Le Gaz : Une Énergie en Évolution dans le Quotidien et la Géopolitique Mondiale
INTRODUCTION
Grâce aux nombreux progrès techniques qu’il a accomplis dans le domaine des énergies, l’être humain a trouvé de nouvelles manières d’améliorer son quotidien. S’il n’avait pas découvert l’électricité, l’homme n’aurait certainement pas pu inventer les ordinateurs qui sont aujourd’hui incontournables. S’il n’avait pas découvert l’utilité du charbon en tant que combustible, il n’y aurait probablement pas eu de Révolution industrielle à la fin du XIXe siècle. D’abord utilisé dans les usines pour faire fonctionner les machines, le charbon s’invite progressivement dans les maisons pour satisfaire les besoins de leurs occupants : la cuisson des aliments, le chauffage. Mais le charbon est salissant et un nouveau combustible plus propre mais alors « peu utilisée jusqu’aux chocs pétroliers » et « souvent brûlé à la torche » gagne lentement sa place en tant que source d’énergie : le gaz.
En 2009 par exemple, le gaz représentait 25% de la consommation énergétique mondiale avec un taux de croissance annuel de 2,5%. C’est dans les pays hors OCDE d’Asie et du Moyen-Orient que la demande est la plus élevée où les États comme l’Inde et la Chine sont très demandeurs d’énergie. Les Etats-Unis (23%) et la Russie (15%) en sont les plus grands consommateurs.
Le gaz s’insère petit à petit dans la géopolitique des énergies. Il résulte de son exploitation récente que ses réserves mondiales sont encore mal connues. En outre, à la différence d’autres énergies fossiles, il est « doté de précieux atouts environnementaux » et s’affiche comme le « combustible le moins polluant» . En 2008, on estimait à 40% les réserves mondiales détenues par le Moyen-Orient, ce qui renforce encore plus la position déjà favorable des États producteurs de pétrole.
Mais la découverte de ce qu’on appelle aujourd’hui les gaz non conventionnels vient changer la donne et redistribue les pièces sur l’échiquier énergétique mondial. Il s’avère que d’autres pays viennent se joindre au jeu politique des énergies. Mais pourquoi qualifier le gaz de non conventionnel ? Cela suppose en tout cas l’existence de gaz conventionnel. Quelle est la place du GNC dans le marché énergétique actuel ? Nous choisissons ensuite de nous intéresser au cas de l’Union européenne dans la mesure où elle est fortement dépendante du gaz. En effet, elle importe plus de 50% de sa consommation. Aussi, nous nous questionnerons sur l’impact du GNC sur le marché européen de l’énergie. Enfin, nous allons nous interroger sur les enjeux posés par l’exploitation de GNC en Europe.
Qu’est-ce que le gaz non conventionnel ?
Carte n°1 : Réserves prouvées de gaz naturel dans le monde
Source : Répartition en pourcentage des réserves prouvées de gaz dans le monde à fin 2011, d’après les données du BP Statistical Review (©2013).
Visible sur le site Connaissances des énergies à l’URL : http://www.connaissancedesenergies.org/fiche-pedagogique/reserves-de-gaz-dans-le-monde
La carte ci-dessus montre que les réserves prouvées de gaz se situent sur presque tous les continents. Les plus importants gisements actuels se trouvent en Russie et aux États-Unis. Actuels parce que les réserves fluctuent en fonction de la disponibilité des techniques d’exploitation et des prix de marché pendant la phase d’exploration. C’est dans ce contexte qu’entre en jeu ce qu’on a appelé les GNC. Qu’est-ce que le GNC ? Existe t-il des variétés de GNC ? Comment s’effectue l’extraction de GNC? Ce sont les trois questions que nous nous poserons dans cette première partie.
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Définition du gaz non conventionnel
À l’instar du gaz conventionnel, le GNC est également un gaz naturel. Son exploitation est très récente et date de 2006-2007 aux États-Unis. On le considère comme un nouveau type d’hydrocarbure. La qualification de « non conventionnelle » n’est pour autant pas liée à sa nouveauté ni encore à sa composition. Elle découle plutôt du fait que son exploitation nécessite la mise en œuvre de techniques plus onéreuses et de moyens plus conséquents par rapport aux méthodes d’extraction des hydrocarbures conventionnels (pétrole et gaz naturel). En effet, le GNC est emprisonné de manière très diffuse dans des couches fines peu perméables de la roche-mère à cause de l’argile qui y est présent. On peut définir les GNC par opposition aux gaz conventionnels. Ces derniers sont ceux qui ont migré de la roche-mère pour s’accumuler dans la roche-réservoir. C’est normalement dans cette dernière que se forme le gisement des hydrocarbures exploités (pétrole et gaz). Dans la catégorie des GNC, on recense les gaz de schistes, le gaz de charbon, le gaz compact et les hydrates de méthane.
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Les variétés de gaz non conventionnel
Il existe quatre variétés de GNC : le gaz de charbon, le gaz compact, l’hydrate de méthane et le gaz de schiste. Cette dernière variété est certainement la plus connue. Nous n’entrerons pas dans le détail de la composition de ces types de GNC dans la mesure où cela n’est d’aucun intérêt pour notre étude.
Le gaz de charbon ou gaz de houille est contenu dans les couches de charbon. Il est issu de la maturation de matières organiques d’origine marine ou terrestre. Le processus dure plusieurs millions d’années avant d’aboutir. Son procédé de fabrication nécessitait un travail dans des conditions intolérables (chaleur, vapeur irritante, poussière, etc.) pour la santé des travailleurs. Les personnes exposées pouvaient développer des cancers du poumon. Sa production fut arrêtée dans les années 1970 au profit du gaz naturel.
Quant au gaz compact, il « est emprisonné dans des petits réservoirs souterrains difficiles d’accès. » L’hydrate de méthane est un solide composé d’eau et de méthane qui ont cristallisé sous certaines conditions de température et de pression. Malgré sa potentialité, son exploitation demeure coûteuse et complexe à l’heure actuelle. On en trouve surtout en Arctique où le sol est en permanence gelé (qu’on appelle pergélisol).
Le gaz de schiste fait depuis quelques années l’objet d’une exploitation. Des pays comme les États-Unis ont commencé à y investir en 2006. Un autre exemple très récent est celui du gouvernement espagnol qui vient de décider d’exploiter ses réserves de gaz de schiste. Depuis quelques années, l’extraction de ce gaz a évolué de manière significative, ce qui a permis de réduire son coût de moitié. Il est maintenant intéressant d’aborder la question de l’extraction du gaz de schiste.
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L’extraction du GNC
Le GNC, et plus spécialement le gaz de schiste, est extrait suivant une nouvelle technique appelée fracturation hydraulique. L’objectif est de fracturer la couche rocheuse qui retient le gaz pour le faire remonter à la surface. Le schéma ci-après en montre le processus.
Schéma n°1 : gaz de schiste
Source : Vu sur le site web Connaissance des énergies, le 11/01/2015
(http://www.connaissancedesenergies.org/fiche-pedagogique/gaz-de-schiste)
Au même titre que les gaz conventionnels, les GNC sont principalement utilisés pour le chauffage et la production d’électricité. Étant donné l’omniprésence de cette dernière dans la vie quotidienne, il est alors pertinent de nous intéresser au problème des réserves de GNC et à leur exploitation.
Le gaz non conventionnel : un potentiel énergétique largement inexploité
Les sources d’énergie traditionnellement utilisées dans les sociétés industrialisées sont le charbon et le pétrole. Indétrônable depuis des décennies, le pétrole continue d’occuper une place prépondérante sur le marché des énergies. La production mondiale voit surtout le jour dans les pays membres de l’OPEP avec l’Arabie saoudite en tête de file. Jusqu’ici, le pétrole est la matière première de référence utilisée pour la production de carburant, fluide indispensable au bon fonctionnement de l’économie mondiale. Dès qu’il y a une crise dans le secteur pétrolier, on en ressent l’impact jusqu’au niveau des secteurs tels que l’industrie et le transport. À l’instar du pétrole, le gaz conventionnel est une autre source d’énergie très utilisée de nos jours. En outre, elle est inégalement répartie car 60% des réserves mondiales prouvées se trouvent au Moyen-Orient et en Russie.
Par contre, certains pays ont récemment découvert la présence de GNC dans leurs sous-sols et décidé de l’exploiter, à l’exemple des États-Unis qui sont les pionniers en la matière. Il en est de même de l’Espagne ou encore de l’Algérie. Dans un contexte où le gaz représentait environ 21% de la consommation énergétique mondiale, soit la troisième place derrière le pétrole (33%) et le charbon (27%) depuis 2009, l’exploitation de GNC risque de redessiner la carte des énergies au niveau mondial. Bien que cette possibilité soit envisageable, que dire aujourd’hui des réserves de GNC et de leur exploitation ?
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Des réserves encore mal identifiées à travers le monde
Contrairement à « la carte des réserves de gaz conventionnels » qui est aujourd’hui connue et relativement stable, celle des GNC n’est pas encore entièrement identifiée à ce jour. Les recherches actuelles privilégient la découverte de GNC, particulièrement le gaz de schiste. Pionniers dans son exploitation, les États-Unis comptaient seulement 7700 milliards de m3 de réserves prouvées en 2010 contre 24000 milliards de m3 en fin 2011. La Chine annonçait la même année qu’elle possédait des réserves de gaz de schistes « équivalentes à une année de production du Qatar soit plus de 30 000 milliards de m3. Sur le vieux continent, l’Europe du nord (Suède, Royaume-Uni) et de l’est (Allemagne, Pologne, Autriche) seraient les mieux servis. L’Amérique du sud et l’Australie en possèdent également.
La deuxième différence des GNC avec leurs homologues conventionnels (pétrole et gaz) est qu’ils « présentent l’avantage d’être abondamment répartis sur le globe. » En effet, le Moyen-Orient et la Russie disposent à eux deux seuls 60% des réserves mondiales de gaz naturel. Selon l’IFP, les réserves mondiales de gaz de schiste seraient 4 fois plus abondantes que celles du gaz conventionnel. Leur exploitation a connu un boom depuis 2000. La part des GNC dans la production totale de gaz naturel est passée de 1% en 2000 à 12% en 2010.
Ainsi, les réserves de GNC varient au gré des découvertes d’autant plus qu’à ce jour les recherches se font dans des milieux de plus en plus difficiles d’accès : région arctique, offshore ultra profond, etc. Jusqu’ici, il est difficile de déterminer avec précision le potentiel de production des GNC. Cependant, le gaz a de l’avenir devant lui parce qu’il présente un meilleur taux de récupération que le pétrole : 60% contre 35%. En outre, la technologie d’extraction du gaz s’est beaucoup améliorée ces dernières années. Elle présage de nouvelles découvertes de GNC même si aujourd’hui elle est difficile à mettre en œuvre en plus d’être coûteuse.
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Une extraction exploitation actuellement difficile et coûteuse
L’exploitation de GNC met en œuvre une nouvelle technique comme nous l’avons vu plus haut. Seules les grandes compagnies pétrolières (BP, Chevron, Exxon, Shell et Total) ou gazières (Gazprom, GDF Suez, etc.) possèdent les moyens techniques et financiers suffisants. Cependant, des avancées technologiques doivent encore être réalisées dans le but d’améliorer la rentabilité des GNC.
Actuellement, l’extraction de GNC présente encore l’inconvénient d’être très consommatrice en eau. En effet, une seule fracturation nécessite l’injection de 15000 m3 d’eau dans le puits. En outre, le débit de gaz ralentit rapidement et d’autres fracturations doivent être effectuées pour assurer la continuité de l’exploitation, sachant qu’un puits peut en faire l’objet 14 fois. Sa rentabilité économique est alors soumise à des conditions : proximité avec la zone de consommation, efficience des coûts de transport, etc. Le transport se fait aujourd’hui largement par gazoduc.
Mais avant de transporter le gaz, il faut d’abord investir plusieurs milliards d’euros dans la construction des gazoducs. À cet effet, le producteur a une alternative : soit il finance la construction des infrastructures nécessaires au transport du gaz qui transite généralement dans plusieurs pays ; soit il conclut un contrat avec un opérateur spécialisé dans ce domaine. Des contrats à long terme permettent d’assurer la distribution du gaz aux consommateurs finaux. Par exemple, GDF Suez transporte le gaz de la compagnie gazière russe Gazprom. Pour limiter les coûts d’investissement, le plus court itinéraire doit être recherché. Dans tous les cas, le producteur doit également conclure un accord avec le gouvernement de chaque pays de transit.
Outre les dépenses de transport inévitables, les GNC génèrent des coûts économiques et environnementaux énormes (utilisation de l’eau). Aussi, l’amélioration des conditions de son exploitation est nécessaire pour renforcer la position stratégique du gaz dans le « mix énergétique », notamment sur le marché européen de l’énergie. D’autre part, la demande croissante de cette ressource dans plusieurs pays oblige les producteurs à innover leurs procédés. Selon les estimations, l’Union européenne devra importer, d’ici 2020, 60% de sa consommation et 80% d’ici 2030. Les GNC seront alors de plus en plus rentables. Dans ces conditions, le GNC peut prétendre à une place de choix dans la production mondiale de gaz naturel.
Le marché énergétique européen
Le marché de l’énergie est constitué de plusieurs ressources dont trois principales : le pétrole, le charbon et le gaz naturel. Le pétrole est la première source d’énergie depuis des décennies. En 2009, il représente 33% de la production mondiale ; suivent le charbon (27%) et le gaz naturel (21%). Selon un rapport d’information adressé à la commission des affaires européennes sur les relations entre l’Union européenne et la Russie, la consommation énergétique de l’Union européenne s’élève en 2011 à 1698 millions de tonnes d’équivalent pétrole (Tep) sur un total de 12765 millions Tep, soit 13,3% dont 35% est constitué de pétrole et 24% de gaz.
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La domination du pétrole sur le marché énergétique européen
Le pétrole est la première ressource énergétique consommée dans le monde et en Europe. En 2013, la production mondiale atteint 86,8 millions de barils/jour. 42,1% de celle-ci provient des douze pays membres de l’OPEP et 12,9% de la Russie. Les autres pays producteurs de pétrole sont en Amérique (Canada, États-Unis, Brésil, Mexique), en Asie (Chine, Kazakhstan) et en Europe du nord (Norvège).
Cette carte du pétrole montre que l’Europe en est inévitablement dépendante. Selon BP, sa production ne représente en 2013 que 1,7% du pétrole mondial alors qu’elle en consomme 14,5%. Le recours aux importations massives est donc inévitable comme l’illustre le tableau ci-dessous.
Tableau n°1 : Part (en %) de la production et de la consommation de pétrole de certains pays ou groupes de pays dans la production et la consommation mondiales de la ressource en 2013.
Ressource |
Finalités |
UE |
États-Unis |
Russie |
OPEP |
Pétrole |
Production |
1,7 |
10,8 |
12,9 |
42,1 |
Consommation |
14,5 |
19,9 |
3,7 |
8,6 |
Sources : les chiffres sont tirés de BP statistical review of world energy, 63e éd., 2014.
L’UE comble ses besoins énergétiques en s’approvisionnant principalement auprès de la Russie qui représente 18% de sa consommation finale d’énergie fossile (pétrole, gaz, charbon) en 2011.
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Les gaz conventionnels naturel prend de plus en plus de place
Auparavant, le gaz était réinjecté dans les puits de pétrole ou brûlé en torchère. Ses avantages ne sont reconnus que dans les années 1970. Depuis quelques années, on assiste à un engouement autour du gaz et sa part dans la consommation énergétique mondiale ne cesse d’augmenter. Cela est dû à plusieurs raisons notamment la diversification de son utilisation. Certains pays se préparent déjà au tarissement des ressources en pétrole. Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), les réserves probables de gaz sont estimées à 65 ans contre 40 ans pour le pétrole. » Plus récemment, BP estimait les réserves prouvées de gaz à 185,7 milliards de m3 fin 2013.
À eux trois, l’Iran (18,2%), la Russie (16,8%) et Qatar (13,3%) abritent près de 49% des réserves prouvées de gaz naturel conventionnel.
Tableau n°2 : Part (en %) de la production et de la consommation de gaz de certains pays ou groupes de pays dans la production et la consommation mondiales de la ressource en 2013.
Ressource |
Finalités |
UE |
États-Unis |
Russie |
OPEP |
Gaz |
Production |
4,3 |
20,6 |
17,9 |
19,3 |
Consommation |
13,1 |
22,2 |
12,3 |
13,2 |
Sources : les chiffres sont tirés de BP statistical review of world energy, 63e éd., 2014.
Ce qui n’apparaît pas dans ce tableau est la forte dépendance de l’Union européenne envers le gaz russe, même si elle est mieux préparée que lors des conflits gaziers de 2009. En effet, Gazprom avait rompu l’approvisionnement de gaz à destination de l’Europe et transitant par l’Ukraine, ce qui a plongé des pays comme la Bulgarie dans le noir pendant trois jours. L’Europe couvre 30% de ses besoins en gaz par des achats effectués en Russie. Suite à la crise de 2009, l’UE s’est engagée sur le terrain de la sécurité énergétique, tant sur le plan de l’approvisionnement que des infrastructures. Grâce au gazoduc Nord Stream, le gaz russe transitant par l’Ukraine est descendu de 80% à 50%.
Pour réduire sa dépendance envers la Russie, la solution pour l’Europe serait de diversifier ses sources d’approvisionnements. Mais la question se pose de savoir où devrait-elle se tourner. Dans tous les cas, l’avènement des GNC est une manne financière en devenir pour tous les pays en disposant dans leur sous-sol. La géopolitique du gaz pourrait en être radicalement modifiée.
Les enjeux stratégiques et environnementaux posés par l’exploitation de GNC en Europe
De nos jours, la carte des hydrocarbures conventionnels est entièrement dessinée. Les pays qui en disposent sont déterminés géographiquement. Les relations de dépendance qui sont nées de cet état des choses risquent actuellement d’être remises en cause avec la découverte des hydrocarbures non conventionnels. Ces derniers, non seulement sont mieux répartis à travers le monde. En outre, ils semblent plus abondants en termes de volume. Une nouvelle carte est en train de se dessiner peu à peu.
Cette nouvelle donne risque de chambouler l’ordre international établi et redistribuer les cartes dans le jeu géopolitique des hydrocarbures. Ce qui nous intéresse dans cette partie est la découverte des gaz non conventionnels et leur début d’exploitation dans certains pays pionniers du globe. On pense bien entendu aux États-Unis. De nouveaux enjeux stratégiques se font jour dans les autres pays, comme en Europe, du fait de l’existence des GNC. Des enjeux environnementaux également. Nous allons tâcher d’y voir plus clair.
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Réduire la dépendance vis-à-vis du pétrole de l’Arabie saoudite et des du gaz conventionnels du Moyen-Orient
Depuis les années 1850, le pétrole est exploité à des fins industrielles. Mais son essor a lieu au début du XXe siècle. Alors déjà considéré comme matière première stratégique, le pétrole est convoité par tous les États et on parle désormais de géopolitique du pétrole. Il est devenu une ressource essentielle et la santé de l’économie mondiale est fortement tributaire de son cours. L’or noir s’échange en dollar américain.
Hormis le fait d’être une ressource naturelle, le pétrole est également considéré comme une arme politique et économique qui est utilisée par les États qui en sont dotés. Par exemple, avant la création de l’OPEP des puissantes compagnies américaines en fixaient le prix. Les pays producteurs ont décidé de se regrouper le 14 septembre 1960 pour faire face aux multinationales et maîtriser le cours mondial de l’hydrocarbure. Les chocs pétroliers de 1973 et 1979 montrent encore que l’or noir est utilisé comme une arme.
En effet, stabilisé à moins de 10 dollars pendant toute la période 1861-1970, le prix du baril quadruple en moins d’une décennie pour atteindre près de 40 dollars en 1979. Depuis, le prix ne cessera d’augmenter jusqu’à atteindre plus de 110 dollars en 2010. L’OPEP, et plus particulièrement l’Arabie saoudite, module la quantité produite, toujours dans le but de jouer sur les prix. Les fluctuations du dollar amènent aussi le cartel à ajuster sa production. De même, des périodes de conflits dans les régions limitrophes des pays producteurs ont tendance à aboutir à l’augmentation du prix, comme ce fut le cas en juin dernier.
Depuis juin 2014, le prix du pétrole est descendu à moins de 100 dollars. Ce dernier continue de s’effondrer : actuellement, le baril coûte aux alentours de 55 dollars. Les raisons avancées sont le ralentissement de la croissance économique mondiale et l’excédent d’offre qui en résulte sur le marché : « l’essor de l’huile de schiste aux États-Unis fait gonfler l’approvisionnement mondial. » Il s’agit là d’un pétrole non conventionnel, variété qui a permis au pays de devenir le premier producteur depuis 2009.
D’une part, les États-Unis ne comptent pas réduire leur production : elle va d’ailleurs s’accroître. D’autre part, l’Arabie saoudite également compte augmenter sa production et maintenir les prix bas, d’autant plus que la production américaine commence à en être affectée. Il s’agit là d’un exemple de bras de fer entre deux géants autour de cette ressource stratégique. Mais qu’est-ce que tout cela a à voir avec l’Europe ?
La baisse actuelle des prix profite aux États membres de l’UE dans la mesure où elle allège leur facture énergétique. Les ménages réalisent aussi des économies sur leurs dépenses en carburant et en chauffage, notamment pour ceux utilisant du fioul domestique. Le gaz naturel également est à prendre en considération dans le mix énergétique.
Du côté du gaz naturel, rappelons que la carte définitive des GNC n’est pas définitivement explorée. Des gisements de gaz de schistes sont découverts dans de nombreux pays : États-Unis, Russie, Amérique latine, Chine, Australie, Pologne, France, Allemagne, Suède, Autriche. Plusieurs d’entre eux ne disposent pas de pétrole dans leur sous-sol. Pourtant, là où il y a du pétrole, il y a généralement du gaz naturel : ce dernier est un épiphénomène du pétrole. Dans tous les cas, cette nouvelle donne peut modifier de manière significative l’avenir énergétique de l’Europe.
Comme les GNC ne sont pas concentrés chez une poignée de pays, cela peut affaiblir l’influence de la Russie et également du Moyen-Orient dans le domaine énergétique en Europe. Elle pourra diversifier ses sources d’approvisionnements, ce qui aura pour effet de rendre « moins indispensable » ses fournisseurs traditionnels. Elle sera alors moins impactée par les divers troubles affectant les relations entre ses fournisseurs et les pays par lesquels le gaz doit transiter.
Ainsi, l’avènement des GNC constitue une aubaine pour les pays membres de l’UE ainsi que pour d’autres qui dépendent plus ou moins d’une poignée de fournisseurs. Mais pour que cette hypothèse se réalise, chacun des États qui en possèdent doit encore convaincre sa population de la possibilité de les exploiter sans risque. Car leur crainte est avant tout environnementale et les avis divergent encore à ce jour.
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Les risques environnementaux liés à l’exploitation de GNC en Europe
Les GNC, et plus précisément leur exploitation, sont à ce jour loin de faire l’unanimité auprès de l’opinion publique européenne. Beaucoup craignent les impacts environnementaux qu’une telle activité engendrerait sur l’environnement. Le gaz de schiste fait beaucoup d’émules. Malgré les contestations populaires, certains États décident de l’exploiter.
Malgré le véto de plusieurs plateformes citoyennes, le gouvernement espagnol a décidé la modification de la loi sur les hydrocarbures pour faciliter la venue d’investisseurs sur son territoire. De ce fait, elle a accordée 70 permis de recherche et 60 attendent une validation. À l’instar de la Pologne qui souhaite réduire sa dépendance énergétique envers la Russie et du Royaume-Uni, la péninsule ibérique fait partie des États européens favorables à son exploitation.
En Algérie, membre de l’OPEP, l’exploitation de gaz de schiste est refusée par la population qui la considère comme une catastrophe écologique en devenir. Les Algériens sont « marqués par les essais nucléaires d’In Ecker et Reggane » qui ont eu lieu dans les années 1960. La population avance aussi que l’exploitation de pétrole et de gaz conventionnel n’a eu aucune retombée sur leur niveau de vie. Si dans un pays à environnement désertique et à faible densité de population comme l’Algérie (14 habitant/km2) l’exploitation de GNC est difficile, alors nous sommes en droit de penser qu’il le serait encore plus dans un pays plus densément peuplé comme la France (de 40 à 5000 habitants/km2)?
En France, une loi est votée le 13 juillet 2011 : elle interdit l’exploitation de tout type d’hydrocarbure non conventionnel (huile de schiste et gaz de schiste) et ordonne le retrait des permis d’exploration et d’exploitation déjà accordés à des compagnies pétrolières dont Total. Pourtant, la France possèderait 100 ans de consommation de gaz (400 ans pour la Pologne) dans son sous-sol.
C’est avant tout le procédé d’extraction des GNC qui fait l’objet de contestations. En effet, la fracturation hydraulique nécessite l’injection d’un fluide qui contient des produits chimiques dont plusieurs sont toxiques. Un défaut d’étanchéité sur les puits forés et les nappes phréatiques environnantes seront contaminées. En outre, fracturer une roche souterraine augmente les risques sismiques dans la région. Les nombreux forages dénaturent également le paysage et altèrent la structure du sous-sol. Ces conséquences sont surtout au niveau local. Mais ce ne sont pas là les seuls impacts des GNC sur l’environnement. Ces deniers se situent également à l’échelle globale.
Selon une consultation publique initiée en juin 2013 par la Commission européenne sur les énergies fossiles dont le gaz de schiste en Europe, une grande majorité de l’opinion publique est opposée à l’exploitation des gisements de ces hydrocarbures : en Estonie, en Grèce et en Lettonie, 100% des répondants sont contre.
À l’instar du gaz conventionnel, les GNC sont principalement utilisés comme source d’électricité. Le gaz est aussi très prisé par les ménages, surtout en hiver car il alimente les chauffages. Cependant, la combustion du gaz contribue au réchauffement climatique. Aussi leur exploitation et leur utilisation dégage des gaz à effets de serre. Si les nombreux gisements de GNC sont exploités, on peut raisonnablement s’attendre à des répercussions au niveau mondial.
Dans son étude prospective annuelle, l’AIE projette une augmentation de 37% de la demande d’énergie au niveau mondial d’ici 2040 et, dans le même temps, la température augmentera de 3,6°C. Les sources d’énergie seront responsables de 20% de la hausse des émissions de gaz à effets de serre.
CONCLUSION
Les matières premières sont au cœur de l’économie mondiale. A fortiori, les hydrocarbures, charbon, pétrole et gaz, en constituent des moteurs indispensables et font fonctionner tous les secteurs : transport, chauffage, électricité, etc. L’avènement des gaz non conventionnels, notamment le gaz de schiste, constitue une manne financière pour les États qui en possèdent. Leur exploitation permettrait de réduire les dépendances énergétiques envers une minorité de producteurs. La géopolitique mondiale des énergies en serait radicalement transformée.
À l’endroit des GNC, deux discours s’opposent principalement en Europe. D’un côté, certains pays misent sur son exploitation (Pologne, Espagne) pour réduire leur dépendance énergétique vis-à-vis de pays comme la Russie. Dans un contexte de crise mondiale et de ralentissement de la croissance économique dans plusieurs pays européens, les GNC représentent une véritable opportunité. D’un autre côté, d’autres pays s’inquiètent surtout des impacts sur l’environnement. Les contestations qui émanent de l’opinion publique peuvent peser et aboutir à l’interdiction de leur exploitation, comme c’est le cas en France. Mais il ne faut pas oublier que l’opinion publique n’est pas chose figée. De même, un gouvernement peut toujours décider de faire volte-face et revenir sur sa position concernant les GNC. Le cas de l’Espagne en constitue l’illustration.
D’un autre côté, l’exploitation des GNC est très récente. Actuellement, elle ne possède aucun impact sur le marché européen puisque le statu quo est préservé concernant la dépendance des États de la région envers leurs fournisseurs traditionnels. Des investissements énormes sont encore requis de la part des États qui comptent se lancer dans leur exploitation et leur exportation. Mais ces dépenses en valent-elles réellement la peine ? Comme nous l’avons annoncé, les projections de l’AIE sont quelques peu alarmantes. Faut-il se lancer dans l’exploitation de ressources qui vont assurément augmenter la température globale de la planète mais qui sont économiquement très prometteuses?
Une recherche effectuée par deux chercheurs, Christophe McGlade et Paul Ekins, confirme les craintes de l’agence internationale de l’énergie. Selon eux, des mesures drastiques devraient être prises si l’on veut atteindre l’objectif de maintenir la hausse de température à 2°C d’ici 2050. Pour cela, 30% des réserves de pétrole, 50% des réserves de gaz (Arabie saoudite) et 80% des réserves de charbon (Chine, Inde et Afrique) devraient rester inexploitées. En outre, il faut abandonner l’idée d’exploiter le pétrole non conventionnel (États-Unis), notamment celui dans les zones de permafrost. Selon les chercheurs, un changement de mentalité doit s’opérer vis-à-vis de la conception des énergies fossiles.
Mais face à l’appétit économique et politique des États que l’on connaît si bien sur le plan international, est-il aujourd’hui raisonnable et réaliste d’envisager une telle mesure se concrétiser ? Face à la crise économique mondiale et aux difficultés des États africains qui peinent à démarrer économiquement et dont le premier enjeu est le développement, ces propositions ne risquent-elles pas de tomber dans l’oreille de sourds ? Récemment, le président américain Obama a annoncé son souhait de réduire les émissions de méthane, liées à l’exploitation de gaz de schiste, de 40 à 45% d’ici 2025 mais le Congrès s’y oppose. Le chemin est encore long si l’on veut substituer les hydrocarbures par d’autres sources d’énergie.
Malgré ces difficultés, on peut avancer l’idée que ce n’est pas parce que les énergies fossiles existent qu’il faut continuer à les exploiter au vu des enjeux environnementaux qu’elles posent. De même, si les énergies non conventionnelles sont difficiles à extraire, c’est certainement pour une bonne raison. Nous pensons qu’il faut voir dans ces signaux une opportunité pour suivre la voie des énergies alternatives, qui, en plus d’être renouvelables sont propres. On pense à l’éolien ou au solaire. D’ailleurs, cela renvoie à l’idée de transition énergétique en vue de préparer l’ère post-pétrole. Il faudrait alors relancer plus sérieusement les débats à ce sujet et proposer des solutions concrètes. Car, sans alternatives durables, les États continueront d’exploiter leurs hydrocarbures qui constituent tout de même une par non négligeables dans leurs recettes.
SOURCES
Connaissance des énergies
Débat sur les gaz de schiste : après la France, l’Europe (2014, 2 décembre) :
http://www.connaissancedesenergies.org/debat-sur-les-gaz-de-schiste-apres-la-france-l-europe
Gaz naturel (2012, 23 mars) :
http://www.connaissancedesenergies.org/fiche-pedagogique/gaz-naturel
Gaz de schiste (2014, 2 décembre) :
http://www.connaissancedesenergies.org/fiche-pedagogique/gaz-de-schiste
Gaz de schiste : 3 permis abrogés (2011, 4 octobre) :
http://www.connaissancedesenergies.org/gaz-de-schiste-3-permis-abroges
Hydrates de méthane (2012, 23 mars) :
http://www.connaissancedesenergies.org/fiche-pedagogique/hydrates-de-methane
La baisse du prix du pétrole en 4 questions (2014, 2 décembre) :
http://www.connaissancedesenergies.org/la-baisse-du-prix-du-petrole-en-4-questions-141202
Le gaz de schiste renforce la position stratégique du gaz (2011, 12 janvier) :
http://www.connaissancedesenergies.org/le-gaz-de-schiste-renforce-la-position-strategique-du-gaz
Stockage du gaz (2013, 2 septembre) :
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