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Le détachement de travailleurs dans l’Union européenne : enjeux, contrôles et perspectives dans le département de la Moselle

    • Introduction

    Depuis la signature du Traité de Rome en 1957, les pays qui ont rejoint la Communauté économique européenne (CEE), devenue ensuite Union européenne (UE), ont affiché leur volonté de s’engager sur la voie d’une union de plus en plus étroite. Une telle union repose sur la réalisation d’échanges actifs entre les pays membres dans les domaines économique, monétaire, sociale et, pourquoi pas, juridico-politique. À l’origine constituée de 6 membres, l’UE s’est progressivement élargie pour devenir aujourd’hui une entité composée de 28 membres.

    Pour concrétiser cette vision, la création d’un marché unique, appelée également marché intérieur, a été prévue par le traité fondateur de l’Union européenne (TFUE). Elle impliquait l’instauration de plusieurs principes fondamentaux qui y sont alors insérés, à savoir : la liberté de circulation des personnes et des biens, des marchandises, des capitaux et également des services. C’est cette dernière liberté qui nous concerne dans le présent rapport d’étude. Celle-ci est prévue à l’article 56 du TFUE qui dispose : « Les Etats membres doivent garantir la libre prestation de service. Cette liberté fondamentale comporte le droit pour un prestataire établi dans un Etat membre de détacher temporairement des salariés dans un autre Etat membre et d’y prester. »[1] Ainsi, toute discrimination opérée de manière directe ou indirecte et fondée sur des critères comme la nationalité, le lieu d’établissement du prestataire ou toute autre mesure dissuasive est sanctionnée. L’égalité de traitement pour toutes les personnes résidant dans les frontières de l’UE est érigée en principe.

    Le principe de la libre prestation de services a logiquement donné suite à l’adoption d’un texte au niveau européen. Celui-ci est matérialisé par la directive 96/71/CE du16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services. Dans le droit européen, le détachement de travailleurs est le fait pour un employeur établi dans un État membre de l’UE de détacher temporairement un ou plusieurs de ses salariés sur le territoire d’un autre État membre pour réaliser une prestation de services. La directive prévoyait l’obligation pour les membres de l’UE de la transposer dans leur ordre juridique interne au plus tard le 16 décembre 1999, soit avant l’expiration d’un délai de trois (3) ans après son adoption. Ainsi, l’Espagne[2], le Danemark[3], la Finlande[4], le Portugal[5], la Grèce[6], l’Italie[7], les Pays-Bas[8] ou encore la Suède[9] ont voté une loi pour l’incorporer dans leur droit positif[10]. D’autres pays comme l’Autriche, l’Allemagne et la France[11] ont anticipé l’adoption de la directive qui était déjà en cours de négociation en légiférant avant l’entrée en vigueur de celle-ci. Ces différentes initiatives étatiques montrent bien la teneur des enjeux posés par les prestations de services internationales (PSI) sur le territoire de l’UE.

    En parallèle, les acteurs de la vie économique doivent composer avec un contexte de plus en plus difficile. En effet, la crise économique et sociale qui touche globalement les pays de l’UE, met l’emploi en danger. Le taux de chômage atteint, en 2013, 11,1% de la population active des États membres contre 6% en 2008[12]. Les entreprises également évoluent dans un environnement de plus en plus concurrentiel. Celui-ci les pousse parfois à rechercher de nouvelles clientèles au-delà des frontières du lieu de leur établissement, et ce au détriment des règles légales en vigueur dans le pays d’accueil. Ces pratiques déloyales en matière d’emploi sont de nature à léser les entreprises établis dans l’État d’accueil. D’autant plus qu’on assiste à une amplification du phénomène de détachement dans la plupart des États de l’UE dont la France.

    En effet, selon les chiffres de la Commission européenne, 1,3 million de salariés sont détachés dans l’UE. La France en compte 162 000, ce qui fait d’elle le deuxième pays d’accueil après l’Allemagne (311 000 détachés) mais avant la Belgique (125 000 détachés). Par ailleurs, 144 000 salariés français sont détachés dans l’ensemble des pays de l’UE. L’Hexagone est le troisième pays fournisseur de main-d’œuvre étrangère derrière l’Allemagne et la Pologne (228 détachés chacun)[13]. Quel que soit le sens du flux migratoire, la France est présente dans le trio de tête au niveau européen.

    Face à cette situation, l’inspection du travail intervient dans le cadre de ses attributions de contrôle des activités des entreprises. À ce titre, elle joue un rôle de premier plan dans la lutte contre toutes les formes de travail illégal, notamment celles qui naissent du détachement de travailleurs. Les sous-traitances abusives, la non-déclaration des détachements, les nouvelles organisations du travail, la précarisation de l’emploi ou encore l’âpreté de la concurrence créent de nouvelles souffrances pour les travailleurs qui sont très souvent soumis aux pouvoirs de leurs employeurs. La résolution de ces problématiques contribue à l’application correcte du droit européen et au respect des conditions de travail minimum au profit des salariés détachés. Ce qui nous amène à nous poser la question : comment améliorer les contrôles des prestations de service internationales ?

    Étudier le phénomène au niveau national s’avèrerait être une tâche trop ardue au regard du temps qui nous est imparti et des moyens à notre disposition. La présente étude se propose d’étudier le phénomène du détachement dans le département de la Moselle. Dans une première partie, nous effectuerons un diagnostic de la situation du détachement en France, en région Lorraine et au sein de l’unité territoriale de la Moselle après une brève description de celle-ci. Nous aborderons le cadre juridique du détachement en France, notamment la directive 96/71/CE et la loi n°2014-790 du 10 juillet 2014. Nous procéderons également à l’examen des pratiques des agents de contrôle en la matière. Cela nous permettra de constater les difficultés et les freins qui se dressent devant les agents de contrôle pour mener à bien leur mission.

    Dans une deuxième partie, nous tenterons d’émettre certaines préconisations opérationnelles afin d’améliorer le contrôle du détachement au sein du département de la Moselle.

    Avant de procéder à cette étude, nous allons expliciter notre méthodologie de travail.

    • Méthodologie de travail

    Notre étude s’appuie sur un travail d’investigation grâce auquel nous avons obtenu des données. Celles-ci sont d’origine diverses et variées.

    • La recherche documentaire

    L’une des étapes incontournables d’une étude telle que la nôtre est le travail de recherche documentaire. En effet, pour connaître un thème, il faut avant tout s’informer dessus ; les informations obtenues permettent d’appréhender le sujet dans toutes ses facettes. Puis nous avons procédé à une sélection de la documentation en fonction de leur pertinence par rapport à notre étude. Des recherches sur internet, notamment concernant la région Lorraine et le département de la Moselle, l’utilisation de rapports, la veille des actualités européennes et françaises touchant le phénomène du détachement ont été effectuées. Nous avons également pu exploiter les textes législatifs et réglementaires touchant les prestations de service internationales (directive, lois, décrets, circulaires, etc.) pour en dresser le cadre juridique.

    • Les données quantitatives

    Afin de saisir la réalité concrète du phénomène du détachement en France, en région Lorraine et dans le département de la Moselle, l’utilisation de données statistiques[14] s’avère indispensable. Nous avons consulté le site internet d’EUROSTAT pour obtenir des données sur l’UE[15], le site du Ministère français du travail[16] ou encore celui de la DIRECCTE Lorraine, ce qui nous a permis d’obtenir des données locales[17].

    • L’observation directe sur le terrain

    Étant donné le métier de l’inspecteur du travail qui exige des déplacements en entreprises, une observation directe sur le terrain m’a permis d’emblée de me plonger dans mon futur environnement de travail. Elle m’a également permis de me mettre en situation et de constater personnellement la complexité des tâches qui attendent les agents de contrôles. En effet, il est une chose de légiférer et une autre de faire respecter le droit, surtout en matière de détachement. Il s’agit de voir en pratique comment sont appliquées la directive européenne de 1996 sur le détachement des travailleurs et la récente loi n°2014-790 sur la concurrence sociale déloyale. Mais cette analyse reste personnelle et mérite d’être complétée par des points de vue extérieurs, notamment ceux des agents de contrôle.

    • Les entretiens avec des agents de contrôle intervenant au sein de l’unité territoriale

    Les agents de contrôle sont les acteurs majeurs en matière de contrôle des détachements en Moselle. Grâce à cet apport, j’ai pu m’enquérir de leur appréhension du phénomène ou de leurs difficultés pour garantir le respect du droit en vigueur. J’ai également pu bénéficier de leur expérience. Celle-ci m’a été utile pour la formulation des préconisations dans le but d’améliorer les contrôles du détachement dans le département de la Moselle.

    • Diagnostic de la situation de détachement au sein du département de la Moselle

     

      • Brève présentation de la Moselle

    La Moselle est le département le plus peuplé de la région Lorraine avec 1 036 721 habitants au recensement de 2006[18]. Sa superficie est de 6216,27 km². Elle porte le numéro 57. Elle compte 9 arrondissements, 51 cantons et 730 communes. Son chef-lieu, Metz, est la commune la plus peuplée. La Moselle est entourée des trois autres départements de la Lorraine : au sud, par la Meurthe-et-Moselle (54) et les Vosges (88) ; à l’ouest par la Meuse (55). Elle se situe sur la pointe orientale de la France, à la frontière avec l’Allemagne à l’est, le Luxembourg au nord et la Belgique au nord-ouest. Cette situation limitrophe avec trois États membres de l’Union européenne en fait une destination de choix pour les travailleurs en provenance de l’étranger. En effet, la proximité géographique fait partie des « facteurs les plus pertinents » qui influencent l’ampleur du détachement[19].

    Économiquement, la Moselle a connu un fort développement industriel grâce à la sidérurgie et à la houille, notamment à Thionville et Forbach jusqu’à la désindustrialisation dans les années 1970. Depuis, elles sont en déclin relatif et sans la proximité avec le Grand-duché de Luxembourg, le taux de chômage serait plus élevé que ne l’indiquent les chiffres. Le chômage atteint 10,7% de la population active sur l’ensemble du département soit 0,8 points de plus que le taux national[20].

    • Situation du détachement en France, en région Lorraine et dans le département de la Moselle

     

    • Les chiffres sur le détachement de travailleurs en France, en Lorraine et en Moselle[21]

     

    • Les chiffres sur le détachement de travailleurs en France

    Dans l’analyse du phénomène par la DGT, il existe trois types de données chiffrées : les nombre de déclarations préalables de détachement, le nombre de salariés détachés et le nombre de jours de travail employant de salariés détachés.

    En 2012, le nombre de déclarations a atteint 60 000 soit une progression de 32%. Quant au nombre de salariés détachés, il est de 170 000. Les déclarations effectuées équivalent à 5,7 millions de jours détachés soit 25 000 ETP et 16% de pus qu’en 2011[22]. Ces progressions à deux chiffres résultent d’une tendance observée depuis de nombreuses années. Ce sont dans les zones frontalières que les autorités reçoivent le plus de déclarations. Cependant, les prestations de services internationales se diffusent sur l’ensemble du territoire français avec 14 départements ayant fait l’objet de plus de 1000 déclarations, contre 8 en 2011. Les trois secteurs bénéficiant le plus de cette main-d’œuvre étrangère sont les BTP, les Entreprises de Travail Temporaire (ETT) et l’industrie.

    56% des déclarations reçues émanent des premiers pays États membres de l’Union Européenne, dont 20% pour le Luxembourg seul. Mais leur croissance (+19%) est inférieure à celle des nouveaux membres (+22%). Par ailleurs, les pays non membres détachent de plus en plus de travailleurs et leur part dans les déclarations augmente progressivement avec 6% en 2012 contre 5% en 2011. La Roumanie, le Portugal, l’Espagne, la Belgique, l’Italie, la Slovaquie, la Bulgarie, la Hongrie et le Royaume-Uni sont des pays dits « à interventions récurrentes ».

    Les salariés détachés sont essentiellement des ressortissants des nouveaux États membres de l’UE (+10 000), de l’UE des 15 hors France (+8 000) et ceux des pays tiers (+8 600). Concernant la nationalité des salariés détachés, ce sont les Polonais (31 700), les Portugais (20 100) et les Roumains (17 500) qui sont les plus grands pourvoyeurs de main-d’œuvre.

    • Les chiffres sur le détachement de travailleurs en région Lorraine

    Au niveau national, la Lorraine pèse le plus tant en nombre de salariés que de déclarations reçues. Les autorités de la région ont reçu 13 883 déclarations en 2012 contre 12 857 un an plus tôt soit une hausse de 7,9%. Le nombre de salariés détachés est passé de 28 269 à 26 952 entre les deux années, soit une légère baisse de 4,8%[23].

     

    • Les chiffres sur le détachement de travailleurs en Moselle

    En 2012 et 2013, la Moselle est à chaque fois le premier département français accueillant des travailleurs détachés étrangers devant le Bas-Rhin, le Haut-Rhin, les bouches du Rhône et le Nord[24]. Concernant les statistiques du phénomène dans le département de la Moselle, le nombre de déclarations reçues est de 11 640 en 2012 et 10 717 en 2013.

    Par ailleurs, la Moselle est le premier département en 2012 dans quatre secteurs : les BTP, l’industrie, la mobilité intra-groupe et les ETT. Le poids sectoriel du nombre de déclarations est relativement stable dans les trois premiers secteurs : 11%, 17% et 15% pour des nombres de déclarations respectivement de 2 252, 1 592, 312. Par contre, le secteur ETT pèse 46% soit 7 388 déclarations[25].

     

    • Les secteurs concernés par le détachement de travailleurs

    La directive de 1996 précise dans son annexe les activités entrant dans son champ d’application. Ce sont toutes les activités dans le domaine de la construction : réalisation, remise en état, entretien, etc. Étant donné ce cadre légal, le secteur des BTP est le premier touché par le détachement de travailleurs étrangers en France. C’est ce qu’il ressort des chiffres sur les déclarations effectuées dans ce secteur. Ainsi, en 2012, le secteur totalisait 35% des déclarations et connaît une hausse de 8 points en 2013 (43%)[26]. Le deuxième secteur propice au détachement est celui des entreprises de travail temporaire (ETT) même s’il a connu des baisses ces quatre dernières années : 30% des déclarations en 2011[27], 27% en 2012 et 23% en 2013. L’industrie est le dernier secteur du top 3 quant au nombre des déclarations reçues. Sa part est constante de 2011 à 2013 : 17% puis 15% à chaque fois les deux années suivantes. Pour sa part, l’évolution des déclarations dans le domaine agricole de 2011 à 2013 se fait en dent de scie : 5% en 2011 (5%), 13% en 2012 et 5% encore en 2013. Le pic de 2012 s’explique par la forte croissance des déclarations des Bouches du Rhône[28]. Par ailleurs, l’une des explications avancées par la Commission nationale de lutte contre le travail illégal (CNLTI) est que les fraudes dans ce domaine « est une problématique croissante »[29]. La baisse du nombre de déclarations ne permet donc pas de conclure que le phénomène est en recul dans ce domaine.

    Les données en notre possession nous renseignent également que le nombre de salariés détachés connaît une croissance soutenue depuis 2000. De 2011 à 2013, nous avons respectivement 144 411, 169 613 et 212 641 salariés détachés. Du point de vue de la répartition sectorielle du nombre de jours d’emploi de salariés détachés, la tendance suit celle des déclarations effectuées : les BTP, les ETT et l’industrie sont les plus concernés.

    Il convient enfin de dire que la DGT a constaté un recouvrement statistique en amélioration en termes d’efficacité et un meilleur respect de la réglementation relative à la déclaration préalable[30]. Elle se traduit notamment par l’accroissement du nombre de départements recevant plus de déclarations.

     

    • Le cadre juridique : la directive européenne de 1996 sur le détachement des travailleurs : efficacité et limites

     

    • La directive européenne de 1996 sur le détachement de travailleurs

    La directive 96/71 de la Commission Européenne précise toutes les règles qu’une entreprise membre de l’UE qui détache des travailleurs sur le territoire d’un autre État membre doit respecter. Elle institue ainsi ce qui a été dénommé le « noyau de règles impératives de protection minimale »[31]. Ce noyau dur de conditions de travail et d’emploi a pour but d’éliminer les formes de discrimination qui pourraient survenir. Cette exigence entraîne que le travailleur détaché doive jouir des mêmes conditions de travail dont bénéficient les salariés qui travaillent de manière habituelle sur le territoire national du pays d’accueil. Il est prévu à l’article 3. Ce sont :

    • les périodes maximales de travail et les périodes minimales de repos;
    • la durée minimale des congés annuels payés;
    • les taux de salaire minimum, y compris ceux majorés pour les heures supplémentaires;
    • les conditions de mise à disposition des travailleurs, notamment par des entreprises de travail intérimaire;
    • la santé, la sécurité et l’hygiène au travail;
    • les mesures protectrices applicables aux conditions de travail des femmes enceintes et des femmes venant d’accoucher, des enfants et des jeunes;
    • l’égalité de traitement entre hommes et femmes ainsi que d’autres dispositions en matière de non-discrimination.

    Selon la directive, le taux de salaire minimum est celui fixé par la loi du lieu sur lequel le détachement est effectué. Par exemple, un Français détaché en Pologne doit être rémunéré d’un salaire au moins équivalent au Smic français. Par ailleurs, la directive prévoit une exception à ce principe dans le cas où le salaire minimum dans le pays d’accueil est inférieur au pays d’origine du travailleur détaché. Ainsi, l’article 3.7 de la directive ne fait pas obstacle à l’application de conditions plus favorables pour le travailleur détaché.

    Outre cette exception prévue par la directive, la CJCE a aussi estimé dans un arrêt rendu en 2001 que l’application des règles du pays d’accueil peut toutefois être écartée lorsque celle-ci n’apparaît pas opportune, car ni proportionnée ni nécessaire à la protection des travailleurs concernés[32].

    La directive s’était fixée le but d’instaurer une concurrence loyale entre les entreprises ; en somme, de lutter contre le dumping social. En matière de détachement, cette notion peut être définie comme l’ensemble des pratiques mises en œuvre par des entreprises pour augmenter leur compétitivité au détriment des règles sociales en vigueur sur un territoire donné. La directive constitue un instrument destiné à protéger les entreprises nationales contre la concurrence déloyale effectuée par celles étrangères qui détachent des salariés (dite l’entreprise donneur d’ordre) et les salariés détachés qui travaillent souvent en deçà des conditions minimales existant dans le pays d’accueil. Ces fraudes qui déstabilisent des pans entiers de l’économie française sont porteuses d’un enjeu social. C’est certainement dans cet esprit que la France a adopté une loi le 10 juillet 2014 pour lutter contre la « concurrence sociale déloyale ».

    Il ressort de l’article 7 de la directive que celle-ci est destinée à s’appliquer à tous les États membres de l’UE. Ces derniers doivent adopter, à l’expiration d’un délai de trois ans à compter de son adoption, des mesures législatives ou réglementaires nécessaires pour s’y conformer et en y faisant référence lors de cette adoption ou de leur publication officielle.

     

    • La loi n°2014-790 du 10 juillet 2014

    La loi n°2014-790 du 10 juillet 2014 a apporté des modifications au Code de travail français. Elle est « destinée à renforcer les contrôles et sanctions contre les entreprises qui ont recours de manière abusive à des travailleurs détachés »[33]. En décembre 2013, les membres de l’UE se sont entendus pour renforcer la directive de 1996. Cette loi a pour mérite d’instaurer une responsabilité solidaire en matière financière à l’encontre de l’entreprise donneur d’ordre. En effet, si auparavant celle-ci n’était soumise à aucune obligation qui garantisse un meilleur respect des préconisations de la directive, cette insuffisance est atténuée par l’insertion de dispositions supplémentaires dans le Code de travail. Actuellement, le donneur d’ordre est astreint à une obligation de vigilance en matière d’hébergement des travailleurs détachés (art. L.4231-1) et de respect de la législation du travail sur le territoire français (art. L.8281-1). Il engage également sa responsabilité financière, non seulement pour ses manquements aux formalités de transparence mentionnées à l’art. L.1262-2-1[34] mais également pour fait d’autrui, notamment des manquements de son maître d’ouvrage ou bien d’un sous-traitant de ce dernier (art. L.3245-2).

     

    • Examen des pratiques des agents de contrôle en matière de contrôle des détachements du travail

     

    Depuis l’adoption de la directive européenne, les États membres de l’UE sont sensés avoir pris des mesures pour suivre et contrôler efficacement le phénomène et éviter autant que possible les dérives. En effet, la directive laisse crée une occasion aux entreprises d’engager des salariés à bas prix, de faire réaliser des prestations par une main-d’œuvre peu chère, etc. Il va sans dire que l’adoption de cette directive s’accompagne d’un surplus de travail pour les services chargés du contrôle des activités des entreprises, notamment de l’inspection du travail français.

    Durant les périodes de terrain que comprend mon cursus, j’ai eu l’occasion de m’insérer dans mon futur cadre de travail. Je me suis intéressé au fonctionnement du ministère de tutelle, en premier lieu en ce qui concerne les détachements de travailleurs. J’ai également pu observer les agents « en action » : descentes dans les entreprises, visites de chantiers BTP, entretiens avec des responsables de sociétés ayant recours à une main-d’œuvre étrangère, etc. Je me suis également entretenu avec des agents dans mon UT de rattachement. Les quelques points qui suivent montrent les principales pratiques que j’ai constatées.

     

    • Chaque agent de contrôle possède sa propre expérience en matière de contrôle des détachements

    L’inspection du travail est actuellement constituée de deux catégories d’agents de contrôle : les inspecteurs du travail et les contrôleurs du travail. Si les premiers (33% des effectifs) disposent de pouvoirs étendus et sont habilités à effectuer des contrôles quelle que soit la taille de l’entreprise, les seconds (67%) disposent de pouvoirs plus restreints et limités à des entreprises de moins de 50 salariés[35].

    Durant notre stage pratique, nous avons constaté que cette catégorisation des agents de contrôle a des répercussions significatives sur l’expérience de terrain. En effet, contrôler une entreprise de petite taille et une autre de grande taille ne nécessite pas la même quantité de moyens à mettre en œuvre. Du point de vue de la difficulté, la tâche des contrôleurs est de loin moins ardue. Cependant, les inspecteurs nous ont semblé plus à l’aise que les contrôleurs dans la réalisation de leurs tâches. Les attributions plus étendues de l’inspecteur lui confèrent un meilleur statut et plus de respect de la part des responsables d’entreprises contrôlées. En outre, les fraudes les plus complexes sont constatées au niveau des entreprises de grande taille. Cette situation oblige les inspecteurs à faire preuve de plus de créativité et d’audace pour les déceler.

    • Le partage d’expérience entre agents de contrôle reste faible

    Cette pratique constante est, selon nous, un corollaire de la précédente. En effet, les expériences des uns et des autres diffèrent : ancienneté, catégorie, etc. Chaque agent ne bénéficie pas nécessairement de l’expérience de ses pairs en l’absence de séances de partage, de formation des jeunes agents de contrôle par des agents plus expérimentés dans l’unité de d’appartenance ou d’une autre unité. Bien sûr, les échanges informels entre agents existent comme dans toute sphère de relations sociales. Mais il manque les séances d’échanges constructifs dans le but de faciliter la tâche de chaque agent de contrôle, notamment les nouveaux venus dans le métier.

     

    • L’échange d’informations entre agents d’une même section ou d’agents de sections différentes est peu pratiqué

    À l’instar de la précédente pratique, la présente est responsable du rallongement des délais de traitement d’une même affaire. En effet, une entreprise qui emploie des salariés détachés intervient généralement sur des lieux rattachés à plusieurs sections de contrôle. Il arrive qu’un agent de contrôle requière d’une entreprise la fourniture de documents qu’un de ses homologues implanté dans une autre section va ultérieurement redemander à la même entreprise. L’une des causes à cette absence de communication est le délai lui-même souvent important pour obtenir du prestataire les informations qui lui sont demandées. En effet, en cette ère numérique où les e-mails sont connus de tous, l’usage de support papier envoyé par voie postale reste le plus fréquent. Entretemps, le lieu d’intervention se déplace et tombe dans le ressort territorial d’une autre section.

    Souvent aussi, la communication avec les salariés étrangers est difficile à cause de la barrière linguistique. Dès lors, il ne s’établit pas une réelle activité de contrôle, la rencontre s’apparentant très souvent à des simples demandes d’informations. L’aspect technique qui devrait être systématique dans tout contrôle est relégué au second plan. Ainsi, on peut également comprendre qu’un agent n’ait pas nécessairement envie de communiquer avec ses pairs par crainte d’être pris pour une personne manquant de technicité et de sérieux dans l’accomplissement de sa mission.

    Enfin, l’inexistence d’une base de données numérique centralisant l’ensemble des informations recueillies par tous les agents de contrôle au niveau départemental, régional et national caractérise le défaut de communication à l’échelle institutionnelle même.

     

    • Les détachements de travailleurs : un moyen de mettre en œuvre la solidarité entre les pays de l’UE

     

    Le détachement de travailleur dans le cadre de PSI est une opération mettant en jeu plusieurs États. S’agissant de la mise en œuvre de la directive européenne de 1996, une PSI concerne toujours deux pays de l’UE au moins. Si l’opération de PSI en France en elle-même concerne, en premier lieu, une entreprise de nationalité étrangère d’une part et l’État français d’autre part, il ne faut pas oublier qu’in fine ce sont les États qui ont accepté d’adhérer à l’UE. De ce fait, des décisions ont été prises par leurs plus hautes instances en vue d’améliorer le quotidien de leurs citoyens. Ainsi, « la libre circulation des personnes », le « marché intérieur » ou encore la « concurrence loyale » inscrites dans le préambule de ladite directive sont effectivement mises en œuvre à travers les opérations de PSI et traduit l’un des objectifs de création de l’UE : celui de permettre à tous ses citoyens de vivre de manière décente, avec des moyens économiques suffisants et dans un cadre social épanouissant.

    En quelque sorte, la directive de 1996 est un moyen de mettre en œuvre la solidarité des États membres de l’UE. Nous considérons que l’État qui accueille un salarié étranger, ne serait-ce que temporairement, montre implicitement son acceptation à être solidaire envers l’État de provenance du salarié en question. En effet, un salarié basé sur son propre territoire aurait pu effectuer la prestation au lieu de recourir aux services d’une entreprise étrangère pour sa réalisation. De même pour l’employeur qui décide de détacher un ou plusieurs de ses employés sur le territoire d’un autre État. Prenons l’exemple d’une PSI en France en gardant à l’esprit que l’une de ses conditions d’existence est l’existence d’une « relation de travail »[36] entre l’employeur et le salarié détaché. L’employeur engage des saisonniers pour effectuer une récolte en France (cueillette de melon par des Bulgares[37]) ou en Allemagne (asperges par des Polonais et des Roumains[38]). Ces derniers qui auraient probablement été au chômage dans leur pays d’origine, peuvent bénéficier d’une source de revenu. De même si l’on se place du point de vue de l’État d’accueil. En application de la directive de 1996, ce dernier s’est engagé à protéger les droits de tous les salariés étrangers détachés au même titre que les salariés travaillant habituellement sur son territoire. En effet, l’action des services français d’inspection du travail concerne tous les travailleurs sans distinction. Du point de vue de la lutte contre le travail illégal, les 27 États membres de l’UE ont créé des bureaux de liaison. Leur rôle consiste à « apporter une assistance juridique, à diffuser de l’information sur le droit applicable et son interprétation, ainsi qu’à saisir les autres bureaux de liaison européens pour les échanges d’informations et de renseignements nécessaires aux investigations et aux enquêtes administratives effectuées par les services de contrôle »[39]. La solidarité européenne se manifeste également à travers l’action de ces bureaux de liaison. Enfin, il ne faut pas oublier qu’à l’instar du monde, l’UE continue de subir les effets sociaux de la dernière crise économique.

     

    • Propositions opérationnelles pour améliorer le contrôle de détachement au sein du département de la Moselle

    Plusieurs propositions peuvent être formulées dans le but d’améliorer le contrôle des détachements en Moselle.

     

      • Créer un fichier communal commun

    Actuellement, chaque département reçoit et saisit les données concernant les déclarations de détachement qui lui sont remises. Les chiffres obtenus sont remontés au niveau régional. Mais ce fichier n’est pas consultable par les départements et ces derniers n’ont donc aucune vision globale de la situation dans leur ressort territorial. La création d’un fichier au niveau régional présenterait l’avantage de faciliter la lutte contre les fraudes en matière de détachement. Une autre utilité est qu’elle permettrait de déterminer les entreprises étrangères qui détachent le plus de travailleurs dans les autres départements. Mais il serait également intéressant de l’étendre au niveau national pour mesurer l’ampleur du phénomène en France. La mise en œuvre d’une telle proposition permettrait de déterminer les entreprises qui détachent sur plusieurs régions françaises. Ainsi, il serait possible de savoir lesquelles sont à surveiller particulièrement. En effet, il faut se rappeler que le détachement est porteur d’enjeux sociaux (non respect des droits fondamentaux des salariés détachés, salaire inférieur au minimum légal, etc.) et que ceux-ci sont d’autant plus importants quand le nombre potentiel de salariés est élevé. Le fichier commun contribuerait à la mise en œuvre de la prochaine proposition.

     

     

    • Développer les relations entre les agents des UT (unités territoriales) et l’URAC/LTI

    Dans la partie de ce mémoire réservée à l’examen des pratiques des agents de contrôle, nous avions déjà évoqué le constat que chacun d’entre eux avait sa propre expérience en matière de contrôles du détachement. Nous avons aussi constatés que la coopération se limitait actuellement aux sections quand plusieurs d’entre elles collaborent sur un même chantier. Cette collaboration efficace mérite d’être étendue à l’interne, entre les agents eux-mêmes. Des séances de partage d’expérience pourraient être mises en place dans le cadre de réunions régulièrement tenues. Sur le plan humain, nous pensons que la réforme qui vise la transformation des postes de contrôleurs en inspecteurs d’ici 2023 constitue un axe de progrès des relations entre agents[40]. En effet, cela permettra de rétablir l’égalité du point de vue des attributions et, par là-même, du statut. Ce qui évitera les sentiments de jalousie éventuels, freins aux relations entre agents.

    Cette proposition abonde dans le sens des priorités gouvernementales de 2015 en matière de travail illégal. En effet, le ministère du travail va renforcer les contrôles en continuant la professionnalisation et la montée en compétence des agents chargés de les effectuer. Plus de 13 000 heures de formation leur ont été dispensés en 2014 et 15 000 heures sont prévues pour 2015. Des modules spécialisés (transport routier, auto-entrepreneur, agriculture, etc.) permettront d’appréhender les réalités spécifiques à chaque type d’activité recourant au détachement[41]. Pour les aider à déceler les fraudes de plus en plus astucieuses, des guides seront aussi établis. Les agents de contrôle seront ainsi plus à l’aise sur les aspects juridiques et techniques du détachement de salariés étrangers. Cela permettra aussi de renforcer la coopération car les diverses institutions auront le même degré de connaissance et de formation sur les fraudes. Enfin, pour faciliter la mise en œuvre du plan spécifique concernant les 500 plus grands chantiers BTP faisant appel aux PSI, les relations entre agents issus de diverses unités territoriales doivent être renforcées. Les agents chargés de contrôler les activités d’une même entreprise qui détache sur deux ou plusieurs UT pourraient ainsi échanger leurs informations pour une efficacité accrue. De même, les unités régionales d’appui, de contrôle et de lutte contre le travail illégal (URAC/LTI) devraient jouer pleinement leur rôle d’appui à l’inspection du travail de leur région.

    • Développer les contrôles avec les partenaires extérieurs

    Afin de lutter contre les fraudes plus efficacement et dans des délais pertinents, le développement d’un réseau de partenaires extérieurs est une initiative à prendre. C’est ce qui ressort des analyses effectuées par la direction générale du travail français en 2013[42]. Actuellement, il existe des alliances entre différentes administrations qui réalisent des contrôles communs. Le ministère du travail est la première entité responsable du contrôle des détachements. La police, l’Urssaf et la gendarmerie sont les services qui s’associent le plus souvent avec elle pour mener à bien cette mission. À cet effet, nous proposons que ces divers services renforcent les partenariats déjà existants ou en développent de nouveaux qui englobent tous les aspects du détachement : le contrôle sur terrain, le dressage de PV ou le partage des informations et des pratiques.

    En outre, ces contrôles pluridisciplinaires favorisent la visibilité des actions car elles crédibilisent l’engagement des différentes entités dans la lutte contre le travail illégal. Ces contrôles conjoints sont souvent relayés par les médias, ce qui peut avoir un effet dissuasif supplémentaire[43].

    • Généraliser la déclaration dématérialisée

    Pour faciliter le contrôle des détachements, la pratique des entreprises devrait évoluer dans le sens de la dématérialisation générale des déclarations de détachements. En effet, l’usage de l’outil informatique par rapport au support papier réduit significativement les délais de traitement des déclarations. Parmi les priorités du ministère du travail figure le développement du recours aux déclarations en ligne via l’application SIPS I (Système d’information – prestations de service internationales). Le choix de la dématérialisation permettra également au ministère du travail de se constituer une base de données nationale. L’institution pourra ensuite établir des données statistiques à tous les différents niveaux (départemental, régional, national) qui lui permettront de mettre en place de nouvelles politiques pour intervenir encore plus efficacement contre les fraudes au détachement.

    • Créer une hotline ou un jour de permanence spécifique dans la semaine

    Selon le constat d’agents, les employeurs qui souhaitent joindre par téléphone les services habilités à recevoir les déclarations de détachement de PSI le font à n’importe quelle heure de la journée. La création d’une hotline spécialisée dans les PSI faciliterait la communication avec les employeurs. Le cas échéant, il est également possible d’organiser une journée hebdomadaire de permanence au niveau des UT départementales ou régionales.

    • Développer les relations avec les pays étrangers

    Toute opération de PSI concerne au moins deux pays : le pays d’accueil et le pays pourvoyeur de salariés étrangers. Il est possible que l’entreprise étrangère détache des salariés dans plusieurs pays. Dans un souci d’améliorer la transparence des flux migratoires, il est important pour la France d’établir de bonnes relations avec ses voisins, notamment l’Allemagne, la Belgique et le Luxembourg. Ainsi, les pays de l’UE qui détachent des travailleurs ont tout intérêt à signer des conventions de partenariats avec leurs homologues étrangers. Les accords pourraient englober divers domaines de l’activité de contrôle des détachements.

    Par exemple, le ministère français de travail et son homologue luxembourgeois ou belge coopèrent pour échanger leurs informations concernant les entreprises détachant sur le territoire de l’autre. Cela peut aussi constituer en des séances de formation organisées à l’initiative d’une DIRECCTE[44]. L’inspection du travail français peut également multiplier les coopérations avec les services d’inspection du travail des pays européens qui détachent des travailleurs sur son territoire. Dans cette optique, il serait intéressant de mettre à contribution les bureaux de liaison prévus par l’article 4 de la directive de 1996 et qui sont situés dans chaque pays membres de l’UE. Il existe un formulaire spécialement conçu dans ce but. Par ailleurs, les agents de contrôle de différents pays européens pourraient également partager leur expérience du contrôle pendant des séances d’échange[45].

    • Réaliser des actions de prévention en direction des salariés détachés et des syndicats

    Dans l’hypothèse où aucune des propositions précédentes n’a été mise en œuvre ou que l’employeur ne fait toujours pas preuve de diligence pour garantir le respect des droits des salariés qu’il détache, quelle serait l’alternative ? Nous pensons qu’il est également judicieux de réaliser des actions de prévention directement auprès des salariés détachés dans les entreprises françaises. L’objectif est de les conscientiser aux droits dont ils jouissent et aux obligations que doit remplir leur employeur avant et pendant l’opération de PSI : obligations préalables au détachement, conditions salariales, congés, hébergement, etc. Les autorités chargées de contrôler la situation du détachement ainsi que les institutions ayant pour vocation l’amélioration des services publics (comme les DIRECCTE) peuvent organiser la large diffusion, par voie médiatique et par tout autre moyen qui leur sont autorisés par la loi, dans le ressort de leur circonscription, de toutes les informations qui doivent être portées à la connaissance des salariés détachés. Ensuite, d’inciter ces derniers à se rendre dans leurs locaux pour dénoncer des cas probables de non-respect de leurs droits.

    Étant des entités de défense des droits des salariés, les syndicats devraient également être inclus dans cette dynamique et être saisis des problématiques touchant le détachement. Le ministère du travail devrait organiser des séances de formation à l’intention des syndicats français. Il devrait également inciter ces derniers à initier des coopérations intersyndicales entre syndicats d’employés issus de la France et d’autres pays européens. Cette forme de coopération transfrontalière peut aussi être mise en œuvre par les Conseils syndicaux interrégionaux (CSIR). Il existe par exemple une coopération entre le syndicat français FGA-CFDT et le syndicat bulgare NFZGS-Podkrepa en matière agricole[46]. Les actions conduites dans le cadre de cette coopération sont, par exemple, l’organisation d’une réunion publique d’information dans le pays d’origine des travailleurs avant qu’ils ne le quittent, la réalisation d’un guide pour sensibiliser sur les droits, les coordonnées des institutions ou autorités pouvant intervenir en cas de manquements à leurs droits (inspection du travail, pôle emploi en France, MSA, etc.)[47]. Pour être efficace dans la mise en œuvre de cette proposition, il faut établir une relation de confiance avec les salariés étrangers. Cela passe nécessairement par l’abolition de la barrière de la langue. Les personnes chargées de diffuser les informations nécessaires devraient pouvoir communiquer dans la langue locale.

    • Réaliser des actions de prévention en direction des entreprises

    Le projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques dite plus communément loi « Macron » a été adoptée le 19 février 2015 suivant la procédure accélérée prévue par l’article 49 alinéa 3 de la Constitution. Cette loi apporte des changements conséquents notamment au niveau des mesures de répression de l’entreprise donneur d’ordre qui ne remplit pas ses obligations. Ainsi, l’amende administrative pour défaut de déclaration préalable de détachement a été multipliée par 50, passant d’une valeur initiale de 10 000 € à 500 000€. La déclaration d’un salarié donne toujours lieu à la délivrance d’une carte d’identification professionnelle pour les salariés du BTP. L’entreprise contrevenante encourt ici une amende maximale de 500 000€. En outre, en cas de manquements graves aux droits fondamentaux des salariés détachés, la PSI concernée peut être suspendue par n’importe quel agent de contrôle.

    C’est pourquoi des actions de prévention méritent également d’être mises en œuvre à l’endroit des entreprises afin de leur rappeler leurs obligations et les sanctions qu’elles encourent en cas de leur non-respect. La nécessité d’appliquer cette proposition répond également à un besoin de publicité des dispositions nouvellement entrées en vigueur, notamment celles concernant les détachements en France. En effet, un employeur étranger n’est pas sensé être au fait de toutes les modifications qui interviennent dans le Code de travail français ou toute autre disposition régissant le détachement. Cette action pourrait déjà être dirigée envers les entreprises déjà connues des services de contrôle pour employer des salariés détachés.

    • Coordonner les logiques d’intervention à travers la concertation pour améliorer l’exécution de la mission des inspecteurs et contrôleurs du détachement

    Outre la création d’un fichier communal commun, la généralisation des déclarations dématérialisées ou d’une hotline, l’inspection du travail et ses partenaires sociaux devraient se concerter sur les autres outils à mettre en place pour améliorer le travail de contrôle.

    Il ne faut pas oublier que chacun des partenaires engagés dans la mise en œuvre de la directive de 1996 poursuit une mission spécifique. Ainsi, la gendarmerie et la police ont pour vocation d’assurer des missions de police au sein de la population civile. L’Urssaf est chargé de recueillir les cotisations patronales dont bénéficie tout salarié et s’intéressera particulièrement aux fraudes pratiquées dans ce domaine et qui pourraient révéler à leur tour des situations de détachement non déclarées. Le ministère du travail s’occupe de tous les aspects liés à l’emploi en général. Il en résulte que les logiques d’intervention par rapport au détachement devraient être pertinentes vis-à-vis des objectifs poursuivis par chaque institution. Ensuite, il faudra coordonner l’action de ces différents services pour en améliorer la synergie.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    • Conclusion

    La reconnaissance par la directive de 1996 des prestations de services internationales constitue une étape importante dans la réalisation du marché intérieur prévu dans le traité fondateur de l’UE. Depuis, on assiste à des flux migratoires humains entre États membres. Pour le cas particulier de la France qui nous intéresse, les salariés détachés proviennent surtout de pays de l’Europe de l’est ou de pays frontaliers : Allemagne, Belgique, Luxembourg, etc. Sur le plan pratique, les PSI représentent des opérations aux multiples enjeux : économiques, sociaux, fiscaux, etc. Les fraudes sont nombreuses et de plus en plus complexes. Si celles-ci existent c’est qu’elles s’inscrivent dans un contexte de crise économique et de montée du chômage partout en Europe. Les pays offrant un meilleur niveau de vie présentent une attractivité certaine pour les citoyens européens en quête d’emploi et les entreprises à la recherche de nouveaux débouchés.

    Ces pratiques néfastes à la solidarité européenne, l’un des fondements de l’UE, méritent d’être combattues avec plus de fermeté. L’action des seuls services d’inspection du travail se révèle insuffisante pour enrayer le phénomène. Pour une efficacité accrue et des résultats significatifs, les acteurs publics (Urssaf, police, gendarmerie, parquet, etc.) et tous les partenaires sociaux (syndicats, associations de défense des droits des travailleurs, etc.) susceptibles d’être concernés d’une manière ou d’une autre devraient coordonner leurs efforts ou continuer à le faire.

    Les PSI représentent une excellente initiative pour relancer les économies européennes et renforcer la solidarité entre États. Mais au-delà se situe une autre problématique : le manque de qualifications des travailleurs détachés en France[48]. Or, les détachements ne seront réellement profitables aux pays européens que dans la mesure où ils ne nuisent pas à la situation de l’emploi à l’intérieur de leurs frontières. Pour y remédier, les États devraient réfléchir aux moyens d’améliorer les qualifications professionnelles de leurs citoyens afin que les opérations de PSI se basent sur un modèle win-win.

    [1] L’article dispose également que : Les restrictions à la libre prestation des services à l’intérieur de l’Union sont interdites à l’égard des ressortissants des États membres établis dans un État membre autre que celui du destinataire de la prestation. »

    [2] Loi 45/1999 du 29 novembre 1999.

    [3] Loi n° 933 du 15 déc. 1999, entrée en vigueur le 17 déc. 1999.

    [4] Loi 1146/1999, entrée en vigueur le 16 décembre 1999, modifiée par la loi 74/2001 du 26 janvier 2001 pour tenir compte de l’adoption d’une nouvelle loi sur les conventions du travail.

    [5] Loi 9/2000 du 15 juin 2000.

    [6] Décret présidentiel n° 219 du 28 août 2000, entré en vigueur le 31 août 2000.

    [7] Décret législatif n°72 du 25 février 2000.

    [8] Loi du 2 décembre 1999, entrée en vigueur le 23 décembre 1999.

    [9] Loi 1999:678, entrée en vigueur le 16 décembre 1999.

    [10] Commission sur la mise en œuvre de la directive 96/71/CE du Parlement et du Conseil (2003, janvier), Rapport des Services de la Commission sur la mise en œuvre de la directive 96/71/CE du Parlement et du Conseil, du 16 décembre 1996, concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services, p.2.

    [11] Loi du 20 décembre 1993 et décret d’application du 11 juillet 1994.

    [12] Crédit agricole consumer finance (2014, 9 juillet), « Panorama du marché du crédit à la consommation en Europe en 2013 », p.3.

    [13] Anne THAUVIN, « Les évolutions juridiques en matière de détachement des travailleurs sur le plan européen et national », Direction Générale du travail, p.10.

    [14] Entre autres, nous avons utilisé le Rapport sur les prestations de service internationales publié par la Direction Générale du Travail en septembre 2013 et intitulée : « Analyse des déclarations de détachement des entreprises prestataires de service en France en 2012 »

    [15] Comme celles disponibles à la page : http://ec.europa.eu/eurostat/tgm/table.do?tab=table&plugin=1&language=fr&pcode=tps00001

    [16] http://travail-emploi.gouv.fr/

    [17] Site de la DIRECCTE Lorraine : http://www.lorraine.direccte.gouv.fr/accueil-28

    [18] http://www.cartesfrance.fr/carte-france-departement/carte-departement-Moselle.html

    [19] Commission européenne (2012, 21 mars), Document de travail des services de la commission résumé de l’analyse d’impact accompagnant les documents: Proposition de directive du parlement européen et du conseil relative à l’exécution de la directive 96/71/CE concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services (Texte présentant de l’intérêt pour l’EEE) et Proposition de règlement du conseil concernant l’exercice du droit de recourir à des actions collectives dans le contexte de la liberté d’établissement et de la libre prestation des services, p.4. Repéré à l’URL :

    http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX:52012SC0064

    [20] Pôle emploi (décembre 2014), Chiffres-clés de l’emploi et du chômage en Moselle [PDF]. Repéré à l’URL : http://www.lorraine.direccte.gouv.fr/IMG/pdf/Chiffres_cles_57_DECEMBRE_2014.pdf

    [21] DGT (septembre 2013). « Analyse des déclarations de détachement des entreprises prestataires de service en France en 2012 ».

    [22] Équivalent temps plein.

    [23] Ibid. DGT (septembre 2013), p.55.

    [24] Ibid. DGT (septembre 2013), p.16 et DGT (décembre 2014). « Analyse des déclarations de détachement des entreprises prestataires de service en France en 2013 », p.15.

    [25] Les chiffres de ce paragraphe sont issus de : Ibid. DGT (septembre 2013), p.17.

    [26] Ibid. DGT (décembre 2014), p.17.

    [27] DGT (septembre 2013). « Analyse des déclarations de détachement des entreprises prestataires de service en France en 2012 », p.18.

    [28] Ibid. DGT (décembre 2014), p.10.

    [29] CNLTI (2015, 12 février). Plan de lutte contre les fraudes au détachement de salariés an France, p.5.

    [30] Suivant les deux rapports précités.

    [31] Voir le 13e considérant du préambule de la directive.

    [32] Arrêt Mazzoleni C-165/98 du 15 mars 2001. En l’espèce, la CJCE considère comme disproportionnée l’application des règles du pays d’accueil. Les salariés intervenaient à temps partiel et pendant de brèves périodes dans une région transfrontalière ce qui les amenait à travailler sur le territoire de plusieurs États membres de l’UE.

    [33] Vie publique.fr (2014, 11 juillet) : Loi du 10 juillet 2014 visant à lutter contre la concurrence sociale déloyale. Repéré sur le site de l’auteur, section  « Panorama des lois » à l’URL :

    http://www.vie-publique.fr/actualite/panorama/texte-discussion/proposition-loi-visant-renforcer-responsabilite-maitres-ouvrage-donneurs-ordre-cadre-sous-traitance-lutter-contre-dumping-social-concurrence-deloyale.html  

    [34] Déclaration préalable de détachement, non désignation d’un agent de liaison sur le territoire français, etc.

    [35] DIRECCTE Lorraine (2013, 5 décembre). Pourquoi une réforme de l’inspection du travail ? Repéré sur le site de la DIRECCTE : http://www.lorraine.direccte.gouv.fr/pourquoi-une-reforme-de-l-inspection-du-travail

    [36] Selon les termes notamment de l’article 1.a) et 1.b) de la directive européenne de 1996.

    [37] DIRECCTE Centre. Le travail illégal : un préjudice pour tous. Lettre d’information n°9, décembre 2013, p.3. Disponible en format PDF à l’adresse : http://www.centre.direccte.gouv.fr/IMG/pdf/BAT-FINAL-LETTRE-IT-DRTEFP-No9-2.pdf

    [38] Vues d’Europe et d’ailleurs, Entre les logements préfabriqués et les champs d’asperges…. Repéré sur le site de l’institution à l’URL : http://emi-cfd.com/echanges-partenariats/?p=3674  

    [39] DGT (décembre 2014). Analyse des déclarations de détachement des entreprises prestataires de services en France en 2013, p.11.

    [40] Voir http://www.lorraine.direccte.gouv.fr/pourquoi-une-reforme-de-l-inspection-du-travail

    [41] L’actualité (2015, 12 février). Les priorités du gouvernement pour 2015 en matière de lutte contre le travail illégal n°16772.

    [42] DGT (décembre 2014). Analyse de la verbalisation du travail illégal en 2013, pp.10-13.

    [43] Voir l’article : La Dépêche (2015, 05 mars). Contre la fraude une action collective. Repéré sur le site du quotidien à l’URL :

    http://www.ladepeche.fr/article/2015/03/05/2060391-contre-la-fraude-une-action-collective.html

    [44] À ce sujet, lire l’article de la DIRECCTE Centre – Val de Loire (2014, 16 janvier). La coopération internationale des services dans le contrôle des prestations de services internationales. Repéré sur le site de l’institution : http://www.centre.direccte.gouv.fr/La-cooperation-internationale-des,12629

    [45] DIRECCTE Lorraine (2014, 26 mai). Deux inspecteurs du travail polonais sur les terres du Roi Stanislas. Repéré sur le site de l’institution : http://www.lorraine.direccte.gouv.fr/Deux-Inspecteurs-du-Travail

    [46] Ibid. DIRECCTE Centre. Le travail illégal : un préjudice pour tous, p.3.

    [47] Commission Européenne (2013), Détachement des travailleurs : améliorer les collaborations entre les partenaires sociaux et les autorités publiques en Europe, pp.17-18.

    [48] Europe 1 (2013, 9 décembre). Les travailleurs détachés :la fausse bonne idée du BTP. Repéré sur le site du média : http://www.europe1.fr/economie/les-travailleurs-detaches-la-fausse-bonne-idee-du-btp-1735949

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