La qualité de la relation mère-enfant en service de suites de couche
lE NOM DE VOTRE INSTITUT DE FORMATION
|
La qualité de la relation mère-enfant en service de suites de couche |
Mélissa CLEON |
Année académique 2014-2015 |
Table des matières
3.1. Les changements liés à l’arrivée d’un enfant 6
3.2. Le nourrisson et ses besoins 10
3.4. La rupture ou l’absence de lien et ses conséquences 16
3.5. L’IDE en service de maternité en suites de couches 18
4.2. Objectifs de l’enquête 28
4.5. Analyse des entretiens 32
4.6. Limites méthodologiques 34
ANNEXE 1 : Grille d’entretien semi-directif 39
ANNEXE 2 : Retranscription des entretiens 41
Introduction
« Il n’y a aucune recette pour être une mère parfaite, mais il y a mille et une façons d’être une bonne mère » (Jill Churchill).
La mère est à la base de la construction de la personne que deviendra le nourrisson. Elle l’engendre certes, biologiquement parlant, mais surtout elle le façonne, elle le construit et cette construction passe par la relation qui s’établit entre une mère et son enfant dès les premières secondes qui suivent la naissance.
Cette relation, fondamentale, est aussi fragile. Elle peut être mise à mal de nombreuses façons et par de nombreux facteurs et les conséquences de son absence ou de sa mauvaise qualité peuvent s’avérer extrêmement néfastes pour le nourrisson, mais surtout l’enfant et l’adulte en devenir qu’il représente.
Les services de suites de couche sont les lieux où se déroulent ces premiers instants et en tant que tels, le personnel qui y travaille a pour mission, au-delà du maintien de la santé de la mère et de l’enfant, de veiller à ce que cette relation prenne effectivement naissance et qu’elle soit optimale par ailleurs. Ainsi, il participera à déployer les jalons de la relation future qui se poursuivra et se construira en dehors de l’hôpital, au domicile et dans l’institution familiale.
Ce travail s’intéresse précisément au rôle de ces soignants, et plus précisément des infirmières et puéricultrices, dans l’évaluation et le développement de la qualité de la relation mère-enfant dans les services de suites de couche.
Outre la question de recherche et la situation qui l’a évoquée, je développerai les concepts théoriques connexes qui permettront de comprendre en quoi cette relation mère-enfant est fondamentale et comment l’IDE peut la favoriser. Je proposerai ensuite l’analyse d’entretiens semi-directifs proposés à des infirmières et puéricultrices et orientés vers l’analyse des pratiques réelles. Je terminerai enfin sur un bilan et des perspectives pour la pratique.
1. Situation d’appel
La situation qui m’a amenée à réfléchir à ce sujet s’est déroulée lors de la deuxième partie de mon stage du Semestre 4, soit du 12/05/2014 au 15/06/2014. J’étais alors en deuxième année de formation en soins infirmiers. J’effectuais mon stage au sein d’un Centre Hospitalier de la Seine-Saint-Denis dans un service de Maternité, en suite de couches. Ce service à une capacité d’accueil de 43 lits et trois pédiatres, trois sages-femmes, une puéricultrice (ou IDE faisant fonction), trois auxiliaires de puériculture, et deux agents de services hospitaliers y travaillent en collaboration.
Cette situation concerne une jeune femme que nous appellerons Madame X.
Madame X est une femme âgée de 20 ans, sans antécédents médicaux, ni allergies connues. Son compagnon l’a quittée lorsqu’il a pris connaissance de la grossesse de cette dernière qui vit actuellement chez ses parents. Madame X ne travaille pas, elle poursuit encore ses études de comptabilité. Ce sont ses parents qui l’aideront à assumer financièrement cette maternité. Madame X a donné naissance à une fille au terme de 38SA + 2jours, à la suite d’une grossesse sans particularités par un accouchement physiologique avec épisiotomie. A J0, Madame X semble très affectée de sa séparation avec le père de sa fille, en exprimant : « ça ne l’intéresse même pas de venir voir sa fille ! ». C’est la mère de Madame X qui était présente lors de l’accouchement. Celle-ci m’exprime d’ailleurs le fait qu’elle soit très heureuse d’avoir une petite fille et également le souhait d’être présente lors du premier bain de cette dernière. A ma prise de poste à J1, la sage-femme de nuit me dit lors des transmissions pour cette patiente : « privilégier relation mère-enfant +++ », cela en expliquant qu’elle a observé une distance de la mère vis-à-vis de sa fille et qu’elle ne pense que celle-ci soit due à la fatigue ; mais plutôt en lien à son histoire familiale. Cette remarque me surprend et m’amène alors à une réflexion autour de cela.
Qu’entend-t-elle par cela ? Sous-entend-t-elle une mauvaise qualité de la relation mère-enfant ? La sage-femme de nuit a-t-elle correctement apprécié la situation ? D’ailleurs comment apprécier la qualité d’une relation mère-enfant ? Sur quoi s’est-elle appuyer ?
D’autres questionnements naissent alors en moi :
Madame X ne regrette-t-elle pas d’avoir mené sa grossesse à terme ? A-t-elle eu le choix ?
La mère de madame X semble très présente et très heureuse de l’évènement. Dès lors Madame X a-t-elle poursuivi sa grossesse pour suivre les convictions de sa mère ?
La douleur de sa séparation avec le père de son enfant l’empêche-t-elle de vivre pleinement sa maternité ?
Suite à toutes ces questions, je me suis demandé si je ne devais pas moi-même évaluer, apprécier la qualité de cette relation mère-enfant avant de commencer un accompagnement qui pourrait être perçu comme intrusif ? D’ailleurs, je me demande aussi comment y parvenir, comment accompagner cette femme dans sa relation mère-enfant ? Est-ce le rôle de l’IDE ?
Quelles sont les techniques d’accompagnement dans l’amélioration de la qualité de la relation mère-enfant ?
C’est alors que je demande à l’IDE m’encadrant comment je pourrais mener au mieux cet accompagnement. Elle me soumet alors l’idée de proposer, dans un premier temps, le peau-à-peau à Madame X et de rester auprès d’elle pour le temps de l’allaitement si celle-ci désire mettre son enfant au sein. Il me propose également de favoriser les interactions de la mère à l’enfant lors du premier bain, sans faire participer la grand-mère dans le soin pour favoriser l’intimité de la mère et l’enfant et ainsi développer leur complicité. En effet, je comprends que Madame X pourrait profiter de la présence de sa mère afin de limiter les temps de complicité relationnelle avec sa fille, tels que le bain, les changes, etc. Mais, à la sortie du service, je ne serai pas là pour limiter la présence de la mère de Madame X au quotidien ; d’autant plus que sa fille réside à son domicile. Ne vaut mieux-t-il pas alors permettre la participation de la mère de Madame X lors du premier bain tout en intégrant l’importance de Madame X dans les soins ? Ceci permettrait d’agir dans un contexte plus proche de leur quotidien.
Cette situation me paraît intéressante à étudier sous plusieurs aspects. Mais la question qui m’interpelle la plus est la suivante : comment apprécier et favoriser la qualité d’une relation mère-enfant dans un service de maternité en suites de couches ?
Je la choisis comme question de départ, car cette question me permettra d’explorer dans un premier temps, ce qu’est la relation mère-enfant ainsi que son processus et dans un second temps, comment l’IDE apprécie la qualité de cette relation mère-enfant et sur quoi se base-t-elle pour cette évaluation.
Le cadre de référence devrait me permettre de poser les bases pour comprendre la complexité de cette relation mère-enfant ; à savoir comment se crée-t-elle, quels sont les processus psychologiques impliqués, quelles sont les situations qui peuvent venir mettre en péril cet attachement des premiers instants, etc. Comprendre cette relation c’est à la fois comprendre les besoins et mécanismes psychiques chez la mère, mais aussi chez l’enfant ; c’est pourquoi je m’attèlerai à décrire au mieux les deux parties. Enfin, sur base de ces appuis théoriques, je tenterai de voir en quoi l’IDE peut intervenir dans un service de suite de couches afin de développer et maintenir ces liens d’attachement primordiaux au développement physique, psychique et psycho-affectif de l’enfant.
Notons d’ores et déjà qu’étant donné le contexte dans lequel s’inscrit la question de ce travail (service en suites de couches), les aspects théoriques que je vais développer concerneront surtout la mère. Le père a, il va sans dire, un rôle important et qui comporte ses spécificités, dans le lien d’attachement ; ce lien pourrait d’ailleurs faire l’objet d’un travail à part entière. Toutefois, j’aborderai préférentiellement donc ici les aspects liés à la mère.
2. Partie théorique
2.1. Les changements liés à l’arrivée d’un enfant
La naissance d’un enfant implique des bouleversements dans la vie des parents, et amène ainsi à des changements de divers ordres que subiront les futurs parents. Ils passeront ainsi au stade de couple à celui de parents, ce qui engendre diverses réorganisations ; psychologiques notamment.
- La parentalité
Selon le dictionnaire, le terme parent signifie : « Le père ou la mère. »[1]
Selon le Dictionnaire critique de l’action sociale, la parentalité est un terme polysémique, soit un terme très large relevant du domaine médico-psycho-social. C’est un processus de maturation qui permet d’être parent et ainsi de répondre aux besoins de l’enfant aux niveaux corporel, affectif et psychique.
La parentalisation est un néologisme qui désigne quant à lui l’influence positive exercée par une personne sur ce sentiment d’être parent ressenti par un adulte. Elle inclue donc le sentiment de compétence et l’identité parentale.
Cette fonction parentale regroupe donc diverses responsabilités à la fois d’ordre juridiques, morales et éducatives. L’exercice de la parentalité est devenu, depuis ces trente dernières années, de plus en plus compliqué avec l’évolution des valeurs de notre société. En effet, d’une structure monofamiliale rigide et traditionnelle, les modes de parentalité se sont vus diversifier en autant de déclinaisons (monoparentalité, beau-parentalité, etc.).
Bien entendu, la naissance d’un enfant n’est pas suffisante en soi pour développer l’identité parentale d’un individu. Ainsi, à la fois avant, pendant et après la grossesse, la mère comme le père vont passer par différentes phases, différentes réorganisations psychologiques qui leur permettront de se construire en tant que parent et ainsi, d’être prêt à accueillir le nouveau-né dans un climat qui favorisera l’attachement.
Ce sont ces processus que nous tenterons de développer dans les parties suivantes.
- La mère
Est qualifiée de Mère, une « Femme qui a mis au monde ou qui a adopté un ou plusieurs enfants. »1
La maternité, l’instinct maternel sont longtemps restés une évidence universelle. La société a magnifié ce moment. Mais concevoir et mettre au monde un enfant, une partie de soi, est-il si facile ? Cette rencontre avec ce tout petit, si dépendant, si fragile suscite des sentiments divers chez les mères : joie, tristesse, dépression, angoisse, culpabilité. Car être mère suscite tout un tas de bouleversements psychiques et affectifs. Etre mère s’est être capable de se mettre à la portée de ce tout petit qui ne sait pas parler et dont il faut décoder les pleurs, les mouvements du corps, le regard, les cris, le sourire. La maternité s’apprend, s’expérimente. La parentalité est donc un processus maturatif. La mère y engage avec sa personnalité, et à travers sa grossesse toute son histoire personnelle et familiale transgénérationnelle ainsi que son histoire de couple.
Avant toute chose, il faut comprendre que le lien de filiation qui unit l’enfant à son parent est un lien multidimensionnel.
La première dimension de cette filiation est constituée des origines biologiques, soit la transmission d’un patrimoine biologique du parent vers l’enfant. Cette partie est strictement définie d’un point de vue biologique et ne peut être contestée. La seconde dimension est la parenté, c’est-à-dire l’inscription de l’enfant dans lien généalogique, la lignée du parent, et ainsi un partage de cette lignée et de ces caractéristiques proches à l’enfant. C’est la loi qui prend en charge cette seconde dimension, qui définit le lien de parenté entre le parent et l’enfant. Enfin, la parentalité est une dimension qui se concrétise plutôt dans la façon dont l’enfant va être intégré à la dynamique familiale et de couple, la façon dont il fera partie du foyer et dont le parent assurera l’éducation. Bien entendu, si les composantes biologiques, juridiques et sociales sont bien établies et permettent de définir assez aisément les droits et devoirs des parents, la composante de parentalité est quant à elle bien plus complexe et pourtant bien plus fondamentale d’un point de vue de notre développement psychique et psycho-affectif. En effet, chaque personne se définit par rapport l’Institution Familiale en termes des références, des limites et des obligations que celle-ci lui fournit. Ainsi, aucun individu n’est à proprement parlé sans famille : même s’il n’a pas de lien de parenté (qu’il ne s’inscrit dans aucune lignée), il a toujours des origines biologiques et le plus souvent, une forme de parentalité s’est construite au travers de relations qui par ailleurs peuvent exclure les parents biologiques. Or c’est bien à travers cette dernière que l’identité se construit[2].
On comprend dès lors que pour que cette dimension de parentalité soit assumée, le parent, la mère en l’occurrence, doit être prête psychologiquement à s’inscrire dans un rôle nouveau au sein de l’Institution Familiale.
D’un point de vue psychanalytique, la réorganisation psychique qui fait passer la femme au statut de mère comporte plusieurs étapes qui, si elles se déroulent dans des conditions optimales, devraient permettre à la mère d’être dans une situation de reconstruction identitaire et de disponibilité psychique pour accueillir son enfant et ainsi créer le lien avec lui.
Freud attribue le désir de grossesse à la phase œdipienne. Entre 3 et 6 ans, durant la période du complexe d’Œdipe, la petite fille dans un but de rivalité, veut tuer sa mère pour séduire son père. Après cette étape, elle s’identifiera à sa mère ; mais en grandissant, à l’adolescence, s’en éloignera afin de s’autonomiser et ainsi devenir femme. Elle accepte ainsi les changements de son corps en renonçant à l’enfance, se construisant une identité propre. Elle s’éloigne de « l’imago maternel » tout en prenant appui sur cette représentation pour se construire et devenir à son tour adulte et mère. Freud[3] considère ainsi que l’enfant à venir, l’enfant imaginé, est l’objet par excellence et qu’il concrétise ainsi le souhait infantile d’avoir un enfant du père.
Dans le ventre, l’enfant représente pour sa mère un objet imaginé puis idéalisé. La femme à travers l’enfant fantasmatique réalise alors le complexe d’Œdipien.
Les hommes et les femmes ont des approches très différentes de la parentalité s’expliquant par une réalité biologique et une histoire traditionnelle qui leur conférait une position de « pater familias », détenteur de l’autorité. En effet les femmes ressentent une pulsion de maternité, guidée par la biologie.
Le besoin maternel primaire est défini par Winnicott[4] comme « un état psychologique très particulier de la mère se développant graduellement pour atteindre un degré de sensibilité accrue durant la grossesse et spécialement à la fin, période durant laquelle la mère est particulièrement vulnérable psychologiquement. Cet état dure encore quelques semaines après la naissance de l’enfant, les mères ne s’en souviennent pourtant que très difficilement lorsqu’elles en sont sorties et auraient même tendance à en refouler le souvenir. Il s’agit presque d’un état de maladie, ce qui implique que la femme doit être en bonne santé à la fois pour y entrer, mais aussi pour en sortir ».
Ainsi, selon Bibring[5] cette fois, la grossesse constituerait une période de crise, de réorganisation dynamique : un tournant dans le cycle vital d’une femme pendant lequel elle va revivre les conflits infantiles des phases précédentes. Cette crise est censée être suivie par phase d’élaboration et de résolution des conflits précédents. L’auteur compare les changements que la future mère va connaître à ceux dont elle fait l’expérience au moment de l’adolescence en raison des perturbations qu’elle va rencontrer à la fois à un niveau hormonal, mais aussi physique, social et psychologique. Les changements hormonaux sont bien connus et même reconnus directement par l’entourage de la mère et ont des conséquences sur son fonctionnement psychique et somatique ; mais ils ne sont bien évidemment pas les seuls. En effet, en passant de fille à mère, la femme acquiert un nouveau statut social qui implique de nouvelles responsabilités. Par ailleurs, son physique change également. Cette phase de crise ou de préoccupation maternelle primaire, si nécessaire soit-elle pour la rendre éveillée aux besoins de son enfant, est aussi ambivalente puisqu’elle plonge la future mère dans un état de vulnérabilité et la rend donc plus sensible aux problématiques psychologiques par la même occasion. Cette période pleine de changements peut ainsi être vécue comme effrayante par la mère puisqu’elle menace son intégrité à la fois physique et psychologique.
Concernant la nécessité de cette phase de vulnérabilité, on peut aussi évoquer le concept de transparence psychique développé par Bydlowski[6] et qui implique une fois encore une période de crise identitaire et de vulnérabilité qui peut mener à un retrait du monde extérieur et se caractériser par des réminiscences de conflits et fantasmes oubliés.
Par ailleurs, toujours selon Freud, en tant qu’objet, l’enfant à venir est forcément ambivalent et suscite autant la haine que l’amour ; l’ambivalence par rapport à la grossesse est donc normale.
On comprend que l’état psychique de la mère durant la grossesse et la période qui la suit a une influence majeure sur sa capacité à percevoir et répondre aux besoins du nourrisson et à développer un lien d’attachement avec lui. Elle y parvient justement grâce à l’état de vulnérabilité et de réorganisation psychique qui caractérise cette période. Mais cette phase n’est pas sans risque. En effet, d’une part elle provoque la réminiscence des conflits non résolus, ce qui peut mettre à mal l’attachement avec son enfant ou simplement plonger la future mère dans un état de préoccupation qui l’empêche de créer ce lien.
L’ambivalence rend l’équilibre délicat à trouver. Pourtant, il est primordial que la mère soit présente pour répondre aux besoins fondamentaux du nourrisson et ce, tant sur un plan physique que psychologique. Ces besoins seront développés plus en détail au point suivant.
2.2. Le nourrisson et ses besoins
Selon le dictionnaire, nous retrouvons deux définitions de nourrisson : « Enfant nourri à la mamelle.»1 & « Enfant depuis la fin de la période néonatale (chute du cordon) jusqu’à 2 ans.»1
Comme nous l’avons vu précédemment, la naissance, l’arrivée d’un nouveau-né, est un événement attendu, généralement préparé par l’entourage, mais aussi très complexe. En effet, d’un point de vue social et des valeurs et mœurs transmises aux femmes, il est supposé susciter le bonheur des parents, les émois familiaux. Au travers de concepts populaires tels que l’instinct maternel, on comprend bien les enjeux et la pression sociale qui s’imposent à la mère en devenir. Être mère devrait s’imposer à elle sans remise en question, de façon naturelle, presque organique. Or, si tout est fait dans les changements que nous avons évoqués précédemment pour plonger la mère dans un état de sensibilité accrue aux besoins de l’enfant, cette sensibilité peut parfois mener à l’apparition de conflits et problématiques anciennes qui peuvent d’une part détourner l’attention de la mère du nourrisson, et d’autre part, amener une certaine confusion entre cet état de mal-être et l’arrivée d’un enfant. L’enfant peut alors être identifié comme une source d’affects négatifs et bien entendu, cela peut compromettre les liens d’attachement entre la mère et le nouveau-né.
Ainsi, il existe de nombreuses situations dans laquelle naissance peut parfois être rejetée. En général, il convient alors de s’interroger sur ce qui a précédé la naissance ou la symbolique qui entoure le fait d’enfanter pour la femme et mère en devenir. L’enfant est en effet au croisement de deux histoires familiales, celle qui vient du père et celle qui vient de la mère. Il est l’héritier de ces histoires intergénérationnelles, issues de désirs ou de non désirs, de jouissances ou de souffrances. L’arrivée de l’enfant réveille chez chacun des parents la façon dont ils ont perçus leurs propres parents, leur vie d’enfant. Elle change leur statut et détermine l’atmosphère familiale.
L’enfant vit, à travers la naissance, sa première séparation. Mais cette séparation est bonne, car elle permet à l’enfant et à sa mère de vivre. La mère appréhende les besoins de son enfant selon sa propre sensibilité et sa capacité à accueillir ce nouveau-né dans sa vie. Ses compétences pour communiquer avec ce petit être sont innées, en effet elle saura reconnaître, différencier les émois de son enfant naturellement. L’enfant est ainsi au carrefour des désirs, à la place du manque. Il se situe à l’endroit du vide et de son comblement. Ce qui fait de lui un objet fantasmatique, au carrefour de l’enfant imaginaire et de l’enfant réel. Ce désir d’enfant est en interaction avec le degré d’attirance de l’homme et de la femme l’un envers l’autre, de leur niveau affectif, de la qualité émotionnelle de leurs échanges[7].
Le bébé qui naît est « emmailloté dans les projections parentales »[8]. Ces projections peuvent soit le bloquer dans son épanouissement psychique, soit lui permettre de grandir, de se forger une identité pour soi. Les projections parentales découlent de l’histoire personnelle de chacun ; histoire que l’on cherche à réparer, améliorer, annihiler, venger à travers l’enfant.
Comme le souligne la définition commune citée plus haut, le besoin primaire du nouveau-né est bien entendu de se nourrir. Mais plus qu’une fonction vitale, l’alimentation joue également un rôle important dans sa relation affective avec sa mère car elle favorise la proximité et la création d’un espace de complicité et d’intimité. Ce besoin est également un plaisir car il accède à la zone érogène du nourrisson : sa bouche par la succion.
Il existe donc des besoins primaires (l’alimentation et le sommeil en premier lieu) et des besoins psycho-affectifs, qui ne peuvent pas pour autant être qualifiés de secondaires car ils participent tout autant à la construction du nourrisson.
Ainsi, la survie de son bébé dépend de son environnement. En premier lieu donc parce qu’il ne peut subvenir seul à ses besoins primaires. En termes d’alimentation, le passage du milieu intra- au milieu extra-utérin engendre pour le nourrisson de nouveaux besoins nutritionnels car des consommations énergétiques nouvelles apparaissent : la respiration, la thermorégulation, ou encore la motricité (appropriation de l’espace, succion, déglutition, etc.). Ces nutriments, il les trouvera à travers l’allaitement (au sein ou au biberon)[9].
Le sommeil est également un besoin fondamental car il permettra le développement neuronal et cérébral du nouveau-né. Le sommeil du nourrisson né à terme s’organise en deux phase : le sommeil calme pour 45% et le sommeil paradoxal/agité pour 55%, ainsi que des périodes de transition entre les deux qui sont quant à elles tout à fait spécifiques au jeune enfant. Les phases de sommeil profond présentes chez l’adulte ainsi que la distinction entre rythme diurne et rythme nocturne n’apparaîtront quant à elles qu’à la fin du premier mois de vie[10].
Enfin, en ce qui concerne les besoins physiologiques, dit « primaires », le nouveau-né a bien entendu besoin de soins. L’Organisation Mondiale de la Santé[11] définit le cadre de référence des soins médicaux à apporter au nourrisson dans les premières heures de vie (vaccinations et examens médicaux). Cependant à travers le terme de soins, on entend aussi les actes prodigués par la mère afin de favoriser la santé et le bien-être du nourrisson, comme le bain ou encore le change.
Ce qu’il y a de particulier dans la situation du nouveau-né, et qui se reproduit rarement dans la vie adulte, c’est que c’est la satisfaction de ces besoins primaires qui créer l’occasion de combler les besoins psychiques et psycho-affectifs (« secondaires »).
Ces besoins psychiques peuvent se résumer à travers deux concepts majeurs et intimement liés les nourritures affectives et l’attachement.
Les nourritures affectives est un concept relativement récent développé par le philosophe Boris Cyrulnik et peut-être résumée par la citation suivante « (…) Un enfant qui n’appartient à personne ne devient personne. Il lui faut quelqu’un pour devenir quelqu’un. Un nouveau-né qui n’appartient pas est condamné à mourir ou à mal se développer (…) Le plaisir de devenir soi-même, de savoir qui on est, d’où on vient, comment on aime vivre, passe par le lien qu’on tisse avec les autres »[12]. Le nourrisson a donc besoin de l’autre pour se construire, mais pas n’importe comment, il a besoin de créer le lien avec l’autre, avec le parent (au sens de la parentalité et pas forcément de la parenté). C’est ce qu’on appelle plus communément le besoin d’attachement.
Sur la base de ces premiers travaux et en s’appuyant plus particulièrement sur les découvertes de Lorenz, John Bowlby va développer « la théorie de l’attachement ».
La théorie de l’attachement selon John Bowlby[13] est le lien qui unit la mère et son enfant. L’enfant provoque, par ses émois innés (pleurs, cris, etc..) une réponse chez sa mère. Le nouveau-né induit et maintient donc par ses manifestations, une proximité entre lui et sa mère ou substitut maternel. L’attachement se crée donc entre celui qui reçoit les soins (le nourrisson) et celui qui délivre les soins (la mère). Cette théorie repose donc sur un comportement primaire spécifique présent alors depuis la naissance. L’attachement se situe donc au même niveau que les besoins physiologiques, il est essentiel au bon développement de l’enfant et lui permet d’établir des relations sociales.
Bien sûr, on ne retrouvera pas chez toutes les mères le même type d’attachement, certains facteurs vont le déterminer. Par exemple : les conduites maternelles, la qualité de l’attachement envers sa propre mère ou encore les caractéristiques individuelles du bébé.
Marie Ainsworth succède à John Bowlby dont elle partage l’idée selon laquelle l’attachement est un besoin primaire. Les résultats de son expérience[14] laissent percevoir trois catégories d’attachement :
- Sécure: le bébé manifeste, par des signes, qu’il ressent le départ de son parent au moment de la séparation et l’accueille chaleureusement quand il le retrouve mais ne focalise pas son attention sur lui et retourne jouer.
- Insécure-évitant : le bébé ne montre pas de signe de ressenti par rapport au départ de son parent et quand le parent revient, l’enfant l’évite. Il focalise son attention sur l’environnement et ce, de manière persistante.
- Insécure-résistant : L’enfant est préoccupé par le parent pendant la « situation étrangère », il n’arrive pas à se calmer quand le parent revient, son attention est portée sur celui-ci.
Ainsi, à travers les échanges entre sa mère et lui, le bébé construit ses premières perceptions de la relation à l’autre. Il en retire du plaisir ou du déplaisir. Quoi qu’il en soit, cette relation est primordiale pour l’enfant.
2.3. Le lien mère-enfant
L’attachement[15] a donc pour but de produire une proximité physique et un rattachement avec l’objet d’attachement. En effet, cet à travers cet attachement que l’enfant va construire son lien avec sa mère. C’est à partir de la relation à autrui que l’enfant se constitue, apprend à se structurer. L’enfant est modelé par l’environnement, sa pensée se structure au fil des interactions avec l’entourage. L’histoire de chacun des membres de la famille et les processus de constitution de son identité viennent converger avec ceux des autres dans l’enfant.
L’enfant prend donc appui sur autrui pour se construire. Le milieu encourage ou inhibe des choix comportements, éduque, guide, favorise ou non l’adaptation et la construction de soi. Il permet ainsi à l’enfant, dans un milieu sécurisant, de se percevoir comme « bon objet » [16]et de se développer harmonieusement en se dégageant progressivement du lien.
Les premières interactions permettent donc d’installer la sécurité de base. Cette sécurité de base est rendue possible par l’état de préoccupation maternelle primaire dont nous avons déjà parlé. La mère ressentira ainsi le besoin de satisfaire tous les besoins de son bébé, ce qui le mettra ainsi en confiance, en sécurité.
Elle y parviendra au travers de trois fonctions maternelles primaires [17]:
- L’object-presenting : l’enfant fait l’expérience de la toute puissance grâce à sa mère toujours présente au bon moment. Il considèrera donc sa mère comme réelle, mais aussi également l’impression de créer l’objet avec l’arrivée de sa mère.
- Le holding : Cela représente la manière de porter et de soutenir physiquement mais aussi psychiquement le nouveau-né.
- Le handling : est composé de toutes les conduites de maternage en termes de soins mais aussi de manipulations (caresses, change, habillage, etc.). L’enfant prend alors conscience de ses limites corporelles à travers le maternage que fait sa mère avec lui.
Le holding et le handling permettent à l’enfant de percevoir toutes les limites de son être, psychique et physique.
2.4. La rupture ou l’absence de lien et ses conséquences
L’attachement est donc une composante primordiale pour le développement de l’enfant. Tant et si bien que dans la version la plus récente du manuel de classification des troubles mentaux de l’Organisation Mondiale de la Santé[18], on retrouve une catégorie nommée Troubles réactionnel de l’attachement de l’enfance qui est défini comme un trouble apparaissant durant les cinq premières années de la vie de l’enfant et caractérisé par la présence d’anomalies persistantes du mode de relations sociales de l’enfant, associées à des perturbations émotionnelles, et se manifestant à l’occasion de changements dans l’environnement. Il peut se traduire d’un point de vue comportemental par de l’hyper vigilance, une auto- ou une hétéro-agressivité, une tristesse, une réduction des interactions sociales ou encore dans des cas plus extrêmes, un retard de croissance et de développement. Il peut être lié, toujours selon le manuel, à la fois à des maltraitances mais aussi à des négligences (commettre et omettre) et sera plus fréquemment associé dans la grande enfance et à l’âge adulte avec des perturbations émotionnelles.
Les travaux d’Ainsworth et collègues[19] ont permis de mettre en évidence que la sensibilité maternelle aux signaux de communication de l’enfant est l’aspect le plus important du comportement maternel associé avec l’organisation de l’attachement. Dans ces expériences, certaines mères étaient réactives que d’autres et cela impactait la qualité de l’attachement avec l’enfant.
Or, comme cela a déjà été évoqué, de nombreuses composantes peuvent venir mettre à mal l’attachement entre la mère et l’enfant. Ces composantes peuvent être inhérentes à l’histoire familiale ou intergénérationnelle (ex. naissance lors d’une date anniversaire de mort), aux conflits psychiques (ex. problèmes d’attachement chez la mère, Œdipe non résolu, etc.) ou encore à une indisponibilité psychique pour des raisons psychologiques (ex. enfant non désiré) ou matérielles (ex. précarité détournant l’attention de la mère vers des préoccupations plus concrètes).
Bien entendu, comme le laisse entendre la présence de cette catégorie diagnostique de troubles de l’attachement, cela aura des conséquences non négligeables sur le développement physique et psychologique ; conséquences qui peuvent bien entendu se répercuter sur les générations futures.
Il est donc primordial de développer, favoriser et maintenir le lien d’attachement entre la mère et le nouveau-né. Ces démarches doivent être entreprises le plus précocement possible, dans l’idéal dans les heures mêmes qui suivent la naissance de l’enfant et ce, afin d’éviter toute perturbation et au contraire, de créer un climat qui permette de favoriser l’attachement. Au sein des points suivants, la structure des services de suites de couches, qui sont donc le lieu de ces premières heures de vie pour le nourrisson, sera développée. Je tenterai également de décrire le travail de l’IDE au sein de ces services et le rôle qu’elle a à jouer dans la promotion de ces premiers échanges mère/enfant.
2.5. L’IDE en service de maternité en suites de couches
- Fonctionnement d’un service de maternité en suite de couches
Les suites de couches sont la période qui suit l’accouchement, elle dure de six à huit semaines, elle se termine au retour de couches qui signifie la réapparition des règles.
Le service de suites de couches accueille les mères et leur enfant pour une hospitalisation qui dure en moyenne 4 jours. L’ensemble des professionnels qui composent le service de maternité en suite de couches assurera la surveillance ainsi que les soins de la mère et de l’enfant.
- Différents professionnels travaillant dans un service de maternité en suite de couches
Ce genre de service s’articule autour d’une équipe pluridisciplinaire composée de sages-femmes, d’infirmières, de puéricultrices et auxiliaires de puériculture, d’aides-soignants et de médecins.
Les sages-femmes ont un rôle très important, ayant une totale autonomie obstétricale, elles suivent les grossesses tout en accompagnant le couple à l’accouchement qu’elles prennent également en charge si tout se passe bien. Elles effectuent en parallèle une prise en charge médico-psycho-sociale en collaboration avec le pédiatre en préparant le retour à domicile.
Les infirmières travaillent en collaboration avec les sages-femmes en ce qui concerne les soins à la mère et avec les puéricultrices pour ce qui est des soins au nouveau-né. Mais également avec les aides-soignantes et auxiliaires de puériculture à qui elles délèguent des tâches tenant de leur rôle propre. Elles appliquent la prescription des médecins et sages-femmes tout en accompagnant dans la prise en charge en apportant des conseils.
Les puéricultrices ont quant à elles un rôle éducatif, elles accompagnent et conseillent les parents dans les soins quotidiens au nouveau-né. Elles assurent tous les soins spécifiques au nouveau-né. Elles préviennent des risques, présentent et orientent les parents vers les structures qui entrent dans la continuité de la prise en charge du service de maternité.
Les auxiliaires de puériculture interviennent en complément du travail des puéricultrices et des infirmières. Elles accueillent le nouveau-né et aide les mères pour les soins quotidiens de leur nouveau-né (bain, change). Elles accompagnent également à l’allaitement, et s’occupent de l’environnement du nouveau-né.
Cette équipe est donc au premier plan dans l’intervention précoce et la prévention des troubles de l’attachement puisqu’elle est présente sur tous les plans pour orienter la mère vers l’écoute et la prise en charge des besoins physiques et psychiques de son bébé.
Bien entendu, cette équipe fonctionne sous la tutelle d’un pédiatre et d’un gynécologue obstétricien qui supervisent les aspects médicaux.
Disponible à tout moment, le pédiatre est responsable du bébé en collaboration avec la puéricultrice et la sage-femme. Il réalise l’examen pédiatrique de l’enfant avant sa sortie en répondant à toutes les interrogations des mères et dépistant les anomalies et/ou malformation du nouveau-né. Il veille également à la bonne adaptation du nouveau-né à la vie extra-utérine.
Les gynécologues-obstétriciens interviennent quant à eux plus en amont de la naissance. Ils travaillent en collaboration avec les sages-femmes, ils suivent la grossesse et se chargent particulièrement des grossesses à haut risques. C’est également eux qui réalisent les césariennes.
Enfin, les aides-soignantes assurent les soins de nursing et l’hygiène de l’environnement (réfection de lit, tables, etc…), elles accompagnent également les patientes à leur premier lever après l’accouchement.
- Rôle de l’IDE dans un service de maternité en suites de couches
L’IDE en maternité suite de couches devra prendre en charge la mère ainsi que son enfant. Cette prise en charge se traduira par des soins et une surveillance tout en répondant aux besoins du nouveau-né et en éduquant la mère aux soins du bébé.
Son rôle st alors à la fois d’assurer les soins et la surveillance de la mère et de l’enfant, d’accompagner et d’apporter des conseils éducatifs à la mère dans la réalisation des soins à son enfant mais également de mettre en place une relation favorable avec la mère et l’enfant pour les accompagner dans leur rencontre et repérer leurs difficultés et leurs besoins.
Son rôle[20] est à la fois d’assurer la partie des soins médicaux et d’hygiène qui lui incombent (par exemple, le contrôles des paramètres vitaux, la surveillance du risque hémorragique, les soins d’épisiotomie, etc.), mais aussi et avant tout dans le contexte qui nous occupe, de s’assurer que les échanges entre la mère et l’enfant se feront dans des conditions optimales. En outre, dans un premier temps, elle se charge d’accueillir la mère et l’enfant au retour de la salle d’accouchement. Elle surveille également la montée laiteuse et dispense les soins au sein de la mère ainsi que des conseils pour l’allaitement ; étape qu’elle accompagne également. Elle participe de plus au dépistage et à la prévention des complications liées à l’allaitement afin de permettre de maintenir celui-ci le plus durablement possible tout en assurant le confort de la mère et de l’enfant. Elle éduque la mère aux soins du bébé et enfin, elle organise le retour au domicile en dispensant des conseils et en s’assurant que la relation mère-enfant est suffisamment en place que pour que le nourrisson prenne sa place dans le cadre familial.
Bien entendu, elle est aidée dans son rôle et ses fonctions par l’ensemble de l’équipe qui a été évoquée. Equipe au sein de laquelle chacun par sa formation et ses connaissances, apportera un avis et des conseils qu’il est important de considérer.
Toutefois, on comprend que par la proximité et la régularité des contacts qu’elle entretient avec la mère et l’enfant aux premiers jours de la naissance, quand le lien se crée, et par les fonctions qu’elle occupe, l’IDE a un rôle primordial à jouer dans la construction du lien mère-bébé. Ainsi, à cette période critique se crée une relation triadique impliquant à la fois la mère, le nourrisson et le soignant.
- Relation soignant-mère-enfant
Avant de parler de relation mère-enfant-soignant, il est important de définir la relation soignant-soigné.
La relation soignant-soigné se définit au sens large comme « une rencontre entre deux personnes au moins, c’est-à-dire deux caractères, deux psychologies particulières et deux histoires »[21]. Le soignant agit dans le cadre d’une relation interpersonnelle en respectant la dignité et l’intimité de la personne soigné en l’aidant ainsi à développer une stratégie qui lui permettra de vivre pleinement en répondant à ses besoins.
Dans l’accompagnement que l’IDE met en place en service de maternité, il y a toutefois une spécificité qu’il est nécessaire de bien comprendre afin de bien la prendre en compte. En effet, la relation qui s’instaure entre l’IDE et le couple mère enfant a cette particularité d’être une relation triangulaire car elle implique plus de deux personnes dans la relation de soin.
Cette relation triangulaire ou triadique désigne la prise en charge de la mère et de l’enfant qui est indissociable dans un service de maternité et qui est assurée de manière égale et simultanée. L’infirmière est en interaction avec la mère mais aussi avec l’enfant, qui sont eux aussi en interaction l’un avec l’autre. Dans cette relation, l’infirmière privilégie la relation de la mère et enfant en prenant en compte leurs besoins.
- Développer et favoriser la qualité de la relation mère-enfant
Afin de développer et favoriser la qualité de la relation entre la mère et son enfant, l’IDE peut intervenir sur différents plans, à différentes étapes et au travers de différentes techniques qui devraient lui permettre non seulement de détecter les dysfonctionnements dans la mise en place de la relation, mais aussi de prévenir leur impact sur cette relation et d’y pallier au plus vite.
Nous tenterons de développer certaines de ces méthodes au sein de ce point.
En premier lieu, il existe la maternologie, qui est une «démarche thérapeutique qui s’attache à la dimension psychique de la maternité et qui prend en compte les difficultés de la relation mère-enfant»[22].
En effet, outre la naissance physique de l’enfant, il y a aussi la naissance psychique. Après l’accouchement, la mère donne naissance une seconde fois à son enfant, elle doit accepter que la maternité ne soit pas nécessairement innée afin de faire émerger ce sens maternel. Car une mère n’ayant pas encore donné naissance psychiquement à son enfant connaîtra un détachement affectif à l’égard de ce dernier et sera par conséquent dans l’impossibilité de répondre à ses besoins.
Les objectifs cliniques de la maternologie sont :
- Le dépistage des difficultés pré- et post natales
- L’accompagnement dans l’élaboration du lien mère-enfant
- La mise en place des conditions permettant la naissance psychique de l’enfant
- La prévention des troubles du développement et les actes de maltraitance de manière précoce.
Au sein de la relation triadique, l’IDE doit ainsi rester attentive aux aspects cliniques et comportementaux qui pourraient traduire que la relation mère/enfant est en péril. Ces signes sont à la fois à observer chez la mère (exemple : évite le contact avec l’enfant, semble préoccupée ou nerveuse, exprime des préoccupations, délaisse le nourrisson ou ne pas réceptive à ses signaux d’appel) ; mais aussi chez l’enfant. Au-delà de la santé physique de celui-ci et donc des maltraitances au sens où on l’entend habituellement, l’IDE doit donc être particulièrement attentive à la qualité du lien qui se construit et qui passe par les gestes et soins dont nous avons parlé dans les parties précédentes. Etant inclue dans ces moments privilégiés, l’IDE a toute les occasions de remplir au mieux les missions cliniques que nous venons de citer.
Il existe bien entendu des techniques plus précises que l’IDE peut utiliser afin de favoriser la relation mère-enfant à chaque étape de la naissance et de la suite de couches.
Dans les premiers instants suivant la naissance, on retiendra la technique du contact peau à peau ou CPP. Cette technique consiste à placer immédiatement l’enfant nu sur la poitrine nue de la mère. Elle repose sur la création d’un contact intime durant les premières heures qui suivent la naissance et peut favoriser l’attachement et les interactions entre la mère et le bébé par le biais de stimuli sensoriels comme le toucher, la chaleur et l’odeur. Recoupant les données scientifiques disponibles sur l’efficacité de cette technique, l’Organisation Mondiale de la Santé[23] statue que si les données disponibles ne sont pas suffisantes pour fournir des conclusions définitives sur l’efficacité de cette technique, les résultats des études réalisées suggèrent toutefois qu’elle est efficace pour réduire les pleurs, améliorer les interactions entre la mère et le nouveau-né, favoriser le confort du nouveau-né via une augmentation de la chaleur et favorise la réussite de l’allaitement maternel.
L’allaitement, en plus de participer au bon développement physique du nourrisson, constitue bien évidemment, et sans doute pour les mêmes raisons (proximité, contact sensoriel, etc., une technique importante pour favoriser le lien mère-enfant. Bien sûr, l’allaitement est sans doute souvent moins naturel et plus difficile que ce que la société véhicule aux jeunes mères. C’est pourquoi un accompagnement à l’allaitement est parfois indispensable et peut être mis en place justement par l’IDE. En 2006, la Haute Autorité de Santé[24] publie à ce titre deux documents ainsi que des outils relayant les prescriptions de l’Organisation Mondiale de la Santé pour la promotion de l’allaitement sous le libellé de Démarche qualité autour du soutien de l’allaitement maternel. Ces documents prescrivent quatre phases : (1) l’information sur l’allaitement durant la grossesse, (2) le démarrage de l’allaitement à la naissance, (3) l’installation de l’allaitement exclusif et (4) la poursuite de l’allaitement jusque six mois. La phase qui concerne surtout l’IDE est bien entendu la phase de démarrage de l’allaitement qui suit la naissance de l’enfant. L’objectif est alors de réunir les conditions physiologiques favorables à un démarrage physiologique de l’allaitement dont le processus est intégré à l’accouchement et aux soins post-partum immédiats. Les étapes sont décrites au travers d’une figure illustrée ci-dessous.
On voit, au travers de cette figure, à la fois que le contact peau à peau est important et recommandé, mais aussi qu’il existe d’autres paramètres à surveiller. L’IDE devra donc y être particulièrement attentive. Notamment le réflexe de fouissement. Grâce au réflexe de fouissement, le nouveau-né en contact peau à peau avec sa mère localise le sein avec son odorat et ses réflexes nutritionnels lui permettent de le prendre seul et de sa propre initiative. Il choisit de manière autonome le moment où il va commencer à téter.
D’autres facteurs[25]peuvent être identifiés comme favorisant la mise en place de l’allaitement. Chez la mère, il existe des facteurs propres qui pourront difficilement être modifiés tels que le statut sociodémographique (âge, statut marital, etc.), les expériences précédentes par rapport à l’allaitement, les choix personnel (ex. le fait d’avoir une grossesse désirée ou non), etc. Mais d’autres facteurs peuvent eux être pris en charge et les perceptions peuvent ainsi être modifiées dans l’objectif de favoriser l’allaitement et ainsi les interactions mère-enfant. Parmi ceux-ci, on peut citer les connaissances/représentation/croyances sur l’allaitement, la préparation à la naissance, la pratique, les facteurs psychosociaux comme la confiance en soit, etc. Chez l’enfant bien entendu, la prématurité, une faible prise de poids et le défaut du réflexe de succion peuvent mettre à mal cette étape sans que l’on puisse vraiment intervenir. Enfin, au-delà de la relation triadique, le soignant peut aussi avoir une influence, certes minime mais non moins importante, sur un dernier groupe de facteurs intervenant dans le démarrage et le maintien de l’allaitement, à savoir le soutien apporté par la famille, les amis et le conjoint, qu’elle peut valoriser et encourager.
La technique du peau à peau comme l’allaitement vont donc dans le sens de créer de l’intimité, de la complicité et du contact entre la mère et l’enfant. Le lien se construit à partir des rencontres entre la mère et l’enfant ; les moments d’intimité sont des temps forts pour construire cette relation (toilette, allaitement, réconfort, endormissement, peau-à-peau à décrire…). Ces moments partagés créent un climat émotionnel qui permet la construction du lien. L’IDE favorise ces temps singuliers durant lesquels la mère s’occupe de son bébé. Et, effectivement, il faut pouvoir mettre l’autre parent ou la famille de côté dans ces premiers moments en expliquant à ceux-ci l’importance de ces moments d’intimité mère-enfant.
En termes de communication, durant ces moments, l’IDE lui apprend à la mère à repérer les signes de bien-être ou de mal-être du nourrisson, l’encourage et la valorise. La mère échange alors avec l’enfant, est attentive à ce qu’il exprime, apprend à déceler. L’IDE encourage la mère à accomplir les soins à l’enfant en le regardant, en lui souriant ; elle lui apprend à être dans une « interaction réciproque » chaleureuse avec son bébé.
Enfin, elle peut accompagner la femme à son rôle de mère. Cela passe par l’acceptation : écouter la mère parler de sa maternité, lui permettre de dire ses difficultés et ses craintes, lui demander comment elle envisage le retour au domicile, lui expliquer les ressources qui existent dans l’accompagnement de sa maternité : la PMI, les lieux d’accueil mère-enfant (s’il existe un lieu type « Maison Vert » – Françoise Dolto, lui proposer de s’y rendre). En résumé : lui permettre de réfléchir avec elle à la place de sa mère dans cette maternité. En tant que soignant, elle se doit d’adopter une attitude réceptive et compréhensive qui favorisera ce genre de discussions que la mère ne peut peut-être pas avoir avec ses proches, notamment par peur d’être jugée.
Ces pratiques sont bien entendu décrites ici dans la forme qu’elles devraient idéalement prendre dans la pratique de l’IDE. Toutefois, il est important de confronter à ce stade le point de vue théorique avec la pratique réelle et de voir dans quelle mesure le système et les pratiques actuelles laissent la place et favorisent ce genre de démarches.
3. Enquête exploratoire
3.1. Méthodologie
J’ai choisi de baser mon enquête sur un entretien semi-directif (voir annexe 1). Ce type d’entretien permet à la personne interviewée de répondre librement à des questions ouvertes. Il permet le recueil de données qualitatives dans un cadre peu restreint par les limites qui peuvent être inhérentes à des questionnaires plus fermés (ex. choix multiples ou entretien directif). Ici, on propose plusieurs questions axées sur des thématiques définies à l’avance et qui nous permettent d’aborder les points importants de la question posée tout en laissant l’opportunité aux participants d’aborder des thèmes complémentaires ou d’exprimer leur ressenti.
Ce type d’entretien a été préféré en raison de la complexité du sujet et de la variabilité supposée des informations qui allaient être recueillies. Par ailleurs, ce genre d’outils est conseillé dans le cadre de recherche exploratoire, ce qui est le cas ici.
L’entretien que nous avons proposé se compose donc 18 questions divisées en 5 thèmes : talon sociologique, naissance de l’enfant, qualité de la relation, rôle de l’IDE et conclusions. Cette grille d’entretien a été construite sur bases des différents points abordés dans la partie théorique afin de comprendre comment les IDE comprennent les besoins du nouveau-né et les changements liés à la maternité, repèrent les problèmes dans la création du lien mère-enfant et les prennent en charge. L’objectif est réellement d’avoir leur vision des choses afin de voir si elle correspond à la théorie.
Les entretiens ont été réalisés en la présence exclusive de la personne interviewée et de moi-même dans une pièce appropriée. Ils ont ensuite été retranscrits (voir annexe 2). Les réponses et la participation étaient anonymes afin de favoriser un climat de confiance et des réponses honnêtes.
Les entretiens ont été réalisé en clinique privée et en hôpital public afin de ne pas biaiser l’expérience liée au lieu de travail et multiplier les points de vue.
3.2. Objectifs de l’enquête
L’objectif de l’entretien proposé est d’analyser les pratiques qui définissent le rôle et l’importance de l’IDE dans l’établissement du lien mère-enfant en service de suites de couche.
3.3. Population
Les entretiens ont été réalisés auprès d’infirmières et puéricultrices travaillant dans un service de suites de couche. Deux IDE et une IPDE ont été choisies dans le but de confronter la « qualité » de leurs connaissances et de leurs prise en charge avec leur expérience et leur formation.
L’infirmière n°1 est une infirmière puéricultrice diplômée depuis quinze ans et travaillant depuis cinq mois en maternité. Cette dame a une expérience en néonatalogie et a aussi travaillé en unité d’hospitalisation conjointe mère-bébé qui est une structure spécifiquement dédiée à la création de liens mère/bébé dans des contextes où celui-ci pourrait être mis en péril (par exemple : opération ou maladie psychiatrique de la mère).
L’infirmière n°2 est infirmière depuis douze ans et travaille en maternité depuis deux ans. Elle a suivi une formation allaitement depuis son arrivée en maternité.
L’infirmière n°3 est infirmière depuis moins d’un an et travaille en maternité depuis quatre mois. Elle n’a pas suivi de formation spécifique.
3.4. Résumé des entretiens
- La maternité et les changements liés à l’arrivée d’un enfant
Pour les personnes interrogées, la maternité est le fait de donner la vie mais aussi un processus qui démarre avant la conception et qui est élaborée parfois dès l’enfance. Globalement, elles sont conscientes des représentations liées à la maternité et au passage que la maternité représente dans la vie d’une femme, du passage symbolique entre le statut de femme et celui de mère en l’occurrence.
Elles sont également bien au fait des difficultés que représente ce changement de statut, qu’il existe des « mouvements psychologiques, hormonaux et familiaux (intergénérationnels) ». Qu’il peut exister des décalages, des difficultés à la rencontre, qui peuvent être en contradiction avec ce que la mère reçoit comme message sur la maternité (livres, médias, etc.). Ces difficultés sont considérées comme normales par les répondantes. L’infirmière n°2 souligne ainsi « que ce n’est pas forcément inné pour toute les femmes ».
- Les besoins du nouveau-né
En termes d’identification des besoins du nouveau-né, elles insistent sur le besoin de contact avec la mère au-delà même des besoins primaires (nutrition et soins) que l’infirmière n°2 qualifie de « très techniques ». L’infirmière n°1 parle de besoin de contact fusionnel pour offrir une transition sur le plan sensoriel entre le milieu intra-utérin et l’éveil des sens induit par l’environnement réel et concret. Cette excitation sensorielle doit selon elle être apaisée par un retour au plus près des conditions que le nouveau-né a connues jusque-là (odeur, bruits du corps, position « en boule », etc.) ; la meilleure façon d’y parvenir étant de favoriser le contact peau à peau avec la mère.
- La satisfaction des besoins affectifs, la création du lien et ses difficultés
Toutefois, elles reconnaissent que ces besoins ne sont pas toujours satisfaits ou ne peuvent pas l’être, que cette fusion qu’elles estiment pourtant nécessaire et idéale, n’est pas toujours possible. L’infirmière n°1 souligne ainsi qu’elle remarque que les mamans sont souvent centrées sur leur propre corps et les changements de celui-ci dans les moments qui suivent la naissance ; surtout en cas de césarienne. Le vécu alors difficile (psychologiquement ; notamment par rapport à la culpabilité de ne pas avoir pu accoucher par voie basse) et la douleur empêchent, selon elle, dans une certaine mesure, la proximité. D’autant plus que les enfants, abasourdis par cette expérience relativement traumatique, peuvent aussi être moins réceptifs et donc moins favoriser l’interaction avec la mère et que la rupture est plus rapide puisque ces enfants sont mis en nurserie la nuit, comme le mentionne l’infirmière n°2. C’est aussi le cas pour les grossesses non-désirées (mais aussi les dénis de grossesses ou encore le fait que la grossesse était un projet du père et non de la mère), comme le souligne l’infirmière n°2, qui peuvent être moins propice au développement des interactions précoces.
- Apprécier le lien mère-enfant
En termes d’appréciation de la qualité de la relation mère-enfant, l’infirmière n°1 souligne qu’il n’y a pas vraiment de bonnes ou de mauvaises relations, l’important est que cette relation existe, qu’il y ait une rencontre et un attachement.
L’existence de cette relation est alors appréciée sur base des indices qui suggèrent que la mère est réceptive ou non aux besoins de son bébé en termes de proximité physique (si elle le porte peu, si elle s’en éloigne, si elle le regarde peu, le confie beaucoup aux autres, etc.) ou psychologique (si elle pleure beaucoup, si elle est anxieuse, si elle ne semble pas avoir du plaisir à s’en occuper, si elles posent peu ou pas de questions ou pas forcément sur le bébé mais plutôt sur elles-mêmes, etc.).
Toutefois, il peut être difficile d’apprécier la relation ou de percevoir les signaux qui indiquent que le lien ne se crée pas durant la courte période durant laquelle les mères sont présentes. D’autant plus qu’encore une fois, les bébés sont parfois très calmes en raison de la fatigue qu’ils éprouvent suite à l’accouchement.
- Favoriser le lien mère-enfant
Concernant la façon de favoriser le lien, il existe tout d’abord des ateliers qui ont lieu trois fois par semaine pour comprendre les compétences et le ressenti des bébés, ce que souvent les parents ignorent. Cela se fait aussi de manière plus spontanée dans l’interaction, par des suggestions par exemple sur les effets de la mère sur son enfant mais sans jugement. Par exemple, les infirmières peuvent dire à une maman « regardez comme votre petit bébé est détendu quand il est contre vous ». Ce genre de suggestion apaise la mère dans son rôle et donne une impression de compétence. Il ne faut pas forcément leur dire quoi faire mais plutôt les accompagner et les aider à observer la façon dont le bébé se comporte dans et en dehors de l’interaction. Il faut éviter le jugement à tout prix, accompagner les parents dans leur cheminement et surtout s’adapter à leur histoire personnelle et leur faculté à s’adapter aux besoins de l’enfant.
Ces facultés peuvent être très différentes selon les femmes (certaines adoptant naturellement les attitudes adaptées, d’autres pas) et très marquées aussi par les préjugés (exemple : ma mère m’a dit que si je prenais trop mon bébé dans mes bras, j’en ferai un enfant capricieux).
L’infirmière n°1 souligne aussi que ce manque d’instinct est peut-être lié à la société actuelle qui pose beaucoup de questions, laisse beaucoup de place à la réflexion et beaucoup moins à l’instinctif. Cela expliquerait selon elle pourquoi les choses semblaient plus naturelles pour les mamans des générations antérieures et devient de plus en plus difficile, et donc nécessite de plus en plus d’accompagnement, pour les jeunes mamans actuelles.
Plus concrètement, les moyens de favoriser et d’encourager la création du lien entre la mère et le nouveau-né reprennent les techniques abordées en théorie ; à savoir l’allaitement, les soins du bébé, le peau à peau, etc.
Une fois que les « signaux d’alarme » sont détectés, l’infirmière ou la puéricultrice peut porter une attention plus particulière à la maman, suggérer de la garder plus longtemps en maternité, ou même préconiser le passage d’une sage-femme au domicile.
L’importance du travail en équipe est aussi soulignée (l’infirmière n°2 évoque la complémentarité des rôles des différents soignants auprès de la mère et du bébé), ainsi que le fait de considérer les familles dans leur individualité. L’infirmière n°1 souligne que « il n’y a pas une bonne manière de faire, mais autant de bonnes manières que de familles ».
- Les risques liés à l’absence de lien mère-enfant
En termes de risques, elles estiment que les troubles de la relation graves (psychopathologie) sont assez rares en maternité et sont bien évidemment signalés, mais que plus probablement, un lien insuffisant peut mener effectivement à des conséquences sur le bébé (exemple : développement ralenti, refuge dans le sommeil/dépression du bébé, refus de s’alimenter, etc.). Cependant, comme l’évoque l’infirmière n°1, ce genre de conséquences ne sont pas systématiques. Elle souligne ainsi qu’il existe des bébés qui « malgré une relation très carencée, s’en sortent très bien et arrivent à dépasser ça, à trouver des ressources (…) qui ont des ressources incroyables, de là à favoriser l’initiative chez la mère. Des bébés avec des mères très déprimées qui vont aller chercher leur mère ». Il faut donc aussi être prudent dans l’évaluation du lien. L’infirmière n°2 souligne également que si la maltraitance physique des bébés est un risque assez isolé, la maltraitance psychique, en termes de non-réponse aux besoins de l’enfant, est plus courante.
- Les difficultés de l’IDE
Enfin, en ce qui concerne les difficultés rencontrées dans l’accompagnement, elles sont surtout de l’ordre du doute qu’il peut exister par rapport à la précision de l’évaluation mise en place mais aussi du suivi à la sortie du service. Les infirmières et puéricultrices se trouvent investie d’une grande responsabilité à la fois pendant l’hospitalisation mais aussi à la sortie et quant au suivi ; ce qui peut parfois amener un certain stress. L’infirmière n°1 souligne que parfois l’aide et le suivi sont refusés par certaines familles et que cela peut sembler difficile pour les intervenants qui sentent une certaine détresse. Enfin, la détresse psychologique de la mère liée à la séparation (notamment en cas de prématurité) est aussi évoquée comme étant vécue difficilement par les accompagnants et le personnel soignant.
3.5. Analyse des entretiens
Concernant la maternité et les changements liés à l’arrivée d’un enfant, on retrouve une grande cohérence entre ce qui est mentionné par les infirmières interrogées et les éléments rapportés au sein de la littérature : à savoir que ce processus de maternité est évolutif et maturatif, qu’il démarre bien avant la grossesse, dans le désir formulé ou non d’avoir un enfant, se construit durant la grossesse et continue d’évoluer après la naissance de l’enfant. Les changements de statuts mentionnés par Freud sont aussi quelque chose qui ressort dans le discours des infirmières, ce statut de mère, particulier, qui ancre la femme dans une position nouvelle au niveau de l’histoire générationnelle.
Le concept de préoccupation maternelle primaire est aussi rencontré dans le discours, pas forcément sous ce termes et aussi avec quelques nuances. En effet, les infirmières reconnaissent les bouleversements psychologiques, affectifs et hormonaux liés à la naissance de l’enfant mais cet accordage aux besoins de l’enfant n’est pas aussi naturel que cela pourrait être théoriquement évoqué. En effet, si la facette de vulnérabilité psychologique de ce concept est bien rencontrée, la centration sur l’enfant et ses besoins n’est pas toujours présente. Elle peut d’ailleurs être mise à mal de nombreuses façons comme l’évoquent les personnes interrogées (ex. dépression, douleurs physiques liées à des complications, enfant non désiré, etc.).
Les besoins du nouveau-né sont quant à eux très clairement identifiés par les infirmières comme étant ceux repris dans la littérature. Dans leur discours, les besoins physiques (nourriture et soins) sont très clairement placés au « second plan » par rapport aux besoins affectifs et à la proximité avec la mère. Elles sont également conscientes des aspects psychiques et développementaux qui risquent d’être mis en péril si ce lien n’est pas établi.
Bien entendu, leur expérience leur confère une avance sur la théorie en termes des facteurs qui peuvent venir bloquer la création de ce lien. Ainsi, elles soulignent plusieurs éléments importants et peu repris dans la théorie.
En premier lieu, la réciprocité des interactions. Là où la théorie a tendance à se focaliser sur les compétences de la mère, les infirmières rapportent aussi des éléments liés aux compétences du nouveau-né. Celui-ci, de par sa condition (fatigue, naissance difficile, etc.), ou ses attitudes, va pouvoir soit favoriser soit entraver le contact et le lien. Cette composante propre à l’enfant se retrouve aussi en termes d’évolution : une infirmière souligne ainsi que parfois, malgré l’absence de lien, l’enfant ne présentera pas de difficultés majeures dans son développement psycho-affectif. Cela amène ainsi une réflexion quant à la réciprocité des interactions et l’individualité des relations également.
En second lieu, elles « osent » remettre en question le caractère inné des compétences d’accordage dont nous parlons. Ainsi, si la littérature concède que le lien est parfois difficile à établir, il est généralement malvenu de dire que l’instinct maternel n’existe pas en soi ; en tout cas pas de manière équivalente chez toutes les femmes. Les infirmières interrogées préfèrent quant à elles partir de ce principe, sans dramatiser, mais en mettant l’accent en conséquences sur le développement des connaissances et compétences de la mère.
C’est ainsi un des aspects évoqués par les répondantes mais peu dans la théorie : parfois, au-delà des méthodes traditionnelles (peau à peau, allaitement, soins, etc.), il faut verbaliser les choses (mettre des mots sur les interactions) et transmettre directement les notions aux parents.
Toutes les infirmières évoquent également le principe de respect et de non-jugement ; ce qui semble fondamental dans la pratique mais avait peu été retrouvé dans la littérature.
Un élément complémentaire et qui semble également important est que toutes les familles ne sont pas désireuses d’un accompagnement. Aussi, le refus d’aide peut-être à la source de détresse chez les infirmières.
Enfin, il faut noter que les personnes interrogées ont une expérience tout à fait différente ; que ce soit en termes d’années de travail, de formation complémentaire (en termes de maternité) ou encore de services fréquentés. Cela se ressent dans les éléments du discours. On peut ainsi noter chez l’infirmière n°1, qui a une expérience plus longue et a pu fréquenter des services de maternité dans lesquels le lien était plus difficilement créé, des connaissances plus approfondies, un discours plus construit et une sensibilité particulière aux éléments évoqués ; par rapport par exemple à l’infirmière n°3, fraîchement diplômée et qui semble quant à elle moins au fait de la problématique. Cela n’empêche pas, comme nous avons pu le montrer, une certaine cohérence entre elles et de nombreux éléments communs ont toutefois pu être dégagés dans les réponses fournies.
3.6. Limites méthodologiques
Concernant les limites de cette enquête, nous pouvons souligner plusieurs éléments. Tout d’abord les difficultés liées aux entretiens : lors des interviews, nous avons souvent été dérangées, ce qui a pu provoquer chez les infirmières interrogées une perte du fil de leur pensée et donc l’absence de certains éléments qui auraient été présents dans leur discours dans le cas où l’entretien aurait pu être mené dans le calme. Ensuite, par rapport au recrutement, nous avons dû faire face à de nombreux obstacles sous la forme de démarches administratives, de difficultés à contacter les cadres, d’annulation, etc.
4. Conclusions
Le lien mère-enfant est une composante fondamentale du processus de maternité et du développement physique et psycho-affectif du nouveau-né. Les développements théoriques à ce sujet sont nombreux et nous avons pu voir qu’ils sont rejoints par l’expérience des infirmières travaillant en service de suites de couche.
Ces entretiens, très cohérents en termes de contenu, ont permis de tirer plusieurs conclusions et d’extraire plusieurs directives quant au rôle de l’IDE dans ce genre de service pour favoriser et encourager la création de ce lien si important.
La première étant que l’observation est fondamentale. L’infirmière se doit d’être attentive aux signaux qui indiquent que la mère pourrait ne pas être réceptive aux besoins de son enfant et donc que le lien qui devrait se créer est en péril. Elle se doit également de partager son expérience et de favoriser l’intervention et la discussion pluridisciplinaire sur les difficultés qu’elle a pu observer afin de mettre en place les interventions adaptées.
Ces interventions peuvent prendre plusieurs formes : du développement des connaissances théoriques qui font parfois défaut chez les jeunes parents à la création de situations d’interactions propices à la proximité et la complicité, ou encore à la verbalisation des signes d’apaisement chez l’enfant lorsque celui-ci est en contact avec la mère.
Quoiqu’il arrive, en aucun cas elle ne doit juger ou se montrer réprobatrice à l’égard des parents. Elle les accepte avec leur histoire, leur individualité, leurs parcours et leurs connaissances et adapte ses méthodes et son discours à ceux-ci. Elle se montre bienveillante et compréhensive, prête à entendre les peurs et la détresse que les mères n’osent pas toujours exprimer.
Enfin, certes le bébé doit être aimé et investi ; mais cela ne peut passer que par le fait que la mère se sente elle-même rassurée, écoutée et soutenue.
Bibliographie
Ouvrages et articles
- Le Petit Robert, Edition 2002
- Larousse de poche 2015, Edition Larousse
- G. Séraphin (2007), « La filiation recomposée : origines biologiques, parenté et parentalité », Recherches familiales, n°4, pp. 3-12.
- S. Freud (1915, 1988). « Pulsions et destin de pulsions ». Unpublished manuscript, PARIS.
- D.W. Winnicott (1956), « La préoccupation maternelle primaire », De la pédiatrie à la psychanalyse, Paris : Payot.
- G. L . Bibring « Some considerations on the psychological processes in pregnancy » Psychoanal. Study of the Child, 1959, 14, pp. 113-123
- M. Paccoud (2002) « La naissance : vivre la séparation, créer des liens », Naissance et séparation, Toulouse : ERES , «Les Dossiers de Spirale».
- M. Rufo (2007) « Détache-moi : se séparer pour mieux grandir ». Paris : Librairie Générale Française.
- P. Lequien (2005) « Le nouveau-né ». Paris : Armand Collin
- M. Thirion (2002) « Les compétences du nouveau-né ». Paris : Albin Michel
- V. Prior & D. Glaser (2010) « Comprendre l’attachement et les troubles de l’attachement ». Bruxelles : De Boeck.
- D.W. Winnicott (1989) « De la pédiatrie à la psychanalyse. » Paris : Payot.
- Organisation Mondiale de la Santé (OMS). CIM-10 / ICD-10 Classification internationale des troubles mentaux et des troubles du comportement : critères diagnostiques pour la recherche. Paris : Masson, 2000.
- M. Blondel & V. Lejeune (2005) « Gynécologie, obstétrique et soins infirmiers, 2e Edition », Editions Lamarre.
- A. Manoukian & A. Masseboeuf (2008). « La relation soignant-soigné ». Editions Lamarre.
- Puig G, Sguassero Y. Contact peau à peau précoce des mères et de leur nouveau-né en bonne santé : Commentaire de la BSG (dernière révision : 9 novembre 2007). Bibliothèque de Santé Génésique de l’OMS ; Genève : Organisation mondiale de la Santé.
Sites internet
- https://www.uclouvain.be/cps/ucl/doc/reso/documents/Dos31.pdf
- http://www.mpedia.fr/58-professionnels-sante.html
- http://www.la-psychologie.com/experience%20ainsworth.htm
- http://www.who.int/maternal_child_adolescent/topics/newborn/care_at_birth/fr/
- http://www.les-supers-parents.com/les-16-besoins-fondamentaux-de-tous-les-enfants/
- http://devenirparents.over-blog.fr/article-les-besoins-de-l-enfant-selon-maslow-62001068.html
- http://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_449049/fr/favoriser-lallaitement-maternel-processus-evaluation
- http://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2010-10/favoriser_lallaitement_maternel_processus_-_evaluation_guide_2006.pdf
- https://www.uclouvain.be/cps/ucl/doc/reso/documents/Dos41.pdf
ANNEXE 1 : Grille d’entretien semi-directif
Etudiante en soins infirmiers en 3eme année à l’I.F.I.Théodore Simon, je réalise une enquête exploratoire dans le cadre de mon mémoire de fin d’études relevant des unités d’enseignements 3.4 «Initiation à la démarche de recherche» et 5.6 «Analyse de la qualité et traitement des données scientifiques et professionnelles» du semestre 6. Mon travail a pour thème : Comment apprécier la qualité d’une relation mère-enfant dans un service de maternité en suites de couches ?
Je vous remercie par avance pour le temps que vous consacrerez à ce questionnaire anonyme, ainsi que pour les éléments que vous apporterez à cette réflexion.
Ce questionnaire d’environ 30 minutes, sera retranscrit, et utilisé dans le cadre de mon travail.
I – Talon sociologique
- Quelle est votre qualification ? IDE/IPDE ?
- Depuis quand êtes-vous diplômé IDE/IPDE ?
- Depuis quand travaillez-vous en maternité, suite de couches ?
- Avez-vous suivi des formations spécifiques dans ce service ou au cours de votre parcours professionnel ? (en rapport avec le thème cité précédemment)
II – Ce qu’introduit la naissance de l’enfant
- Qu’est-ce que pour vous le concept de maternité ?
- Est-il toujours facile pour les femmes que vous prenez en charge de devenir mère ?
Pourquoi ?
- Quels sont les besoins du nouveau-né que vous identifiez comme prioritaire à être pris en charge par sa mère ?
- Ces besoins sont-ils généralement satisfaits ? Pourquoi ?
III– Les qualités de la relation mère-enfant
- Sur quoi vous appuyez vous pour apprécier la qualité de la relation mère-enfant ?
- Quelles sont les principales difficultés que vous observez dans la relation mère-enfant ?
- Comment observez-vous qu’une mère a des difficultés dans sa relation avec son enfant ?
- Quels sont les risques encourus si la relation mère-enfant est perturbée ?
III – Rôle IDE en maternité suites de couches
- Quels sont pour vous, les rôles principaux de l’IDE/IPDE au sein d’un service de maternité en suites de couches ?
- Comment accompagnez-vous la mère et son bébé dans les premiers jours de vie ?
- Que mettez-vous en place lorsque vous percevez une difficulté dans la relation mère enfant ?
- Quelles sont les difficultés que vous rencontrez dans cet accompagnement ?
- A quoi ces difficultés sont-elles dues, à votre avis ?
IV- Conclusion
- Avez-vous quelque chose de particulier que vous souhaiteriez évoquer, en regard de la thématique de ma recherche ?
ANNEXE 2 : Retranscription des entretiens
*entretiens retranscrits*
[1] Larousse de poche 2015, Edition Larousse
[2] G. Séraphin (2007), « La filiation recomposée : origines biologiques, parenté et parentalité », Recherches familiales, n°4, pp. 3-12.
[3] S. Freud (1915, 1988). « Pulsions et destin de pulsions ». Unpublished manuscript, PARIS.
[4] D.W. Winnicott (1956), « La préoccupation maternelle primaire », De la pédiatrie à la psychanalyse, Paris : Payot.
[5] G. L . Bibring « Some considerations on the psychological processes in pregnancy » Psychoanal. Study of the Child, 1959, 14, pp. 113-123
[6] M. Bydlowski (1991) « La transparence psychique de la grossesse » Etudes Freudiennes, 32, pp. 2-9
[7] M. Paccoud (2002) « La naissance : vivre la séparation, créer des liens », Naissance et séparation, Toulouse : ERES , «Les Dossiers de Spirale».
[8] M. Rufo (2007) « Détache-moi : se séparer pour mieux grandir ». Paris : Librairie Générale Française.
[9] P. Lequien (2005) « Le nouveau-né ». Paris : Armand Collin
[10] M. Thirion (2002) « Les compétences du nouveau-né ». Paris : Albin Michel
[11] http://www.who.int/maternal_child_adolescent/topics/newborn/care_at_birth/fr/
[12] B. Cyrulnik (1997) « Les nourritures affectives ». Paris : Odile Jacob, pp. 109
[13] C. Mareau & A. Vanek Dreyfus (2004) « L’indispensable de la psychologie ». Studyrama.
[14] http://www.la-psychologie.com/experience%20ainsworth.htm, site web visité le 19/03/2015
[15] V. Prior & D. Glaser (2010) « Comprendre l’attachement et les troubles de l’attachement ». Bruxelles : De Boeck.
[16] Mélanie Klein, psychanalyste.
[17] D.W. Winnicott (1989) « De la pédiatrie à la psychanalyse. » Paris : Payot.
[18] Organisation Mondiale de la Santé (OMS). CIM-10 / ICD-10 Classification internationale des troubles mentaux et des troubles du comportement : critères diagnostiques pour la recherche. Paris : Masson, 2000. 305 p.
[19] V. Prior & D. Glaser (2010) « Comprendre l’attachement et les troubles de l’attachement ». Bruxelles : De Boeck.
[20] M. Blondel & V. Lejeune (2005) « Gynécologie, obstétrique et soins infirmiers, 2e Edition », Editions Lamarre.
[21] A. Manoukian & A. Masseboeuf (2008) « La relation soignant-soigné ». Edition Lamarre.
[22] Le petit Robert, Edition 2002
[23] Pui, G., Sguassero, Y. Contact peau à peau précoce des mères et de leur nouveau-né en bonne santé : Commentaire de la BSG (dernière révision : 9 novembre 2007). Bibliothèque de Santé Génésique de l’OMS ; Genève : Organisation mondiale de la Santé.
[24] http://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_449049/fr/favoriser-lallaitement-maternel-processus-evaluation
[25] https://www.uclouvain.be/cps/ucl/doc/reso/documents/Dos41.pdf
Nombre de pages du document intégral:42
€24.90