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La laïcité en Europe : Entre mutations et régulations juridiques

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

LA LAICITE, UNE QUESTION DE DROIT EN EUROPE
LA CEDH COMME SOURCE DE REPONSE

 

 

Mémoire de recherche de XXXXX

 

ANNÉE 2010

 

Soutenu le JJ mois AAAA

 

REMERCIEMENTS

Je remercie particulièrement mon directeur de recherche, monsieur xxxxx. Vos conseils m’ont permis de mener à bien ce mémoire.

 

Je voudrais remercier vivement, l’équipe des enseignants de xxxxxx de m’avoir transmis leur savoir durant l’année universitaire 2009 – 2010, en particulier ceux qui ont contribué de près ou de loin à la réalisation de ce mémoire.

 

J’adresse mes remerciements à ma famille, xxxx, mes parents, xxxx. Vos soutiens m’ont donné la force et le courage dans mes études. Ma réussite est aussi la vôtre.

 

PLAN

INTRODUCTION

 

PARTIE I : Institutions et laïcité

I- Les institutions nationales

1 Administration et religion

1.1 Ministère de l’Intérieur : le chef du Bureau Central des Cultes

1.2 Ministère des Affaires Etrangères : un conseiller sur les questions religieuses

 

  1. Le débat sur la laïcité des institutions civiles

3 Le principe de l’accommodement

II- L’institution européenne

1 La Convention européenne des droits de l’homme

2 La cour européenne des droits de l’homme

 

PARTIE II : LA LAÏCITE FACE AUX PRINCIPES DE DROIT ET DE LIBERTE

 

I- Laïcité et Etat

 

  1. Liberté de religion et neutralité de l’État

 

2 Le contrôle juridictionnel de l’ingérence

2.1 La police des cultes

2.2 Le droit pénal comme protecteur de la pratique religieuse

 

  1. La « laïcité française » dans le contexte européen

3.1 La réglementation française

3.2 Droit comparé avec les pays européens :

3.2.1 Cas de l’autonomie des collectivités religieuses

3.2.2 Les limites de la liberté religieuse des individus

 

II- Laïcité, lois et droits des cultes

 

1 Laïcité comme philosophie

2 Les fondements juridiques de la laïcité

3. Le droit des cultes

 

PARTIE III : La CEDH et la jurisprudence européenne laïque  

1- Mise en place d’une jurisprudence sur la laïcité

2. L’incidence de la CEDH sur la laïcité
2.1Incidence sur les lois nationales
2.2 Des réactions politiques sur la laïcité positive

CONCLUSION
INTRODUCTION

 

La mise en place de l’Union Européenne et de ses institutions ont coïncidé avec l’avancée rapide du processus de laïcisation en Europe ces soixante dernières années. La mutation vers une Europe laïque s’est intensifiée suite à un malaise social et politique face à certaines religions, en particulier l’islam, et à la montée en puissance des sectes. L’Europe jadis de tradition chrétienne veut devenir laïque, ce qui expliquerait en partie les difficultés éprouvées par les institutions à intégrer les paramètres ethniques et religieux dans l’administration des citoyens européens. L’intégration à l’Europe ne concerne pas seulement les immigrés. Les natifs des pays européens éprouvent aussi ce malaise lié à la religion et au culte.

 

La laïcité est un facteur potentiel d’intégration dans la société occidentale, libre et démocratique. Elle est une valeur constitutionnelle pour les pays de l’Union européenne. Elle est essentielle dans la Convention européenne des droits de l’homme. La laïcité monte en puissance parce qu’elle est voulue par les gouvernements, à part des pays où il y a une religion dominante, et souhaitée par une partie de l’opinion. Dans la démocratie occidentale du 21ème siècle, la laïcité semble la règle car elle est considérée comme étant la norme. Elle est moderne et montre un état d’esprit collectif éclairé et logique.

 

Cette laïcité moderne ne rejette pas les religions mais les étouffe de plus en plus. Le religieux est considéré comme réactionnaire et amène la société vers un retour en arrière. Ce point de vue s’applique a priori à la société. Il touche aussi les individus qui s’affirment de plus en plus sans complexe comme étant des non croyants, alors que le non-pratiquant était il y a quelques années encore la norme. Cela veut dire que la génération actuelle revendique de moins en moins sa religion nominale, celle qui a été héritée des parents.

 

La laïcisation de l’Europe semble irréversible, du moins jusqu’à ce qu’un événement majeurs ne remettent en cause le manque de spiritualité qui caractérise la société. L’identité européenne n’est plus chrétienne. La laïcité est à la fois la cause et le remède à cette perte d’identité. Pour éviter que le christianisme en déclin ne soit remplacé par une autre religion en pleine expansion, l’islam par exemple. La laïcité est donc l’élément régulateur qui permet de contrôler les collectivités religieuses.

 

Associer la laïcité à la liberté de religion n’a de fondement que sur le plan juridique car le paradoxe est évident sur le plan spirituel. Le seul lien de la laïcité au fait religieux est son détachement de ces faits pour mettre toutes les croyances et tous les cultes sur le même pied d’égalité. Il ne faut pas oublier que la laïcité a été instaurée dans des pays comme la France et plus récemment l’Italie dans le but de séparer l’état de l’Eglise. Elle a eu pour effet d’éloigner les croyants de leur église. Le constat est sans appel. Face à l’avancée de la laïcité, les individus ne s’adonnent plus régulièrement aux pratiques religieuses traditionnelles.

 

La laïcité n’a pas pour autant fait disparaître la foi chez les croyants. Les croyances individuelles et privées sont encore fortes. Il y a donc une individualisation du religieux. Le déclin des pratiques religieuses est progressif. Vu à travers le prisme de la laïcité, c’est quelque chose de normal, signe du bon fonctionnement de la société européenne moderne. La laïcité est un outil qui sert dans la construction de l’Europe. La liberté religieuse est très encadrée. Les libertés des différentes collectivités s’annulent à cause de la laïcité, car en respect de l’autre religion, aucune ne peut s’exprimer librement en dehors de la sphère privée.

 

La Convention européenne des droits de l’homme et la Cour de justice qui va avec contribuent à la défense de la laïcité en maîtrisant les religions et les cultes à coup de réglementations. L’ordre public et l’harmonie sociale sont les motifs qui amènent les autorités juridiques à baliser le fait religieux. La laïcité est donc une contrainte pour des croyants et une protection pour d’autres croyants et les non croyants. Elle ne serait positive que si elle œuvre pour le respect et le développement de toutes les religions qui jouissent elles aussi de droit et de liberté.

 

Dans ces travaux, nous allons aborder la laïcité comme étant une question de droit en Europe avec la Convention européenne des droits de l’homme comme source de réponse. Dans une première partie, nous allons aborder les institutions nationales et européennes qui interviennent en matière de droit sur la laïcité. Dans une deuxième partie, nous allons étudier la relation entre la laïcité et les principes de droit et de liberté, en particulier le rôle de l’Etat. Dans la troisième partie, nous présenterons les grandes lignes de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme pour imposer la laïcité et limiter les libertés religieuses.

 

 

PARTIE I : Institutions et laïcité

 

I Les institutions nationales

1 Administration et religion

1.1 Ministère de l’Intérieur : le chef du Bureau Central des Cultes

La gestion des questions religieuses sur le territoire français incombe au ministère de l’Intérieur. C’est le Bureau Central des Cultes qui est la cheville ouvrière du traitement juridique des faits liés aux cultes et aux congrégations. Il a la mission de préparer les textes et les actes administratifs et travaille dans ce sens pour le Conseil d’Etat. Ce bureau fait partie des services sous la houlette de la Direction des libertés publiques et des affaires juridiques. Il est supervisé directement par la sous-direction des libertés publiques dont la mission est de faire un suivi des affaires cultuelles et de préparer les décisions individuelles relevant de la compétence du ministre en matière de culte et de religion.

 

Le bureau est représenté par son chef qui est une sorte de personnalité morale, au-delà du service de l’administration. Le chef du bureau est l’interlocuteur privilégié entre l’Etat et les institutions religieuses. La demande en matière de dialogue institutionnel a considérablement augmenté depuis que l’Etat a participé à la création du Conseil français du culte musulman. Les autres confessions ont découvert l’identité du représentant de l’administration.

 

Le rôle du chef du Bureau Central des  Cultes (BCC) est de participer à l’élaboration des politiques publiques en matière de culte. Il veille à ce que ces politiques restent cohérentes à l’égard des différentes communautés religieuses. Il collabore avec le ministère de l’Agriculture concernant l’abattage rituel. Il intervient auprès du ministère des Affaires sociales pour assurer la sécurité sociale des ministres de culte. Il est consulté par le ministère de l’Education nationale sur les questions du respect de la laïcité. Il participe aux instances interministérielles comme la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires.

 

Le régime applicable au culte en France est régi par la loi de 1905. Cette loi sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat, définit le rôle et le pouvoir de l’Etat, par le biais de l’administration dans la gestion des affaires religieuses. Il y a un pouvoir de police qui est effectif. Officiellement, c’est ce pouvoir qui fait de la loi de 1905 une garante du service public de protection et de contrôle des cultes. La laïcité de l’Etat n’empêche pas l’engagement de celui-ci à réguler les pratiques religieuses. Selon DURANT (1993), « la neutralité confessionnelle de la République ne peut signifier que l’ordre public se désintéresse des valeurs dont sont porteurs les patrimoines moraux et religieux des valeurs présentes dans notre pays »[1].

 

DURANT affirme que, « la pratique administrative et la jurisprudence ont pour tâche difficile de comprendre, avec les catégories du droit français, le fait institutionnel cultuel»[2].  Ce fait n’est pas réduit à la conviction religieuse ni à la seule adhésion d’opinion en matière d’appartenance cultuelle. Bien que la loi de 1905 ait une valeur légale, elle ne s’applique par sur l’ensemble du territoire français. Certaines régions et certains départements d’outre-mer ont maintenu des textes d’un ancien régime, voire une ordonnance royale datant d’une autre époque.

 

C’est en 1945 que l’administration traite officiellement  les dossiers concernant la religion et les associations cultuelles.  Le Bureau Central des Cultes a un rôle consultatif mais décisif. On lui demande son avis et le sollicite pour des expertises. C’est le Bureau Central des Cultes qui va déterminer si une association cultuelle peut prêcher légalement sur le territoire français. Pour traiter certains dossiers brûlants, notamment sur les sectes ou encore sur le culte musulman, un poste de Conseiller du ministre de l’Intérieur pour les cultes a été créé.

 

L’Etat laïc s’intéresse aux pratiques religieuses dans un but de régulation et non d’interdiction. Il intègre la religion dans la vie des citoyens. L’Etat a un devoir de protection envers ses citoyens qui subissent diverses pressions. Il garantit un exercice public effectif du culte. Les cultes et les pratiques religieuses des croyants doivent être respectés. Le droit français considère les citoyens comme étant des individus religieux et spirituels qui agissent dans la société. Le droit garantit la liberté de culte face à des obligations et des impératifs relevant de l’ordre public. Cette liberté est encadrée. La loi et les réglementations protègent les pratiques religieuses et cultuelles contre des atteintes injustifiées.

 

Les questions posées sur la liberté d’exercice des cultes sont adressées au Bureau Central des Cultes. Cette institution n’agit pas seule puisque ses actions sont intégrées dans la mission du ministère de l’Intérieur en matière de conservation de libertés fondamentales comme celles de manifestation, d’association et d’exercice du culte. Le ministère assigne à chaque problématique de la liberté de culte une unité spécialisée à même de traiter l’affaire sur le plan juridique. Ces unités travaillent en réseau et contribuent à la capacité du Bureau Centrale des Cultes à traiter les affaires dans le cadre de la réglementation et de la jurisprudence. Elles mettent en application la loi de juillet 1901 sur les congrégations. A toute  question posée, l’administration essaie d’apporter une réponse afin d’éviter que les faits deviennent un problème.

 

Le BCC est généralement consulté par les représentants des administrations eux-mêmes confrontés à la problématique de la laïcité ou à un cas de dérive sectaire. Le bureau est aussi consulté régulièrement par les élus dans le cadre d’un traitement de dossier ou d’un débat démocratique sur les affaires cultuelles. Les personnes privées et les associations demandent aussi conseil auprès du BCC. Enfin, les entreprises qui ont un problème avec certains employés, pouvant aller jusqu’à une situation conflictuelle, demande l’avis de l’administration.

 

Comme les aspects de la laïcité et des libertés des cultes sont très vastes, le BCC fait office d’aiguilleur en recommandant un service administratif plus à même de répondre aux questions posées par les usagers. Les citoyens qui s’informent cherchent à savoir quelle est la marge de manœuvre que la loi et les réglementations permettraient. Quand la limite de la loi est dépassée, l’administration n’a pas de réponse. Le chef du BCC agit comme conseil et référent auprès de l’administration territoriale et des préfets.

 

 

 

 

1.2 Ministère des Affaires Etrangères : un conseiller sur les questions religieuses

 

Le ministère des Affaires a aussi un fonctionnaire qui a mission de traiter sur le plan diplomatique et des relations internationales les problèmes ou les faits liés aux cultes. Existant depuis 1920, cette fonction permet d’assurer le suivi des Etats diplomatiques avec le St-Siège et avec les Etats en général. Le conseiller facilite la mise en application du droit des cultes grâce à ces travaux d’expertise. Ce poste a été attribué à d’éminents juristes et non pas à quelqu’un qui est spécialiste de la religion.

 

Le conseiller pour les affaires religieuses est chargé des questions d’ordre juridique. Il intervient par exemple dans la définition des statuts des congrégations religieuses. En tant qu’acteur de la diplomatie française, il renforce les liens avec les églises d’orient. Par ailleurs, la tendance depuis les années 1990 est de confier ce rôle de conseiller à un diplomate. Le ministère des Affaires Etrangères applique sur le plan politique en concordance avec l’ensemble des administrations et le gouvernement, l’incidence que peuvent avoir les faits religieux sur la diplomatie et les relations internationales.

 

Le conseiller au ministère des Affaires Etrangères a pour mission de gérer les problèmes relatifs aux cultes et pratiques religieuses sur le plan international. La montée de l’intégrisme, la xénophobie, l’exclusion, les mouvements religieux naissants, l’antisémitisme sont des sujets récurrents. Le conseiller doit aussi gérer la position commune de l’Europe, exprimée par la nouvelle constitution européenne et la Convention européenne des droits de l’homme. Il représente son département auprès des instances supérieures comme la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes). Il prépare les documents, soumis au comité interministériel de l’instance européenne, qui traitent des cas de violation grave de la  liberté de culte.

Le conseiller sur les questions religieuses au Quai d’Orsay est le représentant de l’Etat et l’interlocuteur privilégié auprès des représentants des confessions religieuses. Il entretient des contacts avec les chercheurs et les universitaires qui travaillent sur l’étude de la place du phénomène religieux dans l’espace public, social et politique. L’imbrication entre les dimensions intérieure et internationale du fait religieux est établie. L’administration et les institutions publiques s’adaptent. Le conseiller collabore étroitement avec les représentants de la France auprès de l’OSCE et du Conseil de l’Europe.

Le conseiller a une fonction qui ressemble à celui d’un ambassadeur. Il défend la position française sur le plan européen. Il fait la promotion de la politique interne et des réglementations  nationales. Il relaie aussi les positions des pays partenaires de la France. Il informe les services de l’Etat des réactions de ces pays à propos des initiatives françaises et des pratiques en matière liberté de conscience et de laïcité. Fonctionnaires du ministère des Affaires Etrangères, le conseiller sur les questions religieuses représente son institution dans le cadre des instances œuvrant dans le même domaine, à l’instar de la Miviludes ou encore du Comité interministériel de lutte contre le racisme et l’antisémitisme. Il représente la diplomatie française auprès de l’Institut européen des sciences des religions.

 

Le conseiller pour les affaires religieuses assure le volet représentatif de la diplomatie française en direction des religions et des congrégations. Il accueille les dignitaires religieux étrangers en visite en France, entretient des relations avec les autorités religieuses étrangères. A cette fonction de représentation s’ajoute un volet opérationnel étudiant les religions dont leur évolution, orientation, message une intégration. Le livre blanc actualisé de la diplomatie française tient compte désormais des religions comme phénomène structurant les opinions et ayant un impact sur la mondialisation.

La politique étrangère adopte une démarche proactive et prospective en matière de religion. Cela permet d’anticiper l’évolution des courants et mouvements religieux dans le monde afin de les intégrer dans les initiatives diplomatiques.  L’enjeu est de dépasser la vision européenne et le prisme intellectuel sécularisé. La dimension religieuse fait partie de l’identité nationale malgré le pluralisme qui la caractérise. À la différence du BCC, le conseil auprès du ministère des Affaires étrangères ne traite pas directement des questions sur la laïcité ou l’organisation des cultes. Les deux services travaillent toutefois ensemble à travers des échanges d’informations et des concertations.

 

  1. Le débat sur la laïcité des institutions civiles

L’intérêt des pouvoirs publics pour les questions religieuses et cultuelles a augmenté depuis l’explosion des conflits ayant pour source la pratique cultuelle et la revendication d’une identité liée à la religion. La science politique devait considérer cette nouvelle identité religieuse jusque-là réduite au silence par les principes démocratiques et la laïcité.

La religion est un message, celui d’un Dieu. Elle est un sens à la vie et influence le mode de vie de ses pratiquants. Elle est fondée sur la foi, sur la spiritualité. Dès qu’on parle de religion, on fait référence à une transcendance, à une éthique. C’est la conception idéale qui donne à la religion sa véritable grandeur. Dans les faits, les choses ont changé toujours au nom des idéaux. L’essence de la religion est remise en cause par la société, la faute à des mouvements radicaux et extrémistes. Le mode de vie religieux et la spiritualité seraient-elles utilisés pour instrumentaliser les croyants et pour imposer une idéologie.

La laïcité de l’Etat ne devrait pas retenir ce dernier d’intervenir sur la vie religieuse de ses citoyens. En parallèle avec le dialogue inter-religieux entre les confessions, l’Etat laïque communique-t-il avec les congrégations et les groupes religieux en étant une institution neutre et sans obédience. La laïcité imposée par les institutions démocratiques peut être considérée comme un paradoxe quand l’absence de religion et l’équivalent d’une confession politiquement correcte. Laïcité ne veut pas dire athéisme mais les deux sens ont une similitude. La négation de dieu est aussi une croyance, celle de l’inexistence de toute forme divine.

Le débat sur le rôle positif des religions dans un pays démocratique est axé sur leur impact dans la régulation de la société. Les croyances et les cultes exercés en toute liberté et dans le respect des droits et des lois apportent la paix sociale. Dans certains pays, elles sont même le garant de la stabilité politique. En France, la pratique religieuse qui influence le mode de vie est strictement réglementée dans le but de préserver la laïcité de l’Etat. C’est au nom de la démocratie et des droits humains que certaines règles ou certaines pratiques sont interdites au détriment de la liberté de culte elle-même. Par exemple, la laïcité est officiellement menacée par le port de signes religieux dans l’espace public.

La religion peut-elle apporter la paix et l’harmonie dans la société au lieu de susciter la division. La valeur démocratique est devenue intolérante vis-à-vis de certaines pratiques. Les idées reçues et les préjugés vont jusqu’à amener des élus à prendre une position radicale sur une question religieuse. Si la religion est dans sa nature un instrument de paix, dans la réalité elle est source de conflits. L’efficacité des institutions laïques dans le rôle de régulateur des pratiques religieuses est déterminante. Sont-elles capables d’apaiser les tensions entre les communautés ou entre l’Etat et une communauté particulière.

Le rapprochement entre l’Etat et les communautés religieuses est nécessaire afin de trouver une meilleure manière d’encadrer les religions et les cultes, de façon à ce que ces dernières ne soient pas en contradiction avec les valeurs démocratiques. L’Etat laïc doit adopter une nouvelle éthique afin d’éviter l’exclusion des communautés religieuses. La laïcité française se défend d’être une idéologie et revendique un fondement sur un principe essentiel, celui de la séparation institutionnelle entre l’Eglise et l’Etat. Elle est un moyen de régulation à la disposition des pouvoirs publics  pour que, dans la sphère publique, les valeurs de la citoyenneté communes ou imposées à tous passent avant les valeurs communautaires et de solidarité restreinte.

La laïcité est imposée parce qu’elle est censée être un dénominateur commun, le plus grand à l’échelle nationale. Elle est une balise de l’intégration nationale en évitant que les communautés religieuses soient repliées sur elles-mêmes. Paradoxalement, la laïcité veut donc exercer par les droits le respect de la liberté des cultes. C’est en plaçant toutes les religions sur le même pied d’égalité que l’Etat espère éviter les rejets. La gestion du rejet pose problème surtout si la communauté concernée est importante, sur le point de vue quantitatif. L’Etat laïc a plus de marge de manœuvre dans ses décisions et mesures concernant une secte qu’une religion pratiquée par des millions de citoyens, même si les reproches sur leur présumée mauvaise influence sur la société sont presque similaires.

Malgré les bonnes intentions de l’Etat laïc, l’on ne peut que constater que les pouvoirs publics agissent, du moins dans la forme, pour restreinte la liberté de culte. Sauvegarder la société de l’influence religieuse est une mission de sacerdoce de l’administration alors que les religions se doivent de prêcher la bonne parole, donc d’influencer les croyants et les non croyants. La susceptibilité des pouvoirs publics sur la question ne risque-t-elle pas de réduire la religion à la sphère privée. Cette forme d’intolérance crée une tension avec les communautés désireuses de s’émanciper et qui sont conscientes que la valeur démocratique prônée par l’Etat lui-même leur donne raison quant à leur volonté de ne pas se replier sur elles-mêmes.

La notion de communauté à l’échelle de l’Europe redistribue les cartes de la laïcité dans les pays démocratiques comme la France. Les pouvoirs publics français veulent imposer les règles nationales basées sur la discrétion de la pratique religieuse et le respect de la liberté individuel des personnes pour tancer certains groupes religieux. La différence culturelle est matérialisée par des lois et des réglementations restrictives. Le débat national sur un fait religieux peut aller jusqu’au parlement. La création d’une commission parlementaire ad hoc  pour traiter un fait va dans l’ensemble vers la restriction de la liberté de culte. Contrairement à d’autre pays plus permissifs sur la question religieuse, la France ne veut pas que les communautés d’origine étrangère installées sur son territoire aient un mode de vie contraire à la conception démocratique française. L’individu fautif risque de perdre sa nationalité.

La laïcité est imposée par la société démocratique parce que l’on veut admettre qu’elle est reconnue et acceptée par une majorité. Si la France est un pays d’accueil, c’est aussi pour ses valeurs démocratiques comme la liberté de religion. La laïcité de l’Etat fait partie de ces valeurs que les candidats à l’immigration et depuis peu à la nationalité française devraient respecter.

La laïcité est elle une valeur propre à la société occidentale. Est-elle inhérente à la démocratie. Les antiracistes soutiennent cette thèse de la laïcité ouverte. C’est un peu occulter les valeurs traditionnelles et résolument positives qui ont toujours accompagnée la laïcité, la tolérance et l’égalité sociale. La question est donc de savoir si l’influence grandissante des religieux est une menace réelle contre la laïcité.

L’Etat démocratique veut donc de bons citoyens et accessoirement des citoyens pratiquant de manière modérée et non affichée une religion. Instaurée comme une valeur absolue de la république et de la démocratie, la laïcité est aujourd’hui bousculée par la montée des pratiques religieuses chez une génération en quête de repères spirituels. Il faut donc une laïcité positive qui peut s’accommoder avec les religions.

3 Le principe de l’accommodement

L’accommodement est une nécessité et aussi une obligation pour les institutions. Adapter les règles à une communauté dans le but d’intégrer celle-ci dans la société n’est pas sans problème. L’accommodement peut en effet créer un communautarisme poussé et reléguer au second plan les valeurs communes, en particulier la laïcité. Il faut alors adjoindre au mot accommodement l’adjectif raisonnable pour s’assurer que le concept soit positif. L’accommodement raisonnable désigne l’obligation pour l’institution de revoir l’application des normes et des règlements quand ceux-ci ont des effets discriminatoires non intentionnels. Il n’y a pas débat quand de telle mesure permet à des minorités ou à un groupe de population vulnérable d’accéder à certains droits fondamentaux.

L’accommodement en matière de religion est beaucoup plus compliqué et délicat à mettre en œuvre. La dérogation aux règles de fonctionnement de la société et des institutions qui la représentent est fondée sur la foi, sur des dogmes religieux. Elle remet en cause la laïcité des institutions civiles. L’apparition d’une communauté de croyants dans un pays n’est le fruit d’une reconversion religieuse massive. Elle provient de la vague d’immigration. La laïcité de l’Etat est un principe qui a été acquis bien auparavant.

L’accommodement en matière de religion est une problématique liée au droit de culte. Le débat est politique et va au-delà de l’application des réglementations ou plutôt la manière de ne pas appliquer celles-ci dans le but de favoriser une communauté religieuse. Il y a deux préjugés qui rendent difficile l’application du droit de culte. D’une part, la laïcité serait un prétexte pour les institutions de limiter la liberté et le droit de culte dans le but de préserver le fonctionnement démocratique de la société. D’autre part, les immigrants appartiennent à des communautés religieuses et ils ne seraient pas en faveur de la laïcité car ils subissent les réglementations qui vont avec. Ces préjugés sont facteur d’intolérance et d’extrémisme.

Il faut donc recentrer le débat de la laïcité des institutions civiles pour en faire des questionnements politiques et philosophiques. Les grands principes universels doivent trouver leur place dans des sociétés de plus en plus multiculturelles et multiethniques. Les particularités individuelles et communautaires risquent en effet de s’imposer au détriment des valeurs communes. L’accommodement raisonnable paraît un moyen d’apaiser les tensions et de faciliter l’intégration des communautés religieuses. Or, l’accommodement n’est pas toujours cet arrangement à l’amiable par lequel deux entités trouvent un compromis puisque c’est une obligation pour l’institution. La dérogation en elle-même signifie que l’accord n’est pas conforme à la loi en vigueur. Les croyances religieuses et les convictions sincères sont donc des motifs suffisants pour bénéficier d’une mesure ou être déchargé d’une obligation.

Or, dans les cas d’un accommodement pour des motifs religieux, accorder un privilège à un individu revient à l’accorder au groupe à qui il appartient. Les demandeurs de mesure d’accommodement peuvent user de ce droit particulier pour se soustraire à l’application de la loi, sous prétexte que cette dernière est en contradiction avec leurs convictions religieuses. S’ils obtiennent la dérogation, ils peuvent se soustraire à des règles et normes adoptées au nom des principes, valeurs et bien communs. Le législateur et les institutions sont confrontés à un dilemme car accorder ou refuser un accommodement fait des mécontents. La laïcité est appelée à considérer les droits humains sur les plans individuel et collectif.

Des dispositions réglementaires ont été adoptées afin de s’adapter aux pratiques religieuses dans le but de respecter les droits des croyants. Les premières mesures concernent la vie du croyant. Elle concerne les autorisations d’absence pour motif religieux, pouvant intéresser les élèves de l’enseignement public d’une part, et les agents publics d’autre part. Selon le code de l’éducation, « les obligations des élèves consistent dans l’accomplissement des tâches inhérentes à leurs études ; elles incluent l’assiduité et le respect des règles de fonctionnement et de la vie collective des établissements ».

 

La jurisprudence du Conseil d’Etat Consistoire central des israélites de France, du 14 avril 1995 y a apporté un accommodement. Il n’est pas interdit aux élèves qui en feraient la demande de bénéficier individuellement d’autorisations d’absence pour autant que trois conditions sont réunies : ces absences doivent être nécessaires à l’exercice d’un culte ou à la célébration d’une fête religieuse ; elles ne doivent pas entraver l’accomplissement des tâches inhérentes au travail scolaire de l’élève ; elles ne sauraient porter atteinte à l’ordre public au sein de l’établissement scolaire.

 

Pour les agents publics à présent, la question de leur faculté de s’absenter pour des raisons religieuses est régie par des circulaires ministérielles ainsi que par une jurisprudence constante du Conseil d’Etat. Les chefs de service ont la prérogative d’accorder aux agents publics les autorisations d’absence nécessaires à leur participation aux principales fêtes spécifiques à leur religion, pour autant que l’absence ne soit pas susceptible de nuire au fonctionnement normal du service. Les fêtes catholiques et protestantes figurant dans le calendrier légal, une liste des dates des fêtes religieuses retenues est fournie à « titre d’information ». Elle comprend les principales fêtes religieuses des cultes israélites, musulmans, orthodoxes et bouddhistes.

 

Le respect des prescriptions religieuses en matière alimentaire fait l’objet d’un accommodement. Ces obligations plus ou moins strictes en matière alimentaire font partie intégrante de la pratique religieuse et des devoirs qui lui sont afférents. Un système juridique ayant véritablement vocation à garantir le bon exercice d’un culte tien compte de ces impératifs. Le problème du respect des prescriptions religieuses dans les cantines des services publics, ainsi que par celui de l’abattage rituel des animaux dans les cultes musulmans et israélites sont préconisées par la loi.

 

Le Tribunal administratif de Marseille a confirmé en 1996 qu’aucune obligation juridique n’astreint les établissements publics d’enseignement à proposer une nourriture spécifique aux élèves souhaitant respecter des impératifs religieux. Néanmoins, une circulaire datant de 1982 propose de considérer les habitudes et des coutumes alimentaires familiales, notamment pour les enfants d’origine étrangère. Les élèves peuvent être autorisées à amener leurs propres paniers repas, préparés ou achetés par leur famille et qui sont adaptées à leurs obligations religieuses alimentaires.

 

L’abattage rituel est un élément de la liberté de culte. La Convention européenne sur la protection des animaux d’abattage et le code rural impose l’étourdissement de l’animal. Avant l’abattage rituel, l’animal d’espèce bovine, ovine ou caprine est immobilisé. L’immobilisation doit être maintenue pendant la saignée. L’abattage rituel ne peut être effectué que par des sacrificateurs habilités par les organismes religieux agréés, sur proposition du ministre de l’intérieur, par le ministre chargé de l’Agriculture. Il doit se dérouler obligatoirement dans un abattoir.

 

Des mesures relatives à la mort du croyant sont aussi des dérogations à la règle et à la loi. La laïcité dans les établissements de santé prévoit la prise en compte des rites entourant le moment de la mort. Les malades au terme de leur vie ainsi que les défunts doivent se voir conférer « la possibilité de procéder aux rites et cérémonies prévus par la religion de leur choix »[3]. Ce qui est une dérogation au Code de la santé publique qui préconise un accompagnement non religieux : lorsque l’hospitalisé est en fin de vie, il est transporté, avec toute la discrétion souhaitable, dans une chambre individuelle du service. Ses proches sont admis à rester auprès de lui et à l’assister dans ses derniers instants.

 

Pour ce qui est des funérailles, le maire en sa qualité de police ne peut que respecter le principe de la liberté de culte du croyant. L’article 3 de la loi du 15 novembre 1987 prévoit que « tout majeur ou mineur émancipé, en état de tester, peut régler les conditions de ses funérailles, notamment en ce qui concerne le caractère civil ou religieux à leur donner le mode de sépulture ». Le maire n’a pas le pouvoir d’imposer sa volonté au défunt, ou à sa famille, en matière de cérémonie de funérailles. Selon le Code général des collectivités territoriales, il ne peut « établir de prescriptions particulières applicables aux funérailles, selon qu’elles présentent un caractère civil ou religieux ». Le maître de culte peut officier librement.

 

  1. L’institution européenne

1 La Convention européenne des droits de l’homme

La Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) a été signée à Rome le 4 novembre 1950 sous l’égide du Conseil de l’Europe. Elle a fondé un système de protection internationale des droits de l’homme. Les individus bénéficient d’un contrôle judiciaire du respect de leurs droits dans les territoires des pays membres de l’Union européenne.

La Convention reconnaît notamment le droit à la vie, l’interdiction de la torture, le droit à la liberté et à la sûreté, le droit à un procès équitable, la liberté de pensée, de conscience et de religion, la liberté d’expression ou encore l’interdiction de la discrimination dans la jouissance des droits énoncés par la CEDH. Après l’avoir signé en 1950, la France l’a ratifié le 3 mai 1974 et a accepté le droit de requête individuelle en 1982.

La vraie appellation de la convention est la « Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales », c’est ce que les Etats ont signé en 1950. La contraction de son nom n’a eu aucune incidence sur le contenu originel. Quelques articles intéressent les droits du culte et de religion.

 

Article 9 : Liberté de pensée, de conscience et de religion

 

Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.

 

La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.

 

Article 13 : Droit à un recours effectif

 

Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles.


Article 14 : Interdiction de discrimination

 

La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation.

 

Article 17 : Interdiction de l’abus de droit

 

Aucune des dispositions de la présente Convention ne peut être interprétée comme impliquant pour un Etat, un groupement ou un individu, un droit quelconque de se livrer à une activité ou d’accomplir un acte visant à la destruction des droits ou libertés reconnus dans la présente Convention ou à des limitations plus amples de ces droits et libertés que celles prévues à ladite Convention.

 

2 La cour européenne des droits de l’homme

Parmi les organes de contrôle instaurés par la Convention figure la Cour européenne des droits de l’homme. Cette juridiction est saisie par la Commission ou par un Etat membre après rapport de la Commission en cas de règlement judiciaire. La Cour européenne des droits de l’homme est par ailleurs devenus l’unique organe en rapport avec le CEDH afin de simplifier les structures et de raccourcir les procédures. Par le Protocole n° 11 en 1998, elle est devenue un organe unique et plus puissante à même de faire face à l’augmentation des recours et des affaires concernant la violation des droits de l’homme.

Désormais, la Cour européenne des droits de l’homme siège en permanence. Après l’examen de la requête, sous réserve de recevabilité, selon une procédure contradictoire, la Cour adopte un arrêt dont la surveillance de l’exécution par les Etats incombe au Comité des ministres. Les juges siégeant sont élus par l’Assemblée à partir de listes de candidatures présentées par les Etats. La Cour est toutefois statutairement indépendante par rapport aux Etats et aux institutions du Conseil de l’Europe.

Le protocole n° 14 à la CEDH, ouvert à la signature en mai 2004, modifie les conditions de recevabilité des dossiers et le fonctionnement de l’organe judiciaire. Ce changement a permis à la Cour de mieux faire face aux importants flux de requêtes et arriérés d’affaires en instance. D’autres textes et organes ont contribué à améliorer la sauvegarde des droits individuels dans des domaines d’intervention précis.

Les attributions de la Cour européenne des droits de l’homme sont définies par la Convention de 1950 dont voici quelques articles clés.

 

Article 21 : Conditions d’exercice des fonctions

 

Les juges doivent jouir de la plus haute considération morale et réunir les conditions requises pour l’exercice de hautes fonctions judiciaires ou être des jurisconsultes possédant une compétence notoire.

 

Les juges siègent à la Cour à titre individuel.

 

Pendant la durée de leur mandat, les juges ne peuvent exercer aucune activité incompatible avec les exigences d’indépendance, d’impartialité ou de disponibilité requise par une activité exercée à plein temps.


Article 26 : Formations de juge unique, comités, chambres et Grande Chambre

 

Pour l’examen des affaires portées devant elle, la Cour siège en formations de juge unique, en comités de trois juges, en chambres de sept juges et en une Grande Chambre de dix-sept juges. Les chambres de la Cour constituent les comités pour une période déterminée. (…)

 

Un juge siégeant en tant que juge unique n’examine aucune requête introduite contre la Haute Partie contractante au titre de laquelle ce juge a été élu. (…)

 

 

 

Article 34 : Requêtes individuelles

 

La Cour peut être saisie d’une requête par toute personne physique, toute organisation non gouvernementale ou tout groupe de particuliers qui se prétend victime d’une violation par l’une des Hautes Parties contractantes des droits reconnus dans la Convention ou ses Protocoles. Les Hautes Parties contractantes s’engagent à n’entraver par aucune mesure l’exercice efficace de ce droit.

 

Article 35 : Conditions de recevabilité

 

La Cour ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes, tel qu’il est entendu selon les principes de droit international généralement reconnus, et dans un délai de six mois à partir de la date de la décision interne définitive.

 

La Cour ne retient aucune requête individuelle introduite en application de l’article 34, lorsqu’elle est anonyme ; ou est essentiellement la même qu’une requête précédemment examinée par la Cour ou déjà soumise à une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, et si elle ne contient pas de faits nouveaux.

 

La Cour déclare irrecevable toute requête individuelle introduite en application de l’article 34 lorsqu’elle estime: que la requête est incompatible avec les dispositions de la Convention ou de ses Protocoles, manifestement mal fondée ou abusive ; ou que le requérant n’a subi aucun préjudice important (…)

 

Article 41 : Satisfaction équitable

 

Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable.

 

La Cour européenne des droits de l’homme rend un arrêt définitif.  Les arrêts et les décisions de non recevabilité sont motivés. Dans cet organe judiciaire, un juge peut exposer publiquement son opinion même si celle-ci est opposée au sens de l’arrêt pris par la majorité. L’arrêt définitif de la cour a force obligatoire. Les parties contractantes s’engagent à s’y confirmer dans les litiges auxquels elles sont parties.

 

PARTIE II : LA LAÏCITE FACE AUX PRINCIPES DE DROIT ET DE LIBERTE

 

I Laïcité et Etat

1.1 Liberté de religion et neutralité de l’État

 

La liberté de religion n’est acquise que lorsque l’Etat permet aux croyants de pratiquer leurs cultes et respecter les valeurs et traditions qui vont avec. De ce fait, l’Etat reconnaît à chaque individu la liberté de conscience, celle qui permet de choisir une confession et d’avoir la foi.

La laïcité de l’Etat ne permet pas aux pouvoirs publics d’empêcher les croyants de croire, de célébrer un culte, de respecter la tradition. Chacun est libre d’adhérer aux croyances de son choix. Ne pas reconnaître un groupe religieux en fonction de sa doctrine ou de son dogme serait donc une atteinte à la laïcité.

 

Cette liberté de religion a été utilisée par certains leaders religieux ou gourous à former de nouvelles confessions ou des sectes. Ces nouveaux groupes de croyance ont leur dogme, aussi particulier soit-il. L’Etat ne peut donc qu’être neutre sur ce plan. Cependant, l’intervention des pouvoirs publics relativise cette neutralité. Les autorités réagissent quand les comportements et les pratiques d’un groupe religieux remettent en cause certains fondements de la laïcité, dont la liberté de l’individu, ou transgresse les règles et normes imposées par la vie commune dans la sphère publique.

 

La Constitution de 1958 de la République française stipule, dès son article premier, que l’égalité devant la Loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion est assurée. L’Etat reste donc neutre devant les différentes religions tant que cette égalité est respectée. La société laïque préconise les mêmes droits et la même reconnaissance à chaque groupe religieux. Elle est différente d’une société sectaire où les religions visent l’hégémonie et rejettent la vie en société.

 

Sur le plan civique et social, la laïcité assure le droit à la différence qui ne doit pas engendrer une différence des droits. L’Etat ne peut être neutre quand un groupe religieux transgresse délibérément les lois dans le domaine de l’éducation, du travail, de la médecine… et adopte des comportements proches de la désobéissance civile. La marginalisation civique et le communautarisme sont parmi les motifs récurrents de l’intervention de l’Etat dans les affaires religieuses. La laïcité exige de la part des groupes religieux des comportements sociaux intégrés dans le champ de la citoyenneté.

La liberté de religion revendiquée par une association, un groupe ou une communauté peut donc être refusée par l’Etat. C’est une liberté qui pourrait nuire à la société. L’Etat accorde un certain « label » à certaines religions sous réserve que les pratiquants et les ministres du culte respectent des règles strictes dans l’esprit de la loi de 1905 et de la laïcité. La neutralité de l’Etat n’est pas totale puisque les communautés religieuses n’ont pas toutes les mêmes traitements. Les cultes historiques sont plus reconnus en matière de droit. Ils peuvent facilement bénéficier de mesures d’accommodement.

La pratique administrative et la jurisprudence s’éloigne donc de l’esprit fondateur de la loi de 1905. « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ». Toutes les religions sont sur le même pied d’égalité sur ces points. Il faut préciser qu’au début du XXème siècle, la principale préoccupation était de séparer l’Etat de l’église, d’où l’affirmation de la non reconnaissance d’une religion officielle. Cette loi basée sur la laïcité n’a pas pour autant proscrit la liberté religieuse. En 1946, la laïcité est devenue une valeur républicaine reconnue par la Constitution. Elle est le principe qui établit la neutralité absolue de l’Etat en matière religieuse, se basant sur la séparation rigoureuse entre les affaires publiques et les activités à caractère privé.

La neutralité de l’Etat veut qu’une mesure prise dans le contexte d’un différend avec un groupe religieux en particulier soit appliquée à l’ensemble de la communauté religieuse du pays. Il n’y pas une loi sur l’islamisme mais des règlementations sur l’abattage rituel d’animaux, le respect des interdits alimentaires, le port de voile ou de signes religieux… La neutralité se résume donc à faire de toutes les religions égales devant la loi. Ce qui n’empêche pas l’apparition de polémique et de contestation contre une loi qui viserait une communauté particulière ou qui avantagerait une autre.

La neutralité de l’Etat devant la liberté des religions se manifestent aussi dans l’exercice quotidien du service public. Tous les usagers sont traités de la même manière par l’administration et les différents services publics quel que soit leur confession. Les agents de l’Etat à tous les niveaux sont tenus de donner l’image de cette neutralité. Ils ne peuvent aucunement montrer leur appartenance ou conviction religieuse quand ils servent le contribuable. Selon WOERHRLING  (1999)[4], « le principe de la neutralité de l’Etat à l’égard des religions exclut que le droit de l’Etat institue des catégories de religion, les unes supposées honorables, les autres non ».

2 Le contrôle juridictionnel de l’ingérence

 

Le principe de la laïcité veut que l’Etat n’intervienne pas sur les questions religieuses. Dans la réalité, les faits religieux rendent nécessaire cette intervention. La loi prévoit des dispositions protectrices du culte face à l’ingérence de l’Etat.

 

2.1 La police des cultes

 

Les autorités de police des cultes sont soumises dans toute leur activité au principe de stricte nécessité de la mesure de police attentatoire à la liberté de culte. Cette nécessité est jugée en fonction du motif qui la justifie. Les autorités de police générale des cultes se situent à deux échelles : l’échelle nationale, avec le Premier ministre, et l’échelle locale avec le préfet et le maire.

 

Le Conseil d’Etat a déterminé dans son arrêt Association cultuelle des Israélites nord-africains de Paris du 2 mai 1973 qu’il « appartient au Premier ministre, en vertu de ses pouvoirs propres, d’édicter des mesures de police applicables à l’ensemble du territoire ». Le chef du gouvernement est donc à même de prendre des mesures de police sans qu’un texte législatif lui confère nécessairement cette compétence.

 

Au niveau local, les autorités de police générales compétentes sont le préfet et le maire. Le maire est l’autorité de police compétente au niveau communal. Le préfet est l’autorité générale du département. Ce représentant de l’Etat dispose d’un pouvoir de substitution au maire dans l’exercice des pouvoirs de police quand la mise en demeure est vaine. Il a la compétence pour prendre des mesures dont le champ d’application excède le territoire d’une commune.

 

Les autorités de police générale des cultes existent à différents niveaux de l’administration. Afin d’éviter une incohérence dans le fonctionnement du système, le Conseil d’Etat a posé depuis longtemps un principe régissant le concours de polices en matière cultuelle. L’arrêt Commune de Néris-les-Bains du 18 avril 1902 énonce en effet que les autorités de police inférieures ont toujours la possibilité d’aggraver les mesures prises par les autorités qui leur sont supérieures, sans jamais pouvoir adoucir ces mesures.

 

Une mesure générale ou une décision politique du premier ministre ne peut être adoucie par un préfet ni par un maire. L’arrêt Préfet des Yvelines du 28 février 1997 du Conseil d’Etat  a jugé illégale l’autorisation donné par le préfet à un particulier afin que ce dernier organise sur sa propre propriété un abattage rituel à l’occasion de l’Aïd-el-kébir. Le Premier ministre avait en effet réglementé l’abattage rituel via l’article 10 du décret n° 80-791 du 1er octobre 1980 modifié par le décret n° 81- 606 du 18 mai 1981. Il est interdit de procéder à un abattage rituel en dehors d’un abattoir.

 

Toute mesure de police, qu’elle soit prise par le premier ministre, le préfet ou le maire, attentatoire à la liberté de culte doit être strictement nécessaire du point de vue du motif d’ordre public qui la justifie. Si le motif n’est pas valable, la mesure est une atteinte injustifiée à la liberté. C’est le Conseil d’Etat qui a fait du motif du maintien de l’ordre public une obligation pour les autorités publiques. L’arrêt Abbé Martin du 13 janvier 1911 a permis de déterminer les composantes de cet ordre public : la sécurité publique, la salubrité publique, et la tranquillité publique.

 

Le juge administratif en général, et le Conseil d’Etat en particulier, vérifie que la mesure de police administrative ayant pour objet la réglementation de la liberté de culte vise bien à prévenir ou à mettre un terme à des atteintes à l’ordre public sous les trois aspects (sécurité, salubrité, tranquillité). Comme ces trois domaines ne couvrent pas toute la dimension de l’ordre public, le Conseil d’Etat a rajouté le respect de la dignité de la personne humaine, par l’arrêt du 27 octobre 1995, Commune de Morsang-sur-orge et ville d’Aix-en-Provence. Cette mesure de police se veut être préventive. Non basée sur une jurisprudence ou un fait elle permet d’éviter toute déviation des pratiques religieuses menant à des pratiques cultuelles barbares et d’un autre temps.

 

Conformément à cette exigence de motivation de la mesure par un impératif d’ordre public, le Conseil d’Etat a pu estimer que doit être considérée illégale et donc injustifiée une mesure limitant le libre exercice du culte lorsqu’elle n’est motivée par aucun des éléments définissant l’ordre public. L’arrêt Sieur Vieuille du 23 mai 1928 a annulé un arrêté municipal prohibant la location de chaises au sein de l’église, dans la mesure où cette interdiction n’était fondée sur aucun impératif d’ordre public.

 

L’arrêt Sieur Richard du 18 janvier 1929 a annulé une décision qui avait subordonné l’autorisation de défiler à une société de gymnastique à la condition que le prêtre qui la dirigeait ne porte pas sa soutane. Le Conseil d’Etat a estimé que cette interdiction ne pouvait être légitimée par un impératif d’ordre public. C’est une atteinte injustifiée « à la liberté du port du costume ecclésiastique ». C’est en matière de police des manifestations extérieures des cultes et de police des édifices du culte que la portée de l’impératif d’ordre public est le mieux illustré.

 

La mesure mise en place par une autorité de police administrative doit constituer l’unique moyen de concilier la liberté de culte avec les impératifs d’ordre public. Elle doit présenter un caractère actuel au moment où est prononcée l’interdiction. La simple éventualité d’un trouble hypothétique ne peut justifier une atteinte à la liberté de pratique cultuelle. Une mesure provisoire n’a plus lieu d’être quand les considérations d’atteinte à l’ordre public qui ont motivé son prononcé ne sont plus d’actualité. La jurisprudence du juge administratif permet l’annulation de mesures de restrictions injustifiées de la pratique des cultes, laquelle se voit ainsi protégée contre des atteintes illégitimes des pouvoirs publics.

 

2.2 Le droit pénal comme protecteur de la pratique religieuse

 

Le droit pénal a des dispositions qui protègent la pratique religieuse contre des atteintes illégitimes à la liberté de culte. Le premier domaine concerné par ces dispositions concerne le secret religieux. Il s’agit de la confidentialité des propos tenus entre un croyant et le ministre du culte. L’exemple de référence est le secret du confessionnal dans la religion catholique. Le fidèle peut confier des informations intimes ou compromettantes au prêtre car cet aveu est un moyen de purification.

 

Le prêtre est tenu à garder ces confidences secrètes sinon il y a atteinte illégitime à la bonne pratique des cultes. Le secret de la confession doit être garanti. L’arrêt Lavaine de la chambre criminelle de la Cour de cassation, en date du 30 novembre 1810 que la confession dans la religion catholique « cesserait d’être pratiquée dès l’instant où son inviolabilité cesserait d’être assurée ». Le croyant peut perdre la confiance qui est due à la confession religieuse. La loi protège les croyants contre la révélation de son secret. L’obligation et le devoir de secret du ministre du culte est dictée par la loi.

 

D’après le Code pénal (article 226-13), « la révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire, est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende ». Ces dispositions sont soumises à l’ensemble des ministres des cultes, indépendamment de leur appartenance religieuse.

 

Se référant à la pratique religieuse catholique, le secret du confessionnal ne peut être dévoilé même à la demande d’un juge. Les magistrats sont tenus à ce titre de respecter et de faire respecter le secret de la confession. Dans la pratique, ils ne peuvent prendre la déposition d’un prêtre ni interroger celui-ci sur les confessions qu’il a entendues d’un croyant.  Les cas tenant immédiatement à la sûreté de l’Etat sont exceptionnels et peuvent lever l’obligation de secret.

 

Protéger la confidentialité de la confession catholique afin d’assurer la pérennité de la pratique religieuse elle-même était légitime à une époque où il n’y avait encore la séparation Etat-Eglise. La Cour de cassation, par son arrêt Lavaine du 30 novembre 1810 :

 

« Les ministres des cultes légalement reconnus sont tenus de garder le secret sur les révélations qui ont pu leur être faites à raison de leurs fonctions ; pour les prêtres catholiques, il n’y a pas lieu de distinguer s’ils ont eu connaissance des faits par la voie de la confession ou en dehors de ce sacrement. Cette circonstance ne saurait changer la nature du secret dont ils sont dépositaires si les faits leur ont été confiés dans l’exercice exclusif de leur ministère sacerdotal et à raison de ce ministère. Cette obligation est absolue et d’ordre public ».

 

Avec l’arrêt Fay, la chambre criminelle avait donc étendu l’obligation de secret à toutes les informations divulguées dans le cadre de la confidence, indépendamment de tout cadre sacramentel ou rituel. L’obligation au secret concerne tous les ministres des cultes légalement reconnus, et non plus seulement sur les prêtres catholiques. Le tribunal correctionnel de la Seine, en date du 19 mai 1900 a confirmé la jurisprudence. « La loi pénal défend aux personnes dépositaires d’un secret, par état ou par profession, de révéler ce secret ».

 

L’obligation de secret a été renforcée dans la pratique : «  Cette défense concerne notamment les ministres du culte pour les confidences qu’ils peuvent recevoir à raison de leur qualité, sans qu’il y ait lieu de distinguer, pour les prêtres catholiques, entre les confidences qui leur sont faites par la voie de la confession et celles qu’ils recevraient en dehors de tout acte religieux ».

 

Même l’intérêt général ne justifie pas la divulgation d’un secret : « Cette prohibition est absolue, d’ordre public et ne peut fléchir devant aucune considération qu’on voudrait tirer d’un prétendu intérêt général, ou, à plus forte raison, d’un intérêt particulier comme serait celui d’un ordre religieux ».

 

Il existe certaines situations pour lesquelles la divulgation d’un secret ne serait passible d’une sanction pénale. Le ministre du culte est tenu d’informer les autorités si la confidence dont il a pris connaissance permet d’éviter un crime ou un forfait, de protéger un mineur ou une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique. Les articles 434-1 et 434-3 du Code pénal, qui sanctionnent les entraves à la justice en obligeant à la dénonciation de crimes dont il est encore possible de prévenir ou de limiter les effets.

 

L’ingérence des pouvoirs publics se justifie aussi par la protection des croyants contre la manipulation mentale et l’extorsion de richesse, généralement contre l’abus de faiblesse en droit pénal.

 

Les organisations communément appelées des « sectes » et leurs procédés de manipulations sont considérés comme des prédateurs de la liberté de culte. C’est au nom de la préservation de cette liberté le droit prend des mesures de sanction adaptées. Les cas visibles d’escroquerie ou d’abus de confiance sont facilement identifiable puisque les fidèles dont l’objet d’un asservissement psychologique.

 

La loi About-Picard du 12 juin 2001 prévoit des sanctions contre la manipulation mentale par les sectes. Le Code pénal vient élargir la notion d’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de faiblesse, criminalisant l’abus de l’état de sujétion psychologique ou physique, caractéristique de la situation courante de personnes endoctrinées dans le cadre des sectes. Sans faire mention des termes « manipulation mentale », la loi fait allusion à l’exercice de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres  à altérer un jugement, pour conduire une personne à un acte ou à une abstention qui lui sont gravement préjudiciables.

 

  1. La « laïcité française » dans le contexte européen

 

3.1 La réglementation française

 

La laïcité française préconise la liberté religieuse des fidèles. Tout en assurant l’autonomie des cultes, elle permet la coopération de l’Etat avec celles-ci. En dépit du principe de neutralité, et de la déclaration de non financement dans la loi de 1905, l’Etat peut par dérogation octroyer un financement public en faveur des cultes et s’autorise un traitement différencié des confessions religieuses. Enfin, elle se décline en une multitude de régimes locaux spécifiques et très différents.

 

La laïcité constitutionnelle française et le droit des cultes ne seraient pas compris par les européens. MESSNER (1979-2000) soutient qu’il existe une législation des cultes en France et que le principe constitutionnel de laïcité, qui est également le garant de la liberté de religion, n’implique pas une indifférence totale des pouvoirs publics en matière religieuse »[5].  Il affirme que des dérogations et des dispositions éloignent les interventions de l’Etat des premiers principes de laïcité.

 

En matière de subventionnements publics, de nombreuses dispositions légales dérogent à l’article 2 de la loi du 9 décembre 1905, qui pose le principe d’interdiction de subventionnement et de rémunération des cultes. Les collectivités territoriales peuvent entretenir les édifices affectés aux cultes dont certaines institutions bénéficient d’importantes exonérations fiscales. Les aumôniers des établissements hospitaliers et pénitentiaires ainsi que les aumôniers des armées sont rémunérés sur des fonds publics.

 

La signification du principe constitutionnel de laïcité a été précisée par des arrêts du Conseil d’Etat. Ce dernier a rejeté la conception négative, estimant que la laïcité ne signifie pas que l’Etat refuse toutes les religions, ni peut exiger un personnel laïc dans l’Education nationale, ni interdit le financement des cultes[6]. Le principe de laïcité permet d’éviter que l’on puisse « se prévaloir de ses croyances religieuses pour s’affranchir des règles communes régissant les rapports entre collectivités publiques et particuliers ».

 

Le principe de laïcité implique la neutralité de l’Etat, la liberté religieuse et le pluralisme, résume le rapport public 2004[7] du Conseil d’Etat. La liberté d’enseignement et la liberté d’association sont par contre autonomes par rapport à la laïcité.

 

Le modèle européen des relations Eglises-Etat comprend deux niveaux. D’abord, il y a la liberté individuelle et collective de religion (croyance, expression, pratique). Ensuite vient  l’organisation et le soutien des groupements religieux. La communauté européenne considère l’autonomie des collectivités religieuses, le statut étatique de ces groupements. Elle traite de la coopération entre l’Etat et les religions. Elle prend en compte le financement public des religions. La marge d’intervention de l’Etat est plus importante au niveau organisation. L’Etat peut opérer des distinctions selon le poids des religions dans la société.

 

Les prétendus principes communs aux relations Eglises-Etat en Europe est en réalité des convergences entre les droits nationaux, et non de règles supra-nationales. Ce n’est aucunement du droit communautaire même si certains aspects peuvent être rattachés au droit de la Convention européenne des droits de l’homme. Les Etats membres de la Communauté européenne ont la liberté d’organiser à leur souhait leurs relations avec les cultes. Trois modèles de relation Etat-Eglises sont relevés : des régimes de séparation, de concordat ou des régimes des cultes reconnus[8].

 

Le système français présente d’importantes convergences avec le système européen. Les deux assurent la liberté religieuse des croyants et l’autonomie des groupes religieux. Le traitement différencié des groupes confessionnels est admis. La France se distingue par la présence de nombreux régime de culte.

 

 

3.2 Droit comparé avec les pays européens :

 

Le mot laïcité est typiquement français et n’a pas de synonyme dans les autres langues. Le mot « làïccita » est proche du concept français mais la signification n’est pas exactement la même. En Italie qui est une république laïque, l’Etat intervient dans les affaires de l’église et paie les membres du clergé. Le crucifix est toléré dans un établissement scolaire public. La Cour européenne des droits de l’homme a déjà condamné cette atteinte à la laïcité et à la liberté religieuse des non catholiques.

L’Etat italien a abandonné en 1984 sa nature confessionnelle au profit de la laïcité par la révision de l’Accord entre l’Etat et le Saint Siège. Cependant, la présence de symboles religieux, en l’occurrence catholique, a été préservée dans l’espace public et dans les écoles en particulier. La croix est en Italie un symbole à la fois cultuel et culturel. La Cour européenne des droits de l’homme en a décidé autrement au nom du principe de la laïcité.

La présence de crucifix a été déclarée comme étant une atteinte à la liberté de religion et au droit de culte des élèves non catholiques, une atteinte au droit des parents d’éduquer leurs enfants selon leurs propres valeurs, protégés respectivement par l’article 9 de la Convention européenne des Droits de l’Homme. La plaignante est une mère de famille qui veut éduquer ses enfants selon le principe de la laïcité. Le fait que les italiens soient en très grande majorité catholiques n’entre pas en compte. La Cour adopte ici une conception rigide de la laïcité à la française.

En 1989, la Cour constitutionnelle italienne a fait de la laïcité un « principe suprême de l’ordre juridique italien ». Elle définit cette laïcité à l’italienne comme étant la neutralité et impartialité de l’administration publique à l’égard de la religion et correspond au respect du pluralisme religieux. Elle ne signifie pas une indifférence de l’Etat à l’égard de la sphère religieuse.

Les juridictions supérieures italiennes ont eu des points de vue divergeant sur la présence du crucifix. En 1988, le Conseil d’Etat a été favorable à la présence de crucifix dans les salles de classe, estimant que ce n’est pas contraire au principe de laïcité.  Le nouvel accord Etat-Eglise n’a pas remis en cause directement le crucifix. En 2000 la Cour de cassation a soutenu l’incompatibilité de la présence de crucifix cette foi-ci dans les bureaux de votes.

En allemand, le mot « laicismus » est aussi proche de la laïcité. En Allemagne, on fait plutôt référence à la notion de dépendance à l’Etat (Verstadtishen) et de sécularisation (Verweltlichen).  En anglais, le mot n’existe pas et est remplacé par « Secularism » qui veut dire sécularisation. Les anglais désignent par « lay-man » les personnes qui n’ont pas de clergé.

 

Le principe de la laïcité et de la liberté religieuse est une valeur acquise sur le territoire européen. Cependant, l’application de la législation nationale et la politique du pays font que chaque Etat a sa manière de gérer les faits religieux. Le contexte actuel fait que l’on parle plus de la restriction nécessaire à la liberté religieuse et non pas de réparation d’une atteinte à la liberté religieuse. Au nom de la laïcité, les Etats tout comme les collectivités religieuses se sentant lésés essaient de faire valoir leur droit.

 

3.2.1 Cas de l’autonomie des collectivités religieuses

 

Le principe d’autonomie des collectivités religieuses est un droit subjectif qui peut être revendiqué contre les pouvoirs publics. Il est reconnu par les Etats européens. La libre autonomie des collectivités religieuses est mentionnée dans la Constitution de nombre pays européen. Ce n’est pas le cas de la France. Il faudrait faire le rapprochement avec le principe de liberté de culte qui est garantie par la Constitution à travers la laïcité.

 

Le Conseil d’Etat a très vite précisé la loi de 1905 par un arrêt datant de 1906 pour signifier que « le principe de liberté de culte s’applique aussi bien aux individus qu’aux collectivités »[9]. L’institutionnalisation des cultes, à l’époque officiellement association cultuelle, a été élargie à une association de la loi de 1901. Il faut donc être une association cultuelle pour revendiquer la liberté de cultes. L’Etat pose des critères. L’association doit avoir comme objet le culte en question et ne doit pas avoir d’autres activités. Elle ne doit pas nuire à l’ordre public.

 

Au Portugal, l’article 41 de la Constitution dispose que « les églises et les communautés religieuses sont séparées de l’Etat et peuvent librement s’organiser, exercer leurs fonctions et célébrer leur culte ». En Espagne, l’autonomie des confessions religieuses est garantie par la Constitution (article 16) à travers la « liberté idéologique, religieuse et des cultes des confessions religieuses ». La Loi organique sur la liberté religieuse de 1980 précisant que « les églises enregistrées, confessions et communautés religieuses ont une autonomie complète et sont habilitées à établir leur propres règles d’organisation, leurs normes internes et la réglementation de leur personnel »  (article 6).

 

En Allemagne, l’autonomie des collectivités religieuses implique la faculté de gérer leurs affaires par elles-mêmes avec leurs propres règles. La Constitution de Weimar, qui a valeur constitutionnelle du fait du renvoi de l’article 140 de la Loi fondamentale, stipule que : « chaque société religieuse règle et administre ses affaires de façon autonome, dans les limites de la loi applicable à tous. Elle confère ses fonctions sans intervention de l’Etat ni des collectivités communales civiles ».

 

La Cour européenne des droits de l’homme a reconnu l’autonomie des collectivités religieuses par un avis datant de 2000 que « le droit des fidèles à la liberté de religion suppose que la communauté puisse fonctionner paisiblement, sans ingérence arbitraire de l’Etat »[10].

 

3.2.2 Les limites de la liberté religieuse des individus

La protection de la liberté religieuse est une valeur universelle sur le territoire européen vu que les Etats préconisent dans leur Constitution respective la liberté de conscience. Cette forme de liberté permet à l’individu de croire et de ne pas croire, lui donne le droit de manifester ses croyances. La liberté de pratiquer une religion est protégée de toute forme de discrimination à l’égard des individus fondée sur sa confession.

 

Chaque Etat membre de l’Union de Européenne est aussi membre du Conseil de l’Europe, ce qui le lie à la Convention européenne des droits de l’homme. Chaque pays contribue à rendre cette convention effective. En matière de droit du culte, l’article 9 est incontournable. Pour rappel, il stipule que : « toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites ».

 

La jurisprudence de la CEDH a fait de la liberté religieuse une pierre angulaire de la société démocratique. Dans sa dimension religieuse, la liberté est considérée comme un élément essentiel de l’identité des croyants mais aussi un élément libérateur des non croyants ou des indifférents. Le pluralisme qu’elle implique est nécessaire à la démocratie. La liberté religieuse est très vaste et a été intégrée en tant que droit fondamental sur la base des principes généraux du droit qu’il faut sauvegarder. Elle concerne la liberté de croire, de manifester ses croyances religieuse, de recevoir l’éducation que l’on souhaite, de pratiquer les cultes et les rites propres à une religion, de porter des vêtements religieux.

 

Cette liberté est de plus en plus contrôlée afin de limiter la montée de l’intégrisme et le communautarisme. Par ailleurs, la Cour européenne des droits de l’homme EDH ne considère pas l’article 9 comme un mur infranchissable et ne protège pas n’importe quel acte religieux[11]. Elle se donne le droit de juger un fait religieux quand il le faut. En France, il y a le motif de la nécessité de l’ordre public. La laïcité et les droits humains peuvent aussi motiver des balises à la liberté religieuse. Les croyants et les ministres du culte ne peuvent pas faire tout ce qu’ils veulent au nom de la liberté de religion.

 

Le principe de non-discrimination qui va de pair avec la liberté religieuse s’applique aussi aux communautés. Les croyants d’une confession donnée ne peuvent faire preuve de discrimination envers des individus étrangers à leur groupe. En clair, la communauté religieuse n’est pas toujours la victime d’un acte discriminatoire, elle peut aussi en être l’auteur.
A l’instar de nombre de pays membres, dont la France, l’Union Européenne a mis en valeur la liberté religieuse dans son projet de Constitution. Il s’agit de confirmer l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme en une disposition constitutionnel. C’est donc le régime constitutionnel qui va gérer l’atteinte à la liberté religieuse ou fixer les limites de cette liberté. La liberté de conscience est garantie par un principe fondamental reconnu par les lois de la République française dès 1789. « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses ». La restriction de la liberté est généralement motivée par l’empiètement sur des droits fondamentaux et l’intérêt général. Cette restriction est appelée à être proportionnel au motif invoqué.

 

Face à ces similitudes sur le régime constitutionnel, c’est la jurisprudence du Conseil d’Etat qui distingue la France. Cette instance se base sur le principe de la laïcité – neutralité de l’Etat, pluralisme et liberté religieuse – et sur les accords internationaux paraphés par la France, en particulier la CEDH. Le port par un élève d’un signe visible manifestant son appartenance religieuse à l’école ne s’oppose pas en soi à la notion de laïcité. Les élèves exercent leur « droit d’exprimer et de manifester leurs croyances religieuses à l’intérieur des établissements scolaires ». La liberté constitutionnelle y est constatée mais elle est limitée par les exigences du respect de l’ordre public et le respect des droits fondamentaux d’autrui.

 

Le port du voile islamique a été considéré comme un motif de restriction de la liberté religieuse. L’interdiction a été justifiée par les effets produits par le port du signe religieux sur l’ordre public ou les libertés d’autrui. Selon le Conseil d’Etat, ce n’est pas le voile qui a un caractère ostentatoire mais le port de celui-ci. La loi du 15 mars 2004 a introduit un nouvel article dans le Code de l’éducation. « Dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit » (L. 141-5-1). Au même titre que le voile islamique, le kippa et une croix à trop grande dimension font officiellement objet de l’interdiction car leur port serait ostentatoire.

 

 

 

II Laïcité, lois et droits des cultes

 

1 Laïcité comme philosophie

En France, la laïcité est une valeur de la démocratie, c’est un cadre de référence dans une société où cohabitent plusieurs communautés religieuses. Dans cet état d’esprit, il ne s’agit pas de mettre sous silence les faits religieux mais de les confronter d’abord entre les croyants de différentes religions, ensuite entre ces pratiquants et les incroyants. La laïcité est considérée comme un cadre de stricte neutralité dans l’espace public. Cette neutralité publique ne va pas à l’encontre des opinions religieuses. Au contraire, la laïcité positive est un moyen de lutter contre les formes de discrimination.

 

La laïcité est néanmoins une balise pour éviter tout débordement de la pratique religieuse. Elle agit pour contrôler toute expression identitaire et notamment religieuse qui imposerait trop visiblement une conviction dans l’espace public. Pour éviter ce « trop », la laïcité exige de la retenue et de la modération de la part des croyants.  Faire étalage à outrance de l’appartenance religieuse est une violation de la laïcité. On parle de laïcisme qui consiste à réduire autant que possible la manifestation publique de la religion. Une interdiction légale pouvant être de plus rigide peut être prononcée contre toute manifestation publique de signes religieux au nom de principes de la non-discrimination. De telles mesures peuvent s’appliquer que les signes en question soient discrets ou ostentatoires.

 

Autrement, la laïcité peut être considérée  comme un régime de tolérance dans sa définition juridique et empirique. Elle est le compromis issu des leçons de l’histoire et du conflit entre l’État et les religions. Au départ, l’idée de laïcité avait un but inavoué d’exclure totalement et définitivement le religieux de la sphère publique. La loi de 1905 restaurant définitivement la séparation entre l’église et l’Etat, a finalement conduit à l’apaisement.

 

La laïcité ne peut que considérer la liberté de cultes. Elle apparaît au grand jour comme étant un principe pouvant influencer la société sur le plan juridique, politique et démocratique. Elle est ouvertement réglementaire et ne se contente plus d’être non explicite confinée au stade de la sagesse et de valeur. Désormais, la loi prend le dessus sur les accommodements pris par  des acteurs locaux, politiques, administratifs et religieux.

 

La laïcité est aussi une forme d’éthique.  La quête de l’être et du culte de la raison s’est avérée impossible mais elle a eu le mérite d’appréhender la religion autrement en essayant de fusionner les différentes croyances. La religion est considérée comme un moyen d’interpeller l’homme moralement en essayant d’enlever le côté divin qui serait source d’aliénation. Le débat sur l’éthique de la laïcité est ici purement philosophique. Toutefois, l’idée d’un consensus national en matière de cultes n’est pas totalement impossible. L’œcuménisme très en vogue dans certains Etats en est la preuve.

 

2 Les fondements juridiques de la laïcité 

La laïcité en France est fondée sur des textes à valeur constitutionnelle et d’autres qui ont un caractère législatif.

En matière constitutionnelle :

La Constitution du 4 octobre 1958 dispose que « la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. » (art. 2).

Dans la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen du 26 août 1789, il est stipulé que « nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi » (art. 10). Cette disposition a été intégrée au préambule de la Constitution du 4 octobre 1958.

Apparu dans le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et repris par le préambule de la Constitution du 4 octobre 1958, il est spécifié que « le peuple français (…) réaffirme solennellement les droits et les libertés de l’homme et du citoyen consacrés par la Déclaration des droits de 1789 et les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ». La Constitution dresse des principes économiques, politiques et sociaux autour de la laïcité. « Nul ne peut-être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances ». Enfin, dans le but de garantir un accès égal à l’instruction, « l’organisation de l’enseignement public gratuit et laïc à tous les degrés est un devoir de l’État. »

En matière législative

Plusieurs textes législatifs ont enrichi la réglementation légale de la laïcité en France.

La Loi du 9 décembre 1905 de séparation des Églises et de l’État a été un tournant décisif. Elle stipule que « la République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes, sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public. » (art. 1er). Le régime de séparation est entériné par l’article 2 : « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucune culte ». Le financement public reste possible dans les dépenses relatives à des exercices d’aumônerie et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons.

La loi de 1905 renforce la liberté religieuse en ajoutant quelques balises :

« les cérémonies, processions et autres manifestations extérieures du culte sont réglées en conformité de l’article 97 du Code de l’administration communale. Les sonneries de cloches seront réglées par arrêté municipal, et en cas de désaccord entre le maire et l’association cultuelle, par arrêté préfectoral » (art. 27),

Et quelques interdictions :

« il est interdit (…) d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception des édifices du culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions ». (art. 28).

Elle a été renforcée par la Loi du 2 janvier 1907 sur l’exercice public des cultes :

« à défaut d’associations cultuelles, les édifices affectés à l’exercice du culte, ainsi que les meubles les garnissant (…) pourront être laissés à la disposition des fidèles et des ministres du culte pour la pratique de leur religion » (art. 5).

Sous la Vème république, la laïcité et les signes religieux dans le milieu éducatif est devenue une plus grande préoccupation. La loi Debré, du 31 décembre 1959, sur les rapports entre l’Etat et les établissements d’enseignement privés stipule que :

« suivant les principes définis dans la Constitution, l’Etat assure aux enfants et adolescents dans les établissements publics d’enseignement la possibilité de recevoir un enseignement conforme à leurs aptitudes dans un égal respect de toutes les croyances.

L’Etat prend toutes dispositions utiles pour assurer aux élèves de l’enseignement public la liberté des cultes et de l’instruction religieuse. Dans les établissements privés, l’enseignement placé sous le régime du contrat est soumis au contrôle de l’État. L’établissement confessionnel, tout en conservant son caractère propre, doit donner cet enseignement dans le respect total de la liberté de conscience et accepter les  enfants sans distinction de croyances, y ont accès ».

La Loi Savary du 26 janvier 1984 sur l’enseignement supérieur préconise un enseignement laïc et neutre :

« le service public de l’enseignement supérieur est laïc et indépendant de toute emprise politique, économique, religieuse ou idéologique ; il tend à l’objectivité du savoir ; il respecte la diversité des opinions. Il doit garantir à l’enseignement et à la recherche leurs possibilités de libre développement scientifique, créateur et critique ».

La Loi du 15 mars 2004 renforce l’application du principe de laïcité. Le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics est encadré. « Le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit ». Le règlement intérieur rappelle que la mise en œuvre d’une procédure disciplinaire est précédée d’un dialogue avec l’élève. Ce dernier doit s’engager à respecter la citoyenneté.

En juillet et septembre 2010, le parlement français a voté la loi sur l’interdiction du voile intégral dans la sphère publique. Le motif de l’ordre public, pour des raisons sécuritaire, et le non respect des droits de l’homme, de la femme en l’occurrence, ont été au cœur du débat. Atteinte à la liberté religieuse pour les uns, triomphe de la laïcité pour les autres, l’application de cette loi reste problématique.

La laïcité avait déjà ses bases législatives et juridiques avant 1950. Des 1850, la loi Falloux a abordé le financement des établissements scolaires libres. En 1875, la loi Laboulaye a affirmé que « L’enseignement supérieur est libre. » (art. 1er).

En 1882, la loi Jules Ferry rendant l’instruction publique obligatoire reconnaît l’instruction religieuse. « Les écoles primaires publiques vaqueront un jour par semaine en outre du dimanche, afin de permettre aux parents de faire donner, s’ils le désirent, à leurs enfants l’instruction religieuse en dehors des édifices scolaires. » (art. 2).

En 1886, la Loi Goblet sur l’organisation de l’enseignement primaire a souligné que « dans les écoles publiques de tout ordre, l’enseignement est exclusivement confié à un personnel laïque » (art. 17).

Circulaires et avis

Des circulaires ministérielles et des avis du Conseil d’Etat ont permis de préciser le domaine d’application des lois en rapport avec la laïcité et la liberté religieuse. Le prosélytisme a été interdit dès 1936. Les circulaires Jean Zay interdisent toute forme de propagande, politique ou confessionnelle, à l’école, et tout prosélytisme.

L’évolution de la position du législateur vis-à-vis du port de signes religieux a marqué ces vingt dernières années. En 1989, le Conseil d’État rappelle dans son avis la neutralité de l’enseignement et des enseignants. « Le port de signes religieux à l’école n’est ni autorisé, ni interdit : il est toléré, dans la limite du prosélytisme et à condition de ne pas s’accompagner du refus de suivre certains cours ou de la mise en cause de certaines parties du programme scolaire ».

En 1994, la circulaire Bayrou a durci la réglementation et recommande l’interdiction à l’école de tous les « signes ostentatoires, qui constituent en eux-mêmes des éléments de prosélytisme ou de discrimination ». En 2004, la circulaire Fillon encadre la mise en œuvre de la loi n° 2004-228 du 15 mars 2004, durcissant encore plus l’interdiction de port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics

  1. Le droit des cultes

 

Le droit public des cultes est fondé sur la laïcité. L’Etat agit ou n’agit pas au nom du principe de la laïcité. Il finance les aumôneries dans les prisons, hôpitaux, casernes. Il consent à participer à l’organisation des cultes musulmans mais adoptent des mesures très restrictives à l’encontre des croyants. Il agit contre certains sectes mais tolères d’autres.

 

Le droit commun applicable aux cultes est un droit qui s’oppose à un « droit particulier ». Au nom de la laïcité, ce droit spécifique n’existe pas vu que les cultes sont régis par le droit ordinaire. Le droit français qui s’applique aux cultes est une exception régionale tel le cas de l’Alsace Moselle et un reliquat de l’histoire tel le cas de la Guyane.

 

La laïcité et la liberté religieuse sont fondées sur la liberté de conscience. La République ne reconnaît plus des cultes officiels. Elle est devenue indifférente aux croyances au nom de la séparation Etat-Eglises et de la laïcité.

 

D’après la loi de 1905, la république assure la liberté de conscience et garantit la liberté des cultes dont les seules restrictions sont édictées dans l’intérêt de l’ordre public. Cette liberté a aujourd’hui une valeur constitutionnelle reconnue. Le droit des cultes se base aussi sur des textes internationaux comme la Déclaration universelle des droits de l’homme en 1948.

 

En 1966, le pacte des nations unies, relatif aux droits civils et politiques stipule que toute personne à droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion. « Ce droit implique, la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, seule ou en commun, en public ou en privé… »

 

La convention européenne des droits de l’homme signée en 1950 a la valeur d’une loi supra-nationale. Sa violation peut donner lieu à un recours à la Cour européenne des droits de l’homme mais aussi auprès du tribunal du pays. La Grèce et l’Ukraine, les terres de l’église orthodoxe, la Pologne à la ferveur catholique et la Turquie musulmane sont les plus condamnés en raison du privilège que leur gouvernement respectif accorde à une religion.

 

En France, la liberté et les droits des cultes  sont apparus avec la République. La déclaration des droits de l’homme française stipule dans son article 10 que « nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que ses manifestations ne troublent pas l’ordre public établi par la loi ». A travers ses représentants au parlement, le peuple fixe lui-même les limites à sa liberté par le droit et par le respect de la liberté d’autrui. Le Conseil d’Etat a pu statuer par jurisprudence que la liberté est la règle et la restriction l’exception.

 

 

 

 

PARTIE III : La CEDH et la jurisprudence européenne laïque 

1 La jurisprudence de la CEDH 

La Cour européenne des droits de l’homme ne peut se limiter à la Convention du même nom pour juger les litiges en matière de culte et de faits religieux. Elle constitue par les avis définitifs qu’elle prend à l’issue d’un litige une jurisprudence permettant aux Etats et aux citoyens européens d’avoir une meilleure appréciation de la notion de droit à l’échelle communautaire. Les juges disposent par conséquent des références pour que les avis de la Cour soient cohérents.

En matière de religion, le texte de base prévu dans la Convention européenne des droits de l’homme se résume à l’article 9 qui donne la liberté religieuse et le droit de manifester sa religion notamment par le culte. Cette manifestation ne peut faire l’objet de restriction que celles prévues par la loi.

La loi doit garantir le pluralisme en imposant ses règles

La CEDH ne peut assumer la garantie du pluralisme sur le territoire européen. La Cour de Strasbourg donne ce rôle à chaque Etat qui est un organisateur neutre et impartial de l’exercice des diverses religions des cultes et croyances sur son territoire. Ce rôle contribue à assurer l’ordre public, la paix religieuse et la tolérance dans une société démocratique où plusieurs religions coexistent au sein d’une même population, La CEDH estime nécessaire d’assortir la liberté de religion de limitations propres à concilier les intérêts des divers groupes et à assurer le respect des convictions de chacun (Kokkinakis c. Grèce du 25 mai 1993)

L’Etat n’a pas à qualifier la validité des croyances.

Selon la CEDH, l’appréciation de la part de l’Etat de la légitimité des croyances religieuses ou des modalités d’expression de celles-ci n’est pas compatible à la liberté de religion. Son devoir de neutralité et d’impartialité enlève à l’Etat la légitimité d’un quelconque pouvoir d’appréciation quant au caractère légitime des croyances religieuses (Manoussakis c. Grèce, 26 septembre 1996).

La liberté de religion est essentielle à la société démocratique.

La liberté de conscience, de pensée, et de religion représente l’une des assises d’une « société démocratique » au sens de la Convention. La liberté religieuse figure parmi les éléments les plus essentiels de l’identité des croyants et de leur conception de la vie, mais elle est aussi un bien précieux pour les athées, les agnostiques, les sceptiques ou les indifférents. Il y va du pluralisme qui ne saurait être dissocié de pareille société. Cette liberté implique, notamment, celle d’adhérer ou non à une religion et celle de la pratiquer ou de ne pas la pratiquer. La Cour européenne des droits de l’homme a considéré que le pluralisme avait une place centrale, en le qualifiant de « consubstantiel »  dans une société démocratique. (Kokkinakis c. Grèce, 25 mai 1993)

 

La croyance, intérieure, ne se comprend pas sans des manifestions publiques

Si la liberté de religion relève d’abord du for intérieur, elle implique également celle de manifester sa religion individuellement et en privé, ou de manière collective, en public et dans le cercle de ceux dont on partage la foi. (Kalaç c. Turquie, 1er juillet 1997).

L’Etat doit protéger les manifestations publiques de la croyance

L’article 9 énumère diverses formes que peut prendre la manifestation d’une religion ou conviction, à savoir le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.

L’Etat doit agir contre les pratiques abusives.

Les libertés garanties par la Convention ne sauraient priver les autorités d’un Etat. Quand une association cultuelle, par ses activités, met en danger les institutions, l’Etat a le droit de protéger celles-ci. La CEDH estime qu’un parti politique peut promouvoir un changement de la législation ou des structures légales ou constitutionnelles de l’Etat à deux conditions : les moyens utilisés à cet effet doivent être légaux et démocratiques ; le changement proposé doit lui-même être compatible avec les principes démocratiques fondamentaux.

La Convention se protège aussi de la pratique abusive de la part des politiciens. Un parti politique dont les responsables incitent à recourir à la violence ou proposent un projet politique qui ne respecte pas la démocratie ni les droits et libertés qu’elle reconnaît, ne peut se prévaloir de la protection de la Convention contre les sanctions infligées pour ces motifs. (Refah Partisi c. Turquie, 13 février 2003).

La CEDH laisse une marge de manœuvre aux Etats

Du moment qu’est assuré à tous les cultes un minimum de liberté, la CEDH considère qu’il faut laisser une marge d’appréciation aux Etats « pour ce qui est de l’établissement des délicats rapports entre l’Etat et les religions ». (CEDH 27 juin 2000, Cha’are Shalom Ve Tsedek c/ France, REDH, 2001).

L’Etat doit s’abstenir de toute ingérence arbitraire

La CEDH a reconnu, que « le droit des fidèles à la liberté de religion suppose que la communauté religieuse puisse fonctionner paisiblement, sans ingérence arbitraire de l’Etat » (Hassan et Tchaouch , 2000).

 

L’article 9 de la Convention n’est pas un motif implacable

La Cour européenne des droits de l’homme refuse de considérer n’importe quel acte motivé par la religion comme protégé par l’article 9 ( Kalaç, 1997,  RUDH 1998)

La croyance est une forme de liberté

La liberté de croyance a un champ très vaste. La liberté religieuse implique d’abord la liberté de croire. ( Buscarini,1999,  RTDE 2000)

La liberté de manifestation des croyances religieuses

« Cette liberté implique, notamment, celle d’adhérer ou non à une religion et celle de la pratiquer ou de ne pas la pratiquer. » (Buscarini, 1999, RTDE 2000).

 

  1. L’incidence de la CEDH sur la laïcité

    2.1Incidence sur les lois nationales

    La diversité religieuse est admise et garantie dans tous les systèmes constitutionnels européens[12], les quelques pays réticents à l’instar de la Grèce sont une exception. Le principe de pluralisme est ainsi garanti dans tous les pays européens car « l’Union respecte la diversité culturelle, religieuse et linguistique » comme l’affirme Louis-Léon Christians. La Cour européenne des droits de l’homme a utilisé le qualificatif de « consubstantiel » à propos de la place centrale du pluralisme – le respect de la diversité du fait religieux- dans la société démocratique.

 

Selon Louis-Léon Christians[13], « le respect de cette garantie est à la fois direct et spécifique. Il est direct dans la mesure où il ne vise plus ici à se retrancher derrière le principe de subsidiarité. Il envisage une compétence immédiatement européenne de prise en compte de la diversité par delà les frontières nationales ». La légitimité d’isoler le fait religieux de l’ensemble plus vaste des réalités culturelles est reconnue.

 

En droit français, le pluralisme est un objectif de valeur constitutionnelle associé à la neutralité de l’Etat et par conséquent à la laïcité.  Le Conseil d’Etat a estimé que le pluralisme dans le domaine de la religion nécessite une attitude positive comme le respect par l’Etat de toutes les croyances. Le système français privilégie un traitement différencié des collectivités religieuses. Par ailleurs, la Convention européenne des droits de l’homme n’est pas hostile à ce système différencie. Il est courant dans les pays européens de voir des distinctions en fonction des religions.

 

Les communautés socialement intégrées et acceptées bénéficient d’avantages étatiques comme le financement public ou la réduction d’impôt. Par l’arrêt Vajra Triomphant du 27 avril 2004, le Conseil d’Etat a enlevé à cette communauté son statut d’association cultuelle. Les avantages fiscaux et autres facilités ont aussitôt été retirés. Cette décision a été évidemment motivée par la préservation de l’ordre public. La Cour Européenne des droits de l’homme laisse aux Etats membres une marge d’appréciation. Elle n’intervient donc pas directement dans les rapport entre un Etat et les religions.

 

La France se démarque de ses voisins européens en matière de disposition constitutionnelle sur la coopération entre l’Etat et l’église. Les constitutions allemande, espagnole ou italienne prévoient une coopération entre l’Etat et les collectivités religieuses. La laïcité de l’Etat français lui rend exempt de cette obligation de coopération. Les pouvoirs publics ont cependant la prérogative de gérer le domaine les communautés et faits religieux par le biais des lois et des règlements.

Le président de la Haute Cour d’Angleterre a été l’un des premiers à se déclarer favorable à ce que les croyants musulmans puissent régler leurs conflits familiaux et financiers selon les règles de la charia. Il a plaidé l’incompréhension généralisée sur cette pratique. Comme limite, le magistrat a spécifié que la charia made in England ne pouvait appliquer des peines corporelles. En Angleterre, l’idée de communautariser le droit selon la religion et l’ethnie a des partisans. La charia financière s’installe aussi au Royaume Uni avec la création de banques halals.

En Hollande, le pays de toutes les libéralisations, l’instauration de la charia est envisageable. C’est au parlement de décider. Si la loi permettant la charia est votée, elle sera appliquée. De même, les pouvoirs publics sont favorables à la mise en place de banques halals. Le burqa est toléré mais il est déclaré inapproprié au monde du travail.

Ces positions avant-gardistes sur la liberté religieuse et la laïcité vont à l’encontre de la Convention européenne des droits de l’homme. Les pays concernés choisissent volontairement de tolérer le communautarisme dans le but de faciliter l’intégration des communautés ethno-religieuses.

 

2.2 Des réactions politiques sur la laïcité positive

 

Au-delà de la conscience et de la conception personnelles, la laïcité est une affaire de droit. Elle est le régime français de la liberté de religion. Mais ne traiter la question de la laïcité que sous l’angle juridique serait trop réducteur. L’application de la loi est avant tout une manière de réguler la société, de vivre la démocratie. Par la hiérarchie des textes, les arrêts émanant de la Cour de Strasbourg s’impose aux Etats Européens.

Dans le but de réguler la société et la pratique de la démocratie, des solutions politiques sont évoquées. Elles permettraient aux pays comme la France d’avoir une meilleure maîtrise de son destin sur le plan de l’évolution des collectivités religieuses et du droit des cultes. Le débat est donc politique mais l’issue reste la voie législative. Les pays veulent de plus en plus adapter leurs lois non plus pour se mettre en plein harmonie avec la CEDH mais au contraire pour contourner l’imposante ingérence européenne.

Les particuliers et les associations cultuelles ou non trouvent en effet en la Cour européenne des droits de l’homme un refuge mais aussi un moyen d’obtenir de l’Etat ce qu’ils supposent être leurs droits en matière de culte et de religion. Une seule plainte d’un citoyen et voilà que tout le système et les valeurs traditionnelles de la société sont totalement ébranlés. Les cas de l’interdiction du crucifix dans les établissements scolaires en Italie est l’exemple de ce séisme politico-social provoqué par un avis de la Cour de Strasbourg.

Le président français Nicolas Sarkozy a lancé malgré lui un nouveau débat sur la laïcité en France en 2007. En marge de sa rencontre avec le pape Benoît XVI, il a évoqué son souhait d’instaurer une laïcité positive en France. Le concept a été nouveau et a suscité des doutes et des suspicions pour ce qui est des réelles intentions de l’Etat. Le parallèle avec la discrimination positive en faveur des minorités et des immigrés a attisé le débat. C’est quoi en effet une laïcité positive ? Ya-t-il une laïcité négative ?

L’acception négative de la laïcité est cette position rigide qui permet à l’Etat de rester indifférent aux cultes et religion. Dans l’absolu, c’est l’absence de la religion dans tout ce qui est affaire ou sphère publique. Cette laïcité est d’autant plus négative que l’ingérence de l’Etat dans le cadre du droit et des règlements est souvent associée à une restriction de la liberté religieuse. L’Etat et les législateurs ont pourtant fait preuve de modération mais la revendication de la liberté et du droit de culte par les collectivités religieuses et par les croyants tend de plus en plus vers la fin de la laïcité.

Une trop grande liberté de religion peut nuire à la laïcité. Si l’Etat est tenu à faire preuve de neutralité dans le cadre de l’administration, du service public et de l’enseignement, les collectivités religieuses ne sont pas obligées d’afficher leur neutralité religieuse. La loi accepte le port de signes religieux tant que ceux-ci ne soient pas ostentatoires. C’est un bon compromis pour préserver l’identité individuelle et la neutralité de la sphère publique.

D’ailleurs, le port de ces signes ne signifie pas forcément que l’individu est un croyant et un pratiquant. A la limite, la personne revendique sa religion nominale sans qu’il ne pratique les rites, les cultes ni le mode de vie de la collectivité religieuse. Les objets à caractères religieux peuvent aussi être un accessoire de mode. Leur port est dénué de signification et parfois avec un paradoxe. Un amateur de musique de rock « heavy metal » qui a un crucifix sur son cou tout en ayant un look gothique faisant référence à Satan.

Cela nous amène à dire que le débat sur les apparences et le code vestimentaire des croyants n’est que la partie émergée de l’iceberg en matière de droit de culte. Avec l’accumulation des interdictions, les unes plus justifiées que les autres, la future société laïque serait alors dépourvue de tout signe religieux. La religion et le culte ne pourra s’exprimer que dans le domaine familial, à domicile. La décision des pouvoirs publics au nom de la laïcité vont forcément à l’encontre des collectivités.

Les hommes musulmans peuvent porter leur tenue traditionnelle affichant leur identité ethnique et religieuse. Ce qui n’est pas le cas des femmes musulmanes. Avant l’interdiction de la burqa, le port du foulard a déjà été frappé d’interdiction. Tout le monde ne sera pas d’accord sur le caractère ostentatoire de ce tissu. Toutes les femmes qui portent un foulard seraient-elles musulmanes. Avec le burqa, le discours sécuritaire est axé sur le potentiel de danger que représente un individu avec le visage et le corps cachés. La psychose des veuves noires, ces femmes musulmanes kamikazes est-elle justifiée en France. L’Etat se permet aussi de libérer ces femmes voilées qu’il considère comme soumises.

Dans cette démarche de réglementation et de contrôle des religions, l’Etat aurait de bonnes intentions : instaurer la laïcité positive. Ce qu’il faut encore démontrer. Il est évident que la voie législative et réglementaire n’est pas la plus facile pour mener vers l’acception positive de la laïcité. Dans cet idéal, la liberté de culte et de religion est non seulement garantie, elle est effective et contribue à la démocratie et à l’harmonie sociale. La laïcité positive veut une neutralité de l’Etat et dans la sphère publique.

Comment l’Etat doit donc réglementer ou légiférer pour que la liberté de religion ne soit plus incompatible avec le principe de la laïcité. Mettre des balises par des réglementations, en imposant des limites aux libertés est forcément positif pour l’Etat. Pour que la laïcité soit positive, les croyants et les collectivités religieuses doivent aussi en bénéficier. La Convention européenne des droits de l’homme et la jurisprudence qui va avec ne font que délimiter, voire limiter, les marges de manœuvre de l’Etat. L’institution européenne défend la liberté de religion mais la fragilise en même temps en voulant préserver la laïcité.

Il faudra revoir certains principes fondamentaux de la laïcité afin que cette dernière soit positive et permet l’émancipation des collectivités religieuses. L’indifférence de l’Etat s’avère complètement dépassée. La neutralité de l’administration ne fait pas débat mais la restriction d’afficher son appartenance religieuse sur la sphère public est une atteinte légale à la liberté individuelle. La supposée non reconnaissance de l’Etat des religions est une hypocrisie. La coopération officielle est toutefois difficile. La création d’un conseil du culte musulman va-t-elle ouvrir la porte à d’autres pour les autres confessions.

 

CONCLUSION

 

La gestion communautaire de la problématique de la religion n’est pas aisée que ce soit au niveau des Etats ou au niveau de l’Union européenne. La diversité des réglementations et les spécificités de chaque pays compliquent la mise en place d’une norme partagée par tous. La laïcité est la norme de ce début de XXIème siècle. L’Union européenne utilise la Convention européenne des droits de l’homme pour réglementer les libertés de religion et de culte. La Cour européenne de droits de l’homme donne des avis définitifs qui construisent la jurisprudence européenne en matière de laïcité et de fait religieux.

 

La Convention européenne et les arrêts de la Cour de Strasbourg priment sur les lois et instances nationales par la simple règle de la hiérarchie des textes. Chaque Etat doit appliquer, à travers les lois et les réglementations sur les religions et les cultes, les dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme. Le pouvoir judiciaire, le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif sont tous mobilisés dans la préservation de la laïcité, cette valeur républicaine.

 

La laïcité est en effet considérée comme l’une des assises de la démocratie dans une république française qui se déclare être laïque. La loi de la séparation entre l’Eglise et l’Etat en 1905 marque une nouvelle ère où l’identité laïque est imposée aux citoyens. Seulement, ni la Constitution ni les lois françaises ne remettent en cause la liberté de religion même si l’Etat se désintéresse formellement des collectivités religieuses et des congrégations qui sont mises sur le même pied d’égalité. La loi de la séparation a vu la laïcité triompher sur la religion catholique, l’alliée des différents pouvoirs durant des siècles.

 

Le recul de l’ancienne religion d’Etat a permis à d’autres religions de s’émanciper. C’est a priori car c’est le but de la laïcité positive. Seulement, la liberté religieuse est devenue gênante car elle est susceptible de rendre la société séculaire et en proie au communautarisme. La laïcité doit être défendue. Les Etats sont en phase avec la Convention européenne des droits de l’homme pour repousser la montée en puissance de certains cultes et de certaines collectivités religieuses. En France, des mesures sont appliquées que ce soit par le premier ministre, par le préfet ou par le maire pour réprimander des dérives de la liberté religieuse.

 

Les limites fixées à la liberté de religion et de culte est le respect de l’ordre public. Cela comprend la sécurité, l’hygiène et l’harmonie sociale. Bref, des critères qui n’ont rien à voir avec la spiritualité religieuse mais dont l’impact restreint la dimension de la sphère publique dans laquelle une appartenance religieuse peut être exprimée ou affichée librement. A part le fait d’être un danger potentiel pour la société, les pouvoirs publics défendent aussi les croyants malgré eux, dénonçant une manipulation ou une soumission.

 

La laïcité est utilisée par les pouvoirs publics et les législateurs comme un motif, ou un prétexte pour repousser l’invasion des faits religieux dans une société européenne que l’on souhaite moderne et éclairée. La CEDH ne contribue plus à cette liberté religieuse qui est déjà acquise et est sur le point de devenir trop encombrante. Elle s’acharne à imposer une laïcité de plus en plus négative qui est ressentie par les croyants comme une répression de leur liberté et de leurs droits fondamentaux. Il faut cependant préciser que la réaction défensive de la Cour européenne des droits de l’homme est légitime puisque des associations cultuelles ou autre groupes religieux utilise dans un but intéressé et loin d’être spirituel l’article 9 de la convention.

 

Le but inavoué de laïcité moderne est de rendre le fait religieux invisible. Il est difficile de circonscrire la religion dans une sphère privée puisque la foi s’entretient par les cultes célébrés en communauté. Les signes religieux doivent disparaître de la sphère publique. Certains Etats comme la Grèce, l’Italie et la Pologne risquent de vivre une vraie acculturation si la laïcité européenne est imposée. Il y a ceux qui sont par contre très libérales sur la question de la liberté religieuse au point de permettre le communautarisme à l’exemple de l’Angleterre et des Pays-bas.

 

La France n’a pas fini son combat contre l’avancée des collectivités religieuses pour défendre un siècle de laïcité républicaine. L’islam et les sectes sont dans le collimateur pour des motifs diverses. La loi interdisant le port du voile intégral votée en septembre 2010 marque un nouveau tournant. La laïcité est de plus en plus négative et nuit à l’apaisement. Bien entendu, les législateurs ont leur raison et affichent un discours sécuritaire.

 

Est-il temps de modifier les lois et les dispositions constitutionnelles pour spécifier que la religion ne peut être pratiquée et affichée que dans la sphère privée. C’est trop tôt pour le dire puisque la laïcité positive n’a pas encore été suffisamment essayée. Les expériences en Angleterre et en Hollande pourront éclairer l’Europe sur le potentiel démocratique et social de ce concept. Mais encore, les musulmans de ces pays ont une autre culture et un autre comportement que les musulmans de France.

 

La laïcité européenne ne pourra se faire uniquement par des textes législatifs. C’est la construction d’une identité européenne avec les caractéristiques des communautés qui la composent qui est le véritable enjeu. De plus, les religions autres que chrétiennes ne peuvent plus être associées uniquement à l’immigration car ces croyants sont des européens depuis plus d’une génération. Et ces religions sont aussi pratiquées par des français de « souche ». A termes, le combat qui va réunir les croyants sera contre la laïcité.

 

 

BIBBLIOGRAPHIE

CHRISTIANS L., « Construction européenne et politique religieuse », in Blandine Chélini-Pont (sous la direction de), Quelle politique religieuse en Europe et en Méditerranée ?, Aix-en-Provence, PUAM, coll. « Droit et Religions », 2004, p. 127

COLLECTIF, New Religious Movements and the law in the European Union, Acte du colloque de Lisbonne des 8-9 novembre 1997, Bruylant-Giuffrè editore-Nomos, Bruxelles-Milano-Baden Baden, 1999, 390 pages

DURANT J. P., « La laïcité française dans un Etat de droit ouvert » in L’Etat et les cultes, Administration, n°161, oct-déc. 1993, p. 119.

GONZALEZ G., « Convention européenne des droits de l’homme, cultes reconnus et liberté de religion », Revue de droit canonique, 2004, p. 49-65.

 

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WOERHRLING J. M., « Une définition juridique des sectes », in Les ‘sectes’ et le droit en France, sous la direction de Francis MESSNER, Paris, PUF, 1999, p. 66


Arrêt du Conseil d’Etat :

CONSEIL D’ETAT 16 mars 2005, Ministre de l’Outre-mer, AJDA 2005, p. 1463-1465, note Claude DURAND-PRIMBORGNE

CONSEIL D’ETAT, Rapport public 2004, EDCE n°55, 2004, p. 272-277

CONSEIL D’ETAT, avis 25 et 31 octobre 1906, EDCE n°55, 2004, p. 417

CONSEIL D’ETAT, Consistoire central des israélites de France, du 14 avril 1995

Circulaire n° DHOS/G/2005-1957 du 2 février 2005.


Arrêt de la CEDH :

Buscarini, 1999, RTDE 2000

Cha’are Shalom Ve Tsedek c/ France, 27 juin 2000, REDH, 2001

Hassan et Tchaouch, 26 octobre 2000, RTDE 2001, p. 185

Kalaç, Turquie, 1er juillet 1997, RUDH 1998, p. 109, §27.

Kokkinakis c. Grèce du 25 mai 1993

Manoussakis c. Grèce, 26 septembre 1996

Refah Partisi c. Turquie, 13 février 2003

[1] Jean-Paul Durant, « La laïcité française dans un Etat de droit ouvert » in L’Etat et les cultes, Administration, n°161, oct-déc. 1993, p. 119.

[2] Ibid

[3] Circulaire n° DHOS/G/2005-1957 du 2 février 2005.

[4] Jean-Marie WOERHRLING, « Une définition juridique des sectes », in Les ‘sectes’ et le droit en France, sous la direction de Francis MESSNER, Paris, PUF, 1999, p. 66

[5] Francis MESSNER, « Le droit des religions en Europe », Cahiers de la Maison des sciences de l’homme de Strasbourg 1979-2000, Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 2000, p. 82

[6] CE 16 mars 2005, Ministre de l’Outre-mer, AJDA 2005, p. 1463-1465, note Claude DURAND-PRIMBORGNE

[7] CONSEIL D’ETAT, Rapport public 2004, EDCE n°55, 2004, p. 272-277

[8] Gérard GONZALEZ, « Convention européenne des droits de l’homme, cultes reconnus et liberté de religion », Revue de droit canonique, 2004, p. 49-65.

 

[9] CE avis 25 et 31 octobre 1906, EDCE n°55, 2004, p. 417

[10] CEDH 26 octobre 2000, Hassan et Tchaouch, RTDE 2001, p. 185

[11] CEDH 1er juillet 1997, Kalaç, RUDH 1998, p. 109, §27.

[12] COLLECTIF, New Religious Movements and the law in the European Union, Acte du colloque de Lisbonne des 8-9 novembre 1997, Bruylant-Giuffrè editore-Nomos, Bruxelles-Milano-Baden Baden, 1999, 390 pages

[13] Léon Christians, « Construction européenne et politique religieuse », in Blandine Chélini-Pont (sous la direction de), Quelle politique religieuse en Europe et en Méditerranée ?, Aix-en-Provence, PUAM, coll. « Droit et Religions », 2004, p. 127

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