La protection des majeurs vulnérables en droit français : Capacité des majeurs et mesures de protection adaptées
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PARTIE I – LA PORTEE DE L’AUTONOMIE D’UN MAJEUR VULNERABLE DANS LE CHOIX DE SON CADRE DE VIE 5
CHAPITRE I – LA REGLE DU LIBRE CHOIX DE SON LOGEMENT PAR LE MAJEUR PROTEGE 6
Section II – Tutelle ou curatelle, le majeur vulnérable choisit librement son lieu de résidence 9
Section II – La procédure à suivre et l’exécution forcé de la décision. 13
Section II – Les moyens pour faire face à ces difficultés. 15
PARTIE II – LA PORTEE DE L’AUTONOMIE D’UN MAJEUR VULNERABLE DANS LA GESTION DE SA RESIDENCE 16
CHAPITRE I – L’ADMINISTRATION DU LIEU DE VIE D’UN MAJEUR PROTEGE COPROPRIETAIRE 17
Section I – Les modalités facilitant l’administration du logement d’un majeur vulnérable 17
CHAPITRE II – L’ADMINISTRATION DU LIEU DE VIE D’UN MAJEUR PROTEGE LOCATAIRE 21
Section I – Le logement pris à bail par un majeur protégé. 21
Section II – Le logement donné à bail par le majeur protégé. 23
CHAPITRE III – LA VENTE DU LOGEMENT D’UN MAJEUR PROTEGE. 25
Section II – Nécessité d’une autorisation du juge des tutelles ou du conseil de famille 25
Tout individu ayant atteint l’âge de la majorité fixé par la loi a la capacité de faire valablement tous les actes de la vie civile (article 488 du Code civil). A ce principe de capacité des majeurs, le droit français a prévu une seule exception dont la justification réside dans la protection des intéressés eux-mêmes et de leurs éventuels cocontractants.
C’est ainsi que le Code civil atténue l’autonomie des personnes jugées comme souffrant d’une altération de leurs facultés personnelles, qui les mettent dans l’impossibilité de pourvoir seules à leurs intérêts. Eu égard à la vulnérabilité de desdites personnes, le législateur a élaboré un certain nombre de mesures tendant à leur protection.
Notre droit prévoit trois mesures de protection : la curatelle[1], la tutelle[2] et la sauvegarde de justice[3]. Il est à préciser que la protection doit être adapté à la situation du majeur et individualisé en fonction du degré d’altération de ses facultés (C. civ. art. 428, al. 2) Ainsi :
- une curatelle ne peut pas être ouverte si une sauvegarde de justice suffit (C. civ. art. 440, al. 2) ;
- une tutelle ne peut être ouverte que s’il est établi que ni la sauvegarde de justice, ni la curatelle ne peuvent assurer une protection suffisante (C. civ. art. 440, al. 4).
La loi du 3 janvier 1968[4] n’a pas organisé la protection des intérêts de la personne de l’incapable. Le principe d’autodétermination des individus, qu’ils soient ou non atteints d’une altération de leurs facultés personnelles a été la règle officielle jusqu’à ces dernières années. En toutes lettres, les textes se contentent d’assurer la protection des biens. Mais pour ceux qui savaient lire entre les lignes, le législateur renvoyait au tréfonds de la conscience de ceux qui acceptaient la mission de tuteur ou de curateur le soin de trouver la bonne distance pour assurer la protection de la personne par la gestion des biens. Invitée à déterminer cette distance, la jurisprudence depuis 1989 proclame le principe de cette protection globale.
Par ailleurs, à partir de cette époque, les tribunaux ont élaboré un début de statut de protection de la personne, fondée sur le respect de sa volonté, en tenant compte de l’évolution du droit des personnes en général. Il s’agit de trouver un compromis entre le principe d’autodétermination de la personne et le droit à une protection dispensée par les organes tutélaires. En effet, à une époque où les droits de l’homme et les libertés fondamentales sont des préoccupations dominantes du droit, il fallait bien sûr intégrer ces grands principes : il ne pouvait être question de les évincer au prétexte que la personne dite incapable n’a pas de volonté propre et qu’elle ne peut par principe juger de son intérêt. Au contraire, le principe de dignité de la personne humaine, principe de plus en plus prégnant en droit positif, devait conduire à limiter l’incapacité à ce qui est strictement nécessaire au sujet protégé, et donc à prendre en compte sa volonté dans la mesure où son état le lui permet. Cette reconnaissance de l’autonomie des majeurs protégés était de plus conforme à la flexibilité indispensable du droit en ce domaine.
Aussi, comme les autres systèmes juridiques, le nôtre, reconnaît-il aux personnes dites incapables un très large pouvoir d’autodétermination. « […] le droit anglais, comme le droit allemand consacrent (en matière de protection des majeurs vulnérables) […] la promotion maximale de l’autonomie de la personne[5] ». En Angleterre[6] comme en Allemagne[7], la règle de base est qu’on ne doit pas faire abstraction des souhaits, des sentiments, actuels ou passés du majeur protégé dès lors qu’il ne peut pas être associé aux décisions qui le concernent.
Mis en place en 1968 pour quelques milliers de personnes, les dispositifs de protection des majeurs vulnérables dans l’Hexagone concernent aujourd’hui près de 800 000 personnes, soit presque 2 % de la population[8]. Ce nombre devrait prochainement atteindre un million de personnes sous l’effet de l’évolution démographique et de l’allongement de l’espérance de vie. Face à cette augmentation, il était devenu impératif de réformer en profondeur ces dispositifs de protection. Annoncée depuis plusieurs années, la réforme a finalement été adoptée par la loi 2007-308 du 5 mars 2007[9]. Le titre XI du livre 1er du Code civil « De la majorité et des majeurs protégés par la loi » a été totalement réécrit.
La loi de 2007 a fait l’objet de nombreux textes réglementaires d’application : décrets réformant le Code de procédure civile, décret relatif aux actes de gestion du patrimoine des personnes placées en curatelle ou en tutelle, décret relatif à l’exercice individuel de l’activité de mandataire judiciaire à la protection des majeurs, décret relatif aux modalités de participation des personnes protégées au financement de leur mesure de protection, décrets et arrêtés relatifs au mandat de protection future, etc.
Une circulaire de la Chancellerie aux présidents des cours d’appel et procureurs généraux complète le dispositif[10].
Sans remettre en cause les régimes existants de la sauvegarde de justice, de la curatelle et de la tutelle, la loi du 5 mars 2007 poursuit quatre objectifs :
- réaffirmer et renforcer les principes de nécessité, de subsidiarité et de proportionnalité des mesures judiciaires de protection ;
- replacer la personne au centre du régime de protection ;
- réorganiser les conditions d’activité des tuteurs et curateurs extérieurs à la famille, regroupés sous l’appellation unique de mandataires judiciaires à la protection des majeurs ;
- refonder la prise en charge sociale des personnes vulnérables, par la suppression de la tutelle aux prestations sociales et son remplacement par la mesure d’accompagnement social personnalisé (MASP) et la mesure d’accompagnement judiciaire (MAJ). Les majeurs qui perçoivent des prestations sociales et dont la santé ou la sécurité est menacée par les difficultés qu’ils éprouvent à gérer leurs ressources peuvent bénéficier d’une MASP, qui comporte une aide à la gestion des prestations sociales et un accompagnement social individualisé (contrat conclu avec le conseil général, avec des engagements réciproques) (CASF art. L 271-1 s. ; sur les prestations sociales concernées voir CASF art. D 271-2 créé par le décret 2008-1498 du 22 décembre 2008). En cas d’échec de la MASP (d’une durée maximale de quatre ans), le majeur peut bénéficier d’une MAJ dans la gestion des prestations sociales définies par le juge. Exercée par un mandataire judiciaire à la protection des majeurs, la MAJ est incompatible avec le placement sous un régime de protection (C. civ. art. 495 s.).
Les législateurs modernes ont souvent l’ambition, parfois contradictoire, de protéger l’individu sur certains de ses biens et de dynamiser la gestion de ces mêmes biens. Rappelons que la finalité des mesures de protection est définie par référence à l’obligation de poursuivre l’intérêt de la personne et à celle d’assurer son autonomie[11]. Ces deux obligations se distinguent par une différence de degré : la première est absolue et ne souffrira donc d’aucun aménagement, la seconde ne pourra être respectée que « dans la mesure du possible ».
Depuis la mise sur pied des dispositifs de protection des majeurs vulnérables, la jurisprudence n’en finit pas de courir après la conciliation entre un logement spécialement protégé et une autonomie de ces individus non moins nécessaire qui implique de limiter la protection. Il est, par ailleurs, avéré que leur droit de choisir librement leur résidence[12] habituelle révèle la même difficulté[13].
La protection particulière du lieu où les majeurs protégés habitent n’est pas une préoccupation nouvelle. Elle était déjà prévue dans la loi du 3 janv.1968 qui avait notamment prévu, à l’ancien art. 490-2, al. 1er, c. civ., que, « quel que soit le régime de protection applicable, le logement de la personne protégée et les meubles meublants dont il est garni doivent être conservés à sa disposition aussi longtemps qu’il est possible ». La loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs n’a donc pas innové en maintenant cette protection particulière. Cependant, témoin de l’importance croissante qu’a pris dans notre société, d’une manière générale, le logement (reconnu comme un « droit fondamental » depuis la loi dite Quilliot du 22 juin 1982, la possibilité de disposer d’un logement décent étant quant à elle reconnue comme un « objectif à valeur constitutionnelle » depuis une décision du Conseil constitutionnel du 19 janv. 1995), cette loi a notablement renforcé cette protection. Il est même possible d’y voir un véritable fil conducteur qui traverse l’ensemble de la réforme.
Il est à préciser que le terme « logement » de la personne protégée doit s’entendre comme le lieu d’habitation qui constitue son cadre de vie effectif. Ce lieu de vie effectif se distingue ainsi d’autres notions voisines comme le domicile du majeur (C. civ., art. 102, 108-3) ou le logement de famille (C. civ., art. 215). Jusque-là plutôt cantonnée à une notion de fait d’habitation du majeur à un endroit donné[14], l’article 426, alinéa 1er du Code civil, issu de la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007, apporte désormais à la notion de « logement » de la personne protégée une consécration juridique qui lui faisait défaut en le définissant sans équivoque comme une « résidence principale ou secondaire » du majeur.
Une question mérite, cependant, d’être posée : quelle est l’étendue de l’autonomie laissée aux majeurs vulnérables quant aux choix et à la gestion de leur logement ? Le développement qui va suivre se focalisera d’ailleurs sur ce sujet.
Dans une première partie, on exposera la portée de l’autonomie d’un majeur vulnérable dans le choix de son cadre de vie (Partie I). Et dans une seconde partie, il sera question de la portée de l’autonomie d’un majeur vulnérable dans la gestion de sa résidence habituelle (Partie II).
PARTIE I – LA PORTEE DE L’AUTONOMIE D’UN MAJEUR VULNERABLE DANS LE CHOIX DE SON CADRE DE VIE
Aux termes de l’article 459-2 du Code civil :
« La personne protégée choisit le lieu de sa résidence (Chapitre I).
Elle entretient librement des relations personnelles avec tout tiers, parent ou non. Elle a le droit d’être visitée et, le cas échéant, hébergée par ceux-ci.
En cas de difficulté, le juge ou le conseil de famille s’il a été constitué statue (Chapitre II) ».
Cependant, si un majeur vulnérable est en principe libre de choisir son lieu de vie, il est avéré que l’exercice de cette liberté est bien souvent confronté à des contraintes de tous ordres (Chapitre III).
CHAPITRE I – LA REGLE DU LIBRE CHOIX DE SON LOGEMENT PAR LE MAJEUR PROTEGE
Section I – Le principe de subsidiarité et la liberté pour le majeur vulnérable de choisir son cadre de vie
Un régime de protection judiciaire ne peut être ordonné lorsqu’il peut être pourvu aux intérêts de l’intéressé par l’une des voies indiquées par la loi : règles de la représentation, ou des régimes matrimoniaux, ou par une autre mesure de protection moins contraignante ou par un mandat de protection future (C. civ. art. 428).
Aucune mesure de protection (tutelle, curatelle, sauvegarde de justice), ne doit pas être prise qu’à la condition que d’autres des dispositifs juridiques moins contraignants ne puissent être mis en œuvre. Ce principe de subsidiarité, qui est un pilier de la loi nouvelle, est réaffirmé à plusieurs reprises[15]. Il se veut respectueux des libertés individuelles.
L’intéressé aura peut-être déjà organisé lui-même sa protection juridique au moyen d’un mandat de protection future : il faudra alors respecter ce mandat. Dans la loi, sont expressément envisagés certains mécanismes juridiques pour pallier la défaillance d’une personne sans avoir recours au droit des incapacités « classique ». Les juges ont d’autres possibilités dans l’application du principe de subsidiarité des mesures d’incapacité. Ainsi, ils devront examiner si les règles du droit commun de la représentation ou si les règles des régimes matrimoniaux applicables entre conjoints suffisent ou non à résoudre les difficultés rencontrées par la personne vulnérable avant de prononcer à l’égard de celle-ci un système plus lourd et restrictif de droits. Les juges devront également vérifier non seulement qu’un mandat de protection future protégeant suffisamment la personne n’a pas été conclu, mais aussi qu’une mesure d’accompagnement judiciaire ou d’accompagnement social personnalisé ne sont pas en cours ou ne seraient pas efficaces.
Compte tenu du fait que le mandat de protection future, donnant à chacun le pouvoir d’organiser à l’avance sa protection et permet ainsi d’éviter l’ouverture d’une mesure judiciaire d’incapacité, constitue « la figure emblématique de l’autonomie de la volonté[16] », « l’innovation la plus remarquée[17] » apportée par la réforme du droit des majeurs protégés opérée par la loi du 5 mars 2007 (C. civ. art. 477 à 494), il importe de donner quelques précisions sur le sujet.
Avant d’ordonner une mesure de protection, le juge des tutelles est tenu de vérifier qu’aucun mandat de protection future n’a été prévu. C’est pourquoi, au stade même de la requête aux fins d’ouverture d’une mesure de protection judiciaire, la requête doit comporter l’énoncé des faits qui appellent cette protection au regard de l’article 428 du Code civil (CPC, art. 1218, 2°).
La loi pose donc un principe e subsidiarité des mesures judiciaires par rapport au mandat de protection future. La protection contractuelle l’emporte donc sur la protection judiciaire. Une telle priorité semble logique dans son principe : dès lors que l’on admet la possibilité d’organiser, par contrat, sa protection future, en invoquant la liberté civile et le souci d’individualisation de la protection, il est difficile de ne pas lui donner priorité par rapport à une mesure judiciaire. Mais sa mise en œuvre ne convainc pas. En effet, l’application de cette règle ne sera pas toujours évidente, dans la mesure où le mandat de protection future ne fait pas l’objet d’une publicité légale.
Le mandat de protection future est un mandat ; il obéit donc aux règles de droit commun du mandat prévues aux articles 1984 à 2010 du Code civil dans la mesure où elles ne sont pas incompatibles avec celles qui le régissent spécialement (C. civ. art. 478).
Mandat pour soi-même ¯ Toute personne majeure ou mineure émancipée non placée sous tutelle peut conclure un mandat de protection future en vue de la représenter pour le cas où elle ne pourrait plus pourvoir seule à ses intérêts en raison d’une altération de ses facultés. Notons qu’un majeur en curatelle peut conclure un tel mandat avec l’assistance de son curateur (C. civ. 477, al. 1 et 2).
Mandat pour autrui ¯ Les parents ou le dernier vivant des père et mère non placés en tutelle ou en curatelle, qui exercent l’autorité parentale sur leur enfant mineur ou qui assument la charge matérielle et affective de leur enfant majeur peuvent, pour le cas où cet enfant ne pourrait plus pourvoir seul à ses intérêts en raison d’une altération de ses facultés.
Le mandataire peut être (C. civ. art. 480, al. 1) :
- toute personne physique majeure. Le mandataire étant librement choisi par le mandant, il peut s’agir d’un proche comme d’un professionnel : notaire, avocat, conseil en gestion de patrimoine indépendant, etc. Signalons toutefois que, si le mandat a été passé par acte notarié, le notaire qui a reçu l’acte ne devrait pas pouvoir être désigné mandataire, car on voit mal alors comment il pourrait exercer sa mission de contrôle sur l’exécution du mandat ;
- une personne morale inscrite sur la liste des mandataires judiciaires à la protection des majeurs. En pratique, il n’est cependant pas du tout certain que les mandataires judiciaires accepteront des mandats de protection future[18].
Pendant toute la durée du mandat, le mandataire doit remplir les conditions prévues pour l’exercice des charges tutélaires (C. civ. art. 480, al. 2) :
- jouir de la capacité civile ;
- ne pas être déchu de l’autorité parentale ;
- ne pas avoir été interdit d’exercice d’une charge tutélaire en application de l’article 131-26 du Code pénal (interdiction des droits civiques, civils et de famille) ;
- ne pas exercer à l’égard du mandant une profession médicale ou pharmaceutique, ou celle d’auxiliaire médical ou celle de fiduciaire.
Le mandat de protection future peut porter sur la protection patrimoniale et/ou sur la protection personnelle.
Lorsque le mandat porte sur la protection du patrimoine du mandant, ce dernier est libre de définir l’étendue de la mission qu’il entend confier au mandataire : biens visés (ensemble du patrimoine ou tel bien ou telle catégorie de biens), pouvoirs du mandataire (avec des limites lorsque le mandat est conclu par acte sous seing privé, rémunération prévue ou non pour le mandataire et/ou pour la personne chargée de contrôler son action, obligations du mandataire).
Lorsque le mandat s’étend à la protection de la personne, son contenu est largement imposé par la loi. Le mandat doit respecter les dispositions protectrices des majeurs sous tutelle ou sous curatelle prévues par les nouveaux articles 457-1 à 459-2 du Code civil (qui sont d’ailleurs reproduits dans le modèle de mandat sous seing privé établi par la chancellerie n° 500, rubrique 1-B). Toute clause contraire serait réputée non écrite (C. civ. art. 479, al. 1). Il en résulte notamment que dans la mesure où son état le permet, le mandant prend seul les décisions relatives à sa personne (C. civ. art. 459) choisit le lieu de sa résidence et entretien librement des relations personnelles avec les personnes de son choix (C. civ. art. 459-2).
Enfin, il sied de remarquer que le mandat destiné à la protection de la personne doit également fixer les modalités de contrôle de son exécution.
- 2. – Application du principe de subsidiarité dans le choix de son cadre de vie par le majeur vulnérable
Aux termes de l’article 459-2 du Code civil, « La personne protégée choisit le lieu de sa résidence […] ». Le choix de son logement par le majeur vulnérable participe à l’évidence du principe de subsidiarité[19]. Ce n’est que subsidiairement que d’autres choisiront à sa place. Cependant, il importe de préciser que, quand il est question du choix du lieu de résidence notamment d’une personne vulnérable, un sujet avéré délicat, il sera toujours très difficile d’opter entre les principes et les nuances innombrables de l’application. Le basculement de compétences obéit à des contingences complexes.
Nonobstant les dispositions de l’article 108-3 du Code civile selon lesquelles : « Le majeur en tutelle est domicilié chez son tuteur », il lui appartient dorénavant de choisir son lieu de résidence. Ainsi, certes, il ne s’agit pas à proprement parler d’une décision afférente à la personne, mais les conditions d’assistance de la personne vulnérable édictées par l’article 459 doivent être respectées, et le tuteur ou le curateur ne pourra intervenir que sur autorisation du conseil de famille ou, à défaut, du juge.
Section II – Tutelle ou curatelle, le majeur vulnérable choisit librement son lieu de résidence
Le fait qu’un majeur vulnérable soit sous curatelle ou tutelle ne lui retire nullement sa liberté de choisir son lieu de vie. C’est ce qui ressort implicitement de la décision de la Cour d’appel de Douai rendue le 8 février 2013[20].
La mise sous tutelle concerne les personnes qui, en raison d’une altération de leurs facultés mentales ou de leurs facultés corporelles, ont besoin d’être représentées d’une manière continue dans les actes de la vie civile (C. civ. art. 440, al. 3)[21]. Il s’agit du régime de protection le plus fort : le majeur est en principe atteint d’une incapacité absolue, la gestion de ses biens étant confiée au tuteur qui le représente.
En pratique, la tutelle vise notamment :
- les handicapés mentaux atteints d’une grave infirmité ;
- les personnes atteintes d’une infirmité physique d’une gravité telle qu’elle met obstacle à l’expression de leur volonté : paralysie, handicap lourd ;
- les personnes âgées empêchées de gérer leurs biens du fait de l’altération de leurs facultés mentales ou physiques.
En ce qui concerne les majeurs pouvant être placées sous tutelle, il s’agit des personnes, qui, sans être hors d’état d’agir elles-mêmes, ont besoin d’être assistées ou contrôlées d’une manière continue dans les actes importants de la vie civile du fait de l’altération de leurs facultés mentales ou corporelles au sens indiqué n° 20 (C. civ. art. 440, al. 1)[22].
A la lecture de cette définition on peut en déduire :
- que la curatelle est une mesure durable (par opposition à la sauvegarde de justice) ;
- que la curatelle ne couvre que les actes les plus importants (par opposition au régime général de protection qu’est la tutelle) ; à la différence de la tutelle, la curatelle s’adresse à des personnes qui peuvent agir elles-mêmes : il s’agit de majeurs ayant besoin d’être assistés sans être représentés ;
- que le curateur a un véritable devoir d’assistance envers le majeur.
- 2. – Le jugement de la Cour d’appel de Douai du 8 février 2013 et le choix de son lieu de résidence principal par un majeur placé sous protection juridique
En l’espèce, par jugement du 23 septembre 2010, le juge des tutelles du tribunal d’instance de Lille a placé Madame X… en curatelle renforcée et désigné l’association ARIANE pour exercer les fonctions de curatrice. Par requête en date du 14 février 2012, Madame X demande au juge des tutelles l’autorisation de quitter le foyer où elle réside pour s’installer dans la maison qu’elle possède en indivision avec sa mère. Le docteur P…, psychiatre à l’EPSM, souligne dans un certificat du 17 févier 2012 que l’état de santé de la requérante n’est pas compatible avec une orientation dans un logement individuel. Par ailleurs, il a précisé que sa patiente nécessite une structure suffisamment « contenante » pour se parer de toute déviance de son comportement et sa mise en danger. Le 5 septembre 2012, le docteur P… certifie de nouveau que l’état de santé de Madame X… est incompatible avec un retour en domicile individuel. Au cours de son audition par le juge des tutelles le 24 septembre 2012, Madame X confirme sa volonté de retourner vivre à domicile. Le fait est qu’elle ne souhaite pas rester en maison de retraite car elle vit mal son intégration (la majorité des gens qui y sont, sont plus âgés qu’elle). Par ailleurs, elle avance que dans sa maison, elle n’aurait pas à payer de loyer.
Par ordonnance du 28 septembre 2012, le juge des tutelles du tribunal d’instance de Lille a, rejeté la requête de Madame X… en vue d’un changement de domicile. Le juge avance, entre autres, les inquiétudes de l’association ARIANE, les deux certificats médicaux.
Aussi, n’ayant pas eu gain de cause, la requérante interjette-t-elle appel. Au cours de son audience d’appel, Madame X avance : elle ne veut plus vivre dans la maison de retraite où ne résident que des personnes beaucoup plus âgées qu’elle ; elle y est très seule et ne s’estime pas plus en sécurité là que chez elle.
En statuant sur le cas, le juge infirme l’ordonnance du juge des tutelles. Il invoque l’article 459-2 du Code civil selon lequel : « La personne protégée choisit le lieu de sa résidence. […] En cas de difficulté, le juge ou le conseil de famille s’il a été constitué statue ». En l’espèce, il s’avère qu’aucune difficulté n’a été constatée, aussi, la Cour d’appel a-t-elle décidé que Madame X… peut librement choisir son lieu de résidence et corollairement en changer.
Par cette décision, la Cour d’appel de Douai rappelle que la liberté de choisir le lieu de sa résidence est un droit fondamental et le fait qu’une personne soit placée sous curatelle ou tutelle ne lui interdit nullement l’exercice de cette liberté.
CHAPITRE II – LA COMPETENCE DU JUGE DES TUTELLES POUR STATUER EN CAS DE DIFFICULTE CONCERNANT LE CHOIX DU LIEU DE RESIDENCE DU MAJEUR PROTEGE
La réforme opérée par la loi du 5 mars 2007 donne-t-elle une nouvelle compétence remarquable au juge des tutelles. Certes, un majeur protégé choisit librement son lieu de vie, c’est un droit fondamental, toutefois, aux termes de l’article 459-2 du Code civil : « En cas de difficulté, le juge […] statue ».
Cet article est inclus dans une sous-section sur « les effets de la curatelle et de la tutelle quant à la protection de la personne », protection qui peut aussi s’appliquer en cas de sauvegarde de justice avec mandat spécial (C. civ. art. 438) et au mandat de protection future (C. civ. art. 479, al. 1er).
Le logement est une bonne illustration du caractère quelque peu artificiel de la distinction absolue « protection des biens/protection de la personne » (v. C. civ. art. 415, al. 1er, et 425, al. 2) : le logement n’est pas protégé uniquement en raison de son aspect patrimonial, mais d’abord et avant tout en raison du fait qu’il est considéré comme un droit fondamental de tout citoyen et un élément indispensable à la vie de ce dernier.
La compétence du juge des tutelles pour statuer en cas de « difficulté » concernant le choix du lieu de résidence est très novatrice et rapproche un peu plus ce juge du juge des enfants ou du juge aux affaires familiales, puisque, désormais, le juge des tutelles pourra et devra statuer sur la fixation du lieu de résidence du majeur et sur d’éventuels droits de visite et/ou d’hébergement de ce dernier. Les cas envisageables sont celui où la personne protégée n’est pas ou plus en mesure de faire ce choix elle-même et qu’il existe un conflit à ce sujet, ou encore celui d’un conflit éventuel entre la personne protégée et la personne chargée de la mesure de protection. D’une manière générale, il faut que la personne protégée ne soit pas en danger en demeurant dans sa résidence habituelle[23].
Section II – La procédure à suivre et l’exécution forcé de la décision
Concernant la procédure à suivre au cours d’une audition ayant pour sujet le choix du logement de la personne sous protection judiciaire, les textes sont pour l’instant laconiques.
Cependant, aux termes de l’article 1220-3 du Code de procédure civile : « Le juge des tutelles ne peut statuer sur une requête concernant un majeur protégé et relative à la protection de sa personne qu’après avoir entendu ou appelé celui-ci sauf si l’audition est de nature à porter atteinte à la santé de l’intéressé ou si celui-ci est hors d’état d’exprimer sa volonté ». Aussi, le juge des tutelles est-il obligé d’entendre le majeur protégé puisque choisir le lieu où celui-ci doit vivre est un acte relatif à la protection de sa personne.
Par ailleurs, selon l’article 1213 du même code : « A la demande de tout intéressé ou d’office, notamment lorsqu’il est fait application des articles 217 et 219, du deuxième alinéa de l’article 397, de l’article 417, du quatrième alinéa de l’article 459, de l’article 459-2, des deuxième et troisième alinéas de l’article 469, du 4° de l’article 483 ou de l’article 484 du code civil, le juge des tutelles peut ordonner que l’examen de la requête donne lieu à un débat contradictoire ». Aussi, il n’est pas impossible d’organiser un débat contradictoire lors de l’audition.
- 2. – L’exécution de la décision du juge des tutelles portant sur le lieu de vie de la personne protégée
Rien n’est spécialement prévu en ce qui concerne l’éventuelle exécution forcée de la décision que rendra le juge des tutelles, étant observé qu’il n’existe pas (ou pas encore ?) d’infraction pénale correspondant à la non-représentation d’enfant. En toute hypothèse, une tentative préalable de médiation familiale paraît particulièrement opportune dans ce type de conflits et la décision judiciaire contentieuse ne devrait être qu’un ultime recours.
CHAPITRE III – L’EXERCICE DE LA LIBERTE DE CHOISIR SON LIEU DE VIE PAR UN MAJEUR PROTEGE ET SES CONTRAINTES
Section I – Les difficultés auxquelles un majeur vulnérable fait face quant à l’exercice de sa liberté de choisir son logement
En raison de la hausse des loyers et d’un marché devenu inaccessible, beaucoup de ménages ont dû y renoncer à se loger, les prix s’étant éloignés de leurs possibilités financières. Lorsqu’une hausse des prix est constatée, les pensées vont tout de suite aux personnes à capacité financière réduite, et l’on peut alors aisément la difficulté pour un public protégé d’de pouvoir accéder à un logement.
En raison de la faiblesse de ses ressources, de sa pension ou de sa retraite, la personne protégée éprouve une grande difficulté à choisir un lieu de vie qui lui conviendrait. Les contraintes financières pèsent de manière contradictoire : le coût de l’institution peut faire reculer certains, personnes âgées et familles, et aboutir à un choix du maintien à domicile dans des conditions désastreuses le choix de son lieu de vie. La liberté d’installation ailleurs que dans son propre domicile peut aussi être limitée par la rareté de lieux adaptés : établissement trop éloigné, trop coûteux.
Avant d’être un majeur protégé, l’individu n’en demeure pas moins un citoyen à part entière impliquant sa participation à la vie de la société, un accès en tout lieu et prioritairement chez soi .On pourrait imaginer une politique sociale alors engagée pour l’accès aux personnes présentant des incapacités. Il ne s’agit pas ici de compenser financièrement l’incapacité mais d’aménager l’environnement afin que toute personne protégée ou non, puisse accéder à son lieu de vie et vivre en harmonie dans son espace avec la communauté.
Par ailleurs, cet aspect concret visant les caractéristiques techniques d’un logement, ne doit pas éclipser un autre aspect sous-jacent qui est la perception face aux maladies mentales et la stigmatisation sévère des personnes protégées.
Prenons pour exemple les personnes schizophrènes qui sont souvent considérées à tort comme dangereuses, souvent la résultante de préjugés et associée à des attributions négatives. On est probablement extrêmement en retard en France par rapport aux autres pays européens, et bien sûr aux pays anglo-saxons, en termes d’image des maladies mentales par le grand public. Une déficience, qu’elle soit physique ou mentale fait peur, la différence peut alors être source de méfiance pour les personnes amenées à être en relation avec le majeur protégé ou vivre à proximité de lui.
On peut alors imaginer combien il paraîtra compliqué pour ces personnes d’accéder à un logement. On peut comprendre la réticence de certains bailleurs pour consentir un bail à un majeur sous tutelle avec autant de questions légitimes telles que : comment va-t-il se comporter dans le logement ? Va-t-il pouvoir payer son loyer ? Respectera-t-il les voisins ? A défaut de bénéficier du cadre sécurisant de la tutelle, et à ressources égales, un bailleur pourrait préférer un autre candidat au logement le rendant alors coupable de discrimination.
On distingue deux types de logement, d’une part les logements autonomes qui sont des logements dits « banalisés » du parc privé ou du parc public, et d’autre part le logement non autonomes qui sont des logements présentant des particularités en fonction des déficiences comme les hôpitaux, les cliniques psychiatriques, les maisons de retraite…
La majeure partie vit en logement autonome. Les personnes ne vivant pas en logement autonome sont surtout des personnes âgées de 70 ans et plus, placées sous tutelle, logées en maison de retraite, ainsi que des jeunes âgés de moins de 29 ans, assez souvent en tutelle, logées en foyer d’hébergement d’adulte handicapé.
Section II – Les moyens pour faire face à ces difficultés
Pour ce faire, une meilleure information des bailleurs ainsi qu’une communication régulière des associations tutélaires sont nécessaires. Pour tout candidat un bailleur a souvent besoin d’être rassuré sur son futur locataire, c’est encore plus le cas pour un majeur protégé pour lequel le handicap apparaît comme un paramètre négatif.
L’appartement thérapeutique peut être défini comme le lieu de transition entre l’hôpital psychiatrique et le logement autonome dit « banalisé ». C’est un lieu d’hébergement avec un personnel d’encadrement, le majeur n’est ni un patient, ni un locataire mais un résident.
On cherche à développer l’autonomie mais c’est une autonomie cadrante et cadrée. Situation fictive mettant en scène bailleur et locataire. Il constitue un moment de transition entre l’hospitalisation et l’insertion, permettant au majeur de vivre de manière autonome, de s’approprier un lieu de vie et d’appréhender la gestion de son quotidien dans son logement.
Détourné de son usage premier servant de tremplin afin d’acquérir suffisamment d’autonomie pour aspirer à son propre cadre de vie, l’appartement thérapeutique est aussi une réponse aux difficultés à se loger et se présente comme une opportunité de logement. Sans autre solution à la sortie de l’hôpital ou dans un parcours de recherche le majeur protégé choisira cette alternative.
PARTIE II – LA PORTEE DE L’AUTONOMIE D’UN MAJEUR VULNERABLE DANS LA GESTION DE SA RESIDENCE
Dans cette seconde partie, nous allons aborder trois sujets relativement délicats, à savoir l’administration du lieu de vie d’un majeur protégé copropriétaire (Chapitre III) et d’un majeur locataire (Chapitre II) et la vente du logement d’un majeur vulnérable (Chapitre III).
CHAPITRE I – L’ADMINISTRATION DU LIEU DE VIE D’UN MAJEUR PROTEGE COPROPRIETAIRE
Si le droit de la copropriété des immeubles bâtis ignore généralement l’incapable qui se trouve être propriétaire d’un lot, le droit des incapacités n’est guère plus disert sur le sujet. Il n’en demeure pas moins vrai que la présence d’une personne vulnérable au sein de la collectivité des propriétaires engendre des questionnements sur la manière d’administrer son logement, en particulier au lendemain de l’intervention de la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007.
Dans un premier temps, nous envisagerons les modalités qui rendent plus aisée l’administration du logement de l’incapable dans la copropriété (Section I). Dans un second temps, nous aborderons les modalités d’exercice de cette gestion lors de la réunion d’une assemblée générale (Section II).
Section I – Les modalités facilitant l’administration du logement d’un majeur vulnérable
Nonobstant le fait que le droit de la copropriété n’est pas très loquace sur la situation juridique d’une personne placée sous protection judiciaire, il existe quand même des règles qui contribuent à respecter l’autonomie d’une telle personne à effectuer seule les actes de la vie courante et la préservation de ses intérêts.
Il s’agit principalement de la participation de l’incapable à un organe propre à une copropriété, le conseil syndical et de l’information du syndic relative à la présence d’un incapable parmi les copropriétaires.
Selon l’article 21 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis, le conseil syndical a pour mission d’assister le syndic et de contrôler sa gestion.
Le conseil syndical est un organe de liaison et le syndic. Il a pour but d’établir un climat de confiance réciproque. Il facilite le dialogue entre le gestionnaire du syndicat des copropriétaires et ces derniers, particulièrement en permettant l’échange d’informations relatives à l’immeuble. Grâce au conseil syndical, il s’est agi de contribuer efficacement à l’administration de la copropriété – bien qu’il n’ait aucun pouvoir de gestion, de représentation ou de décision – en faisant participer des copropriétaires désireux de prendre en main leurs intérêts comme ceux des autres membres du syndicat. À ce titre, l’article 21, alinéa 5, de la loi de 1965 procède à l’énonciation des personnes susceptibles d’être désignées par l’assemblée générale en tant que membres du conseil syndical.
Outre les copropriétaires eux-mêmes, l’article précité autorise les représentants légaux de ceux-ci à se présenter en vue d’être nommé au conseil syndical. Indubitablement le tuteur d’un copropriétaire protégé est parfaitement autorisé à ce faire. Il en est de même de la personne placés sous sauvegarde de justice qui, selon l’article 435 du Code civil conserve l’exercice de ses droits. Quid du curateur ? A proprement parler, celui-ci n’est un représentant légal (C. civ. 440, al. 1er), aussi, il semble qu’il ne peut pas présenter sa candidature au poste de conseiller syndical. Cependant, rien n’interdit à ce qu’il soit présent au cours de la réunion de conseil dans le but d’assister et de contrôler les actes du majeur vulnérable.
Bref, qu’il s’agit du majeur protégé lui-même ou de son tuteur, faire partie du conseil syndical constitue l’un des moyens qu’offre le droit de la copropriété pour sauvegarder les droits du titulaire de lots
La présence d’un majeur protégé parmi les copropriétaires revêt une importance essentielle pour le syndic de la copropriété. En effet, aux termes de la loi du 10 juillet 1965, le syndic est chargé d’administrer l’immeuble, de pourvoir à sa conservation, à sa gestion et à son entretien (L. 10 juill. 1965, art. 18, al. 1er, 2e tiret).
L’intérêt principal de cette information réside pour le représentant légal du syndicat de savoir à qui adresser les appels de fonds (demande de provisions, soldes des charges), ce qui permettra leur règlement conformément au régime de protection applicable (tutelle, curatelle), étant précisé que le logement en copropriété suppose une participation obligatoire aux dépenses dues à la présence de parties communes, de services collectifs et d’éléments d’équipement communs (L. 10 juill. 1965, art. 10).
De surcroît, le syndic doit connaître le destinataire effectif des notifications et mises en demeure qui peuvent intervenir dans le cadre de la gestion de l’immeuble, à savoir les lettres recommandées, télécopies et autres actes extrajudiciaires qu’il est amené à réaliser (D. 1967, art. 64). En pratique, il importe de savoir à qui envoyer les convocations d’assemblées générales, adresser les procès-verbaux des décisions, etc.
De ce point de vue, l’article 32 du décret du 17 mars 1967 prescrit au syndic de tenir à jour la liste des copropriétaires avec leur nom, les lots concernés et les droits qui y sont attachés.
Tel est l’objectif de l’article 6 du décret de 1967 qui impose à certaines personnes (copropriétaires, notaires, avocats, etc.) d’avertir le syndic en cas de transfert de propriété d’un lot, constitution d’usufruit et autres droits réels démembrés[24].
Au demeurant, le décret ne comportait jusqu’à récemment aucune obligation en cas d’incapacité d’un copropriétaire. Certes, il existe un texte de portée générale, à savoir l’article 444 du Code civil. Celui-ci dispose que : « Les jugements portant ouverture, modification ou mainlevée de la curatelle ou de la tutelle ne sont opposables aux tiers que deux mois après que la mention en a été portée en marge de l’acte de naissance de la personne protégée selon les modalités prévues par le Code de procédure civile ».
L’alinéa 2 de cet article réserve cependant la situation dans laquelle, « même en l’absence de cette mention, (ces décisions) sont opposables aux tiers qui en ont personnellement connaissance ». Il était tout de même plus logique que l’information du syndic procède soit de l’intéressé lui-même, soit de la personne chargée de sa protection. À ce propos, la Commission relative à la copropriété, dans sa troisième recommandation relative à l’identification et à l’information des copropriétaires[25], avait pu inviter les tuteurs et curateurs d’un majeur protégé à notifier au syndic la décision les désignant comme les éléments ultérieurs modifiant la situation de celui-ci.
Section II – Les modalités d’exercice de l’administration de la résidence principale d’un majeur protégé en assemblée général des copropriétaires
Le pouvoir de décision au sein d’un immeuble collectif appartient à l’assemblée générale des copropriétaires. Chacun est donc invité à participer à l’organe délibérant afin d’exprimer son opinion par le biais de votes qui conduiront à l’adoption ou au rejet d’un projet de résolution.
Un copropriétaire n’est jamais obligé d’assister personnellement à la réunion de l’assemblée générale. Il peut s’y faire représenter par la personne de son choix, comme le prévoit l’article 22 de la loi de 1965.
Il en va ainsi pour la personne placée sous sauvegarde de justice qui peut déléguer son droit de vote à un tiers plutôt que de s’y rendre (peut-être dans le cadre d’un mandat permanent).
Quant au curateur, il sera présent aux côtés de l’incapable pour l’assister. Bien que l’assemblée générale soit une réunion privée à laquelle assistent seulement les copropriétaires ou leurs mandataires, le fait que le copropriétaire soit présent en personne ne fait pas obstacle à ce que le curateur soit également là. Il s’agit d’une personne qui a été désignée par un juge
(C. civ., art. 447) dans le but de préserver les intérêts d’un copropriétaire.
Le cas de la tutelle est, semble-t-il, plus simple puisque le tuteur participera à l’assemblée générale au nom et pour le compte du copropriétaire incapable. Ce dernier ne sera pas présent physiquement mais bien juridiquement. Or, c’est précisément la présence effective du majeur protégé au lieu et place de son tuteur qui sera problématique.
L’ordre du jour d’une assemblée générale comprend la liste des questions qui seront soumises à l’appréciation des copropriétaires. Outre les décisions de gestion courante (approbation des comptes, quitus au syndic, travaux d’entretien, etc.), il existe des projets de résolutions qui, s’ils sont adoptés, auront un impact matériel, juridique mais aussi et surtout financier, parfois important, sur la collectivité des propriétaires. En fonction des questions à étudier, il appartiendra à la personne concernée ou à celle chargée de sa protection d’être vigilant.
Dans le régime des incapacités tel qu’énoncé par la loi du 5 mars 2007, une dichotomie fondamentale s’opère entre les actes dits d’« administration » (relatifs à la gestion courante du patrimoine) et les actes de disposition « qui engagent celui-ci de manière durable et substantielle » (C. civ., art. 496, al. 3). Par définition, les actes d’administration sont des actes « d’exploitation ou de mise en valeur du patrimoine de la personne protégée dénués de risque anormal ». Quant aux actes de disposition, il s’agit d’actes qui « engagent le patrimoine de la personne protégée, pour le présent ou l’avenir, par une modification importante de son contenu, une dépréciation significative de sa valeur en capital ou une altération durable des prérogatives de son titulaire[26] ».
Comme on l’a souligné plus haut, un majeur placé sous sauvegarde de justice conserve l’exercice de ses droits. Son droit de vote est donc intact.
Concernant le majeur sous curatelle, il peut, sans l’assistance du curateur, voter les décisions afférentes à des actes d’administration (C. civ. art. 467, al. 1er), c’est-à-dire les décisions de gestion courante. En revanche, le curateur devra l’assister lorsque des actes de disposition devront être abordés.
Pour le majeur sous tutelle, le tuteur peut voter les décisions qui correspondent à des actes conservatoires, tout comme les actes d’administration nécessaires à la gestion du patrimoine de la personne protégée (C. civ. art. 504 al. 1er). Il en va de même des décisions habilitant le syndic à agir en justice ; d’ailleurs, il est dit qu’« il agit seul en justice pour faire valoir les droits patrimoniaux de la personne protégée », C. civ. art. 504 al. 2). Toutefois, pour participer à l’adoption de décisions regardées comme des actes de disposition, le tuteur doit être muni d’une autorisation du conseil de famille ou, à défaut, du juge des tutelles.
CHAPITRE II – L’ADMINISTRATION DU LIEU DE VIE D’UN MAJEUR PROTEGE LOCATAIRE
Parler de l’administration du logement loué par un majeur protégé revient à confronter les dispositions issues de la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 avec celles du droit des baux d’habitation. Cependant, pour une meilleure appréhension du sujet, il serait judicieux de ne pas en porter un regard univoque. En effet, deux visions sur le thème apparaissent : le logement pris à bail par un majeur protégé et le logement donné à bail par une telle personne.
Section I – Le logement pris à bail par un majeur protégé
La loi du 6 juillet 1989 n’envisage pas la question des majeurs protégés de manière spécifique. Au stade de la conclusion du bail, on peut citer tout au plus l’article 1er, alinéa 3, de cette loi, qui préserve le candidat à la location de toute discrimination fondée sur l’état de santé ou le handicap, ce qui, très indirectement, peut concerner certains majeurs protégés. Et si la liste des motifs discriminatoires figurant dans la loi du 6 juillet 1989 ne comporte pas l’âge, il convient de préciser que l’article 225-1 du Code pénal, applicable à la location, inclut ce critère dans sa liste. La question qui mérite d’être posée est la suivante : Dans quelles conditions un majeur protégé peut-il conclure un bail à usage d’habitation ?
L’article 467 du Code civil pose le principe : le majeur protégé peut conclure seul le bail, dès lors qu’en cas de tutelle cet acte est dispensé de l’autorisation du conseil de famille ou du juge des tutelles. Le jugement ouvrant la curatelle peut cependant préciser que le majeur protégé devra être assisté. Le curateur ne peut conclure lui-même, seul, le bail, sauf en application de l’article 472, alinéa 2, selon lequel : « Le juge peut autoriser le curateur à conclure seul un bail d’habitation ou une convention d’hébergement assurant le logement de la personne protégée ».
Le principe, énoncé par l’article 473 du Code civil, est que le tuteur représente le majeur protégé dans tous les actes de la vie civile. L’article 474 renvoie, pour la gestion de son patrimoine, aux dispositions du titre XII (commun aux mineurs et aux majeurs protégés). L’article 496 du Code civil pose la distinction entre les actes d’administration (gestion courante du patrimoine) et les actes de disposition (engageant de manière durable et substantielle le patrimoine). Les champs d’application respectifs de ces deux catégories d’actes ont été précisés par le décret n° 2008-1484 du 22 décembre 2008 et son annexe 1. Est notamment constitutive d’un acte d’administration la conclusion d’un bail de neuf ans au plus en tant que preneur[27]. Or, un bail d’habitation soumis à la loi du 6 juillet 1989 est d’une durée minimale usuelle de trois ou six ans. Qui plus est, le preneur peut le résilier à tout moment. La qualité d’acte d’administration est ainsi incontestable. Selon l’article 504 du Code civil, le tuteur les accomplit donc seul (néanmoins, l’article 473 précise que le jugement peut autoriser le majeur protégé à les conclure seul ou avec l’assistance du tuteur).
Les textes relatifs aux majeurs protégés ne contiennent pas de disposition spécifique, hormis : la qualité d’acte d’administration conférée à la souscription d’une assurance (D. 22 déc. 2008, annexe 1), dont on sait qu’elle est indispensable, car elle est imposée par l’article 7, g), de la loi du 6 juillet 1989, et car, selon l’article 4, g), le défaut de souscription d’une assurance risques locatifs est une des trois hypothèses dans lesquelles une clause résolutoire est licite ; la qualité d’acte de disposition conférée aux grosses réparations sur l’immeuble (mais, selon la loi du 6 juillet 1989, de telles réparations ne seraient pas locatives, et cette disposition ne peut donc concerner, pour la location d’habitation, que le majeur protégé bailleur).
En dehors de ces hypothèses, il faut donc en déduire que le locataire, majeur protégé, doit exécuter le contrat de bail comme tout autre locataire. Il ne pourra pas s’abriter derrière sa condition pour exiger des obligations supplémentaires à la charge du bailleur, ni pour minimiser les obligations restant à sa charge.
Les textes relatifs aux majeurs protégés ne prévoient pas spécifiquement cette hypothèse. Le majeur protégé locataire sera donc traité avant tout comme un locataire bénéficiant des dispositions de la loi du 6 juillet 1989. Cette loi ne distingue pas selon que le locataire est majeur protégé ou non, mais, indirectement, prend en compte certains aspects de la vulnérabilité du locataire. Ainsi, l’article 15, III, de la loi du 6 juillet 1989 impose au bailleur de proposer au locataire une offre de relogement si ce locataire a plus de 70 ans et des ressources inférieures à une fois et demie le SMIC.
En matière de tutelle, le fait de donner congé est un acte de disposition, selon l’annexe 1 du décret du 22 décembre 2008 (le tuteur ne peut donc le passer seul), qui vise la « disposition des droits relatifs au logement de la personne protégée, par résiliation d’un bail ». Cette qualification est justifiée car le majeur protégé pourrait se retrouver sans logement. Elle est renforcée par l’article 426, alinéa 3, qui exige, pour résilier le bail, l’autorisation du conseil de famille ou du juge.
En matière de curatelle, la possibilité pour le juge d’autoriser le curateur à résilier seul n’est pas prévue (alors qu’elle l’est pour la conclusion du bail, C. civ. art. 472, al. 2). Donc, il ne peut le résilier seul.
Là non plus, la loi du 6 juillet 1989 ne prévoit aucune disposition particulière visant les majeurs protégés. Cependant, certaines règles peuvent indirectement les protéger. Ainsi, l’article 15, I, de la loi du 6 juillet 1989 prévoit que le préavis est réduit à un mois au lieu de trois, notamment pour les « locataires âgés de plus de 60 ans dont l’état de santé justifie un changement de domicile », ainsi que pour les « bénéficiaires du revenu minimum d’insertion[28] ».
Section II – Le logement donné à bail par le majeur protégé
Le majeur protégé peut consentir un bail, lorsque celui-ci pourrait être consenti par le tuteur seul (C. civ. art. 467). En ce qui concerne le curateur, l’article 472 du Code civil n’envisage que le cas du majeur protégé en tant que locataire, et le curateur ne peut alors conclure seul le bail que sur autorisation du juge. À défaut d’indication contraire, le curateur ne doit donc pas pouvoir donner seul en location un bien appartenant au majeur protégé.
Le tuteur peut décider seul de donner à bail l’immeuble du majeur protégé (c’est un acte d’administration, selon le décret du 22 décembre 2008, qui prévoit la conclusion et le renouvellement d’un bail de neuf ans au plus en tant que preneur ou bailleur). Tel sera le cas de la conclusion d’un bail d’habitation soumis à la loi du 6 juillet 1989.
Le décret du 22 décembre 2008 classe en tant qu’acte d’administration la « résiliation du bail d’habitation en tant que bailleur ». Le tuteur peut donc le résilier seul. Corrélativement, et selon l’article 467 du Code civil, le majeur sous curatelle peut également décider seul de cette résiliation.
Dans cette situation, il ne s’agit plus de la seule gestion du patrimoine de ce majeur, mais du sort de son propre logement. L’article 426, alinéa 2 du Code civil est la pierre angulaire de la protection du majeur vulnérable aux termes duquel : « Le pouvoir d’administrer les biens mentionnés au premier alinéa ne permet que des conventions de jouissance précaire qui cessent, malgré toutes dispositions ou stipulations contraires, dès le retour de la personne protégée dans son logement ». Aussi, la personne chargée de la protection du majeur va-t-il pouvoir, sans avoir à recueillir l’autorisation du juge des tutelles ou du conseil de famille, après avoir recueilli, le cas échéant, un avis médical particulier à cet effet[29], donner en location, à titre précaire, l’immeuble appartenant à son protégé. Usant du pouvoir d’administrer les biens du majeur protégé qui lui est légalement conféré, son protecteur peut ainsi seul décider de souscrire des « conventions de jouissance précaire » sur l’immeuble servant de logement à son protégé notamment lorsque celui-ci réside temporairement à l’extérieur de chez lui.
Cependant, il importe de préciser qu’en application de l’article 426, alinéa 2 du Code civil, issu de la loi du 5 mars 2007, selon lequel les conventions précaires doivent cesser « malgré toutes dispositions ou stipulations contraires, dès le retour de la personne protégée » dans son logement, la législation relative aux baux d’habitation, qui est particulièrement protectrice des intérêts des preneurs, se trouve écartée dès lors qu’une convention précaire a été conclue au nom du majeur protégé. Concrètement, cela signifie que, contrairement au droit commun du bail d’habitation, le preneur ne peut bénéficier d’aucun droit à une reconduction tacite ou au renouvellement de son bail, au maintien dans les lieux ou encore au bénéfice de la durée légale minimale du bail.
Dans ce cas, le locataire du majeur protégé bénéficie alors des dispositions de la loi du 6 juillet 1989 s’il s’agit de son habitation principale. Mais ce bénéfice va se heurter au droit des majeurs protégés. Nous nous bornerons à citer deux illustrations de ce conflit : ainsi, si le tuteur peut décider seul de donner à bail l’immeuble du majeur protégé (actes d’administration, selon le décret du 22 décembre 2008, qui prévoit la conclusion et le renouvellement d’un bail de neuf ans au plus en tant que preneur ou bailleur), il n’ouvre dans ce cas aucun droit au renouvellement pour le locataire (il lui faudra obtenir l’accord du juge ou conseil de famille, selon la jurisprudence antérieure à la loi du 5 mars 2007, pour conférer un tel droit au renouvellement) ; par ailleurs, si la résiliation (congé) du bail par le bailleur est un simple acte d’administration (selon le décret du 22 décembre 2008), il n’en ira pas ainsi dans tous les cas : un congé pour vente (L. 6 juill. 1989, art. 15) vaut en effet offre de vente et ouvre un droit de préemption au profit du locataire. Un tel congé devrait donc être considéré comme un acte de disposition que ni le majeur protégé ni le tuteur ne pourront décider seul.
CHAPITRE III – LA VENTE DU LOGEMENT D’UN MAJEUR PROTEGE
L’idée du législateur de 1968, comme celle de celui de 2007, est que la maladie ou l’hospitalisation du majeur protégé l’ayant conduit à habiter à l’extérieur de chez lui ne saurait servir de prétexte pour procéder à la vente de son logement. L’article 490-2, alinéa 3 du Code civil, issu de la loi du 3 janvier 1968, édicte un régime particulier de protection dans l’hypothèse où il devient nécessaire ou de l’intérêt de la personne protégée de disposer des droits relatifs à son « habitation » ou à ses meubles meublants. À compter du 1er janvier 2009, l’article 426, alinéa 3 du Code civil, reprend, avec quelques nuances de rédaction, la même disposition en ne conférant le bénéfice de la protection susmentionnée que s’il devient nécessaire ou qu’il est de l’intérêt du majeur protégé de disposer des « droits relatifs à son logement ou à son mobilier par l’aliénation ».
Faute de réalisation de l’une de ces deux conditions, l’aliénation du logement, dont le majeur est propriétaire, est exclue. La notion d’aliénation du logement mentionnée dans la loi de 2007 concerne tous les actes de disposition qui risquent de priver le majeur de son logement. Il en est ainsi de la vente de celui-ci[30].
Cependant, il importe de préciser que la vente du logement du majeur protégé assortie d’une réserve d’usufruit à son profit ne semble pas constituer un acte de disposition au sens des articles précités[31].
Section II – Nécessité d’une autorisation du juge des tutelles ou du conseil de famille
Si le logement d’une personne protégée doit être conservé à sa disposition aussi longtemps que possible (C. civ. art. 426, al. 1), il peut, toutefois, être vendu si de telle opération devient nécessaire ou s’il est de l’intérêt de la personne de le vendre. Cependant, de tel acte nécessite l’autorisation du juge des tutelles ou du conseil de famille s’il a été constitué (C. civ. art. 426, al. 3).
L’autorisation de vendre est donnée sans préjudice des formalités que peut requérir la nature des biens concernés (C. civ. art. 426, al. 3). Autrement dit, cette autorisation ne dispense pas de respecter les conditions normalement prévues par le régime de protection de l’intéressé (par exemple, signature de la vente de l’immeuble par le majeur protégé et son curateur sous le régime de la curatelle). La sanction du non-respect des formalités renforcées est la nullité relative de l’acte selon le droit commun, qui se prescrit par 5 ans.
Il importe de préciser que si la vente a pour finalité l’accueil de la personne protégée dans un établissement, une maison de retraite, notamment, un avis médical est requis. Cet avis doit être donné par un médecin choisi sur une liste établie par le procureur de la République.
L’autorisation donnée par le juge des tutelles de vendre la résidence d’un majeur sous curatelle renforcée ne fait pas obstacle à l’action en annulation pour insanité d’esprit de l’acte passé par celui-ci[32]. La validité d’un acte de vente passé par un majeur sous curatelle suppose en effet la réunion de deux volontés : la sienne et celle du curateur. L’insanité d’esprit du majeur placé sous tutelle devrait en revanche être indifférente, la vente étant passée par le tuteur avec l’autorisation du juge ou du conseil de famille, sans que la volonté de l’intéressé joue aucun rôle dans la conclusion de l’acte[33].
Bien que toute conclusion soit périlleuse, et nécessairement partielle ou partiale, trois remarques peuvent être faites au terme de tout ce qui vient de précéder.
D’une part, dans l’histoire de la protection des majeurs, le logement a toujours bénéficié d’une place spécifique. Alors que la mise en place d’une mesure de protection est la résultante d’une incapacité de la personne à gérer seul les actes de sa vie courante, il est, et il doit rester, le point d’ancrage du majeur avec la société qui l’entoure. Si la mise en place d’une mesure de protection peut conduire à priver le majeur d’une partie de ses droits et de ses libertés, à limiter son autonomie, si elle peut amener à le départir au profit de son représentant ou de celui qui l’assiste d’une partie de sa capacité d’action, il ne faut en aucun cas qu’elle puisse aboutir à priver le majeur de ses attaches les plus importantes. C’est pourquoi la loi du 3 janvier 1968, loi fondatrice en matière de protection des majeurs, réserve au logement un sort à part, considérant tout acte touchant au logement comme potentiellement dangereux et devant bénéficier d’un respect tout particulier.
D’autre part, le logement du majeur protégé est un élément essentiel des mesures de protection. Il était important que, dans la nouvelle loi, la protection renforcée dont il bénéficie soit maintenue. Et même si, pour une certaine catégorie de personnes, l’évolution de nos sociétés, l’isolement ou la marginalisation posent aux tuteurs et aux curateurs, qu’ils soient familiaux ou professionnels, des questions insolubles dans la recherche à la fois du respect de la volonté du majeur et de la protection de sa personne. Mais le logement n’est plus désormais le seul bien qui bénéficie de la protection spéciale : de manière symptomatique, le législateur de 2007 a inclus dans sa quête de la préservation des attaches du majeur les comptes bancaires de ce dernier. L’objectif est double : ne pas déstabiliser une personne par des modifications de ses habitudes de vie au prétexte de faciliter l’exercice de la mesure de protection, et permettre autant que possible à cette personne, le jour où la mesure est levée, de retrouver purement et simplement sa situation antérieure.
Enfin, la question récurrente que sont malheureusement amenés à se poser familles et tuteurs professionnels dans un certain nombre de situations est la suivante : que faire lorsqu’un majeur se met en danger en demeurant seul dans son logement ? La réponse n’a jamais été simple. Ni pour un majeur sous tutelle ni pour un majeur sous curatelle il n’est envisageable de prévoir un mécanisme – hors celui tout à fait exceptionnel et tout à fait encadré de l’hospitalisation d’office ou sur demande d’un tiers – permettant de contraindre une personne à quitter son lieu d’habitation pour se rendre dans un établissement ou un logement plus adapté à ses besoins et à ses capacités. Si bien que, lorsqu’un majeur refusait d’abandonner son logement, seule la persuasion, notion fort peu juridique, pouvait permettre de l’y inciter. Mais le tuteur pouvait, préalablement, avoir effectué toutes les démarches pour assurer son hébergement dans un autre lieu. En application du nouvel article 459-2 du Code civil : « La personne protégée choisit le lieu de sa résidence ». La disposition est claire et sans exception. Elle induit que la question du choix de l’habitation ne relève plus que du majeur et de lui seul.
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- TEXTES JURIDIQUES
Code civil
Loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis
Loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs
Décret n° 67-223 du 17 mars 1967 pris pour l’application de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis
Décret n° 2008-1484 du 22 décembre 2008 relatif aux actes de gestion du patrimoine des personnes placées en curatelle ou en tutelle
- OUVRAGES, THESES, ARTICLES
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Pécaut-Rivoleier L., Logement et majeur protégé, AJ Famille, 2008, p. 384 ;
Richement H. de, Rapport n° 212 : Projet de loi portant réforme de la protection juridique des majeurs, Sénat, Commission des lois, 7 février 2007, http://www.senat.fr/rap/l06-212/l06-212.html ;
Roux J.-M., La notification de l’article 6 du décret du 17 mars 1967, Administrer 2010, n° 435 ;
Talarico L., La personne du majeur protégé, thèse Lyon 3, 2008 ;
Verheyde T., La nouvelle loi allemande en matière de tutelle des majeurs : un modèle pour une éventuelle réforme du droit français ?, JCP N 1993, I, p. 396.
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PARTIE I – LA PORTEE DE L’AUTONOMIE D’UN MAJEUR VULNERABLE DANS LE CHOIX DE SON CADRE DE VIE 5
CHAPITRE I – LA REGLE DU LIBRE CHOIX DE SON LOGEMENT PAR LE MAJEUR PROTEGE 6
- Généralités. 7
- Conclusion du mandat de protection future. 7
- Qui peut donner mandat ?. 7
- Qui peut être mandataire ?. 7
- Contenu du mandat 8
Section II – Tutelle ou curatelle, le majeur vulnérable choisit librement son lieu de résidence 9
- 1. – En cas de « difficulté » le juge des tutelles peut décider où le majeur protégé doit résider 12
- 2. – Rapprochement du juge des tutelles du juge des enfants ou du juge aux affaires familiales 12
Section II – La procédure à suivre et l’exécution forcé de la décision. 13
- 1. – La procédure à suivre. 13
- 2. – L’exécution de la décision du juge des tutelles portant sur le lieu de vie de la personne protégée. 13
Section II – Les moyens pour faire face à ces difficultés. 15
- 1. – Eviter la stigmatisation des majeurs protégés. 15
- 2.– Appartements thérapeutiques, la recherche de logement autonome. 15
PARTIE II – LA PORTEE DE L’AUTONOMIE D’UN MAJEUR VULNERABLE DANS LA GESTION DE SA RESIDENCE 16
CHAPITRE I – L’ADMINISTRATION DU LIEU DE VIE D’UN MAJEUR PROTEGE COPROPRIETAIRE 17
Section I – Les modalités facilitant l’administration du logement d’un majeur vulnérable 17
- 1. – Le majeur protégé : membre du conseil syndical 17
- 2. – L’information du syndic quant à la présence d’un majeur protégé parmi les copropriétaires 18
- 1. – La présence du protégé au cours de l’assemblée générale des copropriétaires 19
- 2. – L’expression de la volonté de l’incapable en assemblée générale. 20
- Généralités. 20
- Le droit de vote d’un majeur protégé dans une assemblée générale des copropriétaires 20
CHAPITRE II – L’ADMINISTRATION DU LIEU DE VIE D’UN MAJEUR PROTEGE LOCATAIRE 21
Section I – Le logement pris à bail par un majeur protégé. 21
- Exécution du contrat de location. 22
- Résiliation du contrat de location. 22
- Cas où c’est le bailleur qui résilie le contrat 22
- Cas où c’est le locataire majeur protégé résilie le contrat 22
Section II – Le logement donné à bail par le majeur protégé. 23
- Conclusion du contrat de location. 23
- Cas d’un majeur sous curatelle. 23
- Cas d’un majeur sous tutelle. 23
- Résiliation du contrat de location. 23
- L’immeuble donné à bail était le logement du majeur protégé. 24
- L’immeuble donné à bail est destiné à être le logement du locataire. 24
CHAPITRE III – LA VENTE DU LOGEMENT D’UN MAJEUR PROTEGE. 25
Section II – Nécessité d’une autorisation du juge des tutelles ou du conseil de famille 25
- 1. – La règle. 25
- 2. – L’autorisation du juge des tutelles et l’action en annulation pour insanité d’esprit 25
[1] Curatelle : régime de protection permettant d’assister certains majeurs protégés par la loi en raison de déficiences physiques ou psychiques ou de leur prodigalité, intempérance ou oisiveté.
[2] Tutelle : institution permettant de protéger par voie de représentation, certains mineurs ainsi que les majeurs dont les facultés mentales sont gravement altérés.
[3] Sauvegarde de justice : régime de protection applicable aux majeurs atteints d’une altération temporaire de leurs facultés mentales ou corporelles, et conservant aux intéressés l’exercice de leurs droits, mais justifiant la rescision pour la lésion, ou la réduction pour excès, des actes qu’ils ont passés et des engagements qu’ils ont contractés.
[4] L. n° 68-5, 3 janv. 1968 : Journal Officiel, 16 février 1968.
[5] Laure Talarico, La personne du majeur protégé, thèse Lyon 3, 2008.
[6] La protection des majeurs repose actuellement sur deux lois : une loi de 1985 sur les mandats permanents et une loi de 1983 sur la santé mentale.
[7] Depuis la loi du 1er janvier 1992, il n’existe qu’une seule mesure de protection, l’assistance, dont l’étendue dépend de l’état de l’intéressé et des opérations pour lesquelles il a besoin d’un tiers. Cf. Verheyde T., La nouvelle loi allemande en matière de tutelle des majeurs : un modèle pour une éventuelle réforme du droit français ?, JCP N 1993, I, p. 396.
[8] http://www.nord-pas-de-calais.drjscs.gouv.fr/Debat-national-sur-la-dependance,211.html
[10] Circulaire de la DACS n° CIV/01/09/C1 du 9 février 2009 relative à l’application des dispositions législatives et réglementaires issues de la réforme du droit de la protection juridique des mineurs et des majeurs.
[11] « Le principe qui prime et posé par la réforme en matière de protection de la personne est celui de l’autonomie du majeur (art. 459, alinéa 1er) : Circulaire de la DACS op. cit.
[12] Par définition, la résidence est le lieu où se trouve en fait une personne. On l’oppose au domicile qui est le lieu où elle est situé en droit.
[13] Etienney A., Le choix de son logement par le majeur protégé, in Le logement du majeur vulnérable, EUD, 2012.
[14] Massip J. , Les incapacités, Étude théorique et pratique, Defrénois 2002, n° 456, p. 366.
[15] A. Cermolacce, Présentation générale des mesures de protection des majeurs, JCP N 2008, 1268.
[16] Couzigou-Suhas N. et Le Levier Y., Le mandat de protection future, Defrénois 2006, art. 38371, p. 633 et s. ; Forgeard M.-C. et Levillain N., Mandat de protection future et pratique notariale, Defrénois 2008, art. 38730 (analyse) et art. 38737 (formules) ; Massip J. , Le mandat de protection future, LPA, no 129 du 27 juin 2008.
[17] Lemouland J.-J. et Plazy J.-M., D. 2008, Pan., p. 315.
[18] En ce sens, Fossier T., Les tutelles – Accompagnement et protection juridique des majeurs, ESF 2007, fiche 13, p. 109 – 110.
[19] Hauser J., Des personnes et des biens : le logement du majeur protégé – Rapport de clôture, Droit et Patrimoine, 2011, 199.
[20] Douai, 8 février 2013, n° RG : 12/06650.
[21] Pour une illustration jurisprudentielle des conditions d’ouverture de la tutelle, Cass. 1e civ., 24 septembre 2008, n° 07-16.002, décision rendue sous l’empire de la loi de 1968 mais transposable.
[22] Pour une illustration jurisprudentielle rendue sous l’empire des dispositions antérieures mais transposable voir TGI Troyes 7 février 2008, nº 07-78.
[23] Pécaut-Rivoleier L., Logement et majeur protégé, AJ Famille, 2008, p. 384.
[24] Roux J.-M., La notification de l’article 6 du décret du 17 mars 1967, Administrer 2010, n° 435, p. 7.
[25] Commission relative à la copropriété, Recommandation n° 3 relative à l’identification et à l’information des copropriétaires, http://www.jpm-copro.com/Recommandation%2003.htm
[26] Décret n° 2008-1484 du 22 décembre 2008 relatif aux actes de gestion du patrimoine des personnes placées en curatelle ou en tutelle.
[27] Il est également fait référence à la convention de jouissance (visée à l’article 426, alinéa 2, c’est-à-dire en tant que bailleur sur son logement) et à la convention d’occupation précaire.
[28] La proposition de loi n° 1890 de simplification et d’amélioration de la qualité du droit, adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale le 2 décembre 2009, prévoit en son article 5 que le bénéficiaire du RSA est éligible au préavis réduit.
[29] C. civ., art. 426, al. 3 et 431 : avis circonstancié d’un médecin choisi par le demandeur à la mesure de protection inscrit sur la liste établie par le procureur de la République en cas d’acte ayant pour finalité l’accueil du majeur dans un établissement de santé, social ou médico-social dans la loi du 5 mars 2007.
[30] V. sur la nature d’acte de disposition de l’aliénation du logement de la personne protégée, D. n° 2008-1484, 22 déc. 2008, Annexe 1, Colonne 2, Actes de disposition : I – Actes portant sur les immeubles.
[31] TGI Paris, 16 déc. 1970,D. 1971, somm. p. 61 ; Gaz. Pal. 1971, 1, p. 115.
[32] Cass. 1e civ., 20 oct. 2010, n° 09-13.635, RJDA 1/11 n° 23, dont la solution, rendue sous le dispositif antérieur à la réforme de 2007, est à notre avis transposable sous le régime actuel.
[33] Massip J., Possibilité d’annulation pour insanité d’esprit de la vente d’un logement appartenant à un majeur en curatelle judiciairement autorisée, Defrénois 2011, art. 39230, n° 13.
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