiver les expressions de la peur et de l’inconnu pour, d’une part, répliquer aux « certitudes » rationnelles et scientifiques de leur époque et, d’autre part, pour renouer avec l’irrésistible plaisir associé à la transgression des lois de la Raison ». (Boulanger 2004)[4] Les caractéristiques du récit fantastique impliquent-elles une importance quant son association à la musique et sa mise en évidence?

 

Section 1. PROBLEMATIQUE DE LA RELATION ENTRE MUSIQUE ET LITTERATURE FANTASTIQUE

 

Boulanger (2004) propose quatre éléments caractéristiques du récit fantastique :

  • Le Décor

Les écrivains fantastiques aiment camper leurs histoires dans des endroits insolites et peu rassurants : qu’il s’agisse de châteaux abandonnés, de caves, de catacombes, de cimetières ou de forêts ensorcelées, le personnage évolue dans un lieu qui ranime ses angoisses les plus archaïques. Seul, vulnérable, exclu du monde, il ne peut compter sur personne pour venir à son secours. Certains écrivains voudront choisir des endroits communs, tels une chambre à coucher ou un salon, pour prouver que l’étrangeté nous côtoie quotidiennement.

 

Cette caractéristique se rejoint la mise en contexte du récit de Poe dans « une descente dans le Maelstrom ». En effet, l’auteur apparente le fantastique à l’idée de l’impensable, ce qui justifie les différentes scènes qui rappellent à l’inévitable danger selon lequel se poursuit l’histoire et qui accentuent la sensation de ce danger. Le contexte fantastique s’affirme donc en tant que décor qui représente l’inimaginable, l’intensité des sensations et émotions éprouvées selon l’acheminement de l’histoire.

 

 

 

  • La Voix

Le récit fantastique est généralement à la première personne, car il permet ainsi l’identification du lecteur au personnage souffrant. Aussi, le « je », qui représente un point de vue unique et contestable, fait en sorte que le témoignage du personnage est toujours mis en doute, ce qui plonge le lecteur dans la plus grande incertitude. On comprendra par conséquent pourquoi la confession et le journal intime seront des modes d’expression privilégiés par les écrivains de ce genre. Au cinéma, la caméra subjective, c’est-à-dire tenant lieu du regard d’un seul personnage, produit le même effet que la narration au « je ».

 

Cette deuxième caractéristique correspond au point commun des récits en comparaison. Tant dans les œuvres de Poe, Hoffmann, Gautier, Maupassant que Villiers, la référence au « je » est très encouragée, bien qu’elle ne gère pas la même intensité de son implication. Dans les récits de Poe, par exemple, le « je » se rapporte au personnage principal de l’histoire : le vieil homme qui raconte ses aventures avec le Maelstrom ou le personnage qui revit ses souvenirs de Ligeia. Le récit de Gautier rejoint cet implication du « je » dans la rencontre avec Angela.

 

Hoffman de son côté investit dans l’intervention d’un observateur qui fait parler les personnages de l’histoire mais qui n’en constitue pas toutefois le principal. C’est dans cette optique que cet étranger se retrouve à côtoyer avec le compositeur qui se fait dénommer comme le Chevalier Gluck. C’est également dans ce contexte que le jeune étudiant a décelé le mystère du violon de crémone.

 

  • Le Temps

La nuit, dit-on, tous les chats sont gris. Ce vieux dicton veut rappeler que, dans l’obscurité, tout se confond : le doute, tout comme l’effacement des limites, est un des thèmes récurrents du fantastique, c’est pourquoi la nuit tout comme les jours de brouillard sont privilégiés. Aussi, l’automne, saison triste qui annonce la mort symbolique de la verte Nature, servira de miroir aux états d’âme du héros. D’ailleurs, on peut affirmer que l’ensemble des éléments spatio-temporels sert de mise en abyme et de métaphore des troubles du personnage.

 

Cette référence au temps renvoie à la confusion qui se crée dans le raisonnement logique et perceptible du personnage de Maupassant dans « lettre d’un fou ». La scène se passe pendant la soirée où celui-ci fait connaissance avec l’invisible, une autre forme de vie qui échappe à la perception et la raison humaines. Pareillement, c’est dans la nuit que le récit de Poe se construit ; le souvenir de Ligeia, sa lutte contre la mort, et la tentation de ressuscitation. C’est également pendant la nuit que le récit de Gautier s’anime d’un enchantement, faisant revivre un événement passé qui laisse après à la fois cette déception de ne plus revoir cet être cher à Théodore, mais également cet enchantement de l’avoir connu.

 

Par ailleurs, les mystères des récits d’Hoffmann se déroulent pendant la nuit. Cette nuit où le conseiller entendit la dernière fois sa fille chanter, et pendant laquelle elle s’est libérée de son sort et s’est en allée heureuse et dans la mélodie. Mais également, cette nuit où le Chevalier Gluck s’est révélé à l’homme inconnu qu’il a rencontré dans le hasard chez Weber, rendant hommage à ses œuvres dans cet appartement enveloppé par l’obscurité et qui semble renfermer tant de secrets et de vérités. Quant à « une descente dans le Maelstrom » de Poe, les descriptions faites du contexte disent d’elles-mêmes. L’insistance de l’auteur sur les détails des bruits faisant référence à des métaphores, plus ou moins redirigées vers des caractéristiques musicales, les détails du paysage et les précisions sur les horaires renvoient à l’annonce d’abord, ensuite au vécu du tragique.

 

  • L’Absence de repères

Qu’elles soient corporelles, géographiques ou morales, les limites permettent de mieux nous situer dans le monde en déterminant qui nous sommes. Le fantastique repose sur l’effacement de celles-ci : par exemple, ce qui relevait de l’imaginaire devient brusquement réel. Vie/mort, raison/folie, bien/mal, passé/avenir… sont des couples conceptuels qui ordonnent le monde : qu’advient-il si l’homme ne peut plus s’y fier? Abolir la frontière qui sépare ces catégories conduit à une absence de repères qui plonge tout être dans la plus grande terreur. C’est pourquoi, dans les récits fantastiques, les morts-vivants provoquent une hésitation trouble, car notre raison ne peut expliquer ce phénomène contradictoire. Les métamorphoses, les dédoublements, les corps fragmentés, les objets animés ou magiques sont d’autres exemples de ces manifestations du surnaturel.

 

C’est dans ce contexte que le récit d’Hoffmann sur le « Chevalier Gluck » se construit. Le fantastique se révèle au compositeur à son entrée dans ce pays des rêves ; ou du moins ce mystère qui manque pour expliquer le fait que le célèbre compositeur Gluck vivrait encore en cette année de 1809. Mais bien plus encore quand Poe dans « Ligeia » matérialise et enferme son personnage dans le désir de ressuscitation de Ligeia, et au bout, il y arrive en n’imposant aucune limitation entre le réel et le rêve, tout en se posant toutefois la question. Gautier introduit également dans son récit cette absence de repère dans le passage du réel à l’imaginaire de l’animation du bal.

 

  • La « Musique » ou la Tonalité

La tristesse, la mélancolie, la nostalgie, la mort font la musique déchirante du fantastique qui se terminera par un immense coup de cymbales qui signe la fin inattendue du récit. Le héros croit bien souvent que tout est décidé d’avance, que les idéaux ont disparu pour le laisser sans le moindre désir de vivre dans un monde voué à l’ennui. Sans doute, s’il y avait à choisir une musique pour ce genre littéraire, il s’agirait certainement d’un style ancien, car le personnage, foncièrement nostalgique, aime plonger dans le passé pour raconter son traumatisme dans le but, d’en élucider tout le mystère.

 

Dans cette caractéristique trouve sa place le récit d’Hoffmann dans « une descente dans le Maelstrom ». Le vieil homme revit dans ses souvenirs les aventures qu’il a partagées avec ses frères, il y a trois ans, qui constituent le noyau même du caractère fantastique de l’histoire. Bien qu’il ait vaincu à cette expérience, la douleur et la peur, et même l’ensemble des sentiments et émotions que cette aventure lui a fait endurer se voient bien peser sur son existence. Il explique lui-même qu’il a vieilli en l’instant de quelques heures passées dans le Maelstrom.

 

Le principal élément qui nous intéresse dans cette étude est la partie musicale. Afin d’interpréter le cadre d’introduction de la musque dans la littérature fantastique, l’analyse avancée par Tack (1998)[5] représente une référence. Il s’agit de définir un cadre d’interférence entre la musique et la littérature afin de déterminer son schéma d’insertion dans le récit fantastique. Cette approche se justifie par le fait d’une nécessité d’analyse de « la mise en musique du texte dans la mélodie et la chanson, la musique comme modèle de la poésie, les rapports entre le théâtre et l’opéra, la musique comme critique d’une œuvre littéraire ».

 

La question de l’inclusion de la musique dans la littérature, chez Tack, se définit tout d’abord par l’importance que l’auteur accorde à la musique pour son « écriture fictionnelle ». Hoffmann en tant que compositeur et critique musicale par exemple accorde de l’importance quant à cette insertion de la musique dans son œuvre. Ce qui en vient à l’exemple des opéras qui se sont inspirés du récit du violon de crémone à titre d’illustration. Ce qui en vient également à un comparatisme musico-littéraire qui étudie le comment du fonctionnement des structures musicales dans l’univers textuel et discursif de la littérature. Il s’agit d’une projection de la musique dans le littéraire, au-delà d’une simple interférence de l’une avec l’autre.

 

« L’assimilation de l’intégré (par exemple la musique) par un système d’accueil (textuel) paraît avoir pour conséquence non seulement d’empêcher, sur certains points au moins, le renversement de la directionnalité de cette opération, mais encore d’annuler la possibilité d’un fonctionnement relativement autonome de la musique dans la littérature. »(Tack 1998) Ce constat se propose de support à l’idée que toujours dans le conte d’Hoffmann dans le violon de crémone, la musique se révèle elle même le noyau central du récit et celui du fantastique. La musique n’est pas indépendante vis-à-vis du texte, elle y est rattachée.

 

En outre, Tack spécifie que : « dans le paradigme expressif, qui correspond à certains contextes socio-culturels, les relations musico-langagières sont mesurées par rapport à cette commune exigence, et sont donc hiérarchisables : la musique y devient souvent, dans l’esthétique romantique notamment, une voie d’accès privilégiée à une réalité supérieure (l’Idée, l’âme humaine…). Dans la musique, ce qu’il y a à exprimer se trouverait en quelque sorte, comme dans certaines bibliothèques, en «accès direct», parce que la musique n’oblige pas à la médiation (déformante) par le système logique et rationnel du langage. Le paradigme opposé considère la musique du seul point de vue de sa structure musicale, et ne la situe pas par rapport à un univers à dire. » Ce qui pose la problématique dans l’exécution musicale que l’on retrouve dans le récit de Villiers, source d’insatisfaction et d’infortune qui a causé la mort de ce Chef d’orchestre, seul à détenir le secret de l’ancienne musique.

 

Restant dans cette problématique de rapport entre musique et littérature, Cupers (1979)[6] avance que le « langage est toujours musical », tandis que Gier (1995)[7] contredit, soutenant le double référent du langage à la différence de la musique. « Structuralement parlant, l’identité du signe musical est exclusivement définie par sa fonction en situation, alors que c’est la combinaison de la fonction référentielle et la place grammaticale dans la phrase qui crée la signification linguistique. »

 

Cette différence est surmontée par une recherche de mise en commun des deux phénomènes. Il s’agit de les interpréter selon leur fonction communicative. Tack fait remarquer que la musique se transmet selon un système d’émission – réception, avec un aspect socio-culturel sous forme de connotation. « C’est donc par l’inscription de la musique dans un système d’échange intersubjectif et communicatif que l’on récupère ainsi une homologie entre langage et musique qui semblait annulée par l’analyse du signe langagier et musical. » (Tack 1998).Villiers dans son récit par exemple conte cette réaction éprouvante du chef d’orchestre, perçue par le public comme un échange profond de sentiments entre la personne du chef d’orchestre et la musique qu’il exécute d’un côté, et avec le public de l’autre côté.

 

Toutefois, une première limite à cette interprétation est abordée par Tack lui-même, « que la musique soit objet d’un échange ne fait pas de la musique la logique même de l’échange; qu’il soit conféré des sens à la musique n’en fait pas un système signifiant en soi. ». Par ailleurs, l’approche du pouvoir expressif de la musique de Backès (1994)[8] ramène à une autre recherche : « la question de savoir «ce que la musique signifie» peut avec profit être remplacée par celle de savoir «comment on fait parler la musique ». En effet, ce constat se soutient dans l’ensemble des récits dans lesquels la musique elle même est objet d’échange ; quand Antonie par exemple retrouve la magie du chant dans le violon de crémone, également quand le prétendu chevalier Gluck tente de confronter son interlocuteur inconnu à cette pitoyable représentation théâtrale qui fait épidémie dans la région et dans la période.

 

Warszawski (2005)[9], dans son analyse de la fonction de la musique à travers l’histoire et l’approche madrigale, retrace le contexte d’évolution et de conception de la musique. Il s’agit d’une reproduction à l’identique et à l’opposé des conceptions des Pères de l’Eglise dans la période de forte chrétienneté. La musique est mise au service du texte et se charge des sentiments exprimés par le texte. Il est alors question de poésies dans lesquelles il est attribué au madrigal de marquer les recherches d’affects dans la musique. Ce qui a donné naissance à « l’art de donner du sentiment à la musique, l’art des formules ou des effets expressifs, où il s’agit d’exprimer le sens, les mots de la poésie. »[10] C’est dans ce sens que la musique est introduite dans la citation des vers écrits par Ligeia qui sert de support de communication de cette déception qu’est l’être humain, et donc communiquer ce sentiment.

 

Ainsi, « Ces effets peuvent exprimer l’espace, comme l’aigu pour le haut, les anges, le ciel, les sentiments nobles, la joie. Le grave pour le bas, l’enfer, le diable, la fourberie, la tristesse, la mort. Bien entendu, les mouvements musicaux menant au grave et à l’aigu sont alors chargés de sens selon les intervalles utilisés. Le rythme peut aussi être descriptif, y compris dans les accélérations ou les ralentissements. » Ce qui révèle out un jeu du chant musical pour orienter les sentiments à exprimer, pareillement aux descriptions des sons que le vieil homme fait des bruits des vagues et du vent dans le récit de Poe d’une descente dans le Maelstrom.

 

Section 2. PROBLEMATIQUE DE L’EXISTENCE DES SCENARII TYPES D’INTEGRATION DU SCHEMA DANS LE RECIT

 

Harbison (1965)[11] stipule :

« Car plus on lit autour du roman, plus les parallèles entre les techniques du roman et celles de la musique contemporaine s’imposent. Rien que le vocabulaire des critiques suffirait à signaler ces parallèles : discontinuités, possibilités, hasard, refus… ces mots réapparaissent sans cesse dans les articles des journaux littéraire et musicaux. Parfois chose bizarre, le lecteur distrait tout à coup s’arrête ne sachant plus s’il s’agit vraiment de la musique ou du roman. »

 

Cette citation sert à confirmer la relation entre la musique et la littérature, c’est ce qui fait l’objet du précédent volet. Il s’agit maintenant de revoir les scenarii possibles de l’insertion de la musique dans le récit fantastique. Un premier élément de recherche consiste à considérer le fait que le développement de la musique dans le XIXe siècle confère à la musique elle-même une place prépondérante dans l’expression de l’âme. Si le récit tente de donner un image textuel de ce sentiment, la musique avec ses limites refoulées, donne la possibilité de contenir pour les mettre à jours et correspondre dans le fond de l’âme même. C’est ainsi que le violon de crémone redonne vie à Antnie, quand Crespel joue de cet instrument, elle qui doit son talent à ses défauts de formation dans les fonctions respiratoire.

 

Cette caractéristique entre dans ce qu’est la sensibilité romantique. En effet, le romantisme se manifeste, outre l’évolution poétique, par un état d’âme et une manière de sentir. De l’analyse qui précède et de ce tenant de la musique romantique se précisent les formes d’intégration de la musique dans le récit. La fonction de la musique étant de débarrasser le sujet littéraire de tout ce qui ne relevait pas directement du sentiment et du psychologique pour ne garder qu’un certain substrat épique (entendu au sens de l’épopée « moderne ») de l’œuvre littéraire.

 

Dans le fil de cette analyse, il est nécessaire de faire un détour par l’étude réalisée par Picard (2008) sur la place de la musique, sur les liens entre indicible et fantastique. En littérature, différentes manières peuvent montrer les liens entre musique et littérature[12].

  • Sous forme partielle, c’est-à-dire par rapport à telle ou telle donnée affiliée au monde de la musique. En ce sens, il s’agit donc « du matériel musical (partition magique, instrument monstrueux) ; le personnel musical (compositeurs fantômes, instrumentistes fous, chanteurs aux voix inouïes, dont l’effet peut être bénéfique ou maléfique) ; amateur de musique (dont la mélomanie confine à la folie) » Ce premier aspect se rapporte aux récit d’Hoffmann qui semble t-il avoir un penchant à introduire ces éléments musicaux dans le récit. Ainsi, on parle du violon de crémone qui révèle son secret à la rencontre du chant d’Antonie ; aussi du compositeur suscitant autant de curiosité tant par son nom que la logique de son histoire : le chevalier Gluck.

 

  • Sous la forme d’une référence à un corpus privilégié : « ce corpus peut faire l’objet d’une référence circonscrite, d’une scène d’évocation musicale : en privé, en concert, dans le cadre d’une représentation, d’une réécriture – étant entendu qu’il faut ici privilégier les références qui glosent la teneur fantastique, tentent de la reproduire, voire l’utilisent comme pivot pour susciter à leur tour, dans la fiction, un fantastique. » Ce que Poe utilise dans ses récit notamment dans son approche de l’inconnu, du danger et du mystère, des révélations d’une descente dans le Maelstrom et de Ligeia.

 

  • Le fantastique musical peut encore concerner le lieu opéra : l’espace de l’opéra dans son horizontalité (le public, la scène, les loges) ou, le plus souvent, dans sa verticalité (hauteurs et profondeurs, envers de la machine), ou l’opéra laissé temporairement ou définitivement à l’abandon. Ce contexte se réfère au récit de Villiers qui représente le cadre d’une exécution musicale faisant émouvoir le public tandis que le chef d’orchestre n’éprouve pas satisfaction à son exécution.

 

  • Ce peut également être un lieu opéra fictionnel (sans référent ou sans effet de référencialité), un opéra du futur, et le personnel réel ou imaginaire de cet opéra. Enfin, il faut évoquer quelques modalités d’extrapolation. De façon transversale à tous ces différents thèmes, on peut recenser les variations autour du thème du diabolique musical. L’impression ou l’effet fantastique peut être suscité ou renforcé par l’usage de paradis artificiels. Quoi de plus merveilleuse que cette rencontre de Théodore avec Angela dans cet imaginaire de bal pendant lequel ils ont autant dansé, avec la musique enchantée de l’orchestre.

 

  • Enfin, la référence à la musique ou à l’opéra fantastiques peut intervenir dans le cadre d’un emploi semi métaphorique : l’évocation du rêve et des paradis artificiels, l’opéra de la nature, le théâtre de la guerre, le crépuscule de civilisation. A l’exemple du voyage du chevalier Gluck dans le pays des rêves où il rencontre l’œil divin qui tente de le sauver de l’emprise du mal.

 

L’association des deux phénomènes dont la musique et la littérature résulte de la problématique de l’expression de toutes les dimensions tant réelles qu’imaginaires rattachées au récit. En ce sens, Picard (2008) conclut que :

« L’imaginaire de la musique ou de l’opéra fantastique sert très souvent, en littérature, à fonctionnaliser tout à la fois une célébration de la subjectivité toute puissante et une crise du sujet moderne dans son rapport au monde (autant en termes de perception que représentation) : incertitude, crise du sens, propensions schizophrène ou paranoïaque d’une part, et indicible de la jouissance musicale au contenu incertain d’un point de vue éthique et métaphysique de l’autre, sont traitées de façon similaire et amenées à se confondre (…)

Le geste de la littérature fascinée par la musique ou l’opéra fantastiques consiste donc à renverser ce geste passif et passéiste en création active et prospective, authentiquement moderne. C’est l’invite évidente de l’œuvre d’Hoffmann ; c’est aussi et surtout celle de Rimbaud : devenir un opéra fabuleux, au risque de la folie, de la santé, c’est expérimenter les autres moi qui constituent l’être, afin de savoir, une fois revenu de sa saison en enfer, saluer la beauté. »[13]

 

« Le violon de crémone » d’Hoffmann est pour ainsi dire une facilitation de l’illustration de cette hypothèse, puisque dans ce récit même, le champ musical constitue l’objet même du récit. En effet, le violon se réfère déjà par son nom et son utilisation l’instrument musical, mais il ne constitue qu’un élément dans le récit. Son pouvoir et son personnage ne passent à l’extraordinaire qu’à son association avec le personnage d’Antonie qui incarne le chant magique d’accompagnement de cette musique. On peut en déduire que le scenario parfait d’insertion de l musique se rapport à cette association au chant.

 

Partant de « Ligeia » de Poe, l’intervention de la musique apparait clairement à la citation des vers écrits par Ligeia. C’est pour ainsi introduire un éveil de profonds sentiments qui incarnent les vers. D’autant plus que les vers donnent l’objet d’une mélancolie, d’un drame, d’une tragédie qu’est l’être humain. Il apparait évident que les vers, donc les écrits, à eux seuls ne parviennent à ressortir cette expression tant recherchée. Ce qui définit pour autant ce scenario d’insertion de la musique.

 

SECTION 3. PROBLEMATIQUE DE LA LIMITE DE LA PLACE DE LA MUSIQUE DANS LE FANTASTIQUE

 

La catégorisation permet de constater que la musique est déjà une partie intégrante du récit fantastique. Cependant, admettre une notoriété de la musique dans le récit reste un défi majeur du contexte littéraire. En ce sens Barthes (1982) avance que :

« II est donc très difficile de parler de la musique. Beaucoup d’écrivains ont bien parlé de la peinture; aucun je crois, n’a bien parlé de la musique, pas même Proust. La raison en est qu’il est très difficile de conjoindre le langage, qui est de l’ordre du général, et la musique, qui est de l’ordre de la différence »

 

Déterminer la limite de la place de la musique dans le récit fantastique revient à se référer sur les études réalisées par Schneider (2005)[14] sur le rapport entre la musique et la littérature. Cette hypothèse intervient dans la vision de l’œuvre littéraire en tant que modèle à l’élaboration de l’œuvre musicale. Selon les argumentations de Schneider, que les œuvres littéraires ne devaient pas être considérées comme des modèles au sens où on l’entend habituellement, mais plutôt comme un support de composition. C’est l’objet même de l’opposition que Gluck soutient par rapport à ces inventions qui tentent de ressortir la perfection de l’œuvre dans les différents révisions et arrangements auxquels elle est soumise, et qui tuent l’originalité et le naturel dans les composition.

 

Ce qui en vient à soutenir le raisonnement de Liszt, il perçoit la relation musique – littérature comme suit : « l’œuvre de musique à programme doit extraire de l’œuvre littéraire ce que cette dernière ne peut précisément pas montrer, puisque l’action d’une part et le langage verbal d’autre part sont autant d’obstacles à l’expression des sentiments et de la trame psychologico-émotive qui sous-tend l’œuvre littéraire. Le but du poème symphonique est de révéler l’essence de son sujet littéraire ; cette essence est de nature épique, elle relève de l’épopée moderne, et non de l’épopée classique ou antique, puisqu’elle présente une succession d’états d’âme, et non un récit narratif et objectif d’aventure ».

 

Dans une optique de comparaison des points de vue de Liszt et Schlegel par rapport à la critique esthétique, on peut en tirer que « le sujet littéraire faisait l’objet d’une critique par l’œuvre musicale et que cette dernière visait à rendre sensible l’essence même du sujet littéraire. La critique est donc un dépassement de la forme littéraire visant à la rapprocher de cette forme suprême qui chez Schlegel est le roman et qui chez Liszt serait l’ « épopée philosophique musicale ». » (Schneider 2005). L’aboutissement de la  critique chez Schlegel se réfère au roman, qui selon lui est la clé de voute de la poésie romantique.

 

Par rapport au contexte de communication, émission – réception de l’œuvre musicale, la forme de l’œuvre perçue par l’auditeur dépend du contenu véhiculé par des éléments de la structure. En ce sens, « La structure musicale qui résulte des logiques poïétique et musicale ne détermine en réalité que la manière dont les différents éléments sont agencés dans l’œuvre, mais pas ce que sont ces différents éléments. » Ce qui aboutit à un constat : « forme et contenu sont lié. Aussi la saturation de la structure ne signifie-t-elle pas forcément que la forme est saturée. Entre les deux intervient l’organisation des différents contenus au niveau de l’œuvre, c’est-à-dire la stratégie et/ou la téléologie de l’œuvre. » C’et dans ce sens que les œuvres d’Hoffmann, notamment le violon de crémone, trouvent leur place à la fois dans la littérature et musique.

 

L’évocation de la notion de limite à la place de la musique dans la littérature fantastique se réfère, dans cette étude au cadre défini et pré-évaluée de l’insertion de la musique. Cela étant, l’évolution grandissante du contexte musicale dans la période romantique lui a permis plusieurs critiques et redéfinition de l’objet musical dans son rapport avec le récit. Partant de la fonction de support de communication de l’inexprimable et même du contexte fantastique, la musique devient elle même l’essence de l’aboutissement de l’œuvre et de sa perception par l’auditeur.

 

« Le chevalier Gluck » d’Hoffmann parle lui-même de cette limite d’insertion de la musique dans le récit, en se référent à cette obsession du compositeur à trouver la perfection superficielle dans son œuvre, et donc de cette manie de vouloir transposer le récit sur des codes musicaux. La musque devrait s’inspirer de la littérature et l’interpréter dans sa propre dimension à la musique même.

 

« -Je ne puis deviner la cause de votre rancune pour les Berlinois. Dans cette ville, où on estime tant la musique et où on la cultive si généralement, un homme tel que vous devrait se trouver très heureux.

— Vous êtes dans l’erreur. Pour mon tourment, je suis condamné à errer, comme un ange déchu, dans une contrée déserte…

— Mais les artistes!…. les compositeurs !

— Loin de moi ces gens-là ! Ils griffonnent, raffinent, arrangent tout, jusqu’à ce que tout soit mignon et compassé ; ils mettent tout en branle pour trouver une misérable pensée, et au bout de tous ces bavardages sur l’art et le génie des arts, ils ne peuvent arriver à produire ; ou bien, s’ils se sentent assez de cœur pour mettre une ou deux idées en lumière, la froideur glaciale de leur œuvre témoigne leur éloignement du soleil. ― C’est un travail de Lapon. »

 

 

 

Chapitre 2. IMPORTANCE DE LA MUSIQUE SUIVANT LA PENSEE DU ROMANTISME

 

Avant de spécifier la fonction de la musique même, en général et dans la littérature, il est important de parler de la période romantique qui reflète le cadre d’épanouissement du fantastique. En effet, introduire le contexte musical dans le récit fantastique renvoie à l’association du genre à la période du romantisme. Le romantique s’intéresse au mystère et au surnaturel, ce qui donne sa place au fantastique Dans le récit fantastique, le lecteur hésite devant une explication réaliste ou surnaturelle des évènements décrits. Le récit fantastique est à l’image de la littérature romantique : il se construit sur l’opposition et la contradiction

 

La mise en avant de l’expression des sentiments et des sensations constitue la plus grande caractéristique du romantisme, tendant à la transgression des règles strictes de la littérature classique. Le romantisme français pour son cas se trouvait en plein succès dans la période allant du 1820 à 1850, quoi que son influence perdure tout au long du XIXe siècle. Le succès du romantisme s’interprète par ses particularités, faisant place à la variété et à la rigueur dans ses manifestations : la peinture, la musique, l’histoire, la politique, la critique littéraire, le théâtre, la poésie, le roman, l’essai, les mémoires… Dans l’évolution du courant littéraire les poètes romantiques revendiqueront un assouplissement de l’expression versifiée à la recherche d’une plus grande musicalité et de quelques audaces dans les mots et dans les images.

 

Section 1. LES SCHEMAS D’INSERTION DE LA MUSIQUE SELON LA PERIODE HISTORIQUE

 

Tack (1998) souligne que la rencontre musico-littérature a connu  des essors particuliers aux divers moments historiques où les principes traditionnels de composition et d’écriture des œuvres littéraires ont cessé d’être évidents. Vers la fin du XVIIIe siècle, « la musique cesse d’être entièrement déterminée par le principe mimétique d’imitation de la nature, moment en grande partie contemporain de la prise de conscience poétique de l’importance formelle du langage ». (Dahlhaus 1978)[15].

 

Dans le XIXe siècle, la première référence de l’insertion de la musique dans la littérature s’avère être le Romantisme allemand. En effet, le modèle que représente Hoffmann lui même traduit une parfaite modalité d’insertion de la musique dans la littérature. Ses œuvres s’inspire à faire vivre la musique avec une association de sentiments profonds qui se révèlent à la perception de l’oeuvre. La musique se voit comme un art-modèle pour la poésie.

 

En ce sens Gier (1995) constate que : « L’adoption de procédés musicaux dans la littérature atteint un statut de modèle quasi-parfait dans les romans de George Sand. Le symbolisme inaugure une nouvelle étape en ce sens qu’ici c’est non seulement dans le caractère musical du vers que la littérature cherche à se faire musique, mais surtout dans l’exploitation du pouvoir suggestif du langage. On sait combien les propos mallarméens ont cherché à conférer à la collaboration des lettres et de la musique la finalité de suggérer plutôt que de nommer les choses et d’établir ainsi un rapport avec l’Idée. »

 

Si l’on se tient à la suivi du parcours historique des œuvres en question, on constate des paramètres d’évolution qui gèrent la différence de chaque œuvre. Déjà, les œuvres d’Hoffmann tendent à accorder à la musique une place à part entière dans le récit. En effet c’est le tenant même du début de la période romantique. Par contre Poe donne un aperçu de l’association des deux phénomènes avec plus d’indépendance de chaque élément. La référence à la musique est plus ou moins limitée en comparaison avec Hoffmann, mais dont son introduction révèle toujours ce fantastique et imaginaire de conception.

 

Gautier révolutionne cette insertion musicale à sa manière de pensée. L’idée part toujours du réel pour vivre l’imaginaire. La musicalité introduit dans un monde à part, détaché du réel par rapport à son cours mais qui s’inspire du réel et qui également cherche dans la logique du récit une finalité. A l’interprétation de ce récit de Gautier, on penserait à l’idée de trouver une fin satisfaisante à l’histoire d’Angela. Ce qui se révèle donc en une reconstitution du passé pour une meilleure finalité dans le futur. Ce qui défend bien une conception de la réalité transcrite dans un imaginaire d’explication.

 

Dans le récit de Villiers, la représentation musicale englobe toute la musicalité de l’histoire. Il est même question de l’exécution musicale. Dans ce contexte, la fonction de a musique s’apparente à cette modalité de communication émission – réception. Le public prend en compte tout l’ensemble d’expression, d’émotion et de réaction pour retrouver cette musicalité dans leur conception, tandis que l’exécuteur (si l’on peut s’exprimer ainsi) éprouve bien mal les difficultés de ralliement de ses impressions à celles de la composition qu’il exécute. La musique se révèle donc la base et véhicule des émotions.

 

De son côté, Maupassant, entre beaucoup lus dans une compréhension physique et psychologique de la perception humaine. Il donne en problématique cette capacité du sens de l’ouïe à concevoir cet invisible et inexplicable musique. Dans ce contexte l’insertion de la musique s’apparente toujours à un raisonnement qui s’éloigne du palpable et rejoint plutôt une logique de l’esprit. L’insertion de la musique est plus lié une évolution d’explication orientée vers le scientifique.

 

Gier (1995) propose que « l’origine des paramètres qui rendent compte de la rencontre musico-littéraire soit à chercher dans le concept de crise (esthétique, générique, sociale) que peut traverser un système artistique. C’est la crise d’un système de normes socio-culturelles présidant à la pratique esthétique, c’est la remise en question, à un moment donné, du code de production et de réception artistiques en vigueur, qui favorisent avant tout l’expérimentation avec les procédés d’un art contigu. »

 

Ce qui impliquerait une interaction dynamique de manque et de complémentarité entre système littéraire et musical à des moments critiques, aboutissant à une rencontre pouvant déboucher sur un processus de transformation historique. On peut également en tirer le dévoilement de la structure de la relation entre musique et littérature par rapport à l’occurrence historique des révolutions à leur objet. (Gier 1995)

 

Toujours dans ce contexte historique, Tack (1998) propose une conception du rapprochement de la musique et de la littérature en vertu d’un parallèle tout fonctionnel, ne dépendant donc aucunement de la nature du symbole des systèmes sémiotiques. On peut également souligner la mise en rapport des deux arts dans la phase de réception et dans la critique esthétique. « La relation musico-littéraire sera ici considérée à un autre niveau : ce ne sont plus les procédés compositionnels et les rencontres de musique et de littérature dans l’œuvre qui sont concernés, mais bien la mise en rapport du musical et du littéraire dans la phase de réception et dans la critique esthétique. »

 

Cela étant, la difficulté de cette dernière vision se trouve dans le fait que « les rapports entre l’objet et notre manière de le percevoir ne sont pas faciles à éclairer, d’autant que ce rapport est toujours pluriel : non seulement conceptuel, mais aussi technique, social, éthique ». (Tack 1998). En tout cas, l’importance de la musique, se trouve dans l’idée que « la musique constitue la clef de voûte du «système des beaux-arts », puisqu’elle semble incorporer dans sa composition la structure sentimentale de l’âme. » C’est en soi le moyen d’exprimer l’ « inexprimable », ce que l’homme est souvent obligé de communiquer avec les mots.

 

Ce constat coïncide avec le point de vue de Warszawski (2005). Il est question retracer les relations de l’art au corps, une analyse de la réception de la musique par le public. Ce point de vue entre dans le principe communicatif émission  – réception de la musique. « Je crois que la question de la relation de l’art au corps ou à l’esprit ou aux émotions est une question pertinente, c’est la question kantienne par excellence, parce que selon le point de vue adopté, cela a des répercussions sur  les choix compositionnels et sur la manière dont nous percevons la musique, la manière dont nous pouvons être amenés à l’utiliser. »

 

L’analyse de Warszawski mène à trouver à la musique une fonction médiatique. C’est entre autre ce qui conditionne son insertion historique, ce qui l’a rendu possible, audible, pensable et recevable. « Dire la neutralité des formes musicales, ce n’est pas dire qu’elles ne signifient rien d’autre qu’elles mêmes. la neutralité des signes, leur indépendance physique à l’égard de ce qu’il peuvent signifier, et là on va oser dire leur phénomène, est justement ce qui en fait des médias. Ce qui rend le langage possible est la neutralité des signes, c’est de là qu’ils tiennent leur capacité à être investis. On peut penser que plus la forme est neutre, plus elle a de capacités significatives, plus elle est offerte à de multiples interprétations et de possibilités affectives. »

 

Une deuxième interprétation de la musique se réfère à l’humanisme et à la vie sociale. Il s’agit d’une critique constructive par rapport au point de vue de Adorno (1962)[16]. En ce sens, il stipule que :

« L’œuvre musicale offre, je dirai par définition, une immense souplesse d’interprétations, mais aussi la possibilité pour l’auditeur de se laisser aller au plaisir, au bon moment, à l’indolence intellectuelle.  En d’autres termes l’œuvre de musique nous invite mais ne nous somme pas. Elle ne nous sommes pas à en dire ou à en penser ou à nous en émouvoir. Elle ne renvoie pas comme le signe linguistique au un concept formé intelligible ou a des obligations sentimentales. »

 

Descartes[17] dans son traité de la musique qu’il écrit en 1616, évoque les limites de l’œuvre musicale :

« Sa fin [la musique] est de plaire et d’exciter en nous diverses passions, car il est certain qu’on peut composer des airs, qui seront tout ensemble tristes et agréables : et il ne faut pas trouver étrange que la musique soit capable de si différents effets, puisque les élégies mesme, et les tragédies nous plaisent d’autant plus, que plus elles excitent en nous de la compassion et de douleur et qu’elles nous touchent d’avantage […]

Pour qui regarde les différentes passions que la musique excite en nous, par la seule variété des mesures, je dis en général qu’une mesure lente produit en nous des passions lentes telles que peuvent être la langueur, la tristesse, la crainte et l’orgueil etc. Et que la mesure prompte au contraire fait naître des passions promptes et plus vives, comme la gaieté, la joie etc. […] Mais une recherche plus exacte de cette matière, suppose aussi une connaissance plus profonde des passions de l’âme humaine, ainsi je n’en dirai pas d’avantage. »

 

Toujours dans le cadre de l’analyse historique de l’insertion de la musique dans la littérature, on peut proposer un détour sur Jankélévitch pour la comprendre. Son point de vue rejoint celui de Descartes dans l’objectif de « ramener le monde à la concorde et à la civilisation ».

« La musique de Fauré apaise le tumulte passionnel, mais elle est elle-même passionnée. Souvent austère et généralement déroutante, elle cherche parfois à déplaire, et il s’en faut donc de beaucoup qu’elle soit tout suavité. Et pourtant par le charme secret qui se cache dans sa profondeur, elle contribue à effacer la grimace de la haine. Nous qui ne sommes pas morts comme des morts, mais morts comme des vivants, c’est-à-dire laids, nauséabonds et cadavériques, elle nous délivre du souci ; elle délivre l’homme méchant de sa colère et le tremblant de sa terreur. ; elle empêche le terrorisme et le terrifié de tomber, tous deux ensemble, dans le même lac obscure  […]

Bénie soit la paix, bénies les cloches du matin. Les cannibales et les prétendants, les ogres et les walkyries de notre cauchemar ne sont déjà plus que de tremblants fantômes. Que leur nom même soit oublié ! que le gazon du printemps recouvre à jamais cette très misérable sépulture de colère et de souci ! Car tout commence à nouveau ce matin […] »[18]

 

C’est comme l’explique Warszawski (2005) une transposition autobiographique se référant aux événements de ce début de XXe siècle : le phénomène du nazisme, l’inhumanité dont il a du moins été l’observateur. En tout cas, son orientation allant vers l’opposition au culturel allemand le redirige vers l’admiration de la musique française qui est loin du folklorisme et du populisme, elle évolue dans le sens des formes raffinées qui n’ont pas de rapport avec le populaire.

 

« C’est que la deuxième naissance de la musique française après 1870, se produit dans un pays de vieille civilisation et qui n’a pas besoin, pour prendre conscience de soi, de consulter ses archives ; de là vient que la musique française se trouvait immédiatement libérée pour les recherches les plus audacieuses, pour les subtilités inouïes, et les sensation exquises. »[19]

 

Cette tendance à l’attrait du romantisme français introduit le prochain volet de ce chapitre qui parle de la problématique de la nationalité de l’auteur de récit en ce qui concerne l’insertion de la musique dans le récit. C’est dans cette optique que Warszawski (2005) défend l’idée de Jankévitch (1974) :

« On ne s’intéresse pas au métal du son, mais à la sonorité abstraite et immatérielle écrit Jankévitch, chantre de la fragilité de moments fugitifs et pourtant éternels, des atmosphères vaporeuses, des arabesques et des contournements. A travers ce charme, inexprimable, indéterminable, toujours ailleurs, qui n’a pas d’être, comme l’impression que laisse un sourire ou un regard, Jankélévitch dresse l’image fière d’une identité faite de grâce innée qui échappe à toute localisation, à toute dissection. Elle est omniprésente et omniabsente, irréductible. »

 

Section 2. LES SCHEMAS D’INSERTION DE LA MUSIQUE SELON LA NATIONALITE DE L’AUTEUR DU RECIT

 

Il s’agit dans ce volet de trouver dans l’histoire les différents aspects du cadre d’insertion de la musique selon l’origine de l’auteur du récit. Il est entre autre question de comparer le tenant du phénomène du romantisme selon les pays et principalement le romantisme français et allemand. Warszawski (2005) définit le romantisme comme « un mouvement difficile à cerner avec exactitude. Il s’enracine dans les milieux révolutionnaires, patriotiques et les salons bourgeois. Il est emprunt de réalisme, mais aussi d’un point de vue littéraire d’une révision de la culture populaire, ou d’une récupération savante d’une culture populaire fantasmée. »

 

La période du romantisme trouve son origine vers la fin du XVIIIe siècle et se développe dans les pays d’Europe jusqu’au XIXe siècle. Il existe divers points communs aux romantismes des divers pays d’Europe : la critique du rationalisme, la renaissance de l’intérêt pour la période médiévale gothique, le goût pour les paysages d’un Orient poétisé et pour l’évocation de la vie intérieure, la prééminence accordée au rêve et à l’imagination créatrice, et surtout un intérêt accru pour l’individu, perçu comme origine de la représentation[20].

 

Dans cette étude, il est question de se référer à différentes œuvres fantastiques dont : Une descente dans le Maelstrom et Ligeia de Poe, Le Chevalier Gluck et le violon de Cremone d’Hoffmann, Lettre d’un fou de Maupassant, la Cafetière de Gautier, Le secret de la vieille musique de Villiers. Ces œuvres comme leurs auteurs représentent chacune leur période romantique et leur pays d’origine, caractéristiques de la littérature américaine, allemande, française et anglaise. Chaque œuvre est caractéristique de la tendance littéraire dans le pays de l’auteur.

 

Le romantisme trouve son origine dans une révolution au monopole de la philosophie des Lumières et au classicisme inspiré de l’Antiquité. Kelly et al. (1966)[21] abordent le romantisme comme une rupture entre le monde de la raison, des chiffres et des figures, et le monde du sentiment et du merveilleux. Le mouvement romantique est motivé par « la nostalgie de la guérison, de l’union des contraires en un tout harmonieux. » (Ayrault 1961)[22]. En ce sens, les poètes du romantisme tentent de combler par l’art le fossé qui existe entre le monde et les individus, recherchant ce monde perdu dans l’ensemble de la littérature fantastique : contes, légendes, mysticisme du Moyen Age…

 

Le romantisme en Allemagne va de 1770 jusqu’au milieu des années 1830, succède au classicisme, et concerne aussi bien la littérature que la musique et les arts visuels. Le succès du romantisme allemand, du moins dans le domaine littéraire s’est constitué en deux périodes : celle du Premier romantisme Frühromantik (1795 – 1804) et celle de la Hochromantik (1804 – 1815) et du romantisme tardif (1815 – 1848). Les observations et comparaisons antérieures proposent l’origine du romantisme en Allemagne. C’est Goethe qui inspirera les premiers romantiques allemands.

 

Pour comprendre la place de la musique dans le récit fantastique, il est nécessaire de passer par une description de la fonction de la musique par rapport au mouvement romantique allemand. A ce propos correspond l’objet des œuvres littéraires de Berlioz par exemple. Afin d’expliquer la tendance du romantisme par rapport à l’optique musical, Berlioz déclare que :

« Les compositeurs romantiques […] ont écrit sur leur bannière : « Inspiration libre ». Ils ne prohibent rien, tout ce qui peut être du domaine musical est par eux employé. Cette phrase de Victor Hugo est leur devise : « L’art n’a que faire de menottes, de lisières et de bâillons, il dit à l’homme de génie, va, et le lâche dans ce grand jardin de poésie où il n’y a pas de fruit défendu. » »[23]

 

Berlioz soutient que la fonction d’expression des sentiments de la musique. Le texte se trouve limité par sa précision dans les paroles tandis que la musique est plus expressive des sentiments, de l’état d’âme, et dépasse donc le limites de la parole. Hoffman suggérant lui même que la musique est le plus romantique de tous les arts.

« Plus que le langage, paralysé par sa précision même, elle possède une capacité à exprimer les mouvements les plus intimes de l’âme. La musique purement instrumentale doit se faire expressive, « dire » l’homme, la nature, le divin, sans recours à la parole. Telle est la principale invention du romantisme en musique laquelle n’est plus ornementale : elle devient un langage à part entière, mieux fait que le verbe pour exprimer le monde intérieur et le mystère. Cette idée neuve plane dans l’air romantique ; Berlioz lui a donné son accomplissement et son plus grand éclat. » [24]

 

Ainsi pour défendre ce nouveau langage que la musique circule, Berlioz attribue une grande notoriété à la fonction de la musique.

« Ce langage nouveau, inventé par la musique, doit parler de l’homme et du monde, comme le langage verbal. S’il rivalise avec lui par d’autres moyens et d’autres ambitions, il se tourne vers les mêmes objets. D’où l’extrême curiosité de Berlioz pour la littérature et la place qu’elle tient, en filigrane, autour de sa musique. De plus, la musique nouvelle doit pour lui, comme le fait la littérature, exprimer cet homme nouveau que le traumatisme révolutionnaire a laissé sans repères familiers. L’exaltation de la liberté et de la nouveauté se mêle à la crainte de l’inconnu, à l’inquiétude que Chateaubriand, par exemple, a décrit dans René auquel Berlioz fait explicitement référence dans la Fantastique. » [25]

 

Parmi les principales figures du romantisme allemand, on retrouve Hoffmann (1776 – 1822) qui fait preuve de grande aspirations de la génération future de la littérature, tant en Allemagne que dans tous l’Europe. Hoffmann fut un personnage doté de multiples talents : entre la littérature, la musique et la peinture. Dans sa vision de la relation entre langage et musique, par exemple, on peut constater que :

« Pour Hoffmann, la musique trouve sa forme la plus noble dans le genre instrumental, en ceci qu’il est dégagé de toute contingence humaine, terrestre. On connaît cependant sa passion extrême pour la voix et le chant, mais ce n’est paradoxal qu’en apparence : certes le chant reste tributaire des paroles, donc du langage humain, mais la musique vient transcender ce langage, un air d’opéra ou un Lied en disent évidemment bien plus que les simples paroles qu’ils mettent en musique. En d’autres termes, Hoffmann apprécie la voix humaine en tant qu’instrument de musique — et un instrument de musique privilégié, sans doute le plus abouti, le plus bouleversant —, plus que comme medium véhiculant un message.

 

Ainsi par la musique, l’homme (l’auditeur, mais aussi le compositeur et l’interprète, pour peu qu’ils aient du génie) se trouve pris dans un mouvement ascensionnel qui l’éloigne des réalités terrestres, stimule et, paradoxalement, apaise en même temps sa Sehnsucht, son indéfinissable nostalgie, en lui permettant de retrouver un peu de la pureté d’un langage originel, la langue de l’Âge d’Or, définitivement perdue et dont la musique permet de ressusciter certains échos. » (Lelièvre 2009)[26]

 

Le romantisme français s’est constitué en trois générations romantiques allant de 1800 à 1840. En France le mouvement romantique a été motivé par les bouleversements de la sensibilité au XVIIIe siècle. Parallèlement au courant rationaliste des Lumières se développe un courant sensible qui s’épanouit avec Rousseau, en 1762, qui tend à faire ressortir a primauté donnée aux sentiments et à l’émotion. Cette sensibilité gagne l’ensemble des œuvres artistiques de la première moitié du XIXe siècle.

 

Des fils de pensées se réunissent pour construire la période romantique. La première génération romantique est de la révolution des artistes issus de l’aristocratie par rapport à ce mal du siècle qui résulte de l’effondrement de l’ordre dans lequel ces aristocrates ont grandi, leur donnant l’impression de vivre ensuite dans un monde en ruine à l’opposé de leur espérance construite depuis leur enfance. Désillusion et déception, revendication de la liberté surtout en art motivent la deuxième génération romantique.

 

C’est dans la troisième génération voit se déployer la révolte en art, fonde son succès dans les différents genres littéraires mais trouve sa fin dans une excessive sensibilité « exacerbée ». La poésie et le théâtre sont les principaux marqueurs du mouvement romantique français. Hugo (1802 – 1885) est un père fondateur du romantisme français, et l’ensemble des artistes de la période s’inspire de ses œuvres poétiques.[27]

 

Et à cette influence s’ajoute l’ouverture aux tendances étrangères, dont Hoffman par exemple qui inspirent différentes œuvres et compositions en arts français. Le rapport entre littérature et musique témoigne d’un penchant tourné vers la musique allemande, par rapport à ses riches combinaisons harmoniques et instrumentales, à l’instar de Beethoven, Weber, Schubert, étendant à l’infini la puissance de la musique.

 

Gautier (1811 – 1872) est un des disciples de Victor Hugo. C’est l’un des grandes figures du romantisme français. un meneur des grandes campagnes romantiques en France. La passion de Gautier pour l’écriture le mène à produire des œuvres qui donnent place au sentiment tant du cœur que de l’âme, avec une grande précision dans les écrits. Le contexte fantastique s’introduit chez Gautier en Surgissement d’un évènement surnaturel dans un contexte réel. A la fin, le lecteur hésite entre une explication rationnelle et une explication irrationnelle. Dans ses œuvres, il prend Poe et Hoffman comme inspiration.

 

« Par une singulière malchance, la légende de Théophile Gautier est fausse entièrement. On peut très bien la résumer ainsi : « Romantisme et impassibilité ». Cette légende est de plus, on le voit, contradictoire. […Il n’y a] jamais de littérature confidentielle chez Gautier, et […] l’élément passion est presque absent de son œuvre. [… C’est qu’il a toujours préféré] la sensibilité de l’esprit à la sensibilité du sentiment. [… Et] Gautier est un des rares poètes français du XIXe siècle, qui, pour exprimer des idées poétiques, emploient le mot juste et une forme parfaite. […] Et Théophile Gautier, répète la légende imbécile, n’avait point de cœur! Mais c’est un héros, et, pour tout écrivain, sa vie et son œuvre restent un double modèle. »[28]

 

Jean-Marie-Mathias-Philippe-Auguste de Villiers de L’Isle-Adam (1838 – 1889) est également une figure d’écrivain, spécialement connu pour le symbolisme français. Il est concerné par le romantisme du fait de ses aspirations des œuvres de Poe, Baudelaire, Wagner et Mallarmé. Ses œuvres caractérisent le fantastique par rapport à sa défense de l’irréel, des postulats étranges hors de toute réalité. Il est enchanté par le rêve, et demeure celui qui a su allier « les deux modes en secret correspondants du rêve et du rire » selon les dires de Mallarmé. Cette philosophie du rêve trouve son origine dans la conception de Poe qui « prône la rêverie et le rêve pour retrouver un passé bienheureux, celui d’avant la captivité de son « moi » dans un monde quotidien perverti. Par le rêve, Poe pensait pouvoir retrouver un état d’intégrité et de liberté intuitives. »

 

Guy de Maupassant (1850 – 1893) est un écrivain français connu dans le mouvement de réalisme. Malgré sa courte carrière littéraire, Maupassant a su marquer la littérature française au moyen de ses six romans, dont Une Vie en 1883, Bel-Ami en 1885, Pierre et Jean en 1887-88, mais surtout par ses nouvelles (plus de 300), parfois intitulées contes, comme Boule de Suif en 1880, les Contes de la bécasse en 1883 ou le Horla en 1887. Les principales caractéristiques de ses œuvres résident dans la mise en avant de leur force réaliste, du fantastique, de la tendance accrue au pessimisme et à la maitrise stylistique.

 

L’époque de Maupassant s’éloigne des idéologies romantique et symboliste, lui même dans ses œuvres laissant place à l’objectif, à la recherche du réalisme tout en étant conscient de ses limites. Il représente le cadre d’évolution du fantastique de l’après Romantisme et symbolisme. Il estime le réalisme comme une vision personnelle du monde transcrite dans un livre, un reflet de tout ou partie de notre personnalité, déclarant que « la composition artistique est un groupement adroit de petits faits constants d’où se dégagera le sens définitif de l’œuvre. »

 

Le courant du romantisme passe de l’Allemagne en Grand Bretagne, avec moins d’ampleur, du fait que la littérature britannique a tenu à garder davantage son indépendance. Si en Allemagne le romantisme s’éveille d’une réaction contre le classicisme français, au Royaume Uni il se caractérise par un retour au Moyen Age et aux antiquités celtiques. Le romantisme anglais trouve ses premières origines avec Edward Young de 1742 à 1746, qui fait connaitre à ses lecteurs un sentiment de déchirement douloureux d’une âme éprouvée et blessé par la vie.

 

Le romantisme anglais est quant à lui motivé par une révolte contre les artifices de la civilisation, la férocité de l’histoire, mais encore contre les nouvelles formes de l’esclavage. Ce qui provoque un rapprochement entre les poètes et les pauvres qui deviennent leurs interlocuteurs. Le premier romantisme anglais est tourné vers la nature, le féminin, l’enfance, encore préservée des aléas du monde adulte, sur la beauté, l’innocence tandis que la seconde génération romantique menée par Lord Byron crie le mal de vivre ou chante les héros rebelles.

 

Le romantisme américain dure de 1820 – 1860, il se nourrit d’un besoin de se libérer de l’emprise des anglais surtout au niveau de la littérature. Ainsi, les œuvres littéraires qui précèdent la Guerre de Sécession s’orientent vers la construction du mouvement romantique américain : religiosité diffuse, affirmations individualistes, acte de foi en l’homme naturel, culte des sentiments opposés à la sèche raison et à son efficacité. Le romantisme américain dérive généralement de celui européen, à la différence de l’octroi de moins d’envergure aux revendications proprement littéraires. Cependant, c’est un romantisme tardif par rapport au romantisme britannique, et qui se matérialise dans l’imitation de celui-ci.[29]

 

A l’instar des auteurs romantiques américains, cette étude amène aux œuvres d’Edgar Allan Poe (1809 -1849). Pour Poe, les éléments essentiels de ses œuvres sont issus de l’étrangeté, un facteur fondamental selon lui de la beauté. La poésie de Poe s’éloigne de la didactique et du moralisant, réfute la poésie fondée sur l’expression du cœur et exclusivement sentimentale, celle qui fait parler la raison, sèche et efficace pour laisser place à l’expression de l’âme au sens du psyché[30].

 

Les spécificités des histoires et poèmes de Poe résident dans ses personnages : des aristocrates introvertis et solitaires, des asociaux qui ne travaillent pas et vivent en réclusion dans de noirs châteaux cachés du jour par des draperies ; dans le contexte : bibliothèque recelant d’anciens volumes et d’étranges œuvres d’art et des objets orientaux ; et surtout dans les thèmes qui se rapportent souvent au thème de la mort : être enterrés vivants ou revenir hanter les vivants après la mort.

 

Ces caractéristiques revient à qualifier ses œuvres de fantastiques. Son succès et cet attrait que ses œuvres émettent à l’encontre des auteurs européens relèvent de la décadence et du primitivisme romantique de Poe. Il reflète dans ses œuvres la déception et la récompense de la conquête du rêve américain dont la solitude, l’aliénation, et la mort au sein de la vie même[31].

 

 

Section 3. L’EVOLUTION DE LA FONCTION DU REFERENT MUSICAL DANS LE RECIT FANTASTIQUE

 

Passer par une analyse à partir de la mythologie de l’origine permet de trouver une bonne approche de la fonction de la musique. Eyot Yves (1978)[32] avance l’idée que « la musique serait apparue pour rythmer les travaux des champs,  dans les cris pour imiter ceux des animaux que l’on chasse ou dans le détournement de la fonction des outils. Ainsi, l’arc à lancer des flèches serait l’ancêtre du violon, et l’os de cervidé celui de la flûte. » Cette idée part de la conception hyper-matérielle du Marxisme, influencée par les avancées de la recherche biologique de l’époque. Ce qui donne place à des recherches d’explications à  tendance biologique au rejet des explications naturalistes.

 

L’avancement des recherches sur la musique et son origine projetées sur le Moyen Age rassemble mythes et traditions. Gil de Zamora (v1270)[33] donne à la fois une définition et une perspective d’origine de la musique :

« Le mot musica est tiré de musae ; les muses par lesquelles on pense que la musique a été amenée à sa perfection ; Ou de Moys, qui signifie eau, car on dit que c’est dans l’eau que fut découverte la musique : les nerfs et les artères d’un cadavre avaient été détachés des os et des chairs dans l’eau, sous l’effet de l’érosion ; lorsqu’on le toucha ils émirent un son agréable… d’autres font de Mundica l’origine de musica, cela parce que le commencement s’est accompli sous l’effet de la musique […]

La musique est la clé de la consonance de l’univers ; l’harmonie est l’image de l’harmonie universelle, elle même reflet de la perfection divine. La musique approche le mystère divin […] Les bienfaits de la musique émeuvent l’âme, guérissent les malades, chassent les démons… La musique excite les passions, aiguise les sensations; elle encourage les combattants et l’ardeur à combattre est d’autant plus grande qu’est plus fort le son de la trompette; elle réjouit les affligés, elle effraie les lâches… Elle soulage la fatigue du travail aux champs… elle guérit les anémiques… »

 

Warszawski (2005)[34] propose que déterminer la fonction de la musique revient à l’omission de cette nécessité d’en poser la question. Il défend son idée sur une opposition à une tendance de jugement ou de pression utilitarisme d’une quelconque interrogation sur la fonction de la musique. En ce sens, il stipule que :

« A la question « Quelle est la fonction de la musique ? » j’aurais tendance à répondre qu’elle n’en a aucune, que sa fonction essentielle est d’éviter qu’on pose ce type de question. C’est qu’il y a souvent derrière cette interrogation le jugement brut du plaisir qui ne se discute pas ou pire la pression de l’utilitarisme bourgeois qui méprise, et surtout tend à asservir ou à détruire ce qu’il ne peut mesurer en gains monétaires, de carrière,  de pouvoir, de miroir de pouvoir, de morale, de notabilité, voire de loisir rationnel »

 

D’une façon générale, les fonctions de la musique sont de propulser un ballet, d’habiller du théâtre ou de simplement le décorer, de faire danser les gens, de procurer du plaisir, de sonoriser une salle de concert,  voire un supermarché, d’envahir ou de faire un fond, de procurer un plus sensuel à la vie. En outre passer par une analyse théorique et historique de la musique renvoie à considérer la musique comme :

« Un pur objet esthétique phénoménal, portant en soi et par soi son « être » et son « étant » ; on peut au contraire penser qu’un objet d’art ne peut porter en soi sa propre signature génétique, que son caractère d’œuvre d’art tient nécessairement à des marqueurs produits par une collectivité. Normalement, dans ce cas, il est un média, un transmetteur de quelque chose de commun à un ensemble d’œuvres, à un quelque chose qu’on reconnaît d’une œuvre à l’autre et qui nous convainc que nous sommes en présence d’art. Peut-être encore que l’œuvre ne transmet pas le message qu’elle est une œuvre, mais prouve l’absence, les limites, la faiblesse de nos moyens d’expression affectifs. L’art serait alors l’expression de l’inexprimable, il irait au-delà de ce que le discours peut exprimer. » (Warszawski 2005).

 

Warszawski (2005) dans son analyse soutient que la fonction de la musique se précise par rapport à son utilisation et le contexte. En ce sens, il soutient que :

« Ces différentes musiques répondent à des demandes qui conduisent à mettre en valeur  parfois l’ordre, parfois la fantaisie de leurs structures. Mais au-delà de ce que peut dire la forme, voire le contenu artistique, et les occasions auxquelles elles sont destinées, les musiques sont marquées par les textes qu’elles accompagnent, les lieux qu’elles sonorisent, les manifestations qu’elles servent. En d’autres termes, la musique, par son aspect non visuel, nous apparaît comme l’art le plus abstrait qui soit. Elle est un art dont la signification ou l’expression, si on lui en demande, est largement produit par le contexte et par la manière de l’utiliser. »

 

Parler de l’évolution du référent musical dans le récit fantastique renvoie à redéfinir le contexte de la relation entre les deux faits. L’article de Alain Patrick Olivier (2010)[35] suggère d’une part, une approche par rapport à la condition postmoderne à l’égard du récit, et d’autre part, une grande contribution de la musique dans l’accompagnement et la production de la modernité même. Il s’agit de mettre au point des stratégies de déconstruction, d’explorer des conceptions fragmentaires à l’égard de la structure narrative. Ce qui a abouti à un effet inattendu de prolifération de la forme narrative à l’image des micro-récit individuels.

 

Cette redéfinition du récit renvoie à en remplir le quotidien de l’homme contemporain, bercé par les histoires et les musiques. Cette attitude se défend dans le sens que « l’humanité, aujourd’hui, a besoin de produire des mythes qui la concernent dans son entier pour s’entendre du point de vue mondial dans tous les sens du terme. » Si le courant de l’histoire humaine se voyait auparavant comme un récit du bien, la mise en avant du contexte de mal donne une réforme du récit, le renvoyant à un phénomène de lutte entre le bien et le mal. La relation entre le récit et la musique impose donc à cet effet à la musique la contrainte de sur en parallèle cette évolution du récit. La musique produisant toujours une forme de discours spécifique à l’égard de l’histoire.

 

La musique a une fonction fabulatrice. Cette fonction concerne la structure de la musique produisant ou véhiculant une conception métaphysique, et portant une responsabilité par rapport à l’énoncé et à l’énonciation en général. « La musique la plus formelle prend encore position à l’égard des structures de l’énonciation et de sa compréhension par la communauté. Elle raconte un récit qu’elle le veuille ou non, quelquefois plus explicite et plus fondamental pour la communauté que tous les récits produits par la parole, avec ses « personnages » et ses « aventures ». »

 

A mise en espace de la musique suppose une virtualité latente dans le discours de la tradition. Par définition, le mot récit traduit un mode de narration qui se constitue à « la double frontière de la parole pure et du discours musical. » le récit décrit donc ces moments irréductibles aux dialogues parlés comme aux morceaux chantés autonomes. » L’arrivée du wagnérisme[36] a imposé dans la musique savante la mélodie infinie et la composition orchestrale ininterrompue. Ce qui a influencé le contexte d’alternance du récit et du chant pour une forme moins stricte.

 

« L’histoire forme le cadre secondaire dans lequel le mythe musical trouve sa situation. La fable est produite dans l’enchaînement des chansons. La musique, lorsqu’elle n’est pas simple mise en musique des mots, simple accompagnement ou commentaire d’un pré-texte, intervient donc plutôt comme une rupture dans le temps du récit, ou comme une histoire parallèle à celui-ci, mais une histoire à la forme paradoxalement suspensive de la chanson. Elle arrête plutôt la marche de l’histoire pour développer le pur contenu de l’instantané. »

 

Ainsi, dans sa proposition de fonction fabulatrice de la musique, Alain Patrick Olivier avance que : « La musique rend possible un mode de la narration où l’on sort de la logique de la narration. Elle fait dérailler plutôt le scénario de l’histoire et lui invente des ramifications dans le hors-temps de la fabulation. La musique devient alors le récit lui-même. »

 

Chaque œuvre, éléments principaux de cette étude, représente chacune un cadre d’évolution de la fonction musicale. En effet, la musique y intervient d’abord selon les modalités de pensée de l’auteur de l’œuvre, ce qui l’amène à façonner le récit selon cette possible association des deux phénomènes. Hoffmann, par exemple, en tant que compositeur et critique musicale, a écrit ses contes de façon à ce que ses successeurs puissent les interpréter en œuvres théâtrales et en véritables opéra musicales.

 

Par ailleurs, dans le tout début du romantisme allemand, les œuvres musicales classiques se sont dérivées peu à peu vers le qualificatif de fantastique. C’est par la suite l’entreprise de cette tendance fantastique de la littérature à travers la musique que s’épanouit le cadre d’insertion de la musique dans la littérature. Le point de départ reste le même, la musique renvoie à ce contexte d’expression des émotions les plus profonds, allant des sentiments les plus tristes aux sentiments de joie, mais qui se retrouvent au final, dans ce champ à part du quotidien, réel de l’homme. Ces profonds émotions font alors partie de cet exceptionnel imaginaire.

 

C’est dans cette optique que Ligeia communique ce sentiment de force de lutte contre la mort, que le vieillard du Maelstrom se batte pour survivre aux dangers que lui réserve le tourbillon infernal, que Maupassant réfléchisse sur les capacités de l’ouïe et de son interprétation de la musique, que dans le récit de « la cafetière » Gautier ramène son personnage dans la joie et le merveilleux, que le chevalier Gluck se vante de son passage dans ce pays des rêves, et enfin qu’Antonie retrouve sa joie de vivre à l’écoute de l mélodie du violon de crémone.

 

 

Partie II. LES MODES DE FONCTIONNEMENT DE LA MUSIQUE DANS LE RECIT FANTASTIQUE

 

Plusieurs raisons motivent le succès du récit fantastique, et la principale raison résulte d’un contexte historique bouleversant et désorientant ramenant à une insatisfaction qui nourrit une révolution imaginaire et de rêverie motivée par un besoin d’évasion et de perfection quant à la considération de l’âme et des sentiments. Il s’agit entre autre du paradoxe du fond du siècle des Lumière[37]. La musique se propose d’en être un support incontestable de la construction de ces souhaits imposants.

 

Pour ainsi définir la musique dans le contexte du roman, Nadeau (2005)[38] propose dans son analyse que d’une part, le référent musical prend des significations multiples à l’intérieur des roman, et d’autre part, la structure des romans peut s’inspirer de celle d’une œuvre musicale. Un premier élément de définition et de limitation est donné par Backès et Pistone (2001) : « La musique [n’est pas] une langue, une autre littérature qui permettrait de délivrer un message, subtil mais intelligible, ou d’exprimer directement ses sentiments »[39]

 

En outre, Guertin (1997)[40] avance l’idée que : « La musique ne contient pas les sentiments et encore moins les passions qui touchent l’auditeur. Elle a néanmoins la capacité de les susciter, de les éveiller. » Ce qui nous oriente vers une précision dans notre étude sur les capacités de les modalités d’insertion de la musique et ses capacités définies par ses fonctions. Une autre proposition sur l’affinement de l’objet musical est tenue par Cupers (1981)[41] : « ce qui est « literally present in one art » peut n’être que « figuratively present in another » ».

 

Cette citation de Cupers tend à vérifier les analyses de Nadeau (2005) :

« Des analogies émotionnelles et structurelles s’établissent entre certains aspects de la musique et de la littérature. L’analogie ne saurait évidemment être parfaite, puisque la littérature ne peut parvenir à traduire entièrement ce qui fait l’essence de la musique, tout comme la musique ne pourra jamais arriver à signifier à la manière d’une œuvre littéraire. De même, l’étude de la correspondance d’une structure musicale dans un roman reste hasardeuse; d’une part, les éléments qui structurent ces deux arts ne sont pas les mêmes et d’autre part, l’emprunt que la littérature fait à la musique ne peut être que figuratif. »

 

Chapitre 3. LA FONCTION DE LA MUSIQUE DANS LE RECIT FANTASTIQUE

 

La mise en œuvre de la musique dans le récit se rapporte à une mise en situation de l’imaginaire et du rêve dans un contexte fantastique, à l’exemple de l’analyse menée par Nadeau (2005) sur la fonction de la musique en tant que passerelle entre le réel et l’imaginaire. Dans cette analyse, Nadeau introduit l’idée de la création d’un processus imaginaire qui devient un refuge des personnages par rapport à l’aspect pénible et contraignant de la réalité. Il suppose dans ce sens deux principales fonctions à la musique : d’une part, l’univers musical se perçoit comme un phénomène favorisant du passage du réel à l’imaginaire, d’autre part, la musique s’impose comme facteur de réintégration dans le réel, dont son aboutissement est soumis à la seule capacité du personnage à concilier les deux univers.

 

Ce qui nous introduit dans la problématique de la fonction de la musique dans le fantastique. Si précédemment, il a été question de démontrer le cadre général de l’insertion de la musique dans le récit, ce nouveau chapitre donne plus de précision quant à ses modalités d’utilisation dans le récit fantastique. La première hypothèse se résumant à une vocation de la musique à exprimer ce qui est inexprimable par l texte et le langage, la musique constituant un champ d’expression de l’émotion et du sentiment recluse de l’âme. Ce qui justifie la nécessité d’un construit imaginaire pour mettre à jour cet imaginaire pensé.

 

Section 1. LA MUSIQUE EN TANT QUE DECOR D’ACCOMPAGNEMENT D’UN PROCESSUS DE RETOURNEMENT DU REEL

 

Penser la musique comme élément de décor dans un récit renvoie à l’analyse effectuée par Smoje Dujka (2009)[42], dans le sens de l’utilisation de la musique dans les romans, soit pour son titre évocateur soit pour son intégration tel un élément de décor facilement remplaçable par un autre contexte, dans le cadre d’une étude réalisée sur une transposition des œuvres littéraires et musicales depuis le XXe siècle. Ce passage par Smoje retient également l’idée d’une influence pesante des idéologies qui sont nées du romantisme, d’où l’explication des inspirations issues de la période et influençant les œuvres des siècles suivants.

 

Parler de la musique comme élément de décor du fantastique fait référence au récit d’ « une descente dans le Maelstrom ». La musique, dont le son, s’y interprète pour marquer les événements qui s’y succèdent. Les diverses allusions aux bruits et sons des vagues traduisent un fil de compréhension des événements que le vieillard raconte, ainsi pour donner l’impression des phénomènes qu’il a vécu dans ses aventures périlleuses dans le Maelstrom.

 

« La présence de la musique est évidente dans les livres qui tracent le portrait d’une époque historique à travers la vie musicale, décrivant le métier d’interprète, la pratique et les exigences d’un instrument, racontant l’art du luthier ou bien la place du musicien dans la société. Les plus réussis, tant sur le plan thématique que littéraire, sont les romans qui empruntent à la musique la dynamique du récit et la structure romanesque, explorant la psychologie des personnages dont la vie est immergée dans la musique, par profession, par passion ou par vocation. » (Smoje 2009)

 

Cette définition rappelle au récit du violon de crémone d’Hoffmann, qui place la musique et le chant dans l’ordre de l’art, et qui font rencontrer les gens de toute origine et les unissent. En effet, le chant et la musique ont fait rencontrer Crespel et l’amour de sa vie, la célèbre chanteuse Angela. Leur unique enfant représente l’association des talents de ses parents, qui s’est révélée à la découverte du violon de crémone. La référence à l’instrument et au chant renvoie à cette place que tient la musicalité dans le récit fantastique.

 

Dans l’analyse de l’évolution des courants littéraires, Smoje arrive à l’hypothèse d’une possibilité de recherche par les écrivains d’une manière de recréer le sujet, la forme, la sonorité et l’organisation temporelle propres à la musique. C’est entre autre une motivation à l’utilisation de la musique dans le roman. Cela étant cette supposition ne justifie pas moins de l’utilisation fondamentale de la musique en tant qu’élément à part entière du récit. C’est plus ou moins une manière de confirmer notre idée de départ qui est celle de la fonction de la musique en tant qu’élément de décor du récit, traduisant le passage du réel à l’imaginaire.

 

« La narration et la description sont par définition linéaires et logiques, alors que la nature même de la musique contraste fondamentalement avec cette dynamique. Art du temps, ses structures sonores dépassent la linéarité, les jeux du contrepoint tissent des réseaux polyphoniques, superposant plusieurs plans sonores dans la simultanéité. Les formes musicales, à la fois rigoureuses et fluides, proposent des modèles aux romanciers qui cherchent à renouveler les stratégies de narration, utilisant les mots comme instrument de musique, composant le récit selon le modèle d’une structure musicale. »

 

De ce fait, cette fonction peut intervenir à tous les niveau du récit : le langage, les personnages, l’approche narrative, la symbolique. Un des premier facteur d’utilisation de la musique est le titre du récit.  En effet, le violon de crémone dit de lui même qu’il parle de musique, tant l’instrument qu’il représente que le chant qui l’accompagne ; aussi bien de l’évocation du nom du compositeur Gluck qui sous-entend d’avance la logique musicale qui est contenue dans le récit du Chevalier Gluck. C’est également dans cette optique que l’on perçoit que Villiers parle certainement de musique en se référent au titre de son œuvre, le secret de l’ancienne musique.

 

« La rencontre entre littérature et musique commence par le titre. Nombreux sont les romans qui se servent du vocabulaire musical, attirant l’attention, suggérant le contenu. Certains titres tiennent leur promesse, d’autres sont métaphoriques, poétiques ou simplement une façade. Les plus simples sont ceux qui se réfèrent à un instrument ou à son interprète » (Smoje 2009)

 

L’utilisation des éléments qui se réfère à la musique, à l’exemple de l’instrument musical, renvoie soit à sous-entendre une personnalité  ou un portrait de musicien, par exemple, soit à décrire par une expression qui laisse voir le contenu du récit.

« L’instrument est le plus souvent le prétexte derrière lequel se profile un portrait psychologique du musicien. D’autres évoquent un genre ou une œuvre musicale précise, utilisant parfois une expression technique qui ne laisse aucun doute sur le sujet. » (Smoje 2009).

 

En outre, Smoje continue son analyse en admettant que :

« Il y a deux conceptions radicalement différentes de l’utilisation de la musique dans le tissu romanesque. La plus fréquente est celle qui se sert de la musique pour révéler les aspects culturels, les relations sociales, le profil historique et la psychologie des personnages au centre du récit. Plus rare, car aussi plus exigeante, est celle qui applique les principes de la musicalité dans la composition du roman, créant un univers unique, celui que seule une œuvre d’art littéraire peut faire surgir de l’imaginaire. » Ce qui renvoie d’un côté à justifier la sociabilité et le respect que le conseiller Crespel éprouve envers son entourage, et d’un autre côté à notre cadre d’étude de la musique entre le réel et l’imaginaire, à l’exemple de ce pays des rêves que le chevalier Gluck ne cesse de se vanter.

 

Pour avancer dans notre analyse, il est nécessaire de considérer le point de vue de Dukas (1911)[43], selon lequel il avance que :

« Véritablement, vers et musique ne se mêlent pas ; ils ne se confondent jamais. […] On ne met pas les poèmes en musique. On donne un accompagnement aux paroles, et c’est bien autre chose. La première idée, en effet, suppose une fusion ; la seconde constate un parallélisme. » Ce point de vue rejoint l’accompagnement des vers récités de Ligeia. La musique sert de véhicule qui conforme les vers récités dans une modalité de perception par le public.

 

De ce premier constat ressort un rôle plus au moins superficiel à la musique. Debussy (1971, 1987)[44], par exemple confirme notre hypothèse de départ : « la musique commence là où la parole est impuissante à exprimer. »  cela étant autant de divergence s’interpose dans la détermination de la relation musique et littérature. Selon les propos de Boris de Schloezer (1947)[45] : « il y a incompatibilité, opposition profonde entre le langage et la musique », un constat aussi tôt contré par celui de Ruwet (1972)[46] : « il n’y a au contraire aucune incompatibilité entre musique et langage, la relation musique-langage est toujours pertinente. »

 

Gribenski (2004)[47] propose de mettre la relation entre musique et littérature sur trois niveaux : collaboration de la musique et de la littérature, présence de la musique dans la littérature, enfin présence de la littérature dans la musique. Ce sont trois aspects qui influencent la fonction et l’utilisation de la musique dans le récit. Pour ainsi évoquer un cadre de décor du récit, la collaboration entre la littérature en question et la musique est primordiale, afin d’appuyer les objectifs que le récit tente de communiquer à son auditeur.

 

« La collaboration de la musique et de la littérature se manifeste de façon évidente dans la musique vocale, à travers différents genres, lyriques et dramatiques. Il faut toutefois préciser que, quand le texte littéraire existe précédemment à et indépendamment de la musique, on ne saurait proprement parler de collaboration entre poète et musicien, mais de mise en musique d’un texte, processus complexe d’intégration d’un texte à un autre, en même temps que lecture d’un texte par un compositeur. Cette lecture et, par suite, l’étude des relations entre texte et musique dans la musique vocale, concerne à la fois le plan symbolique, c’est-à-dire le sens du texte, et, par ailleurs, tous les aspects du signifiant, c’est-à-dire la prosodie. »

 

La présence de la musique dans la littérature évoquant déjà un a priori, de cette relation, la musique étant même un élément à part entière du récit.

« La présence de la musique dans la littérature peut se manifester de façon thématique, par référence à des musiciens réels ou fictifs, ou à des œuvres, elles aussi réelles ou fictives et pouvant alors faire l’objet d’une transposition d’art ; mais elle peut aussi se marquer de façon structurelle, par analogie avec des formes musicales. »

 

Enfin, les codification de la musique et les chants par exemple sont une forme de littérature dans la musique.

« Enfin, la littérature peut être présente dans la musique à travers la musique à programme, parmi laquelle Calvin S. Brown (1991)[48] distingue la musique descriptive et la musique narrative. On peut ici ajouter le paratexte verbal qui fait partie d’une partition musicale (titres, mais aussi indications de caractère, de mouvement, de nuance…) et qui constituent bien une présence littéraire dans la musique.

 

En se basant sur la théorie de Nadeau (2005), le fantastique est assimilé à la fiction afin d’affiner l’analyse. L’imaginaire intervient comme un processus qui sépare le personnage du récit avec le réel, tout en se basant sur le réel. C’est dans ce contexte qu’intervient la musique afin de marquer ce passage entre deux univers dont la coexistence est possible puisqu’il est question d’un imaginaire construit sur le réel.

 

« L’expérience imaginaire des personnages – qui s’apparente par moments au vécu onirique, ne peut être cernée en dehors de la réalité décrite dans laquelle elle demeure inscrite malgré tout. Il s’agit d’un univers hybride où interviennent à la fois des éléments appartenant au réel et d’autres, au merveilleux. Toutefois, la quantité d’éléments qui relèvent du domaine de l’imaginaire n’est pas un facteur déterminant pour nous permettre de qualifier l’univers des personnages. Il suffit, comme le souligne Jean-Daniel Gollut[49], « d’un élément non intégrable pour que tout le champ de référence s’en trouve modifié. Un seul fait « impossible » en regard de la norme posée, et c’est l’ensemble des données solidaires qui doit être reconsidéré. » (Nadeau 2005)

 

« Là où le surréalisme unit les pôles du quotidien et de l’imaginaire, et le fantastique met en demeure de choisir l’un des contraires, le réalisme magique continue à en poser simplement la simultanéité, sans requérir de solution. » Une conception aussitôt contestée par Sartre : « le réel et l’imaginaire, par leur nature, ne peuvent parvenir à coexister : il s’agit de deux types d’objets, de sentiments et de conduites entièrement irréductibles. » (Nadeau 2005)

 

Le point de coupure entre le réel et l’imaginaire correspond au point d’intervention de la musique par rapport à la limite de la littérature.

« La relation avec le réel se voit donc transformée et valorisée par le pouvoir imaginatif. Enveloppé d’un voile imaginaire, le réel devient positivement connoté; il n’est plus source d’ennui et de frustration, mais devient, grâce à l’imagination, porteur d’une nouvelle dimension. Les visions qui sont évoquées demeurent propres aux différents personnages, mais ces visons sont projetées au-dehors, dans l’espace matériel et réel dans lequel s’inscrit l’ensemble du récit. Ce qui est imaginaire, donc sans support réel, peut être localisé dans l’espace. Le monde imaginaire s’ajoute au monde réel pour lui donner une autre dimension et devient un espace perçu par les sens à l’intérieur duquel le personnage peut évoluer. » (Nadeau 2005).

 

L’ensemble des œuvres de référence dans cette analyse confirme cette idée de coupure entre le réel et l’imaginaire. C’est notamment ce que témoigne cette impression qui se révèle à l’écoute du chant d’Antonie. Le public se trouve exalté par cette voix merveilleuse et ne pense qu’à la retrouver  chaque occasion, tellement ce moment lui a été spécial. Bien encore, le temps que l’orchestre ait joué durant le bal dans le récit de la cafetière rejoint à ce moment de passage dans l’imaginaire. Enfin, ce phénomène de la musique qui a emporté le chevalier Gluck dans le pays des rêves.

 

Section 2. LA MUSIQUE COMME ELEMENT DECLENCHEUR DU PROCESSUS

 

Rappelons que l’insertion de la musique dans l’œuvre littéraire est motivé par le désir d’accéder à un monde plus parfait, puisque c’est elle qui assure la jonction entre le rêve et la réalité. Nadeau (2005) avance que cette intégration peut revêtir un caractère mélioratif de la musique associé à la beauté du monde et à un sentiment jubilatoire. En ce sens, on peut interpréter la fonction de la musique par rapport à sa faculté de suspendre le temps, en tant qu’élément déclencheur du retournement du réel.

 

« Intimement liée à la survie, la musique permet aussi la suspension et la condensation du temps. Le temps et l’espace de la musique ressemblent à ceux des récits inspirés du réalisme magique, puisque les références musicales permettent à la trame temporelle du récit une suspension du temps, une chute dans un présent figé ou une intrusion dans l’intemporel »[50] La relecture de l’œuvre de Strauss, Mythologie, par Clément Catherine a aboutit à une interprétation de la musique en tant que « lieu de la suspension miraculeuse du temps de l’explication; le lieu de l’arrêt du langage en perdition; un voyage sans déplacement dans l’espace […] un lieu de rédemption : un paradis retrouvé. »[51]

 

Nadeau interprète la notion du temps comme l’élément permanent qui permet aux moments infranchissables de persister. Le lien entre la temporalité et la musique peut s’interpréter comme suit : « Contrairement au temps vécu qui est irréversible, « la temporalité musicale offre une image ramassée du temps qui s’écoule, mais une image à saisir, contempler et dominer ». Sorte de temps retrouvé, la musique « aide à vivre » » Nadeau (2005).

 

Le temps est également un composant indéniable du récit. Imberty (2001) propose la considération du temps durant lequel se déroule le récit, du fait de son caractère d’objet langagier, et de l’intrigue qui annonce le changement. Todorov (1987) avance l’idée de la combinaison de ces deux éléments par le récit par la succession et la transformation. C’est dans ce contexte de temporalité qu’intervient la musique dans le sens du point de vue de Nadeau, cité précédemment.

 

Selon Imberty, « la juxtaposition des événements, la structuration de l’intrigue, est la représentation de l’action. L’ordre des événements est donc d’une importance primordiale pour la complétude de la forme du récit. L’intrigue est générale, basée sur ce qui aurait pu arriver. C’est pour cette raison qu’elle prévaut sur les personnages, l’agencement des faits précède les protagonistes. » Cela constitue entre autre une base d’intervention de la musique en tant que phénomène déclencheur de l’intrigue qui s’interprète comme l’élément déterminant du retournement du réel.

 

Plus qu’un déclencheur, la musique se révèle également comme élément de continuation des segmentations effectuées par le lecteur pour construire le récit dans sa modalité de réception et de concentration d’émotion. Fayol (1985) avance que « les recherches tendent à montrer que le lecteur segmente le récit en des séquences, qui s’enchainent. Ce processus pourrait être comparé à celui du chunking dans la mémoire. En effet, l’individu considère plusieurs éléments ensemble comme composant une seule unité. »

 

Imberty conclue que les conceptions de schèmes d’ordre et de relation d’ordre renvoie à l’insertion de la musique dans le processus où celle-ci affirme les actes de connexion qu’elle réalise au sein d’un récit. La musique se constitue donc en l’élément qui sert de support à l’aboutissement du récit et donc à sa perception par l’auditeur ou le lecteur.

 

Pour marquer le rapport entre structure romanesque et structure musicale, on peut en déduire que :

« La musique se considère également comme facteur marquant le passage entre le réel caractérisé par des limites spatiales et temporelles, et un au-delà libre de toutes contraintes. En outre, les allusions à des compositions réelles dans des œuvres littéraires dépassent les simples références culturelles »

 

C’est ce que Gluck tente de communiquer de par son passage dans le pays des rêves où il rencontre l’œil divin. C’est seulement au moyen de son talent dédié à la musique et à son investissement pour lui rendre justice qu’il s’est retrouver à côtoyer cet œil divin qui l’a également défendu dans sa lutte. Il en ressort des œuvres authentique et originales de sentiments et d’émotions.

 

La ressemblance qui se joue entre musique et langage induit à parler de la narrativité de la musique. Ce contexte s’interprète comme élément déclencheur du processus de retournement du réel selon le point de vue de Imberty (2001)[52]. « C’est la ressemblance entre musique et langage qui rend possible une telle analogie entre les deux structures. Ce sont ces mêmes caractéristiques formelles, syntaxiques de la musique, qui nous pousse à parler de narrativité en musique. » Une illustration du vécu dans le Maelstrom par exemple, qui joue entre le réel et l’impensable. Les bruits se réfère à une annonce au passage de cette réalité effrayante à cette inimaginable succession d’événements, mais d’où le personnage a survécu pour le raconter après.

 

Ce constat est également confirmé par Nattiez (1989)[53] : « La narrativité littéraire est un mensonge et la musique elle ne peut pas mentir de cette façon-là. C’est uniquement l’auditeur qui lie les événements musicaux à des personnages et des actions, puisque ce n’est pas dans les capacités sémiologiques internes à la musique de lier un sujet à un prédicat. » Cela étant, cette ressemblance reste au niveau de la forme, puisque aux dires de Imberty (1987)[54], l’art musical n’est pas directement référentiel, il échappe aux déchiffrements des symboles médiatisés par le langage. »

 

Gautier dans son récit de « la cafetière » emporte son personnage dans le merveilleux au moyen de la musique. Il y a un bal, avec un orchestre qui joue de la musique et les personnages de la cour dansent. Il danse à son tour emporté par la musique au bras de celle qu’il croit être la seule qu’il puisse aimer. La fin de la musique annonce également la fin de cet enchantement, et ce pour toujours, une dure réalité de sa vie sur terre.

 

« — De par tous les saints du paradis ! est-elle morte ou vivante ? m’écriai-je d’un ton de voix tremblant, comme si ma vie eût dépendu de sa réponse.

— Elle est morte, il y a deux ans, d’une fluxion de poitrine à la suite d’un bal.

— Hélas ! répondis-je douloureusement.

Et, retenant une larme qui était près de tomber, je replaçai le papier dans l’album. Je venais de comprendre qu’il n’y avait plus pour moi de bonheur sur la terre ! »

 

Section 3. LA MUSIQUE COMME NOYAU DUR DU PHENOMENE FANTASTIQUE

 

Penser de la musique comme noyau du phénomène fantastique renvoie à  l’analyse de l’interaction entre univers imaginaire et univers réel. Bakès pour expliquer ce fait se réfère à la période de l’antiquité.

« Le savoir de l’Antiquité est dominé par la musique et que c’est par la puissance de son art musical qu’Orphée a réussi à pénétrer dans le royaume des morts pour reprendre Eurydice. Dans ce mythe, la fascination pour la musique est associée à la nostalgie d’un bonheur perdu. Cet art, « on ne peut pas ne pas continuer à le regarder comme une manière de magie. Mais on le met en relation plus étroite avec l’idée d’une harmonie, d’un équilibre».

 

Ce constat renvoie au récit du violon de crémone, dans lequel Antonie retrouve cette joie de vivre à l’écoute du violon de crémone, ou également pour expliquer ce moment d’apothéose qu’Antonie ressent en chantant, un événement qui a causé sa mort mais qui a posé à jamais la paix et l’harmonie dans son cœur, pour transcrire le phénomène de sa mort quand Crespel l’a retrouvée sur le divan.

 

La narration est la première structure qui laisse vivre un premier stade du bonheur pressenti par l’auditeur et le lecteur. La musique est celle qui concrétise l’idée de ce bonheur. « La musique, devenue le plus bel héritage à transmettre parce qu’elle est porteuse d’un savoir ancestral et gage de bonheur pour ceux qui l’entendent, crée cependant une rupture entre l’univers imaginaire des personnages et le monde extérieur. »

 

Cette rupture confirme le fait que la musique et le mythe partagent le champ du fantasme représentant un écran qui sépare le sujet du réel matériel qui le détermine. En ce sens, le réel et l’imaginaire sont soumis à une forme de marginalisation qui selon Nadeau serait « le prix à payer pour avoir le privilège d’échapper à la morosité du quotidien » Ce qui permet, toujours selon l’analyse de Nadeau, aux personnages de suppléer aux manques du réel puisque à la musique est attribuée la même valeur que celle du mythe qui est de confronter l’homme à des objets virtuels dont l’ombre seule est actuelle.

 

Une autre manière de considérer la musique comme noyau du fantastique est de la soumettre à une mise en mots. Il s’agit alors d’une interprétation du contenu émotionnel de la musique : la musique verbale. Scher (1968) en parle dans son « Verbal Music in German Literature ».

« La musique verbale, qui insiste sur le contenu symbolique de la musique sans tenter une imitation littéraire du son à l’aide, par exemple, d’onomatopées19, peut s’inspirer d’une œuvre réelle ou être une invention de l’écrivain qui ne se rattache à aucune composition musicale existante. Dans ce second cas, il s’agit d’une musique fictive et l’écrivain la décrit à l’aide de métaphores, d’allusions à des jeux de couleurs, de lumière ou d’odeurs. Il fait alors appel au fantastique ou il emploie un langage hyperbolique qui tente de rendre compte de l’atmosphère sonore et des impressions subjectives qu’éveille cette musique inventée. »[55]

 

Par ailleurs, la musique se conçoit également comme un élément qui fait survivre. Dans ce sens, la musique déploie son statut de refuge pour échapper puis concilier le réel à l’imaginaire. Le recours à l’imaginaire étant une prétexte pur aborder le réel. C’est une façon d’entretenir une illusion par rapport à une dure réalité à laquelle le personnage fait face. Enfin la musique agit également comme substrat matériel. Elle agit entre les deux univers réel et imaginaire comme élément qui compense une absence au moyen de l’intervention fantasmatique.

 

Gautier en représente une illustration. L’intervention de l’imaginaire de la cafetière rejoint l’idée de faire revivre un événement passé et auquel l’auteur se mène à trouver une meilleure fin à l’histoire. Angela, à l’image de la cafetière, s’est en allée plus comblée du fait qu’elle ait trouvé la personne qui a su entretenir et comprendre sa délicatesse. Toutefois son destin qui est voué à disparaitre ne lui a laissé d’autre choix que de se briser en morceau.

 

On peut, en outre considérer ce refuge dans l’imaginaire comme l’attrait, dans un sens métaphorique, de l’ailleurs. Si dans l’analyse de Biget[56], cet attrait de l’ailleurs intervient dans le contexte du voyage et du déplacement géographique, dans notre étude, il est question d’en faire un rapport au sens figuré. Que ce soit dans l’un ou l’autre cas, cette action est motivé par le besoin d’évasion, donc dans sa forme de déplacement géographique, du voyage en amont dans le temps ou de l’aliénation mentale. Maupassant le confirme bien dans sa lettre d’un fou qui tente de déceler le paradigme de l’imaginaire, invisible et non palpable, qu’il interprète à l’image de l’ouïe en percevant la musique.

 

L’étude réalisée par Reibel (2009)[57] s’annonce comme révélatrice du caractère fantastique de la musique. La notion de fantastique musical s’est construite au fur et à mesure de l’évolution de l’art et de la littérature. La principale source traitée par Reibel s’apparente à l’intrique : « les prodiges de la fantasmagorie, les opérations des sorciers et des sorcières, les événements surnaturels ». Mais ce point de vue se voit aussitôt revu, ce qui a permis à Rebeil de constater que « le caractère fantastique d’un opéra n’est pas lié, du point de vue de la perception, à la présence d’apparitions surnaturelles dans l’intrigue. »

 

Les confusions surmontées, on arrive à un point d’entente définissant le fantastique ; le fantastique se voit comme une perception de bizarrerie ou d’étrangeté, indépendamment du surnaturel. L’association de la musique au fantastique relève de ce besoin d’évasion, et d’expression librement toute la profondeur des sentiments et des émotions.

 

« Ce privilège est dans la structure même de l’art musical : le compositeur n’a que peu de restrictions et de conventions à respecter ; son imagination a bien plus de liberté et de créativité. Il peut faire toute sorte de combinaisons avec les notes et les rythmes, faites toute de mélanges et d’expérience sonore sans devoir respecter quelconque restriction. Au contraire, un poète doit quant à lui veiller à respecter les rimes et le nombres de vers par exemple »[58] C’est pour le chevalier Gluck ce qui définit l’originalité de la composition musicale.

 

Enfin, Reibel avance huit propositions du cheminement esthétique lié au fantastique qui en soi, présuppose la musique comme une meilleure représentation du fantastique, du fait de son entière capacité à réveiller et faire surgir cette expression de la profondeur et qui traduit ce caractère fantastique à l’endroit du récit :

1/ Selon une terminologie de critique littéraire française héritée du XVIIIe siècle, l’adjectif fantastique renvoie à l’un des quatre types de fiction reposant sur l’incohérence et la bizarrerie de facture d’un texte.

2/ Lorsque Hoffmann est traduit en France au tournant des années 1830, on qualifie ses contes de « fantastiques », l’adjectif francisant de surcroît la Phantasie germanique.

3/ L’incroyable engouement pour ces contes génère une association consciente ou inconsciente de l’adjectif fantastique à l’univers ou aux personnages de Hoffmann.

4/ Cet imaginaire met en forme le discours de réception musicale, dès l’article de Fétis sur Berlioz précédant d’un an la Symphonie fantastique. L’adjectif sert alors à décrire l’impact sur l’auditeur de la folie ou de la fièvre créatrice que véhicule une œuvre, et qui est pour ainsi dire intraduisible dans le langage des mots. Est dite fantastique la musique qui provoque un effet de stupéfaction et qui laisse l’auditeur sans voix, au cours des scènes d’apparitions surnaturelles, notamment, mais pas uniquement.

5/ L’usage de l’adjectif fantastique renvoie alors conjointement au plaisir ou au déplaisir de se laisser emporter par des sensations auditives absolument nouvelles, fascination et effroi parfois confondus.

6/ Le terme est souvent connoté négativement, en raison de sa proximité avec l’idée de bizarrerie, d’étrangeté, voire d’incohérence : est fantastique ce qui excède les limites de l’art.

7/ Mais l’adjectif est simultanément récupéré par les créateurs et les critiques, pour en faire l’emblème de la musique nouvelle : le fantastique peut devenir un genre ou une école. La voie est ouverte à l’élaboration d’une poétique, voire d’un code reposant sur un certain nombre de procédés stylistiques.

8/ Autour de 1830, le fantastique est par ce biais la catégorie qui permet de franciser la musique germanique – selon un processus d’acculturation qui la rend acceptable sur une scène parisienne – tout en se faisant le masque français du romantisme – celui-là même qui permet de rendre acceptable l’étrangeté de la musique nouvelle48. Le fantastique fonctionne dès lors comme un exotisme : il désigne l’Autre représenté et assimilé par le Soi, l’étrangeté de l’Autre étant goûtée dans la seule mesure où elle est mise en scène, représentée, contenue dans les bornes d’une représentation à l’usage du Soi.

 

Dans le récit du chevalier Gluck, l’auteur fait ressortir ce contexte merveilleux qui se passe à la rencontre de la musique, un état d’esprit que le compositeur traverse lors de ses parcours d’inspirations les plus extraordinaires. Il fait référence à ce pays des rêves où la musique le berce, un monde aussi intenté par des pensées malveillantes mais les seuls phénomènes qui dominent sont les mélodies envoutantes de ce pays merveilleux. A interpréter le récit, les œuvres de Gluck se conçoivent dans ce processus. Il en ressort une musique indépendante de la littérature qu’elle pourrait accompagner. La musique elle même constitue dans ce cas le noyau même du fantastique.

 

 

 

Chapitre 4. A QUOI RENVOIE LA MUSIQUE DANS UN DISPOSITIF FANTASTIQUE ?

 

De toutes ces précédentes analyse, retenir la musique comme forme d’expression est la première chose qui en résulte. En effet, l’association de l’œuvre littéraire à l’œuvre musicale confirme cette limite expressive que détient la littérature. Ce constat suppose une révision de la relation entre la musique et les sciences humaines et sociales. En effet, l’expression d’une quelconque profondeur sentimentale revient à la dimension psychique et psychologique, qui revêt la communication émanant de la musique même et de son interlocuteur l’auditeur. Robet Francès, dans l’ouverture par rapport à l’œuvre de Imberty et Escal (1997), introduit la nécessité et la complémentarité entre sciences humaines et la perception de la musique.[59]

 

Cela étant l’utilisation de la musique concerne soit son aspect instrumental, soit son aspect en tant qu’œuvre artistique et musicale. Il ne manque pas dans les œuvres fantastiques de retrouver les instruments de musique pour exprimer des métaphores ou pour décrire la personne de son propriétaire et utilisateur. Le plus courant dans l’insertion de la musique concerne par exemple l’association des deux œuvres littéraire et musicale afin de faire ressortir l’émotion profonde que l’auteur désire transmettre à ses lecteurs et auditeurs.

 

Section 1. LE CONTEXTE D’UN PROCESSUS ALLEGORIQUE

 

Jappy (1996)[60] avance une définition de l’allégorie :

« […] L’allégorie se caractérise par la manière dont l’observateur ou le public est contraint, en s’en remettant à des informations parfois fort elliptiques et allusives, d’inférer les éléments composant la cible du parallélisme qui structurent l’objet du signe. Elle se distingue par conséquent de la métaphore filée moins par sa forme – il s’agit de la métaphore au sens formel peircien dans les deux cas – que par sa portée, car la structure de l’allégorie est coextensive avec l’ensemble du texte [linguistique ou picturale], et non avec une quelconque de ses parties. »

 

La fonction première de la musique dans le discours fantastique se rapport à ce contexte de l’allégorie. Il est question de son implication dans le texte à exprimer la profondeur des émotions. le caractère allégorique suppose une interprétation depuis la conception de l’œuvre par le compositeur jusqu’à sa perception par l’auditeur. Les métaphores s’utilisent afin de codifier un inexprimable et un indéchiffrable discours, au sens musical. C’est dans cette optique que la musique permet une grande liberté d’expression de l’émotion.

 

Tenant à la musique, Villiers démontre bien cette fonction dans le dénouement du public par rapport au spectacle que l’orchestre lui donne à voir : l’enthousiasme et l’implication du chef d’orchestre, le talent des musiciens à suivre les ordres du Chef, et la musique elle-même, se produisant en véritable concert d’émotion qui anime la salle entière.

 

Dans cette étude, on peut tenir en référence l’analyse de Brisson sur la projection culturelle de la musique. La raison d’être de la musique classique, par opposition au folklore et à la musique de variété, selon Brisson[61] est cette nature savante et sérieuse qui tend à entrainer dans une profondeur d’émotivité. Pour ainsi, introduire à l’œuvre musicale, elle avance que :

 

« La musique est un art unique. Contrairement à une pièce de théâtre qui peut nous parler dès la première lecture intérieure ou à un tableau qui, en l’espace d’une seconde, peut se fixer à jamais dans notre mémoire, la musique ne se réalise pleinement que lorsqu’elle est jouée ou chantée par des musiciens capables de la déchiffrer. Pour prendre vie, elle a donc besoin à la fois du créateur (compositeur) et de l’outil (interprète). »

 

En effet, c’est de cette manière que Crespel en vient à détruire ses violons pour en découvrir leur secret. Cette technique parait trop matérielle bien que Crespel lui même soit un musicien. Or le violon de crémone s’est révélé à lui en réveillant le chant d’Antonie qui en constitue son secret. Aussi bien que le violon a disparu lui aussi avec Antonie dans sa mort.

 

L’auditeur construit une interaction avec la musique par rapport à un ordre affectif qui fait appel à l’émotion :

« En l’écoutant, l’auditeur se laisse envahir par une gamme d’émotions et de réactions allant de la paix intérieure à l’euphorie, cette dernière pouvant à la limite engendrer la violence collective1. Cette émotion, variable selon l’individu, est souvent d’ordre affectif et n’a pas forcément de liens avec la musique elle-même. »

 

Dans son évolution dans le courant du XIXe siècle, la musique passe de la période romantique, à celle du réalisme et du symbolisme. Pendant les trois période l’évolution de sa fonction retrace diverses interprétations liées à plutôt à sa fonction qu’à sa nature, la musique savante soit le genre le plus encouragé par son caractère mystérieux et profond. Le romantisme passe par le succès des compositions allemande, à l’instar de Beethoven, Berlioz et Wagner. La fonction de la musique se rattache alors à une prédominance mythologique vues les tendances littéraires de cette époque.

 

Cette époque est caractéristique des œuvres tant littéraire que musicale allemandes. C’est par exemple dans ce cadre que Hoffman a su développer ses œuvres partant de l’Allemagne  jusqu’en France où il retrouve encore plus de succès. Lelièvre S (2009) donne un aperçu du parcours d’Hoffmann en disant que :

 

« De fait, si l’on replace Hoffmann dans le contexte culturel allemand du début du XIXe siècle — et donc en faisant abstraction de l’énorme influence qu’il eut en France —, on s’aperçoit vite que les théories, thèmes ou genres qu’il aborde dans ses œuvres (la Sehnsucht, le rôle de l’art et de l’artiste, le fantastique, le Märchen, la musique même) l’ont été également par ses contemporains ou prédécesseurs.

Ce qui le rend vraiment personnel, ce qui lui confère une place sinon unique, du moins particulière dans ce panorama artistique, c’est peut-être la diversité de son œuvre, plus variée qu’il n’y paraît (et qui est très loin de se cantonner, en tout cas, au seul genre du « conte fantastique »), le ton de ses écrits (une manière assez personnelle de manier l’ironie romantique, une ironie acerbe, un sens de l’humour qui n’excluent ni l’effroi, l’horreur, ni l’expression discrète d’une grande sensibilité…) ; c’est aussi sans doute la richesse de sa personnalité, comme en témoigne, par exemple, la grande diversité des charges qu’il occupa durant sa vie : juriste de formation et de profession, il est avant tout musicien dans l’âme, musicien avant d’être écrivain (au moins chronologiquement…) »

 

Hoffmann aborde la musique selon que lui même il est compositeur et critique musicale :

« Pour Hoffmann, la musique trouve sa forme la plus noble dans le genre instrumental, en ceci qu’il est dégagé de toute contingence humaine, terrestre. On connaît cependant sa passion extrême pour la voix et le chant, mais ce n’est paradoxal qu’en apparence : certes le chant reste tributaire des paroles, donc du langage humain, mais la musique vient transcender ce langage, un air d’opéra ou un Lied en disent évidemment bien plus que les simples paroles qu’ils mettent en musique. En d’autres termes, Hoffmann apprécie la voix humaine en tant qu’instrument de musique — et un instrument de musique privilégié, sans doute le plus abouti, le plus bouleversant —, plus que comme medium véhiculant un message. »

 

Il rajoute que :

« Ainsi par la musique, l’homme (l’auditeur, mais aussi le compositeur et l’interprète, pour peu qu’ils aient du génie) se trouve pris dans un mouvement ascensionnel qui l’éloigne des réalités terrestres, stimule et, paradoxalement, apaise en même temps sa Sehnsucht, son indéfinissable nostalgie, en lui permettant de retrouver un peu de la pureté d’un langage originel, la langue de l’Âge d’Or, définitivement perdue et dont la musique permet de ressusciter certains échos. »

 

Le réalisme succède au romantisme. C’est la période qui marque le succès de Maupassant. L’idée majeure qui oriente les œuvres musicales et littéraire se rattacheà  ce que l’on a changé de monde dans la société de la Restauration : l’histoire est en marche comme une locomotive. Elle bouleverse les conditions de vie et les mentalités traditionnelles, les villes se transforment, et la bourgeoisie n’a vraiment plus les mêmes valeurs que la noblesse… » Le contexte d’interprétation de la musique s’éloigne du fantastique purement lié au surnaturel, il s’apparente à une formulation de l’imaginaire qui se base plutôt sur le réel.

 

« Le symbolisme est un mouvement de la fin du XIXe (années 80 et 90) qui se définit essentiellement par l’idéalisme d’artistes en réaction contre un monde trop matérialiste, celui issu des mutations de la révolution industrielle, voué au progrès technique, à la recherche du profit, et aux luttes sociales. » Paul Valéry le décrit selon que : « Ce qui fut baptisé symbolisme se résume très simplement dans l’intention commune à plusieurs familles de poètes (d’ailleurs ennemies entre elles) de reprendre à la musique leur bien. »

 

Enfin, « Individualistes, souvent angoissés par le destin de l’homme dans un monde qui leur semble abandonné de Dieu, les symbolistes privilégient le subjectif, ils valorisent l’imaginaire, le rêve, les hallucinations. Ils sont attirés par le mystérieux, l’étrange, le fantastique, les zones d’ombre, les correspondances entre le visible et l’invisible ; certains se tourneront vers une spiritualité inspirée du renouveau chrétien, d’autres vers l’ésotérisme. »

 

« Le secret de l’ancienne musique » de Villiers rapproche de cette notion d’allégorie. Quand la musique se joue dans une quelconque forme de représentation, les auditeurs et spectateurs se rapportent eux-mêmes aux réactions du personnel de la musique, qui constitue le visuel, pour se transposer dans le monde de la musique, qui constitue l’imaginaire. L’ensemble de ces réactions et actions confronte l’auditeur – spectateur à diverses émotions qui accompagnent la musique et l’ensemble de la représentation : « Ce que lisait le vieillard était donc bien extraordinaire, pour qu’il se troublât de la sorte?. »

 

Section 2. LE PHENOMENE DE L’INDECHIFFRABLE

 

Le phénomène de l’indéchiffrable se transcrirait sur l’explication du phénomène qui lie Antonie au violon de crémone dans le récit d’Hoffmann, ou à cette volonté de ressuscitation de Ligeia dans le récit de Poe, ou encore de ce secret que le représentant de l’ancienne musique ait emporté avec lui dans sa mort, ou même cet enchantement qui anime le chevalier Gluck dans l’exécution de ses œuvres, ou serait-il ce phénomène qui ait animé cette nuit pendant laquelle tous ces personnages se sont apparus dans la chambre de Théodore, ou encore ce tourment qui hante dans la lettre d’un fou de Maupassant…

 

Cette sous-partie se rapproche de l’analyse effectuée par Stefanović (2006)[62] qui se construit sur l’idée de rencontre entre langue et musique dans la métaphore. Dans le rapport de la musique et de la poésie avec la tragédie, Stefanović avance l’idée que la musique s’est développée et s’est ouverte à des perspectives d’expression du fait de sa rencontre avec la poésie. En ce sens elle stipule que :

« C’est donc dans le cadre du rapport avec la poésie que la musique fut confrontée à l’énergie lui étant opposée, à l’impulsion contraire, à la tâche différente ; et qu’elle se trouva alors exposée à la nécessité de s’ouvrir à une perspective étrangère et d’en absorber les intentions et les moyens. »

 

Dans sa conception de la réexamen de la musique, Nietzsche (1871)[63] affirme que «  l’origine de la musique est au-delà de chaque individuation, dans l’indéchiffrable, que la volonté est son sujet et que les émotions n’en sont que des symboles. » En ce sens, toujours selon Nietzsche : « le poète interprète la musique pour soi-même par les moyens du monde symbolique des émotions tandis que lui même reste dans l’immobilité de la contemplation apollinienne et au-delà de ces émotions. »

 

En outre, toujours selon les constat de Nietzsche, « quand le compositeur écrit la musique pour un poème, il n’est guère, en tant que musicien, excité par des images ou des émotions parlant à travers ce texte. L’excitation musicale, venant des régions entièrement différentes, choisit le texte de cette chanson comme l’expression métaphorique pour soi même. La relation nécessaire entre la poésie et la musique n’a alors aucun sens, parce que les deux mondes, des tons et des images, sont trop éloignés l’un de l’autre pour former davantage qu’une relation externe. Le poème est seulement un symbole et il est lié à la musique comme l’est l’hiéroglyphe égyptien du courage au soldat courageux. »

 

Ces constats conduiraient à une interprétation du point de vue de Nietzsche selon laquelle les émotions constituent un symbole de la volonté qui habite la musique, et la poésie un symbole de la volonté musicale. Le rapport entre la poésie et la musique se révèle « en tant qu’éloignement symbolique, métaphorique par rapport à l’indéchiffrable situé dans des origines de la musique : les émotions ne sont que le monde métaphorique, le règne intermédiaire entre l’indéchiffrable de la musique et sa traduction ou interprétation verbale, voire poétique. »

 

La dualité des fonctions de la poésie, fonction référentielle et fonction poétique, est celle reflétant son impulsion vers la musique, l’insertion du principe musical dans le domaine linguistique. Ce qui se traduit par « un penchant vers l’indéchiffrable de l’esprit de la musique, vers l’insaisissable et l’indéterminable résidant dans son origine, vers la volonté extatique dont même les émotions verbalement exprimées ne sont que des symboles. La poésie devient ainsi métaphore de la musique. » (Stefanović 2006)

 

Selon les propos de Nietzsche 1871, cet aboutissement s’interprète comme suit :

« Ce n’est que par l’absorption de l’esprit de la musique que la poésie devient la métaphore du monde et du réel. Ce n’est que grâce à la musique en soi que la poésie aboutit à ne pas simplement dire et représenter le monde, mais à dire et représenter d’une façon inédite et inexprimée, qu’elle arrive à le structurer de nouveau, à le structurer esthétiquement, de sorte que l’histoire du monde se conçoive comme l’histoire de l’expérience tragique. C’est grâce au principe de la musique que le texte poétique parvient à transfigurer la réalité quotidienne par la fiction, par la fable, par la mimésis comme composition du mythos tragique. »

 

L’orientation de la littérature vers la musique dans la période romantique se rapporte à cette explication logique initié par Stefanović : « Le vers romantique est destiné à devenir chant, à setransmuer en musique ; inversement, dans le drame musical et la musique à programme de l’époque réaliste, la musique cherche à se rattacher à la littérature » En outre, la musique sert par son influence sur la poésie à organiser musicalement le vers par son intonation qui en imite la mélodie. »

 

En 2010, Darsel Sandrine[64] propose une analyse sur la relation de la musique aux émotions. Cette analyse renferme le discours d’origine sur indéchiffrable qui est constitué par les émotions. l’association de la musique aux émotions apparait comme une évidence. Ce sont des termes qui sont par avance reliés voire considérés comme un pléonasme du fait que toute musique suppose l’émotionnel, et toute émotion se transmet en musique.

 

En ce sens, Laborde (1994) avance que : « Des efforts ont en effet été engagés de longue date afin d’instaurer un rapport d’équivalence entre musique et émotion, au point que le syntagme “émotion musicale” apparaît à bien des égards comme un syntagme pléonastique. » Darsel soutient la relation entre musical et émotionnel est basée sur la nécessité de ressentir la musique, l’influence émotionnelle des œuvres musicales et l’expression musicale des émotions.

 

Cette analyse tend à mettre en avant la prédominance du domaine de l’émotion à l’opposé de celui de la raison et de la connaissance musicale. En ce sens, Darsel rapporte que : « les œuvres musicales, agissant sur l’affectivité et l’intériorité des corps, résisteraient à toute analyse, voire à toute description et appartiendraient par excellence à l’ordre de l’ineffable ». Cela étant, « l’émotion se réfère à des processus de pensée, en aval les émotions musicales délivrent un savoir, et/ou en amont les émotions musicales reposent sur des éléments cognitifs. »

 

Prétendre une quelconque relation entre l’émotionnel et le musical renvoie à deux constats : « soit il s’agit de dire que toute musique ou au moins les œuvres musicales réussies expriment des émotions, le critère expressif devenant un critère essentiel pour définir une œuvre musicale ou encore pour déterminer sa valeur esthétique ; soit il s’agit d’insister sur le rôle des émotions quant à l’appréhension d’une œuvre musicale – l’intelligibilité de la musique dépendrait de dispositions émotionnelles de la part de l’auditeur. » (Darsel 2010)

 

Le besoin de dépendance de l’émotion à la musique correspondrait à admettre que « la musique constitue le seul moyen adéquat pour l’expression de nos émotions se révèlent alors être de pauvres substituts. » Cela étant l’affirmation de l’interdépendance de la musique et de l’émotion renvoie à l’identification de leur nature respective.

 

L’analyse de Darsel identifie la musique comme « l’expression unique et objectifiée d’un compositeur qui existe de manière permanente une fois qu’elle est composée. » Le caractère répétitif et permanent de la musique suppose aux exécutions musicales l’aspect d’événements sonores transitoires qui présentent l’œuvre. Les propriétés expressives attribuées à l’œuvre musicale émergent de son appréhension : « ce seraient les émotions ressenties qui justifieraient ou au moins rendraient compte de l’attribution de propriétés expressives. »

 

De cette analyse, on peut en déduire que la musique dans sa relation avec la littérature sert de moyen d’expression de l’indéchiffrable par le langage verbal, aussi bien dans le sens que la réduction de la composition musicale dans les codes langagiers constitue un véritable moteur d’opposition dont témoigne le récit du chevalier Gluck. En effet, il s’emploie à défendre le naturel des œuvres pour devenir un véritable chef d’œuvre ; autant pour ce chef d’orchestre qui s’est importuné à l’exécution de cette musique qui s’éloigne de son idéal de l’ancienne musique dans le récit de Villiers.

 

Quoi qu’il en soit, Maupassant révèle bien cette indispensabilité de l’ouïe qui complète la communication musicale : « Cette métamorphose accomplie par le nerf auditif dans le court trajet de l’oreille au cerveau nous a permis de créer un art étrange, la musique, le plus poétique et le plus précis des arts, vague comme un songe et exact comme l’algèbre ».

 

Partie III. LES FORMES PRISES PAR LE REFERENT MUSICAL

 

L’introduction de la musique a été soumise à l’évolution de l’histoire de l’art et celle de la littérature elle même. C’est également le contexte qui définit sa place dans l’interaction entre ces deux objets culturels du monde. Il a été montré que les premières manifestations du romantisme apparaissent d’abord dans la littérature vers la fin du XVIIIe siècle, ensuite dans la musique au siècle suivant.

 

En ce qui concerne l’objet du romantisme musical, le compositeur romantique exprime ses états d’âme dans ses œuvres alors que durant la période classique, il s’agissait de « musique pure ». La littérature est la source d’inspiration principale des romantiques. L’époque romantique est présente en même temps en France et en Allemagne. Ces musiciens font éclater les formes traditionnelles élaborées pendant la période dite classique. L’orchestre s’étoffe et accueille des nouveaux instruments (clarinette basse, contrebasson…).

 

Chapitre 5. OBJET DU REFERENT MUSICAL

 

André-Marie Harmat (2009)[65] avance ses réflexions sur les spécificités des formes musicales et formes littéraires. La coexistence de ces deux formes est défini par l’approche transartistique : « la coprésence du texte musical, sous forme de citation, et du texte littéraire, ou la dérivation d’un texte littéraire d’un texte musical précis, repris et transformé, sont rares du fait du décalage entre les deux codes sémiotiques »

 

Il existe donc deux systèmes sémiotiques. Etienne Souriau (1969)[66] avance que :

« Les codes linguistique et musical étaient proches et complémentaires ; les deux arts impliquent en effet des vibrations de l’air perceptibles par l’oreille (phonèmes indéterminés, d’une part et sons purs déterminés3 de l’autre) et un rythme (ce que Platon nommait l’« ordre dans le mouvement », hiérarchisation des accents –toniques, syntaxiques, rythmiques- d’une part, durées strictes mathématiquement mesurées de l’autre) ; les deux codes ne fonctionnent cependant pas de la même façon : en effet, reprenant encore une fois la théorisation de Souriau, si le code linguistique sert à la représentation du réel (sens de l’œuvre littéraire, forme secondaire), le code musical (forme primaire) ne sert qu’à  la présentation de l’œuvre même : une structure abstraite qui éveille directement des émotions en nous. »

 

 

En ce sens, « l’articulation signifiant / signifié, effet spécifique du système linguistique, ne correspond rien de directement comparable en musique. L’atout principal de la musique est la tonalité, qui crée une articulation particulière signifiant / signifié selon des modalités fort différentes de celles qui sont à l’œuvre dans le système linguistique.

 

La question de l’intersémioticité se pose par rapport l’incapacité physique et mentale de certains auteurs à écrire plusieurs choses à la fois :

« le poids notionnel des mots et de la syntaxe semble en effet rendre cet exercice problématique. D’où la tentation de la simultanéité qui pousse les romanciers et nouvellistes modernistes à emprunter des structures musicales (répétitions, symétries, usage non notionnel des sonorités de la langue etc.) pour suggérer un sens, indépendamment de la charge sémantique et de la valeur référentielle des mots. Car la capacité de comprendre, sentir, éprouver plusieurs choses à la fois est bel et bien caractéristique de l’esprit humain, à condition de choisir le code approprié ; et si l’expression verbale consciente est irrémédiablement linéaire, l’instinct global qui la précède possède une dimension « harmonique » que les structures et formes musicales sont aptes à véhiculer. »

 

Section 1. LE REFERENT MUSICAL ENTRE L’IMAGINAIRE ET LE REEL

 

Aborder la musique en tant qu’intermédiaire entre l’imaginaire et le réel revient à l’analyse de l’interférence entre musique et littérature dans la construction du récit. Ce qui en vient à justifier notre introduction tenant sur l’intersémioticité des deux formes. Harmat soutient ce rapport au niveau de l’esthétique. Il conclut que la musique s’interprète comme une mise en ordre du dispositif littéraire.

 

Dans son analyse, Harmat cite Lojkine : « le dispositif pare aux débordements du réel », et Lojkine poursuit : « La notion de dispositif joue un rôle essentiel dans l’élaboration d’une théorie de la représentation car le dispositif articule de l’ordre au désordre. » Ce constat se justifie selon le point de vue que :

« le système sémiotique musical est abstrait, constitué d’éléments mathématiquement étalonnés (sons purs, tonalité, rythmes etc.), régi par le principe formel de la répétition, et se développant sur l’axe syntagmatique comme sur l’axe paradigmatique : en bref, la musique est ordre. Le réel, en revanche, nous apparaît, en dépit des lois naturelles universelles, comme désordre, comme un fourmillement chaotique perçu par des subjectivités qui tentent de le décrire à l’aide du code linguistique dont la visée première est pragmatique ; c’est de ce réel que la littérature se veut la représentation esthétique : c’est-à-dire la mise en ordre. » (Ruwet 1972)[67]

 

On a déjà évoqué dans les chapitres précédent cette fonction d’intermédiation entre l’imaginaire et le réel de la musique. Par contre dans cette section, il est plutôt question du pourquoi de cette nécessité d’intermédiation. On peut lire dans un article en rapport avec la philosophie de l’imaginaire la problématique de définition de cet imaginaire que l’on tente de conceptualiser par la musique[68].

 

L’imaginaire est en fait « un mot d’usage et de destination incertains : placé à mi-chemin du concept et de la sensation, il désigne moins une fonction de l’esprit qu’un espace d’échange et de virtualité. (Quinsat 1990)[69] Il s’assimile à un chantier, fictif et virtuel, de construction et de déconstruction, de tension continuelle, d’éparpillement d’images qu’on essaie de rassembler, d’organiser dans une œuvre. »

 

Au point de vue de la psychanalyse, l’imaginaire traduit « le registre des images, de la projection, des identifications et, en quelque sorte, de l’illusion » (de Scitivaux 1997)[70], « dynamisme organisateur [qui] est facteur d’homogénéité dans la représentation » Une  intégration de la sensibilité comme déclencheur du rêve à partir du monde réel, est motivée par son rôle qui sert de médium entre le monde des objets et celui des songes » (Durand 1992)[71].

 

L’aspect anti-conformisme de l’imaginaire et son étendu de création libre procure une faculté permettant d’outrepasser le réel et ses contrainte (Rami). Huygue (1985)[72] suppose que :

« À l’image du rêve, l’imagination déforme le réel pour plus d’expressivité : « éliminant ce qui lui paraît sans résonance, amplifiant ce qui lui semble frappant, [elle] aboutira à cette transmutation, à cette recréation : elle s’empare du réel, mais comme d’une matière première et pour lui donner un visage chargé de sens. »

 

Chaque auteur interprète l’imaginaire selon son degré d’attachement ou de détachement du réel. Ce qui confère à la personnalité de chaque œuvre en tant que fantastique ou merveilleuse par exemple. C’est dans ce sens que Gautier (1836)[73] défend les œuvres d’Hoffmann dans leur aspect « merveilleux » plutôt que fantastique. Jean-Paul Richter, qui se trouve être de bon jugement aux dires de Gautier en la matière, conçoit les ouvrages d’Hoffmann à « l’effet d’une chambre noire et que l’on voyait s’y agiter un microcosme vivant et complet. »

 

« Le merveilleux d’Hoffmann n’est pas le merveilleux des contes de fées ; il a toujours un pied dans le monde réel, et l’on ne voit guère chez lui de palais d’escarboucles avec des tourelles de diamant. — Les talismans et les baguettes des Mille et une Nuits ne lui sont d’aucun usage. Les sympathies et les antipathies occultes, les folies singulières, les visions, le magnétisme, les influences mystérieuses et malignes d’un mauvais principe qu’il ne désigne que vaguement, voilà les éléments surnaturels ou extraordinaires qu’emploie habituellement Hoffmann. C’est le positif et le plausible du fantastique ; et, à vrai dire, les contes d’Hoffmann devraient plutôt être appelés contes capricieux ou fantasques, que contes fantastiques. »

 

Le succès d’Hoffmann juge bon de s’en tenir à son parcours pour illustrer le récit de l’imaginaire. Faut-il se baser sur son vécu pour trouver d’explication à ce succès :

« La plupart des contes d’Hoffmann n’ont rien de fantastique… ce sont des histoires dont le merveilleux s’explique le plus naturellement du monde, et ces histoires sont assurément les plus belles de toutes celles qui lui font le plus d’honneur. — Hoffmann était un homme qui avait vu du monde et de toutes les sortes ; il avait été directeur de théâtre et il avait longtemps vécu dans l’intimité des comédiens : dans sa vie ambulatoire et agitée, il dut voir et apprendre beaucoup.

Il passa par plusieurs conditions ; il eut de l’argent et n’en eut pas ; il connut l’excès et la privation ; outre l’existence idéale, il eut aussi une existence réelle, il mêla la rêverie à l’action, il mena enfin la vie d’un homme et non celle d’un littérateur. C’est une chose facile à comprendre et qu’on devinerait, si sa vie était inconnue, à la foule de physionomies différentes, évidemment prises sur nature, de réflexions fines et caustiques sur les choses du monde et à la connaissance parfaite des hommes qui éclate à chaque page »

 

Il est également question de sa culture et de sa volonté d’aboutissement :

« . Ses idées sur le théâtre sont d’une singularité et d’une justesse remarquables, et prouvent une grande habitude de la matière ; personne n’a parlé comme lui de la musique avec science et enthousiasme ; ses caractères de musiciens sont des chefs-d’œuvre de naturel et d’originalité ; lui seul, musicien lui-même, pouvait dépeindre si comiquement les souffrances musicales du maître de chapelle Kreisler, car il a un excellent instinct de comédie, et les tribulations de ses héros naïfs provoquent le rire le plus franc. »

 

Il s’agit en outre de son talent de maitre en la matière :

« Nous insistons longtemps sur tous ces côtés humains et ordinaires du talent d’Hoffmann, parce qu’il a malheureusement fait école, et que des imitateurs sans esprit, des imitateurs enfin, ont cru qu’il suffisait d’entasser absurdités sur absurdités et d’écrire au hasard les rêves d’une imagination surexcitée, pour être un conteur fantastique et original ; mais il faut dans la fantaisie la plus folle et la plus déréglée une apparence de raison, un prétexte quelconque, un plan, des caractères et une conduite, sans quoi l’œuvre ne sera qu’un plat verbiage, et les imaginations les plus baroques ne causeront même pas de surprise. — Rien n’est si difficile que de réussir dans un genre où tout est permis, car le lecteur reprend en exigence tout ce qu’il vous accorde en liberté, et ce n’est pas une gloire médiocre pour Hoffmann d’y avoir obtenu un pareil succès avec des lecteurs si peu disposés pour entendre des légendes merveilleuses. »

 

La conception du rêve et de l’imaginaire se défend du point de vue de la psychanalyse par rapport à son interprétation par l’œuvre d’art et dont la musique. En ce sens :

« L’œuvre d’art comme le rêve, n’est pas la traduction claire et univoque d’une réalité qui existerait quelque part indépendamment du texte (…) L’œuvre d’art est, pour une part, la résultante d’un ensemble d’incitations et de résistances qui sont totalement insaisissables mais dont nous pouvons suivre le travail par une démarche interprétative. » (Milner 1997)[74]

 

Entre l’imaginaire et le réel, « Si, généralement, ces deux entités s’excluent, on peut affirmer que l’œuvre ne peut se réaliser pleinement qu’en proportion de son éloignement du réel. C’est cette rupture ou cet éloignement qui lui assure son autonomie, son statut plein d’œuvre d’art et l’affirmation de sa dimension créative. » Cela étant cet éloignement ne signifie pas coupure, « Freud  conçoit l’art comme un lieu de passage ou une étape pour exorciser les contraintes du réel »

 

Ce qui implique que, « le rapport art / réel est à concevoir, non en terme de concurrence, de conflit, mais plutôt en terme de complémentarité, de suppléance. L’objectif majeur de l’imagination est de créer une émotion profonde, ébranler l’âme et susciter des sentiments. Elle opère au niveau de la sensibilité et des sensations. »

 

A cet effet, la musique trouve sa place dans cette intermédiation entre imaginaire et réel. « L’imaginaire, c’est ce monde à part, intime, difficilement accessible, indescriptible propre à l’artiste et qui lui permet d’édifier cet autre univers particulier qu’est l’œuvre (la musique). L’artiste passe par l’imaginaire pour créer un monde de signes et de symboles où lui- même y trouve place. »

 

Si l’on se réfère à l’œuvre de Maupassant, lettre d’un fou, il tente de décrire une perception qui manque au sens palpable et visuel de l’homme. Son questionnement par d’une citation de Montesquieu :

« Un organe de plus ou de moins dans notre machine nous aurait fait une autre intelligence. Enfin toutes les lois établies sur ce que notre machine est d’une certaine façon seraient différentes si notre machine n’était pas de cette façon. »

 

Ce qui s’est révélé problématique à ses capacités de perception :

« Si nous avions quelques organes de moins, nous ignorerions d’admirables et singulières choses, mais si nous avions quelques organes de plus, nous découvririons autour de nous une infinité d’autres choses que nous ne soupçonnerons jamais faute de moyen de les constater. »

« Et, dans cette glace, je commence à voir des images folles, des monstres, des cadavres hideux, toutes sortes de bêtes effroyables, d’êtres atroces, toutes les visions invraisemblables qui doivent hanter l’esprit des fous. »

Ce point de vue confirme à ce propos la nécessité de recours à la musique afin d’éveiller ou cultiver d’autres sens de perception pour donner à l’homme une maitrise de son univers.

« En effet, nos organes sont les seuls intermédiaires entre le monde extérieur et nous. C’est-à-dire que l’être intérieur, qui constitue le moi, se trouve en contact, au moyen de quelques filets nerveux, avec l’être extérieur qui constitue le monde. Or, outre que cet être extérieur nous échappe par ses proportions, sa durée, ses propriétés innombrables et impénétrables, ses origines, son avenir ou ses fins, ses formes lointaines et ses manifestations infinies, nos organes ne nous fournissent encore sur la parcelle de lui que nous pouvons connaître que des renseignements aussi incertains que peu nombreux. Incertains, parce que ce sont uniquement les propriétés de nos organes qui déterminent pour nous les propriétés apparentes de la matière. Peu nombreux, parce que nos sens n’étant qu’au nombre de cinq, le champ de leurs investigations et la nature de leurs révélations se trouvent fort restreints. »

 

Section 2. LE REFERENT MUSICAL, SIMPLE ELEMENT OU VERITABLE OPERA FANTASTIQUE

 

L’analyse dans cette section se rapporte à celle de Reibel (2009) par rapport à sa proposition d’étude sur « comment la musique est devenue fantastique ». L’acheminement de la musique vers sa posture d’œuvre fantastique s’est réalisé au moyen de son parcours avec les auteurs et compositeurs de musique romantique.

 

L’analyse de Picard[75] avance une « musicalisation » du roman selon trois principales inclinations : logogène, mélogène, méloforme. « Logogène désigne le dicours positif, descriptif, philosophique, et technique que le roman tient sur la musique. Mélogène renvoie à l’opération qui tend à la production de musique verbale par désématisation. Méloforme se réfère à la fiction narrative idéalement musicale dans laquelle l’enjeu crucial est la forme. » Déjà à ces premières précisions, la musique ne peut être retenue sur un descriptif de « simple élément ». La musique tient un rapport de prédominance avec le récit.

 

L’inclination logogène constitue l’illustre tradition romanesque du XIXe siècle, mais elle ne révèle pas une quelconque conception de l’idéalité musicale ni de l’intersémioticité entre musique et littérature. Cela étant, « le type de discours tenu sur la musique et les modalités de verbalisation de la musique laissent transparaitre cet imaginaire musical. »

 

L’inclination mélogène suppose une tendance au dépassement du cadre de référence musicale explicite pour aller au terme logique de la fascination musicale qui est d’accomplir l’idéal de musicalisation de la langue dans la langue elle-même. Ce contexte émancipe la littérature de la nécessité d’implication de la musique. Aux termes de Mallarmé, « la littérature a repris son bien à la musique et parfois elle s’est retournée contre elle. »

 

L’inclination méloforme suppose que l’évocation musicale n’en constitue pas un aboutissement naturel. En ce sens, l’inspiration « méloformelle » induit à la mise en rapport direct avec la référence musicale et à la question de la forme musicale. La présence de références directes à la musique n’empêche pas que la présence d’une scène d’évocation musicale n’est pas en droite ligne logique de l’inclination méloforme dans la mesure où cette dernière a plutôt vocation à engager la structure de l’œuvre que tel ou tel passage de cette œuvre. »

 

L’inclinaison musicale de la littérature se trouve à son âge d’or dans la période du symbolisme. Sounac souligne que l’idéalité musicale sert de modèle d’intelligibilité pour définir les termes du roman. La musique englobe dans cette perspective une place dominante débouchant sur la métaphysique. Ce qui sert de socle aux idéaux romantiques, jusqu’à remettre en cause la domination du langage verbal, et définissant trois aspects du roman : l’autonomie, la réflexivité, la fantaisie.

 

L’inclinaison musicale de chaque œuvre définit la relation que la littérature entretient avec la musique. La fonction de la musique n’est pas figer à un seul objet, elle varie selon l’engagement de l’auteur dans le récit, mais également de son statut par rapport à sa relation avec la musique, en général. Cette fonction peut aller de la simple représentation ou d’accompagnement comme principal objet du récit.

 

L’introduction de la musique se rapporte toujours au texte qu’il accompagne et son choix se réfère au sentiment que le texte se veut mettre en avant. Tel est par exemple le cas, à la lecture des vers écrits par Ligeia, dans l’œuvre de Poe. La musique se joue entre un drame tragique et l’espoir. L’utilisation musicale sert de véhicule au message que l’auteur tente de passer, sert également fond de sentiment que l’auteur tente de susciter via le message. Le choix de la musique renvoie à l’émotion elle même, tant triste que profond. La musique est donc un support, et à la fois le sentiment lui-même.

 

Voyez ! C’est nuit de gala

Depuis ces dernières années désolées !

Une multitude d’anges, ailés, ornés

De voiles, et noyés dans les larmes,

Est assise dans un théâtre, pour voir

Un drame d’espérance et de craintes,

Pendant que l’orchestre soupire par intervalles

La musique des sphères.

 

Des mimes, faits à l’image du Dieu très-haut,

Marmottent et marmonnent tout bas

Et voltigent de côté et d’autre ;

Pauvres poupées qui vont et viennent

Au commandement de vastes êtres sans forme

Qui transportent la scène çà et là,

Secouant de leurs ailes de condor

L’invisible Malheur !

 

Ce drame bigarré ! oh ! à coup sûr,

Il ne sera pas oublié,

Avec son Fantôme éternellement pourchassé

Par une foule qui ne peut pas le saisir,

À travers un cercle qui toujours retourne

Sur lui-même, exactement au même point !

Et beaucoup de Folie, et encore plus de Péché

Et d’Horreur font l’âme de l’intrigue !

 

Mais voyez à travers la cohue des mimes,

Une forme rampante fait sont entrée !

Une chose rouge de sang qui vient en se tordant

De la partie solitaire de la scène !

Elle se tord ! elle se tord ! — Avec des angoisses mortelles

Les mimes deviennent sa pâture,

Et les séraphins sanglotent en voyant les dents du ver

Mâcher des caillots de sang humain.

 

Toutes les lumières s’éteignent, — toutes, toutes !

Et sur chaque forme frissonnante,

Le rideau, vaste drap mortuaire,

Descend avec la violence d’une tempête,

— Et les anges, tous pâles et blêmes,

Se levant et se dévoilant, affirment

Que ce drame est une tragédie qui s’appelle l’Homme,

Et dont le héros est le ver conquérant.

 

Par ailleurs, la référence à la musique renvoie proprement à la description des phénomènes incroyables ou du danger lui-même dans le récit. La musique se rapporte à ne séparation entre ce qui est connu, donc le réel, et celui qui ne l’est pas, et qui rappelle à une situation dangereuse. C’est par exemple le cas du récit de Poe dans sa descente dans le Maelstrom. Poe associe un descriptif du danger et de la terreur par rapport au son que les phénomènes font entendre et sentir. Il est évident que l’imagination allant à l’endroit de la peur amplifie cette perception du danger et qui pèse sa description.

 

« Pendant que le vieux homme parlait, j’eus la perception d’un bruit très-fort et qui allait croissant, comme le mugissement d’un immense troupeau de buffles dans une prairie d’Amérique ; et, au moment même, je vis ce que les marins appellent le caractère clapoteux de la mer se changer rapidement en un courant qui se faisait vers l’est. Pendant que je regardais, ce courant prit une prodigieuse rapidité. Chaque instant ajoutait à sa vitesse, — à son impétuosité déréglée. «

 

« En cinq minutes, toute la mer, jusqu’à Vurrgh, fut fouettée par une indomptable furie ; mais c’était entre Moskoe et la côte que dominait principalement le vacarme. Là, le vaste lit des eaux, sillonné et couturé par mille courants contraires, éclatait soudainement en convulsions frénétiques, — haletant, bouillonnant, sifflant, pirouettant en gigantesques et innombrables tourbillons, et tournoyant et se ruant tout entier vers l’est avec une rapidité qui ne se manifeste que dans des chutes d’eau précipitées. »

 

« Le bruit se fait entendre à plusieurs lieues, et les tourbillons ou tournants creux sont d’une telle étendue et d’une telle profondeur, que, si un navire entre dans la région de son attraction, il est inévitablement absorbé et entraîné au fond, et, là, déchiré en morceaux contre les rochers ; et, quand le courant se relâche, les débris sont rejetés à la surface. Mais ces intervalles de tranquillité n’ont lieu qu’entre le reflux et le flux, par un temps calme, et ne durent qu’un quart d’heure ; puis la violence du courant revient graduellement. »

 

« Moins de deux minutes après, nous sentîmes tout à coup la vague s’apaiser, et nous fûmes enveloppés d’écume. Le bateau fit un brusque demi-tour par bâbord, et partit dans cette nouvelle direction comme la foudre. Au même instant, le rugissement de l’eau se perdit dans une espèce de clameur aiguë, — un son tel que vous pouvez le concevoir en imaginant les soupapes de plusieurs milliers de steamers lâchant à la fois leur vapeur. »

 

En outre, la référence à la musique renvoie également à un contexte merveilleux, cet imaginaire et rêve auquel on s’attache pour se détourner du réel. Ce contexte imaginaire constitue un genre de refuge qui permettrait d’interpréter ou même de faire face au contexte réel. C’est entre autre une manière de vivre autrement le réel, une situation qui nous satisfait au mieux de trouver des explications selon la logique du réel. Gautier par exemple dans « la cafetière », trouve dans l’imaginaire profond de son personnage le moyen de faire revivre la merveilleuse Angéla. Cette allusion renvoie à une interprétation du bonheur lié au rêve et à la seule possibilité imaginaire. Au regret que le vécu exagéré de ce bonheur autrefois l’a fait disparaitre et ne réapparaitre que dans le rêve.

 

« Je vis quelque chose qui m’était échappé : une femme qui ne dansait pas. Elle était assise dans une bergère au coin de la cheminée, et ne paraissait pas le moins du monde prendre part à ce qui se passait autour d’elle. Jamais, même en rêve, rien, d’aussi parfait ne s’était présenté à mes yeux ; une peau d’une blancheur éblouissante, des cheveux d’un blond, cendré, de longs cils et des prunelles bleues, si claires et si transparentes, que je voyais son âme à travers aussi distinctement qu’un caillou au fond d’un ruisseau. Et je sentis que, si jamais il m’arrivait d’aimer quelqu’un, ce serait elle. »

 

« Jamais de la vie je n’avais éprouvé une pareille émotion ; mes nerfs tressaillaient comme des ressorts d’acier, mon sang coulait dans mes artères en torrent de lave, et j’entendais battre mon cœur comme une montre accrochée à mes oreilles. Pourtant cet état n’avait rien de pénible. J’étais inondé d’une joie ineffable et j’aurais toujours voulu demeurer ainsi, et, chose remarquable, quoique l’orchestre eût triplé de vitesse, nous n’avions besoin de faire aucun effort pour le suivre. Les assistants, émerveillés de notre agilité, criaient bravo, et frappaient de toutes leurs forces dans leurs mains, qui ne rendaient aucun son. »

 

« Je ne sais pas combien de temps nous restâmes dans cette position, car tous mes sens étaient absorbés dans la contemplation de cette mystérieuse, et fantastique créature. Je n’avais plus aucune idée de l’heure ni du lieu ; le monde réel n’existait plus pour moi, et tous les liens qui m’y attachent étaient rompus ; mon âme, dégagée de sa prison de boue, nageait dans le vague et l’infini ; je comprenais ce que nul homme ne peut comprendre, les pensées d’Angéla se révélant à moi sans qu’elle eût besoin de parler ; car son âme brillait dans son corps comme une lampe d’albâtre, et les rayons partis de sa poitrine perçaient la mienne de part en part. »

 

« L’alouette chanta, une lueur pâle se joua sur les rideaux. Aussitôt qu’Angéla l’aperçut, elle se leva précipitamment, me fit un geste d’adieu, et, après quelques pas, poussa un cri et tomba de sa hauteur. Saisi d’effroi, je m’élançai pour la relever… Mon sang se fige rien que d’y penser : je ne trouvai rien que la cafetière brisée en mille morceaux. A cette vue, persuadé que j’avais été le jouet de quelque illusion diabolique, une telle frayeur s’empara de moi, que je m’évanouis… ce qui m’avait semblé tout à l’heure une cafetière était bien réellement le profil doux et mélancolique d’Angéla… Je venais de comprendre qu’il n’y avait plus pour moi de bonheur sur la terre ! »

 

 

 

 

Chapitre 6. LES ELEMENTS DU REFERENT MUSICAL

 

L’élément du référent musical se rattache, généralement à l’œuvre qu’il définit ainsi qu’à son époque. De ce fait, dans la période romantique, le référent musical suggère une orientation vers le fantastique. Le phénomène du fantastique peut s’interpréter selon deux point de vue, celui qui retrace l’influence d’Hoffmann déterminant le contexte de la fantaisie à la seule implication des personnages ou événements troublants ; d’un autre côté, on retrouve le point de vue de Nodier et de Gautier qui conserve le sens premier du mot, qui suggère le surnaturel.

 

Section 1. CONCERNE T-IL UNIQUEMENT LE PERSONNEL ROMANESQUE ASSOCIE AUX THEMES TRADITIONNELS DU FANTASTIQUE ?

 

En déduction des analyses précédentes, l’imaginaire et le fantastique constituent des points d’épanouissement de la musique dans la littérature. Cette vision a permis son développement et sa prospérité dans le compte des œuvres d’arts. La relation littérature – musique se réfère à l’ensemble de l’écrit et concerne de ce fait toute œuvre qui recourt à ce critère. Cela étant, le chant et les représentations musicales et théâtrales y adhèrent du fait qu’ils constituent un ensemble verbalisé de la littérature.

 

Aborder le référent musical selon la conception romantique d’Hoffmann revient à cet effet à donner un premier élément de réponse à notre question titre, du moins pour ce qu’il en est de la vision française. Selon les dires de Lelièvre R. (1980)[76] : « sous l’influence d’Hoffmann, la « nouvelle école dramatique française » restreint l’emploi de ce qualificatif aux personnages ou événements troublants, causes d’anxiété. »

 

Certes, l’utilisation du référent musical ne se restreint au seul usage du romantisme ni même celui du récit fantastique. Entre les sept œuvres en question dans cette étude, l’unicité de la typologie tant des œuvres que des auteurs se constitue au moyen d’analyses de fonds et de thèmes et ne se situe pas à l’unanimité au seul aspect fantastique. Comme on a pu le constater dans le chapitre précédent, les œuvres d’Hoffmann se classifieraient plutôt parmi les contes merveilleux que des fantastiques, alors que c’est un des personnages illustres de la période romantique.

 

« Hoffmann est doué d’une finesse d’observation merveilleuse, surtout pour les ridicules du corps ; il saisit très bien le côté plaisant et risible de la forme, il a sous ce rapport de singulières affinités avec Jacques Callot et principalement avec Goya, caricaturiste espagnol trop peu connu, dont l’œuvre à la fois bouffonne et terrible produit les mêmes effets que les récits du conteur allemand. C’est donc à cette réalité dans le fantastique, jointe à une rapidité de narration et à un intérêt habilement soutenu qu’Hoffmann doit la promptitude et la durée de son succès. » (Gautier, 1836).

 

Comme il a été vu dans les chapitres précédents, le mouvement romantique se succède de pays en pays et de période en période, partant de l’Allemagne, il influence le courant littéraire et artistique du XIXe siècle. L’on ne peut nier que c’est dans la période romantique que s’est constitué le premier succès de l’association musique – littérature. Cela étant, les périodes qui ont succédé au romantisme ont su également l’entretenir et ont témoigné de sa notoriété, indépendamment de la typologie du récit.

 

Pour trouver des thèmes communs à ces œuvres, autre que la musique, on peut aborder ce besoin de recourir au souvenir. Il peut s’agir d’événement, de situation ou même de personne chers et qui ont été laissés pour le passé, ce qui justifierait le regret. C’est dans ce sens par exemple que Poe fait allusion à la perte de Ligeia, qui aurait été la perfection incarnée, et pour laquelle il exprime une profonde nostalgie.

 

« Plongé dans des études qui par leur nature sont plus propres que toute autre à amortir les impressions du monde extérieur, — il me suffit de ce mot si doux, — Ligeia ! — pour ramener devant les yeux de ma pensée l’image de celle qui n’est plus. »

 

« Ou peut-être ne puis-je plus maintenant me rappeler ces points, parce qu’en vérité le caractère de ma bien-aimée, sa rare instruction, son genre de beauté, si singulier et si placide, et la pénétrante et subjuguante éloquence de sa profonde parole musicale, ont fait leur chemin dans mon cœur d’une manière si patiente, si constante, si furtive, que je n’y ai pas pris garde et n’en ai pas eu conscience. »

 

« Il n’y a pas de cas parmi les nombreuses et incompréhensibles anomalies de la science psychologique, qui soit plus excitant que celui, — négligé, je crois, dans les écoles, — où, dans nos efforts pour ramener dans notre mémoire une chose oubliée depuis longtemps, nous nous trouvons sur le bord même du souvenir, sans pouvoir toutefois nous souvenir. »

 

Poe fait allusion à la beauté, la perfection d’une femme, qui mourut et regrettée pour illustrer les vertus perdues, et qu’il tente de ressusciter dans son imaginaire profond.

 

« Et puis je retombai dans mes rêves de Ligeia, — et de nouveau — s’étonnera-t-on que je frissonne en écrivant ces lignes ? — de nouveau un sanglot étouffé vint à mon oreille de la région du lit d’ébène. Mais à quoi bon détailler minutieusement les ineffables horreurs de cette nuit ? Raconterai-je combien de fois, coup sur coup, presque jusqu’au petit jour, se répéta ce hideux drame de ressuscitation ; que chaque effrayante rechute se changeait en une mort plus rigide et plus irrémédiable ; que chaque nouvelle agonie ressemblait à une lutte contre quelque invisible adversaire, et que chaque lutte était suivie de je ne sais quelle étrange altération dans la physionomie du corps ? »

 

 

Il peut d’un autre côté s’agir d’un moment éprouvant, et qui a marqué un passage dans la vie qu’il mérite d’être retenu et ne jamais oublié. Toujours dans le sens du récit de Poe, c’est par exemple l’objet de « la descente dans le Maelstrom ».

 

« Il n’y a pas encore bien longtemps, — dit-il à la fin, — je vous aurais guidé par ici aussi bien que le plus jeune de mes fils. Mais, il y a trois ans, il m’est arrivé une aventure plus extraordinaire que n’en essuya jamais un être mortel, ou du moins telle que jamais homme n’y a survécu pour la raconter, et les six mortelles heures que j’ai endurées m’ont brisé le corps et l’âme. Vous me croyez très-vieux, mais je ne le suis pas. Il a suffi du quart d’une journée pour blanchir ces cheveux noirs comme du jais, affaiblir mes membres et détendre mes nerfs au point de trembler après le moindre effort et d’être effrayé par une ombre. »

 

Pareillement dans « Le chevalier Gluck » d’Hoffmann, quand l’étrange compositeur parle de sa retrouvaille avec l’œil divin :

« — Et vous revîtes cet œil divin ? ― Oui, je le revis. Je me retrouvai dans le pays des songes. J’étais dans un vallon ravissant ; et les fleurs y chantaient ensemble. Un tournesol gardait seul le silence, et inclinait tristement vers la terre son calice fermé. Un attrait irrésistible m’entraînait vers lui. ― Il releva sa tête. ― Le calice se rouvrit, et, du milieu de ses feuilles, je vis apparaître l’œil dont les regards étaient tournés vers moi. Alors s’échappèrent de mon front des sons harmonieux qui se répandaient au milieu des fleurs et semblaient les raviver ; elles les aspiraient en frémissant, comme une pluie bienfaisante qui vient après une longue sécheresse. Des vapeurs odorantes s’élevèrent du milieu des fleurs, et me plongèrent dans l’ivresse ; les feuilles du calice s’élevèrent au-dessus de ma tête, et je perdis mes sens. »

 

Par ailleurs, on retrouve également dans chaque œuvre une référence à l’être divin.

 

Dans « le chevalier Gluck », l’étrange compositeur se réfère d’abord au soleil pour faire une illustration qui se tient sur le réel :

« Voyez ce soleil ; c’est le diapason d’où les accords, semblables à des astres, vous plongent et vous enveloppent dans des flots de lumière. Des langes de feu vous environnent, et vous garrottent comme un nouveau-né, jusqu’à ce que Psyché vous dégage et vous entraîne au séjour de l’harmonie… A ces derniers mots, il se dressa sur ses pieds, et leva les yeux vers le ciel. »

 

Ensuite, il fait allusion à l’œil divin :

« Je me réveillai, et je vis un œil vaste et limpide ; qui plongeait son regard dans une orgue ; et chaque fois que son éclatant rayon visuel colorait une des touches, il en sortait des accords magnifiques, tels que je n’en avais jamais ouïs. Des flots de mélodie débordaient de toutes parts, et moi, je nageais délicieusement dans ce frais torrent, qui menaçait de m’engloutir. L’œil se dirigea vers moi, et me soutint à la surface des ondes écumantes.

Les ténèbres revinrent. Alors deux géants, couverts d’armures brillantes, m’apparurent : c’étaient la basse fondamentale et la quinte. Ils m’entraînèrent de nouveau dans l’abîme ; mais l’œil me souriait : Je sais, dit-il, que ton cœur est animé de désirs ; la douce tierce va venir pour toi se placer entre ces deux colosses ; tu entendras sa voix légère, et tu me reverras avec le cortège de mes mélodies. »

 

Les œuvres de Poe parlent également de la manifestation de la puissance de Dieu,

  • tant dans « une descente dans le Maelstrom », en pensant à sa fin le vieil homme se retrouve à penser à cette fin éprouvant et aventureuse que Dieu lui a destinée :

« Je commençai à songer quelle magnifique chose c’était de mourir d’une pareille manière, et combien il était sot à moi de m’occuper d’un aussi vulgaire intérêt que ma conservation individuelle, en face d’une si prodigieuse manifestation de la puissance de Dieu. Je crois que je rougis de honte quand cette idée traversa mon esprit. »

 

  • aussi dans « Ligeia » dans sa lutte contre la mort et dans le conscient de l’auteur en citant Glanvill :

 

« Ô Dieu ! cria presque Ligeia, se dressant sur ses pieds et étendant ses bras vers le ciel dans un mouvement spasmodique, comme je finissais de réciter ces vers, ô Dieu ! ô Père céleste ! — ces choses s’accompliront-elles irrémissiblement ? — Ce conquérant ne sera-t-il jamais vaincu ? — Ne sommes-nous pas une partie et une parcelle de Toi ! Qui donc connaît les mystères de la volonté ainsi que sa vigueur ? L’homme ne cède aux anges et ne se rend entièrement à la mort que par l’infirmité de sa pauvre volonté. Glanvill : L’homme ne cède aux anges et ne se rend entièrement à la mort que par l’infirmité de sa pauvre volonté. »

 

« Je me rappelle fort bien quelque chose dans un volume de Joseph Glanvill, qui, peut-être simplement à cause de sa bizarrerie, — qui sait ? — m’a toujours inspiré le même sentiment : « Et il y a là dedans la volonté qui ne meurt pas. Qui donc connaît les mystères de la volonté, ainsi que sa vigueur ? car Dieu n’est qu’une grande volonté pénétrant toutes choses par l’intensité qui lui est propre ; l’homme ne cède aux anges et ne se rend entièrement à la mort que par l’infirmité de sa pauvre volonté. » »

 

Dans « lettre d’un fou » de Maupassant, cette référence à l’être divin passe par une conception de l’imperceptible par le sens humain, et dont le plus grand mystère reste l’ouïe dans sa perception du son et de la musique.

« L’œil ne peut nous révéler que les objets et les êtres de dimension moyenne, en proportion avec la taille humaine, ce qui nous a amenés à appliquer le mot grand à certaines choses et le mot petit à certaines autres, uniquement parce que sa faiblesse ne lui permet pas de connaître ce qui est trop vaste ou trop menu pour lui. D’où il résulte qu’il ne sait et ne voit presque rien, que l’univers presque entier lui demeure caché, l’étoile qui habite l’espace et l’animalcule qui habite la goutte d’eau. »

 

« La nature est muette. Mais le tympan possède la propriété miraculeuse de nous transmettre sous forme de sens, et de sens différents suivant le nombre des vibrations, tous les frémissements des ondes invisibles de l’espace. Cette métamorphose accomplie par le nerf auditif dans le court trajet de l’oreille au cerveau nous a permis de créer un art étrange, la musique, le plus poétique et le plus précis des arts, vague comme un songe et exact comme l’algèbre. »

 

« Après m’être convaincu que tout ce que me révèlent mes sens n’existe que pour moi tel que je le perçois et serait totalement différent pour un autre être autrement organisé, après en avoir conclu qu’une humanité diversement faite aurait sur le monde, sur la vie, sur tout, des idées absolument opposées aux nôtres, car l’accord des croyances ne résulte que de la similitude des organes humains, et les divergences d’opinions ne proviennent que des légères différences de fonctionnement de nos filets nerveux, j’ai fait un effort de pensée surhumain pour soupçonner l’impénétrable qui m’entoure. »

 

« Je me suis dit : « Je suis enveloppé de choses inconnues. » J’ai supposé l’homme sans oreilles et soupçonnant le son comme nous soupçonnons tant de mystères cachés, l’homme constatant des phénomènes acoustiques dont il ne pourrait déterminer ni la nature, ni la provenance. Et j’ai eu peur de tout, autour de moi, peur de l’air, peur de la nuit. Du moment que nous ne pouvons connaître presque rien, et du moment que tout est sans limites, quel est le reste ? Le vide n’est pas ? Qu’y a-t-il dans le vide apparent ? Et cette terreur confuse du surnaturel qui hante l’homme depuis la naissance du monde est légitime puisque le surnaturel n’est pas autre chose que ce qui nous demeure voilé ! »

 

Dans « le violon de crémone », ce mystère rejoint l’existence associée de deux êtres dont le violon de crémone et Antonie. Antonie représente dans ce constat le chant merveilleux qui accompagne le violon dans son exécution, aussi bien que quand le violon se dévoile de son art, Antonie perçoit en elle cette sensation de vivre, autant quand Antonie décède le violon cesse d’exister et se brise en morceau.

 

« Le conseiller resta devant moi, immobile, les bras croisés sur sa poitrine. Je montrai du doigt la couronne de cyprès. – Lorsqu’elle mourut, dit le conseiller d’une voix affaiblie et solennelle, lorsqu’elle mourut, l’archet de ce violon se brisa avec fracas, et la table d’harmonie tomba en éclat. Cet instrument fidèle ne pouvait exister qu’avec elle ; il est dans sa tombe, enseveli avec elle ! »

 

« Lorsqu’il (Crespel) eut acheté le magnifique violon qu’ i1 ensevelit avec elle (Antonie), il se disposait à le mettre en pièces ; mais Antonie regarda l’instrument avec intérêt, et dit d’un air de tristesse : Celui-là aussi ? – Le conseiller ne pouvait lui-même définir quelle puissance l’empêchait de détruire ce violon et le forçait d’en jouer. A peine en eut-il fait sortir les premiers sons, qu’Antonie s’écria avec joie ! Ah ! je me retrouve … Je chante de nouveau. – En effet les sons argentins de l’instrument semblaient sortir d’une poitrine humaine. »

 

« Crespel fut ému jusqu’au fond de l’âme ; il joua avec plus d’expression que jamais ; et, lorsqu’il détachait des sons tendres et hardis, Antonie battait des mains et s’écriait avec ravissement : Ah ! que j’ai bien fait cela ! – Depuis ce moment, une sérénité extrême se répandit sur sa vie. Souvent elle disait au conseiller : Je voudrais bien chanter quelque chose, mon père ! Crespel détachait le violon de la muraille, et jouait tous les airs d’Antonie ! On la voyait alors s’épanouir de bonheur. »

 

Section 2. S’AGIT-IL DES DIFFERENTS INSTRUMENTS TEXTUELS, SONORES MOBILISES A CET EFFET ?

 

La représentation symbolique de la musique est née de cette nécessité de codifier les repères musicaux afin de la porter à une œuvre authentique. C’est à ce point la logique de construction de la musique qui procède à la formulation musicale appliquée à un instrument ou non. Cela étant cet ensemble textuel et sonore ne constitue que l’élément perceptible de la musique. Son caractère abstrait l’oblige à se soumettre à cette méthode de codification. D’autant plus que l’auditeur ne se renferme pas à cette symbolisme mais s’implique dans ce qu’il perçoit de ces codes, son objet même qui est l’émotion.

 

Dans chaque œuvre littéraire, le contexte du déploiement de la musique dans le récit diffère selon l’orientation de chaque auteur. Il peut s’agir d’une évocation par rapport à l’instrument lui-même, au chant par rapport à la notion de la musique verbale, à l’œuvre musicale elle-même dans le contexte d’un concert ou une représentation musicale. Tout cet ensemble d’idées s’interprète dans les œuvres d’Hoffmann, « Gluck » et « violon de crémone », et dans celle de de Villiers de L’Isle-Adam, « Le secret de l’ancienne musique ».

 

De Villiers  fait référence à l’interprétation de la « nouvelle musique » par un représentant de l’ « ancienne musique ». en effet, le courant de l’histoire de la musique s’est déployé en une transformation de la musique que le maitre virtuose reproche à ce qu’est devenu l’art. « Messieurs, vociféra le digne professeur, j’y renonce! Je n’y comprends rien. On n’écrit pas une ouverture pour un solo! Je ne puis pas jouer! c’est trop difficile. Je proteste! au nom de M. Clapisson! Il n’y a pas de mélodie là-dedans. C’est du charivari! L’Art est perdu! Nous tombons dans le vide. »

 

Ce qui est remarquable dans ce récit est cette antagonisme entre ce que le maitre lui-même tente de communiquer et paraitre à ses auditeurs et cette insistance de l’assemblée à comprendre toute cette agitation du maitre dans sa difficulté d’interprétation de l’œuvre. En effet, son enthousiasme, ses expressions ont été perçu par ses auditeurs comme des plus expressifs véhicules des émotions que cette musique comportait. Alors que le maitre insatisfait se démène à faire ressortir ce qu’est l’art dans cette « nouvelle musique ».

 

Il s’agit de l’exécution d’une opéra française.

« Messieurs, reprit le chef d’orchestre, la France ne saurait prendre sur elle de tronquer, par une exécution défectueuse, la pensée d’un compositeur… à quelque nation qu’il appartienne. – Or, dans les parties d’orchestre spécifiées par l’auteur, figure… un instrument militaire aujourd’hui tombé en désuétude et qui n’a plus de représentant parmi nous; cet instrument, qui fit les délices de nos pères, avait nom jadis: le Chapeau-chinois. Je conclus que la disparition radicale du Chapeau-chinois en France nous oblige à décliner, quoique à regret, l’honneur de cette interprétation. »

 

« Tous les musiciens, assis devant leurs pupitres, attendaient, l’arme au poing. La partition de la Musique-nouvelle n’était plus, maintenant, que d’un intérêt secondaire. Tout à coup, la porte basse donna passage à l’homme d’autrefois: huit heures sonnaient! A l’aspect de ce représentant de l’ancienne-Musique, tous se levèrent, lui rendant hommage comme une sorte de postérité. Le patriarche portait sous son bras, couché dans un humble fourreau de serge, l’instrument des temps passés, qui prenait, de la sorte, les proportions d’un symbole. Traversant les intervalles des pupitres et trouvant, sans hésiter, son chemin, il alla s’asseoir sur sa chaise de jadis, à la gauche de la caisse. Ayant assuré un bonnet de lustrine noire sur sa tête et un abat-jour vert sur ses yeux, il démaillota le chapeau-chinois, et l’ouverture commença. »

 

« Mais, aux premières mesures et dès le premier coup d’œil jeté sur sa partie, la sérénité du vieux virtuose parut s’assombrir; une sueur d’angoisse perla bientôt sur son front. Il se pencha, comme pour mieux lire et, les sourcils contractés, les yeux rivés au manuscrit qu’il feuilleta fiévreusement, à peine respirait-il!…Ce que lisait le vieillard était donc bien extraordinaire, pour qu’il se troublât de la sorte?… »

 

« En effet! – Le maître allemand, par une jalousie tudesque, s’était complu, avec une âpreté germaine, une malignité rancunière, à hérisser la partie du Chapeau-chinois de difficultés presque insurmontables! Elles s’y succédaient, pressées! ingénieuses! soudaines! C’était un défi! – Qu’on juge: cette partie ne se composait, exclusivement, que de silences. Or, même pour les personnes qui ne sont pas du métier, qu’y a-t-il de plus difficile à exécuter que le silence pour le Chapeau-chinois?… Et c’était un CRESCENDO de silences que devait exécuter le vieil artiste! »

 

« Il se roidit à cette vue; un mouvement fiévreux lui échappa!… Mais rien, dans son instrument, ne trahit les sentiments, ne trahit les sentiments qui l’agitaient. Pas une clochette ne remua. Pas un grelot! Pas un fifrelin ne bougea. On sentait qu’il le possédait à fond. C’était bien un maître, lui aussi! Il joua. Sans broncher! Avec une maîtrise, une sûreté, un brio, qui frappèrent d’admiration tout l’orchestre. Son exécution, toujours sobre, mais pleine de nuances, était d’un style si châtié, d’un rendu si pur, que, chose étrange! il semblait, par moments, qu’on l’entendait! »

 

« Les bravos allaient éclater de toutes parts quand une fureur inspirée s’alluma dans l’âme classique du vieux virtuose. Les yeux pleins d’éclairs et agitant avec fracas son instrument vengeur qui sembla comme un démon suspendu sur l’orchestre:

– Messieurs, vociféra le digne professeur, j’y renonce! Je n’y comprends rien. On n’écrit pas une ouverture pour un solo! Je ne puis pas jouer! c’est trop difficile. Je proteste! au nom de M. Clapisson! Il n’y a pas de mélodie là-dedans. C’est du charivari! L’Art est perdu! Nous tombons dans le vide. »

 

Une autre interprétation de cette insertion de la musique se rapporte à « Gluck » d’Hoffmann. L’œuvre parle du célèbre personnage de Gluck, l’auteur – compositeur, censé décédé dans le courant de l’année 1787 mais réanimé dans ce souvenir de 1809. Cela étant, ce récit fait état de critique des interprétations des œuvres musicales de Gluck lui-même, parcourant les représentations théâtrales de cette époque, se révélant insatisfaisantes et déformées de toute leur originalité. Et dans quel récit le chevalier Gluck se veut être le défenseur de cet art en se révélant devant son interlocuteur qu’il rencontre par hasard chez Weber, en tant que tel.

 

« Ah ! comment serait-il possible d’indiquer seulement les mille manières dont on arrive à composer ? C’est une large route, où la foule se presse, en s’agitant et en criant : Nous sommes élus ! nous sommes au but ! »

 

« On arrive par une porte d’ivoire dans le royaume des rêveries. Il est peu d’hommes qui aient vu cette porte une seule fois ; il en est moins encore qui l’aient franchie ! ― Là tout est merveilleux ; de folles images flottent ça et là ; il en est de sublimes ; mais on ne les trouve qu’au-delà des portes d’ivoire. Il est encore plus difficile de sortir de cet empire. On y vogue, on y tourne, on y tourbillonne. Beaucoup de ces voyageurs oublient leur rêve dans le pays des rêves ; ils deviennent eux-mêmes des ombres au milieu de tous ces brouillards. Quelques-uns s’éveillent et sentent ; ils s’élèvent, et gravissent ces cimes mobiles : enfin ils arrivent à la vérité !

Le moment est venu ; ils touchent à ce qui est éternel, à ce qui est indicible ! Voyez ce soleil ; c’est le diapason d’où les accords, semblables à des astres, vous plongent et vous enveloppent dans des flots de lumière. Des langes de feu vous environnent, et vous garrottent comme un nouveau-né, jusqu’à ce que Psyché vous dégage et vous entraîne au séjour de l’harmonie. »

 

Le récit fait allusion à la création de la musique tel un lourd processus qui pèse dur l’auteur, puisqu’il est question de transcrire ce qui la façonne. Il s’agit d’un mélange de sentiments, d’émotions qui fait pression sur le compositeur pour les exprimer en matière perceptible par l’homme et donc obtenir une œuvre d’art. le récit de Gluck précise d’autant plus qu’il s’agit d’un fruit de l’imaginaire et du rêve.

 

« — Quand je pénétrai dans ce vaste champ, j’étais poursuivi par mille anxiétés, par mille douleurs. Il était nuit, et des masques grimaçants venaient m’effrayer et s’accroupir autour de moi ; des spectres m’entraînaient jusqu’au fond des mers, et du même trait, me ramenaient dans les plaines lumineuses du ciel. Tout redevenait ténèbres, et des éclairs perçaient la nuit, et ces éclairs étaient des tons d’une pureté admirable, qui me berçaient doucement.

― Je me réveillai, et je vis un œil vaste et limpide ; qui plongeait son regard dans une orgue ; et chaque fois que son éclatant rayon visuel colorait une des touches, il en sortait des accords magnifiques, tels que je n’en avais jamais ouïs. Des flots de mélodie débordaient de toutes parts, et moi, je nageais délicieusement dans ce frais torrent, qui menaçait de m’engloutir. L’œil se dirigea vers moi, et me soutint à la surface des ondes écumantes.

Les ténèbres revinrent. Alors deux géants, couverts d’armures brillantes, m’apparurent : c’étaient la basse fondamentale et la quinte. Ils m’entraînèrent de nouveau dans l’abîme ; mais l’œil me souriait : Je sais, dit-il, que ton cœur est animé de désirs ; la douce tierce va venir pour toi se placer entre ces deux colosses ; tu entendras sa voix légère, et tu me reverras avec le cortège de mes mélodies. »

 

Le chevalier Gluck à la fin de sa première interprétation  révèle son triste sort, se mettant au regret de la perte d’autonomie et d’originalité des œuvres aux pitoyables interprétations des profanes :

« Tout ceci, monsieur, je l’ai écrit en revenant du pays des rêves. Mais j’ai découvert à des profanes ce qui est sacré, et une main de glace s’est glissée dans ce cœur brûlant. Il ne s’est pas brisé ; seulement j’ai été condamné à errer parmi les profanes, comme un esprit banni, sans forme, pour que personne ne me connaisse, jusqu’à ce que l’œil m’élève jusqu’à lui, sur son regard… »

 

« Et il se mit à chanter la dernière scène d’Armide avec une expression qui pénétra jusqu’au fond de mon âme. Mais il s’éloigna sensiblement de la version originale : sa musique était la scène de Gluck, dans un plus haut degré de puissance. Tout ce que la haine, l’amour, le désespoir, la rage, peuvent produire d’expressions fortes et animées, il le rendit dans toutes ses gradations. Sa voix semblait celle d’un jeune homme, et des cordes les plus basses elle s’élevait aux notes les plus éclatantes. Toutes mes fibres vibraient sous ses accords ; j’étais hors de moi. »

 

Enfin, toujours dans les œuvres d’Hoffmann, l’on retrouve le « violon de crémone ». Ce récit fait intervenir à la fois la musique et son interprétation au moyen du chant. Si l’on se base sur l’histoire de Crespel et Angela leur relation s’interprèterait comme l’association de deux arts. Ils sont amenés à faire un chemin ensemble et leur indépendance prédomine de façon à ne pouvoir se laisser absorber ni l’un ni l’autre. Tant leur séparation donne vie à chacun, et les améliore même, tout en gardant cet emprunt à l’un et l’autre.

 

Cette interprétation rejoint l’idée de la difficulté rencontrée à l’association de ces deux phénomènes que sont la littérature et la musique. Bien que, tous les deux rejoints, on est alors devant une mise avant d’une œuvre d’art la plus remplie de par sa plénitude de sens et de contenu d’émotions. La musique dans ce récit constitue l’essence même du récit, puisque chaque tournant de l’histoire se réfère à la musique. Partant de la rencontre entre Angela et Crespel jusqu’à la mort d’Antonie.

 

Le récit parle d’instruments de musique : le violon.

« …et il étala devant moi son trésor de violons. Une douzaine de ces instruments était appendue dans son cabinet. J’en remarquai un portant les traces d’une haute antiquité, et fort richement sculpté. Il était suspendu au-dessus des autres, et une couronne de fleurs, dont il était surmonté, semblait le désigner comme le roi des instruments. »

 

Chaque instrument est doté d’une particularité :

« Ce violon, me dit Crespel, est un morceau merveilleux d’un artiste inconnu, qui vivait sans doute du temps de Tartini. Je suis convaincu qu’il y a dans sa construction intérieure quelque chose de particulier, et qu’un secret, que je poursuis depuis longtemps, se dévoilera à mes yeux, lorsque je démonterai cet instrument. Riez de ma faiblesse si vous voulez ; mais cet objet inanimé à qui je donne, quand je le veux, la vie et la parole, me parle souvent d’une façon merveilleuse, et lorsque j’en jouai pour la première fois, il me sembla que je n’étais que le magnétiseur qui excite le somnambule, et l’aide à révéler ses sensations cachées… »

 

La musique sert de support au sentiment, l’éveille et l’accompagne :

« Je suis content aujourd’hui de ne pas l’avoir fait (détruit) ; car, depuis qu’Antonie est ici, je joue quelquefois de ce violon devant elle. Antonie l’écoute, avec plaisir, avec trop de plaisir ! »

« Les obstacles que m’opposait le conseiller augmentaient l’envie que j’avais de les surmonter, et j’éprouvais le plus violent désir d’entendre le chant d’Antonie, dont mes songes étaient remplis. »

« Je parvins à l’enflammer en lui parlant de la vraie manière de diriger son instrument. Les grands et véritables maîtres du chant que cita Crespel, m’amenèrent à faire la critique de la méthode de chant, qui consiste à se former d’après les effets d’instrument. Quoi de plus absurde ! m’écriai-je en m’élançant de ma chaise vers le piano que j’ouvris spontanément, quoi de plus absurde que cette méthode qui semble verser les sons un à un sur la terre ! Je chantai alors quelques morceaux qui confirmaient mon dire, et je les accompagnai d’accords plaqués. Crespel riait aux éclats et s’écriait : – Oh ! oh ! il me semble que j’entends nos Allemands italianisés chantant du Puccita ou du Portogallo ! »

 

 

 

 

 

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[1] Boulanger J., 2004, Cégep du Vieux Montréal, http://www.cvm.qc.ca/encephi/Syllabus/Litterature/19e/Fantastique.htm

[2] Castex, 1951, Le conte fantastique en France de Nodier à Maupassant, José Corti, p.8.

[3] Carroll Lewis, 1865, Alice au pays des merveilles, Gallimard, 374p.

[4] Boulanger J., 2004, Cégep du Vieux Montréal, http://www.cvm.qc.ca/encephi/Syllabus/Litterature/19e/Fantastique.htm

[5] Tack Lieven, 1998, L’objet musico-littéraire : pour une analyse théorique de l’interférence, Revue belge de philologie et d’histoire. Tome 76 fasc. 3, Langues et littératures modernes – Moderne taal- en letterkunde, p. 763-791.

[6] Cupers Jean-Louis, 1979, «Études Comparatives: les approches musico-littéraires. Essai de réflexion méthodologique», Vermeylen (A.), éd. La littérature et les autres arts, Paris: Les Belles Lettres, Publications de l’Institut de Littératurede l’U.CL, p. 63-103.

[7] Gier Albert, Gruber Gerold W, 1995, Hrsg. Musik und Literatur. Komparatistische Studien zur Strukturverwandschaft Frankfurt am Main, etc.: Peter Lang.

[8] Backès Jean-Louis, 1994, Musique et Littérature. Essai de Poétique comparée Paris, PUF, p. 18).

[9] Warszawski Jean-Marc, 2005, À propos de la « fonction » de la musique, Conférence au FAI-AR, Marseille.

[10] Une définition donnée par  du madrigalisme ou figuralisme, Warszawski Jean-Marc, 2005, À propos de la « fonction » de la musique, Conférence au FAI-AR, Marseille.

[11] Harbison H.M.,1965, Le roman contemporain et la musique moderne, The French Review, p.441.

[12] Picard Timothée, 2008, « Indicible et fantastique », L’indicible dans les œuvres fantastique et de science-fiction, Michel Houdiard, http://www.fabula.org/revue/document5085.php.

[13] Picard Timothée, 2008, « Indicible et fantastique », L’indicible dans les œuvres fantastique et de science-fiction, Michel Houdiard, http://www.fabula.org/revue/document5085.php.

[14] Schneider Mathieu, 2005, Destins croisés : du rapport entre musique et littérature dans les œuvres symphoniques de Gustav Mahler et Richard Strauss, GORZ, 610 p.

[15] Dahlhaus C., 1978, Die Idee der absoluten Musik, Kassel : Bäremeiter, 152p.

[16] Adorno W. Theodor, Philosophie de la nouvelle musique. « TEL », Gallimard, Paris 1962.

[17] Descartes René, 1668, Abrégé de musique (traduit du latin par le père Poisson). Charles Angot, Paris, p.53, 58.

[18] Jankélévitch Vladimir, Fauré et l’inexprimable. « De la musique au silence », Plon, Paris 1974. p. 363-364

[19] Jankélévitch Vladimir, Fauré et l’inexprimable. « De la musique au silence », Plon, Paris 1974. p. 363-364.

[20] Courants littéraires, Le romantisme, XIXe siècle, http://www.espacefrancais.com/romantisme.html.

[21] Douglas Kelly, Frederick Burwick, Jürgen Klein, The Romantic Imagination Literature and Art in England and Germany, 1996, p.122.

[22] Roger Ayrault, La genèse du romantisme allemand Tomes 1. et 2.: Situation spirituelle de l’Allemagne dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, Paris, Aubier – Éditions Montaigne, 1961.

[23] http://expositions.bnf.fr/berlioz/dossier/musical.htm

[24] http://expositions.bnf.fr/berlioz/dossier/musical.htm

[25] http://expositions.bnf.fr/berlioz/dossier/musical.htm

[26] Lelièvre Stéphane, 2009, E :T :A Hoffmann, Centre de recherche en littérature comparée, http://www.crlc.paris-sorbonne.fr/index.php/Recherche/Axes-de-recherche/Poetiques-comparees/Litterature-et-musique/E.T.A-Hoffmann.

[27] http://www.ac-grenoble.fr/disciplines/lettres/podcast/sequences/romantisme/Site/Podcast/2B71C5F6-8682-4933-9F6C-BED180A817FA.html

[28] Jean-Louis Vaudoyer, La Revue Hebdomadaire, 2 septembre 1911. Cité par Achem (pseudonyme), dans la « Revue des revues », Le Divan, 1911, p. 298

[29] http://www.usa-decouverte.com/culture/litterature/romantisme.html

[30] http://www.usa-decouverte.com/culture/litterature/romantisme.html

[31] http://www.er.uqam.ca/nobel/m240321/poe_romantisme.html

[32] Eyot Yves, Genèse des phénomènes esthétiques. « terrains », Éditions Sociales, Paris 1978.

[33] Gil de Zamora (v 1240-v. 1318),  Ars Musica. Ms. H. 29, Biblioteca Vaticana, Archives de Saint Pierre, XIVe siècle, f. 1-43 ; Ms. A 31 (olim Cod. 51), Civico Museo Bibliografico Musicale Bologne, XVIIIe siècle, f. 1-44 ;  dans Gerbert Martin, « Scriptores ecclesiastici de musica sacra potissimum » (3 v.), St. Blasien 1784  (réédition, Olms, Hildesheim, 1963), (II), p. 370-393 ; dans Robert-Tissot M., «Johannes Aegidius de Zamora: Ars Musica»,  «Corpus Scriptorum de Musica» (20) American Institute of Musicology 1974.

[34] Le raisonnement de Warszawski se base sur un rassemblement de propos d’une conférence donnée au centre de Formation Avancée et Itinérante des Arts de la Rue (FAI-AR), à Marseille, le 25 août 2005.

[35] Alain Patrick Olivier, 2010, La fonction fabulatrice de la musique, http://www.raison-publique.fr/article180.html.

[36] Le wagnérisme est un système inventé par Richard Wagner (1813 – 1883), caractérisé notamment par des sources d’inspiration mythique et une grande fusion entre les textes et la musique.

[37] Expression utilisée par Batalha pour trouver l’origine historique du mouvement romantique. Batalha, La fiction fantastique: une littérature de la crise ou la crise de la littérature.

[38] Nadeau A., 2005, Une passerelle entre le réel et l’imaginaire : l’univers musical dans les Chroniques du plateau Mont-Royal et L’oratorio de Noël de Göran Tunström, PUQ, 148 p.

[39] Backès Jean-Louis, Coste Claude, Pistone Danièle, 2001, Littérature et musique dans la France contemporaine, Actes du colloque des 20-22 mars 2000 en Sorbonne, Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, p. 6.

[40] Guertin Ghyslaine, 1997, « Du plaisir de la musique : sens et non-sens. Michel-Paul Guy de Chabanon (1730-1792) », Protée, vol. 25, no.2, p. 38.

[41] Cupers Jean-Louis, 1981, in Nadeau A., 2005, Une passerelle entre le réel et l’imaginaire : l’univers musical dans les Chroniques du plateau Mont-Royal et L’oratorio de Noël de Göran Tunström, PUQ, 148 p.

[42] Smoje Dujka, 2009, Le roman actuel à la recherche de sa musique, Québec français, n° 152, p. 37-43. http://id.erudit.org/iderudit/44184ac.

[43] Dukas Paul, 1911, revue Musica, réponse à l’enquête de Fernand Divoire : « Sous la musique, que faut-il mettre ? […] »

[44] Debussy Claude, 1971, 1987, Monsieur Croche et autres écrits, Paris, Gallimard, « L’Imaginaire », p. 206-207.

[45] De Schloezer Boris, 1947, 1979, Introduction à J.-S. Bach. Essai d’esthétique musicale, Paris, Gallimard,  p. 262.

[46] Ruwet Nicolas, 1972, Fonctions de la parole dans la musique vocale », dans Langage, musique, poésie, Paris, Le Seuil, « Poétique », p. 53

[47] Gribenski Michel, 2004, Littérature et Musique, Quelques aspects de leurs relations, Labyrinthe.

[48] Calvin S. Brown,1991, Sur la question de la narrativité dans la musique, voir Carolyn Abbate, Unsung Voices, Princeton, Princeton University Press.

[49] Gollut, Jean-Daniel, Conter les rêves. La narration de l’expérience onirique dans les oeuvres de la modernité, Paris, José Corti, 1993, 477 p.

[50] Michel Dupuis et Albert Mingelgrün, « Pour une poétique du réalisme magique », Jean Weisgerber], Le réalisme magique. Roman, peinture, cinéma, Lausanne, L’Âge d’homme, coll. « Cahiers des avant-gardes », 1987, p. 228.

[51] Catherine Clément, « Le lieu de la musique », Raymond Bellour et Catherine Clément, Claude Lévi-Strauss, Paris, Gallimard, 1979, p. 417-418.

[52] Imberty Michel, 2001, De l’écoute à l’œuvre: études interdisciplinaires: actes du colloque tenu en Sorbonne les 19 et 20 février 1999, Harmattan, 156 p.

[53] Nattiez, J.-J., 1989, Reflections on the development of musical semiology, Musical Analysis.

[54] In Imberty Michel, 2001, De l’écoute à l’œuvre: études interdisciplinaires: actes du colloque tenu en Sorbonne les 19 et 20 février 1999, Harmattan, p. 140.

[55] Scher Steven Paul, 1968, Verbal Music in German Literature, New Haven, Yale University Press, p. 8

[56] Biget Michelle, 1987, Le désir des lointains ou les écritures musicales de l’ailleurs, Romantisme, n°57. p. 101-114.

[57] Reibel Emmanuel, 2009, Comment la musique est devenue fantastique: la naissance d’une catégorie esthétique en France autour de 1830, Revue Silène. Centre de recherches en littérature et poétique comparées de Paris Ouest-Nanterre-La Défense, http://www.revue-silene.com/f/index.php?sp=liv&livre_id=126.

[58] http://membres.multimania.fr/delacroixmelancolie/newpage11.html

[59] Escal Françoise, Imberty Michel, 1997, La musique au regard des sciences humaines et des sciences sociales: actes du colloque : Maison des sciences de l’homme, Paris, 10 et 11 février 1994, Volume 1, p. 15 – 17.

[60] Jappy, T., 1996,  Signe iconique et tropologie visuelle, Protée, vol. 24, no 1 (printemps), 55-62 ;

[61] Brisson Irène, in Mèlançon Joseph, 1992, Les Métaphores de la culture, Presse Universitaire de Laval, p. 85 – 192.

[62] Stefanović Ana, 2006, La musique comme métaphore: la relation de la musique et du texte dans l’opéra baroque français, de Lully à Rameau, L’Harmattan. P. 83 – 158

[63] Nietzsche, 1871, on music and words, traduction par Walter Kaufmann, 1980, in Dahlhaus, Between Romanticism and Modernism, UCP.

[64] Darsel Sandrine, 2010,De la musique aux émotions, Presse Universitaire de Rennes, www.pur-editions.fr.

[65] Harmat Andrée-Marie, 2009, Formes musicales et formes littéraires. Réflexions sur le dispositif esthétique musical au service de la représentation littéraire, Journée d’étude « Littérature et musique », http://www.fabula.org/colloques/document1267.php.

[66] Souriau Etienne, 1969, La correspondance des arts, éléments d’esthétique comparée, Paris : Flammarion.

[67] Nicolas Ruwet, « Quelques remarques sur le rôle de la répétition dans la syntaxe musicale », in Langage, musique, poésie, Paris : Le Seuil, 1972, pp. 135-148.

[68] Rami Meryème, L’imaginaire, mars 2010,

http://www.e-litterature.net/publier2/spip/spip.php?page=article5&id_article=906

[69] Quinsat, 1990, « La création littéraire. L’imaginaire et l’écriture », in Encyclopaedia Universalis, Symposium, Les enjeux,  p. 401.

[70] Scitivaux (de), 1997, Lexique de psychanalyse, Paris, Seuil, coll. Memo, p. 43.

[71] Durand, 1992, Les Structures anthropologiques de l’imaginaire, Paris, Dunod, p. 26, 31.

[72] Huygue, 1985, Sens et destin de l’art. De l’art gothique au XX° siècle, Paris, Flammarion, p. 200.

[73] Gautier Théophile, 1836, Le contes d’Hoffmann, Le Chroniques de Paris.

[74] Milner, 1997, Freud et l’interprétation de la littérature, Paris, éd. Sedes, p. 49.

[75] Picard, L’évocation musicale, in Locatelli A., Landerouin Y, 2008., Musique et roman, Le Manuscrit, p. 23 – 40.

[76] Lelièvre Renée, 1980, Fantastique et surnaturel au théâtre à l’époque romantique, Cahiers de l’Association internationale des études françaises, N°32. pp. 193-204.

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