Le roman de Robert de Boron, où comment la représentation du personnage du juif permet de légitimer l’identité chrétienne.
Le roman de Robert de Boron, où comment la représentation du personnage du juif permet de légitimer l’identité chrétienne.
SOMMAIRE
INTRODUCTION | 2 | ||
I. APPROCHE PARADIGMATIQUE | 4 | ||
I. 1. UNE CONCEPTION FONDATRICE OPPOSEE | 6 | ||
I. 2. LES LIENS ANTROPONYMIQUES | 19 | ||
I. 3. UNE REPRESENTATION SYNTHETIQUE | 27 | ||
II. APPROCHE SYNTAGMATIQUE | 30 | ||
II. 1. DES CONVERSIONS EXEMPLAIRES | 30 | ||
II. 2. UN APPUI INATTENDU | 42 | ||
II. 3. UNE PUNITION DIVINE | 44 | ||
III. APPROCHE SEMANTIQUE | 50 | ||
III. 1. LA QUESTION DU REPENTIR | 50 | ||
III. 2. UN NOUVEAU PEUPLE ELU | 56 | ||
III. 3. LA SACRALISATION DU GRAAL | 60 | ||
CONCLUSION | 69 | ||
BIBLIOGRAPHIE | 70 |
INTRODUCTION
Dans son analyse, Walter (1998)[1] nous renseigne que les premières œuvres en prose, en ce qui concerne une partie des traductions de la Bible latine (ou Vulgate), dans la littérature française sont les romans du Graal ; c’est un fait qui concerne de près Robert de Boron et son roman de « L’Estoire dou Saint Graal ». En effet, Francisque Michel (1841)[2], dans sa notice du roman nous apprend que Robert de Boron aurait constitué la première traduction du roman du Graal écrit en latin par Gautier Map. Toujours selon Walter, l’utilisation de la prose se défendrait pour son aspect « véridique » : « La prose est en effet la langue de la Bible et la forme-prose apparait comme le symbole de l’autorité et de toute vérité (…). La prose devient le langage romanesque de l’authenticité. »
Robert de Boron ferait ainsi partie de ce cycle du roman du Graal. Et son personnage se dessine à travers les écrits de la « petite trilogie » qui constituerait la seconde tradition du roman du Graal, après la grande trilogie qui est composée de Lancelot en prose, Quête du Saint-Graal et la Mort Artu (Walter 1998). Selon Becker (2000)[3], Robert de Boron dans sa trilogie tenterait de remédier à « l’inachèvement du Conte du Graal initié par le Chrétien de Troyes ». Aussi, les questionnements issus de ce fait qui semblent être énigmatiques constitueraient des sources d’intrigues. Ce qui aurait, toujours selon Becker, inspiré Robert de Boron à « faire du Graal l’écuelle dans laquelle Joseph d’Arimathie a recueilli le sang du Christ et relate le voyage du ‘vase’ de Palestine vers l’ile de Bretagne (…), puis s’intéresse au personnage de Merlin (…) »
Si Hucher (1875)[4] définit tout simplement « chrétienne et chevaleresque » l’œuvre de Boron, de son côté, Frappier (1954)[5] voit en Robert de Boron « celui qui a établi un lien entre le royaume d’Arthur et l’Orient de la Révélation, la chevalerie et la tradition évangélique, en sacralisant le Graal, en faisant entrer dans l’univers arthurien le personnage de Joseph d’Arimathie. » Par ailleurs, Frappier (1977)[6] reprendra plus tard que « le grand tournant s’est accompli dans la légende et dans la littérature du Graal avec l’œuvre de Robert de Boron ; c’est alors que le Graal est devenu vraiment le Saint-Graal. » D’autant plus que, toujours selon Frappier (1977), le fait que Robert de Boron fasse partie de l’ordre des chevaliers aurait en quelque sorte influencé ce choix d’orientation du récit, qui plus est supposée alimentée par « un désir d’exaltation spirituelle de la classe à laquelle il appartenait. »
Les contes du Graal tendent donc à ce stade à tenir une importance majeure dans la littérature médiévale et le lien qu’ils établissent avec le concept arthurien. Aussi, tenant compte des propos de Marie-Louise Ollier (1975[7],1984[8]), citant elle même les constats de Zink (1981)[9] la qualification de roman de l’Estoire dou Graal révèlerait « une fiction qui ne s’embarrasse plus d’aucun réfèrent extérieur, garant de sa vérité, qui, du reste, mobilise des formes d’imaginaire résolument étrangères à celles qu’a canalisées, sémantisées, institutionnalisées en quelque sorte, la culture chrétienne ; qui ne se donne même plus l’air d’être une illustration de la Vérité : parabole, glose, ou adaptation de textes antérieurs. »
L’ensemble de ces constats nous amène à dire que d’une manière générale, chaque auteur se démène dans son récit à communiquer à travers l’histoire du Graal et au moyen des caractéristiques du récit à transmettre un message, qu’il soit codé ou directement accessible. C’est ce qui nous conduit à l’objet de notre étude qui cherche à entrevoir l’image du juif dans « L’Estoire dou Graal » de Robert de Boron, entre négativité de la religion juive et légitimité de la religion chrétienne. L’objectif en est de prouver que dans son roman Robert de Boron se sert des aspects paradigmatiques, syntagmatiques et sémantiques afin d’induire une image négative sans attaque direct. Il pousse ainsi le lecteur à adhérer à la religion chrétienne ce qui lui donne une légitimité et l’aide à définir son identité et de se dégager ainsi des hérésies. Comment la représentation du personnage du juif permet donc de légitimer l’identité chrétienne dans le roman de l’Estoire dou Graal ?
Le contexte de la représentation des juifs nous est illustré d’abord à travers les analyses de l’œuvre de Robert de Boron lui-même ; ensuite sur la base des romans du Graal ; de telle manière que ces deux contextes accordent davantage d’argumentations à de la religion chrétienne ; plus encore les analyses de Cani (2002)[10] nous précèdent sur ses constats par rapport à la place du juif dans le cycle du roman du Graal. Ce sera donc sur la base de ces constructions que notre étude s’établiera, de telle sorte qu’elle se consacrera aux aspects linguistiques tout en introduisant ces différentes conjoncture. Dans un premier temps, il s’agira de voir les aspects paradigmatiques (I), ensuite les aspects syntagmatiques (II) et enfin les aspects sémantiques (III) pour en tirer une conclusion sur les approches linguistiques que Robert de Boron partage avec ses lecteurs et comprendre comment il défend sa religion même. Cette étude se fera, de ce fait sur la base d’un dépouillement du récit de l’Estoire dou Graal avec l’appui de différentes analyses qui ont précédé notre concept et qui constitueront nos éléments bibliographiques.
- APPROCHE PARADIGMATIQUE
Si l’on se base sur la définition de Saussure (1915)[11], on peut considérer paradigmatiques « les liaisons unissant des termes in absentia dans une série mnémonique virtuelle. » De son côté, Jakobson (1963)[12] précise que « les liaisons paradigmatiques définissent des structures de similarité » ; des relations que Noizet et Pichevin (1966)[13] réduisent à « celles des codes ». Dans cette première partie, nous sommes donc amenés à analyser le roman de Robert de Boron selon une organisation lexicale de cette représentation comparative de la religion juive et de la religion chrétienne.
En effet, Robert de Boron va opposer des champs lexicaux et ainsi créer des rapports paradigmatiques. Ces rapports vont lui permettre de faire s’affronter des conceptions différentes de manière indirecte, et ainsi de commencer à bâtir deux images antagonistes. D’une part une image négative de la religion juive et d’autre part une vision positive du christianisme. Il va ainsi mettre un point d’honneur à bien dissocier les deux religions, étant donné également qu’il semble avoir choisi dès le départ la religion chrétien à légitimer.
La logique de Jakobson établit six termes qui définissent les fonctions du langage : il s’agit entre autre de « la fonction référentielle orientée vers le contexte, la fonction émotive orientée vers le destinateur, la fonction conative orientée vers le destinataire, la fonction phatique qui veille sur le maintien du contact, la fonction métalinguistique qui veille à une commune entente du code de communication, et la fonction poétique où l’accent est mis sur le message pour son propre compte. » (Jakobson 1963).
Pour ainsi introduire ces différentes fonctions dans notre cadre d’analyse :
- la fonction référentielle est représentée par cette volonté de légitimation de l’identité chrétienne, objet de notre étude. En effet, c’est l’élément que nous interrogeons et que nous allons tenter d’expliciter tout le long du discours de Boron dans son roman. Le contexte du roman se définit donc sur la promotion de la croyance chrétienne à la différence de la croyance juive. Cela se fait à travers le parcours de Joseph d’Arimathie dans sa conservation du relique du Saint-Graal.
« Il (Joseph d’Arimathie) conserva toujours avec vénération une aussi précieuse relique (le Saint-Graal) (…). Après la mort de Jésus, les Juifs retinrent en prison, durant quarante-deux ans, Joseph d’Arimathie ; il en fut délivré (…), vécut plus de deux siècle et ne mourut qu’après avoir mis en possession du Saint-Graal son neveu. » C’est ainsi qu’est abrégé le récit dans la notice, dans les premières pages, selon l’édition de Michel F. en 1841.
- La fonction émotive se réfère aux moyens mis en évidence selon les conditions émises par l’émetteur à l’envoi du message (Klinkenberg 1996)[14]. Il s’agit entre autre des expressions que l’auteur utilise pour former le message qu’il communique. Il faut noter que Robert de Boron fait office d’auteur de reconstruction de l’histoire du graal, il ne participe pas directement au récit, bien que son rôle d’auteur renvoie de quelque manière sa position par rapport à cette comparaison objet de notre analyse.
« C’est au douzième siècle que Gautier Map, théologien habile et chapelain du roi d’Angleterre Henri II, rédigea en latin le Roman du Saint-Graal (…) Son travail fut mis en françois par Robert de Borron. Ces deux auteurs eurent la hardiesse (…) de donner à l’histoire du Saint-Graal une origine surnaturelle : Dieu même, selon eux, en était le véritable auteur (…) Il est vrai que, revenant quelquefois sur leur téméraire assertion, ils avouent que l’histoire est extraite de toutes les ystoires. » Ainsi, au dire de cette introduction au récit du Saint-Graal (Michel 1841) l’implication de Boron se rapporte donc à cette reconstruction/ traduction de l’histoire du Graal.
- En outre, la fonction conative correspond à cette argumentation qui amène à l’affirmation de l’identité chrétienne, il s’agit ainsi, dans ce cas, d’un discours « incitatif-directif » (Arcand, Bourbeau 1995)[15]. De ce fait, Robert de Boron amène son lecteur à adhérer à sa position, c’est-à-dire à la religion chrétienne, en argumentant sur des images négatives de la religion juive ; ce qui implique de ce fait son interprétation de la réalité du cours de l’histoire du Saint-Graal même. C’est par ailleurs ce qui constitue comme problématique centrale de notre analyse, faisant rapport au processus emprunté par notre auteur.
- La fonction phatique implique l’utilisation des structures linguistiques et grammaticales qui marquent l’organisation du discours selon que l’auteur établit ou vérifie la relation avec le lecteur. En effet, dès ses premiers vers, l’auteur s’implique dans une conversation directe avec le lecteur pour l’amener à s’impliquer dans le récit à son tour, ce qui se réflète, par exemple, dans l’utilisation des pronons « vous » et « nostre » :
A icel tens que je vous conte,
Et roi et prince et duc et conte,
Nostres premiers peres Adam,
Eve no mere et Abraham, […]
Lors si plut à Nostre-Seigneur,
Qu’il nous feist trestouz honneur
Et qu’il en terre descendist
Et nostre humeinne char préist […][16]
- La fonction métalinguistique s’assure de la langue de communication et de sa codification écrite portant le message à transmettre. Le récit est rédigé selon les règles linguistiques du français médiéval, notamment du XIIIe siècle, dont la traduction valut à Robert de Boron.
Aussi, « li Romanz de l’estoire dou Graal » serait la signification du « Roman du Saint-Graal » retenue à partir du XIXe siècle (Michel 1841) et dont nous observons une évolution dans la mesure de la codification de la langue française.
- Enfin, la fonction poétique se rapporte à la forme même du message, dont l’objectif est sa mise en valeur. L’Estoire dou Graal de Boron est un roman en prose, rédigé sous forme de vers.
« Il existe un nombre de fidèles (Dieu les sauve et garde !) qui mettent dans leur bibliothèque la poésie du treizième siècle, de préférence aux vers et à la prose que fabrique sans relâche la première moitié du dix-neuvième (…) ». C’est ainsi que débute la notice du livre à sa première publication par F. Michel (1841), pour nous induire à reconnaitre, d’un premier abord, la nature du récit. Ce sera donc sur la base de cette généralité que nous construirons notre analyse dans le sens des paradigmes contenus dans le roman. Il faut savoir que pour comprendre la distinction entre la religion chrétienne et celle juive, il est nécessaire d’être en connaissance du parcours de ces deux religions en général.
- 1. UNE CONCEPTION FONDATRICE OPPOSEE
D’un point de vue logique et historique, s’il est ici question de différence, cela évoque indirectement la ressemblance. Aussi, le judaïsme et le christianisme se constituent en une seule souche de religion d’origine. En effet, le christianisme est né du judaïsme, tel que nous l’enseigne l’histoire des religions du monde, et tel que nous fait reconnaitre Sachot (1998)[17] dans ses constats : « C’est à l’intérieur du judaïsme, voire au centre du judaïsme et non à sa périphérie ou dans ses marges, qu’il faut trouver le principe inducteur de différenciation, la structure structurante, la matrice qui a porté et fait naître le christianisme. C’est avec le judaïsme qu’il faut penser le christianisme naissant. »
Et c’est la reconnaissance en Jésus de la personnification du Messie, le Christ, qui a induit à la divergence et la séparation. Tel qu’il nous est expliqué par Sachot (1998) : « Le christianisme a été initié par Jésus. (…) Il est vraiment difficile de ne pas reconnaitre qu’il fut l’initiateur du mouvement qui a, par la suite, donné naissance au christianisme et à la religion chrétienne. (…) C’est lui qui a permis le passage du judaïsme au christianisme. »
- 1. 1. L’unicité originelle
Partons, d’abord dans le sens d’une unicité originelle, dès ses deux premiers vers, Robert de Boron joue sur les facteurs d’appartenance. Il entend de ce fait à impliquer tout le monde : les juifs autant que les chrétiens, ainsi que les lecteurs.
Savoir doivent tout pecheeur
Et li petit et li meneur […][18]
Robert de Boron nous porte donc vers une mise en rapport des conceptions opposées des religions judaïque et chrétienne. Ainsi, sans les faire s’affronter directement, il induit d’ores et déjà une forte opposition entre les deux. En effet, cet appel à la conscience générale sans distinction oblige en quelque sorte à reconnaitre qu’il existe bien cette distinction dans le quotidien des rapports aux sujets concernés, quoique, la seule différence dont il est question se rapporte aux « petit et meneur » ; bien que cette différence puisse également se traduire telle qu’il s’agit des juifs et des chrétiens.
D’une manière générale, il est possible de procéder à une analyse d’un quelconque indice d’unicité dans le récit de Boron, on peut déjà commencer avec ces deux premiers vers. L’adjectif indéfini totalisant « tout » est renforcé par la répétition au vers 2 de la forme « et li » qui crée un effet d’accumulation. Cette impression de rassemblement est accentuée par le diptyque du vers 2 « petit … meneur » qui induit lui aussi un ensemble, une unicité au delà des différences. Ainsi, même si de prime abord Robert de Boron ne semble s’adresser qu’à une partie de son auditoire : les « pecheeur », le fait que ce terme soit encadré par ces adjectifs introduit la notion d’ensemble. Robert de Boron mentionne ici avec finesse que nous sommes tous des pécheurs et, sans mettre tout le monde au même niveau, il parvient tout de même à unifier son auditoire.
Ce contexte d’unicité est renforcé par la suite dans les énumérations contenues dans les vers 12 à 18. En effet, l’auteur tente d’inclure l’ensemble des catégories de personnes, confirmant que l’humanité croit en une seule origine. Cette conception de l’origine est selon Sachot (1998) rattachée à « une notion de tradition, dont la définition est d’attribuer à l’origine même la forme présente de la croyance », dont le christianisme. Aussi, « en épousant sa perspective (l’histoire des origines du christianisme), elle tend à rapporter à l’instant originel tout ce qui s’est construit par la suite. »
Et roi et prince et duc et conte,
Nostres premiers peres Adam,
Eve no mere et Abraham,
Ysaac, Jacob, Yheremyes
Et li prophete Ysayes,
Tout prophete, tout autre gent,
Boen et mauveis communement […][19]
Cette énumération est construite sous forme de triptyque : elle reprend les trois ordres dirigeants de l’époque. Le vers 12 représente la noblesse, le pouvoir terrestre, qui est représenté en premier car c’est à la fois le commanditaire de l’œuvre et son destinataire principal. La sensation d’exhaustivité est renforcée par la répétition de la conjonction de coordination « et ». Les vers 13 à 17 sont une manière d’illustrer l’ordre du clergé, c’est le pouvoir céleste.
Ce qui est d’autant plus intéressant dans ces vers c’est que Robert de Boron fait référence aux personnages bibliques des origines : ceux de l’Ancien Testament, écrit qu’ont en commun juifs et chrétiens. On peut donc y voir un rapprochement par des origines communes, hypothèse appuyée par la présence d’Adam et Ève qui sont considérés comme les parents de l’humanité. Ce qui confirme notre constat de la référence à la tradition des origines basé sur la thèse de Sachot, que nous venons de citer plus haut.
Ce rapprochement est renforcé par l’utilisation des adjectifs possessifs « nostres » et « no » aux vers 13 et 14. Enfin on peut voir dans le vers 18 le tiers état puisqu’il y est question de « tout autre gent ». L’effet universalisant est renforcé par la reprise de la construction en diptyque du vers 2 :
Et li petit et li meneur […]
Boen et mauveis communement[20]
Nous pouvons dire que bien qu’il s’agit comme nous l’avons précisé depuis le début de cette première section, que la description d’un ensemble « tout » faite par Robert de Boron sous-entend l’existence d’une différence. Aussi, nous avons encore une fois à confirmer ce constat dans le sens de la distinction entre « boen et mauveis ». En effet, on sent d’ores et déjà une division latente, un balancement, avec d’un côté les bons et de l’autre les mauvais. Mais cette séparation est contenue par le lexique totalisant qui l’entoure : « tout » et « toute » au vers 17 puis « communement » au vers 18, ce dernier étant placé en exergue en fin de vers et clôturant le passage en question.
Cela étant, il convient cependant de préciser un détail : cette unité que construit Robert de Boron semble révolue. En effet il nous précise bien au vers 11 qu’il s’agit d’une autre époque que la sienne : « A iciel tens … ». De plus il bascule, dès le vers 19, à l’imparfait, temps des événements achevés. Ce qui marque d’une manière logique une séparation de l’unité en question, aboutissant à cette effet, à la séparation juifs-chrétiens. Il s’agit plus précisément de la problématique sur la venue du Christ en terre.
Quant de cest siecle departoient,
Tout droit en enfer s’en aloient.
Quant li Deables, li maufez,
Les avoit en enfer boutez,
Gaaigniez avoir les quidoit
Et en ce adés mout se fioit.
Les boennes genz confort avoient
Ou Fil Dieu que il attendoient[21].
Par ailleurs, nous sommes devant le fait que plus on se rapproche du présent plus on va se rapprocher de la division. Jusqu’ici Robert de Boron s’est déployé à introduire les faits, en rappelant le contexte de départ, les facteurs de changement pour aboutir à la séparation. Ce changement se fait ici par un changement du temps des verbes. En effet, dès le vers 27 on sent le changement s’opérer avec le passage au passé simple cette fois.
Lors si plut a nostre Seigneur
Qu’il nous feïst trestouz honneur
Et qu’il en terre descendist
Et nostre humeinne char preïst[22].
Nous sommes toujours dans le passé mais dans un passé moins éloigné. Les évênements ici décrits vont revêtir une plus grande importance que les précédents. En effet l’imparfait est donné comme le temps des éléments non-essentiels au récit, tandis que le passé simple est donné comme celui des éléments essentiels. Un changement de conjugaison qui coïncide avec le retour de l’utilisation de l’adjectif possessif « nostre » aux vers 27 et 30, redoublé par le pronom « nous » au vers 28 et accentué par l’adjectif « trestouz » qui a valeur de totalité absolue, de même que l’adjectif « humeinne ». Ainsi Robert de Boron semble bien parler à tous.
En outre, l’utilisation de l’imparfait jusqu’ici représente un passé inaccompli, si l’on tient compte du fait qu’il existe une perspective d’unité de la religion juive avec la religion chrétienne de manière à ce que le principe religieux juif adhère à la venue du Christ. Cette vision se réfère aux observations de Lallot (1985)[23] dans son analyse de la description des temps du verbe chez trois grammairiens grecs, concluant que :
« Mais on voit surtout combien cette catégorie, conquise sur celle du temps, avec laquelle elle entretient en grec des rapports complexes, a eu de la peine à s’imposer comme pertinente à l’indicatif, mode par excellence de l’expression temporelle : parce que le passé, comme révolu, fournissait le modèle de l’accompli, et le présent, comme engagé dans la durée, celui de l’inaccompli (« extensif »), le concept de «passé inaccompli», par lequel les Stoïciens, selon Stéphanos, caractérisaient l’imparfait, s’est révélé historiquement instable et une longue tradition semble s’être satisfaite de décrire l’imparfait comme une espèce de présent. »
Aussi, si Robert de Boron s’engage à présent sur un récit, par l’utilisation du passé simple, c’est qu’il donne un caractère accompli à ce récit du Christ. Ce qui concrétise d’une part, la division entre la religion juive et la religion chrétienne. D’autre part, Robert de Boron impose indirectement une réalité à laquelle il invite à adhérer, et par la même occasion, il suggère indirectement de contrer la croyance juive, notamment à partir du récit du Christ. En outre, les analyses de Benveniste (1959)[24] induisent à une mesure de distanciation entre deux événements. Ce matérialise, encore une fois, la rupture entre ce passé d’unité et la suite du parcours juif et chrétien.
Ce qui nous conduit au fait qu’en travaillant les rapports paradigmatiques avec soin, Robert de Boron va petit à petit diviser cet ensemble qu’il avait instauré. Des champs lexicaux opposés vont amener à la création de deux groupes distincts : les juifs d’un côté, les chrétiens de l’autre. Le lecteur, inclus au début du roman dans cet ensemble, va donc se retrouver obligé de prendre partie. La structure grammaticale, nous l’avons vu, révèle un choix particulier d’orientation de manière directive de l’opinion du lecteur. Aussi, l’auteur étant convaincu de la position qu’il soutient, il apparait logique qu’il opte également pour des vocabulaires de choix.
- 1. 2. Les bases d’une division nécessaire
Nous aboutissons donc à cette division qui confronte d’un côté la religion chrétienne à la religion juive de l’autre. Etant donné que le christianisme trouve son origine dans le judaïsme même, il a maintenu des principes communs au judaïsme. Ainsi comme l’a noté Nicolas (1867)[25], « de ces doctrines (chrétiennes) deux seulement, l’idée de l’unité de Dieu et celle de la Providence, appartiennent à l’hébraïsme, c’est-à-dire, au temps de Moise et des prophètes » En conséquence, la séparation des deux religions est alors renforcée par leur différence.
Les vers 25 et 26 marquent à cet effet la fin de l’unité et annoncent la division dans le sens des doctrines communes aux deux religions. Tant les chrétiens que les juifs croient en un Dieur unique et à la venue de son fils le Messie :
Les boennes genz confort avoient
Ou Fil Dieu, que il attendoient[26].
Le christianisme développe donc des doctrines propres à lui et différentes de celles du judaïsme. « Telles sont la doctrine du Verbe, celle de la résurrection des corps et du jugement dernier, la théorie des anges et celle des démons, l’explication de la présence du mal dans le monde par le péché d’Adam et d’Eve. » (Nicolas 1867). Ce contexte servira à Robert de Boron dans la continuation de son récit comme matière première à la distinction entre les religions chrétienne et juive, et par la même occasion, il s’emploiera à légitimer la division, et la religion chrétienne, et donc à relativiser les principes de la religion juive.
La référence au Verbe entend la venue sur terre du Christ :
Diex voust que ses fiuz char préist
De la Virge et que de li naschist,
Et il si fist puis que lui plust ;
Pour rien contredist ne l’éust.
Cil Sires, qui humanité
Prist en la Virge, humilité
Nous moustra grant quant il venir
Daigna en terre pour morir,
Pour ce que il voloit sauver
L’uevre son pere et delivrer
De la puissance l’Ennemi,
Qui nous eut par Eve trahi[27].
Ce qui nous renvoie au contexte du péché originel que Eve et Adam ont commis :
Le pueple que il feit avoit
D’Evein et Adam, couvenoit
Raieimbre et giter hors d’enfer
Que tenoit enclos Lucifer
Pour le pechié d’Adam no pere,
Que li fist feire Eve no mere
Par la pomme qu’ele meja
Et qu’ele son mari donna[28].
Ici Robert de Boron marque que la mission du Christ est alors de sauver l’humanité de ce péché par lequel Dieu condamna les descendants d’Adam et Eve. Ce qui amène au fait que la croyance en la personne du Christ est un chemin qui mène à cette délivrance. Et ce qui condamne alors les juifs qui n’adhère pas en l’incarnation humaine du messie.
Eve eut conçu, et enfanta
A grant douleur ce que porta,
Et li et toute sa meeisnie
Eut li Deables en baillie ;
A la mort les vout touz avoir.
En enfer les convint mennoir
Tant com Diex le vout, et ne plus,
Qu’il envoia sen fil çà-jus
Pour sauver l’uevre de son pere ;
Si en soufri la mort amere[29].
Aussi, il convient de noter ici une insistance de l’auteur sur les conditions de l’incarnation du Messie, notamment sur le fait qu’il a pris la forme humaine en naissant du ventre de la vierge Marie. Ce qui mène indirectement à une distanciation des points de vue juive et chrétienne, et particulièrement à une dénonciation de la non adhérence des juifs à un fait tout aussi légitime. En effet, on peut en observer les différentes répétitions dédiées à ce passage :
– Déjà aux vers 30 à 31 :
Et nostre humeinne char préist ;
Dedenz la Virge s’aümbra,
Tele com la voust la fourma[30] (…)
– aux vers 97 à 99 :
Diex voust que ses fiuz char préist
De la Virge et que de li naschist
Et il si fist puis que lui plust[31] (…)
– également aux vers 141 à 144 :
Pour ce besoing prist-il no vie
Ou ventre la virge Marie,
Et puis en Bethleem naschi
De la Virge, si cum je di[32].
Dès le départ, Robert de Boron va poser un important jalon en induisant un concept sur lequel chrétiens et juifs divergent : la question du péché. En effet dès les premiers vers il induit que nous sommes tous des pécheurs. En incluant le destinataire tout d’abord, puisqu’il explique que son propos s’adresse à « […] tout pecheeur, Et li petit et li meneur »[33]. Ensuite par le sens même donné à ce terme en Ancien Français qui inclut cette idée que le péché est présent en chacun de nous, puisqu’il vient du latin chrétien peccator : « personne qui est en état de pécher. » Cette première occurrence du vocabulaire du péché n’est pas la dernière puisqu’elle va courir jusqu’au vers 192.
En utilisant le verbe de pécher, Robert de Boron va commencer à opérer un glissement. Ce verbe a en effet deux sens en Ancien Français, un sens large et un sens restreint, tous deux situés dans le domaine religieux cependant. Aux vers 109 et 111 par exemple on trouve le sens restreint de « faillir, faire défaut ». Mais aux vers 71, 118 et 187 c’est le sens large de « commettre une faute contre la loi divine » qui domine. Cet oscillement est d’autant plus significatif que, dans les vers précédents, Robert de Boron met en miroir les deux mères que sont Ève et Marie. Avec l’omniprésence du vocabulaire du péché et la reprise de l’histoire de la faute d’Adam et Ève, il nous amène au péché originel. Or c’est un des aspects qui fait débat entre chrétiens et juifs, ces derniers ne reconnaissant pas l’existence du péché originel.
En effet, dans son récit, Robert de Boron tente d’opposer à tous les niveaux possibles les deux religions, notamment en défendant les principes constructifs de la religion chrétienne, c’est ce que nous avons annoncé plus haut par les doctrines fondatrices de la foi chrétienne (Nicolas 1867). C’est entre autre le cas du péché originel effacé par le baptême.
Voirs est que Jhesus-Criz ala
Par terre ; et si le baptisa
Et ou flun Jourdein le lava
Sainz Jehans, qu’il li commanda
Et dist : « Cil qui en moi creirunt,
En eve se baptiserunt
Ou non dou Père et dou Fil Crist
Et ensemble dou Saint-Esprit,
Que par ice serunt sauvé,
Dou povoir l’Anemi gité
Tant que il s’i remeterunt
Par les pechiez que il ferunt[34]. »
Cette construction paradigmatique permet à Robert de Boron d’inclure une des différences majeures entre les deux religions : la reconnaissance du péché originel. Ce dernier est à la base du christianisme : c’est par le baptême, sacrement unique, que le chrétien est lavé de ce péché et qu’il rentre dans la communauté chrétienne. La religion juive ne reconnaît pas la renaissance du péché originel par le sacrement du baptême, pour eux la conversion au judaïsme constitue la regénération ou la seconde naissance (Nicolas 1867), le mikvé, peut être réitéré. Il n’est donc pas anodin que Robert de Boron choisisse d’opposer fortement ces deux concepts car ils permettent de dissocier plus clairement les deux religions.
A sainte Eglise ha Diex donné
Tel vertu et tel poesté.
Saint Pierres son commandement
Redona tout comunalment
As menistres de sainte Eglise,
Seur eus en ha la cure mise :
Ainsi fu luxure lavée
D’omme, de femme, et espurée ;
Et li Deables sa vertu
Perdi, que tant avoit éu[35].
Par ailleurs, ce débat, sous-jacent donc, est renforcé par le vocabulaire du baptême et de la purification très présent aux vers 149 à 192. « Baptisa » vient du latin chrétien « baptisma » qui désigne très précisément « le sacrement que l’église administre, par le symbolisme de l’eau, afin d’introduire un nouveau fidèle dans la communauté chrétienne en le purifiant du péché originel. » Or les juifs ne reconnaissant pas l’existence du péché originel, ils ne reconnaissent pas non plus le baptême tel qu’il est pratiqué par les chrétiens. L’idée d’un peuple souillé prend alors forme, d’autant plus que le vocabulaire de la purification est très présent dans ce même passage[36] :
– au vers 152: « santé ; pouoir ei »
– au vers 155 : « flun jourdein » ; lava qui a ici le sens de « bain » mais qui a le sens plus précis de « ablution » au vers 171.
– au vers 161 : « sauvé » qui signifie « rendre bien portant, guérir » mais qui a également le sens, dans la langue ecclésiastique, de « défendre, secourir ».
– au vers 162 : « dou pouoir l’anemi gité ». Nous pouvons retenir deux sens du terme « anemi » : au sens large signifie « ennemi » et au sens spécifique au domaine religieux signifie « Diable ». en outre, le verbe « gité » a également deux sens : « jeter ; lancer » mais aussi « délivrer ; détourner ».
– au vers 166 et 173 : « vertu » est également sujet à une double lecture. On peut le lire dans le sens de « remède » au vers 166. Mais aussi dans le sens de « puissance morale » au vers 173.
– au vers 172 : « espuree ».
Ce vocabulaire, dont les occurrences ont souvent une double lecture possible, n’a rien de surprenant. Il traduit parfaitement la vision que le Moyen-Âge se faisait de la représentation du monde. A savoir une vision double où se superposent le charnel et le spirituel. C’est ce que l’on retrouve ici avec l’idée d’une purification tant physique que morale, ou plus exactement spirituelle.
A ce niveau, il convient également de noter l’opposition entre le bien et le mal. Cette représentation se fait par rapport au Christ qui incarne le bien et le Diable, le mal, comme nous l’avons déjà pu noter plus haut. Robert de Boron forme un fond d’insistance en ces termes.
– aux vers 135-139 :
A la mort les vout touz avoir.
En enfer les convint mennoir
Tant com Diex le vout, et ne plus,
Qu’il envoia sen fil ça-jus
Pour sauver l’uevre de son pere[37] ;
– aux vers 159-162 :
Ou non dou Pere et dou Fil Crist
Et ensemble dou Saint-Esprist,
Que par ice serunt sauvé,
Dou povoir l’Anemi gité (…)[38]
On peut interpréter cette différence de manière à considérer la foi chrétienne telle la bonne voie vers le Seigneur, une voie de laquelle la foi juive s’est écartée du fait qu’elle n’adhère pas à la divinité du Christ. Cette réflexion marque toutefois la vision chrétienne de la croyance juive, puisqu’il faut remarquer que si la religion juive ne considère pas le péché originel, elle ne prévoit pas la nécessité de « se laver » de ce péché.
Ce passage nous introduit en outre à l’opposition entre le vertu et le vice. Il semble que les leçons du passé tirées de la l’expérience d’Adam et Eve maintiennent une vision de faiblesse de l’humanité. De ce fait, l’homme se libère donc du péché originel par le baptême ; et plus encore, son quotidien, de par sa faiblesse à succomber aux vices, l’écarte des vertus.
A bien .v. mil anz ou plus
Les eut-il en enfer là-jus ;
Meis de tout son povoir issirent,
Dusqu’à tant que il s’i remirent ;
Et Nostres-Sires, qui savoit
Que fragilitez d’omme estoit
Trop mauveise et trop perilleuse
Et à pechié trop enclineuse
(car il couvenroit qu’il pechast)[39],
C’est dans cette optique que Robert de Boron introduit la notion de « confession » qui renouvelle le sacrement du baptême, afin de donner une image vertueuse de disciple de Dieu à l’humanité, libéré de ses péchés et de l’emprise du Diable, car c’est un moyen qui tend au rapprochement à Dieu.
Vout que sainz Pierres commandast
De baptesme une autre menniere :
Que tantes foiz venist arriere
A confesse, quant pecheroit,
Li hons, quant se repentiroit
Et vouroit son péchié guerpir
Et les commandementz tenir
De sainte Eglise : ainsi pourroit
Grace à Dieu querre, et il l’aroit[40].
Ici Robert de Boron correspond les vices, autrement qu’au péché, à la notion de luxure :
– aux vers 121-122 :
Sa fame nue véue ha,
A luxure s’abandonna[41].
– aux vers 171-172 :
Ainsi fu luxure lavée
D’omme, de femme, et espurée[42] ;
Et la vertu se réfère à cet être nouveau libéré des péchés :
– aux vers 165-166 :
A sainte Eglise ha Diex donné
Tel vertu et tel poesté[43].
– aux vers 173-174 :
Et li Deables sa vertu
Perdi, que tant avoit éu[44].
Enfin, Robert de Boron dans son récit, fait également mention d’une opposition entre Eve et Marie. D’une manière générale, la représentation des deux femmes peut s’interpréter de façon à attribuer à Eve l’héritage du péché originel, ce qui intensifie la mission de Marie pour sauver l’humanité de ce péché, en donnant naissance au Christ.
Et qu’il en terre descendit
Et nostre humeinne char péist ;
Dedenz la Virge s’aümbra,
Tele com la voust la fourma (…)[45]
Par ailleurs, Robert de Boron entretient sur une vénération de la vierge Marie par une énumération de ses qualités. D’une part, cela confirme en Marie l’espoir d’une délivrance des fautes commises par Adam et Eve ; et d’autre part, ce contexte aboutit à une reconstruction de scenario de l’origine. Ce qui tend également à adhérer à une théorie de la renaissance humaine qui se matérialise par le baptême tel que nous venons d’argumenter plus haut.
Pleinne fu de toutes bontez,
En li assist toutes biautez :
Elle est fleiranz comme esglentiers ;
Elle est ausse com li rosiers,
Qu’ele porta la douce rose
Qui fu dedenz sen ventre enclose.
Elle fu Marie apelée,
de touz biens est enluminée;
Marie est dite, mer amere ;
Fille Dieu est, si est sa mere (…)[46]
En outre, Marie a été la première à recevoir la délivrance, d’abord puisqu’elle est née de la volonté de Dieu qui s’est manifestée par l’apparition d’un ange à Joachyn le père, et ensuite parce qu’il a engendré le fils de Dieu venu sur terre, pour prendre l’apparence humaine et renouveler la foi des hommes, comme nous venons de citer plus haut. Ainsi, si Eve représente la mère de l’humanité, Marie incarne celle qui a engendré le fils de Dieu, sauveur de l’humanité. De ce fait la foi juive ne reconnaissant pas Jésus comme le Christ, ne peut pas reconnaitre cette mission de délivrance tant en Marie qu’en son fils. Et par conséquent, le récit condamne donc l’existence juive dans le péché.
Ce dist l’angles à Joachyn :
« Va tost, si le mest au chemin,
Que Diex le t’a pas pour moi mandé ;
Et se m’a-il mout commandé
Enseurquetout que je te die
Ta volontez iert acomplie,
Car tu une pucele aurras,
Et Marie l’apeleras.
D’Anne ta fame iert engenrée,
En son ventre saintefiée,
N’en sa vie ne pechera
Tout son aage que vivra (…) »[47]
Ce qui nous amène également à une opposition entre l’ange et le diable. L’ange fait partie des messagers de Dieu « par son ange qu’il envoia » tandis que le diable est la représentation de l’enfer. Il convient de noter qu’il est attribué au diable différentes qualifications, dont « li Deables, li Maufez », « Lucifer », « l’Ennemi », « l’Anemi ». Il faut également noter que si les prophètes prédisaient la probabilité de l’arrivée du Christ, la réalisation est associée à l’apparition des anges comme messagers de Dieu. De ce fait, le récit de Robert de Boron annonce une ère nouvelle de l’intervention divine par l’intermédiaire des anges et marque donc un terme à la prophétie, tel qu’il est prévu par la doctrine chrétienne dont nous avons fait mention plus précédemment.
Par ailleurs, les apparitions des anges sont rendues de plus en plus effectives dans la période de l’après Christ, durant laquelle Joseph d’Arimatahie se servait du Saint-Graal pour invoquer la volonté de Dieu et ses conseils, pour ce qu’il doit être de son peuple.
Sire, tout aussi vraiment
Com vif, vous vi mort ensement
Si cumme après la mort te vi
Vivant à moi paller aussi
En la tour où fui emmurez,
Où me féistes granz bontez ;
Et là, sire, me commandastes,
Quant vous ce veissel m’aportastes,
Toutes les foiz je vourroie
Secrez de vous, que je venroie
Devant ce veissel precieus
Où est vostres sans glorieus[48].
Cette opposition entre « ange » et « diable » est reprise plus tard par Robert de Boron, dans quel contexte il donne de plus amples explications à cette opposition en remontant à la Création. En effet, les anges du mal sont ceux en qui Dieu a vu leur mauvais caractère, c’est pour cela qu’ils ont été jeté du Ciel.
Il fist et cria les archangles
Et tout ensemble fist les angles.
De mauveis en y eut aprtie,
Plains d’orgueil et de felonnie
Et d’envie et de couvoitise
Et de haïne et de faintise,
De luxure et d’autres pechiez ;
Se les eut Diex tost trebuchiez
Çà-aval, que pas ne li plurent. (…)
Trois generacions chéi
En enfer et en terre aussi. (…)
Les autres trois si demourerent
En l’eir et ilec s’arresterent ; (…)
Ainsi sunt leur genelogyes
Et sunt par trois foiz trois foïes. (…)
Li autre qui sunt demouré
Ou ciel, si furent confermé,
Qu’il ne pourrunt jameis pechier (…)[49].
Ainsi tel que Robert de Boron organise son récit, les juifs sont dès lors mis à l’écart de manière que les argumentations que notre auteur utilise prévalent une telle logique des choses. Ce qui marque à cet effet, la rupture inévitable entre les deux religions. De même pour la croyance en la sainte trinité, Robert de Boron en fait mention le long du récit, et le refus d’adhésion des juifs à cette doctrine fait que notre auteur les exclut sans nomination.
Entendez en quantes mennieres
Nous racheta Diex nostres peres :
Li Peres la raençon fist,
Par lui, par son fil Jhesu-Crist,
Par le Saint-Esprit tout ensemble.
Bien os dire, si con moi semble,
Cil troi sunt une seule chose,
L’une persone en l’autre enclose.[50]
- 2. LES LIENS ANTROPONYMIQUES
Dans son analyse portant sur le Graal, Frappier (1977) nous amène vers une « compréhension de la psychologie de Robert de Boron » qui inspire, à la connaissance du parcours de vie de Jésus, une motivation grandissante à adhérer à ses enseignements et en lui même. Ainsi, Frappier avance que : « il ne faut pas oublier que son Estoire dou Graal reste dans la lancée des évangiles apocryphes et répond au même besoin : celui de remédier à la sobriété austère des Evangiles canoniques trop dépourvus de faits concrets, au gré de bien des croyants, et de raconter la vie de Jésus dans sa réalité familière et pittoresque, afin de l’aimer davantage. »
Par ailleurs, toujours selon la vision de Frappier, Robert de Boron aurait pu s’appuyer sur le soutien de l’Eglise par rapport aux pratiques et à la conquête de la foi chrétienne au Moyen-âge. « De ‘ces fraudes pieuses’ le Moyen-âge fut complice avec délices et bonne foi, loin de toute arrière-penséE de mystification, et l’Eglise, sans approuver les apocryphes, n’en prit guère ombrage, car ils étaient un puissant auxiliaire de la ferveur religieuse. » (Frappier 1977) Ce qui défend d’avance la position de Robert de Boron par rapport à ses argumentations.
Nous avons pu voir précédemment, le passage du péché au péché originel, avec le rappel de la faute d’Adam et Ève et l’opposition entre Ève et Marie, puis celui du baptême et à la purification ; nous arrivons à cette idée que les juifs sont un peuple souillé depuis les origines, car ils ne sont pas lavés du péché originel. Ainsi, sans pour autant insister sur la référence directe aux juifs, Robert de Boron aboutit à la construction de ce personnage qu’il présente comme mauvais. Nous constatons, en outre que Robert de Boron va creuser encore plus le fossé qui sépare la religion juive et la religion chrétienne en créant des liens anthroponymiques ; c’est à dire en liant ou en opposant le peuple juif, notamment, à des personnages significatifs.
D’abord, Robert de Boron nous amène ainsi à cette précision sur la méfiance des juifs envers le Christ :
Pour les Juifs qu’il doutoit tant,
Car tout estoient adversaire
A Jhesu la gent de pute eire[51].
Nous retrouvons dans ces premières illustrations que les juifs sont assimilés au titre d’adversaire. Cette référence marque d’abord une distanciation, ce qui tend à séparer les deux religions, mettant en exergue une différence de principe ; ensuite, la notion d’adversaire aboutit à une confrontation entre les deux principes. Et comme nous l’avons précisé plus haut la construction du roman par Robert de Boron tend vers une légitimation de la croyance chrétienne. Ce qui amène au fait que l’attribution des caractéristiques d’adversaire au juifs implique indirectement une connotation négative au personnage juif.
De même que Robert de Boron continue aux vers suivants :
Ainsi doutoit ses ennemis,
Jà soit ce qu’à Dieu fust amis[52].
Par ailleurs, Robert de Boron nous amène à ce procédé qu’il s’emploie à lier les juifs au personnage de Judas, personnage auquel il va attacher le vocabulaire de la trahison et de la cupidité ; ce qui induit à un discrédit des juifs. D’une part, on peut retenir le contexte de ce rapport établi entre juif et Judas, de manière à illustrer la notion d’adversité que nous venons de préciser plus haut. Etant donné que Jésus se tenait comme adversaire du mal, il implique donc Judas dans le camps du mal contre lequel il doit lutter.
Jhesus peu deciples avoit,
Et de ceus l’uns mauveis estoit,
Pires plus que mestiers ne fust[53].
A ce stade, Robert de Boron établit la différence entre « les disciples de Jésus » et « les juifs », les disciples constituent les premiers partisans du christianisme. Robert de Boron joue sur le rapport juifs/ disciples pour mettre au compte des juifs la condamnation du Christ.
Meintes foiz tinrent pallement
Li Juif queu peinne ou tourment
Nostre-Seigneur soufrir feroient
Et comment le tourmenteroient[54].
On parle par la suite de la trahison de Judas du fait de son ralliement à la cause juive, ce qui a été motivé par sa jalousie.
Et Judas, que Diex mout amoit,
Une rente eut c’on apeloit
Disme, et avec seneschauz fu
Entre les deciples Jhesu ;
Et pour ce devint envieus
Qu’il n’estoit meis si gracieus
As deciples come il estoient
Li uns vers l’autre s’entr’amoient :
Se commença à estrangier
Et treire à la foïe arrier ;
Plus crueus fu qu’il ne soloit,
Si que chascun le redoutoit[55].
Cette trahison de Judas contribue à détériorer l’image des juifs. Ainsi, leur existence « souillée » par le péché originel ne s’améliore pas avec l’ajout à leur personne la souffrance que Jésus s’apprête à endurer pour sauver l’humanité, et la traitrise à laquelle ils se sont adhérer en s’associant à Judas, puisqu’effectivement c’est Judas qui les a aidés à trouver Jésus et le capturer.
« Enseigne-nous comment l’aruns
Et comment nous le prenderons. »
Judas leur dist : « Se vous volez,
Je l’vous vendrei, si le prenez. »
Cil dient : « Oïl, volontiers. »
– « Donnez-moi donc trente deniers. »[56]
Le complot entre Judas et les juifs nous est conté par Robert de Boron allant du vers 261 au vers 330[57]. Ce passage nous montre selon l’organisation des idées, comment Robert de Boron captive l’attention et de son lecteur, un processus renforcé par le caractère de récit en prose, et par l’utilisation des détails des événements. Aussi, il amène à soutenir la cause de Jésus et ses partisans contre les traques que les juifs et avec l’aide de Judas leur inflige. De même l’acceptation de son sort par Jésus lui-même, sans montrer aucun signe de réticence, tend à renforcer cette image négative des juifs.
Ainsi d’ilec se departirent ;
Dusqu’au juesdi attendirent ;
Et ce juedi chiés Simon
Estoient Jhesus, dans sa meison,
Où ses deciples ensegnoit
Les essemples et leur disoit :
« Ne vous doi pas trestout retreire ;
Meis de ce ne me weil-je teire,
Que cius menjut o moi et boit
Qui mon cors à mort trahir doit. »[58]
En outre, Robert de Boron opère de la même manière, qu’avec Judas, avec le personnage de Moïse, lié au peuple juif par son nom même. En effet ce prénom fait directement référence au Moïse biblique fondateur de la religion judaïque. Les juifs se sont portés garants des enseignements reçus par Moïse, ce qui les différencie des hébreux s’indignant à perpétrer les seules règles auxquelles les juifs tiennent désormais. « Le mosaïsme qui, dans la période hébraïque, n’avait jamais été accepté franchement par la nation, s’est maintenant incarné en elle ; et la Loi, continuellement violéE par l’hébreu, est devenue pour le juif la seule règle à laquelle il veut conformer sa vie tout entière. » (Nicolas 1867) D’un côté, l’image attachée au peuple juif atteigne de ce fait l’image de leur fondateur par principe logique de projection. D’un autre côté, le nom de Judas désormais entaché de trahison laisse penser à la détérioration de l’origine juive par homonymie au judaïsme.
Par ailleurs, Robert de Boron rappelle bien plus tard dans son récit le nom de Moïse et l’associe à celui qui fut jeté dans l’abime par Dieu puisqu’il s’est montré faux et qu’il ne croyait pas en la grâce du Seigneur. Il ne s’agit pas d’une mise en doute de l’origine mais toutefois, Robert de Boron introduit par ce contexte une remise en question de la foi juive, telle que les juifs n’ont pas cru en Jésus et qu’ils l’ont délivré à la mort.
Ces fauses genz qui s’en alerent
Un de leur compeignons leissierent,
Qui Moyses à non avoit (…).
« Ne povoit croire ne savoir
Que tes genz péussent avoir,
Ki aveques toi demouroient,
Si grant grace come il avoient ;
Et sanz doute ne remest mie,
Fors pour honnir ta compeignie.
Saches de voir qu’il est funduz
Dusqu’en abysme et est perduz (…) »[59]
Robert de Boron nous induira également à trouver en le personnage de Joseph d’Arimathie l’opposé de Judas et donc du peuple juif. Du point de vue de Frappier (1977), « l’incomparable surcroit de gloire accordé à Joseph d’Arimathie » de son rapport avec la légende du Graal est totalement œuvre de Robert de Boron puisqu’il a été le premier à lui attribuer ce rôle. Aussi, l’implication de ce personnage viendrait donc des motivations strictement religieux ou théologique de Robert de Boron. Le personnage de Joseph d’Arimathie nous apparait d’abord sans être nommé aux vers 193-208 :
Au tens que Diex par terre ala
Et sa creance preescha,
La terre de Judée estoit
Souz Romme et à li respondoit,
Non toute, meis une partie,
Où Pilates avoit baillie.
A lui servait uns soudoiers
Qui souz lui eut v chevaliers,
Jhesus-Christ vit et en sen cuer
L’aama mout ; meis à nul fuer
N’en osast feire nul semblant
Pour les Juis qu’il doutoit tant,
Car tout estoient adversaire
A Jhesu la gent de pute eire.
Ainsi doutoit ses ennemis,
Jà soit ce qu’à Dieu fust amis[60].
Ce passage, d’une part, associe le personnage de Jésus à celui de Joseph, ce qui s’ajoute au compte du bon, par rapport aux personnages des juifs et de Judas qui sont considérés comme le mal ; d’autre part, ce passage marque également trois champs lexicaux qui se dessinent comme suit :
le vocabulaire de la chevalerie.
le vocabulaire de l’amour spirituel.
Le vocabulaire de la punition.
La référence à la chevalerie correspond à la nomination de Joseph d’Arimathie en tant que Soudoier. Selon Frappier (1977) « le sens de ce mot n’offrait rien de péjoratif en ancien français, il faut voir en lui le synonyme de chevalier, de vassal non « chasé » qui, pour vivre, s’est mis à la solde d’un roi, d’un prince ou de quelque seigneur et fait la guerre, avec loyauté et honneur, pour le compte d’un autre. » Dans ce roman, Robert de Boron place Joseph d’Arimathie sous les ordres de Pilate.
Où Pilates avoit baillie.
A lui servait uns soudoiers
Qui souz lui eut v chevaliers (…)[61]
En outre, toujours sur la base des analyses de Frappier, Robert de Boron construit le fondement de l’histoire de la chevalerie et du Graal :
« Il est probable cependant que la transformation de Joseph d’Arimathie en chevalier et en « soudoier » n’a pas été tout à fait spontanée ; elle était en effet, préparée et justifiée en partie par le titre que porte Joseph dans l’Evangile selon saint Marc (XV,43) : nobilis decurio, cette expression permettrait de reconnaitre en Joseph un gentilhomme et un chevalier ; c’est peut-être, en fin de compte, grâce à elle que la légende chevaleresque du Graal a été entée sur la tradition évangélique ; mais, de toute manière l’Evangile ne fournissait que le germe encore bien frêle d’une idée qui s’épanouit dans l’œuvre de Robert de Boron, puisque celui-ci, en faisant de Joseph d’Arimathie, sans la moindre ambigüité, un chevalier, changeait l’affabulation du Graal en une histoire sainte de la chevalerie. »
Cette citation de Frappier nous renvoie de ce fait à confirmer les caractères allègres de Joseph d’Arimathie par rapport à Judas qui a été emporté par ses vices, comme nous l’avons constaté plus précédemment, bien que Judas est considéré par Boron comme faisant partie du rang des « seneschauz ».
Et Judas, que Diex mout amoit,
Une rente eut c’on apeloit
Disme, et avec seneschaux fu
Entre les deciples Jhesu (…)[62]
Nous avons également l’occasion de trouver dans l’acte de Joseph d’Arimathie un acte de chevalerie lorsqu’il demanda à Pilate de lui donner le corps de Jésus, à titre de don en échange de ses années de services en tant que soudoier ; contrairement à Judas qui a vendu Jésus aux juifs pour « trente deniers ». Ce qui creuse encore plus grande l’opposition entre Judas et lui.
Et quand Joseph l’a oï dire,
Pleins fu de mautalent et d’ire,
Vint à Pilate isnelement
Et dist : « servi t’ei longuement
Et je et mi v chevalier,
Ne n’ei éu point de losler,
Ne jà n’en arei guerredon
Fors tant que me donras un don
De ce que touz jours prommis m’as. (…)
– « Je demant le cors de Jhesu,
Qu’il ont à tort en crouiz pendu. »
– « Sire, une granz genz et fort sunt,
Bien sai penre n’ou me leirunt. »[63]
Il convient de noter également que tant Joseph d’Arimathie que Judas sont pourtant tous les deux beaucoup appréciés par Jésus.
Jhesu-Christ vit et en sen cuer
L’aama (Joseph d’Arimathie) mout (…)
Et Judas, que Diex mout amoit, (…)[64]
Ce passage sur l’amour nous renvoie au vocabulaire de l’amour spirituel. En effet, Robert de Boron fait remarquer l’existence d’un lien fort qui se construit entre Jésus ressuscité et Joseph d’Arimathie. Frappier (1977) le qualifie « amour secret ». Cet amour s’aperçoit d’abord dans les actes de Joseph d’Arimathie quand il se démena pour libérer Jésus de la croix, et par la suite l’enterrer, ce qui s’est également assimilé à la pitié de Joseph. Par la suite, il répondit lui-même aux remarques que Pilate lui a faites.
Lors prist Pilate le veissel ;
Quant l’en souvint, si l’en fu bel ;
Joseph apele, si li donne
Et dist : « mout amiez cel homme. »
Joseph respont : « Voir dit avez. »[65]
L’insistance sur cet amour de Joseph d’Arimathie condamne dans le récit de Robert de Boron les sentiments des juifs qui ont conduit « à tort » selon lui la crucifixion de Jésus, un amour qui , par ailleurs, n’a été d’aucune mention du côté de Judas. Le récit de Robert de Boron évoque la reconnaissance de cet amour de Joseph d’Arimathie par Jésus (Frappier 1977), ce qui lui a fait mériter par la suite la garde du Saint Graal :
Nul de mes deciples o moi
N’ei amené, sez-tu pour quoi ?
Car nus ne set la grant amour
Que j’ai à toi dès ice jour
Que tu jus de la crouiz m’ostas,
Ne vienne gloire éu n’en has.
Nus ne connoit ten cuer loial
Fors toi et Dieu l’esperital.
Tu m’as amé celéement,
Et je toi tout certainement[66].
De plus le Saint Graal lui a été confié par Jésus en symbole de cet amour. Ici encore Robert de Boron attribue aux juifs cette image négative contre laquelle il faut se prémunir :
Nostre amour en apert venra
Et chacuns savoir la pourra ;
Meise le sera mout nuisanz
As maveis Juis mescreanz.
En ton pouvoir l’enseigne aras
De la mort et la garderas,
Et cil l’averunt à garder
A cui tu la voudras donner.[67]
De même, lorsque les Juifs sont opposés à Jésus, Pilate et bien sûr à Joseph d’Arimathie, ils sont opposés aux valeurs représentées par ces hommes : l’amour, dans le sens religieux du terme, la fidélité, la foi. Ce contexte se renforce donc par leur opposition quant à l’exécution des ordres de Pilate de donner le corps de Jésus à Joseph d’Arimathie, et quant à leur fervente volonté de surveiller la tombe pour contrer de quelque manière la résurrection au troisième jour.
Ensemble respondirent tuit :
« ne l’osterez, car il dist ha
Qu’au tierz jour resuscitera ;
Jà tant ne sara susciter
Que le feruns à Mort livrer. (…)
Li Juif si sunt retourné,
Si ont à Pilate pallé.
Pylates commanda et dist,
En quel liu que on le méist,
Par nuit et par jour le gueitassent,
Que si deciple ne l’emlassent ;
Car Jhesus à eus dist avoit
Qu’au tierz jour resusciteroit.[68]
Le vocabulaire de la punition peut être associé au contexte de l’emprisonnement de Joseph d’Arimathie par les Juifs.
« Ore, Joseph, je m’en irei.
De ci mie ne t’emmenrei,
Car ce ne seraoit pas reison ;
Ainz demourras en la prison.
La chartre sanz clarté sera,
Si comme estoit quant je ving çà :
Garde que tu n’aies peeur,
Ne au cuer friçon ne tristeur ;
Car la delivrance tenrunt
A merveille cil qui l’orrunt.
Li Seinz-Espriz o toi sera,
qui touz jours te conseillera. »
Ainsis est Joseph demourez
En la prison bien enchartrez (…)[69]
Nous retrouvons donc notre double lecture. Robert de Boron lie chevalerie terrestre et chevalerie spirituelle en mêlant le vocabulaire de la chevalerie et celui de l’amour spirituel. Puis, en mettant ce même vocabulaire de l’amour spirituel en lien étroit avec celui de la punition, il induit une image négative du juif.
- 3. UNE REPRESENTATION SYNTHETIQUE
Robert de Boron, est déterminé dans son récit à mettre en évidence l’opposition contre les juifs. Aussi, il continue à asseoir la vertu dans le personnage de Joseph d’Arimathie et se sert des actes des juifs comme le mal. Ce qui marque une rupture avec la croyance juive, puisque la voie sure est désormais tracée sur la voie du Christ.
Ice doiz-tu savoir touz dis,
Ces choses sunt senefiance
Qu’en fera de toi remembrance.
Tout cil qui ten veissel verrunt,
En ma compeignie serunt ;
De cuer arunt emplissement
Et joie pardurablement.
Cil qui ces paroles pourrunt
Apenre et qui les retenrunt,
As genz serunt vertueus,
A dieu assez plus gratieus ;
Ne pourrunt estre forjugié
En court, ne de leur droit trichié,
N’en court de bataille venchu,
Se bien ont leur droit retenu. »[70]
Par ailleurs, Robert de Boron continuera à incriminer les juifs de la condamnation de Jésus, alors qu’il apportait une nouvelle vie et la foi à ce peuple.
« Jo ne sai pas chose ore ci ;
Meis ce puis-je bien affermer
Que là dont je vieng d’outremer
Jadis un grant profete avoit
Qui sanz doute preudons estoit,
Et meintes foiz fist Diex pour lui.
Je vi malades qu’il gari
De mout diverses maladies (…)
Je vi contreiz qu’il redreça
Et avugles qu’il raluma, (…)
Et autres miracles assez
Que n’aroie à lonc tens contez ; (…)
La pute gens qui le haïrent
Tant donnerent et tant prommirent
A ceus qui le povoir avoient
Et qui les joustices tenoient (…)
Li juif, qui sunt de pute eire,
Si le firent crucefier
En la crouiz et martirier (…)[71]
Robert de Boron va exemplifier tout ces liens qu’il a mis en place de manière paradigmatique. Il se sert pour cela de l’exemplification en racontant l’histoire du peuple de Joseph d’Arimathie. S’adonnant à la luxure, son peuple va connaître la famine.
« N’unques si granz genz cum nous suns
Tant n’eurent mal cum nous avuns ;
Nous soufruns meseise trop grant,
Unques genz n’en soufrirent tant :
Si te vouluns pour Dieu prier
Que le voises Joseph nuncier
Car nous tout si de fein mouruns,
Par un petit que n’enragons.
Nous avons defaute trop grant,
Et nos femmes et nostres enfant (…)
Pour Dieu si te volums prier,
Va-t-en à Joseph conseillier
Pourquoi ce nous est avenu
Que nous avons trestout perdu,
Par nos pechiez ou par les siens
Qu’einsi avons perduz nos biens. »[72]
Dieu, à qui Joseph d’Arimathie demande conseil, lui recommande d’officier en se servant du graal. Seuls ceux dont le repentir sera sincère connaîtront la grâce et le pardon, les autres quitteront la compagnie. Ce qui revient à notre constat du réincarnation de Moïse et de la reproduction du parcours hébreux dans le récit de Joseph d’Arimathie et son peuple.
Joseph à sen veissel s’en va
Et tout plourant s’agenouilla (…)
Lors ha à Joseph la vouiz dist,
Ki venue est dou Saint-Esprist :
En espreuve le meteras
Vers les pecheeurs en apert,
Le veissel tout à découvert (…)
Et de touz les commandemenz
Et touz les boens enseignemenz
Que je enseignié leur avoie,
Quant à eus touz par toi palloie,
Des trois vertuz ki en funt ;
Se trestout ce bien gardé unt
Que il n’en unt trespassé rien,
Viegnent sooir, tu le vieus bien,
A la grâce Nostre-Seigneur,
Qui as suens feit bien honneur. »[73]
D’une certaine manière, si l’on se base sur les constats de Kennedy (1998)[74], Robert de Boron chercherait à incarner le personnage de Moïse dans le personnage de Joseph d’Arimathie. Ainsi donc, nous pouvons interpréter ce contexte comme un renouvellement de l’origine, ce qui donnerait naissance au christianisme. Aussi, Robert de Boron s’adonne à une reproduction du parcours de Moïse quand il a sauvé les hébreux. Ici, la foi en le Saint-Esprit est ce qui sauve ce peuple. Cette situation se réfère aux vers 2361 au 2842[75].
De ce fait, dans son récit, Robert de Boron use de différents contextes pour faire valoir la religion chrétienne opposée à la religion juive. Ce procès passe par un questionnement sur l’origine et sur l’avenir. Ce qui justifierait l’objet de la venue du Christ sur terre. Ce qui également détermine le sort des juifs et celui des chrétiens, dont leur existence s’entrecroise, puisque d’une manière logique, la croyance chrétienne serait en partie la conséquence des actes juifs, et que de toute évidence, nous l’avons bien précisé que la religion chrétienne trouve son origine même dans le judaïsme. Et que les différentes oppositions qui ont été marquées par Robert de Boron constituent de ce fait les éléments de rupture entre les deux religions.
- APPROCHE SYNTAGMATIQUE
Si dans la partie précédente nous avons été amenés à établir une analyse paradigmatique du récit, dans cette seconde partie nous allons nous consacrer sur les paramètres syntagmatiques. Partons toujours des différentes définitions de la notion syntagmatique. Selon Saussure (1915), « le syntagme est « la chaîne parlée », la succession des mots dans le temps (…). Les relations syntagmatiques sont celles qui existent entre les unités d’un message donné, en raison de la « coprésence » simultanée de plusieurs unités à l’intérieur du message. » Ainsi, toujours selon Saussure, « sont syntagmatiques les liaisons entre les unités successives figurant dans un message effectif (in praesentia) ». Jakobson (1963), de son côté, identifie des relations qui « mettent en jeu des structures de contiguïté », simplifiées par Noizet et Pichevin (1966) comme relations de messages.
Dans notre analyse, le contexte syntagmatique se rattache au processus de structuration du récit pour transmettre l’idée de légitimation de la religion chrétienne et du discrédit de la religion juive. Nous soutenons depuis le début de notre analyse que Robert de Boron ne fait preuve d’attaque directe contre les juifs dans son récit, ce qui justifie la tenue de notre analyse par rapport aux paramètres linguistiques. En effet, Robert de Boron use, d’abord de la forme en prose du récit pour soumettre l’ordre d’idées, et par la suite des formes sémiotiques et syntaxiques pour exprimer les messages, notamment pour défendre la foi chrétienne principalement en menant un procédé d’opposition entre les principes religieux chrétiens et juifs. Les différentes argumentations utilisées par Robert de Boron sont essentiellement fondées sur les principes qui marquent la rupture entre les deux religions et qui fournissent par la même occasion des éléments de condamnation des actes juives.
- 1. DES CONVERSIONS EXEMPLAIRES
Robert de Boron tend à travers la vie du Christ de marquer des phénomènes de conversions. En effet, dans son Roman de l’Estoire dou Graal, notre auteur tente de mettre en place toute une tension dramatique qui constitue un processus de confirmation de sa position contre les juifs. Ainsi Robert de Boron met en œuvre des conversions miraculeuses qui amènent les juifs à une complète exclusion, de telle manière que, ces démonstrations heureuses vont rendre le refus des Juifs de se convertir dramatique, car ils vont ainsi s’empêcher l’accès à la grâce. Ces conversions concernent principalement Marie, qui rachète le péché du monde ; Joseph d’Arimathie, qui va connaître une forme de résurrection ; et enfin Vespasien, qui va guérir d’une maladie incurable au symbolisme fort.
- 1. 1. Le personnage de Marie
Les conversions miraculeuses rattachées au personnage de Marie débutent de l’annonciation de sa naissance par l’ange messager de Dieu ; ses parents étant déjà âgés, n’étant plus en état de procréer, n’ayant pas eu d’enfant, et voilà que l’ange de Dieu annonce au père qu’ils engendreront Marie qui sera leur unique et seule enfant née de leur vieillesse. Ce qui donne forme d’une part à la réalisation des prophéties antérieures, et d’autre par à la préparation de l’arrivée du Christ en prédisposant celle qui en sera la mère qui l’enfantera (Nicolas 1857)[76].
Marie est dite mer amere ;
Fille Dieu est, si est sa mere ;
Et Joachins si l’engenra,
Anne sa mere la porta,
qui andui ancien estoient.
Onques enfant éu n’avoient;
Meis mout en estoient irié.
Et Diex leur eut tost pourchacié
Par son angle, qu’il envoia
A Joachym, quant il ala
Ou desert à ses pastouriaus (…)[77].
Robert de Boron nous démontre donc que Marie a été choisie depuis sa conception par Dieu pour donner naissance à Jésus qui sera le sauveur des hommes. Aussi les prédictions de l’ange quand il s’adressait au père sur le futur de Marie justifient les éloges que Robert de Boron portent en elle, de par l’énumération de ses qualités comme nous l’avons pu constater dans la partie précédente.
Ta volontez iert acomplie,
Car tu une pucele aurras,
Et Marie l’apeleras.
D’Anne ta fame iert engenrée,
En son ventre saintefiée,
N’en sa vie ne pechera
Tout son aage que vivra[78].
C’est donc en Marie que Jésus prendra forme humaine. Ici, intervient une autre phase de la conversion miraculeuse qui se traduit par le choix de la vierge Marie pour enfanter le fils de Dieu. Ce qui confirme le fait que Marie fut exempté du péché originel pour expliquer la messianité du Christ. Ce contexte apparait tel que Nicolas (1857) le décrit en se basant sur les principes d’interprétation de la prédestination de la Sainte Vierge selon Gerson : « il fallait que la pureté de cette admirable créature fut si grande, qu’il ne put pas s’en rencontrer une plus excellente après celle de Dieu. » Et comme le mot prédestination lui même implique une idée d’antériorité, les prévisions de sa naissance devait trouver dans son futur une correspondance logique.
Dedenz la Virge s’aümbra,
Tele com la voust la fourma (…)
Ele est aussi com li rosiers,
Qu’elle porta la douce rose
Qui fu dedenz sen ventre enclose (…).
Diex voust que ses fiuz char préist
De la Virge et que de li naschist,
Et il si fist puis que lui plust (…)[79].
L’idée que Robert de Boron défend à l’égard de Marie, ici, est que puisque « Eve no mere » a été la femme qui a mené l’humanité dans le péché, la « Virge Marie » serait alors la femme qui la sauve en donnant naissance à Jésus.
Cil Sires, qui humanité
Prist en la Virge, humilité
Nous moustra grant quant il venir
Daigna en terre pour morir,
Pour ce que il voloit sauver
L’uevre son pere et delivrer
De la puissance l’Ennemi,
Qui nous eut par Eve trahi.[80]
Ainsi, Robert de Boron nous amène à cette responsabilisation de la femme quant au sort de l’humanité. Ce qui tend à confirmer l’idée d’une renaissance et d’un renouvellement de la conception de l’origine, que représente le personnage d’Eve, par l’intermédiaire du personnage de Marie. Ce qui explique également l’argumentation basée sur la répétition de la mission du Christ qui est de sauver « l’uevre » de son père « Diex Nostre-Seigneur ».
Je vins en terre mort souffrir
En la crouiz finer et morir,
Pour l’uevre men pere sauver
Qu’Adam avoit feite dampner
Par la pomme que il menja,
Qu’Eve sa fame li donna
Par le conseil de l’Ennemi,
Qu’ele plus tost que Dieu créi. (…)
Eve conçut, enfant porta ;
Et li et ce qu’ele enfanta
Voust tout li Ennemis avoir
En son demeine, en son pooir,
Et les eut tant cum plust au Pere
Qui li Fiuz naschi de la mere.
Par fame estoit hons adirez,
Et par fame fu recouvrez ;
Fame la mort nous pourchaça,
Fame la vie nous restora ;
Par fame estions emprisonné,
Par fame fumes recouvré[81].
D’une certaine manière, nous pouvons soutenir une certaine logique qui anime cette résolution. En effet, puisque le péché est un fait de l’homme, il apparait plus que logique que ce soit l’homme lui-même qui le résout ; tout comme Dieu qui a offert la vie à Adam et Eve, mais que l’enfer a pris le pouvoir sur elle, Dieu a décidé d’une renaissance qui délivre l’humanité de cette emprise du mal. Ainsi, par le fait que les juifs ne reconnaissent pas ces conceptions miraculeuses, ils sont dès lors condamnés à rester dans le péché hérité d’Eve. Et par conséquent, plus Robert de Boron insiste sur ces conception miraculeuses sur le cours de vie de Jésus, plus il exclut les juifs de cette délivrance et leur donne à cet effet une image négative.
- 1. 2. Le personnage de Joseph d’Arimathie
Le personnage de Joseph d’Arimathie est associé au processus d’enterrement du Christ et au parcours du Saint Graal. En effet, le lien qui unissait Jésus à Joseph d’Arimathie s’est révélé lorsqu’il a constaté sa condamnation à la peine capitale à tort et qu’il a ensuite demandé en récompense le corps de Jésus auprès de Pilate.
Et quant Joseph l’a oï dire,
Pleins fu de mautalent et d’ire,
Vint à Pilate isnelement
Et dist : (…)
« Je demant le cors de Jhesu,
Qu’il ont à tort en crouiz pendu. » (…)
Et dist Pilates : (…)
« Pour ce que son cors demandez,
Pour vos soudées vous l’arez
(…) alez vistement
Et le prenez hardiement. »[82]
Ici, Robert de Boron insiste sur le sentiment que Joseph d’Arimathie porte en Jésus pour intensifier le côté dramatique de sa crucifixion que Joseph juge être commis à tort, et même Pilate l’a reconnu lorsque les juifs l’ont amené devant lui.
D’ileques Joseph se tourna,
Errant à la crouiz s’en ala,
Jhesu vit, si ‘n ot pitié grant
Quant si vilment le vit pendant ;
De pitié commence à plourer (…)[83]
Bien que les juifs se soient montrés réticents envers la décision de Pilate, du fait qu’ils craignaient la résurrection de Jésus, Joseph d’Arimathie a obtenu gain de cause.
« Pilates m’a cest cors donné
Et si m’a dist et commandé
Que je l’oste de cest despit. »
« Ne l’osterez, car il dist ha
Qu’au tierz jour resuscitera ;
Jà tant ne sara susciter
Que le feruns à mort livrer. » (…)
A tant s’est Joseph departiz
Et à Pilate revertz, (…)
Pilate l’ot, n’en ha pas joie
Qinz se courouça durement ;
Ilec vist un homme en present,
Qui avoit non Nycodemus :
« Alez, dist-il, errant là-jus
Aevc Joseph d’Arymathye ;
Ostez Jhesu de sa haschie (…) »[84]
Ce qui a pu lui permettre de se montrer encore plus dévoué à Jésus en veillant au processus d’enterrement et en lui offrant la tombe où il était gardé. C’est dans ce contexte que Joseph d’Arimathie a pu recueillir le sang de Jésus dans le calice qui lui a servi chez Simon avant son arrestation, un calice qui a été apporté à Pilate par un juifs et qu’il a donné à Joseph d’Arimathie par la suite.
Et cil andui en haut munterent
Et Jhesu de la crouiz osterent.
Joseph entre ses braz le prist,
Tout souef à terre le mist,
Le cors atourna belement
Et le lava mout nestement.
Endrementier qu’il le lavoit,
Vist le cler sanc qui decouroit
De ses plaies, qui li seinnoient (…)
Adonc est-il errant couruz
A son veissel et si l’a pris,
Et lau li sans couloit l’a mis (…).
Or fu li sans touz recéuz
Et ou veissel touz requeilluz.
Joseph le cors envelopa
En un sydoine qu’acheta,
Et en une pierre le mist
Qu’il à son wès avoit eslist,
Et d’une pierre le couvri
Que nous apelons tumbe ci[85].
Par la suite Robert de Boron rallie la mort de Jésus avec sa mission de délivrance de l’humanité. L’idé qui s’y traite rejoint le principe selon lequel par la mort le Christ a pu se rendre en enfer pour délivré les âmes qui s’y sont perdues.
Li vrais Diex, en ces entrefeites,
Comme sires, comme prophètes,
En enfer est errant alez ;
Ses amis en ha hors gitez,
Eve et Adam, leur progenie,
Qu’Ennemis eut en sa baillie,
Seinz, saintes, toute boenne gent
(Car des boens n’i leissa neent),
Touz ceus qu’il avoit rachetz,
Pour qui il fu à mort livrez[86].
Ici encore Robert de Boron use du sens logique et dramatique pour expliquer le cours des événements. Ainsi, puisque la pomme qui fut l’origine de la « malédiction », si l’on peut le dire ainsi, de l’humanité a été pris d’un arbre, alors le Christ a été de ce fait entendu mourir de l’arbre qui fut sa croix.
« Joseph, or has oï comment
Li Fiuz Diu tout certeinnement
Vint en terre ; et si has oï
Pour quoi de la Virge naschi,
Pour ce qu’en la crouiz moréust
Et li Peres s’uevre réust :
Pour ce sui en terre venu,
Et li sans de mon cors issuz,
Qui en issi par .v. foïes ;
Assez i soufri de haschies. »[87]
En outre, Robert de Boron rapporte comment les juifs ont réagi à la résurrection du Christ, ainsi, ils ont pourchassé Joseph d’Arimathie et Nicodème pour leur mettre le tort qu’ils voient en l’absence du corps du Christ. Le fait est que de son fondement même, la religion juive n’adhère pas à la résurrection du corps. En effet, Nicolas (1867) nous apprend que bien que le mosaïsme ait ouvert de nouveaux horizons aux croyances populaires, il n’a en aucun cas question ni de l’immortalité de l’âme ni de la résurrection des corps. De même que Abécassis (2004)[88] constate une certaine confusion qui s’instaure dans la conception de la résurrection dans l’évolution de la foi juive, aussi bien que « certains la comprennent littéralement, et d’autres l’interprètent symboliquement. »
Quant Nostre-Sires ce feit eut
Quanqu’il li sist et il li pleut,
Resuscita, c’onques n’ou seurent
Li juif ne vooir n’ou peurent (…)
Quant li Juif ice escouterent
Et si tinrent leur parlement,
Car les choses va malement (…) ;
Encor unt-il plus grant despist,
Car il l’unt par Joseph perdu :
De ce sunt-il tout esperdu ;
Et se damages y ha nus,
Ç’a-il feit et Nychodemus. (…)
A ce conseil sunt acordé
Tout li josne et tout li barbé. (…)
Quant ils voient que perdu l’unt,
En la meison Joseph s’en vunt, (…)
Chiés un riche homme l’ont mené,
Forment l’unt batu et frapé.
Leenz eut une tour roonde,
Ki haute estoit et mout parfunde. (…)
Avalé l’ont en prison, (…)
Forment l’ont fermée et serrée,
Et par-dessus bien scelée. »[89]
Aussi les actes de Joseph d’Arimathie ont été récompensés par Jésus par la garde du Saint-Graal, qu’il lui a donné quand lui est apparu, après sa résurrection pendant qu’il était en prison.
Nostre-Sires ha treit avant
Le veissel precieus et grant
Où li saintimes sans estoit
Que Joseph requeillu avoit, (…)
Diex dist : « Tu le me garderas
Et cius cui le comanderas. » (…)
Joseph, qui à genouz estoit,
Prist le veissel que Diex tenoit[90].
Par ailleurs, les gestes de l’offrande s’interprèteront tel qu’ils représentent les actes de Joseph d’Arimathie. Ainsi, le monde connaitrait ce que Joseph d’Arimathie a fait pendant que les disciples de Jésus ont disparu et l’ont laissé à son sort.
Aussi sera représentée
Cele taule en meinte contrée.
Ce que tu de la crouiz m’ostas
Et ou sepulchure me couchas,
C’est l’auteus seur quoi me meirunt
Cil qui me sacrefierunt.
Li dras où fui envolepez,
Sera corporaus apelez.
Cist veissiaus où men sanc méis,
Quant de men cors le requeillis,
Calices apelez sera.
La platine ki sus girra
Iert la pierre senefiée
Qui fu deseur moi seelée,
Quant ou sepuchure m’éus mis.
Ice doiz-tu savoir touz dis,
Ces choses sunt senefiance
Qu’en fera de toi remembrance[91].
Joseph d’Arimathie reflète en lui donc la résurrection de Jésus, de manière à ce qu’il a constitué l’élément sur qui tout le processus dépendait. Il a permis l’enterrement de Jésus alors que les juifs en était contre. Il a été par la suite sujet à l’accusation des juifs par rapport à leur peur de la résurrection de Jésus, et ce fait il a été mis en prison où il est resté, et a attendu sa délivrance selon la volonté de Dieu. Il représente par la suite le symbole du sacrement du Christ et devient le gardien du Saint-Graal. Nous pouvons en déduire qu’ici encore, Robert de Boron porte à l’image des juifs des oppositions envers le Christ et ses disciples, qui entre autre vient à défendre le parcours chrétien à l’issu de différentes péripéties.
- 1. 3. Le personnage de Vespasien
Le rapprochement avec le personnage de Vespasien se rapport à son processus de guérison miraculeuse d’une maladie aussi grave que la lèpre. Ici encore la culpabilité du personnage du juif pour la mort du Christ, tel qu’il en est tout le long du récit, est accentué, aussi bien que les pèlerins partagent le récit de Jésus à chaque pays et personnes qu’ils rencontrent dans leur voyage. C’est dans cette condition qu’on a fait connaissance de la situation de Vespasien, fils de l’empereur de Rome. De même que l’arrivée d’un pèlerin à Rome annonce dans le récit de Robert de Boron, la délivrance de Joseph d’Arimathie.
Ainsis est Joseph demourez
En la prison bien encharirez ; (…)
Et demoura mout longyement
Que de lui ne fu pallement
Tant qu’il avint c’uns pelerins,
Qui fu assez jounes meschins,
En cele terre de Judée
Fist là mout longue demourée
Au tens que que Jhesus-Criz ala
Par terre et sen nou preescha,
Qui mout de miracles fesoit,
Car il bien feire les povoit[92].
C’est ainsi que le pèlerin fit connaitre aux dirigeants de Rome une possibilité de guérison de Vespasien grâce au Christ et ses miracles.
Li pelerins fu hostelez,
Bien aesiez et bien soupez.
L’ostes au pelerin palloit
Que mout granz damages estoit
Dou fil à leur empereeur ; (…)
« Et sanz doute, se il veschist,
Vaspsien, se il vousist,
Garessist de sa maladie,
Ne fust si granz ne si antie. (…)
Et qui de lui pourroit trouver
Aucune chose et aporter,
Tost en pouroit estre sanez
Vaspasiens et respassez. »[93]
L’empereur déploya à cet effet ses hommes pour partir en quête de miracle avec comme garantie la parole et la vie du pèlerin lui même.
(…) « Mes despens donnez-moi
Et si me metez en prison
En une soufisant meison,
Et si feites là envoier,
Enquerre bien et encerchier.
Se ce n’est voirs que dist vous ei,
Je vueil et si l’octroierei
Que la teste me soit coupée
Ou à coustel ou d’une espée. » (…)
L’empereres y envoia
Le plus sage homme qu’il trouva,
Qu’il vouloit la chose savoir
Et enquerre trestout le voir ;
Et si leur mande à la parclose,
Se il est morz, qu’aucune chose
Ki au predomme éust esté,
Se il l’ont en leur poesté
Que tantost la li envoiassent
Et pour rien nule n’ou leissassent[94].
Ici, Robert de Boron use du dialogue pour faire avouer aux juifs eux-mêmes leur crime, quand les messagers de l’empereur et Pilate leur a demandé de ce qu’il en était de la mort de Jésus, qui a été apparemment motivé par la jalousie. Ainsi, les juifs eux-mêmes répondent de leurs actes. Si l’on se réfère aux explications de Cohen (1864)[95], la confiance que les juifs accordaient aux prescriptions de leur code sacré devait éclairer leur tort, s’il en était question, par une apparition divine ; ce qui n’est pas arrivé ; ce qui réconfortait alors les juifs dans leur conviction.
– « Ce fu voirs, jà n’ou celeron,
Pour ce que il roi se fesoit
Et que nostres sires estoit. (…)
Et nous ne pourrions soufrir
Que il ne autres seignourir
Seur nous ne seur les noz péust,
Fors que Cesar, tant puissant fust,
Ne le méissians à la mort,
Car il nous feroit trop grant tort. »
(…) il fesoit
Les plus granz miracles dou munde,
Qui le penroit à la roonde ;
Pour enchanteur le tenoient
Cil et celes qui le veoient[96].
Aussi la foi de Vespasien en Christ et ses œuvres l’a sauvé de cette emprise de la maladie. Ce qui a pu également se faire grâce au voile avec lequel Verrine a essuyé le visage de Jésus, quand les juifs lui ont fait porter la croix, et sur lequel il est resté son portrait.
L’empereres ha demandé :
« Avez-me vous riens aporté
Qui à ce seint prophete fust
Ne qui men fil mestier éûst ? » (…)
La semblance li ha moustrée,
qu’avec li avoit aportée (…)
Entre ses des meins prise l’a
Et en la chambre la porta
Où ses fiuz estoitt emmurez ;
Et à la fenestre la mist,
Si que Vaspasiens la vist ;
Et sachiez quant il l’eut véue,
N’avoit unques la char éue
Si sainne cum adonques l’eut,
Car Nostre-Seigneur ainsi pleut[97].
Désormais il se sent reconnaissant envers celui qui l’a guéri, ce qui le motive dès lors à venger la mort injustifiée du Christ avec l’accord de son père l’empereur. Avec l’appui de son père, et grâce au miracle dont tous a été témoin, Vespasien se met lui aussi dans les rangs des partisans du Christ et alla contre les juifs qui ont été la cause de la mort de Jésus.
« Biaus peres, jointes meins vous pri,
Cum mon seigneur doiturier,
Que cil larrun puant Juis
Unt si vileinnement oçis. »
L’empereres li respondi :
« Biaus fuz, jou vueil, si vous en pri ;
Feites vo volenté entiere,
N’i espargniez ne fil ne pere. »[98]
C’est par ailleurs dans ce contexte que Vespasien parvient à son tour à délivrer Joseph d’Arimathie de sa prison, qu’il fut encore témoin d’un acte miraculeux. En effet, les conditions dans lesquelles Joseph d’Arimathie a été enfermé ne laisse penser à sa survie que par la foi d’un amour et d’une reconnaissance que Dieu lui accorda pour les actions de Joseph d’Arimathie pour remettre le corps de Jésus dans la tombe.
« Bien le pourroit avoir gardé
Cil méismes qui m’a gari
Et m’a donné que je sui ci ;
Car je sai bien qu’il n’est nus hon
Qui le péust feire s’il non,
Et bien voi que c’est veritez
Que pour lui fu-il emmurer,
Et voirs est que donnez li fu,
Et pour lui l’avez-vous batu.
Je ne quit mie ne ne sent
Que Jhesus si vileinnement
L’éust cilec leissé morir ;
Je weil garder tout à loisir. »[99]
Ainsi cette déclaration de vengeance, déjà dans le terme, trouve sa justification dans la volonté de Vespasien et les siens à rendre justice à celui qui l’a sauvé. Ce qui marque une autre condamnation des juifs pour leurs agissements envers le Christ qui, selon les témoignages et même par rapport au miracle dont Vespasien en est la preuve, aurait été un homme bon. Ce qui soutient encore une fois notre thèse sur l’image négative des juifs que Robert de Boron véhicule dans son récit. Ici nous pouvons également rallier le constat de Cohen (1864) par rapport au refus des juifs de voir dans les œuvres miraculeuses du Christ la divinité de celui-ci, ce qui tend à condamner les juifs d’avoir donné la mort au Christ.
- 2. UN APPUI INATTENDU
Nous arrivons donc à ce stade où la cause chrétienne se rallie donc à une cause politique. En effet, la guérison et la conversion de Vespasien vont avoir des conséquences importantes dans le procédé dramatique. Elles vont donner un appui politique, et donc légitime, à la religion chrétienne. Ainsi, Vespasien rejoint la Judée pour déchoir ceux qui ont donné la mort à Jésus.
Vaspasyanus et Tytus
Ilec ne sejournerent plus ;
Ainz unt tout leur oirre atournée,
Qu’il vuelent aller en Judée.
« Je sui ci venuz pour vengier
La mort Jhesu, qui m’a gari. »[100].
Ainsi Vespasien est déterminé à venger la mort de son sauveur, aussi bien que Pilate rejoint sa cause et complotait pour déchoir les juifs.
Quand Pylates ce entendi,
Si ha éu mout grant peeur,
Qu’il quida qu’à grant deshonneur
Son cors et sen avoir perdit
Et c’on à la mort le mesist :
Pour ce estoit si espoventez
Qu’il quida que fust encusez.
Lors ha dist à Vaspasyen :
« S’oir voulez, je direi bien
Qui ha éu ou droit ou tort
Dou prophete ne de sa mort. »[101]
De ce fait, Vespasien se déploie à gagner la confiance des juifs et leur faire avouer leur tort qui n’est autre que la vérité, et ainsi les punir ; d’autant plus que les juifs eux-mêmes que leur jugement envers Jésus n’était que tort parce qu’ils voulaient se prémunir et sauvegarder leur influence et leur pouvoir sur le peuple juif. En effet, Jésus clamait être « le Roi des rois ».
Quant il furent tout assemblé,
Vaspasyens ha demandé
Que il unt dou prophete feit :
Savoir le vieut tout entreseit ;
Plus estoit sires que ses peres
Ne rois ne dus ne empereres.
« Avez-vous feit que traiteur,
Qui féistes tel deshonneur. »[102]
Ainsi, Robert de Boron use d’un anachronisme latent pour donner à Vespasien le mobile de la punition qu’il réserve à ceux qui ont fait périr sur la croix le Christ : il s’agit bel et bien d’une construction fictive, et Robert de Boron manie habilement l’Histoire afin de lui faire dire ce qu’il souhaite, ou plus exactement ce qui sert les intérêts du christianisme. C’est ainsi que les juifs lui raconta dans les détails et avec fierté de ce qu’ils ont fait de Jésus.
Il dient au commencement
Trestoute la chose, comment
Cil Jhesus-Criz roi se feisoit
Seur eus touz, se leur en pesoit :
Pour ceste chose le haoient,
Si que vooir ne le povoient ;
Et comment Judas le trahi
Et trente deniers le vendi (…)
Celui qui les deniers paia
Li moustrerent, qu’il estoit là ;
Ceus qui le pristrent li moustrerent,
Et devant lui mout se vanterent
Dou despit, de la vilenie
Qu’il firent (Diex les maudie !) (…)
Tout ainsi fu-il renduz
Et li sanz de lui espanduz,
Que nous en fumes engagié
Et nostre enfant nous unt plegié :
Se nous en clamons tout à toi
De ce que nous fist te desroi,
Et vouluns que tu nous en quites
Des couvenances devant dites. »[103]
Vespasien détient alors ses premiers coupables, ce qui lui a permis d’initier ses projets de vengeance qu’il doit à celui qui l’a sauvé et redonné la vie.
Vaspasyens ha ce oï :
Leur desloiauté entendi,
Leur malice dont plein estoient,
Si cum par eus bien le moustroient ;
Tous ensemble penre les fist,
En une grand meison les mist. (…)
« Je vueil touz ces Juifs destruire,
N’en i aura nul qui muire ;
Bien s’unt séu tout descouvrir
Pour quoi il doivent tout morir. »[104]
Robert de Boron s’est donc déployé dans son récit à la condamnation des juifs, qui sont désormais entre les mains de Vespasien et son armée romaine. Ainsi le christianisme tend donc à prévaloir sur le judaïsme. En effet, le judaïsme à l’image des juifs constitue une religion déchue puisqu’il est reproché aux juifs la mort du Christ. Et dorénavant, Vespasien s’apprête à mener son combat jusqu’à ce qu’il puisse reconstituer l’histoire et savoir ce qu’est devenu son sauveur, d’autant plus qu’aussi bon il était, alors que les juifs lui en en voulait.
- 3. UNE PUNITION DIVINE
Robert de Boron va donc s’appuyer sur l’intervention de Rome pour attribuer aux juifs leur punition pour la mort de Jésus. Selon Cohen (1864), « le christianisme (naissant) était alors animé vis-à-vis du monde romain d’une ardeur de prosélytisme que rien ne pouvait arrêter. » Ce qui intensifie le contexte dramatique du sort des juifs entre les mains de Vespasien. Un châtiment qui s’effectue en plusieurs étapes et très symbolique. Le chiffre trente revient régulièrement, en référence aux trente deniers pour lesquels Judas a trahi Jésus.
Devant lui les ha apelez,
Trente en ha d’une part servez ;
Assez feit chevaus amener
Et as queues les feit nouer,
Que touz trahiner les fera,
Jà un seul n’en echapera.
Ainsi fist le treitre destruire.
Li autre n’unt talent de rire ;
Meis mout durement s’esmaierent[105].
Par ailleurs, Robert de Boron prétexte l’exécution des juifs, d’abord par la recherche de son corps. Comme nous l’avons pu voir précédemment, les juifs prévoyaient déjà qu’on s’intéresserait au corps de Jésus, ainsi ils ont voulu inculper à Joseph d’Arimathie et Nicodème, sensés être tous les deux morts, la disparition du corps de la tombe.
Pour quoi ce fesoit demanderent ;
Il dist : « Pour la mort de Jhesu,
Qui si vilment demenz fu.
Ou tout vif le me renderez,
Oui tuit vileinnement morrez. »
– « Par foi ! à Joseph le rendimes,
Ne unques puis ne le véimes.
Joseph de la crouiz jus le mist,
Et nous ne savuns qu’il en fist ;
Et se tu Joseph nous rendoies,
Le cors Jhesu par lui rauroies. »[106]
Nous pouvons interpréter ce contexte de « disparition du corps » utilisé par les juifs, par le fait qu’en s’appuyant sur les analyses de Cohen (1864), il s’avère qu’il n’est fait aucune mention d’un témoignage de l’inhumation de Jésus par Joseph d’Arimathie, de même pour le moment de la résurrection. Ce qui toutefois à notre analyse ne justifie pas d’autres circonstances ultérieures à cette inhumation et qui devraient contribuer à rapprocher cette disparition à la résurrection ; des événements que Robert de Boron a su utiliser à leur juste questionnement. Aussi bien que l’accusation des juifs fut objectée par Pilate qui savait que les juifs se sont engagés à garder la tombe de Jésus pour l’empêcher que l’on prenne son corps ou qu’il ressuscite au troisième jour comme ses disciples l’ont fait savoir.
Et pylates leur respondi :
« ne vous tenistes pas à lui,
Ainçois le féistes garder ;
Trois jours féistes demourer
Vos gardes là où il le mist,
Et déistes qu’il avoit dist
Qu’au terz jour resusciteroit :
A ses deciples dist l’avoit.
Vous doutiez qu’il ne l’emblassent,
Par nuit et qu’il ne l’emportassent (…) »[107]
Le refus de collaboration des juifs sur la recherche du corps de Jésus et celui de Joseph d’Arimathie, dont la disparition s’ajoute au tort des juifs, n’a fait que renforcer la colère de Vespasien. Tous les juifs sont alors condamner à mort.
Vaspasiens dist que morir
Les couvient touz et si fenir.
Il respondent à une vouiz
Que tout ce ne vaut une nouiz ;
Car Jhesu rendre ne pourroient,
Se Joseph ainçois ne ravoient.
Tant en ra feit morir à honte
Que je n’en sai dire le conte,
Ardoir en fist une partie :
Ainsi leur vieut tolir la vie[108].
Il faut noter que Robert de Boron insiste sur l’accusation de Joseph d’Arimathie par les juifs pour ce qu’il en est du corps du Christ. Nous pouvons interpréter cette réaction comme un refus d’accepter la résurrection du Christ par les juifs. En effet, les juifs soutiennent que c’est Joseph d’Arimathie qui aurait dérobé le corps de Jésus, ainsi sa mort pardonnerait le manque de vigilance des juifs quand ils ont monté la garde à la tombe, et que mort, il peut lui être accusé d’avoir caché le corps de Jésus sans qu’on puisse le retrouver, puisque de toute manière, tel a été le cas pour les juifs ; ce qui aurait abouti, à l’arrivée de Vespasien, à la perte du peuple juif. C’est ce qui a été révélé à Vespasien à la découverte de la tour où Joseph a été mis.
Il li conterent tout le feit,
Comment il le cors leur toli
Dou prophete, quant il transi,
Et en tel liu repus l’avoit
Où nus trouver ne le pourroit (…)
« Que Joseph tout vif penriammes
Et que li touriammes la vie,
Si ne nous encuseroit mie ;
Et qui Jhesu demanderoit,
Par Joseph Jhesu raveroit,
Car Joseph l’averoit éu :
Ainsi arians peis de Jhesu,
Que Joseph n’averoit-on mie,
Qu’il averoit perdu la vie. (…)
C’est ce pour quoi il fu ocis
Et dedenz ceste chartre mis. »[109]
Dans ce contexte, nous pouvons également constater que Robert de Boron use du personnage du juif pour alimenter la foi en Christ. En effet, aussi grande soit la culpabilité des juifs dans la mort de Jésus, nous pouvons dire qu’ils constituent des éléments centraux dans le processus de délivrance de l’humanité, objet principal de la mission du Christ sur terre. Ce qui , de manière assez extrémiste, peut signifier également que c’est parce qu’il y avait les juifs que l’humanité a pas pu être sauvée. Cette situation apparait également quand Vespasien délivre Joseph d’Arimathie de sa tour. Robert de Boron sert encore du personnage des juifs pour montrer la suprématie de la force de Dieu en laissant Joseph d’Arimathie en vie, et qu’ainsi gloire lui serait rendue.
Li Juif dient que ce sunt
Merveilles s’il ha tant duré,
Qu’il y ha longuement esté,
C’onques n’i bust ne n’i menja
Ne confort nul éu n’i ha (…).
Quant Joseph Vaspasyens vist,
Contre lui se lieve et li dist :
« Vaspasyen, bien viegnes-tu ! »
(…) « Cil Diex benooiz soit
Qui t’a sauvé ici endroit !
Car nus ne puet ce sauvement
Sanz lui feire, n’en dout neent. »
De Dieu le Père, Dieu le Fil,
Dou Saint-Esprist que Diex est-il ; (…)
Tout ainsi le croi et crerei,
N’autrement croire n’ou vourrei. »[110]
Aussi, Joseph d’Arimathie apprend aux juifs que Jésus est bien ressuscité. De son côté, Vespasien continue à disposer des juifs comme il l’entend et continue à décider de leur sort, tel qu’il en est de celui qui lui a montré où se trouvait Joseph d’Arimathie.
« Sachiez qu’il est resuscutez
De mort ò vie, or m’en crez.(…) »
Vaspasyens à un seul mot
Fist des Juis ce que lui plot.
Celui qui avoit enseignié
Lau Joseph avoient mucié,
Fist mestre en mer à grant navie,
Avec lui toute sa lignie ;
En veissiaus les empeint en mer :
Or peurent par l’iaue vaguer.[111]
Par ailleurs, à la demande de Vespasien, Joseph d’Arimathie fait preuve de miséricorde en épargnant ceux qui acceptent de se convertir. L’Empire endosse donc le rôle de l’autorité punitive, tandis que le christianisme fait figure de sauveur.
Li rois à Joseph demanda
Comment ce Juis sauvera.
A ce Joseph ne se tust mie :
« s’il vuelent croire ou Fil Marie,
Qui sires est de charité :
C’est en la sainte Trinité,
Ou Pere, ou Fil, ou Seint-Esprist,
Si con no loi l’enseigne et dist. »[112]
En outre, ceux qui ont refusé d’être sauvé par la foi en Christ ont été réduits à l’esclavage. Ici encore il est mention du chiffre trente, bien qu’on retrouve une logique inversée à celle de Judas. Si Jésus a valu trente deniers qui ont profité à un seul homme, Judas, les juifs sont vendus aux romains païens à un denier pour trente juifs.
Vaspasyens a feit savoir
A ceus de sen païs, pour voir,
Se Juis vuelent acheter,
xxx en donra pour un denier ;
si grant marchié leur en fera,
tant cumme à vendre en y ara[113].
Tenons aussi à remarquer l’insistance avec laquelle Robert de Boron se déploie pour retenir comment le Christ est venu sur terre pour sauver l’humanité. Ce qui permet aux juifs de juger par eux-mêmes, bien qu’il s’agisse désormais d’un moment de choix décisif, puisque leur sort est décidé entre l’esclavage et l’adhésion à la foi en Christ.
Se nul en y ha qui sauver
Se vueille et croire en Jhesu-Christ,
Il les hostera dou despist
Nostre-Seigneur et de tourment,
Ce leur fera-il soulément ;
Et cil à leur amis pallerent,
Qui le greent et octroierent
Qu’il creroie[n]t tout entreseit
Et quanqu’il vouroit seroit feit[114].
Notons bien que l’intervention de Vespasien dans « chasse » aux juifs a servi au christianisme de charger de la tâche difficile qu’est de leur donner la mort. En effet, s’il en est décidé ainsi du sort des juifs c’est bien parce qu’ils ont ôté la vie à Jésus. Le christianisme ne peut se livrer à une telle cause de mort qui lui pèserait sur la crédibilité de principe. Ainsi Robert de Boron a exploité la force politique de Vespasien et de sa détermination à venger la mort de Jésus pour servir de pression aux juifs et leur proposer la foi chrétienne comme option de survie. Ce qui a coûté aux juifs le sacrifice de leur terre pour suivre la volonté de Dieu.
« (…) Se vous me voulez
Croire, pas ci ne demourrez ;
Ainçois leirez vos heritages,
Vos terres et vos hesbergages,
Et en eissil nous en iruns :
Tout ce pour amour Dieu feruns. » (…)
Vaspasyen ainsi veja
La mort Jhesu, qu’il mout ama.
Quant Joseph eut si esploitié,
A Vaspasyen prist congié,
Et d’ileques se departi ;
Ses genz mena aveques li,
En lointeinnes terres alerent
Et là longuement demourerent.[115]
Nous pouvons noter d’une part que l’opposition des juifs à la résurrection de Jésus apparait aussi évident que Robert de Boron utilise comme mobile à la recherche menée par Vespasien la recherche du corps de Jésus ; ce qui ne renvoie à aucune considération de cette ressuscitation. Vespasien étant un fils de peuple païen à qui il a été laissé de connaitre la bonté de Dieu, et de mener une bataille en guise de reconnaissance envers Dieu. D’autre part, Robert de Boron s’inspire du départ de Judée pour marquer un nouveau commencement, pour un nouveau peuple, celui des disciples du Christ, puisque les juifs, ceux qui ont adhéré à y être sauvés, sont désormais unis en Jésus Christ.
Cette adhésion entend également défendre les fondements de la religion chrétienne, et donc son développement, puisque les juifs qui se sont dressés comme ses adversaires sont désormais conquis. Nous pouvons appuyer de cette situation pour en déduire que la religion chrétienne a prospéré de l’emprise des juifs. Ce qui tend à confirmer tout aussi bien que nos précédentes argumentations l’image négative qui a entaché la foi juive, et de ce fait, il en ressort la foi chrétienne légitime et vainqueur.
III. APPROCHE SEMANTIQUE
Si les deux précédentes parties nous ont permis de statuer de ce fait sur les paramètres paradigmatiques et syntagmatiques dont Robert de Boron use pour induire à la légitimation de la religion chrétienne à travers la détérioration de l’image de la religion juive, cette troisième et dernière partie tente de soulever les paramètres sémantiques auxquels l’auteur a recours. Barthes (1964)[116] dans son analyse des signes linguistiques fait référence à Saussure pour en définir les composants que sont les signifiants et les signifiés ; en conséquence, tant pour Saussure, Hjelmslev et Frei, les signifiés faisant partie des signes, la sémantique doit faire partie de la linguistique structurale. De son côté, Todorov (1966)[117] soulève la problématique de classification de la sémantique dans la science ou la linguistique, aussi, il en ressort un rapprochement à la signification.
Si Frege a distingué trois aspects dans la signification d’un mot : « en premier lieu, la référence qui désigne ce que le mot veut dire; ensuite le sens, qui exprime comment ce mot formule sa signification; et enfin l’image associée à ce mot par chaque usager de la langue (Todorov 1966). Todorov (1966) rejoint les constats de Barthes (1964) en retenant que outre les relations entre les symboles et quelque chose qui leur est extérieur (Morris 1938)[118], les relations sémantiques sont, elles aussi, des relations entre symboles notamment entre le défini et les termes de ses définissants (Weinreich 1966)[119]. Ces références théoriques nous servent d’appui quant à l’orientation de notre analyse qui est basée sur le sens. Ainsi, Robert de Boron nous amène à trois phénomènes distincts la question du repentir, la sacralisation du graal et le nouveau peuple.
III. 1. LA QUESTION DU REPENTIR
Cette question est au centre de tout le roman. Elle est à la base de l’opposition entre les Juifs et les Chrétiens, elle est également à la base de l’aspect dramatique et c’est elle qui permet de légitimer la croyance chrétienne : le christianisme est digne de foi car il a conscience des faiblesses des hommes et leur permet de racheter les fautes commises. Il est peu d’hommes qui puissent se vanter de n’avoir commis aucune faute, ainsi la question du repentir, que Robert de Boron a liée à celles du péché et du baptême grâce aux rapports paradigmatiques, est rendue sensible à chaque lecteur.
Tout part du péché originel hérité par la faute d’Adam et Eve, qui sont nos père et mère, alors que Dieu leur a mis au paradis et duquel ils ont été chassés. A son regret, l’œuvre de Dieu se retrouve alors perdue entre les mains de l’enfer, puisque tout homme aussi bon qu’il soit n’a pu échapper à ce destin.
Ainsi fu hons feiz et fourmes
Et en Paradis hostelez, (…)
Et Diex de sa coste fourma
Sa fame, qu’il li ha donnée ;
Adans l’a Evein apelée.
De ces deus suns-nous tout venu.
Meis par ce fumes confundu ;
Car quant li Ennemis ce vist, (…)
A Eve vint, si l’engingna
Par la pomme qu’ele menja.
Par l’enhortement l’Ennemi
S’en fist Adam mengier ausi ; (…)
De Paradis furent chacié,
Car li lius pechié ne consent
N’à nul mal feire ne s’estent ; (…)
Et Deables fu si irez
Que il touz avoir les vouloit,
Pour ce que hons consentu avoit
A acomplir sa volonté (…)[120].
Cependant, la grandeur du Seigneur a permis de sauver l’humanité ; et pour ce faire, il a promis à travers les prophéties l’arrivée du Messie saveur des hommes. Et c’est par la vierge Marie qu’il a voulu faire naitre Jésus, fils de Dieu, pour donner l’exemple à suivre par l’homme, puisqu’en tant que homme le Christ a vécu et guidé ses frères dans la voie de Dieu.
Meis Diex, par sa bonté,
Pour s’uevre qu’avoit feit sauver
(Ainsi le vout-il ordener),
En terre sen fil envoia,
Qui aveques nous conversa.
Nez fu de la virge Marie
Sanz pechié et sanz vilenie,
Sanz semence d’omme engenrez,
Sanz pechié concéuz et nez :
Ce fu cil-méismes Jhesus
Qui o nous conversa ça-jus
Et qui miracles fesoit ;
Touz jours à bien feire entendoit,
Unques n’ouvra mauveissement,
Ainz feisoit bien et sagement (…)[121].
D’une part l’existence des prophéties, et d’autre part, l’attente de celui qui allait sauver l’humanité de l’emprise de l’enfer, renvoient à la reconnaissance de l’homme en tant qu’être pécheur, et plus encore sa volonté d’être sauvé par sa repentance. Ainsi, Jésus est venu sur terre pour rompre le processus qui a mené les hommes depuis Adam et Eve en enfer et leur accorder de ce fait le pardon et la possibilité de se repentir de leur péché par leur foi en Dieu. C’est ce qui a mené le Christ sur la croix. Il faut noter que l’idée, figée, qui se rattache aux juifs est leur refus de croire en l’arrivée du Christ, et qu’ils lui ont donné la mort pour ce qu’il prétendait être le sauveur de l’homme.
Ce fu cil qui par les Juis
Fu en la crouiz penduz et mis
Ou fust de quoi Eve menja
La pomme, et Adans li eida.
Ainsi voust Diex li Fiuz venir
Pour sen pere en terre morir ;
Cil qui de la Virge fu nez,
Par les Juis morz et dampnez,
Ainsi nous voust touz racheter
Pour son sanc des travauz d’Enfer[122].
Par ailleurs, Dieu commandait alors de nouvelles règles à suivre. Aussi la croyance en la Sainte Trinité est la première phase qui mène au pardon. Et c’est à travers ses disciples qu’il a établi les nouveaux commandements.
Diex li Peres, Jhesus li Fiz,
Et méismes Il Saint-Espriz,
Tu doiz croire, n’en doute mie,
Que cil troi funt une partie (…).
Et le commandement croi
De ses deciples et de moi,
A cui Diex le voust enseigner
Pou[r] son non croistre et essaucier[123].
Robert de Boron fait preuve d’insistance au niveau des dialogues du contexte de la repentance et du sauvetage par Dieu. En effet, il est observé des répétitions qui suggèrent le renouvellement de la foi en Christ et en la Sainte Trinité.
« S’il vuelent croire ou Fil Marie,
Qui sires est de charité :
C’est en la sainte Trinité,
Ou Pore, ou Fil, ou Seint-Esprist,
Si con no loi l’enseigne et dist. »[124]
Nous pouvons interpréter cette insistance comme une mise à l’évidence du pouvoir et de la gloire du Seigneur, et par la même occasion Robert de Boron entend rendre compte aux juifs de ces manifestations, et qu’il ne peut y avoir raison de ne pas y adhérer d’autant plus que Dieu est proposé comme recueil des pécheurs et que par la foi en lui, le pardon est accordé à l’homme.
(…) « ce n’est pas à moi,
Meis au Seigneur en cui je croi,
Le fil la seintisme pucele
Marie, qui fu Dieu ancele.
Celui servuns, celui amons
Qui m’a sauvé, celui creons,
Et dès ore meis en avant
Devons tout estre en lui creant. » (…)
Se nul en y ha sauver
Se vueille et croire en Jhesu-Crist,
Il les hostera dou despist
Nostre-Seigneur et de tourment,
Ce leur fera-il soutément (…)[125].
En outre, Robert de Boron nous montre que bien que le pardon soit aussi important et qu’il constitue la clé du futur de l’homme, le repentir doit être sincère et basé sur la foi, aussi bien que le mentir à Dieu est un si grand péché qu’il en vaudrait cher pour le pardonner.
« Ne me feites pas entendant
Mençonge, pour péur de mort :
Vous l’achateriez trop fort.
(…) Fe ten pleisir ;
Nous ne t’oserians mentir. »[126]
D’un autre côté, Robert de Boron ne manque pas de préciser le baptême comme acte de délivrance du péché. Ainsi en se faisant baptisé puisque l’homme croit en Dieu, il reçoit la bénédiction de Dieu qui le marquera parmi les partisans de Dieu.
(…) « si tost cumme istras
De ci et de moi partiras,
Quier les deciples Jhesu-Crist
Qui tiennent ce que il leur dist ;
Car il sevent ce qu’il donna
Et quanque à feire commanda. »[127]
De même que Robert de Boron fait également mention du « Paradis » comme la finalité de la vie sauvée. En effet, tout le long du récit notre auteur rapporte les faits actuels à ceux déjà passés notamment à la création des premiers hommes : Adam et Eve. Tel a été le cas pour l’image de la femme qui devait se renaitre en la vierge Marie, pour l’arbre qui donnait la pomme qui a trahi Eve et Adam et qui représente la croix sur laquelle le Christ est mort, et donc pour le Paradis duquel Eve et Adam furent chassés pour se livrer au triste sort de l’humanité, mais duquel Dieu veut ramener les hommes.
Le raisonnement se rattache au fait que comme le mal finit en enfer, le bien doit se réunir au Paradis. C’est ce principe qui a motivé le sauvetage des hommes. C’est également ce principe qui a donné à la délivrance d’Adam et Eve, ainsi que d’autres « boens genz » de la porte de l’enfer, par Jésus lors de sa décente en enfer à sa mort, tel que nous l’avons précisé dans la partie précédente. Aussi, le contexte du repentir est suggéré par Robert de Boron comme le commencement du parcours des hommes qui les mènera au Paradis où Jésus les attend.
Il est mort et resuscitez,
A son pere s’en est alez,
O soi ha nostre char portée
En Paradis gloirefiée[128].
Il faut noter également que Robert de Boron évoque par la mort une continuation de la vie, soit en enfer où tout être humain fut envoyé avant la délivrance par le Christ, soit au Paradis qui symbolise l’entrée dans la gloire de Dieu.
Quant ces choses ara véues
Et oïes et percéues,
Adonques si trespassera,
En joie sanz faillir venra[129].
Plus précédemment Robert de Boron nous a appris que la purification du péché se faisait en plusieurs étapes. D’abord l’homme est lavé du péché originel par le baptême ; ensuite, la reconnaissance de la faiblesse de l’homme a permis d’accorder à l’Eglise la possibilité de renouveler cette purification par la confession, et donc permettre à l’homme de se racheter de ses péchés. Dans la continuité de son récit Robert de Boron propose la reconstruction de la Cène pour faire reconnaitre à l’homme son péché.
– « Joseph, ce ne feras-tu mie ;
Meis une chose te commant,
Ciert en senefiance grant :
Ten veissel o mon sanc penras ;
En espreuve le meteras
Vers les pecheeurs en apert,
Le veissel tout à descouvert (…).
Et quant tu tout ce feit aras,
Tout ten pueple apeler feras
Et leur di que bien tost verrunt ce de quoi dementé se sunt,
Qui par pechié ha deservi
Pour quoi leur meschéu si (…) »[130]
Ainsi, la table de la Cène accueillait le peuple de Joseph et établit une distinction entre ceux qui ont péché et ne veulent pas participer à la réunion et ceux qui entendent être sauvé. Robert de Boron avance par la suite l’exemple du repentir par le cas de l’un de ceux qui était debout et qui témoigne du regret de ses actes par les pleurs.
Et cil qui la grace sentirent,
Assez errant en oubli mirent
Les autres qui point n’en avoient (…)
« Par amours, or me dites voir,
Povez-vous senti ne savoir
Riens de ce bien que nous sentuns ? »
(…) « Riens n’en avuns. » (…)
« De ce ne doit douter hons nus
Que vous ne soiez entechié
De ce vil dolereus pechié
Dont Joseph enquerre féistes
Et pour quoi la grace perdistes. »
Adonc pour la honte qu’il unt,
De la meison issu s’en sunt.
Un en eut qui mout ploura
Et mout leide chiere feit ha[131].
L’idée que Robert de Boron laisse entendre dans le sens du repentir est que désormais Dieu entend à récupérer les hommes dans son royaume. Ainsi, il leur donne l’occasion de se racheter de ses déviations. Cela étant, elle dépend de la volonté de chacun d’être sauvé. C’est donc à cette condition que la grâce de Dieu profitera à ceux qui l’acceptent. Ce contexte tend à cet effet à creuser la rupture entre le christianisme et le judaïsme, puisque les juifs ne consentant pas à suivre la voie du Seigneur telle qu’elle est conçue par les chrétiens, ne profitent pas de la grâce du Seigneur et vivent dans le péché, à travers l’exemple de ceux qui ont refusé de s’asseoir autour de la table de la Cène.
III. 2. UN NOUVEAU PEUPLE ELU
De la Judée Joseph d’Arimathie a donc amené le peuple pour le conduire à l’accomplissement de la volonté de Dieu. Aussi, la foi chrétienne dans son recueil des âmes perdues s’est vue dotée d’une force politique pour faire valoir auprès des juifs ; elle s’est également ancrée dans le peuple que Joseph emmena avec lui, de manière à laisser partir ceux qui n’ont pas réussi à trouver la grâce du Seigneur au sein de la table de la Cène, reconstituée par Joseph d’Arimathie en l’honneur de Jésus. A partir de ces faits, Joseph d’Arimathie va servir de lien entre la mythologie arthurienne et la mystique chrétienne : la légende du roi pêcheur est née.
Tout part de la préparation de la première réunion de la Cène pour lequel Dieu attribua à Brons la tâche de pécher le poisson qui allait être donné à Joseph d’Arimathie. Il en est ainsi puisque Dieu trouva en lui un homme bon à qui il confiera de plus grande responsabilité, à lui et sa descendance, plus tard.
Bron te serourge apeleras.
Bros tes serourges est biens hon,
De lui ne venra se bien non.
Si le fei en cele iaue aller,
Un poisson querre et peeschier ;
Et le premier que li penra,
Tout droit à toi l’aportera.
Et sez-tu que tu en feras ?
Seur cele table le metras[132].
Il faut noter que Robert de Boron donnera plus tard dans le récit l’explication à ce choix du personnage de Brons pour continuer la garde du Saint-Graal. Ce qui va dessiner le destin que Dieu réserve à Brons, dans sa mission de diffusion de la foi chrétienne.
Nostres-Sires set bien adès
Que Boron mout preudons ha esté,
Et pour ce fu sa volenté
Que il en l’iaue peeschast
Et qu’il le poisson pourchacast
Que vous avez en vo servise.
Diex vieut et einsi le devise
Que il ten veissel avera
Et après toi le gardera[133].
Robert de Boron utilise par la suite le contexte de la table de la Cène pour faire le rapprochement avec le mythe arthurien. Ainsi la table a prédisposé le rôle que tout un chacun apportera à la foi chrétienne, et principalement celui de Brons et de sa lignée.
Ou non de cele table quier
Une autre et fei appareillier,
Et appar[i]llie l’ara (…).
Adonc quant tu seras assis (…)
Bron assié à ta destre mein :
Lors si verras trestout de plein
Que Brons arriere se treira
Tant comme uns hons de lui tenra (…)
Cil lius estre empliz ne pourra
Devant qu’Enygues avera
Un enfant de Bron sen mari,
Que tu et ta suer amez si ;
Et quant li enfès sera nez,
Là sera ses lius assenez[134].
Ainsi, Robert de Boron donne à cet effet aux descendants de Joseph d’Arimathie une telle importance que les fils de sa sœur qui seront ses disciples se conformeront à la volonté du Seigneur.
Brons et sa femme lonc tens furent
Ensemble tout ainsi con durent,
Tant que il eurent douze fiuz
Et biaus et genz et parcréuz (…)
« Il fera tant pour tes neveus,
Tout quanque tu pries et vieus ;
Il vieut qu’il soient atourné
Au service Dieu et mené,
Que il si deciple serunt
Et meistre seu (sic) eus averunt.
Se il veulent femes avoir,
Il les arunt ; (…)
Que il t’ameinnet devant toi
Celui qui femme aveques soi
Ne voura avoir ne tenir.
A toi les feras obéir ; (…)
La vouiz dou Seint-Esprit orras[135].
C’est dans ce contexte que Alain le fils de Brons fut choisi par Dieu pour guider ce nouveau peuple qu’il désigna issu de la descendance de Brons ; aussi bien qu’ils formeront un nouveau peuple que Dieu enverra dans des pays lointains pour prêcher son nom.
« Biaus niés, por voir,
Mout grant joie devez avoir :
Nostres-Sires par son pleisir
Vous ha eslut à lui servir
Et à essaucier sen douz non,
Qu’assez loer ne le peut-on.
Biaus douz niés, cheveteins serez
Et vos freres gouvernez (…). »
« Enseurquetout n’oublie mie,
Quant tu averas tout ce feit,
La garde de ses freres eit
Et de ses sereurs ensement.
Puis s’en ira vers occident
Et plus loiteins lius que pourra ;
Et en touz les lius où venra,
Touz jours essaucera men non
Par trestoute la region ;
Et son pere priera
Qu’il eit sa grace, et il aura. »[136]
C’est dans ce contexte que Robert de Boron établit le lien entre le peuple chrétien, mené par Alain le fils de Brons que Dieu a donc nommé comme leur chef et guide spirituel, et l’Occident qui sera son nouvel pays adoptif.
Li enfant s’en vunt tout ainsi,
De leur pere sunt departi,
Et mout boenne volenté unt
Qu’il Alein leur frere crerunt.
En estranges terres ala,
Avec lui ses freres mena ;
En touz les lius où il venoit,
Hommes et femmes qu’il trouvoit
La mort anunçoit Jhesu-Crist
Ainsi cum Joseph li aprist,
Le non Jhesu-Crist preeschoit,
Entre touz mout grant grâce avoit[137].
De même que Brons deviendra le nouveau gardien du Saint-Graal avant de le transmettre au fils d’Alain. Ce qui lui a valu le nom de « roi pêcheur » à l’image du seul poisson qu’il pêcha pour la Cène.
Quant ce averas feit bien et bel,
Commanderas-li le veissel,
Qu’il le gart dès or en avant ;
N’i mespreigne ne tant ne quant :
Toute la mesproison seroit
Seur lui, et chier le comparroit.
Et cil qui nummer le vourrunt,
Par son droit non l’apelerunt
Adès le riche Pescheeur.
A touz jours croistera s’onneur,
Pour le poisson qu’il peescha
Quant cele grace commença[138].
Robert de Boron marque par le départ du « roi pêcheur » la promesse d’une part d’un nouveau pays pour le nouveau peuple que lui avec ses fils allaient fonder, et d’autre part, de la joie éternelle, pour ce que Joseph et les siens auront accompli pour Dieu et selon la volonté de Dieu.
Quant le veissel à Bron donras
Et grace et tout li bailleras
Et tu en seras desseisiz (…)
Quant ce aras feit, il se mouvra,
Par terre et par mer s’en ira (…)
Et tu, quant tout ce feit aras,
Dou siecle te departiras,
Si venras en parfeite joie,
Ki as boens est et si est moie :
Ce est en pardurable vie.
Tu et ti oir et ta lignie,
Tout ce qqu’est né et qui neistra
De ta sereur, sauf estera (…)[139].
On peut également retrouver dans le récit de Robert de Boron qu’à chaque pays est rattachée une histoire, un nom et un peuple. Ainsi donc, la Judée renferme l’histoire du Christ, duquel les juifs convertis son partis se fiant à la sagesse de Joseph d’Arimathie. De même que Joseph a guidé son peuple dans le désert où il s’est installé et accomplir la voloté de Dieu. Comme il est également le cas où Brons est parti vers la Grande Bretagne avec ses fils pour continuer et sa lignée et recueillir de nouveau chrétiens. Tout cela s’est alors fait pour prêcher le nom et la gloire du Seigneur.
Par ailleurs, l’acte de recueil du sang du Christ dans le Graal a été aussi déterminant qu’au Graal a été rattaché le parcours des nouveaux peuples, d’autant plus qu’il sert désormais de représentation du Christ et de manifestation de la volonté du Seigneur. Ainsi, le Graal a été donné à Joseph le jour où le Christ lui est apparu après sa résurrection pour symboliser son autorité auprès du peuple qu’il va mener plus tard hors de la Judée ; de même pour Brons, quand il est parti pour la Grande Bretagne avec ses fils et où il est sensé le transmettre au fils de son fils Alain.
III. 3. LA SACRALISATION DU GRAAL
C’est par la sacralisation du Graal que Robert de Boron effectue la relation entre la religion chrétienne et la légende arthurienne. Il donne ainsi une légitimité littéraire à l’identité chrétienne. Cette légitimité littéraire est d’autant plus importante qu’elle s’inscrit dans une légende chère à l’aristocratie en place. En christianisant la littérature chevaleresque à laquelle elle s’identifie, Robert de Boron contribue à donner à cette aristocratie un rôle à jouer dans la religion chrétienne : la chevalerie terrestre est alors redoublée par la chevalerie célestielle.
L’importance donnée au Graal s’est formée petit à petit dans le cours de l’histoire. D’abord, à l’arrestation de Jésus où un juif a pris le calice et l’a donné à Pilate, laisse déjà penser à l’importance de cette « veissel » avec laquelle Jésus s’est servi pour la Cène.
Li Juis le veissel tenoit
Qu’en l’ostel Simon pris avoit,
Vint à Pilate et li donna ;
Et Pilates en sauf mis l’a,
Dusqu’à tant que conté li fu
Qu’il avoient deffeit Jhesu[140].
Ensuite, il vient à Joseph d’Arimathie l’idée de recueillir le sang du Christ dans le calice. Ce qui renvoie à concevoir la matière précieuse que représente Jésus même et son sang. Par ailleurs, pour renforcer cette impression d’importance, Robert de Boron renvoie à l’image de la pierre qui s’est fondue quand le sang de Jésus y était tombé.
Endrementier qu’il le lavoit,
Vist le cler sanc qui decouroit
De ses plaies, qui li seinnoient
Pour ce que lavées estoient :
De la pierre adonc li membra
Qui fendi quant li sans raia
De sen costé, où fu feruz[141].
De même que Jésus lui même est venu offrir à Joseph d’Arimathie la garde du Graal lorsqu’il a ressuscité afin de lui témoigner son amour et d’honnorer ce lien qui les rapproche. Cet acte de transmission en lui-même reflète l’importance que peut représenter le Graal, ou du moins, s’il ne l’était pas assez, il l’est devenu au moment même où Jésus décide d’en retenir un aspect à la fois symbolique et divin. Tout comme l’idée que peut renfermer le concept de « garde », qui rappelle, à un contexte précieux.
« Sire Diex, sui-je donques teus
Que le veissel si precieus
puis ne ne doie garder
Où fis votre sanc couler ? »
(…) « Tu le me garderas
Et cius cui le comanderas.
Joseph, bien ce saras garder,
Que tu ne le doiz commander
Qu’à trois persones qui l’arunt. »[142]
Cette citation annonce déjà la transmission du Graal prévue par Jésus.Plus tard dans le récit, Dieu fera savoir à Joseph que la logique de transmission du Graal se construit selon la Sainte Trinité. En ce sens « que ces trois personnes sunt une et personne entiere est chacune »[143] et qui est représentée par Joseph d’Arimathie, le premier gardien du Graal, ensuite Brons qui lui succède et qui le transmettra au fils de son fils Alain.
Et quant cil fiuz sera venuz,
Li veissiaus li sera renduz
Et grâce, et se li diras
De par moi commanderas
Que il celui le recommant
Qu’il le gart dès or en avant
Lors sera la senefiance
Accomplie et la demoustrance
De la benoite Trinité,
Qu’avons en trois parz devisé[144].
En outre, Robert de Boron ne manque pas de rappeler l’objet de la transmission du Graal qui est en fait le témoin de l’amour que Jésus et Joseph d’Arimathie éprouvent l’un pour l’autre, et de la reconnaissance de Jésus pour la cérémonie d’inhumation de son corps.
Apren-li comment meintenir
Se devra et contenir,
Et l’amour que tu has à moi
Et qu’ei adès éue à toi (…)[145].
Par ailleurs, c’est en étant le témoin de la transmission du Graal à Brons que Pierre a pu partir pour temoigner de la grâce portée par le Graal et de la manifestation de la volonté du Seigneur.
Quant le veissel à Bron donras
Et grace et tout li bailleras
Et tu en seras desseisiz,
Ces feiz mout bien touz acompliz,
Adonques s’en ira Petrus,
Je ne vueil qu’il y demeurt plus ;
Car variement dire pourra
Que il seisi véu aura
Hebron, le riche Pescheeur,
Et dou veissel et de l’onneur :
Pour ce Petrus fu demourez
Dusqu’au mein, puis s’en est alez[146].
Une autre manifestation de cet amour est l’organisation de la table de la Cène où le Graal sera l’objet central de la table. Ainsi chaque élément qui est présenté est doté d’une signification qui rappelle au monde l’acte de Joseph. Le christ l’a enseigné à Joseph comme il le lui a recommandé à la première Cène que Joseph organisait avec son peuple.
Ce que tu de la crouiz m’ostas
Et ou sepulchre me couchas,
C’est l’auteus seur quoi me metrunt
Cil qui me sacrefierunt.
Li dras où fui envelopez,
Sera corporaus apelez.
Cist veissiaus où men sans méis,
Quant de men cors le requeillis,
Calices qpelez serra.
La platine ki sus girra
Iert la pierre senefiée
Qui fu deseur moi seelée,
Quant ou sepuchre méus mis.
Ice doiz-tu savoir touz dis,
Ces choses sunt senefiance
Qu’en fera de toi remembrance[147].
C’est en accomplissant les actes de la Cène que le Graal acquiert toute son importance. Il sert de moyen de communication entre Dieu et son possesseur. Et Robert de Boron veille à chaque occasion de le préciser ; pour chaque décision que Joseph d’Arimathie aurait à prendre, notre auteur ne manque de maentionner que Joseph vient à recueillir devant le Graal.
– On peut observer le recueil de Joseph auprès du Graal pour résoudre le problème de la famine qui a atteint son peuple par le péché de quelques uns d’entre eux.
Joseph à veissel s’en va
Et tout plourant s’agenouilla (…)
Et là, sire, me commandastes,
Quant vous ce veissel m’aportastes
Toutes les foiz que je vourroie
Secrez de vous, que je venroie
Devant ce veissel precieus
Où est vostres sans glorieus.
Aisni vous pri-je et requier
Que vous me vouilliez co[n]seillier (…)[148]
– Ce qui par honte, a fait partir ces « fausses genz » puisque le calice a permis de les reconnaitre, et que le fait qu’ils n’ont pu y trouver la grâce du Seigneur les a condamnés à l’exil.
(…) « Nous nous en iruns
Comme chetif et vous leiruns (…) ;
Qu’à la grace sunt demouré
De Dieu no pere Jhesu-Crist
Et ensemble dou Saint-Esprist,
Tout confermé en la cerance
Joseph et en sa pourveance. »[149]
– Robert de Bort le cite également au moment où Joseph est allé demandé conseil à Dieu pour ce qu’il en est de la sincérité de Moyse.
« Quant vous ce veissel me rendistes,
Qu’adès quant je vous requerroie,
Quant de riens encombrez seroie,
Sans targier venriez à moi ;
Si voirement com en vous croi,
Moustrez-moi que est devenuz
Moyses ne s’il est perduz,
Que le sache certeinnement
Et dire le puisse à ma gent,
Que tu par ta grant courtoisie
M’as ci donné en compeignie. »[150]
– Encore une fois, Robert de Boron a permis de voir comment le Graal a préservé le peuple de Joseph contre l’imposture de certains qui veulent tenter de défier leur foi et de les tromper.
« Quant si compeignun s’en alerent
Et ci avec vous le leissierent,
Ce que il touz seus demoura
Qu’o les autres ne s’en ala,
Ce fist-il pour toi engignier ;
Or en ha reçut sen louier.
Ne pouvoit croire ne savoir
Que tes genz péussent avoir,
Ki aveques toi demouroient,
Si grant grace comme il avoient ;
Et sanz doute ne remest mie,
Fors pour honnir ta compeignie.
Saches de voir qu’il est funduz
Dusqu’en abysme et est perduz (…) »[151]
– Et par le Graal, aussi, Joseph d’Arimathie et son peuple ont été témoins de la grâce du Seigneur comme sa punition envers ceux qui ont osé défier sa notoriété.
Et Joseph ne le coile mie
A Bron ne à sa compeignie,
Ainz leur ha apertement dist
Quanqu’il oï de Jhesu-Crist,
Et la chose comment ele est
Et qu’il ha feit de Moysest. (…)
« Granz est de Dieu la poesté.
Fous est qui pourchace folie
Pour ceste dolereuse vie. »[152]
– C’est également par le graal que Joseph a su comment ses neveux allaient devenir de nouveaux disciples et fonder un nouveau peuple, en s’en allant dans un pays lointain et répendre la grâce du Seigneur.
Lors ont tout leissié ester
Dusqu’à un jour qu’alez ourer
Fu Joseph devant sen veissel ;
Si li souvint et l’en fu bel
De ce que Brons li eut prié,
Si prist à plourer de pitié,
Et prie Dieu mout tenrement (…)[153].
– Pareillement quand Joseph su de la volonté d’Alain de se consacrer à Dieu.
Joseph à sen veissel ala,
Mout devotement Dieu pria
Demoustrast li de son neveu
Comment il li feroit son preu[154].
Il faut noter que Robert de Boron se garde bien de donner au Graal une culte de l’hérisie. En effet, d’une manière ou d’une autre, il est bien question d’obéissance envers le Seigneur à travers le Graal. Mais notre auteur use avec perspicacité des secrets autour du Graal pour lui donner toute sa légitimiter et donc avec lui celle de la foi chrétienne. En ce sens, il ne se réfère pas directement à l’objet qu’est le calice mais en sa représentation. C’est dans ce contexte que le peuple de Joseph a trouvé la grâce du Seigneur en se réunissant à table.
« Que vous semble de cele grace ?
Que sentez-vous qu’ele vous face ?
Et qui vous ha ce don donné,
Ne qui vous ha en ce enfourmé ? »
(…) « Cuers ne pourroit,
A pourpenser ne soufiroit
Le grant joie en quoi nous suns,
Qu’il nous y couvient demourer
Dusqu’au matin et sejourner.
Don puet si grant grâce venir,
Ki ainsi feit tout raemplir
Le cuer de l’omme et de la femme
Et de bien refeit toute l’âme ? » (…)
« Ce vient dou benooit Jhesu,
Qui Joseph sauva en prison,
Où il estoit mis sanz reison. »[155]
Robert de Boron souligne dans le récit l’importance de la foi pour bénéficier de la maifestation du pouvoir du Graal, ainsi notre auteur tend à remarquer qu’aussi bien Joseph que son peuple ne peuvent jouir de la grâce du Seigneur que par leur foi en lui, et le Graal jouerait le rôle d’une représentation du Seigneur.
– d’abord, quand Jésus à confié à Joseph d’Arimathie le calice :
Ou non dou Pere le penrunt
Et dou Fil et dou Saint-Esprit,
Et se doivent croire trestuit
Que ces trois persones sunt une
Et persone entiere est chacune[156].
– ensuite, quand Dieu recommandait à Joseph d’Arimathie la transmission du Graal :
Nostres-Sires set bien adès
Que Brons mout preudons ha esté (…)
Diex vieut et einsi le devise
Que il ten veissel avera
Et après toi le gardera. (…)
En me creance le metras
Et très bien li enseigneras[157].
– de même, quand Dieu donnait conseil à Joseph pour la destinée de son neveu Alain qui veut se recueillir en Dieu.
Quant tout ce moustré li aras,
Men veissel li aporteras,
Et ce qui est dedenz li di :
C’est dou sanc qui de moi issi.
S’il le croit ainsi vraiment,
De foi aura confermement[158].
– autant que Dieu prévoit également la transmission du Graal par Brons au fils d’Alain :
Là où il voura demourez,
Il atendra le fil sen fil
Séurement et sanz peril ;
Et quant cil fiuz sera venuz,
Li veissiaus li sera renduz
Et la grâce, et se diras
De par moi et commanderas
Que il celui le recommant
Qu’il le gart dès or en avant[159].
C’est également à partir de la Cène reproduite par Joseph d’Arimathie que l’on donna au calice le nom du Graal. Ainsi Robert de Boron honnore son objectif de sacralisation du Graal pour établir le passage entre la vision chrétienne et la mythologie arthurienne.
(…) « N’ou quier celer,
Qui à droit le vourra nummer,
Par droit Graal l’apelera ;
Car nous le Graal ne verra,
Ce croi-je, qu’il ne li agrée :
A touz ceus pleist de la contrée,
A touz agrée et abelist (…) »
Et, pour ce que la chose est voire,
L’apelon dou Graal l’Estoire,
Et le non dou Graal ara
Dès puis le tens de là en çà[160].
En outre, le côté mythique du Graal est renforcé par les secrets qu’il contient, notammant les paroles secrètes que Dieu communiquait à Joseph à sa transmission, et dont seul son possesseur aurait le droit de savoir. Ce qui fait qu’après Joseph Brons et le fils d’Alain seraient les seuls à les connaitre.
Di-li comment Diex à toi vint
En la chartre et ton veissel tint
Et en tes meins le te bailla ;
Les seintes paroles dist t’a,
Ki sunt douces et precieuses
Et gracieuses et piteuses,
Ki sunt proprement apelées
Secrez dou Graal et nummées[161].
Ainsi, Robert de Boron nous a montré comment le chistianisme a gagné sa notorité au moyen du Graal. Ce qui se confirme tout le long du récit, aussi bien comment Robert de Boron use du Graal pour contenir cette foi chrétienne, que le Graal se présente comme représentation incontestable de la mort du Christ, et donc de son acte de délivrance pour sauver l’humanité et l’œuvre de son père Dieu, que la foi chrétienne soit construite à travers la notoriété du Graal. En effet, le Graal s’est constitué comme guide spirituel qui s’est mis comme intermédiaire entre les chrétiens et Dieu, pour asseoir sa volonté et dessiner la destinée de la foi chrétienne.
CONCLUSION
D’une manière générale, le Roman de l’Estoire dou Graal de Robert de Boron n’est entre autre qu’une de ces œuvres tentent de faire connaitre au monde le sort du Juif. Aussi que notre auteur porte indirectement une image négative de la religion juive, il n’accomplit en réalité qu’un simple rituel qui le lit aux autres auteurs des contes du Graal. En effet, l’histoire a retenu que même à travers le temps, le juif ne puit se libérer de cette malédiction qui lui encourt parce qu’il s’est permis de donner la mort au Christ, un homme bon et innocent. C’est dans cette même optique des choses que Cani (2002) associe au juif une « figure de l’exclu, de l’inassimilable, il est la pierre rejetée par tous les bâtisseurs de systèmes ; aucun, surtout pas l’Église établie, n’a su en faire la principale de l’angle », à son constat de l’évolution de l’identité juive.
Robert de Boron rejoint assez volontairement cette impression commune du juif. Ainsi nous avons vu qu’en déployant des procédés linguistiques, l’auteur tend à exclure au fur et à mesure le personnage juif de cet ensemble chrétien qu’il tente de former avec le lecteur même. Tandis que Hucker (1875) nous renseigne sur « la naïveté et le choix des expressions » utilisés par Robert de Boron, rien de plus étonnant encore que sa motivativation d’homme de guerre à écrire une œuvre pieuse. Mais plus encore, Robert de Boron a donné par son Roman de l’Estoire dou Graal une identité littéraire à la religion chrétienne, suivant la représentation du Graal et sa transmission de génération en génération. Et par la même occasion, notre auteur se conforme à cette procédure d’exclusion du juif.
Toutefois, nous ne sommes pas sans savoir que quoi qu’il advienne de l’image du juif, il constitue une pièce maitresse de la chaine de la légitimation du graal et de la religion chrétienne. De la même manière que le personnage du juif a condamné le Christ à la mort, il a accompli ainsi l’acte qui a permis au chrétien d’être sauvé et de pouvoir rejoindre, à la fin des temps, le royaume de Dieu. De même que le Saint-Graal n’aurait pu exister sans la participation des juifs. La question qui se pose est alors de savoir pourquoi avoir puni le juif pour un acte qui voit toute sa légitimité dans le fondement de la religion chrétienne même, puisque la mort de Jésus constitue la phase qui mène à sa notoriété ? Quoique cette question peut trouver éalement réponse dans le respect même des lois de Moïse qui condamnent le meurtre. Et dans ce cas, pourquoi Dieu a-t-il décidé de choisir de punir les juifs ?
Par ailleurs, cette condamnation du juif s’est également concrétisé de façon à exclure le judaïsme de son origine même. Robert de Boron, sans pour autant faire des rappels des règles anciennes propose le christianisme comme une continuation du mosaïsme et considère le judaïsme comme un passage temporaire, puisque le long du récit il avance des réformes et de nouvelles règles qui s’inspire de la vie du Christ et de la représentation du Graal, et parce que le sort du juif a été réduit à la conversion ou à l’esclavage, dans quel cas, la religion juive aurait seulement existé par identification au pays. Ainsi nous pouvons établir que Robert de Boron s’est bien maintenu à son objectif de légitimer la religion chrétienne qui indirectement a reduit la religion juive à l’oubli, d’autant plus qu’il parle que de la conquête de nouvelles terres par le christianisme.
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[1] Walter P., 1998, Naissances de la littérature française, PUM, p. 119-126.
[2] De Boron R, 1841, Roman de l’Estoire dou Graal, F. Michel ed., p. i-xviij.
[3] Becker C., 2000, Le Roman, Bréal, p. 11-28.
[4] Hucher E., 1875, Le Saaint-Graal ou Joseph d’Arimathie, première branche des Romans de la Table ronde, Monoyer, Paris, p. 1.
[5] Frappier J., 1954, Le Graal et la chevalerie, Romania, t. 75, p. 165-210.
[6] Frappier J., 1977, Autour du Graal, Literary Criticism, Droz, Genève, p. 101-114.
[7] Ollier M. L., 1975, Le roman courtois : manifestation du dire créateur, dans Lecture sociocritique du texte romanesque, Toronto, p. 175-187.
[8] Ollier M. L., 1984, Utopie et roman arthurien, Cahiers de civilisation médiévale, 27e année, n°107, p. 223-232.
[9] Zink M., 1981, Une mutation de la conscience littéraire: le langage romanesque à travers des exemples français du XIIe s., Cahiers de civilisation médiévale, XXIV, p. 3-27.
[10] Cani I., 2002, Pas de Graal pour le Juif Errant, Revue de l’histoire des religions, tome 219 n°1, p. 89-110.
[11] De Saussure F., 1915, Cours de linguistique générale, publié par C. Bally et A. Séchehaye, Paris, Payot, p. 171.
[12] Jakobson R., 1963, Essais de linguistique générale, trad, franc, de N. Ruwet, Paris, Éditions de Minuit, p.13-67, 209-248.
[13] Noizet G., Pichevin C., 1966, Organisation paradigmatique et organisation syntagmatique du discours : une approche comparative, L’année psychologique, vol. 66, n°1, p. 91-110.
[14] Klinkenberg J. M., 1996, Précis de sémiotique générale, Paris, Seuil, p. 53.
[15] Arcand R., Bourbeau N., 1995, La communication efficace. De l’intention aux moyens d’expression, Anjou, Quebec, CEC, p. 28.
[16] De Boron R., 1999, Le Roman de l’estoire dou Graal, éd. Honoré Champion, coll. « Classique français du Moyen-âge », V. 11-30.
[17] Sachot M., 1998, L’invention du Christ: Genèse d’une religion, Odile Jacob, p. 7-21.
[18] De Boron R., 1999, Le Roman de l’estoire dou Graal, éd. Honoré Champion, coll. « Classique français du Moyen-âge », V.1-2.
[19] Ibid, V. 12-18.
[20] De Boron R., 1999, Le Roman de l’estoire dou Graal, éd. Honoré Champion, coll. « Classique français du Moyen-âge », V. 2-18.
[21] De Boron R., 1999, Le Roman de l’estoire dou Graal, éd. Honoré Champion, coll. « Classique français du Moyen-âge », V. 19-26.
[22] Ibid, V.27-30.
[23] Lallot J., 1985, La description des temps du verbes chez trois grammairiens grecs (Apollonius, Stephanos, Planude), Histoire Epistémologie Langage VII-1, p.47-81.
[24] Benveniste E., 1966,Les relations de temps dans le verbe français, Problèmes de linguistique générale, p. 237-250.
[25] Nicolas M., 1867, Les doctrines religieuses des juifs pendant les deux siècles antérieurs à l’ère chrétienne, Michel Lévy, p. 1-398.
[26] De Boron R., 1999, Le Roman de l’estoire dou Graal, éd. Honoré Champion, coll. « Classique français du Moyen-âge », V.25-26.
[27] De Boron R., 1999, Le Roman de l’estoire dou Graal, éd. Honoré Champion, coll. « Classique français du Moyen-âge », V.97-108.
[28] Ibid, V. 81-88.
[29] De Boron R., 1999, Le Roman de l’estoire dou Graal, éd. Honoré Champion, coll. « Classique français du Moyen-âge », V. 109-140.
[30] Ibid, V. 30-31.
[31] Ibid, V. 97-99.
[32] Ibid, V. 141-144.
[33] Ibid, V. 1-2.
[34] De Boron R., 1999, Le Roman de l’estoire dou Graal, éd. Honoré Champion, coll. « Classique français du Moyen-âge », V. 153-164.
[35] De Boron R., 1999, Le Roman de l’estoire dou Graal, éd. Honoré Champion, coll. « Classique français du Moyen-âge », V. 165-174.
[36] Ibid, V. 152-173.
[37] De Boron R., 1999, Le Roman de l’estoire dou Graal, éd. Honoré Champion, coll. « Classique français du Moyen-âge », V. 135-139.
[38] Ibid, V. 159-162.
[39] Ibid, V. 175-183.
[40] De Boron R., 1999, Le Roman de l’estoire dou Graal, éd. Honoré Champion, coll. « Classique français du Moyen-âge », V. 184-192.
[41] Ibid, V. 121-122.
[42] Ibid, V. 171-172.
[43] Ibid, V. 165-166.
[44] Ibid, V. 173-174.
[45] De Boron R., 1999, Le Roman de l’estoire dou Graal, éd. Honoré Champion, coll. « Classique français du Moyen-âge », V. 29-32.
[46] Ibid, V. 35-44.
[47] Ibid, V. 61-72.
[48] De Boron R., 1999, Le Roman de l’estoire dou Graal, éd. Honoré Champion, coll. « Classique français du Moyen-âge », V. 2441-2453.
[49] De Boron R., 1999, Le Roman de l’estoire dou Graal, éd. Honoré Champion, coll. « Classique français du Moyen-âge », V. 2089-2133.
[50] Ibid, V. 89-96.
[51] De Boron R., 1999, Le Roman de l’estoire dou Graal, éd. Honoré Champion, coll. « Classique français du Moyen-âge », V. 204-206.
[52] Ibid, V. 207-208.
[53] Ibid, V. 209-211.
[54] De Boron R., 1999, Le Roman de l’estoire dou Graal, éd. Honoré Champion, coll. « Classique français du Moyen-âge », V. 212-215.
[55] Ibid, V. 217-228.
[56] Ibid, V. 287-292.
[57] Ibid, V. 261-330.
[58] De Boron R., 1999, Le Roman de l’estoire dou Graal, éd. Honoré Champion, coll. « Classique français du Moyen-âge », V. 317-326.
[59] De Boron R., 1999, Le Roman de l’estoire dou Graal, éd. Honoré Champion, coll. « Classique français du Moyen-âge », V. 2687-2814.
[60] Ibid, V. 193-208.
[61] De Boron R., 1999, Le Roman de l’estoire dou Graal, éd. Honoré Champion, coll. « Classique français du Moyen-âge », V. 199-200.
[62] Ibid, V. 217-220.
[63] De Boron R., 1999, Le Roman de l’estoire dou Graal, éd. Honoré Champion, coll. « Classique français du Moyen-âge », 439-470.
[64] Ibid, V. 201-217.
[65] Ibid, V. 547-551.
[66] De Boron R., 1999, Le Roman de l’estoire dou Graal, éd. Honoré Champion, coll. « Classique français du Moyen-âge », V. 833-842.
[67] Ibid, V. 843-850.
[68] Ibid, V. 482-588.
[69] De Boron R., 1999, Le Roman de l’estoire dou Graal, éd. Honoré Champion, coll. « Classique français du Moyen-âge », V. 929-962.
[70] De Boron R., 1999, Le Roman de l’estoire dou Graal, éd. Honoré Champion, coll. « Classique français du Moyen-âge », V. 914-928.
[71] Ibid, V. 1022-1062.
[72] De Boron R., 1999, Le Roman de l’estoire dou Graal, éd. Honoré Champion, coll. « Classique français du Moyen-âge », V. 2391-2412.
[73] Ibid, V. 2431-2554.
[74] Kennedy E., 1998, Pourquoi Moÿse ?, Cahiers de recherches médiévales, n°5 , 33-42.
[75] De Boron R., 1999, Le Roman de l’estoire dou Graal, éd. Honoré Champion, coll. « Classique français du Moyen-âge », V. 2361-2842.
[76] Nicolas A., 1857, La Vierge Marie et le plan divin: La Vierge Marie d’après l’évangile, Vaton, p. 54-74.
[77] De Boron R., 1999, Le Roman de l’estoire dou Graal, éd. Honoré Champion, coll. « Classique français du Moyen-âge », V. 43-53.
[78] De Boron R., 1999, Le Roman de l’estoire dou Graal, éd. Honoré Champion, coll. « Classique français du Moyen-âge », V. 6-12.
[79] Ibid, V. 31-99.
[80] Ibdi, V. 101-108.
[81] De Boron R., 1999, Le Roman de l’estoire dou Graal, éd. Honoré Champion, coll. « Classique français du Moyen-âge », V. 745-768.
[82] De Boron R., 1999, Le Roman de l’estoire dou Graal, éd. Honoré Champion, coll. « Classique français du Moyen-âge », V. 439-472.
[83] Ibid, V. 473-477.
[84] Ibid, V. 479-504.
[85] De Boron R., 1999, Le Roman de l’estoire dou Graal, éd. Honoré Champion, coll. « Classique français du Moyen-âge », V. 549-580.
[86] Ibid, V. 593-602.
[87] De Boron R., 1999, Le Roman de l’estoire dou Graal, éd. Honoré Champion, coll. « Classique français du Moyen-âge », V. 769-778.
[88] Abécassis A. ((Maguerat D.), 2004, , Mourir… et après?: Questions de vie, Labor et Fides, p. 53-63.
[89] De Boron R., 1999, Le Roman de l’estoire dou Graal, éd. Honoré Champion, coll. « Classique français du Moyen-âge », V. 603-706.
[90] Ibid, V. 851-880.
[91] De Boron R., 1999, Le Roman de l’estoire dou Graal, éd. Honoré Champion, coll. « Classique français du Moyen-âge », V. 899-916.
[92] Ibid, V. 961-974.
[93] De Boron R., 1999, Le Roman de l’estoire dou Graal, éd. Honoré Champion, coll. « Classique français du Moyen-âge », V. 1003-1163.
[94] Ibid, V. 1170-1230.
[95] Cohen J., 1864, Les déicides. Examen de la vie de Jésus et des développements de l’église chrétienne dans leurs rapports avec le judaïsme, Michel Lévy frères, libraires éditeurs, p. 139-334.
[96] De Boron R., 1999, Le Roman de l’estoire dou Graal, éd. Honoré Champion, coll. « Classique français du Moyen-âge », V. 1430-1476.
[97] De Boron R., 1999, Le Roman de l’estoire dou Graal, éd. Honoré Champion, coll. « Classique français du Moyen-âge », V. 1641-1684.
[98] Ibid, V. 1733-1742.
[99] Ibid, V. 2000-2012.
[100] De Boron R., 1999, Le Roman de l’estoire dou Graal, éd. Honoré Champion, coll. « Classique français du Moyen-âge », V. 1749-1767.
[101] Ibid, V. 1768-1778.
[102] De Boron R., 1999, Le Roman de l’estoire dou Graal, éd. Honoré Champion, coll. « Classique français du Moyen-âge », V. 1789-1796.
[103] Ibid, V. 1835-1870.
[104] De Boron R., 1999, Le Roman de l’estoire dou Graal, éd. Honoré Champion, coll. « Classique français du Moyen-âge », V. 1871-1890.
[105] Ibid, V. 1891-1899.
[106] De Boron R., 1999, Le Roman de l’estoire dou Graal, éd. Honoré Champion, coll. « Classique français du Moyen-âge », V. 1900-1910.
[107] Ibid, V. 1911-1920.
[108] De Boron R., 1999, Le Roman de l’estoire dou Graal, éd. Honoré Champion, coll. « Classique français du Moyen-âge », V. 1927-1936.
[109] Ibid, V. 1958-1982.
[110] De Boron R., 1999, Le Roman de l’estoire dou Graal, éd. Honoré Champion, coll. « Classique français du Moyen-âge », V. 2016-2224.
[111] Ibid, V. 2277-2292.
[112] De Boron R., 1999, Le Roman de l’estoire dou Graal, éd. Honoré Champion, coll. « Classique français du Moyen-âge », V. 2293-2300.
[113] Ibid, V. 2301-2306.
[114] Ibid, 2330-2338.
[115] De Boron R., 1999, Le Roman de l’estoire dou Graal, éd. Honoré Champion, coll. « Classique français du Moyen-âge », V. 2345-2364.
[116] Barthes R., 1964, Éléments de sémiologie, Communications, n°4, p. 91-135.
[117] Todorov T., 1966, Recherches sémantiques, Langages, 1er année, n°1, p. 5-43.
[118] Morris C. W., 1938, Foundations of a theory of signs, University of Chicago Press.
[119] Weinreich U., 1966, Explorations in Semantic Theory, Current Trends in Linguistics, Vol. 3, Theoritical Foundations, Thomas Sebeok, 395-477.
[120] De Boron R., 1999, Le Roman de l’estoire dou Graal, éd. Honoré Champion, coll. « Classique français du Moyen-âge », V. 2151-2179.
[121] Ibid, V. 2180-2194.
[122] De Boron R., 1999, Le Roman de l’estoire dou Graal, éd. Honoré Champion, coll. « Classique français du Moyen-âge », V. 2195-2204.
[123] Ibid, V. 2205-2216.
[124] De Boron R., 1999, Le Roman de l’estoire dou Graal, éd. Honoré Champion, coll. « Classique français du Moyen-âge », V. 2296-2300.
[125] Ibid, V. 2321-2334.
[126] Ibid, V. 2340-2344.
[127] De Boron R., 1999, Le Roman de l’estoire dou Graal, éd. Honoré Champion, coll. « Classique français du Moyen-âge », V. 2225-2230.
[128] Ibid, V. 2231-2234.
[129] Ibid, V. 3137-3140.
[130] De Boron R., 1999, Le Roman de l’estoire dou Graal, éd. Honoré Champion, coll. « Classique français du Moyen-âge », V. 2466-2518.
[131] Ibid, V. 2567-2588.
[132] De Boron R., 1999, Le Roman de l’estoire dou Graal, éd. Honoré Champion, coll. « Classique français du Moyen-âge », V. 2492-2500.
[133] Ibid, V. 3310-3318.
[134] De Boron R., 1999, Le Roman de l’estoire dou Graal, éd. Honoré Champion, coll. « Classique français du Moyen-âge », V. 2491-2536.
[135] Ibid, V. 2843-2910.
[136] De Boron R., 1999, Le Roman de l’estoire dou Graal, éd. Honoré Champion, coll. « Classique français du Moyen-âge », V. 2987-3106.
[137] De Boron R., 1999, Le Roman de l’estoire dou Graal, éd. Honoré Champion, coll. « Classique français du Moyen-âge », V. 3259-3270.
[138] Ibid, V. 3337-3348.
[139] Ibid, V. 3379-3402.
[140] De Boron R., 1999, Le Roman de l’estoire dou Graal, éd. Honoré Champion, coll. « Classique français du Moyen-âge », V. 433-438.
[141] De Boron R., 1999, Le Roman de l’estoire dou Graal, éd. Honoré Champion, coll. « Classique français du Moyen-âge », V. 555-561.
[142] Ibid, V. 865-873.
[143] Ibid, V. 877-878.
[144] Ibid, V. 3365-3374.
[145] De Boron R., 1999, Le Roman de l’estoire dou Graal, éd. Honoré Champion, coll. « Classique français du Moyen-âge », V. 3319-3322.
[146] Ibid, V. 3379-3390.
[147] De Boron R., 1999, Le Roman de l’estoire dou Graal, éd. Honoré Champion, coll. « Classique français du Moyen-âge », V. 901-916.
[148] Ibid, V. 2431-2455.
[149] Ibid, V. 2639-2652.
[150] De Boron R., 1999, Le Roman de l’estoire dou Graal, éd. Honoré Champion, coll. « Classique français du Moyen-âge », V. 2762-2772.
[151] Ibid, V. 2801-2814.
[152] De Boron R., 1999, Le Roman de l’estoire dou Graal, éd. Honoré Champion, coll. « Classique français du Moyen-âge », V. 2833-2842.
[153] Ibid, V. 2873-2879.
[154] Ibid, V. 3001-3004.
[155] De Boron R., 1999, Le Roman de l’estoire dou Graal, éd. Honoré Champion, coll. « Classique français du Moyen-âge », V. 2605-2622.
[156] Ibid, V. 874-878.
[157] Ibid, V. 3310-3328.
[158] De Boron R., 1999, Le Roman de l’estoire dou Graal, éd. Honoré Champion, coll. « Classique français du Moyen-âge », V. 2995-3000.
[159] Ibid, V. 3362-3370.
[160] Ibid, V. 2657-2686.
[161] De Boron R., 1999, Le Roman de l’estoire dou Graal, éd. Honoré Champion, coll. « Classique français du Moyen-âge », V. 3329-3336.
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