La focalisation sur la douleur dans LA LEVÉE DES COULEURS DE RAMI ZEIN
UNIVERSITÉ LIBANAISE
FACULTÉ DES LETTRES
LITTÉRATURE FRANÇAISE
LA DOYENNÉ
La focalisation sur la douleur dans
LA LEVÉE DES COULEURS
DE
RAMI ZEIN
PROJET DE RECHERCHE EN MASTER II
RAYA JOSÉPHINE
SOUS LA DIRECTION De DR FATEN EL MURR
BEYROUTH, 2013
Introduction:
La Levée des couleurs de Ramy Zein fait partie de ces œuvres rares, discrètes, presque muettes, où l’écriture fait revivre l’angoisse des autres, leur vie intérieure, celle que l’on imagine ou que l’on pressent parce qu’on devine qu’elle aurait pu être la nôtre. Dans cette œuvre, Ramy Zein décrit l’histoire d’une jeune libanaise connue sous le nom de Siham qui a survécu au massacre de sa famille pendant la guerre civile en se cachant sur un arbre.
Du haut de sa cachette, elle voit tous ses proches se faire tuer par les milices : sa mère malmenée par un milicien qui n’est autre que l’épicier du village voisin et ses proches massacrés avec animosité. Par miracle, son petit frère Karim survit au massacre en se cachant dans le tambour de la machine à laver. Ce jour, perchée sur son vieux chêne, Siham ne peut pas intervenir pour sauver les siens et commence à nourrir une haine inavouable envers les miliciens, en particulier envers Maher, l’épicier qu’elle a reconnu grâce à son bandana gris.
Ce personnage délicat, fragile, ténu de Siham, outre le fait qu’il rappelle que les crimes de guerre n’épargnent pas les survivants, permet de retracer une mémoire vivante du Liban. Siham elle-même n’est que mémoire ; elle n’oublie pas, elle construit tout son être sur les empiècements de souvenirs et les bouts de mémoire, elle cherche en elle-même les pièces du puzzle incomplet de la scène du crime, elle construit toute sa vie au fur et à mesure qu’elle se souvient de sa vie antérieure. Comment ne pas reconnaître ici un appel pour reconstituer l’histoire de la guerre libanaise afin que les Libanais renouent avec leur passé ?
Et le narrateur donne des pistes : les cours entrecoupés de rafales d’obus, les chansons françaises et libanaises fredonnées dans les abris, l’habitude de reconnaître, à leur sifflement, le calibre des bombes qui s’écrasent… Autant de souvenirs qui sont des points d’ancrage solides, des références immuables pour tous ceux qui ont connu la guerre libanaise. Surtout, la dimension politique du texte est indéniable, les bottes sales des miliciens sont là, « La Milice » a son mot à dire dans tout et si ce n’est elle, c’est donc « Le Parti » ! Le politique est bien là, comme une évidence, comme pour rappeler que la guerre se fait par décision, et qu’il sous-tend l’histoire de toute nation et par conséquent de tout individu.
Les mots clés :
La vengeance, la douleur, le drame, la guerre, l’obsession, la souffrance, l’angoisse, les souvenirs, les remords et la cruauté.
Ouvrages lus :
*Enterrer la haine et la vengeance: Un destin libanais : Ghassan Tuéni
Dans ce monde proche-oriental où les vérités sont si dangereuses à dire, Ghassan Tuéni est un homme libre. Il l’a prouvé tout au long de sa vie à la tête d’An-Nahar dont il a fait le premier quotidien en langue arabe par sa diffusion et le symbole reconnu par tous du dialogue des cultures et des croyances. Entré en politique à vingt-quatre ans, tour à tour député, vice-président à la Chambre, ministre, ambassadeur auprès des Nations unies, où il s’est battu pour défendre l’intégrité et l’indépendance du Liban, il a contribué à renouveler et à moraliser la vie politique de son pays.
Faiseur et défaiseur de présidents et de gouvernements, il s’est servi de sa tribune d’éditorialiste pour tenter d’imposer auprès de toutes les communautés religieuses le devoir de « vivre ensemble », qui est sans doute sa contribution la plus essentielle à l’histoire du Liban moderne et à celle de toute la région.
Dans ces pages poignantes, Ghassan Tuéni retrace son parcours et révèle, pour la première fois, la manière dont il a puisé dans les drames et les douleurs de sa vie la force de demeurer un homme de pardon.
*Gérard Genette, figures II :
Le livre s’ouvre sur une réflexion qui se développe à partir de celle d’Albert Thibaudet pour qui la critique ne devrait porter ni sur des êtres ni sur des œuvres, mais sur ces trois essences qui sont selon Genette : le génie, le genre et le livre.
*Gérard Genette, figures III :
À l’aide d’une typologie rigoureuse, Genette établit une poétique narratologique, susceptible de recouvrir l’ensemble des procédés narratifs utilisés. Selon lui, tout texte laisse transparaître des traces de la narration, dont l’examen permettra d’établir de façon précise l’organisation du récit. L’approche préconisée se situe, évidemment, en deçà du seuil de l’interprétation et s’avère plutôt une assise solide, complémentaire des autres recherches en sciences humaines, telles que la sociologie, l’histoire littéraire, l’ethnologie et la psychanalyse.
Prenant la forme d’une typologie du récit, la narratologie élaborée par Gérard Genette se pose aux yeux de maints spécialistes de la question comme un appareil de lecture marquant une étape importante dans le développement de la théorie littéraire et de l’analyse du discours. En faisant de la voix narrative une notion autour de laquelle s’articulent toutes les autres catégories, l’auteur fait du contexte de production d’un récit une donnée fondamentale.
Problématique
« La vengeance, la douleur affectée et l’insurmontable passé de Siham. »
Dans La levée des couleurs, le narrateur, qu’il soit extradiégétique ou intradiégétique, narre l’évolution de l’état de Siham (de sa vie, de son parcours, de ses sentiments, de sa personnalité, etc.) depuis qu’elle a échappé au massacre perpétré par les miliciens durant la guerre civile jusqu’à l’instant fatidique où elle fera face à son éternel ennemi : l’épicier du village voisin qui a conduit l’escouade des miliciens et qui a assassiné des membres de sa famille.
Durant tout le récit, on enregistre une souffrance inavouée qui ronge la jeune fille et se mue considérablement en haine, en vengeance et presque en folie obsessionnelle. Siham n’arrive pas à se défaire du passé, ceci s’explique par les plusieurs passages retranscrivant ses nombreux flashbacks, par son refus de pardonner aux ravisseurs de sa famille et par son obsession à retrouver et à faire souffrir Maher, le principal assassin des membres de sa famille.
L’analyse des voies narratives dans ce chef d’œuvre libanais reflète donc le parcours de Siham qui est retranscrit soi par une narration intradiégétique afin de transmettre directement les pensées, les sentiments et les actions de Siham sans l’intermédiaire d’un narrateur extérieur à l’histoire. Le fait d’employer la narration intradiégétique dans le récit accentue la volonté de faire ressentir les sentiments de la jeune fille directement car c’est elle-même qui narre. La narration extradiégétique dans le texte relève plutôt de la capacité du narrateur extradiégétique à faire part du récit, à raconter ce dernier sans y être impliqué. Les sentiments de Siham sont donc retranscrits indirectement.
Plan :
Etude des voies narratives dans le livre la levée des couleurs de Ramy Zein avec les approches sociocritiques et narratologiques.
Partie I- Niveaux des narrateurs :
A- Le narrateur premier : extradiégétique
Dans ce passage issu du premier chapitre du livre, le narrateur n’est pas directement impliqué dans l’histoire qu’il raconte et se place donc juste comme un simple narrateur, un narrateur premier : « Dès qu’elle le peut, Siham grimpe au sommet de l’arbre et passe de longs moments perchée là-haut, les cuisses serrées sur une branche, le regard perdu entre la montagne et l’azur. » Le narrateur est ici « hétérodiégétique » et est absent de l’histoire ou de la scène qu’il raconte, il s’exprime à la troisième personne.
B- Le narrateur second : intradiégétique
Le narrateur second est un narrateur impliqué tel que Siham quand le narrateur lui cède sa fonction et qu’elle narre elle-même des évènements tels que l’assassinat des membres de sa famille. Le pronom personnel utilisé ici est le « je », signe que le narrateur est intradiégétique et qu’il est lui-même un personnage du récit qu’il raconte (narrateur autodiégétique).
C- Types de narration :
1- Narration ultérieure
Le narrateur évoque des évènements passés quand les souvenirs de la guerre reviennent à Siham ou la description tout au début du livre : « C’est un vieux chêne situé au bout du jardin, rescapé de la forêt qui couvrait jadis le plateau de Yarcoub […] »
2- Narration simultanée
Le narrateur narre les évènements qui ont lieu dans le présent et les évènements passés en même temps, comme quand Siham et Karim se trouvent à l’orphelinat. Lorsque la narration est simultanée, Siham prend la place du narrateur et narre les évènements qui l’impliquent personnellement, c’est-à-dire qu’elle devient un narrateur intradiégétique.
3- Narration antérieure
Elle relève de l’imagination et du désir de Siham de se trouver au moment où elle sera confrontée à celui qui a massacré sa famille (Maher). Le narrateur peut être le personnage de Siham dans certains cas ou le narrateur lui-même dans d’autres.
D- Evolution de l’histoire à travers les voix narratives
Les différentes voix narratives indiquent une évolution du récit et ne décrivent pas les actions du personnage ni de l’auteur mais celles du narrateur. Dans «La levée des couleurs », le narrateur peut être externe ou interne à l’histoire. Le récit connaît plusieurs échelles d’évolution.
1- L’innocence de Siham avant le massacre des siens
Dans cette phase, Siham est encore naïve et innocente, elle n’est pas encore troublée par la guerre civile et les mauvais souvenirs ne la hantent pas encore car le récit n’est qu’au passage où la guerre ne sévit pas encore.
Siham n’est alors qu’une jeune fille innocente qui aime manger tout en grimpant sur un vieux chêne pour profiter de chaque brise matinale
2- Le drame c’est-à-dire le massacre des membres de la famille de Siham
Cette phase représente les instants durant lesquels Siham a vécu le massacre des siens et qu’elle se sent impuissante, obligée de se cacher sur son arbre afin d’échapper au sort qui a frappé ses proches et honteuse de ne pas pouvoir intervenir mais de devoir sauver sa vie au profit de la perte de celles qu’elle aime (sa sœur et sa mère).
3- L’après-guerre :
Dans cette phase, Siham est dérouté, blessée intérieurement et pleine de remords de ne pas avoir pu faire quoi que ce soit pour sauver ses proches. Par la suite, elle retrouve son petit frère qui est sauvé par le tambour de la machine à laver et errer sans direction avec lui jusqu’à ce que son oncle les retrouve et les place dans un orphelinat.
C’est là que l’innocence et la naïveté de Siham s’envole et qu’elle commence à ressentir de la haine contre les miliciens, surtout contre l’épicier qu’elle a reconnu. Son désir de vengeance s’éveille également à cette phase là et deviendra l’instigateur de chacun de ses actes et même sa raison de vivre.
4- La vie dans l’orphelinat ou la folie :
Cette phase est caractérisée par la description de la vie de Siham au sein de l’orphelinat. Elle y est considérée comme folle, s’isolant des autres, ruminant à longueur de journée sa haine et son désir de vengeance contre les miliciens.
Elle commence également à sombrer dans le désespoir et lutte sans cesse contre l’envie d’en finir avec sa propre vie et son existence entière à cause de sa lâcheté et son impuissance d’antan. Siham croît de plus en plus et lutte contre l’innommable en pensant qu’elle porte en elle le souvenir de sa mère et de sa sœur et ne sera soulagée qu’une fois ses plans de vengeance assouvis.
5- La rencontre fatale avec l’ennemi
La levée des couleurs est entièrement dédiée à l’histoire de Siham, à sa vie durant et après la guerre civile des années 80 au Liban et à son désir de vengeance. Tout au long du récit, les thèmes abordés seront :
1- la douleur causée par la perte des êtres chers,
2-la haine envers ceux qui leur ont ôté la vie,
3-les remords de ne pas avoir pu intervenir en temps voulu et
4-la vengeance envers celui qui a causé tout ce malheur.
Tout le récit des résume donc à narrer le vécu de Siham peu avant le massacre, durant celui-ci et après, à sa façon de surmonter ses peines et d’affronter chaque jour qui passe mue par l’envie de faire payer au centuple à ceux qui lui ont privé du bonheur d’être entourée de sa famille. Le déroulement de l’histoire est donc consacré au temps passé à attendre le face-à-face avec l’ennemi.
Partie II- La temporalité
A- La fréquence :
1- Le récit itératif :
Un évènement qui n’est survenu qu’une fois n’est aussi raconté qu’une fois par le narrateur.
2- Le récit répétitif :
Il s’agit, entre autres, des souvenirs de Siham concernant le massacre auquel elle a assisté qui emplissent le récit à leur manière. Ils reviennent sans cesse dans le récit et sont racontés de la même manière dans chaque réapparition.
B- L’ordre:
1- L’analepse :
Dans ce roman, plusieurs cas d’analepse sont visibles : le temps de narration est au présent, c’est-à-dire que le narrateur retourne vers un évènement à une époque antérieure à celle où il la raconte. A titre d’exemple, nous pouvons citer les moments où le narrateur raconte les évènements durant la guerre, plus précisément durant lesquels Siham se remémore les évènements tragiques survenus à sa famille durant la guerre, alors qu’elle est déjà à l’orphelinat en train d’écouter évasivement les sermons et les morales des nones sur le pardon.
2- La prolepse
Les cas de prolepse dans l’histoire sont traduits par les passages dans lesquels le narrateur évoque vaguement ou raconte une partie de ce qui se passera une fois l’intrigue principale résolue. Dans ce cas-ci, il se traduit par les passages narrant le futur de Siham ou ce qu’elle pourrait faire une fois sa vengeance assouvie, ce qu’il adviendra de sa vie dès que tout ce qu’elle aura planifié ou imaginé à propos de sa rencontre avec Maher se sera réalisé et qu’elle aura alors accompli sa « mission ».
C- La vitesse:
1- La scène :
La scène dans le roman « La levée des couleurs » est caractérisée par la narration qui a lieu après les évènements de la guerre en particulier et par les moments durant la guerre civile en général.
Quand les miliciens décident de malmener puis de tuer la sœur et la mère de Siham et qu’elle vit le massacre sans pouvoir intervenir, le narrateur raconte cette scène au moment-même où elle se déroule.
Il en est de même pour les scènes dans l’orphelinat lorsque les sœurs tentent d’inculquer le pardon dans l’esprit des enfants, surtout des rescapés de la guerre qui sont vivement incités à pardonner à ceux qui ont malmené ou abattu des membres de leur famille, leurs amis ou proches quelconques.
2- La pause :
L’histoire proprement dite est entrecoupée par quelques séquences de narration.
3- L’ellipse :
La partie durant laquelle Maher a violé la mère de Siham n’est pas mise à nu dans le récit et ne sera dévoilé qu’au fur et à mesure où celui-ci évoluera.
4- Le sommaire
Un petit résumé de l’histoire qui va suivre est visible dans le sommaire.
Partie III- La focalisation
E- La focalisation zéro :
Dans la focalisation zéro, le narrateur est considéré comme « Dieu » car il sait tout et même plus que le personnage lui-même.
Dans le livre, la focalisation zéro est visible dans divers passages tels que les passages décrivant les sentiments de Karim envers Siham que celle-ci ne comprend qu’au fur et à mesure que les évènements se succèdent. Siham est prise pour folle par ses camarades de l’orphelinat ce qui engendre de la honte et une haine de la part de son frère. Ces sentiments négatifs évolueront tout au long du récit et ne seront pas inconnus du narrateur. Siham, par contre, ne s’en apercevra que plus tard.
Il peut également s’agir de la scène durant laquelle les miliciens massacrent la sœur et la mère de Siham. Siham ne voit pas directement la scène bien qu’elle soit perchée sur un arbre. En revanche, elle entend tout et ne peut donc qu’imaginer ce qui se passe. A l’inverse, le narrateur lui est au courant de chaque fait et va s’empresser de le décrire au narrataire.
F- La focalisation interne :
Dans la focalisation interne, le niveau de connaissance du narrateur et du personnage principal est à égalité.
Conclusion
L’étude des voix narratives à travers le roman La levée des couleurs de Ramy Zein démontre que l’évolution comportementale et psychologique de Siham, survivante d’un massacre lors de la guerre civile libanaise, peut être représentée et racontée clairement à l’aide des différentes voix narratives dans le roman.
Dans ce sens, le narrateur peut être impliqué dans l’histoire ou demeurer extérieur à la narration ou y prendre part en léguant son rôle à un ou plusieurs personnages. Nous pouvons également constater que la narration impacte dans la description de la vengeance.
INTRODUCTION
Ramy Zein est un auteur libanais qui, à travers ses ouvrages, présente, explique et promeut la culture ainsi que l’histoire de son pays. Le mémoire que nous allons développer ci-après est basé sur son troisième roman sorti en 2011 intitulé « La levée des couleurs ».
Ce livre émouvant, passionnant et bouleversant raconte le destin tragique de Siham, une jeune rescapée de la guerre civile de Liban dans les années 80. Pour rappel, la guerre civile au Liban a duré près de deux décennies, de 1975 à 1990 et a décimé des milliers (estimés à entre 130 000 et 250 000 victimes) de civils innocents.
La famille de Siham et les gens de son village font partie de ces victimes. D’ailleurs, Siham assiste directement à l’assassinat de sa mère et de sa sœur par des miliciens dont elle reconnaît le leader : l’épicier du village voisin. Ce massacre se déroule sous les yeux de Siham impuissante et obligée de se cacher dans un arbre afin d’échapper à cette cruauté.
La seule personne qui a survécu à ce massacre avec Siham est son petit frère qui, au fil du récit, arrivera à surmonter ses sentiments, à aller de l’avant et à vivre en paix avec lui-même. Ce n’est pourtant pas le cas de Siham qui, figée dans ses souvenirs et ses blessures, se crée un monde à part et s’enferme dans la vengeance.
C’est cette vengeance que nous allons analyser, présenter et étudier au fil de ce travail. Notre thème porte d’ailleurs sur la vengeance désirée par Siham, notamment sur « La focalisation sur la douleur dans La levée des couleurs de Ramy Zein ». Dans cette optique, nous allons centrer notre étude sur l’ « étude des voies narratives dans le livre La levée des couleurs de Ramy Zein avec les approches sociocritiques et narratologiques ».
A cet effet, nous allons diviser notre mémoire en trois grandes parties. La première est consacrée à la présentation des niveaux des narrateurs. Nous y découvrirons les différentes positions du narrateur dans le récit afin de faire ressortir les sentiments de Siham. Nous présenterons donc le narrateur en tant que narrateur premier extradiégétique, puis en tant que narrateur second ou intradiégétique. Puis, nous passerons à la présentation des types de narration présents dans le récit et à l’évolution de l’histoire à travers les voix narratives.
La seconde partie de notre mémoire porte sur la temporalité et montre les différents de narration employés dans le roman. On y relate la fréquence comprenant des facteurs issus de la définition de la narratologie selon Gérard Génette, tels que le récit itératif ou le récit répétitif. Puis nous parlerons de l’ordre (analepse, prolepse) et de la vitesse : la scène, la pause, l’ellipse et le sommaire.
La dernière partie de notre travail est dédiée à la focalisation dans le récit et portera spécifiquement sur la focalisation zéro et la focalisation interne.
Partie I- Niveaux des narrateurs :
A- Le narrateur premier : extradiégétique
Dans ce passage issu du premier chapitre du livre, le narrateur n’est pas directement impliqué dans l’histoire qu’il raconte et se place donc juste comme un simple narrateur, un narrateur premier : « Dès qu’elle le peut, Siham grimpe au sommet de l’arbre et passe de longs moments perchée là-haut, les cuisses serrées sur une branche, le regard perdu entre la montagne et l’azur. » Le narrateur est ici « hétérodiégétique » et est absent de l’histoire ou de la scène qu’il raconte, il s’exprime à la troisième personne.
Etymologiquement, le terme « extradiégétique » est le résultat de la combinaison de deux mots : extra-« et « diégétique ». Le terme « extra » est un préfixe issu du latin extra et qui suppose deux sens : le premier est celui d’ « extérieur à, ou en dehors de », c’est-à-dire qu’une chose n’appartient pas à quelque chose.
Le second sens de « extra » est celui qui exprime un superlatif de qualité, il est remplaçable avec les termes « beaucoup, hors du commun ou très » (extralarge, extrafin, etc.) Cependant, le sens du terme « extra » approprié à notre étude est le premier, celui qui désigne la non-appartenance à une chose.
Quant au terme « diégétique », provient du grec diegesis qui, dans la narratologie, désigne le fait d’appartenir au récit d’un livre (simple roman ou roman de science fiction) et d’agir au sein de celui-ci, d’en être un personnage. Au sens commun du terme, le mot diégétique concerne tout ce qui relève de la narration.
Notre analyse porte également sur le premier sens du terme diégétique que nous avons évoqué ci-dessus.
En combinant le préfixe « extra » avec le terme « diégétique », nous obtenons le mot « extradiégétique » qui, dans la présente étude, désigne le fait qu’un auteur est extérieur à la narration ou à la diégèse , qu’il n’est pas un personnage, qu’il n’est pas impliqué personnellement dans le récit en tant qu’acteur. Son rôle est de narrer, de raconter les évènements, de présenter les personnages, de décrire le paysage, etc.
En général, le narrateur « extradiégétique » s’exprime à la troisième personne en omettant l’emploi du pronom personnel « je » dans la narration.
Emile Simonnet stipule que le rôle du narrateur extradiégétique et de celui du narrateur sont identiques. Ils usent souvent de la narration objective avec l’emploi de la troisième personne ou du passé simple. Il soulève également une théorie selon laquelle le narrateur premier peut quand même, dans certains cas, être extradiégétique et homodiégétique à la fois.
Dans ce sens, le narrateur raconte une histoire dans laquelle il est parmi les personnages. Dans le cas le plus fréquent, le narrateur est extradiégétique-hétérodiégétique car il narre une histoire dont il n’est pas un personnage, il n’est donc en aucun cas impliqué dans le récit et fait juste office de simple narrateur premier.
Les affirmations d’Emile Simonnet sont basées sur les études de Gérard Génette concernant la narratologie. De son point de vue, « l’instance narrative d’un récit premier est donc par définition extradiégétique, comme l’instance narrative d’un récit second (métadiégétique) est par définition diégétique, etc. »
L’exemple qu’il prend afin de singulariser le narrateur extradiégétique-hétérodiégétique est celui de Gil Blas qui est un « narrateur extradiégétique parce qu’il n’est (comme narrateur) inclus dans aucune diégèse, mais directement de plain-pied, quoique fictif, avec le public (réel) extradiégétique ; mais puisqu’il raconte sa propre histoire, il est en même temps un narrateur homodiégétique »
Notre étude est entièrement focalisée sur le roman de Ramy Zein intitulé « La levée des couleurs ». Paru en 2011, ce roman empreint d’émotion et de réalité est une ébauche, et même un témoin de la Guerre Civile qui a fait rage au Liban dans les années 80.
Originaire du Liban, l’auteur offre une descente vers les méandres de l’histoire en identifiant son propre pays à la jeune fille servant de personnage principal à son livre. Tout comme le Liban donc, Siham est un être déchiré, dévasté, dégoûté de toute vie et qui séquestre son mental, son esprit, sa personnalité et tout son être dans le souvenir des atrocités affligées à sa famille durant cette guerre.
Le roman que nous étudions commence par un passage plutôt calme tel le calme avant la tempête, dans lequel l’auteur décrit un arbre :
« C’est un vieux chêne situé au bout du jardin, rescapé de la for et qui couvrait jadis le plateau de Yarcoub dont on retrouve encore quelques vestiges isolés: une haie de frênes au bord d’une terrasse, un platane coincé entre les ruines du pressoir et la maison des Hjaili, un bosquet de caroubiers en contrebas de l’église oh les femmes du village suspendent des ex-voto pour rendre grâce à mar Mtanios, saint patron de Yarcoub et des environs. »(p.11).
Dès lecture de ces premières lignes, nous voyons que le narrateur n’emploie pas de pronoms personnels qui pourraient le décrire comme étant un membre à part entière de la narration. Autrement dit, il n’est pas concerné par la narration et raconte avec objectivité. Ce narrateur extradiégétique pourrait être l’auteur ou un simple narrataire, il désigne le personnage principal par son prénom (Siham) et décrit le vieil arbre fétiche de cette dernière ainsi que ses habitudes quotidiennes.
On remarque l’utilisation de pronoms tels que « on » (« dont on retrouve encore quelques vestiges isolés ») et « elle » « Des qu’elle le peut, Siham grimpe au sommet de l’arbre et passe de longs moments perchée là-haut ».
B- Le narrateur second : intradiégétique
Le narrateur second est un narrateur impliqué tel que Siham quand le narrateur lui cède sa fonction et qu’elle narre elle-même des évènements tels que l’assassinat des membres de sa famille. Le pronom personnel utilisé ici est le « je », signe que le narrateur est intradiégétique et qu’il est lui-même un personnage du récit qu’il raconte (narrateur autodiégétique).
Etymologiquement, le terme « intra- »signifie « dans, à l’intérieur de ou en dedans de ». En le combinant au mot « diégétique », nous obtenons le terme « intradiégéitque » qui signifie appartenir au récit, à la diégèse. Cela insinue donc que le narrateur est un personnage de l’histoire. Dans ce contexte, il peut être un personnage principal ou un personnage secondaire.
En effet, le narrateur intradiégétique peut parler de sa propre histoire (dans un livre ou un récit biographique) ou narrer l’histoire d’autres personnages.
Le narrateur intradiégétique, selon Simonnet, peut être hétérodiégétique, c’est-à-dire qu’il est un narrateur second qui ne fait que raconter une histoire sans en faire partie. L’exemple illustratif qu’il emploie est celui de la princesse Shéhérazade, narratrice et personnage principal d’un conte des Milles et Une Nuit.
Ce qui a rendu l’histoire de Shéhérazade célèbre, c’est l’enchâssement des divers contes : le livre en lui-même est un conte qui contient l’histoire d’une jeune file qui raconte des histoires fantastiques afin d’échapper à sa mort et de faire cesser le massacre de plusieurs jeunes filles vierges par un Calife malveillant.
Shéhérazade est donc un narrateur intradiégétique-hétérodiégétique qui raconte au second degré des histoires desquelles elle est exclue. Simonnet la catégorise dans les narrateurs-témoins.
Simonnet détecte également un second type de narrateur intradiégétique : celui de narrateur intradiégétique-homodiégétique. Dans cette seconde variété, le narrateur est considéré comme un narrateur-héros, il narre sa propre histoire, il est à la fois un narrateur et un personnage, souvent personnage principal. On peut prendre exemple sur les livres autobiographiques.
Pour Génette, la narration intradiégétique annonce un récit emboîté, c’est-à-dire qu’un personnage dans un récit prend la parole pour raconter un autre récit, comme l’exemple de Shéhérazade que nous venons d’évoquer. Dans la narration intradiégétique, le narrateur est appelé « narrateur second ».
Dans notre roman, la narration intradiégétique ne se traduit pas forcément par la narration d’un personnage, mais plutôt par la prise de parole de certains personnages durant la narration, c’est-à-dire que le narrateur second s’incruste quelques fois dans la narration sans être le narrateur principal, c’est dans ces cas-là que les pronoms « je » et « tu » sont présents dans la narration :
« Son frère est là, dissimulé parmi les vêtements. Il ne bouge pas.
– Karim?
Aucune réaction.
– Karim, tu m’entends?
Elle avance la main, écarte le linge. Une odeur de déjections jaillit. Ses doigts heurtent une matière brûlante.
Soudain un cri, un cri strident, ininterrompu. Le garçon hurle, se débat à renverser la machine.
– C’est moi, Siham, n’aie pas peur, ils sont partis! » (p.19)
« Non mais qu’est-ce qui te prend?
– C’est le client du fond qui l’a demandé, bredouille-t-elle.
Il la fixe quelques instants en silence, un éclair ironique traverse son regard.
– Tu diras au client du fond que ce n’est pas lui qui fait la loi ici. Et s’il n’est pas content, il peut aller voir ailleurs. » (p.153)
« Je t’ai promis ça, moi? Tu sais très bien que mes photos ont brûlé à Saïfi, je n’ai rien pu
– Tu as dit que tu allais demander autour de toi.
– Ah oui ?… Possible… Je demanderai si tu veux. » (p.158)
La narration intradiégétique dans notre récit prend donc souvent la forme d’un dialogue souvent introduit par le narrateur principal qui est extradiégétique :
« Maher G. se tenait là, à droite de l’entrée, derrière son comptoir. Il se penchait sur elle, tout sourire, lui caressait les cheveux, lui tapotait les joues en lui demandant si elle allait bien.
Tu es en quelle classe maintenant? » (p.173)
C- Types de narration :
1- Narration ultérieure
Le narrateur évoque des évènements passés quand les souvenirs de la guerre reviennent à Siham ou la description tout au début du livre : « C’est un vieux chêne situé au bout du jardin, rescapé de la forêt qui couvrait jadis le plateau de Yarcoub […] »
La narration ultérieure est très présente dans l’ouvrage, le récit reste très emboîté et de nombreux évènements marquants reviennent fréquemment. Ces évènements concernent souvent le passé de Siham, notamment quelques passages sur sa vie de famille avant la guerre ou concernant le massacre de sa famille durant la guerre.
L’extrait ci-dessous contient un exemple de narration ultérieure :
« Des souvenirs reviennent auxquels elle n’a pas pensé depuis la mort de ses parents, comme cette nuit où son père l’a emmenée sur le toit de la maison alors qu’elle était toute petite encore: elle avait vu le ciel étoilé avant cela, mais c’était la première fois qu’elle le regardait aussi longtemps sans détourner les yeux, étonnée de sa propre audace, oubliant les bras qui la portaient et la terreur qui s’emparait d’elle lorsqu’on l’éloignait de ses lieux familiers pour l’emmener là-haut, à travers un escalier raide et sans rampe, dans cet espace ouvert où les voix étaient happées par le vide, où l’on ne pouvait s’accrocher à rien, ni meubles, ni portes, ni murs, et ce fut une brutale révélation que cette nuit-la, la beauté a vaincu l’effroi, la beauté s’est nourrie de l’effroi pour manifester toutes ses splendeurs. Siham a été éblouie jusqu’à l’oppression par l’immensité noire. » (p.142)
D’ailleurs, la page 142 jusqu’à la page 144 dans l’ouvrage est un long recueil de souvenirs formant une narration ultérieure. Ces souvenirs sont ceux qui donnent la force à notre jeune héroïne d’avancer, de garder espoir et de ne jamais baisser les bras concernant sa vengeance. En effet, les bribes de scènes dont elle se souvient la rendent autant nostalgique que plus haineuse : dès qu’elle se souvient de moments de joie et de bonheur en famille, ces instants s’évaporent et créent de la tristesse et de la désolation dans le cœur de Siham. Et quand elle se remémore du massacre des siens, son désir de vengeance et son amertume vis-à-vis de Maher s’accentuent.
La narration ultérieure permet au lecteur de ne pas perdre de vue les motifs et les objectifs de Siham, ainsi que la raison de sa personnalité actuelle et de son comportement tout à fait détachée, sanguinaire et presque sadique. Bien que la narration ultérieure soit omniprésente dans le récit, la narration simultanée est également très présente.
2- Narration simultanée
La narration simultanée implique surtout qu’une narration se fait au temps même où le récit se passe, c’est-à-dire au temps présent. Tous les passages au présent du livre sont donc en narration simultanée car au moment même où le narrateur raconte, l’action se passe :
« Là, à sa gauche, un mouvement brusque. Elle voit un groupe d’hommes armés qui courent vers la maison. Elle n’a pas le temps de comprendre. Tout se passe très vite: les hommes se glissent sous le toit, des voix déchirent l’air, des tirs éclatent, des bruits de lutte. Sa mère apparait sur la terrasse; elle surgit en robe de chambre, la petite Nada serrée dans ses bras, fonce à travers le jardin, trébuche, se redresse, se jette en avant, la silhouette torse, les pieds nus. » (p.14)
Dès le début du roman, Ramy Zein utilise la narration simultanée représentée par l’usage du temps présent afin de montrer que les actions ont lieu parallèlement avec la narration, pour attester ses dires, pour rendre le récit plus vraisemblable, plus vivant et plus émouvant qu’il ne l’est déjà, afin que le lecteur puisse se représenter les scènes plus facilement.
Pourtant, cette narration simultanée est souvent entrecoupée par une narration au passé, surtout lorsque l’un des personnages évoque des souvenirs du passé.
La levée des couleurs est un roman qui se raconte au présent et au passé à la fois. Au début du récit, le narrateur premier raconte des évènements qui se passent simultanément avec la narration. C’est-à-dire qu’au moment où il raconte, les choses racontées sont en train de se passer, il est tel un commentateur. Par exemple, quand Siham grimpe sur son arbre et qu’elle entend le bruit des moteurs des jeeps des miliciens, quand elle les voit débarquer chez elle pour massacrer toute sa famille, quand elle assiste impuissante à cette horrible scène, le temps de la narration est au présent, preuve que cette scène se passe bien lors du moment où le narrateur narre l’histoire.
Le narrateur narre les évènements qui ont lieu dans le présent et les évènements passés en même temps, comme quand Siham et Karim se trouvent à l’orphelinat. Lorsque la narration est simultanée, Siham prend la place du narrateur et narre les évènements qui l’impliquent personnellement, c’est-à-dire qu’elle devient un narrateur intradiégétique.
En même temps, on retrouve plusieurs passages où le verbe de narration varie du présent au passé pour revenir au présent un peu plus tard. La narration est alors simultanée puisque le temps de la narration est au présent mais que l’évènement raconté est au passé. Pour faire plus simple, on peut dire que le narrateur est dans l’époque actuelle, contrairement à ce qu’il raconte qui appartient désormais à une époque plus ancienne.
3- Narration antérieure
Elle relève de l’imagination et du désir de Siham de se trouver au moment où elle sera confrontée à celui qui a massacré sa famille (Maher). Le narrateur peut être le personnage de Siham dans certains cas ou le narrateur lui-même dans d’autres.
La narration ultérieure est très présente à la fois de l’histoire, nous la retrouvons notamment dans le passage où Siham, après avoir revu Maher impuissant, blessé et complètement amnésique sur son fauteuil roulant, se met à imaginer ce qu’elle fera une fois qu’elle se sera redressée de l’endroit où elle a dormi :
« Un peu plus au sud, au-delà du mont Khraybi, il y a un arbre debout parmi les ruines et, sous l’arbre, une jeune fille couchée a l’endroit où sa petite sœur gisait le matin du raid. Ses lèvres sont détendues, presque souriantes. Dans quelques heures, quand poindra le jour et que les couleurs se lèveront sur les collines, Siham se réveillera, elle se dressera lentement, ramassera son sac, sortira le revolver qu’elle videra de ses cartouches avant de le lancer loin dans les fourrés. Elle regardera une dernière fois les ruines de la maison, le chêne, les terrasses, puis elle reprendra le chemin de Birnay : elle marchera sans hâte, ne pensera a rien, bercée par les bourdonnements du soleil et le bruit de ses pas sur le bord de la route. Le village de Maher, elle le traversera en jetant un simple coup d’œil sur l’épicerie, le sang calme, le cœur serein. Elle ira jusqu’à la place Fakhreddine et, de la, elle embarquera dans le premier car qui la descendra vers la grande ville où les pelleteuses achèvent de déblayer les vestiges de la guerre, où les hommes ont repris leur vie d’avant, légers et rieurs, comme si de rien n’était. » (p.201-202)
Dans le passage que nous venons d’évoquer ci-dessus, la narration antérieure est au futur et représente un acte non accompli et imaginé qui, suivant les possibilités, sera réalisé ou non. La narration antérieure est également présente au milieu du récit, notamment dans les passages où Siham tente de se figurer comment sera sa rencontre avec Maher G. et d’imaginer la scène entière.
4- Evolution de l’histoire à travers les voix narratives
Les différentes voix narratives indiquent une évolution du récit et ne décrivent pas les actions du personnage ni de l’auteur mais celles du narrateur. Dans «La levée des couleurs », le narrateur peut être externe ou interne à l’histoire. Le récit connaît plusieurs échelles d’évolution.
La lecture du livre nous a permis de déceler une évolution de la narration suivant le degré d’importance de la scène décrite. D’abord, nous voyons que le récit commence par une narration simple au temps présent dans laquelle le narrateur introduit le récit. Ici, le narrateur est extradiégétique, c’est-à-dire complètement extérieur à l’histoire.
Puis, de temps à autre, il laisse à un ou plusieurs personnages le choix de s’exprimer librement sans son intervention, en utilisant des pronoms tels que « je », « tu » ou « vous ». On peut donc décrire une évolution du narrateur qui devient intradiégétique, en même temps, on dénote une évolution de l’histoire et de la narration qui devient simultanée (mélange de récit au passé et de récit au présent.
Nous remarquons également que plus les voix narratives changent, plus l’histoire évolue et devient de plus en plus claire et évidente. La variation de la narration (narration ultérieure vers narration simultanée) indique une entrée en profondeur dans le récit. Les multiples souvenirs racontés avec la narration simultanée servent à diriger et à raviver le fond de l’histoire au lecteur.
Quand au passage de la narration simultanée vers la narration antérieure, dans les dernières pages du roman, il signifie la fin de l’histoire, le dénouement de l’intrigue, la faculté de l’héroïne de se détacher enfin de son passé pour aller à la rencontre de l’avenir. Cependant, il faut noter que les différents types de narration (ultérieure, simultanées et antérieure) ne font pas que se succéder, mais s’emboîtent, c’est-à-dire qu’on peut trouver un passage en narration ultérieure qui peut passer vers une narration antérieure pour passer ensuite vars une narration simultanée et revenir vers une narration ultérieure.
5- L’innocence de Siham avant le massacre des siens
Dans cette phase, Siham est encore naïve et innocente, elle n’est pas encore troublée par la guerre civile et les mauvais souvenirs ne la hantent pas encore car le récit n’est qu’au passage où la guerre ne sévit pas encore.
Siham n’est alors qu’une jeune fille innocente qui aime manger tout en grimpant sur un vieux chêne pour profiter de chaque brise matinale.
Les passages relatant la vie de famille de Siham avant la guerre ne sont pas évidents ni nombreux et consistent en des fragments de souvenirs racontées ça-et-là dans le récit. Ces passages nous livrent une vie de famille plutôt reposée, une vie de famille paisible à la campagne avec des habitudes plutôt rustres mais chères à Siham.
On y voit déjà une certaine introduction de la guerre, notamment dans le passage où Siham se rappelle des discussions et débats sur la guerre que son père écoutait sur son transistor et de ses opinions sur la guerre, ainsi que les opinions de ses proches qui sont devenus les siennes au fil du temps.
Avant la guerre, Siham avait également une meilleure amie :
« Avant Asma, il y avait eu Nahida. C’était sa meilleure amie à la montagne. Toutes deux fréquentaient la même école publique, située a mi-chemin entre Yarcoub et Birnay. Inséparables, elles partageaient tout, s’entraidaient dans leurs devoirs, se confiaient leurs soucis et leurs peines, enfourchaient les mêmes rêves de quand elles seraient grandes, époque fabuleuse où elles se voyaient parées de robes splendides, transportées dans des Cadillac rutilantes, donnant des ordres à des légions de domestiques dans des villas immenses, bordées de pelouses et de piscines. » (p.49)
Ce passage est également racontée en narration ultérieure et parle de Siham avant la guerre et de sa meilleure amie avec elle partageait tout depuis son enfance. On la retrouve alors en tant qu’enfant normale, joyeuse de vivre, avec des rêves et des désirs de fille. Ces passages passés qui ressurgissent dans le présent aident le lecteur à se rendre compte de la transformation flagrante de la jeune fille qui était une enfant choyée et heureuse enlevée cruellement au bonheur et laissée seule avec la haine, l’amertume, le désespoir et la vengeance.
6- Le drame c’est-à-dire le massacre des membres de la famille de Siham
Cette phase représente les instants durant lesquels Siham a vécu le massacre des siens et qu’elle se sent impuissante, obligée de se cacher sur son arbre afin d’échapper au sort qui a frappé ses proches et honteuse de ne pas pouvoir intervenir mais de devoir sauver sa vie au profit de la perte de celles qu’elle aime (sa sœur et sa mère).
Ce passage n’est pas très long dans le livre et est dispersé en plusieurs fragments de souvenirs également. Toutefois, les première pages du roman, à savoir a page 12 jusqu’à la page 24 sont spécialement dédiés à ce massacre. C’est à la page 12 que le récit du drame proprement dit commence :
« Là, à sa gauche, un mouvement brusque. Elle voit un groupe d’hommes armés qui courent vers la maison. Elle n’a pas le temps de comprendre. Tout se passe très vite: les hommes se glissent sous le toit, des voix déchirent l’air, des tirs éclatent, des bruits de lutte. » (p.12).
Le récit des luttes et du massacre des membres de la famille de Siham s’arrête à la page 13, la page 14 jusqu’à la page 25 raconte les réactions de Siham après que les miliciens soient partis, sa découverte de Siham, la fin du massacre des siens et le début de son combat intérieur, le commencement de son désespoir.
A cette époque, la Guerre Civile au Liban éclatait à peine, les soldats qui circulent en véhicule dans la petite ville de Yarcoub sont fréquents, d’où la sérénité de Siham la première fois qu’elle a aperçu les véhicules du haut de son arbre, avant de les entendre s’arrêter et de les voir s’engouffrer dans sa maison pour assassiner les siens. En général, les jeeps ou autres voitures des miliciens passent seulement par la ville vers une destination qui leur est propre, cette fois-ci, ils ont choisi de massacrer des familles entières aux alentours.
Siham vivait avec ses parents, ses grands-parents, sa sœur, son petit-frère et leur tante. Cette grande famille était réunie lors d’une matinée de Septembre, comme à l’accoutumée, chacun vaquant à ses préoccupations. En l’espace de quelques minutes, les miliciens ont mis un terme à cette vie de famille dans un décor tout à fait paisible en tirant sur le père de famille, sur les grands parents, sur la tante et en poursuivant la mère de Siham et sa petite sœur qu’ils lui ont arrachée de force pour ensuite l’abattre de sang froid.
Puis, un des miliciens s’est acharné sur la mère de Siham en l’entraînant dans une petite maison à l’extérieur afin de la violer avant de mettre également atrocement fin à ses jours. Durant toute cette scène, Siham est restée muette, immobile, terrifiée, impuissante et désespérée sur son vieux chêne. Pendant un court laps de temps, le ravisseur de sa mère a levé la tête en direction de l’arbre sur lequel Siham s’est réfugiée malgré elle, ce qui effrayé la jeune fille au point de se sentir découverte par ce dernier.
La plupart du temps, de nombreuses personnes assistant à des crimes et massacres de guerre telles que Siham ne survivent pas toujours pour pouvoir les raconter ni s’en souvenir. La plupart du temps, les tortionnaires prennent un plaisir inouï à torturer des victimes sous les yeux de leurs proches pour ensuite les tuer devant eux et tuer ces spectateurs à leur tour.
Dans notre récit, Siham échappe de justesse aux miliciens et a assisté à toutes les violences dont les membres de sa famille ont fait les frais. Les sentiments affluent alors chez la jeune fille et se mélangent : peur, dégoût, désarroi, solitude, incompréhension, contestation, puis résignation et calme. Peu à peu, tous ces sentiments mélangés vont donner naissance à la haine, à la compréhension puis à la vengeance.
Après avoir retrouvé son petit-frère, elle décide de se consacrer à ce dernier puis, elle commence à planifier une idée de vengeance qu’elle assouvira coûte que coûte, qu’importe le temps que cela prendra. La haine et la vengeance deviennent l’essence de sa vie, elle ne fera jamais son deuil qu’à la fin du récit.
7- L’après-guerre :
Dans cette phase, Siham est déroutée, blessée intérieurement et pleine de remords de ne pas avoir pu faire quoi que ce soit pour sauver ses proches. Par la suite, elle retrouve son petit frère qui est sauvé par le tambour de la machine à laver et erre sans direction avec lui jusqu’à ce que son oncle les retrouve et les place dans un orphelinat.
C’est là que l’innocence et la naïveté de Siham s’envole et qu’elle commence à ressentir de la haine contre les miliciens, surtout contre l’épicier qu’elle a reconnu. Son désir de vengeance s’éveille également à cette phase là et deviendra l’instigateur de chacun de ses actes et même sa raison de vivre.
Après la guerre, Siham et Karim sont d’abord placés dans une des nombreuses tentes qui servent de refuge et d’abris durant la guerre. Avant cela, les deux s’enfuient d’abord à travers la forêt pour rejoindre les autres rescapés de la guerre. Ramy Zein décrit les tentes comme suit :
« Le camp est bondé de réfugiés. Des femmes et des enfants surtout. Elle les observe à la dérobée, saisit par bribes des regards éteints, des visages défaits, des corps en pyjamas ou en chemises de nuit, des pieds nus, recroquevillés tels des moignons secs. Elle se dit qu’ils ont fui leurs villages comme elle, qu’ils ont vu ce qu’elle a vu, traversé les mêmes bois, les mêmes garrigues, les mêmes terres incendiées par les bombes; elle imagine leurs maisons abandonnées, là-haut, parmi les vignes et les figuiers, elle voit des vestiges de repas trainant sur des nappes à fleurs, des branches de bougainvillées qui projettent leurs ombres sur des armoires ventrues, des lits froissés, des corps inertes, disloqués, sans visage. » (p.26-27)
En vivant dans la tente, Siham peut se rendre compte de la réalité et nourrir sa haine et ses ressentiments. Elle a également pris connaissance du monde des adultes, de la douleur après le malheur, de la peur d’oublier les siens et de les laisser partir pour de bon. Elle prend également connaissance de ses devoirs en tant que grande sœur, de la protection qu’elle dit vouer à son frère, de l’attention qu’elle doit lui apporter et de leur lien.
Elle commence aussi à se rendre compte que leur seul espoir est leur oncle Nebhan qui, plus tard, va les chercher pour les emmener vivre à l’orphelinat.
8- La vie dans l’orphelinat ou la folie :
Cette phase est caractérisée par la description de la vie de Siham au sein de l’orphelinat. Elle y est considérée comme folle, s’isolant des autres, ruminant à longueur de journée sa haine et son désir de vengeance contre les miliciens.
Elle commence également à sombrer dans le désespoir et lutte sans cesse contre l’envie d’en finir avec sa propre vie et son existence entière à cause de sa lâcheté et son impuissance d’antan. Siham croît de plus en plus et lutte contre l’innommable en pensant qu’elle porte en elle le souvenir de sa mère et de sa sœur et ne sera soulagée qu’une fois ses plans de vengeance assouvis.
Elle vit alors tel un pantin inanimé rempli de désirs morbides et de pensées obscures. Dans l’école où elle étudie, elle n’éprouve aucune envie, aucun besoin de se mêler aux autres, de prendre contact avec eux, de se lier d’amitié avec eux ni d’apprendre à les connaître. Elle vit tellement dans le passé qu’on finit par la surnommer la khwata ou la folle. Ce surnom lui a été octroyé par ses camarades compte tenu de sa folie dérisoire qui la pousse à se détacher du monde réel et de vivre toujours dans son monde morbide rempli de haine, de vengeance et de meurtres.
Siham aime s’isoler des autres. Elle est prise de sentiments particuliers et bizarres qui lui font valoir le surnom de la Khwata : elle écoute les arbres et ressent leurs émotions à travers les écorces et sa seule amie est une sourde-muette du nom d’Asma. Son amitié avec Asma est incongrue et presque irréelle car la vieille russe est sourde-muette et qu’elle ne peut donc pas répondre à Siham, pourtant, Siham préfère sa compagnie à celle des autres : « elle ne se sent bien qu’auprès d’Asma ». (p.59)
Son frère Karim commence à lui manifester de l’hostilité et la repousse constamment. Il passe son temps avec son camarade Bilal avec lequel il semble avoir beaucoup d’affinités et de complicité, Bilal ne semble pas non plus apprécier Siham et ne se gêne pas de le montrer à cette dernière. Siham commence alors à se sentir abandonnée, elle ne comprend pas Karim qui a réussi à faire le deuil et a oublié toutes ses souffrances. Karim est épanoui et apprécie la vie, l’école où il étudie assidûment et la compagnie de des amis.
Siham refuse de participer aux activités scolaires et au cours, elle rumine la colère, la haine et la vengeance. Les religieux (Père Seghan et sœur Jeanette) enseignent le pardon et le salut éternel, pourtant, Siham n’arrive pas s’imprégner des enseignements sains qui lui sont conférés :
« Un matin, Siham est convoquée dans le bureau de père Seghan. L’aumônier l’installe dans un fauteuil et, sans préambule, de sa voix grave, sonore, ii lui tient un long discours sur le pardon, avec force citations et paraboles tirées de l’Evangile : elle doit pardonner a ceux qui lui ont fait du mal, laver son âme de la haine qui la corrompt, s’en remettre entièrement a la justice de Dieu. Il ne faut pas laisser les mauvaises herbes étouffer la graine d’amour qui perce dans son cœur. Pour aller de l’avant dans la joie et l’espérance, il faut aimer son prochain comme soi-même et faire preuve de miséricorde; la compassion est le chemin du ciel; elle doit prier de toute son âme pour ceux qui l’ont persécutée, car ses bourreaux ne savaient pas ce qu’ils faisaient, alors qu’elle elle sait ce qu’elle fait, elle qui a entendu la parole de Dieu et reçu la grâce du Saint-Esprit ». (p. 76-77)
Elle est également scandée par ses camarades qui se moquent sans arrêt d’elle :
« Sonia, le soir, grimpe sur son lit et, les jambes écartées, la tête renversée en arrière telle une rockeuse en transe, elle imite Siham qui braille koullouna lii watan. Des éclats de rire secouent le dortoir. Siham ne réagit pas. Elle attend l’extinction des lumières. « (p.112)
Vivre dans cet environnement religieux étouffe la jeune fille qui ne veut pas troquer sa haine pour le pardon. Elle enchaîne donc insolence sur insolence et apprécie uniquement la présence d’Asma et les visites de son oncle Nebhan de Jbeil. Elle les attend même avec ferveur et impatience, allant jusqu’à passer ses dimanches (jours de visite) à guetter sa R12 dans la cour de l’orphelinat :
« Nebhan lui rendait visite les dimanches; c’était pour elle l’odeur du bien-être, de la sécurité, de l’insouciance, de la maison de Jbeil où elle s’imaginait habiter un jour avec Karim, l’odeur de Maher, aussi, quand petite fille elle pénétrait dans l’épicerie de Birnay et que se penchait sur elle la haute silhouette a la voix rude et profonde. » (p.117)
« Voilà des semaines que l’oncle ne leur a pas rendu visite, c’est la première fois qu’il s’absente pendant une période aussi longue. Siham l’attend chaque dimanche : elle guette sa Renault 12 depuis la fenêtre du dortoir, le temps passe, l’heure du déjeuner approche, des voitures entrent dans la cour; ce n’est jamais lui. Un homme lui ressemble, dont l’apparition la fait sursauter, une R 12 marron surgit qui n’est pas la sienne, le silence du dortoir bourdonne dans ses artères, elle s’appuie contre le rebord de la fenêtre à se faire mal. » (p.107)
Nebhan représente la joie de vivre pour Siham, sa gentillesse et son attention envers elle et son frère la touchent, elle lui a même déjà proposé de vivre chez lui ou du moins d’y emmener Karim au cas où il lui arriverait quelque chose.
9- La rencontre fatale avec l’ennemi
La levée des couleurs est entièrement dédiée à l’histoire de Siham, à sa vie durant et après la guerre civile des années 80 au Liban et à son désir de vengeance. Tout au long du récit, les thèmes abordés seront :
1- la douleur causée par la perte des êtres chers,
2-la haine envers ceux qui leur ont ôté la vie,
3-les remords de ne pas avoir pu intervenir en temps voulu et
4-la vengeance envers celui qui a causé tout ce malheur.
Tout le récit des résume donc à narrer le vécu de Siham peu avant le massacre, durant celui-ci et après, à sa façon de surmonter ses peines et d’affronter chaque jour qui passe mue par l’envie de faire payer au centuple à ceux qui lui ont privé du bonheur d’être entourée de sa famille. Le déroulement de l’histoire est donc consacré au temps passé à attendre le face-à-face avec l’ennemi.
Mais avant que Siham ne rencontre Maher G. à la fin du récit, elle va d’abord être renvoyée de l’orphelinat après avoir agressé une surveillante et être recueillie par Maher suite à une fuite infructueuse quand on l’enferme dans une pièce sombre sans fenêtre:
« Longtemps on la laisse dans cette petite pièce. La porte s’ouvre une première fois, on lui apporte une tartine de fromage et un verre d’eau. Elle ne mange pas, ne boit pas, ne bouge pas. Des voix autour d’elle, des silhouettes, un coulis d’air. Un homme l’examine. Elle est accroupie par terre. Il la tâte, prend son pouls, palpe son ventre. Il se relève, discute avec les ombres qui l’accompagnent. Des bribes lui parviennent il faut l’interner, prise en charge, hôpital de la Croix. Ils s’en vont, la porte se ferme, elle est de nouveau seule ». (p.115)
Son désir de s’éloigner de tout y compris de son frère se réalise enfin, Nebhan l’emmène vivre chez lui avec sa femme et ses enfants et la couvre de gentillesse et d’attention :
« – Dimanche, je t’emmènerai visiter le port et la vieille ville. Tu verras, c’est très joli. On pourra même faire une promenade en barque si la mer est calme. »(p.121)
« Nebhan lui dit des choses gentilles, qu’il est heureux de l’accueillir dans sa maison, qu’elle doit se sentir chez elle, Helena et lui la considèrent comme leur propre fille, elle peut compter sur leur soutien quoi qu’il arrive. Pour commencer il va l’inscrire à la même école que ses enfants, elle verra, elle y sera bien; il a obtenu une attestation du collège qui lui permettra d’entrer en seconde, mais il faudra qu’elle soit plus studieuse et qu’elle améliore ses résultats. » (p.125)
Malgré les efforts de Nebhan pour la rassurer pourtant, elle se sentira toujours exclue en vivant chez lui, avec les manières de sa femme Helena, de sa fille Tania ou de son fils Anthony qui ne la ménagent pas du tout. Elle travaille dans un restaurant au bord de la mer (Mina) et compte donner tout son argent à Karim plus tard. Les jours sont tranquilles jusqu’à ce qu’une autre guerre féroce et meurtrière éclate à nouveau.
La fin de cette guerre est marquée par l’amnistie de tous les miliciens durant la guerre et la prise de pouvoir de ces derniers au détriment du Parti Chadi qui a dû leur céder toutes les places au gouvernement. Ces décisions répugnent Siham qui commence alors à se rendre compte que tous les crimes de guerre sont lavés sans que les criminels n’aient daigné demander pardon aux familles des victimes qu’ils ont faites. C’est à cet instant que Siham a décidé d’assouvir sa vengeance, à l’anniversaire du massacre de sa famille :
« Sa décision est prise. Depuis des jours elle y pense, mais c’est là, cet après-midi d’été, au-dessus de l’autoroute, dans le vacarme et le vent, qu’elle le décide. Ce sera le 10 septembre.
Le même jour. » (p.172)
Siham se procure alors une arme, rend visite à son frère dans la capitale et voyage jusqu’à Birnay jusque dans l’épicerie de Maher G. Les émotions que sa rencontre avec le milicien qui a assassiné sa famille va provoquer sont intenses, aussi elle est déçue lorsqu’elle ne le voit pas dans l’épicerie, mais plutôt son cousin. Pourtant, ce dernier vit au-dessus du commerce et, après des hésitations, Siham monte jusqu’à sa chambre.
Durant le voyage pour arriver jusqu’à Birnay, Siham n’est plus vraiment convaincue de vouloir se venger et commence à comprendre le ridicule de la situation. Cela et surtout dû à sa visite chez Karim, quand elle a vu l’homme que son frère est devenu :
« Elle répond d’une manière évasive avant de l’interroger sur ses projets: est-ce vrai qu’il veut faire des études d’architecture pour travailler dans le Golfe? Le garçon acquiesce. Il y a beaucoup de débouchés dans ce domaine en Arabie, a Dubaï, au Qatar. Après les pays arabes, il ira vivre en Amérique du Nord ou en Europe. » (p.191)
Elle se sent confuse après les retrouvailles émouvantes et positives avec son frère. Mais en y repensant, c’est pour elle Maher et sa troupe de miliciens qui l’ont incitée à devenir ce qu’elle est actuellement, à penser constamment à Maher :
« Elle pense à Maher, même quand elle ne pense pas à lui, il est la, qui imprègne sa perception du monde comme un écran invisible entre elle et les choses. Tout porte sa trace autour d’elle, tout résonne de sa voix. Elle est la captive d’une prison immatérielle dont il est le geôlier sans mains et sans visage. » (p.93)
C’est à cause d’eux que : « Dans sa tête il fait toujours guerre. » (p. 185)
Tout le récit, depuis le début jusqu’à la fin, est focalisé sur la rencontre de Siham et de Maher G. A la fin du récit, cette rencontre se fera, mais pas telle que Siham l’a imaginé et espéré :
« Elle scrute l’ovale du crane, le cou grêle, les grands yeux dont le blanc émerge péniblement de la pénombre. Le visage est figé comme un masque, les lèvres entrouvertes. C’est lui, Maher, elle l’a reconnu. Un flot de sang lui monte à la tête, son cœur bat à se rompre. Une énergie extraordinaire se répand en elle. Elle peine a contrôler sa main qui plonge au fond du sac, atteint le revolver, cherche la crosse, la détente. Elle est prête à le sortir, à tirer. L’excitation bande ses muscles, brouille ses yeux. Elle oublie la présence de la femme près de la porte. Elle ne pense plus qu’à ça, elle ne sent plus que ça, l’arme sous sa main, la volonté de tirer, d’en finir. Siham empoigne le pistolet, concentrée, résolue.
Plusieurs secondes passent.
D’autres secondes encore.
Rien.
Sa main demeure immobile son bras inerte. Une gangue de pierre la paralyse. Elle est incapable d’accomplir le moindre mouvement. L’œil morne continue de la fixer. Il ne la regarde pas, il regarde à travers elle, sans remuer un cil. Un regard absent qui n’exprime rien, rien qu’une insondable lassitude, une lassitude au-delà du sensible, désincarnée, minérale. » (p.197)
Maher G. n’est plus le même qu’il était auparavant. Sa fierté avait disparu, il a été blessé durant la guerre, une balle a traversé sa colonne vertébrale, la femme de sa vie qu’il allait épouser est morte avec toute sa famille à cause de la guerre et lui, après plusieurs mois dans le coma, a perdu toute rationalité et ne reconnait plus personne, même pas sa mère qui peine à s’occuper de lui tous les jours. Siham est éberluée, estomaquée, livide et tout à fait délivrée de toute émotion, le choc lui semble trop grand :
« L’émotion a complètement disparu, elle s’est dissipée en quelques instants, cédant la place à un vaste désert, un désert sans relief, sans écho. Siham se sent vidée. Son corps est amorphe. Son cœur sec. » (p.199)
Ainsi s’achève donc la quête de Siham : par une vengeance qu’elle n’aura pas attribuée, mais que la nature ou le Dieu auquel elle ne croyait plus du tout aura accompli à sa place. Soulagée, vidée et enfin libérée de ses tourments, elle est revenue au vieux, chêne, là où tout a commencé, là où l récit se termine également par une note positive et pleine d’espoir :
« Un peu plus au sud, au-delà du mont Khraybi, il y a un arbre debout parmi les ruines et, sous l’arbre, une jeune fille couchée a l’endroit où sa petite sur gisait le matin du raid. Ses lèvres sont détendues, presque souriantes. Dans quelques heures, quand poindra le jour et que les couleurs se lèveront sur les collines, Siham se réveillera, elle se dressera lentement, ramassera son sac, sortira le revolver qu’elle videra de ses cartouches avant de le lancer loin dans les fourrés. Elle regardera une dernière fois les ruines de la maison, le chêne, les terrasses, puis elle reprendra le chemin de Birnay: elle marchera sans hâte, ne pensera à rien, bercée par les bourdonnements du soleil et le bruit de ses pas sur le bord de la route. Le village de Maher, elle le traversera en jetant un simple coup d’œil sur l’épicerie, le sang calme, le cœur serein. Elle ira jusqu’à la place Fakhreddine et, de là, elle embarquera dans le premier car qui la descendra vers la grande ville où les pelleteuses achèvent de déblayer les vestiges de la guerre, où les hommes ont repris leur vie d’avant, légers et rieurs, comme si de rien n’était. » (p. 201-202)
Siham est l’exemple typique des victimes de guerre que la guerre civile libanaise de 1975 à 1990 a faites. La guerre n’a pas causé que des dommages matériels, mais aussi des dommages physiques et moraux suite aux massacres, prises d’otages, tortures, etc. Pour rappel, la guerre du Liban est l’issue d’une mésentente entre autorités politiques chrétiennes et musulmanes.
La guerre est provoquée par différents facteurs tels que :
– On note un déclin de l’économie libanaise qui aggrave cette situation.
– De plus, les troupes palestiniennes installées dans le sud du Liban leur altercation avec l’armée israélienne ajoutée à la guerre entre musulmans et chrétiens provoque la guerre civile.
– Enfin, la dispute de pouvoir entre les musulmans qui sont majoritaires dans le pays et les chrétiens qui sont minoritaires.
Le gouvernement libanais est déstabilisé et se laisse désorienté par les altercations qui vont lui faire perdre le contrôle et donner plus de chance à la guerre de se propager et de s’étaler sur plusieurs années en faisant des milliers de victimes. La capitale Beyrouth est le centre des altercations , les maisons tombent en ruines, les décombres ne comptent pas que des pertes matérielles mais aussi humaines. Une légère trêve est annoncée en 1976, mais elle sera vite rompue et la guerre reprendra de plus bel, des cessez-le feu fictifs sont prononcés et jamais réalisés, la guerre durera plus de 15 ans.
Pour mieux comprendre la guerre, ses causes, sa portée et ses conséquences anciennes comme actuelles sur le gouvernement libanais, nous avons inséré à la fin de ce mémoire une annexe avec une chronologie détaillée de l’histoire du Liban depuis les années 40 jusqu’en 2012.
Siham représente son pays, le Liban, mais aussi toutes les victimes ayant survécu à la guerre. Sur le site de psychologie.com, Camille Laurens, une romancière témoigne de la difficulté de faire le deuil de son fils mort et de la nécessité de partager sa douleur avec les autres pour la surmonter . Siham, elle, refuse de parler de sa situation.
Quand ses camarades de classe ou ses enseignants lui demandent la raison de son hostilité, quand ils tentent de l’amener à s’exprimer pour évacuer sa douleur et faire une croix sur le passé, elle refuse de s’abandonner, de céder, de lâcher prise, de devenir comme les autres, d’oublier, de pardonner. Au lieu d’exprime sa rancœur ou d la matérialiser afin de la dompter, elle préfère le mutisme.
Il n’y a qu’à Asma qu’elle l’a raconté, une fois :
« Ce qu’elle n’a raconté a personne, c’est à elle, Asma, qu’elle l’a dit un jour. Sans mots, sans gestes, elle l’a regardée dans les yeux et, pendant quelques instants, elle a pensé aux scènes de la maison, de l’étable, du jardin. Ce fut tout. Elle est sure que la vieille femme a compris. » (p.49)
Le choix d’Asma en tant que confidente rend l’attitude de Siham encore plus complexe et incompréhensible. En effet, en tant que sourde-muette, Asma n’a pas la capacité de répondre à Siham, ce qui lui évite de subir des reproches ou des jugements de la part de cette dernière. Le fait que Siham ne se confie à personne relève d’un manque de confiance aux autres, mais aussi d’un jugement sévère envers eux que Siham qualifie comme des êtres sans but réel qui vivent sans réelle ambition et qui n’ont pas d’orgueil.
Les autres enfants ne sont pas capables de comprendre Siham, du moins, c’est ce qu’elle pense. Leurs discussions sont futiles et inutiles, leurs sujets de conversation sont contraires à ceux de Siham, leur attitude ne sont pas les mêmes que le siennes. Pour Siham, la vengeance représente la liberté. Les citations ci-dessous illustrent la perception de la vengeance par la jeune fille :
– « La vengeance, c’est la volupté du paradis. » de André Thérive
– La vengeance est plus douce que le miel. » de Homère, Extrait de L’Illiade
– « La vengeance est un plat qui se mange froid. » Proverbe français
– « L’arme des humiliés : la vengeance. » de Alice Brunel-Roche Extrait du La Haine entre les dents
– « La vengeance est une justice sauvage. » de Francis Bacon, Extrait des Essai
– « La vengeance est incompatible avec la liberté. » de Gilbert Choquette
– « La vengeance impulsive est mauvaise conseillère. » de Xavier Brébion
– « Notre vengeance sera le pardon. » de Tomas Borge
Siham est le prototype même du sujet traumatisé qui subjectivise sa douleur et dimensionne les évènements comme si leur portée n’étaient que subjectives, liées à elle-seule et non à plusieurs personnes. Elle est victime d’un trouble psychopathologique et psychologique liés à une pathologie mentale qui fait qu’elle refuse de se plier aux conformités sociales sur le pardon, le recouvrement, l’oubli, le déni de soi et la concentration sur le futur, l’avenir ou le présent.
Siham ne veut pas oublier, elle se remémore sans cesse ce qui s’est passé, elle ne veut ni taire sa douleur, ni enfouir ses émotions qu’elle ne laisse pas dominées par d’autres sentiments. Ses émotions et la douleur provoquée par la perte ignoble des siens deviennent ses motivations, retrouver Maher G. et venger les siens devient sa seule issue, son échappatoire vers le bonheur.
Depuis le drame, Siham n’est plus heureuse et n’a plus goût à rien, surtout pas au bonheur, à la prière, à la vie, etc. Elle hait les transistors et ressent une irrépressible envie de faire durer la guerre. Le bruit des obus se fracassant sur les murs des bâtiments, les explosions et la barbarie des miliciens sont devenus des habitudes, des sources de joie et de bien-être. Ils la rapprochent à son but ultime, ils la rapprochent à la réalité, à la vie telle qu’elle l’entrevoit.
Freud qualifie la douleur comme étant « une irruption de tension », « un excès des quantité d’énergie qui font effraction dans les dispositifs protecteurs » ou un traumatisme ou une hémorragie » . Pour Freud, les barrières protectrices établies ont été rompues, détruites par un phénomène émouvant à portée négative.
Il souligne que la douleur crée une « brèche » dans la défense psychique et psychologique d’un individu humain. Ce dernier est pris de cours et ne s’est pas préparé mentalement à l’avance face aux évènements. Et bien qu’il se soit peut-être déjà préparé au prise, le choc est toujours considérable, la douleur insurmontable.
Pedienelli (1997) souligne le traumatisme lié à cette absence de préparation et à l’impossibilité de se détacher de la douleur ni de la fuir : « Dans la douleur comme dans l’accès d’effroi, (“Schreck”), l’appareil psychique est mis en péril par l’irruption d’une sensation à laquelle le sujet n’était pas préparé » (Pedinielli et al.1997). Pedienelli ajoute que « La douleur vive, aiguë, provoque d’abord une forme de “sidération”, de destruction des systèmes de pensée et de communication habituels du patient »
La douleur est donc un traumatisme, un trouble pathologique mental qui retient un individu prisonnier de ses sentiments obscurs, mais avant tout prisonnier du passé et des conséquences qu’un terrible malheur lui a infligées. Freud explique que la douleur entraîne une concentration su soi qui provoque une « hémorragie psychique » et un narcissisme caractérisé par le détachement des autres et du monde et par l’implication personnelle dans la douleur.
La théorie et les explications de Freud coïncident avec la façon dont Ramy Zein a conçu, insufflé et fait vivre la douleur en Siham. Elle est victime d’une douleur subjective qui lui fait faire du mal à elle-même et la force à se considérer par rapport à la douleur en omettant tout ce qui est autour.
En même temps, on se rend compte que la douleur de Siham est chronique , car c’est une douleur qu’elle traîne durant des années. La douleur se transforme en traumatisme, en maladie. Elle persiste et ne s’estompe jamais, elle ne donne pas de répit à sa victime. Siham en fait actuellement les frais car elle est prisonnière d’une douleur trop vive et insurmontable qui a façonné une personnalité totalement différente de celle qu’elle avait auparavant.
Les personnes ayant subi un traumatisme comme le sien réagissent de trois manières différentes :
– Soit elles capitulent sous la douleur et n’arrivent pas à faire le deuil des malheurs en se vengeant, en vivant dans le passé ou en se morfondant,
– Soit elles se ressaisissent et continuent à vivre malgré les évènements,
– Soit elles restent neutres, sans présenter des sentiments d’acceptation ou de déni.
Siham fait partie du premier groupe de personnes citées ci-dessus : elle a choisi de faire taire sa raison et sa conscience et de suivre les voies lugubres de ses émotions négatives, de se laisser emporter par la douleur jusqu’à fusionner avec elle et devenir son esclave. L’état de Siham est traumatique car elle n’a pas eu la faculté d comprendre, de traduire ou de donner du sens aux évènements qui se sont passés : au massacre des seins, à leur mort, à la guerre, à la fuite du village, au fait de devoir vivre alors que ceux qui lui sont chers sont tous presque tous décédés. Son sentiment de vengeance est une « séquelle post-traumatique »
Dans son article Douleur : aspects liés au traumatisme, Marie-Claude Defontaine-Catteau explique que le traumatisme « présente un choc initial lié à l’intensité de l’inattendu :
• Somatique : “l’ébranlement”. Le corps est saisi par l’angoisse et la lutte pour la survie ;
• Psychique : “l’expérience d’effroi” où le sujet est confronté brutalement à l’étendue des dégâts corporels et à la perspective de la mort pour lui-même ou pour autrui » .
Marie-Claude Defontaine-Catteau présente l’« état de stress post-traumatique » comme suit :
« • Le sujet a vécu un événement hors du commun qui provoquerait des symptômes évidents de détresse chez la plupart des individus ;
• l’événement traumatique est constamment revécu (souvenirs, rêves, illusions, etc.) ;
• évitement persistant des stimuli associés au traumatisme ;
• présence de symptômes persistants traduisant une hyper-activité neurovégétative. »
83
A travers ces explications, on peut déduire que Siham a vécu un traumatisme car elle ressasse sans cesse dans sa tête le massacre de sa famille, elle revit dans sa tête chaque détail, elle ne veut pas se détacher de ses souvenirs, elle cherche la présence de ses êtres chers, elle refuse d’abandonner sa douleur, elle ne fait plus qu’un avec elle. Ce traumatisme peut être considéré comme une « névrose traumatique » car il est provoqué par un choc émotionnel grandiose suite à une expérience traumatisante d’une intensité considérable.
De plus, Siham a complètement changé de personnalité depuis le drame, elle est devenue à la fois hystérique, sèche, toujours malheureuse, etc. on peut en déduire que Siham a eu un tr
aumatisme causé par u
Partie II- La temporalité
A- La fréquence :
1- Le récit itératif :
Un évènement qui est survenu plusieurs fois n’est raconté qu’une fois par le narrateur. Le récit narratif tient sa singularité du fait qu’un récit qui s’est passé plusieurs fois n’est raconté qu’une seule fois dans le récit. On parle de l’usage symbolique du terme « tous les jours » qui décrit une habitude qui se répètent à plusieurs reprises mais qui n’est racontée qu’une fois dans le texte, soit parce qu’elle n’est pas assez importante pour être racontée, soit parce que le narrateur en a tout simplement décidé ainsi.
Dans La levée des couleurs de Ramy Zein, le récit narratif n’est pas forcément raconté avec l’imparfait de l’itératif, mais peut aussi se conjuguer au présent. On peut prendre exemple sur les passages ci-dessous qui laissent sous-entendre une répétition d’un évènement sans pour autant le raconter plusieurs fois dans le récit, juste dans les passages que nous allons vous montrer :
« Chaque jour des rumeurs promettent un cessez-le-feu imminent, des sources autorisées assurent que les efforts diplomatiques vont bientôt aboutir, on parle de négociations secrètes, de pressions internationales, mais rien ne change sur le terrain, rien, sinon le bilan des morts qui ne cesse d’augmenter. » (p.166)
« Chaque jour qui passe le lui confirme: l’armée nationale reprend le contrôle du territoire, les milices se font de plus en plus discrètes, les seules armes visibles sont celles des soldats réguliers. » (p. 170-171)
« Ils n’ont jamais mis les pieds aussi loin depuis le début des combats leur mère leur interdisait de s’éloigner du hameau, gare à celui qui disparait de ma vue, je lui briserai les jambes et je l’enfermerai dans la cave pendant une semaine; la menace était répétée chaque jour, plusieurs fois par jour. » (p.19-20)
« Chaque jour des individus armés font irruption dans le restaurant. Ils surgissent en bande, posent leurs mitraillettes bien en évidence sur les tables, les canons tournés vers les clients. La consigne de Mouallem Antoun est de les recevoir avec tous les égards dus au Parti. » (p.137)
« Tous les jours elle appelle le collège. » (p. 163)
D’après la narration, les évènements cité ci-dessus se produisent chaque jour, toutefois, le narrateur ne signale pas plus d’une fois qu’ils se passent. La fait d’introduire la narration par l’adverbe de temps « chaque jour » ou « tous les jours » permet donc de situer que ces actes sont répétitifs sans pourtant être évoqués à répétition dans la narration.
2- Le récit répétitif :
Il s’agit, entre autres, des souvenirs de Siham concernant le massacre auquel elle a assisté qui emplissent le récit à leur manière. Ils reviennent sans cesse dans le récit et sont racontés de la même manière dans chaque réapparition.
Par définition, un récit est répétitif quand on raconte plusieurs fois ce qui ne s’est passé qu’une fois, soit le contraire du récit itératif. Notre livre contient de nombreux passages avec un récit répétitif, ils constituent tous les souvenirs de Siham lorsqu’elle se rappelle l’effroyable journée du 10 septembre où, tôt dans la matinée, les membres de sa famille, exceptés elle est son frère, ont été massacrés par une horde de milices assoiffés de sang conduits par un milicien en bandana gris du nom de Maher, l’épicier du village voisin.
Cette remémoration très présente dans tout le récit varie et n’est jamais racontée de la même manière : l’auteur utilise d’autres styles de phrases pour décrire ce même évènement, seul le temps est au passé car la narration n’est plus simultanée mais ultérieure. Le premier cas de récit répétitif apparait à la page 25 du roman :
« C’est lui. Elle sait que c’est lui. L’homme au bandana gris qui a poussé sa mère dans l’étable, elle le connait, elle l’a reconnu a l’instant où il a surgi avec un groupe de miliciens sur la terrasse de la maison, lui en tête, une mitraillette à la main, qui court après sa mère, la rattrape, la saisit par la nuque, tandis qu’un autre s’empare de Nada et l’achève au couteau. » (p.25)
Là, le récit n’est pas précis ni détaillé comme lorsqu’il a décrit le massacre, il est bref et raconté avec moins d’émotion et de description que le passage consacré au massacre lui-même. De nombreux autres passages contenant la narration ultérieure de ce massacre sont présents dans le roman. Ce sont des passages rappelant à l’héroïne tout comme au lecteur la violence de l’assassinant de la famille de Siham et le pourquoi de tout le récit : la naissance de la vengeance.
B- L’ordre:
1-L’analepse :
Dans ce roman, plusieurs cas d’analepse sont visibles : le temps de narration est au présent, c’est-à-dire que le narrateur retourne vers un évènement à une époque antérieure à celle où il la raconte. A titre d’exemple, nous pouvons citer les moments où le narrateur raconte les évènements durant la guerre, plus précisément durant lesquels Siham se remémore les évènements tragiques survenus à sa famille durant la guerre, alors qu’elle est déjà à l’orphelinat en train d’écouter évasivement les sermons et les morales des nones sur le pardon.
Génette décrit l’analepse comme une rétrospection, le narrateur raconte au moment présent des évènements surgis dans le passé, comme un flashback, un instant de remémoration de certains évènements qui est anachronique. En effet, selon la logique, l’ordre du temps de narration devrait être comme suit :
Passé présent futur
Or, au fil de la lecture, nous nous apercevons que cet ordre est troublé et que la narration commence par le temps présent, entrecoupée par des récits au passé et terminé par une prédiction au futur :
Présent passé futur
Le récit que nous analysons contient trois types d’analepse :
– L’analepse externe : le temps de la narration première et celui de la narration seconde ou analepse sont très décalés, c’est-à-dire que l’évènement auquel on se reporte est survenu très loin dans le passé. On peut trouver ce cas dans la narration des évènements tels que l’enfance de Siham et son habitude de grimper sur le vieux chêne dans son jardin à la fin du récit.
– L’analepse interne est une analepse qui se raconte au présent, temps de la narration première. Par exemple, on peut prendre le cas des souvenirs de Siham de ce qui s’est passé la matinée, la veille ou le jour précédent l’évènement qu’elle raconte.
3- La prolepse
Les cas de prolepse dans l’histoire sont traduits par les passages dans lesquels le narrateur évoque vaguement ou raconte une partie de ce qui se passera une fois l’intrigue principale résolue. Dans ce cas-ci, il se traduit par les passages narrant le futur de Siham ou ce qu’elle pourrait faire une fois sa vengeance assouvie, ce qu’il adviendra de sa vie dès que tout ce qu’elle aura planifié ou imaginé à propos de sa rencontre avec Maher se sera réalisé et qu’elle aura alors accompli sa « mission ».
Génette qualifie la prolepse comme étant la narration d’un évènement qui se passera plus tard, une anticipation.
La prolepse est moins fréquente que l’analepse et est souvent utilisée dans des autobiographies ou des mémoires. Dans la prolepse, le narrateur raconte au passé ce qu’il sait qu’il se passera plus tard. La plupart du temps, la prolepse décrit la fin du récit qui est alors révélée au lecteur bien avant son accomplissement.
Génette estime que cela contrarie le lecteur dans la mesure où il sait déjà ce qui adviendra du héros par exemple. Cependant, cela le fait s’intéresser de plus près à la narration et au dénouement du récit, aux différents obstacles et évènements qui ont surgi afin de constituer cette fin. Il dit donc que la prolepse à une fin destinale puisqu’elle prédit le destin du récit ou sa fin, elle l’anticipe et l’annonce.
« Mais cela ne lui a inspire ni regret ni colère. Avec ou sans amnistie, elle serait remontée a Yarcoub, elle serait retournée à Birnay. » (p.181)
Il existe trois types de prolepse : la prolepse interne, la prolepse externe et la prolepse mixte. La prolepse peut renvoyer à une rétrospection tout en prédisant l’avenir.
Le dernier passage du récit peut également être considéré comme une amorce ou une prolepse car le narrateur évoque ce qui se passera plus tard :
« Dans quelques heures, quand poindra le jour et que les couleurs se lèveront sur les collines, Siham se réveillera, elle se dressera lentement, ramassera son sac, sortira le revolver qu’elle videra de ses cartouches avant de le lancer loin dans les fourrés. […] » (p. 201-202)
C- La vitesse:
1- La scène :
La scène dans le roman « La levée des couleurs » est caractérisée par la narration qui a lieu après les évènements de la guerre en particulier et par les moments durant la guerre civile en général.
Quand les miliciens décident de malmener puis de tuer la sœur et la mère de Siham et qu’elle vit le massacre sans pouvoir intervenir, le narrateur raconte cette scène au moment-même où elle se déroule.
Il en est de même pour les scènes dans l’orphelinat lorsque les sœurs tentent d’inculquer le pardon dans l’esprit des enfants, surtout des rescapés de la guerre qui sont vivement incités à pardonner à ceux qui ont malmené ou abattu des membres de leur famille, leurs amis ou proches quelconques.
Dans les théâtres et même dans les narrations simples, la scène est souvent représentée par des dialogues ou des monologues , témoins de la cohérence entre temps de récit et temps de l’histoire qui sont alors identiques. Dans la scène :
Temps du récit (TR) = temps de l’histoire (TH)
Voici quelques exemples illustratifs issus du récit dans la « Levée des couleurs » :
« La dame surprend son regard:
– C’est sa fiancée Alia. Vous l’avez connue?
Siham veut répondre, n’y arrive pas, fait non de la tête.
– Elle est morte une semaine avant le mariage.
Toute sa famille a été massacrée à Beit-Yarine. Maher ne vous a jamais pane d’elle?
Un long silence s’installe. Siham ferme les yeux, les rouvre, regarde de nouveau la photo. Puis, soudain, elle se retourne et se dirige vers la porte.
– Vous partez déjà ? Vous ne prenez pas un café?
J’en ai pour une minute. » (p. 198-199)
« Elle va à sa rencontre, le sourire crispé.
– Tiens, c’est pour toi.
Karim jette un coup d’œil sur les pièces.
– Je n’en veux pas, j’ai ce qu’ii faut.
C’est la première fois qu’il refuse son argent.
Siham insiste:
– Prends-les, s’il te plait, je n’en ai pas besoin.
– Non! Laisse-moi tranquille! » (p.97)
Dans ces deux dialogues qui sont des exemples de scène, nous pouvons voir une petite introduction narrative exclue du dialogue dont le temps de la narration au présent est le même que le temps du dialogue : « La dame surprend son regard », « Elle va à sa rencontre, le sourire crispé ». Dans ces scènes, les évènements sont racontés tels qu’ils se produisent et simultanément au moment où ils se produisent.
2- La pause :
L’histoire proprement dite est entrecoupée par quelques séquences de narration. On peut donc dire que le récit avance (TR = n) mais que le temps de l’histoire est suspendu (TH = 0) car l’histoire elle-même est suspendue un instant pour laisser place à une autre narration. La pause est très utilisée lorsqu’une description vient à compléter le récit, par exemple, quand le narrateur raconte l’histoire et que l’instant d’après, il décrit une chose évoquée dans la narration, un endroit, une époque, etc.
C’est le cas lorsque le narrateur revient à ce qui s’est passé le jour du massacre de la famille de Siham, lorsque Siham se remémore cet instant et que la narration de cette remémoration se suspend pour laisser place à l’imagination de Siham sur ce que les membres de sa famille ont fait avant le massacre avant de reprendre sur la narration de la remémoration. Il s’agit e la fin de la page 67 jusqu’à la première phrase de la page 70.
Le récit avance donc et est subitement coupé par l’imagination de Siham avant de reprendre son cours :
« Siham imagine ce qui a pu se passer quelques minutes plus tard, alors qu’elle était juchée au sommet de l’arbre et qu’elle voyait des miliciens courir vers la maison. » (p.67-68)
3- L’ellipse :
La partie durant laquelle Maher a violé la mère de Siham n’est pas mise à nu dans le récit et ne sera dévoilé qu’au fur et à mesure où celui-ci évoluera. Cet évènement est en quelque sorte passé sous silence et Siham ne se rendra compte du viol que beaucoup plus tard, au fil du temps :
« Pour la première fois elle fait le lien. En un éclair, elle comprend ce qui s’est passé, ce jour là, a Yarcoub. L’homme et sa mère. Elle a compris. Elle vient de comprendre. » (p.86)
Le narrateur n’évoque aucunement dans le récit que la mère de Siham a été violée ni comment cela s’est fait, ni a durée, ni les détails du viol. Il sous-entend uniquement à travers certains détails comme le fait que Maher a trainé sa mère dans l’étable, qu’il en est sorti en se penchant sur son pantalon, en rajustant sa vareuse, etc.
En même temps, l’ellipse peut également être temporelle, c’est-à-dire que certains passages inutiles ont été supprimés ou cachés, bref non dévoilés. On passe donc directement à l’essentiel. Dans le récit, l’ellipse temporelle est caractérisée par l’emploi de l’adverbe de temps : « le jour J ». Les évènements ou les jours précédant ce jour J ne sont pas narrés mais sont directement sautés :
« Le jour J, chacun gagne l’estrade et fait la lecture de sa liste dûment datée et commentée. La sœur acquiesce, encourage, félicite. Le tour de Siham arrive ; elle explique qu’elle n’a rien préparé. » (p.64)
Ce passage suit la narration de la course aux bonnes actions entre chaque élève à l’orphelinat pour recevoir des récompenses des sœurs. Le passage ci-dessous est plus illustratif. Quand Siham a décidé d’assouvir sa vengeance, elle s’est alors promis de le faire le 10 septembre, anniversaire dudit massacre. Juste après cette décision, la narration passe immédiatement au passage où elle débarque dans la capitale, sans faire état des jours précédents, de sa préparation, de quand et comment elle a quitté la maison de son oncle et de sa tante, etc.
« Le bus la dépose à la gare routière Charles-Helou. C’est la première fois qu’elle se retrouve dans la capitale depuis des années » (p.183)
L’ellipse permet donc au narrateur de passer certains passages inutiles pour éviter trop de s’étaler sur des détails futiles et d’allonger le récit, alors qu’ils ne représentent pas vraiment un tournant décisif dans l’histoire, juste une simple narration.
4- Le sommaire
Un petit résumé de l’histoire qui va suivre est visible dans le sommaire. Pour Génette, le sommaire est représenté par l’équation : TR < TH, c’est-à-dire que le temps du récit est au présent mais que celui de l’histoire est au futur. Le sommaire sert de résumé à l’histoire, dans notre cas, il est à vocation prédictive puisqu’il se trouve à la fin du récit et qu’il résume ce que Siham fera une fois qu’elle se sera réveillée.
Le sommaire est annonciateur est appuyé par une narration antérieure qui sert également de prolepse dans notre récit. Il résume ce qui devrait être la suite du récit sans pour autant continuer le récit, il offre juste un avant-goût sans l’étaler. En temps normal et chez certains livres, le sommaire se trouve au tout début du récit, surtout quand la narration est intradiégétique (le narrateur est le personnage principal).
Il résume alors les faits qui se sont produits pour mener à l’étape du récit qui sera narré plus tard. Il montre quels évènements se sont produits avant l’intrigue principale pour mettre le lecteur au courant, sans consacrer des pages du livre pour tout raconter. Parfois, le sommaire peut aussi se situer dans le récit, au milieu de la narration, dans un passage ou dans de petits passages destinés à informer et éclaircir le lecteur.
Dans la levée des couleurs, le sommaire se trouve à la dernière page du récit et annonce des évènements futurs :
« Dans quelques heures, quand poindra le jour et que les couleurs se lèveront sur les collines, Siham se réveillera, elle se dressera lentement, ramassera son sac, sortira le revolver qu’elle videra de ses cartouches avant de le lancer loin dans les fourrés. Elle regardera une dernière fois les ruines de la maison, le chêne, les terrasses, puis elle reprendra le chemin de Birnay : elle marchera sans hâte, ne pensera a rien, bercée par les bourdonnements du soleil et le bruit de ses pas sur le bord de la route. Le village de Maher, elle le traversera en jetant un simple coup d’œil sur l’épicerie, le sang calme, le cœur serein. Elle ira jusqu’à la place Fakhreddine et, de la, elle embarquera dans le premier car qui la descendra vers la grande ville où les pelleteuses achèvent de déblayer les vestiges de la guerre, où les hommes ont repris leur vie d’avant, légers et rieurs, comme si de rien n’était. » (p.201-202)
Partie III- La focalisation
1- La focalisation zéro :
Dans la focalisation zéro, le narrateur est considéré comme « Dieu » car il sait tout et même plus que le personnage lui-même.
Dans le livre, la focalisation zéro est visible dans divers passages tels que les passages décrivant les sentiments de Karim envers Siham que celle-ci ne comprend qu’au fur et à mesure que les évènements se succèdent. Siham est prise pour folle par ses camarades de l’orphelinat ce qui engendre de la honte et une haine de la part de son frère. Ces sentiments négatifs évolueront tout au long du récit et ne seront pas inconnus du narrateur. Siham, par contre, ne s’en apercevra que plus tard.
Il peut également s’agir de la scène durant laquelle les miliciens massacrent la sœur et la mère de Siham. Siham ne voit pas directement la scène bien qu’elle soit perchée sur un arbre. En revanche, elle entend tout et ne peut donc qu’imaginer ce qui se passe. A l’inverse, le narrateur lui est au courant de chaque fait et va s’empresser de le décrire au narrataire.
La focalisation zéro est aussi appelée omniscience narrative, le narrateur est supérieur au personnage :
Narrateur > Personnage.
Il est assimilé à Dieu de par son pouvoir illimité dans la narration, de par sa connaissance de tout (de tout ce qui concerne chaque personnage, de leurs histoires, leur passé, leurs souvenirs, etc.). La focalisation zéro est également appelée absence de focalisation , le narrateur sait tout, voit tout, dit tout ce qu’il sait ou non, il détient un niveau de savoir optimal et des connaissances infinies.
L’intimité des personnages est alors mise à nu et présentée tout au long du récit, alors que les personnages eux-mêmes n’y ont pas accès. Le narrateur révèle alors des pensées, des secrets et des sentiments inavoués. Les personnages n’en savent pas autant que le narrateur quand il est question de focalisation zéro, mais la lecture procure au lecteur tout le savoir du narrateur, donc, le lecteur est aussi puissant que le narrateur qui est plus savant que les personnages :
Narrateur = Lecteur > Personnages
Dans La levée des couleurs, la narration extradiégétique et simultanée accentue la focalisation zéro. Grâce à sa position, le narrateur se livre au dévoilement des sentiments des personnages sans que les autres personnages en soient au courant. Ces informations sont destinées au lecteur.
Dans le passage suivant, le narrateur raconte ce qui se passe chez Karim après que Siham lui ait rendu visite. En même temps, il narre ce qui se passe du côté de chez Siham, en prenant en compte qu’aucun de ces deux personnages ne sait exactement ce qui se passe chez l’un ou l’autre. A ce même instant, le narrateur raconte aussi ce qui se passe du côté de Maher, le temps de la narration est le même, le récit et l’histoire se passent au même temps :
« Lentement elle s’agenouille, se couche parmi les herbes, enroulée sur elle-même. Des brins secs s’agitent sous ses yeux. Une odeur d’écorce la pénètre. La brise la caresse. Elle s’endort.
A trente kilomètres de là, Karim regarde la cour du collège depuis la fenêtre du dortoir. Le soleil vient de se coucher, des ombres épaisses s’accumulent sous le préau, parmi les arbres, entre les véhicules garés le long du mur. Ses yeux suivent le vol d’une chauve-souris qui décrit des courbes brisées avant de disparaitre derrière les ficus. Un groupe de moineaux se pose devant la statue de la Vierge, une feuille poussée par le vent roule sur elle-même et glisse sous le grand portail. Le front appuyé contre La vitre, Karim pense à sa sœur qui est venue le voir ce matin. Il se rappelle ses paroles, ses regards, ses gestes. II aurait aimé passer plus de temps avec elle. Quelque chose a changé entre Siham et lui, il l’a senti dès qu’ils se sont retrouvés face à face dans le hall désert. C’est comme s’il n’y avait plus de barrières entre eux, plus de souvenirs, plus de peur. Il espère la revoir bientôt. Il se dit qu’elle reviendra dimanche prochain peut-être. Ou celui d’après. Karim lève les yeux et observe le ciel où subsistent quelques morceaux épars d’un soleil mal éteint. Les voix de ses camarades résonnent dans son dos. Un léger sourire éclaire ses lèvres.
Au même moment, à Birnay, Maher G. songe à la jeune fille qui lui a rendu visite tout à l’heure. Les gens, d’habitude, restent longtemps auprès de lui, ils l’embrassent, ils lui parlent, ils sirotent leur café en discutant avec sa mère. Pas elle. Elle n’est demeurée qu’un instant puis elle en partie. Elle semblait troublée. Il n’arrive pas à savoir qui est cette fille. » (p. 200-201)
Dans l’extrait ci-dessus, un indicateur de lieu (« A trente kilomètres de là, ») et un indicateur de temps (« Au même moment, ») de temps introduisent les passages et montrent que les actions se passent au même moment à des endroits différents et concernent trois personnages différents qui ignorent ce que les uns ou les autres vivent à cet instant précis.
2- La focalisation interne :
Dans la focalisation interne, le niveau de connaissance du narrateur et du personnage principal est à égalité.
La focalisation interne ou point de vue interne décrit le « monde de l’intérieur du personnage » , dans ce cas, tout ce que le personnage ne sait pas est également inconnu du narrateur, et vice et versa. Le narrateur et le personnage sont donc à un niveau de savoir égal :
Narrateur = Personnage
En même temps, le lecteur est aussi au même niveau que le narrateur et le personnage puisqu’il prend connaissance des connaissances de ces deux là. Donc :
Narrateur = Personnage = Lecteur
Le lecteur accède directement aux pensées du personnage :
« Un flot de sang lui monte a la tête, son cœur bat à se rompre. Une énergie extraordinaire se répand en elle. Elle peine à contrôler sa main qui plonge au fond du sac, atteint le revolver, cherche la crosse, la détente. Elle est prête à le sortir, à tirer. L’excitation bande ses muscles, brouille ses yeux. Elie oublie la présence de la femme près de la porte. Elle ne pense plus qu’à ça, elle ne sent plus que ça, l’arme sous sa main, la volonté de tirer, d’en finir. » 197
Dans la focalisation interne, le narrateur ne sait que ce que personnage sait et ne raconte que ça.
Conclusion
L’étude des voix narratives à travers le roman La levée des couleurs de Ramy Zein démontre que l’évolution comportementale et psychologique de Siham, survivante d’un massacre lors de la guerre civile libanaise, peut être représentée et racontée clairement à l’aide des différentes voix narratives dans le roman.
Dans ce sens, le narrateur peut être impliqué dans l’histoire ou demeurer extérieur à la narration ou y prendre part en léguant son rôle à un ou plusieurs personnages. Nous pouvons également constater que la narration impacte dans la description de la vengeance.
La Levée des couleurs est le troisième roman de l’auteur libanais Ramy Zein. Ce dernier narre le destin tragique d’une jeune fille et de son frère rescapés du massacre de la Guerre Civile qui a sévi dans les années 70 jusqu’aux années 90. Selon les rapports, cette guerre aurait fait dans les 150 000 à 250 000 morts. Le parti Chadi et les soldats miliciens sont en confrontation, les soldats veulent régner sur les terres libanaises.
Avant la guerre, Siham est une petite fille épanouie et très vivante qui aime profiter du lever du soleil ou des galettes au thym qu’on lui sert au petit-déjeuner. Alors qu’elle s’adonne à son activité favorite de tous les jours (grimper de bon matin sur le vieux chêne pour admirer le lever du soleil et contempler la beauté du paysage du village de Yarcoub dans lequel elle vit), elle assiste malgré elle, impuissante et dégoûtée, au massacre des êtres chers qui ont composé sa famille.
Depuis, Siham n’est plus la même. Elle reconnait un des miliciens en bandana gris, il s’agit de l’épicier du village voisin : Maher G. Cet individu qui a mis fin à sa vie de famille, à ses rêves d’enfant, celui-là même qu’elle admirait secrètement lorsqu’il lui témoignait un intérêt et de la gentillesse lorsqu’elle et son frère passaient dans l’épicerie pour faire les courses avec leur mère.
Depuis, Maher occupe ses pensées :
« Les jours fluent, les semaines s’agrègent en mots, les mois en saisons, et rien ne change: le souvenir de Maher continue de la hanter avec la même violence qu’à Deyr-Lwayzé. Ii ne la quitte pas, à chaque instant elle ressent sa présence, même quand elle ne le voit pas elle sait qu’il est là: il marche à ses côtés et lorsqu’elle traverse la ville nouvelle pour rejoindre la cité médiévale et le port, il l’attend sur la terrasse en sirotant un café, le regard perdu au loin, la tête coiffée d un bandana gris qui tranche avec le hale cuivré du front; il la raccompagne le soir, quelques pas derrière elle, faisant résonner ses godillots sur le bitume. I1 ne dit rien, ii ne fait aucun geste, ii marche. Elle le retrouve accroupi dans la salle de bains, assis à la table de la cuisine, adossé au mur du séjour, installé sur le canapé. Il demeure là, en silence, il demeure comme il est toujours demeuré. Elle sait qu’il ne la quittera pas tant qu’elle ne l’aura pas revu. Elle sait qu’un jour ou l’autre elle le reverra, qu’elle se retrouvera devant lui, là-haut, à Birnay, dans l’épicerie où, petite fille, elle accompagnait ses parents pour les courses de la semaine. » (p.140)
« Maher est le point de fuite de toutes ses perspectives. Il est la secrète énergie qui la tire des draps au petit matin. C’est lui qui, jour après jour, lui donne la force de marcher vers la nuit. » (p.141)
Elle devient sadique, barbare et même presque paranoïaque, elle a des envies de se suicider, de sauter du balcon de la maison de son oncle, de plaquer son rasoir contre son corps et de le saigner tout en éprouvant un plaisir morbide qui l’excite, l’anime et la ravit. Elle aime la violence et conçoit parfois des actes qu’elle ne fait que perpétrer, mais qui témoignent de sa paranoïa :
« Un instinct obscur se réveille en elle. Elle a envie de planter là sa cousine. Elle a envie de la bousculer, de la gifler. Elle se voit en train de la saisir par les cheveux pour la jeter à terre. La violence, de nouveau, comme un sursaut vital, une planche de salut. » (p.130)
Elle est prise d’un malaise dès qu’elle croit apercevoir Maher quelque part :
« Dès qu’elle s’approchait de la table où les cinq individus disputaient une partie de cartes, elle sentait ses jambes se dérober, elle respirait mal, ses mains tremblaient. Pourquoi ce jour-là et pas un autre? Qu’avaient fait ces combattants qu’ils ne faisaient pas d’ordinaire ? Elle ne comprenait pas sa réaction. Elle devait être fatiguée ou malade. Ce n’est qu’en rentrant à la maison qu’elle a compris: l’un des miliciens ressemblait à Maher G. » (p.138)
Tout le récit tourne autour de la vengeance contre Maher que Siham rumine seule contre vents et marrées au fil des années, elle n’arrive pas à passer à autre chose. Cette vengeance est le but ultime de Siham, tout le récit est en vue de sa préparation. L’étude de la narratologie dans l’œuvre nous a permis de voir que les voix narratives contenues dans le roman sont illustratives de cette vengeance.
Ramy Zein se sert de la narration antérieure, de la narration ultérieure, de la narration simultanée et même de la narration intercalée pour accentuer le désir de vengeance de Siham, les épreuves qu’elle a endurées et la raison pour laquelle se venger est pour elle la seule issue lui permettant d’oublier, de passer l’éponge, de continuer à vivre, de faire son deuil, etc. Du début jusqu’à la fin du récit dans le livre qui fait plus de 200 pages, le narrateur extradiégétique est très présent.
En effet, le narrateur ne prend pas partie dans le récit et le personnage principal de Siham ne prend que très rarement la place du narrateur. On voit également que l’ordre de narration est anachronique puisque l’emploi de la prolepse et de l’analepse en même temps est omniprésent. Le récit est tour à tour itératif ou répétitif, l’ellipse permet au narrateur de supprimer certains passages jugés inutiles à détailler.
La Levée des couleurs est un roman très riche en voix narratives qui sont destinées à aider le lecteur à ressentir ce que Siham ressent, à la comparer au Liban meurtri et dévasté par la guerre qu’elle représente.
Bibliographie :
Ouvrages :
• Alain Ménargues (Les secrets de la guerre du Liban, éditions Albin Michel), 554 pages
• Amin Maalouf (Le dérèglement du monde, Grasset, 2009 (ISBN 978-2-246-68151-9)
• Agnew D.C., Merskey H. (1976.) :Words of chronic pain, Pain, p. 2, 73-81
• Ghassan Tuéni (Enterrer la haine et la vengeance, Albin Michel, 7 octobre 2009, (ASIN: B005OQDHLO)
• Figures II, Gérard Genette, essai, éditions du seuil, 1971 (ISBN2-02-005323-3)
• Figures III, Gérard Genette, essai, éditions du seuil, 1978, p.329
• Barthes, R. (1953). L’écriture du roman, in Le degré zéro de l’écriture. Paris: Seuil, 1972, pp. 27-34.
• Basilico Gabriele (Beyrouth 1991 (2003), éditions Le point du jour), 176 pages.
• Benveniste, E. (1966). Les relations de temps dans le verbe français, in Problèmes de linguistique générale, t. 1. Paris: Gallimard, pp. 237-250.
• Benveniste, E. (1974). Le langage et l’expérience humaine, in Problèmes de linguistique générale, t. 2. Paris: Gallimard, pp. 67-78.
• Beydoun(Ahmad)-Identité confessionnelle et temps social chez les historiens libanais contemporains (Revue française de sciences politiques, vol 36 n=2, avril 1986.
• Denise Ammoun (Histoire du Liban contemporain, éditions Fayard), décembre 2004.
• Dictionnaire de la littérature libanaise de langue française, Ramy Zein, éditions L’harmattan, mai 2000, 512 pages.
• Ducrot, O. (1995). Temps dans la langue, in Ducrot, O., et Schaeffer, J.-M., Nouveau dictionnaire encyclopédique des sciences du langage. Paris: Seuil, pp. 682-696.
• François Eid (Chronoliban ou 5008 années d’histoire du Liban en 5008 millimètres,
• Freud S. (1895) : Projet de psychologie scientifique. In : La naissance de la psychanalyse. P.U.F., Paris, 1956.
• Kant, E. (1781). Critique de la raison pure. Paris: Presses universitaires de France, 1944.
• Leroi-Gourhan, A. (1965). Le Geste et la parole, II: La Mémoire et les rythmes. Paris: Albin Michel.
• Maingueneau, D. (1990). Éléments de linguistique pour le texte littéraire. Paris: Bordas.
• Molino, J. et Molino-Lafhail, R. (2003). Homo Fabulator. Théorie et analyse du récit. Paris / Montréal: Léméac / Actes Sud, pp. 269.
• L’Atlas du Liban, Presses de l’Université Saint-Joseph, décembre 2007
• Pedinielli JL et Rouan G (1997): Douleur et traumatisme : lecture psychanalytique. Douleur et Analgésie, 3, p.95-100.
• Ricœur, P. Temps et récit. Paris: Seuil; I, 1983; II (La Configuration dans le récit de fiction), 1984; III (Le Temps raconté), 1985.
• Ricœur, P. (1986). Du texte à l’action. Paris: Seuil.
• Rousset, J. (1962). Forme et signification. Essai sur les structures littéraires de Corneille à Claudel. Paris: José Corti, 1962.
• Samir Kassir (Histoire de Beyrouth, éditions Fayard – Collection Ville, 2003, 736 pages.
• Samir Kassir (La Guerre du Liban : De la dissension nationale au conflit régional, édition: KARTHALA-CERMOC) ,1994.
• Schaeffer, J.-M. (1995). Temps, mode et voix dans le récit, in Ducrot, O., et Schaeffer, J.-M. (1995), Nouveau dictionnaire encyclopédique des sciences du langage. Paris: Seuil, pp. 710-727.
• Simon, C. (1986). Discours de Stockholm. Paris: Minuit.
• Sophie Marnette et Helen Swift, « Introduction : Que veut dire « voix narrative » ? », Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 22 | 2011, 1-7.
• Vuillaume, M. (1990). Grammaire temporelle des récits. Paris: Minuit.
• Wajdi Mouawad (Visage Retrouvé, Actes Sud), 2003.
• Weinrich, H. (1973). Le temps, trad. fr. de Michèle Lacoste. Paris: Seuil.
Webographie
• http://www.unige.ch/lettres/framo/enseignements/methodes/tnarrative/tnintegr.html
• http://capsurlecapes.centerblog.net/2055271-Suite-GENETTE-
• http://emile.simonnet.free.fr/sitfen/narrat/pointvueN2.htm
• http://www.unil.ch/webdav/site/cin/shared/CitationsExtradiegetique.pdf
• http://www.assistancescolaire.com/eleve/2nde/francais/lexique/F-focalisation-et-point-de-vue-fx055
• http://www.etudes-litteraires.com/point-de-vue.ph
Douleur : aspects liés au traumatisme, Marie-Claude Defontaine-Catteau
douleur.org/Protected/UserFiles/IgwsIudV5/Resources/Document/ouvrages/Aspect_psy_douleur_chronique/institut-upsa-aspects-psychologiques-douleur-chronique-chap-3-part-3.pdf
Camille Laurens : Apprivoiser la douleur du deuil, http://www.psychologies.com/Moi/Se-connaitre/Bonheur/Articles-et-Dossiers/Cultivons-notre-joie-de-vivre/Camille-Laurens-Apprivoiser-la-douleur-du-deuil
Annexes
Annexe 1.
1943 : sous mandat français depuis 1920, l’ancienne province de l’empire ottoman proclame son indépendance. Le « Pacte national » institue un système politique confessionnel répartissant les pouvoirs entre les Maronites, les sunnites, les chiites, les druzes, et les grecs catholiques et orthodoxes.
1952-58 : présidence de Camille Chamoun qui pratique une politique pro-occidentale.
1958 : une insurrection de nationalistes arabes favorables à Nasser est matée par une intervention américaine.
1970-71: chassés de Jordanie, les combattants palestiniens de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) installent leurs bases au Sud-Liban.
1972-73: des opérations militaires et des représailles entre Israéliens et Palestiniens sur le territoire libanais enveniment les relations entre les Palestiniens et l’Etat libanais.
La guerre civile : 1975-1989
13 avril 1975 : 27 passagers d’un autobus, pour la plupart palestiniens, sont tués par des miliciens phalangistes (chrétiens maronites). Des accrochages et des représailles s’ensuivent entre Palestiniens et Phalangistes. Cet évènement marque le début de la guerre du Liban qui durera 15 ans.
Avril 75-janvier 1976 : les combats opposent les milices chrétiennes conservatrices aux palestino-progressistes (Palestiniens et gauche libanaise). La Syrie soutient ces derniers, tout en proclamant sa neutralité.
Juin 1976 : renversement d’alliance de la Syrie qui envoie des troupes au Liban à la demande du camp chrétien. Déroute des Palestino-progressistes.
Novembre 1976 : fin officielle de la guerre. Le bilan est de 30 000 tués et 600 000 réfugiés. Mise en place de la Force arabe de dissuasion (FAD), à majorité syrienne. L’armée libanaise a éclaté en factions rivales. Le territoire est sous l’autorité d’une multitude de milices et de clans.
Mars 1977 : assassinat de Kamal Joumblatt, chef du parti socialiste progressiste (PSP, druze). Les représailles font plusieurs dizaines de victimes chrétiennes.
Mars 1978 : à la suite d’un attentat palestinien à Tel Aviv, les troupes israéliennes envahissent le Sud-Liban (« opération Litani ») pour créer une « zone de sécurité ». L’ONU envoie une force d’interposition, la Force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL). L’armée israélienne se retire en juin, laissant le contrôle du Sud Liban à la milice chrétienne du commandant Saad Haddad.
Juillet 1978 : affrontements entre troupes syriennes et milices chrétiennes.
Avril 1979 : le commandant Haddad proclame l’indépendance des zones chrétiennes du Sud-Liban et donne à sa milice le nom d’Armée du Liban Sud (ALS).
Juin 1981 : affrontements entre Israéliens et Palestiniens au Sud-Liban. Les forces israéliennes bombardent Beyrouth.
Juin 1982 : les Israéliens envahissent à nouveau le Liban et assiègent Beyrouth (opération « Paix en Galilée »).
Août 1982 : 11.000 combattants de l’OLP sont évacués de Beyrouth sous la supervision de la Force multinationale.
14 septembre 1982 : élu moins d’un mois auparavant, le président Béchir Gemayel est assassiné à Beyrouth. Son frère Amine lui succède le 21. Les Israéliens entrent à Beyrouth-Ouest.
17-18 septembre 1982 : le massacre de civils par les milices chrétiennes dans les camps palestiniens de Sabra et Chatila, avec la complicité passive de l’armée israélienne, fait 800 morts, selon une commission d’enquête israélienne.
Avril 1983 : un attentat-suicide chiite fait 63 morts à l’ambassade des Etats-Unis à Beyrouth.
Mai 1983 : signature d’un accord de paix entre Israël et le Liban. Création d’une zone tampon sous l’autorité de l’Armée du Liban Sud.
Septembre 1983 : la « guerre de la Montagne » oppose chrétiens et druzes. Ceux-ci prennent le contrôle de la région du Chouf.
Octobre 1983 : double attentat-suicide du Djihad islamique contre les contingents français (58 morts) et américain (241 morts) de la force multinationale.
Novembre 1983 : un attentat-suicide contre le quartier général israélien à Tyr fait 62 victimes.
Novembre-décembre 1983 : affrontements entre l’OLP et les Syriens à Tripoli, appuyés par des dissidents palestiniens. Yasser Arafat et 4 000 de ses partisans sont évacués sous protection française.
Février 1984 : la milice chiite Amal prend le contrôle de Beyrouth-Ouest. Les Druzes de Walid Joumblatt s’emparent des positions des Forces Libanaises (milice chrétienne) dans la montagne au sud de Beyrouth. Les contingents militaires américains, britanniques et italiens de la Force multinationale quittent le Liban.
Mars 1984 : premier d’une longue série d’enlèvements d’otages occidentaux. La France annonce le retrait de son contingent de la FINUL. Le Conseil des ministres décide l’abrogation du traité de paix de mai 1983.
Mai 1984 : formation d’un gouvernement d’union nationale dirigé par Rachid Karamé.
Mars 1985 : un attentat à la voiture piégée dans un quartier chiite de Beyrouth fait 75 morts.
Mai-juin 1985 : première « guerre des camps ». Des affrontements entre la milice chiite Amal, soutenue par une partie de l’armée libanaise, et les Palestiniens de Sabra et Chatila font 700 morts dans les camps de réfugiés.
Juin 1985 : fin du retrait de l’armée israélienne du Liban, à l’exception d’une zone-tampon au sud, laissée sous le contrôle de l’Armée du Liban Sud d’Antoine Lahad.
Octobre 1985 : accord pour un arrêt des combats entre les trois principales milices : Amal (chiite), PSP (druze) et Forces libanaises (chrétienne). Le président Gemayel fait échouer cet accord.
Janvier 1986 : affrontements entre milices chrétiennes à Beyrouth.
Mai 1986-avril 1987 : nouvelle « guerre des camps » entre Amal et Palestiniens.
Février 1987 : violents affrontements entre milices druzes et chiites à Beyrouth-Ouest. Déploiement de 8 000 soldats syriens.
Juin 1987 : le Premier ministre Rachid Karamé est tué dans un attentat. Il est remplacé par Salim Hoss.
Mai 1988 : les combats dans la banlieue sud de Beyrouth entre milices chiites Amal et Hezbollah (créée en 1982 au Sud Liban, à la suite de l’invasion israélienne) font 600 morts en 2 semaines. L’armée syrienne s’interpose.
Août 1988 : l’élection présidentielle est reportée, le quorum n’étant pas atteint. Le président Gemayel n’est pas remplacé à la fin de son mandat en septembre. Il désigne le commandant des forces armées, le général Aoun, pour former un gouvernement provisoire. Les musulmans ne le reconnaissent pas, et forment un gouvernement parallèle à Beyrouth Ouest, dirigé par Salim Hoss.
Mars 1989 : Michel Aoun lance une « guerre de libération » contre les 33 000 soldats syriens présents au Liban.
Octobre 1989 : signature des Accords de Taef qui établissent un nouvel équilibre entre les communautés, prévoient la dissolution des milices, le renforcement des pouvoirs du Premier ministre et la formation d’un gouvernement d’union nationale. La Syrie maintient plus de 40 000 soldats au Liban.
Novembre 1989 : René Moawad est élu président par les signataires des accords de Taef le 5, et assassiné le 22. Salim Hoss devient Premier ministre et le général Emile Lahoud succède à Michel Aoun en tant que chef des forces armées.
Janvier-mars 1990 : la guerre pour le contrôle du « Pays chrétien » entre partisans du général Aoun et Forces Libanaises de Samir Geagea fait plusieurs milliers de morts. Aoun se réfugie à l’ambassade de France. Il partira en exil en France en 1991. La guerre civile libanaise a fait plus de 140 000 morts en 15 ans.
L’après-guerre
Mai 1991 : signature d’un Traité d’amitié avec la Syrie, qui consacre le rôle prépondérant de Damas.
Octobre 1992 : le milliardaire Rafic Hariri est nommé Premier ministre. Elections législatives partiellement boycottées par les chrétiens (taux de participation de 20%).
Avril 1996 : à la suite de tirs de roquette du Hezbollah contre le nord d’Israël, le Premier ministre israélien, Shimon Pérès, lance en représailles l’opération « Raisins de la colère ». 102 civils réfugiés dans un camp de l’ONU au Sud-Liban sont tués par des bombes israéliennes. Création d’un Comité de surveillance tripartite (libanais, syrien et israélien), sous la présidence alternée des Etats-Unis et de la France: Israël et le Hezbollah s’engagent à s’abstenir de viser des cibles civiles de part et d’autre de la frontière israélo-libanaise et de tirer à partir de zones habitées.
Octobre 1998 : le parlement élit le commandant en chef de l’armée, Emile Lahoud, au poste de président de la République. Un mois plus tard, celui-ci évince Rafic Hariri du poste de Premier ministre et nomme Salim Hoss à sa place.
2000
Février : Intensification des affrontements entre le Hezbollah et l’armée israélienne.
5 mars : le gouvernement israélien approuve la proposition du Premier ministre, Ehud Barak, de retrait unilatéral des troupes israéliennes du Sud-Liban, avant juillet 2000.
Mai : les désertions qui se multiplient dans les rangs de l’ALS entraînent le retrait précipité de l’armée israélienne.
27 août-3 septembre : le résultat des élections législatives constitue un camouflet pour le Premier ministre Salim Hoss. Ce scrutin marque le retour de son prédécesseur, Rafic Hariri.
Octobre : le Hezbollah capture trois militaires israéliens dans le secteur disputé de Chebaa, aux confins du Liban, de la Syrie et d’Israël.
2001
Juin : retrait partiel des troupes syriennes de Beyrouth et de ses environs. En vertu de l’accord de Taëf (1989) qui a mis fin à la guerre civile, l’armée syrienne aurait du se retirer de Beyrouth vers la plaine de la Békaa en 1992.
Août : vague d’arrestation de militants chrétiens anti-syriens, accusés de complot contre la sécurité du Liban.
Novembre : les Etats-Unis rendent publique une liste de groupes terroristes incluant le Hezbollah et demandent à Beyrouth de geler ses avoirs. Le gouvernement libanais, qui considère le Hezbollah comme une organisation de résistance, rejette cette demande.
2002
24 janvier : l’ex-chef de guerre chrétien Elie Hobeika est tué dans un attentat à la voiture piégée près de Beyrouth. Il était considéré comme l’un des responsables des massacres de Sabra et Chatila.
2004
11 mai : les Etats-Unis imposent des sanctions économiques contre Damas et réclament le retrait du corps expéditionnaire syrien.
28 août : le gouvernement libanais annonce un projet d’amendement de la Constitution pour prolonger le mandat du président Lahoud. Deux jours plus tôt, le président syrien avait convoqué le Premier ministre Rafic Hariri, pour lui signifier la volonté de Damas.
2 septembre : à l’initiative de Paris et de Washington, le Conseil de sécurité de l’ONU adopte la résolution 1559 appelant au respect de la souveraineté du Liban et au retrait de toutes les troupes étrangères de son sol, visant implicitement la Syrie.
6 septembre : opposés à l’amendement de la constitution, quatre ministres démissionnent du gouvernement.
21 septembre : le député druze Walid Joumblatt lance une pétition remettant en cause la prolongation du mandat du président Lahoud.
20-29 septembre : redéploiement de 3 000 soldats syriens qui retournent en Syrie.
20 octobre : démission de Rafic Hariri. Le député pro-syrien Omar Karamé forme un nouveau gouvernement.
13 décembre : pour la première fois depuis 1975, tous les partis de l’opposition lancent un programme commun dénonçant la tutelle syrienne.
2005
Février
14 : Rafic Hariri est tué à Beyrouth, dans un attentat à l’explosif qui fait 18 morts. Le lendemain, le Conseil de sécurité de l’ONU demande à Kofi Annan un rapport sur les circonstances de la mort de l’ancien Premier ministre et réclame le retrait des troupes syriennes du Liban.
16 : début de manifestations quotidiennes de l’opposition contre la présence syrienne.
23 : plus de deux cents personnalités syriennes appellent, dans une lettre ouverte, le président Bachar al-Assad à retirer l’armée syrienne du Liban.
28 : le gouvernement d’Omar Karamé démissionne.
Mars
8 : à l’appel des partis chiites Hezbollah et Amal, près de 400 000 personnes manifestent à Beyrouth en faveur de la Syrie et contre l’ingérence de Washington et Paris.
14 : près d’un million de personnes manifestent à Beyrouth, dans un rassemblement sans précédent, pour réclamer la vérité sur l’assassinat de Rafic Hariri et le départ du chef de l’Etat Emile Lahoud.
Avril
3 : la Syrie et l’ONU parviennent à un accord sur le retrait de toutes les troupes syriennes déployées au Liban avant le 30 avril.
7 : le Conseil de sécurité des Nations unies décide de créer une Commission internationale indépendante pour enquêter sur l’assassinat de Rafic Hariri.
26 : le départ des derniers soldats syriens marque la fin officielle de la présence de Damas au Liban.
4 mai : la justice annule les poursuites concernant trois chefs d’accusation contre le général Michel Aoun, ancien Premier ministre chrétien, exilé en France pendant quinze ans. Il rentre au Liban le 7 mai.
27 mai : le général Aoun annonce sa candidature aux élections législatives. Il choisit de s’allier avec des hommes liges de Damas.
29 mai – 19 juin : élections législatives. La coalition antisyrienne menée par Saad Hariri, le fils de l’ancien Premier ministre, remporte 72 des 128 sièges.
2 juin : le journaliste et opposant anti-syrien Samir Kassir est assassiné dans un attentat à la voiture piégée.
21 juin : l’ancien chef du Parti communiste, Georges Hawi, proche de l’opposition antisyrienne, est tué dans un attentat à la voiture piégée à Beyrouth.
19 Juillet : Fouad Siniora, un ancien allié de Rafic Hariri, forme un nouveau cabinet incluant le Hezbollah.
1er septembre : le procureur général engage des poursuites judiciaires contre le chef de la garde présidentielle libanaise et trois anciens officiers liés, selon l’enquête, à l’assassinat de Rafic Hariri.
20 octobre : publication d’un rapport de la commission d’enquête de l’ONU, dirigée par le juge allemand Detlev Mehlis, qui met en cause la Syrie.
12 décembre : le journaliste et député chrétien Gebrane Tuéni est tué dans l’explosion d?une voiture piégée.
2006
12 Juillet: Israël lance une vaste offensive aérienne et maritime sur le Liban, après l’enlèvement à sa frontière de deux soldats et la mort de huit autres. L’opération a été revendiquée par le Hezbollah. Israël bombarde Beyrouth et le Liban-Sud, causant de graves dommages aux infrastructures. Le Hezbollah riposte par des tirs de roquette sur le nord d’Israël. Israël impose un blocus aérien et maritime au le Liban.
12 août : le Conseil de sécurité adopte la résolution 1701 appelant à la cessation des hostilités au Liban. La résolution prévoit de donner des moyens et des effectifs supplémentaires à la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul), pour épauler la force armée libanaise de 15 000 hommes que le gouvernement s’est engagé à déployer au Liban-Sud.
14 août: entrée en vigueur de la cessation d’hostilités entre Israël et le Hezbollah. En un mois, la guerre a fait près de 1200 morts et 900 000 déplacés au Liban; 150 morts et 400 000 déplacés en Israël.
17 août: début du déploiement de l’armée libanaise au Liban Sud.
25 août: Les Européens s’engagent à fournir plus de 7 000 hommes à la Finul. La France annonce le déploiement de 2 000 soldats.
11 novembre : les ministres du Hezbollah et du mouvement Amal quittent le gouvernement après l’échec de la formation d’un gouvernement d’union nationale au sein duquel ils auraient disposé d’une minorité de blocage.
21 novembre : Pierre Gemayel, ministre de l’Industrie, est assassiné par balles à Beyrouth.
Décembre : les chiites et les partisans du général chrétien Michel Aoun entament un sit-in près des bureaux du chef du gouvernement Fouad Siniora, dont ils réclament la démission.
2007
Janvier : l’opposition déclenche une grève générale qui dégénère en affrontements entre chiites et sunnites dans les quartiers musulmans de la capitale.
25 janvier : une quarantaine de pays et d’organisations internationales réunis en conférence à Paris, promettent 7,6 milliards de dollars de soutien à l’économie libanaise.
17 mai : les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne déposent au Conseil de sécurité un projet de résolution pour la création d’un tribunal international pour juger les assassins de Rafic Hariri.
Fin mai : de violents combats éclatent entre l’armée libanaise et le Fatah al-Islam, une milice islamiste retranchée dans un camp de réfugiés palestiniens à Tripoli, dans le Nord du pays. L’armée ne reprend le contrôle du camp, en ruines, qu’en septembre. La bataille a fait près de 400 morts. Une partie des miliciens serait parvenue à s’échapper.
30 mai : le Conseil de sécurité de l’ONU adopte la résolution 1757, qui impose la création d’un tribunal international pour juger les responsables de l’assassinat de Rafic Hariri, et des attentats qui ont ensanglanté le Liban depuis octobre 2004.
18 septembre : un attentat à la voiture piégée coûte la vie à huit personnes, dont le député chrétien anti-syrien Antoine Ghanem.
25 septembre: la séance du Parlement convoquée pour élire le président de la république est ajournée. Majorité et opposition ne parviennent pas à se mettre d’accord sur la formation d’un gouvernement d’union nationale et l’amendement de la loi électorale pour les prochaines législatives.
12 décembre : le général François El-Hadj est tué dans un attentat à la voiture piégée à Beyrouth. Il était pressenti pour remplacer le chef des armées Michel Sleïmane, candidat à l’élection présidentielle.
2008
12 février : assassinat, à Damas (Syrie) d’Imad Moughnieh, chef de la sécurité du Hezbollah, recherché par Interpol pour des attentats et des enlèvements depuis 20 ans.
Début mai : des affrontements meurtriers éclatent entre la majorité et l’opposition, à la suite du limogeage du chef des services de sécurité de l’aéroport, un officier chiite prosyrien et de la mise hors la loi du réseau de télécommunications du Hezbollah. Les chiites lancent une campagne de désobéissance civile. A Beyrouth, le mouvement dégénère en bataille de rue et le Hezbollah prend le contrôle des quartiers ouest de la ville; les combats, qui font plus de 60 victimes, s’étendent à Tripoli et dans le Chouf. Le 14 mai, le gouvernement annule les deux décisions prises à l’encontre du Hezbollah. Grâce à une médiation de la Ligue arabe et du Qatar, un accord est conclu à Doha prévoyant l’élection immédiate du président de la République, la formation d’un gouvernement d’union nationale et la levée du sit-in installé par l’opposition depuis fin 2006 dans le centre de Beyrouth.
25 mai : Michel Sleimane, commandant en chef de l’armée, est élu Président du Liban après 18 mois de crise politique.
11 juillet : le Premier ministre Fouad Siniora forme un cabinet d’union nationale. Seize portefeuilles sont attribués à la majorité anti-syrienne, onze à l’opposition menée par le parti chiite Hezbollah, trois autres membres du cabinet étant nommés par le chef de l’Etat, Michel Sleimane, et le président du Parlement, Nabib Berri.
16 juillet : échanges de prisonniers et de dépouilles mortelles entre Israël et le Hezbollah.
Juillet-août : nouveaux affrontements meurtriers intercommunautaires à Tripoli.
16 septembre : ouverture d’un dialogue national entre les dirigeants des quatorze partis politiques ayant signé l’accord interlibanais de Doha en mai 2008. Les discussions portent entre autre sur les relations entre l’armée et les miliciens du Hezbollah.
15 octobre : Le Liban établit des relations diplomatiques officielles avec la Syrie conformément à l’annonce faite par les deux pays en juillet.
2009
1er mars : ouverture à La Haye du Tribunal spécial pour le Liban chargé de juger les auteurs présumés d’attaques terroristes perpétrées depuis 2004.
29 avril : le Tribunal spécial pour le Liban ordonne la remise en liberté de quatre officiers supérieurs, détenus depuis août 2005 dans le cadre de l’enquête sur l’attentat perpétré contre l’ex-premier ministre Rafic Hariri.
7 juin : la majorité remporte les élections législatives. Saad Hariri est chargé de former un gouvernement.
2 août : Walid Joumblatt annonce qu’il quitte la coalition du 14 mars.
24 septembre : Saad Hariri, qui a renoncé à former un gouvernement le 10 septembre faute d’accord avec l’opposition, est à nouveau chargé par le président Sleimane de tenter d’en constituer un.
3 novembre : la marine israélienne arraisonne en Méditerranée un navire transportant des armes, en provenance d’Iran, selon les médias israéliens, et apparemment destinée au Hezbollah libanais.
9 novembre : après cinq mois d’impasse, Saas hariri annonce la formation d’un gouvernement d’union nationale.
19-20 novembre : visite historique de Saad Hariri à Damas. Le premier ministre libanais rencontre Bachar el-Assad, qu’il accusait d’avoir fait tuer son père.
2010
Février : Israël multiplie les mises en garde visant le Hezbollah, le Liban et la Syrie.
Avril : la découverte d’un gisement d’hydrocarbures offshore attise la tension entre le Liban et Israël.
Mai : Le gouvernement israélien accuse la Syrie de livrer des missiles Scud au Hezbollah libanais.
4 juillet : décès de l’ayatollah Mohammad Hussein Fadlallah, longtemps considéré comme le mentor du Hezbollah.
Juillet : tension à la hausse après l’annonce par le chef du Hezbollah Hassan Nasrallah que des membres de son parti allaient être mis en cause par le tribunal de l’ONU dans l’assassinat du dirigeant Rafic Hariri.
Août : quatre Libanais – trois soldats et un journaliste -et un lieutenant-colonel israélien sont tués lors d’échanges de tirs à la frontière israélienne.
Octobre : le président iranien Mahmoud Ahmadinejad effectue une visite controversée au Liban. Il est chaleureusement accueilli au Sud-Liban.
La tension, liée à l’enquête menée par le tribunal de l’ONU sur l’assassinat de Rafic Hariri, est exacerbée par d’éventuelles mises en cause des membres du Hezbollah et par l’émission de mandats d’arrêt en Syrie contre des proches du Premier ministre libanais.
2011
Janvier : la coalition gouvernementale s’effondre après la démission des ministres du Hezbollah et des ses alliés, enfonçant le pays dans la crise liée à l’enquête d’un tribunal de l’ONU sur l’assassinat du dirigeant Rafic Hariri.
Le 25, le Parlement, après le changement d’alliances de plusieurs partis, apporte son soutien à Najib Mikati, candidat du Hezbollah, au poste de Premier ministre.
Juin : le 13, Najib Mikati forme un gouvernement après 5 mois de tractations. 19 portefeuilles vont au Hezbollah et ses alliés, dont le chrétien Michel Aoun, et le chef du mouvement Amal, Nabih Berri. Les onze autres portefeuilles reviennent à des personnalités proches du président de la République, Michel Sleimane, du Premier ministre lui-même, et du leader druze Walid Joumblatt.
Le 30, le Tribunal spécial pour le Liban remet au procureur à Beyrouth un acte d’accusation et quatre mandats d’arrêt pour l’assassinat du dirigeant Rafic Hariri.
2012
Mai-aout: des affrontements sporadiques entre Libanais hostiles ou favorables au régime syrien font plusieurs à Tripoli.
Octobre: un attentat meurtrier à Beyrouth tue le chef des renseignements de la police, Wissam al-Hassan, un général hostile à Damas, et sept autres personnes.
Inspiré du site http://www.lexpress.fr/actualite/monde/proche-orient/chronologie-du-liban-1943-2011_492580.html
Nombre de pages du document intégral:89
€24.90