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LA PLACE DES FEMMES DANS L’ESPACE PUBLIC A TEHERAN – Quelles sont les conséquences de la résistance des femmes face à l’interdiction qui leur est faite de fréquenter des espaces publics ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

LA PLACE DES FEMMES DANS L’ESPACE PUBLIC A TEHERAN

Quelles sont les conséquences de la résistance des femmes face à l’interdiction qui leur est faite de fréquenter des espaces publics ?

 

 

 

 

 

 

 

                                                                                   

 

 

 

 

 

 

Mémoire présenté par Najjary Alamoty Somayeh

Année universitaire 2015

Sommaire

Introduction. 4

  1. Les femmes et l’espace public à Téhéran : les contraintes imposées. 6
  2. Définition de l’espace public. 6

1.1.     Opposition entre espace privé et espace public. 6

1.2.     Un espace dit collectif, social,  de rencontre et libre sans appropriation (personne n’en est propriétaire, il est accessible librement à tout le monde) 7

  1. Bref historique de l’accès à l’espace public par les femmes. 8

2.1.     L’espace public au Téhéran, une proscription de la présence féminine et un voilement 8

2.2.     Le dévoilement sous Pahlavi 9

2.3.     Ouverture de l’accès aux espaces publics aux femmes grâce à la Révolution Iranienne de 1979 : le « re-voilement ». 9

2.4.     Les femmes et le droit à la ville. 10

  1. Exemple d’interdits. 11
  2. Accéder à l’espace public sous plusieurs conditions étatiques, sociétales et religieuses. 11

4.1.     L’obligation d’être accompagnées et de respecter les horaires de fréquentation imposés  11

4.2.     L’obligation liée à la tenue vestimentaire (port obligatoire du voile, etc.) 13

  1. La ségrégation sociale et les violences envers les femmes dans les espaces publics. 17

5.1.     La ville et les espaces publics, des endroits dangereux pour la femme. 17

5.2.     L’importance de la sécurité en dehors du cadre privé. 18

5.3.     La domination masculine dans les espaces publics à Téhéran (ségrégation sexuelle) 19

  1. L’accès à l’espace public : les formes de contestation. 22

1.1. La résistance comme forme d’expression. 23

1.2. La résistance pour trouver un espace dans lequel les femmes peuvent s’exprimer et pour accéder aux espaces publics. 25

1.3. La résistance comme symbole de l’existence des femmes. 28

  1. Les formes de résistance rencontrées. 29

2.1. Les manifestations, contestations, descentes dans les rues, etc. 29

2.2. La créativité pour dévier les restrictions associées aux manifestations des femmes. 32

2.3. La mobilité quotidienne pour pouvoir investir les espaces urbains et publics. 35

2.4.     La notion de transgression. 41

2.4.1.      La transgression, un non respect des conditions imposées par l’Etat, la société et la religion  41

2.4.2.      La lutte contre la surveillance constante par la loi et par les hommes. 42

III.      Les enjeux spatiaux. 44

  1. Cartographie de Téhéran. 44
  2. Les endroits publics interdits aux femmes et ceux dans lesquels elles réalisent leurs manifestations 47
  3. Partie empirique. 52

3.1.     Méthodologie et thèmes des entretiens. 52

3.2.     Résultats. 52

3.3.     Analyse et interprétation des résultats. 53

Conclusion. 55

Bibliographie. 56

Ouvrages et documents. 56

Webographie. 58

Annexe 1. Questionnaire. 59

 

 

 

Introduction

Auparavant,  à  Téhéran  et  dans  l’Iran  tout  entier,  les  espaces  publics  étaient  des  lieux inaccessibles pour les femmes. Ces dernières étaient interdites de séjour dans ces lieux, mais pouvaient quand même les emprunter sans toutefois s’arrêter. A côté de cette interdiction, de nombreuses  contraintes  étaient  liées  à  la  sortie  dans  les  espaces  publics :  les  hommes pouvaient aller jusqu’à suivre ou faire suivre les femmes et ces dernières devaient porter un hijâb islamique ou un maghna-é pour pouvoir sortir.

Par espace public, nous entendons tout espace extérieur au privé et donc à la maison,  c’est-à-dire les rues, les parcs, les supermarchés, etc. A Téhéran, même les taxis, bus et transports en  commun  peuvent  être  considérés  comme  étant  des  espaces  publics.  C’est  depuis  la Révolution  iranienne de 1979 que  les  femmes peuvent  mieux circuler ou  séjourner dans  les espaces  publics.  Concrètement,  cette  accessibilité  a  été  rendue  possible  grâce  à  un  appel  à destination des  femmes  leur permettant de descendre dans  les rues et de  manifester pour le renversement  du  Shah[1].  Depuis,  les  femmes  investissent  les  espaces  publics  pour  diverses raisons personnelles ou relatives aux besoins familiaux.

Mais  leur  déplacement  reste  encore  contrôlé.  Cependant,  les  femmes  au  Téhéran  effectuent quatre millions de déplacements par jour[2], ce qui trahit quand même une grande mobilité de ces  dernières,  pour  des  motifs  aussi  divers  que  la  consommation  familiale  quotidienne,  les études,  le  travail  ou  encore  les  loisirs  personnels.  Actuellement,  les  femmes  continuent  à revendiquer  leur  liberté,  ou  du  moins  « plus  de  liberté »  dans  leur  déplacement  dans  les espaces publics. Pour ce faire, certaines osent fréquenter les espaces publics non mixtes qui sont,  d’habitude,  réservés  aux  hommes.  D’autres  manifestent  publiquement,  se  présentent comme  candidates  dans  le  cadre  politique,  votent,  etc.  Mais  le  plus  souvent,  les  femmes militent  et  résistent  à  ces  lois  qui  les  empêchent  de  circuler  et  de  fréquenter  librement  ces espaces  publics.  Elles  résistent  aux  lois  et  aux  hommes  pour  rappeler  qu’elles  existent, qu’elles  veulent  s’exprimer  librement  et  perçoivent  les  espaces  publics  comme  un  endroit propice à  leur affirmation et à  leur  liberté.  Nous nous  intéresserons particulièrement à cette résistance dans ce mémoire, d’où notre problématique :  Quelles sont les conséquences de la résistance  des  femmes  à  l’interdiction  qui  leur  est  faite  de  fréquenter  des  espaces publics ?

Nous  proposons, comme hypothèse, le fait que cette résistance conduise à la féminisation de l’espace public au Téhéran. En parallèle, nous souhaitons également déterminer  si  «  le droit à la ville »  est une notion bien appliquée aux femmes à Téhéran. Nous  pensons,  en  effet,  que  son application  pourrait  contribuer  à  cette  féminisation  du  fait qu’elle  leur assurerait plus de  liberté dans cette fréquentation, ce qui  fait qu’elles  ne  seront plus soumises aux lois qui leur interdit de s’y rendre ou d’y rester.

 

Pour répondre à notre problématique, nous orienterons notre travail sur trois axes bien précis. Le premier sera une partie contextuelle qui nous servira à brosser les contours du sujet, une partie sur la généralité. Intitulée « Les femmes et l’espace public à Téhéran : les contraintes imposées », cette première partie offrira une définition de l’espace public, un bref historique de l’accès à celui-ci par les femmes au Téhéran, des exemples d’interdits et une présentation de la  domination masculine dans les espaces publics.

Le  second  axe  s’articulera  autour  de  la  résistance  menée  par  les  femmes  en  vue  de  leur conférer un accès à l’espace public. Dans ce sens, nous présenterons la symbolique de cette résistance et ses différentes formes. Dans le troisième axe, nous effectuerons un travail de spatialisation. Nous nous servirons de cartes et de schémas pour cartographier Téhéran et montrer les espaces publics interdits aux femmes et dans lesquels elles militent pour obtenir le droit de les fréquenter. En parallèle, nous parlerons des entretiens que nous avons menés dans le cadre de notre mémoire, de leurs résultats et de l’interprétation de ces derniers.

Le  thème  concernant  la  place  des  femmes  dans  l’espace  public  à  Téhéran  me  tient particulièrement à cœur car étant moi-même originaire de ce pays,  j’ai  vécu  l’interdiction à cet  espace  public.  Je  fais  moi-même  partie  de  ces  femmes  soumises  à  cette  interdiction, toutefois, je m’étalerai sur un point de vue objectif et non subjectif durant ce mémoire. Mon but est de parvenir à déchiffrer si les femmes pourraient investir librement ces espaces publics en militant pour leur droit à la ville et en résistant. J’ai aussi remarqué que la résistance et la condition  des  femmes  diffèrent  d’un  endroit  à  un  autre  au  Téhéran,  d’où  l’importance  de spatialiser. En effet, j’ai remarqué que  les femmes dans les  quartiers plus aisés osent enlever leurs voiles dans la rue, dans leur voiture, etc. Qu’en est-il de celles dans des quartiers moins aisés ?  De plus, certaines osent poser des affiches publiques pour prouver leur manifestation ou protester dans des endroits publics comme des parcs. S’agit-il d’une pratique autorisée ou prohibée ? L’Etat condamne-t-il ces actes ?

Mon travail sera situé sur deux contextes : historique et politique. Historique car  la place de la femme  a  changé  à  travers  l’histoire,  notamment  depuis  le  début  de  la  révolution constitutionnelle  de  1905.  C’est  à  cette  époque  que  la  place  de  la  femme  en  dehors  de  la sphère du privé a été repensée et modifiée de manière négative : elle a été éloignée de la scène politique  et  de  la  scène  sociale  en  dehors  de  l’espace  privé,  c’est -à-dire  son  domicile.  En d’autres termes,  l’interdiction de la fréquentation des femmes de l’espace public a commencé à cette époque et continue actuellement, même si des formes d’autorisation ont émergé au fil du  temps  (accès  à  l’espace  public  sous  conditions :  port  du  voile,  fréquentation  surveillée, minutée voire même brève, etc.). De là s’élève le contexte politique puisque c’est l’Etat lui-même  –  aux côtés de la religion islamique – qui crée des lois  en défaveur de la fréquentation par les femmes de cet espace public. Les enjeux de mon mémoire consistent donc à montrer la situation de ces femmes et comment elles résistent pour  se faire entendre et pouvoir  obtenir des droits plus ou moins similaires à ceux des hommes en termes de fréquentation des espaces publics. Je veux montrer que la protestation peut leur permettre d’y accéder et qu’on pourrait aboutir à une féminisation de ces espaces par la résistance.

 

I.                   Les femmes et l’espace public à Téhéran : les contraintes imposées

1.      Définition de l’espace public

1.1.Opposition entre espace privé et espace public

 

Pour nous familiariser avec notre sujet, nous allons d’abord définir ce qu’est l’espace public. De notre point de vue, l’espace public peut être défini de par son opposition à l’espace privé. En effet, l’espace public représente tout ce qui est en dehors de l’espace privé, c’est-à-dire de la maison. L’espace privé garantit l’intimité, il permet de se retrouver seul ou en famille, il représente la limite pour les gens extérieurs et signifie « dedans » tandis que l’espace public représente le dehors. L’opposition entre espace privé et espace public est donc  « l’opposition du dedans et  du  dehors :  est  ‘ privé ‘  ce  qui  est réservé  à  certains  et  fermé  aux  autres, alors  que  ce  qui  est  ouvert  à  tous  est ‘public ‘.[3] »

Le philosophe Jügen Habermas met en exergue des conditions d’admission à ces deux espaces : l’espace privé est soumis au compromis, il n’est pas accessible à tout le monde mais à des individus spécifiques qui ont le droit d’y entrer, qui y appartiennent ou auxquels le droit d’accéder est accordé. L’espace public, lui, est soumis à la règle du consensus, ce qui signifie qu’il est accessible à tous, le consensus représentant une autorisation, une permission que l’on n’a pas besoin de demander mais qui est automatique.[4]

Dans ce sens, l’espace privé peut être représenté par un cercle limité dans lequel seules quelques personnes privilégiées peuvent accéder : notre propre maison ou notre espace domestique peut servir d’exemple concret puisque nous choisissons ceux qui peuvent y pénétrer, les portes représentent la limite et rappellent qu’elle n’est pas accessible à tout le monde. Le monde extérieur lui-même représente l’espace public : « Ce sont des rues et des places, des parvis et des boulevards, des jardins et des parcs, des plages et des sentiers forestiers, campagnards ou montagneux, bref, le réseau viaire et ses à-côtés qui permettent le libre mouvement de chacun, dans le double respect de l’accessibilité et de la gratuité.[5] »

Cependant, certains espaces publics peuvent être privés, et vice et versa. Il s’agit de lieux privés ouverts au public tels que les centres commerciaux, les galeries marchandes, etc. Paquot (2009), dans son ouvrage « L’espace public », souligne aussi la différence entre « espace public » et « espaces publics », au pluriel. Nous ne nous attarderons pas sur ce sujet mais lui adresserons seulement un petit clin d’œil pour le bien de notre mémoire : « L’espace public n’est pas géographique ou territorial, tandis que les espaces publics sont dans leur grande majorité physiques, localisés, délimités géographiquement[6]. »

Selon lui, les termes « espaces publics » sont utilisés par les architectes, les urbanistes ou les paysagistes et désignent des endroits que l’on peut localiser tandis que ceux d’« espace public » sont utilisés par les sciences de la communication ou la philosophie politique.[7]  Notre mémoire traitera des deux à la fois puisqu’il s’inscrit dans un contexte à la fois politique et social et traite d’architecture. Un point commun relie ces expressions : la communication puisque ce sont tous des espaces dans lesquels on peut communiquer, des espaces collectifs, sociaux et de rencontre, comme nous allons le voir dans la section suivante.

En Iran, l’espace privé se différencie de l’espace public par le fait que les femmes y sont plus libres car les contraintes imposées à la fréquentation de l’espace public n’y sont pas en vigueur. La photo ci-dessous le montre : nous sommes en présence d’un foyer à Téhéran, d’un espace privé, plus précisément domestique. La photo illustre une famille iranienne dans l’espace privé dans lequel les femmes peuvent choisir la façon dont elles veulent s’habiller. Sur la photo, nous voyons une femme qui porte son foulard en présence de ces « nahamram », des hommes qui ne font pas partie de la famille proche du frère, du père, de l’oncle ou du mari. Les autres femmes, elles, choisissent de ne pas porter le Hijab. Aucune obligation n’est émise, chacune s’habille selon ses aspirations dans l’espace privé. Mais nous verrons plus bas que malgré l’existence de liberté dans cet espace, les femmes n’y ont pas les pleins pouvoirs.

Cliché 1. Une famille iranienne dans l’espace privé. Source : Najjary Setareh (ma sœur)

1.2.Un espace dit collectif, social,  de rencontre et libre sans appropriation (personne n’en est propriétaire, il est accessible librement à tout le monde)

 

Comme l’adjectif public l’indique, l’espace public est un lieu collectif, social et de rencontre. Cela signifie qu’il sert de point de rencontre et d’échanges entre de nombreuses personnes. C’est une vaste interface de communication utilisée au quotidien pour se ressourcer, se faire plaisir et profiter de la vie. C’est une place accessible à tout le monde, sans contraintes, puisqu’il n’appartient à personne d’un point de vue légal. Tout le monde peut y circuler librement car personne n’en est propriétaire. C’est une propriété publique dans laquelle et pour laquelle tout un chacun s’engage. Il n’est pas réellement régi par des règles spécifiques à part celles du savoir-vivre, du respect envers soi-même et envers les autres, du partage, etc. Il est donc avant tout dirigé par des valeurs morales que tout un chacun doit posséder en vue de ne pas le dégrader.

 

L’important est que chacun puisse y jouir de sa liberté sans empiéter sur celle des autres. Le terme public engage donc quand même des actions individuelles en vue de la préservation de l’espace public. Celui-ci peut, dans de nombreux cas, contenir des édifices ou des infrastructures servant à leur décoration, à leur usage, etc. Ceux-ci sont entretenus par des personnes spécifiques mais leur viabilité dépend du respect que les usagers leur vouent.

2.      Bref historique de l’accès à l’espace public par les femmes

 

2.1.L’espace public au Téhéran, une proscription de la présence féminine et un voilement

 

Les femmes à Téhéran, avant le règne de Pahlavi, étaient soumises au port du voile. Avec ce voilement, nous assistons à une perte progressive de la place de la femme et au changement de son rôle dans la société iranienne à l’époque après l’Islam. Elle a été éloignée non seulement de la vie politique de la société mais aussi de la vie sociale en dehors de la vie privée. L’accès aux espaces publics lui a donc été proscrit. C’est peu avant et durant la Révolution constitutionnelle (1905-1911) que les femmes ont commencé à revendiquer leur place dans la société. Le premier rôle important des femmes iraniennes dans l’histoire de l’Iran consiste en leur participation dans les mouvements de la constitution à l’époque de Qadjar (1781-1925). Cette époque marque le début de leur sillage et leur implication dans les affaires sociales ainsi que la découverte d’un rôle important et différent qu’elles jouent dans la société.

 

L’époque Qadjar marque un tournant pour les femmes iraniennes puisqu’elle symbolise le début de leurs manifestations contre les injustices sociales. Une solidarité entre hommes et femmes, mais aussi entre femmes, est née et les vagues de mouvements révolutionnaires qui ont débuté en Europe et en Asie ont déferlé en Iran. Elles ont non seulement participé aux manifestations contre les injustices sociales mais en ont aussi organisé certaines. Parmi ces injustices, nous retrouvons la création de famine artificielle pour hausser le prix du pain et la pénurie. [8] Cette époque marque également l’engagement des femmes dans des combats culturels et leur usage de nouvelles méthodes de combat telles que la création de communautés, la publication de journaux et de magazines et la fondation d’écoles. Les femmes ont activement participé dans la révolution constitutionnelle via ces luttes, d’un point de vue politique et social. Elles se sont rendu compte de l’influence du manque d’alphabétisation sur leur sous-développement. Elles ont donc commencé à apprendre et à utiliser ces nouvelles méthodes pour  pouvoir défendre leur droit dans la société et dans la vie en dehors de la vie privée. Apres ces mouvements, les premières écoles féminines ont été fondées, les organisations de femmes  ont  été  créées  et  la publication  de  tracts  a commencé.

 

2.2.Le dévoilement sous Pahlavi

 

Reza Shah Pahlavi 1er, influencé par les pratiques et le code vestimentaire moderne occidentaux, a créé la loi en faveur du dévoilement adoptée le 08 janvier 1936. Le port du hijab (voile, foulard, tchador, etc.) a donc été aboli, apportant aux femmes plus de liberté. Le dévoilement et la liberté inconditionnelle marquent le règne de Pahlavi 1er. Toutefois, Pahlavi n’a pas lui-même introduit le dévoilement (action d’enlever ou de ne pas mettre son voile). En effet, les premiers signes de dévoilement sont apparus bien avant, notamment lors du discours de «  Tahereh Qoratolein » en 1886, dans le tribunal de « Naseredin shah Qadjar » et dans les milieux intellectuels.

Le dévoilement a d’abord investi les milieux intellectuels et la poésie sous une forme progressiste, avant d’être réfléchi par la presse. 1922 marque le début de critiques plus simples à son égard mais aussi la remise en question du port du voile par les groupes actifs de mouvements des femmes en Iran. Le dévoilement représente avant tout une liberté pour les femmes qui l’accueillent bien, en général.

Durant le règne de Pahlavi, c’est l’Etat lui-même qui a permis aux femmes de circuler librement dans les espaces publics sans être obligées d’être toujours voilées. Pahlavi offre la liberté aux femmes sous forme de dévoilement, mais son accueil reste mitigé puisque certaines femmes s’y complaisent tandis que d’autres y voient une dérogation à l’islam. L’Etat leur a donc offert une forme de liberté qu’elles ont chérie. La loi a cependant été dissoute à la fin du règne de Pahlavi en 1941 et le port du hijab a de nouveau été obligatoire.

2.3.Ouverture de l’accès aux espaces publics aux femmes grâce à la Révolution Iranienne de 1979 : le « re-voilement »

 

C’est Ayatollah Khomeiny, chef du gouvernement islamique, qui a introduit l’obligation du port du voile dans les espaces publics pour les femmes, en 1979. A cette époque, comme actuellement, désobéir à cette loi valait sanction : le code pénal islamique approuvé en 1984 condamnait les femmes qui transgressaient cette loi au paiement d’amende ou même à l’arrestation. D’où la présence permanente des policiers dans les espaces publics à Téhéran, vêtus de leurs uniformes et prêts à assaillir toute femme dont le voile n’est pas réglementaire ou qui est dévoilées. Suite à cette loi, ce sont les femmes elles-mêmes qui procèdent au dévoilement pour revendiquer leur liberté et l’accès aux espaces publics. Le voile restreignant leur liberté puisqu’elles ne peuvent pas montrer leur tête et qu’elles ne peuvent sortir sans lui dans les espaces publics, les femmes ont manifesté contre cette obligation[9] et ont résisté en optant pour le dévoilement (abolition du port du voile).

Le port du voile constitue une ruse de Khomeiny qui a pourtant promis aux femmes qui l’ont fortement soutenu durant la révolution islamique que leurs droits seraient mieux appliqués. Khomeiny conditionne donc l’accès aux espaces publics : les femmes voilées peuvent accéder aux espaces publics, étudier dans les universités et obtenir leur diplôme et même entrer au sein des services publics. Sans voile, ces privilèges leur sont retirées, d’où le mécontentement des femmes et la contestation par celles-ci du régime des Ayatollahs. Pour le manifester, elles se dévoilent entièrement ou partiellement en investissant l’espace public.

Dans leur cas, résister ne signifie pas uniquement se battre, mais avant tout s’exprimer. La liberté d’expression est un droit presque inexistant à Téhéran, surtout pour les femmes. La prise de pouvoir de l’Imam Khomeiny en 1979 a restreint de nombreuses libertés dont la liberté de conscience, la liberté d’expression et la liberté des femmes et a imposé le port du tchador (voile) à ces dernières[10]. La restriction de leur liberté et/ou sa suppression conduit les femmes à s’exprimer, et puisque les médias et les autorités compétentes n’écoutent pas leurs demandes, elles se tournent vers la résistance.

2.4.Les femmes et le droit à la ville

 

Le droit à la ville est un droit de participation à la vie sociale, à la vie politique et à la vie culturelle et un droit à la valeur d’usage de l’espace urbain. C’est un droit aux activités sociales, aux relations qui s’y attachent, à l’expression, etc. Ce droit englobe de nombreux autres droits tels que le droit à l’espace politique, à l’espace public, de dessiner et d’élaborer les espaces publics et de les définir, de ne pas subir de violences policières, de ne pas êtres surveillés [en permanence], à un environnement sain, etc.[11]

 

Le droit à la ville (DAV) est un concept dû au philosophe et sociologue Henri Lefebvre (1901-1991). Dans son ouvrage « Le droit à la ville », il précise les spécificités du DAV : « Le droit à la ville ne peut se concevoir comme un simple droit de visite ou de retour vers les villes traditionnelles. Il ne peut se formuler que comme un droit à la vie urbaine, transformée, renouvelée »[12] Henri Lefebvre, par la sortie de cet ouvrage et l’exposition de ses idées, repense la notion de ville et d’urbanité. Il distingue la ville de l’urbain : « Il a donc lieu de distinguer la morphologie matérielle et la morphologie        sociale. Peut-être devrions-nous ici introduire une distinction entre la ville, réalité présente, immédiate, donnée, pratico-sensible, architecturale, et d’autre part l’urbain, réalité sociale composée de rapports à concevoir, à construire ou reconstruire par la pensée[13] »

 

Par cette distinction, le philosophe et sociologue montre que la ville est perçue dans sa conception architecturale brute. On peut la toucher du regard, elle est faite de maisons, de rues, d’espaces publics, etc. Elle est matérielle et palpable, contrairement à l’urbain qui rejoint notre perception de l’espace public : une interface sociale qui permet les échanges. C’est dans l’urbain que les relations sociales se construisent et s’affermissent, d’où la considération de l’espace public comme étant urbain. Le droit à la ville est accordé autant aux hommes qu’aux femmes. Dans Le droit à la ville, Lefebvre met en évidence la situation des ouvriers en proie à une forte volonté d’acquérir et de faire valoir leur droit à la ville. Leur situation peut être assimilée à celle des femmes à Téhéran actuellement.

 

La situation sociale des noirs dans l’ouvrage est similaire à celle des femmes iraniennes qui, comme ces derniers, sont aussi envoyées dans les périphéries de la ville. A Téhéran, le droit à la ville pour les femmes n’est ni reconnu ni appliqué. Et les politiques sociales mises en place ne font que pallier partiellement à ce problème. A titre d’exemple, la création de « parcs féminins » destinés uniquement aux femmes et dans lesquels elles jouissent d’une liberté totale, est paradoxale. En effet, ces parcs féminins permettent l’échange, mais uniquement entre les femmes. Lefebvre explique que le DAV à la ville est rendu réel grâce à des moments précis associés aux configurations morphologiques d’un espace. En d’autres termes, le DAV est pleinement exprimé lorsque les femmes peuvent profiter de moments tels que les fêtes et les loisirs organisés dans cet espace.

 

3.      Exemple d’interdits

 

Il est intéressant de constater que la place de la femme dans l’espace public à Téhéran revêt plusieurs enjeux dont les principaux sont la politique et le social. En termes de politique, l’Etat se sert de cette place à des fins de propagande et pour avoir plus de partisans féminins. Il fait miroiter de nombreuses promesses aux femmes et leur accorde l’accès aux espaces publics mais ne cesse pas de les contrôler. Ce contrôle se manifeste par les contraintes que nous développerons dans la prochaine section. La liberté conditionnée des femmes n’est pas le seul motif de découragement de ces dernières en termes de fréquentation des espaces publics.

 

En véritables conservateurs, la religion et l’Etat empêchent la promotion de la femme dans les espaces sous plusieurs formes. Ainsi, nous pouvons relever de nombreux interdits et/ou restrictions tels que la publication de photographies de femmes dans la presse. Cette dernière, bien que permise, est soumise à des restrictions extrêmement invraisemblables. Ces dernières sont excusées par le fait d’être contre la marchandisation des femmes. Khomeiny a également mis en place certains interdits concernant les femmes dans l’espace public. La seule restriction à l’usage de la musique qui reste appliquée aujourd’hui parmi celles qu’il a instituées est l’interdiction de chant de la voix des femmes dans l’espace public. Ainsi, les femmes n’ont pas le droit de chanter dans les espaces publics. En outre, elles n’ont pas le droit de fréquenter les espaces publics non mixtes au regard de la religion et de la conservation de la pureté sexuelle.

4.      Accéder à l’espace public sous plusieurs conditions étatiques, sociétales et religieuses

 

4.1.L’obligation d’être accompagnées et de respecter les horaires de fréquentation imposés

 

Les sorties des femmes restent très réglementées, surtout dans les espaces publics. La tradition leur impose de rentrer avant le coucher du soleil et durant les heures de repas. Ces horaires de fréquentation sont imposés autant par l’Etat que par la religion. Auparavant, ils étaient respectés à la lettre, surtout par peur de l’insécurité qui régnait sans cesse. Actuellement, la soif de liberté et d’émancipation des femmes leur est tellement chère qu’elles passent outre leur peur et osent sortir la nuit ou rentrer après les heures indues, comme le constatent Saïdi-Shahrouz et Guérin-Pace (2011) : « […] malgré les effets de dénonciation de la violence dans l’espace public, très présente dans la presse locale, nombreuses sont les femmes qui rentrent après la tombée de la nuit[14]. »

Les femmes transgressent donc la tradition et osent rentrer plus tard que les heures prévues. Ceci est dû à leur rébellion et leur lutte, mais aussi à l’amoindrissement de leur peur de rester dehors tard. Les études constituent aussi, pour les jeunes femmes, une des raisons qui les fait rentrer tard chez elles.[15] Certains de nos clichés montrent des femmes qui transgressent l’horaire de fréquentation imposé et sont dehors la nuit. La plupart des photos les montrent en compagnie d’hommes, souvent pour célébrer leur victoire face à l’acceptation de leurs revendications ou des causes qu’elles défendent et souligner un fait : une solidarité entre hommes et femmes existe en termes de lutte contre le pouvoir en place pour la fréquentation des espaces publics. Seuls quelques uns montrent des femmes seules la nuit qui se prennent en photo pour montrer leur transgression, comme le cliché ci-dessous le témoigne :

Cliché 2. Une jeune iranienne qui se prend en photo seule la nuit. Source : My Stealthy Freedom.

Bien qu’elle pose seule sur l’image, nous ne disposons pas d’assez d’éléments pour affirmer qu’elle se trouvait bien seule, sans être accompagnée (sa pose montre qu’elle a été photographiée par une tierce personne). Cette jeune femme, en se trouvant dehors la nuit, sans tchador ni même un foulard, fait passer un message clair envers les autorités compétentes et ses semblables et rend un témoignage très déterminé :

 « J’aimerai nous voir libres, être nous-mêmes ! J’aimerai qu’il n’y ait aucune humiliation, être humiliées sur notre façon de nous habiller ou de penser. En définitive, nous sommes tous des êtres humains avec un cœur. Alors pourquoi nous insulter et être irrespectueux ?!
Pourquoi notre liberté devrait-elle être furtive ?
Pourquoi nous crois-t-on sur le mauvais chemin ?
J’espère le jour où nous tous, hommes et femmes ensemble, fêterons l’humanité.
J’espère un monde sans aucune furtivité ».

Celle liberté furtive dont elle parle consiste en la possibilité de fréquenter les espaces publics avec l’obligation de rentrer à des heures indues. Ce type de condition empêche les femmes de profiter plus longtemps de ces espaces, de la compagnie d’autres femmes ou d’amis, etc. Certaines femmes, du fait de ces horaires de fréquentation, des interdits et de l’insécurité, se résignent à ne se déplacer que durant les heures autorisées vers des endroits proches de leur foyer[16]. D’autres se soustraient pourtant à ces règles, et nos clichés indiquent que ce sont surtout les jeunes femmes qui osent braver les interdits pour pouvoir se déplacer librement dans la ville.

Saïdi-Shahrouz (2004) affirme que les femmes « négocient en permanence avec les hommes et avec les autorités  leur présence dans l’espace public et utilisent une variété de stratégies pour  continuer à se mouvoir hors de leur maison[17]» En effet, ce ne sont pas seulement l’Etat et la religion qui dictent des lois à la défaveur de la liberté quotidienne des femmes, mais aussi les hommes, qu’il s’agisse de leur père, de leur frère, de leur conjoint, etc. Ces derniers imposent non seulement l’horaire de fréquentation, mais aussi l’obligation d’être accompagnées aux femmes. Ainsi, les hommes les accompagnent ou les fait accompagner et en même temps surveiller lorsqu’elles sortent en ville. Il s’agit d’une liberté conditionnée qui en répugne plus d’une.

La transgression amène cependant les femmes à contourner cet accompagnement et à se rebeller pour y échapper. Pour les femmes, aller au cinéma, fréquenter les cafés et parcs sans leur famille est synonyme de transgression lorsqu’elles ne sont ni accompagnées, ni vêtues selon la tradition en fonction du type de déplacement, ni respectueuses envers les horaires de fréquentation.[18]

4.2.L’obligation liée à la tenue vestimentaire (port obligatoire du voile, etc.)

 

Pour pouvoir accéder aux espaces publics, les femmes sont soumises à des conditions d’accès plutôt limitatives telles que le port du voile ou hejab. Le port du voile a d’abord été imposé aux femmes travaillant dans le secteur public ou au sein d’institutions gouvernementales. L’Etat islamique a élargi ce port du voile à toutes les iraniennes en 1981 : désormais, elles ne peuvent plus circuler en dehors de chez elles sans leur voile, leurs cheveux devant être couverts. (Paidar, 1995).[19]

Le port du voile à cette époque -comme actuellement- était bénéfique pour les femmes puisqu’il leur permettait de fréquenter les espaces publics et de participer à la vie sociale, notamment en fréquentant les universités, etc. :

Ainsi l’imposition du port du voile a-t-elle eu pour ces dernières des conséquences bénéfiques: du fait de l’islamisation de l’espace public, elles ont pu assurer leur ascension sociale avec l’autorisation de leurs familles. Nombre d’entre elles ont réussi à entreprendre des études supérieures, à travailler, à s’affirmer et à s’autonomiser vis-à-vis des hommes, de leur famille et de leur entourage, et sont parvenues à contester leur pouvoir.[20]

Le voile représente une liberté qui reste néanmoins contrôlée et partielle. Son institution et son obligation sont caractéristiques du régime islamique iranien. Lors de son institution, les récalcitrantes étaient démunies de leur travail mais aussi éloignées de la sphère publique puisqu’elles s’opposaient donc à l’ordre moral islamiste en vigueur.

Les lois régissant l’espace privé et l’espace public à Téhéran sont différentes. Toutes les femmes doivent avoir le corps et la tête couverte dans l’espace public alors que seules les familles traditionnelles et la couche urbaine populaire sont soumises à cette loi dans l’espace privé. Les autres femmes sont donc non couvertes chez elles. Les femmes adoptent différentes tenues selon le type de déplacement : le tchador de couleur noir est la plus portée (46% des femmes), ensuite vient le « mantô-roussari » ou « blouse-foulard » (33%), puis le « mantô-maghna-é » (blouse et cagoule de couleur sombre (18%)[21].

Par l’intermédiaire de leur enquête, Saïdi-Shahrouz et Guérin-Pace ont non seulement mis en évidence le port de tenues différentes en fonction du type de déplacement, mais aussi en fonction de l’âge ou de la provenance de la femme. En termes de déplacement, le tchador est privilégié autant par les jeunes femmes que par les plus âgées lors de visites à la famille. Il est aussi porté pour de petits déplacements tels les courses. En termes d’âge, le port du tchador au quotidien ou fréquent concerne surtout des femmes de 25 ans et plus. Par contre, les jeunes préfèrent le foulard qu’elles nouent simplement dans leur déplacement quotidien, surtout lorsqu’elles font du sport. Le foulard est l’apanage des jeunes femmes de moins de 25 ans qui les portent quotidiennement. Ce geste témoigne de leur volonté de transgresser les règles et lois qui les rendent invisibles dans les espaces publics.[22]

Les photos dont nous disposons confirment ces constats puisque la majorité d’entre elles montrent des jeunes femmes qui portent des foulards et non le tchador. Il s’agit très souvent de femmes très jeunes, comme la photo suivante nous le montre. Ainsi, ce sont surtout les jeunes femmes qui militent pour leur liberté de fréquentation des espaces publics. Nos clichés le confirment puisque la plus grande majorité met en scène de jeunes femmes transgressant les lois, qui manifestent dans les rues sans porter de voile ni de foulard, la tête découverte, avec des tenues légères et contraires aux vêtements amples dictés par la loi islamique.

Cliché 3. Une jeune femme qui porte un foulard noué à son cou. Photo prise à la dérobée.

Les clichés comme celui-ci et ceux que nous avons intégrés dans ce mémoire montrent aussi que le foulard porté est souvent coloré, surtout de couleur vive. Cette couleur représente déjà une transgression puisque la loi parle d’un voile de couleur sombre alors que ces jeunes femmes portent surtout des foulards colorés, souvent à la mode.

5.      La ségrégation sociale et les violences envers les femmes dans les espaces publics

 

5.1.La ville et les espaces publics, des endroits dangereux pour la femme

 

La sécurité est un des critères de taille qui définissent l’envie de sortir ou non de chez soi. La sécurité est un des principes relatifs au développement social, culturel et économique de chaque ville. D’elle dépend également son développement économique. La sécurité ne concerne pas uniquement le physique, mais aussi la sécurité économique, professionnelle, culturelle, etc. La plupart du temps, les femmes ne se sentent pas en sécurité en dehors de chez elles. D’une part, les agressions constituent un danger constant en dehors de l’espace privé, d’autre part, la surveillance constante de la milice des mœurs représente aussi une crainte, surtout pour les femmes qui militent ou qui aimeraient pouvoir se dévoiler ou porter des voiles non-réglementaires dans les espaces publics. Contrairement aux femmes, les hommes circulent librement dans ces lieux publics sans crainte.

L’insécurité et le danger dans certaines zones à Téhéran ont évolué avec le temps. Auparavant, les quartiers sud et populaires de Téhéran étaient les plus craints et les moins fréquentés par les femmes du fait des nombreux voyous « aux coups épais » qui y sévissaient.[23] Cette peur s’est surtout manifestée avant la révolution pour les femmes de plus de 50 ans interrogées par Saïdi-Shahrouz. Ces quartiers étaient les plus dangereux et servaient de repaires aux drogués et aux tireurs de couteaux « tchaghou kesh ». Actuellement, ces femmes ne se sentent en sécurité nulle part en dehors de chez elles, une partie d’entre elles affirme ne pas être en sécurité dès qu’elles sortent de chez elles.

Cependant, si le danger était auparavant représenté par les voyous et leur agression, il est aujourd’hui assimilé aux contrôles de la milice. En effet, parce qu’elles investissent les espaces publics sans respecter la loi et les règles qui s’y attachent, elles craignent avant tout la milice qui peut se montrer impitoyable et les arrêter, pour ne les relâcher par la suite que contre un paiement d’amende. D’un autre côté, certaines femmes voient en la présence de la milice une sécurité pour leur vie. En effet, elles ne craignent pas les cas de vol ou d’agression et circulent plus sereinement dans les espaces publics car la zone est sécurisée par ces policiers.

Le sentiment d’insécurité qui habite les femmes à Téhéran est influencé par les médias qui relatent quotidiennement des faits divers et des rumeurs sur des agressions faites aux femmes durant la nuit. Ainsi, il existe une période propice à la fréquentation des espaces publics. Dans tous les cas, elles sont sujettes à divers types d’agressions lorsqu’elles se trouvent dehors la nuit. La circulation de nuit est donc interdite aux femmes, surtout si elles sont seules. Il en est autrement si elles sont au volant de leur voiture ou dans un taxi privé. Seules les professionnelles de la prostitution peuvent circuler à pied ou investir les trottoirs de la ville le soir.[24]

5.2.L’importance de la sécurité en dehors du cadre privé

 

Ainsi, les femmes recherchent la sécurité lorsqu’elles sortent en dehors du cadre privé, surtout lorsqu’elles fréquentent les espaces publics seules, on accompagnées par des hommes ou d’autres femmes. Nombreuses sont les méthodes adoptées pour assurer leur sécurité. Le déplacement en bus reste un des moyens de transport préférés des femmes (36% de leurs déplacements quotidien) de par son confort, mais surtout de la sécurité qu’il offre[25]. Le bus leur sert également d’espace public de liberté, au regard de la séparation sexuée qui leur procure une intimité et plus de liberté d’échanger entre elles sans présence masculine. Elles n’ont donc pas à adopter un comportement trop réservé dans les bus étant donné qu’elles se retrouvent entre elles, sans hommes pour les juger.

Le fait d’être accompagnées représente aussi plus de sécurité pour certaines femmes qui fréquentent les espaces publics. Si certaines femmes craignent la présence masculine ou préfèrent s’y soustraite pour plus de liberté, d’autres la supportent ou l’apprécient même du fait qu’elle garantit plus de sécurité. A titre d’exemple, lorsqu’une femme seule se fait photographier dans la rue, elle presse les pas ou fait semblant de ne pas être consciente qu’on la photographie. Accompagnée par un homme, elle se sent plus en sécurité, « l’homme étant la manifestation physique de la ‘horma’, celle-ci étant fortement liée à la notion de ‘’nif’’ (honneur) et qui le fera réagir[26]. » A Téhéran, certaines femmes éprouvent aussi de la sécurité lorsqu’elles sont accompagnées par des hommes dans les espaces publics. Par contre, il existe d’autres qui voient en eux un symbole d’insécurité, cela dépend de tout un chacun.

Ainsi, deux types de femmes sont donc visibles : d’un côté, il y a celles qui craignent la présence masculine à cause d’actes d’agressions ou de vol et d’un autre côté, on retrouve celles qui préfèrent voir des hommes aux alentours lorsqu’elles sont dans des espaces publics car cela leur garantit la sécurité. Evidemment, le premier type est transgressif (ces femmes ne portent pas de voile ou le portent mal) tandis que le second est plus conciliant (elles préfèrent porter le voile correctement et ne transgressent pas la loi islamique). Dans d’autres pays, comme l’Algérie, les femmes qui investissent les espaces publics préfèrent la présence masculine et font de la sécurité un facteur de choix de l’itinéraire. Pour elles, plus l’espace public est fréquenté, plus elles sont en sécurité. Et la présence masculine représente plus une sécurité qu’une gêne.[27]

5.3.La domination masculine dans les espaces publics à Téhéran (ségrégation sexuelle)

 

En Iran, les femmes subissent la discrimination et la domination masculine[28] que ce soit dans l’espace privé ou dans les espaces publics. Les pays islamiques dont le Téhéran fait partie sont sous la domination patriarcale. Le père est le chef de famille, il décide de tout et commande autant sa femme que ses enfants. La femme est cantonnée au rôle d’épouse et de mère de famille chargée de l’éducation et de la transmission des valeurs. La femme est donc considérée comme inférieure à l’homme dans la famille. Le père de famille est synonyme de protection et pourvoit aux besoins de la famille. La domination masculine dans la famille est illustrée par l’autorité absolue du père mais aussi par la supériorité des hommes tels que les frères, les fils, etc. par rapport aux femmes.

 

La séparation des hommes et des femmes dans tous les types d’espaces est aussi une marque de cette domination : « L’espace a toujours été inégalement réparti entre les femmes et les hommes. Les femmes utilisent une partie seulement de la maison et les hommes toute la ville[29] ». Cette séparation des hommes et des femmes dans tous les types d’espaces résulte du nâmus ou honneur personnel relatif à la pureté sexuelle et lié étroitement à la culture musulmane.[30] Cet honneur personnel fait de la femme un patrimoine de l’homme qu’il doit défendre. La sexuation des espaces dans la maison a été instaurée dans le but d’empêcher les hommes et les femmes de se rencontrer dans le but de conserver cette pureté sexuelle. Saïdi-Shahrouz (1985) a réalisé une carte représentant ces espaces domestiques sexués. Elle met en évidence les espaces fréquentables par les hommes et ceux fréquentables par les femmes :

 

Cliché 4. Les espaces sexués d’une maison traditionnelle. Source : Saidi-Shahrouz M., 1985 : http://ema.revues.org/docannexe/image/2996/img-1.png

 

L’infériorité de la femme par rapport à l’homme est même soulignée par la loi. Le code pénal à Téhéran indique, par exemple, que « le prix du sang (diyeh) des femmes est la moitié de celui des hommes, et le témoignage d’une femme dans une affaire pénale n’est accepté qu’à condition d’être corroboré par celui d’un homme. Le droit successoral, quant à lui, reste inchangé, les femmes héritant de la moitié de la part des hommes.[31] »

 

Dans l’espace public, les hommes sont plus libres que les femmes puisqu’ils ne font l’objet d’aucune contrainte. Au contraire, ils font la loi et discriminent les femmes ou les harcèlent lorsqu’elles osent les fréquenter, surtout lorsqu’elles transgressent les règles relatives aux tenues vestimentaires, aux horaires de fréquentation, à l’obligation d’être accompagnées, etc.

 

 

 

 

 

 

 

II.                L’accès à l’espace public : les formes de contestation

Dans se second axe, nous allons traiter des moyens utilisés par les femmes à Téhéran pour qu’on leur accorde le droit de fréquenter [librement] les espaces publics : la résistance et la transgression. Nous illustrerons cette partie par deux types de corpus : un corpus officiel composé d’images officielles obtenues grâce aux médias et un corpus rebelle composé d’images recueillies à travers des réseaux sociaux, des blogs et des proches qui se trouvent sur place et peuvent nous communiquer des clichés démontrant la résistance des femmes face à l’interdiction qui leur est faite d’accéder aux espaces publics.

Ces clichés représentent, la plupart du temps, les formes de résistance auxquelles les femmes recourent pour militer en faveur de l’accès aux espaces publics. Les clichés officiels diffèrent des clichés rebelles de par leur source, mais aussi leur contenu. Les clichés officiels en notre possession proviennent des médias iraniens qui traitent du combat des femmes pour la liberté de fréquenter les espaces publics sans restriction. Ils représentent des affiches, des manifestations sous forme de grèves, etc. Il est à noter que les images officielles sont moins nombreuses que les images non officielles obtenues grâce aux sites internet, aux blogs et aux réseaux sociaux. Par contre, la plupart des images du corpus informel sont prises à la dérobée et l’on en ignore donc les sources exactes, sauf pour celles issues de la célèbre page Facebook MyStealthy Freedom et celles prises par ma sœur. De même, les images de ce corpus peuvent être retouchées ou travaillées étant donné que nous les avons eues grâce à internet et qu’aucune vérification quant à leur authenticité n’est possible.

La diversité et le nombre plus significatif des images constituant le corpus rebelle s’expliquent par la libre circulation de celles-ci sur internet. Internet constitue actuellement une zone de manifestation et de protestation de plus en plus exploitée par les féministes ou les femmes à Téhéran pour revendiquer le libre accès aux espaces publics. Les réseaux sociaux tels que Facebook, Twitter ou encore You tube deviennent l’apanage des militantes qui s’y expriment librement, en transgressant les nombreuses interdictions relatives à leur « genre ». Internet – les réseaux sociaux- représente à la fois un moyen de communication avec l’extérieur afin de mobiliser tout un chacun pour la cause de ces femmes, mais aussi un espace de liberté qui reste actuellement difficile à maîtriser. Les sites internet sont également un bon moyen de protestation, de résistance et de transgression. De nombreux sites internet de femmes militant pour leurs droits à la ville et à la liberté de penser et de circuler dans les espaces publics ou pour leurs droits en général existent à Téhéran, à l’exemple du site du mouvement des Mères du Parcs Laleh : « Le  mouvement  des  Mères  du  Parc  Laleh  a  créé  un  site  internet,  intitulé  Mournfulmothers,  qui dénonce  les  assassinats  de  leurs  enfants,  plaide  pour  la  justice  et  organise  le  mouvement  de protestation.[32] »

Bien que la contribution et l’expansion d’internet dans cette résistance soient importants, nous ne les traiterons que très peu dans ce travail du fait que cela dévie de notre contexte initial qui est l’espace public dans lequel on peut se rendre physiquement. Pour en revenir à nos corpus, les images qui les constituent ont été prises dans des espaces publics différents tels que des rues ou des parcs, les espaces publics de prédilection des manifestantes. Les clichés représentent, dans la plupart des cas, des femmes, des jeunes femmes dans la majorité, mais aussi des hommes qui les rejoignent dans leur manifestation. D’autres représentent les modes de transgression utilisés par les femmes qui s’adonnent publiquement à des débordements d’affection avec leur partenaire de sexe masculin ou adoptent des tenues modernes et non conformes aux normes iraniennes et islamiques.

Nous ne pouvons pas intégrer la totalité des images dans notre travail mais choisirons les plus représentatives et les analyserons pour qu’elles puissent confirmer ou infirmer notre hypothèse. En effet, les manifestations qu’elles conduisent ou auxquelles elles participent se déroulent toujours dans les espaces publics. Elles constituent donc aussi un moyen de féminisation de ces espaces publics que ces femmes investissent en masse en sachant que cela leur est interdit. Ce fait est clairement représenté dans les clichés qui montrent également l’emprise constante de l’Etat iranien sur les femmes et leur fréquentation des espaces publics : nous disposons de certains clichés qui montrent les milices de mœurs et les policiers interpeller les femmes dans les espaces publics dont les voiles ne sont pas conformes aux normes.

Aux côtés de ces images se trouvent des témoignages que nous avons recueillis dont le rôle est d’appuyer ces clichés, mais aussi de leur donner plus de poids et de valeur. Les corpus ne feront pas l’objet d’un chapitre particulier mais ont été dispersés dans toutes les parties du mémoire. Nous jugeons plus opportun de les intégrer dans notre rédaction au fur et à mesure que les sections sont abordées.

Nous les avons donc mélangés à notre apport personnel et aux différentes informations issues de nos documentations. Nous les étudierons, analyserons, interpréterons et utiliserons de la manière la plus objective possible.

  1. La symbolique de la résistance

1.1. La résistance comme forme d’expression

 

A Téhéran, les femmes n’acceptent pas facilement l’interdiction de fréquenter les espaces publics et s’opposent aux lois et autorités pour se faire entendre, pour s’exprimer et faire valoir leurs droits. Pour ce faire, elles recourent à la résistance, ce qui signifie qu’elles contestent les lois et s’y opposent. Par définition, la résistance représente l’« action de résister à une autorité, de s’opposer à ce qu’on n’approuve pas[33] ». Les femmes désapprouvent le fait qu’elles n’aient pas accès aux espaces publics et le fait que lorsqu’elles peuvent les fréquenter, elles sont soumises à des conditions qui restreignent leur liberté et les empêchent de jouir longtemps de celle-ci dans ces espaces.

La résistance sert de communication aux femmes à Téhéran. Elles investissent les lieux publics et transgressent les lois ou conduisent des manifestations dans les espaces publics pour communiquer leur indignation et montrer leur envie et leur besoin de fréquenter librement ces espaces. Elles s’expriment sur ce qu’elles veulent, ce qu’elles recherchent, ce dont elles ont besoin et ce qui leur manque au regard de ces lois qui limitent leur existence.

L’image suivante, issue du média BBC Persan, témoigne de cette expression qui se manifeste ici par le brandissement d’un placarde portant l’inscription suivante : « Nous les femmes condamnons toutes les discriminations ».

Cliché 5. Écriteau brandi lors d’une manifestation de femmes contre la discrimination. Source : Asieh Amini (article du 7 mars 2011), BBC persian : http://www.bbc.co.uk/persian/iran/2011/03/110302_l25_amini_women_day_iwd2011.shtml

Les affiches et les placardes sont un moyen d’expression des plus utilisés et sollicités par les femmes pour leur cause. La discrimination dont il est question ici est celle relative à leur genre : interdiction de fréquenter [librement] les espaces publics, discriminations sur le lieu de travail ou à l’’université, obligation du port du voile ou de vêtements amples alors que les hommes ont le droit de s’habiller comme ils veulent, etc. La photo suivante le prouve, mais a été prise dans un espace public tout à fait différent : un métro. Elle a été empruntée à une célèbre page Facebook : My Stealhy Freedom.

Cliché 6. Des militantes de l’ONG « Women Citizenship Center » durant la Journée Mondiale des Droits des Femmes le 08 mars 2015, dans un métro conduisant vers l’université technique de Sharif à Téhéran. Source : My Stealthy Freedom https://www.facebook.com/StealthyFreedom?fref=ts

La page « My Stealthy Freedom » (Mon évasion furtive) a été créée par Masih Alinejad, une journaliste iranienne en exil au Royaume-Uni[34], pour défendre les femmes en Iran, surtout en termes de code vestimentaire qu’il faut adopter pour pouvoir être dehors et fréquenter les espaces publics. Cette page a un grand succès à Téhéran. Le cliché ci-dessus a été pris durant la Journée Mondiale des Droits des Femmes le 08 mars 2015 et montre des membres de l’ONG « Women Citizenship Center » ou Centre Citoyen des Femmes.

Cette ONG, à l’occasion du 08 mars, a organisé deux évènements qui ont été annulés faute d’espace public pour les accueillir. Alors que ses membres ont déployé maints efforts dans ce sens depuis le mois de février 2015, elles ont dû se résoudre à leur annulation, sans pour autant renoncer. La preuve, elles ont choisi un espace public bien insolite comme le prouve cette photo : un métro. Le métro conduit à l’université technique de Sharif à Téhéran et le moyen d’expression utilisé ici est aussi le placarde. D’autres espaces publics tels que les bus, les rues, les universités et la Maison du Cinéma ont été investis du matin au soir par des membres de cette ONG pour célébrer cette journée mémorable pour les femmes. Durant leur manifestation, elles ont distribué des bonbons et salué les hommes de leur pays.

En étudiant de près notre cliché, nous voyons une forme de transgression que nous allons étudier plus bas : le port d’un voile non-réglementaire. Si la loi exige un voile qui cache entièrement les cheveux, le leur en montre pourtant assez. La majorité des photos issues des deux corpus montrent des femmes qui portent le tchador de cette manière. Loin de se dévoiler entièrement, les femmes expriment leur soif de liberté par un dévoilement partiel qui signifie qu’elles respectent quand même la loi, mais à leur manière. Il est important de noter ici que le premier cliché est issu du corpus formel et le second du corpus informel.

1.2. La résistance pour trouver un espace dans lequel les femmes peuvent s’exprimer et pour accéder aux espaces publics

 

Il est important de souligner ici que l’interdiction de fréquenter les espaces publics n’est pas absolue, ce qui signifie que les femmes peuvent quand même y accéder mais sous diverses conditions telles que l’accompagnement, la visite furtive, le port du voile, etc. En d’autres termes, l’accès aux espaces publics est comparable à une cage dorée : elles peuvent s’y aventurer mais ne sont pas libres de faire ce qu’elles veulent. Elles n’y ont donc aucune liberté.

Dans ces espaces publics, les femmes doivent se montrer réservées et obéir aux conditions étatiques et religieuses qui leur sont imposées. L’Etat les surveille constamment : lorsque le voile qu’elles portent n’est pas conforme à la loi (fait dépasser quelques mèches de leurs cheveux), les milices des mœurs qui rodent autour des espaces publics les interpellent, comme nous le montrent les images suivantes :

Clichés 7. Interpellation des milices des mœurs des femmes dont le voile n’est pas conforme aux normes. Source : Les femmes et l’espace public sous la République islamique d’Iran : de la résistance à la subversion de Marie Ladier-Fouladi CNRS – EHESS (IIAC/TRAM)

Malgré la revendication de leur liberté, on observe une résistance passive et silencieuse ou une soumission à l’Etat manifestée par certaines femmes, ce qui met en évidence un fait important : la résistance ne concerne pas toutes les femmes à Téhéran. L’enquête menée par Saïdi-Shahrouz en 2007 confirme ce fait. Intitulée « Mobilité  quotidienne  des  femmes  à  Téhéran » (MFT), elle met en évidence l’existence de deux groupes de femmes: un premier constitué de mères de familles qui se soumettent au port du voile et aux restrictions relatives à leurs sorties dans les espaces publics (proximité, temps limité, etc.) et un second composé de femmes plus jeunes qui osent investir les espaces publics et y trouver leur place[35].

Ainsi, ce ne sont pas toutes les femmes qui résistent et manifestent pour leur liberté dans les espaces publics, mais surtout une catégorie bien distincte composée souvent de jeunes influencées par la modernité occidentale. L’enquête menée par Saïdi-Shahrouz en 2007 montre qu’il s’agit de jeunes femmes éduquées qui ont des pratiques opposées à celles attendues de leur part : 60% d’entre elles ne portent jamais le tchador et pour montrer qu’elles résistent en faveur de leur liberté dans les espaces publics, elles portent des voiles dont elles laissent dépasser quelques cheveux, au volant de leur voiture.[36]

Clichés 8. Une femme au volant de sa voiture qui porte un voile non réglementaire. Photo prise à la dérobée.

Clichés 9. Une forme de la résistance des femmes qui enlèvent leur foulard dans la voiture. Photo prise sur les routes des montagnes du nord de Téhéran. Source : Najjary Setareh (ma sœur)

1.3. La résistance comme symbole de l’existence des femmes

 

Par la volonté d’investigation des espaces publics, les femmes veulent faire passer un message : montrer leur existence. Les femmes à Téhéran sont mésestimées et reléguées au simple rang de mères de famille et d’épouses recluses dans l’espace privé et domestique. Les espaces publics tels que les rues et les parcs sont investis par de nombreux policiers qui vont même jusqu’à traquer les femmes. Les espaces publics représentent donc un espace de restriction dans lequel les femmes sont « invisibles » car soumises à trop de règles qui les empêchent de s’y sentir vivantes.

Les femmes ont besoin de pouvoir circuler et investir librement les espaces publics pour se sentir vivantes et rencontrer d’autres femmes et hommes, interagir et faire valoir leur existence pour défier l’invisibilité qui est la leur lorsqu’elles se trouvent dans ces espaces. Pour qu’elles puissent exister, elles doivent être reconnues. Cette reconnaissance passe par l’interaction avec l’extérieur, l’instruction, la citoyenneté, etc. ; et ces dernières s’obtiennent grâce à une mobilité libre et totale dans les espaces publics : « la mobilité spatiale des femmes peut être considérée comme un facteur majeur de changement qui leur offre dans  le quotidien, de nouvelles formes de sociabilité  –  hors tribu –, de nouveaux rapports aux hommes, l’accès à l’information, à la formation, au travail et à la citoyenneté[37] »

L’interaction avec autrui est importante pour se sentir en vie. Les femmes à Téhéran souhaitent investir les lieux publics pour pouvoir se retrouver entre elles et échanger librement sans se retenir et sans se soucier d’une durée de fréquentation imposée que ce soit par leurs proches ou par la loi. Et les clichés dont nous disposons montrent que la majorité des femmes qui peuvent se retrouver dans ces espaces publics est heureuse. Elles se retrouvent en groupe ou en masse et leur expression trahit leur joie, une joie qui peut refléter ce besoin d’exister et cette existence :

Cliché 10. Un groupe de jeunes femmes se réunissant dans un espace public. Source : (?)

L’existence des femmes passe par leur socialisation qui, elle, est favorisée par leurs droits, comme le confirme cette militante : « J’ai compris alors que l’activité sociale révolutionnaire perdait son sens quand les femmes perdaient leurs droits[38]. ». L’enquête menée par Saïdi-Shahrouz en 2007 rend compte de ce sentiment d’existence par l’interaction sociale dans l’espace public entre les femmes. Lorsqu’ils ont interrogé les femmes sur les lieux publics dont elles affectionnent la fréquentation, celles-ci ont répondu les lieux de culte tels que la mosquée et les lieux de pèlerinage tels que le cimetière et le mausolée. Pour elles, les fréquenter représente « plus qu’un devoir religieux, le plaisir d’une sociabilité quotidienne. »[39]. Les auteurs ont recueilli le témoignage d’une femme qui se retrouvait chaque soir avec d’autres femmes, avant et après la prière, pour lire le Coran, discuter et échanger leur opinion, leur interprétation, etc. Le témoignage reflète la joie que les femmes ressentent de pouvoir se retrouver ensemble dans les espaces publics.

Les femmes résistent donc pour exister, mais leurs revendications ne sont pas toujours prises en compte. En fait, leurs mouvements sont sévèrement sanctionnés. A titre d’exemple, lors des élections présidentielles iraniennes de 2009 et après celles-ci, de nombreuses femmes ont manifesté auprès de nombreux hommes. Ces manifestations se sont soldées par de nombreuses arrestations et des morts et on rapporte même un nombre croissant du nombre de femmes blessées, arrêtées, battues ou même tuées ou arrêtées en tant que prisonniers politiques depuis le 12 juin 2009. (Tohidi, 2009)[40]

2. Les formes de résistance rencontrées

2.1. Les manifestations, contestations, descentes dans les rues, etc.

 

Depuis la révolution de 1979, on retrouve toutes sortes de manifestations menées par les femmes ou dans lesquelles elles participent pour revendiquer leur droit de fréquenter librement les espaces publics ou pour exprimer leur mécontentement face aux nombreuses interdictions dont elles font l’objet et à la régression de leurs droits. Les lieux publics principaux choisis pour les manifestations sont la rue et les parcs. Favre (2007), dans son ouvrage intitulé « Les manifestations de rue entre espace privé et espaces publics », s’exprime comme suit : « La manière usuelle de considérer la manifestation de rue est de l’appréhender par son effet supposé, la sollicitation de l’espace public par l’action collective. ».[41] Cette action collective qui nécessite la sollicitation de l’espace public peut se montrer sous la forme de contestations et d’oppositions, de descentes dans les rues, etc.

Favre (2007) cite Pierre Chambat dans son ouvrage susmentionné et explique que les manifestations permettent de « poser un problème sur la scène publique, de transformer des préoccupations particulières […] en problèmes publics […][42]. » Les manifestations dirigées par les femmes ou dans lesquelles elles prennent part sont donc un moyen pour elles de sensibiliser les autres, surtout ceux auxquels elles s’opposent, afin qu’ils adhèrent à leur cause ou qu’ils accèdent à leurs requêtes. Les femmes organisent de nombreuses manifestations pour faire valoir leurs droits, surtout en termes de fréquentation des espaces publics.

Leur première manifestation significative est celle de 1979. Après la chute du Shah qui a quitté l’Iran le 16 janvier 1979, les femmes ont pu célébrer pour la première fois le 8 mars, la Journée internationale des femmes. Si leur joie a été à son comble, elles ont été frappées par la déclaration de Khomeiny qu’elles ont fortement soutenu durant la Révolution qui, la veille du 08 mars 1979, a décrété à Khom que les femmes doivent porter le voile islamique sur leur lieu de travail : « ‘ Les femmes musulmanes ne sont pas des poupées, elles doivent sortir voilées et ne pas se maquiller, elles peuvent avoir des activités sociales, mais avec le voile’[43] ». Les conséquences sont immédiates : « Dans les jours qui suivront, des dizaines de milliers de femmes iraniennes, braves et têtes nues, vont répondre au nouvel ordre religieux de toutes leurs forces, et nous allons assister et participer à ce qui sera la première contestation publique du régime des ayatollahs[44]. »

Un fait nous interpelle : c’est la Révolution islamique de 1979 en vue de renverser le Shah qui a permis aux femmes d’investir réellement et en masse l’espace public, via la manifestation contre son régime.[45] Depuis, les manifestations, contestations, oppositions et descentes de rue se sont faites plus fréquentes, le refrain reste le même : l’obtention de la liberté des femmes traitées en simple objet, contrôlées pour ne pas pouvoir se rendre dans les espaces publics, recluses au simple statut d’épouse et de mère de famille, sous-estimées, etc.

Nombreux sont les espaces publics dans lesquels les femmes à Téhéran militent, nous distinguerons pourtant la rue et les parcs qui sont les plus investis par ces dernières. Les rues deviennent des espaces de revendication, et ce depuis 1906, durant la révolution contre le régime monarchique qui a vu des milliers de femmes descendre dans les rues pour militer en faveur du clergé et de la reconnaissance de leur citoyenneté.[46] Durant la révolution de 1979, les descentes dans les rues par les femmes ont aussi été très fréquentes. Elles sont par millier, voire par dizaines de milliers, à descendre dans la rue pour s’exprimer et s’affirmer et la révolution de 1979 marque surtout leur revendication à la présence dans l’espace public.

Le cliché suivant, issu du corpus informel, représente cette descente dans la rue. Ici, nous pouvons voir des femmes mais aussi des hommes qui expriment leur joie après l’accord sur le nucléaire. La scène se passe à Shiraz et les femmes photographiées sont dévoilées ou portent des voiles non réglementaires. Leur revendication suite à l’accord sur le nucléaire porte sur les droits civiques.

Cliché 11. Jeunes femmes et jeunes hommes célébrant l’accord sur le nucléaire dans une rue à Shiraz. Source : https://www.facebook.com/StealthyFreedom?fref=ts (DATE DE L’IMAGE ?)

Le cliché ci-dessous (corpus officiel) représente aussi cette descente dans la rue, notamment après l’élection présidentielle de 2009 dont les résultats n’ont pas satisfait les femmes :

Cliché 12. Femmes iraniennes présentes durant la manifestation contre les résultats des élections présidentielles de 2009. Source : Radio Farda.

Outre les rues, les femmes à Téhéran manifestent également dans les parcs. Le parc Laleh fait partie des plus investis par ces militantes. Selon Direnberger (2011), les parcs détiennent un rôle particulier dans le quotidien à Téhéran :

Ils représentent un espace de négociation avec les interdits voire de subversion. Ne pouvant s’assurer un contrôle total des espaces publics et imposer une ségrégation sexuelle sur l’ensemble de la ville, le gouvernement islamique a développé à partir des années 1990 des espaces mixtes contrôlables comme les parcs : « ces territoires de la mixité semblent être considérés comme des territoires de tolérance aux limites bien fixées »[47]

Ainsi, les parcs sont des espaces libres propices aux manifestations des femmes. Néanmoins, l’Etat y place de nombreuses milices qui surveillent les faits et gestes des hommes et femmes qui s’y rendent pour diverses raisons. Les parcs en Iran représentent des espaces de liberté puisqu’à certains moments, les milices tolèrent même des activités interdites qui y sont pratiquées, telles que jouer aux cartes, des jeux de hasard.[48] Comparés aux autres espaces urbains et publics, les parcs sont indépendants du fait de ces nombreuses concessions faites par la milice. Ils sont donc surveillés mais leurs visiteurs, et « visiteuses », peuvent s’y sentir libres, ce qui en fait des espaces à la fois privés et publics.

2.2. La créativité pour dévier les restrictions associées aux manifestations des femmes

 

A Téhéran, il arrive que l’Etat soit plus tolérant envers certaines manifestations et moins envers d’autres. Ainsi, il existe certaines zones dans lesquelles les femmes ne peuvent pas porter de pancartes sur lesquelles elles inscrivent leurs slogans ou des descriptifs de leur lutte. Lorsque l’Etat applique ce type de restriction, les femmes font preuve de créativité pour continuer leur lutte. Le port du foulard fait partie de ces créativités.

Hanieh Ziaei, Chercheuse à l’Université Paris-Diderot et à l’Université du Québec à Montréal et Coordinatrice de l’Observatoire sur le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à la Chaire Raoul-Dandurand, en études stratégiques et diplomatiques à Montréal et membre du Cercle des Chercheurs sur le Moyen-Orient (CCMO) explique qu’elles utilisent leur foulard comme une alternative aux pancartes en tant que support de leurs revendications et slogans en « sachant que le foulard ne peut leur être retiré  puisque  le  code  vestimentaire  en  vigueur  impose  un  port  du  voile  obligatoire  aux femmes.[49] »

Cliché 13. Une femme nageant dans la mer portant un foulard qui ne cache ni ses épaules, ni sa tête. Source : Google Images

Ziaei(2013) qualifie cette créativité de « créativité de conscience[50] » et la classe parmi les méthodes novatrices utilisées par les militantes dans leur lutte pour l’accès à l’espace public. Cette pratique est ingénieuse et innovante dans la mesure où les iraniennes ne transgressent pas réellement la loi étant donné qu’elles portent un voile comme elle l’exige. Là où elle est trompeuse, c’est dans le type de voile porté. La loi iranienne exige des femmes iraniennes de porter des vêtements amples, c’est-à-dire larges et un foulard/voile serré qui cache autant leurs cheveux que leurs épaules.[51] Ces détails ne sont pas respectés dans la mesure où leurs foulards ne cachent ni les épaules ni la chevelure entière mais seulement une partie de celle-ci.

Le cliché ci-dessous, issu du corpus formel car obtenu sur un média en ligne, montre le tchador ou voile réglementaire et les vêtements amples qui devraient l’accompagner :

Cliché 14. Le tchador. Source : http://www.lexpress.fr/actualite/monde/proche-moyen-orient/iran-5-choses-a-savoir-sur-le-foulard-islamique_1543795.html

Clichés 15. Le tchador traditionnel iranien et le voile islamique recommandé. Source : Les femmes et l’espace public sous la République islamique d’Iran : de la résistance à la subversion de Marie Ladier-Fouladi CNRS – EHESS (IIAC/TRAM)

Nous remarquons un énorme contraste entre le tchador, le voile islamique recommandé et le foulard que nous voyons dans le cliché issu du corpus informel suivant :

Cliché 16. Une iranienne appréhendée par la police de la morale ou des mœurs pour un port de voile non-réglementaire. Source : Google images

En effet, le tchador ou le voile recommandé sont généralement de couleur sombre et cache entièrement les épaules ainsi que les cheveux. Lorsqu’il est porté avec des vêtements amples, même le physique de celle qui le porte ne peut être deviné car l’ensemble le cache parfaitement. A l’inverse, le foulard laisse tous ces endroits à découvert (cheveux, épaules). Les femmes, notamment les jeunes, les aiment plutôt colorés, au goût de la mode, ce qui représente déjà une sorte de transgression. Ne sachant comment lutter contre ceci, l’Etat a chargé la police des mœurs du contrôle de ces voiles non-réglementaires dans les rues et les espaces publics. Créée depuis près de dix ans, celle-ci interpelle les femmes dont les voiles ne sont pas réglementaires, sa tolérance étant toutefois plus relâchée depuis que le Président Hassan Rohani élu en juin 2013 le lui a demandé en octobre 2014.[52]

Les chiffres restent toutefois significatifs : le chef de la police iranienne fait état de la poursuite de 18 000 femmes entre mars 2013 et mars 2014 pour cause d’effraction aux règles vestimentaires.[53] Notre corpus informel transgressif montre un bon nombre de femmes adoptant cette créativité, avec des foulards colorés ou sombres, mais qui ne respectent pas les règles préétablies. Elles ne mettent pas ces foulards uniquement pour les manifestations, mais aussi dans leur quotidien, pour aller étudier, faire les courses, etc.

2.3. La mobilité quotidienne pour pouvoir investir les espaces urbains et publics

 

  • S’éloigner de la ville pour déjouer les interdits et accéder facilement à des espaces publics naturels et non surveillés : des « espaces intermédiaires » (espaces ruraux, montagne, cafés, voitures, etc.)

Pour échapper aux autorités, les jeunes femmes à Téhéran se rendent souvent dans les parcs du nord de la ville ou dans les montagnes. Ces espaces publics se trouvent loin de la ville, elles s’y rendent dans le but de rencontrer d’autres jeunes en dehors de l’espace privé et pour pouvoir profiter de l’espace public sans contraintes et se sentir vivantes et heureuses. Elles les fréquentent sans contraintes et y jouissent de leur droit à la ville. Il s’agit, très souvent, de cafés, d’espaces urbains, de montagnes, ou même de leur propre voiture, pourvu que ces endroits se trouvent loin de la ville. Elles inventent ces espaces pour pouvoir jouir de leur liberté d’être dehors. La montagne autour de Téhéran reste un des espaces publics les plus prisés par ces dernières.

L’étude de Saïdi-Shahrouz en 2007 montre que les femmes qui recherchent plus de liberté s’éloignent un peu de la ville pour pouvoir y goûter et se rendent donc dans ce qu’on appelle des espaces intermédiaires, particulièrement à la montagne. Parmi les motifs de sortie les plus appréciés par les femmes à Téhéran, le chercheur inclue les espaces publics tels que les parcs, le cinéma et la montagne.[54] Il révèle que les femmes sont particulièrement attirées par la montagne, sans doute pour la liberté qu’elles peuvent y jouir. Ainsi, parmi les 432 femmes qu’ils ont interrogées durant leur étude, plus d’un tiers d’entre elles regrette de ne pouvoir s’y rendre, faute de temps et d’argent.[55]

Toutefois, son enquête démontre qu’il existe une catégorie de femmes qui aiment ou désirent se rendre à la montagne et une autre qui ne partage pas cette passion. Ce sont les jeunes femmes éduquées et aisées qui aiment le plus s’y rendre : 60% d’entre elles en font une destination phare, sûrement pour la liberté qu’elle leur offre.[56] Par contre, seuls 4% des femmes actives, visibles dans la sphère professionnelle mais peu dans l’espace urbain qui s’y rendent.[57] Saïdi-Shahrouz et Guérin-Pace (2011) ajoutent que ces dernières ne les fréquentent pas par manque de temps et parce qu’elles ne s’adonnent pas beaucoup à leurs loisirs. Il existe une catégorie de femmes qui aimerait avoir la liberté et le temps pour pouvoir se rendre à la montagne ou au cinéma. Il s’agit de femmes originaires des quartiers défavorisés du Sud de Téhéran, la plupart du 15e arrondissement.[58]

Les femmes plus âgées ou qui ont une vie professionnelle active ne peuvent pas se rendre à la montagne faute de temps. Le temps est une des causes les plus évoquées qui les empêchent de jouir d’un peu de liberté dans la montagne. Et pourtant, lorsque ces femmes s’y retrouvent, entre elles ou avec des hommes, souvent en groupe, elles se sentent plus libres. La nature et la montagne procurent de la liberté aux femmes, comme nous le montrent les clichés informels suivants et les témoignages des jeunes femmes qu’on y voit :

Cliché 17. Une jeune fille de la fille d’Ardabil (Iran Ouest) qui enlève son foulard dans la nature. Source : MyStealthyFreedom : https://www.facebook.com/StealthyFreedom?fref=ts

Cette jeune fille témoigne du fait qu’en dehors de chez elle, c’est dans la nature qu’elle peut être libre et enlever son voile : « Chez moi mis à part, seule la nature peut être témoin du retrait de mon foulard noir. Je viens au secours de mes cheveux en les exposant au vent. La beauté de mes cheveux devrait guérir ces cœurs noirs devenus privés d’humanité.
Je suis une fille de la ville d’Ardabil (Iran Ouest)
 »

Le cliché ci-dessous illustre la même chose avec un message plus radical, plus provocateur envers l’Etat : les femmes sont contre le hijab et la restriction de leur liberté et se battront jusqu’au bout pour leurs droits.

Cliché 18. Deux iraniennes qui enlèvent leur voile à la montagne. Source : MyStealthyFreedom : https://www.facebook.com/StealthyFreedom?fref=ts

Cette photo diffusée sur la page Facebook de MyStealthyFreedom est accompagnée du témoignage suivant :

« Oh, si la liberté chantait son hymne d’une voix aussi puissante que celle d’un oiseau aucun mur ne s’effondrerait nulle part …
Voici ce que nous disons aux autorités : Nous ne voulons pas aller de force au paradis ! Le paradis se trouve là où on se sent en paix et où on est libre. Mon paradis est ici ! Exactement sur cette photo ! Exactement ici et exactement à ce moment-là, avec le ciel comme toit et la terre comme maison … sans aucun mur ! Sans aucune frontière !
Nous voulons dire ceci aux autorités, à celui qui déclare que toute personne ayant résidé en Iran est en faveur du hijab : Nous sommes iraniennes et nous sommes contre le hijab obligatoire ! L’Iran est notre patrie ! Nous resterons en Iran et nous nous battrons pour nos droits !
 »

La montagne est donc un espace de liberté, d’expression, de résistance et de transgression adulé par les femmes. Elles parcourent de longues distances pour se rendre dans la montagne au nord de la ville :

Rappelons que Téhéran est située au pied du massif d’Elborz et depuis toujours ses habitants fréquentent les hauteurs de la ville pour prendre l’air, surtout en été lorsque la chaleur et la pollution sont très fortes, mais aussi pour faire du sport. Le rôle de cette montagne à la sortie de la ville est aussi fortement symbolique et porteur de liberté à Téhéran, plus particulièrement pour les jeunes et pour les femmes pour lesquels la circulation dans l’espace public est la plus contrainte. À la montagne «tout est plus pur, plus vert et plus gai selon les femmes […]. On peut se défouler entre nous et être loin des problèmes et des regards qui jugent», disent les plus jeunes. Pour ces mêmes raisons, un tel lieu peut potentiellement devenir transgressif, surtout si les femmes et les jeunes filles s’y rendent sans leur famille.[59]

Azadeh Kian, professeure de sociologie et directrice du Centre d’Enseignement, d’Etudes et de Recherches pour les Etudes Féministes (Cedref) confirme que parmi les nombreux promeneurs sur les pentes de cette montagne, on retrouve des femmes, et des femmes qui ne portent pas de tchador dans la grande majorité et dont les tuniques sont de plus en plus courtes et les foulards colorés, pour celles qui en portent. Ces derniers ne recouvrent entièrement ni leur tête ni leurs épaules.[60] Pr. Kian rappelle toutefois que les sentiers de la montagne sont proches des beaux quartiers situés au nord de la ville. On peut donc en déduire que les femmes qui les fréquentent sont des femmes plus aisées. Cela se confirme par le fait que depuis le port du voile, ce sont les femmes issues d’un milieu aisé qui osent le plus retirer leur voile, les moins aisées étant attachées à ce dernier et à la tradition ou ayant trop peur pour se rebeller. Nous sommes alors en présence d’une constatation : les femmes issues de milieux plus aisés osent manifester plus que celles issues de milieux moins fortunés. Les quartiers riches tels que le Nord de la ville détiennent plus de manifestantes que les quartiers moins fortunés.

Un grand nombre des clichés informels que nous avons montre que la montagne est un espace public mixte dans lequel les femmes se rendent pour échanger avec d’autres jeunes femmes, mais aussi d’autres jeunes hommes. En voici quelques échantillons :

 

 

Clichés 19. Des hommes et des femmes qui fréquentent ensemble les montagnes en Iran. Source : Google Images

Riaux (2011) parle d’un groupe de militants de Téhéran composé de filles et de garçons qui se rend dans les montagnes du nord de la ville chaque vendredi pour une randonnée, dans le but de passer du temps ensemble. Par cet acte, ces jeunes transgressent la ségrégation sexuelle imposée par la loi islamique.[61] Nombreux sont les loisirs pratiqués à la montagne : randonnée, détente, sport, mais aussi des échanges entre jeunes femmes et jeunes hommes, etc.[62]

  • L’espace public, un espace de liberté en dehors de la maison

Nous tenons à souligner que les femmes ne sont pas les seules à se mobiliser en Iran. Nous pouvons également constater des mobilisations, notamment des publicités, faites par l’Etat ou les autorités en défaveur de la liberté des femmes et en faveur du port du tchador, du voile ou du code vestimentaire islamique. Ces publicités sont autant visibles dans notre corpus formel que dans le corpus informel. Dans les deux corpus, elles se présentent sous forme d’affiche, de propagande ou de panneaux. Les deux photos suivantes le démontrent. La première est issue du corpus officiel et met en scène une image qui soutient le port du tchador au regard de la religion islamique, notamment du Coran. L’inscription est très significative : « Je marchais dans la rue, elle m’a vue et a dit : « Avec cette chaleur, ne fonds-tu pas sous ton tchador noir ? » Instantanément, j’ai cru entendre quelqu’un me murmurer à l’oreille une phrase du coran : « Dis-leur que la chaleur de l’enfer est beaucoup plus brûlant ».

 

Cliché 20. Image soutenant le port du tchador. Source : iusnews.ir (le journal des étudiants iraniens), 28 décembre 2014.

Le cliché suivant est issu du corpus informel, notamment de la page Facebook My Stealthy Freedom. Il s’agit d’une affiche apparue sur un bus à Téhéran et dont le message est le suivant : « lorsqu’une femme est bien habillée, porte un peu de maquillage et est d’apparence bien soignée, un homme a le droit de la regarder fixement. » Le message posté par la municipalité appelle les hommes à surveiller leurs femmes pour qu’elles ne sortent pas maquillées ou trop bien vêtues car les hommes sont « facilement excités ». L’affiche sous-entend que les femmes devraient toujours porter le tchador pour éviter cette excitation de la part des hommes.

Cliché 21.Une affiche sur un bus de Téhéran en défaveur du maquillage et des femmes bien habillées. Source : https://www.facebook.com/StealthyFreedom?fref=ts

Ces deux corpus nous prouvent que l’Etat et les autorités compétentes usent aussi de l’espace public pour déjouer les manifestations des femmes, mais surtout pour assurer le respect des lois islamiques.

2.4.      La notion de transgression

2.4.1.      La transgression, un non respect des conditions imposées par l’Etat, la société et la religion

 

Depuis le règne de l’imam Khomeiny, les femmes à Téhéran ne cessent de revendiquer l’accès aux espaces publics. Leur revendication se fait de plus en plus pressante et elles n’hésitent pas à descendre dans les rues ou dans les espaces publics propices aux rassemblements et aux manifestations pour se faire entendre. La transgression est une des formes de manifestation contre l’interdiction de fréquenter les espaces publics. Elle sert non seulement de moyen de pression mais aussi de provocation contre le pouvoir en place qui limite les droits des femmes. Saïdi-Shahrouz et Guérin-Pace réalisent le constat suivant :

Finalement, on a le sentiment que les femmes assument et revendiquent cette présence quotidienne et « non accompagnée» dans l’espace public. Nous constatons qu’elles surmontent de plus en plus les obstacles rencontrés lors de leurs déplacements, afin de pouvoir rester à l’extérieur. Ne s’agit-il pas d’une forme de résistance face à un système urbain qui tend à contrôler et à limiter leur présence dans la ville?[63]

Nous avons précédemment vu que les conditions de sortie et de fréquentation des espaces publics sont édictées par l’Etat, la société et la religion. Les règles imposées par la religion sont similaires à celles imposées par l’Etat, et la société s’en imprègne. Les femmes qui se dévoilent, qui portent des tenues non conformes aux normes islamiques et étatiques, qui se promènent dehors sans être accompagnées, qui ne rentrent pas aux heures interdites, etc. subissent non seulement les sanctions de l’Etat, mais aussi de la religion et de la société. La société se distingue par ses réactions et ses jugement envers les récalcitrantes, surtout dans les quartiers traditionnels où celles qui ne se voilent pas correctement ou qui ne respectent pas la loi et les traditions sont regardés de travers, pointées du doigt, jugées, etc. La société peut parfois se montrer impitoyable envers elles.

L’Etat a mis en place diverses sanctions relatives aux transgressions et à la résistance manifestées par les femmes : paiement d’amende, arrestation, poursuite dans des cas extrêmes, avertissement verbal, allant même jusqu’au fouettage après trois récidives. Ces sanctions restent toujours en vigueur. Le cliché ci-dessous a été pris en 2013, année durant laquelle une peine de deux mois d’emprisonnement pour toute femme qui ne respecte pas le port du voile a encore sévi :

Cliché 22. Dans l’après-midi [du 15 juillet 2013], deux femmes ont défié le régime le visage découvert en retirant leur voile dans l’espace public et en plus sous un panneau rappelant la peine de 2 mois de prison ferme encourue pour le non-respect de la loi sur l’obligation de porter le voile! Source : Les femmes et l’espace public sous la République islamique d’Iran : de la résistance à la subversion de Marie Ladier-Fouladi CNRS – EHESS (IIAC/TRAM)

L’audace de ces deux jeunes femmes confirme cette volonté omniprésente de vouloir contourner les règles et lois qui restreignent les femmes à des déplacements furtifs, à s’habiller autrement qu’elles le souhaitent, etc. Le fait que nous disposions d’autant de clichés montre que non seulement les femmes osent résister, mais aussi qu’elles ne craignent pas les autorités ou la société. Non seulement elles investissent les lieux publics, mais elles immortalisent cette transgression à l’aide de ces photos. Elles osent s’afficher et fréquentent des lieux transgressifs tels que les stades de foot ou la montagne ou investissent des espaces publics non mixtes.[64]

Les corpus formels et informels en notre possession indiquent plusieurs formes de transgression allant du port de voile non réglementaire jusqu’au dévoilement, en passant par l’invasion dans les espaces publics à l’insu des règles et lois en vigueur. Le dévoilement est une des formes les plus récurrentes de transgression et la majorité des clichés que nous avons en main le représente. Il est intéressant de rappeler que le dévoilement d’aujourd’hui a un tout autre sens que celui durant l’ère Pahlavi.

Comme les clichés suivants nous le montrent, le dévoilement peut être partiel ou total. Par partiel, nous entendons ces femmes qui portent quand même des voiles qui offrent un front dégagé et montrent une part de leurs cheveux :

 

Clichés 23. Port de voile non-réglementaire par les femmes à Téhéran. Sources : Internet.

Les femmes qui optent pour le dévoilement total transgressent entièrement la loi. Si le dévoilement partiel représente une créativité, une ruse qui permet de déjouer partiellement la loi puisque les femmes restent quand même voilées, mais pas comme l’Etat le voudrait. En se dévoilant entièrement, elles exposent leur tête en signe d’affront envers l’Etat. Elles montrent qu’elles sont prêtes à tout pour obtenir l’accès non réglementé aux espaces publics. Certains de leurs comportements sont même provocateurs, comme le montre la photo ci-dessous :

Clichés 24. Une jeune fille posant devant un mur portant l’inscription : « Ma sœur, le port du hijab est la clé du paradis pour toi ». Source : Seratnews.ir.

L’attitude de cette jeune fille est insolente et provocatrice car elle ose enlever son foulard devant un mur qui prône justement le port du hijab, c’est-à-dire la soumission aux règles islamiques et étatiques. Elle enlève son foulard pour revendiquer sa liberté et prouver sa détermination et sa conviction. Ce type de provocation est fréquent chez les femmes souhaitant revendiquer leur liberté. Néanmoins, le dévoilement ne représente pas uniquement un geste de protestation ou de revendication, mais aussi de bonheur et de satisfaction lorsqu’elles obtiennent des réponses concluantes à leur revendication. Ainsi, certains clichés, comme celui-ci-dessous, présentent des femmes qui manifestent clairement leur joie et leur bonheur en enlevant entièrement leur voile dans les espaces publics :

Cliché 25. Manifestation de joie après l’élection de Rohani : La jeune femme se dévoile publiquement (Téhéran, le 15 juin 2013). Source : Les femmes et l’espace public sous la République islamique d’Iran : de la résistance à la subversion de Marie Ladier-Fouladi CNRS – EHESS (IIAC/TRAM)

Notons, au passage, que cette photo est issue du corpus informel. Notre analyse met en évidence que ce corpus informel montre surtout les photos de transgression et de résistance. Le corpus formel montre surtout les photos d’affiches et de mobilisations effectuées par l’Etat pour contrer ces manifestations et rappeler aux femmes qu’elles doivent toujours respecter les lois islamiques relatives à leur condition. Nous pouvons en déduire que les médias, surtout ceux de l’Etat ou ceux en Iran, ne diffusent pas souvent la réalité sur ces manifestations. Ils préfèrent conserver l’emprise de l’Etat et étouffer le fait qu’il n’arrive pas à contrôler les mouvements de ces femmes ou que malgré ses efforts, il ne peut ni empêcher ni éradiquer totalement ces manifestations.

2.4.2.      La lutte contre la surveillance constante par la loi et par les hommes

 

Nous l’avons également souligné : les femmes sont constamment surveillées, que ce soit par l’Etat (les milices des mœurs), ou par les hommes (via l’accompagnement constant, les horaires de fréquentation, etc.). Cela les empêche d’être libres, de se retrouver entre elles ou de s’insérer dans la sphère sociale car leurs faits et gestes sont surveillés et rapportés. Certaines sont donc battues en rentrant chez elles, d’autres subissent la loi et se font emprisonner ou sont contraintes au paiement d’amende.

Pour contourner tant de surveillance, elles s’isolent ou se retrouvent entre elles dans les montagnes qui représentent des lieux transgressifs. Là-bas, elles enlèvent leur foulard ou leur voile ou le portent d’une manière désinvolte, contraire à la loi. Elles revendiquent également leur liberté de mouvement, ce qui les amène à descendre dans les rues et à oser, parfois, rentrer tard ou sortir sans être vues de chez elles, sans accord, pour ne pas être suivies, accompagnées ou surveillées.

Lorsqu’elles arrivent à se soustraire à cette surveillance, elles osent s’afficher et adopter des comportements jugés exubérants. Les clichés issus du corpus informel ci-dessous montrent des femmes qui s’adonnent à des débordements d’affection avec leur partenaire de sexe masculin dans les espaces publics, une pratique pourtant passible de sanction :

 

Cliché 26. De jeunes couples qui montrent ouvertement leur affection en public. Source : Internet.

 

 

III.             Les enjeux spatiaux

1.      Cartographie de Téhéran

 

Dans ce mémoire, nous nous servons en majorité des études et recherches menées par Mina Saidi Shahrouz, chercheur et responsable de l’Observatoire Urbain de Téhéran et des Villes d’Iran (O.U.T.I.) au sein de l’Institut Français de Recherche en Iran. Ce chercheur s’intéresse particulièrement aux femmes et aux espaces publics à Téhéran et a mené une enquête intitulée « Mobilité femmes à Téhéran (MFT) » en 2007, dans le cadre de son doctorat, dont nous nous sommes servis pour notre mémoire dans les deux parties précédentes. Pour réaliser cette partie sur les enjeux spatiaux, nous emprunterons divers éléments de cette enquête et de ses résultats. L’article «La mobilité quotidienne des femmes dans la ville de Téhéran : entre visibilité et invisibilité » qui traite des résultats de cette enquête, que le chercheur a coécrit aux côtés de France Guérin-Pace de l’Institut national d’études démographiques de Paris, sera utilisé ici, que ce soit dans la spatialisation ou pour la partie enquêtes et entretiens.

La première carte représente l’échantillonnage de l’enquête « Mobilité des femmes à Téhéran :

Fig. 1. Echantillonnage de l’enquête »mobilité des femmes a Téhéran »,2007. Source : La mobilité quotidienne des femmes dans la ville de Téhéran : entre visibilité et invisibilité, Mina Saïdi-Sharouz – France Guérin-Pace, page 179-180

Dans cette section portant sur la cartographie, nous allons présenter la ville de Téhéran à travers quelques cartes.

Fig2. Téhéran vue d’ensemble. Source : ?

Cette première carte représente la ville de Téhéran dans une vue d’ensemble. Elle témoigne d’une croissance urbaine de la capitale de l’Iran après 1970. En effet, dans la légende, les parties en orange représentent l’aire urbaine avant 1970, son étendu était moindre à cette époque et se concentrait particulièrement autour du centre-ville. Elle s’est élargie depuis 1970. Le schéma montre également que Téhéran est entièrement entouré de hauteurs, de montagnes et de plaines irriguées et non irriguées.

Le prochain schéma montre Téhéran jusqu’à 1996. Nous y décelons de nombreux progrès urbains dont celui des routes et autoroutes, rues et chemins de fer à Téhéran.

Fig. 3.Téhéran jusqu’à 1996.

La carte suivante représente Téhéran entre montagne et désert. Comme nous l’avons mentionné plus tôt, Téhéran est entourée par la nature dont les montagnes et le désert. Les montagnes sont des lieux privilégiés par les femmes pour échapper aux contraintes imposées par les hommes et la loi en termes de mobilité :

Fig.4. Téhéran entre montagne et désert

2.      Les endroits publics interdits aux femmes et ceux dans lesquels elles réalisent leurs manifestations

 

Dans sa thèse de doctorat, Saidi-Sharouz (2010) se base sur un échantillonnage de cinq grands groupes de femmes à Téhéran pour réaliser une carte retraçant les types d’espaces sociaux fréquentés par les femmes et la population féminine. Ces cinq grands groupes sont :

  • Des mères de famille, captives de la proximité et de la sphère familiale
  • Des femmes de plus de 50 ans, recluses dans l’espace privé
  • De jeunes femmes modernes et visibles dans l’espace public
  • Des jeunes femmes éduquées et aisées aux pratiques spatiales très étendues
  • Des femmes actives, visibles dans la sphère professionnelle mais peu dans l’espace urbain

La carte nous indique qu’il existe quatre types d’espaces sociaux, en référence à ces cinq grands groupes. Leur répartition est plus ou moins égale ; toutefois, nous remarquons une superficie plus étendue et des emplacements plus diversifiés pour les espaces populaires fréquentés par les jeunes. Les espaces sociaux traditionnels tels que les bazars sont également plus étendus, de même que ceux fréquentés par la classe moyenne dont l’aéroport fait partie. Ceux fréquentés par les femmes de la classe sociale aisée et de bonne éducation se situent dans les villes de Shemiran et de Vanak. La place Vanak représente un espace public de contestation. En 2009, par exemple, des opposants à l’investiture d’Ahmadinejad s’y sont réunis pour la contester[65]. En 2013, une descente de rue sur ladite place a été opérée par les opposants au régime des mollahs.[66] Ainsi, que ce soit pour des motifs politiques ou féministes, les espaces publics sont utilisés par les hommes et les femmes pour se réunir entre eux, s’exprimer et manifester. Parmi ces espaces publics fréquentés par les femmes issues d’un milieu aisé, nous distinguons l’université qui est réservée aux élites et aux femmes qui acceptent de se voiler pour les fréquenter. Nous remarquons un type de déplacement différent en fonction de la classe sociale de la femme.

Saidi-Shahrouz (2011) l’a déjà souligné dans les résultats de son enquête en 2007, comme le montre le graphique ci-dessous :

Fig. 6. Les lieux appréciés par les femmes au regard de leur aspiration. Source : La mobilité quotidienne des femmes dans la ville de Téhéran : entre visibilité et invisibilité, Mina Saïdi-Sharouz – France Guérin-Pace, page 183

A cette époque, la fréquentation des espaces publics avait, avant tout, un rapport avec la religion puisque presque 50% des 432 femmes interrogées avouent se rendre dans les lieux de culte. Les chiffres n’en sont pas pour autant révélateurs puisque ces lieux sont fréquentés par obligation et non par souhait. Nous constatons un énorme contraste entre les lieux fréquentés et les lieux souhaités, c’est-à-dire ceux dans lesquels elles aimeraient se trouver. Les premiers se trouvent être des lieux publics dont le motif de déplacement est moins subjectif. Nous pouvons même dire que les femmes les fréquentent avant tout par devoir et obligation que par envie. Il s’agit des lieux de culte, des visites d’amis, du cimetière et du parc commercial. Les endroits qui représentent des loisirs et dans lesquels les femmes peuvent laisser libre cours à leur manifestation ou à leur opposition face aux interdictions de fréquentation des espaces publics sont moins fréquentés que ceux-là, mais beaucoup plus souhaités. Il s’agit principalement de la montagne, du cinéma, des cafés, etc.

Les stades sont également interdits aux femmes, nous y retrouvons une ségrégation sexuelle semblable à celle perçue dans les transports publics tels que les bus ou le métro. Les images suivantes montrent les efforts effectués par les femmes pour pouvoir se trouver dans les stades comme les hommes. Elles montrent un groupe de femmes munies de drapeaux et qui les exhibent pour marquer leur envie d’investir ces stades :

Cliché 27. Les efforts des femmes pour pouvoir entrer dans les stades. Source : https://fa-ir.facebook.com/tavaana

Ces photos issues de notre corpus rebelle ont été empruntées à la page Facebook de Tavaana, un institut en ligne pour la société civile iranienne : Tavaana : E-learning Institute for Iranian Civil Society. Outre les actualités et faits divers iraniens, cette page facebook relate aussi du combat des femmes contre l’interdiction de fréquenter les espaces publics. Ici, elle montre le mode de contestation employé : la manifestation devant un stade pour pouvoir le fréquenter. Dans le cliché suivant, la page montre un aboutissement à cette lutte qui est l’accès des femmes aux stades. Autrement dit, cette lutte a porté ses fruits car la photo nous montre des femmes qui supportent leur équipe préférée lors d’un match dans un stade. Elles manifestent leur joie face à cet accès en souriant et en s’exclamant, elles laissent libre-cours à leur joie de pouvoir se trouver dans ce stade. L’étude de l’image nous montre qu’il n’existe pas de sexuation dans ce stade, ce qui signifie que les femmes et les hommes peuvent s’asseoir côte-à-côte. Toutefois, les contraintes que nous avons évoquées restent en vigueur : le cliché montre des femmes voilées comme la loi l’exige ou de manière contestataire (voile non réglementaire), mais aussi quelques femmes qui ne portent aucunement le voile.

 

Cliché 28. Des femmes dans un stade. Source : https://www.facebook.com/tavaana/photos/pcb.925848104127870/925847627461251/?type=1&theater

Le cliché officiel issu du média Arman que nous allons présenter ci-dessous relate aussi cette victoire des femmes face à leur demande de pouvoir fréquenter les stades. Elle met en scène une femme qui se dirige vers un stade et passe tranquillement à travers la bannière :

Cliché 29. « Les femmes vont pouvoir aller aux stades de sport pour regarder les matchs ! », Source : Le journal « Arman »,  5 avril 2015.

La piscine fait partie des lieux publics que les femmes ne peuvent fréquenter que sous certaines conditions comme le port du voile. Le cliché suivant, pris par ma sœur Setareh Najjary, montre une affiche à la piscine pour rappeler aux femmes que même dans l’eau, le port du voile représente toujours une condition d’admission à ce type d’espace public :

Cliché 30. Une affiche dans une piscine sur laquelle il est marqué : « Ma sœur exhale un parfum agréable avec ton tchador dans la piscine » ! Source : Setareh Najjary (ma sœur)

Outre les piscines, les baignades dans la mer sont également régulées par des exigences vestimentaires. Cependant, étant donné qu’elle est plus vaste et plus facilement fréquentable que la piscine, les femmes osent transgresser ces exigences et se baigner ou nager en portant des bikini ou des tenues de plages semblables à celles portées par les occidentales :

Cliché 31. Des femmes sur une plage en Iran. Source : Babilsar.iran

3.      Partie empirique

3.1.Méthodologie et thèmes des entretiens

 

Dans le cadre de notre étude, nous avons choisi de mener quelques entretiens auprès de proches et de connaissances vivant à Téhéran. L’échantillon que nous avons choisi n’est pas représentatif de la population puisqu’il n’est composé que de huit répondants qui sont toutes des femmes. Nous avons choisi d’interroger des femmes selon plusieurs tranches d’âges et aux fonctions différentes en nous basant sur les cinq typologies de femmes mis en évidence par Saïdi-Shahrouz en 2007. Les huit répondantes sont :

  • Batoul, une femme mariée âgée de 38 ans, étudiante en psychologie, vivant à Shahkrabe Ghrab, au Nord-Ouest de Téhéran, mère d’un enfant et qui n’a jamais voyagé dans d’autres pays.
  • Tahereh, une femme mariée âgée de 55 ans vivant au Nord-Ouest de Téhéran, mère de 4 enfants, qui n’a jamais travaillé ni voyagé dans d’autres pays,
  • Setareh, une jeune étudiante en graphiste de 22 ans, célibataire, qui vit au Nord-Ouest de Téhéran et n’a jamais voyagé dans d’autres pays
  • Azadeh, une femme mariée âgée de 33 ans qui travaille dans le secteur public, diplômée en mathématiques, qui a beaucoup voyagé à l’étranger et vit au centre de Téhéran,
  • Sorour, une femme mariée de 34 ans travaillant dans le secteur public, étudiante en doctorat génie civile qui vit au nord de Téhéran et a beaucoup voyagé à l’étranger,
  • Soheyla, une femme âgée de 50 ans, célibataire, médecin spécialiste en dermatologie et professeur à l’université de médecine. Elle vit à l’est de Téhéran et a beaucoup voyagé,
  • Sepideh, une célibataire de 26 ans détentrice d’un master en chimie. Elle est actuellement à la recherche d’un emploi, n’a jamais voyagé à l’étranger et vit au Nord-Ouest de Téhéran,
  • Zari, une femme âgée de 65 ans qui est actuellement retraitée. Elle a anciennement enseigné à l’école primaire et habite à Paris et à Téhéran en même temps. Elle a beaucoup voyagé,

Bien que les répondantes soient en petit nombre, le petit échantillon créé est varié car constitué de jeunes femmes dans la vingtaine, de femmes d’âge moyen et de femmes ayant 50 ans et plus. De même, il est composé de femmes actives et de femmes inactives dont certaines ont beaucoup voyagé tandis que d’autres n’ont jamais quitté Téhéran. La plupart de ces femmes sont mariées et ont des enfants, d’autre sont célibataires, d’autres sont mariées mais n’ont pas encore d’enfants, etc. Notre enquête se base sur des entretiens semi-directifs durant lesquels nous avons seulement posé des questions indirectes auxquelles les interrogées ont répondu librement. En usant d’entretiens semi-directifs, notre but était de les amener à se confier le plus possible afin d’avoir des réponses nettes et précises.

Nous avons axé nos entretiens sur trois thèmes dont la notion d’espace public, la notion de manifestation et de transgression et la spatialisation. Nous nous épancherons plus sur ces thèmes dans la section résultats.

3.2.Résultats

 

Le thème sur la notion d’espace public nous a servi à connaître la définition que les femmes ont de l’espace public et ce qu’il représente pour elles. Nous avons également profité de l’occasion pour leur demander ce qu’elles entendent par espace privé et pour savoir si elles fréquentent des espaces publics. Le thème sur la notion de transgression et de manifestation nous a permis de connaître la position de ces femmes par rapport à ces formes de contestation tandis que celui sur la spatialisation nous a permis de savoir dans quelle partie de Téhéran elles vivent afin de voir si les manifestations et leur localisation ont un rapport. Nous voulons, à travers ce thème, déterminer si les cas diffèrent d’un quartier à un autre. Les résultats que nous avons reçus nous serviront pour affirmer ou infirmer notre hypothèse.

3.3.Analyse et interprétation des résultats

 

Suite aux entretiens que nous avons conduits, nous avons réalisé plusieurs constats que nous allons exposer ici. En ce qui concerne la définition de l’espace public, toutes les répondantes s’accordent à dire qu’il s’agit des espaces en dehors de chez elles, de leur maison, dans lesquels tout le monde peut accéder. Seule une répondante évoque l’espace public comme étant un lieu que tout le monde doit pouvoir fréquenter dans le respect du droit de chacun. C’est dans les exemples d’espaces publics que les réponses diffèrent. Les parcs, cafés, cinémas et rues sont les plus cités par les femmes. Deux d’entre elles évoquent les bibliothèques comme exemples d’espace public tandis qu’une seule considère le lieu de travail comme le premier espace public avant ceux cités précédemment et les centre commerciaux, les restaurants, etc.

 

Même si la représentation des espaces publics est la même pour toutes, elles n’ont pas toutes le droit d’y accéder. Certaines, deux notamment, affirment fréquenter ces espaces publics, mais évoquent les contraintes telles que le port du hijab ou les horaires de fréquentation. Les résultats des entretiens nous montrent que les femmes ont peur de fréquenter des espaces publics, bien qu’elles trouvent injuste l’interdiction de fréquentation de ceux-ci. Cette peur est provoquée par les autorités et la société elle-même. Les huit répondantes à l’unanimité ont peur pour leur sécurité moindre dans les espaces publics : les hommes les gênent ou les harcèlent lorsqu’elles ne portent pas régulièrement leur hijab, les autorités contrôlent sans cesse, surtout dans les espaces publics à ciel ouvert tels que les parcs ; et la société a le regard mauvais lorsqu’elles ne respectent pas les règles liées à la tenue vestimentaire. La plupart des interrogées redoute avant tout les autorités téhéranaises et leur contrôle dans les espaces publics, puis les hommes.

Sept des huit femmes que nous avons interrogées préfèrent ne pas se montrer dans des espaces publics contrôlés tels que les parcs et certains centres commerciaux à cause du manque de sécurité qui y règne. Qu’elles soient jeunes ou âgées, cette sécurité dans les espaces publics représente leur principal souci et freine leur envie de s’y rendre, en plus des contraintes liées aux horaires et aux vêtements. Certaines évoquent des quartiers plus sécuritaires que d’autres :

« Pour sortir le soir, ça dépend de « où je vais aller et dans quel quartier ». Par exemple, les quartiers du nord et du nord-ouest ou même au centre de Téhéran sont plus sécurisés pour les femmes mais les quartiers du sud me font peur un peu. » Azadeh 33 ans, mariée.

Parmi les huit femmes interviewées, Azadeh est la seule qui dispose d’une liberté de fréquentation des espaces publics car sa famille ne lui demande pas où elle va ni de rentrer tôt. Contrairement à elle, les sept autres se sentent moins libres dans les espaces publics. En outre, toutes ces femmes ont déjà connu des cas de contrôle des autorités. Certaines ont déjà subi ce contrôle, d’autres ont vu d’autres femmes le subir.

Face à ce contrôle des autorités, la plupart des femmes interrogées (7) se disent plus en sécurité dans des espaces publics fermés. Le restaurant en est l’exemple typique et trois femmes sur huit l’évoquent comme étant plus sécurisé. Pour leurs rencontres entre amies, ces femmes fréquent donc des espaces publics fermés dans lesquels il y a moins de contrôle (café, restaurant, bibliothèque, etc.). Deux d’entre elles évoquent des réunions entre amies chez elles pour plus de sécurité et d’intimité, mais aussi de liberté entre elles.

Toutes les femmes interrogées ont déjà entendu parler de femmes qui militent pour l’accès à l‘espace public. Une répondante en a entendu parler mais n’en a jamais vu en Iran, il en est de même pour une autre répondante, mais pas à Téhéran. Les six autres ont déjà été abordés par des militantes ou connaissent des personnes engagées dans ces luttes. Mais les huit,  à l’unanimité, refusent de s’y enrôler de peur des autorités, de la société, d’être arrêtées ou encore de déroger aux règles étatiques, religieuses, sociales et traditionnelles. Ainsi, aucune d’elles n’a jamais manifesté pour fréquenter librement les espaces publics. Les répondantes évoquent, entre autres, leur situation professionnelle comme source du refus de manifester. Deux d’entre elles disent ne pas vouloir perdre les avantages professionnels dont elles font l’objet. Les autres craignent par-dessus tout les autorités, leurs proches (dont leurs maris) et la société. Elles évoquent l’envie de se joindre aux mouvements, l’injustice dont l’Etat fait preuve à l’égard des femmes et l’envie de se trouver librement, sans contraintes, dans les espaces publics. Mais contrairement aux militantes, elles se résignent à accepter leur condition, ne dérogent pas aux règles et préfèrent satisfaire les autorités pour ne pas avoir de problème.

Notre échantillon est donc composé de femmes résignées qui fréquentent les espaces publics sous de nombreuses contraintes et les acceptent sans manifester. Issues de  quartiers différents de Téhéran, elles se rejoignent dans leur volonté de ne pas manifester avec les militantes pour se préserver et préserver leur honneur et leur travail. Qu’importe la partie de Téhéran où elles se situent, elles suivent avant tout les règles par peur des autorités et par soumission. Elles se résignent au port du voile, aux horaires de sortie, aux réunions entre amies dans les espaces publics clos pour ne pas avoir de problèmes avec les autorités. En somme, nos entretiens font ressortir des femmes tout à fait opposées à celles qui manifestent pour une libre fréquentation des espaces publics. Elles se rendent dans ces espaces mais sont soucieuses du respect des règles et craignent les contrôles des autorités. Elles sont loin de ressembler aux femmes dans les clichés que nous avons utilisés qui osent sortir dévoilées ou en ne respectant pas le voile réglementaire. Les résultats de nos entretiens confirment et infirment en même temps notre hypothèse dans la mesure où ces femmes entendent parler de mouvements de femmes en faveur de la fréquentation des espaces publics, correspondant à une féminisation des espaces publics, mais à une féminisation plutôt faible puisque très peu de femmes osent s’y adonner.

Conclusion

Notre mémoire vise à résoudre la problématique suivante : « quelles sont les conséquences de la résistance des femmes face à l’interdiction qui leur est faite de fréquenter les espaces publics ? » Nous avons usé de deux corpus différents et soutenu l’hypothèse que cette résistance conduit à une féminisation de l’espace public à Téhéran. Par ailleurs, nous avons mené une enquête parallèle à l’étude de ces deux corpus pour donner plus de valeur à la vérification de l’hypothèse. Des deux corpus, c’est le corpus contestataire qui a le plus communiqué la résistance des femmes. Il a essentiellement montré des femmes militant dans les espaces publics pour leur droit à la ville inexistant et la possibilité de fréquenter les espaces publics [sans les contraintes imposées].

Il a mis en évidence l’existence de femmes qui osent résister aux autorités et manifestent à travers des descentes de rue ou des actes de transgression tels que le dévoilement. Les contestations représentées par des actions collectives, une opposition et des ruses et des stratégies de contourneùent qu’elles réalisent sont toutes conduites dans des lieux publics : parcs, université, rues, métro, etc. De ce fait, les corpus nous ont montré une féminisation des espaces publics puisqu’elles bravent les interdits pour militer dans ces espaces. Leur lutte contribue considérablement à cette féminisation.

Nos entretiens ne partagent pourtant pas cet avis. En effet, les huit répondantes que nous avons interrogées ne font partie d’aucun mouvement de lutte en faveur de la fréquentation des espaces publics. Contrairement aux femmes exposées dans les clichés composant nos deux corpus, les répondantes sont plus posées et respectueuses envers les autorités. Elles entendent parler des luttes mais n’y ont jamais participé et ont peur de le faire. Elles craignent plus les autorités, la culture et la société que les hommes et se soumettent aux contraintes imposées. Elles n’ont jamais fréquenté les montagnes et se soucient avant tout de leur sécurité qui reste menacée dans les espaces publics à ciel ouvert. Ainsi, la grande majorité préfère inviter des amies chez elles ou allez dans la maison de leurs amies pour plus de sécurité ou d’intimité. A défaut, elles évoquent des espaces publics clos tels que les restaurants pour se retrouver entre elles. Ils leur confèrent plus de liberté et de sécurité.

Dans notre développement, nous avons émis la participation aux manifestations par des femmes de classe aisée. Nos entretiens défient ce fait puisque même si certaines de nos interviewées viennent de quartiers riches tels que le Nord de Téhéran, elles refusent de contester les autorités. Elles préfèrent garder leurs avantages professionnels ou ne veulent pas être arrêtées. Si les corpus montrent des jeunes femmes qui militent, manifestent et transgressent plus les lois, les entretiens montrent des jeunes femmes réservées qui ne se montrent pas dans les espaces publics.

Nous arrivons à la conclusion qu’en nous basant sur les deux corpus et les résultats des entretiens, nous voyons une féminisation « partielle » des espaces publics. Elle n’est pas créée par les autorités mais provoquées par les femmes qui veulent investir l’urbain et ses attachements sociaux. Dans certains cas, les autorités flanchent et prêtent attention aux revendications des femmes (le cas des stades évoqués précédemment). Mais la plupart du temps, ces manifestations se soldent par des arrestations et des agitations. Ce ne sont pas toutes les femmes qui militent dans ces espaces publics. Au contraire, les réponses de nos répondantes démontrent que lorsque nous leur avons demandé si elles connaissent des mouvements ou actions de femmes militant pour la fréquentation des espaces publics, elles ont surtout répondu par la négative et ont évoqué leur non-appartenance à de tels groupes. En somme, il revient à chaque femme de lutter selon ses aspirations.

 

 

Bibliographie

Ouvrages et documents

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  • Saïdi-Shahrouz, M. et Guérin-Pace (2011). La mobilité quotidienne des femmes dans la ville de Téhéran : entre visibilité et invisibilité, L’Espace géographique (Tome 40), Éditeur Belin, pp. 176 – 188

 

  • Saidi Shahrouz, M. (2012). « Les femmes et les espaces publics à Téhéran », Égypte/Monde arabe,Troisième série, n°9, pp.57-69.

 

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Webographie

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  • Gouëset, C. (2014). Iran: 5 choses à savoir sur le foulard islamique, disponible sur l’URL

 

  • http://www.lexpress.fr/actualite/monde/proche-moyen-orient/iran-5-choses-a-savoir-sur-le-foulard-islamique_1543795.html

 

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  • http://www.ncr-iran.org/fr/actualites/iran-resistance/12142-iran-manifestation-contre-le-pouvoir-sur-la-place-vanak-de-teheran.html

 

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Annexe 1. Questionnaire

Méthodologie :

Entretiens semi-directifs permettant aux répondants de répondre librement aux questions et d’exposer pleinement leurs points de vue.

  1. Notion d’espace public et d’espace privé

 

  • Quelle est votre définition de l’espace public ?
  • Quelle est votre définition de l’espace privé ?
  • Pouvez-vous citer quelques exemples d’espaces publics à Téhéran ?
  • En fréquentez-vous ? Si oui, comment ?
  • Que représentent les espaces publics pour les femmes à Téhéran en général et pour vous en particulier ?
  • Comment se comportent les femmes à Téhéran dans les espaces publics ?

 

  1. Notion de manifestation et de transgression

 

  • A Téhéran, de nombreuses interdictions relatives à la tradition, à la religion ou encore à l’Etat interdisent règlent le quotidien des femmes jusqu’à les empêcher de jouir librement des visites dans les espaces publics. Pouvez-vous nous citer celles que vous connaissez et celles que vous vivez ou que votre entourage vit ?
  • Comment percevez-vous ces conditions ?
  • Avez-vous entendu parler des femmes qui militent pour un accès plus libre aux espaces publics ? Si oui, comment ou par qui/quoi ?
  • En entendez-vous encore parler dans votre quotidien ? Quelle ampleur prend-elle ?
  • Avez-vous déjà vu ou assisté à une manifestation organisée par les femmes ou dans lesquelles elles ont participé ? Si oui, pourriez-vous la décrire ?
  • Quelle forme de lutte voyez-vous ? Quelles actions ces femmes entreprennent-elles pour militer ? (selon ce que vous avez vu ou entendu, quel type de résistance/transgression utilisent-elles ?
  • Que vous inspire la lutte de ces femmes ? Qu’en pensez-vous ?
  • Selon vous, les femmes ont-elles le droit de fréquenter sans condition les espaces publics à Téhéran ?
  • Voyez-vous ou côtoyez-vous des femmes qui fréquentent ces espaces publics ? Comment s’y comportent-elles ?
  • Comment percevez-vous les manifestations des femmes pour pouvoir fréquenter librement les espaces publics ? Etes-vous pour ou contre leur cause ? Justifiez votre réponse.
  • Faites-vous partie de ces militantes (militants) ?

 

  1. Spatialisation

 

  • Dans quel quartier à Téhéran vivez-vous ?
  • Existe-t-il des femmes qui militent pour fréquenter librement les espaces publics dans votre quartier ?
  • Les médias parlent-ils de ces évènements ?
  • Existe-t-il des endroits, des quartiers précis ou des espaces publics privilégiés par ces femmes ou dans lesquels elles militent le plus ? Citez-en en exemple.
  • La lutte est-elle différente d’un quartier à un autre ? Si oui, en quoi ?

[1] La mobilité quotidienne des femmes dans la ville de Téhéran : entre visibilité et invisibilité Mina SaïdiSharouz

France Guérin-PaceL’Espace géographique2011/2 (Tome 40)ÉditeurBelinPages 176 – 188

[2] Lucia Direnberger, «De la rue à Internet : espaces de contestation féminins et féministes à Téhéran», [“From the street to the internet: feminine and feminist contestation in Teheran”], justice spatiale | n° 03 mars | march 2011 | http://www.jssj.org

[3] Blanc, M. et Causer, J-Y. (2005) “Privé– public : quelles frontières ?” Revue des Sciences Sociales, n° 33, p. 8.

[4] Paquot, T. (2009). L’espace public, La Découverte, p.3

[5] Paquot, T. (2009). L’espace public, La Découverte, p.3

[6] Ibid., p.4

[7] Ibid., p.3

[8] Naser Takmil Homayoun, Histoire d’Iran.

[9] Adelkhah, F. (2003). « Chapitre 6. Iran : femmes en mouvement, mouvement de femmes », in Mounia Bennani-Chraïbi et Olivier Fillieule , Résistances et protestations dans les sociétés musulmanes

Presses de Sciences Po« Académique  », p. 243.

[10] M. T., « L’Iran, ses femmes et nous », Les Temps Modernes 5/2010 (n° 661), p. 159-160

[11] Dejean, F. Séminaire sur la Justice spatiale : Le droit à la ville de Henri Lefebvre – Texte de présentation

[12] Lefebvre, H. (1968). Le droit à la ville, Anthropos, Paris : p.108

[13] Lefebvre, H. (2009). Le droit à la ville, Anthropos Economica, pp. 46-47.

[14] Saïdi-Shahrouz et Guérin-Pace (2011), p.183.

[15] Ibid.

[16] Mina Saïdi-Sharouz, « Les mobilités quotidiennes des femmes de Téhéran : réalité et enjeux ». Texte  initialement  publié  dans Femmes  et  Villes,  textes  réunis  et  présentés  par  Sylvette  Denèfle,  Collection  Perspectives « Villes et Territoires » no 8, Presses Universitaires François-Rabelais, Maison des Sciences  de l’Homme « Villes et Territoires », Tours, 2004, p.

[17] Ibid.

[18] Saïdi-Sharouz et Guérin-Pace (2011), p. 183.

[19] Paidar, P. (1995).  Women  And  The  Political  Processus  in  twentieth-century  Iran,  Cambridge:  Cambridge  University  Press,

[20] Kian-Thiébaut , A. (2010). « Le féminisme islamique en Iran : nouvelle forme d’assujettissement ou émergence de sujets agissants ? »,  Presses de Sciences Po, Critique internationale, n° 46, p.51.

[21] Saïdi-Shahrouz et Guérin-Pace (2011), p.182.

[22] Ibid.

[23] Saïdi-Sharouz et Guérin-Pace (2011), p.183.

[24] Mina Saïdi-Sharouz, « Les mobilités quotidiennes des femmes de Téhéran : réalité et enjeux ». Texte initialement  publié  dans Femmes  et  Villes,  textes  réunis  et  présentés  par  Sylvette  Denèfle,  Collection Perspectives « Villes et Territoires » no 8, Presses Universitaires François-Rabelais, Maison des Sciences de l’Homme « Villes et Territoires », Tours, 2004, p.

[25] Id., p.447.

[26] Harfouche, A. (2011). L’homosocialité de l’espace public dans l’Algérie contemporaine- La distinction des genres dans la pratique de l’espace public : cas du centre ville de Sétif Formes et usages, Diplôme de Spécialisation et d’Approfondissement en Architecture, Option Projet urbain et Métropolisation, Ecole nationale supérieure d’architecture de Paris la Villette, 47 pages.

[27] Ibid.

[28] Kian-Thiébaut, A. (2010). Le féminisme islamique en Iran : nouvelle forme d’assujettissement ou émergence de sujets agissants ? Critique internationale n° 46, Presses de Sciences Po, pp. 45-66

[29] Saidi Shahrouz, M. (2012). « Les femmes et les espaces publics à Téhéran », Égypte/Monde arabe, Troisième série, n°9, pp.57-69.

[30] Ibid.

[31] Kian-Thiébaut, A. (2010). Le féminisme islamique en Iran : nouvelle forme d’assujettissement ou émergence de sujets agissants ? Critique internationale n° 46, Presses de Sciences Po, pp. 45-66

[32] Direnberger, L. (2011). « De la rue à Internet : espaces de contestation féminins

et féministes à Téhéran : Le genre en mouvement dans les manifestations post-électorales de 2009 en Iran», Justice  spatiale  n°  03, p.8.

[33] http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/r%C3%A9sistance/68632

[34] http://www.leparisien.fr/laparisienne/societe/iran-des-femmes-otent-le-voile-pour-leur-liberte-12-05-2014-3834685.php#xtref=https%3A%2F%2Fwww.google.mg%2F

[35] Saïdi-Sharouz, M. et Guérin-Pace, F. (2011). « La mobilité quotidienne des femmes dans la ville de Téhéran : entre visibilité et invisibilité », L’Espace géographique, Tome 40, p. 184.

[36] Ibid., p.185.

[37] Saïdi-Sharouz, M. (2004). « Les  mobilités  quotidiennes  des  femmes  à  Téhéran :  réalités  et  enjeux »,  dans  Femmes  et  villes, Sylvette Denèfle, Paris: Presses universitaires François Rabelais, p.452.

[38] Kian-Thiébaut , A. (2010). « Le féminisme islamique en Iran : nouvelle forme d’assujettissement ou émergence de sujets agissants ? »,  Presses de Sciences Po, Critique internationale, n° 46, p.52.

[39] Saïdi-Sharouz, M. et Guérin-Pace, F. (2011). « La mobilité quotidienne des femmes dans la ville de Téhéran : entre visibilité et invisibilité », L’Espace géographique, Tome 40, p.183.

[40] Tohidi, N. (2009). “Iran’s  Presidential  Elections :  Women’s  Role  in  the  Pre-  and  post-Elections  Politics”,  Middle  East  Program, Washington.

[41] Favre, P. (2007). Les manifestations de rue entre espace privé et espaces publics, L’atelier du politiste, pp.193-213.

[42] Ibid.

[43] Mulard, C. (2010)., « Téhéran, mars 1979, avec caméra et sans voile » Journal de tournage,

Gallimard, Les Temps Modernes, n° 661, p. 162.

[44] Ibid.

[45] Riaux, G. (2011). « S’engager par défaut : les jeunes femmes et la cause azerbaïdjanaise en Iran »,

Presses de Sciences Po/Sociétés contemporaines, n° 81, p. 137.

[46] Direnberger, L. (2011). « De la rue à Internet : espaces de contestation féminins

et féministes à Téhéran : Le genre en mouvement dans les manifestations post-électorales de 2009 en Iran», Justice  spatiale  n°  03, p.3.

[47] Ibid., p.5.

[48] Ib., p.6.

[49] Ziaei, H. (2013). Les femmes iraniennes : Pilier du progressisme politique et social, disponible sur l’URL http://www.medea.be/2013/10/les-femmes-iraniennes-pilier-du-progressisme-politique-et-social/

[50] Ibid.

[51] http://www.liberation.fr/monde/2014/06/11/iran-la-police-deployee-contre-le-non-respect-du-voile-islamique_1038112

[52] http://www.liberation.fr/monde/2014/06/11/iran-la-police-deployee-contre-le-non-respect-du-voile-islamique_1038112

[53] Ibid.

[54] Saïdi-Sharouz et Guérin-Pace, p. 183.

[55] Ibid.

[56] Id., p.186.

[57] Ibid.

[58] Ibid., pp.184-185.

[59] Ibid., p.183.

[60] Gouëset, C. (2014). Iran: 5 choses à savoir sur le foulard islamique, disponible sur l’URL http://www.lexpress.fr/actualite/monde/proche-moyen-orient/iran-5-choses-a-savoir-sur-le-foulard-islamique_1543795.html

[61] Gilles, R. (2011). « S’engager par défaut : les jeunes femmes et la cause azerbaïdjanaise en Iran », Sociétés contemporaines, n° 81, p.143

[62] Saïdi-Sharouz, M. (2004). « Les mobilités quotidiennes des femmes de Téhéran : réalité et enjeux ». Texte initialement  publié  dans Femmes  et  Villes,  textes  réunis  et  présentés  par  Sylvette  Denèfle,  Collection Perspectives « Villes et Territoires » no 8, Presses Universitaires François-Rabelais, Maison des Sciences de l’Homme « Villes et Territoires », Tours, 2004, p.449.

 

[63] Ibid., p.183

[64] Saïdi-Shahrouz (2004), p.451.

[65] http://www.ncr-iran.org/fr/communiques-cnri/62-iran-protestations/6436-iran–violents-accrochages-sur-la-place-vanak-de-tran.html

[66] http://www.ncr-iran.org/fr/actualites/iran-resistance/12142-iran-manifestation-contre-le-pouvoir-sur-la-place-vanak-de-teheran.html

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