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La Possession Comme Moyen D’Acquérir La Propriété Immobilière Et La Pratique Notariale De L’Usucapion

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

LA POSSESSION COMME MOYEN D’ACQUÉRIR LA PROPRIÉTÉ IMMOBILIÈRE ET LA PRATIQUE NOTARIALE DE L’USUCAPION

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PRINCIPALES ABRÉVIATIONS

 

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Art. : Article

Bull. civ. : Bulletin des arrêts de la Cour de cassation

  1. civ. : Code civil

chron. : chronique

Civ. : Cour de cassation, chambre civile

Com. : Cour de cassation, chambre commerciale

  1. : Dalloz-Sirey (Recueil)

Defrénois : Répertoire du notariat Defrénois

DH : Dalloz hebdomadaire

DP : Dalloz périodique

Gaz. Pal. : Gazette du Palais

Grands arrêts : Grands arrêts de la jurisprudence civile, Dalloz, 11e éd.

JCP : Juris Classeur Périodique Semaine juridique

JO : Journal officiel

  1. cit. : Opere citato

Rappr. : Rapprocher

RD imm. : Revue de droit immobilier

Req. : Chambre des requêtes

RTD civ. : Revue trimestrielle de droit civil

RTD com. : Revue trimestrielle de droit commercial

  1. : Recueil Sirey

Soc. : Cour de cassation, chambre sociale

 

 

 

SOMMAIRE

 

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PARTIE I  –  LA POSSESSION

Chapitre I  –.. Les éléments constitutifs de la possession…………………………………………… 7

Section I – Composantes de la possession………………………………………………………………… 9

Section II – La réunion et la dissociation des éléments constitutifs de la possession……. 16

Chapitre II –. Conditions d’efficacité et effets de la possession……………………………….. 19

Section I – Absence de vices absolus……………………………………………………………………… 20

Section II – Absence de vices relatifs…………………………………………………………………….. 21

 

PARTIE II  –  L’ACQUISITION DE LA PROPRIÉTÉ D’UN BIEN IMMOBILIER PAR LA POSSESSION

Chapitre I  –.. La prescription acquisitive………………………………………………………………. 24

Section I – Fonction probatoire de la prescription acquisitive………………………………….. 25

Section II – Les conditions de l’usucapion……………………………………………………………… 26

Section III – Les effets de la prescription acquisitive……………………………………………….. 39

Chapitre II –. L’usucapion en tant que mode de preuve de la propriété

……………………… immobilière…………………………………………………………………………………….. 43

Section I – L’objet et la charge de la preuve…………………………………………………………… 44

Section II –   L’acte de notoriété acquisitive, un moyen de preuve de l’usucapion ?……. 46

 

 

 

 

 

INTRODUCTION

 

 

Il existe dans le Code civil, à l’article 2255, une définition : « La possession est la détention ou la jouissance d’une chose ou d’un droit que nous tenons ou que nous exerçons par nous-mêmes, ou par un autre qui la tient ou qui l’exerce en notre nom ». En dépit de cette formulation, la notion de possession reste difficile à saisir, d’autant plus que les rédacteurs du Code civil n’ont pas, à ce sujet, conçu une théorie générale. Ils n’ont traité de la possession qu’à propos de l’un de ses effets, l’usucapion ou prescription acquisitive (art. 2255 à 2279) : dans le chapitre II du titre XXI du Livre III, consacré à la prescription acquisitive, la possession n’est effectivement envisagée que sous cet angle. Il s’agit là d’une vision bien trop étriquée : la notion de possession domine en effet le régime des droits réels et, spécialement, celui de la propriété.

 

Soit un individu en face d’une chose. Il peut en être propriétaire ou usufruitier ; il peut aussi avoir sur elle un autre droit réel, tel un droit de servitude. Rechercher si cet individu est propriétaire, usufruitier, etc., c’est analyser la situation de droit de l’individu en ce qui concerne cette chose.

 

Mais à côté de la situation de droit, il y a une situation de fait. Voici un individu en face d’une chose, il en use, en jouit, en dispose comme un propriétaire, ou bien par les actes qu’il accomplit il se comporte comme un usufruitier. Généralement cet individu exercera ce pouvoir de fait sur la chose parce qu’il a le droit d’agir ainsi ; il en est effectivement propriétaire, usufruitier. Mais ce n’est pas toujours le cas. Soit ainsi un voleur : il exerce sur la chose qu’il a volée un pouvoir de fait ; il n’est cependant pas en droit d’exercer ce pouvoir sur la chose ; il n’a pas sur elle un droit de propriété. La situation de fait n’est donc pas systématiquement liée, conforme à la situation de droit. Il y a bien deux notions distinctes, deux pouvoirs différents. Quand bien même les deux pouvoirs seraient réunis sur la même tête, ils sont différents en ce qu’ils sont séparables : il y a le pouvoir de fait sur une chose et il y a le pouvoir de droit sur cette chose. Le pouvoir de fait sur la chose, laquelle peut être corporelle ou incorporelle, c’est la possession. Rechercher celui qui exerce un pouvoir de fait sur une chose avec l’intention de se comporter comme s’il en était propriétaire – ou titulaire du droit réel correspondant à son comportement – qu’il le soit ou non, c’est rechercher celui qui est possesseur. Rechercher à qui appartient en droit ce pouvoir sur la même chose, c’est déterminer qui est propriétaire de cette chose ou, en dépassant le domaine du droit de propriété, qui est titulaire d’un autre droit réel sur cette chose : usufruit, servitude, etc.

 

Une question se pose cependant : pourquoi protéger la possession ? De prime abord, il semble que le droit n’ait pas à tenir compte de la possession, que celle-ci doit se distinguer nettement de la propriété ou des autres droits réels, les seuls dont le droit doive se préoccuper. Lorsque quelqu’un exerce un pouvoir sur une chose, une seule question doit, semble-t-il, se poser : cette personne a-t-elle un droit réel sur cette chose, en est-elle propriétaire, par exemple, ou bien en a-t-elle seulement la détention ? Si l’on constate que l’individu qui exerce un pouvoir sur une chose n’a pas sur elle un droit réel et qu’il n’est pas non plus détenteur, pourquoi le droit s’occuperait-il de ce pouvoir qui est exercé sur la chose, puisque la possession n’est qu’un pur fait ? Il semble donc que la possession ne devrait produire aucun effet juridique, si ce n’est simplement protéger les tiers qui, trompés par la situation apparente, auraient pu être amenés à traiter avec le possesseur en le prenant pour le propriétaire.

 

Or la loi accorde à celui qui exerce les prérogatives d’un droit certains avantages, notamment la protection de la situation dont il jouit en fait. Ainsi, une personne qui exerce sur une chose les attributs du droit de propriété, même si elle n’est pas vraiment titulaire de ce droit, verra-t-elle sa possession produire certaines conséquences juridiques dont l’une des principales est que le possesseur, à supposer qu’il ne soit pas le véritable titulaire du droit, peut cependant acquérir ce droit par le jeu de la prescription acquisitive. Les effets sont plus étendus si le possesseur est de bonne foi, c’est-à-dire s’il a cru être titulaire du droit, mais ils existent même s’il est de mauvaise foi. Quid cependant des raisons qui ont conduit le droit à attacher des effets juridiques à la possession en matière de droits réels et ce nonobstant le fait que le possesseur ne soit pas propriétaire. La prise en considération de la possession se justifie d’une triple manière.

  • Le législateur tend à empêcher les actes de violence, à faire régner la paix publique. Le propriétaire qui a perdu la possession de sa chose peut être tenté de la récupérer. Si le possesseur n’était pas protégé, le propriétaire pourrait songer à avoir recours à la force pour reprendre la possession ; il faut éviter qu’il ne se fasse justice à lui-même. On défendra ainsi le possesseur contre tout acte de violence qui pourrait être accompli à ses dépens, de quelque personne qu’émane cette violence, quand bien même elle émanerait du propriétaire. Si le possesseur a été dépossédé, on lui donne une action pour reprendre la possession de sa chose – c’est l’action en réintégration, qui est l’une des actions possessoires. Mais il n’y a là qu’une protection provisoire du possesseur : une fois que celui-ci aura été remis en possession, celui qui prétend avoir un droit de propriété pourra faire trancher la question par les tribunaux.
  • L’efficacité de la possession protège l’intérêt des tiers : lorsqu’un individu a exercé sur une chose les prérogatives d’un droit qu’il a à l’égard de la collectivité, l’apparence du droit, la sécurité des relations avec les tiers exigent que ceux-ci soient protégés. Quand ils traitent avec un possesseur en le croyant propriétaire, il faut que, soit la possession de celui avec lequel ils ont traité, soit leur propre possession, les rende propriétaires. Certes, les tiers trouvent déjà une certaine protection dans les règles de la propriété apparente. Mais la théorie de la propriété apparente n’était pas entièrement dégagée lorsque les rédacteurs du Code civil ont réglementé l’acquisition de la propriété par la possession. Au demeurant, les règles de la propriété apparente sont assez rigoureuses : on exige que le tiers qui a traité avec le propriétaire apparent démontre qu’il a été victime d’une erreur commune et invincible ; or cette preuve n’est pas aisée, et la théorie de la propriété apparente n’est pas de nature, à l’heure actuelle, à assurer une sécurité suffisante dans les transactions. En décidant que la possession fait acquérir la propriété, le législateur assure dans une certaine mesure la protection nécessaire des tiers.
  • Le propriétaire qui se désintéresse de sa chose, qui laisse un tiers se mettre en possession, n’est pas économiquement intéressant. Le possesseur est celui qui utilise la chose, qui l’exploite, qui la travaille en fait. Il peut paraître légitime qu’il soit aussi rapidement que possible juridiquement considéré comme le véritable titulaire du droit, car c’est lui qui fait de la chose l’usage socialement utile. On observera toutefois que cette justification de l’effet de la possession ne vaut que dans le cas où un certain délai doit s’écouler pour que la possession conduise à la propriété.

 

C’est d’ailleurs dans cette dernière justification des effets attachés à la possession que l’usucapion en matière immobilière, objet du développement qui va suivre, s’inscrit.

 

Pour justifier la prescription, la doctrine retient d’ordinaire deux fondements marqués par son subjectivisme : l’ordre public et la présomption de propriété. Sous l’influence de Kant, Savigny a montré la nécessité de respecter la dignité de la personne. L’acte perturbant la possession lui porterait directement atteinte[1]. Dans une tradition plus hégélienne (Windscheid, romanistes italiens), on s’est attaché à la volonté. Quant à la référence à l’ordre public, elle traduit un élargissement de ces vues, sous la même inspiration[2], mais aussi sous l’influence de considérations plus pratiques. L’idée qu’il faut assurer protection contre les troubles violents et contre le recours à la vengeance privée (tentation des propriétaires spoliés) remonte à l’interdit unde vi et à la réintégrande médiévale. Elle a été développée dans le plan théorique par Rudorff (élève de Savigny mais contesté sur ce point par son maître). On la retrouve dans les justifications modernes tirées de la sécurité[3]. En complétant cette analyse par la présomption de propriété, c’est Pothier et Troplong que l’on suit. Comme la possession est substantiellement analogue à la propriété, elle la laisse présumer. D’où l’utilité de la reconnaître et de lui attacher les effets que l’on sait. En fait, ce fondement est suggéré par Savigny ainsi que par le juriste hégélien Gans qui voit dans la possession une « propriété commençante ». Ce serait cependant une erreur de prêter à Ihering la même conception. Certes Ihering invoque la présomption lorsqu’il met en évidence le rôle probatoire de la possession, « bastion avancé de la propriété[4] ». Mais ce n’est là qu’un intérêt procédural. L’intérêt économique que comporte la chose possédée et qui détermine l’état constitutif du corpus (v. infra. Partie I – Chapitre I – Section I – § 1) est le premier et véritable fondement. Si protéger la possession est le meilleur moyen de protéger la propriété, la seule propriété qui soit digne d’être protégée est celle qui entre dans le moule de la possession.

 

Dès lors que le possesseur d’un immeuble donné envisage d’en disposer ou de le louer, il est contraint de justifier qu’il a la qualité de propriétaire. Cependant, il arrive qu’il n’ait pas en sa possession un titre de propriété régulier. Et nonobstant l’absence d’un tel titre, le législateur lui reconnaît ladite qualité si sa possession revêt certains caractères et remplit les conditions afférentes à la prescription acquisitive. Le cas échéant, le notaire établira un acte appelé acte de notoriété acquisitive dans le dessein de conforter la possession, ce qui autorisera la location ou la vente du bien. La question qui se pose est donc la suivante : Comment le notaire doit-il procéder pour établir un tel acte tout évitant que sa responsabilité soit engagée ? Pour trancher cette question, une étude du mécanisme même de la prescription acquisitive en matière immobilière se doit d’être faite.

 

Pour une meilleure appréhension du sujet, il importe de faire une analyse approfondie de la notion et du rôle de la possession (Partie I). Ensuite, il convient de mettre en lumière l’acquisition de la propriété d’un bien immobilier via la possession (Partie II).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PARTIE I LA POSSESSION

 

La pensée juridique progresse constamment, ce qui est, à la fois, signe de réconfort et d’espoir. La question de la possession illustre certainement ce propos[5], ce qui permet de prolonger et de renouveler, à son sujet, une réflexion. La possession est d’une nature subjective et factuelle : subjective, le corpus désignant un pouvoir sur la chose ; factuelle, en l’absence d’un droit, ou plus exactement d’un titre ou d’une « investiture », à l’origine de la possession. Attribué de ce fait, le corpus n’est pas une faculté légalement reconnue. Mais, sous d’autres aspects, la possession se présente comme un droit. La possession propose l’image idéale de la propriété (conçue à la manière de la proprietas romaine). Elle n’est pas l’exercice mais l’extériorité, l’état de fait ou la visibilité de la propriété. Ihering feint de croire que la propriété est ce qu’elle devrait être, imitant la possession. Mais la propriété pourra exister tandis que la possession fait défaut : elle ne sera pas alors protégée, parce que la possession s’accommode mal d’une virtualité d’action autorisant l’abandon des biens. C’est moins en raison de ses effets qu’à cause de son contenu qui recouvre un intérêt au sens objectif, que la possession est un droit. Car le droit est la qualité d’une chose d’être dans un certain état, et cet état est déterminé par l’intérêt inhérent à la chose, autrement dit par la finalité, par la valeur de celle-ci[6].

 

Si telle est la nature juridique de la possession, quid cependant de ses éléments constitutifs (Chapitre I) d’une part, et de ses conditions d’efficacité ainsi que ses effets (Chapitre II) d’autre part.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

CHAPITRE I.  –   LES ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS DE LA POSSESSION

 

L’analyse des composantes de la possession a éveillé en Allemagne, au siècle dernier, une célèbre controverse ayant exercé une grande influence.

 

Pour Savigny[7], l’élément déterminant et souverain créant la possession véritable est l’animus. En effet, les actes matériels d’utilisation exercés sur la chose, qui constituent le corpus, peuvent être accomplis à des titres divers ; extérieurement, rien ne ressemble plus aux travaux du propriétaire que ceux du fermier. L’élément distinctif de la possession va donc être l’animus, l’intention qui anime le possesseur : de là le nom de théorie subjective donné à ce système, car il attribue à la volonté une action prépondérante. Cette intention sera celle d’agir en propriétaire. Savigny oppose à l’animus domini un animus detinendi, intention de détenir pour autrui, qui réduit le possesseur à un rôle de simple détenteur. Le seul possesseur est donc en principe le possesseur à titre de propriétaire. Tout au plus pourra-t-on lui assimiler ceux qui, comme l’usufruitier, ont la volonté d’exercer certains droits réels autres que la propriété. Mais le domaine d’application de la protection possessoire demeure restreint dans la théorie subjective.

 

Cette théorie a été combattue par Ihering[8]. Celui-ci fait abstraction au maximum de l’intention. Ce qui importe c’est le fait extérieur, objectif, des actes d’utilisation, d’où le nom de théorie objective, adopté par Ihering lui-même. Certes Ihering ne supprime pas totalement l’élément intentionnel dans sa conception de la possession : sans volonté, point de rapport possessoire ; le dormeur ne possède pas ce que l’on pose dans sa main[9] ; le prisonnier ne possède pas ses chaînes. En l’absence de toute volonté de posséder, il ne peut y avoir qu’un simple rapport de juxtaposition locale[10]. Ainsi donc Ihering fait une place à l’élément intentionnel, mais il l’entend autrement que Savigny et le considère comme implicitement contenu dans le pouvoir de fait exercé sur la chose. L’individu conscient, qui a une chose en son pouvoir, a nécessairement l’intention d’exercer sur elle un droit. Ce droit peut être celui d’un propriétaire, d’un créancier gagiste, d’un fermier ou locataire, d’un dépositaire ; en tout cas, on relève toujours la volonté d’exercer un droit, c’est-à-dire l’animus, dès lors qu’il y a pouvoir physique exercé volontairement sur une chose. Par suite, la catégorie des possesseurs absorbe en elle celle des détenteurs précaires et, de ce fait, la précarité n’est qu’un vice de la possession, paralysant certains effets, par exemple la prescription, mais sans influence sur d’autres, par exemple la protection possessoire en matière immobilière.

 

Traditionnellement, l’on a rattaché le système français à la conception subjective. Longtemps la conception française s’est fondamentalement caractérisée par l’exigence de l’intention d’agir pour son propre compte, la possession pour autrui n’étant pas considérée comme une possession véritable. Dans cette ligne, le fondement essentiel de la possession est la présomption du droit du possesseur : comme l’ont dit Aubry et Rau, « ce que la loi protège, c’est bien moins la possession elle-même que le droit probable de propriété ou de servitude dont elle fait supposer l’existence[11] ». La conception objective de la possession a généralement été reconnue comme supérieure, dans la mesure du moins où il s’agit de protéger en tant que telle la situation du possesseur. C’est ainsi que, d’après le Code civil allemand, la possession consiste dans un pouvoir de fait sur la chose (BGB, art. 854). Cependant, à la lumière de l’évolution ultérieure des deux droits – spécialement du droit français – et de l’approfondissement de l’analyse comparative[12], on est aujourd’hui conduit à nuancer singulièrement l’affirmation des différences. L’opposition d’une thèse subjective (Code civil français) et d’une thèse objective (BGB) est dépassée. En d’autres termes, la controverse doctrinale ne peut plus servir de référence. L’opposition du subjectivisme français et de l’objectivisme allemand a perdu une grande part de son importance, spécialement depuis qu’en droit français, la situation du détenteur précaire a été très améliorée sous l’influence de la jurisprudence et de la législation. Ces résultats étant atteints, le système allemand, proposé souvent comme modèle il y a quelques décennies, a cessé pour beaucoup d’être considéré comme meilleur que le nôtre.

 

 

 

Section I – Les composantes de la possession

 

Avant d’exposer les éléments principaux constitutifs de la possession (§ 2), il importe tout d’abord de définir cette notion qui, comme on l’a déjà évoqué, est difficile à saisir (§ 1). Par ailleurs, une distinction entre la dite notion et la détention précaire mérite d’être faite (§ 3).

 

  • 1. – Définition de la possession

 

Habituellement, on définit la possession comme étant un rapport de fait entre une chose et une personne, par lequel cette personne a la possibilité d’accomplir, sur cette chose, personnellement ou par l’intermédiaire d’un tiers, des actes qui, dans leur manifestation extérieure, correspondent à l’exercice d’un droit, qu’elle soit ou non titulaire régulière de ce droit. Aussi, la possession met-elle en évidence un état de fait illustrant une similitude avec l’exercice des prérogatives attachées à la propriété. L’on insiste sur une double idée : la possession est un fait, indépendant du point de savoir s’il correspond effectivement à un droit ; ensuite elle s’analyse essentiellement dans l’exercice des actes correspondant à ceux qu’accomplit le propriétaire d’une chose.

 

La première idée est exacte : la possession est un fait. Mais la seconde idée est critiquable en ce que la possession est prise dans son sens étroit et originaire : elle éveille à la fois l’idée de chose matérielle et l’idée de propriété[13]. Or il s’est produit une extension progressive de la notion de possession, celle-ci pouvant s’appliquer à des choses incorporelles, notamment à des droits de créance. L’article 2255 formule en ce sens la définition suivante : « La possession est la détention ou la jouissance d’une chose ou d’un droit que nous tenons ou que nous exerçons par nous-mêmes, ou par un autre qui la tient ou qui l’exerce en notre nom ».

 

L’idée qu’elle puisse s’appliquer à des choses incorporelles conduit à une notion plus exacte et plus claire de la possession : celle-ci est le fait par une personne d’accomplir des actes qui, dans leur manifestation extérieure, correspondent à l’exercice volontaire d’un droit, qu’elle soit ou non titulaire de ce droit. Des conséquences juridiques peuvent être attachées par la loi à ce fait lui-même pour les raisons que nous avons développées ci-avant.

 

Une question se pose cependant : à quoi peut s’appliquer la possession prise en considération par le droit ? Cette interrogation revient à connaître le domaine de la possession. Pour y répondre, il convient d’aller du concret à l’abstrait, c’est-à-dire d’envisager successivement les choses possédées et la possession des droits. Bien que la possession ne soit pas liée à l’existence d’un droit, il faut néanmoins que la chose, objet de la possession, puisse être l’objet du droit. Il en résulte que les particuliers ne peuvent avoir une possession efficace sur des choses qui ne sont pas susceptibles de propriété privé, par exemple des choses communes. Mais la possession efficace est possible pour les meubles aussi bien que pour les immeubles.

 

En principe, tous les droits réels, principaux ou accessoires, sont susceptibles d’une possession offrant les avantages juridiques que nous allons étudier : il en est ainsi de la propriété, de l’usufruit, des servitudes, de l’antichrèse, du gage[14] et de l’emphytéose.

Au fil du temps, le rayonnement de la possession s’est élargi. Le droit moderne protège, dans une certaine mesure, l’exercice de fait de droits autres que les droits réels sur une chose : droits de créance, droits de famille, droits incorporels[15]. Pourquoi, en effet, la situation de celui qui exerce en fait ces droits ne serait-elle pas, en elle-même, prise en considération ? Le trouble apporté à cette situation risque d’engendrer un trouble social aussi bien que le trouble causé à la possession d’un droit réel. Ainsi est-il, à l’article 1240 du Code civil, fait allusion au possesseur d’une créance, c’est-à-dire à la personne qui exerce les prérogatives du créancier indépendamment du point de savoir si elle a vraiment droit à ce titre : cet article dispose que le payement fait de bonne foi à celui qui est « en possession de la créance » est valable encore que le possesseur en soit par la suite évincé, parce qu’il n’est pas le véritable propriétaire de la créance.

 

L’extension de la possession aux meubles incorporels est dans la logique d’un système qui reconnaît une place sans cesse accrue à l’immatériel ou à l’incorporel, qu’il s’agisse notamment du fonds de commerce, de valeurs mobilières dématérialisées ou de créations intellectuelles. Cette orientation était en germe à travers la dématérialisation du contact matériel consistant à substituer à celui-ci des actes symboliques (remise de clés, installation d’un gardien). Mais plus profondément encore, la reconnaissance d’un pouvoir de fait, considéré comme un pouvoir abstrait, correspond à des nécessités reconnues, du moins lorsque des règles de publicité ne prévalent pas sur la reconnaissance de ce pouvoir en tant que tel[16].

 

Comme si la possession devait, à sa manière, accompagner l’extension du domaine de la propriété, l’incorporel – on dit aussi l’immatériel – a aussi été couvert par son emprise. Les manifestations de ce mouvement sont assez diverses, qu’il s’agisse notamment de l’importance accrue attachée à la possession corpore alieno (infra, Partie I – Chapitre I – Section II – Para 1 – A), des créations de l’esprit, des instruments financiers, de la monnaie scripturale … A telle enseigne que l’empire du droit couvre de plus en plus d’abstractions, non sans adaptations nécessaires ratione materiae, ratione loci, ratione temporis.

 

  • 2. – Les éléments de la possession

 

Il existe deux composantes de la possession dégagées par le droit romain : le corpus (A) et l’animus (B).

 

  1. Corpus

 

Le corpus, c’est l’élément objectif de la possession : c’est l’exercice de fait des prérogatives correspondant au droit. S’il s’agit de la possession de la propriété, le corpus sera le fait de se comporter comme un propriétaire, d’exercer sur la chose l’usus, le fructus, l’abusus, par exemple le fait d’être à même d’accomplir sur la chose des actes de détention, d’usage, de transformation, le fait de payer les charges et impôts afférents au bien possédé, etc.[17].

 

Le corpus est analysé comme l’accomplissement d’actes purement matériels sur la chose, qu’elle soit corporelle ou incorporelle ; il ne serait, en revanche, pas constitué par des actes juridiques tels que la vente ou le bail[18]. La raison en serait qu’une personne qui ne possède pas pourrait faire de tels actes. Cette conception paraît trop étroite : des actes juridiques accomplis à propos de la chose – tels que le bail, la vente, le contrat d’assurance, le payement d’impôt – relèvent de l’exercice de fait des prérogatives du droit. D’ailleurs, en matière de preuve de la propriété, en tant que les adversaires invoquent la possession et que la jurisprudence donne la préférence à la possession meilleure et plus caractérisée, les arrêts retiennent des actes juridiques aussi bien que des actes matériels pour caractériser la possession. Il faut toutefois reconnaître qu’une possession efficace ne découlera pas, en général, de seuls actes juridiques, ceux-ci pouvant être entachés d’équivoque : l’on peut vendre ou donner à bail la chose d’autrui sans s’en prétendre propriétaire.

 

À vrai dire, dès lors que l’on attache, de manière générale, des effets à la possession des meubles incorporels, il peut y avoir quelque inélégance à faire état d’un corpus, comme composante de cette possession. En remontant en deçà des actes matériels et des actes juridiques, on en revient à l’essentiel : l’existence d’une maîtrise sur la chose manifestée aussi bien par les uns que par les autres[19].

 

  1. Animus

 

L’élément objectif, matériel, ne suffit pas ; sinon il y aurait simple détention. Il faut, en outre, un élément psychologique, intentionnel. C’est l’animus, l’intention de se comporter comme le véritable titulaire du droit ; par exemple, au point de vue de la possession du droit de propriété, ce sera l’intention de se comporter comme le propriétaire de la chose, ce que l’on nomme l’animus domini ou animus rem sibi habendi. Le plus souvent la possession cadre avec le droit, l’animus est justifié, mais il peut en être différemment : ainsi le voleur ou l’usurpateur d’une chose, non seulement exercent sur la chose les prérogatives d’un propriétaire, mais ils ont la volonté de s’affirmer en propriétaires de la chose, bien qu’ils ne le soient pas et sachent fort bien qu’ils ne le sont pas ; leur possession a beau être de mauvaise foi, ils ont néanmoins la possession du droit de propriété, ou de la chose selon la formule romaine utilisée à l’article 2255.

 

  • 3. – Possession et détention précaire

 

De certains textes, l’on est porté à déduire que le Code civil distingue deux sortes de possession : la possession « à titre de propriétaire » (art. 2261), ou « pour soi et à titre de propriétaire » (art. 2256), et d’autre part, la possession « pour un autre » (art. 2256) ou « pour autrui » (art. 2257). La notion de possession ne s’opposerait pas à celle de détention, il n’y aurait que des possesseurs. Certes, la possession produirait des effets plus ou moins complets, suivant que l’on possède pour soi et à titre de propriétaire, ou pour autrui. Ainsi c’est seulement dans le premier cas que la possession conduirait à la prescription, alors que dans le second cas, la possession viciée de précarité, et à cause de ce vice, est inapte à servir de base à la prescription. Mais elle n’en serait pas moins une possession, susceptible de produire certains effets, par exemple la protection possessoire en matière immobilière.

 

En législation, cette thèse est défendable. Il est toutefois certain qu’elle ne correspond pas à notre droit positif. Le Code civil prend soin de distinguer la détention du possesseur et ce qu’il appelle la détention précaire. L’article 2266 fait allusion à cette dernière notion en disposant à propos de la prescription acquisitive, qui est l’un des effets principaux attachés à la possession du droit de propriété : « Ceux qui possèdent pour autrui ne prescrivent jamais par quelque laps de temps que ce soit. Ainsi, le fermier, le dépositaire, l’usufruitier, et tous autres qui détiennent précairement la chose du propriétaire, ne peuvent la prescrire ». Ce texte implique donc une opposition entre le possesseur du droit de propriété et le détenteur précaire. Les articles 2256, 2257, 2267 et 2241 énoncent les règles d’après lesquelles, parmi ceux qui détiennent la chose, on peut distinguer le possesseur et le détenteur précaire[20].

 

  1. Définition du détenteur précaire

 

La définition du détenteur précaire ne peut être donnée que par rapport au droit de propriété, par opposition à la possession de ce droit[21]. L’article 2266, qui fait d’ailleurs allusion à la notion de détention précaire à propos de la prescription acquisitive, l’un des effets principaux attachés à la possession du droit de propriété, indique que le détenteur précaire est celui qui détient « précairement la chose du propriétaire ». Il s’agit d’une personne qui a la chose entre les mains, mais elle la détient précairement, parce que, normalement, le propriétaire la lui a remise à sa demande, sur sa prière (preces), c’est-à-dire qu’elle devra, à un moment plus ou moins éloigné, la restituer au propriétaire. Le détenteur précaire détient ainsi la chose en vertu d’un titre qui vaut de sa part reconnaissance de la propriété d’autrui, tel le locataire d’une maison. Le titre qui justifie sa détention, à savoir le bail, prouve qu’il n’est pas propriétaire de l’immeuble ; le locataire n’est qu’un détenteur précaire (on dit parfois possesseur précaire) : s’il peut exercer certains actes d’usage ou de jouissance sur la chose, il n’a pas l’animus domini ; il ne prétend pas se conduire comme s’il en était le propriétaire ; s’il possède, ce n’est pas pour son propre compte, mais bien pour le compte d’autrui. C’est donc cet autre, le propriétaire, qui est le possesseur (possesseur du droit de propriété), puisqu’il a l’animus et exerce le corpus par l’intermédiaire du détenteur précaire.

 

Détermination des détenteurs précaires. – A l’article 2266 sont cités le fermier – disons, de façon plus générale, le locataire –, le dépositaire, l’usufruitier[22]. Il faut ajouter l’emphytéote qui détient un immeuble en vertu d’un bail de longue durée, le créancier gagiste qui détient une chose mobilière, le créancier antichrésiste, à qui un immeuble a été donné en nantissement, le séquestre qui a la chose d’autrui en garde, le commodataire, qui a reçu la chose à titre de prêt à usage, et, dans la mesure des actes d’usage rentrant dans le droit qu’il prétend exercer, le titulaire d’une servitude. La distinction de la possession et de la détention permet de comprendre que le possesseur puisse posséder par l’intermédiaire d’un détenteur, par exemple d’un fermier[23], ce qui n’est que l’illustration de la distinction figurant à l’article 2255 du Code civil.

 

Toutefois, il importe de bien remarquer qu’une personne peut être en même temps détenteur précaire et possesseur pour son compte. Ainsi, l’usufruitier est possesseur en tant qu’il exerce pour son compte le droit d’usufruit dont il se réclame, et détenteur précaire en ce qui concerne le droit de propriété qu’il ne prétend pas exercer. Pour ce dernier, c’est le propriétaire qui possède par l’intermédiaire de l’usufruitier[24]. Il en est de même de l’emphytéote, du créancier gagiste. Ils possèdent, s’ils l’exercent en fait, le droit d’emphytéose, de gage ; mais au point de vue de la possession de la propriété, ils détiennent la chose pour le compte de celui qui se prétend propriétaire et qui la leur a remise.

 

  1. Effets de la détention précaire

 

La détention précaire ne produit pas les mêmes effets que la possession. Ainsi, elle ne conduit pas à l’usucapion, quel que soit le temps pendant lequel le détenteur précaire détiendra la chose (art. 2266). Traditionnellement, l’on considère qu’en droit français, les effets que la loi attache à la possession ne peuvent se réaliser en la personne du détenteur précaire. Et cette attitude est expliquée parce qu’il manque au détenteur l’un des deux éléments essentiels de la possession, l’animus d’un propriétaire ; de plus, il n’a pas le corpus complet, puisqu’il ne fait pas d’actes correspondant à l’abusus. La détention précaire est pourtant loin d’être inefficace, aujourd’hui encore moins qu’hier.

 

Tout d’abord, le détenteur précaire, s’il n’a pas l’animus domini, exerce néanmoins un droit en vertu duquel il fait des actes d’usage et de jouissance sur la chose ; ayant l’animus correspondant à un droit, il possédera le droit dont il exerce en fait les prérogatives. C’est ainsi que le créancier gagiste peut invoquer l’article 2276. La possession d’un droit d’usufruit ou de servitude peut aussi permettre au possesseur d’acquérir le droit, s’il n’en était pas véritablement titulaire, par l’effet de la prescription acquisitive. L’exercice, par le détenteur précaire, de prérogatives inhérentes à un droit de créance – c’est le cas du locataire, de l’emprunteur, du dépositaire – n’est pas non plus dépourvu d’effets, notamment sur le terrain des actions possessoires.

 

Plus généralement, au sujet de celles-ci, il convient d’observer que le détenteur précaire bénéficie, en principe, de la protection inhérente aux actions possessoires. Aux termes de l’article 2278, alinéa 2, du Code civil, la protection possessoire, accordée au possesseur, « est pareillement accordée au détenteur contre tout autre que celui de qui il tient ses droits ».

 

  1. Preuve de la possession et de la détention précaire

 

Il y a grand intérêt à distinguer les détenteurs précaires des véritables possesseurs, étant donné les effets amoindris de la détention précaire par rapport à la possession du droit de propriété : lorsqu’on se trouve en présence d’une personne tenant une chose, faisant sur elle des actes ordinaires d’usage et de jouissance, s’agit-il d’un possesseur de la propriété ou d’un détenteur précaire ? Pour trancher cette question, la loi a formulé aux articles 2256 et 2257 deux importantes présomptions.

 

  1. Présomption de possession véritable

L’article 2256 dispose qu’« on est toujours présumé posséder pour soi, et à titre de propriétaire, s’il n’est prouvé qu’on a commencé à posséder pour un autre ». Cette présomption de non-précarité est le contrepoids nécessaire de la règle selon laquelle le détenteur ne jouit pas, en principe, des mêmes avantages que le possesseur. En effet, lorsqu’une personne a la détention matérielle d’une chose et qu’elle prétend exercer un droit réel sur cette chose, on doit présumer, jusqu’à preuve du contraire, que sa prétention est exacte. Elle n’a pas à prouver que sa possession est exempte de précarité[25]. C’est donc à son adversaire de prouver qu’elle est un simple détenteur précaire. Actori incumbit probatio (art. 1315).

 

  1. Présomption de perpétuité de la précarité

L’article 2257 du Code civil dispose : « Quand on a commencé à posséder pour autrui, on est toujours présumé posséder au même titre, s’il n’y a preuve du contraire ». Cette règle est la contrepartie de la précédente. Ainsi le locataire, l’emprunteur qui prétendent avoir acquis l’animus domini doivent en faire la preuve en démontrant qu’il y a eu de leur part interversion de titre, selon les termes de l’article 2268 du Code civil[26]. Cette disposition correspond au droit commun des preuves : le possesseur alléguant un changement dans la situation d’où il entend tirer avantage doit en faire la preuve.

 

  1. Interversion du titre : circonstances non retenues

          Le détenteur peut se transformer en possesseur véritable, ce qui lui permettra de détenir la chose d’une manière utile, notamment en ce qui concerne la prescription acquisitive. Mais la loi pose deux règles importantes qui précisent que l’interversion de titre ne peut résulter des deux circonstances suivantes :

  • L’interversion ne peut résulter d’un simple changement d’intention de la part du détenteur (art. 2270). Serait-il prouvé qu’un locataire, un usufruitier, ont voulu se considérer comme propriétaires, cela ne suffit pas en soi, même s’ils ont cru devenir propriétaires[27]. Il en est ainsi d’abord parce que le plus souvent le détenteur a reçu la chose en vertu d’un contrat et que la sécurité des transactions serait compromise s’il suffisait au détenteur de changer d’intention pour faire courir à son profit la prescription à l’insu du propriétaire ; de plus, l’animus, phénomène purement psychologique, ne saurait être pris en considération par le droit faute d’être extériorisé de quelque façon[28].
  • L’interversion ne résulte pas non plus du décès du détenteur. L’article 2267 énonce : « Les héritiers de ceux qui tenaient la chose à quelqu’un des titres désignés par l’article précédent (c’est-à-dire les titres précaires), ne peuvent non plus prescrire[29]». Ainsi les héritiers d’un locataire, même s’ils ont cru leur auteur propriétaire, ne deviennent pas, du seul fait du décès, possesseurs à titre de propriétaires. Le locataire étant tenu d’une obligation de restitution relativement à la chose qu’il détient, cette obligation se transmet à ses héritiers, qui demeurent simples détenteurs précaires, même s’ils ignorent l’existence de cette obligation de restituer et croient posséder la chose pour leur propre compte[30].

 

  1. Interversion du titre par le fait d’un tiers

Le détenteur, par exemple un fermier, acquiert la propriété du bien qu’il détenait à titre précaire ; toutefois, il l’acquiert non pas de la personne qui est le véritable propriétaire, mais d’un tiers qui se fait passer pour tel. Il y a une substitution d’un titre de propriétaire à un titre de détenteur : le titre de la possession est donc interverti, et rien ne s’oppose en principe à ce que désormais la possession s’exerce à titre de propriétaire. Mais il faut pour cela, tout d’abord, que le détenteur ait agi de bonne foi, car s’il a su qu’il traitait avec un non-propriétaire, l’acte ne tendrait qu’à opérer de mauvaise foi une interversion de titre ; or une telle interversion ne saurait dépendre de la seule volonté du détenteur (art. 2270). Il faut, ensuite, qu’un changement dans sa conduite corresponde au changement de titre : par exemple, si jusqu’alors il payait son fermage à son propriétaire, il faut qu’il cesse de le payer, sinon sa possession serait entachée d’équivoque.

 

  • Interversion du titre par une contradiction opposée au droit du propriétaire

Il faut, aux termes de l’article 2268, qu’il y ait contradiction opposée au propriétaire, c’est-à-dire qu’un conflit surgisse, du fait du détenteur, au sujet de la question de propriété. Locataire ou fermier, le détenteur refuse de payer les loyers ou fermages sous prétexte que la chose louée lui appartient. Le conflit n’a pas besoin de revêtir la forme judiciaire ; il se peut que le locataire ou fermier notifie à son bailleur sa prétention sur la propriété par acte extrajudiciaire, lui déclarant que, dorénavant, il ne payera plus son loyer ou son fermage. Il se peut même qu’il n’y ait pas d’acte en forme : ainsi en serait-il si le propriétaire s’était vu refuser la restitution de son bien, pourvu que l’ancien détenteur précaire ait agi, ce faisant, d’une manière non équivoque, à titre de propriétaire[31]. Cette cause d’interversion diffère de la précédente, en ce que le possesseur détient désormais la chose sans avoir obtenu un titre nouveau ; il devient possesseur, mais possesseur sans titre. La « contradiction opposée au droit du propriétaire » met ainsi fin au titre de détention, plutôt qu’elle ne l’intervertit.

 

  1. Effets de l’interversion du titre

L’interversion du titre ne produit effet qu’à partir de la date où elle s’est produite, sans qu’il puisse être fait état de la détention précaire antérieure, soit pour prescrire[32], soit pour avoir droit à l’action possessoire. L’interversion du titre purge le vice de précarité erga omnes.

Section II – La réunion et la dissociation des éléments constitutifs de la possession

 

  • 1. – Acquisition de la possession

 

Si l’acquisition de la possession se fait par la réunion de ses deux composantes : le corpus et l’animus (A), il n’est pas indispensable que ses deux éléments se réalisent dans la même personne du possesseur (B).

 

  1. La réunion du corpus et de l’animus : indispensable pour qu’il y ait possession

 

On acquiert la possession par la réunion du corpus et de l’animus. Il faut faire sur la chose les actes rentrant dans les prérogatives correspondant au droit que l’on veut exercer. Il n’est d’ailleurs pas nécessaire que le possesseur se saisisse du bien ; la possibilité actuelle d’agir sur la chose suffit ; ainsi on admet que l’acquéreur d’un immeuble est mis en possession par la remise des clefs, car il a alors la possibilité de faire non seulement les actes juridiques sur la chose, vente, bail, etc., mais les actes matériels.

 

L’animus résulte le plus souvent de l’appréhension même de la chose, qui fait présumer l’intention de la garder comme sienne. Il peut aussi dériver de certains faits ou conventions qui impliquent son existence, tels que la traditio brevi manu, qui est la prise de possession par l’ancien détenteur tenant sa qualité nouvelle d’un contrat passé avec le précédent possesseur, ou le constitut possessoire, qui est la convention par laquelle l’aliénateur reconnaît posséder dorénavant la chose pour le compte de l’acquéreur ; il se constitue possesseur pour le compte de celui-ci. On n’exige d’ailleurs pas qu’à chaque prise de possession corresponde une volonté consciente et spéciale. Dès lors que des choses ont été prédisposées pour la réception de possessions nouvelles, une volonté anticipée générale suffit : ainsi, le destinataire de lettres devient possesseur du courrier déposé par le préposé dans les boîtes placées à cet effet dans les immeubles avant même de savoir que du courrier y a été déposé.

 

Les deux éléments doivent être réunis : la seule volonté de se comporter comme propriétaire d’une chose ne peut suffire tant qu’elle ne se concrétise pas dans la maîtrise de la chose[33]. Ainsi, le propriétaire dont la chose est entre les mains d’un tiers qui se comporte comme s’il en était lui-même propriétaire n’a pas la possession de sa chose, car il n’a pas le corpus ; c’est le tiers qui est ici possesseur. De même, le corpus à lui seul ne suffit pas : ainsi, le locataire, qui détient le bien et fait sur lui des actes matériels de jouissance, n’a pas la possession au sens strict du mot (la possession des droits réels), parce qu’il n’a pas l’animus, l’intention de se comporter en propriétaire ou en titulaire du droit réel.

 

  1. La réunion du corpus et de l’animus en la même personne du possesseur : non indispensable pour acquérir la possession

 

Si les deux éléments, matériel et intentionnel, doivent exister pour acquérir la possession, il n’est pas indispensable qu’ils se réalisent dans la personne même du possesseur.

¯  On peut acquérir le corpus par l’intermédiaire d’autrui, puisque le possesseur peut posséder corpore alieno, ce qui atteste, d’une certaine manière, par dissociation, une forme de dématérialisation[34]. Par exemple, l’acquéreur, s’il ne prend pas immédiatement possession, possède par l’intermédiaire du vendeur qui conserve la chose jusqu’à la livraison : c’est l’hypothèse du constitut possessoire. De même, si l’on donne mandat à une personne de prendre possession d’un bien, on acquiert le corpus par l’intermédiaire de ce mandataire.

¯  L’élément intentionnel doit normalement exister chez le possesseur lui-même ; la volonté d’un tiers ne peut pas nous rendre possesseur à notre insu. Mais exceptionnellement, on peut concevoir des hypothèses d’acquisition de possession par l’emprunt de l’animus d’autrui : ainsi, pour les personnes qui sont incapables d’avoir un animus qui leur soit propre – tels les fous ou les infantes –, on a admis que la possession serait acquise par l’intention d’autrui. De même si, alors qu’une personne était absente pour un certain temps, un mandataire muni de pouvoir achète pour le compte de l’absent un bien sans qu’il le sache, il sera néanmoins possesseur par l’intermédiaire de son mandataire.

 

  • 2. – Perte de la possession

 

La perte de la possession peut se réaliser de différentes manières.

 

  1. Perte simultanée des deux éléments de la possession

 

C’est l’hypothèse normale en cas de perte de la possession : celui qui avait la possession perd en même temps le corpus et l’animus. Ainsi en est-il en cas d’aliénation : l’ancien possesseur de la chose la remet à l’acquéreur, qui a désormais la possession ; il en va de même au cas d’abandon de la chose : le possesseur jette la chose, en ayant l’intention d’y renoncer, elle devient res derelicta.

 

  1. Perte du corpus

 

La seconde manière de perdre la possession consiste à perdre le corpus, l’animus étant conservé. Deux observations préalables doivent être faites : 1) un possesseur qui n’userait pas de son bien, sans qu’un autre vienne l’occuper, ne perdrait pas le corpus car le non-usage est encore une façon d’exercer les prérogatives du droit de propriété et la possibilité d’accomplir des actes positifs demeure[35] ; 2) il n’est pas nécessaire que celui qui a l’animus ait en personne la détention matérielle de la chose. Il peut posséder corpore alieno, c’est-à-dire par l’intermédiaire d’un tiers auquel il a confié l’immeuble et qui se comporte comme son représentant[36]. Ainsi, le propriétaire qui donne son immeuble à bail ou le prête à un tiers n’en a pas moins la possession, même dans son élément matériel, le corpus. Il possède par l’intermédiaire du locataire ou de l’emprunteur. D’ailleurs, en donnant sa chose à bail, il a fait sur elle ou à son sujet un acte de jouissance, de mise en exploitation.

 

Ces remarques étant faites, il faut distinguer quant à la perte du corpus, suivant que la chose est mobilière ou immobilière. Quand il s’agit d’un meuble, la possession est perdue dès que le possesseur ne peut plus exercer sur lui son pouvoir de fait, par exemple s’il perd la chose ou si elle lui est dérobée. Pour les immeubles, au contraire, la perte du corpus n’entraîne pas nécessairement perte de la possession : le possesseur d’un fonds, qui cesse d’accomplir les actes constituant l’élément corporel de la possession, n’en reste pas moins possesseur par le seul fait qu’il conserve l’intention de posséder[37] ; on dit que la possession se conserve solo animo. Encore faut-il, pour que la règle joue, qu’il n’y ait pas de fait nouveau mettant obstacle à la continuation des actes de possession : si, par exemple, une personne s’installe sur le fonds ou dans la maison, la possession du possesseur négligent serait interrompue, c’est-à-dire qu’elle va cesser d’être effective[38] ; toutefois ce résultat ne se produira que lorsque l’occupant aura joui paisiblement de la chose pendant une année ; c’est alors seulement que la possession passera du possesseur négligent au nouvel occupant[39].

 

  1. Perte de l’animus

 

On perd aussi la possession, tout en conservant le corpus, si l’on perd l’animus. L’hypothèse est peu pratique : comment une personne cesserait-elle d’avoir l’intention de posséder tout en continuant à exercer la maîtrise attachée à la possession ? Mais on peut supposer que le vendeur d’un bien accepte de le garder en dépôt pendant un certain temps pour le compte de l’acquéreur ; c’est l’hypothèse du constitut possessoire : le vendeur, initialement possesseur, se constitue possesseur pour le compte de l’acquéreur ; celui-ci devient possesseur par son intermédiaire, mais lui, tout en conservant la chose et la possibilité d’accomplir sur elle les actes matériels de la possession, a perdu l’animus, il ne détient plus la chose pour lui, il a perdu la possession du droit de propriété.

 

 

 

 

CHAPITRE II. –   CONDITIONS D’EFFICACITE ET EFFETS DE LA POSSESSION

 

Aux termes de l’article 2261 du Code civil, pour conduire à la prescription, disons, plus largement, pour mériter la protection de la loi, la possession doit présenter certaines qualités. En effet, la possession doit être : continue ; non équivoque ; paisible ; publique. L’absence de ces qualités correspond aux vices de discontinuité et d’équivoque (Section I), aux vices de violence (§ 2) et de clandestinité (Section II).

 

L’article 2261 ajoute à tort qu’elle doit être aussi non interrompue et à titre de propriétaire, ce qui est une méprise. En effet, la non-interruption n’est pas une qualité de la possession ; l’interruption est l’acte par lequel le propriétaire arrête le cours de la prescription qui s’accomplit à son détriment ; l’interruption est ainsi plus qu’un vice de la possession : lorsque la possession est interrompue, elle n’existe plus. Quant aux mots « à titre de propriétaire », ils signifient qu’un détenteur précaire ne peut pas prescrire la propriété, ce qui va de soi, puisqu’il n’a pas la possession de ce droit ; la précarité n’est pas un vice de la possession, mais une absence de possession. La formule légale n’exclut donc pas la possibilité pour le possesseur à titre d’usufruitier de devenir par prescription titulaire du droit d’usufruit, s’il ne l’est déjà.

 

 

 

Section I – Absence de vices absolus

 

  • 1. – Vice de discontinuité

 

La possession doit être continue (art. 2261). Cela veut dire que le possesseur doit accomplir les actes correspondant au droit auquel il prétend sur la chose, sans intervalle anormal, comme le ferait un titulaire véritable du droit prétendu[40]. On n’exige donc pas du possesseur un contact permanent avec la chose, mais on veut qu’il se comporte comme le ferait le titulaire véritable du droit eu égard à la nature de la chose. Ainsi, n’a pas une possession continue la personne qui s’empare d’un fonds, en perçoit les fruits, puis l’abandonne, au lieu de le cultiver régulièrement ; au contraire, on reconnaîtra la continuité de la possession de celui qui n’utilise un pâturage situé en haute montagne que quelques mois de l’année, parce que sa possession correspondra suffisamment au droit de propriété auquel elle s’applique par hypothèse.

 

La discontinuité est un vice temporaire, sans doute, mais absolu, qui peut être invoqué, contre le prétendu possesseur, par toute personne intéressée à lui contester cette qualité[41].

 

  • 2. – Vice d’équivoque

 

Il y a équivoque quand les actes accomplis par le prétendu possesseur ne manifestent pas clairement son animus et qu’ils peuvent s’expliquer autrement que par la prétention à un droit sur la chose[42]. Ainsi, le cohéritier qui exerce des droits sur une chose indivise ne peut pas prétendre à la possession exclusive de cette chose, à moins qu’il n’ait manifesté son intention de se comporter en propriétaire exclusif, soit formellement, soit par l’existence d’actes incompatibles avec la seule qualité de propriétaire indivis[43].

 

Comme le vice de discontinuité, le vice d’équivoque est absolu ; la possession est viciée à l’égard de tous.

 

 

Section II – Absence de vices relatifs

 

  • 1. – Vice de violence

 

La possession doit être paisible (art. 2263, al. 1er) ; elle ne doit pas être obtenue en usant de violence, de voies de fait ou même de simples menaces contre celui qui possédait auparavant. En principe, c’est seulement la violence exercée lors de l’entrée en possession qui vicie celle-ci ; les voies de fait dirigées contre le possesseur au cours de sa possession et qu’il se trouverait dans l’obligation de repousser ne sont pas à prendre en considération[44].

 

La violence est un vice temporaire : la violence venant à cesser, la possession redevient saine, utile (art. 2263, al. 2).

 

Le vice de violence présente enfin la caractéristique d’être relatif : la violence ne vicie la possession qu’à l’égard de la victime de cette violence ; les tiers ne peuvent s’en prévaloir[45].

 

  • 2. – Vice de clandestinité

 

La possession doit être également publique. Il y a vice de clandestinité quand la possession ne se manifeste pas par des actes apparents. Par exemple, un voisin creuse un souterrain sous mon fonds ; un des héritiers recèle des meubles qui ont appartenu au défunt[46].

 

Comme le vice de violence, le vice de clandestinité est relatif, opposable seulement par ceux qu’elle a empêchés de connaître la possession, et temporaire : dès que la clandestinité prend fin, le vice disparaît et la possession devient utile. Mais, sans aucun doute, le vice de clandestinité n’est pas nécessairement initial : la possession peut devenir clandestine à un moment quelconque et, par là même, vicieuse.

 

Cependant, une question mérite d’être posée : une possession vicieuse peut-elle produire des effets ? Il y a quelque contradiction évidente à dire que l’absence de vice est une condition d’efficacité de la possession, puis à tenir compte des effets possibles d’une possession vicieuse. Ce point mérite d’être clarifié. À proprement parler, il n’y a pas de contradiction. En effet, l’on doit affirmer que les effets de la possession sont exclus dans l’éventualité d’une possession vicieuse :

–   celle-ci ne conduit pas à la prescription ;

–   celui qui exerce une possession vicieuse n’est pas couvert par une présomption de propriété, de sorte que le demandeur en revendication pourra faire la preuve de son droit par tous les moyens possibles ;

–   la possession vicieuse, quel que soit le vice l’affectant, ne confère pas en principe la protection possessoire : si un procès s’engage au possessoire, le possesseur violent ou clandestin ne peut exercer les actions possessoires, du moins si son adversaire se trouve être la victime de la violence ou de la clandestinité.

Pourtant la possession vicieuse – et qui, bien entendu, reste telle, ses vices n’étant pas purgés – n’est pas toujours privée des effets attachés à la possession utile. En réalité, s’il peut en être ainsi, c’est parce que certains vices, tels les vices de violence et de clandestinité, ne présentent qu’un caractère relatif ; si, par exemple, une personne s’empare violemment du bien d’autrui, elle ne peut usucaper contre celui-ci, ni user contre lui des actions possessoires ; mais cette double ressource lui appartient à l’égard de toutes autres personnes. On peut même dire que ce n’est pas alors une possession vicieuse qui produit des effets ; la possession n’en produit à proprement parler que dans la mesure où elle n’est pas vicieuse.

 

A certaines conditions – psychologiques, temporelles… – la possession est un mode d’acquisition de la propriété. Ces effets particuliers présentent des traits communs, liés à leur finalité. De manière plus large, on a d’ailleurs pu remarquer que cette perspective révélait une assez grande similitude entre les droits allemand et français, au-delà des oppositions traditionnelles.

 

En tant que mode d’acquisition de la propriété, la possession ne produit pas les mêmes effets selon qu’elle porte sur un immeuble ou sur un meuble. La donnée temporelle n’est pas prise en considération de la même manière selon qu’il s’agit de l’une ou de l’autre catégorie. Et il peut être important de savoir si le possesseur est de bonne ou de mauvaise foi : la possession de bonne foi contribue à réduire à dix ans le délai de la prescription acquisitive trentenaire. En outre, au sujet des meubles corporels, il y a lieu de tenir compte de la règle « En fait de meubles possession vaut titre ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PARTIE II L’ACQUISITION DE LA PROPRIÉTÉ D’UN BIEN IMMOBILIER PAR LA POSSESSION

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

CHAPITRE I.  –   LA PRESCRIPTION ACQUISITIVE

 

En vertu de l’article 2276 du Code civil, la possession de bonne foi d’un meuble corporel peut valoir titre de propriété. Bien que l’on ait parfois parlé à ce sujet de prescription instantanée, l’absence d’exigence d’un certain laps de temps porte à exclure l’idée même de prescription. Mais la nécessité de tenir compte d’un certain écoulement du temps redevient nécessaire lorsque l’on ne peut s’en tenir au système institué à partir de l’article 2276 du Code civil. Ce peut être le cas – très rarement il est vrai – en matière mobilière ; c’est surtout le cas en matière immobilière. D’emblée, il faut alors observer que la prescription acquisitive ou usucapion remplit une fonction probatoire très importante (Section I). Ensuite, on envisagera successivement les conditions (Section II) et les effets (Section III) de ladite prescription.

 

 

 

Section I – Fonction probatoire de la prescription acquisitive

 

La prescription est une consolidation d’une situation juridique par l’écoulement d’un délai[47]. Il existe deux sortes de prescription, l’une négative, l’autre positive.

 

La prescription libératoire est un mode d’extinction des droits de créance et des droits réels, ainsi que de toutes les actions tant réelles que personnelles (art. 2262). Quand le titulaire d’un droit ne l’exerce pas dans un délai déterminé, qui est ordinairement de trente ans, ce droit s’éteint au bout de ce délai, et celui contre lequel il existe peut se prévaloir de son extinction. L’extinction peut concerner soit les droits de créance, soit des droits réels, sous réserve des solutions retenues au sujet du caractère perpétuel du droit de propriété.

 

La prescription acquisitive ou usucapion est un moyen d’acquérir un droit réel principal – propriété, usufruit, servitude – par l’exercice de ce droit prolongé pendant un certain temps, lequel est en principe de trente ans, mais parfois plus court[48].

 

L’usucapion est une des pièces maîtresses de notre système juridique : elle donne à l’acquéreur d’un bien un titre légal qu’il ne trouve pas dans son acte d’acquisition. En effet, la transmission des droits est subordonnée à l’application du principe : nemo plus juris ad alium transferre potest quam ipse habet[49]. Donc, si un propriétaire doit prouver l’existence de son droit, il lui faut établir qu’il le tient de quelqu’un qui était lui-même propriétaire en tant qu’il avait lui-même acquis le droit d’un auteur qui était propriétaire, et ainsi de suite, en remontant dans le passé la chaîne de toutes les transmissions successives du droit. Il en résulte que la preuve directe du droit de propriété est impossible à fournir. C’est, disaient nos anciens auteurs, une probatio diabolica, diabolique parce que cette preuve se renouvelle sans cesse et n’est jamais satisfaite, parce que toute solution de continuité, toute coupure se révélant dans la chaîne des transmissions successives, tout défaut de qualité d’un propriétaire antérieur détruit nécessairement le droit de celui qui l’a suivi et, par contrecoup, de tous ceux à qui il a été ensuite transmis.

 

De plus, le droit d’un acquéreur reste soumis à toutes les causes de résolution ou d’annulation qui peuvent détruire une des aliénations antérieures. Resoluto jure dantis resolvitur jus accipientis (le droit de l’auteur du transfert étant résolu, le droit de celui qui a acquis de lui est également résolu) ; c’est l’autre aspect de la règle nemo plus juris… Ainsi, jamais, aussi loin qu’il puisse pousser sa preuve dans le passé, un acquéreur de la propriété n’est à l’abri des attaques qui pourraient être dirigées contre lui : dès qu’un tiers prétendra démontrer que l’acquisition du bien par l’un des auteurs de l’actuel titulaire de la propriété a été annulée ou résolue, il menacera le droit du titulaire de cette propriété, en dépit de sa bonne foi et quelles qu’aient été les précautions prises par lui. Le risque ainsi couru par les acquéreurs paralyserait toutes les transactions, tout spécialement en matière immobilière.

 

La prescription libère les titulaires de la propriété de la crainte d’être soumis à la nécessité ou aux incertitudes de la « preuve diabolique » : grâce à la prescription, un terme va être marqué dans le cours du temps, terme au-delà duquel aucune discussion ne sera plus possible, quand bien même on pourrait établir la mauvaise foi du titulaire actuel de la propriété. Le droit de propriété cesse d’être incertain grâce à sa consolidation par l’effet de l’usucapion : celui qui a possédé en personne ou par l’intermédiaire de ses auteurs pendant le temps requis par la loi trouve dans cette possession un titre qui le protège contre toute action en revendication émanée d’un tiers.

 

La prescription n’aboutit donc pas nécessairement à priver un propriétaire de son droit ; bien au contraire, elle est utile au propriétaire lui- même dont elle consolide le droit en lui fournissant un moyen de l’établir. La fonction essentielle de la prescription acquisitive se trouve dans le désir d’assurer, non pas la victoire d’un spoliateur, mais bien celle du propriétaire légitime. La loi vient au secours de celui-ci à l’aide d’une présomption : la prolongation de l’état de fait, concrétisé par la possession, permet de découvrir le droit. En effet, les situations de fait qui sont contraires au droit ne peuvent pas, en général, se prolonger dans le temps ; celles qui durent sont conformes à la loi, si bien que le législateur a pu très équitablement présumer que, dans l’immense majorité des cas, la prescription consacre la légitimité du droit. C’est pourquoi, en affirmant le droit de propriété du possesseur qui a prescrit, la loi donne satisfaction à un intérêt public de sécurité sans heurter la justice. Pour quelque usurpateur que la prescription maintiendra en possession contre le droit d’autrui, il y a des milliers de propriétaires légitimes dont elle empêchera la spoliation, alors cependant que ces propriétaires manquaient des moyens de preuve nécessaires pour faire prévaloir leur droit.

 

L’idée que la prescription acquisitive est un mode de preuve de la propriété, la prescription faisant présumer la propriété, est confirmée par le Code civil, dont l’article 1350 dispose que « la présomption légale est celle qui est attachée par une loi spéciale à certains actes ou à certains faits » et que tels sont, notamment, « … 2° Les cas dans lesquels la loi déclare la propriété ou la libération résulter de certaines circonstances déterminées[50] ».

 

 

Section II – Conditions de la prescription acquisitive

 

Ces conditions appellent des observations à un triple propos : quant aux biens pouvant être l’objet d’une prescription acquisitive (§ 1) ; quant aux qualités de la possession (§ 2) ; quant à la durée de la possession (§ 3).

 

  • 1. – Biens pouvant être prescrits

 

Seuls les droits réels principaux peuvent s’acquérir par usucapion[51]. Ni les droits réels accessoires, ni les droits de créance, ni les droits intellectuels en général ne s’acquièrent par un exercice prolongé. Parmi les droits réels principaux, l’usucapion s’applique essentiellement au droit de propriété, mobilière ou immobilière, mais elle peut aussi faire acquérir d’autres droits réels : l’usufruit, l’usage  et certaines servitudes[52].

 

Il est des choses corporelles qui ne peuvent être usucapées. L’article 2260 du Code civil dispose en ce sens : « On ne peut prescrire le domaine des choses qui ne sont point dans le commerce ». L’imprescriptibilité est le prolongement nécessaire de l’inaliénabilité : là où l’aliénation expresse, volontaire, n’est pas possible, comme pour les biens du domaine public, l’imprescriptibilité doit accompagner l’inaliénabilité ; sinon, on risquerait de voir ces biens appropriés au profit d’un usurpateur après l’écoulement d’un nombre d’années relativement bref[53]. Toutefois, l’imprescriptibilité n’est pas systématiquement liée à l’inaliénabilité. Ainsi les biens donnés ou légués sous condition d’inaliénabilité ne sont pas nécessairement imprescriptibles. Inversement, on ne peut acquérir par usucapion un immeuble classé comme monument historique, bien qu’il ne soit pas inaliénable (article L. 621-17 du Code du patrimoine : « Nul ne peut acquérir de droit par prescription sur un immeuble classé au titre des monuments historiques »).

 

Ne peuvent non plus être usucapées les universalités juridiques (hérédité, par exemple), ni les universalités de fait (tel le fonds de commerce) : ces universalités ne sont pas, en tant que telles, susceptibles de possession ; seules les choses qui les composent, envisagées ut singuli, peuvent être possédées isolément et donc être usucapées. Il en résulte que, si une personne possède pendant le délai requis pour l’usucapion certains biens faisant partie d’une hérédité, elle ne peut pas prétendre à l’usucapion des autres biens sur lesquels elle n’a exercé aucune emprise. Il n’en demeure pas moins qu’un indivisaire peut prescrire contre ses coïndivisaires (art. 816 C. civ.), ce qui suppose que sa possession soit exclusive et non équivoque[54].

 

  • 2. – Conditions relatives aux qualités de la possession

 

Une possession ne peut conduire à la prescription que si elle est une possession utile, ad usucapionem. Une possession qui doit être exempte de vices ; et les actes de simple tolérance ou de pure faculté ne peuvent fonder l’usucapion.

 

  1. Une possession exempte de vices

 

Cette condition conduit à exiger, d’une part, une possession véritable, à titre de propriétaire, d’autre part, une possession exempte de vices.

 

¯ L’usucapion suppose une possession véritable, impliquant le corpus et l’animus domini[55]. La possession doit par ailleurs être véritable, à titre de propriétaire, animo domini. Un simple détenteur – locataire ou fermier – ne prescrit jamais, puisqu’il détient la chose en vertu d’un titre qui exclut de sa part toute prétention à la propriété[56]. Sauf dans l’hypothèse d’une interversion de titre, l’animus domini s’apprécie à l’origine de l’occupation. Cette appréciation est faite in abstracto[57]. L’animus domini est toujours présumé.

 

¯ La possession doit être exempte de vices : elle ne doit être ni violente, ni clandestine, ni discontinue, ni équivoque. Rappelons que ces vices sont ordinairement relatifs et qu’ils sont susceptibles de disparaître. L’absence de vices est toujours présumée[58].

 

  1. Les actes de simple tolérance ou de pure faculté ne peuvent fonder l’usucapion

 

Il faut écarter comme actes constitutifs d’une possession ad usucapionem certains actes qui ne sont pas véritablement des actes de possession en ce qu’ils n’impliquent aucune contradiction au titulaire du droit prescrit : la possession utile suppose une telle contradiction, par exemple lorsque le titulaire du droit interrompt la prescription[59]. Il en va autrement lorsque les actes accomplis sont des actes de pure faculté et de simple tolérance ; ces actes ne peuvent, en effet, « fonder ni possession, ni prescription » (art. 2262 C. civ.).

 

Accomplis avec la permission – même tacite – du propriétaire du fonds sur lequel ils sont réalisés, les actes de simple tolérance s’interprètent non dans le sens d’une renonciation, mais dans celui d’une complaisance, d’une politesse, faite entre voisins et à titre de bons rapports[60]. Ainsi, lorsqu’un propriétaire permet à son voisin de passer sur un fonds ou d’aller puiser de l’eau à une fontaine, le voisin ne peut prétendre posséder en vue de la prescription une servitude de passage ou de puisage. Bien loin de cesser d’exercer son droit, le propriétaire l’a au contraire manifesté en accordant sa permission ; quant au voisin, il n’a, en l’occurrence, opposé aucune contradiction au titulaire du droit, bien au contraire il a agi d’une manière conforme à la volonté de celui-ci[61].

 

À plus forte raison, les actes de pure faculté ne peuvent aboutir à l’usucapion. Ce sont des actes qu’une personne accomplit dans l’exercice de son droit, sans qu’il en résulte une atteinte au droit d’autrui. Ainsi en est- il du propriétaire d’un mur privatif qui peut ouvrir dans ce mur des « jours de souffrance », ce qu’il ne pourrait faire si le mur était mitoyen ; en ouvrant ces « jours de souffrance », il use d’une pure faculté, de sorte que si, par la suite, le mur devenait mitoyen, il ne pourrait invoquer une prescription acquisitive de ces jours.

 

  • 3. – Conditions relatives au délai

 

L’exigence de l’écoulement d’un certain temps se traduit par la nécessité de déterminer la durée du délai et son régime juridique.

 

  1. Durée du délai

 

Le délai varie selon les situations. Il convient, à ce propos, de distinguer deux hypothèses.

 

  1. La prescription trentenaire

Le délai normal de la prescription acquisitive en matière immobilière est d’une durée de trente ans, en application de l’article 2272 alinéa 1 du Code civil, selon lequel « Le délai de prescription requis pour acquérir la propriété immobilière est de trente ans ».

 

La prescription s’accomplit même au profit du possesseur de mauvaise foi, même au profit de l’usurpateur. Toutefois, si la possession a commencé par des actes de violence, elle ne se compte que du jour où la violence a cessé (art. 2263, al. 2).

 

  1. La prescription de dix ans ou prescription abrégée

Elle tend à couvrir à l’égard du vrai propriétaire le vice résultant d’une acquisition a non domino, en d’autres termes l’absence de droit de propriété chez celui de qui le possesseur a acquis le bien. L’avantage accordé par la loi est limité quant à son domaine et subordonné non seulement aux conditions générales d’une possession réelle, utile, dépourvue de vices[62], mais aussi à deux conditions particulières : juste titre et bonne foi.

 

L’avantage consiste dans une réduction du délai. Le législateur n’a pas supprimé tout délai, comme au sujet de la possession de bonne foi des meubles corporels. À propos de ceux-ci, la suppression de tout délai est fondée tant sur la nécessité de permettre la rapidité des transactions portant sur les meubles et d’en assurer la sécurité, que sur l’adage res mobilis res vilis. En matière immobilière, l’acquéreur a le temps et la possibilité de se renseigner sur la qualité de celui avec qui il traite, et l’on a voulu laisser au propriétaire de l’immeuble, qui en a peut-être été dépossédé sans qu’il le sache, le temps d’en être informé et d’agir. De là l’exigence d’un délai de possession, mais d’un délai moindre que celui exigé du possesseur de mauvaise foi.

 

  1. Domaine de la prescription abrégée

Il est déterminé de manière précise : il doit y avoir eu acquisition a non domino de droits réels immobiliers.

La prescription abrégée est écartée au sujet des meubles[63]. En outre, elle ne s’applique qu’aux immeubles acquis individuellement et non aux universalités. Ainsi, celui qui achète d’un héritier apparent une succession entière ne peut pas prescrire par dix à vingt ans les immeubles qui en font partie, la prescription abrégée n’arrêtant que la revendication et non la pétition d’hérédité. Elle permet d’acquérir non seulement la propriété individuelle d’un immeuble, mais encore d’autres droits réels immobiliers : droit de propriété indivise ou de copropriété[64], usufruit[65], droit d’usage et d’habitation, emphytéose…

 

Pour que la prescription abrégée puisse être invoquée, encore faut-il que ces droits réels immobiliers aient été acquis a non domino[66]. D’une part, les bénéficiaires de l’avantage légal doivent être de véritables acquéreurs ; d’autre part, cet avantage est exclu si l’acquisition – pourtant remise en cause – émane bien du véritable propriétaire. Il y a acquisition a non domino lorsqu’un propriétaire a vendu deux fois le même bien et que le second acquéreur se prévaut de la seconde vente[67].

 

  1. Conditions de la prescription abrégée

La justification de l’usucapion abrégée explique l’existence de deux conditions distinctes et essentielles : le juste titre et la bonne foi.

 

¯ Le juste titre

Le possesseur ne bénéficie de la prescription abrégée qu’autant qu’il est muni d’un juste titre (art. 2272 alinéa 2). On entend par là un acte juridique qui aurait transféré la propriété de l’immeuble (ou le droit réel à prescrire) s’il était émané du véritable propriétaire[68]. Tout acte d’acquisition ne constitue d’ailleurs pas un juste titre. La jurisprudence a eu l’occasion, relativement fréquente, de préciser en quoi consiste cette notion, l’existence de ses composantes étant soumise au contrôle de la Cour de cassation[69].

 

Notion de juste titre. – Par hypothèse, l’on peut d’une manière sommaire dire que le juste titre, c’est… un titre faux mais apparemment valable. En réalité, il faut être précis.

  • Un titre réel : Lorsqu’un titre est exigé comme un élément constitutif de la bonne foi, par exemple lorsqu’il s’agit de savoir si un possesseur peut faire les fruits siens, il se peut que le titre ne soit pas réel, qu’il soit putatif et n’existe que dans la pensée ou l’imagination du possesseur[70]. À l’inverse, retenu en matière de prescription abrégée comme une condition distincte, le juste titre doit être un titre réel[71]. C’est pourquoi, par exemple, le légataire d’un immeuble ne pourra se prévaloir du testament le gratifiant si celui-ci a été révoqué par un testament ultérieur dont il ignore l’existence ; dès lors le titre – c’est-à-dire le premier testament – n’existant pas réellement, le légataire mis en possession ne pourra s’en prévaloir[72]. Plus généralement, l’acquéreur se prévalant d’un acte d’acquisition qu’il ne savait pas nul ne peut invoquer sa bonne foi, jointe à l’écoulement du temps de la prescription abrégée. Cette solution est bien rigoureuse. Elle tient, comme la précédente, à ce que l’usucapion abrégée a seulement pour objet de suppléer au fait que celui dont le possesseur tient son droit n’est pas propriétaire. De l’existence d’un titre réel, la jurisprudence déduit la nécessité d’une concordance exacte entre le titre et l’immeuble en cause[73].
  • Un titre apparemment valable : Un titre apparemment valable. – L’article 2267 du Code civil dispose que « le titre nul par défaut de forme, ne peut servir de base à la prescription de dix et vingt ans ». Ainsi en est-il d’un testament ou d’une donation nuls en la forme[74]. Interprétant l’article 2273 par l’esprit plus que par la lettre, la jurisprudence a étendu la solution aux nullités de fond, à condition qu’il s’agisse de nullités absolues[75]. Elle a au contraire admis qu’un titre entaché de nullité relative – incapacité d’exercice, vice du consentement… – pouvait constituer un juste titre[76]. Argument avancé à l’appui de cette analyse : par hypothèse, c’est un tiers à l’acte irrégulier qui revendique le bien acquis a non domino ; or un tel tiers n’a pas qualité pour invoquer une telle nullité, serait-ce à l’appui d’une action en revendication. Peu importe aussi, à ce propos, que le titre n’ait pas été publié, car il s’agit là d’une condition d’opposabilité aux tiers et non d’une condition de validité de l’acte translatif[77].
  • Un titre translatif : Pour qu’il y ait un juste titre, il est nécessaire que l’acte soit translatif (par exemple une vente, un échange, une donation entre vifs, un legs à titre particulier). Cette condition procède du fondement de l’usucapion abrégée : celle-ci a pour objet de suppléer à l’absence de la qualité de propriétaire chez celui de qui le possesseur tient son droit. Ne constituent donc pas des justes titres les actes étrangers à toute idée de translation de propriété, tels le contrat de bail, de prêt, de dépôt. La jurisprudence refuse aussi de considérer comme justes titres les actes déclaratifs, tels le partage[78], la transaction[79], l’état descriptif de division d’un immeuble en copropriété[80], des jugements autres que les jugements d’adjudication sur saisie, tels ceux qui font droit à une demande en revendication d’un immeuble[81].

Le titre soumis à une condition résolutoire peut constituer un juste titre, de sorte que, si la condition ne se réalise pas ou se réalise après le délai de la prescription abrégée, ce titre peut servir de support à l’usucapion[82]. En revanche, un titre soumis à une condition suspensive ne peut constituer un juste titre, ni pendant que la condition est en suspens, ni par l’effet rétroactif de la condition si elle s’est réalisée[83].

 

Preuve du juste titre. – Il ne suffit pas d’invoquer un juste titre ; encore faut-il le prouver. Si la bonne foi se présume (art. 2274 C. civ.), il n’y a pas cependant une présomption de juste titre. Aussi, il y a lieu d’appliquer les règles relatives à la preuve des actes juridiques. Ainsi le juste titre doit-il avoir acquis date certaine opposable au revendiquant[84].

 

L’exigence de la preuve du juste titre n’entraîne pas celle d’une publication à la conservation des hypothèques[85], même lorsque le revendiquant, véritable propriétaire, et le possesseur invoquant la prescription abrégée sont les ayants cause d’un même aliénateur[86]. Compte tenu des règles relatives à la publicité foncière, le titre translatif non publié n’est pas opposable aux tiers, mais il n’en est pas moins un titre translatif répondant aux conditions requises. Ainsi que l’a décidé la Cour de cassation, « la possession qui remplit les conditions exigées par la loi pour conduire à l’usucapion, même abrégée, suffit à rendre le possesseur propriétaire à l’expiration du délai légal, qu’il ait ou non acquis ses droits du même auteur que le revendiquant »[87].

 

¯ La bonne foi

La bonne foi, au sens de l’article 2272, consiste, pour l’acquéreur, dans la croyance que son titre lui a bien fait acquérir le droit réel qui en est l’objet. Elle consiste, pour le possesseur, par exemple pour l’acheteur, à croire fermement que son vendeur était le propriétaire et que la vente l’a rendu propriétaire[88], qu’il s’agisse d’une erreur de fait ou d’une erreur de droit[89]. D’une jurisprudence assez rigoureuse, il résulte que le simple doute sur ce point est exclusif de la bonne foi[90].

 

L’article 2275 du Code civil dispose : « Il suffit que la bonne foi ait existé au moment de l’acquisition », par exemple lors de la vente. La connaissance que le possesseur a eue ultérieurement, serait-ce dès la prise de possession[91], des droits du revendiquant, est sans incidence sur l’appréciation de sa bonne foi dès lors qu’elle est postérieure à l’acquisition[92].

 

« La bonne foi est toujours présumée, et c’est à celui qui allègue la mauvaise foi à la prouver » (art. 2274). Cette preuve peut être faite par tous moyens[93]. Les juges du fond apprécient souverainement l’existence de la bonne foi[94].

 

  • L’abréviation (une prescription de dix ans)

 

          Le temps requis pour la prescription abrégée est de dix ans.

 

 

  1. Régime du délai

 

Qu’il s’agisse d’une prescription trentenaire ou d’une prescription abrégée, certaines règles doivent être respectées au sujet de la computation du délai et des événements qui peuvent entraîner sa suspension ou son interruption. La jonction des possessions appelle aussi des remarques particulières.

 

  1. Computation

L’unité de mesure est, en la matière, l’année (trente ans, dix ans). L’année est constituée par un ensemble de douze mois, sans que l’on se préoccupe du nombre de jours de chaque mois ; le dernier jour du délai est celui qui porte, dans la dernière année, le quantième initial 2 ; à défaut de quantième identique – par exemple un 29 février d’année bissextile, ou un 31 du mois – le délai expire le dernier jour du mois correspondant.

 

La prescription commence à courir à partir du moment où toutes ses conditions sont réunies, ce qui implique notamment que le titre ait acquis date certaine[95] et que l’immeuble soit parvenu entre les mains du possesseur[96]. Il n’empêche que la bonne foi peut avoir disparu au moment de la prise de possession ; il suffit qu’elle ait existé au moment de l’acquisition[97]. « La prescription se compte par jours et non par heures » (art. 2228 C. civ.). Bien qu’il s’agisse d’un délai fixé en années, sa computation se fait « par jours » ; on en déduit que le jour du début de la possession (dies a quo) n’est pas compté dans le délai.

 

La prescription « est acquise lorsque le dernier jour du terme est accompli » (art. 2229). À la différence du dies a quo, le dies ad quem est compris dans le délai, ce qui signifie que la prescription n’est réalisée que lorsque ce dernier jour est accompli. Lorsque le dernier jour est expiré, la prescription est accomplie, même si c’est un jour férié ou chômé.

 

  1. Suspension de la prescription

 

  1. Généralités

En tant qu’elle repose sur la possession, la prescription semble ne pouvoir être atteinte dans son cours que par son interruption résultant de l’interruption de la possession. Cependant le Code civil a admis, conformément à la tradition, que l’usucapion peut être non plus brisée, interrompue, mais simplement paralysée, retardée par certaines circonstances étrangères à la possession et relatives à la situation du propriétaire menacé d’être dépouillé par la prescription : on a estimé qu’il était injuste d’attenter à la situation d’un propriétaire qui ne serait pas à même d’interrompre la prescription menaçante ; c’est pourquoi on suspend le cours des événements jusqu’au moment où il sera à même de défendre ses intérêts. La suspension est ainsi le complément de l’interruption : la loi suspend la prescription jusqu’au moment où le propriétaire concerné sera en mesure de l’interrompre.

 

La suspension atténue la puissance d’acquisition attachée à la possession. Elle peut aussi apparaître comme une anomalie dès lors qu’on considère que la prescription est principalement un mode de preuve de la propriété ; on comprend alors mal que le possesseur soit dans une situation plus ou moins difficile quant à la preuve, selon qu’il a en face de lui telle ou telle personne, un mineur ou un majeur notamment ; l’admission de causes de suspension en matière d’usucapion aboutit à traiter celle-ci comme une prescription extinctive, car l’on prend en considération la personnalité de celui qu’elle tend à dépouiller. C’est aborder le problème par le côté secondaire de l’institution et négliger la fonction d’ordre général de l’usucapion, instrument de preuve et de consolidation de la propriété. C’est aussi prolonger la durée de la prescription dont le cours sera parfois suspendu pendant de longues années, ce qui rendra plus difficile et incertaine la preuve de la propriété immobilière.

 

Le phénomène de la suspension intéresse assez fréquemment le droit et peut susciter maintes réflexions sur la continuité ou la discontinuité des relations juridiques, que ce soit en droit des obligations ou en droit des biens. Ainsi la suspension a-t-elle seulement pour effet de paralyser de manière temporaire le jeu de la prescription, soit en empêchant celle-ci de commencer son cours – du fait, par exemple, de la minorité du propriétaire –, soit, s’il a commencé, en empêchant de tenir compte de la période de temps durant laquelle la suspension a produit effet ; en pareil cas, la prescription reprendra son cours dès que l’obstacle à la prescription disparaîtra, le temps écoulé antérieurement à la suspension restant acquis. Si la prescription trentenaire venait à être suspendue au bout de vingt ans de possession, il suffirait de dix ans pour que la prescription soit accomplie.

 

  1. Causes de suspension

Elles sont d’origine légale.

 

– L’article 2234 du Code civil dispose : « La prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l’impossibilité d’agir par suite d’un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure ». Cette règle résulte du vieil adage selon lequel « contra non valentem agere non currit praescriptio » (la prescription ne court pas contre celui qui n’est pas à même d’agir)[98]. Ainsi l’ignorance de l’existence du droit qui se trouve en péril est-elle une cause de suspension, une telle ignorance valant force majeure[99]. L’usucapion ne court pas également contre un propriétaire dont le droit est affecté d’une modalité suspensive, terme ou condition, bien qu’il ait la possibilité de faire des actes conservatoires[100].

 

– Il résulte de l’article 2235 du Code civil que, de manière générale au sujet de la prescription acquisitive, la prescription ne court pas contre les mineurs non émancipés et les majeurs en tutelle[101]. La loi craint la négligence du représentant légal de l’incapable qui laisserait l’usucapion s’accomplir à son détriment.

 

– De l’article 2236 du Code civil, il résulte que la prescription ne court pas entre époux, ainsi qu’entre partenaires liés par un pacte civil de solidarité. Si l’un d’eux pouvait usucaper les biens de l’autre, ce dernier devrait, pour interrompre la prescription, citer son conjoint ou son partenaire en justice. La loi a voulu éviter cette éventualité qui n’aurait pas manqué de troubler l’harmonie du ménage ou de la vie commune.

 

  1. Interruption de la prescription

L’interruption brise de manière définitive le cours de la prescription, de telle sorte que le temps écoulé avant qu’elle ne se manifeste est dépourvu d’effet[102]. À la différence de la suspension, elle suppose nécessairement que la prescription a commencé de courir. Son effet destructeur de l’efficacité du temps passé ne met pas obstacle à ce qu’une nouvelle prescription coure. Si, par exemple l’usucapion trentenaire est interrompue au bout de dix ans, il faudra recommencer une nouvelle possession de trente ans, sans tenir compte des dix ans écoulés.

 

Envisagée par rapport à ses causes, l’interruption peut être naturelle ou civile

 

 

  1. Interruption naturelle

Elle résulte de la cessation de l’exercice du droit et implique une privation de la jouissance de la chose.

 

Cette privation peut être la conséquence d’un abandon volontaire de la chose ; en pareil cas, elle entraîne en toute hypothèse l’interruption instantanée de la prescription.

 

On parle également d’interruption naturelle « lorsque le possesseur d’un bien est privé pendant plus d’un an de la jouissance de ce bien soit par le propriétaire, soit même par un tiers » (art. 2271 C. civ.). L’effet interruptif n’est donc pas instantané. On explique volontiers l’exigence d’un délai d’un an par le fait que le possesseur ou le détenteur évincé conserve pendant un an l’exercice des actions possessoires (art. 1264 NCPC) ; il ne perd sa qualité qu’à l’expiration de ce délai.

 

Liée à un fait naturel – la perte de la possession –, l’interruption naturelle produit un effet absolu : l’usucapion est interrompue au profit de toute personne ayant sur la chose des droits réels menacés par l’usucapion.

 

  1. Interruption civile

 

¯ Interruption civile émanant du propriétaire

À la différence de l’interruption naturelle, l’interruption civile n’implique pas une perte matérielle de la possession, une privation de jouissance.

 

Il est rationnel que l’intervention du titulaire du droit, manifestant son intention de l’exercer, interrompe la prescription : celle-ci est, en effet, justifiée par la préférence donnée au possesseur qui se conduit en fait comme un propriétaire et dont l’activité a été socialement utile par rapport à celui qui s’est désintéressé de sa chose et qu’on peut considérer comme ayant renoncé implicitement à son droit. L’effet interruptif de l’intervention du propriétaire tient encore à des considérations de pratique et d’équité car, le procès risquant de durer, il ne faut pas que la prescription s’accomplisse en cours de litige[103] ; il est lié aussi à la nature du jugement faisant éventuellement droit à la réclamation du propriétaire, car les jugements déclaratifs de droits rétroagissent au jour de la demande.

 

L’interruption peut résulter d’une mesure conservatoire prise en application du code des procédures civiles d’exécution ou un acte d’exécution forcée (art. 2244 C. civ.).

 

En outre, la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription. Il en est de même lorsqu’elle est portée devant une juridiction incompétente ou lorsque l’acte de saisine de la juridiction est annulé par l’effet d’un vice de procédure (art. 2241). Le législateur a considéré que les règles sur la compétence et celles afférentes à la procédure sont délicates et qu’il serait trop rigoureux de détruire l’effet de la demande en justice quant à l’interruption de prescription en raison d’une erreur sur la compétence ou d’un vice de procédure. En revanche, l’interruption est regardée comme non avenue, si le demandeur se désiste de sa demande, s’il laisse périmer l’instance ou si sa demande est rejetée (art. 2243), quelle que soit la cause de ce rejet[104] ; à vrai dire, dans l’hypothèse d’un rejet de la prétention, il arrivera que le possesseur ait aussi la possibilité de s’abriter ensuite derrière l’autorité de la chose jugée.

 

L’effet interruptif de la prescription attaché à l’interruption émanant du véritable propriétaire est relatif : seul l’auteur de la citation peut s’en prévaloir ; et celle-ci ne peut nuire qu’à son destinataire et à ses ayants cause.

 

¯ Interruption civile émanant du possesseur

Sans impliquer, elle non plus, une perte matérielle de la possession, cette interruption se manifeste dans deux situations :

 

– La prescription est interrompue si le possesseur reconnaît le droit de celui contre lequel il prescrit (art. 2240) : par exemple un propriétaire obtient un écrit du détenteur de son fonds par lequel celui-ci reconnaît qu’il n’a qu’un titre précaire (bail, par exemple). Il est aisé d’expliquer la disposition de l’article 2240 : on ne peut prescrire qu’autant que l’on possède à titre de propriétaire, pour son compte personnel (art. 2261). Or celui qui a reconnu détenir la chose d’autrui est un détenteur précaire, et la détention précaire ne peut fonder la prescription. Cette explication conduit à décider que non seulement la reconnaissance du droit d’autrui interrompt la prescription en cours, mais que la prescription ne pourra plus dans ce cas recommencer, à moins d’un cas ultérieur d’interversion du titre.

 

– Si le possesseur avoue n’être qu’un usurpateur, sans titre aucun, même précaire, il ne fait que renoncer au temps antérieurement acquis. Mais, dans ce cas, l’interruption n’a d’effet que par rapport au bénéficiaire de la reconnaissance et ne peut être invoquée que par celui-ci. La prescription recommencera à courir au profit de l’auteur de cette reconnaissance s’il reste en possession ; mais si l’usucapion interrompue était celle de dix ans, la nouvelle prescription ne pourra être que celle de trente ans, l’usucapion abrégée exigeant la bonne foi du possesseur, laquelle est écartée par l’aveu du possesseur.

 

L’effet interruptif est d’ailleurs indépendant de la forme dans laquelle se réalise la reconnaissance du droit d’autrui[105] : cette reconnaissance peut résulter d’une convention ou d’un acte unilatéral ; elle peut être expresse ou tacite. Toutefois, la reconnaissance n’interrompt la prescription que si le possesseur avait capacité et pouvoir de disposer du droit qu’il reconnaît au profit d’autrui[106] ; c’est que, par ses effets, elle équivaut à une renonciation à l’acquisition du droit de propriété par prescription.

 

  1. Jonction des possessions

L’acquisition par l’effet de la prescription n’est pas subordonnée à l’exigence d’une possession par une même personne pendant le temps requis. Malgré l’allongement de l’espérance de vie, cette souplesse se comprend aisément. S’il en était autrement, l’usucapion ne remplirait pas le rôle de consolidation du droit qui lui est dévolu. C’est pourquoi l’article 2265 dispose : « Pour compléter la prescription, on peut joindre à sa possession celle de son auteur, de quelque manière qu’on lui ait succédé, soit à titre universel ou particulier, soit à titre lucratif ou onéreux ».

Il convient de distinguer selon qu’il s’agit d’un ayant cause à titre universel ou d’un ayant cause à titre particulier.

 

  1. Ayant cause à titre universel

L’ayant cause universel ou à titre universel – héritier ab intestat ou légataire – continue la personne du défunt. La possession conserve donc sur sa tête les caractères qu’elle présentait sur la tête de son auteur. Lorsque le défunt possédait animo domini, son ayant cause à titre universel continue cette possession bien qu’il n’ait pas l’animus domini, en d’autres termes, même s’il n’a pas lui- même cette intention ; la prescription acquisitive poursuivra donc son cours. À l’inverse, si l’auteur est un détenteur précaire, il en va de même de son ayant cause à titre universel (art. 2267 C. civ.).

 

Le même cheminement doit être retenu dans l’éventualité d’une succession de la prescription trentenaire et d’une prescription abrégée, celle- ci étant subordonnée à la double exigence d’un juste titre et de la bonne foi. C’est en la personne de l’auteur qu’il convient donc d’apprécier la situation. Si, par exemple, l’auteur, ayant un juste titre et étant de bonne foi, a commencé de prescrire par dix à vingt ans, son ayant cause à titre universel peut continuer la prescription abrégée même s’il n’était pas personnellement de bonne foi ; il peut achever la prescription de dix ans en joignant aux années de possession de son auteur le complément de durée nécessaire.

 

  1. Ayant cause à titre particulier

Lorsqu’il y a transmission à titre particulier, par exemple à la suite d’une vente, d’une donation ou par l’effet d’un legs particulier, la situation est plus complexe. L’on ne se contente plus d’apprécier la situation sur la tête de l’auteur, mais successivement sur la tête de celui-ci et sur celle de son ayant cause. Les deux possessions successives s’apprécient donc isolément, et c’est seulement si l’une et l’autre sont utiles ad usucapionem qu’elles pourront se joindre : à supposer que l’auteur ait possédé durant vingt-deux ans, la prescription trentenaire s’accomplira en la personne de l’ayant cause au bout de huit années de possession. De même, si l’auteur et l’ayant cause ont tous deux juste titre et bonne foi, il pourra y avoir jonction de leurs possessions à l’effet de réaliser la prescription abrégée.

 

Il n’en résulte pas, a contrario, que la jonction soit exclue lorsque les possessions ne présentent pas les mêmes caractères ou le même objet. Ainsi un usufruitier peut-il joindre à sa possession celle de son auteur qui a possédé à titre de propriétaire[107].

 

En va-t-il de même lorsque les prescriptions successives sont l’une trentenaire et l’autre abrégée, ou inversement ? Il faut alors retenir l’idée suivante : le temps de possession qui a compté pour la prescription abrégée peut être compté ensuite en vue de la prescription trentenaire, mais l’inverse est exclu. D’où l’existence d’une distinction. Si l’auteur, par exemple le vendeur, pouvait invoquer la prescription abrégée, tandis que son ayant cause, l’acquéreur, étant de mauvaise foi, ne le peut pas, celui-ci ne peut prescrire que par trente ans, tout en pouvant faire entrer en ligne de compte, dans la réalisation de la prescription trentenaire, les années de possession du vendeur. À l’inverse, si le vendeur, de mauvaise foi, ne pouvait espérer qu’une prescription trentenaire, tandis que son acquéreur peut prétendre à une usucapion abrégée, ce dernier ne peut profiter d’une jonction des possessions qu’à l’effet de terminer la prescription trentenaire commencée par son auteur ; s’il préfère invoquer une prescription abrégée, il conviendra que le temps de sa propre possession soit de dix à vingt ans. À lui de choisir au mieux de ses intérêts, selon que la possession de son auteur était ou n’était pas suffisamment proche de son terme[108].

 

 

Section III – Effets de la prescription acquisitive

 

La prescription acquisitive est une des manifestations les plus révélatrices du rôle de la possession envisagée comme un mode d’acquisition de la propriété. À elle seule, il est vrai, la possession ne suffit pas ; il faut, on l’a vu, qu’elle ait duré pendant un temps plus ou moins long. Lorsque ces conditions sont réunies, il n’en résulte pourtant pas une acquisition automatique de la propriété par le possesseur. Sa volonté est en effet appelée à jouer un rôle important dans le mécanisme de la prescription. En d’autres termes, il n’y a pas en la matière d’automatisme légal.

 

  • 1. – Déclenchement du mécanisme

 

Ce rôle de la volonté peut se manifester de deux manières, l’une positive, l’autre négative.

 

  1. Nécessité d’invoquer la prescription

 

La loi permet au bénéficiaire de la prescription d’y renoncer ; de cette faculté assez naturelle on serait porté à conclure que, le bénéficiaire ne pouvant renoncer qu’à ce qu’il a acquis, l’usucapion produit préalablement ses effets à son profit, au moins dans un premier temps. Telle n’est pourtant pas, selon les auteurs[109], la solution retenue par le législateur qui a laissé au possesseur, guidé par d’éventuels scrupules, le soin d’apprécier l’opportunité d’invoquer le bénéfice de la prescription.

 

À vrai dire, pareille solution n’est pas expressément formulée par la loi. L’article 2247 du Code civil dispose seulement que « les juges ne peuvent pas suppléer d’office le moyen résultant de la prescription », ce qui suppose donc une instance judiciaire, au cours de laquelle le possesseur s’abstient d’invoquer contre son adversaire le bénéfice de la prescription acquisitive[110]. Relatif à l’office du juge, l’article cité laisse place au doute quant à la portée exacte de l’attitude du possesseur. Il n’est pourtant pas indifférent de savoir si celui-ci, en ne disant mot, évite de devenir propriétaire ou cesse de l’être, par exemple s’il s’agit de déterminer la situation ultérieure des intéressés. Malgré la lettre des textes, l’on estime généralement que, dès que les conditions de la prescription sont réunies, le possesseur acquiert non pas la propriété de la chose, mais seulement le droit de se prévaloir de la prescription acquisitive.

 

Il n’est pas nécessaire que l’invocation de la prescription par le possesseur soit expresse[111]. S’il néglige – mais est-ce nécessairement une négligence ? – d’invoquer l’usucapion, on reconnaît à ses créanciers le droit de s’en prévaloir en invoquant l’article 1166 du Code civil[112]. Plus généralement, les ayants cause du possesseur peuvent se prévaloir de la prescription qui n’a pas été invoquée par lui, qu’il s’agisse d’ayants cause à titre universel ou à titre particulier[113].

 

  1. Possibilité de renoncer à la prescription

 

L’article 2250 du Code civil dispose : « Seule une prescription acquise est susceptible de renonciation ».

 

          – Il est interdit de renoncer de manière anticipée à la prescription. L’interdiction de la renonciation anticipée porte non seulement sur la prescription qui n’a pas commencé de courir, mais aussi sur la prescription en cours[114], en ce qui concerne le temps non couru. Cette prohibition, applicable à la prescription acquisitive[115], s’explique à son propos par l’intérêt de ne pas trop favoriser la passivité, voire la négligence ou l’incurie des propriétaires[116].

 

– Il est, en revanche, possible de renoncer à la prescription acquise (art. 2250). L’emploi de ces mots donne bien à penser que cette renonciation ne porte pas seulement sur le droit de se prévaloir de la prescription, mais sur la prescription acquisitive. La suite confirme cette analyse, puisque « Celui qui ne peut exercer par lui-même ses droits ne peut renoncer seul à la prescription acquise » (art. 2252). D’ailleurs il est révélateur qu’en matière de publicité foncière, « les actes de renonciation à la prescription acquise » doivent être obligatoirement publiés au bureau des hypothèques de la situation des immeubles concernés (Décr. 4 janv. 1955 portant la réforme de la publicité foncière, art. 28-8°). Force est pourtant d’observer que l’idée d’acte translatif s’estompe au profit de celle d’acte abdicatif dans la mesure où la renonciation à la prescription acquise n’est pas considérée comme une libéralité[117].

 

La renonciation à la prescription est valable parce qu’elle ne met en cause que des considérations d’intérêt privé. Mais « les créanciers, ou toute autre personne ayant intérêt à ce que la prescription soit acquise, peuvent l’opposer ou l’invoquer lors même que le débiteur y renonce » (art. 2253)[118].

 

Acte unilatéral, « la renonciation à la prescription est expresse ou tacite […] » (art. 2251 alinéa 1 C. civ.). La renonciation expresse résulte d’une déclaration faite par le possesseur. « La renonciation tacite de circonstances établissant sans équivoque la volonté de ne pas se prévaloir de la prescription » (art. 2251 alinéa 2). Les juges du fond apprécient souverainement les circonstances d’où se dégage sans équivoque l’intention de renoncer[119]. Ainsi en est-il du possesseur qui, ayant prescrit, accepte de prendre l’immeuble à bail ou de se faire consentir sur lui un droit réel ou encore d’un cohéritier qui assigne les autres en licitation et partage de la parcelle qu’il a usucapée[120]. À l’inverse, c’est par une appréciation souveraine que les juges du fond décident qu’une proposition d’achat ne constitue pas une renonciation à la prescription acquise[121].

 

  • 2. – Conséquence du mécanisme : acquisition rétroactive

 

La prescription fait acquérir au possesseur la propriété ou le droit exercé, à supposer qu’il ne l’ait pas déjà lors de sa prise de possession. Mais en tout état de cause la prescription crée au profit du possesseur un titre nouveau et inattaquable[122]. Cela ne veut pas dire que le droit de propriété fondé sur la prescription ne puisse être grevé de certaines charges. Si l’immeuble était grevé de droits réels, ceux-ci subsistent nonobstant la prescription acquisitive qui n’a agi que sur la propriété, et non sur les charges qui la grevaient : servitudes, usufruit, hypothèques. Sans doute le possesseur du fonds peut aussi prescrire à l’encontre de ces charges, mais c’est alors une prescription distincte de celle qui concerne la propriété. Ainsi, lorsque le possesseur a acquis a non domino un immeuble grevé d’une servitude, la prescription acquisitive de la propriété n’éteint pas la servitude, à moins qu’il n’ait possédé le bien comme libre de charges.

 

Le titre créé par la prescription remonte rétroactivement au jour où la possession a commencé[123]. Cette règle se comprend fort bien dans les cas où la prescription n’est qu’un mode de preuve de la propriété déjà acquise par un autre moyen ; mais elle s’applique même lorsque la prescription est véritablement acquisitive en tant qu’elle fonctionne au profit d’un non dominus, car il n’est pas toujours possible de savoir si le possesseur ne tient son droit que de la possession prolongée ; au demeurant, il peut paraître opportun de considérer le possesseur comme ayant été propriétaire pendant toute la période de possession au cours de laquelle il a agi en tant que propriétaire, plutôt que de maintenir le droit du précédent propriétaire qui s’est désintéressé de la chose.

 

La rétroactivité de la prescription produit d’autres conséquences. Si, durant le délai de prescription, un droit réel est né du chef du vrai propriétaire, si par exemple un de ses créanciers a acquis contre lui une hypothèque légale ou un privilège et l’a inscrit, ce droit ne sera pas opposable au possesseur qui a usucapé. À l’inverse, les droits réels consentis sur l’immeuble par le possesseur au cours de la prescription sont rétroactivement validés. Les fruits perçus par le possesseur, même de mauvaise foi, lui seront définitivement acquis : il les conservera en tant que propriétaire, grâce au principe de rétroactivité.

 

L’acquisition d’un droit réel immobilier par prescription est opposable à tous sans être publié [124]

 

 

 

CHAPITRE II.   –   L’USUCAPION EN TANT QUE MODE DE PREUVE DE LA PROPRIETE IMMOBILIERE

 

Pour faire constater l’usucapion, la pratique a souvent recours à un acte de notoriété établi par un notaire. Ce qui nous amène dès lors à savoir si de tel acte est réellement un moyen de preuve de la prescription acquisitive (Section II). Cependant, avant d’aborder ce sujet, il importe de savoir l’objet et la charge de la preuve (Section I).

 

 

 

 

 

Section I – L’objet et la charge de la preuve

 

Le droit français ne connaît aucune espèce de procédure de vérification publique des droits de propriété immobilière, se traduisant par la délivrance d’un titre officiel et inattaquable. Bien plus, le Code civil ne propose aucune règle spécifique relative à la manière dont le propriétaire peut ou doit faire la preuve de son droit. L’article 1350-2° fait seulement une allusion à la prescription, en citant, au titre des présomptions légales, « les cas dans lesquels la loi déclare la propriété ou la libération résulter de certaines circonstances déterminées ». Cette lacune du code ne doit pas étonner. Ses dispositions n’envisagent jamais la preuve directe des droits. Est réglementée seulement la preuve des actes ou des faits juridiques d’où résulte l’existence des droits.

 

La preuve d’un tel acte (contrat, donation, testament) ou fait (dévolution successorale, usucapion), suivant les règles du droit commun de la preuve, n’est cependant elle-même que partiellement satisfaisante. La propriété immobilière présente, en effet, la particularité singulière d’être rebelle à l’administration d’une preuve parfaite et irréfutable. Celui qui parvient à établir qu’il tient régulièrement son droit de propriété de tel auteur, par convention ou succession, devrait prouver en outre que son auteur a lui-même régulièrement acquis son droit d’un auteur antérieur, qui l’a lui-même acquis d’un auteur précédent, et ainsi de suite jusqu’à l’infini. Indépendamment même de l’inéluctable imperfection des éléments de preuve disponibles, une pareille remontée dans le temps se heurte à une impossibilité radicale, d’où l’appellation de « probatio diabolica » donnée par les anciens à la preuve de la propriété[125].

 

À défaut de règles légales, jurisprudence et doctrine ont néanmoins élaboré un système de preuve du droit de propriété immobilière. Quid alors de l’objet de la preuve (§ 1) ainsi que sa charge (§ 2) ?

 

  • 1. – Objet de la preuve

 

Pour déterminer l’objet de la preuve, il importe de comprendre qu’il n’existe pas dans notre droit de preuve directe et formelle de la propriété. La préconstitution de la preuve du droit de propriété immobilier est impossible. En matière contractuelle, un créancier peut se munir d’une preuve préconstituée, car il connaît à l’avance la personne contre laquelle il aura à exercer son droit. Le droit de propriété, qui est opposable à tous, ne pourrait être prouvé contre tous par un écrit ayant une force probante absolue que si le propriétaire d’un immeuble tenait de l’État un titre officiel établissant l’existence de son droit. En l’absence d’un tel système, il ne peut être question d’une preuve parfaite de la propriété, opposable erga omnes.

 

De ce fait, il s’opère inéluctablement un déplacement de l’objet de la preuve. Puisque le propriétaire n’est pas à même de produire un titre établissant de manière irréfutable son droit et que la preuve directe du droit de propriété est impossible, il doit se contenter d’invoquer les actes et les faits juridiques qui rendent vraisemblable l’existence de son droit, qui lui fournissent la preuve d’un droit meilleur ou plus probable que celui de son adversaire, la jurisprudence se contentant de preuves indirectes, présumant la propriété à partir de circonstances qui peuvent être plus facilement connues. Il n’y a donc pas lieu de s’étonner de voir la Cour de cassation affirmer, au singulier et remarquable visa de l’article 544, « que la propriété d’un bien se prouve par tous moyens »[126].

 

  • 2. – Charge de la preuve

 

  1. Droit commun

 

La charge de la preuve incombe au demandeur, conformément au droit commun. C’est à celui qui se prétend propriétaire qu’il appartient d’établir la réalité de son droit. S’il ne peut fournir cette preuve, son action est vouée à l’échec, même si le défendeur se contente d’une attitude purement passive et n’offre aucun élément de preuve de son propre droit[127]. Il en est encore ainsi si le demandeur démontre seulement l’absence de droit de propriété du défendeur[128]. C’est le bien-fondé de sa propre prétention que le demandeur doit positivement établir[129].

 

  1. Incidences du régime de la possession

 

Outre sa qualité de défendeur, l’adversaire du revendiquant a généralement aussi celle de possesseur. Il bénéficie, de ce fait, de la présomption de propriété attachée à cette qualité. Ce rappel permet de souligner l’importance des actions possessoires pour le véritable propriétaire. Chaque fois qu’il est en situation de se prévaloir de la qualité de possesseur évincé, il a un intérêt évident à opter pour cette dernière voie, en intentant une action possessoire, plus précisément l’action en réintégration, plutôt que l’action en revendication. La preuve du fait de la possession est plus aisée à rapporter que celle du droit de propriété. S’il triomphe dans son action possessoire, il se retrouve lui-même dans la position confortable de défendeur pour le cas où une action en revendication serait dirigée contre lui, en particulier par celui qu’il a pu, par ce moyen, évincer de la possession de l’immeuble.

 

En outre, même si le demandeur ne peut agir au possessoire – par exemple si les conditions de délai ne sont pas remplies – et s’il n’a d’autre ressource que de revendiquer la propriété du bien, c’est encore la possession qui, dans bien des cas, fournira au revendiquant le meilleur moyen d’obtenir gain de cause : il suffira qu’il puisse prouver que sa possession antérieure, jointe éventuellement à celle de ses auteurs, le désigne comme légitime propriétaire par prescription acquisitive. Cette incidence de la possession relève cependant du problème des modes de preuve de la propriété et non plus de celui de la charge de la preuve.

 

 

 

 

 

Section II – L’acte de notoriété acquisitive, un moyen de preuve de l’usucapion ?

 

Il n’est pas rare que le possesseur d’un immeuble donné n’ait pas en sa possession un titre de propriété régulier lui conférant toutes les prérogatives que l’on peut avoir sur un bien, c’est-à-dire l’usus, l’abusus et le fructus. Toutefois, comme il a été évoqué tout au début, la loi reconnaît audit possesseur la qualité de propriétaire dès lors que sa possession remplit les conditions afférentes à l’usucapion et revêt certains caractères. Auquel cas, le notaire[130] dressera un acte dit de notoriété acquisitive afin de conforter la possession. Zoom sur la nature (§ 1), les règles afférentes à la rédaction (§ 2) et les effets dudit acte (§ 3).

 

  • 1. – Nature de l’acte de notoriété acquisitive

 

  1. Définition de l’acte de notoriété acquisitive

 

Un acte de notoriété est « un document par lequel un officier public recueille des témoignages en vue d’établir une circonstance ou un fait matériel qu’un grand nombre de personnes ont pu constater. C’est la preuve par commune renommée »[131].

 

A partir de cette définition, on peut avancer la définition suivante quant à la notion d’acte de notoriété acquisitive : c’est un acte instrumentaire faisant état des déclarations de plusieurs personnes attestant l’acquisition de la propriété d’un bien immobilier par usucapion.

 

  1. Caractères de l’acte de notoriété acquisitive

 

Un acte de notoriété acquisitive revêt les caractères d’un acte authentique. Aussi, ledit acte, de par l’authenticité que le notaire lui confère, a date certaine et force probante.

 

Contrairement à l’acte sous seing privé, qui ne fait foi, de la date qu’il porte qu’entre les parties et leurs héritiers et ayants cause, l’acte notarié fait foi de sa date également à l’égard des tiers (art. 1319 C. civ.).

 

La force probante conférée à l’acte de notoriété acquisitive signifie que celui-ci fait foi à l’égard des tiers des faits que le notaire y a constatés dans l’exercice de ses fonctions. Si par exemple, il est écrit que depuis plus de 30 ans, Mr X a exercé une possession continue et ininterrompue, paisible, publique non équivoque et à titre de propriétaire de telle parcelle, cet élément fait foi jusqu’à inscription de faux[132].

 

 

 

  • 2. – Règles afférentes à la rédaction de l’acte de notoriété acquisitive

 

Comme tout acte notarié, l’acte de notoriété acquisitive est soumis quant à leur forme, à une réglementation résultant pour l’essentiel du décret 71-941 du 26 novembre 1971, lequel a été profondément modifié et enrichi par le décret 2005-973 du 10 août 2005 pour permettre à l’acte authentique électronique de voir le jour par application de l’article 1317, al. 2 du Code civil. Ces modifications sont entrées en vigueur le 1er février 2006, de sorte que depuis cette date l’acte notarié peut être dressé et conservé sur support électronique.

 

La plupart des dispositions antérieures du décret 71-941 du 26 novembre 1971 ont été maintenues en ce qui concerne les actes établis sur papier, voire même pour les deux types d’actes, mais l’ensemble du texte a été réécrit de sorte que la plupart des références à ce décret se trouvent modifiées.

 

Parmi les dispositions communes, il convient de signaler, outre celles relatives aux incapacités personnelles, ou aux témoins, celles relatives aux énonciations obligatoires des actes (Décret 71-941 art. 6). Selon ce texte, l’acte, quel que soit son support, doit énoncer : le nom et le lieu d’établissement du notaire instrumentaire, les nom et domicile des témoins, le lieu où l’acte est passé, la date à laquelle est apposée chaque signature, les nom, prénoms et domicile des parties et de tous les signataires de l’acte, et enfin la mention que cet acte a été lu par les parties ou que lecture leur en a été donnée. Concernent également tous les actes notariés, quel qu’en soit le support, les règles relatives à l’usage des abréviations, et à l’indication en lettres de certaines sommes ou dates (Décret 71-941 art. 8).

 

Par contre, certaines dispositions relatives à la présentation matérielle du texte, au barrement des blancs, à la numérotation des pages, à l’emplacement des renvois et à leur paraphe par les parties et le notaire ne sont maintenues que pour les actes sur support papier (Décret 71-941 art. 11 à 15).

 

Depuis le décret du 2 thermidor an II, les actes notariés doivent être rédigés en langue française, de sorte que lorsque les parties ou l’une d’entre elles ne comprennent pas le français, leur volonté manifestée dans leur langue maternelle doit être traduite et exprimée en français, soit par le notaire ou le clerc habilité, soit par un interprète. Une exception concerne les notaires d’Alsace-Lorraine, qui peuvent recevoir des actes en langue allemande, si les parties le requièrent expressément et déclarent ignorer le français.

 

  • 3. – Effets de l’acte de notoriété acquisitive

 

Comme évoqué ci-avant, pour faire constater la prescription acquisitive, la pratique a recours à un acte de notoriété acquisitive, lequel enregistre les attestations de déclarants attestant qu’un fait, à leur connaissance personnelle, est de notoriété publique.

 

Cependant, la jurisprudence affirme de manière constante que l’existence d’un acte notarié constant une usucapion ne peut, par elle-même, établir celle-ci ; néanmoins, il appartient au juge d’en apprécier la valeur probante quant à l’existence d’actes matériels de nature à caractériser la possession invoquée. Ainsi, les juges ne peuvent rejeter l’acte notarié en se fondant sur deux témoignages et une partie du rapport de l’expert, désigné au cours d’une action en bornage antérieur, et constant que la parcelle en cause était un chemin d’exploitation, propriété des riverains[133]. Aussi, nonobstant la grande autorité de l’acte notarié, celui-ci ne permet-il pas à lui seul de prouver la possession.

 

Par ailleurs, il importe de rappeler qu’un détenteur précaire ne peut prescrire que si le titre de sa possession se trouve interverti, notamment, par la contradiction qu’il a opposé au droit du propriétaire. Ainsi, si une telle personne, titulaire d’un acte de notoriété acquisitive, établit avoir réalisé depuis plus de 30 ans un certain nombre d’actes d’exploitation sur une parcelle de terre donnée, de tel actes ne caractérisent pas la volonté de se comporter en tant que propriétaire, dans la mesure où ils peuvent être effectués à titre de détenteur précaire. En outre, l’interversion de titre n’est intervenue qu’au jour où cette personne a fait connaître qu’il se considérait comme propriétaire, notamment au jour de la publication de l’acte de notoriété acquisitive à la conservation des hypothèques. Aussi, le point de départ l’usucapion devant être fixé à cette date.

 

 

 

 

 

CONCLUSION

 

 

Bien que toute conclusion soit périlleuse, et nécessairement partielle ou partiale, trois remarques peuvent être faites au terme de tout ce qui vient de précéder.

 

La possession peut conduire à la propriété, ce qui est dans la logique des choses, dans la mesure où la propriété n’est qu’une possession d’une certaine qualité. Et parmi les modes d’acquisition de la propriété qui reposent sur la possession, on a la prescription dite acquisitive ou usucapion. Toutefois, si l’usucapion a une fonction acquisitive de la propriété, notamment de la propriété immobilière, elle a aussi une fonction probatoire.

 

Pour acquérir la propriété d’un bien via l’usucapion, un certain nombre de conditions doit être respecté (v. supra Partie II – Chapitre I – Section II). Et généralement, pour faire constater la prescription acquisitive, que lesdites conditions sont remplies, la pratique notariale a donné naissance à l’acte dit de notoriété acquisitive. Cependant, le notaire, avant d’établir un tel acte, doit avoir une certaine maîtrise des règles relatives à ce mode d’acquisition de la propriété qu’est la prescription acquisitive afin de se parer à la mise en jeu de sa responsabilité.

 

Les notaires sont responsables des fautes qu’ils commettent dans l’accomplissement de leurs tâches en tant qu’officier public ; cette responsabilité peut être mise en jeu non seulement à l’égard des parties aux actes qu’ils établissent, mais aussi vis-à-vis des tiers auxquels ces fautes peuvent être préjudiciables. Si la mission du notaire se limite à authentifier les dires des déclarants sans qu’il y ait vérification de leur contenu, il engage toutefois sa responsabilité lorsqu’il consent à établir un acte de notoriété nonobstant le fait que les circonstances ou ses connaissances personnelles sont de nature à mettre en doute la véracité des propos des déclarants et l’effectivité des faits dont ils prétendent conforter. Aussi, le notaire doit-il est être particulièrement diligent et avoir une certaine rigueur lorsqu’il est amené à établir un acte de notoriété.

 

 

 

 

TABLE DES MATIÈRES

 

Principales abréviations…………………………………………………………………………………………….. 1

Sommaire………………………………………………………………………………………………………………….. 2

Introduction………………………………………………………………………………………………………………. 3

PARTIE I – LA POSSESSION

Chapitre I.   –   Les éléments constitutifs de la possession…………………………………………… 7

Section I – Les composantes de la possession…………………………………………………………………. 9

  • 1. – Définition de la possession……………………………………………………………………………. 9
  • 2. – Les éléments de la possession………………………………………………………………………. 10
  1. Corpus…………………………………………………………………………………………………….. 10
  2. Animus……………………………………………………………………………………………………. 11
  • 3. – Possession et détention précaire…………………………………………………………………… 11
  1. Définition du détenteur précaire…………………………………………………………………. 12
  2. Effets de la détention précaire……………………………………………………………………. 13
  3. Preuve de la possession et de la détention précaire……………………………………….. 13
  4. Présomption de possession véritable………………………………………………………. 14
  5. Présomption de perpétuité de la précarité………………………………………………… 14
  6. Interversion du titre : circonstances non retenues……………………………….. 14
  7. Interversion du titre par le fait d’un tiers…………………………………………… 15
  • Interversion du titre par une contradiction opposée au

droit du propriétaire……………………………………………………………………….. 15

  1. Effets de l’interversion du titre………………………………………………………… 15

Section II – La réunion et la dissociation des éléments constitutifs de la possession………….. 16

  • 1. – Acquisition de la possession………………………………………………………………………… 16
  1. La réunion du corpus et de l’animus : indispensable pour qu’il y ait

possession……………………………………………………………………………………………….. 16

  1. La réunion du corpus et de l’animus en la même personne du possesseur : non indispensable pour acquérir la possession……………………………………………………………………………….. 16
  • 2. – Perte de la possession…………………………………………………………………………………. 17
  1. Perte simultanée des deux éléments de la possession…………………………………….. 17
  2. Perte du corpus………………………………………………………………………………………… 17
  3. Perte de l’animus……………………………………………………………………………………… 18

Chapitre II. –  Conditions d’efficacité et effets de la possession……………………………….. 19

Section I – Absence de vices absolus……………………………………………………………………………. 20

  • 1. – Vice de discontinuité………………………………………………………………………………….. 20
  • 2. – Vice d’équivoque……………………………………………………………………………………….. 20

Section II – Absence de vices relatifs…………………………………………………………………………… 21

  • 1. – Vice de violence………………………………………………………………………………………… 21
  • 2. – Vice de clandestinité…………………………………………………………………………………… 21

PARTIE II – L’ACQUISITION DE LA PROPRIETE D’UN BIEN IMMOBILIER PAR LA POSSESSION

Chapitre I.   –   La prescription acquisitive……………………………………………………………… 24

Section I – Fonction probatoire de la prescription acquisitive………………………………………… 25

Section II – Conditions de la prescription acquisitive…………………………………………………….. 26

  • 1. – Biens pouvant être prescrits…………………………………………………………………………. 26
  • 2. – Conditions relatives aux qualités de la possession………………………………………….. 27
  1. Une possession exempte de vices……………………………………………………………….. 27
  2. Les actes de simple tolérance ou de pure faculté ne peuvent fonder

l’usucapion………………………………………………………………………………………………. 28

  • 3. – Conditions relatives au délai………………………………………………………………………… 29
  1. Durée du délai………………………………………………………………………………………….. 29
  2. La prescription trentenaire…………………………………………………………………….. 29
  3. La prescription de dix ans ou prescription abrégée…………………………………… 29
  4. Domaine de la prescription abrégée………………………………………………….. 29
  5. Conditions de la prescription abrégée……………………………………………….. 30

– Le juste titre……………………………………………………………………………. 30

– La bonne foi……………………………………………………………………………. 32

  • L’abréviation (une prescription de dix ans)……………………………………….. 33
  1. Régime du délai……………………………………………………………………………………….. 33
  2. Computation………………………………………………………………………………………… 33
  3. Suspension de la prescription…………………………………………………………………. 34
  4. Généralités……………………………………………………………………………………. 34
  5. Causes de suspension……………………………………………………………………… 35
  6. Interruption de la prescription………………………………………………………………… 35
  7. Interruption naturelle……………………………………………………………………… 36
  8. Interruption civile…………………………………………………………………………… 36

– Interruption civile émanant du propriétaire…………………………………. 36

– Interruption civile émanant du possesseur………………………………….. 37

  1. Jonction des possessions……………………………………………………………………….. 37
  2. Ayant cause à titre universel……………………………………………………………. 38
  3. Ayant cause à titre particulier………………………………………………………….. 38

Section III – Effets de la prescription…………………………………………………………………………… 39

  • 1. – Déclenchement du mécanisme…………………………………………………………………….. 39
  1. Nécessité d’invoquer la prescription…………………………………………………………… 39
  2. Possibilité de renoncer à la prescription………………………………………………………. 40
  • 2. – Conséquence du mécanisme : acquisition rétroactive……………………………………… 41

Chapitre II. –   L’usucapion en tant que mode de preuve de la propriété

immobilière……………………………………………………………………………………. 43

Section I – L’objet et la charge de la preuve…………………………………………………………………. 44

  • 1. – Objet de la preuve………………………………………………………………………………………. 44
  • 2. – Charge de la preuve……………………………………………………………………………………. 45
  1. Droit commun………………………………………………………………………………………….. 45
  2. Incidences du régime de la possession………………………………………………………… 45

Section II – L’acte de notoriété acquisitive, un moyen de preuve de l’usucapion ?……………. 46

  • 1. – Nature de l’acte de notoriété acquisitive……………………………………………………….. 46
  1. Définition de l’acte de notoriété acquisitive…………………………………………………. 46
  2. Caractères de l’acte de notoriété acquisitive………………………………………………… 46
  • 2. – Règles afférentes à la rédaction de l’acte de notoriété acquisitive…………………….. 47
  • 3. – Effets attachés à l’acte de notoriété acquisitive………………………………………………. 47

Conclusion………………………………………………………………………………………………………………. 49

Table des matières…………………………………………………………………………………………………… 50

Bibliographie…………………………………………………………………………………………………………… 53

 

 

 

 

 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

–oo0oo–

 

Ouvrages. –

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  2. Carbonnier, Droit civil, t. 3, Les biens, monnaie, immeubles, meubles, 19e éd. 2000 ;

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  1. Cornu, Droit civil, Introduction, Les personnes, Les biens, 12e éd. 2005 ;
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Articles. –

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Codes et textes législatifs. –

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   [1] Pourquoi ne pas tenir le même raisonnement en matière de détention ? demande Ihering. « Qu’est-ce que l’injustice contre la personne a de commun avec la manière dont celle-ci possède ? ».

   [2] L’ordre public est celui des volontés privées. Il permet la défense des droits acquis, dont le maintien ne saurait être compromis sous prétexte que leur existence n’est que probable.

   [3] Comp. Hernandez Gil, La función social de la posesión, Madrid, Alianza, 1969.

   [4] Expression empruntée au juriste français E. de Parieu, in Mélanges Valette, Matières div., t. 30, Joubert 1850.

   [5] V. la remarquable analyse de J.-M. TRIGEAUD, La possession des biens immobiliers, Nature et fondement, thèse Paris II, éd. 1981.

   [6] On retrouve la célèbre définition que Ihering oppose (dans L’Esprit du droit romain) à l’idée kantienne et hégélienne de droit subjectif : le droit est un « intérêt juridiquement protégé ». En ce sens, il doit être compris comme « bien, valeur ». La volonté individuelle en est exclue.

   [7] Savigny, Traité de la possession en droit romain, 1re éd. 1803.

   [8] Ihering, Du fondement de la protection possessoire ; du rôle de la volonté dans la possession, trad. Meulenaere, 1891.

   [9] Paul, au Digeste, 41, 2, fr. 1, § 3.

  [10] Ihering, op. cit., p. 17 s.

  [11] Aubry et Rau, t. II, 5e éd. par P. Esmein, § 177, p. 109.

  [12] V. P. Ortscheidt, La possession en droit civil français et allemand, thèse ronéot. Strasbourg, 1977.

  [13] Civ. 17 oct. 1933, Gaz. Pal. 1933, 2, 900 ; Req. 9 juill. 1946, D. 1946, 394.

  [14] Com. 14 nov. 1989, Bull. civ. IV, n° 290, p. 196 ; 28 nov. 1989, Bull. civ. IV, n° 300, p.201.

[15] Des « actes de possession » consistant dans la divulgation ou l’exploitation d’une œuvre font, en l’absence de toute revendication de la part des personnes qui l’ont réalisée, présumer que ceux qui les accomplissent sont titulaires du droit de propriété incorporelle de l’auteur : Civ. 1re, 24 mars 1993, Bull. civ. I, no 126, p. 84 ; 31 janv. 1995, Bull. civ. I, no 63, p. 45 ; 9 janv. 1996, Bull. civ. I, no 28, p. 18. – V. aussi J.-L. Goutal, Présomption de titularité des droits d’exploitation au profit des personnes morales ; la Cour de cassation maintient sa jurisprudence, RIDA 1998, 64 s. ; V. P. Tafforeau, De la possession d’un droit d’auteur par une personne morale, Comm., com. électr. avr. 2001, p. 9.

[16] V. la démonstration convaincante d’Anne Pélissier, Possession et meubles incorporels, thèse Montpellier, éd. 2001 ; v. aussi Béatrice Parance, La possession des biens incorporels, thèse Paris I, 2003.

[17] S’il s’agit de la possession de l’usufruit, le corpus consistera à user et à jouir de la chose en exerçant les prérogatives et en assumant les obligations d’un usufruitier. S’agit-il de la possession d’une servitude, le corpus consistera à accomplir les actes correspondant à ce droit, par exemple, pour une servitude de passage, le fait de passer sur le fonds voisin.

[18] Civ. 14 nov. 1910, DP 1912, 1, 483 ; 13 déc. 1948, D. 1949, 72, Gaz. Pal. 1949, 1, 107, RTD civ. 1949, 281, obs. Solus.

  [19] A. Pélissier, op. cit.

  [20] V. F. Alt-Maes, Une évolution vers l’abstraction : de nouvelles applications de la détention, RTD civ. 1987, 21 s.

  [21] Rappr., sur les conventions d’occupation précaire, Pizzio, JCP 1980, I, 2975.

  [22] Civ. 3e, 15 déc. 1999, Bull. civ. III, no 248, JCP 2000, I, 265, n° 20, obs. H. Périnet-Marquet.

  [23] Civ. 3e, 24 janv. 1990, Bull. civ. III, no 30, p. 15, D. 1991, somm. com. 21, obs. A. Robert.

  [24] Civ. 1re, 13 févr. 1963, Bull. civ. I, no 103, p. 90 ; Civ. 3e, 21 mars 1984, JCP 1986, II, 20640, 1re esp., note de La Marnierre.

  [25] Civ. 2 mars 1908, DP 1911, 1, 37.

  [26] Req. 12 juill. 1905, DP 1907, 1, 141; Civ. 3e, 7 oct. 1975, Bull. civ. III, no 281, p. 213; 13 févr. 1980, D. 1980, IR 480 ; Civ. 1re, 3 mars 1987, Bull. civ. I, n° 82, p. 61 ; Civ. 3e, 19 déc. 1990, Bull. civ. III, no 270, p. 153, D. 1991, somm. com. 305, obs. A. Robert.

  [27] Req. 12 juill. 1905, préc.

  [28] L’art. 2270 est inapplicable à celui qui possède un bien sur lequel le titre ne lui donnait aucun droit (Civ. 3e, 2 déc. 1975, D. 1976, somm. 27, Defrénois 1976, 1069, obs. Souleau, RTD civ. 1977, 165, obs. Giverdon).

  [29] Il en va de même des légataires universels (Civ. 1re, 9 déc. 1986, Bull. civ. I, no 291, p. 277).

  [30] Il en va différemment si la chose est transmise par le détenteur à une autre personne par un acte translatif à titre particulier ; les obligations ne se transmettant pas aux ayants cause à titre particulier, l’acquéreur sera un véritable possesseur, à moins qu’il n’ait connu lors de l’acquisition l’existence du vice de précarité chez son auteur (Civ. 8 nov. 1880, DP 81, 1, 28).

  [31] Pau 9 mai 1892, DP 92, 2, 255. Les juges du fond ont un pouvoir souverain d’appréciation à l’égard des actes ou documents invoqués à l’effet d’établir l’interversion du titre.

  [32] Rouen 18 juill. 1949, D. 1952, 9, note Lebrun.

  [33] Civ. 13 déc. 1948, D. 1949, 72.

  [34] G-A. Likillimba, La possession corpore alieno, RTD civ. 2005, 1 s.

  [35] Civ. 27 mars 1929, DH 1929, 250

  [36] V. de manière plus générale, G-A. Likillimba, La possession corpore alieno, art. préc.

  [37] Civ. 3e, 17 avr. 1969, Bull. civ. III, no 303, p. 232; 15 mars 1977, Bull. civ. III, no 121, p. 94, Defrénois 1977, I, 1591, obs. H. Souleau, RTD civ. 1978, 384, obs. Cl. Giverdon.

  [38] Mais la possession ne serait pas perdue si l’obstacle à la continuation des actes de possession résultait de la force majeure, comme l’occupation ennemie (Req. 19 juill. 1875, DP 77, 1, 111).

  [39] Req. 11 déc. 1889, DP 91, 1, 38.

  [40] Civ., 1re sect. civ., 3 mai 1960, D. 1960, somm. 113, Gaz. Pal. 1960, 2, 69, RTD civ. 1960, 689, obs. SOLUS ; Civ. 3e, 30 juin 1999, Dr. et patrimoine n° 308, 20 oct. 1999.

  [41] Le possesseur actuel qui prouve avoir possédé anciennement, est présumé avoir possédé dans le temps intermédiaire, sauf preuve contraire (art. 2234). Mais la possession actuelle ne fait présumer l’ancienne que si le possesseur a un titre, auquel cas il est présumé avoir possédé depuis la date de son titre.

  [42] Civ. 3 avr. 1895, DP 95, 1, 242. – V. plus généralement, en cas d’indivision, Civ. 3e, 6 mai 1987, Bull. civ. III, n° 97, p. 58 ; Bordeaux 13 nov. 1986, D. 1989, somm. 26, obs. A. Robert. – La communauté d’habitation entre le possesseur et le propriétaire d’un objet mobilier, sans rendre nécessairement équivoque la possession de cet objet, peut lui attribuer ce vice selon l’appréciation des tribunaux : ainsi en est-il lorsque après la mort d’une personne, des biens ayant appartenu à celle-ci sont trouvés entre les mains d’une concubine, d’un domestique ou d’un héritier habitant avec elle ; est-ce pour leur compte personnel qu’ils possédaient, ou bien à titre de dépositaire, de mandataire, de salarié ? La possession peut s’en trouver viciée en raison de ce doute (Aix 3 févr. 1902, DP 1904, 2, 289, note Planiol ; T. civ. Pithiviers 3 nov. 1943, DC 1944, 135, note Mimin).

Ainsi a-t-il été jugé que, lorsque deux concubins ont toujours vécu ensemble dans un immeuble, la possession de celui qui a survécu à l’autre est équivoque (Civ. 1re, 7 déc. 1977, Bull. civ. I, n° 469, p. 372, JCP 1978, IV, 47). Mais cette communauté d’habitation ne rend pas de plein droit équivoque la possession (Paris 10 juill. 1992, D. 1993, somm. com. 305, obs. A. Robert. – V. de manière plus générale, G. Nicolau, L’équivoque entre vice et vertu, RTD civ. 1996, 57 s.

  [43] Civ. 3e, 27 nov. 1985, Bull. civ. III, n° 158, p. 119 ; v. aussi Civ. 1re, 17 avr. 1985, D. 1986, 82, note A. Breton, JCP 1985, II, 20464, concl. Gulphe et, sur renvoi, Fort-de-France 3 avr. 1987, D. 1987, 569, note A. Breton. Normalement ce sont des données matérielles qui rendent équivoque la possession. Comp. cep. dans un cas où le vendeur d’une automobile a, en application d’une clause de réserve de propriété, conservé la carte grise d’un véhicule, Civ. 1re, 14 mai 1996, D. 1996, IR 147, JCP 1996, I, 3972, obs. H. Périnet-Marquet, JCP 1996, IV, 1489. – L’existence d’une servitude de passage n’est pas de nature à exclure l’acquisition par prescription du sol du fonds servant : Civ. 3e, 4 oct. 2000, Bull. civ. III, n° 159, D. 2000, IR 262, JCP 2001, I, 305, n° 3, obs. H. Périnet-Marquet.

  [44] Arg. art. 2263, al. 1er, selon lequel les actes de violence ne peuvent fonder non plus une possession capable d’opérer la prescription. La tradition romaine était d’ailleurs en ce sens. La jurisprudence tendait jadis à exiger que la possession fût paisible, même pendant sa durée (Req. 26 août 1884, DP 85, 1, 58). Mais la Cour de cassation a condamné cette solution dans un arrêt du 15 février 1968 (D. 1968, 453).

  [45] Req. 26 août 1884, préc. (Le vice de violence n’existait que dans les rapports de l’auteur de la violence et de la victime ; si le propriétaire est un tiers, la possession n’est nullement viciée à son égard).

  [46] Faute de volonté de dissimulation, une possession n’a pas été considérée comme clandestine : TGI Paris 30 nov. 1988, D. 1990, somm. 87, obs. Robert (livres conservés dans des emballages en carton entreposés dans une cave).

  [47] Lexiques des termes juridiques, 14ème éd., Dalloz, p.449.

  [48] Le mot usucapion ne se trouve pas dans les lois françaises. Il exprime mieux que le seul mot prescription une acquisition par l’usage.

  [49] Une personne ne peut transférer à autrui plus de droits qu’elle n’en a elle-même.

  [50] Rapp., sur l’effet rétroactif de la prescription accomplie, infra Section III. Effets de la prescription acquisitive.

  [51] Cf. T. civ. Tarbes 21 mars 1933, Gaz. Pal. 1933, 2, 48 (copropriété) ; Civ. 1re, 10 mai 1965, D. 1965, 820 (mitoyenneté).

  [52] V. P. Jestaz, Prescription et possession en droit français des biens, D. 1984, chron. 27 s.

  [53] V., au sujet des forêts, Civ. 1re, 12 oct. 1965, Bull. civ. I, no 533, p. 403 ; rappr. Civ. 3e, 28 janv. 1987, Bull. civ. III, n° 12, p. 7. – Les biens communaux, qui relèvent du domaine privé de la commune, peuvent être acquis par prescription : Civ. 3e, 15 juin 1988, Bull. civ. III, no 110, p. 61. – Et au sujet des sépultures, Civ. 1re, 13 mai 1980, Bull. civ. I, n° 147, p. 119, JCP 1980, II, 19439.

  [54] Civ. 1re, 10 déc. 1968, Bull. civ. I, no 320, p. 241 ; Fort-de-France 3 avr. 1987, D. 1987, 568, note Breton, RTD civ. 1989, 784, obs. Zénati.

  [55] La Cour de cassation, affirmant la nécessité du corpus, exige des actes matériels sur la chose : Civ. 13 déc. 1948, D. 1949, 72 ; Civ. 1re, 28 juin 1965, Bull. civ. I, no 428, p. 316 ; Civ. 3e, 8 oct. 1975, D. 1975, IR 255, Gaz. Pal. 1975, 1, somm. 271 ; 15 mars 1978, Bull. civ. III, no 123, p. 96, D. 1978, IR 478, Gaz. Pal. 1978, 1, somm. 174, RTD civ. 1979, 153, obs. Giverdon ; 13 janv. 1999, JCP 1999, I, 175, no 5 ; 30 juin 1999, JCP 2000, p. 408, no 2, chron. H. Périnet-Marquet.

  [56] Civ. 29 oct. 1899, DP 1900, 1, 253 ; Req. 25 janv. 1938, Gaz. Pal. 1938, 1, 575 ; Poitiers 24 mai 1945, Gaz. Pal. 1945, 2, 53. Toutefois les actes accomplis par un détenteur profitent au véritable possesseur qui peut prescrire par leur intermédiaire (Req. 16 juill. 1928, S. 1928, 1, 318). Un détenteur peut prescrire s’il justifie d’une interversion de titre, le délai courant à partir du jour de cette interversion. – En ce sens que le titre contre lequel il est interdit de prescrire est seulement celui suivant lequel la possession est exercée à titre précaire, v. Civ. 3e, 2 déc. 1975, D. 1976, somm. 27, Bull. civ. III, n° 355, p. 270, RTD civ. 1977, 154, obs. Giverdon.

  [57] Poitiers 24 mai 1945, préc. – La Cour de cassation exige des juges du fond qu’ils caractérisent les faits de possession devant conduire à la prescription (Civ. 3e, 16 juin 1971, D. 1971, somm. 162, Bull. civ. III, no 383, p. 272 ; 21 mars 1972, Bull. civ. III, no 123, p. 139 ; 15 mars 1978, préc.).

[58] Il appartient à l’appréciation souveraine des juges du fond, au vu des témoignages recueillis au cours d’une enquête, de retenir qu’un possesseur bénéficie de l’usucapion trentenaire, ayant eu par lui-même, par ses auteurs ou représentants, l’usage exclusif de la cour d’un immeuble pendant les trente années qui avaient précédé l’introduction de l’instance (Civ. 1re, 13 nov. 1970, JCP 1972, II, 17077, note J. Ghestin, RTD civ. 1972, 423, obs. Bredin). En particulier, les vices de la possession sont souverainement appréciés par les juges du fond, la Cour de cassation ne pouvant relever le vice d’équivoque dont, selon le demandeur au pourvoi, avait souffert la possession trentenaire qui lui était opposée. En fait, d’ailleurs, le vice d’équivoque n’était nullement caractérisé : le demandeur au pourvoi prétendait qu’il pénétrait dans la cour « pour les besoins du ramonage de sa cheminée et pour l’entretien du mur de sa maison » ; or un tel passage occasionnel pouvait avoir été permis à titre de simple tolérance pour des raisons de bon voisinage ; il ne rendait pas équivoque une occupation permanente et exclusive de trente années.

  [59] V., à propos de locataires restés dans les lieux, Civ. 3e, 19 déc. 1990, Bull. civ. III, n° 270, p. 153, D. 1991, IR 10.

  [60] V. P.G.J. Haj-Chahine, L’acte de tolérance en droit civil, Contribution à l’étude des actes dans le droit des biens et à la théorie de la volonté modératrice de droit, thèse ronéot. Paris II, 1992, vol. 2.

  [61] Les tribunaux apprécient souverainement la nature des actes de possession qui sont invoqués devant eux ; ils tiennent compte des circonstances de la cause, de la gêne plus ou moins grande causée au propriétaire du fonds dont l’assujettissement est en jeu. Il a ainsi été jugé que le propriétaire d’une prairie qui, chaque année, après la récolte, autorisait la tenue d’une foire sur un pré, ne saurait voir reconnaître contre lui l’existence d’une servitude sur son fonds (Riom 3 déc. 1844, DP 46, 2, 88).

[62] Req. 17 mai 1899, DP 99, 1, 372 ; Civ. 1re, 19 févr. 1951, Bull. civ. I, n° 66, p. 54.

  [63] Ex. : les rentes foncières qui sont des meubles par détermination de la loi (Civ. 14 août 1840, S. 40, 1, 754). – À l’inverse, on doit l’admettre au sujet des immeubles par destination (En ce sens, Mazeaud et Chabas, t. II, 2e vol., n° 1497, note 1).

  [64] Civ. 22 oct. 1924, DH 1924, 66 ; Civ. 3e, 22 mai 1970, Bull. civ. III, n° 356, p. 259.

  [65] Req. 18 juill. 1816, D. Jur. gén. Prescription, n° 958.

  [66] Civ. 3e, 26 oct. 1977, D. 1978, IR 188, JCP 1979, IV, 15, Gaz. Pal. 1978, 1, somm. 20 (l’acquéreur était une société fictive).

  [67] Civ. 1re, 24 nov. 1982, Bull. civ. I, no 340, p. 291, D. 1983, IR 369, obs. A. Robert (le conflit opposait des donataires et un héritier réservataire). – V. cependant, Civ. 3e, 6 nov. 1969, Bull. civ. III, n° 721, p. 545.

  [68] Civ. 1re, 16 juin 1965, Bull. civ. I, n° 403, p. 300 ; Civ. 3e, 15 févr. 1968, Bull. civ. III, n° 83, p. 67 ; 27 mai 1998, Bull. civ. III, n° 113, JCP 1998, IV, 2619 ; 13 déc. 2000, Bull. civ. III, n° 192, JCP 2001, p. 1987, n° 1, chron. H. Périnet-Marquet, D. 2001, p. 2154, note P. Lipinski. – V. J. Fournier, Le juste titre en droit français moderne, thèse Caen, 1942.

  [69] Civ. 29 oct. 1899, DP 1900, 1, 253, Grands arrêts n° 76 ; 26 oct. 1953, D. 1954, 24.

  [70] V. cependant Aix 19 mars 1980, D. 1983, IR 15.

  [71] Civ. 13 avr. 1881, DP 81, 1, 353, S. 83, 1, 453 ; Civ. 1re, 2 févr. 1955, Bull. civ. I, no 52, p. 49 ; 6 nov. 1963, Bull. civ. I, no 483, p. 409.

  [72] V. au sujet de legs ou de donations annulés ou révoqués : Montpellier 10 janv. 1878, S. 78, 2, 313 ; Riom 14 déc. 1886, S. 88, 2, 21.

  [73] Ex. : Civ. 3e, 21 févr. 1973, Bull. civ. III, n° 149, p. 108, RTD civ. 1974, 174, obs. Bredin ; 21 oct. 1975, D. 1976, IR 17 ; 30 nov. 1977, D. 1978, IR 197 ; 20 oct. 1979, D. 1980, IR 113, JCP 1980, IV, 16 ; 16 févr. 1983, D. 1983, IR 369, obs. A. Robert.

  [74] V. aussi, au sujet d’un acte d’acquisition revêtu d’une fausse signature, Civ. 3e, 20 oct. 1982, Bull. civ. III, n° 237, p. 176, JCP 1983, IV, 59, Gaz. Pal. 1983, 1, somm. 118.

  [75] Ex. : une vente ou un apport en société émanant d’une congrégation non autorisée (Req. 9 avr. 1906, DP 1907, 1, 406 ; 5 janv. 1927, DH 1927, 66) ; une donation déguisée entre époux (Paris, 16 mars 1949, JCP 1949, II, 4960, note E. Becqué). – V. aussi, au sujet d’une nullité partielle, Req. 27 févr. 1905, S. 1906, 1, 305, note Naquet, DP 1908, 1, 333.

  [76] V. même, au sujet d’un titre d’adjudication des biens d’un failli : Civ. 3e, 3 nov. 1977, D. 1978, IR 232, Bull. civ. III, no 366, p. 279, JCP 1978, IV, 5, RTD civ. 1978, 678, obs. Giverdon.

  [77] Civ. 3e, 31 janv. 1984, Bull. civ. III, no 23, p. 17, D. 1984, 396, note Aubert.

  [78] Req. 4 août 1870, DP 72, 1, 17 ; Paris 15 janv. 1935, JCP 1935, II, 446.

  [79] Ch. réun. 12 déc. 1865, DP 65, 1, 457, S. 66, 1, 73. Supposons ainsi une difficulté entre A et B au sujet de la propriété d’un immeuble ; A abandonne ses prétentions moyennant le versement

  [80] Civ. 3e, 5 oct. 1994, Bull. civ. III, n° 167, Defrénois 1995, 804, obs. Ch. Atias, RTD civ. 1996, 426, obs. F. Zénati ; 30 avril 2002, D. 2002, IR 1597, JCP 2002, I, 176, no 4, obs. H. Périnetmarquet.

  [81] V. aussi, en cas de vente d’une parcelle indéterminée à prendre dans un ensemble, acte qui n’est pas translatif : Req. 24 août 1929, D. 1929, 283. – Rappr. au sujet d’une délibération d’un conseil municipal (autorisant un échange de parcelles) non encore approuvée par l’autorité de tutelle : Civ. 3e, 20 févr. 1979, D. 1979, IR 249, JCP 1979, IV, 147, Defrénois 1979, 1225, obs. Souleau.

  [82] Civ. 20 janv. 1880, DP 80, 1, 65.

  [83] Civ. 3e, 25 oct. 1968, Bull. civ. III, no 417, p. 317.

  [84] Civ. 3e, 16 janv. 1969, D. 1969, 453, RTD civ. 1969, 807, obs. BREDIN ; 9 janv. 1973, Bull. civ. III, no 35, p. 28, D. 1973, IR 54, JCP 1973, IV, 77.

  [85] Civ. 1er août 1939, DC 1941, 91, note RADOUANT, RTD civ. 1940, 111, obs. RADOUANT ; Civ. 1re, 19 mai1958, Bull. civ. I, no 252, p. 199, JCP 1958, IV, 99 ; Paris 18 nov. 1968, JCP 1969, II, 15742, concl. Barnicaud, RTD civ. 1969, 358, obs. Bredin.

  [86] Civ. 1er août 1939, préc.

  [87] Civ. 3e, 6 nov. 1975, D. 1976, IR 34, JCP 1977, II, 18609, note DAGOT, RTD civ. 1977, 791, obs. Giverdon.

  [88] Civ. 3e, 18 janv. 1972, Bull. civ. III, n° 39, p. 28, JCP 1972, IV, 55. – Si la connaissance, par l’acquéreur d’un immeuble, d’un acte antérieur de disposition portant sur ce bien n’exclut pas nécessairement sa bonne foi, c’est à condition qu’il ait cru que cet acte n’avait pas emporté transfert de propriété : Rouen 18 juill. 1949, D. 1952, 9, note Lebrun.

  [89] Dijon 3 janv. 1878, DP 79, 2, 118 ; Douai 9 févr. 1909, D. 1910, 2, 44.

  [90] Req. 8 août 1870, DP 72, 1, 17 ; 19 févr. 1873, DP 73, 1, 200 ; 14 nov. 1887, D. 88, 1, 129.

  [91] Civ. 1re, 4 juill. 1962, D. 1962, 570, Bull. civ. I, n° 341, p. 301.

  [92] Civ. 1re, 18 mai 1955, Bull. civ. I, n° 208, p. 178 ; 23 juill. 1957, Bull. civ. I, no 350, p. 278 ; Civ. 3e, 15 mars 1978, D. 1978, IR 478, Bull. civ. III, n° 123, p. 96, RTD civ. 1979, 153, obs. Giverdon. – En ce sens que, s’il s’agit d’une transmission résultant d’un legs particulier, le moment de l’acquisition est celui de l’acceptation du legs, et non celui du décès, v. Rouen 10 juill. 1949, préc.

  [93] Req. 22 mai 1906, DP 1906, 1, 351 ; Civ. 15 févr. 1927, Gaz. Pal. 1927, 1, 730, S. 1927, 1, 190 ; Req. 17 déc. 1934, S. 1935, 1, 204.

  [94] Req. 15 févr. 1927, préc. ; 17 déc. 1934, préc.

  [95] Civ., 1re sect. civ., 14 juin 1961, JCP 1962, II, 12472, note Bulté. En effet, jusqu’à ce moment, un acte sous seing privé n’est pas opposable aux tiers et le propriétaire qui revendique son immeuble est nécessairement un tiers, car il est, par hypothèse, étranger à l’acte en vertu duquel l’acquéreur possède son bien.

  [96] Civ. 1re, 28 nov. 1962, Gaz. Pal. 1963, 1, 192, RTD civ. 1963, 380, obs. J.-D. Bredin.

  [97] Civ. 1re, 4 juill. 1962, préc.

  [98] Req. 22 juin 1853 : « la prescription ne court pas contre celui qui est dans l’impossibilité absolue d’agir par suite d’un empêchement quelconque résultant, soit de la loi, soit de la convention, soit de la force majeure ».

  [99] Civ. 20 janv. 1880, DP 80, 1, 65.

[100] Civ. 3e, 25 oct. 1968, Bull. civ. III, no 417, p. 317, JCP 1968, IV, 191 ; 12 janv. 1988, Bull. civ. III, no 6, p. 3.

[101] La suspension n’opère cependant au profit du mineur que s’il démontre que, pendant le temps d’accomplissement de la prescription, lui-même ou ses auteurs pouvaient prétendre à l’exercice d’un droit réel sur la chose même au sujet de laquelle les parties étaient en litige (Civ. 1re, 12 oct. 1953, D. 1954, 40).

[102] V. cep., au cas où, pendant une période d’interruption, aucune contestation de la propriété ne s’est produite, Civ. 3e, 19 mai 2004, JCP 2004, I, 171, n° 5, obs. H. Périnet-Marquet.

[103] L’effet interruptif se produit jusqu’à la solution du litige : Civ. 1re, 8 déc. 1976, D. 1977, IR 139.

[104] Civ. 1re, 16 févr. 1954, Gaz. Pal. 1954, 1, 260.

[105] Civ., 1re sect. civ., 25 janv. 1954, S. 1954, 1, 199.

[106] Civ., 1re sect. civ., 18 juin 1957, D. 1957, somm. 130.

[107] Civ. 1re, 13 févr. 1963, D. 1964, somm. 2 ; Civ. 3e, 21 mars 1984, Bull. civ. III, no 78, p. 62, D. 1984, IR 425, obs. D. Martin.

[108] V. sur l’option possible Civ. 3e, 29 juin 1976, Bull. civ. III, no 290, p. 223.

[109] H., L., J. Mazeaud et F. Chabas, t. II, 2e vol., no 1511 ; Marty et Raynaud, Les biens, n° 195 ; Carbonnier, n° 195 ; Cornu, Introduction, Les personnes, Les biens, n° 1589 ; Malaurie et Aynès, Les biens, n° 563.

[110] « Sauf, renonciation, la prescription peut être opposée en tout état de cause, même devant la Cour d’appel » (art. 2248 C. civ.).

[111] Req. 16 nov. 1842, S. 43, 1, 243.

[112] Marty et Raynaud, op. et loc. cit. On aurait pu concevoir, en sens inverse, qu’il s’agisse là d’une prérogative personnelle échappant à l’art. 1166 C. civ. ; mais l’art. 2253 C. civ. fonde la solution retenue.

[113] Req. 5 mai 1851, DP 51, 1, 261.

[114] Rappr., sur la possibilité d’une suspension conventionnelle, Civ. 1re, 13 mars 1968, JCP 1968, II, 15903, note Prieur.

[115] Req. 9 nov. 1826, D. Jur. gén., v° Prescription civile, nos 48, 457-1° ; Besançon 12 déc. 1906, S. 1907, 2, 298.

[116] V. les déclarations de Bigot-Préameneu, in Fenet, t. XV, p. 577.

[117] Req. 26 mars 1845, DP 46, 1, 374. – Ce qui n’exclut pas qu’elle puisse présenter un caractère intéressé : Soc. 9 nov. 1950, Bull. civ. III, no 830, p. 559.

[118] Civ. 12 juill. 1880, DP 81, 1, 437. – Il suffit aux créanciers d’établir l’existence d’un préjudice – création ou aggravation de l’insolvabilité postérieurement à la naissance de la créance – ; il n’est pas nécessaire qu’ils établissent la fraude du débiteur (Soc. 9 nov. 1950, préc.).

[119] Civ. 5 oct. 1953, JCP 1953, IV, 157 ; Civ. 3e, 29 févr. 1968, D. 1968, 454, Gaz. Pal. 1968, 2, 65.

[120] Civ. 1re, 20 juin 1962, Bull. civ. I, n° 321, p. 282.

[121] Civ. 3e, 18 mars 1978, Bull. civ. III, n° 123, p. 96, RTD civ. 1978, 385, obs. Giverdon. – Le simple silence du possesseur ne vaut pas renonciation tacite (v. cep. Civ. 3e, 3 mai 1972, Bull. civ. III, n° 282, p. 203. – Rappr. Soc. 22 oct. 1954, D. 1955, 68).

[122] Ce qui n’exclut pourtant pas, en matière de prescription abrégée, que demeurent encore possibles des actions de nature à détruire le juste titre et, par voie de conséquence, l’acquisition par prescription (Ex. : Civ. 9 janv. 1865, S. 65, 1, 65).

[123] Civ. 3e, 10 juillet 1996, n° 1268 PB, Chauveton c/ Communauté urbaine de Bordeaux (CUB).

[124] Civ. 3e, 13 nov. 1984, D. 1985, 345, note Aubert, RD imm. 1985, 278, obs. Dagot, RTD civ. 1985, 747, obs. Giverdon et Salvage-Gerest.

[125] V. cependant Civ. 3e, 26 oct. 1988, JCP G 1988, IV, 410 : « Les titres ne constituent jamais que des présomptions, sauf à démontrer qu’ils émanent du véritable propriétaire ». Cette formule n’a de sens que si, dans l’enchaînement des transmissions, il est possible de remonter jusqu’à une propriété inattaquable, reposant elle-même, non sur un titre, mais sur l’usucapion.

[126] Civ. 1re, 11 janv. 2000, Bull. civ. I, n° 5, D. 2001, 890, note A. Donnier, RD imm. 2000, 145, obs. Bruschi, RJDA 4/2000, n° 492, JCP 2000, I, 265, n° 2, obs. Périnet-Marquet. En l’espèce, il s’agissait de biens meubles, mais la formule a, à l’évidence, une portée générale. V. aussi Civ. 3e, 20 juill. 1988, Bull. civ. III, n° 136, Defrénois 1989, art. 34470, p. 359, obs. Souleau, RTD civ. 1989, 776, obs. Zénati.

[127] Civ. 1re, 3 mai 1965, Bull. civ. I, n° 288 ; 6 oct. 1965, Bull. civ. I, no° 513.

[128] Agen 29 juin 1896,DP 1896, 2, 454 ; Paris 2 déc. 1898, sous Req. 3 janv. 1901,DP 1901, 1, 346.

[129] Civ. 3e, 3 mars 1976, D. 1978, 253, note Alibert, qui casse un arrêt ayant ordonné la démolition d’une construction, au motif que le titre de propriété présenté par le constructeur ne s’étendait pas à la parcelle litigieuse, alors que le demandeur n’établissait pas son propre droit sur cette parcelle, dont il n’était pas actuellement possesseur.

[130] La définition du notaire résulte de l’article 1er de l’ordonnance 45-2590 du 2 novembre 1945, relative au statut du notariat : « les notaires sont les officiers publics établis pour recevoir tous les actes et contrats auxquels les parties doivent ou veulent faire donner le caractère d’authenticité attaché aux actes de l’autorité publique, et pour en assurer la date, le dépôt, en délivrer des grosses (aujourd’hui « copies exécutoires ») et expéditions (aujourd’hui appelées « copies authentiques ») ».

[131] Serge Braudo, Conseiller honoraire à la Cour d’Appel de Versailles et Alexis Baumann, Avocat au Barreau de Paris, « Définition de Acte de Notoriété », Dictionnaire juridique

[132] Action judiciaire, intentée par voie principale ou incidente, dirigé contre un acte authentique et visant à démontrer qu’il a été altéré, modifié, complété par de fausses indications, ou même fabriqué.

[133] Civ. 3e, 4 octobre 2000, Epx Laroche c/ Lamblot, D. 2000.IR.274 ; Bull. III n° 158. V. également : Civ. 3e, 4 mai 2011, n° 09-10.831, Amirene c/ Maho ép. Mara.

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