docudoo

La Pyramide de Maslow et le Choix d’être Indépendant : Revisiter les Besoins de Réalisation de Soi

Annoncé à son origine comme une vérité absolue sur la théorie des besoins, la Pyramide de Maslow fait aujourd’hui débat. L’évolution des mentalités, des aspirations personnelles, des questionnements philosophiques… ont remis en cause non pas la nature de ces besoins mais leur hiérarchie. Théoriquement, le besoin d’autoréalisation ou d’accomplissement ne pourra être envisagé que lorsque tous les autres besoins sont satisfaits, du moins partiellement. Cela signifie qu’un besoin de niveau inférieur doit normalement être comblé avant celui du niveau supérieur.

 

Se lancer comme indépendant équivaut à se mettre à son compte, créer sa propre entreprise. A priori, une telle initiative relève du plus haut besoin sur la Pyramide de Maslow, à savoir les besoins de réalisation de soi. C’est un besoin qui s’exprime par la soif d’accomplir quelque chose, de montrer ses potentialités, ses talents. Si l’individu aspire à réaliser ces besoins supérieurs, cela implique que les autres niveaux de besoins ne lui procurent aucune motivation. Or, ce n’est pas forcément le cas quand il s’agit de se lancer comme indépendant.

 

La problématique est donc de déterminer à quel niveau de besoin répond le choix de se mettre à son compte. La personne qui s’investit dans un projet professionnel doit en effet se rendre compte de ses besoins. Cette information lui permettra d’agir avec une certaine rationalité et surtout va déterminer son degré de motivation. Nous pouvons suggérer ici deux hypothèses : d’abord la décision de se lancer à son compte peut être associée à tous les niveaux de besoin mais un seul sera plus influent que les autres. Ensuite, à chaque niveau de besoin correspond un degré de motivation et c’est l’autoréalisation qui est le plus motivant.

 

Se lancer comme indépendant donne de nombreuses opportunités de se réaliser. Parfois, c’est une occasion de réaliser ses rêve, de changer de cap dans sa carrière. Au-delà du besoin, il faut d’abord une volonté de changement. Se mettre à son compte nécessite la connaissance de soi. Ce n’est pas seulement évaluer ses compétences mais aussi apprendre à connaître ses besoins, ses craintes, ses objectifs. Prendre conscience de certains besoins de la personne lui permet en effet de cibler ses actions, de se préparer de manière spécifique et de demander un accompagnement professionnel adéquat.

 

  1. Motivation et besoin

 

Se lancer comme indépendant nécessite de la motivation. Comme postulat, on peut affirmer que l’individu est motivé pour une chose car il veut combler un besoin. La motivation est ce qui fait agir. Selon le modèle humaniste de Maslow et de Rodgers, c’est le désir de satisfaire un besoin qui motive les individus. A deux niveaux de la pyramide différents, le besoin ne suscite pas la même motivation. A la base, les besoins physiologiques et de sécurité ne sont pas les plus motivants. Leur satisfaction permet en effet de « survivre » et y accorder trop d’importance serait un frein pour la réalisation d’autres aspirations. En cette période de crise, il ne faut pas exclure les besoins physiologiques et de sécurité comme étant un facteur de motivation d’un individu qui veut se mettre à son propre compte. La perte d’un emploi et la précarité font qu’il n’a pas le choix que de trouver un nouveau moyen de subsistance.

 

Quoi qu’il en soit, il s’avère que plus on s’éloigne des besoins vitaux ou basiques, plus l’individu est disposé à réaliser quelque chose. Pouvoir subvenir aux besoins de sa famille, manger à sa faim ou payer ses factures… ne seraient pas des objectifs assez motivants pour monter une entreprise. Il serait dans ces cas plus approprié de chercher un autre travail. Les besoins physiologiques ont néanmoins une influence sur la façon dont l’entrepreneur va vivre son projet.

 

Le besoin de sécurité est un facteur de motivation pour se lancer dans un projet professionnel censé apporter de la stabilité au niveau des revenus. Il parait toutefois peu compatible avec l’initiative de se lancer dans une affaire en tant qu’indépendant. Dans le cas où les conditions sont optimales, comme une demande plus importante que l’offre, l’absence de concurrence, une capacité de production assurée… pourquoi pas. La notion de sécurité est associée au risque. Pour un sans-emploi qui se lance dans une entreprise à son propre compte, l’initiative comporte certes un risque mais le choix a été plus moins forcé par le contexte. Par contre, pour un individu qui quitte son emploi pour se lancer dans une affaire, le besoin de sécurité n’est pas pris en compte. Le fait de savoir d’avance quels sont les risques aide à s’engager dans une activité. Mais les risques restent des freins à l’esprit d’entreprise pour les personnes qui ne sont pas assez motivées ou qui ne sont pas sures d’elles. C’est le besoin de sécurité qui l’emporte.

 

Le besoin de reconnaissance peut motiver. Montrer aux autres ses compétences, ses capacités en se lançant dans une activité indépendante ne serait pas pour autant une bonne motivation. Quoique, une besoin plus justifiable pourrait survenir quand la reconnaissance est satisfaite. Par contre, la recherche d’un sentiment d’appartenance à un groupe qui a des besoins similaires procure une énergie positive. « Si les autres l’ont fait, pourquoi pas moi ». Ces autres, qui sont des modèles ou des références peuvent être quelqu’un de l’entourage, de la famille. L’entrepreneur bénéficie d’une confiance en soi renforcée par un appui implicite de ses pairs. La création d’une entreprise a alors une visée sociale et relationnelle. C’est pour se rapprocher de la famille ou d’un conjoint, pour perpétuer la tradition familiale. Elle est facilitée par l’entraide et la collaboration.

 

Quand on recherche l’estime de soi ou venant des autres, on ne s’engage pas dans une entreprise à moins d’être sûr de rencontrer le succès. Plus les chances de réussir est élevé, plus on s’engage. La réussite renforce en effet la motivation alors que l’échec l’affaiblit.  Par ailleurs, la peur de l’échec est un frein à l’engagement chez un individu qui veut être estimé. L’entrepreneur peut alors choisir un projet facile qui lui garantit du succès. Toutefois, si le niveau de difficulté est trop bas, l’estime ne sera pas grande. Le succès n’est pas le même pour chaque entreprise qui réussit. Est plus estimé celui qui a franchi des obstacles, résolu des difficultés mais aussi qui a gagné beaucoup d’argent. L’estime peut aussi être mesurée par le montant du profit engrangé.

 

La représentation par l’individu des buts poursuivis par son entreprise quand il se lance en indépendant est la pierre angulaire du système de motivation. Le sentiment de réalisation de soi est lié à la représentation qu’il a de ses propres besoins. La théorie originelle veut que cet accomplissement ne puisse être atteint tant que les autres besoins inférieurs ne soient satisfaits. Cette vérité est remise en cause puisque les aspirations individuelles relèvent parfois de conviction ou d’idéal, dépassant les besoins humains classiques. La société moderne a fait que les besoins physiologiques sont pratiquement assurés dans un pays développé où il y a une sécurité sociale. Les gens qui réussissent sont des excentriques qui ne se soucient pas de la reconnaissance des autres ou qui ne cherchent pas l’estime.

 

Le besoin d’accomplissement ou de réalisation varie d’un individu à un autre. Il s’agit en pratique de la soif de succès dans ce que l’on entreprend. Pas de succès, pas d’accomplissement. Les aspirations des individus sont alors déterminées par des facteurs liés au succès : espoirs, probabilité, la valeur stimulante. Un entrepreneur fixe ses objectifs en tenant compte de ses chances de réussite. Ses ambitions seront vues à la baisse si c’est l’échec qui est le facteur influent. La peur de l’échec, sa probabilité, la valeur démoralisante fait baisser les aspirations.

 

Les besoins vitaux font donc place à des aspirations et des nécessités sophistiquées qui poussent l’individu à agir ou entreprendre. Dans une société marquée par l’aisance matérielle, les besoins de confort, de reconnaissance sociale, de biens matériels, de pouvoir, d’argent sont satisfait par le succès. L’autoréalisation ou l’accomplissement a désormais des liens avec des valeurs humaines qui donnent de l’envie d’agir et du goût de ce que l’on entreprend. Ces valeurs procurent de l’énergie, décuplent la motivation. Seuls les besoins vitaux sont partagés par tous les individus. Chacun doit donc découvrir ses besoins et ses aspirations en fonction de ses valeurs. La passion, l’intérêt, le talent… ce sont des facteurs personnels qui décident de l’engagement d’une personne. Le fait de répondre à ses besoins en accord avec ses valeurs fondamentales procure du plaisir et de la motivation à mener un projet professionnel.

 

  1. Analyse des besoins et de la motivation chez l’entrepreneur

 

Aujourd’hui, la notion d’entrepreneur est associée à la TPE ou Très petite entreprise. Un individu qui se lance à son propre compte est donc un créateur d’entreprise.  La TPE est créée à l’initiative d’un seul homme dont le rôle est prédominant dans la conduite des affaires. Ce type d’entreprise est donc caractérisé par le profil de son propriétaire, qui est aussi le dirigeant dans la plupart des cas. Marchesnay (1997)[1] a distingué deux catégories de chef d’entreprise. L’entrepreneur PIC qui cherche en priorité à pérenniser son affaire (P), à être indépendant (I) dans la gestion de son patrimoine et à privilégier la croissance (C) que si elle permet la réalisation de ses objectifs patrimoniaux. Il éprouve un besoin de sécurité élevé et ne vise la croissance que si la préservation de son patrimoine est assurée. Son autoréalisation est la pérennité de son affaire.

L’entrepreneur de type CAP sont qualifiés « d’opportunistes » à la recherche de profits. Le besoin de sécurité est complètement ignoré. Peu importe la reconnaissance et l’estime de soi, l’accomplissement est la réalisation de profit. L’entrepreneur CAP recherche des marchés en croissance (C). La réalisation d’une certaine part de marché lui permettra de réaliser son besoin de reconnaissance et d’estime de soi à travers la notoriété. Il s’épanouit en étant autonome (A) dans la prise de décision. La pérennité (P) de son affaire n’est pas une fin en soi. Elle est source de notoriété qui lui permettra d’obtenir l’objet de son autoréalisation : la croissance ou le profit.

Un fort potentiel entrepreneurial de par ses moyens et ses compétences ne fait pas d’une personne qui veut se lancer en indépendant un entrepreneur. Les motivations profondes seraient décisives à travers l’engagement à l’acte. Quel que soit le profil du dirigeant de TPE, l’action de tout entrepreneur est le résultat d’une motivation. Les besoins sont une source de motivation. Par définition, c’est un état de manque éprouvé par un individu. Le besoin représente l’écart entre la situation réelle et celle qui est souhaitée. C’est un moteur à l’action puisqu’il crée une pulsion interne amenant l’individu à agir. Les besoins innés, liés à la nature humaine sont les besoins physiologiques ou primaires. Les besoins acquis dépendent de l’expérience et de l’évolution de l’environnement socioculturel de l’individu.

D’après Crener M. et Monteil B. (1981)[2], « la motivation est le désir violent d’accomplir une action, dont le résultat espéré doit provoquer la satisfaction du besoin ». Ils soutiennent qu’elle est de l’ordre affectif et passionnel. La motivation agit sur les attitudes en déclenchant un comportement adaptatif qui pousse à agir. Les auteurs la distinguent de l’incitation qui est de l’ordre rationnel, poussant à l’action en influençant le comportement et non pas l’attitude. Toute action motivée au départ par un besoin doit donner un résultat qui est la satisfaction ou la non satisfaction de ce besoin.

Eprouver des besoins classés dans la pyramide de Maslow est une source de motivation. Le besoin est le moteur à l’action alors que la motivation est le carburant qui le fait tourner. Le souci de la sécurité est un frein mais il est aussi nécessaire pour éviter la précipitation. Son besoin de sécurité donne de la lucidité à un entrepreneur qui sera amené à évaluer ses chances de réussite. Il examinera les problèmes posés par la création de l’entreprise et les obstacles à affronter en cours d’activité.

Le pire des cas est de se lancer en indépendant sans en avoir éprouvé le besoin. Ce dernier peut en effet être latent. Le besoin ne joue pas alors son rôle de levier de motivation. Par ailleurs, ne pas considérer le besoin reviendrait à se lancer dans un projet sur un coup de tête. Le plus difficile n’est pas de se mettre à son propre compte mais de continuer avec succès. Selon le profil de l’entrepreneur, il y aura de la croissance ou de la pérennisation au bout.

Certaines aptitudes liées aux besoins éprouvées sont nécessaires pour la réussite d’un projet professionnel qu’est le fait de se lancer comme indépendant. D’abord, il y a l’ambition, ce volonté d’atteindre un but, de réaliser le projet. Ce désir d’accomplissement implique un investissement personnel important. Le besoin de reconnaissance l’amène à avoir de bonne capacités relationnelles et des rapports sociaux utiles dans les relations d’affaires ou avec ses collaborateurs.

Les besoins sont dynamiques, ils ne sont pas les mêmes au moment de la décision de se mettre à son propre compte et durant le développement de l’affaire en question. La satisfaction d’un besoin est susceptible d’en déclencher un autre. Seulement, cela ne se passe pas forcément selon l’ordre jadis préétabli. Chaque catégorie de besoin est source de motivation qui varie selon les individus.

[1] MARCHESNAY, M., Petite entreprise et entrepreneur. In Encyclopedie de gestion, (1997)

[2] CRENER, Maxime & MONTEIL, B. Principes de Management Presses de l’Université du Québec Montréal (1971)

Nombre de pages du document intégral:6

24.90

Retour en haut