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L’attractivité économique du droit justifie-t-elle qu’on impose un seul système de droit au détriment de la disparition du système de droit continental ?

 INTRODUCTION

 

L’impact des institutions du marché du travail sur l’emploi et l’économie est un sujet d’actualité qui fait raviver les débats.  L’économie européenne, de part sa rigidité du marché du travail, en est la plus discutée étant donné ses mauvaises performances par rapport à celle des Etats-Unis. La Banque Mondiale affirme même que si les pays en développement assouplissaient leur marché du travail, ils pourront profiter des bienfaits de la mondialisation[1]. Mais cela n’a pas apporté de véritables solutions si l’on tient compte des effets de la règlementation du travail sur les marchés et sur la performance économique.

 

Jusqu’à aujourd’hui, les différentes études empiriques et théoriques qui ont été menées montrent que la législation sur la protection de l’emploi (LPE) est encore « sévère », tant sur le nombre de mois de préavis pour un licenciement individuel que sur le montant des indemnités de départ. C’est ainsi que l’OCDE a mis en place des indicateurs de protection de l’emploi pour pouvoir mettre à jour la réglementation du licenciement individuel, du licenciement collectif et des contrats temporaires. Mais la mondialisation des réformes du marché du travail impose une remise en question ces indicateurs.

 

C’est pour cette raison que la Banque Mondiale décide de publier des rapports critiques pour les droits civiles, un rapport intitulé Doing Business en 2004 et Understanding regulation et Doing business en 2005. Dans ces rapports Doing Business, la Banque Mondiale émet l’idée d’établir des indicateurs pouvant mesurer l’efficacité de l’environnement règlementaire du monde des affaires et ce, en fonction de l’expression mise en œuvre. En pratique, l’objectif de ces rapports consiste à évaluer les systèmes juridiques par rapport à leur efficacité dans le commerce et le développement économique.

Pour la Banque Mondiale, l’essentiel est donc de faciliter l’accès au monde des affaires où les indicateurs prennent en considération les différents coûts de transaction (procédures, durée, coût) pour que la règlementation des Etats soit classer comme il se doit. L’objectif de ces rapports se résume alors en ces mots : « l’existence d’une règlementation efficace de l’activité économique est nécessaire pour assurer la croissance, mais elle ne doit pas devenir une entrave au développement »[2]. Autrement dit, au-delà des règles elles-mêmes, les autres normes qui viennent s’y ajouter présentent un obstacle au développement économique. Ce qui implique une simplification du droit.

 

Si l’on se réfère à ces rapports, le Doing Business est donc un droit du travail qui œuvre dans la protection des travailleurs contre toute forme de discrimination, d’arbitraire et de mauvais traitements. S’ajoute à cette idée le fait que toute règlementation trop rigide équivaut à une augmentation du taux de chômage. Nous revenons donc à l’idée de la Banque Mondiale d’assouplir les réformes du droit du travail car selon cette dernière, ce sont les droits les plus souples qui ont fait preuve de plus d’efficacité. La Banque Mondiale estime, de ce fait, que les systèmes juridiques de common law[3] sont plus efficaces que les systèmes continentaux car ces derniers sont moins souples que le common law[4] et que cette rigidité, notamment en ce qui concerne le droit de licenciement, est source de chômage ; d’où l’idée de la Banque Mondiale de faire de ce système un modèle juridique universel.

 

C’est justement cette réflexion qui a inspiré le présent sujet et nous a conduit à traiter le thème des « Rapports Doing Dusiness et analyse économique du droit » car selon toujours les conclusions de ces rapports, le droit civile continental (d’origine française) est perçu comme étant un handicap au développement des transactions économiques, contrairement au système de common law, qui lui est présenté comme plus efficace. Dans ces rapports, nous comprenons alors que la tradition juridique française est particulièrement critiquée.

 

Dans ce cadre, notre souci est donc d’expliquer le rôle de la Banque Mondiale dans ces rapports Doing Business tout en essayant de faire ressortir de nouvelles conceptions ou notions sur l’aspect du capitalisme moderne (efficacité économique du droit ou attractivité économique du droit). Tout ceci afin de montrer que ces rapports font naître une certaine compétition entre les droits common law et la tradition civiliste. En effet, ces rapports remettent en cause le droit de la tradition civiliste de manière à imposer pacifiquement le common law comme système juridique dans le monde. Il est aussi évident de comprendre que comme la Banque Mondiale est une filiale américaine, ces rapports suggèrent l’idée d’américanisation du droit.

 

Tout cela nous amené aux questions de départ se rapportant aux idées suivantes :

 

  • Les deux systèmes ne peuvent-ils pas coexister en même temps étant donné qu’en pratique les deux droits aboutissent aux mêmes résultats
  • Ces rapport ne sont-ils pas contestables tant au niveau méthodologique que sur le choix des indicateurs étant donné que ces derniers peuvent permettre d’arriver à une justice économique moderne ?

 

Ces réflexions nous a d’ailleurs conduit à notre problématique qui est : « L’attractivité économique du droit justifie-t-elle qu’on impose un seul système de droit au détriment de la disparition du système de droit continental ? »

 

Afin de mieux cerner cette problématique, nous allons dans un premier temps mettre en évidence l’analyse économique du droit par le prisme des rapports Doing Business. Cette partie sera consacrée à la présentation des rapports Doing Business pour pouvoir dégager une idée de compétition ou même d’opposition entre la tradition civiliste du droit et la common law ; ainsi que le rôle et l’influence de la Banque mondiale dans les rapports Doing Business.

Dans la deuxième partie de notre travail, nous allons nous consacré à la contribution des rapports Doing Business afin de comprendre s’ils optent vers une efficacité économique du droit ou vers une efficacité limitée.

 

 

PARTIE 1 : L’analyse économique du droit par le prisme des rapports Doing Business

 

L’argumentation que nous visons de développer dans cette partie s’appuiera principalement sur les rapports Doing Business, dont les indicateurs statistiques mis en place par la Banque Mondiale et l’OCDE. Nous présenterons les rapports Doing Business proprement dits pour pouvoir apporter une explication à l’analyse économique du droit et aboutir par la suite à la compétition qui existe entre les deux systèmes (tradition civiliste du droit et common law) ainsi qu’au rôle et à l’influence de la Banque mondiale dans les rapports Doing Business.

 

  1. Présentation des rapports Doing Business

 

  1. Qu’est-ce qu’un rapport Doing Business ?

Par définition, Doing Business est un programme qui vise à mener une étude annuel de l’environnement juridique où « les entreprises exercent leurs activités à  travers le monde ». Ce programme compte trois rapports jusqu’à aujourd’hui : le rapport Doing Business 2004 (Understanding Regulation), le rapport Doing Business 2005 (Removing Obstacles to Growth) et, le rapport Doing Business 2006 (Creating job). Mis en œuvre par l’une des cinq institutions de la Banque Mondiale, le département Private Sector Development de l’International Finance Corporation (IFC), le programme Doing Business se caractérise par son attachement à l’impact de l’environnement juridique sur le développement des entreprises privées.

 

Notons que cette institution de la Banque Mondiale a pour responsabilité d’apporter des financements aux projets qui ont les mêmes conditions que celles des opérateurs privés, mais aussi de procurer une expertise aux entreprises et aux gouvernements de pays en voie de développement. C’est justement dans ce cadre que l’IFC a mis en place des programmes d’études sur l’environnement des entreprises privées, destinés notamment aux pays émergents ou en voie de développement.

 

C’est ainsi que le programme Doing Business a pris part dans cette initiative dont l’objet consiste premièrement à rassembler des informations pour décrire sommairement l’environnement juridique de chaque pays, donc comprendre et comparer les différents systèmes nationaux ; mais aussi dans un second lieu, de procéder à une démarche de « benchmarking » des législations (évaluation de choses semblables). Cette démarche a pour objectif de faire une évaluation, d’apporter un jugement de valeur sur ces législations afin d’identifier les meilleures.

 

Par ailleurs, Doing Business est en filiation intellectuelle avec le groupe LLS (groupe d’universitaires américains ayant réalisés des travaux de recherche et encadré par le Professeur A. Shleifer, fondateur de l’école de pensée dont le mouvement Law and Finance), ce qui implique que le programme a puisé ses racines intellectuelles du prisme LLSV. C’est ce qui explique d’ailleurs, la démarche adoptée dans ces rapports.

 

Les rapports Doing Business ont donc été publiés par l’IFC en 2004 dans le but d’offrir à 181 pays une mesure qui faciliterai à faire des affaires et ce, grâce à des indicateurs, plus précisément 10 indicateurs. C’est ainsi que le « ranking » ou classement par pays est établi.

 

Ces indicateurs Doing Business consistent entre autres à offrir une mesure de la :

 

  • facilité de création d’entreprise
  • facilité d’octroi de licences
  • facilité d’embauche des travailleurs
  • facilité de transfert de propriété
  • facilité d’obtention de prêts
  • facilité de protection des investisseurs
  • facilité de paiement des impôts
  • facilité du commerce transfrontalier
  • facilité d’exécution des contrats
  • facilité de fermeture d’entreprises

 

  1. Les principes de l’analyse des rapports Doing Business

Les principes de l’analyse des rapports Doing Business suivent des grandes lignes qui sont, en général, d’ordre quantitatif :

 

  • un principe qui se base sur un système unique où tout le monde y trouve son compte (one size fits all)
  • un principe qui stipule que la loi écrite nuit à l’évolution économique
  • un principe qui suggère que les pays pauvres sont ceux qui légifèrent le plus
  • un principe qui suppose que plus on réforme, mieux l’économie se porte. Ce qui implique aussi que moins on légifère, mieux l’économie se porte ; c’est une idée paradoxal car il est évident qu’il est difficile de réformer sans légiférer
  • un principe qui estime qu’un système d’origine jurisprudentielle se prête mieux aux évolutions sociales qu’un système de droit écrit.

 

Nous comprenons alors que ces principes du Doing Business reposent sur le postulat du groupe LLSV où « le cadre juridique d’une économie, c’est-à-dire sa législation, en commande le développement »[5]. Autrement dit, une bonne législation pourrait être en mesure d’activer le développement économique, alors qu’une législation inadaptée pourrait au contraire freiner ou stopper le développement. D’où la nécessité de commencer par une réforme du cadre législatif.

 

  1. Appréciation de la méthode mise en œuvre par les rapports Doing Business

 

La méthode mise en œuvre par les rapports Doing Business, est de ce fait, une méthode qui se caractérise par le fait qu’elle délaisse quelque peu les outils traditionnels du droit comparé car ces derniers étant considérés comme « trop peu opérationnels ». Ainsi, inspirés par la méthode du groupe LLSV, les rapports Doing Business se fonde sur l’utilisation de l’économétrie. C’est alors un renouvellement de la méthode du droit comparé dans la pensée d’en faire un instrument de mesure efficace.

 

Les principes de l’analyse économétrique se résument par la définition même de la notion d’économétrie : « Par la force des choses, les sciences humaines se heurtent à une difficulté : l’impossibilité de pratiquer des expériences  in vivo. Il ne paraît pas en effet concevable d’isoler un groupe humain pour vérifier si son comportement confirme ou non une théorie. La vérification des théories se fait nécessairement différemment. En économie, il s’est développé un champ d’étude qui cherche à fournir des instruments à même de surmonter cette impossibilité : l’économétrie. L’économétrie développe les moyens par lesquels il serait possible de tester scientifiquement une théorie sur le comportement des individus sans avoir recours à une expérimentation in vivo »[6].

 

C’est pourquoi nous affirmons que la méthode mise en œuvre par les rapports Doing Business se fonde sur l’application de techniques mathématiques et statistiques dans le but d’avoir une sorte d’interdépendance entre les différentes phénomènes économiques ou encore une corrélation. Il est donc question d’établir une corrélation (A) vers une interprétation de cette corrélation (B).

Cependant, la mise en œuvre de cette méthode est critiquable car c’est une démarche qui repose sur des propositions à vérifier (A) grâce à une grille de lecture préétablie, pour ensuite passer à la vérification de ces mêmes proposition en suivant cette fois-ci, l’établissement de corrélations significatives (B).

 

Nous estimons que c’est une méthode critiquable dans la mesure où les propositions à vérifier doivent, selon les postulats du Doing Business, reposer sur la protection des droits de propriété ; et selon toujours ces postulats, pour le bon développement d’une économie capitaliste et d’une entreprise, la méthode doit commencer par la mise en place d’une grille de lecture. Cette démarche peut être préjudiciable et peu convaincante car elle peut causer soit un risque d’expropriation par un intérêt privé, soit un risque d’expropriation par la puissance publique.

 

  1. Qu’est-ce que l’analyse économique du droit ?

 

Bien souvent on entend parler d’efficacité économique du droit. C’est un terme assez difficile à cerner car « efficacité » suggère un jugement de valeur.

Au sens strict du terme donc, « économique » sous entend une activité humaine, une activité qui a pour objectif de produire, de distribuer,  d’échanger et de consommer et des produits et des services. Et au sens large, donc selon un sens plus réaliste, le terme économique renvoie à une activité humaine dans sa dimension de production, consommation, sociale et politique. Dans ce sens, « tout le droit à une dimension économique », d’où l’élargissement de l’analyse économique du droit ou AED.

 

L’attractivité économique du droit ou l’efficacité économique du droit est donc envisageable si et seulement si, l’on part d’un modèle économique donné car c’est comme cela que le mouvement Law & Economics (1950) a élargi son champ. C’est ainsi que nous comprenons que l’efficacité économique n’est pas un concept, loin de là. Il n’est donc pas seulement question de l’apprécier grâce aux outils de l’analyse économique ; mais de reconnaître sans conteste que cette analyse économique en elle-même fait aussi partie de cette appréciation. Et Ejan Mackaay[7] affirme même : « qu’il serait insensé de se priver de l’apport d’un emprunt aux sciences sociales comme l’AED ».

Et comme l’AED est une méthodologie de mesure, quantitative et qualitative, qui s’avère être très utile, il nous semblerait donc incohérent de ne pas réaliser une analyse économique du droit ; dans la mesure bien entendu que celle-ci permet de mesurer le droit.

  1. Compétition ou opposition entre la tradition civiliste du droit et la common law ?

 

Tel nous l’avons dit plus haut, le principe du groupe LLSV, principe de référence du Doing Business, se fonde sur la vérification des interventions de l’Etat sur le plan économique. Une intervention qui selon le groupe est excessive et néfaste. Ce thème sur l’inefficacité structurelle des interventions de l’Etat est donc la base des Rapports Doing Business mais avec, cependant, une mise en avant de la comparaison du common law avec les autres méthodes juridiques.

 

Cette comparaison induit logiquement une sorte de compétition entre le common law et la tradition civiliste car de toute évidence, elle mène à l’affirmation de la supériorité de ce premier. Et par conséquent, à une remise en cause du droit de la tradition civiliste, notamment à l’égard du droit français estimé bien souvent par les auteurs de la commonw law comme étant un obstacle au développement économique.

Il est alors évident de comprendre que les rapports Doing Business sont une façon d’imposer pacifiquement le common law comme système juridique dans le monde.

 

C’est dans ce sens que l’infériorité des législations issues du droit français par rapport à celles issue la common law est très pertinent car selon les principes de base du Doing Business, la tradition juridique française met en avant une forte intervention de l’Etat, contrairement à la tradition de common law. Comme le common law part du principe du groupe LLSV, ce dernier estime que la tradition juridique française est moins efficiente structurellement que la tradition comman law. Cette position s’explique sans doute par la place qu’occupe le juge dans la tradition comman law.

 

Cette comparaison engendre alors une sorte de compétition entre les deux systèmes juridiques, de manière à imposer que le common law soit plus efficace et plus attractif économiquement. C’est ainsi que ces rapports supportent la thèse suivante : dans la tradition juridique française, la régulation est un obstacle à son évolution. C’est là que prend place la compétition, voir même l’opposition entre le common law et la tradition civiliste car cette thèse implique une infériorité du droit français.

 

Pour expliquer cette position, partons toujours du principe du groupe LLSV. En effet, le groupe avance dans leurs articles, « Legal origins », que les pays du droit français ont une règlementation plus importante, une protection des droits de propriété moins assurée, une corruption plus forte, des institutions publiques moins efficaces et une liberté politique plus faible par rapport aux pays de common law.

 

Pour les membres du groupe, cette infériorité du droit français est due par la présence des juges professionnels, à une législation codifiée mais aussi à une procédure écrite qui handicape véritablement le système. Par rapport au common law, le droit français est loin d’être efficient car la tradition common law utilise des juges non-professionnels (le jury), repose sur des principes généraux et une procédure orale. Dans ce sens, comprenons alors qu’il existe une réelle opposition entre ces deux systèmes juridiques, une affirmation confirmée par les propos des membres du LLSV dans leurs articles Legal origins :

 

  • Déjà dès le XIIème siècle, l’opposition entre le droit français et le common law s’est constituée car la France a connu une histoire beaucoup plus violente que l’Angleterre. Les seigneurs féodaux français se sont avérés plus forts que leurs homologues anglais.

 

  • Par ailleurs, par rapport aux seigneurs anglais, les seigneurs locaux français leur ont fait subir une assez forte pression, notamment en ce qui concerne l’institution du jury qui n’a pas pu prospérer. Cette pression a fait que seules les juridictions royales aient pu prendre le pas sur les juridictions locales. La France, suivant leur grille de lecture, a ainsi été obligée d’opter pour un arrangement institutionnel qui a recours à un plus fort degré d’autoritarisme étatique. Et avec le temps, le droit français fut marqué par le désir des Rois qui se sont succédés à renforcer leur pouvoir et ce, à leur propre bénéfice.

 

Ainsi, d’après toujours LLSV, le droit français se résument en ces trois traits :

 

  • Droit qui repose sur un juge professionnel, donc un juge étatique subordonné au Roi qui contribue à maximiser la rente de situation de ce dernier. Le groupe estime que le juge professionnel n’est pas à même de trancher les litiges, contrairement au jury composé de gens ordinaires. Le droit français est donc très différent du droit common law car le système judiciaire fait appel à des juges indépendants et des jurys soustraits au pouvoir du Roi. Le désir de la population ne peut qu’être entendu.

 

  • Droit qui repose sur une législation codifiée qui permet de minimiser le rôle du juge. Le juge dans ce cas, applique purement et simplement les solutions que le souverain impose. Cette législation codifiée se trouve être le moyen idéal pour le Roi de contrôler les juges à sa guise. Et contrairement au common law, le système n’impose aucuns principes généraux, donc les juges ne sont pas contraints d’appliquer des solutions radicales mais sont libres d’appliquer leurs propres solutions.

 

  • Droit qui repose sur une procédure écrite car c’est le moyen idéal pour le souverain de surveiller les juges de manière à vérifier qu’ils contribuent pleinement à ses intérêts.

 

Or, la véracité de ces propositions est à remettre en question car la méthode mise en œuvre par les rapports Doing Business, dont la méthode économétrique, est critiquable. En effet, ces critiques sur la grille de lecture du droit français et de son histoire laisse perplexe car il est évident qu’il y a un manque de connaissance en la matière. En ce qui concerne  l’indépendance du juge étatique, les rapports Doing Business n’ont pas tenu compte de l’intervention du Conseil d’État et de la Cour de cassation. Une intervention qui a fait preuve d’indépendance de la part des français, tel le cas de l’arrêt Canal qui a été annulé par l’ordonnance lors des évènements d’Algérie[8]. Cet arrêt avait établi une juridiction d’exception où les décisions n’étaient susceptibles d’aucun recours.

 

Cette preuve d’indépendance s’est aussi manifestée lors de l’arrêt Minit foto, appelé aussi «coup d’État jurisprudentiel ». La Cour de cassation a permis aux juges du fond d’annuler les clauses abusives[9]. Ces propos sont également contestables si l’on tient compte du plan philosophique car la proposition avancée par le groupe reste de ce fait, très fragile. Et même avec toutes les corrélations proposées, la méthode économétrique bien qu’elle soit un moyen de vérifier ou d’infirmer n’est pas pertinent.

Néanmoins, les rapports Doing Business n’ont pas repris à la lettre les principes du LLSV car on parle désormais de renouvellement du droit comparé. C’est une perspective qui vise à rendre efficace un instrument car la méthode en question est en mesure d’aider les juristes dans l’objectif de proposer des analyses beaucoup plus opérationnelles.

Et pour en revenir à la remise en question de ces rapports, il nous semble alors important de noter que la méthode de l’économétrie n’a pas été productive. Une situation qui rend et l’analyse du groupe LLSV et des rapports Doing Business pas très convaincants. Peu convaincants car la méthode est utilisée très sommairement, impliquant une faible efficience économique du droit civil.

 

  1. Le rôle et l’influence de la Banque Mondiale dans les rapports Doing Business

 

Après avoir mis en évidence cette compétition qui existe entre les droits commons law et de tradition civiliste, expliquer le rôle de la Banque Mondiale dans ces rapports s’avère aussi nécessaire car il est évident que par rapport au Doing Business, elle tient une place prépondérante étant donné que c’est une filiale américaine ce qui suggère logiquement l’idée d’américanisation du droit.

 

Pourquoi disons-nous que la Banque Mondiale a son influence dans les rapports Doing Busines ?

 

C’est un fait car tel nous l’avons dit, les rapports Doing Business sont présentés sous forme de critique par rapport aux droits civils, des rapports qui ont d’ailleurs été publiés sous la direction et la responsabilité de la Banque Mondiale. Les rapports Doing Business in 2004: Understanding regulation et Doing business in 2005: Removing obstacles to growth connaissent donc des contestations, notamment venant de l’Association Henri Capitant des Amis de la Culture Juridique Française étant donné que leur mission consiste à assurer la défense et l’illustration de la culture juridique romaniste.

 

Selon cette culture juridique romaniste et en réplique à ces rapports, les propos de Guy CANIVET sont les suivants : « le droit français est, dans l’ordre mondial, brutalement rappelé à l’impératif d’efficience par des écoles américaines d’analyse économique des facteurs de développement. Postulant le rôle déterminant de la qualité des lois et règlements  régissant la vie des affaires sur la croissance économique, ces études, à partir de l’observation de nombreux systèmes de droit, proposent de démontrer que les réglementations les plus lourdes produisent les plus mauvais résultats parce qu’elles sont généralement associées à une inefficacité des institutions publiques, à de longs retards de décisions, à des coûts élevés des formalités  administratives, à l’inefficacité des procédures judiciaires, à plus de chômage et de corruption, à une moindre productivité et à l’assèchement des investissements. À partir des critères qui en sont déduits, sont défavorablement cotés et classés les systèmes inspirés du modèle français »[10].

 

A croire que la culture juridique romaniste, dont la tradition juridique française est bien souvent critiquée, voire même mise en accusation alors que les statistiques révèlent un chiffre assez éloquent : sur 150 Etats, soit 60% de la population mondiale, c’est le système de droit écrit, pur ou mixte qui prévaut ; et 24% vit sous le système de pure civil law alors que seulement 6.5% connaissent le système pure common law.

 

Vu sous cet angle, et à première vue, nous observons une certaine mauvaise foi de la part des acteurs de ces rapports. Cachée sous une démarche méthodologique, la Banque Mondiale présente une partie pris idéologique qui se réfère à un modèle de marché ouvert et un capitalisme financier. C’est alors que « les éléments mesurés varient selon les pays de sorte que la comparabilité des résultats est douteuse »[11], ou encore que « la méthode employée des questionnaires est incohérente car elle n’est ni systématique, ni rigoureuse »[12].

 

Par ailleurs, ces rapports de la Banque Mondiale les place en position de force bien que tout un chacun soit conscient du fait qu’elle part d’une méthode biaisée, propre à eux-mêmes et à leur principe de base. La Banque Mondiale influence donc clairement ces rapports Doing Business car elle affirme détenir la clé du « meilleur droit ». Cette clé s’avère être le guide suprême du bon droit, destinée à tous les législateur du monde. Pourtant, dans cette quête d’imposer pacifiquement le common law comme système juridique mondial, la Banque Mondiale reflète un rôle assez confus ; tantôt elle entretient le « bon gré », tantôt elle soutient le « mal gré ».

 

En effet, dans ses grandes lignes, les rapports Doing Business ne soutiennent aucun juste milieu. Pour ces rapports, soit tout est rose, soit tout est gris. Aucune commune mesure n’a sa place, de sorte à penser qu’il existait un « axe du mauvais droit » où le droit civil en est le premier coupable. Dans son rôle d’exercer de l’influence, la Banque Mondiale se fonde sur un système de raisonnement trop simple, un système tel nous l’avons dit maintes fois, contestables (le one size fits all ou le système unique convient à tous, le système d’origine jurisprudentielle,…)

 

Pour mieux mettre en évidence le rôle et l’influence de la Banque Mondiale dans les rapports Doing Business, procédons à une analyse des principaux chapitres des Rapports 2004 et 2005. Notons que le Rapport 2006 ne sera pas pris en compte car ce sont surtout les deux premiers qui sont remis en question. Dans ces rapports, celui de 2005 est le moins critique à l’égard de la tradition juridique française alors que celui de 2004 émet une nette anti-civiliste, de sorte à discréditer la France en la classant 44ème  en termes d’environnement juridique des affaires. La publication de ce classement est un moyen pour la Banque Mondiale de remettre en cause le droit de la tradition civiliste tout en suggérant l’idée d’une américanisation du droit.

 

  • Le chapitre STARTING A BUSINESS : sur la création d’entreprises

Chapitre 2 (Rapport 2004) : consacré à la création d’une société, ce Rapport se caractérise par la création d’une entreprise sous la forme « la plus populaire » d’une société commerciale à responsabilité limitée. Dans ce Rapport, les présupposés retiennent que les bénéfices de la loi du 1er août 2003, relative à l’initiative économique, le capital social de la SARL est réduit à un euro. Ce chiffre laisse quelques interrogations étant donné c’est un donc un capital minimum symbolique ne représentant qu’une mince partie de l’ « income per  capita ».  A croire que la Banque Mondiale n’a pas tenu compte du risque que le dirigeant social ou les associés encourent pour pouvoir obtenir du crédit.

 

  • Le chapitre HIRING AND FIRING WORKERS : sur le droit du travail

Chapitre 3 (Rapport 2005) : offre à tous les pays les clefs de la réussite du droit social. Ce chapitre met en valeur les mérites de la flexibilité tout en dénonçant les effets néfastes d’une législation trop stricte ou interventionniste sur l’emploi.

La Banque Mondiale dans ce rapport cherche à influencer les pays en leur suggérant de surtout recourir aux contrats à durée déterminée, de donner des rémunérations particulières pour les salariés débutants, de renforcer la flexibilité dans le temps de travail, de modifier les autorisations administratives de licenciement. Cette suggestion est sans doute tirée de l’exemple de la réussite de l’économie américaine.

 

  • Le chapitre REGISTERING PROPERTY : sur la publicité foncière

Chapitre 4 (Rapport Doing Business 2005) : consacré à « l’enregistrement de la propriété », donc au régime de la publicité foncière, ce chapitre classe les pays suivant trois critères d’enregistrement des transferts de propriétés :

  • le nombre de formalités ou procédures
  • le nombre de jours nécessaire pour accomplir les procédures
  • le coût de l’accomplissement des formalités

 

  • Le chapitre GETTING CREDIT : sur l’obtention des crédits

Chapitre 5 (Rapport 2005) : consacré  à la plaidoirie de la déréglementation, ce chapitre condamne les « French civil law countries » car ils proposent une protection des plus faibles aux créanciers. Et pour imposer son système, la Banque Mondiale loue les mérites prétendus des méthodes de common law. Une méthode à caractère jurisprudentiel où la justice est souple, adaptable, fondée sur des principes généraux tel le  fiduciary duty.

 

  • Le chapitre PROTECTING INVESTORS : sur la protection des investisseurs

Chapitre 6 (Rapport 2005 de la Banque Mondiale : Protecting Investors) : ce chapitre souligne trois dimensions sur la protection des investisseurs :

  • Disclosure of ownership and financial information ou l’information du public
  • Small investors ou les protections juridiques des « petits » investisseurs
  • Enforcement capabilities in the courts or securities regulators ou l’efficacité des tribunaux ou régulateurs

Mais soulignons que ce chapitre ne se préoccupe que de la première dimension : l’information du public. Il n’analyse que les dispositions relatives à une société cotée, sur le marché règlementé bien entendu ; et les dispositions applicables à une société non cotée importante, sur le marché non règlementé, avec plusieurs actionnaires et salariés. Dans ce cadre, la Banque Mondiale au lieu de comparer les régimes de toutes les sociétés non cotées, les a mélanger.

 

  • Le chapitre ENFORCING CONTRACTS : sur l’exécution des contrats

Chapitre 7 (Rapport 2005) : consacré à l’analyse comparative de l’efficacité des différents systèmes judiciaires en ce qui concerne l’exécution forcée des contrats. Toujours pour  critiquer le droit français de contrats et ce, sans tenir compte de son principe de base qui est l’exécution forcée en nature du contrat, la Banque Mondiale a estimé que ce chapitre était très important étant donné la corrélation évidente entre le nombre de transaction commerciales et efficacité des sanctions judiciaires.

 

  • Le chapitre CLOSING A BUSINESS : sur le droit des faillites

Chapitre 8 (Rapport 2005) : consacré à la liquidation des entreprises, l’analyse des systèmes juridiques des procédures collectives se base sur différents critères : les créanciers garantis sont prioritaire, pouvoirs des juges, durée de la procédure et les coûts. Le Rapport 2005 a adopté certains de ces critères, chapitre très sévère pour la France, alors qu’elle connaît quelques problèmes de droit de faillite.

CONCLUSION

 

Les Rapports de la Banque Mondiale ont causé de véritables débats dans le monde des juristes de tradition continentale, notamment des juristes français. En gros, ces rapports sont des critiques sur les droits civils. Les critiques émises à propos du droit civiliste ont engendré une réelle compétition, voire même une opposition, entre celui-ci et le common law.

 

Dans le cadre de la recherche d’une efficacité économique du droit, nous avons également vu l’ampleur de la dimension économique basée sur l’analyse économique du droit ou l’AED. Par rapport au droit civil, l’AED n’y est pas techniquement contre étant donné que son sous-jacent œuvre dans les travaux doctrinaux continentaux. Mais cet instrument réitère, cependant, que la doctrine continentale connaît un grand déficit méthodologique où les études empiriques sont quasi-inexistantes. Du point de vue intellectuel, l’AED tient une place très importante en ce qui concerne l’application des règles et c’est en ce sens que les rapports Doing Business a repris ses propos.

 

Les chapitres des Rapports Doing Business mettent en évidence ces critiques. Des critiques qui manquent d’analyse et d’inexactitude, telles les informations retenues dans le chapitre  Registering property où ils ne prennent en compte que la rapidité et le coût de la vente immobilière. Leur analyse ne considère pas la valeur des règles qui régissent la conclusion d’une convention alors que cette dernière une fois conclue peut aussi se mesurer au contentieux. Ce chapitre montre que les auteurs de ces rapports ne connaissent pas grand chose du rôle préventif du notaire, qu’il qualifie de « fardeau inutile »[13]

Par ailleurs, nous pouvons dire que le chapitre «  Getting credit » du Rapport se distingue par sa capacité à fournir une grille d’analyse économique comparative permettant d’identifier les lacunes et pesanteurs de l’activité bancaire en France. Néanmoins, la méthode d’analyse choisie empêche de vérifier le jugement négatif exprimé.

 

Certes, les propos virulents concernant la qualité de l’environnement réglementaire pour les affaires à l’insu de la France (classée 44ème mondiale après en voire de développement)  laisse croire que cette institution internationale veut imposer son système juridique. Cette forme de domination se caractérise par une sorte d’hypocrisie dans la démarche et pire même, une sorte de fraude intellectuelle dans la démonstration[14]. Et l’objectif de la Banque Mondiale qui est « Understanding regulation, Removing obstacles to growth, Creating jobs », comprenons le bien, présuppose une réalité qui vise à imposer la domination d’un système juridique qui est celui de suggérer l’américanisation du droit.  

 

Etant largement financée par les Etats-Unis, la Banque Mondiale adhère de ce fait la thèse du groupe LLSV, dont le principe ne convainc aucunement les pays du civil law bien que les rapports en questions affirment que le droit est « un vecteur d’influence international majeur pour un pays »[15]. C’est ainsi que nous comprenons que les Etats-Unis, la puissance économique dominante, cherche à imposer son influence quitte à ordonner de gré ou de force le common law.

 

PARTIE 2 : La contribution des rapports Doing Business : vers une efficacité économique du droit ou vers une efficacité limitée ?

Après avoir fait l’analyse économique du droit par le prisme des rapports Doing Business, nous allons dans cette partie mettre en exergue les problèmes conceptuels engendrés par les indicateurs Doing Business pour ensuite dégager les limites méthodologiques de ces mêmes indicateurs. Et c’est à travers ces deux points que nous dégagerons les conséquences juridico-économiques de l’analyse économique du droit opérée par la Banque mondiale pour pouvoir enfin en déduire qu’une coexistence entre les deux systèmes est souhaitée et bien faisable.

 

  1. Les problèmes conceptuels engendrés par les indicateurs Doing Business

 

  1. Qu’entend-on par indicateurs Doing Business ?

 

Par définition, c’est un indicateur qui facilite la réalisation des affaires dont le principe consiste à faire une analyse « de jure de la législation des affaires dans 178 pays. Tel nous l’avons décrit plus haut, ces indicateurs couvrent 10 domaines :

 

  • création d’entreprises,
  • octroi de licences,
  • embauche des travailleurs,
  • transfert de propriété,
  • obtention de prêts,
  • protection des investisseurs,
  • paiement des impôts,
  • commerce transfrontalier,
  • exécution des contrats
  • fermeture d’entreprises.

 

Le classement des pays se fait en fonction de ces aspects pour pouvoir établir et aboutir à un classement général.

 

Apparemment ces indicateurs semblent œuvrer à première vue dans l’allègement des procédures administratives. Mais en analysant sérieusement cet objectif, il apparaît alors quelques problèmes, notamment en ce qui concerne les hypothèses sous-jacentes à son principe ou au choix de ses composantes. Donc en approfondissant le premier domaine qui est la « création d’entreprises », nous pouvant déjà lancer une mise en garde stipulant « qu’à trop vouloir se concentrer sur la réduction des coûts initiaux liés à l’immatriculation d’une entreprise, on néglige l’importance des registres du commerce en tant que source d’information fiable pour les tribunaux, les administrations publiques telles que les services fiscaux, et les autres entreprises » (Arruñada 2007). Arruñada met en exergue les conséquences négatives d’une formalisation de mauvaise qualité sur les coûts de transaction et les controverses à venir.

 

Cette idée fait référence à l’indice « Embauche des travailleurs », une catégorie d’indice très critiqué étant donné qu’il a pour objectif de réduire les coûts et les préoccupations liés à l’emploi pour l’entreprise. L’indice « Embauche des travailleurs » est régit par trois sous-indices : difficulté d’embauche, rigidité des horaires de travail, difficulté de licenciement. Et le classement des pays s’obtient donc par le biais des ces sous-indices.

 

Pour mieux présenter les indicateurs Doing Business voici un tableau qui présente l’indice « Embauche des travailleurs »

 

 

Source : Banque mondiale, site Internet de Doing Business (http://francais.doingbusiness.org)

 

  1. Problèmes conceptuels

 

Les indicateurs Doing Business bien qu’ils reposent sur ces bases, engendrent quelques problèmes conceptuels.

 

La comparaison du degré de règlementation des différents aspects du travail des pays se fait par l’intermédiaire d’un indicateur composite figurant dans la base de données de la Banque Mondiale (tous les indicateurs de la règlementation y compris l’indice Embauche des travailleurs). Inspiré de Botero et al. (2004), le cadre théorique et la méthodologie utilisés par l’indice « Embauche des travailleurs » connaît une faille conceptuelle. Cet indice ne tient aucunement compte des externalités positives possibles de la réglementation du travail car il se base sur les coûts et sur le principe du « temps c’est de l’argent ». Donc suivant ce principe, seuls les régimes juridiques sont de véritables charges financières pour l’entreprise.

 

L’indice « Embauche des travailleurs » ne tient également pas compte de tous les avantages économiques et sociaux que présente le droit du travail. Ces avantages sont entre autres la réduction des inégalités, de l’insécurité, des différents conflits sociaux et la mise en œuvre de stratégies de management performantes.

Outre ces failles, cet indice oublie complètement la nature « globale » même du droit et de la politique du travail. Il en est de même pour ce qui des interactions des ces derniers.

 

Le problème conceptuel engendré par les indicateurs Doing Business repose également dans l’absence de preuves empiriques solides. En effet, en défendant que « la déréglementation du marché du travail permettront aux entreprises de prospérer et à l’économie informelle de diminuer », le Rapport Doing Business ne clos en rien le débat empirique concernant les prérogatives économiques d’une déréglementation du marché du travail. D’ailleurs, Botero et al. en 2004, pour pouvoir déterminer l’effet de l’indice « Embauche des travailleurs » sur l’appui à la population active, sur le chômage et aussi sur le secteur informel, ont fait l’étude suivante :

 

Les auteurs de la méthodologie de l’indice « Embauche des travailleurs » ont pu établir que la légalisation dans le domaine de l’emploi et les relations collectives ont des effets spécifiques sur l’activité, des effets positifs et significatifs sur le chômage des personnes de sexe masculin mais aucune conséquence sur l’économie informelle. Pourtant, contrairement au fondement de l’indice « Embauche des travailleurs », les rapports Doing Business estiment sans conteste que la dérèglementation du marché du travail ne fera que régresser l’économie informelle[16].

 

Et comme les indices sont en rapport avec la légalisation sur l‘emploi, sur les relations collectives mais encore à la légalisation de la protection sociale, nous remarquons un recul différent sur la variable dépendante. Ce constat constitue une méthode assez curieuse si l’on se réfère à cette étude des institutions du travail de part les effets d’interaction qui existe entre ces trois aspects.

 

Aussi en 2005, Bertola apporte une vérification sur la fiabilité des indicateurs et des conclusions de Botero  et al. (2004) en procédant à une régression des indicateurs sur l’emploi mais aussi sur le chômage en Amérique latine et dans les pays de l’OCDE. Il complète cette étude en contrôlant la régression pour l’Amérique latine en partant d’une variable régionale fictive et des termes d’interaction. En somme, il en déduit que les résultats obtenus sont «approximatifs, loin d’être tranché et ne corroborent pas les conceptions simplistes des institutions du marché du travail ».

 

  1. Les limites méthodologiques des indicateurs Doing Business

 

Outre les problèmes conceptuels cités supra, les indicateurs Doing Business présente également des limites méthodologiques.

  1. Limites par le biais de sélection

 

Comme l’indice « Embauche des travailleurs » catégorise les pays à partir d’hypothèses qui ne sont pas très pertinentes, le rapport établi par ce classement ne donne pas d’indication réelle quant au motif et à la méthode ayant mené au choix de ces cas types. Aucune explication sur la méthodologie retenue, aucun questionnement pour déterminer si la méthodologie correspond vraiment au mode ou à la moyenne du pays.

 

La Banque Mondiale, dans ces rapports Doing Business, estime cependant que ces cas théoriques doivent être en mesure de faire des comparaisons internationales simples et universelles. Or, nous le savons que cette idée est limité car tous les pays n’ont pas recours aux mêmes instruments juridiques afin de trouver des solutions aux mêmes problèmes. Ici nous constatons donc que l’indice ne considère pas toute la divergence des solutions proposées par chaque système juridique national.

 

  1. Limites concernant l’application effective de la législation : variable omise

 

Sur l’application effective de la légalisation, les indicateurs Doing Business présente également des limites méthodologiques surtout pour ce qui est de l’indice « Embauche des travailleurs ». Cette limite se définie du point de vue de la variable omise à l’application de la législation car même si les rapports Doing Business évaluent les textes de loi en vigueur de chaque pays, ils ne tiennent pas en compte du degré d’application des pays et des périodes.

 

Cette omission est flagrante étant donné que ces indications asymétries peuvent être plus significatives plus que les distinctions qui tiennent des textes législatifs. De ce fait, elles pourraient jouer un important rôle dans la progression  des marchés du travail, en particulier pour ce qui est des flux (pertes d’emploi ou chômage).

 

Bertola et al. (2000) affirme que les tribunaux ont un rôle accru dans l’explication des textes de part la complexité institutionnelle. C’est dans ce cadre que les administrations nationales, les conseils de prud’hommes ainsi que les autres tribunaux du travail se trouvent assiégés d’un rôle déterminant dans l’application des règles de protection de l’emploi.

 

Enfin, il est important de noter que « l’indicateur qui offre, à ce jour, l’une des meilleures approximations de l’interprétation jurisprudentielle de la législation, à savoir celui de l’OCDE fondé sur la notion de difficulté de licenciement, est plus fortement corrélé que tout autre indicateur disponible avec les probabilités de cessation de l’emploi et avec les flux d’entrée au chômage » (Cazes et al., 1999). La notion de « difficulté de licenciement » est un indicateur de la législation sur la protection de l’emploi (licenciement abusifs, réintégration et compensation des salariés si licenciement est). Les rapports Doing Business négligent cet aspect, sans doute à cause du fait qu’il est difficile à mesurer.

 

  1. Limites des systèmes d’agrégation et de pondération

 

Les systèmes d’agrégation et de pondération présent aussi des limites en ce qui concerne les indicateurs Doing Business. Effectivement, et toujours en rapport à ce fameux indice « Embauche des travailleurs », quelques questions apparaissent : qu’associe-t-on au choix des variables et comment définir le modèle de pondération à utiliser ? Dans ce cadre, l’indice en question réunit et la dimension qualitative et la dimension quantitative de l’embauche, du licenciement et du temps de travail.

Pout illustrer cela, prenons l’exemple de l’élaboration du sous indicateur « indice de difficulté d’embauche ». Ce composant de l’indice « Embauche des travailleurs » met le point sur la flexibilité numérique externe[17], ce qui fait que les auteurs des rapports s’intéressent particulièrement à la flexibilité contractuelle, aux motifs qui poussent à opter aux contrats à durée déterminé, à la durée maximale des contrats ainsi qu’à la législation des licenciements. L’indice ne prend pas non plus en compte les autres modes d’ajustement, dont la flexibilité salariale, le travail à temps partiel et les accords de partage du travail.

 

Bref, comprenons qu’il n’est pas évident d’organiser un indicateur qui a pour fonction de mesurer la flexibilité interne ; mais il est tout à fait possible d’améliorer l’indice en ce qui concerne les coûts. D’ailleurs, de nos jours, la seule variable qui soit tenue en compte est celle du ratio minimum obligatoire sur valeur ajoutée moyenne par travailleur. Ce ratio est le seul observé comme étant un déterminant de la difficulté à embaucher. Et encore, le système de notation Doing Business sanctionne les pays dont le salaire minimum est supérieur à un quart, soit 0.25 de l’efficacité moyenne du travail. Précisons que la productivité moyenne du travail est l’une des variables qui posent le plus de problèmes quant à sa mesure.

 

  1. Limites des indicateurs dans leur interprétation et jugement

 

Toujours dans le cadre de ces limites méthodologiques, les rapports Doing Business s’avère aussi limités pour ce qui est des interprétations et jugements de valeur. En effet, tel nous l’avons précisé plus haut, les rapports Doing Business se base sur les réponses des questionnaires, notamment en ce qui concerne les différents types de réglementation du travail en vigueur dans chaque pays. Ces questionnaires font place à des interprétations et des jugements subjectifs de manière à rendre les indicateurs subjectifs.

 

Aussi, c’est surtout dans la manière de formuler les questionnaires qui rend bancale les rapports car comme les questions ne sont pas neutres, elles risquent d’influencer les réponses. D’après les études de Du Marais (2006), les indices sur l’embauche et le licenciement révèlent un biais dans la construction de certaines questions. Par ailleurs, la question sur le nombre maximal d’heures travaillés (pendant une semaine normale) se trouve être inapproprié car d’autres réponses correctes sont à tenir en considération.

 

  1. Limites sur le choix de procéder à un classement

 

Pour ce qui est du choix de procéder à un classement, les rapports Doing Business présentent également des limites méthodologiques. Or, nous savons que la méthode de classement est la plus simple afin de normaliser les indices tout en les rendant comparables. Le classement est aussi important pour synthétiser les différents aspects qualitatifs du droit du travail, des aspects qui sont très difficiles à mesurer. Cependant, cette méthode est en mesurer de donner des informations détaillées sur l’ensemble des pays pour pouvoir établir le classement. Mais sa mise à jour demeure de ce fait un exercice coûteux et chronophage.

 

Comme les rapports Doing Business sont publiés annuellement, des modifications peuvent être faites. Cela implique que les performances des pays ne pourront pas être évaluées complètement puisque certaines ne sont sûres. Mais la dynamique provoquée par le classement des pays, tant suivant leur degré de règlementation que dérèglementation, est aussi très gênante. La Banque dans ses rapports affirme que ce classement incite favorablement à engager des réformes dans la mesure où chaque pays devra envisager sa position par rapport aux autres pays.

Autrement dit, quand il sera question de réformer, les décideurs politiques prêteront avant tout autre option à l’évolution de la position du pays et ce, quel soit sa situation de départ. Donc malgré ces efforts de réforme, un pays pourrait quand même maintenir son rang, voire même régresser car d’autres pays seraient de « meilleurs réformateurs » ou introduit dans le rapport. Procéder à un classement incite alors de toute évidence à la réforme continue, pour une dérèglementation du marché de travail.

 

  1. Limites de la méthode de codage

 

Le codage des réponses s’avère être une étape importante dans la construction des indices et des indicateurs car c’est un travail difficile, si l’on ne tient compte que de la législation, la règlementation et les textes de références qui s’adaptent difficilement à ce genre d’analyse. Ce travail est difficile étant donné que les informations qualitatives doivent être transformées en variables quantitatives. Cependant, c’est une tâche nécessaire dans la mesure où les arguments et données empiriques permettent d’entretenir le débat sur la flexibilité.

 

Dans ce cadre, l’évaluation du droit doit donc être claire et précise, sans que trop d’informations ne soient égarées. Pour le cas des composants de l’indice « Embauche des travailleurs » qui s’appuient sur des réponses aux questionnaires, donc chiffrées avec un code binaire 0 ou 1,  H. Spamann (2006) démontre dans son étude exhaustive[18] qu’il est réellement difficile de repérer un codage pertinent car les règles qui ont été évaluées sont multidimensionnelles et formées de sources multidimensionnelles. Ces derniers donnent une grande marge d’interprétation.

Certes, les limites du processus de codage tournent autour des règles obligatoires, des règles à respecter par défait et mêmes des règles optionnelle.

 

  1. Les conséquences juridico-économiques de l’analyse économique du droit opérée par la Banque mondiale : une justice économique moderne

 

Tel nous l’avons déjà évoqué, les rapports Doing Business présentent d’importantes limites méthodologiques[19], une remarque que plusieurs auteurs confirment. Ces auteurs soulignent qu’il existe des présupposés présentant un manque de neutralité scientifique dans l’analyse. Selon eux, le choix d’exemples-types de manière à porter un jugement sur les réglementations est une chose très difficile à faire. Cette méthode qui repose sur « le postulat erroné selon lequel, dans tous les pays, les mêmes instruments juridiques sont utilisés pour résoudre des problèmes identiques », ne prend en compte finalement que l’étude du « cheminement utilisé par  les diverses cultures juridiques pour atteindre un résultat comparable »[20].

 

Dans l’analyse des problèmes conceptuels et les limites des indicateurs Doing business nous avons pu constater que le jugement porté sur l’inefficacité des règles du droit du travail paraît très fragile. Mais il faut bien dire qu’alléger la règlementation qui protège l’emploi peut entraîner des effets positifs à court terme sur la situation financière des entreprises. Toutefois, les effets sur le long terme ne sont pas certains car le fait de procéder fréquemment à des licenciements pourrait engendrer des conflits sociaux ; de même que l’importance d’un turn over pourrait engendrer des effets négatifs sur la qualité de la main d’œuvre.

 

Ces effets positifs sont probants si l’on considère que la réglementation du licenciement incite assurément les salariés à donner leur maximum dans leur travail. Les relations durables entre employeur et salariés se favorisent alors, telle la position de l’OCDE : « des répercussions positives en termes d’emploi et d’efficacité économique ». Par ailleurs, dans le cadre de la protection de l’emploi, les entreprises pourront voir accroître leur productivité en augmentant le coût du travail et ce, dans le but de limiter le coût supplémentaire. Les conséquences de cette productivité accrue seront éloquentes car la règlementation aura été efficace économiquement.  C’est ce que certains économistes ont démontré : la norme juridique aura servi de levier d’efficacité et ne sera plus désormais perçue comme un facteur négatif dans la quête d’une meilleure efficacité[21].

 

D’un point de vue macro-économique, l’OCDE soutient que même si emploi devient improductif pour l’employeur, ce dernier pourra quand même produire des ressources pour sa société car les cotisations et taxes sont retenus sur les salaires. Ce fait implique qu’outre les effets économiques négatifs, les règles du droit du travail sont en mesure d’offrir des effets avantageux sur le plan économique. Ainsi, les limitations et contrôles du pouvoir patronal favorisent « une utilisation plus rationnelle et plus efficace des ressources économiques »[22] (cas possible que si l’employeur peut bloquer les revendications et engendrer des comportements improductifs). C’est ainsi que se justifie économiquement le droit  syndical,  les  procédures d’information et de consultation des représentants du personnel et le droit de grève dans l’encadrement juridique du pouvoir réglementaire et disciplinaire  de  l’employeur. Cette justification économique est de mise si et seulement si ces éléments sont perçus comme  étant des limites, des contrôles et des contrepoids au pouvoir patronal.

 

En tenant compte de tout ce qui a été dit, l’efficacité économique du droit est donc une approche réductrice du droit car dans la démarche des rapports Doing Business, nous constatons aucune objectivité et neutralité. Cette démarche qui met en œuvre les indicateurs d’efficacité économique du droit se fonde sur des principes soit disant indiscutables mais qui sont cependant, indémontrables. Le principe de la rationalité du comportement des individus fait partie de ces postulats. Ce principe met en évidence que tout un chacun essaye d’atteindre ses objectifs en utilisant le moins possible de ressources.

 

Or, d’un point de vue psychologique, les psychologues affirment que les situations ne sont pas parfaitement jugées par les individus car ils tentent toujours de les simplifier, d’autant plus que les motivations des comportements de chacun ne sont pas toujours rationnelles. Il est donc compliqué de prévoir le comportement des individus vis-à-vis des normes juridiques en vigueur. Ces réalités contredisent l’approche des rapports Doing Business étant donné que face à une règlementation, les individus font également appel à d’autres valeurs et croyances, d’autres reproductions et émotions outre le simple calcul d’intérêts.

 

La démarche des rapports Doing Business ne fait pas non plus preuve de neutralité, car la technique comptable mise en œuvre se base sur une certaine reproduction de ce qui est bien. Des théoriciens du droit le soulignent d’ailleurs, « sous couleur de rigueur mathématique, les critères véhiculés par l’analyse économique du droit revêtent une portée évaluative et normative incontestable »[23]. Notons que l’essentiel dans les indicateurs d’efficacité économique c’est l’impact de la règle de droit par rapport à l’objectif attendu qui prime et non la règle de droit elle-même.

 

En ce sens, la norme juridique est vue comme étant un facteur économique qui n’adopte pas de spécificité à l’égard des autres données concrètes. La norme juridique devient alors une simple norme technique qui ne considère que son efficacité. C’est donc une approche « conséquentialiste » dans la mesure où, la régler de droit est jugée bonne ou mauvaise quant à ses conséquences. Ce qui est recherché par la règle de droit demeure donc les effets directs, c’est-à-dire la recherche d’assurer la liberté et la sécurité des agents économiques, mais aussi la libre circulation des produits tout en permettant de soutenir les relations sociales.

En conséquence, le droit a pour fonction de diminuer les coûts de transaction relatifs aux dépenses temporelles et pécuniaires à la recherche d’information inhérente à tout échange[24].

 

L’efficacité économique est alors relative au fait que tout choix demeure un problème de calcul de coûts et d’avantages et ce, que ce soit implicite ou explicite, ainsi qu’au problème de sélection du meilleur rapport entre les coûts et les avantages. A part le fait qu’il est souvent difficile de mesurer quelques types de coûts et de bénéfices (surtout la mesure de la nature immatérielle), de comparer des éléments qui ne sont pas sur la même échelle de valeur, il n’est pas évident de ne voir dans les catégories et concepts juridiques que des données uniquement conventionnelles et transposables (terme monétaire ou en chiffre).

Donc, pour les indicateurs, les règles de droit signifient une imposition de prix, une obligation, une sanction pénale, une indemnisation à toutes actions des agents économiques.

 

A travers tout ce qui a été dit, nous pouvons donc dire que même si l’analyse économique du droit est en mesure d’apporter au juriste des éléments qui corroborent les effets produits par les règles juridiques, il n’en demeure pas moins que les indications fournies par celles-ci « ne sont pas d’une objectivité parfaite et qu’elles reposent sur des postulats qui n’ont aucune supériorité épistémologique sur ceux des juristes »[25]. Bref, l’analyse économique du droit ne remplace pas totalement le raisonnement juridique intégrant d’autres données ou d’autres valeurs car elle soutient le besoin primordial de compléter les théories du droit par une autre théorie de l’action. En effet, l’analyse économique du droit ne tient pas compte de la position habituelle des juristes (notion de norme), pourtant en acceptant le raisonnement que les rapports Doing Business sont contestables et qu’ils présentent des failles conceptuelles ainsi que des limites méthodologiques, on aboutira à une justice économique moderne.

 

  1. Une coexistence souhaitée des deux traditions civiliste et anglo-saxonne du droit

 

Dans le cadre d’apporter une solution à notre problématique qui est l’attractivité économique du droit justifie-t-elle qu’on impose un seul système de droit au détriment de la disparition du système de droit continental ?, notons que malgré le rôle influent de la Banque Mondiale à suggérer ou imposer pacifiquement l’idée d’américanisation du droit, les rapports qu’elle a publié demeure contestables tant au niveau méthodologique que sur le choix des indicateurs. Et tel nous l’avons précisé plus haut, si l’on remettait réellement en question ces rapports et que si l’on tenait compte de ses problèmes méthodologiques et du choix des indicateurs, ces derniers permettront d’arriver à une justice économique moderne.

D’ailleurs, on voit bien que les réformes sur les suretés et publicités foncières en France, inspiré par le Common law, ont été bénéfique et n’ont pas dénaturé pour autant la tradition de droit continental.

 

C’est pour ainsi dire qu’une coexistence entre la tradition civiliste et la tradition anglo-saxonne du droit est tout à fait envisageable, c’est qui est d’ailleurs souhaité. En effet, en dépit de tout ce qui a été dit dans les rapports Doing Business, la tradition civiliste a ses atouts et elle n’a pas besoin d’être remplacée par le common law étant donné que ces deux traditions peuvent coexister, puisqu’en pratique les deux droits aboutissent aux mêmes résultats.

 

Ainsi, tout comme le droit anglo-saxon, le droit continental a beaucoup de mérite. Et pour mieux illustrer ce fait, il semble alors important de mettre en valeur les atouts de la tradition civiliste, notamment française :

 

  • Qualités intrinsèques du système civiliste :

 

Les Rapport Doing business n’ont pas tenu compte des phénomènes de métissage et d’hybridation[26], alors que c’est le moyen à mettre en œuvre pour faire coexister les deux traditions  au sein d’un même système juridique. Pourtant il a été prouvé plusieurs fois qu’une institution née dans l’un des deux systèmes peut être reçue par l’autre et ce, grâce à certaines adaptations. Tel est le cas des pays de droit civil qui ont emprunté l’exemple du chèque, de crédit-bail ou de la fiducie aux pays du common law ; ou encore le cas de l’Angleterre qui s’est inspirée de droit civiliste selon lequel tout vendeur doit établir un Home inspector à partir de 2007. L’Home inspector consiste à établir un home information pack détaillé sur les caractéristiques juridiques, environnementales et de sécurité de l’immeuble[27]

 

Le droit national constitue cependant un enjeu majeur stratégique quant à la puissance d’une nation ; il est alors légitime de vouloir se défendre quand on se fait attaquer injustement. Dans ce cadre, il nous semble alors important de mettre en exergue les qualités intrinsèques de la tradition civiliste, d’autant plus que tous ces exemples inspirés du droit civil s’est vu accentué par le processus constant d’internationalisation ou d’européanisation du droit[28].

 

  • Les atouts structurels du système civiliste

 

  • L’accessibilité du droit : le système civiliste français met en vigueur la modernité de la codification, donc il rationalise, ordonnance, hiérarchise et le rend accessible à tous : autant de qualités indispensables à tout système juridique[29]. Les atouts du système dans ce cadre sont multiples si l’on ne cite que la facilité d’accès de la règle renfermée dans un texte de loi ou dans un code, ou encore la qualité d’accès intellectuelle qui est simple et claire,

 

  • Sa sécurité : le droit civiliste est un droit sûr, d’ailleurs le Conseil d’État estime qu’il faut absolument garder un « droit simple, clair, intelligible dont la compréhension ne soit pas réservée aux spécialistes, droit de principes, cohérent donc prévisible, pratiquant une abstraction propre à faciliter son adaptation aux évolutions »[30]. Aussi le droit français se caractérise par le fait que le contenu des règles est connu à l’avance et que les litiges sont prévenus.

 

  • Sa flexibilité : le droit civiliste accorde une distinction entre le cadre normatif et le contenu de la norme. C’est ainsi dire que les droits codifiés ne sont pas rigides, car au contraire ils peuvent évoluer grâce à la vitalité de ses sources, à la généralité de ses règles et à leur caractère supplétif.

 

  • Les atouts substantiels

 

En prenant l’exemple du droit des contrats, nous comprenons que le droit français repose sur des principes clairs et précis, et qui sont facilement adaptables. C’est un droit simple dans la  mesure où il n’est pas formaliste mais consensuel et réaliste étant donné qu’il reflète les valeurs primordiales de la société.

 

Ses atouts substantiels se caractérisent par son ouverture d’esprit, son esprit d’équilibre et ses qualités intrinsèquement économiques.

 

  • Son ouverture d’esprit : ouverture aux autres sources de droit, ouverture aux droits étrangers, ouverture aux mutations politique, économique et sociale

 

  • Son esprit d’équilibre : liberté, loyauté, sécurité et équité ; capacité d’imagination ; gain de temps, d’argent et d’indépendance,…

 

CONCLUSION

 

En guise de conclusion et d’après nos analyses, nous pouvons dire que la puissance économique dominante, les Etats-Unis, veulent asseoir son influence en imposant son modèle juridique, le common law. Cette imposition s’est faite au moyen d’une discréditation et critiques des autres modèles, et plus particulièrement la civil law. C’est donc aux pays qui partagent ce même système, notamment la France car c’est elle qui a la plus été critiquée, de défendre leur valeur contre la stratégie d’influence et de domination que sont les Rapports Doing Business.

 

En effet, nous avons pu montrer supra que le droit civil français a des valeurs intrinsèques que le droit anglo-saxon ne possède pas. Par ailleurs, en répliques aux critiques des Rapports, la France s’est vue défendre une autre vision du droit, qui est celle relative à la dimension culturelle. Cette réplique met en avant le fait que pour rendre attractif le droit et donner un cadre favorable aux échanges, il faut récuser la réduction du droit à un simple «environnement réglementaire favorable »[31]. Mais encore il faut refuser l’idée de la loi du plus fort ou du plus riche car notons que le droit français reste un droit humaniste. Humaniste car même en visant à encourager les échanges commerciaux, à développer les investissements, à faciliter la création d’entreprises, il repose également sur le principe de la protection des individus.

En effet, c’est un droit qui n’œuvre pas dans l’efficience économique pour elle-même à court terme[32], mais préfère plutôt fonder un modèle de société durable. D’où la pensée de Jean Bodin : « Il n’est de richesse que d’hommes ».

 

Certes, en tenant compte de toutes ces remarques, les Rapports Doing Business établis par la Banque Mondiale sont réellement remis en question car nous le voyons bien, ces rapports font naître une compétition entre les droits common law et tradtion civiliste en faisant prévaloir le common law. Les rapports Doing Business émettent des propos qui remettent en cause le droit de la tradition civiliste de manière à imposer pacifiquement le common law comme système juridique dans le monde.

 

La Banque Mondiale estime que le common law est plus attractif économiquement alors que nous avons pu conclure que les deux systèmes peuvent coexister car en pratique les deux droits aboutissent aux mêmes résultats, d’autant plus que le droit continental a beaucoup de mérite dans les pays du droit civil. Aussi, nous avons également pu remarquer que la Banque Mondiale joue un rôle décisif dans ces rapports Doing Business car il est évident qu’elle souhaite asseoir son influence afin d’imposer son idée d’américanisation du droit.

 

Or, tel nous l’avons dit, ces rapports sont contestables tant au niveau méthodologique que sur le choix des indicateurs ; alors pourquoi ne pas rechercher une justice économique moderne en coexistant ces deux systèmes ? D’où la réponse à notre problématique : l’attractivité économique du droit ne justifie pas qu’on impose un seul système de droit au détriment de la disparition du système de droit continental, car désormais le droit écrit est très répandu dans le monde et tend à l’être dans les pays de common law.

 

BIBLIOGRAPHIE

 

OUVRAGES

 

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ARTICLES ET RAPPORTS

 

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  • CE, 19 oct. 1962, Canal, Robin et Godot, Rec. Lebon, p. 552
  • Étude du Conseil d’État, « L’influence internationale du droit français», La documentation française, 2001, p. 103
  • Extrait du discours du Premier Président Guy CANIVET, « Le juge entre progrès scientifique et mondialisation », RTD civ, 2005, 33, spéc. p. 41
  • IIPEC, « L’évaluation du droit du travail : problèmes et méthodes », Rapport de synthèse remis à la DARES, 2008, p. 45 s.
  • Xavier de ROUX (Vice-président de la Commission des lois de l’Assemblée nationale, senior partner du cabinet Gide Loyrette Nouel), « Le Code civil reste un outil privilégié ».

 

WEBOGRAPHIE

 

  • afdt-asso.fr, O. Favereau, “Critères d’efficacité économique du droit du travail : un essai de classification raisonnée
  • fondation-droitcontinental.org, le site du programme Efficacité économique du droit (2eD)

[1] Banque Mondiale, Le monde du travail dans une économie sans frontière, Rapport sur le développement dans le monde 1995.

[2] B. Thomas, Un rapport révolutionnaire ?,  in  F.  Rouvillois, L’efficacité des normes. Réflexions  sur  l’émergence d’un nouvel  impératif juridique, Fondation pour l’innovation politique, 2005, p. 7.

[3] Mouvement dit Law et Economics (L&E) né dans les années 1950 à l’Université de Chicago. Au tout début, il s’est principalement intéressé aux domaines du droit économique (droit de la concurrence ou droit des sociétés), puis s’est par la suite tourné vers l’analyse de la responsabilité civile, du droit pénal  ou encore du droit de la famille. Ce qui a élargi le domaine d’action de l’analyse économique du droit (AED).

[4] Les conclusions des rapports Doing Business impliquent, en général, que la Banque Mondiale est défavorable au droit civil d’origine française ou continentale. Ce système est présenté comme un handicap pour le développement des transactions économiques, alors que le système de common law est montré comme le plus performant. L’objectif  de  la Banque mondiale  est  d’ailleurs  de  faire  de  ce  système  le modèle juridique universel. De ce fait, les réflexions de cette institution internationale  s’inspirent,  de  toute  évidence,  des réflexions de Richard  Posner. Ce dernier est le principal représentant de l’analyse économique du droit. Il estime que le système anglo-saxon de common law est le seul susceptible de promouvoir une allocation optimale des ressources.

[5] Hypothèse de Law matters

[6] Doing Business 2004, preface, p. ix.

[7] Ejan Mackaay dans son ouvrage écrit avec Stéphan Rousseau tente d’apporter d’importants éléments qui permettent d’identifier le phénomène de l’AED. Ces éléments permettent ensuite d’indiquer un soupçon de réponse à la question qui nous semble essentielle de répondre : est-il possible de mesurer le droit ? Comme l’AED est une méthodologie de mesure, elle s’attache à l’évaluation des régimes, des systèmes de droit, des institutions, de l’application des règles,…

[8] CE, 19 oct. 1962, Canal, Robin et Godot, Rec. Lebon, p. 552. Par l’arrêt Canal, le Conseil d’État a annulé une ordonnance prise par le Président de la République sur le fondement d’une loi référendaire qui instituait une cour militaire de justice au motif que la procédure prévue devant cette cour et l’absence de tout recours contre ses décisions portaient atteinte aux principes généraux du droit pénal. Cette décision fut la cause d’une très  vive tension entre le général de Gaulle et le Conseil d’État.

[10] Extrait du discours du Premier Président Guy CANIVET, « Le juge entre progrès scientifique et mondialisation », RTD civ, 2005, 33, spéc. p. 41

[11] www.fondation-droitcontinental.org, le site du programme Efficacité économique du droit (2eD)

[12] www.fondation-droitcontinental.org, le site du programme Efficacité économique du droit (2eD)

[13] Unnecessary burden, in Rapport 2004, Chapitre Starting a business

[14] Expression de B. du  MARAIS, relatée dans l’article précité de R. HIAULT aux Échos du 13 sept. 2005, sous-titré  « Polémique sur le Rapport Doing business de la Banque Mondiale ».

[15] H. MOUTOUH, « Le droit et l’influence internationale de la France », in  Le modèle juridique français : un obstacle au développement économique ?, coll. « Thèmes et commentaires »,

Paris, Dalloz, 2005, p. 79 et s.

[16] En guise d’exemple, dans le chapitre consacré à l’indice « Embauche des travailleurs » du rapport 2006 on trouve une anecdote qui raconte l’histoire de Yasmine, diplômée du supérieur au Burkina Faso, qui ne parvient pas à trouver un emploi dans le secteur formel : « ses difficultés peuvent s’expliquer par la rigidité de la réglementation du travail » (p. 21).

[17] La flexibilité du marché du travail est le degré d’ajustement de l’emploi ou du temps de travail ou des salaires par rapport aux évolutions économiques.

[18] Etudes qui se portent sur le droit des actionnaires

[19] B. du Marais dans son ouvrage «  Des indicateurs pour mesurer le droit. Les limites méthodologiques des rapports « Doing Business » (p.  19) affirme que : « Ainsi, les indicateurs des rapports Doing Business ne sont jamais mis en rapport avec des statistiques judiciaires officielles et ils reposent sur des questionnaires qui, inéluctablement, sollicitent la perception du répondant et donc sont empreints d’une certaine subjectivité ». L’économiste Thierry Kirat estime que les  rapports Doing Business  ne s’encombrent pas  de  précautions méthodologiques  et ne font en aucun cas place aux nombreuses controverses académiques, « comme si les conclusions étaient écrites d’avance » : T. Kirat, “Les indicateurs de protection de l’emploi (OCDE et Banque

Mondiale). Présentation et éléments de discussion sur la mesure du droit du travail”, Projet « Evaluation du droit du travail », Institut international de la Défense – DARES, février 2006, p. 7. A. Raynouard dans son ouvrage “La concurrence normative dans l’Union  européenne” (p.  2) affirme aussi que « le travail effectué  repose  sur  une démarche  d’une  extrême  légèreté », ce qui fait qu’il s’agit d’un « amateurisme cynique, la méthodologie retenue étant excessivement simpliste »

[20] B. du Marais, op. cit., p. 35.

[21] O. Favereau, “Critères d’efficacité économique du droit du travail : un essai de classification raisonnée”, www.afdt-asso.fr ;  IIPEC,  L’évaluation du droit du travail : problèmes et méthodes, Rapport de synthèse remis à la DARES, 2008, p. 45 s.

[22] E. Dockès, “Le pouvoir dans les rapports de travail. Essor juridique d’une nuisance économique”, Droit social, 2004, p. 622.

[23] F. Ost et M. van de Kerchove, « De la pyramide au réseau. Pour une théorie dialectique du droit », Publications des Facultés universitaires Saint-Louis, 2002, p. 332.

[24] H. Lepage, Demain le capitalisme, Hachette-Pluriel, 1980, p. 32 et V. Valentin,  Les conceptions néo-libérales du droit, Economica, 2002, p. 27 et s.

[25] C. Atias,  “La distinction du patrimonial et de l’extra-patrimonial et l’analyse économique du droit : un utile face à face”, Rev. rech.  jur. 1987, vol. 2, p. 491. Il affirme que si « l’analyse économique du droit peut remplir un très appréciable rôle de vérification […], elle ne peut se poser en une sorte de science de la science juridique, de méta-science juridique ».

[26] B. MALLET-BRICOUT, « Libres propos sur l’efficacité des systèmes de droit civil », RIDC, 4-2004, pp. 865-888.

[27] Home information pack, sur www.odpm.gov.uk.

[28] Sur les convergences entre droit anglais et français, et pour une vision renouvelée des oppositions couramment invoquées, V. B. MARKESINIS, « Constructions de systèmes et résolution de problèmes concrets. Occasions  manquées et naissantes pour une convergence méthodologique entre le droit français et le droit anglais », RTD civ., 2005, p. 47.

[29] Rapport. Xavier de ROUX (Vice-président de la Commission des lois de l’Assemblée nationale, senior partner du cabinet Gide Loyrette Nouel), « Le Code civil reste un outil privilégié ». Article de La Tribune, 18 mars 2004 : « Le Code civil crée d’abord la sécurité juridique, il sait s’adapter aux évolutions de la société. Facile à lire, clair  dans ses énoncés, il est par nature même d’essence démocratique. La méthode qu’il utilise, non seulement a fait ses preuves, mais devrait rester pour le législateur un modèle. Il est désormais accessible sur Internet en anglais et en espagnol. Il doit rester pour le juriste et pour longtemps l’outil privilégié ».

[30] Étude du Conseil d’État, L’influence internationale du droit français, La documentation française, 2001, p. 103

[31] H. MUIR-WATT, « Les forces de résistance à l’analyse économique du droit dans le droit civil », in Bruno DEFFAINS (dir.), L’analyse économique du droit dans les pays de droit civil, Paris, Cujas, 2002, pp. 37-45. Il est dit que c’est une certaine « résistance » dirigée non contre l’analyse économique du droit qui peut être une science auxiliaire certainement utile mais contre une tentation hégémonique de celle-ci.

[32] D. VOINOT, « La législation commerciale : instrument de rayonnement du droit français dans le monde », Pet. Aff., 9 mars 2005, n° 48, p. 3.

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