La cuisine de rue est-elle un moyen de reconquérir (réactiver) nos rues ?
Voici l’ensemble des éléments que je suis tenues de rédiger pour votre mémoire. J’ai intégré quelques éléments de plus pour tenir compte des remarques formulées par votre professeur. Vous n’avez plus qu’à intégrer les éléments que vous avez rédigés vous-mêmes, ainsi que les iconographies.
Je vous souhaite bon courage pour toute la suite de votre mémoire, surtout pour la soutenance.
Cordialement.
Thème : La cuisine de rue, l’urbanisme et la sociologie
Problématique : La cuisine de rue est-elle un moyen de reconquérir (réactiver) nos rues ?
Questionnements :
- Comment la cuisine de rue s’inscrire/se déploie elle dans l’espace public ?
- Les cuisines de rues sont-elles susceptible de contribuer à la réactivation de l’espace public et à de nouvelles formes de sociabilité ?
- Dans ce cas, peut-elle être un outil stratégique pour l’architecte ?
Plan
Partie 1. La cuisine de rue et l’espace public
1.1. Analyse conceptuelle et historique de l’espace public
1.1.1. Espace public et espaces publics
1.2. Analyse culturelle de la cuisine de rue dans le monde
1.2.1. Cuisine et alimentation du monde contemporain
1.2.2. Cuisine de rue dans le monde
1.2.3. Cuisine de rue en France
1.3.1. Un besoin de réactivation des espaces publics ?
1.3.2. Regain d’intérêt pour la cuisine de rue : une opportunité
Partie 2. Paris et la cuisine de rue
2.1. Les contraintes associées à la cuisine de rue
2.1.1. Contraintes spécifiques de réalisation
2.1.2. Cuisine de rue : dans un paradoxe de réglementation ?
2.2. Voyage au cœur de la cuisine de rue parisienne : étude de cas
2.2.1. Présentation de quelques dispositifs existants
2.3.1. Comment la cuisine de rue s’adapte-t-elle à l’espace urbain
2.3.1.2. Adaptation temporelle
2.3.2. Intégration économique et politique de la cuisine de rue
Partie 3. La cuisine de rue et l’architecte
3.1. Une manière de faire autrement
3.1.1. Philosophie de vie/ville
3.1.2. Revendication – Politique de la ville
3.2. Voyage au cœur de la cuisine de rue innovante parisienne : étude de cas
3.3.1. Perspective sociologique
Introduction
La question gastronomique, étant donnée sa forte intégration dans une culture donnée, est systématiquement mise en avant lorsqu’il s’agit de promouvoir une localité, une ville, un pays. Dans la plupart des grandes villes d’Europe occidentale, par exemple, les opérateurs du secteur de restauration se trouvent pratiquement toujours en première loge pour servir de vitrine de la culture locale. Dans ces grands pays industrialisés, il est possible de dire que la « cuisine intérieure » est la règle et la « cuisine extérieur » est en quelque sorte une simple extension de la première. Néanmoins, ces dernières années, une tendance semble bouleverser le contexte du secteur de la restauration : l’investissement de quelques véhicules faisant office de « cuisine de rue » des espaces publics, en citant par exemple le cas de la Capitale française. Il faut tout de même dire que cette tendance a un peu « la flemme » s’il faut comparer cette réalité à celle d’autres grandes villes d’Europe, d’Amérique du Nord, notamment en Asie et en Afrique. Ainsi, en 2014, les rues parisiennes n’ont été investies que par une quarantaine (au total) de « Food Trucks », des dispositifs qui ne sont pas tellement au goût de la mairie de la ville parmi les plus visitées au monde par les touristes.
Pourtant, la France laisse apparaitre à travers son histoire des traces nettes de l’existence manifeste et significative des activités de cuisine de rue[1]. Plusieurs questionnements se posent alors pertinemment : Quels sont les caractéristiques de la cuisine de rue, et en quoi elles apporteraient des avantages pour la ville de sorte à convaincre les autorités publiques à favoriser ces activités dans les espaces publics français ? Quelles sont les leçons à prendre des cuisines de rue dans les autres pays où ces pratiques sont largement développées ? Quelles pourraient être les influences qu’ont les Street Food envers les espaces publics en considérant un certain scepticisme du public vis-à-vis de ces lieux ? Est-ce que la cuisine de rue a un rôle à jouer dans le contexte d’un manque, voire absence de participation des habitants dans la conception et la mise en œuvre des projets urbains dans le cadre de la politique de la ville ? Comment les architectes pourraient-ils s’inspirer de certaines caractéristiques des dispositifs de cuisine de rue, en tant que monument provisoire, pour faire autrement dans les projets urbains afin de permettre aux citoyens de la ville de s’approprier davantage des travaux issus de ces projets ?
Ces différents questionnements mettent en évidence la pertinence d’étudier la cuisine de rue en tant que phénomène pouvant impacter considérablement l’environnement dans des grandes villes telles que Paris, par exemple. C’est dans cet ordre d’idées que la problématique d’actualité suivante s’énonce comme suit : « La cuisine de rue est-elle un moyen de reconquérir (réactiver) nos rues ? ». Cela suppose de s’intéresser, entre autres, à la réalité de ces « rues », de ces espaces publics, et la pertinence de leur réactivation.
Pour répondre à cette question centrale, la présente étude a été réalisée en trois étapes, correspondant à trois grandes parties de ce document :
- Dans la première partie, il convient d’appréhender les concepts centraux de cette recherche, dont celui de l’espace public et celui de cuisine de rue. Il y a lieu également de s’interroger sur l’intérêt de réactiver les espaces publics et le rôle de la cuisine de rue dans ce contexte.
- Dans la deuxième partie, il s’agit de se focaliser sur une étude de cas : la cuisine de rue dans la ville de Paris.
- Dans la troisième partie, il importe de s’intéresser sur les implications essentiellement architecturales de la cuisine de rue et ses dispositifs en tant que monuments temporaires.
Partie 1. La cuisine de rue et l’espace public
Cette première partie cherche à appréhender le cadre général de l’étude. Pour cela, les deux premières sections se focalisent sur les deux concepts centraux de cette recherche, à savoir, « l’espace public » et la « cuisine de rue ». Aussi, en insistant sur l’importance de la réactivation des espaces publics, il est question d’établir la pertinence du recours à la cuisine de rue pour permettre cette réactivation nécessaire (dans la troisième section).
1.1. Analyse conceptuelle et historique de l’espace public
L’ouvrage de Paquot (2009), L’espace public, offre un cadre d’analyse intéressant et plus complet pour l’appréhension du concept « d’espace public » dans sa dualité. Le même auteur décrit aussi une analyse historique de ce concept pour mieux comprendre les différentes formes que prend ce dernier.
1.1.1.Espace public et espaces publics
Paquot (2009) a voulu insister sur le double sens concernant le concept « d’espace public ». L’auteur semble, par-là, insinuer l’incomplétude de l’appréhension de ce concept sans mettre nécessairement en évidence les deux dimensions complémentaires qui expliquent ce dernier. En effet, pour cet auteur, « l’espace public est un singulier dont le pluriel – les espaces publics – ne lui correspond pas » (Paquot, 2009, p. 3).
Ainsi, selon Paquot (2009), d’un côté, « l’espace public » (au singulier) tire sa signification sur la scène politique en étant un lieu de débat, de publicité d’opinions privées dans ce domaine (politique), d’exercice des pratiques démocratiques. Dans ce sens, l’espace public est également assimilé à une « forme de communication », de mise en circulation d’avis divers. De l’autre côté, les « espaces publics » (au pluriel) s’intéressent plutôt à des endroits physiques qui sont censés accessibles au public quel que soient leurs lieux de résidence. Il s’agit alors, concrètement, de rues, places, boulevards, parvis, jardins, parcs, etc. « bref, le réseau viaire et ses à-côtés qui permettent le libre mouvement de chacun, dans le double respect de l’accessibilité et de la gratuité » (Paquot, 2009, p. 3). Le concept au pluriel ne se détache pas (non plus) de la notion de « communication » dans une idée de liaison, de circulation et d’échange. Plus juridiquement, « les espaces publics peuvent être accaparés par des personnes privées […] ou partagés collectivement […], ou bien encore accueillir du public alors même qu’ils appartiennent à un centre commercial, un musée ou une enclave résidentielle sécurisée, de droit privé » (Paquot, 2009, p. 7). Ces lieux sont des terrains de manifestation de l’altérité, permettant au soi d’éprouver l’autre, toujours dans le cadre de la « communication ».
C’est en quelque sorte cette notion (de communication) connotant le partage et le relationnel qui permet d’étudier « ensemble » le concept d’espace public dans ses deux formes (singulier et pluriel), mettant un accent sur deux types de réalités différentes. Il pourrait être alors difficilement concevable qu’un certain élément constituant le concept d’espace public (au sens géographique ou non du terme, selon qu’il s’agit de la forme au pluriel ou au singulier du concept) soit totalement écarté de son rôle de « mise en relation », une fonction indispensable de la vie sociale. De tout cela, « l’espace public » désigne plus proprement la « sphère publique », tandis que les termes « espaces publics » sont substituables à ceux « d’espaces libres », de « lieux publics », ou encore de « lieux urbains ». Joseph (1995) souligne la conciliation de cette double signification attribué à l’espace public : « L’expérience ordinaire d’un espace public nous oblige en effet à ne pas dissocier espace de circulation et espace de communication » (p. 13).
La conception que se fait Paquot (2009) de l’espace public (la sphère publique) tient entre autres à la description de Habermas (1978) des trois formes majeures de la dimension intermédiaire entre l’Etat monarchique et la vie privée, à savoir : le journal, le salon, et le café. L’espace public, dans ce sens, peut être désormais tout élément de la fabrique des opinions, occasionnant la possibilité de rendre publiques ces dernières. L’auteur veut surtout mettre au premier plan la fonction communicationnelle bien plus que les formes physiques que prennent ces trois éléments (le journal étant associé à ses supports d’impression et/ou de publication, tandis que le salon et le café faisant référence à des agencements architecturaux). Chercher à comprendre l’espace public revient alors à appréhender historiquement au moins ces trois formes. Quant aux espaces publics (au pluriel) Paquot (2009) se pose un certain nombre de questions sur le partage public/privé, les caractères « gratuits » et « accessibles » de ces lieux géographiques, leurs statuts juridiques, etc. afin de mieux sortir les véritables caractéristiques de ces endroits. De même que pour l’espace public, l’appréhension des espaces publics implique une approche historique de ces différentes questions (et plus particulièrement à propos du partage public-privé des espaces).
1.1.2.Analyse historique
Paquot (2009) donne un aperçu historique de l’espace public et des espaces publics. Pour ce qui est de l’espace public du domaine politique, il y a lieu de se concentrer sur ses trois formes que sont le journal, le salon et le café. Désormais, les journaux avaient toujours pris une place particulièrement stratégique dans la publicité des opinions, du moins depuis l’apogée de l’empire romain, dont avec la fabrique d’informations de la part des rhéteurs et des orateurs qui contrôlent la communication à travers les différents réseaux existants à l’époque. Avec le christianisme, les informations publiées se matérialisent peu à peu via des supports manuscrits, surtout avec l’arrivée de la machine à imprimerie de Gutenberg (vers 1450), malgré la censure et la surveillance stricte que faisaient les autorités publiques et religieuses sur ces nouveaux supports pourtant moins coûteux et plus maniables. Il a fallu attendre l’année 1631 pour voir apparaitre le premier journal « légal » (car la publication recevait l’autorisation du roi), La Gazette, qui diffusait les nouvelles officielles européennes. Les journaux moins consensuels, tels que les Nouvelles de la République des Lettres à la fin du XVIIème siècle, avaient été soumis à des répressions sévères et à des lourdes sanctions. Mais, le nombre de journaux ne cesse de croître au fil du temps. Néanmoins, le développement des réseaux d’information dans l’ère contemporain « régresserait » cet espace public (au sens de Habermas) :
« Le citadin-automobiliste écoute la radio et pianote sur son ordinateur plus qu’il n’achète et lit chaque jour un quotidien. Dans les métropoles, les citadins-voyageurs jettent un œil sur le gratuit, qui circule de main en main, dans les transports collectifs. Cette nouvelle configuration spatiale accompagne l’érosion de la presse écrite et l’extension du domaine des mobiles, qui accroissent leur offre de services ». (Paquot, 2009, p. 37).
Quant au « salon », il s’agit d’un terme apparu au cours du XVIIème siècle dans le vocabulaire des architectes pour désigner « la pièce d’une habitation où l’on reçoit » (Paquot, 2009, p. 37). Très vite, l’appellation « salon » avait également été attribuée à l’activité même qui s’y déroulait : « la conversation entre gens d’esprit invités par la propriétaire des lieux » (ibid., p. 38), et nombreux étaient alors ceux qui y colportaient des rumeurs et des idées audacieuses. Le siècle des Lumières (dont plus particulièrement 1747-1780) a vu la naissance de plusieurs parmi les plus célèbres de cette forme d’espace public, dont les salons de Mademoiselle Lespinasse, la Princesse d’Enville, Louise d’Epinay, Suzanne Necker, etc. qui avaient l’honneur de recevoir des gens comme d’Alembert et ses amis, Quesnay, Turgot, etc. Au déclin des salons à la fin du XIXème siècle, les diners littéraires se substituaient à ceux-ci, essentiellement se tenant dans des restaurants. Le salon a ainsi passé de ce type de lieux dans l’habitation, dédié généralement au plaisir et les jeux, vers cet endroit consacré au critique politique. « Avec le suffrage censitaire, puis universel, la liberté de la presse et la circulation des informations, les salons partagent avec d’autres institutions ce rôle d’initiateur à la vie des idées » (ibid., p. 40).
La troisième forme d’espace public, les cafés, prend son origine connue à la moitié du XVIème siècle, à Constantinople, réunissant des poètes, des cadis, des musiciens, voire des guerriers, pour s’y divertir. Mais, à la même époque, en Perse, il y avait aussi des cafés dédiés à des hommes religieux dans une ambiance beaucoup moins mondaine. « Les cafés remplissent un rôle social, politique et culturel. […] ils sont ouverts à toutes les catégories sociales – et assez rapidement aux femmes –, ils assurent la circulation des idées et acceptent la tenue de réunions à caractère public » (ibid., p. 42). Larousse (1867) offre quelques détails concernant cet endroit : « La nécessité de connaître les nouvelles du jour, de discuter des œuvres qui paraissent, de se voir, de s’entendre, crée pour les hommes de lettres la nécessité de centres de réunion » (p. 61). Si les qualités sociales du café sont très reconnues de XVIIIème au XIXème siècle (en tant qu’institution de loisir populaire), il n’en est plus ainsi dans le XXIème siècle avec un prix de consommation devenu rédhibitoire dans cet endroit pour un bon nombre de clients potentiels qui préfèrent alors d’autres moyens moins coûteux, devenus alors espaces publics dans ce sens (le banc public, par exemple).
En ce qui concerne les espaces publics (dans le sens géographique des termes), il faut dire que la délimitation « public/privé » n’a pas toujours été définie aisément au cours des siècles et face à la diversité culturelle. Ainsi, dans la Grèce antique, le « privé » implique l’intimité (aidôs), influençant la conception de la demeure contemporaine avec la variabilité du degré d’intimité de ses lieux, allant du seuil vers les endroits les plus « privés ». On note aussi l’opposition faite entre public et privé à travers les relations entre le « particulier » et le « commun ». Au Moyen-Âge, le publicus entend la souveraineté, ce qui est de la compétence de la magistrature en charge de maintenir la justice et la paix dans la société, c’est-à-dire du pouvoir régalienne. Néanmoins, l’étude du rapport entre privé et public révèle presque toujours qu’il ne faut point généraliser un constat à ce sujet, surtout à l’idée de l’estompage de la frontière entre ces deux espaces. Le temps moderne jusqu’au XXIème siècle voit cette frontière encore plus floue et complexe, dans une époque où la vie privée s’affirme de plus en plus. Désormais, la grande liberté accordée à l’individu lui donne même la possibilité de « moduler » en quelque sorte son espace pour agrandir/rétrécir son espace intime à travers de nombreuses frontières pouvant être ouvertes (avec les Technologies de l’Information et de la Communication – TIC –, par exemple), autres que celles occasionnées par les composantes architecturales (seuils, portes, fenêtres, balcons, etc.).
Finalement, avant de clore cette analyse historique, il importe d’ajouter quelques notes à propos de la voirie et de l’aménagement des espaces publics, architecturalement parlant. « Parler d’espaces publics à propos de la Grèce antique et de Rome frôle l’anachronisme, il vaut mieux utiliser le riche vocabulaire de la voirie et admettre que l’individu au sens actuel du mot n’existe pas encore et que par conséquent il en est de même pour « intimité », « pudeur », « personne » et « personnel », « collectif » et « commun », etc. » (ibid., p. 73). Quant aux temps médiévaux, notamment aux XVIIème et XVIIIème siècles, la préoccupation semble être à « la bonne circulation » et à « la salubrité », d’où l’accent mis sur la « clôture » et « l’accessibilité » des lieux, brouillant alors la délimitation stricte entre sphère publique et sphère domestique. Enfin, l’époque contemporaine connait une difficulté à formuler une définition convenable des espaces publics, en considérant de nombreuses tentatives soumises à de forts critiques sur ce point ; l’explication de Billiard (1988) semble accorder le plus de satisfaction : « C’est en 1977 qu’apparaît explicitement l’intitulé « aménagement d’espaces publics : espaces verts, rues piétonnes, places, mise en valeur du paysage urbain, mobilier urbain … « . Cette notion, utilisée au pluriel, est introduite dans une perspective d’articulation entre le logement d’une part, et les interventions publiques d’autre part » (p. 31).
En somme, l’étude de l’espace public doit se faire avec la complexité de celui-ci et les différentes dimensions qui sont impliquées en conséquence (non seulement l’urbanisme, mais aussi, au moins, la philosophie et la sociologie). Il est alors proposé d’étudier une activité, un phénomène qui se passe tout juste sur cet espace public et qui pourrait réunir les deux formes attribuées à ce concept : la cuisine de rue.
1.2. Analyse culturelle de la cuisine de rue dans le monde
Dans cette section, il s’agit d’abord d’apprécier les diverses tendances sur le secteur de la cuisine et de l’alimentation dans la société contemporaine. Cela devrait, par la suite, aider à comprendre le positionnement de la cuisine de rue dans le contexte de diversité culturelle dans le monde. L’accent sera, enfin, mis sur le cas de la France, c’est-à-dire la place de la cuisine de rue dans la gastronomie française.
1.2.1.Cuisine et alimentation du monde contemporain
Le comportement alimentaire des Français semble être en constante évolution : « En 50 ans [1964-2014], les attentes et les besoins de consommateurs vis-à-vis de l’alimentation ont radicalement changé » (SIAL, 2014, p. 12). En effet, l’accent mis sur le « manger plus » dans les années 1960 a été déplacé vers le « manger moins » dans la décennie suivante, pour ensuite insister sur le « manger plus vite et plus léger » dans les années 1980 ; la dernière décennie du XXème siècle a vu plus d’importance dans le « manger juste », une tendance vers le « manger mieux » dans les deux premières décennies du XXIème siècle (quête du plaisir, intérêt du partage et de la convivialité, accent sur la naturalité, importance de la santé, etc.). Déjà à l’aube du XXIème siècle, une étude de CREDOC a observé cette tendance :
« On observe en effet une légère transformation de la composition des repas allant vers la simplification, une irrégularité grandissante des repas, une montée du grignotage et un développement de l’individualisation du rapport à l’alimentation. On note aussi l’apparition de nouveaux produits et l’importance croissante de la santé dans l’alimentation. L’alimentation n’en demeure pas moins une construction sociale et manger reste un réel plaisir. Toutefois, choisir ce que l’on mange aujourd’hui passe par une réflexion personnelle : le consommateur est à la quête d’informations. L’éducation nutritionnelle, après de longs balbutiements trouve de nouveaux canaux de diffusion. Quant aux industries agroalimentaires, celles-ci créent judicieusement de nouveaux besoins. » (Brousseau & Gaignier, 2002, p. 3).
En effet, en guise de confirmation à cette tendance, une étude réalisée par TNS Sofres en 2014 (une douzaine d’année après l’étude de CREDOC relative à la citation précédente) a révélé, entre autres, les caractéristiques du « modèle alimentaire français » suivantes (SIAL, 2014) :
- Prises alimentaires relativement faibles par rapport à d’autres pays[2], soit 3.6 contre 4.8 au Brésil, 4 aux Etats-Unis, 3.7 en Allemagne, etc. ;
- Attente basée essentiellement sur le plaisir (pour 61% des Français, se rapprochant du contexte allemand avec un taux de 63%), la convivialité (54%), l’alimentation saine (57%), l’équilibre (63%) et la diversité alimentaire (59%) ; à titre de comparaison, par exemple, « les américains recherchent une alimentation saine et équilibrée et sont très peu en attente de partage, de convivialité et de variété» (SIAL, 2014, p. 17).
- L’autoproduction alimentaire (cuisine faite maison) en hausse d’une part, et le recours devenu significatif à la vente directe de produits alimentaires d’autre part : cela est dû nécessairement à une pression budgétaire mais aussi à l’érosion de la confiance quant à la qualité des produits. En fait, seuls 76% des Français sont confiant dans la qualité dans la qualité de ces produits (contre 88% en Brésil, 92% aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, etc.), surtout que ce taux a perdu 8 points par rapport à 2012.
- Le prix figurant dans les premiers critères de choix pour 77% des Français (les autres critères tels que la date de péremption et la qualité gustative sont loin derrière, en dessous de 50%).
- La découverte alimentaire très appréciée des Français (60%).
En somme, pour ce qui est de la représentation que se font les Français de la question alimentaire, cette dernière est aussi bien vitale qu’un art de vivre. En d’autres termes, la population française (surtout en faisant une comparaison par rapport aux réalités très caractéristiques d’autres pays) est très sensible à ce qu’elle mange, et cela est profondément intégré dans sa culture. L’on se demande alors ce que ce pays pense d’un phénomène gastronomique spécifique apparemment adopté largement dans de nombreux pays : la « cuisine de rue ».
1.2.2.Cuisine de rue dans le monde
Le collectif Cochenko[3] propose une définition formelle de la cuisine de rue : « La cuisine de rue désigne la vente de nourriture préparée et servie à l’intérieur d’équipements ambulants divers, installés sur le domaine public (parcs, rues, trottoirs, bancs publics) de façon temporaire » (Leborgne, Valet, & al., 2015). Cette définition met en accent ainsi quelques principaux traits caractéristiques de la cuisine de rue :
- Il s’agit avant tout d’un acte commercial dont l’objet est la vente de nourriture, prête à être consommée sur place ou à être emportée ;
- Les équipements utilisés sont ambulants, c’est-à-dire que l’ensemble des dispositifs employés peut faire l’objet de déplacement au besoin de l’activité ;
- Le domaine public constitue l’endroit par excellence d’exercice de cette activité à caractère économique ;
- Les installations érigées pour cette activité sont destinées à ne durer que temporairement.
Cela se rapproche alors de la définition attribuée à un modèle de vente de nourriture dont l’appellation « street food » vient d’ailleurs, Outre-Atlantique. « La street food comprend un ensemble de commerçants (restaurants nomades et classiques) vendant une grande diversité de plats complets de qualité pour un prix raisonnable aux alentours d’une dizaine d’euros à consommer sur place ou dans la rue d’où le nom de street food (cuisine de rue) » (Artis, 2014, p. 7). Sur ce ton, la cuisine de rue correspond alors à un modèle particulier du « manger dans la rue », qui est une véritable pratique développée depuis les années 1970-1980, correspondant à des activités alimentaires dits « outdoor », se faisant en « dehors » (Ribet, 2013), correspondant à la « consommation nomade » (Artis, 2014).
Le contexte africain se rapproche de cette situation en Asie : les africains sont habitués de la cuisine de rue (du moins de vue), surtout en considérant qu’une grande majorité de la population africaine vit de l’agriculture et la plupart se trouve dans la misère. La cuisine de rue apparait alors et d’abord comme un moyen de subsistance, pour satisfaire les besoins en alimentation. Ce sont désormais les individus les plus nécessiteux qui ont recours le plus à la cuisine de rue qui se composent essentiellement de plats de résistance et de beignets susceptibles de satisfaire directement la faim. La plupart des commerces de rue, y compris le Street Food, appartiennent au secteur informel en Afrique. L’observation des règles et normes sanitaires et d’hygiène est de temps en temps reléguée en arrière-plan, et les mangeurs ne semblent pas vouloir manifester leur souhait d’amélioration sur ce point (FAO, 2009).
Néanmoins, il faut reconnaitre que le fait de manger dans la rue ne date pas d’un temps récent, d’autant plus que le concept de Street Food, si novateur soit-il chez les européens, est presque une banalité en Asie. Dans de nombreux pays de ce continent, c’est pratiquement l’inverse de la situation en occident car la consommation alimentaire dans la rue est considérée comme la règle, « une normalité », voire la base de l’alimentation (en Thaïlande, par exemple), tandis que cuisiner à l’intérieur apparait comme une sorte de luxe. Dans ces pays, il est presque impossible d’appréhender au mieux leurs cultures sans avoir déjà, dans un premier pas, gouté à leurs cuisines de rue. A ce titre, le Street Food est synonyme d’identité culturelle forte, surtout dans la grande diversité des mets proposés, contrastant avec la standardisation du goût chez les fast food.
Le food truck, ce véhicule équipé pour cuisiner et vendre de la nourriture essentiellement dans la rue, peut servir d’exemple excellent pour illustrer le phénomène de cuisine de rue (Food Truck Agency, 2015). Les premiers de ces véhicules seraient nés quelque temps après la guerre de Sécession, aux Etats-Unis, lorsqu’un éleveur de bœufs, Charles Goodnight, « a imaginé la première cantine ambulante constituée de tiroirs et d’étagères assemblés sur un vieux chariot de l’armée. La base de la cuisine était déjà présente avec les casseroles et la vaisselle soigneusement rangée puis dans le lit du chariot se trouvaient les denrées alimentaires non périssables » (Artis, 2014, p. 9). Mais, il a fallu attendre la dernière décennie du XIXème siècle pour voir les « night lunch wagons », un concept adapté à la vente de nourriture aux travailleurs nocturnes qui ne pouvaient plus satisfaire leur faim aux saloons déjà fermés aux heures tardives. « Jusqu’aux années 2000 le food truck n’évolue presque pas car la clientèle reste principalement ouvrière et il s’avère être bien souvent le seul moyen de restauration à la portée des petites bourses » (ibid., p. 10).
Qu’en est-il de la cuisine de rue en France, là où cette pratique est nettement moins développée qu’ailleurs, alors que celle-ci n’est pas vraiment étrangère et/ou totalement nouvelle dans ce pays ?
1.2.3.Cuisine de rue en France
Historiquement, « en France, cet art de vivre populaire a été longtemps négligé » (Artis, 2014, p. 8). En fait, il est proposé de dater la cuisine de rue, telle qu’elle se présente similairement actuellement (au regard des caractéristiques cités plus haut), du Moyen-Âge, plus particulièrement au XIXème siècle. Le personnage emblématique, la « marchande d’arlequins »[4] des Halles, se chargeait d’acheter les restes de nourriture dans les grandes maisons de la Capitale française auprès des domestiques, pour ensuite les revendre à très bas prix (notamment aux marchands et mendiants des halles). Une grande variété de nourritures (volaille, poisson, pâtisserie, salade, etc.) peut alors se retrouver dans l’assiette d’une personne qui n’avait que trop peu de moyen pour accéder à un tel luxe.
Pour décrire assez rapidement l’historique de la cuisine de rue française, voici deux citations assez intéressantes, en citant, entre autres deux éléments intermédiaires entre le symbolique de la marchande d’arlequin et les Truck Foods empruntés des concepts américains, à savoir les fameuses baraques à frites d’un côté, et les sandwicheries et les crêperies de l’autre côté :
« Jusqu’à ces dernières années, les Français ne connaissaient la cuisine de rue que dans son acception de « nourriture pratique à manger dans la rue » (les traditionnelles sandwicheries et les crêperies au coin des cafés). Mais ils ignoraient presque tout de la version « cuisiné dans la rue » (seuls les camions à pizza ou les baraques à frites dans le nord de la France pouvaient être rangés dans cette seconde catégorie). En revanche, la « vraie » Street Food, comme la nomment les anglo-saxons, est pratiquée depuis bien longtemps dans les grandes villes asiatiques, nord-américaines, africaines ou latino- américaines » (Birlouez, 2012).
« Vers 1850, les premières baraques à frites s’installent en Belgique près des usines et à proximité des gares […] Dans le Nord, la plus ancienne mention d’une baraque à frites a été retrouvée à Roubaix en 1862, preuve qu’il existe pour les ouvriers une alternative à la gamelle ou au sachet de tartines. Les frites sont consommées seules, servies dans un cornet de papier journal […] La baraque à frites inaugure un lieu de consommation non conventionnel qui petit à petit gagne la classe moyenne et un public familial. L’abandon des bonnes manières de table et la dégustation avec les doigts participent du plaisir de la transgression à caractère exceptionnel et festif […] La baraque tend aujourd’hui à se rapprocher du fast food ordinaire […] La friterie autrefois mobile tend également à se sédentariser » (Centre d’Histoire locale de Tourcoing, 2014).
La France n’a connu le Food Truck à l’américaine que « récemment » (Artis, 2014), à l’exemple du « Camion qui Fume » qui a reçu du Leader’s Club de Lyon la palme d’or 2012 en étant le concept le plus innovant de cette année. L’accent est surtout mis sur la qualité et le goût, insinuant par-là que l’intérêt constaté des consommateurs au Street Food est dû à une sorte d’insatisfaction de ceux-ci à l’égard du Fast Food. La « Camion qui Fume » est ainsi, certes, inspiré du modèle de Food Truck américain, mais développé avec une volonté d’offrir une gamme de hamburgers de qualité à la hauteur des attentes des consommateurs français : les matières premières utilisées dans ces grands véhicules sont essentiellement des produits frais et artisanaux. D’autres concurrents de taille, tels que Cantine California, Goody’s, etc., ne tardent pas à imiter le concept, tout en apportant leurs touches personnelles faisant en sorte que les Food Trucks parisiens proposent une grande variété alimentaire susceptible de satisfaire les « citadins gastronomes avides de sensations gustatives » (Artis, 2014, p. 10).
Il faut alors admettre que l’intégration (ou plus proprement la « réintégration ») de la cuisine de rue en France doit se faire avec une certaine adaptation au contexte local. Dans ce sens, la cuisine de rue en France devrait refléter plus fidèlement la culture du pays, et pourrait même devenir une vitrine pour appréhender, au moins en partie, la gastronomie française.
Par ailleurs, l’anthropologue sociale et ethnologue, Nadine Ribet (2013), identifie quelques facteurs majeurs de développement de la pratique du « manger dans la rue » sur le territoire français, à savoir :
- Des « mutations contemporaines » affectant le travail, le foyer, les habitudes quotidiennes ainsi que la dynamique urbaine (dont la mobilité pendulaire et la requalification des espaces publics) ;
- La crise du domaine immobilier conduisant à la suppression de lieux de restauration ; le contexte outre-Atlantique donne une idée de cette réalité : « c’est en réponse à la crise de 2008 au moment où le foncier est devenu inatteignable et les investisseurs extrêmement rares que les trucks sont apparus aux Etats Unis sous leurs formes actuelles» (Artis, 2014, p. 10).
- La fracture alimentaire, c’est-à-dire la disparité nutritionnelle entre les classes de population les plus favorisées et celles qui se trouvent dans la grande précarité. Désormais, la cuisine de rue est quelque peu réputée pour ses prix bas ; le food truck s’est, par exemple, exporté en France « dans un but de diversifier sa clientèle en proposant des ingrédients de qualité supérieurs cuisinés par des chefs à prix réduit» (ibid.).
- L’importance grandissante accordée aux questions écologiques et sanitaires. Ainsi, « après un fort développement dans les années 80 et 90, les fast-foods tendent à s’essouffler. De nouvelles formes plus diversifiées apparaissent : des concepts de sandwicheries « bio », la restauration rapide « à la française » ou à thème. Même de grands chefs étoilés s’implique comme Marc Veyrat et son « fast-food bio » à Annecy» (ibid., p. 5).
Il faut aussi ajouter à ces facteurs, d’une part, le fait que les Français accorderaient de moins en moins de temps aux déjeuners et, d’autre part la hausse des déjeuners prix à l’extérieur (hors foyer). En effet, selon une étude réalisée par Coach Omnium, les Français mangent en moyenne trois repas par semaine aux restaurants et ce chiffre serait même en progression.
« L’éloignement de plus en plus marqué entre le lieu de travail et le domicile, l’augmentation du nombre de sorties liées aux loisirs et la variété de l’offre en restauration expliquent cette progression. Au déjeuner, 30,4 % des actifs rentrent habituellement chez eux, 28,5 % vont au restaurant d’entreprise, 17,7 % déjeunent sur place et 35,3 % sortent de leur lieu de travail, révèle l’étude. Seuls 7 % achètent régulièrement ou occasionnellement leur déjeuner en vente à emporter. Il y a 30 ans, la durée du repas était de 1h30. Il y a 15 ans, elle était de 1 heure et de nos jours les Français restent attablés tous repas confondus environ 30 minutes ». (Artis, 2014, p. 4).
En somme, certaines formes de cuisine de rue semblent trouver le bon chemin pour s’installer sur les espaces publics des grandes villes françaises. Il est maintenant question de s’interroger sur les rôles de cette activité culinaire dans la reconquête des rues de ces villes.
1.3. Reconquérir les rues
Cette section cherche à mettre en évidence la relation étroite à considérer entre la vie des rues et celle des individus qui habitent à côté ou qui les fréquentent, d’une part, et le contexte de stérilisation en œuvre dans ces dernières soulevant la nécessité de les réactiver, d’autre part. Quelle serait alors la place que devrait tenir la cuisine de rue pour satisfaire ce besoin de réactivation des espaces publics ?
1.3.1.Un besoin de réactivation des espaces publics ?
« Une ville est avant tout un ensemble organisé de voies » (Paquot, 2009, p. 68). Une simple transposition qui en découle implique alors que la vie d’une ville dépend étroitement de la respiration et de l’animation sur ses rues. Mais, pourquoi parle-t-on de besoin de reconquête de ces rues en particulier, et des espaces publics en général ? Les propos de l’architecte-urbaniste Soulier (2012), en l’introduction de son essai Reconquérir les rues, donnent les grandes lignes de la réponse à cette question :
« Dès lors que l’on considère les rues comme de simples voies de circulation, où l’on donne presque toute la place aux voitures pour rouler ou pour stationner, alors dehors, dans la rue, nous sommes chez elles, pas chez nous. Mais ce n’est pas qu’une question de voitures. C’est aussi une question de riverains. Pour être vivante, une rue résidentielle a besoin d’être habitée, et non simplement parcourue. Si nous tolérons que la rue devant chez nous ne soit qu’un tuyau pour circuler c’est que nous oublions que c’est un espace qui fait partie de notre habitat. Quand nos habitations se referment sur elles-mêmes et que nous tournons le dos à la rue, nous n’avons plus d’échange avec elle. La rue se retrouve morne. Les riverains la désertent. L’habitat reste figé » (Soulier, 2012, p. 6).
Ainsi, l’envie d’habiter une ville peut être intimement liée à l’animation de ses rues, et l’architecte-urbaniste témoigne de cette relation fonctionnelle en faisant une étude comparative de quelques villes françaises, d’autres pays européens (notamment en Allemagne), de l’Amérique du Nord (dont le Canada) et du Japon. Il souligne l’importance cruciale de la prise en mains par les riverains de l’animation de leurs rues dans le but d’améliorer celles-ci. Il pointe surtout du doigt sur certaines manières utilisées pour « stériliser » les rues et bloquer les éventuelles initiatives pour leur rendre la vie. En effet, Soulier (2012) établit comme conséquences d’un ensemble de dispositions réglementaires à visée esthétique, d’hygiène, d’harmonie et de sécurité[5], les faits ci-après (en guise d’exemples) :
« […] notre habitat ne dépend plus de nous. Nous n’avons pas prise sur lui : il est pensé, prédéfini, entretenu, administré et géré pour nous. […] Notre habitat se retrouve ainsi figé, à l’instar des jardins figés en espaces verts. Et notre vie se retrouve figée, comme celle de plantes taillées, tondues, et désherbées. Un double processus bloque ainsi notre habitat, en s’attaquant tant aux gens qu’aux lieux. Les gens considérés comme n’ayant rien à faire au-dehors sont comme victimes d’un couvre-feu. Les lieux conçus pour que rien ne puisse s’y passer apparaissent passés au désherbant chimique. Lieux et gens sont stérilisés. […] La vie de chaque habitant disparaît donc de la scène. Elle ne se manifeste plus dans les espaces communs, ni dans l’espace public. Comment alors s’étonner que la vie de la rue s’étiole ? » (Soulier, 2012, p. 30).
De ce fait, la réactivation des espaces publics pourrait être un contrepoids face au processus de stérilisation appliquée à de nombreux endroits de ces espaces. En d’autres termes, il est possible et objectif de dire que les grandes villes françaises (pour ne citer qu’elles) ont manifestement besoin de réactivation pour permettre à leurs habitants de vivre et s’épanouir dans des sociétés qui leur seront ainsi davantage bénéfiques. A ce titre, la cuisine de rue pourrait être vue comme un moyen efficient (insistant à la fois sur l’efficacité et le coût relativement moindre du moyen utilisé) de cette réactivation de la rue, de la ville, de la société.
1.3.2.Regain d’intérêt pour la cuisine de rue : une opportunité
La ville de Saint-Denis, à titre d’exemple, reconnait les retombées conséquentes sur le plan social, économique et urbain de la pratique de la cuisine de rue : « l’activité de ces vendeurs fait appel à une culture du geste et est génératrice de nouvelles sociabilités et de relations publiques propres aux cuisiniers-vendeurs qui constitue le capital social des personnes sans ressources économiques » (Leborgne, Valet, & al., 2015, p. 14). De plus, les ménages à faibles revenus ont l’occasion de se procurer de nourriture à bas coûts et, en cela, la cuisine de rue offre pour le quartier concerné une véritable opportunité de développement économique. Mais, (à côté de ces ménages à faibles ressources) il faut dire que la cuisine de rue peut toucher quasiment toutes les demandes émanant des différentes catégories de la population du fait de la grande diversité des produits et de leurs modes de consommation (à emporter, sur place, pour la consommation extérieure ou à domicile/au bureau/etc.).
Néanmoins, toujours en se basant sur l’exemple de Saint-Denis, la clientèle de cette cuisine de rue ne semble pas encore satisfaite de l’actuelle offre. Le recours presque systématique à l’achat de nourriture auprès des marchands de rue est notamment motivé par la facilité et la rapidité de l’acte (les marchandises sont toutes prêtes à être immédiatement consommées). Mais, cette clientèle mentionne la qualité relativement faible des prestations dans ce commerce de rue, surtout en matière d’hygiène. Les consommateurs sont alors pris entre des contraintes budgétaires les encourageant à se rapprocher de plus de la cuisine de rue et des cadres sanitaires et d’hygiènes non satisfaisants (Leborgne, Valet, & al., 2015).
En général, il est présenté un certain nombre d’avantages, aussi bien pour les consommateurs que pour les vendeurs, associés à la cuisine de rue. D’abord, cette dernière offre au consommateur l’occasion de choisir l’environnement composant son moment de restauration : il peut ainsi s’isoler ou bien s’inviter et se réunir entre proches, d’autant plus que l’espace public offre plus de liberté et de place que la plupart des lieux de restauration classique. Désormais, parmi les facteurs de succès des food trucks américains et qui attirent les acteurs dans ce créneau figurent la mobilité (permettant une grande marge de manœuvre, à la fois pour les acheteurs et les vendeurs) ainsi que la qualité (relativement bonne) des nourritures.
Il faut également dire que la cuisine de rue (à l’aune du contexte du Food Truck) est un moyen d’investissement très efficient[6] en la comparant à la restauration classique, à condition toutefois d’avoir un « bon emplacement ». Trouver ce dernier ne devrait pas être trop compliqué lorsque l’on tient compte de certains quartiers de bureaux dépourvus de restaurant et de fast food, par exemple. « Les jeunes Chefs savent que monter un restaurant, c’est une grosse opération financière, avec beaucoup de personnel et le risque d’être presque constamment dans sa cuisine ou dans son bureau, sans jamais voir les clients » (Artis, 2014, p. 17). En revanche, la cuisine de rue permet au Chef de se mettre en contact direct avec les clients pour parler « de tout et de rien » : à la restauration classique, le Chef peut s’approcher parfois des clients à la demande de ceux-ci, nécessairement pour entendre leurs compliments, c’est-à-dire dans un discours qui tourne presque exclusivement autour de la recette. Dans un Food Truck, la discussion est beaucoup plus décontractée et moins conventionnelle. Dans ce cas, la cuisine de rue s’intègre bien à l’espace public dans sa fonction de communication : échange, partage, etc. De plus, les consommateurs peuvent accéder facilement (du moins, par la vue) à la cuisine, devant une véritable théâtralisation du métier de Chef pour révéler certains mystères cachés dans les restaurants classiques.
Par rapport au Fast Food, la cuisine de rue accorde une attention particulière à chaque client, jusqu’à satisfaire leurs demandes personnalisées et de moins en moins standardisées. En effet, un Food Truck, par exemple, n’est censé accueillir qu’au plus une trentaine de personnes instantanément, c’est-à-dire que nul ne doit être oublié. Il faut aussi reconnaitre que la convivialité est bien meilleure dans un Food Truck, le personnel d’un Fast Food aurait beaucoup plus d’autres préoccupations que de discuter avec les clients. En effet, ceux qui travaillent dans un Fast Food n’ont pas forcément la passion du métier (certains ont probablement choisi ce travail juste par nécessité ou facilité). « Il n’y a rien de plus impersonnel qu’un fast food, les consommateurs ne pourront jamais se sentir comme appartenant à une même structure puisque personne ne cherche à parler à l’autre et les vendeurs ne mettent à aucun moment le client en relation avec son entourage » (Artis, 2014, p. 21). Par contre, une cuisine de rue s’implantant dans un espace public (qui n’est alors pas sien) se doit de tout faire pour capter l’attention et répandre la bonne humeur auprès des passants, voire chercher à se faire de la connaissance avec eux. L’ambiance va alors aller au-delà du cercle commercial et la cuisine de rue devenant ainsi un élément d’animation sociale positive sur son lieu d’implantation provisoire. A Soulier (2012) donc de conclure que ce vendeur de nourriture sur cet espace en plein air est un des personnages « qui animent la rue et nos parcours, qui émerveillent notre journée et notre itinéraire, rendant la ville incarnée, charnelle, humaine » (p. 98).
Par ailleurs, s’inquiétant du fait que les citoyens français sous-investissent les espaces publics, notamment pour en faire des lieux de convivialité et les activités de cuisine de rue sont essentiellement proscrites dans de tels endroits, les promoteurs du concours « Minimaousse » ont décidé de se focaliser sur ce sujet pour la cinquième édition de ce concours. A rappeler que ce dernier qui se tient essentiellement tous les deux ans, dont la première édition remonte à 2003, est un concours de microarchitecture ouverts aux étudiants en architecture, design, art, ingénierie et paysage. L’objectif poursuivi « est de prouver par l’exemple que la petite échelle peut se décliner en architecture à travers de multiples projets et objets, rivalisant d’inventivité et de poésie » (Minimaousse – Citechaillot, 2016). Les promoteurs, tout en pointant du doigt l’inadaptation de l’offre de cuisine de rue en France dans la plupart des cas (en citant par exemple le « Fast Food » et la « Baraque à frite » qu’ils qualifient de « malbouffe »), ont fait une sorte de description comparative avec la situation dans de nombreux pays qui démontre l’opportunité que devrait constituer le Street Food sur les espaces publics français.
Ces promoteurs du concours Minimaousse fait un état des lieux en déplorant le climat non favorable aux pratiques de cuisine de rue dans les pays tels que la France, mais insiste toutefois que celles-ci ne sont pas irréalisables, en faisant référence entre autres à certains évènements similaires qui enregistrent beaucoup de succès sur les rues françaises : foires, marchés, fêtes de quartier, vide-greniers, etc. En mettant en avant la nécessité d’améliorer le sens de l’hospitalité dans les espaces communs français, les promoteurs du concours ont souligné que « s’installer pour manger dans la rue est une manière d’affirmer la qualité d’un lieu, d’un ici et maintenant ; un acte que l’on pourrait qualifier de politique puisqu’il affirme, en se posant, redonner de la qualité à l’espace public et de la valeur au temps collectif » (Meadows & Bouisson, 2012).
Le concours, pour cette cinquième édition, a été réalisé dans une analyse critique de la cantine de rue en tant que meuble élaboré pour transporter des nourritures mais également en considérant son rôle de réfectoire. Les participants au concours ont surtout imaginé une diversité de dispositifs relatifs à la préparation des mets, à leur distribution et à leur consommation dans le contexte de la densité de l’espace public. La notion de communication de ces lieux de convivialité a été mise en évidence, dans le sens de la communication circulationnelle (s’arrêter pour déguster, demeurer, etc.) et la communication relationnelle (échanger, etc.).
Quelques ingénieuses créations réalisées dans le cadre de ce concours ont été ensuite exposées à l’évènement « Ma cantine en ville. Voyage au cœur de la cuisine de rue », du 23 octobre 2013 au 2 décembre 2013 à la Cité de l’architecture et du Patrimoine (Paris). Voici quelques lignes d’un commentaire d’un journaliste pour avoir des idées sur certaines de ces créations :
« Les lauréats ont rivalisé d’ingéniosité pour offrir aux visiteurs des dispositifs grandeur nature et « compatibles avec les principes de réalité », précise Guy Amsellem, le président de la Cité. L’offre est riche et variée : une cuisine accessible à tous pouvant se déployer aux abords d’une borne électrique (Kitch’n lib), une cantine nomade autosuffisante énergétiquement qui se déploie comme un laboratoire à ciel ouvert (La machine à vapeur), un lieu de dégustation et un point de distribution pour coopératives agricoles déplaçables à vélo (Deux à deux), un service de restauration sur la rue conçu à partir d’une structure de diables s’inspirant des codes du marché ambulant (Au coin du grill), et une structure itinérante qui veut remettre au goût du jour les soupes à l’ancienne (Ramène ton bol) » (Larrochelle, 2013).
En somme, plutôt que de penser à une menace pour la culture et le modèle français, la cuisine de rue favorise ces derniers. Terlet (2013) souligne même que le nomadisme, le gain de temps de préparation, et la facilité de manipulation, qui sont les leviers du prêt-à-manger, ne nuisent aucunement à la convivialité et la diversité, caractéristiques du modèle alimentaire français. L’atmosphère d’une cuisine de rue est, désormais, « comparable à celle d’un bar ce qui comprend une certaine facilité à parler avec les autres consommateurs » (Artis, 2014, p. 25). C’est une source de réactivation des espaces publics en zone urbaine, et ainsi à une « réappropriation de la rue par les citoyens », à la fertilisation de la ville pour y favoriser le « vivre ensemble », pour « rompre avec l’urbanisme fonctionnel », et faire tisser des liens étroits entre les populations et avec leur territoire, là où la notion de classe sociale est ignorée (avec une même manière de manger sur le doigt) (Artis, 2014, pp. 26-27).
Partie 2. Paris et la cuisine de rue
Cette deuxième partie de l’étude s’intéresse plus particulièrement à l’étude de l’existant concernant le cas de la cuisine de rue à Paris. Sont alors intéressant de comprendre les principales contraintes relatives à cette activité de rue. Une étude de quelques dispositifs de cuisine de rue s’impose ensuite ; et la partie fera enfin une analyse descriptive des manières suivant lesquelles la cuisine de rue s’adapte à l’espace et au temps, afin de surmonter aux problèmes et obstacles qu’elle est amenée à faire face.
2.1. Les contraintes associées à la cuisine de rue
Comparer l’activité de cuisine de rue avec celle relative à la restauration classique révèle certaines difficultés à faire face, des problèmes à résoudre, des obstacles à franchir pour les travailleurs de la rue pour accomplir son métier. Si la résolution de la plupart des problèmes rencontrés relève de la compétence des cuisiniers de rue, il en est autrement à propos de la règlementation qui n’est pas toujours favorable à cette activité et qui est généralement du ressort des autorités locales.
2.1.1.Contraintes spécifiques de réalisation
Lorsque ce sont ces habitants eux-mêmes qui se lancent dans cette activité particulière qu’est la cuisine de rue, il faut reconnaitre qu’il s’agit d’une véritable question d’expertise habitante. En effet, le Street Food nécessite une fin maîtrise de tout l’artefact caractéristique du commerce sur les espaces publics, un savoir-faire et un « maitrise d’usage » à reconnaitre pour mieux considérer cette pratique de cuisine de rue. La nécessite d’une telle expertise tire son sens du besoin de s’adapter qu’exige ce type d’activité qui se distingue bien de la restauration classique. Désormais, il y a lieu de faire avec l’existant, surtout en terme spatial dans un endroit où il n’est pas toujours évident d’exercer en toute liberté le métier de Chef, ni de permettre à un certain nombre de passants de s’arrêter afin de partager pour un moment les produits de son art. Certes, avec des dispositifs plus standardisés, comme pour les Food Trucks du genre « Le Camion qui Fume », la plupart des difficultés qu’imposent les lieux d’implantation sont plus facilement résolue ; mais, en tout cas, il faut faire face à tous les défis de toute activité en plein air, tel que celui de la météo, par exemple.
Brunelle (2015) donne, par exemple, un aperçu des difficultés relatives à la conception d’un camion de cuisine de rue :
« […] le défi principal, outre la petitesse de l’espace, est le drainage ainsi que l’approvisionnement en eau potable et en énergie. Cela signifie entre autres de s’équiper pour produire de l’eau suffisamment chaude pour le lavage de mains et des instruments de travail. Il faut aussi penser à l’évacuation de la hotte (qui peut créer des problèmes d’odeurs dans le voisinage), à la capacité de réfrigération, à la finition des murs intérieurs et aux conduits électriques. La liste est longue ! » (Brunelle, 2015, p. 13).
En effet, il faut que le concepteur des dispositifs de cuisine de rue se pose les bonnes questions pour permettre la réalisation des différentes opérations de préparation des aliments, la cuisson, la distribution dans un petit espace mobile, tout en observant tout un ensemble de règles et normes sanitaires et d’hygiène. Il faut aussi donner au public la possibilité d’apprécier autant qu’il veut le spectacle que mène le Chef ; le public aimerait certainement assister au processus de préparation, du début jusqu’à la fin. Il y a lieu alors de reconnaitre que la conception et la mise en œuvre d’un projet de cuisine de rue, quelle que soit sa taille, requiert les savoirs faires des gens de métiers : architecte, artiste, designer, etc.
Dans ce contexte, il est possible de statuer que la cuisine de rue n’est pas dissociable avec la notion « d’innovation ». La construction d’une activité de ce type implique d’assembler des pièces qui existent déjà mais d’une autre manière pour arriver à satisfaire le caprice du lieu et du temps, pour exister et être actif sur un endroit qui n’est pas vraiment conçu pour être le théâtre de la rencontre d’un cuisinier passionné avec ses clients et son public. De plus, la cuisine de rue se veut être mobile et/ou éphémère, proposant une offre plus élaborée pour se détacher des acteurs traditionnels de la restauration déjà préétablie à proximité. Enfin, il faut arriver à attirer l’attention des passants en usant divers moyens pour toucher leurs sens : allant d’une odeur agréable (faire goutter d’abord l’odeur du plat), en passant par « la musique du Chef » (avec le son composé des différents ustensiles de cuisine en harmonie), jusqu’à frapper les yeux (avec des installations qui sortent de l’ordinaire, par exemple). Mais, encore faut-il pouvoir convaincre ces passants à se joindre au spectacle, à devenir à leur tour des acteurs qui animeront la scène qui vient d’être érigée spécialement pour eux.
En somme, la cuisine de rue vie et survie nécessairement dans un esprit d’invention, de créativité, de surprise, notamment lorsqu’il est compris que ce phénomène tente toujours de s’installer sur un espace nécessitant une réactivation, dans un lieu où les habitants et passants ont besoin de manifester leur existence et de devenir ainsi les acteurs des rues, de la ville qui vit. Néanmoins, même si la cuisine de rue trouve presque toujours les moyens pour surmonter les éventuels problèmes matériels, les difficultés réglementaires lui constituent de temps en temps une véritable impasse.
2.1.2.Cuisine de rue : dans un paradoxe de réglementation ?
Du point de vue juridique, l’utilisation de la rue impose non seulement des droits mais également des devoirs envers les usagers, et plus particulièrement lorsque celle-ci appartient au domaine public. En fait, la ville a la charge de nettoyer de telle rue et de veiller à ce que tout utilisateur respecte la propreté du lieu (par exemple, les riverains doivent balayer le devant de chez eux respectivement et respecte l’organisation du ramassage des ordures ménagères). Aussi, la loi régie les conditions de manifestation dans les espaces publics de sorte à éviter les éventuels débordements tout en garantissant la liberté d’expression via une manifestation sur ces places publiques. En même temps, les autorités publiques ont le pouvoir de restreindre l’utilisation du domaine public, par exemple en interdisant la mendicité sur certaine rue, en limitant et/ou en réglementant le stationnement à plusieurs endroits, etc. « Il existe tout un arsenal juridique concernant les pratiques de la rue qui varie selon les mairies et nul n’est censé en ignorer le contenu, d’autant qu’il en précise les pénalités » (Paquot, 2009, p. 94). L’exercice de certaines activités, dont celles relatives à la cuisine de rue, n’échappe pas à ce contrôle et réglementation de la part des autorités publiques.
Dans cet ordre d’idées, il ne faut pas nier l’existence des représentations parfois négatives associées à la cuisine de rue, du moins par endroit. Dans la ville de Saint-Denis, par exemple, elle est quelque peu mise en relation avec la notion de « précarité » et de « misère » :
« Ils sont des dizaines à vendre sur les trottoirs, dans les espaces publics de Saint-Denis des plats plus ou moins élaborés, confectionnés chez eux et vendus ici ou là. Chômeurs, sans-papiers, retraités ou salariés, ces profils de cuisiniers-vendeurs sont de plus en plus nombreux, poussés par une précarité grandissante dans un contexte fragile et dégradé des quartiers de la politique de la ville. Une économie parallèle jugée souvent gênante par les riverains et élus locaux, pointant du doigt le développement de ce phénomène dit des « marchés de la misère » » (Leborgne, Valet, & al., 2015, p. 11).
Le caractère « informel » de la plupart des commerces développés dans la rue (en se référant à l’exemple de la ville de Saint-Denis) est traditionnellement mis à l’index par les autorités locales ; mais, en même temps, celles-ci reconnait aussi que la « part importante » de ce commerce informel (les termes « économie sous-terraine » est même employée) sur l’économie n’est pas non plus négligée. En effet, il est à reconnaitre que les activités, les modes d’occupation de l’espace, les réseaux et les pratiques de ces vendeurs de rue confèrent à ces derniers le statut d’acteur majeur du paysage urbain (au moins, pour l’exemple cité de Saint-Denis). La cuisine de rue dans plusieurs villes de France a ainsi longtemps une sorte de « tensions entre le caractère normatif de l’espace et ses modes divers d’appropriations » (Leborgne, Valet, & al., 2015, p. 11). Il n’est pas rare d’entendre, dans les discours traitant de l’aménagement et de l’organisation de l’espace urbain, que de tel commerce (généralement informel pour des villes comme Saint-Denis, par exemple) apparait comme indésirable et nuisible aux yeux des habitants, des usagers, et surtout des commerçants exerçant leurs activités en permanence (avec fonds de commerce) sur les lieux concernés. L’appropriation qualifiée d’illégale des espaces publics est alors pris en tant que trouble à l’ordre public, et les problèmes relatifs à la circulation, au partage de l’espace et à la propreté sont souvent utilisés comme argument au refus d’établissement d’une cuisine de rue dans les rues de la ville. « Ce marché souterrain devient incompatible avec l’acception classique et fonctionnelle de l’espace public, devant répondre à un certain nombre de normes et de règlementations strictes, dans la mesure où il porte atteinte à la tranquillité publique et porte préjudice à l’image des villes » (ibid.).
Néanmoins, il ne faut pas passer à côté des opportunités, notamment économiques et sociales, qu’offre la cuisine de rue, et des observateurs y voient même le germe d’une « économie solidaire, d’une consommation collaborative, d’une offre alimentaire de qualité, de circuits courts et de services en milieu urbain, et […] de l’innovation sociale […] » (ibid.). En outre, il faut admettre que la notion de précarité est souvent attribuée abusivement à la cuisine de rue lorsqu’il est considéré que cette dernière rassemble également de nombreux professionnels expérimentés du secteur de la restauration, tandis que « d’autres ont déjà développé leur propre activité de vente de plats cuisinés en espace public sans pour autant disposer de la licence et des autorisations nécessaires mais en ayant recours au régime de l’auto-entrepreneuriat » (ibid., p.12).
D’autres idées situent les pratiques alimentaires dans un registre souvent sombre en parlant de nomadisme et de « malbouffe ». Ces idées pourraient ainsi utilisées pour soutenir le refus de la cuisine de rue, bien que des efforts soient désormais constatés pour promouvoir celle-ci ces dernières années. Ribet (2013) répond à ces critiques en remarquant que les nourritures véritablement nomades sont rares (le mangeur est toujours invité à trouver un endroit afin de s’asseoir pour finir sa restauration), et que la qualité constitue désormais le mot d’ordre du « Street Food » (des Chefs s’invitent même à ce phénomène, d’autant plus que des jeunes du métier y trouvent un cadre efficient pour se lancer davantage dans la profession, à moindre coût). Il importe alors de relativiser les différentes mauvaises représentations associées à la cuisine de rue, surtout lorsque celles-ci sont juste empruntées à titre préférentiel.
En effet, surtout dans la période pouvant être située avant l’année 2015, les municipalités épousent très souvent le positionnement des restaurateurs qui apprécient mal la concurrence que leur mène la cuisine de rue : sont systématiquement avancés pour mettre à mal la cuisine de rue, outre les problèmes de stationnement, ceux relatifs aux papiers gras et au respect des normes sanitaires. Mais, les réactions non-uniformes de différentes villes sur ce point viennent en inculpation même de ceux qui cherchent coute que coute les prétextes pour neutraliser le street food :
« Les pouvoirs publics réagissent très diversement et si des villes comme Bordeaux, Montréal ou Québec (et même Chicago, au début du mouvement) sont plutôt réservées, d’autres apprécient cette animation supplémentaire. On peut parier que sous peu des maires s’inspireront de Boston (Massachusetts), qui régule ce commerce tout en l’encourageant : des véhicules sélectionnés sur concours (portant sur la qualité de la nourriture proposée) bénéficient d’un prêt à taux réduit et d’une aide technique » (Artis, 2014, p. 17).
En ce qui concerne plus particulièrement la ville de Paris, la perspective n’a pas été très favorable pour ces commerces classés de « sauvages » qui ne paient pas de loyer, n’ont pas d’autorisation de stationner et qui mènent alors, selon les restaurateurs de la capitale, une concurrence déloyale. La municipalité de Paris précise ainsi :
« La mairie ne souhaite pas aujourd’hui autoriser des food trucks dans les rues. Paris est une ville dense dont l’espace public est déjà très encombré. De plus, avec quelque 13 000 cafés et restaurants dans notre ville, encourager l’installation de food trucks dont les charges seraient par définition beaucoup plus faibles que celles des commerçants sédentaires pourraient créer une forme de concurrence déloyale » (Artis, 2014, p. 22).
Ainsi, jusqu’en 2014-2015, « Le Camion qui Fume » et « Cantine California » sont principalement les seuls Food Trucks ayant obtenu de l’autorisation pour faire leur commerce dans les rues parisiennes, et cela dans un périmètre très cadré (Amiral-Bruix, Aguesseau, Saint-Honoré, et Raspail). Jean Terlon, une figure de la Fédération nationale de la restauration française, déplore cette position de la Mairie de Paris en qualifiant le problème de « culturel », que si les Food Trucks s’étaient établis en province, la situation aurait été toute autre. En effet, les attitudes moins fermées des autorités municipales de Paris, observées depuis quelques années, envers le Street Food démontre que la pratique de cuisine de rue n’est pas si mauvaise que certains pourraient tenter de le faire croire.
Désormais, la ville de Paris commence à accorder une attention beaucoup plus favorable à l’égard de la cuisine de rue, notamment à travers l’organisation d’évènements divers. A citer, par exemple, le festival gastronomique de cuisine de rue auquel le Conseils de Paris a lancé un appel à proposition en novembre 2016. Ainsi, à côté des Food Trucks, seront également au rendez-vous les « Food bikes », les « triporteurs » et les « stands de rue », tout en recherchant une complémentarité avec les restaurants traditionnels de Paris, « sous l’angle de l’innovation, de la diversité et de la qualité des produits proposés » selon l’adjointe à la Mairie de la ville, chargée du commerce, de l’artisanat, des professions libérales et indépendantes, Olivia Polski (Neorestauration.com, 2016).
Certes, la situation est en train de subir certains changements appréciables et en faveur de la cuisine de rue, mais le progrès reste apparemment limité, peut-être à cause de la prudence des municipalités de la ville envers la mauvaise image longtemps attribuée au Street Food. En effet, il semble que les promotions faites à l’égard de la cuisine de rue sont essentiellement réalisées dans le cadre d’évènements, sans nécessairement émanant d’une volonté de vraiment vulgariser l’ensemble du créneau dans le sens d’une pérennisation de tout type d’activités relatives au Street Food dans la ville de Paris (les actions se cantonnent jusqu’ici sur seulement quelques types de dispositifs, à savoir : le Food Truck, le Food bike, le triporteur et le stand de rue). Des efforts restent alors à réaliser dans cette direction pour tenir compte de toutes les opportunités offertes par la cuisine de rue dans le cadre de la réactivation des espaces publics.
2.2. Voyage au cœur de la cuisine de rue parisienne : étude de cas
2.2.1.Présentation de quelques dispositifs existants
2.2.2.Etude des dispositifs
2.3. Déploiement de la cuisine de rue en termes de spatialité et sur les plans économique et politique
La cuisine de rue ne se résume pas en une simple activité culinaire de rue à faible incidence sur l’environnement. Il faut reconnaitre que les impacts de cette activité pourraient être profonds et touchés plusieurs dimensions dans la vie de la population de la ville concernée, dont notamment politique, socioéconomique et urbanistique. Il ne s’agit donc pas seulement de considérer les efforts effectués par les acteurs de l’offre de cuisine de rue pour s’installer dans le paysage urbain non nécessairement prêt à les recevoir, mais également l’implication des autorités locales pour favoriser ce phénomène qui aurait beaucoup à apporter à la réactivation des espaces publics.
2.3.1.Comment la cuisine de rue s’adapte-t-elle à l’espace urbain
Boyau (2013) donne une description relativement approfondie des idées ingénieuses appliquées par les architectes et promoteurs de la cuisine de rue pour surmonter toute difficulté relative à l’exercice de cette activité culinaire sur les espaces publics ; il arrive qu’un facteur blocant soit utilisé comme appui pour surmonter ce facteur même. L’auteur montre à quel point la cuisine de rue est un véritable art, non seulement sur le domaine gastronomique mais également, et surtout, dans la manifestation de la débrouillardise de ces acteurs de l’animation des rues : celles-ci n’étant pas toujours prêtes à les accueillir favorablement, c’est à eux de faire en sorte qu’elles le sont. La cuisine de rue doit alors s’adapter au milieu urbain, aussi bien du point de vue spatial que temporel.
2.3.1.1. Adaptation spatiale
Certains de ces animateurs des espaces publics cherchent à mettre en avant « l’existant », les ressources du lieu. A citer à titre d’exemple, la « cuisine poubelle » du collectif « ZOOM architecture » qui a utilisé le conteneur à ordure urbain standard pour faire office de dispositif de cuisine de rue. La reconversion a été réalisée en ne faisant qu’un minimum d’intervention sur le conteneur par la création d’une simple ouverture latérale et l’installation d’un plan de travail pliable. C’est objet urbain assez banal a alors été transformé en objet d’attraction qui circulait (le conteneur étant déjà mobile) dans la ville de Grenoble lors de l’exposition « nouvelle vague » réalisée par la Maison de l’architecture de Grenoble en mai 2007. Ce spectacle de rue a été expressément organisé dans l’esprit de montrer au public la démarche du comment « faire avec ». S’appuyer sur l’existant revient à valoriser encore plus le lieu en tant qu’espace public (il n’est pas question de tout renouveler, de faire perdre à l’endroit son statut d’espace public : les habitants et les passants doivent toujours reconnaitre le caractère commun et non privatif des lieux).
En tenant compte de l’existant, il faut alors chercher à s’insérer dans le cœur des espaces publics, notamment au niveau des plus stérilisés des lieux, afin que la cuisine de rue puisse y jouer pleinement son rôle d’animateur, de « revitaliseur ». Ici, la notion d’adaptation est encore centrale pour s’intégrer, même dans les places les moins évidentes de la ville. Ainsi, le designer François Azembourg, à travers son projet « Estaminet », a conçu une cuisine-restaurant ayant le gabarit d’une voiture pour s’incruster entre deux véhicules d’un parking, par exemple. L’Estaminet est composé, d’une part, de deux niveaux qui se superposent pour recevoir une douzaine de clients assis et, d’autre part, d’un volume réservé au Chef qui se situe entre les deux niveaux afin de pouvoir s’adresser aisément à ses convives, les servir. Les deux faces latérales de l’Estaminet étant vitré, tous ceux qui y pénètrent deviennent les acteurs de ce nouveau théâtre culinaire aux yeux du public qui voit en ce monument éphémère un élément qui neutralise le processus de stérilisation auparavant en œuvre sur ce lieu devenu vivant avec cet évènement.
La cuisine de rue trouve aussi un point d’ancrage dans des espaces pouvant être qualifiés « d’intermédiaires », « de transition » puis qu’ils se situent à cheval des espaces privés et des espaces publics. En fait, Vassart (2006) mentionne « l’effacement progressif des frontières entre l’espace public et l’espace privé [et] la conception architecturale suivrait une évolution parallèle » (p. 17). Cet estompage des limites visibles entre le commun et l’intime prouve que celles-ci « ne sont que rarement des frontières définitives et rigides : elles peuvent être poreuses, malléables, aménageables » (Segaud, 2014, p. 62). Meiss (1993) décrit cet espace intermédiaire de la façon suivante : « Toute relation entre deux lieux ou entre un intérieur et un extérieur procède de deux aspects de dépendance. Elle aménage à la fois séparation et liaison ou, en d’autres termes, différenciation et transition, interruption et continuité, frontière et passage » (p. 160). Il est possible d’identifier trois principales catégories d’espaces de transition : les lieux conçus avec le projet de construction des habitations justement pour relier l’espace public à l’espace privé (dont la cour ou encore le jardin privatif, mais également et surtout les seuils, portes, fenêtres, balcons, etc.), les espaces qui permettent la réalisation d’activité familiale et domestique d’extérieur mais susceptibles de devenir communs au voisinage (les jardins partagés, par exemple), et les espaces entre les bâtis, essentiellement entre les immeubles construits. En guise d’illustration à l’exploitation de ces espaces intermédiaires par la cuisine de rue, les « City eyes » des architectes hollandais réunis dans le « DUS architects » : le dispositif consiste à réunir les deux espaces, privé et public, le temps d’un repas en se servant de la fenêtre comme support de la convivialité recherchée. Ces architectes ont particulièrement voulu amener les gens à s’interroger quant à leurs propres rapports avec l’espace public en se dressant dans ce lieu de transition.
Le Street Food crée aussi, en quelque sorte, un endroit en plein cœur de la ville mais qui semble être distinct de celle-ci. Ce concept a été manifeste avec le dispositif « Das Kuchenmonument », (la cantine monument) du collectif « Raumlabor », constitué d’une structure en plastique transparent gonflable d’environ 200 m² pour accueillir toutes les composantes de la cuisine et les convives. Ce monument propose alors aux passants de s’extirper de la ville pour un moment tout en étant dedans, de s’isoler de l’espace public tout en restant à l’intérieur : la vie extérieure apparait donc distanciée durant un instant de partage autour du « manger ensemble » sous bulle.
Finalement, en ce qui concerne le domaine spatial, la cuisine de rue offre au public une opportunité de s’approprier des espaces communs de diverses manières. En fait, il ne faut pas oublier que le Street Food se déploie nécessairement dans un endroit qui n’est pas le sien, qu’il n’occupe que temporairement et, de ce fait, il invite aussi les gens de faire autant. Ainsi, ces derniers sont conviés à se mettre à table comme s’ils étaient dans leurs propres foyers respectifs mais dans un lieu partagé avec « tout le monde ». Dès fois, la cuisine de rue n’intègre pas de mobilier permettant à la consommation des mets, c’est-à-dire que c’est au mangeur de s’inventer une place, de faire la démarche pour se fondre au lieu en se cherchant l’endroit optimal qui lui convient le mieux. Un nouvel usage des endroits permet alors une plus profonde appropriation de ceux-ci. Le mangeur en devient donc un usager actif de l’espace public, un tacticien qui pourrait également transformer à son gré ce lieu, et il pourrait se créer une nouvelle représentation de cet endroit tout différent de l’auparavant.
2.3.1.2. Adaptation temporelle
Comme il s’agit avant tout d’attirer l’attention des passants et des habitants et, in fine, réactiver le lieu, le temps qui passe pour la mise en œuvre des actions relatives au déploiement de la cuisine de rue est un précieux élément à ne pas gâcher. C’est pour cela que tant de mise en œuvre opte pour faire de ce déploiement un évènement, un temps qui suscite l’interrogation des uns et des autres ; et cet évènement perdure tant qu’il y a encore une trace visible de la cuisine de rue sur l’endroit. Tout est fait pour nourrir la curiosité : odeur agréable non familière, fumée, etc. car c’est ainsi que les acteurs de ce théâtre agissent dans leur recherche des membres de l’équipe devant animer ce spectacle éphémère de rue.
Il faut admettre que la mise en œuvre n’est pas généralement chose aisée : la réactivation de l’espace public nécessite que la cuisine de rue arrive non seulement à attirer l’attention des passants, car il faut que ceux-ci prennent le temps de s’arrêter et de demeurer un instant plus ou moins long, au moins le temps de finir leurs assiettes. Ce lieu-là, ils n’ont principalement l’habitude que de simplement traverser dans leur quotidien, sans nécessairement avoir pensé d’y dépenser leur temps un jour. Or, pour qu’il y ait vraiment réactivation des espaces publics, il faut qu’il y ait un renouvellement conséquent des pratiques de chacun sur ces endroits. C’est une occasion pour les participants au spectacle de prendre du recul par rapport à leurs habitudes, à leur vie, à leur ville, et ainsi de penser à mettre à jour certaines des représentations qu’ils se font de leur environnement urbain. La cuisine de rue constitue ainsi une de ces « stimulations particulières (qui) raniment, voire semblent parfois comme régénérer les sens des citadins, leur offrant une prise de conscience de ce qu’ils négligent par habitude, de ce qui s’efface peu à peu à leurs yeux, leurs oreilles, etc. » (Catherine, 2006). Ce bref moment de recul, de nouvelle contemplation des espaces publics pourraient aussi générer des idées nouvelles chez ces participants au spectacle qui, ayant fait un premier pas dans l’appropriation des lieux, trouveront certainement quelque chose à dire à propos de l’amélioration possible du rapport des citoyens avec ces places communes.
Certes, les restaurants classiques disposent de temps suffisant pour bâtir des stratégies solides en termes de relation client, par exemple. Néanmoins, le temps court au cours duquel se déroule le spectacle culinaire de rue pour le Street Food lui confère aussi l’avantage de créer la surprise en perturbant les pratiques plutôt banales des espaces publics et en proposant d’autres sans pour autant les imposer (comme c’est en principe le cas dans les restaurants classiques : les clients ont probablement une plus faible marge de manœuvre sur les activités possibles, alors que les mangeurs de la cuisine de rue ont même une certaine compétence à moduler le lieu public).
« Éternelles voyageuses, les cuisines font escale, à l’image d’ »Emma » du collectif Raumlabor. Composé de sept « tableswagonnets », la structure a créé de multiples espaces conviviaux sur le mode de l’éphémère à l’occasion d’un workshop dans la ville de Genève. Chaque escale est une occasion fugace, pour les riverains, d’embarquer dans l’expérience ». (Boyau, 2013, p. 37).
De par son caractère éphémère et temporaire, la cuisine de rue est conçue en quelque sorte pour ériger des monuments appelés à évoluer dans le temps. Autrement dit, la cuisine de rue est conçue tel un « mobilier test », quelque chose qui n’est pas fixe et immuable. Les mangeurs sont invités à se joindre au concepteur de chaque cuisine de rue pour participer à la création et l’animation des espaces dans lesquels elle s’implante, de telle création et animation n’est jamais achevée mais mise en œuvre en permanence. En somme l’appropriation de l’espace public par les participants est réelle avec ce type d’activité culinaire.
2.3.2.Intégration économique et politique de la cuisine de rue
Il faut dire que les avantages apportés par la cuisine de rue ne lui reviennent pas exclusivement. Par exemple, le Street Food pourrait favoriser dans l’ensemble de la population concernée un attrait gastronomique accru. En effet, la cuisine de rue « démocratise », en quelque sorte, l’art culinaire en permettant un accès moins cher à la haute cuisine. Cet accès et le fait d’y gouter pourrait améliorer sensiblement la façon de voir du public de cette cuisine haut de gamme et pourrait changer en conséquence leurs comportements vis-à-vis de celle-ci : même si la nature et l’étendue de ce changement espéré reste à évaluer, il est possible d’estimer que la part des dépenses allouées par les ménages français à la haute cuisine pourrait connaitre une hausse. « C’est une façon de donner aux gens qui ne peuvent ou ne veulent pas se payer les grandes tables […] un aperçu, un avant-goût des talents des chefs et des cuisiniers qui œuvrent dans les cuisines de notre métropole » (Cerf & Vincent, 2016, p. 6). Les goûts et les besoins alimentaires des individus pourraient subir une transformation progressive, mais profonde, et cela affecte incontestablement leur culture gastronomique.
De manière contigüe à l’exemple cité précédemment, la cuisine de rue pourrait être capable de faire diversifier, non seulement l’offre alimentaire déjà existante, mais elle permet également à l’ensemble des acteurs de la restauration de rejoindre un marché plus vaste et de se faire connaitre davantage. Désormais, le spectacle culinaire de rue constitue une campagne de communication publicitaire réalisée en permanence par ces animateurs des espaces publics à travers la théâtralisation du métier de Chef.
Pour la ville (de Paris), la cuisine de rue devient un autre élément moteur de plus du développement du tourisme. En effet, les touristes qui viennent visiter la Métropole parisienne trouveraient dans le Street Food un moyen simple mais riche pour gouter à l’authenticité de la culture française (à côté de la qualité cosmopolite de la population de la ville). Cela pourrait constituer un argument pour les touristes de fréquenter certains lieux moins connus, et permettant alors leur revitalisation.
Du côté urbanistique, l’implantation de la cuisine de rue donne aux citoyens de la ville de Paris de redécouvrir (autrement) ses espaces verts, ses squares, ses parcs, etc., des endroits oubliés par certains mais qui méritent de retrouver leur vivacité. En effet, même si les gens ne sont initialement motivés que pour satisfaire leurs besoins alimentaires, ils pourraient être amenés à vouloir aller plus loin dans la découverte de la potentialité des lieux qu’ils sont en train de fréquenter. Le partage et le plaisir d’échanger qu’ils côtoient dans ces lieux ne peuvent que les inviter à revivre leur expérience. Ainsi, la ville de Paris devrait établir une politique de la cuisine de rue adéquate à des objectifs au moins sur les plans socioéconomiques et urbanistiques. Cela devrait alors toucher la question d’implantation de la cuisine de rue : bien entendu, le laisser-aller peut être contreproductif et nuire à l’ordre, l’esthétique, l’environnement, etc. En d’autres termes, la réussite dans ce sens ne signifie pas « interdiction formelle », ni « absence de réglementation » : ce sont les objectifs qui devraient servir de vecteurs directeurs dans l’élaboration de la politique de la cuisine de rue. Par exemple, l’implantation de certains Food Trucks pourrait être favorisée dans des lieux estimés comme des déserts alimentaires (offre alimentaire pauvre, éloignée des lieux de travail, faiblement accessible à une frange d’habitants, etc.). D’autres paramètres devraient également pris en compte dans la conception de la politique de la cuisine de rue, à savoir : déplacement et stationnement des véhicules relatifs à cette activité (horaire, itinéraire, etc.), la question du respect de l’environnement et le développement durable (compostage, recyclage, gestion des déchets et des eaux usées, etc.), les normes en termes de pollution sonore, etc.
Cela dit, la politique de la ville concernant la cuisine de rue ne devrait réduire cette dernière en simples évènements (un évènement ne tenant lieu que quelques jours) puisqu’il s’agit, en fin de compte, de la considérer comme un acteur permanent de la réactivation des espaces publics, des quartiers, de la ville. De même, il faut penser plus large que les seuls Food Trucks, surtout lorsqu’il est compris que la cuisine de rue tient à ce que les mangeurs soient pleinement intégrés dans l’animation de ces espaces communs : il est question d’accorder à l’ensemble des acteurs de cette réactivation de ces lieux une certaine marge de manœuvre pour qu’ils puissent vraiment s’approprier de ces endroits, que les dispositifs qu’ils utilisent (et ainsi les lieux sur lesquels ils se déploient) puissent s’évoluer au besoin.
En somme, tous les acteurs de la scène politique, notamment au niveau local, mais également les techniciens (dont en particulier l’architecte) devraient comprendre les enjeux socioéconomiques et urbanistiques du développement de la cuisine de rue dans une ville comme Paris.
Partie 3. La cuisine de rue et l’architecte
Cette dernière partie se focalise sur l’appréhension de la cuisine de rue en tant qu’œuvre architecturale. En fait, l’architecte ne doit pas seulement faire en sorte que la cuisine de rue existe et remplisse son rôle de plusieurs manières en termes de réactivation et d’animation des espaces publics, mais il devrait également s’inspirer du Street Food pour toute conception et mise en œuvre de projet urbain.
3.1. Une manière de faire autrement
La cuisine de rue n’est pas immuable, surtout en considérant son caractère temporaire et éphémère sur un endroit précis ; on parle souvent même de « street food itinérant » pour évoquer ce caractère évolutif de la cuisine de rue. Il y a lieu alors de tirer des leçons des différentes caractéristiques de la cuisine de rue, en tant qu’espace public par excellence, afin de construire également les projets architecturaux de la ville.
3.1.1.Philosophie de vie/ville
Avant tout, il faut dire que la cuisine de rue s’intègre bien dans la double dimension du concept d’espaces publics :
- D’un côté, avec l’espace public (au singulier, au sens de Paquot, 2009) signifiant « sphère publique », la cuisine de rue peut jouer le rôle que tenaient le « salon » et le « café » durant des siècles. En effet, l’esprit inventif, créatif et innovatif que renferme la cuisine de rue devrait amplifier l’esprit critique chez les gens, et le Street Food se propose ainsi comme un cadre adapté aux débats de toute sorte. La cuisine de rue peut être, dans ce sens, appréhendée comme un véritable « espace public » par excellence car permettant et favorisant la fabrique d’opinions ainsi que la publicité de celles-ci. Désormais, les salons et les cafés n’apparaient plus légitimement comme pouvant réunir toutes les franges de la population, à cause notamment des prix de la consommation dans ces lieux qui ne sont pas accessibles aux individus à faible pouvoir d’achat. Quant à la presse, elle, tend à devenir « entièrement dépendante de la réclame, elle ne peut plus jouer ce rôle et c’est la fin d’un certain espace public» (Paquot, 2009, p. 10). La cuisine de rue, pour sa part, n’est a priori censée être colorée par aucune idéologie politique. Montanari (2010) souligne, par exemple, l’importance du fait de partager un repas avec autrui sur le plan communicationnel : « Dans la mesure où les gestes faits avec les autres tendent à sortir du cadre strictement fonctionnel pour prendre une valeur communicative, la vocation conviviale des hommes se traduit immédiatement dans l’attribution d’un ‘sens ‘aux gestes faits en mangeant » (p. III).
- D’un autre côté, les espaces publics (au pluriel, toujours au sens de Paquot, 2009) qui impliquent des lieux physiques, géographiques, localisés (lieux urbains). La cuisine de rue remplissent, à l’image de ces lieux, le rôle attribué à un espace commun qui est essentiellement la mise en relation (au moins potentiellement) des individus qui s’y trouvent. La cuisine de rue faciliete, en quelque sorte, chez ses différents acteurs, l’expression de l’altérité, c’est-à-dire une possibilité pour le « soi » d’éprouver « l’autre ».
Tout cela implique que la cuisine a le potentiel de se comporter en tant qu’espace « circulationnel » et « communicationnel » efficace entre les individus dans une ville qui n’auraient probablement pas autrement l’opportunité de se croiser, de se faire connaissance, de se saluer, d’engager la conversation entre eux, de se partager un instant, etc. En considérant le caractère « mort » d’une ville sans âmes, dépourvue d’habitants, il est légitime d’insister sur la place cruciale que tient alors la cuisine de rue dans la vie collective des sociétés qui existent dans la ville, dans la vie de la ville.
En outre, la cuisine de rue propose un cadre de re-questionnement du rapport de l’individu avec son alimentation, aussi bien au niveau des aliments proprement dits que du côté de leur production. A citer en guise d’exemple le « Hortirecycling entreprise act II, processing unit » de Lucy Orta qui consiste à récolter les légumes et fruits considérés comme impropres à la vente chez certains marchands pour ensuite en faire les ingrédients des mets préparés au marché et offerts aux passants. Cet exemple démontre à quel point le public est appelé à méditer et à agir en conséquence concernant le gâchis alimentaire qui apparait ancré dans la vie au quotidien de chacun. La cuisine de rue peut également (encore à titre d’exemple) être utilisée pour susciter des interrogations à propos des origines des matières premières utilisées (pour favoriser le « consommer local », les produits « bio », par exemple) ou encore sur le rapport des citoyens et des différents acteurs (sociaux, économiques, politiques, etc.) avec l’environnement (écologique).
De plus, la cuisine de rue est un moyen à privilégier pour réunir des personnes issues d’origines diverses dans une même action dans un même lieu afin de partager un même instant. Cela met en évidence que le Street Food s’adresse à tout usager de l’espace urbain, chacun mettant de côté ses façons de se mettre à table (donc une sorte d’acculturation) pour se réunir dans des pratiques communes (l’art de « manger sur le pouce », par exemple). La convivialité retrouvée dans cet espace public qu’est la cuisine de rue prouve que celle-ci constitue un véritable catalyseur de rencontre, d’interaction, de revitalisation entre les différents participants et avec ces lieux souvent chargés de débats et d’échanges constructifs. Le collectif « AAA », par exemple, a réalisé des cuisines de rue dans le but d’invoquer la mémoire des lieux, un évènement qui a permis à la réalisation d’autres activités concrétisant les opinions évoquées dans cet évènement. Le collectif ETC a emprunté aussi le concept pour ensuite organiser des « ateliers de re-questionnement ou de réappropriation du quartier » (de Hautepierre, Strasbourg, 2011) dans un ton marqué par les problématiques relatives au plan de rénovation urbaine qui était en cours.
En somme, il y a lieu de penser que la cuisine de rue devrait être prise comme un outil d’animation, revitalisant et de réactivation des espaces publics, des individus qui les fréquentes et, in fine, de la ville. Il s’agit de « construire des situations et des dynamiques susceptibles d’ouvrir à chacun la possibilité d’exercer une curiosité critique sur son quotidien et de s’impliquer dans le processus qui le transforme » (Joffroy, 2001, p. 53).
3.1.2.Revendication – Politique de la ville
En parlant d’urbanisme, de réactivation des espaces publics, de revitalisation de la ville, il ne faut pas passer à côté de la « politique de la ville », un élément très agissant dans la vie des habitants, mais qui apparait paradoxalement quelque peu éloigné de ces derniers. En fait, la notion de « participation habitante », ou plus simplement « participation des habitants à la politique de la ville » a suscité de nombreux débats sur l’effectivité de celle-ci. Désormais, cette participation habitante est prise en tant que condition nécessaire dans la mise en œuvre de la politique de la ville : « Pour réussir, la politique de la ville doit se faire avec les habitants. Les opérations de renouvellement urbain en particulier sont des opérations lourdes qui si elles ne sont pas comprises et appropriées par les habitants peuvent être même contreproductives » (MDFVJS, 2014). Ainsi, l’appropriation des habitants de cette politique, et surtout des espaces concernés par cette dernière, dépend étroitement de la qualité de cette participation, notamment dans le sens d’une construction de représentation convergente (positive ou négative) envers les travaux réalisés (ou à réalisés), leur utilité, leur pertinence. C’est de là que vient le sentiment de responsabilité des citoyens vis-à-vis des espaces, de la conscience des individus qu’ils sont de véritables acteurs et non de simples usagers de ces espaces publics. La qualité de cette participation reflète aussi les caractéristiques des relations qu’ont les habitants, non seulement avec les autorités locales, mais également avec les techniciens et les architectes qui conçoivent et mettent en œuvre les projets de construction et de reconstruction de la ville (ORIV, 2009). « C’est pourquoi la politique de la ville s’est toujours attachée à ce que la voix des habitants des quartiers populaires puisse être entendue grâce à des instances de participation. Cependant loin d’être une réussite, ces instances se sont souvent révélées peu efficaces, voire elles auraient participé au creusement du fossé entre les habitants plus en marge et le reste de la société » (Maruszak, 2015, p. 7).
Sans vouloir approfondir les problèmes relatifs à ce manque d’implication des habitants dans l’élaboration et la mise en œuvre des projets qui les concernent pourtant, il y a lieu tout simplement de se référer au « Rapport Dubedout » qui met en évidence les failles sur ce point. Entre autres, Dubedout (2011) révèle ce qu’est une « participation artificielle qui réduit le rôle des habitants à celui de simples assistants, témoins des changements qui sont opérés dans leurs quartiers. Certes, des dispositifs de participation existent, mais sont en quelque sorte « imposés » par les pouvoirs publics eux-mêmes, pointé par Carrel (2004) comme une manifestation de ce qu’est « l’injonction participative ». En conséquence, la distance entre les habitants et « l’espace public » (dans les deux sens du terme, selon Paquot, 2009) se creuse.
Pour remédier à ce manque de participation des habitants dans l’élaboration et la réalisation des différents projets urbains, il faut faire en sorte que les demandes des habitants concernant ces projets puissent rencontrer les offres de la part de l’Etat et des techniciens dans la politique de la ville. C’est là que la cuisine de rue, avec sa fonction communicative, de constituer un cadre de débat, de fabrique d’opinions, de moyen de publicité des avis afin de motiver l’entrée des citoyens dans la scène politique de sorte à favoriser leur prise de parole pour influencer la politique de la ville. Ainsi, comme la cuisine de rue est un espace public, c’est-à-dire une voie par laquelle le public veut se faire entendre et, il reste à faire pour que les opinions publiées dans ce cadre puissent vraiment être entendu. Plusieurs collectifs œuvrent dans ce domaine (comme le montrent les exemples cités dans la sous-section précédente, concernant les collectifs AAA et ETC) pour recueillir les idées des gens qui prennent part aux débats organisés à travers des cuisines de rue.
3.2. Voyage au cœur de la cuisine de rue innovante parisienne : étude de cas
3.2.1.Les Guitounes
3.2.2.Cheminambule
3.2.3.« Ramène ton bol »
3.3. Perspectives d’évolution
Dans cette dernière section, il est surtout question de se faire quelques perspectives majeures concernant la cuisine de rue en particulier, et à propos des espaces publics ainsi que des projets urbains les concernant en général. Deux angles spécifiques sont privilégiés dans la considération de ces perspectives d’évolution : d’un côté, une perspective sociologique et, d’autre côté, une perspective urbaine.
3.3.1.Perspective sociologique
Si la cuisine de rue a parfois une certaine mauvaise réputation sur certains plans, dont sanitaires et d’hygiène, il n’est pas impossible d’inverser cette représentation. En effet, plutôt que de « blâmer » cette pratique de rue et de la neutraliser (avec tous les avantages qu’elle est susceptible de générer sur les domaines social, économique et urbanistique, entre autres), il importe de trouver les moyens pour la rendre conforme aux normes (sanitaires et d’hygiène, par exemple). Dans cette perspective, la cuisine de rue peut servir d’outil efficace afin de pallier aux déserts alimentaires (accessibilité de nourriture de qualité acceptable à un prix relativement modeste), servir de support (très visible) dans l’éducation nutritionnelle et l’hygiène de vie de la population. « C’est dans cette même veine que le Marché Saint-Pierre [Montréal], dont la mission consiste à contribuer aux saines habitudes d’alimentation et à rendre accessibles, tant géographiquement que financièrement, des produits frais aux citoyens du quartier Saint-Pierre, a justement été créé » (Bolduc, Chabot, & al., 2012, p. 10).
L’implantation de certaines cuisines de rue dans des endroits ciblés rend également plus accessible des produits alimentaires de haute qualité pour une frange de population qui n’aurait pas pu profiter de cet avantage autrement. Il en est par exemple des personnes âgées et des personnes à mobilité réduite (en situation de handicap, en l’occurrence). Cela peut aussi influencer l’offre de restauration en général, et les opérateurs de ce secteur pourraient être amenés à améliorer l’accès de ces personnes citées précédemment à leurs services.
Il faut aussi parler des retombées urbanistiques du développement de la cuisine de rue, surtout dans des quartiers assez sensibles au niveau sécuritaire. Désormais, il faut reconnaitre que le bien-être et la convivialité des habitants ne sont pas dissociables au sentiment de sécurité qu’ils éprouvent lorsqu’ils fréquentent les espaces publics. C’est dans ce sens qu’a été envisagé un projet relatif au développement de la cuisine de rue dans la ville de Montréal :
En animant l’espace public par le biais de projets de nourriture de rue, il serait possible d’encourager la réappropriation des milieux urbains, de dynamiser des lieux qui seraient autrement considérés comme dangereux et de créer des places publiques de rassemblement pour la communauté. […] Dans cette mesure, la nourriture de rue présente des pistes de solutions intéressantes pour lutter contre la dégradation des milieux urbains, la stigmatisation de quartiers stagnants et la progression de l’insécurité alimentaire. Elle a le pouvoir de rassembler des gens et de bien les nourrir » (Bolduc, Chabot, & al., 2012, pp. 10-11).
De plus, le développement de la cuisine de rue constitue une opportunité pour la création « d’entreprises sociales » (à côté des entreprises commerciales qui exploiteront aussi dans ce domaine), c’est-à-dire celles qui favorisent la cohésion sociale et la solidarité des citoyens. Ces entreprises ont pour vocation d’aider à la structuration des quartiers en visant à répondre aux enjeux sociaux qui touchent à la fois les habitants et les institutions locales. A attendre de ces entreprises, à travers la cuisine de rue, une amélioration conséquente des conditions de vie de la population locale en insistant sur l’inclusion à la vie collective des habitants.
3.3.2.Perspective urbaine
Les exemples de réalisation faite ailleurs donnent des leçons sur les perspectives concernant la cuisine urbaine dans une ville comme Paris. Ainsi, il est possible de s’appuyer sur des matériaux « originaux » surtout pour raviver l’attention du public envers cette pratique de rue qui se développe. A citer alors les aménagements montrant un aperçu de l’univers des possibles selon les travaux du designer anglais, Oliver Bishop-Young, en utilisant les bennes de construction comme matière première de base. Cela donne même des idées sur la généralisation de l’utilisation de « l’existant » pour être le support des dispositifs de cuisine de rue. Par exemple, le collectif Redar, avec le mouvement « PARK(ing) DAY », dans la ville de San Francisco en 2005, a invité les citoyens, activistes et artistes tous les troisièmes fins de semaine à s’installer sur les places de parking, de façon temporaire. L’ultime objectif de cette manifestation régulière a été la réappropriation des espaces publics par les citoyens et les artistes, cela par la proposition d’espaces conviviaux sur ces lieux (parkings) quelque peu stérilisés par la présence automobile. Incontestablement, ces expériences ont pu donner de nouveaux visages à la ville, à ces espaces publics qui ont fait l’objet d’investissement inédit. Cela montre à quel point ces espaces sont modifiables, modulables, susceptibles d’évolution au gré de ceux qui veulent y mettre leurs efforts pour s’approprier de ces lieux communs.
Le souci de Soulier (2012) à propos de la réactivation des rues face au processus de stérilisation à l’œuvre sur ces espaces publics suggère aussi une perspective d’exploitation des zones que l’auteur appelle « frontage » sur ces rues pour appuyer le rôle d’animation déjà attribué à la cuisine de rue. Cette notion de « frontage » est tirée des exemples appréhendés par l’auteur dans plusieurs villes européennes et nord-américaines, tels qu’à Brême ou Fribourg où il est question de « jardin-de-devant », à Nîmes où il s’agit des abords de la route, dans les grands ensembles où l’on parle de « courées », à Québec et en Amérique du Nord où le terme (« frontage ») désigne l’espace de bord de rue. Cet espace, en se focalisant sur le contexte nord-américain et québécois, est composé d’une partie privée et d’une autre publique s’étendant devant un riverain : cette zone se décompose alors en « frontages privés » et « frontages publics ». L’auteur souligne que « c’est une composante importante non seulement du système de déplacement, mais aussi du tissu social » (Soulier, 2012, p. 126). Dans cette perspective, le frontage public devrait offrir un terrain fertile à la cuisine de rue afin de jouer une complémentarité entre les animations déjà favorisées par le frontage privé, ce dernier étant un espace plutôt modulable du côté des riverains pour s’ouvrir au besoin de ces derniers à la communauté qui les entoure (le frontage privé constitue un espace intermédiaire, une frontière visible entre l’espace privé et l’espace public).
Les dispositifs utilisés par la cuisine de rue (en citant par exemple le « Kuchen monument » de Raumlabor ou encore les « guitounes » du collectif Cochenko) présentent différentes possibilités pour moduler l’espace. Dans cet ordre d’idées, la cuisine de rue montre à quel point un lieu peut être investi de différentes manières au gré des envies et besoins, permettant ainsi une vision toujours renouvelée portée sur ce lieu. Ces possibilités sont aussi souvent accordées aux « mangeurs » qui trouvent par-là un moyen généreux pour manifester leurs intérêts vis-à-vis des espaces qu’ils sont en train d’approprier. Par exemple, lorsque la cuisine de rue ne prévoit pas l’offre de mobiliers de consommation des mets, c’est-à-dire que c’est aux « mangeurs » de trouver les places qui leur conviennent sur l’étendu de l’espace public, l’usager devient alors un acteur actif de son positionnement, une adaptation au lieu connotant l’appropriation effective de celui-ci. Boyau (2013) parle d’un apprivoisement réciproque : « le lieu s’adapte à moi, je m’adapte au lieu » (p. 59).
Plusieurs collectifs (dont cochenko, ETC, et AAA) ont tenté même d’impliquer davantage les usagers, une implication qui débute avec la cuisine de rue pour s’incruster au plus profond des projets urbains les concernant. Les actions menées par ces collectifs ont visé la participation active des citoyens, non seulement à la conception de ces projets, mais également à la réalisation et le fonctionnement de ces derniers, de sorte à les rendre acteurs de leur propre cadre de vie. Ces actions passent presque systématiquement par des opérations de concertation et de médiation urbaine. Mais, des efforts restent encore à faire, à entendre par exemple les propos de l’urbaniste Marcus Zepf (2009) :
« Pour le moment, la concertation correspond à une phase déterminée du processus de conception. Cette phase est trop courte alors que le débat public devrait être permanent et mieux intégrer les usagers. De tels lieux de concertation seraient des lieux formidables d’évaluation qualitative et permettraient une réadaptation permanente. On sait évaluer quantitativement mais le qualitatif est plus difficile à réaliser » (Zepf, 2009).
De tout ceci, ce qui est à retenir est l’importance de la prise en compte des avis des usagers à propos des projets urbains qui touchent à leur vie. La ville de Seattle a, par exemple, permis à quelques riverains de choisir l’emplacement des bancs publics, chacun de ces personnes étant invité à expliquer les raisons de son choix, ce qui rend en quelque sorte ces lieux des espaces « mi-privés mi-publics », des endroits à la fois personnels et collectifs, considérant la dimension personnelle tout en étant dans la sphère publique. Cette imbrication, emboîtement, voire confusion entre « intimité » et « communauté » incite les habitants d’une ville à être davantage protecteurs à l’égard de leurs espaces publics en tant que patrimoines collectifs.
En somme, une forte implication des usagers dans la conception et le pilotage des projets urbains devrait changer et améliorer la représentation que ces individus se font de la politique de la ville puisqu’il s’agit là d’une véritable démarche à la participation habitante recherchée, aussi bien du côté des habitants (pour que les travaux réalisés correspondent au mieux à leurs besoins) que du côté des autorités publiques (qui cherchent à légitimer leur politique à travers les soutiens des citoyens de la ville). Cette implication est aussi l’occasion pour les habitants de prendre soin de leurs espaces publics, notamment de leurs cuisines de rue.
Avant de conclure, il faut également souligner le fait que la cuisine de rue, avec sa modularité et son évolutivité démontrée, illustre ce que devraient être aussi l’ensemble des espaces publics. En effet, la cuisine de rue n’est pas quelque chose d’immobile, de figé, d’inanimé : elle se tente toujours d’offrir l’inattendu, la surprise, tout en cherchant à se conformer aux attentes des clients. De même, les espaces publics et la ville en général devraient être des lieux qui vivent et qui évoluent au besoin des habitants :
« La ville ce sont des lieux vivants, changeant, aux adaptations imprévues, à la diversité d’usages. Voilà une conception qu’il faut défendre constamment dans les projets face aux propositions « fixistes » de l’aménagement immuable. Il est urgent de donner à la ville les capacités de s’adapter à des demandes différentes et même parfois contradictoires. Il faut de tout en ville… Prendre parti, c’est s’orienter vers une ville qui accepte une plus grande mutabilité, n’accepte plus que l’on conçoive un projet à 10/20 ans, mais que l’on intègre ses réversibilités potentielles » (Durand, 2012, p. 189).
Le cas du plan guide de la ville de Nantes est un exemple à considérer avec son « projet urbain progressif » à propos d’un espace délaissé au centre de la ville. Poussés des incertitudes concernant l’importance des travaux à réaliser, les promoteurs du projet ont choisi de conduire les opérations en fonction des feedbacks des différents acteurs impliqués au fur et à mesure que les chantiers avancent. Afin de réussir dans cette recherche de « mutabilité » des projets urbains, Durand (2012) en précise les préalables :
« – Créer un imaginaire commun aux populations et aux experts de l’urbain.
– Permettre aux décisions d’être réorientées en cours de projet.
– Préconiser des actions sans les bloquer dans les documents réglementaires.
– Favoriser l’utilisation temporaire des lieux.
– Encourager la plurifonctionnalité des sites en combinant les programmes » (Durand, 2012, p. 182).
La cuisine de rue pourrait donc servir de composante reflétant le caractère évolutif de l’ensemble des espaces publics urbains : des lieux flexibles faits avec des éléments transportables et démontables. A mesure que les gens s’approprient de ces lieux, ces derniers sont davantage susceptibles d’évoluer.
Conclusion
La cuisine de rue n’a pas seulement un rôle crucial à jouer au niveau de l’espace public puisqu’elle constitue même l’espace public dans les deux sens du terme (au sens de Paquot, 2009) : d’un côté, c’est un lieu de fabrique d’opinions et de mise en circulation de celles-ci, de publicité de ces opinions pour être connues des autres et, d’autre côté, c’est un endroit physique pouvant être fréquenté par les gens : un espace commun qui est même susceptible à l’appropriation de ceux qui l’investissent. Mais, cet espace a la particularité d’être temporaire : érigé rapidement sous les yeux souvent curieux des passants qui voient en ce monument éphémère un évènement qui se prépare, puis perduré durant un moment afin d’attirer les gens à devenir acteurs de ce spectacle et non seulement appréciateurs, enfin réemballé et disparaitre sans laisser de trace. La cuisine de rue, avec son adaptation au contexte local, tenant compte surtout des besoins et des contraintes émanant des acheteurs-mangeurs potentiels, ne peut que refléter la culture de la population locale, justifiant l’idée que cotôyer les Street Foods est l’un des meilleurs moyens d’apprécier la culture d’une société.
Il faut reconnaitre que les pratiques de cuisine de rue ne s’intègrent pas aussi facilement au contexte français comparé aux situations dans divers pays du monde. Mais, de nombreux évènements très en vogue en France, dont la réalisation se rapproche sensiblement au déploiement des cuisines de rues, sont les témoins que celles-ci sont également réalisables avec seulement quelques adaptations nécessaires. D’ailleurs, la cuisine de rue possède une potentialité considérable d’animation des espaces publics, de réactivation et de revitalisation de la ville. Il y a lieu alors de remettre en question certains obstacles essentiellement d’ordre réglementaire au déploiement plus large sur les rues de la Capitale française du Street Food. En outre, la cuisine de rue confère également plusieurs avantages pour la ville sur divers plans, dont économique (non seulement une activité profitable du côté de l’offre, mais aussi l’accessibilité d’une cuisine de qualité supérieure pour un prix relativement abordable au grand public), social (en termes de convivialité, de partage, d’altérité, de communication, etc.), et urbanistique (du point de vue esthétique, de revitalisation des lieux publics, d’incitation des citoyens à percevoir autrement les espaces publics, d’aider les gens à s’approprier et à protéger ces lieux, etc.).
Par ailleurs, la cuisine de rue apparait comme un élément architectural qui devrait servir une source d’inspiration pour l’architecte et les différents acteurs de la conception des projets urbains, notamment dans le cadre de la politique de ville. Il ne faut pas oublier que ces projets nécessitent une véritable participation de la part des habitants pour que ceux-ci puissent vraiment s’approprier des travaux réalisés, pour que les citoyens se construisent des représentations positives et sans cesse améliorées vis-à-vis des espaces publics, à l’égard de leur ville. Désormais, à l’aune des cuisines de rue, il est recommandé dans l’élaboration et la mise en œuvre de ces projets de toujours rechercher, autant que possible, l’utilisation des matériaux originaux (partir de l’existant pour ne pas dénaturer les espaces publics), la considération des « frontages (publics) » (une zone susceptible de favoriser la réactivation de la rue), la modularité de l’espace (permettant une adaptation dans les deux sens entre l’individu et le lieu public) et l’évolutivité de celui-ci. En somme, la revitalisation de l’espace public, voire la vie de la population d’une ville, devrait expérimenter l’intégration de la cuisine de rue dans les sociétés qui s’y trouvent. Il y a lieu tout de même de trouver les moyens pour atténuer les éventuels effets indésirables d’un déploiement massif du Street Food dans une ville comme Paris (vis-à-vis des opérateurs de la restauration classique qui risquent d’être lésés de ce déploiement à grande échelle, par exemple).
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[1] « Dans les villes de la fin du Moyen Age, beaucoup de gens mangeaient dans la rue ou à l’étal du marché. Les « crieries de Paris » évoquent dès le XIIème siècle, le cri de ces petits métiers ambulants, marchands trop modestes pour pouvoir ouvrir une boutique » (Street Food en Mouvement, 2012).
[2] Espagne, Allemagne, Grande Bretagne, Etats-Unis, Russie, Chine, Brésil, et pays du Moyen-Orient.
[3] cochenko.jimdo.com
[4] « On la surnommait « arlequin » car elle servait des assiettes aussi composites que l’habit de ce personnage de la « commedia dell’arte » » (Artis, 2014, p. 8).
[5] L’auteur cite entre autres un règlement municipal sur la propreté de la ville ; par exemple : « Art. 1er : Les mesures prescrites ci-après sont applicables dans les voies publiques ainsi que dans les voies privées ouvertes au public. Art. 9 : Il est défendu d’exposer ou de suspendre contre les maisons, édifices ou clôtures, rien qui puisse nuire aux passants ou les incommoder. Il est notamment interdit d’exposer du linge aux fenêtres, aux balcons ou clôtures » (Soulier, 2012, p. 15).
[6] « L’investissement initial est en général inférieur à 100 000 euros, et le chiffre d’affaires d’un camion peut atteindre 70 000 euros par mois » (Artis, 2014, p. 16).
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