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Le visible et l’invisible ou la phénoménologie de l’existentialisme « Merleau-Pontienne »

 

Le visible et l’invisible ou la phénoménologie de l’existentialisme « Merleau-Pontienne »

 

PLAN DE MEMOIRE :

 

Introduction

Chapitre 1- Analyse approfondie des soubassements de la phénoménologie merleau-pontienne

 

  1. Le visible et l’invisible : cristallisation des recherches ontologiques de Merleau-Ponty sur l’Etre et le Monde

  • La phénoménologie de la perception : point de départ de la thèse ontologique de Merleau-Ponty sur les rapports existant entre l’Etre et le Monde
  1. Paradoxes de Merleau-Ponty par rapport au phénomène de la perception 

 

  1. Mise à jour des problèmes des préceptes de la science et de la philosophie réflexive par rapport à la foi perceptive 

 

  • L’horizon externe

 

  • L’horizon interne

 

  1. Critique du cogito tacite 

  • Le visible et l’invisible : avènement Merleau-Pontienne de l’interrogation philosophique

Chapitre 2- Comment doit se faire l’émergence du lien unissant l’être au monde ?

 

2.1- Réponses du savoir objectif selon Merleau-Ponty

 

  1. la physique

 

  1. la psychologie

 

  1. le scientisme

 

2.2- Les problèmes rencontrés par les hypothèses objectivistes

 

  1. interrogation et intuition

 

  1. importance de l’élément culturel

 

2.3- La paradoxale « insaisissabilité » de l’Homme met au jour son existence

 

  1. l’homme en tant que corps

 

  1. le fondement ontologique du visible et de l’invisible

 

  1. la transcendance de l’homme

 

Conclusion

 

Bibliographie

 

INTRODUCTION

Le visible et l’invisible se révèle comme étant une œuvre inachevée de l’auteur Merleau-Ponty ; l’auteur y décortique l’homme dans ses aspects les plus intrinsèques et à la fois les plus extérieurs ;  dans cette œuvre  s’incarne l’ontologie des recherches de Merleau-Ponty, liée à la notion  d’être brut et sauvage, de dimension verticale et horizontale du monde humain tel que nous le connaissons et tel qu’il se cache. Puis, l’auteur y développe également la notion de « chair » qui apparaît  dans le travail de l’auteur au dernier chapitre: il y évoque notamment  « l’expérience de ma chair » comme prototype de l’être. De par l’exigence d’une  interrogation qui se veut introspective, Merleau-Ponty va entrouvrir un chemin, nouer une relation avec l’au-delà, allant même jusqu’à envisager l’homme comme entretenant un lien très étroit avec Dieu, pris au sens large du terme.
Dans le premier ouvrage intitulé « Phénoménologie de la perception », on retrouvait déjà  l’anticipation de la thèse du visible et de l’invisible, à travers des notions telles que l’appartenance au monde, la spatialité mobile, la notion de corps propre…. Cependant, la « Phénoménologie de la perception » reste inachevée et trouve son point d’achèvement dans « le visible et l’invisible ».

Merleau-Ponty part des postulats suivants sur la perception:

  • Celle-ci  implique la foi dans le monde. En effet, percevoir le monde implique d’y croire dans sa globalité, dans sa matérialité et dans sa réalité. 
  • La perception implique de pouvoir accéder au monde tel qu’il se donne et se perçoit. L’homme est ainsi maître de ce qu’il veut voir et de ce qu’il veut percevoir. 
  • La perception enseigne une proximité absolue au monde et une distance irrémédiable. 
  • La perception me fait confronter au mystère d’autrui car la chose perçue par autrui devient double pour celui ou celle qui la voit.

Merleau-Ponty part de ces postulats pour étudier les positions  de la science et de la philosophie réflexive en tant que l’un et l’autre animent le débat sur la perception rationnelle: la science et la philosophie réflexive ont pour ambition de régler le paradoxe de l’attitude naturelle en fondant comme postulat de départ la réalité du visible et de l’invisible de l’homme. Ainsi science et philosophie cherchent à fixer une origine en décomposant la vision. Mais dans cette  décomposition, la vision est altérée sans qu’elle puisse être rétablie car, pour la philosophie réflexive, revenir au sujet qui voit reviendra à rendre compte de la pensée de voir et à abolir la vision. En cherchant par la réflexion un point d’origine, la philosophie réflexive use d’un rapport premier au monde en l’oubliant aussitôt. 

Merleau-Ponty entrevoit la nécessité pour la réflexion d’une autre opération, plus fondamentale, qui tiendrait compte d’elle même: la surréflexion.

Cela amène Merleau-Ponty à revenir sur la « Phénoménologie de la perception » pour critiquer le cogito tacite: il est vain de chercher un cogito tacite du corps derrière les artifices d’un cogito langagier car cette méthode fait oublier que la reconstitution elle même est oeuvre du langage. C’est le philosophe qui est engagé dans l’opération de reconstitution et en tant que tel véhicule des mots chargés d’une signification entrecoupée. son propre mouvement implique l’import d’un sens qui modifie le spectacle: surréflexion, non pas quelque coïncidence avec l’expérience en deçà de l’attitude réflexive mais penser une pensée qui tient compte à la fois qu’il y a quelque chose en deçà de la pensée et que son propre mouvement est mis en jeu dans ce rapport à cet en deçà.

Au final,  Merleau-Ponty fait émerger comme conclusion qu’ «  il faudrait que la pensée entre dans la forêt de références qu’elle fait lever, qu’elle interroge dans un mouvement qui anime et révèle cela en quoi il entre. ».

La problématique d’une étude de l’œuvre de Merleau-Ponty se pose ainsi en ces termes : Comment l’ambiguïté du visible et de l’invisible réussit-elle à matérialiser l’existentialisme de l’Homme selon la phénoménologie de Merleau-Ponty ?

Pour étudier cela, nous nous proposerons dans un premier temps de procéder à une analyse approfondie des soubassements de la phénoménologie merleau-pontienne(chapitre 1), puis nous nous attèlerons à voir comment se fait l’émergence du lien unissant l’être au monde(chapitre 2).

 

Chapitre 1- Analyse approfondie des soubassements de la phénoménologie

Merleau-Pontienne

 

Maurice Merleau-Ponty a mené des études sur le phénomène de la perception. Selon lui, la perception prend une dimension active en tant qu’ouverture primordiale au monde vécu. Contrairement à la conception cartésienne de la pensée, Merleau-Ponty estime que le corps n’est pas qu’un objet potentiel d’étude pour la science. Il souligne qu’il y a une inhérence de la conscience et du corps dont l’analyse de la perception doit tenir compte. Le primat de la perception signifie une supériorité absolue de l’expérience, dans la mesure où la perception revêt une dimension active et constitutive.

 

« Chercher l’essence de la perception, c’est déclarer que la perception est non pas présumée vraie, mais définie pour nous comme accès à la vérité. »

 

La phénoménologie, c’est d’abord la rétractation de la science. En effet, le savant a toujours une conception implicite de la subjectivité ou de l’objectivité qui déforme les données qu’il recueille. La critique est donc tournée contre un système philosophique naïf qui fonde la connaissance sur l’observation et l’expérience, « chosiste », et contre la psychologie qui occulte la subjectivité de ses données et ne saurait être une science. Il faut tourner le dos tant au rationalisme qu’à l’empirisme. 

 

Merleau-Ponty centre sa réflexion sur le rapport qui lie l’homme à la nature. Il s’oppose contre ceux qui expliquent les phénomènes uniquement sur le plan causal (extérieur) et contre ceux qui veulent tout analyser à partir de la pure conscience (intérieur). Il présente une hypothèse intermédiaire, une troisième dimension, l’inter monde dans le rapport qui lie l’homme à la nature. Par ces raisonnements, il démontre que le comportement n’est pas une simple réaction à quelques stimuli mais, avant tout, des significations visées par la conscience. Avant même toute intention de l’âme, les comportements ont un sens en tant qu’ils sont des réponses à la signification vitale de la situation. Le comportement est une forme possédant une structure. La structure est la jonction d’une idée et d’une existence indiscernables, l’arrangement contingent par lequel des matériaux se mettent devant nous à avoir un sens.

 

La conscience percevante n’est pas une conscience pure car, percevoir, c’est percevoir du sens. La conscience n’est pas un réceptacle passif des sensations, la conscience est pleinement engagée dans le processus, elle n’est donc pas impartiale. Le sujet n’est jamais une âme pure, une substance séparée. Toute existence est incarnée. Mais le corps n’est pas une simple substance étendue mais un ensemble de significations vécues. Le corps est animé, l’esprit est incarné, l’esprit et le corps ne se séparent pas. Le corps comme support de la sensorialité est tout entier impliqué, il s’agit d’un lien indissoluble entre la conscience et le corps révélé entre autre par le talent créateur de l’artiste. L’expérience que le corps emmagasine par le truchement des sens, provoque une indépassable ambiguïté qui le contraint à ne jamais pouvoir être ni une pure chose, ni une pure conscience. Par ce point de vue, Merleau-Ponty fait du corps un ensemble de manifestations vécues au détriment d’un ensemble matériel. Il fait naître la notion de  » schéma corporel  » comme représentation de la réalité vécue. C’est ce schéma corporel qui le renseigne sur tous les aspects de son corps.

Entre la conscience et les choses existe un inter-monde c’est à dire le monde culturel des institutions et des symboles, des sens déjà donnés, déposés par la culture et l’histoire. Par exemple, si je perçois le printemps comme joyeux, c’est parce que toute une tradition culturelle me le fait percevoir comme tel, parce que les Grecs le fêtaient, qu’on l’associa historiquement à la révolution etc. Toute expérience humaine a une dimension historique. L’inter-monde entre la conscience et les choses est d’abord le langage. Le sens n’est pas dans les consciences mais entre elles. Le langage est le tissu de la relation à autrui mais il s’inscrit dans le rapport de la conscience et du monde qui définit notre condition.

 

  1. Le visible et l’invisible : cristallisation des recherches ontologiques de Merleau-Ponty sur l’Etre et le Monde

 

La phénoménologie de la perception établit et énonce de manière préalable un autre mode de relation du Sujet au Monde et à Autrui. Forcément, nous partageons quelque chose avec le monde. Auquel cas, ce monde ne nous serait pas accessible par nos sens. D’une manière fondamentale, nous sommes déjà en relation avec le monde. Ainsi, notre système sensoriel a été conçu pour le monde qui nous entoure et vice-versa. Ce qui est illustré par cette citation d’Eluard, « Je vois le monde comme je suis, je ne le vois pas comme il est ». 

 

La vision est un des sens par lequel l’Etre entre en contact avec le Monde. Si l’Etre partage quelque chose de l’essence du Monde, réciproquement, le Monde partage quelque chose de son essence. Moi qui regarde – le voyant – et ce que je vois – le visible –, nous avons donc une nature commune permanente indépendante des propriétés contingentes. Le monde est prédisposé pour les sens de l’Etre: le visible est tel qu’il peut le voir. D’un autre côté, ses sens sont prédisposés à viser intentionnellement ce monde : je suis tel que je peux avoir conscience du monde. Le monde n’existe donc pas en soi, mais il existe parce que l’Etre le perçoit. Ce que l’Etre ne peut pas voir n’existe tout simplement pas pour lui, car il n’en a pas conscience. Dès que quelque chose n’est pas accessible par ses sens, il n’en a pas conscience. En d’autres termes, il ne perçoit pas son existence, il n’en a pas connaissance.

 

Le corps – qui est le lieu des sens – a donc une place de premier rang pour permettre au sujet d’entrer en relation avec le monde. L’Etre n’entre pas en contact avec ce qu’il voit au travers d’un face-à-face. Certes, voir le monde c’est être à distance de lui. Mais ce n’est pas le prendre pour un objet qui serait complètement extérieur à soi. L’opposition « sujet-objet » classique qui considère que le sujet a en face de lui un objet qui lui est totalement extérieur, est donc réinterrogée. Comme il partage quelque chose de son essence, il est aussi quelque chose de lui. Le monde et l’Etre sont un tout en ne se confondant pas. C’est pour cela que le visible et voyant naissent ensemble. Ils n’existent pas l’un sans l’autre, ni l’un avec l’autre. Ils apparaissent simultanément.

 

Le monde que nous connaissons est celui qui veut bien se donner à notre conscience, car réciproquement et au même moment, notre conscience est faite pour connaître ce qu’il est possible de connaître de lui. La réalité est donc toute relative. L’Homme cherche sans cesse à connaître et expliquer davantage à propos du monde (au sens large, c’est-à-dire Univers compris). Il considère ses connaissances comme toujours limitées car en constante évolution. L’homme scientifique se positionne comme un observateur distancé du monde qu’il tente d’expliquer à sa manière. Mais en se positionnant de la sorte, il laisse de côté cette relation unitaire et presque fusionnelle qu’il a par essence avec le monde (car tous deux sont nés de la même matière) et que nos croyances, faisant la part belle au ressenti, permet. Pour le scientifique, la réalité est une chose absolue, différente de lui/extérieure à lui et toujours partielle. Pour le croyant, la réalité est une chose relative, intrinsèquement liée à lui et complète.

 

Sur le fronton du temple de Delphes consacré à Apollon, nous pouvons lire l’inscription : « Connais-toi toi-même, et tu connaitras l’univers et les Dieux ». Cette « vérité » renvoie à la nécessité de faire avant tout l’effort de se connaître soi-même afin de retrouver cette relation unitaire et presque fusionnelle que nous avons par essence avec le monde. Ainsi, nous pourrons parvenir à l’égalité « vision du monde comme je suis = vision du monde comme il est ».

  • La phénoménologie de la perception : point de départ de la thèse ontologique de Merleau-Ponty sur les rapports existant entre l’Etre et le Monde

 

Dans son ouvrage intitulé « Le tournant de l’expérience, Recherches sur la philosophie de Merleau-Ponty », Renaud Barbaras a récemment montré à quel point la théorie de la perception de Merleau-Ponty est proche de celle d’Aristote. Et ceci, malgré qu’aucune référence n’y soit jamais faite. En effet, grâce à sa conception de l’acte et de la puissance, Aristote évite les oppositions établies par la pensée classique et que cherchera à réduire progressivement à néant la phénoménologie : 

 

  • opposition entre le sujet et l’objet, qui rend inexplicable, sinon par coup de force, le problème du rapport du sentant au senti ;

 

  • opposition entre le pôle agent et le pôle patient, qui oblige à favoriser sans pouvoir justifier ce privilège, soit la conscience transcendante – idéalisme -, soit le monde naturel – empirisme

 

Dans la même veine, toujours selon l’auteur, Aristote est précurseur et initiateur de la phénoménologie par sa capacité à penser à la fois l’unité de l’acte de perception et la dualité des intervenants potentiels de cet acte. Dualité sans laquelle, il n’y a ni expérience, ni discours possible. Ajoutons que cette conception de la sensation est comme une rencontre créatrice dépassant les catégories de l’actif et du passif. Elle est tout à fait originale dans l’Antiquité, et ne sera pas suivie (peut-être parce que pas comprise) : les Stoïciens comme les Epicuriens reviendront à des explications en termes d’impression ou de modification subie par l’âme sous l’action de quelque chose venant de l’extérieur.

Selon les conclusions de M. Malherbe, là où Aristote théorise par concepts, Merleau-Ponty ne fait que répéter sur le mode mineur de la description et de la métaphore. Ce qui pourrait être réfutable dans le sens où Merleau-Ponty est bien arrivé à penser ensemble l’unité du sentir comme événement avec la dualité qu’il implique en tant qu’expérience susceptible d’être formulée ; quoiqu’il l’ait fait sur le mode de la dénégation, seul mode possible étant donné la nature même du dire par rapport au sentir. Parce qu’il veut dire le sensible, il fait appel aux concepts de sujet et d’objet, mais parce que c’est le sensible qu’il veut dire, il est obligé de les nier aussitôt qu’ils ont été posés. Merleau-Ponty ne s’est donc pas replié sur la métaphore et le rendu poétique d’un événement qui se déroberait inévitablement au concept, mais au contraire, sa conceptualisation de la puissance dans Le Visible et l’Invisible améliore celle d’Aristote. Et pourtant, cette dernière était dépendante de la substance, parce que « adossée à un substrat permanent et orientée vers la pure actualité de la quiddité ». La puissance ou la latence de Merleau-Ponty est plus originaire que toute substance, constituant à la fois son sol et son mode d’émergence.

Aux convergences entre les deux auteurs, nous pourrions en ajouter encore bien d’autres, comme l’unité synergique du corps sentant, l’identité entre la sensation et la conscience de sensation, la définition même de la sensation comme ouverture au monde extérieur, ou encore son caractère le plus souvent involontaire et, d’une certaine manière, impersonnel.

Mais nous voudrions plutôt, au-delà de ces convergences dans la description du phénomène, nous pencher sur les différences qui opposent les deux auteurs à propos des fondements ontologiques de la perception. Ainsi, à titre d’exemple, chez Aristote, domine l’hypothèse ontologique que seules certaines qualités et déterminations de substances sont sensibles. Néanmoins, les substances elles-mêmes doivent être placées sous ces déterminations par un raisonnement accompagnant spontanément toute sensation. C’est cette hypothèse qui lui permet de passer à l’évidence de l’acte à la présence des étants sensibles en puissance.

Chez Merleau-Ponty, c’est probablement la théorie du corps propre qui joue ce rôle, en attestant une permanence du sentant au-delà de l’instantanéité de l’acte. Permanence qui est accordée ensuite par analogie aux autres étants. Quand Merleau-Ponty fonde l’existence de la couleur sur la perception de la couleur (« s’il s’avère qu’il n’y a pas là du rouge, c’est donc que je ne l’ai pas vraiment vu »), il n’étend pas cette certitude au-delà de la couleur en acte (« Voir du rouge, c’est voir du rouge existant en acte »). Mais en explicitant la phrase, nous pouvons l’étendre à la couleur en puissance : « Dire que je sens, c’est dire qu’un objet sensible est présent. » Or un tel court-circuit suppose la distinction spontanée et claire entre une expérience réellement perceptive, qui nous met en contact avec quelque chose d’extérieur à nous, et diverses expériences de présence mentale d’un objet sans nécessaire présence physique, comme le souvenir, la fiction, le fantasme. Et c’est en partant de cette distinction insuffisamment justifiée que Castoriadis a entrepris de montrer la dépendance de Merleau-Ponty vis-à-vis de l’ontologie héritée, estimant que le privilège accordé à la perception ne serait qu’une variante du privilège accordée à la res.

Selon Castoriadis, au contraire, toutes les expériences intentionnelles sont réunies sous le mode d’être de l’imagination radicale. Toute distinction entre ces expériences intentionnelles est construite secondairement, de sorte qu’aucune ne peut être considérée comme un accès privilégiée, ni à l’être ni à la connaissance. En fait, si Merleau-Ponty maintient l’opposition entre objets « réels » et « irréels », c’est pour invalider le doute pyrrhonien ou méthodique jeté sur notre accès à la vérité. 

Il ne faut pas se demander si nos évidences sont bien des vérités, ou si, par un vice de notre esprit, ce qui est évident pour nous ne serait pas illusoire à l’égard de quelque vérité en soi. Car si nous parlons d’illusion, c’est que nous avons reconnu des illusions, et n’avons pu le faire qu’au nom de la perception, qui, dans le même moment, s’attestât comme vraie. Par conséquent, le doute ou la crainte de se tromper, affirme en même temps notre pouvoir de dévoiler l’erreur et ne saurait donc nous déraciner de la vérité. Nous sommes dans la vérité et l’évidence est « l’expérience de la vérité ». Chercher l’essence de la perception, c’est déclarer que la perception est non pas présumée vraie, mais définie pour nous comme accès à la vérité. Cependant, ce geste de réaffirmation d’une communication originaire répète du même coup la coupure aristotélicienne entre le vrai, accessible aux sens, et l’erreur due à l’imagination.

Indépendamment de leur interprétation de Merleau-Ponty, Barbaras et Castoriadis partagent la volonté de dépasser les structures profondes de l’ontologie de la perception, en passant par l’abolition de certaines différences : 

 

  • différence entre rôles « actif » et « passif », 
  • entre « objets » réels et imaginaires, et, 
  • jusqu’à un certain point, entre « sujets » et « objets ». 

 

À ce propos, nous voudrions d’abord lever une ambiguïté à propos de l’identité du sentant et du senti chez Merleau-Ponty, avant d’examiner plus généralement dans quelle mesure les cadres structurels de l’ontologie « héritée » – en l’occurrence, aristotélicienne – sont bouleversés. Le sentant et le senti sont à la fois identiques et différents parce qu’ils résultent d’une différenciation interne au sein de l’indistinction originaire qui est la Visibilité en général ou la chair. Or certains textes du Visible et l’invisible semblent poursuivre l’indistinction des deux aspects au-delà de leur constitution en un mode d’être propre. C’est pourquoi nous essaierons de montrer que, dans ces passages en tout cas, un certain usage de la métaphore obscurcit le sens plutôt qu’il ne l’éclaire. Rappelons d’abord la raison de cette tendance, qui est la volonté d’éviter les écueils de la théorie classique de la perception. 

 

Un premier écueil consistait, en effet, à définir les termes de la sensation indépendamment l’un de l’autre, et de chercher ensuite à justifier leur correspondance : le sentant et le sensible ne sont pas l’un en face de l’autre comme deux termes extérieurs, et la sensation n’est pas une invasion du sensible dans le sentant.

 

C’est mon regard qui sous-tend la couleur, c’est le mouvement de ma main qui sous-tend la forme de l’objet ou plutôt mon regard s’accouple avec la couleur, ma main avec le dur et le mou. Dans cet échange entre le sujet de la sensation et le sensible, nous ne pouvons pas dire que l’un agisse et que l’autre pâtisse, que l’un donne sens à l’autre. Sans l’exploration de mon regard ou de ma main, et avant que mon corps se synchronise avec lui, le sensible n’est rien qu’une sollicitation vague.

 

Un autre écueil, aboutissement logique du premier, consiste à oublier que le sentant est aussi du sensible et qu’il ne sentirait pas s’il n’était pas sensible. Le visible ne peut ainsi me remplir et m’occuper que parce que, moi qui le vois, je ne le vois pas du fond du néant, mais du milieu de lui-même. Moi le voyant, je suis aussi visible ; ce qui fait le poids, l’épaisseur, la chair de chaque couleur, de chaque son, de chaque texture tactile, du présent et du monde. Celui qui les saisit se sent émerger d’eux par une sorte d’enroulement ou de redoublement, fondamentalement homogène à eux. Il est le sensible même venant à soi, et en retour le sensible est à ses yeux comme son double ou une extension de sa chair. L’espace, le temps des choses ne sont plus une multiplicité d’individus distribués synchroniquement et diachroniquement, mais un relief du simultané et du successif, une pulpe spatiale et temporelle où les individus se forment par différenciation. Ce sont des lambeaux de lui-même, de sa spatialisation, de sa temporalisation.

 

Les choses, ici, là, maintenant, alors, ne sont plus en soi, en leur lieu, en leur temps. Elles n’existent qu’au bout de ces rayons de spatialité et de temporalité, émis dans le secret de ma chair. Leur solidité n’est pas celle d’un objet pur que survole l’esprit : elle est éprouvée par moi du dedans dans la mesure où je suis parmi elles et qu’elles communiquent à travers moi comme chose sentante.

 

Or, ces deux conditions nécessaires pour comprendre la sensation, nous les trouvons exprimées déjà dans le De Anima, de manière moins ample et moins belle sans doute, mais tout aussi probante. En effet, Aristote a recours à son vocabulaire technique pour ranger les couples « sentant-senti » ou « pensant-pensé » sous la catégorie du « relatif ». Certaines choses sont appelées relatives (…), comme le mesurable par rapport à la mesure, le connaissable par rapport à la science et le sensible par rapport à la sensation. La relativité exprime l’interdépendance de deux termes opposés qui ne peuvent être définis l’un sans l’autre à l’instar du double et de la moitié, du grand et du petit. C’est de cette façon que l’essence de chaque sens possède, par nature, une correspondance avec le sensible qu’elle sent en propre. Or le déterminisme naturel qui apparaît dans cette phrase, comme dans toute la théorie aristotélicienne de la nature, doit être compris comme un déterminisme aléatoire. Contrairement à la plupart des philosophes de l’Antiquité, Aristote ne conçoit aucune raison ultime, ni Bien ni Providence, qui justifierait que l’étant est comme il est. La contingence de notre rapport au monde est tributaire du type de matérialité de nos organes. C’est parce qu’ils sont des rapports (logos) et des médiétés (mesotès) entre les extrêmes sensibles qu’ils sont capables d’estimer (krinei) l’intensité du donné sensible. C’est pourquoi aussi un excès de son détruit l’ouïe et l’estimation du chaud et du froid dépend de la chaleur du corps. Autrement dit, le corps sent parce qu’il est fait des mêmes matériaux que ce qu’il sent, et possède les mêmes qualités. Cependant, tout n’est pas capable de sentir, parce que pour sentir il faut pouvoir mesurer. Quand il parle de la mesure au livre I de la Métaphysique, Aristote reprend à son compte la déclaration de Protagoras, que l’homme est la mesure de toutes choses, en l’attribuant à l’homme en tant que connaissant et sentant. 

 

Merleau-Ponty semble redécouvrir cette notion fondamentale lorsqu’il remplace l’adéquation moderne entre des structures connaissantes et un monde connaissable par la notion de mesure d’un monde mesurable. Selon ce dernier, nous n’avons pas une conscience constituante des choses, comme le croit l’idéalisme, ou une préordination des choses à la conscience, comme le croit le réalisme (ils sont indiscernables en ce qui nous intéresse ici, parce qu’ils affirment tous deux l’adéquation de la chose et de l’esprit). Nous avons avec notre corps, nos sens, notre regard, notre pouvoir de comprendre la parole et de parler, des mesurants pour l’Être, des dimensions où nous pouvons le reporter, mais non pas un rapport d’adéquation ou d’immanence. La perception du monde et de l’histoire est la pratique de cette mesure, le repérage de leur écart ou de leur différence à l’égard de nos normes. 

 

Sur toute cette question, Castoriadis, tout en utilisant son propre langage, ne dit pas autre chose : le rapport de l’homme au monde est avant tout déterminé par l’imagination radicale. Cette aptitude radicale à créer des images mentales se substituant à la réalité est la faculté de tout vivant de créer un monde propre, non seulement en donnant des significations à ce qui est perçu, mais plus originairement en percevant d’une certaine façon, d’après la particularité des récepteurs de chacun. Par exemple, il est tout à fait contingent que certaines longueurs d’onde de la lumière soient perçues sous forme de couleurs. Cette contingence s’étend au discours scientifique qui, en décrivant le phénomène de la couleur en termes de longueurs d’onde, ne fait qu’instituer une autre grille de lecture du monde, quantitative et non plus qualitative. Ainsi, les deux accès sont ultimement fondés sur l’institution du langage. 

 

Aristote et Castoriadis mettent ainsi conjointement, bien qu’à des degrés différents, l’accent sur ce qui, dans la perception, est création humaine. Pour Merleau-Ponty, l’équilibre ou l’harmonie se fait au profit du sensible qui devient principe du sentant.  Ce n’est plus la vie du sujet qui conduit l’Être à la visibilité, c’est au contraire la visibilité intrinsèque de l’Être qui porte en elle la possibilité de la subjectivité. Le surgissement du voyant est synonyme d’accomplissement de la visibilité sous la forme d’une apparition déterminée. 

 

Il semble que ce soit la peinture qui ait amené Merleau-Ponty à concevoir une relation de type osmotique dans laquelle le monde a tout à donner. En effet, dans la peinture, il y a vraiment inspiration et expiration de l’Être, respiration dans l’Être, action et passion si peu discernables qu’on ne sait plus qui voit et qui est vu, qui peint et qui est peint. L’œuvre du peintre est si peu une création volontaire qu’on peut dire qu’il pose au monde la question de celui qui ne sait pas à une vision qui sait tout, que nous ne faisons pas, qui se fait en nous. La peinture est la rencontre entre un spectacle qui s’impose et une main qui l’accueille. Elle lui répond en le transformant ; le paysage peint en se servant de l’homme, le visible habite le voyant et agit en lui. 

 

L’art est, pour cette raison, le schème dont se sert Merleau-Ponty pour saisir le monde sauvage, où tout est à la fois voyant et visible. Le voyant étant pris dans ce qu’il voit, c’est encore lui-même qu’il voit. Il y a un narcissisme fondamental de toute vision. Ainsi, pour la même raison, la vision qu’il exerce, il la subit aussi de la part des choses, comme l’ont dit beaucoup de peintres, je me sens regardé par les choses, que mon activité est identiquement passivité – ce qui est le sens second et plus profond du narcissisme : non pas voir dans le dehors, comme les autres le voient, le contour d’un corps qu’on habite, mais surtout être vu par lui, exister en lui, émigrer en lui, être séduit, capté, aliéné par le fantôme, de sorte que voyant et visible se réciproquent et qu’on ne sait plus qui voit et qui est vu. C’est cette Visibilité, cette généralité du Sensible en soi, cet anonymat inné de Moi-même que nous appelions chair tout à l’heure, et l’on sait qu’il n’y a pas de nom en philosophie traditionnelle pour désigner cela. 

 

Le choix de considérer ce regard des choses comme une métaphore ou de l’entendre au sens propre est un choix d’une portée ontologique considérable. Si, en effet, nous le comprenons de manière métaphorique, les cadres fondamentaux de l’ontologie héritée demeurent, même si la pensée y est renouvelée. Une telle lecture est favorisée par les analyses très husserliennes de la Phénoménologie de la perception, dans le cadre de la réflexion sur l’identité des objets à travers la multiplicité de leurs aspects. En effet, ce qui y garantit l’identité de l’objet sensible au cours de son exploration, c’est d’abord le fait que chaque détail considéré ne se révèle que sur le fond d’un horizon, celui de tous les aspects qui viennent d’être parcourus, de ceux qu’on a l’intention de parcourir, et de tous ceux qu’on laissera dans l’ombre, soit en vertu de l’impossibilité d’épuiser la richesse sensible de l’objet, soit parce qu’ils n’entrent pas dans notre intérêt du moment. 

 

Faisant face à cet horizon interne de l’objet d’exploration, un autre horizon procure une identité à l’objet : c’est l’ensemble des choses qui l’entourent et le regardent de toutes parts. La relation spatiale concrète que cet ensemble de choses entretient simultanément avec leur point focal commun garantit qu’un regard qui prendrait successivement leurs multiples places aurait accès de la même manière à une totalité unique. En considérant ainsi l’objet comme je ressens mon propre corps, c’est-à-dire comme situé au milieu d’un environnement dont chaque partie perçoit une partie différente de lui, je lui attribue le même type d’unité et d’identité, qui consiste en une somme infinie d’actes de sensation. 

En effet, s’il est douteux pour moi que l’objet vu, d’abord de derrière soit identique à celui vu ensuite de devant, le doute est levé quand je considère la simultanéité de tous les actes de vision émanant de toutes les choses qui font face à toutes les faces, cachées ou non pour moi, de cet objet. Les deux conditions d’unité de la multiplicité sensible qui émergent ainsi, à savoir l’unité du processus duratif de l’exploration et la simultanéité des rapports de face-à-face entre tous les aspects sensibles et leur vis-à-vis environnant, reposent ultimement sur une double continuité : celle du temps et celle de l’espace. Ce qui permet de dire que le temps de l’exploration est continu et résiste au soupçon de n’être constitué que de fragments occupés peut-être chacun par le mouvement d’un autre sujet et d’un autre objet. D’autre part, l’espace étendu tout autour résiste à son tour au soupçon de n’être constitué que de fragments sans positions stables et interactives. Chez Merleau-Ponty, c’est la certitude intime de l’identité spatio-temporelle de mon propre corps. 

 

En effet, si celui-ci est permanent, c’est une permanence absolue qui sert de fond à la permanence relative des objets à éclipse, des véritables objets. Alors que l’expérience subjective, chez Aristote, était un indice parmi d’autres de la continuité temporelle, mais que la condition ultime en était la nécessité objective d’un mouvement éternel de l’univers, ici la vérité n’est plus ni logique ni empirique. Elle est existentielle et surtout perceptive. L’intention du phénoménologue est de mettre en évidence le rôle du monde environnant comme substitut d’un regard au sens propre, comme face-à-face inanimé suffisant pour révéler les aspects cachés d’un objet. De sorte que s’instaure une collaboration entre les choses, le corps propre et la conscience percevante. La conscience de ce qui est extérieur à soi cesse d’être étrangeté pour se manifester comme un semblable, comme un allié dans l’exploration. Si nous admettons cette explication, un regard des choses n’existe que sur le mode du « comme si », par projection sur les choses d’un pouvoir du corps propre, qui fonde la perception davantage sur sa différence que sur son identité avec le monde. 

 

Dans ce texte, d’ailleurs, le mot « voir » est toujours muni de guillemets quand il est attribué aux choses : « Quand je regarde la lampe posée sur ma table, je lui attribue non seulement les qualités visibles de ma place, mais encore celles que la cheminée, que les murs, que la table peuvent “voir”, le dos de ma lampe n’est rien d’autre que la face qu’elle “montre” à la cheminée. » S’il n’y a donc là qu’une métaphore, les principaux jalons de l’ontologie traditionnelle sont maintenus : temps et espace continus, sujets et objets distingués par la perception effective des uns, fictive des autres.

 

Cependant, d’autres textes semblent indiquer que Merleau-Ponty entend ce regard au sens propre et le fonde sur le fait que la perception et le perçu ont nécessairement la même modalité existentielle. Nous pouvons alors ainsi commenter cette perception : si ce n’est pas seulement le corps, mais aussi la chose qui voit les choses, si mon regard voit ce que les choses veulent bien lui montrer, c’est que le corps et la chose sont taillés dans la même étoffe, ou traversés par la même vie indivise. Dans ce cas, les cadres ontologiques traditionnels sont pulvérisés et il n’y a réellement plus de différence entre ce qu’Aristote appelait les êtres animés et les inanimés, ou encore les vivants et les non-vivants. Mais, en réalité, Merleau-Ponty ne va pas jusqu’à l’indistinction, puisqu’il parle d’un certain visible, d’un certain tangible, capable de se retourner sur tout le visible, tout le tangible dont il fait partie. Dire que le corps et la chose sont taillés dans la même étoffe ou, selon les mots de Merleau-Ponty, que le corps est « pris dans le tissu du monde et [que] sa cohésion est celle d’une chose », c’est se situer au niveau de la puissance que tous deux ont en tant que sensibles. Mais cela ne rend en aucune façon compte de la puissance de sentir. Une explication inspirée d’Aristote serait que l’acte de vision étant le même pour l’œil et pour la chose vue, une identification est possible dans l’acte. Si bien que puisque l’œil voit, la chose aussi voit. Mais Aristote prend la précaution d’ajouter que, si l’acte n’est rien d’autre que l’identité du sensible en acte et du sentant en acte, c’est-à-dire l’identité en un seul et même fait du fait d’être senti et du fait de sentir, cela n’entraîne pas que sentir et être senti aient le même être et signifient la même chose. L’organe sensoriel est le premier réceptacle dans lequel se trouve une telle puissance. Il est donc d’une certaine manière la même chose, mais son être est autre. En effet, ce qui est senti peut être une grandeur tandis que ni l’être de ce qui peut sentir ni la sensation ne sont une grandeur, mais une proportion et une puissance de celui-là.  

 

Pour certaines sensations, d’ailleurs, le langage est clair car il possède un nom pour l’acte du sentant (akouein, entendre) et un nom pour l’acte du senti (psophein, produire un son). Il est difficile d’imaginer que Merleau-Ponty ait négligé cette différence pour confondre tout à fait l’acte de voir et celui de faire voir. Et pourtant, dans un autre passage, se répète le même glissement : « le sensible me rend ce que je lui ai prêté, mais c’est de lui que je le tenais. Moi qui contemple le bleu du ciel, je ne suis pas en face de lui un sujet acosmique, je ne le possède pas en pensée, je ne déploie pas au-devant de lui une idée du bleu qui m’en donnerait le secret, je m’abandonne à lui, je m’enfonce dans ce mystère, il « se pense en moi », je suis le ciel même qui se rassemble, se recueille et se met à exister pour soi, ma conscience est engorgée par ce bleu illimité. – Mais le ciel n’est pas esprit, et il n’y a aucun sens à dire qu’il existe pour soi ? – Bien sûr le ciel du géographe ou de l’astronome n’existe pas pour soi. Mais du ciel perçu ou senti, sous-tendu par mon regard qui le parcourt et l’habite, milieu d’une certaine vibration vitale que mon corps adopte, on peut dire qu’il existe pour soi en ce sens qu’il n’est pas fait de parties extérieures, que chaque partie de l’ensemble est « sensible » à ce qui se passe dans toutes les autres et les connaît dynamiquement.» 

Comment conceptualiser un tel texte ? Sous des accents hégéliens de nature devenant esprit dans l’une de ses parties, résonne encore l’écho aristotélicien de l’indistinction dans l’acte de son versant « objectif » et de son versant « subjectif ». Toutefois, l’impression qui domine est plutôt le refus de lever ce « mystère » de la réversibilité des rôles.

 

Pour l’un et l’autre texte, la lecture métaphorique nous semble la seule tenable, du fait que, dans Le visible et l’invisible, Merleau-Ponty prend lui-même une distance vis-à-vis de sa métaphore. Il corrige, en effet, la « réversibilité du voyant et du visible, du touchant et du touché », qui avait été dite « sommairement », en soulignant qu’il s’agit d’une réversibilité toujours imminente et jamais réalisée en fait. Pour appuyer la nécessité de cette nuance, il répète la description, déjà présente dans Phénoménologie de la perception, de la main droite touchant la main gauche, et qui ne peut la toucher qu’en tant qu’elle est sensible et jamais en tant qu’elle est elle-même en train de toucher autre chose. Il introduit alors ce nouveau type d’unité, capable d’«enjamber» tant la dualité du corps propre comme sensible et comme sentant, que celle des moments successifs de la vie tactile, et qui consiste en l’appartenance à un même tissu d’être. Mais comme ce tissu, cette chair, loin d’être une détermination univoque, est la multiplicité infinie de la latence, il n’est pas nécessaire d’uniformiser le sensible et le sentant pour abolir la distinction absolue entre «sujets» et «objets». 

 

De l’indistinction de la puissance peuvent surgir des envers et des endroits, des dualités adhérentes l’une à l’autre sans être identifiées par des actes identiques. Dès lors, l’attribution d’une vision aux choses fait place à la reconnaissance d’une vision chez les autres voyants.  Dès que nous voyons d’autres voyants, nous n’avons plus seulement devant nous le regard sans prunelle, la glace sans tain des choses, ce faible reflet, ce fantôme de nous-mêmes, qu’elles évoquent en désignant une place parmi elles d’où nous les voyons. Désormais, par d’autres yeux, nous sommes à nous-mêmes pleinement visibles. Cette lacune où se trouvent nos yeux, notre dos, elle est comblée, comblée par du visible encore, mais dont nous ne sommes pas titulaires. Certes, pour y croire, pour faire entrer en compte une vision qui n’est pas la nôtre, c’est inévitablement et toujours à l’unique trésor de notre vision que nous puisons, et l’expérience donc ne peut rien nous enseigner qui ne soit esquissé en elle. 

 

Par ce fait, Merleau-Ponty réaffirme la spécificité du sentant qu’il semblait vouloir diluer pour contrer son exacerbation par certaines philosophies, et accepte cette différence qui, chez Aristote, est celle de l’animé et de l’inanimé. Le détour, pour autant, n’était pas inutile, puisqu’il a accompli l’exigence théorique de manifester le distinct à partir de l’indistinct, le lié à partir du lien. Mais il fallait pour cela assigner sa juste portée au schème de la peinture qui, s’il permet au départ de déstabiliser une réflexion trop focalisée sur les oppositions duelles, empêche ensuite, par son usage de la métaphore, de rendre compte d’une expérience qui n’est que jusqu’à un certain point celle de l’identité.

 

Si, donc, le principal changement ontologique qu’introduit Merleau-Ponty ne réside pas dans l’identité et la différence des intervenants de la sensation, Castoriadis a raison de le situer dans la prééminence accordée à la perception, qui récupère toutes les fonctions humaines essentielles. Au point que même le problème de l’intersubjectivité est résolu par la perception que nous avons de l’expérience des autres. Du fond de notre subjectivité, nous voyons paraître une autre subjectivité investie de droits égaux, parce que dans notre champ perceptif se dessine la conduite d’autrui, un comportement que nous comprenons, la parole d’autrui, une pensée que nous épousons, et que cet autre, né au milieu de nos phénomènes, se les approprie en les traitant selon les conduites typiques dont nous avons nous-mêmes l’expérience. S’il y a renversement ontologique, c’est là qu’il commence. Dans Le visible et l’Invisible, la perception devient initiation au sens d’être de l’Être, car le mode d’être du perçu a une signification définitive et vaut donc pour tout être. 

 

Les deux mises en question des distinctions traditionnelles se complètent ainsi comme les deux étapes d’un même mouvement. D’abord, la sélection de la perception parmi les autres actes intentionnels, ensuite le glissement depuis la sensation comme événement vers le sensible comme condition de l’événement. Nous en arrivons ainsi à la deuxième étape de notre raisonnement, qui consiste à essayer d’expliquer en quoi et pourquoi les ontologies aristotélicienne et merleau-pontienne sont différentes, et à défendre la thèse que, malgré cette différence, elles s’inscrivent et doivent s’inscrire dans le même cadre fondamental.

 

Le projet de Merleau-Ponty exprimé au début du Visible et l’invisible était de comprendre la foi perceptive et l’incrédulité toujours prête à y surgir. La vision du monde va de soi, et donc nous n’avons pas besoin de nous demander ce que signifie au juste «vision», «monde» et «nous», jusqu’au moment où une perception ne se distingue pas bien d’un rêve ou d’une hallucination. Le philosophe ajoute que si la philosophie doit s’approprier et comprendre cette ouverture initiale au monde qui n’exclut pas une occultation possible, elle ne peut se contenter de la décrire. Il faut qu’elle nous dise comment il y a ouverture sans que l’occultation du monde soit exclue, comment elle reste à chaque instant possible bien que nous soyons naturellement doués de lumière. 

 

Autrement dit, la philosophie ne veut pas se contenter du «c’est ainsi». Elle veut savoir en vertu de quoi c’est ainsi, pour quelles raisons, comment cela se fait que c’est ainsi. Pourtant, la réponse fournie par Merleau-Ponty vers la fin de son ouvrage, à savoir que c’est parce que l’Être est à la fois le visible même et l’invisible ou le retrait, ressemble à une répétition du « c’est ainsi », avec le choix d’en reporter la nécessité sur le versant «objectif» de la perception plutôt que sur le versant « subjectif » : ce n’est pas en vertu de nos facultés, c’est dû à l’essence même de l’Être. 

 

Faut-il pour autant conclure, que Merleau-Ponty, malgré son intention d’abolir la différence ontologique en pratiquant une ontologie indirecte, c’est-à-dire en cherchant l’être dans les étants, n’a évité ni la résorption ontique, qui consiste à expliquer l’être en le rabattant sur un étant éminent ou paradigmatique, à savoir l’étant visible, ni la résorption ontologique, selon laquelle le sens de l’être n’est plus l’ouverture même du sens, mais le sens de cet étant, fût-il infini ? De fait, le privilège accordé à la perception et particulièrement à la vision, parmi les divers accès à l’être, entraîne la détermination de l’être comme la Visibilité en soi et l’invisibilité qui la redouble – et ce n’est pas seulement un privilège méthodologique, car tout l’ouvrage vise à montrer que l’Être est effectivement et essentiellement être sensible : la chair du monde, c’est de l’Être-vu, c’est-à-dire, c’est un Être qui est éminemment percipi, et c’est par elle qu’on peut comprendre le percipere. 

 

En revanche, il ne nous paraît pas correct de dire que le préjugé ontologique de la res (extensa ou cogitans, idea, ousia ou Wesen) apparaît encore derrière l’être-donné, en tant que «quelque chose qui se donne». En effet, soit nous considérons la res dans sa signification étroite de chose sur laquelle on peut se reposer, qui jouit d’une existence plus sûre que les autres, et alors l’Être de Merleau-Ponty n’y correspond pas, soit nous la considérons dans sa signification large de chose en général, de n’importe quoi qui est selon n’importe quel mode, et il n’y a plus de privilège ontologique. Chez Merleau-Ponty, il y a un privilège ontologique, mais il n’est pas accordé à la chose. Au contraire, il est accordé à ce qui n’est pas chose, ni déterminé ni donné, mais d’où émergent le déterminé et le donné. 

 

Et c’est précisément là que nous situons l’avancée principale de Merleau-Ponty par rapport à l’ontologie héritée. L’Être n’étant pas une chose, un étant, il ne peut avoir pour sens d’être que son propre accomplissement, son incessante venue au visible qui est en même temps incessante venue du visible. Il revient donc au même de dire que l’invisible n’est pas positif et n’existe donc que comme visible, qu’il est puissance et que cette puissance est son propre mouvement d’actualisation. Il ajoute que cette puissance n’est pas la puissance aristotélicienne, car elle est libérée de l’«hypothèque de la substance individuelle». N’étant ni puissance de quelque chose, ni puissance en vue de quelque chose, la puissance ne peut jamais déboucher sur un acte qui la terminerait, elle demeure pour ainsi dire puissance d’elle-même, c’est-à-dire mouvement incessant de phénoménalisation. 

 

Or opposer cela à Aristote, c’est ignorer qu’à côté des puissances particulières correspondant à des actes particuliers, il y a aussi chez lui la conception d’une puissance générale, absolument indéterminée, qui se confond avec la matière ultime de toutes choses, selon une tradition remontant aux théories ioniennes de l’émergence incessante de formes en devenir, manifestations multiples d’un Être unique – Aristote achevant cette tradition en refusant à cette « matière » ultime la détermination d’un élément.  Pour comprendre la relation qu’il conçoit entre «substance» et «puissance», il faut se reporter aux recherches ontologiques menées dans la Métaphysique. En effet, la question de l’être s’y dédouble en la question ontologique du sens de l’être, qui reste ouverte sur la multiplicité irréductible de ses significations, et en la question traditionnelle de ce qui est plus fondamentalement étant que le reste. C’est cette dernière question qui est posée dans le livre le plus étudié de la Métaphysique, le livre Z, sous la forme de : «Qu’est-ce qui est ousia ?», le terme ousia pouvant être traduit par «substance» à condition d’entendre par là ce qui existe sans dépendre d’autre chose. Si donc, nous donnons pour critère de la substance le fait d’être sujet (au sens logique de ce à quoi tout s’attribue et qui ne s’attribue à rien), la matière devient la substance par excellence puisqu’elle est le sujet ultime qui demeure quand on enlève toutes les déterminations. Et matière signifie par là, ce qui par soi n’est ni quelque chose ni quantité ni aucune autre des déterminations de l’étant. Car il y a quelque chose à quoi sont attribuées chacune d’elles, et dont l’être est différent de celui de chacune des attributions (car celles-là sont attribuées à la substance, et elle-même à la matière), de sorte que le dernier n’est par soi ni quelque chose ni quantité ni aucun autre attribut – ni d’ailleurs leurs négations, car elles aussi existeront par attribution.

 

Cependant, Aristote refuse que cette pure puissance indéterminée soit l’étant le plus  auto subsistant, parce qu’elle ne possède ni identité ni différence : être séparé des autres (chôriston) et identifiable (tode ti), c’est cela qui devient le critère principal de l’étant le plus manifeste. Il n’empêche que la matière ultime existe selon son mode propre et constitue une des quatre causes des étants en devenir. A l’inverse, l’âme, définie comme puissance d’acte et acte même, est une substance parce qu’elle est un eidos, c’est-à-dire la détermination essentielle qui définit un corps, et non parce qu’elle est un substrat. C’est pourquoi la différence établie entre le mode d’être de l’âme sensitive ou intellective et celui de ses correspondants sensibles ou intelligibles repose sur la plurivocité même de l’être, qui empêche de réduire les différents types d’étants à un seul mode – même si l’être peut à juste titre leur être attribué à tous, même si le simple fait d’être leur confère immédiatement des propriétés communes. 

 

Pour les animaux, être c’est vivre et vivre c’est percevoir. Pour les choses inanimées, être c’est être dépourvu de mouvement propre. Le fait que les uns comme les autres soient aussi sensibles ne comble pas la distance que creuse entre eux la possession ou la privation de la sensation consciente. 

 

Nous pouvons répondre de la même manière à Castoriadis, qui salue chez Merleau-Ponty sa conception de l’« Être sauvage » comme ce qui rend possible l’émergence inépuisable de formes nouvelles, jamais fixées dans une détermination éternelle, tandis que le to ti èn einai d’Aristote signe, selon lui, l’annulation de la pensée de l’être dans la suppression de la temporalité et l’éternité des déterminations : «To ti èn einai : ce que depuis toujours cela était déterminé à être à jamais et qui ainsi fait que cela est en étant ceci.»

 

Cette explicitation, toute précise et subtile qu’elle soit, d’une des formules aristotéliciennes les plus difficiles, ne vaut cependant que dans le domaine de la nature. Nous savons qu’Aristote, dans son étude physique, a conclu à la nécessité d’un univers éternel sans évolution des espèces. Or cette fixation définitive des formes n’est plus la règle quand on se place dans le domaine de la création humaine, où Aristote reconnaît une puissance d’être qui n’est pas prédéterminée, à côté de la matière naturelle ultime d’où émergent des formes déterminées en nombre fini. Ainsi, dans les œuvres d’art ou les œuvres politiques, par exemple, il y a création d’eidè nouvelles. En outre, dans les deux cas, la diminution progressive ontologique est évitée car aucune de ces déterminations ne commande ni ne réduit le sens de l’être.

 

Pour conclure, il me semble que c’est en tant que variation sur le thème de la dérobade de l’Être que la pensée de Merleau-Ponty se distingue de la pensée aristotélicienne – et même de la pensée grecque en général, car il n’est pas difficile de montrer que, quand Héraclite dit : « La physis aime à se cacher », il entend qu’elle ne se cache pas à tout le monde, mais seulement à la vision naïve du commun des mortels. Certes, celui qui la dévoilera ne sera pas un positiviste scientiste mais un interprète à l’écoute du fondement qui, depuis l’invisible, commande le visible. Et sans tomber dans le redoublement d’un « monde des apparences » par un « monde de l’être », selon une piètre vulgate platonicienne, nous pouvons dire néanmoins que cet invisible est accessible à l’homme comme « intelligible », c’est-à-dire comme « pensable » et « compréhensible », fût-ce par analogie ou par négation. 

De même pour Aristote, il n’y a pas de recoin de l’Être qui soit inaccessible de droit. L’âme est d’une certaine manière tous les étants, car les étants sont soit sensibles soit pensables, et d’une certaine manière la science est les connaissables, la sensation les sensibles. C’est avec le néoplatonisme qu’émergera peu à peu une pensée de la séparation absolue du transcendant, qui opérera la véritable révolution en excluant le principe du domaine de l’être. 

 

Par opposition à cela, nous pouvons dire que Merleau-Ponty conserve les éléments principaux de l’ontologie aristotélicienne : recherche de l’être dans les étants, mêmes interrogations sur la pensée et le langage de l’être, sans se faire d’illusion sur cette médiation nécessaire, même utilisation des concepts clés d’identité et de différence, d’acte et de puissance, de sensible et de sentant. En se confrontant ainsi à sa propre histoire, en repensant ce que chacun de ses moments a donné de meilleur, la pensée philosophique prend conscience du fait que ses variations se tissent autour d’un noyau de quelques principes invariants, et qu’il est vain de vouloir faire éclater ce noyau, peut-être parce qu’il constitue l’être-au-monde même de l’être humain.

 

  1. Paradoxes de Merleau-Ponty par rapport au phénomène de la perception 

 

Pour sa dialectique, Hegel inspire Merleau-Ponty. Mais il est également influencé par Husserl, sans accepter l’idée d’un Moi transcendantal. Progressivement, il s’est rapproché de Heidegger. Faisant sien le précepte de Husserl, – « revenir aux choses mêmes » -, Merleau-Ponty s’est efforcé de retourner à l’expérience vécue et de décrire concrètement le réel. 

 

Les concepts fondamentaux de sa philosophie sont les suivants :

 

  • celui de sens, conçu comme noyau de signification issu de l’Homme et de son existence dans le monde. Le sens est lui-même inséparable du non-sens, fond sur lequel se profilent nos entreprises ;

 

  • celui de corps propre, envisagé non point comme réalité purement biologique et matérielle (le corps « objet » du physiologiste), mais comme centre existentiel et manière d’être-au-monde ;

 

  • celui de chair, appréhendée comme l’unité du corps et de l’âme, comme le corps informé par l’esprit.

 

Dans son œuvre, il aborde aussi largement les paradoxes que soulève la perception. De toute évidence, l’apparente simplicité de l’acte perceptif cache un abîme de complexité. 

 

La perception témoigne d’une certaine réceptivité. Ainsi  elle ne peut prétendre produire son objet. Si le sujet percevant est réceptif ou passif, il ne peut pourtant se définir comme entièrement passif dans la mesure où l’activité de la conscience à l’œuvre dans la perception dépasse le simple enregistrement d’informations. Parce qu’il donne un sens à ce qu’il perçoit, et saisit immédiatement une globalité, parce qu’il peut voir l’invisible ou entendre l’inaudible, le sujet percevant se montre capable d’activité dans l’acte perceptif. En termes linguistiques, nous dirons que le sujet percevant est tantôt localisateur, tantôt agentif.

 

Par ailleurs, il est clair que les verbes de perception présupposent dans leur fonctionnement le plus banal l’emploi de la première personne. La perception est une expérience privée qu’autrui ne peut totalement partager. Le monde perçu est donc toujours perçu à partir de perspectives singulières. Si bien que le sujet percevant est un sujet déterminé. Pourtant, ce sujet s’efface devant l’objet qui s’impose à lui. Il s’ensuit donc une dimension quasi-objective ou impersonnelle de la perception qui traduit une action du monde sur le sujet percevant. Ce paradoxe se prolonge dans celui de l’intersubjectivité.

 

Enfin, le je impliqué dans son expérience perceptive apparaît isolé des autres consciences par le fait même du caractère « privé » de cette expérience. Pourtant, il faut supposer l’existence d’autrui et son empiètement sur mon propre champ perceptif pour que toutes les dimensions invisibles du visible et inaudibles de l’audible, se trouvent dévoilées. Autrui en tant que voyant n’a de cesse d’enrichir mon champ perceptif. Il me permet d’accéder à la face cachée des choses, mais en outre, parce qu’il me voit et m’entend, il me fait entrer comme un objet dans son propre champ perceptif. De ce fait, je ne suis pas seulement un sujet percevant, je suis un objet pour la perception des autres, une présence dans le monde, un corps parmi les corps.

Mon corps qui est un corps voyant, entendant, sentant et parlant est par le fait même de la présence d’autrui, un corps visible, entendu, senti, et compris dans sa parole. Il est donc à la fois sujet et objet de perception, à la fois percipere et percipi, de même qu’il est du point de vue du langage émetteur et récepteur. D’ailleurs, la réciprocité du voyant et du visible chez Merleau-Ponty reflète la réciprocité de la performance et de la compétence dans la linguiste.

 

La leçon importante que la perception nous enseigne est donc : la présence à soi, l’identité d’un objet avec lui-même (ce qui fait qu’un objet est un objet, c’est-à-dire une « substance »), n’est pas le « contraire » de, n’est pas l’opposé métaphysique de l’absence. Au contraire, la présence est présence sur la base seulement d’une absence possible, une absence qui non seulement n’est pas externe à la présence, mais est même sa possibilité la plus interne, la plus constitutive. Exactement comme une figure est ce qu’elle est seulement dans son rapport dialectique interne à un fond essentiellement indéfini, une vague frange, « domaine de l’indéterminité déterminable », comme dirait Husserl, ainsi l’identité présuppose la non-identité, et elle en est inséparable. L’identité n’est pas « un concept logique primitif » ; sa « condition de possibilité » existentielle réside dans l’ambiguïté et la non-identité. Disons, donc, pour paraphraser Merleau-Ponty : loin que la pensée logique transcende la conscience perceptive, c’est au monde de la perception que j’emprunte la notion d’identité.

 

À ce moment de nos réflexions, mentionnons deux conséquences qui découlent du « primat de la perception ». La première concerne la notion tout à fait fondamentale de la « chose ». L’ousiologie logiciste maintient qu’une chose, a thing, une res ou substance est ce qui existe en et pour soi {in se et per se) ; une chose est ce qui est identique à elle-même ; elle est exactement ce qu’elle est, pas plus, pas moins. Nous arrivons ainsi à la notion d’objet absolu. Cependant, ce que le retour à l’expérience perceptive peut nous enseigner, c’est l’impossibilité, c’est-à-dire, le non sens d’une chose absolue, une chose qui serait exactement ce qu’elle est, tout à fait autre que (c’est-à-dire, indépendante de) tout ce qu’elle n’est pas, c’est-à-dire pure coïncidence avec elle-même, pure identité. L’objet « complet », l’objet transparent, Merleau-Ponty l’affirme, est une illusion de la pensée rationaliste. Une chose n’est déterminée que par ses relations internes à un horizon indéterminé. L’horizon « anonyme » entre, donc, dans la définition de la chose elle-même (en tant que figure focale). De cela découle une conséquence : si l’horizon est, comme en effet par définition il l’est, ouvert et indéfini, alors, comme le dit Merleau-Ponty: « Par cette ouverture, la substantialité de l’objet s’écoule. » La notion métaphysique de « substance » (« pleine présence », comme le dit Derrida) est possible seulement quand dans notre pensée nous oublions ce que nous avons originairement appris dans notre expérience perceptuelle du monde.

 

La seconde conséquence philosophique du primat de la perception se rapporte à une notion qui est tout aussi fondamentale, celle de monde. Ce que nous expérimentons dans nos vies perceptives est un monde. Mais, qu’est-ce que « le monde » ? Pour la pensée objectiviste, le monde est tout simplement, comme Merleau-Ponty le dit d’une façon superbe, « le grand Objet ». Le monde est une chose déterminée. Il est, en effet, une super-chose, la totalité de toute la collection des choses atomistiques existant seulement une idée. Ce n’est assurément pas quelque chose dont on pourrait avoir l’expérience. Un tel concept n’est rien d’autre qu’une invention de l’imagination idéalisant et abstractive. Il renferme en lui-même non pas seulement un oubli mais un double oubli, puisqu’il repose sur l’oubli de la chose, telle qu’on l’expérimente. Le monde de notre expérience vécue, le monde perçu, n’est pas un univers,  c’est-à-dire une totalité achevée, explicite, une construction rationaliste, « une entité métaphysique », comme dirait William James. En contraste à un univers, qui existe seulement dans le royaume de l’idéalité logocentrique, un monde est « une multiplicité ouverte et indéfinie où les rapports sont d’implication réciproque ». Le monde perçu est un horizon indéterminé — mais, aussi, infiniment déterminable. Il est, en effet, « l’horizon de tous les horizons ». 

Comme tel, il est quelque chose que l’ousiologie logiciste ne peut en aucun cas penser, quelque chose à quoi elle doit rester congénitalement aveugle, du fait qu’elle opère avec le principe impérieux de l’identité. Ceci a des implications importantes, si nous confrontons la « généalogie de la logique » de Merleau-Ponty à quelques avatars contemporains du logocentrisme.

 

Ce qui peut servir à rendre plus plausible la thèse apparemment paradoxale de Merleau-Ponty sur la tendance nécessaire de la compréhension humaine à se mécomprendre. Ce sont assurément les deux formes particulièrement déchaînées de l’objectivisme logocentriste qui se nomment Cognitive Science et Artificial Intelligence. En effet, il serait difficile de trouver deux mécompréhensions plus complètes de la compréhension humaine. Dans leur recherche de l’algorithme universel, elles représentent une sorte de maladie génétique programmée dans l’esprit humain ou, au moins, dans la conscience moderniste occidentale logocentriste. Charles Taylor, qui depuis un bon nombre d’années, mène une lutte vaillante contre les forces de l’objectivisme analytique, se demande avec perplexité comment ce genre de pensée perverse a pu en toute innocence continuer à assumer des formes toujours nouvelles, en apparence à l’abri des critiques qui, depuis l’époque de Merleau-Ponty et avant, ont été formulées contre lui. 

 

« Pourquoi, demande-t-il, continue-t-on à dépenser tant d’efforts pour démontrer l’insuffisance d’une façon de voir les choses qui, en fin de compte, est si totalement invraisemblable ? » Le mode naturaliste {partes extra partes) d’explication que Merleau-Ponty attaque dans La structure du comportement et dans la Phénoménologie de la perception est plus vivant et plus répandu que jamais. Bien que le behaviorisme soit aujourd’hui peu en faveur chez les praticiens des sciences humaines qui aspirent à devenir des « scientifiques », les développements de la technologie de l’ordinateur ont rendu possible une nouvelle mode objectiviste dans les sciences de l’homme, qu’Hubert Dreyfus appelle « computer-Cartesianism ».

 

S’il est vrai que l’expérience perceptuelle et linguistique humaine est essentiellement de nature « horizonale », Cognitive Science et Artificial Intelligence sont des entreprises engagées sur une fausse piste. Ce sont des « research programs » qui ne peuvent mener nulle part. Ces disciplines tentent en effet de traduire l’expérience humaine en langages formalistes, logistiques (les seuls qu’un ordinateur est capable de « comprendre »), et il n’y a pas de place dans ces langages pour l’ambiguïté du sens. Comme Taylor le remarque, « dans une machine, il n’y a rien de comparable à une connaissance tacite ». La machina rationatrix qu’est l’ordinateur est une incarnation vivante du principe stérile d’identité, « la non-contradiction stérile de la logique formelle », comme le dit Merleau-Ponty. En tant que tel, l’ordinateur ne peut rien nous enseigner sur les formes de compréhension typiquement humaines. Bien sûr, dans la mesure où nous pensons comme un ordinateur, ce que nous faisons parfois – en logique par exemple – les ordinateurs peuvent nous aider à « clarifier » notre pensée ; peut-être peuvent-ils même nous aider à devenir des logiciens plus compétents. Mais, si ce que nous autres humains expérimentons n’est pas un « univers » mais un « monde », la compréhension humaine n’est pas complètement formalisable. Si elle n’est pas formalisable, elle n’est pas non plus compréhensible au moyen de langages formalisés. Si, dans le monde réel de l’expérience vécue, il existe toujours un fond qui ne peut être thématisé que par recours à un fond ultérieur, le projet même de Cognitive Science est fondamentalement mal orienté : il est une entreprise illusoire, la vaine poursuite d’une chimère métaphysique. 

 

  1. Dreyfus dit des choses pertinentes à cet égard. Il observe, par exemple, que les chercheurs du domaine de l’informatique savent que pour réussir à construire un modèle computationnel de la compréhension humaine, ils doivent découvrir un moyen de traiter « le contexte le plus étendu ou le fond comme un objet qui possède son propre ensemble de traits descriptifs présélectionnés ». En d’autres mots, ils doivent découvrir un moyen d’encadrer l’horizon, de transformer le « monde », l’horizon indéfini de l’indéterminé déterminable, en un « univers », en une collection de « choses » identiques, déterminées. Dreyfus dit de plus : « Cette présomption, à savoir que le fond peut être traité comme n’importe quel autre objet et être représenté par la même sorte de description structurée par laquelle les objets quotidiens sont représentés est essentielle à toute notre tradition philosophique ». Cette présomption, comme il le note avec raison, est « une présomption métaphysique ».

 

Nous souhaiterions parler brièvement d’une autre forme de logocentrisme contemporain, la « logique informelle », un premier exemple, s’il en est un, de « momification » ou de « vampirisme » philosophique. Depuis qu’on a commencé à faire beaucoup de bruit au sujet de la « logique informelle » ou « critical reasoning », nous avons de la peine à comprendre exactement quelle valeur cette discipline pourrait avoir, du moins en ce qui concerne l’enseignement de la philosophie. Considérons seulement deux points :

 

Est-ce que la visée de «critical reasoning» ne serait pas de rendre des gens capables, en les entraînant à la variété et à la subtilité des formes illogiques de la pensée, de se défendre contre des arguments « non valables » ? Si telle est sa justification, on est obligé de dire que IL/ CR incarne une conception de la philosophie particulièrement logocentriste et agonistique. La philosophie est ici envisagée non comme la rencontre dialogale d’une personne avec une autre personne ou avec un texte, dans l’espoir d’en arriver à un « accord », mais bien plutôt comme la confection monologale « d’arguments » qui ont pour seul but la « démonstration » irréfutable (et donc non-discutable) de quelques « vérités ». Il faut reconnaître, cependant, que « l’argument » (dans n’importe quel sens logiciste qu’on voudra) n’est pas, et n’a jamais été, l’essence de la philosophie.

 

Quand un philosophe emploie toute une gamme de procédés argumentâtes, ce qui compte en définitive ce n’est pas la solidité logique de ces « arguments », mais bien plutôt leur pouvoir de persuasion rhétorique. Prétendre avoir « démontré » une chose ou une autre est en effet un des moyens rhétoriques les plus sûrs de s’assurer l’adhésion d’un auditoire. Même quand ils ont recours à des « arguments » soi-disant décisifs, les philosophes sont engagés dans une entreprise non pas « argumentative » mais plutôt interprétative. Ce qui importe, c’est la force compréhensive du point de vue qu’ils arrivent à communiquer, d’une façon ou d’une autre. Ce qui, d’un point de vue logique, est un argument « faux » peut contribuer, néanmoins, à l’illumination philosophique. 

 

Et, de même, les erreurs « logiques », comme les erreurs sémantiques ou syntaxiques dans la conversation ordinaire, n’ont souvent aucun effet sur la qualité du discours philosophique et ne sont même pas normalement perçues. Réciproquement, nous éprouvons souvent des difficultés avec un « argument » philosophique logiquement bien construit, et refusons même de l’accréditer, non pas pour des raisons logiques, mais pour des raisons extra-logiques, morales. Une grande œuvre philosophique est une œuvre qui – même si elle contient des « erreurs » logiques (et pourrait même parfois fournir aux logiciens, comme Scheherazade, de quoi prolonger leur vie) – est capable de faire voir le monde d’une façon nouvelle et moins contraignante. Le discours philosophique postmoderne en particulier ignore souvent d’une façon délibérée les exigences de la logique, puisque ce qu’il veut dire ne peut pas être dit par le moyen de la logique. 

Pour en arriver à comprendre un texte philosophique, il faut pouvoir se frayer un chemin à travers tout le bric-à-brac argumentatif jusqu’à die Sache selbst, ce qui, dans le texte, est en question.

 

À rencontre de la « déconstruction » contemporaine, la critique théorique du logocentrisme chez Merleau-Ponty est animée par une visée tout à fait définie et discernable. Il essaie d’élaborer un mode de discours philosophique apte à exprimer la liberté et la dignité de l’homme. Pour lui, la notion « d’ambiguïté » ou « d’indéterminé » est essentielle à la compréhension de la manière dont dans nos vies nous créons du sens, à la compréhension, par conséquent, de la « transcendance » humaine, un des thèmes les plus importants de la Phénoménologie. « L’existence, dit-il, est indéterminée en soi, à cause de sa structure fondamentale, en tant qu’elle est l’opération même par laquelle ce qui n’avait pas de sens prend un sens. » Pour Merleau-Ponty, la « dignité » de la personne consiste en ce qu’elle est, comme corps sujet qui transcende l’être purement naturel, un « Sinn-geben», un élément qui donne du sens au monde, un « animal » dont le trait essentiel, définissant, est ce que Charles Taylor appelle « significance feature ». Nous comprenons d’une façon tout à fait erronée les êtres humains quand nous les comprenons d’une façon objectiviste, sur le modèle des machines. En effet, toutes les tentatives de construire des modèles-machines de la compréhension humaine découlent d’un oubli herméneutique fondamental : les « faits » sont eux-mêmes le résultat de la façon dont les humains interprètent, avec créativité, le monde vécu de l’existentiel indéterminé. 

 

  1. Dreyfus remarque avec raison : « Les ordinateurs ne peuvent traiter que des faits, mais l’homme – l’origine des faits – n’est pas un fait ou un ensemble de faits, mais plutôt un être qui se crée et qui crée le monde des faits par le fait qu’il vit dans le monde. »

 

La valeur de Cognitive Science, comme de n’importe quelle autre « science » au sens moderne du mot, réside dans son utilité technologique. Mais ici réside aussi son danger. Précisément parce que l’être humain est un être qui s’interprète – et s’interprète dans les termes des produits de sa propre imagination idéalisante et objectivante –, il y a une possibilité très grande qu’en essayant de se comprendre par le moyen d’une machine computationnelle, il se transforme en une machine et fabrique pour lui-même une société-machine structurée d’après les principes de la rationalité calculatrice et instrumentale. Merleau-Ponty écrivait dans sa toute dernière publication, L’OEil et l’Esprit :

 

« Jamais comme aujourd’hui la science n’a été sensible aux modes intellectuelles.

Quand un modèle a réussi dans un ordre de problèmes, elle l’essaie partout… La pensée « opératoire » devient une sorte d’artificialisme absolu, comme on voit dans l’idéologie cybernétique, où les créations humaines sont dérivées d’un processus naturel d’information, mais lui-même conçu sur le modèle des machines humaines. Si ce genre de pensée prend en charge l’homme et l’histoire, et si, feignant d’ignorer ce que nous en savons par contact et par position, elle entreprend de les construire à partir de quelques indices abstraits… puisque l’homme devient vraiment le manipulandum qu’il pense être, on entre dans un régime de culture où il n’y a plus ni vrai ni faux touchant l’homme et l’histoire, dans un sommeil ou un cauchemar dont rien ne saurait le réveiller.

 

En règle générale (une règle pour la direction de notre entendement), nous devrions prêter une oreille plus attentive à Nietzsche qui, avec une vision aussi claire que celle de Tirésias, a prédit le cauchemardesque, momiférique nihilisme que nous sommes en train de construire pour nous-mêmes actuellement : … un « monde de vérité » qui peut être maîtrisé complètement et pour toujours à l’aide de notre petite raison. Quoi ? Est-ce que nous voulons vraiment permettre à l’existence d’être réduite pour nous comme cela – réduite à un simple exercice pour un calculateur ou une diversion de salon pour les mathématiciens ? Avant tout, on ne devrait pas vouloir enlever à l’existence son ambiguïté très riche : cela, c’est une commande du bon goût, messieurs, le goût de respecter tout ce qui dépasse votre horizon.

 

Pour paraphraser Nietzsche, les « philosophes » n’ont pas seulement été, comme ils l’ont été depuis deux mille cinq cent ans, des momifères et des vampires, ils sont aussi, dans cet âge technocratique, des zombis. La critique que fait Merleau-Ponty du logocentrisme est une exhortation pressante à ne pas succomber à cette forme de somnambulisme philosophique. « Le philosophe », affirme Merleau-Ponty dans les toutes dernières lignes de sa leçon inaugurale au Collège de France en 1953 (sans doute en pensant aussi à l’avenir), « le vrai philosophe, est l’homme qui s’éveille et qui parle ».

 

  1. Mise à jour des problèmes des préceptes de la science et de la philosophie réflexive par rapport à la foi perceptive 

 

Dès lors, le problème de Merleau-Ponty porte sur le problème du monde. Non pas comme être en soi inconnaissable, mais comme foi, foi à laquelle dit-il, n’ont jamais échappé les philosophes critiques. Bien au contraire, foi qui les fonde ; foi au monde sensible qui est foi du corps, foi perceptive. Quelle est la nature de cet attachement au monde ? Qu’a-t-il à nous dire sur la pensée et ses rapports avec le corps ? C’est ce que Merleau-Ponty veut savoir :

 

« Ce qui nous intéresse, ce ne sont pas les raisons qu’on peut avoir de tenir pour « incertaine » l’existence du monde – comme si l’on savait déjà ce que c’est qu’exister, et comme si toute la question était d’appliquer à propos de ce concept. Ce qui nous importe, c’est précisément de savoir le sens d’être du monde ».

 

Ainsi, le monde est toujours pour nous pourvu de sens, et même de valeurs. Ainsi, de simples directions de l’espace, la gauche, la droite, le haut, le bas, sont investies de significations : on tombe bien bas, on s’élève dans la hiérarchie, on a sa vie devant soi, et un lourd passé derrière soi, on perd le nord, on est en dessous de tout, etc.

Mais c’est surtout le langage qui pourvoit le monde de sens. Notre langue impose à l’univers perçu le crible d’un découpage sémantique. Nous l’avions vu sur l’exemple des couleurs : les divisions arbitraires et conventionnelles du spectre lumineux vont déterminer notre perception.

Enfin, le simple fait de se promener dans un environnement urbain nous fait prendre conscience de cette prégnance du sens : signalétique routière, messages publicitaires, panneaux d’informations etc. La ville se laisse lire comme un livre.

 

En fait cette approche des relations de l’homme à l’espace du point de vue des sciences humaines demande à être dépassé. Car lorsque nous sommes en relation au monde, c’est notre être tout entier qui s’engage. « Etre au monde » est la dimension fondamentale de notre condition d’hommes.

 

Lorsque nous percevons des objets dans l’espace, nous ne les percevons pas de manière isolée du reste de notre expérience du monde. Nous anticipons toujours de ce que nous voyons vers ce que nous ne voyons pas encore. Cela n’est possible que parce que notre perception d’un objet particulier s’inscrit dans une foi plus générale, une croyance dans la continuité du monde. Cela signifie que je sais que l’objet nouveau qui va se présenter ne saurait être totalement différent des objets déjà vus, et qu’un même monde est le sol universel de ma croyance dans l’être (Husserl). C’est d’ailleurs ce qui rapproche perception et hallucination  (Merleau-Ponty). Dans un cas comme dans l’autre, nous adhérons à nos perceptions, ce qui n’est pas le cas dans l’imagination : là je sais bien que le monde fictif que je crée est une fiction de mon esprit. Quand je perçois une chose, mais aussi dans l’hallucination, il n’y a pas de distance entre moi et l’objet. J’y adhère sur le mode de la croyance, non de la connaissance. Cette foi perceptive peut être déclinée selon deux concepts :

 

  • L’horizon externe

 

Chaque objet est pourvu d’un horizon externe. Cet horizon c’est d’abord, bien entendu, celui sur lequel il se détache, le fond directement co-présent à ma perception. Même si je « focalise » mon attention sur l’objet, sa perception est accompagnée d’un contexte étendu à  mon champ perceptif. Le livre se détache sur la table, et au-delà de la table je perçois même confusément d’autres objets qui sont co-présents, ben que non perçus consciemment. Mais au-delà de ce champ perceptif, ce qui accompagne l’objet, c’est aussi l’ensemble de ce que je ne vois pas, mais dont je sais qu’il est là, co-présent à l’objet de ma perception : la salle où je me trouve, avec le mur qui est derrière moi que je ne puis percevoir, le lycée autour de mon bureau, la ville autour de ce lycée, et au-delà, tous les objets du monde qui sont des possibles perceptions. Ce qui unit toutes ces perceptions actuelles ou possibles c’est une communauté d’expérience : je sais que pour aussi étonnantes qu’elles seront, elles ne sauraient totalement me surprendre.

En fait, percevoir, c’est donc anticiper sur ce que je ne vois pas encore, comme le mélomane anticipe la résolution d’un accord à la fin d’une variation harmonique, comme j’anticipe sur les parties du paysage que je ne vois pas encore. Cette anticipation peut se tromper : elle ne se trompe jamais totalement. Même Alice arrive quelque part quand elle tombe dans ce trou « sans » fin. En fait je vais rétablir la continuité du monde, il n’est pas ainsi que je l’anticipais, mais autrement, et cette rupture ne ruine pas pour autant ma foi dans la continuité de l’être.

Remarquons qu’il faudrait des circonstances exceptionnelles pour que cette croyance soit ébranlée : que mes repères habituels de l’espace soient détruits, ou provisoirement absents, comme quand on est pris dans une tempête de neige ou qu’on se retrouve sous l’eau. Pendant un temps ni haut, ni bas, ni gauche, ni droite, mon corps devient l’unique repère sans qu’aucun autre possible ne vienne lui servir de référence. Notons aussi que le jeu de l’anticipation et de la rupture de l’anticipation sont à l’origine d’une partie du plaisir esthétique : regarder, ou écouter une œuvre d’art, c’est accepter de voir nos anticipations démenties par un accident, une cassure que le peintre ou le musicien a introduit dans son œuvre.

 

  • L’horizon interne

 

Tout objet a également un horizon interne : c’est sa capacité à être « expliqué » sans fin. Toute expérience d’un objet quelconque peut-être reprise, je puis sans fin renouveler son expérience, le dérouler de nouveau pour moi ; jamais je ne le saisirai dans son « ipséité » dans ce qu’il est en lui même.

Il est vrai que, la plupart du temps, nous interrompons cette explication de l’objet : ça suffit, j’en sais assez pour ce que j’ai à en faire. Le cours ordinaire de la vie nous entraîne, et notre regard sur les choses se limite généralement à une généralité typique, le plus souvent à son utilité : c’est une chaise, la seule chose qui m’intéresse c’est qu’elle soit stable, solide, et confortable. Au-delà de son usage je ne regarde plus l’objet, peut être même que je ne le vois plus.

Seul l’enfant qui vit intensément son expérience du monde peut rester pendant des heures à explorer cet horizon interne de l’objet : son regard plonge sans fin dans la chose, comme dans un paysage. La contemplation esthétique participe aussi d’une telle plongée dans l’horizon interne de l’objet : je sais que je puis sans cesse renouveler cette expérience de faire exister l’objet d’art pour moi, et que j’y découvrirai sans cesse des qualités que je n’avais jusqu’alors pas perçues.

 

Quel est le rapport entre la refonte du problème phénoménologique par Merleau-Ponty, et le visible et l’invisible ? A la dualité du sujet et de l’objet, Merleau-Ponty substitue celle du visible et de l’invisible. Le questionnement de la foi perceptive, la quête du monde est aussi une redécouverte du visible et de ses propriétés, de ses « vertus ». Précisons que Merleau-Ponty résume souvent la perception en vision. La vision est intéressante car elle est mise à distance et ubiquité. De fait, elle ne tient pas dans l’œil. Mes yeux regardent (un tableau), mes mains touchent (d’autres mains), mon corps perçoit : mon corps est une ouverture sur le monde. Mais une ouverture « fermée », formée, repliée sur elle-même qui porte une âme et un nom. La perception sera donc tour à tour et par le même biais – mon corps – ou bien voyage ou bien cloisonnement. C’est le paradoxe de la perception. Mon corps est proximité du monde, il est vision, mais il est aussi relativisation, il est parole. Ainsi, quand je vois quelque chose, persuadé de toucher au cœur de l’objet, j’oublie que ce visuel est en fait enveloppé d’un « halo » d’invisible, celui de ma pensée et de mon désir, et que, sans doute, ils sont inextricablement liés et entretiennent entre eux des rapports de condition.

 

Ces rapports, la science, la psychologie et la philosophie réflexive les nient, cette dernière identifiant notamment tout le monde perçu à un être-pensé, ratant du même coup le message de l’imaginaire (qu’elle prend pour un simple fantôme, un mauvais souvenir) et le sens exact de sa présence.

Merleau-Ponty veut comprendre quelle est la logique de la pensée et du monde, et veut trouver les fondements de cette logique dans le corps et dans la perception. Or la perception n’est pas affaire de sujet, d’objet, de phénomènes, d’être représenté et d’être en soi. Immédiatement, la perception est coexistence de visibilité – le monde perçu, et d’invisibilité -le pensé, l’imaginé, le dit. Mais pour l’instant, on ne sait pas de quelle façon le visible et l’invisible s’entrelacent « métaphysiquement » pour déterminer mon être-au-monde…

 

« Tout se passe comme si mon pouvoir d’accéder au monde et celui de me retrancher dans les fantasmes n’allaient pas l’un sans l’autre. Davantage : comme si l’accès au monde n’était que l’autre face d’un retrait … »

 

Il faut ajouter que la foi perceptive est l’habitat du langage et de la vérité et que toute vérité est vérité du monde. Il semblerait que Merleau-Ponty développe à partir du thème pré objectif du monde, une théorie du langage, voire définisse une tâche spécifique de la philosophie … 

 

Quand la réflexion veut penser la perception, elle s’observe percevant et dédouble le sujet. Il y a donc trois termes : le sujet, le sujet transcendantal et l’objet. Mais c’est alors, dit Merleau-Ponty, faire une erreur fatale : c’est croire que c’est toujours la même chose que je pense quand je perçois simplement ma table et quand je réfléchis le percevoir de la table. Le sujet transcendantal ne s’intègre pas à cette perception, ne fait que la survoler, vient alors simplement se surajouter à elle.

 

La surréflexion sera une réflexion de la perception, mais avant la distinction du phénomène et du monde en soi, dans une distinction plus « sauvage » et charnelle qui est celle du visible et de l’invisible. La surréflexion part de l’évidence du monde, pas même comme croyance ou idée, mais directement comme activité de penser, comme être. A la différence de la réflexion, elle ne brise pas « les liens organiques de la perception et de la chose perçue » (aucun sujet transcendantal n’est possible), elle « descend » au monde sans avoir peur de s’y perdre, pour le faire parler en nous.

Prenant un autre départ, elle se donne pour objectif d’étudier la logique du visible, l’expérience sensible de la perception, et de l’invisible, l’imaginaire ou le pensé. Pour cela, entre la quiétude de l’Etre en soi et les tourments du sujet, elle préfère se pencher sur le problème du monde comme foi, comme omniprésence dans la pensée. Elle sera réflexion de la réflexion : au lieu de réfléchir une activité de penser dégagée comme « propre », refoulant le monde, l’intériorisant, elle écoutera le monde et l’amènera à jaillir, à s’exprimer dans un cogito neuf.

 

  1. Critique du cogito tacite 

 

Depuis son introduction par Descartes, le Cogito a inauguré une philosophie du sujet. Et son libellé, contractant la formule «je pense, je suis, » lie la pensée à l’existence, assurant celle-là d’avoir la possibilité de la révéler. C’est contre cet intellectualisme que Merleau-Ponty s’inscrit en faux, reconnaissant plutôt le primat de la perception. Son œuvre témoigne de sa puissance révélatrice comme expérience originaire et fondatrice, en articulant les conséquences philosophiques de la Gestalt-théorie. Ses écrits font apparaître un Cogito transformé, donc différent, puisqu’il se présente comme une ouverture sur un champ perceptif, une subjectivité sans sujet, dépendante du langage: une parole parlée.

 

Descartes voit dans le Cogito la certitude absolue et auto fondatrice de la métaphysique dans la mesure où la formule « je suis en autant que je pense » lie l’existence à la pensée, comme saisie de soi. Néanmoins, Merleau-Ponty n’assume pas cette liaison de la pensée formelle et de l’existence puisque si elles existaient comme deux entités séparées, il ne voit pas comment l’une serait la révélation de l’autre. Il reconnaît plutôt, à la suite de Husserl, « qu’un esprit réel, par essence, ne peut être que lié à la matérialité, comme esprit réel d’un corps » dont il dépend. C’est ce qui l’amène à présenter de différentes façons le Cogito dans le chapitre qui lui est consacré dans la Phénoménologie, en le considérant d’abord comme un être culturel par l’invention de Descartes, et non comme une vérité éternelle. À ce titre, il se permet de mettre en doute le Cogito comme saisie de soi. En effet, dans la mesure où Descartes voit la conscience de soi comme l’être même de la pensée, précédant toute réflexion et toute expérience, le phénoménologue demande s’il est légitime de concevoir une distinction entre l’esprit et la réflexion, suivant une interrogation qui remonte à Brentano. Il faut se souvenir que pour Husserl son disciple, dont la pensée a nourri Merleau-Ponty, la conscience (de) est le lieu des relations du sujet à « son monde », le lieu où se médiatisent les expériences et les projets du sujet; que la conscience et la « conscience-de-cette-conscience» sont la même chose, car nous ne saurions faire remonter la régression à l’infini. Cependant, Husserl comme Descartes, restent enfermés dans l’idéalisme, puisque seul le « phénomène d’existence» s’offre à l’ego transcendantal comme vie spontanée, présente ou passée – après que la réduction eut récusé la croyance existentielle de l’expérience naturelle. En effet, cette attitude réflexive du philosophe le tient enfermé dans la sphère égologique, à l’écart du monde naturel, pour contempler « une vie pure avec l’ensemble de ses états vécus purs et ses objets intentionnels ». Dans cette forme d’idéalisme, un moi pur contemple ses objets, en les faisant exister pour soi par diverses visées : que ce soit la perception, le désir, le souvenir ou le jugement d’existence. Et la conscience est constituante, puisque « l’existence naturelle du monde, du monde dont je puis parler, présuppose, comme une existence en soi antérieure, celle de l’ego pur et des cogitationel ». Ainsi, pour le père de la phénoménologie, le domaine d’existence naturelle n’a qu’une autorité de second ordre, subordonnée qu’il est au domaine transcendantal donnant ainsi l’importance du premier ordre à l’expérience transcendantale du moi. Mais, on peut demander, qu’est-ce qui assure l’apodicticité de celui-ci ? Qu’est-ce qui permet d’affirmer que l’ego sum ou le sum cogitans doit être regardé comme apodictique et premier ? Et même si cela était, quelle serait la portée de cette évidence apodictique ? 

Nous nous souvenons qu’à la première question, Husserl répond que le Moi se saisit originellement comme « la présence vivante à lui-même », telle que l’exprime le sens grammatical de la proposition je pense » et qu’il se saisit sur un horizon indéterminé redevable à la perception. C’est donc par l’épochè que le moi humain naturel est réduit au moi transcendantal et phénoménologique. En adoptant cette position, l’ego cogitans n’est plus l’expérience psychologique, mais bien « l’expérience interne » transcendantale, phénoménologique.  Le « monde objectif qui existe pour moi, puise en moi-même le sens qu’il a pour moi ». Il en découle que si le moi réduit n’est plus partie du monde, le monde et les objets du monde ne sont pas des parties réelles de mon moi: ils ne sont pas dans ma vie psychique comme un complexus de données sensorielles. Tout au plus, le moi porte-t-il le monde à titre d’unité de sens, par une synthèse d’unification, de façon immanente. 

 

C’est sans doute cette lecture des Méditations cartésiennes qui ont amené certains auteurs à faire l’hypothèse que chez Descartes, le Je qui pense est à distance de son individualité d’existant, sinon, il ne pourrait la penser, la juger. C’est cette compréhension qui fait dire à Ricoeur que « le Je des philosophes est atopos » et que s’il est sans lieu dans le discours, il pourrait représenter n’importe quel locuteur qui répéterait ad nauseam une assertion proférée par un autre. Ce qui enlèverait la prétention pour le Je à être la « cause » du discours. C’est pourquoi, empruntant une figure tropique du langage nietzschéen, Ricoeur affirme : « nous tenons pour cause, sous le titre du Je, ce qui est l’effet de son propre effet » comme le prétend la déconstruction pour qui le-sujet-créateur-de-discours est une pure illusion.

 

D’après cette interprétation, 

 

  1. Je, la chose pensante, conduit les pensées suivant l’ordre des raisons ; soit des pensées dont les objets sont aussi des pensées ; 
  2. des choses pensées, voulues, espérées qui font que l’être de la pensée dans la pensée ne doit pas être confondu avec l’existence de la pensée en nous à titre de substrat. 

 

Dans le premier cas, il faut comprendre la formule pour penser il faut être comme une nécessité logique, comme dirait Husserl, adversaire du psychologisme. Dans le deuxième cas, il faut comprendre cette formulation comme une nécessité ontologique. En d’autres termes, il faut inverser la proposition cartésienne « je pense, je suis » et la calquer sur la formule husserlienne je suis, je peux – car, si la proposition « pour penser il faut être » est nécessaire, n’est-il pas essentiel qu’il y ait des êtres pensants ? Cette nécessité ontologique laisse entendre l’antériorité de l’existant sur sa modalité. Une question alors se pose : comment concilier la nécessité de la chose pensante avec la facticité du moi pensant ? Y aurait-il deux sortes d’êtres – soit le Moi et le Je – recouvrant une pensée existante enfaite (la facticité du moi contingent qui pense) et une pensée existante en droit (la nécessité de la res cogitans) – au point de dire : le Je qui existe parce qu’il pense (le Cogito) n’est pas celui qui pense parce qu’il est ? Si nous adoptions cette perspective, seul le premier membre de la proposition serait le Cogito, le cogito réflexif. Il faudrait reprocher à Descartes de l’avoir hypostasié pour en faire une substance, c’est-à-dire un sujet sans objet (ego sum). Mais faut-il absolument maintenir une telle division entre le droit et le fait ? Pourquoi refuser une corrélation existentielle au Cogito ? Parce que s’il « y a une séparation ontologique entre les substances, il y a une nécessaire corrélation entre tout mode et son sujet ». N’est-il pas vrai que du moment qu’il y a une pensée, il est impossible de l’avoir sans exister ? – qu’en vérité, bien que le Cogito se présente comme une intuition intellectuelle et une affirmation singulière, il ait une portée universelle ? 

Sans doute après de multiples disputes dont il est l’objet faudrait-il, le concernant,

 

convenir qu’aucune définition positive n’en peut être donnée, qu’il n’appartient pas à une sphère d’êtres passibles de définition, qu’on ne saurait sérieusement le faire servir à des opérations, à des manipulations déterminées et que, enfin, puisque nous ne sommes jamais mis devant le choix de l’accepter ou le rejeter, il n’est pas, à proprement parlé, un objet pour la connaissance auquel devrait être attribué tel coefficient de vérité ou d’erreur. Qu’est-il donc en lui-même, sinon activement énigmatique, poseur d’énigmes ?

 

Ce commentaire de Claude Lefort qui doit beaucoup à Merleau-Ponty, arrive après que celui-ci ait posé le problème du Cogito de la façon suivante. Ou bien mon existence n’est pas plus certaine qu’autre chose, elle est douteuse parce qu’elle n’est pas plus immédiate, c’est-à-dire qu’elle est saisie (saisie de soi) par une visée, dans le même événement que la chose (saisie de l’objet) : dès lors, l’expérience est considérée comme une somme d’événements et le Cogito comme « saisi de moi-même », un fait psychologique, un vécu. Ou bien ma conscience est en deçà des événements, c’est-à-dire qu’elle existe comme un champ ouvert à un système de pensées qui ne soit assujetti ni au temps ni à aucune limitation. Dans cette deuxième conception, il faudrait considérer qu’il existe un mode d’existence pour la conscience, hors du monde, qui ne doive rien à l’événement, mais qui laisserait en suspend son origine, comme le laisse supposer l’aperception de la pensée : une intuition intellectuelle. En tel cas, la conscience serait vue comme un acte spirituel qui saisit à distance tout ce qu’il vise : un « je pense » qui serait par lui-même un « je suis », suivant l’ordre des raisons. Nous comprenons que Merleau-Ponty rejette cette doctrine de la conscience absolue parce qu’elle conduirait à l’affirmation de l’intemporalité de l’esprit qui pourrait embrasser et anticiper les développements temporels dans une seule intention, comme le ferait un Dieu cosmique.

 

De fait, l’acceptation d’un Cogito éternitaire établirait une conscience constituante et absolue, enfermée dans le solipsisme. Dès lors les conséquences seraient les suivantes : je me découvrais comme un champ transcendantal constituant tout être qui me soit accessible :

 

  1. je serais Dieu ; 

 

  1. toutes les fois que je pense (moi le sujet), je prendrais un point d’appui sur moi-même, me plaçant au delà et en deçà de mes diverses représentations, je deviendrais l’Absolu (sans aucune dépendance) hors du monde encore : dans ce cas, la pluralité des consciences seraient inconciliable ; 

 

  1. si mon Cogito était unique et ne pouvait être reconnu par un tiers, je ne vois pas comment je pourrais reconnaître d’autres moi et les autres me reconnaître. 

 

Nous voyons que le problème central de ce Cogito éternitaire est son manque de caractère intrinsèque au monde. C’est la raison pour laquelle Merleau-Ponty veut en reprendre l’interprétation, de façon à comprendre l’appartenance du monde au sujet et du sujet à lui-même. Nous pouvons alors demander : quel serait le point d’appui d’une nouvelle interprétation ?

 

L’analyse accordée au Cogito dans La phénoménologie, révèle que la perception vient apporter son appui et agir comme aide pédagogique à la compréhension de la pensée. Comme la perception et le perçu ont la même modalité d’existence, il s’ensuit que je ne peux séparer « voir une chose » et « penser voir une chose » ; que je ne peux dissocier la certitude de mon existence percevante et celle du phénomène : la pensée de voir n’est certaine que si la vision l’est aussi. De cette manière, le doute radical ne peut tenir. Si je vois une maison, il faut qu’il y ait une maison. Il n’est plus question dès lors de prendre pour certain le Cogito tout en maintenant l’incertitude de la perception. 

Aussi, poursuivant l’analyse, Merleau-Ponty affirme : « Ce que je découvre par le Cogito, c’est ce mouvement profond de transcendance qui est mon être même, le contact simultané avec mon être et l’être du monde ». L’inhérence ontologique de mon être au monde est rendue par la formule « j’en suis » qui apporte une nuance importante au « je suis » cartésien en y ajoutant un sens nouveau : je ne suis plus un sujet séparé qui juge le monde à distance, mais mon corps est présent au monde. De sorte que le contact avec ce monde-ci s’établit dans une ontologie non-séparée (c’est-à-dire moniste), laissant ma vie se précipiter dans les choses transcendantes pour se nourrir d’expériences. Au point que ma conscience peut se fuir et s’ignorer dans les choses par le biais d’un projet que j’effectue, suivant un motif -, et que mon existence est ce que j’accomplis : ce dont je suis certain. Ainsi il en est du Cogito : intégré au mouvement de transcendance du je suis, il n’en constitue qu’un point émergent, et donc partiel de mon être total. Son premier sens est celui d’un lien de cohésion à la jointure de l’expérience et de la vérité: une ouverture au monde. 

 

En proclamant le Primat de la perception, Merleau-Ponty reconnaît en elle une expérience originaire, une fondation. Par elle nous nous donnons un monde. Et c’est par elle que le sens naîtra et non par l’empire des idées. Ce retour à l’expérience comme fondement, remet nécessairement en question la conception de la raison héritée du cartésianisme. Si la raison de Descartes équivaut à une pensée survolant l’étendue, la foi perceptive que nourrit l’expérience comprend toutes les formes d’objets. En plus des formes sensibles, elle embrasse les faits sociaux et l’histoire. De sorte que le perçu effectué par la liberté opérante, dévoile une « membrure comme un texte pourvu de sens » avant même que la liberté d’acte en déploie l’analyse réflexive, faisant de cette dernière une traduction du premier, – tout comme les trois faces perçues du cube effectif -, me donne à penser l’idée du cube, le géométral (suivant la thèse husserlienne) qui veut que la chose « en chair et en os » se donne par profils.

 

Cette ouverture au monde signifie que je suis déjà situé et donc, engagé, dans un monde physique et social : comme cette situation m’est donnée et constitue mon expérience, elle me révèle à moi-même et le Cogito implique, non pas une diplopie, mais une bifurcation : la présence à soi et la transcendance vers le monde et autrui. Ces deux aspects sont originaires et inséparables, comme s’il y avait deux mouvements du Cogito : un mouvement d’intériorité (je suis présent à moi, je me recueille) et un mouvement d’extériorité (je me jette hors de moi, je me déprésente). Il faut dire cependant que s’il y a une double articulation, deux mouvements : la présence à soi et la présence au monde sont deux moments d’un même phénomène qui est la perception, où s’entrecroisent ces deux moments de l’être au monde qui ne sont pas identiques. Et cette distance, cette différence entre ces moments, c’est la liberté opérante qui l’agit de manière que le monde ne soit pas donné avant d’être reçu -, bien qu’il soit déjà là avant tout acte de constitution. La liberté opérante permet donc de « laisser être la donation du monde ». Cette intentionnalité opérante « prend donc une réalité sensible quelconque comme l’indication ou l’expression de quelque chose d’autre qu’elle-même ».

 

Mais à elle-même s’ajoute une autre liberté, la liberté d’acte qui relève de la réflexion et intervient dans la constitution de l’objet (à l’instar du morceau de cire), après la première intervention de la liberté opérante dans la donation. C’est la liberté d’acte qui constitue la réduction et permet les « variations imaginaires ». Ainsi, dans le cas du morceau de cire, elle donne à voir ses transformations sous l’effet de la chaleur. Il faut donc comprendre cette liberté comme faculté du recul, correspondant à « l’inspection de l’esprit » cartésien ; une distance donc – un rien – qui permet le passage du champ phénoménal de la perception au champ transcendantal des « variations imaginaires ». 

 

Dans Phénoménologie de la perception, le chapitre sur le Cogito montre que celui-ci est transcendance. S’il est dans le monde, ce « dans le monde» ne doit pas être compris comme une visée spatialisante, puisqu’il n’y a pas une intimité de la conscience. En effet, la seule façon pour le Cogito de s’accomplir dans le monde, c’est par l’expression : ce qui nous oblige à le voir comme une subjectivité dépendante du langage (le cogito parlé). En effet, si l’expression est vue comme un acte de reprise, de l’expérience, le Cogito devient un effet d’expression. Car l’opération d’expression, du regard regardant au sensible, a le pouvoir de créer du vrai, de l’acquis, comme la cire ramollit et change de formes sous l’effet de la chaleur. Cette opération ne peut s’accomplir sans une structure temporelle; il suffit de lire la description qu’en fait Descartes au cours de la 2ème Méditation pour s’en rendre compte : le temps au cours duquel l’expression se déroule et fait émerger l’évidence. La reprise de cet exemple montre que la conscience s’élargie de la dimension temporelle chez Merleau-Ponty. Comprenant davantage que la simple conscience intellectuelle, puisqu’elle est inhérente à l’expérience, elle est historique et dévoile le sens par l’expression que cette expérience découvre. Elle n’est donc pas constituante, c’est l’expérience qui l’est. C’est ici que se sépare Merleau-Ponty et Husserl : le premier ne reconnaît pas le pouvoir constituant de la conscience, alors que pour le deuxième, le monde existe pour elle. Si Husserl demeure un penseur de l’objectif, Merleau-Ponty privilégie la thèse de l’expérience pour laquelle il y a identité du monde de l’expérience avec le monde réel lui-même, parce que « nous sommes le projet du monde ».

 

Cette subjectivité dépendante du langage, repose sur un cogito tacite, une conscience silencieuse, laissant au cogito parlé de référer à un Cogito qui à travers l’expérience retrouve son propre univers de significations. Ce qui implique qu’il n’y ait pas d’identité entre les deux Cogito : seulement le glissement d’un pur sentiment de soi du cogito tacite au cogito parlé, d’une puissance parlante à l’expression. Ce qui curieusement, nous fait retrouver deux catégories aristotéliciennes permettant d’expliquer un passage de la puissance (cogito tacite) à l’acte (cogito parlé), et qui atteste qu’une certaine métaphysique n’est pas absente de la pensée merleau-pontyenne. Encore qu’il soit possible d’y trouver le Fundierung husserlien où le cogito tacite, silencieux, apparaît comme fondant en regard du cogito parlé, fondé. 

 

En voulant rester fidèle à une réflexion philosophique saisie comme réflexion sur un irréfléchi, Merleau-Ponty soulève un problème : comment la réflexion peut-elle entrer en rapport avec ce qui la précède et par conséquent la nie, c’est-à-dire sans que la réflexion soit résorbée dans l’insouciance de la vie perceptive ? Pour y répondre, il précise que nous devons comprendre les rapports de la conscience et de la nature en échappant à la fois aux explications naturalistes et à la solution criticiste. Pour y aider, le philosophe recourt à l’explication suivante : nous ne nous « possédons» pas à chaque moment dans toute notre réalité, nous ne coïncidons pas avec nous-mêmes ; preuve en est que nous pouvons avoir des sentiments inauthentiques, comme la « mauvaise foi ». Cela se produit dans la mesure où nous ne nous engageons pas totalement dans une expérience, comme lorsque nous vivons des sentiments de circonstance. En tel cas, nous simulons nos sentiments – comme l’acteur qui joue un rôle – alors que notre être total « exigerait» que nous assumions ce que nous faisons. Cet exemple vise à appuyer le rejet d’une conscience transparente pour elle-même et le Cogito tel que Descartes le conçoit. Dès lors, si je veux effectuer le Cogito, je dois accomplir ma propre existence, par exemple aimer, et assumer la certitude que ma pensée d’aimer vienne de mes actes d’amour. Que la conscience d’aimer vienne de l’acte d’aimer, rendant inadéquate toute perception intérieure, et tout « analyseur interne » qui pourraient en rendre compte, parce que je ne suis pas un objet à percevoir. Je fais ma réalité et je ne me rejoins que dans l’acte. Si j’aime, c’est que j’agis en amant, et le fait d’en prendre conscience, confirme ma pensée d’aimer.

 

Cet exemple permet de comprendre l’irréfléchi en sortant d’une philosophie réflexive de second degré qui ne peut donner de statut au moi empirique, pour entrer dans une pensée du premier degré, une pensée de l’expression. Cette compréhension est d’une importance capitale parce que c’est le moi empirique qui perçois. C’est lui qui entre en contact avec une structure « figure-fond », ces éléments différentiels de l’expérience perceptive qui appelle à l’expression. De cette façon, la philosophie peut abandonner la pensée réflexive tout en restant dans l’idéalisme : à la condition de quitter une subjectivité autonome, pour se trouver dans le commencement perpétuel de la réflexion, c’est-à-dire dans la perception commençante qui s’ouvre à l’expression.

 

  1. Le visible et l’invisible : avènement Merleau-Pontienne de l’interrogation philosophique

 

Vers la fin de sa vie, Merleau-Ponty développe une nouvelle ontologie (relevant de l’être). La troisième dimension entre l’intérieur et l’extérieur de l’individu, l’inter-monde, le domaine médian doit être cherché dans l’Etre même. Il développe le concept de « Chair du monde ». Il voulait par là, désigner l’horizon d’appartenance commun à tous les étants. L’Homme ne se tient pas face au monde, mais une partie de tout de celui-ci. Les structures, les formes, les sens de l’homme se fondent dans la chair de l’être. Ce dernier est invisible et ne laisse pas même apparaître sa plénitude. Le préjugé qui fait de l’amour, de la haine ou de la colère des « réalités intérieures » accessibles à un seul témoin, celui qui les éprouve. Colère, honte, haine, amour ne sont pas des faits psychiques cachés au plus profond de la conscience d’autrui. Ce sont des types de comportement ou des styles de conduite visibles du dehors. Ils sont sur ce visage ou dans ces gestes et non pas cachés derrière eux. Il ne faut pas dire que seuls les signes de la colère ou de l’amour sont donnés au spectateur étranger et qu’autrui est saisi indirectement et par une interprétation de ces signes, il faut dire qu’autrui m’est donné avec évidence comme comportement. La nature était au premier jour comme elle est aujourd’hui. Cela ne signifie pas mythe de l’indivision originaire et coïncidence comme retour. Il s’agit de trouver dans le présent, la chair du monde (et non dans le passé), un « toujours neuf » et « toujours le même » ; c’est en quelque sorte un temps du sommeil (qui est la durée naissante de Bergson, toujours neuve et toujours la même). Le sensible, la Nature, transcendent la distinction passé/présent, réalisent un passage par le dedans de l’un dans l’autre Éternité existentielle. L’indestructible, le Principe barbare (le Visible et l’Invisible).

 

Merleau-Ponty aborde la notion de chair par le biais de ce qu’il appelle la « réhabilitation ontologique du sensible ». En commentant le manuscrit de Husserl, Merleau-Ponty expose qu’il y a une ressemblance issue d’une origine commune entre l’être de la terre et celui du corps (Leib), dont il ne peut dire exactement qu’il se meut puisqu’il est toujours à la même distance que lui. La parenté s’étend aux autres, qui lui apparaissent comme « autres corps », aux animaux, qu’il comprend comme variantes de sa corporéité, et finalement aux corps terrestres eux-mêmes puisqu’il les fait entrer dans la société des vivants en disant par exemple qu’une pierre « vole ». Ainsi, Merleau-Ponty en vient à affirmer la coappartenance du sentant et du sensible à la même chair ; laquelle entrelace son corps, le corps d’autrui et les choses du monde.

 

Or, si la notion de « chair » comme celle du « visible » ont été beaucoup étudiées, le projet initial et la nouvelle idée de la vérité qu’il s’agissait de dégager sont restés peu examinés. Ainsi, nous nous proposons de montrer comment les matériaux disponibles du grand œuvre foudroyé permettent d’en préciser les contours et d’éclairer son rapport à une origine non discursive. « Nous voyons les choses mêmes, le monde est cela que nous voyons ». Nous savons que le travail du philosophe consiste à donner raison aux « opinions muettes » du sens commun et à l’évidence tacite de la foi perceptive. Elle est l’idée vraie donnée : « Cette certitude injustifiée d’un monde qui nous soit commun en nous l’assise de la vérité ». Elle est le « lien ombilical qui nous relie à l’Etre ». Bien entendu, elle ne pourra être approchée dans sa vérité, elle ne sera formulée et explicitée qu’au prix d’une lente remontée sur place qui en aura creusé la complexité. Arrivé, mais le peut-on jamais, à son terme l’auteur pourra écrire : « ce n’est pas nous qui percevons, c’est la chose qui se perçoit là-bas – Ce n’est pas nous qui parlons, c’est la vérité qui se parle au fond de la parole ». Quel statut un tel propos peut-il avoir ?

 

Nullement celui du prophète ou de l’exalté. Il ne s’agit pas ici de se prévaloir d’une Vérité supérieure. La philosophie ne saurait être une Gnose. Merleau-Ponty, contre Heidegger et Bergson en particulier, met en garde contre la tentation de l’intuition ou de la sur-science. Ce n’est pas à la philosophie d’établir les faits et d’expliquer les phénomènes ou de tester la valeur des théories. Elle doit « assumer l’ensemble des acquisitions de la science qui sont le premier mot de la connaissance ». Premier mot car il faut refuser de réduire le monde aux constructions abstraites de la science comme si « tout ce qui fut ou est n’avait jamais été que pour entrer au laboratoire » mais préalable indispensable. Abordant une difficulté similaire dans l’entreprise de Husserl, Paul Ricœur propose de distinguer le primat épistémologique des sciences que suppose le travail du philosophe et l’antériorité ontologique du donné qu’il s’agit de retrouver. Pour autant cette distinction resterait assez verbale si, à la notion de vérité objective ou de proposition, de principe, il ne fallait substituer celles de présence « en chair et en os », d’expression, d’attache charnelle. Il ne s’agit pas de proclamer une vérité mais d’expliciter une dimension de la verticalité, c’est-à-dire, à l’opposé de l’horizontalité des sciences, « l’existence menacée par la pesanteur » 

 

Cependant, il faut le redire, le moment de la science. Il n’y a pas d’ontologie directe. Insistions sur ce point : les fragments de cours disponibles le confirment, jusqu’à la fin, malgré l’hermétisme apparent, Merleau-Ponty s’est tenu informé du dernier état des sciences et a construit sur ce préalable. C’est ainsi qu’à cette époque il revient à certaines réflexions essentielles de sa première œuvre et, par exemple, à l’aspect le plus intrigant de notre système nerveux qui consiste en ce que celui-ci ne se constitue et ne s’exerce qu’en circuit ouvert avec le monde extérieur. Le système nerveux se montre comme une réplique du monde extérieur (Gegenwelt). Mais comment penser cette réplique ? Ce n’est certainement pas une copie. Le cerveau en effet participe à son organisation, différente selon les informations à organiser. Ce n’est donc pas non plus à partir de circuits préformés ou typiques, puisque le corps humain est capable d’une finesse d’adaptation et d’une souplesse qui y contredit. Aucun modèle cybernétique, aucune machine à penser ne possède de capacité à inventer ses propres montages ni ne peut utiliser ses erreurs pour s’adapter souplement à une situation, tenir compte de l’ensemble des données (station debout, mouvement, situation), inventer des nouveaux modes de synthèse du donné. L’œil lorsqu’il accommode est capable de nous faire découvrir une chose nouvelle, jamais vue. Or, il avait déjà remarqué que « le processus physiologique qui correspond à la couleur ou à la position perçue est à chaque fois original. Il doit être improvisé, constitué activement au moyen même de la perception ». A présent, il insiste sur la nécessité d’une téléologie ou d’une prescience. Mieux encore, il reprend antiques théories participatives de la vision « Nous ne sommes pas ce caillou, mais quand nous le voyons, il éveille des résonances dans notre appareil perceptif, notre perception s’apparaît comme venant de lui ».

 

Cette proximité ou promiscuité entre le dehors et le dedans, la chose et sa perception, fonde sa vérité. L’œil, la main, l’appareil perceptif, interroge et progresse et on ne sait jamais, de l’extérieur et de l’intérieur, commande, qui obéit, qui interroge qui répond. Des arrangements de matériaux dessinent un certain sens, sans que ce sens soit tout à fait lui-même sans l’homme qui l’achève.

Déjà, en 1945, l’auteur comparait l’éclairage et la lumière à un maître de maison « qui fouille les plans, dessine les ombres et pénètre le spectacle de part en part, réalise avant nous une sorte de vision ». A présent il dit « il faut prendre à la lettre ce que nous enseigne la vision : par elle nous touchons le soleil, les étoiles ». Ceci ne serait qu’une curiosité poétique, un moment mystique si le rapport découvert à l’intérieur du système physiologique ne se retrouvait à l’intérieur du corps puis de la subjectivité. On sait que c’est la réflexion en bougé des deux mains, main gauche, main droite, main touchant, main touchée, main pesante, main agile, part de matière et part d’esprit, toutes deux réversibles mais jamais simultanément qui permet à l’auteur d’établir ce pont. « Il n’y a pas de nom en philosophie traditionnelle pour désigner cela ».

 

Et pourtant cette merveille permet d’éclairer le statut de ce discours. Comment « se penser dans le monde et penser le monde en soi » ? Comment saisir « point aveugle de la conscience » ? Peut-on saisir son ombre ? Peut-on faire surgir la naissance de la vérité en prétendant dire le vrai, du discours par le discours à ce qui le précède ? Non, c’est radicalement impossible et c’est cet absolument impossible qui est justement le thème de la méditation.

« Ce qu’elle ne voit pas ne voit pas, c’est pour des raisons de principe qu’elle ne le voit pas, c’est parce qu’elle est conscience qu’elle ne le voit pas. Ce qu’elle ne voit pas, c’est ce qui en elle prépare la vision du reste (comme la rétine est aveugle au point d’où se répandent en elle les fibres qui permettront la vision). Ce qu’elle ne voit pas, c’est ce qui fait qu’elle voit, c’est son attache à l’Etre, c’est sa corporéité et ses membrures par lesquelles le monde devient visible, c’est la chair d’où naît l’objet ».

 

Telle est l’ambition transcendantale du projet : « penser l’esprit et sa dépendance, – les idées et leur mouvement, l’entendement et la sensibilité ». Pour approcher cet objectif, Merleau-Ponty commence par forger les termes de surréflexion ou une hyper-dialectique pour choisir enfin, plus sobrement, celui d’interrogation. C’est l’interrogation, mouvement perpétuel et ouverture blessure, c’est l’interrogation comme enjambement et rapport des contraires qui va définir à la fois la vision et le travail philosophique. Les questions ne deviennent philosophiques que si, par une sorte de diplopie, elles visent, en même temps qu’un état de choses, elles-mêmes comme questions. C’est le propre de l’interrogation philosophique de se retourner sur elle-même, de se demander ce que c’est que questionner et ce que c’est que répondre. Pratiquant l’interrogation comme « son organe ontologique », la philosophie n’a plus la prétention à la maîtrise du sens, elle nous éveille à ce que l’existence du monde et la nôtre ont de problématique en soi.

 

Le thème de la diplopie et l’oubli de la dualité du transcendantal et de l’empirique ou du chevauchement de l’a priori et de l’a posteriori est déjà récurrent dans sa Phénoménologie de la perception. Mais c’est sur un mode mineur. L’auteur dit déjà : « Le Je transcendantal ne rencontre jamais la question : Qui médite ? ». L’idée de pensée interrogative radicalise cette critique. Les questions sont intérieures à notre vie, elles y naissent, elles y meurent, si elles ont trouvé réponse, le plus souvent, elles s’y transforment. Ou bien encore, se référant à Wallon et au texte de Lacan sur la famille : « qu’un enfant perçoive avant de penser, qu’il commence à mettre ses rêves dans les choses, ses pensées dans les autres, formant avec eux comme un bloc de vie commune où les perspectives ne se distinguent pas encore, ces faits de genèse ne peuvent être ignorés par la philosophie. Notre expérience du vrai est indistincte des tensions qui naissent entre les autres et nous et de leur résolution. Comme la chose, comme autrui, le vrai luit à travers une expérience émotionnelle et presque charnelle, où les « idées » – celles d’autrui et les nôtres – sont plutôt des traits de sa physionomie et de la nôtre et sont moins comprises qu’accueillies ou repoussées dans l’amour ou la haine ».

 

C’est toujours un passé d’expériences qui porte notre réflexion. Ce sont toujours des personnes, des lectures, des horizons historiques qui soutiennent toute pensée. Il ne peut y avoir de pensée de survol. De sorte que ce mouvement perpétuel dans lequel la prise est prise, ce rapport paradoxal où sortir de soi, c’est rentrer en soi et rentrer en soi, sortir de soi devient une loi fondamentale – celle de l’ouverture au monde. Prenons la foi perceptive ; son ambiguïté mais aussi son indéracinable assurance viennent de ce que les termes qui la constituent, dehors et dedans, cerveau et représentation, soi et les autres entre autres, sont opposés et inséparables. La vie de la perception est ce mouvement par lequel chaque terme n’est lui-même qu’en se portant vers le terme opposé, cesse d’être lui-même pour devenir lui-même, se brise, s’ouvre, se nie pour se réaliser. Un tel mouvement de médiation est l’âme de la dialectique par exemple dans le Sophiste de Platon. Merleau-Ponty introduit la tension de ses cinq genres : l’être, le même et l’autre, le repos et le mouvement, en toute identité.

 

Mais le grand penseur de la dialectique est aussi évidemment Hegel et sa pensée de la contradiction. Notre phénoménologue la retrouve, elle aussi, à tous les niveaux de notre rapport au monde tant il est vrai que, dit-il, la philosophie est l’épreuve simultanée du prenant et du pris dans tous les ordres. Au demeurant, s’il veut conserver l’esprit de la dialectique, il en refuse la lettre. Où suis-je ? ou Quelle heure est-il ? Ces questions sont toujours à reprendre ; elles jalonnent sans cesse, sans que nous y pensions, une expérience et une vie toujours en train de se faire et donc un contexte toujours à interroger. Nul système ne peut nous dispenser de ce relevé perpétuel. Aucune synthèse, aucun concept, nul signalement des choses n’en peut épuiser le sens. Une femme qui passe n’est pas d’abord pour moi un contour corporel, c’est une certaine manière d’être chair, donnée toute entière dans la démarche ou même dans le seul choc du talon sur le sol, une variation très remarquable de la norme du marcher, du regarder, du toucher, du parler. Non seulement, la recherche de l’essence est sans cesse à reprendre, mais elle n’est pas séparable des expériences où les choses individuelles se proposent à nous et la font varier. Chaque homme rencontré est « archétype et variante de l’humanité ». C’est pourquoi, si l’auteur prend ses distances avec l’intuition des essences de Husserl, il refuse aussi de parler de contradiction et même de dialectique pour leur préférer la figure du chiasme ou ces métaphores issues du sensible que sont entrelacs, enlacement, enroulement, promiscuité

 

C’est pourquoi il place la chair terme aux harmoniques théologiques, sensorielles et tactiles, voire érotiques et chirurgicales en position de pivot ultime « notion dernière ». C’est plus qu’une simple métaphore, même très évocatrice « Nous n’entendons pas faire de l’anthropologie, dit-il, décrire un monde recouvert de toutes nos projections, réserve faite de ce qu’il peut être sous le masque humain. Nous voulons dire, au contraire que l’être charnel, comme être des profondeurs, à plusieurs feuillets et à plusieurs faces, être de latence et présentation d’une certaine absence est un prototype de l’Etre dont notre corps est une variante très remarquable ».

 

Avec la pensée interrogative et, fort de son attache charnelle à la perception, Merleau-Ponty parvient enfin à assumer une ambiguïté qui n’est plus l’alternative ou la mauvaise ambivalence purement négative du ni, ni. L’interrogation « accomplit ce qui paraissait impossible, à considérer les éléments séparés ». Elle est par elle-même le revers d’un mouvement de différenciation et de renversement. Elle indique le primat du vide sur le plein ou du néant sur l’être ou du mouvement sur le repos mais d’un néant spécifié ou d’un vide opérant ou un progrès. L’instabilité, l’inquiétude, le mouvement sont affirmés comme le cœur de l’Etre ; tout comme la liberté est inséparable du vertige et de l’angoisse, la marche ou la création, une chute ou un risque perpétuellement à dépasser. Ce déséquilibre avait déjà été repéré grâce à la notion d’attitude catégoriale empruntée à Goldstein comme le point de surgissement de l’esprit. Pointer son index pour désigner, se reconnaître dans un miroir sont des capacités qui distinguent l’espèce humaine de toutes les autres. Elles signalent une aptitude à symboliser et à passer de l’actuel au virtuel. C’est elle qui manque au malade Schn. dont l’expérience « ne cesse d’avoir cette sorte d’évidence et de suffisance du réel qui étouffe toute interrogation, toute référence au possible, tout étonnement, toute improvisation » et il ajoutait qu’à l’inverse « l’intention de parler ne peut se trouver que dans une expérience ouverte, elle apparaît comme l’ébullition dans un liquide, lorsque, dans l’épaisseur de l’être des zones de vide se constituent et se déplacent vers le dehors ». Ce vide opérant s’origine à présent dans la structure même de la chair, « blessure inguérissable » comme déhiscence de l’Etre. Comme la fève n’apparaît que lorsque les deux bords du fruit qui l’enserraient se fendent et s’ouvrent, se déhiscent, tout aussi bien notre chair est « cette identité sans superposition, cette différence sans contradiction, cet écart du dedans et du dehors » qui constituent son secret natal. Mais ce vide habite aussi la langue et la subjectivité Parler-Entendre.

Le statut de cette reprise/appropriation de la pensée dialectique explique l’abondance et la profusion de l’utilisation d’expressions en chiasme, dehors du dedans/dedans du dehors, esprit du corps/corps de l’esprit etc. Elles cherchent toutes à ressaisir ce mouvement premier de différenciation et de torsion sur soi et hors de soi Un corps vivant.

 

L’un de ces chiasmes peut nous permettre de progresser encore dans la compréhension de la notion d’origine de la vérité. Nous n’avons pas idée d’un esprit qui ne serait pas doublé d’un corps, qui ne s’établirait pas sur ce sol, cet autre côté est vraiment l’autre côté du corps, déborde en lui, empiète sur lui, est caché en lui et en même temps, a besoin de lui, se termine en lui, s’ancre en lui. Il y a un corps de l’esprit et un esprit du corps et un chiasme entre eux. L’esprit du corps, c’est le schéma corporel, ce sont les relations croisées de la vision et du visible, du toucher et du tangible, de et du « Je peux », ce sont les rapports à double sens de l’œil et de l’esprit, de la main et de l’esprit. Elles interdisent de subordonner la vision à une série de jugements ou de la réduire à un fonctionnement horizontal, même très complexe, de faisceaux nerveux peut naître l’activité psychique ; elles interdisent aussi de concevoir notre motricité et notre mouvement dans l’extériorité de la pure matière ou d’un pur fiat mental de l’esprit. Notre corps « n’est pas dehors, s’il n’est pas dedans », nous l’habitons. L’idée d’un corps de l’esprit transpose ce même habiter à notre rapport aux artifices de la culture : langue, littérature, mythes, mœurs, croyances, institutions. Parler en effet tout comme être en société sont des opérations où il est impossible aussi de ne pas entrer et qu’il faut assumer- en première personne mais dont il est aussi impossible de sortir par réflexion comme le veut l’idéalisme qui croit pouvoir les suspendre à une pure conscience de soi, à un Sens de l’histoire ou à une Idée de la société. Elles sont donc assimilables à la vision et nous obligent à remonter à cette zone charnière, en deçà de la conscience de soi où celle-ci s’appuie sur l’architectonique d’un corps, sur un systèmes de signes, sur des règles de parenté, en fonction, fungierende, disait Husserl, c’est-à-dire, opérants.

 

Le vide opérant est non seulement une reprise du mouvement dialectique mais aussi de l’intentionnalité passive husserlienne. Outre le double mouvement de l’interrogation ou le double foyer de l’ellipse, qui relie sans repos l’esprit du corps au corps de l’esprit et retour, l’idée spécifique d’un corps de l’esprit permet d’indiquer dans l’esprit une passivité, un décentrement, une historicité qui sont les composantes fondamentales de cette théorie de la vérité que nous voulons restituer. Elle en proclame la teneur indépassable de contingence et d’incarnation historique.

 

« La question est de savoir si, comme le dit Sartre, il n’y a que des hommes ou des choses, ou bien aussi cet intermonde que nous appelons histoire, symbolisme, vérité à faire. Si on admet une médiation des rapports personnels par le monde des symboles humains, il est vrai que l’on renonce à être justifié sans délai devant tous, à se tenir responsable de tout ce qui se fait à chaque instant, mais la conscience en peut en tous cas pas maintenir dans la pratique sa prétention à être Dieu ». Prise dans la querelle avec Sartre sur les rapports entre la littérature et la politique, cette réflexion la dépasse largement. Elle signifie l’impossibilité du Savoir Absolu. La conscience du philosophe, de l’écrivain et ou du politique ne peut se donner pour l’universel. Tout comme elle doit accepter la séparation des ordres du politique et la recherche philosophique spéculative, tout comme elle n’a accès à l’Etre que par sa chair, la conscience personnelle doit, pour prétendre accéder à la vérité ou à la justice, accepter la médiation d’une langue et d’une situation historique déterminées par un certain passé et orientées vers un avenir encore ouvert qu’elle peut contribuer à transformer. « Tout rapport à l’être est simultanément prendre et être pris, la prise est prise, elle est inscrite et inscrite au même être qu’elle prend ». Aucun sujet n’est Dieu, aucun être n’est un, immobile, sans dehors, mais, partie prenante et partie prise il vit de et dans l’intermonde. Il ne peut s’abstraire de la communauté humaine et de sa pluralité de rapports et d’activités, il est pris dans son épaisseur temporelle et historique, bref dans le et le Quelle heure est-il ?

 

Cependant, à l’opposé, il faut bien qu’il y ait un accès même indirect à l’universel et à la vérité, il faut bien que malgré la pluralité des civilisations et les complexes détours de l’action politique, il y ait une histoire et une communauté humaine, bref une capacité de commencer et de se relier à tous les autres. C’est ce que s’efforce de penser la notion d’institution. Si aucune conscience ne peut constituer quoi que ce soit, elle peut initier ou plutôt continuer un mouvement continué avant elle. Par exemple la nature et le naturel, notre caractère et nos dispositions, ce qui nous est le plus proche et toujours le plus obscur ; immémorial, toujours déjà là et toujours neuf. Comme le disait Lucien Herr, dans son commentaire de Hegel, d’une expression que Merleau-Ponty aime à citer, la nature est « au premier jour ». Elle « n’est pas seulement l’objet, le partenaire de la conscience dans le tête-à-tête de la connaissance. C’est un objet d’où nous avons surgi, où nos préliminaires ont été peu à peu posés jusqu’à se nouer en une existence et qui continue de la soutenir et de lui fournir ses matériaux ». Par exemple la vision, toute vision, renvoie à notre naissance. Elle suppose un passé d’expériences, une mémoire, un imaginaire mais aussi une agilité psychomotrice déjà possédée, mais elle commence toujours et recommence un travail d’exploration sans cesse inchoatif. « Il y a une minute du monde qui passe » et une relation étrange d’elle à nous. Il y a donc en elle une vision en acte, un sens perceptif en genèse ou une genèse de sens. Nous la faisons et elle nous fait. Elle garde à chaque fois quelque chose d’originaire. Elle rappelle un commencement.

 

Par exemple aussi l’instauration de la géométrie ou de la perspective, le conflit œdipien, une histoire d’amour que l’acquisition d’une langue, ce sont, et telle est la définition que l’auteur donne de l‘institution, « ces événements d’une expérience qui la dotent de dimensions durables, par rapport auxquelles toute une série d’autres expériences auront sens, formeront une suite pensable ou une histoire – ou encore les événements qui déposent en moi un sens non pas à titre de survivance et de résidu, mais comme appel à une suite, exigence d’un avenir ». Ces événements qui ouvrent notre histoire et sans doute toute histoire sont structuraux, ils l’organisent et lui permettent de se développer grâce au vide opérant qui les habite, au déséquilibre et à la vie qu’ils instaurent. Ce qui caractérise l’Oedipe, c’est « une contradiction fondamentale » qui appelle des modes de médiation pour l’arbitrer sans le pouvoir jamais. De même, les éléments d’Euclide instaurent une tension irréductible entre démonstration et évidence qui reste au cœur de toute recherche mathématique. Enfin, le rapport à l’origine inclut lui-même un dépassement qui est une forme de fidélité, une transcendance féconde qui la rend toujours proche et lointaine.

 

« La tradition est oubli des origines, disait le dernier Husserl. Justement, si nous lui devons beaucoup, nous sommes hors d’état de voir au juste ce qui est à lui ». Nous pouvons appliquer ce constat à toute origine d’une tradition un peu féconde. Si elle est vivante, il est impossible de revenir à ce qu’était, à l’origine, ce qui lui a donné naissance. Par le mouvement rétrograde du vrai, s’y inscrit ce qui en est issu. Nous ne pourrons plus jamais lire Platon ou Euclide tels qu’ils se sont peut-être lus, nous ne pourrons jamais revivre en lui-même tel épisode charnière de notre enfance, mais cette distance est constitutive. C’est un vide originaire. Nous vivons du mouvement qu’il entretient et, par une continuelle reprise, nous nous ouvrons un présent et un avenir. Entre l’origine et la tradition qui en est issue, il y a un cercle premier et fécond. Euclide lance l’histoire de l’axiomatique, Parménide et Platon, celle de la métaphysique, et celles-ci reviennent à eux et les approfondissent ; notre naissance ouvre une aventure et notre vie tient ou non ses promesses, en tout cas se nourrit de ces puissances de vie ou de mort héritées de ce vert paradis.

 

Il est donc possible à présent de préciser le buisson de sens que suggère le terme d’origine et par là même l’origine de la vérité. C’est le chiasme et la charnière, la spatialité et l’historicité qui dévoilent son sens. Elle nous confronte de nouveau à cette zone située entre la réflexion et l’irréfléchi En effet l’origine de « l’origine de la vérité » n’est ni fondement, ni commencement.

 

Revenons, pour le montrer, au problème classique de la perception. Qu’il s’agisse d’une genèse a posteriori de la pensée, à partir d’un polypier d’images, ou d’une déduction de notre connaissance objective, à partir des catégories et autres formes a priori, c’est le défaut commun de ces philosophies d’oublier « leur propre rôle ». L’empiriste oublie son propre travail de réflexion, le rationaliste, son expérience irréfléchie du monde. Mais l’origine ne désigne pas davantage l’originel, l’essentiel ou encore un état premier non altéré qui subsisterait encore et qu’il s’agirait de restaurer. Elle n’est pas une coïncidence d’avant la parole, une intégrité perdue, une fusion tout aussi mythique. L’appel à l’originaire va dans plusieurs directions : l’originaire éclate, et la philosophie doit accompagner cet éclatement, cette non coïncidence, cette différenciation.

 

L’origine tout autre chose. Elle est fondation, naissance, émergence, séparation d’un avant et d’un après. Elle est le point de départ d’une vie, d’une aventure, d’une histoire dont elle dessine effectivement et d’un seul coup les dimensions durables qui subsisteront tant que ce qui en est issu restera vivant. L’origine est ce moment où l’arrangement contingent de cellules, de mots ou de circonstances fait surgir par rupture et décrochement un nouvel être, un sens inédit, un événement historique. Elle renvoie à la fois à ce qui l’a sourdement préparée et à ce qu’elle rend possible. L’histoire qu’elle permet est ce qu’en ferons ceux qui en héritent, elle peut rester lettre morte et déboucher sur une impasse, elle peut renfermer d’imprévisibles métamorphoses. L’origine est mémoire et exigence d’avenir. Ainsi, ce qui la caractérise, c’est plutôt, encore une fois, un certain déséquilibre, un vide opérant qui crée le mouvement. « Coïncidence toujours dépassée et toujours future », l’origine n’est ni un avant ni un après, mais le porte-à-faux qui crée la marche.

 

Telle est la vie opérante des fondations. Elle se retrouve partout où le double appel du passé vers le futur et du futur vers le passé est présent, dans tous les ordres où un événement peut être avènement : la biologie, l’histoire, la vie individuelle, les sciences. Penser ainsi l’origine, en évitant toute idée de principe, de cause, ou de modèle permet donc bien à Merleau-Ponty d’y préserver l’élément de contingence, d’hésitation, d’indécision qui ne cesse jamais. Une vie ne va pas sans essais, retours, métamorphoses. Elle utilise aussi bien les hasards que les répétitions. L’origine est à chaque fois avant mais non pas sans ce qui la suit, elle la préfigure et s’accomplit grâce à lui. C’est dire qu’il y a déjà une esquisse de réflexion dans la relation sauvage de notre chair au monde et que son silence est éloquent, expressif et n’attend que notre parole. Quels sont alors cet être et ce sens sauvage ?

 

Chapitre 2 : Comment doit se faire l’émergence du lien unissant l’être au monde ?

 

  1. Réponses du savoir objectif selon Merleau-Ponty

 

  1. La physique

La physique peut être considérée comme étant  la « science de la nature ». Autrefois, la physique désignait la connaissance de la nature ; c’est le sens de René Descartes et de ses élèves Jacques Rohault et Régis. Elle correspondait ainsi aux sciences naturelles ou encore à la philosophie naturelle. Aujourd’hui, sa signification est plus limitée : elle décrit de façon à la fois quantitative et conceptuelle les principales composantes du cosmos, les forces en présence et leurs effets. Elle développe des théories en utilisant les mathématiques pour décrire et prévoir comment se déroulent les systèmes. La signification ancienne de la physique regroupe l’actuelle physique,  les sciences naturelles actuelles et la chimie. La physique n’accepte comme résultat que ce qui est quantifiable et reproductible par expérience. Cette technique permet de confirmer ou d’infirmer les hypothèses fondées sur telle ou telle théorie . Selon Platon, la physique est l’une des trois parties de l’enseignement de la philosophie, au même titre que l’éthique et de la logique. Par contre selon Aristote, la philosophie se divise en philosophie pratique, théorétique et philosophie poétique; la physique est une des trois parties de la philosophie théorétique, au même titre que les mathématiques et  la théologie. Au XIIe siècle, la physique avait un double sens : médecine , et, en tant qu’adjectif, « ce qui se rapporte à la nature » . Dès le XVe siècle, le mot physique a désigné les « connaissances à propose des causes naturelles » et l’on désignait son étude par l’expression « philosophie naturelle » .Le mot physique prit son sens véritable au XVIIe siècle

Pris en tant qu’adjectif, le terme désigne les phénomènes physiques comme « ceux qui ont lieu entre les corps visibles, à des distances appréciables, et qui n’en changent pas les caractères » et certaines propriétés telle que « qualités naturelles des corps qui sont perceptibles aux sens, telles que l’état solide ou gazeux, la forme, la couleur, l’odeur, la saveur, la densité, etc. ». Les sciences physiques sont définies comme « celles qui étudient les caractères naturels des corps, les forces qui agissent sur eux et les phénomènes qui en résultent ». Pris en tant que substantif, la physique est la « science du mouvement et des actions réciproques des corps, en tant que ces actions ne sont pas de composition et de décomposition, ce qui est le propre de la chimie ».

Aujourd’hui, l’expression « sciences physiques » est utilisé pour qualifier l’ensemble formé par la physique  et la chimie ; cette expression prend tout son sens en France à la fin du XVIIIe siècle, en même temps que le mot « science » prend le sens d’« ensemble formé par les sciences mathématiques, physiques et naturelles ». Auparavant, l’expression « sciences physiques » était un simple synonyme de l’expression « sciences naturelles ».

En clair, les physiciens conceptualisent en observant le comportement et les processus interactionnels de la matière à travers l’espace et le temps .

Une théorie est un ensemble conceptualisé de façon mathématique, dans lequel des paramètres physiques qu’on pense autonomes(énergie  par exemple) sont exprimés sous forme de variables (q, E et t) et mesurés avec des unités appropriées (coulomb, joule et seconde). La théorie relie ces variables par une ou plusieurs équations (par exemple, E=mc2). Ces relations permettent de prédire de façon quantitative le résultat d’expériences.

Une expérience est un protocole  permettant de quantifier certains phénomènes dont la théorie offre une vision conceptuelle. Il est impensable d’isoler une expérience de la théorie qui y est combinée. Comme base de travail, le physicien a besoin de maitriser l’univers conceptuel d’une théorie. 

Les postulats  de la recherche en physique offrent une différence notable avec celle des autres sciences en ce qui concerne la frontière entre théorie et expérience. Depuis le XXe siècle, beaucoup de physiciens se sont spécialisés soit en physique théorique, soit en physique expérimentale. Cependant, presque tous les physiciens renommés en chimie ou en biologie sont également des expérimentateurs.

La simulation numérique est fondamentale dans la recherche en physique . Elle permet la résolution de problèmes mathématiques qui ne peuvent pas être résolus de façon analytique. 

L’histoire de la physique démontre qu’il est vain de penser que l’on finira par trouver un ensemble  d’équations qui ne pourront plus jamais être contredites par expérience. Chaque théorie validée à une époque finit par révéler ses faiblesses, et est intégrée dans une théorie plus globale. Le postulat de la gravitation est valide dans des conditions où les vitesses sont petites et que les masses mises en jeu sont faibles, mais lorsque les vitesses se rapprochent de celle de la lumière, elle se doit de faire place à la relativité générale.

La physique théorique a ses limites dans la mesure où son renouveau  vient de l’impossibilité d’atteindre une connaissance parfaite. De nombreux philosophes se sont insurgés contre la  croyance que la connaissance humaine des phénomènes peut se confondre avec une connaissance du réel, si tant est qu’il existe. La physique ne décrit pas le monde, ses conclusions ne portent pas sur le monde lui-même, mais sur le modèle qu’on déduit des quelques paramètres étudiés. Elle est une science exacte en ce que la base des hypothèses et des paramètres considérés conduisent de façon exacte aux conclusions tirées.La conception moderne de la physique n’a plus pour objectif  de déterminer les causes des lois physiques, mais seulement d’en déterminer le comment dans une approche positiviste.  

La physique possède un aspect esthétique. En effet, les théoriciens recherchent fondamentalement à  symétriser, harmoniser et unir les théories. Cela se fait par la réduction du nombre de constantes essentielles, par la réunion de cadres conceptuels autrefois différents La recherche des symétries dans la théorie, est un vecteur de beauté des équations et de motivation des physiciens et, depuis le XXe siècle, le moteur principal des développements en physique théorique.

Du point de vue expérimental, la simplification est un principe reposant sur la pragmatique. En effet la mise au point d’une expérience requiert de maîtriser un grand nombre de paramètres physiques afin de créer des conditions expérimentales précisément fixées. La plupart des situations se présentant spontanément dans la nature sont remplies de confusion.. Les concepts de la physique sont difficiles à acquérir par les physiciens eux-mêmes. Une certaine préparation du dispositif expérimental permet donc la manifestation d’un phénomène aussi épurée que possible. Cette exigence expérimentale donne malheureusement un aspect artificiel à la physique, en particulier lors de son enseignement à un jeune public. Paradoxalement rien ne semble aussi éloigné du cours de la nature qu’une expérience de physique, seule la simplification y est pourtant recherchée.

Au cours de l’histoire, des théories complexes et peu élégantes d’un point de vue mathématique peuvent être très efficaces et dominer des théories beaucoup plus simples. 

La physique a ainsi le mérite de rendre concret les postulats philosophiques sur l’existence et sur la phénoménologie proprement dite. En effet, la physique explique les phénomènes sur le plan de leur matérialisation et de leur réalisation. L’intérêt de Merleau-Ponty pour la physique s’observe dans le fait que celle-ci constitue l’un des moyens de faire émerger le lien unissant l’être humain au monde vivant. Ce faisant, la phénoménologie merleau-pontienne se garde bien d’associer de façon identique les phénomènes tels qu’appréhendés par la physique et ceux existant au sens de la philosophie des corps ; Merleau-Ponty considère les « phénomènes scientifiques » comme révélateurs de la diptyque « visible-invisible » qui caractérise l’homme ; en effet, c’est à travers des phénomènes tels que la vie, la mort, que l’auteur justifie sa thèse selon laquelle ces événements visibles existent uniquement parce qu’il existe des choses cachées qui relèvent de l’imperceptibilité ; les deux sont indissociables.

 

  1. La psychologie

 

 La psychologie est l’étude de l’âme ou psyché , du comportement humain et de tout ce qui relève de la psyché. En son sens grec, cette étude porte sur les fonctions végétatives , sensitives , intellectives.. Mais la psychologie n’est pas seulement une étude des fonctions de l’esprit, elle est aussi une approche normative de la subjectivité, une investigation d’une vérité au sein de l’individualité et de la personnalité d’un sujet. L’esprit n’est pas seulement un lieu de combinaison ou de liaison, il nous définit en tant qu’être pensant capable de se penser lui-même face au monde, et cela dans un rapport matériel ou grâce à l’abstraction.

L’objet d’étude de la psychologie est un débat toujours ouvert à ce jour. En effet, selon les auteurs, la psychologie s’est trouvée centrée sur des objets très différents, sans qu’il soit encore possible aujourd’hui de décider quelle est la théorie unitaire qui serait largement acceptée.

Ainsi les approches sur cette question extrêmement complexe se partagent-elles traditionnellement entre celles qui considèrent que l’objet de la psychologie est le comportement et sa genèse, les processus de la pensée, les émotions et le caractère ou encore la personnalité et les relations humaines, etc.

Les différentes branches de la psychologie se distinguent soit par la méthode clinique ou expérimentale, soit par le fait humain tel le travail, l’apprentissage,  la perception… soit au travers de domaines de recherche tels que la psychologie cognitive, la psychologie sociale…

Certaines disciplines de la psychologie sont souvent soumises à de redoutables problèmes épistémologiques, par exemple la psychopédagogie, la psychosociologie ou la psychopathologie, etc. En effet, il est difficile de dire par exemple ce qu’est ou n’est pas la pathologie en général et donc encore plus difficile de préciser la pathologie de l’esprit, de la personnalité… poser la question, c’est se rendre compte des écueils théoriques qui ne sont toujours pas dépassés.

Le fond du problème a trait au  rapport entre la psychologie et la philosophie : en effet, la psychologie était autrefois une partie de la philosophie, partie qui était souvent  tenue elle-même pour une partie de la physique au sens ancien, c’est à dire la conscience, l’action, la morale…. Certains courants en psychologie fondent explicitement leurs postulats sur des thèses philosophiques telles que le personnalisme, l’humanisme, le biologisme, etc.

C’est cette extrême diversité qui en fait la complexité historique, les résultats localement acquis se croisent et il faut de longues études pour en démêler la rationalité et l’intérêt. Il est ainsi très facile d’obtenir des théories inconsistantes ou de réaliser des synthèses incohérentes, qui ne manquent pas tout au long de l’histoire multimillénaire de la psychologie.

À côté de la psychologie, il existe pour chacun le sentiment « d’en savoir quelque chose » puisque nous savons tous ce qu’est un caractère, un sentiment, une pensée, une relation affective, etc. Alors, que peut dire de plus le psychologue sur ces questions ? 

Il est aussi possible d’opposer, dans le champ des sciences humaines, la psychologie à la sociologie, à l’anthropologie et aux sciences politiques, en ce qu’elle étudie d’abord des personnes.

Trois axes d’étude ont été développés par la doctrine en ce qui concerne la psychologie :

La première fut « l’axe des conduites » :  les conduites sont étudiées par les sciences neuropsychophysiologiques, en tant que conduites naturelles. Elles sont, de ce point de vue, analysables et mesurables aussi bien pour le comportement humain que pour celui des animaux. Et si l’on ne peut, à proprement parler, construire une psychologie animale, il existe une neuropsychophysiologie animale. Selon cet axe, se sont développées traditionnellement les études des réflexes, de la perception, de l’émotion, du caractère, etc. 

Au titre du second axe,  nous avons la « personnalité » : Le sens des actes ne peut être induit des conduites : il fait appel à un autre ordre d’explications, bien que tout acte mette en œuvre des conduites neuropsychophysiologiques et passe par le cerveau. Les actes sont à la fois produits et producteurs de la personnalité au cours de son individualisation au sein d’un processus historique, biographique. Les théories de la personnalité font partie du champ des sciences psychologiques.

Le dernier axe est lié au « sujet » lui-même ;  l’objet de cet axe est l’analyse de la formation et du développement du sujet, de la subjectivité comme structure, qui se construit dans le cadre proposé par la sexualité et la socialisation, la langue, notre place dans la société… Font partie également de l’objet d’étude la prise de conscience des déterminants sociaux et moraux de conduites, la prise de conscience du soi en tant qu’être double : matériel et spirituel, visible et invisible, existant et étant….

Ces trois axes sont plus ou moins présents au fil de l’histoire de la psychologie, depuis les précurseurs jusqu’aux recherches actuelles. Cette évolution, inégalement avancée selon les axes souvent considérés comme indépendants les uns des autres voire exclusifs, va nous servir de fil conducteur à travers l’extrême variété des travaux en psychologie.

Une première étape a été la séparation entre la philosophie et la psychologie. Cette séparation est encore incomplète sur certains aspects, en particulier pour le sujet où la confusion reste fréquente entre sujet, catégorie philosophique et sujet, concept scientifique en psychologie.

Il y a très longtemps déjà, les hommes se sont intéressés à la perception, aux sensations, aux émotions, aux sentiments et à la pensée. Ainsi, Aristote introduit dans son Traité de l’âme une tripartition de l’âme, avec une perspective gradualiste : végétative, sensitive et cognitive, qui reproduit la partition des êtres vivants en végétaux, animaux et homme. Il s’intéresse aux facultés de l’âme telles que le jugment, la mémoire, la perception mentale…et s’interroge sur ce qui dans l’âme connaît et pense : il le nomme « poiètikon », l’entendement poétique, qui doit être compris plutôt dans le sens moderne de « représentation mentale » que de poésie). 

Ainsi en s’interrogeant sur les rapports entre corps et perception, corps et pensée, pensée et sujet, Aristote ouvre un débat, repris au fil des siècles, pour savoir si « l’intellect agent » et « l’intellect matériel » sont uniques et éternels (divins) ou si l’âme et l’intellect sont séparés. Sa réponse est que l’âme est au corps comme la forme est à la matière, c’est à dire indissociable, inséparable et distincte. Lucrèce tranche en affirmant que l’âme en tant que « souffle vital ».

Les oppositions entre les conceptions monistes et dualistes sont anciennes et la grande difficulté pour définir les rapports entre le corps et la pensée vont occuper les psychologues des siècles suivants.

 

L’autre versant de la science antique est celui des observations et des expériences des médecins. Dès la plus haute Antiquité, les interrogations sur la santé mentale et les troubles mentaux sont attestées : le papyrus Ebers  contient une courte description clinique de la dépression, avec des recettes magiques ou religieuses pour la chasser.

Jusque là confinée à la description anatomique des principales structures du système nerveux, la neurologie du XIXe siècle fait d’importants progrès grâce à la mise au point de techniques nouvelles (électricité, microscopie, chimie) qui permettent d’explorer le système nerveux à l’échelle de l’infiniment petit mais aussi, pour la première fois d’un point de vue fonctionnelle, c’est-à-dire en s’intéressant à ses mécanismes physiologiques. A cette période, avec la découverte des neurones, se met en place la conception selon laquelle le psychisme repose sur un réseau extrêmement complexes de cellules nerveuses.

 La neurologie fournit de grands noms au progrès des neurosciences mais les incursions des neurologues dans ce qu’on définit aujourd’hui comme la neuropsychologie sont plus rares, même si elles tiennent moins à un progrès des techniques expérimentales qu’à un renouvellement théorique. Parmi les grands débats qui traversent la discipline, on retrouve la question de l’organisation fonctionnelle du cerveau : face aux holistes qui tiennent le cerveau pour un organe homogène sans compartimentation fonctionnelle, s’opposent les tenants du localisationnisme cérébral qui défendent l’idée que le cerveau s’organise en aires fonctionnelles assurant chacune une fonction plus particulière. Au rangs de ces derniers on compte ainsi :

Le début du XXe siècle est caractérisé par l’approche méthodologique, avec des grands noms tel que Freud. La psychanalyse sonne le départ d’une longue démarche réflexive sur l’être humain à partir d’un lexique renouvelé et d’une méthodologie foisonnante encore fertile un siècle plus tard. Néanmoins, il est important de préciser que Psychanalyse et Psychologie sont deux disciplines bien distinctes. La première se propose d’étudier de manière quasiment exclusive le fonctionnement et les rapports qu’entretient l’inconscient avec la vie psychique du sujet, tandis que la seconde ne se donne pas ce type de limite et étudie aussi bien la conscience que les processus inconscients ou pré-conscients d’acquisition, de traitement et de transmission des informations, ces dernières pouvant provenir soit de l’environnement avec lequel l’organisme interagit , soit de l’organisme lui-même. 

En somme, la psychologie, tout comme la physique, permet de révéler le monde tel qu’il est dans son « intériorité », tandis que la physique révéle le monde dans son extériorité ; en somme, la physique et la psychologie sont les deux faces de la philosophie phénoménologique.

 

  1. Le scientisme

 

Le mot scientisme a été employé pour la première fois par le biologiste Félix Le Dantec qui lança ce mot dans un article paru en 1911 dans la Grande Revue. Dans les pays anglo-saxons, et plus particulièrement aux États-Unis, on reste néanmoins encore très convaincu qu’il est possible de résoudre les problèmes liés au développement durable par la connaissance scientifique, et même qu’il est possible de remplacer le capital naturel par un capital de connaissances (à durabilité dite faible).

Chez Merleau-Ponty, le scientisme est un excès de confiance en la science rationnelle  et une manifestation moderne du positivisme originel; néanmoins, il considère le scientisme comme une méthode pragmatique pouvant toutefois se révéler bénéfique pour un cheminement de pensée tendant vers la compréhension rationnelle de l’humain ; cependant, selon Merleau-Ponty, la science qui se veut trop rationnelle, c’est à dire le scientisme, ne saurait être complète, dans le sens où le scientisme dans son exagération de rationnalité ne peut combler la façade invisible de l’homme.

 

  1. Les problèmes rencontrés par les hypothèses objectivistes 
  1. a) Interrogation et intuition 


C’est là, parallèlement à la critique de la philosophie des essences, qu’il va formuler sa conception de l’interrogation philosophique . Diplopie: ouverture au monde qui ne permet pas de se situer d’un bord sans être immédiatement renvoyé à un autre bord: Strabisme. Nous ne pouvons que nouer un double rapport avec le monde , indissociable d’une indétermination première.

Qu’est-ce que le monde perçu? Il faut se souvenir de ce que Merleau-Ponty a dit de la peinture qui ne fait qu’activer, mobiliser ce doute qui habite déjà le regard naturel: le monde perçu est un monde polymorphe, création indéfinie: « l’être est ce qui exige de nous création pour que nous en ayons expérience ». C’est par la création  que se délivre quelque chose de l’être qui nous en donne témoignage sans qu’il puisse jamais se convertir en objet. L’interrogation est rapport ultime à l’être: organe ontologique, exploration et révélation de l’être.  M-P ré élabore l’ouverture: la chair: il faut partir de l’ouverture qui n’est pas la conscience devant le monde mais qui nous donne immédiatement une relation, une habitation de l’être (nous en sommes signifie nous lui sommes ouverts parce que l’être n’est pas du positif).C’est un nouveau type d’être, horizon et latence avec l’idée que l’on est pris dans l’être. La notion d’ouverture ne suffit donc pas, il y a une inscription du voyant dans le visible avec une saisie dont il devient capable dans un retournement . Le sentant sensible (le corps propre) est pour ainsi dire homogène au sensible en général. Suggestion d’une genèse: le sentant sensible, du fait de son sentiment, s’extrait de la vision du sensible, se donne à lui-même et s’ouvre au sensible comme tel, cela en vertu d’un écart: il se donne à soi en s’écartant de soi-même, voyant il est visible en même temps, touchant il est tangible, parlant il est audible. Dualité interne, division du moi et du monde. L’homogénéité, la ressemblance et la division c’est la chair. D’une part le sensible exemplaire tire le tissu des choses tout à lui et du même mouvement il communique aux choses cet écart du dedans et du dehors qui constitue son écart naturel: il y a chair révélée dans l’avènement du sensible à soi-même mais cette genèse du corps est une ontogenèse dans la mesure où son mouvement d’émergence signifie bien que l’être en tant que tel est chair. La différenciation du corps n’est sa propriété qu’en tant qu’il émerge du monde: cette propriété de dédoublement porte témoignage de la différenciation de l’être lui-même dont il émerge. Il faut penser l’écart interne de soi à soi (voyant, visible) en relation avec les différenciations internes du visible; Il ne peut y avoir de visible que s’il y a une figure sur un fond, une différence dedans dehors, un écart interne du corps à penser en termes d’ontogenèse.

L’avènement du sensible exemplaire ne peut être pensé que comme une aventure de l’être même par l’avènement du corps propre. L’être exige cet organe expressif qu’est le corps pour qu’il y ait expérience de l’être, « prototype de l’être ».
Essayer de penser: être de latence, être des profondeurs, épaisseur du visible.

Le rouge est déjà une chair. Il apparaît par différenciation, il émerge comme un détroit: Cela n’est pas un pur sensible, nous ne nous ouvrons à ce rouge que parce qu’il est une modalité, des vibrations dans le registre de la rougeur, un pli dans ces multiples rouges qui tapissent ma mémoire: détroit, ouverture et pénétration. Le rouge entre en moi toujours par une sorte de défilé. 

 

  1. b) Importance de l’élément culturel 

Dans ses notes de travail, Merleau-Ponty revient sur la notion d’être sauvage . La reconquête n’a rien à voir avec une philosophie du vécu, des erlebnis, de l’immédiat, de ce qui serait extérieur à toute élaboration culturelle, de l’ordre du préréflexif. Dans la science elle-même, il y a en deçà des thèses, des constructions, une expérience sauvage de ce qui est (structures, significations par différences). Là, dans cette articulation de signes se dévoile un rapport à l’être sauvage que la philosophie a à explorer. Il n’y a pas de partage monde de la nature et monde de la culture: l’être sauvage doit être pensé en termes de ce qui advient, il n’est pas thématisé mais sous-jacent à la thématisation.

Voilà pourquoi le visible et l’invisible, alors même qu’il commence par la foi perceptive, est animé par la conviction qu l’on ne peut pas rejoindre une couche primitive pour venir étayer l’expérience du langage, de la pensée.

Dans chaque registre où se déplace l’interrogation, il y a le paradoxe d’aller au non thématisé par un mouvement qui véhicule des significations langagières. Langage, culture, histoire, refaire le même parcours de telle sorte que ma démarche soit comme une ascension sur place, un mouvement qui me porte vers le non dit par le langage.

Après avoir parlé de cette dualité interne du corps, de l’être à deux feuillets, Merleau-Ponty corrige cette métaphore en disant que si le corps est chose parmi les choses c’est en un sens plus profond qu’elles: il en est, il se détache sur elles et se détache d’elles: le voyant n’est jamais simplement devant le visible, les visibles sont autour de lui et s’il les touche et les voit (intimité du corps à soi-même) c’est, qu’étant de leur famille, il use de son être. Le monde est chair universelle. 

En somme, Merleau-Ponty cherche à mettre en évidence cette hétérogénéité du sensible en moi- même, du sentir en moi-même: il n’est pas un visible parce que le visible n’existe que comme détroit .

L’analyse va nous amener à suivre deux directions, deux manières différentes de penser la chair : – en premier lieu,  ce qui importe le plus à l’auteur c’est de mettre en évidence cette indécision, l’adhésion du corps au sensible, du voyant au visible en deçà de leur écart. Parler de « feuillets » ne doit pas nous amener à céder à l’illusion de l’extériorité. 

  • Ensuite, en insistant sur la notion de présence du corps à lui-même (fait que le pur sensible ne se donne que comme détroit) Merleau-Ponty tend à faire penser un nouveau type d’être, une altérité aussi bien pour le corps qu’une altérité de l’être même: il va dans la direction d’une altérité qui ne peut plus se réduire. 

Pour conclure sa réflexion, Merleau-Ponty » Et ce qu’il faut comprendre, c’est que, de l’une à l’autre de ces vues, il n’y a pas renversement dialectique, nous n’avons pas à les rassembler dans une synthèse: elles sont deux aspects de la réversibilité qui est vérité ultime. » Le visible et l’invisible »

 

  1. La paradoxale « insaisissabilité » de l’Homme met au jour son existence 

 

« L’homme, cet inconnu », ainsi est décrit le plus mystérieux des êtres par Merleau-Ponty.  Il convient d’accorder une attention particulière au terme « inconnu » dans lequel on constate la présence d’un « privatif » qui s’exprime en « in ». Ce privatif accentue le fait que ce qui est inconnu est situé dans la sphère des choses non comprises. Pourtant, par là même, l’auteur met également l’accent, par ricochet, sur le fait qu’il y ait donc un « connu ». Merleau-Ponty sous-entend alors que ce « connu » demeure malgré tout inconnu du fait même qu’il y a encore une part d’inconnu dans l’homme ; ainsi, toute connaissance, ne serait-ce qu’approximative de l’homme, serait vide de sens tant qu’il y aura toujours de l’inconnu dans le connu.

L’inconnu serait donc une notion insaisissable, fuyante et se dérobant a toute tentative de compréhension. Il ne faut pour autant pas dénier le fait que l’inconnu fait partie du « réel » et ne saurait s’y dérober ; en un sens, la face cachée de l’homme serait représentée par l’inconnu, faisant par là même de l’homme une notion insaisissable, mouvante, fuyante mais ô combien réelle.

L’homme, selon Merleau-Ponty, serait ainsi composée de deux faces : un côté visible et saisissable, qui se refléterait au travers de sa matérialité saisissable : le corps. D’un autre côté, il y a la face insaisissable qui se traduit par la notion d’ « esprit ».

Cette diptyque « corps » et « esprit » reflète parfaitement la philosophie merleau-pontienne de l’homme en tant que binôme conceptuel : l’homme serait un tout matériel et spirituel, matérialisé dans un ensemble à la fois visible et invisible ; selon les termes de l’auteur lui-même, ces deux facettes de l’homme  « s’enveloppent », « s’enjambent » et « s’immixent ».

L’homme devient un être, une figure « mystère », avec une facette cachée, celle de l’esprit ; il est donc incomparable face aux autres objets d’étude de la science, en ce sens même qu’il est sujet et non objet.

L’être humain, dans son secret et son mystère, devient doté d’une dimension supérieure, celle de la parabole et de la métaphore ; Heidegger nous parle de l’homme comme d’un « poème que l’Etre a commencé » ; le visible devient alors invisible, le raisonnable devient irrationnel, et le dicible se mue en indicible.

Cette extraperception de l’homme le révèle comme un être visible et caché ; pour dévoiler la facette cachée derrière le simple visible, il est indispensable de forger un « au delà de la visibilité et de la dicibilité »,  selon les commentateurs de l’œuvre de Merleau-Ponty, tel que Amadi.

Pour Merleau-Ponty, toute perception se caractérise par une absence de perception ou qu’il qualifie de « im-perception » ; il est impossible de percevoir sans prévoir qu’il y aura forcément un « non-perçu ». Le visible n’existerait donc pas sans l’invisible. L’existence de l’homme reçoit systématiquement une double casquette, en ce sens qu’il ne pourrait exister s’il n’y avait pas au préalable une inexistence probable.

Merleau-Ponty insiste donc sur le fait que l’homme en tant que concept ne peut être déterminable uniquement dans ce moule, du fait même que son objectivité ne peut être détaché de la subjectivité qui est sienne. Dans cet ordre d’idées, l’homme insaisissable est une question perpétuelle, sans réponse éternelle. L’apparition de l’homme dans la sphère des concepts le rend paradoxalement saisissable et insaisissable ; si on y introduit la notion de temps, l’homme serait un « avenir » à venir, puisqu’il est présent à la fois dans le passé et le futur, sans jamais faire défaut dans le présent. Une nécessaire mise en abîme de l’homme est opérée par Merleau-Ponty : l’homme en tant que pensée qui pense et se pense lui-même est indissociable de la pensée qui pense l’homme en tant qu’être pensant.

 

Merleau-Ponty tente ainsi dans son œuvre d’apporter une réponse satisfaisante à la question de savoir qui est l’homme, cet être à la fois invisible et pourtant tellement visible.

 

  1. l’homme en tant que corps

 

La phénoménologie du corps revient sans cesse dans la philosophie merleau-pontienne comme un point de départ nécessaire de son œuvre globale. Pour Merleau-Ponty, le corps de l’homme en tant que tel n’est pas uniquement l’objet de l’être et son réceptacle ; le corps de l’homme est son « visible », son « tout » conceptualisable et matérialisé. Etre un homme, c’est avoir un corps, et celui-ci est le canevas existentiel dans lequel « s’imbriquent » le matériel et le conceptuel. Ce corps nous permet d’agir et de percevoir autrui et le monde extérieur.

Le corps serait un objet indissociable de l’homme et qui ne peut le quitter, de son vivant.

Mais ce qui caractérise l’objet, c’est sa possible absence de notre champ de vision ; or le corps humain ne peut nous quitter, il nous accompagne en permanence, tant que l’être est vivant. Il s’agirait donc d’un objet spécial, que Merleau-Ponty qualifie comme n’étant pas une « permanence dans le monde mais une permanence de mon côté ».

Le corps serait ainsi pour l’homme toujours en marge de sa propre perception ; en effet, l’homme peut difficilement s’observer lui-même, et cela ne serait réalisable que s’il disposait d’un deuxième corps, qui à son tour, ne pourrait être observé. L’auteur soutient ainsi qu’il serait difficile, voire impossible d’accéder à la véritable perception de son propre corps. Merleau-Ponty parle du corps comme n’étant « ni tangible, ni visible dans la mesure où il est ce qui voit et ce qui touche… » ; Il affirme par là même que nous sommes notre corps mais que nous ne sommes pas dans une logique d’appartenance positive ou négative à notre corps.

Malgré ce corps matériel, l’homme échappe ainsi toujours à toute définition tendant à le circonscrire dans sa nature et dans ses manifestations.

 

  1. le fondement ontologique du visible et de l’invisible

 

L’homme est sans conteste et en apparence un être visible ; cette visibilité  est un « se-montrant », c’est-à-dire un phénomène caractérisé par une manifestation d’ordre physique ou physiologique.  Le terme de « phénomène » a toute son importance car il signifie « ce qui a l’air de », « ce qui ressemble à » ; ainsi, l’être humain en tant que phénomène est capable de faire voir ou paraître quelque chose qu’elle n’est pas forcément ; il y aurait donc deja quelque chose de caché et de secret dans le concept même de phénomène.

Merleau-Ponty a dit à ce propos que : « il n’y a pas entre visible et invisible de rapport dialectique mais bien un rapport chiasmatique ». La partie visible de l’homme n’est donc phénoménologique que pour signifier la présence d’un invisible qui se veut manifeste et discret. L’homme est visible de par son corps et le corps est habité par l’esprit.

L’homme en tant qu’essence trouve sa source dans l’invisible, et par là même il ne saurait être circonscrit au « phénoménal ». L’invisible serait une transcendance qui n’est certainement pas assimilable à un « autre visible » ; l’invisible de l’homme le rend éternel.

 

  1. La transcendance de l’homme

 

L’homme, en tant qu’être gouverné par les phénomènes, est spécifique en ce sens qu’il détient un imperceptible ; il est quelque peu insaisissable ; l’homme est présent en même temps qu’il est absent, il s’exprime au travers de sa présence physique et exprime le silence de l’absence au travers de son esprit ; l’existence de l’homme serait ainsi fondée sur un néant, un abîme, un gouffre duquel il ne peut en sortir que par la double visibilité-invisibilité.

Merleau-Ponty parle de l’homme comme d’un être ouvert, ouvert à la visibilité, à l’invisibilité, et à tout ce qui transcende cette diptyque. L’homme a la faculté de faire unir le monde matériel et le spirituel, le rendant ainsi unique parmi tous les autres êtres vivants.

L’homme, portant en lui lui l’éternité, est purement « Etre ». Il se fonde ainsi une double ouverture : l’une, ouverture de l’homme à l’éternité et à Dieu ; de l’autre, ouverture de l’homme à l’univers matériel encore inexploré. L’homme serait ainsi habité par du « divin », en ce sens qu’il a la faculté d’être présent et absent en même temps. Il ne saurait ainsi pas être limité par la mort ; bien au contraire, celle-ci ne serait qu’une expression de la continuité de l’Etre qu’il porte en lui.

L’homme s’harmonise ainsi avec Dieu, dans son éternité. 

Dans cette imperfection et à la fois perfection, l’homme s’affirme comme un être intérieur et extérieur, et aucune de ces deux facettes ne saurait être préférée car les deux se complètent ; mais de prime abord, Merleau-Ponty considère l’extériorité comme s’affirmant plus explicitement ; l’intériorité est indissociable de ce qui est apparent, mais elle ne saurait être envisagée de façon autonome car malgré tout, l’auteur reconnaît qu’il ne faut pas se voiler la face et ignorer le monde séculaire dans lequel les hommes vivent, car cela serait mauvaise foi.  Une pure spiritualité ne saurait ainsi être tolérée car cela nous écarterait de certaines formes de réalités. L’inverse du raisonnement est tout autant valable, c’est à dire qu’il ne faudrait pas non plus se perdre dans l’externalité et l’extériorité sans prendre en compte la dimension interne qui nous transcende et nous amène sur les sentiers de l’éternité potentielle, car comme dit Merleau-Ponty, nous avons en nous les « germes de l’éternité ».

L’extériorité n’est qu’une façade de la vie interne, c’est comparable à la fleur pour une plante ; une plante sans fleur et sans fruit serait une plante vidée de toute substance nourricière et vouée à une mort certaine, aussi bien intérieurement qu’extérieurement.

Merleau-Ponty termine sa réflexion sur les aspects horizontal et vertical de la vie de l’homme : la dimension verticale est celle qui nous mène sur le chemin de l’éternité, en connivence avec Dieu, tandis que la dimension horizontale amène l’homme à s’ouvrir aux autres(hommes, autres êtres vivants…). C’est en ce sens que Merleau-Ponty parle de l’homme comme d’un mystère perpétuel. Mystère dans le sens où il est à la fois un être visible et invisible, connu et inconnu…

 

Conclusion : 

 

Le concept de « chair » se construit chez Merleau-Ponty, contrairement à la logique                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                               husserliennne du toucher, dans une combinaison simultanée du toucher et de la perception visuelle. C’est par cet emboîtement, cet assemblage articulé de ces différents champs sensoriels que Merleau-Ponty arrive à faire un lien entre la chair et le monde, à penser la chair comme chair du monde, élément de l’Être. Cette « auto-appréhension » charnelle doit se comprendre d’abord selon une visibilité errante, c’est-à-dire dans ce que l’on peut définir comme une « transitivité des regards » qui regardent, voient et s’échangent le paysage perçu simultanément par les organes visuels. Au-delà de ce « transitivisme », ce sont dans les étreintes des corps et donc dans leur rencontre que Le visible et l’invisible réussit à dessiner au plus près l’opération de cette réversibilité. C’est la naissance du monde au sein de ce que l’on pourrait concevoir comme une scène primitive, une scène où les corps en s’offrant respectivement les uns aux autres étalent un espacement originaire. Bien qu’elle en devienne perceptible donc, cette réflexivité reste cependant encore inaccomplie : en effet,  les corps ne s’effleurent que dans la distance qui les agrège. Selon Merleau-Ponty, la chair ne se rapproche que dans l’immi¬nence d’une auto-affection toujours différée, ce n’est que de cette manière qu’elle demeure polymorphe, différencié et ouverte. C’est de cette ouverture de la chair qu’apparaît alors l’expression. La voix quant à elle se hisse dans une autre réflexivité, celle d’un bruit que l’on perçoit et, plus spécifiquement, celle des voix qui s’écoutent. « Incarnation » sonore, la voix est donc et au sens littéral du propos « la chair vive du sens ». Entre l’effleurement d’une caresse et la voix, c’est vers un mouvement identique de d’expressivité et réflexivité charnelles que Merleau-Ponty nous entraîne dans Le Visible et l’Invisible, un élan paradoxalement existentialiste qui s’éloigne certes des préceptes que l’on connaissait jusqu’ici en rapport avec le phénomène (tels ceux de Sartres) mais qui au final trouve malgré tout une logique subtile.

A la question de savoir s’il faut tirer une conclusion de l’œuvre de Merleau-Ponty sur le visible et l’invisible, la réponse paraît aller d’elle-même : l’homme étant un être profondément inconnu et incompréhensible dans sa globalité et son intégralité, il paraît suspicieux et fallacieux de vouloir tirer une conclusion satisfaisante sur l’œuvre merleau-pontienne du visible et de l’invisible. Il semble en effet impossible de conclure quelque chose qui reste en permanence « ouvert » sur les choses imperceptibles et les nouvelles formes de perception. L’homme est en effet un être constamment en état de changement et d’évolution ; prétendre conclure sur son propos serait pure fiction.

L’homme en essayant de découvrir ce que sont les choses, s’ignore lui-même et ce risque est d’autant plus grand que des disciplines comme la psychologie et la philosophie sont marginalisés comme étant des sciences inutiles et futiles ; or , ce faisant, il devient d’autant plus une énigme pour lui-même ; sa connaissance de soi devient obscure pour lui-même.

L’homme, par là même, devient sa plus grande énigme et son plus grand mystère. Il doit d’abord se connaître lui-même et procéder à une auto-introspection pour pouvoir se révéler aux autres tel qu’il est réellement. A l’opposé, l’homme doit également préserver cette part de mystère qui lui est propre, afin de préserver la liberté et l’éternité qui lui sont également propres. Le peu de connaissance certaine qu’il y a de l’homme, c’est que l’homme est une question. L’homme serait ainsi le siège suprême de la transcendance à la fois matérielle et divine. Pour Merleau-Ponty, l’homme est définitivement un sujet et non un objet.

 

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  • Maurice Merleau-Ponty, La structure du comportement, Paris, Presses Universitaires de France, collection « Quadrige », 1990, pages 235-236 ; et Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, Paris, Éditions Gallimard, collection « Tel », 1976, pages II-III et p. 240, et p. 348 ; et Maurice Merleau-Ponty, Le primat de la perception et ses conséquences philosophiques, Éditions Verdier, 1996, page 67.

 

  • La philosophie et la politique sont solidaires ; Entretien avec Jean-Paul Weber ; dans Maurice Merleau-Ponty, Parcours deux, 1951-1961, Éditions Verdier, 2000, pages 303-304 ; et Maurice Merleau-Ponty, Les sciences de l’homme et la phénoménologie dans Parcours deux, 1951-1961, Éditions Verdier, 2000, pages 109-112.

 

  • Titres et travaux. Projet d’enseignement (dossier de candidature au Collège de France), dans Merleau-Ponty, Parcours deux, 1951-1961, Éditions Verdier, 2000, pages 9-35.

 

  • Alphonse de Waelhens, Une philosophie de l’ambiguïté, dans Maurice Merleau-Ponty, La structure du comportement, Paris, Presses Universitaires de France, collection « Quadrige », 1990, pages XI-XII.

 

  • Principalement dans Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, Paris, Éditions Gallimard, collection « Tel », 1976, aux chapitres IV, V et VI

 

  • Michela Marzano, Philosophie du corps, Presses Universitaires de France, collection « Que sais-je ? », 2007, pages 46-48 ; et Kurt Duaer Keller, Intentionality in Perspectival Structure, dans Chiasmi International ; Publication trilingue autour de la pensée de Merleau-Ponty, nouvelle série, numéro 3, pages 375-397.

 

  • Maurice Merleau-Ponty, L’ontologie cartésienne et l’ontologie d’aijourd’hui ; cours de 1960-1961 (au Collège de France), dans Maurice Merleau-Ponty, Notes de cours. 1959-1961, Paris, Éditions Gallimard, NRF, collection « Bibliothèque de philosophie », 1996, pages 159-268 ; et Claude Lefort, Préface à Maurice Merleau-Ponty, Notes de cours. 1959-1961, Paris, Éditions Gallimard, NRF, collection « Bibliothèque de philosophie », 1996, pages 16-24.

 

  • Maurice Merleau-Ponty, La structure du comportement, Paris, Presses Universitaires de France, collection « Quadrige », 1990, pages 233-241.

 

 

  • Maurice Merleau-Ponty, La structure du comportement, Paris, Presses Universitaires de France, « Bibliothèque de Philosophie contemporaine », 1942, pages 219 et suiv.

 

  • Maurice Merleau-Ponty, Le doute de Cézanne, revue Fontaine, volume 8, numéro 47, décembre 1945 ; repris dans Maurice Merleau-Ponty, Sens et non-sens, Paris, Éditions Gallimard, NRF, collection « Bibliothèque de philosophie », 1996 (1966 pour l’Édition Nagel avec l’ancienne pagination), pages 13 à 33.

 

  • Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, Paris, Éditions Gallimard, collection « Tel », 1945, notamment aux pages 229-230 et aux pages 372-374, ainsi qu’aux pages 518-519.

 

  • Galen A. Johnson, Structures and Painting: « Indirect Language and the Voices of Silence », dans Galen A. Johnson (ed.), The Merleau-Ponty Aesthetics Reader. Philosophy and Painting, Illinois, Northwestern University Press, pages 15-16.

 

  • Merleau-Ponty à la Sorbonne. Résumé de cours 1949-1952, Grenoble, Éditions Cynara, 1988, 576 pages. Intitulé des cours : « La conscience et l’acquisition du langage », « L’enfant vu par l’adulte », « Structure et conflits de la conscience enfantine », « Psycho-sociologie de l’enfant », « Les relations avec autrui chez l’enfant », « Les sciences de l’homme et la phénoménologie», « Méthode en psychologie de l’enfant », « L’expérience d’autrui ».

 

  • Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, Paris, Éditions Gallimard, collection « Tel », 1945, page 207, 2e note de bas de page.

 

  • Maurice Merleau-Ponty, La prose du monde, Paris, Éditions Gallimard, collection « Tel », 1992, pages 17-22.

 

  • Maurice Merleau-Ponty, Le doute de Cézanne, revue Fontaine, volume 8, numéro 47, décembre 1945 ; repris dans Maurice Merleau-Ponty, Sens et non-sens, Paris, Éditions Gallimard, NRF, collection « Bibliothèque de philosophie », 1996 (1966 pour l’Édition Nagel avec l’ancienne pagination), pages 13 à 33.

 

  • Maurice Merleau-Ponty, Le langage indirect et les voix du silence, dans Maurice Merleau-Ponty, Signes, Paris, Éditions Gallimard, NRF, 1960, pages 49 à 104.

 

  • Patrice Létourneau, Le Phénomène de l’expression artistique. Une reconstruction à partir des thèses de Maurice Merleau-Ponty, Québec, Éditions Nota bene, 2005, pages 76-85 ; et Galen A. Johnson, Structures and Painting: « Indirect Language and the Voices of Silence », dans Galen A. Johnson (ed.), The Merleau-Ponty Aesthetics Reader. Philosophy and Painting, Illinois, Northwestern University Press, pages 25-27.

 

  • Maurice Merleau-Ponty, La structure du comportement, Paris, Presses Universitaires de France, collection « Quadrige », 1990, pages 236-237 ; et Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, Paris, Éditions Gallimard, collection « Tel », 1976, pages 398-419 ; et Maurice Merleau-Ponty, Titres et travaux. Projet d’enseignement (dossier de candidature au Collège de France), dans Merleau-Ponty, Parcours deux, 1951-1961, Éditions Verdier, 2000, pages 19-35.

 

  • Maurice Merleau-Ponty, Titres et travaux. Projet d’enseignement (dossier de candidature au Collège de France), dans Merleau-Ponty, Parcours deux, 1951-1961, Éditions Verdier, 2000, pages 31-32

 

  • Maurice Merleau-Ponty, Titres et travaux. Projet d’enseignement (dossier de candidature au Collège de France), dans Merleau-Ponty, Parcours deux, 1951-1961, Éditions Verdier, 2000, pages 9-35.

 

  • Alphonse de Waelhens, Une philosophie de l’ambiguïté, dans Maurice Merleau-Ponty, La structure du comportement, Paris, Presses Universitaires de France, collection « Quadrige », 1990, pages XI-XII.

 

  • Georges Thinès, Phénoménologie et science du comportement, Bruxelles, Pierre Mardaga éditeur, 1980, page 19, ainsi que page 23 dans la deuxième note de bas de page (« La Structure du Comportement de Merleau-Ponty a, par exemple, inspiré de nombreuses hypothèses scientifiques dans la recherche psychologique. On ne peut en dire autant du travail phénoménologique de Sartre sur l’imaginaire. »).

 

  • Frederik J. J. Buytendijk, Toucher et être touché, Arch. Neerl. Zool., 1953.

 

  • Maurice Merleau-Ponty, Le visible et l’invisible, texte établi par Claude LEFORT, Paris, Éditions Gallimard, collection « Tel », 1979 (1964), pages 185-195.

 

  • En particulier à l’époque de la Phénoménologie de la perception (Éditions Gallimard, collection « Bibliothèque des Idées », 1945, 531 pages).

 

  • Notamment : Maurice Merleau-Ponty, Le problème de la passivité : le sommeil, l’inconscient, la mémoire, dans Maurice Merleau-Ponty, L’institution/La passivité. Notes de cours au Collège de France (1954-1955), préface de Claude Lefort, Paris, Éditions Belin, 2003, pages 155-269 et 279-294.

 

  • Principalement dans Merleau-Ponty à la Sorbonne. Résumé de cours 1949-1952, Grenoble, Éditions Cynara, 1988, 576 pages.

 

  • Maurice Merleau-Ponty, Le philosophe et la sociologie, dans Cahiers Internationaux de Sociologie, numéro 10, 1951 ; repris dans Maurice Merleau-Ponty, Signes, Paris, Éditions Gallimard, NRF, 1960, pages 123 à 142.

 

  • Maurice Merleau-Ponty, De Mauss à Claude Lévi-Strauss, dans La Nouvelle Revue Française, volume 7, numéro 82, 1959 ; repris dans Maurice Merleau-Ponty, Signes, Paris, Éditions Gallimard, NRF, 1960, pages 143 à 157.

 

  • Voir notamment Pierre Bourdieu, Le sens pratique, Paris, Minuit; 1980, et les commentaires de Philippe Corcuff, Bourdieu autrement, partie 2, Paris, Textuel, 2003.

 

  • Voir notamment Thierry Blin, Phénoménologie de l’action sociale. À partir d’Alfred Schütz, Paris, L’Harmattan, collection « Logiques sociales », 1999, en particulier p.22

 

  • Voir notamment Philippe Corcuff, « Le fil Merleau-Ponty : l’ordinaire, de la phénoménologie à la sociologie de l’action », in J.-L. Marie, P. Dujardin et R. Balme (éds.), L’Ordinaire. Modes d’accès et pertinence pour les sciences sociales, Paris, L’Harmattan, collection « Logiques sociales », 2002.

 

  • Maurice Merleau-Ponty, Le visible et l’invisible, texte établi par Claude LEFORT, Paris, Éditions Gallimard, collection « Bibliothèque des Idées », 1964, 360 pages.

 

  • Maurice Merleau-Ponty, Notes de cours. 1959-1961, Paris, Éditions Gallimard, NRF, collection « Bibliothèque de philosophie », 1996, pages 191-198.

 

  • Maurice Merleau-Ponty, Signes, Paris, Éditions Gallimard, NRF, 1960, page 30 (« Plutôt que de l’être et du néant, il vaudrait mieux parler du visible et de l’invisible, en répétant qu’ils ne sont pas contradictoires. On dit invisible comme on dit immobile : non pour ce qui est étranger au mouvement, mais pour ce qui s’y maintient fixe. »).

 

  • Notamment : Maurice Merleau-Ponty, L’œil et l’esprit, Paris, Éditions Gallimard, collection « Folio/Essais », 1985, pages 85-87.

 

  • Maurice Merleau-Ponty, Le visible et l’invisible, texte établi par Claude LEFORT, Paris, Éditions Gallimard, collection « Tel », 1979 (1964), pages 172-204

 

  • Maurice Merleau-Ponty, Notes de cours. 1959-1961, Paris, Éditions Gallimard, NRF, collection « Bibliothèque de philosophie », 1996, pages 91-148 ; et dans la Préface de Claude Lefort à ce même ouvrage, pages 9-12.

 

 

 

  • Voir notamment Humanisme et terreur (1947), Sens et non-sens (1948), Les aventures de la dialectique (1955) ou Signes (1960), ainsi que les commentaires de Daniel Cefaï, « Merleau-Ponty et le marxisme. La dialectique comme emblème de la découverte de la démocratie », Actuel Marx, n°19, 1996.

 

  • « Sartre, Merleau-Ponty : Les lettres d’une rupture » (avec une présentation de François Ewald), dans Maurice Merleau-Ponty, Parcours deux, 1951-1961, Éditions Verdier, 2000, pages 129 à 169.

 

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