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Les déterminants de la consommation de produits biologiques au Liban

    

Les déterminants de la consommation de produits biologiques au Liban

 

Plan

Partie I : Revue de littérature

Chapitre 1 : La consommation de produits biologiques

  • Vers une consommation responsable

 

  1. Emergence et développement 
  2. Définition du concept
  3. Consommation responsable et éthique 
  4. Les branches de la consommation responsable
    1. L’achat à caractère environnemental
    2. L’achat à caractère social

  • La consommation de produits biologiques
    1. Spécificités de l’agriculture biologique
    2. Les recherches menées sur la consommation de produits biologiques
    3. Les motivations et les freins à la consommation
    4. Les types de consommateurs de produits biologiques
    5. Processus de décision et d’achat

 

Chapitre 2. Le contexte d’étude de la consommation 

 

2.1 Les approches de la consommation

2.1.1 Rationnelle

2.1.2 Par l’utilité espérée

2.1.3 Selon l’état du marché? (en croissance/ maturité/ développement?)

 

2.2 Le Liban: un marché émergent des produits biologiques

 

2.2.1 Présentation générale du pays

2.2.2   Le secteur du bio au Liban

  1. Les principaux acteurs de l’agriculture biologique du pays
  2. Présentation du marché des produits biologiques

 

Chapitre 3: Les modèles prédictifs de comportement du consommateur

 

3.1 L’intention d’achat et l’intention comportementale : deux variables clés

  1. L’histoire de l’intention d’achat
  2. L’importance de l’attitude dans la recherche en marketing

 

  1. Le lien attitude- comportement 
    1. Evolution du cadre conceptuel du lien attitude-comportement
      1.  La théorie de l’action raisonnée (Ajzen et Fishbein)
      2.  La théorie du comportement planifié
    2. Le modèle dirigé par un but de Bagozzi et Perugini (2001, 2004)
      1. Le désir d’effectuer un comportement: un nouveau déterminant de l’intention
      2. La différence entre émotions anticipées et attitude
      3. Le comportement passé, variable prédictive de l’intention et du comportement
    3. Le modèle étendu du comportement dirigé par un but
      1. Le désir de réaliser le but 
      2. La faisabilité perçue du but 
      3. La volonté de mise en œuvre d’un comportement
      4. Les limites du modèle MGB

 

Synthèse de la partie I

 

INTRODUCTION GENERALE

 

En octobre 2007, l’Etat et les représentants de la société civile se sont réunis dans le cadre du Grenelle de l’environnement afin de définir une feuille de route engageant la société française sur la voie d’un développement plus durable. Cet évènement parmi d’autres, d’envergures non moins importantes, tel que le Sommet de la Terre de Johannesburg en 2002, souligne une accélération de la prise de conscience de la limitation des ressources et de la non soutenabilité des modes de production et de consommation actuels.

 

C’est dans ce contexte que les consommateurs semblent accorder une importance grandissante à l’impact social et environnemental de leurs choix de consommation. Bien que ce phénomène semble récent, en fait il existe depuis plus de 50 ans. En effet, les premières études en marketing concernant la consommation responsable voient le jour dans les années 60 : Berkowitz et al (1964, 1968) proposent la première échelle de mesure de la responsabilité sociale en s’appuyant sur une échelle développée par Gough et al (1952) traitant de la personnalité de l’individu responsable. Par suite, Anderson et Cunningham (1972) établissent un premier profil du consommateur responsable à travers les variables socio psychologiques telles que le dogmatisme ou le conservatisme.

 

Les chercheurs vont ainsi améliorer l’échelle de Berkowitz et al (1964, 1968) dans les années qui suivent : Kinnear et Taylor (1973) s’intéressent à l’impact des préoccupations écologiques du consommateur alors que Kinnear et al. (1974) modifient l’échelle en proposant des mesures plus proches de la réalité du comportement. Jusque là, le concept de comportement responsable est étudié sans vraiment être défini. Il faudra attendre 1975 pour que Webster (1975, p.188) précise la notion de consommateur socialement responsable par « une personne qui prend en compte les conséquences publiques de sa consommation privée ou qui utilise son pouvoir d’achat comme un moyen de pression sociale ». 

Aujourd’hui, la consommation socialement responsable attire de nombreux chercheurs car le concept reste flou malgré les diverses contributions apportées par les récentes études (Francois-Lecompte et Valette-Florence, 2006). De plus, son application est très vaste puisque la consommation socialement responsable est identifiable à travers de multiples manifestations. Les achats de produits biologiques, sans pesticides, en sont un exemple même s’il ne peut être occulté une préoccupation du consommateur pour sa propre santé. Le tourisme responsable, qu’il soit dit tourisme vert, écotourisme, tourisme rural ou solidaire, désigne de nombreuses perspectives possibles pour le consommateur soucieux de la préservation des patrimoines culturels ou désireux d’exprimer sa sensibilité écologique (vacances à la ferme, randonnées de découverte de la faune et de la flore) tout en contribuant à l’économie locale.

 

Différentes formes de commerce alternatives ont également acquis de l’importance tels que le commerce éthique, solidaire ou équitable (Beji-Becheur et Fosse- Gomez, 2001). Ce dernier repose sur l’objectif d’une plus grande équité dans le commerce mondial à travers l’adoption de conditions commerciales plus avantageuses pour les producteurs des pays du Sud et la garantie de leurs droits. Le commerce équitable est en progression constante en France. En 2007, d’après Max Havelaar, le marché était estimé à 210 millions d’euros. A côté de boutiques indépendantes, par exemple Artisans du monde, entièrement consacrées à ce type de commerce, le rôle de la grande distribution dans la popularisation de ces produits n’est pas négligeable.

 

A l’opposé du soutien à des produits ou à un commerce qui autorise l’expression de la sensibilité du consommateur, des formes de résistance à la société de grande consommation ou plus particulièrement à ses symboles (par exemple la publicité, les entreprises multinationales) sont également nombreuses (Penaloza et Price, 1993). Le bouche à oreille négatif au sujet d’entreprises aux comportements jugés irresponsables et l’action de boycott en sont des exemples.

 

Une étude à l’échelle mondiale sur les consommateurs socialement responsables, menée par le groupe Nielsen, a révélé une certaine tendance auprès desdits consommateurs, de leurs préférences et de leur mode de consommation responsable en 2011. Cette étude réalisée auprès d’un échantillon représentatif de la population mondiale composé de 28 000 consommateurs en ligne éparpillés dans 26 pays en Asie Pacifique, Amérique Latine, Moyen-Orient, Afrique et  Amérique du Nord, a permis de mieux comprendre les motivations du consommateur socialement responsable, mais aussi ses préférences en termes de produits et de dresser son portrait. Ainsi, les sondés sont près de 55% à déclarer préférer consommer les produits ou services proposés par des entreprises prônant la CSR et 54% d’entre eux se disent enclins à travailler dans une entreprise à vocations sociales

 

En outre, plusieurs facteurs et variables sont assimilés à la consommation socialement responsable et sont recherchés et plébiscités par les consommateurs avant l’achat ou l’usage d’un produit. Dans une analyse approfondie sur le sujet, Legendre et D’Astous relèvent un certain paradoxe vis-à-vis du fait que ces variables écologiques, environnementales, sociales et responsables sont choisies en fonction de leur efficacité du point de vue personnel ou du point de vue collectif, c’est-à-dire de leur apport sur le consommateur en tant qu’individu à part entière et sur la société, son entourage ou son environnement. 

 

Le sujet que nous souhaitons approfondir dans la consommation responsable est la consommation de produits biologiques. Ce marché connaît une croissance importante d’années en années et même si de très nombreuses études s’y sont intéressées,  nous pensons que la consommation de produits biologiques peut encore être étudiée via des variables non abordées jusqu’à présent.

  • Les recherches sur la consommation de produits biologiques

Les recherches sur la consommation de produits biologiques ont émergé et se sont intensifiées depuis plusieurs décennies. Dans la plupart des cas, la compréhension de la consommation de produits biologiques a mobilisé les cadres théoriques traditionnels que sont les théories du comportement raisonné (TAR) (Fishbein et Ajzen, 1975)  et celles du comportement planifié (TCP) (Ajzen, 1991). Même si ce cadre a été appliqué dans de multiples domaines, plusieurs réserves sont émises : tout d’abord, il est clair que les modèles, à eux seuls, sont insuffisants pour expliquer un comportement puisque l’ajout de variables supplémentaires au modèle de base est souvent constaté afin d’améliorer le pouvoir prédictif de ce dernier. Ensuite, plusieurs critiques ont été émises sur le fait que ces modèles occultaient une facette non négligeable du comportement du consommateur : l’affectif. En effet, les modèles proposés dans la TAR et la TCP ne prennent aucunement en compte les variables affectives qui, comme il a été démontré, ont un rôle non négligeable dans le comportement du consommateur, et en particulier dans la consommation de produits alimentaires (Conner et Sparks, 1996). La dimension motivationnelle du comportement est également absente de ces modélisations du comportement alors que la motivation est le moteur même de l’action (Perugini et Bagozzi, 2001).

 

Pour remédier à ces lacunes, nous proposons un cadre théorique plus récent : le modèle dirigé par les buts (MDB) de Perugini et Bagozzi (2004). Ce modèle, à l’instar de la TAR et de la TCP, inclue des variables affectives telles que les émotions anticipées (positives et négatives) et une variable motivationnelle tel que le désir. Nous pensons que la modélisation de la consommation de produits biologiques via ce modèle peut aider à identifier de nouvelles variables importantes dans la consommation de produits biologiques non prises en compte jusqu’à présent et permettre une vision plus complète du comportement de consommation de produits biologiques. Ainsi, ce modèle pourrait mieux représenter le comportement du consommateur que les modèles classiques. 

  • Le choix du terrain d’application

Les recherches effectuées jusqu’à présent sur la consommation de produits biologiques ont surtout concerné les pays développés (Amérique du Nord et pays Européens). Seules quelques études sont relevées pour les pays en développement économique : Soares et al. (2006) et Roitner-Schobesberger et al. (2008) étudient la perception des consommateurs respectivement au Brésil et à Bangkok, Siriex et al. (2011) s’intéressent à l’importance accordée aux produits biologiques locaux et importés à Shanghai.

 

Les résultats montrent qu’il existe une différence dans la perception des consommateurs selon le pays étudié. D’ailleurs, même concernant les études sur les pays européens, des différences notables apparaissent concernant la consommation des produits biologiques (Baker et al, 2004). Il apparaît donc que chaque pays se distingue, de façon ou d’une autre, dans la consommation de produits biologiques de ses habitants, d’où la nécessite d’étudier le cas de nouveaux pays. La région du Moyen Orient n’a jusque là pas suscité l’intérêt des chercheurs dans le contexte de consommation de produits biologiques. Même si ce marché reste embryonnaire, il se développe d’années en années.  D’ailleurs, le Moyen Orient constitue un marché non négligeable pour les entreprises aussi bien locales qu’internationales. La France est d’ailleurs le premier exportateur européen dans cette région (Senat, 2009). 

 

Le thème le plus proche étudié dans la région du Moyen Orient est celui de la responsabilité sociale des entreprises (Jamali et Mirshak, 2007 ; Jamali, Sidani et Al Asmar, 2009 ; Jamali et Keshishian, 2009). Aucune recherche n’a abordé la notion de consommation responsable dans ces pays, à notre connaissance.

 

Ainsi, nous choisissons comme terrain d’application à notre recherche le Liban. Ce choix s’est fait pour plusieurs raisons. Tout d’abord, le marché des produits biologiques s’est fortement développé ces dernières années : alors que les magasins spécialisés étaient tous implantés dans la capitale et ses environs, on constate depuis peu l’apparition de ces magasins en province. L’intérêt que suscitent les produits biologiques augmente et les libanais prennent conscience de l’enjeu de la consommation de produits biologiques. Ensuite, la culture biologique semble gagner du terrain dans ce pays avec une surface agricole cultivée en mode biologique progressant à plus de 50% de 2008 à 2009 et une augmentation importante de 35% des cultivateurs (Agence Bio, 2012). Malgré ces chiffres prometteurs et les interventions des ONG et du gouvernement libanais afin de promouvoir la consommation de produits biologiques, les libanais ne semblent pas réellement s’orienter vers la consommation de tels produits, ce qui rend intéressant de connaitre et de comprendre les motivations de la partie de la population qui en consomme et celle qui n’en consomme pas. Enfin, le Liban a toujours été la porte d’entrée au Moyen Orient pour les entreprises étrangères et plus particulièrement pour la France, avec qui le pays jouit de relations économiques très denses (Ambassade de France au Liban, 2012).

 

Entre autre, notre étude visant à montrer que les déterminants de la consommation de produits biologiques diffèrent suivant le niveau de maturité du marché, le Liban est donc un terrain d’application de premier choix puisqu’il fait partie des pays dans lesquels le marché de produits biologiques est encore au stade de lancement, contrairement aux études qui concernent majoritairement les pays où le marché est déjà développé ou connaît une forte progression. 

  • Problématique de recherche

L’engouement des consommateurs pour l’achat de produits biologiques a incité les chercheurs à s’intéresser à ce marché porteur qui progresse d’années en années. 

 

Tout d’abord, les études ont cherché à identifier le consommateur de produits biologiques. Celui-ci est souvent une femme (Davies et al, 1996), a des enfants (Thompson et Kidwell, 1998) et est plus âgé (Roddy, Cowan et Hutchinson, 1996 ; Cicia, Del Giudice, Scarpa, 2002). Ces études datant de plusieurs années peuvent être perçues comme des références assez anciennes. Actuellement, les études portées sur la consommation de produits biologiques, plus particulièrement sur le consommateur de produits biologiques, sont surtout effectuées par des organismes tels que l’Agence Bio ou l’équipe Nutrinet-Santé. Rappelons seulement que de telles études choisissent uniquement la France comme terrain d’application.

 

Selon la dixième édition du « Baromètre de consommation et de perception des produits biologiques en France » retranscrivant les résultats de l’étude menée par l’Agence Bio en 2012 sur 1010 personnes représentatives de la population française, le consommateur de produits biologiques en France en 2012 n’est pas très différent de celui identifié par Davies et al, Thompson et Kidwell, etc. Ainsi, les femmes consomment plus de produits biologiques (52%) par rapport aux hommes (48%). Il s’agit surtout de personnes âgées et retraitées (26%) avec un nombre moyen d’enfants de 0,7, l’âge moyen des consommateurs étant de 46,8 ans (Agence Bio, 2012).  

 

L’étude Nutrinet-Santé, elle, démontre que les consommateurs de produits biologiques ont un niveau d’éducation supérieur aux non-consommateurs et ont un niveau de vie semblable au leur, surtout au niveau du revenu salarial, à l’exception des répondants qui trouvent que les produits biologiques sont coûteux. L’étude Nutrinet-Santé est la plus importante et tient avant tout à déterminer les tendances enregistrées au niveau des consommateurs, l’évolution de la consommation, le type de consommateurs, etc. Elle est réalisée en partenariat avec les pouvoirs publics tels que le Ministère de la Santé : Direction Générale de la Santé (DGS), l’Institut de Veille Sanitaire (InVS) et l’Institut National de Prévention et d’Education pour la Santé (INPES). L’équipe de Nutrinet-Santé déléguée à l’étude est composée de l’EREN, l’U1153 Inserm, l’Inra, le Cnam et l’Université Paris 13.

 

Puisque les études récentes sur la consommation de produits biologiques sont peu nombreuses, Nutrinet-Santé lance une gigantesque étude sur le sujet impliquant près de 100 000 interviewés par Internet dont 50 000 consommateurs de produits biologiques répartis dans toute la France. Les critères de base de l’étude seront d’ordre psychologique, géographique, nutritionnel, comportemental, etc. Ladite étude servira surtout à dresser un profil complet et actualisé des consommateurs de produits biologiques en France et durera cinq ans.

 

L’identification des freins et des motivations liés à la consommation de produits biologiques a également beaucoup mobilisé les chercheurs (McEachern et McClean, 2002 ; Honkanen et al. 2006 ; Gifford et Bernard, 2006 ; Chakrabati et Baisya, 2007). 

 

Enfin, le dernier thème majeur que l’on peut citer est relatif au processus de consommation et d’achat des produits biologiques. Plusieurs modèles ont vu le jour identifiant les variables clés à la consommation de produits biologiques. Ainsi, citons pour exemple, Michaelidou et Hassan (2008) qui valident une relation entre la préoccupation pour sa santé personnelle, l’éthique, la préoccupation pour la santé alimentaire et les attitudes vis-à-vis des produits biologiques, qui à leur tour auront un impact sur l’intention d’achat de ces produits.

 

Comme nous l’avons souligné, toutes ces recherches ont eu comme cadre théorique les modèles classiques tels que la TAR ou le TCP. Or comme nous l’avons expliqué, ces modèles ne prennent en compte ni l’aspect affectif ni l’aspect motivationnel d’un comportement.

 

Un nouveau concept intéresse les chercheurs récemment : celui du désir de comportement. Plusieurs articles de recherche ont montré le rôle joué par cette nouvelle variable sur l’intention de comportement. Or, il n’y a pas eu d’études qui se soient intéressées au désir de consommer des produits biologiques et nous pensons qu’il peut s’agir d’un déterminant clé de la consommation de produits biologiques. D’autre part, le rôle des émotions est également étudié en tant que variable affective pour pallier aux modèles classiques. Cette étude, comme nous avons pu le voir, sera appliquée au marché libanais. 

 

Cela nous amène à proposer la problématique suivante : 

 

La consommation de produits biologiques dans un marché en émergence répond-elle à des motivations spécifiques ?

 

Les questions de recherche qui découlent de la problématique sont au nombre de trois et sont ainsi énoncées :

 

  • Quel est le rôle de la variable désir de comportement dans la consommation de produits biologiques ?

 

Les modèles TAR et TCP proposent les variables attitudes, normes sociales et contrôle comportemental perçu comme variables antécédentes directes à l’intention comportementale. Or si ces variables expliquent le pourquoi de l’intention, elles n’incluent pas les motivations explicites conduisant à une intention d’action. Tout comme Gollwitzer et al. (1990), Bagozzi (1992) propose que le désir traduit l’élan motivationnel aux intentions et suggère que les variables attitudes, normes subjectives et contrôle comportemental perçu influencent l’intention à travers le désir de comportement. Le rôle médiateur de la variable désir a été validé à plusieurs reprises (Perugini et Bagozzi, 2001, 2004 ; Song et al, 2011) mais aucune étude n’a testé cet effet dans le contexte de consommation de produits biologiques. C’est ce que nous nous proposons de faire. L’étude du désir de comportement est donc pertinente dans le cadre de notre étude puisqu’il s’agit d’une variable encore non exploitée en termes de consommation de produits biologiques mais qui, de par sa notoriété et son influence sur le consommateur, pourrait bien s’avérer bénéfique et profitable pour notre étude et pourrait être considérée comme une autre motivation fondamentale à la consommation de tels produits. 

 

  • Les variables émotions anticipées détiennent-elles un rôle spécifique dans la consommation de produits biologiques ?

 

En 2001, Perugini et Bagozzi proposent d’inclure les variables émotions anticipées dans leur modèle d’extension de la TAR et la TCP. L’importance de cette variable dans l’étude du comportement a maintes fois été soulignée (Parker et al. (1995), Richard et al, 1995). Par ailleurs, Bagozzi et al (1998) ont identifié 17 émotions (7 positives et 10 négatives) ayant un impact sur l’intention de faire un régime, de faire du sport, de perdre ou de réguler son poids. Concernant la consommation de produits biologiques, aucune étude n’a fait le lien entre émotions anticipées et intentions comportementales mais nous soulignons que Coner et Sparks (1996) ont démontré l’importance de l’affect dans la consommation de produits alimentaires.

 

  • Quel est le rôle des variables telles que le health locus of control, la cherte perçue et l’authenticité perçue pour le pouvoir d’achat dans le comportement du consommateur ?

 

Même s’il apparaît que les modèles MGB et EMGB rendent mieux compte du comportement du consommateur, il n’en reste pas moins qu’ils n’expliquent pas toute la variance. L’ajout de nouvelles variables peut aider à l’obtention de meilleurs résultats et ainsi affiner la compréhension du comportement. Ainsi, nous proposons trois variables qui nous semblent pertinentes à étudier : le health locus of control, la cherté perçue et l’authenticité perçue.

 

Le health locus of control rend compte de la perception de l’individu sur le contrôle qu’il a sur sa santé. Cette variable a été utilisée dans les recherches s’inscrivant dans les comportements santé tels que la pratique de l’exercice physique. Les études montrent que son rôle est à prendre en compte. Nous souhaitons étudier son rôle dans la consommation de produits biologiques.

 

La cherté perçue est une variable souvent mise à l’avant, le pouvoir d’achat et l’intention d’achat d’un consommateur étant toujours motivés par le prix du produit : plus il est cher, plus la réticence face à l’achat se fait voir. Les consommateurs de produits biologiques et même les non consommateurs qualifient souvent ces produits comme étant plus chers que la normale, d’où l’utilité de se focaliser sur cette variable.

 

Quant à l’authenticité perçue, Gilmore et Pine (2007) avancent que l’authenticité incite les consommateurs à acheter un produit du fait qu’elle représente la réalité, l’originalité, l’étanchéité mais surtout la fiabilité. Camus (2004) décrit également l’authenticité comme un facteur rassurant pourvoyant à l’achat d’un produit. L’authenticité perçue représente donc une autre variable à étudier de près, surtout dans le cadre de notre mémoire.

 

  • Le modèle MDB rend-il mieux compte de l’intention comportemental que ne le font les modèles TAR et TCP ?

 

Comme nous l’avons souligné précédemment, le modèle MGB a vu le jour dans le but de combler certaines lacunes reprochées à la TAP. Plusieurs recherches ont donc comparé empiriquement le pouvoir explicatif des deux modèles pour un comportement donné et toutes (à notre connaissance) ont validé le fait que les modèles MGB et EMGB obtenaient de meilleurs résultats que le modèle TAP. Pourtant, cette comparaison n’a pas été effectuée dans le domaine de la consommation de produits biologiques et nous pensons que les résultats pourront compléter ceux précédemment obtenus. Ainsi, exposer la différence entre le modèle MDB et les modèles TAR et TCP nous aidera à justifier la pertinence du MDB en matière de consommation de produits biologiques par rapport aux deux anciens modèles du fait qu’il inclut le désir de comportement qui, de notre point de vue, est une variable non négligeable présente chez les consommateurs.

  • Contributions de la recherche

  • Contributions théoriques

Notre sujet nous semble apporter un avancement dans la recherche en marketing et plus précisément dans le champ du comportement du consommateur et ce pour plusieurs raisons. 

  • Etudier le rôle des variables émotionnelle et affective dans la consommation de produits biologiques

 

La compréhension du comportement du consommateur a depuis toujours été au centre des recherches en marketing. Sa compréhension dans l’achat de produits biologiques ne fait pas exception puisqu’il s’agit d’un thème majeur de la recherche. Si la majorité des recherches se sont intéressées aux antécédents de l’attitude envers les produits biologiques ou de l’attitude envers la consommation de produits biologiques, nous nous proposons d’étudier les antécédents à l’intention comportementale. Cet angle d’étude a souvent été limité à celui de l’attitude qui est souvent mis en tant qu’antécédent de l’intention. Or, comme nous venons de le voir, le modèle MDB propose, en plus des variables traditionnelles des modèles TAR et TCP, une variable affective et une variable motivationnelle, éléments occultes dans les modèles précédents. Jusqu’à présent, la consommation de produits biologiques a uniquement été étudiée dans ces contextes. Valider le modèle MDB serait une avancée théorique pour la recherche en consommation de produits biologiques. D’autre part, cela augmenterait la validité externe du modèle de Perugini et Bagozzi (2004).

  • Comparer le pouvoir explicatif des modèles MGB et TAP 

 

Comparer les deux modèles ajouterait une contribution théorique aux autres résultats obtenus pour d’autres comportements et augmenteraient ainsi la validité externe de l’un ou l’autre des modèles. Par ailleurs, cela permettrait aux futures recherches sur la consommation de produits biologiques d’orienter leur choix vers un des modèles, celui qui obtiendra les meilleurs résultats en terme prédictif de comportement du consommateur. Jusque là, les études ont démontré la supériorité du modèle MDB sur celui de la TAR et de la TCP mais pas dans le contexte de consommation de produits biologiques.

  • Définir les variables clés à la consommation de produits biologiques au Liban

 

Enfin, le choix du pays est également une contribution théorique puisqu’il diffère de par son environnement économique, culturel, politique et permettra d’étudier la consommation de produits biologiques dans un nouveau contexte que celui des pays développés. Tout d’abord, les résultats permettront de définir les variables clés à la consommation de produits biologiques au Liban et ainsi de les comparer avec les résultats obtenus avec ceux de pays différents : peut on considérer que la consommation de produits biologiques est la même a travers les différents pays ? Les variables ont-elles la même importance dans le processus de décision d’un pays à l’autre ? 

  • Contributions managériales

Si notre recherche démontre le rôle indéniable du désir sur l’intention du comportement, les implications managériales sont nombreuses. En effet, alors que l’attitude vis-à-vis des produits biologiques étaient au centre des préoccupations, les gestionnaires devront alors se pencher un peu plus près sur la notion de désir et mettre en place des actions (de communication par exemple) dans le but de déclencher ce désir de consommer des produits biologiques. De même, si le rôle des émotions est prouve, les stratégies de communication des entreprises devront les prendre en compte dans leur communication persuasive. En résumé, l’identification des antécédents clés à la consommation des produits biologiques apportera un regard nouveau à l’approche du marché. 

  1. Plan de la recherche

 

Cette thèse s’articule autour de cinq chapitres permettant de répondre à la problématique formulée ainsi qu’aux différentes questions de recherche.

 

Le premier chapitre (chapitre I. La consommation de produits biologiques) est consacré aux études portant sur la consommation responsable qui englobe la consommation de produits biologiques et traite de l’objet de la recherche, la consommation de produits biologiques. Cette consommation prend de l’ampleur d’années en années dans les pays développés. Une revue de la littérature de la consommation de produits biologiques en marketing sera effectuée. Nous soulignerons par suite les limites de ses recherches pour aboutir à notre problématique.

 

Le second chapitre (chapitre II. Le contexte d’étude de la consommation) concerne particulièrement les approches liées à la consommation, c’est-à-dire une étude sur les facteurs suscitant la consommation de produits biologiques. Il sera complété par une présentation du marché des produits biologiques au Liban dont la progression est évidente et incessante.

 

Le troisième chapitre (chapitre III. Les modèles prédictifs de comportement du consommateur) présente les principaux modèles prédictifs du comportement dans la revue de la littérature, à savoir le modèle TAR et le modèle TAP. Par suite, les modèles MBG et EMBG ont vu le jour pour combler les lacunes reprochées aux premiers modèles. Nous reviendrons également sur chacun d’eux avant de justifier notre choix de cadre théorique pour la suite de notre travail.

 

Le quatrième chapitre (chapitre IV. Présentation du modèle de la recherche) a pour objectif d’aboutir à la proposition du modèle conceptuel dans laquelle nous détaillerons les hypothèses de recherche ainsi que le modèle théorique associé.

 

Le cinquième chapitre (Chapitre V. Méthodologie de la recherche) développe les choix méthodologiques qui ont permis le test des hypothèses de la recherche. La première section traite de la conception de l’étude quantitative : le type d’étude retenu et la détermination de ses différentes modalités. La seconde section décrit la mise en œuvre concrète de l’étude quantitative. La troisième section expose les instruments de mesure retenus ainsi que les résultats des analyses de vérification de leurs qualités psychométriques. Au cours d’une quatrième section sont détaillés les choix méthodologiques effectués pour tester les hypothèses de la recherche.

 

Chapitre 1 : La consommation de produits biologiques

 

Cette présente recherche tente d’améliorer la compréhension de la consommation de produits biologiques, dans un contexte de pays en développement économique. Le but de la recherche est d’identifier les variables déterminantes clés au comportement de consommation de produits biologiques et ainsi permettre aux entreprises, soucieuses de développer leurs marchés, de mettre en place des actions marketing plus efficaces. Ce premier chapitre sera divisé en deux sous-parties : la consommation responsable et la consommation de produits biologiques. 

 

La sous-partie sur la consommation responsable est guidée par deux objectifs essentiels :

 

  • Explorer le champ d’investigation de la consommation responsable en marketing en définissant la notion de consommation responsable dans un premier temps puis en présentant les différents thèmes de recherche qui s’y attachent de façon générale 

 

  • Approfondir la recherche en consommation responsable en prenant pour cas particulier la consommation de produits biologiques. 

 

Développer ces objectifs nécessite donc de poser d’abord les fondements théoriques pour ensuite mettre en œuvre un dispositif méthodologique adéquat.

  • Vers une consommation responsable

En parallèle d’un intérêt accru pour les critères éthiques et les protestations citoyennes, de nouveaux comportements d’achat et de consommation se répandent sous le terme en vogue de « consommation responsable ». 

 

Comprendre l’importance du phénomène nécessite tout d’abord l’étude plus approfondie de son histoire et de son émergence. Dans un second temps, nous définirons de façon plus précise la consommation socialement responsable (CSR) en nous basant sur les définitions relevées à travers la revue de la littérature. 

  • Emergence et développement 

Contrairement aux apparences et à son actuelle tendance, la consommation responsable a déjà existé depuis bien longtemps. Pour preuve, quelques auteurs la décrivent comme étant déjà existante durant la guerre d’Indépendance et le « Boston Tea Party », sous la forme d’un boycott, plus précisément du boycott des produits britanniques par les américains (Joslain, 2012). Le boycott est donc une forme primaire de consommation responsable, il s’est répandu à travers plusieurs événements historiques tels que la guerre de Sécession durant laquelle certains consommateurs refusaient les produits vendus fabriqués par les esclaves. Le boycott s’est alors de plus en plus répandu à travers des époques successives jusqu’à l’époque contemporaine durant laquelle il a été initié et représenté par des syndicats ou des ligues des consommateurs avec pus d’organisation et de considération qu’auparavant. Chessel (2004) a publié un livre résumant les actions et l’importance de la formation des consumers’ leagues aux Etats-Unis et des ligues sociales d’acheteurs en France qui «ont transformé la consommation en acte engagé quotidien», en le pensant «comme un acte politique, à la fois individuel et collectif» (Chessel, 2004: 46) vers la fin du XIX e siècle. 

 

Le boycott représentant la consommation responsable a sévi jusque durant l’époque contemporaine, cependant, on note également l’apparition de plusieurs autres mouvements organisés par lesdits « consom’acteurs (Jacques, 2009) », c’est-à-dire des consommateurs de plus en plus attirés par les produits aux traits de caractère sociaux et environnementaux. Ces mouvements ont été, pour la plupart, surtout introduits et favorisés par le contexte des armés en 1960/1970 et par les faits économiques, sociaux et environnementaux à l’époque.  Ces faits concernent surtout la prise de conscience générale qui s’est emparée de plusieurs pays industrialisés vis-à-vis de l’environnement,  de la mondialisation et de la consommation excessive, ces générateurs ayant conduit à l’apparition de nouvelles formes de consommation responsable. 

 

Les Trente Glorieuses ont marqué la consommation par le développement du triptyque « production- consommation- citoyenneté » et par la croyance en la réalisation d’un idéal de la modernité (Salmon, 2002) et de la modernisation agricole (Pessis, Topçu et Bonneuil, 2013). Ce n’est qu’après les transformations sociales de la période de forte activité économique et industrielle et la remise en cause de l’équilibre entre la société de consommation et la société de droit établi par les Trente Glorieuses, que le mouvement consumériste au sens actuel du terme vit le jour, en grande partie sous l’impulsion des pouvoirs publics. La naissance en France des revues « 50 millions de consommateurs » en 1969 et « Que choisir » en 1970 et la création de l’Institut National de la Consommation en 1970 sont les deux événements marquant l’essor de ce mouvement. Par ailleurs, les années 70 ont été imprégnées par les revendications de reconnaissance qu’expriment les associations auprès des pouvoirs publics.

Bien que, pendant longtemps, le mouvement consumériste se soit contenté de réclamer le respect des droits des consommateurs (Glickman, 2009), il reconnaît aussi aujourd’hui leurs « devoirs ». Cette nouvelle tendance s’illustre par exemple par la création d’associations fédérées au sein de l’A.E.C. (Association Européenne des Consommateurs socialement et environnementalement responsables) ou du R.C.S (Réseau de Consommateurs Responsables) et par la publication des hors-séries « Consommateur vert » et « Consommer Durable » de la revue « 60 millions de consommateurs » en 2000 et 2003. 

 

Cet éclairage historique furtif des mouvements coopérativistes et consuméristes en France ne prétend pas à l’exhaustivité, mais donne déjà quelques indices sur la manière dont ceux-ci ont inspiré certains fondements de la consommation responsable d’aujourd’hui. Il permet en outre de noter que l’intégration de préoccupations sociétales dans le discours consumériste est une tendance relativement ancienne.

 

Dans la section qui suit, nous allons expliquer la notion de  « consommation responsable » en précisant le contenu ainsi que les contours du concept en nous basant sur les recherches effectuées sur ce sujet.

  • Définition du concept

C’est à Webster (1975) que l’on doit la première définition du consommateur socialement responsable qui est « un consommateur qui prend en compte les conséquences publiques de sa consommation privée ou qui essaie d’utiliser son pouvoir d’achat pour induire des changements dans la société » (Webster, 1975). Durant cette période, la CSR n’a été perçue et utilisée que dans un contexte écologique, ce n’est que 20 ans plus tard que Roberts (1995) lui a attribué une dimension sociale. Roberts (1995) a également défini les comportements de consommation socialement responsable comme « ces comportements de consommateurs qui prennent en compte l’impact sur l’environnement de leurs décisions de consommation privée ou qui utilisent leur pouvoir d’achat pour exprimer leurs préoccupations sociales ». Quelques années plus tard, le CSR est représenté par le terme «ethical consumption» utilisé dans plusieurs études anglophones (Carrigan et Attala, 2001; Crane et Matten, 2003; Shaw et Shiu, 2003; Cherrier, 2005, Lewis et Potter, 2010). 

Les auteurs Crane et Matten (2003) voient l’« ethical consumption» comme étant « le choix conscient et délibéré de faire certains choix de consommation en raison de croyances personnelles et morales.» Il s’agit donc de croyances subjectives visant au bien-être personnel ou social. Thornton (2012), précise dans un article intitulé What does ethical sonsumerism mean for business ?, que l’ethical consumption engage le consommateur à acheter et à consommer des produits conçus éthiquement. Payne (2012) précise cette pensée en parlant de l’achat d’un produit relié à un enjeu éthique (droits de l’homme, conditions de travail, produits recyclés, consommation d’aliments organiques, environnement, etc.) et qui est choisi librement par un consommateur. Payne (2012) parle donc de libre choix, Crane et Matten (2003) parlent aussi de choix, conscient, et mentionnent l’influence des croyances personnelles et morales. Murphy et Bendell (1997) dans le cadre de leur « analyse de l’évolution des mouvements environnementalistes » sont convaincus de l’existence d’une corrélation entre l’ethical consumption et l’environnement et le social et pensent que ces valeurs façonnent ce type de consommation.

 

Du côté francophone, la CSR est définie par Gendron et al. (2004) comme une consommation « consciente de ses impacts sociaux et environnementaux », tandis que Lecompte et Valette Florence (2006) désignent de leur côté la consommation « socialement responsable» comme le fait de prendre en compte « les conséquences publiques de sa consommation privée ». Ils précisent en parlant de la considération par le consommateur de «critères sociaux et environnementaux ». Ces définitions de la CSR rejoignent celle de l’« ethical consumption » de Murphy et Bendell (1997). Il est intéressant de noter l’aspect du choix libre (donc non forcé) et conscient (délibéré) amené par Crane et Matten (2003). Celui-ci justifiera, par la suite, le cadre théorique utilisé dans notre recherche.

 

Nous remarquons que les définitions convergent vers deux points: les aspects sociaux et environnementaux. La consommation responsable comporterait donc une dimension sociale ainsi qu’une dimension environnementale.

 

Les échelles de mesure développées au fur et à mesure pour étudier et mesurer ce phénomène de consommation responsable voient le jour. L’échelle de Robert (1975) pose un inconvénient majeur : elle donne un poids trop important à la facette écologique conduisant à la couverture incomplète de la dimension sociale. Les travaux de François-Lecompte et Valette-Florence (2006) donneront par la suite un poids  équivalent à ces deux aspects de la CSR puisqu’ils identifient cinq dimensions : (1) le refus d’acheter aux organisations dont le comportement est jugé «irresponsable», (2) l’achat de produits-partage, (3) le soutien aux petits commerces, (4) la prise en compte de l’origine géographique des produits et (5) la limitation du volume de consommation. Dernièrement Webb, Mohr et Harris (2008) ont ajouté à la CSR la prise en compte de comportements non marchands. Ils définissent le consommateur socialement responsable comme « une personne qui base son approvisionnement, son utilisation et son élimination des produits sur un désir d’éliminer tout effet négatif et de maximiser l’impact bénéfique à long terme sur la société ». Ils proposent une échelle intitulée Socially Responsible Purchase and Disposal (SRDP) qui ne prend plus seulement en compte l’approvisionnement en biens et services mais également leur utilisation et leur recyclage. Ces nouvelles applications de la CSR peuvent par exemple inclure le tri des déchets/ la réutilisation des produits, la simplicité volontaire ou encore le boycott de produits ou d’entreprises. Plusieurs recherches en marketing se sont penchées sur cette facette de la CSR.

 

Le tri des déchets  (cf. Barr, 2007)

 

Le tri des déchets et le recyclage sont des processus sociaux par lesquels se posent la question du statut de ce qui est « insignifiant ou signifiant » pour la société (Turlan, 2013). Le trieur est réputé plus responsable ou meilleur citoyen, puisque son acte permet de prolonger le cycle de vie du produit jugé inutilisable.

 

Selon Robert-Kréziak (1998, p. 379), l’acceptation du recyclage apparaît comme principalement dominée par trois orientations :

 

  • la première relative au volume des déchets et à l’encombrement des décharges perçus comme une menace pour le cadre de vie ;
  • la deuxième liée à la perception du gaspillage des ressources naturelles et à la santé ;
  • la troisième reflétant un souci de protection du patrimoine à long terme.

Enfin, une dernière façon de recycler pour les consommateurs responsables est de «redonner vie » eux-mêmes aux produits usés. Deux possibilités existent : en premier lieu « bricoler » avec des matériaux récupérés (par exemple en réutilisant des pots de verre ou de plastique pour conserver les aliments), réparer soi-même les meubles ou les électroménagers dans le but de prolonger la durée de vie des produits ; en second lieu fréquenter les marchés d’occasion (De Bauhain-Roux, 2002, 2003). 

 

Les consommateurs responsables peuvent y trouver un mode d’expression contestataire puisqu’il s’agit de détruire l’ordre établi par la distribution traditionnelle, de retrouver du lien social et d’échapper à l’individualisme contemporain mais aussi d’utiliser des produits usés et d’éviter le gaspillage (De Bauhain-Roux, 2003). De plus, le recyclage s’inscrit dans une démarche personnelle et collective à la fois : personnelle du fait qu’en triant leurs déchets, les consommateurs respectent leur principe lié au respect de l’environnement et écologique du fait que cette action permet de lutter contre différentes pollutions de l’air et épargne donc la société.

 

Selon Salem et Chebat (2008),  le recyclage gagne en intérêt depuis près de vingt ans, conduisant à l’analyse de diverses variables cognitives et psychologiques afin de l’expliquer et de saisir sa portée. Ces auteurs expliquent que « les variables sociodémographiques ont eu également leur lot de travaux principalement au début des années quatre-vingt-dix. D’une façon générale, ces travaux avaient étudié le sexe, l’âge, l’éducation et le revenu comme déterminants du comportement de recyclage versus non-recyclage. Une dernière branche de recherche qui mérite d’être mentionnée est celle ayant traité des motifs du comportement de recyclage ». 

 

La simplicité volontaire

 

Dans les travaux de Thomson (2004) sur la relation entre spiritualité et consommation éthique, la simplicité volontaire figure comme un moyen d’accéder à une vie plus spirituelle. Aujourd’hui, la simplicité volontaire exprime le souhait de trouver le bonheur en travaillant moins, en voulant moins et en dépensant moins. Ce projet n’est plus seulement issu de raisonnements moraux ou théologiques, il est aussi la conséquence d’une plus grande prise de conscience des effets négatifs du consumérisme sur les plans social et environnemental (Elgin, 1993) et de la perception d’une société de risques (Beck, 2001).

 

En 2011, Hélène Privat étudie les comportements de simplicité volontaire chez les seniors et se réfère aux cinq valeurs d’ d’Elgin et Mitchell (1977) pour ses recherches :  : la simplicité matérielle (consommer moins de produits et services), l’échelle humaine (le désir pour des organisations à échelle plus réduite), la détermination (le désir de contrôler plus sa vie / indépendance), la conscience écologique (ma reconnaissance de l’interdépendance des personnes et des ressources) et la croissance personnelle (un désir d’explorer et de développer sa vie intérieure / réalisation de soi).

 

Dans cette optique, Ladwein (2012) livre sa propre conception de la simplicité volonaitre chez les consommateurs : « Les adeptes de la simplicité volontaire sont difficiles à quantifier et les chiffres qui sont proposés présentent de fortes disparités. Les différentes études s’accordent cependant pour dire que ce mouvement n’a rien de marginal et que le phénomène touche de nombreux consommateurs mais à des degrés certes divers. »

 

La simplicité volontaire se traduit en de multiples comportements, comme le présente le tableau suivant :

 

Réduction des achats de biens matériels et services, réduction des revenus, réduction du temps de travail, augmentation du temps libre. 
Faire un travail satisfaisant, passer du temps et s’investir auprès de sa famille, de ses amis, de sa communauté, être actif politiquement…
Vie à la campagne, retour à la terre, faire pousser sa nourriture…
Alimentation simplifiée, bonne pour la santé, végétarisme…
Le « désencombrement », le troc, l’achat d’occasions…
Transports collectifs, vélo, covoiturage, établissements publics, laverie…
Limiter la télévision, limiter son exposition à la publicité, éviter les achats impulsifs…
Autosuffisance : faire soi-même, coudre, jardiner, cuisiner, fabriquer, réparer…
Recyclage, recharges, achats de produits biologiques, achats de biens respectueux de l’environnement, achats de biens simples, durables et réutilisables (Johnston et Burton, 2002), achats de biens permettant de réduire le matériel et l’utilisation de l’énergie (Sandlin et Walther, 2009 ; Leonard-Barton, 1981 ; Shama, 1981) (panneaux solaires, machine à laver « 6ème sens », voiture hybride…), achats de produits équitables, de produits locaux, dans les magasins de proximité (Sandlin et Walther, 2009 ; Shama,  1981 ), boycotts, construction écologique…
Participation à des activités spirituelles et/ou de développement personnel : méditation, Yoga/Tai Chi, activités artistiques, bénévolat…
Achat de produits petits et simples, fonctionnels, de qualité, qui permettent l’implication (Shama, 1981)…
Eco-villages, échange de savoirs, bourses d’échanges…
Achats sur des marchés « innovants »* (marchés aux puces, vendeurs de rue…) (Shama, 1981)

 

Privat (2011)

 

La simplicité volontaire, en tant que concept, a été étudiée sous différents angles comme le montre le tableau suivant :

 

Tableau 1.1 : Quelques études abordant le concept de simplicité volontaire

 

Elgin (1981)

 La simplicité volontaire est un ensemble de manières de vivre :

– simplement à l’extérieur, richement à l’intérieur ;

– en trouvant l’équilibre et l’harmonie entre les aspects internes et externes de la vie ;

– en éliminant les aspects superficiels de la vie pour garder plus de temps

et d’énergie afin de développer plus d’aspects authentiques ; etc.

Mazza (1997) 

C’est un mouvement qui croise différentes classes et cultures et qui inclut le fait de vivre simplement, la frugalité, la réduction de la consommation, le style de vie durable.

Andrews et Holst (1998)

C’est une « vie examinée » dans laquelle les individus sont motivés par le

contrôle, la responsabilité, la compassion, la fondation d’une communauté…

 

Source : adapté de Craig-Less et Hill (2002, p. 191), in Ozcaglarn (2005)

Etzioni (1998, 2004) propose trois catégories de « simplifieurs volontaires », selon leur degré croissant d’implication :

 

– les simplifieurs (downshifters) qui réduisent leur consommation et leur revenu sans changer profondément leur façon de vivre ;

 

– les simplifieurs forts qui restructurent de façon significative leur vie – il s’agit essentiellement des personnes ayant des métiers rémunérateurs mais très stressants qui décident de se retirer de leur vie en cours pour gagner moins, dépenser moins, et disposer de plus de loisirs ;

 

– les simplifieurs holistiques dont le rejet global du consumérisme provient d’une philosophie cohérente ou d’une éthique de vie – ils décident souvent de vivre dans des petites villes ou à la campagne, dans le but de simplifier leur vie.

 

Précisons que la simplicité volontaire n’est pas incompatible avec d’autres démarches de consommation responsable. Elle est au contraire vue comme complémentaire par les consommateurs « éthiques » (Shaw et Newholm, 2003). Par ailleurs, les adeptes de la « simplicité volontaire » ne constituent pas un groupe homogène et adoptent des stratégies souvent différenciées (Shaw et Newholm, 2003 ; Newholm, 1999, 2005).

 

Le boycott 

 

Dans un ouvrage dédié au boycott, Cissé-Depardon et N’Goala rappellent que les appels au boycott se multiplient visant des entreprises telles que Shell en 1995, Nike depuis 1995, Danone en 2001, les opérateurs téléphoniques en 2004, les groupes de cinéma et Reynolds en 2006 ou  encore Nokia en 2007. Pour ces auteurs, les appels au boycott deviennent de plus en plus sérieux, organisés et expansifs, depuis qu’Internet a fortement évolué et que les boycotteurs peuvent se communiquer via des forums de discussion ou agir en créant des buzz marketing, etc. Le boycott se répand donc facilement grâce à Internet, permettant même aux petits groupes de consommateurs tels que les mouvements  altermondialistes, groupes anti-marketing, etc. de se faire entendre et de donner plus de poids et d’ampleur à leurs actions. A cause de ces boycotts, l’image des entreprises peut être terni, l’efficacité marketing perdue et les parts de marché diminuées (Zack, 1991 ; Jackson et Schantz, 1993, Drillech 2001 et 2011). Ces boycotts s’opposent à des pratiques d’entreprise condamnables telles que l’exploitation des enfants du tiers-monde, la pollution de  l’environnement, la mise en place de prix abusifs, la multiplication des licenciements, l’introduction des OGM dans l’alimentation, etc.

 

Parmi les ouvrages actuels traitant du boycott, celui de Fourest (2005) est le plus représentatif de la consommation responsable. L’auteur y explique qu’à travers leurs actes de protestation contre les pratiques illégales allant à l’encontre du droit de l’homme, de l’environnement, du bien-être, etc., les consommateurs ou consom’acteurs, ceux qui souhaitent abolir la consommation consumériste au profit d’une consommation plus consciencieuse et citoyenne, se ruent vers une consommation responsable, faisant du boycott une « nouvelle arme de la consommation responsable ».   

 

Pour John et Klein (2003, p. 1198), « le boycott survient lorsqu’un certain nombre de personnes s’abstiennent d’acheter un produit, au même moment, en réaction au même acte ou comportement grave, mais pas nécessairement pour les mêmes raisons ». Afin de mieux appréhender ce phénomène, la littérature marketing a alors cherché à mieux : 1) analyser les cibles et les effets du boycott sur les organisations (Pruitt et Friedman, 1986 ; Belch et Belch, 1987 ; Putnam et Muck, 1991 ; Friedman, 1999), 2) identifier les motivations qui se trouvent à l’origine de la participation des consommateurs au boycott (instrumentales ou expressives) (Friedman, 1985 ; Klein, Smith et John, 2002 ; John et Klein, 2003) et 3) expliquer la décision individuelle de boycott par différents facteurs tels que l’attente de coopération des autres, la probabilité de succès du boycott, la gravité perçue de l’acte de la marque ou la crédibilité du message (Garrett, 1987 ; Sen, Gürhan- Canli et Morwitz, 2001 ; Klein, Smith et John, 2002 et 2004 ; Smith, 2005).

Le tableau suivant résume les principales études menées sur le thème du boycott :

 

Tableau 1.2 : les principales études effectuées sur le boycott

 

Auteurs Approches méthodologiques Variables influençant la participation à un

boycott

Cissé-Depardon, N’Goala (2009) Enquête -La satisfaction cumulée, 

– la confiance                     – l’engagement vis-à-vis d’une marque

Klein, Smith et

John (2004)

Enquête – Coût : renoncement au produit

– Bénéfice : récompenses individuelles

(meilleure estime de soi en lien avec la pression

sociale et le sentiment de culpabilité)

– Raison : jugement du boycott comme action

adéquate

Sen, Gürhan-Canli,

Morwitz (2001)

Expérimentation  – Perception du boycott réussi

– Influences de la norme sociale

– Coût du boycott

Friedman (1999) Multi- méthodes

(approche historique,

études documentaires et

enquête)

– Facilité à participer à un boycott

– Pression sociale

– Absence de conséquences au niveau individuel

– le « valoir » du boycott

Smith (1990) Etudes de cas – Caractéristiques du consommateur

– Caractéristiques du sujet/ de la cause

– Caractéristiques du produit

– Caractère substituable du produit

Garrett (1987) Enquête – Correspondance des attitudes des participants avec les buts du boycott

– Sensibilité du consommateur au boycott

– Coût de la participation

– Pression sociale

-Crédibilité du leader du boycott

 

Pour éviter un tel comportement de la part des consommateurs, certaines entreprises telles que American Apparel se distinguent non seulement en se disant « sweatshop-free », mais aussi en offrant des salaires et des avantages particulièrement élevés pour le domaine. Avec sa raison sociale et ses revendications « made-in-the-USA, downtown Los Angeles », American Apparel joue quelque peu la carte du patriotisme. Il y a donc une certaine association entre les bonnes conditions de travail des employés et le fait que les lieux de production soient situés « plus près» des consommateurs, ce qui renvoie probablement plus à une proximité psychologique que physique. 

 

Selon Nil Ozcaglar Toulouse (2008), si les boycotts visent à influer sur les stratégies des entreprises selon les souhaits du consommateur, il existe en contrepoint les « buycotts » (Bozonnet, 2010). Le buycott se traduit par un refus des consommateurs d’acheter des produits fabriqués et commercialisés par des entreprises qui ne respectent pas les principes éthiques. Leur action ne s’arrête pas là puisqu’ils mobilisent également les autres consommateurs à adopter la même attitude qu’eux. Smith (1990) développe les principes non éthiques qui valent des contestations de la part des consommateurs adeptes du buycott : « Il peut s’agir alors d’achats engagés, véritable opportunité pour le développement des « augmented products » ayant une valeur ajoutée éthique. » 

 

Les consommateurs ayant boycotté ou adeptes du buycott recherchent donc la primarisation par les entreprises des produits éthiques en vue d’une consommation responsable et éthique. Mais justement, qu’entend-on par « consommation responsable et éthique ? »

  • Consommation responsable et éthique 

Il a été constaté que depuis quelques années, l’éthique et la moralité jouent un rôle primordial dans le comportement quotidien d’un consommateur (Hirschman, 1991 ; Klein et al., 2004). Partant de ce constat, Crédoc a réalisé une étude en 2007 dont les résultats démontrent cette affirmation : « 44% des français ont déclaré tenir compte, lors de leurs achats, des engagements que prennent les entreprises en matière de «citoyenneté » : ne pas recourir au travail des enfants, ne pas faire souffrir d’animaux, ne pas polluer… » Les consommateurs accordent donc plus d’importance aux actions et aux modes de fonctionnement des industries alimentaires en fonction de ces critères, une attention particulière qui a fait un bond de 6 points depuis 2002. Notons, cependant, que ce sont les jeunes qui sont les plus exigeants à ce sujet, leur attention ayant grimpé de 15 points, contrairement aux personnes âgées de plus de 70 ans qui s’en soucient moins chez lesquels ont enregistre une perte de 5 points.

Les biens éthiques gagnent de plus en plus d’intérêt chez les consommateurs qui ne lésinent pas sur leurs moyens afin de sensibiliser les entreprises à œuvrer pour des raisons d’éthique et à « produire éthiquement ». Dans ce contexte, 61% d’entre eux sont capables de payer un surplus de 5% à qualité de produit identique pour que lesdites entreprises respectent les « engagements de citoyenneté » qui leur sont chers. Le nombre de ces consommateurs a fortement progressé depuis 2002 avec un gain total de 9 points. Les engagements de citoyenneté dont il est question ici concernent particulièrement le travail des enfants contre lequel lesdits consommateurs militent avant tout.

 

A cet effet, les consommateurs souhaitent obtenir le plus d’informations possible sur les produits bios mis sur le marché avant leur achat. Le baromètre de l’Agence Bio édité en 2012 indique donc que les consommateurs français veulent connaître l’origine des produits à raison de 59% contre 55%en 2011. Dans cette même optique, il est intéressant de souligner que cet attrait pour les informations concernant les produits gagne de l’ampleur suivant les années. Ainsi, 54% des consommateurs de produits biologiques veulent connaître le mode de production des produits en 2012, une progression de 5% par rapport à 2011 (49%) ; de même, 52% d’entre eux misent sur les contrôles desdits produits et veulent en savoir davantage sur ce sujet en 2012 contre 53% en 2011. Ces trois informations intéressent les consommateurs au plus haut point et peuvent déterminer leur achat. On note également une importance consacrée aux qualités nutritionnelles qui font l’objet de leur attention à hauteur de 45% en 2011 et en 2012. Ces chiffres progressifs expriment la prise en compte de l’éthique par les consommateurs qui, en 2003, étaient 39% à tenir compte des conditions de production des produits avant de les acheter, selon une enquête Ipsos réalisée en avril 2004. 

 

Cependant, la « consommation engagée » n’est pas uniquement dépendante de ces facteurs, elle est surtout incitée par deux « versants complémentaires : elle peut s’inscrire dans le choix délibéré d’acquérir tel ou tel bien ; elle peut aussi s’appuyer, en creux, sur celui de refuser volontairement, c’est-à-dire de « boycotter », tel ou tel autre de ces produits. ». A ce titre, on attribue plus de sens te de valeur au boycott du fait qu’il permet au consommateur de lutter contre le travail des enfants, les licenciements « abusifs », surtout lorsque les entreprises font quand même des bénéfices, et la pollution engendrée par les produits utilisées par l’entreprise productrice.

 

Bien que les consommateurs soient de plus en plus exigeants quant aux informations sur les produits biologiques, cela n’empêche pas le commerce équitable de prendre son envol et de se développer fortement. Son chiffre d’affaire croît donc massivement depuis 2003. Cette progression de la consommation responsable se traduit par une hausse incessante du chiffre d’affaires des produits labellisés Max Havelaar (FLO) qui représente, actuellement,  80% du chiffre d’affaires total du commerce équitable. En 2001, le label Max Havelaar a récolté 18 millions d’euros , un chiffre bien dérisoire à côté du CA dudit label en 2011 estimé à 315 millions d’euros, ou de celui de 2012 valant 346 millions d’euros, selon les chiffres publiés par l’observatoire pour la consommation responsable : Mes courses pour la planète.

 

Enfin, citons les fonds éthiques qui se développent à grande vitesse. En Europe, leur nombre a doublé en cinq ans. Le champion sur le marché reste les Etats-Unis qui jouissent du plus important capital investi dans les fonds éthiques, suivis, de loin, par la Grande Bretagne.

 

Alors que la majorité des auteurs emploient le terme de consommation socialement responsable, le terme d’éthique revient souvent. Les deux expressions peuvent-elles être assimilées ? Comme nous l’avons déjà montré, la CSR désigne le fait de prendre en compte les conséquences de ses achats sur son environnement au sens large (personnes, animaux, environnement physique). Il est implicite que le consommateur socialement responsable cherche à préserver ou à favoriser le bien-être de cet environnement. Le terme d’éthique (du grec êthicos : morale et êthos : mœurs), quant à lui, désigne ce qui concerne les principes de la morale (Petit Larousse). Préciser les notions d’éthique et de morale nécessiterait d’adopter une vue philosophique et  il semble réellement difficile de donner des définitions exactes de ces deux termes, étant donnée les différentes visions proposées sur ce thème.

 

Consommer de manière éthique revient à consommer des produits suivant les « principes d’une société » (Smith, 1990), c’est-à-dire en se souciant des aspects environnementaux et humains des produits. Dans cette optique, Engel et Blacwell (1982) rappellent que les consommateurs centrés sur l’éthique veulent prendre part au « bien-être social  ou environnemental des autres ». Ces personnes sont dirigées par des motivations d’ordre éthique à côté de celles d’ordre économique dans leur consommation (Burke, Milberg, Smith, 1993, Thogersen, 2000). Pour ce faire, elles adoptent une consommation « désintéressée et dirigée uniquement vers autrui » (Holbrook, 1994 et Cooper-martin et Holbrook, 1993). 

 

Ainsi, les consommateurs éthiques développent deux comportements opposés en même temps : égoïsme/altruisme et activité/passivité Cooper-Martin et Holbrook (1993).Selon ces deux auteurs, l’égoïsme/altruisme permet à un individu de discerner le « bien » du « mal », un principe déterminant de la consommation éthique. Dans le rapport du 7ème congrès « Tendances du marketing », Canel-Depitre et Lavicka (2007) expliquent que : « Les expériences de consommation « éthiquement supérieures » comme ne pas acheter de produits testés sur les animaux, donner à manger aux plus démunis, recycler ses déchets sont situées dans le cadran altruiste/actif. » Il en ressort donc que la consommation éthique est altruiste et active et que la consommation non éthique résulte de l’égoïsme et de l’irresponsabilité.

 

Si ces données semblent plutôt anciennes, la consommation éthique d’aujourd’hui est de plus en plus affermie et les consommateurs sont de plus en plus tournés vers les dimensions éthiques et morales des produits. Piraux (2006) écrit à ce sujet en précisant qu’à notre époque, les « biens et services doivent répondre à des critères éthiques ». Face à ces tendances éthiques, les entreprises doivent répondre aux attentes des consommateurs en termes d’éthique, c’est-à-dire se centrer sur l’humain, l’environnement et la société, par exemple, en adoptant le « Marketing 3.0 » comme le suggèrent Volle et al.

 

Pour en revenir à la perception d’Holbrook (1994) selon laquelle la consommation éthique est désintéressée, celle-ci est fortement contestée par Smith (1996). Ziegler et Sojka (1986).  Soulignent, à ce sujet, que « même si un comportement socialement conscient peut  apparaître comme étant motivé par des désirs purement désintéressés, étant donné que la société qui en bénéficie inclut l’individu, alors l’individu en bénéficie aussi » De ces constatations résulte donc un fait avéré : lorsqu’un consommateur adopte un comportement socialement conscient, il recherche à la fois son intérêt social et son intérêt personnel.

 

D’autre part, la notion de consommation éthique fait référence au concept proposé par Muncy et Vitell (1992). Ils définissent l’éthique de la consommation comme « les principes et standards moraux qui guident le comportement d’individus ou de groupes lorsqu’ils acquièrent, utilisent et disposent de biens et services ». Leur échelle décrit tous les actes de l’individu dans la sphère de consommation susceptibles d’être contraires aux bonnes mœurs comme, par exemple le fait de copier un disque au lieu de l’acheter, de consommer un produit dans un supermarché sans le payer, ou de mentir sur l’âge d’un enfant pour bénéficier d’un tarif réduit. Il ne s’agit donc pas des achats selon des critères éthiques, mais d’un comportement plus ou moins citoyen de l’individu. Ainsi, même si certains auteurs emploient le terme éthique pour désigner certains actes de CSR comme le boycott (Smith, 1987, 1990), le terme de consommation socialement responsable ne désigne pas exactement le même champ d’étude

On peut alors dire que la consommation éthique peut requérir un comportement éthique sans impact négatif sur les personnages entourant le consommateur : consommation d’alcool, préservatifs … (François-Lecompte, Valette-Florence, 2004). Cela signifie donc que la consommation éthique n’impacte pas forcément les personnes dans l’entourage d’un consommateur, on peut prouver cela en observant le comportement éthique d’un consommateur motivé par des raisons morales qui n’influencent pas négativement la société. Une ambigüité entre la CSR et la notion d’éthique est alors décelée : l’éthique ne s’arrête pas uniquement à la CSR et ne s’identifie pas non plus à cette dernière.  Toutefois, Velasquez et Rostankowski (1985) précisent que « tout acte de CSR est éthique : chercher à préserver les intérêts de notre entourage est conforme aux attentes de notre société. »

 

La consommation responsable se traduit en deux modèles d’engagement existant à travers leur description par les chercheurs : l’engagement par l’achat de produits à caractère environnemental et l’engagement par l’achat de produits à caractère social. Ainsi, la morale et l’éthique sont deux facteurs indissociables de la consommation responsable, et du consommateur responsable, qui les recherchent dans les produits consommables et en font leur priorité.

 

Le concept de consommation responsable défini et délimité, nous faisons le choix de nous intéresser au comportement d’achat responsable (le buycott). Le but de la partie suivante sera donc de préciser les thèmes d’achat relatifs à ce comportement : les achats à caractère environnemental et à caractère social

  • Les branches de la consommation responsable

  • L’achat à caractère environnemental

L’environnement a tout d’abord été pris en compte au niveau institutionnel. En effet, lors du Sommet de la Terre à Rio en 1992, deux principes ont été établis posant les bases de la notion de développement durable. Ainsi, le Principe n° 1 énonce que « Les êtres humains sont au centre des préoccupations relatives au développement durable. Ils ont droit à une vie saine et productive en harmonie avec la nature ». Quant au Principe n° 4, il propose que « Pour parvenir à un développement durable, la protection de l’environnement doit faire partie intégrante du processus de développement et ne peut être considéré isolément ».

 

Selon la définition proposée en 1987 par la Commission mondiale sur l’environnement et le développement dans le Rapport Brundtland, le développement durable est : « Un développement qui répond aux besoins des générations du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. Deux concepts sont inhérents à cette notion : le concept de « besoins », et plus particulièrement des besoins essentiels des plus démunis à qui il convient d’accorder la plus grande priorité, et l’idée des limitations que l’état de nos techniques et de notre organisation sociale impose sur la capacité de l’environnement à répondre aux besoins actuels et à venir. » 

 

Pour renforcer cette définition, Aubertin et Franck-Dominique (2010) expliquent que le développement durable s’inscrit dans trois contextes : la politique, l’économie et le social dans lequel on peut classer l’environnement et la consommation responsable.

 

La conscience environnementale médiatisée, notamment sous le vocable de développement durable, se voit reprise par l’entreprise, d’une part dans les stratégies d’affichage et de communication (vis-à-vis des diverses parties prenantes), et d’autre part de manière opérationnelle (en réaction aux évolutions réglementaires et parfois sous la forme d’accords volontaires non contraignants). Ceci conduit à intensifier des approches telles que l’évaluation de la performance à l’aide du Triple Bottom Line et le développement de produits plus respectueux de l’environnement : produits verts, biologiques, recyclés, recyclables, produits « éco-conçus », etc. (Laville, 2002). 

 

L’aspect environnemental est un élément clé de la consommation responsable mais il n’en représente qu’une facette. La consommation responsable se définit également sous un deuxième angle : le social.

  • L’achat à caractère social

Le poids des consommateurs sur les pratiques des entreprises est jugé de plus en plus déterminant. Ainsi, de nombreuses campagnes de pression et de lobbying bien orchestrées auprès des consommateurs font de la dimension sociale un critère fort d’évaluation des produits et des entreprises. Et ce, à un moment où même dans les pays signataires de multiples conventions de l’Organisation Internationale du Travail, les droits et libertés des travailleurs ne sont pas toujours respectés (Robert- Demontrond, 2003). Cette intensification de la prise de conscience des enjeux et de l’évolution des rapports de force amène entreprises et consommateurs à évoluer vers de nouveaux modes d’échanges commerciaux. Ainsi est née la pratique dite «commerce éthique ».

 

Souvent assimilé au commerce équitable, le commerce éthique a pourtant sa définition et son fonctionnement propre. Il vise en général à assurer au consommateur qu’un certain nombre de normes, ayant trait au respect des droits de l’homme et des droits sociaux, a été respecté à tous les échelons de la chaîne de production et de distribution. Il est issu des initiatives individuelles des entreprises et s’opère généralement par l’engagement des entreprises à adopter des codes de conduite ou des chartes éthiques dont l’objectif est d’encadrer les relations avec ses parties prenantes.

 

La sensibilité des consommateurs sur les questions sociales est croissante et les entreprises sont de plus en plus confrontées aux « pénalités marchandes liées à l’absence d’effort social » (Robert-Demontrond et Brun, 2003). Cependant, en ce qui concerne l’adhésion des consommateurs à la « montée » des préoccupations sociales dans les entreprises, le domaine reste peu exploré. Bien que de nombreuses recherches traitent des enjeux marketing du social dans l’entreprise, le lien avec le comportement du consommateur n’est pas encore suffisamment analysé. Certaines études ont pourtant montré l’existence d’une relation entre le comportement d’achat d’un produit et le respect du social dans l’entreprise. Handelman et Arnold (1999) ont ainsi constaté un impact positif pour les actions marketing avec une dimension sociale : une entreprise peut par ce biais bénéficier d’un sentiment de bienveillance de la part du consommateur.

 

Ainsi, la consommation responsable et les consommateurs responsables sont donc motivés par deux critères : le social et l’environnement. Nous avons entrevu précédemment que le social ne consiste pas uniquement à répondre aux attentes de la société entière, mais aussi à apporter une satisfaction aux consommateurs individuellement. Les sociétés productrices de notre ère sont désormais presque « obligées » de centrer leurs activités et leur production sur l’humain et l’environnement, les consommateurs étant de plus en plus exigeants à ce sujet.

 

Notre étude n’écartera pas l’aspect social de l’achat de produits biologiques, cependant, nous nous ressentons un intérêt profond pour l’achat à caractère environnemental du fait qu’il s’agit d’un élément clé de la consommation responsable. Notre intérêt pour l’achat à caractère environnemental s’étend du fait qu’il contribue majoritairement à la promotion des produits biologiques et qu’il fait l’objet de plus d’études et de recherches que celui à caractère social. Nous axerons dont notre étude spécifiquement sur les produits biologiques dont le chiffre d’affaire ne représente, certes, qu’un maigre pourcentage sur celui de la l’ensemble des produits de consommation dans le monde, mais dont l’évolution est de plus en plus fulgurante jusqu’à atteindre des pays tels que Liban où son marché reste embryonnaire, mais porteur d’espoir. 

 

De plus, l’agriculture biologique dépend énormément de l’environnement et de sa santé, si on ne cite que l’exemple du développement durable. En même temps, l’agriculture biologique est également très liée à l’environnement qu’elle s’efforce de respecter et d’améliorer autant qu’elle le peut. L’achat à caractère environnemental a, par ailleurs, un impact notoire sur le social.

  • La consommation de produits biologiques

  • Spécificités de l’agriculture biologique

Contrairement aux apparences, l’agriculture biologique est une forme d’agriculture ancienne issue du système agricole jadis utilisé par les ancêtres. (Lavallée et Parent, 2005). Elle est actuellement en perpétuelle progression, surtout depuis la « remise en cause de l’agriculture industrielle mondialisée dite «conventionnelle», qui se veut une protection du consommateur contre l’expansion du libre-marché, ce qui ne se fait pas sans heurts »

 

Il apparait logique donc de dire que l’agriculture biologique a hérité de ce système agricole ancestral, tout en développant ses propres traits, notamment pour sa capacité et sa tendance à produire des aliments de haute qualité en se préoccupant avant tout de l’environnement. C’est d’ailleurs ce point qui la distingue de l’agriculture dite « raisonnée » et de l’agriculture industrielle.

 

Dans cette optique, l’agriculture biologique produit des produits naturels sans user produits chimiques que ce soit en termes de culture ou d’élevage.  Elle ne requiert donc pas l’usage des « produits chimiques de synthèse, des OGM et limite l’emploi d’intrants ». Dans son livre Le jardinier-maraîcher : Manuel d’agriculture biologique sur petite surface, Jean-Martin Fortier expose les procédés auxquels il a recours pour faire fructifier son agriculture biologique : « des outils manuels mais sophistiqués conçus pour améliorer l’efficacité et l’ergonomie du travail ». Les matériels utilisés par les agriculteurs biologiques ne polluent donc pas l’air et ne détériorent pas non plus l’environnement, alors qu’ils offrent des avantages supplémentaires en termes de qualité et de vitesse de production. 

 

Les méthodes de l’agriculture biologique la rendent de plus en plus expansive et progressive, au détriment de l’agriculture conventionnelle et de ses pratiques peu soucieuses de l’environnement.  L’agriculture biologique défend des valeurs humanitaires et environnementales. Lavallé et Parent (2005), expliquent à ce sujet que  « face à l’agriculture de masse, l’agriculture biologique est celle qui refuse de sacrifier la sécurité alimentaire et l’environnement à long terme au profit économique immédiat. Avec ce type d’agriculture qui prend en compte dans nos choix d’aujourd’hui les intérêts des générations futures, les coûts sociaux et environnementaux ne sont plus des «externalités» à la charge de la collectivité mais sont inclus dans le prix du produit, qui participe à la réalisation des impératifs du développement durable. »

Le marché des aliments issus de l’agriculture biologique (AB) est en également progression constante en France en raison de l’intérêt des consommateurs pour une alimentation plus naturelle et sans produits chimiques de synthèse et de la loi « Grenelle de l’environnement ». En effet, en 2007, la France a initié le Grenelle Environnement qui réunit pour la première fois l’Etat et les représentants de la société civile afin de définir une feuille de route en faveur de l’écologie, du développement et de l’aménagement durable

 

Les consommateurs et acheteurs « bio » accordent de plus en plus d’importance à la préservation de l’environnement. En 2004, 85% affirment consommer des produits bios « pour préserver l’environnement », contre 79% en 2003. En 2012, 86% des Français affirment consommer les produits biologiques pour cette même raison. En 2010, les consommations évoquent les raisons suivantes pour justifier l’achat de tels produits : « Pour préserver ma santé », « pour la qualité et le goût des produits », « pour  être certain que les produits soient sains ». Il s’agit des raisons les plus citées par les répondants à l’enquête de l’Agence Bio. 

 

L’essor des produits biologiques date de près de dix ans. « En un an, la consommation de produits biologiques a fait un bond de 7 points. En 2004, plus de 4 Français sur 10 consomment au moins un produit bio. Parmi eux, 22% en consomment au moins une fois par semaine (20% en 2003) et 22% une fois par mois (17% en 2003). » « De 2003 à 2004, le nombre d’acheteurs de produits bio a, lui aussi, significativement augmenté. En 2003, 33% déclaraient en avoir acheté au cours des quatre semaines précédant l’enquête, ils sont 42% en 2004. »

 

Ces chiffres sont appuyés par des résultats de recherche puisque selon Gil et al. (2000), les consommateurs du monde entier se sentent de plus en plus concernés par leur nutrition, leur santé et par les aliments qu’ils consomment. Ces nouvelles préoccupations se traduisent par l’achat de produits biologiques. Von Alvensteben (1998) assure que les consommateurs sont de plus en plus intéressés par l’achat de produits biologiques. Au total, 130 pays pratiquent l’agriculture biologique certifiée, parmi elles, 90 sont des pays développés (Krystallis et Chryssohoisis, 2005).

Notons cependant que le terme « biologique » est souvent source de confusion pour le consommateur (Chryssochoidis, 2000). En effet, ces derniers savent qu’un produit biologique est un produit obtenu sans pesticides ni produits chimiques (…) mais ne connaissent pas les standards et les pratiques de l’agriculture biologique (Davies et al, 1995 ; Harper et Makatouni, 2002 ; Hill et Lunchehaun, 2002). De plus, d’autres termes viennent agrandir cette confusion : « poulet fermier » ou encore « produits naturels » (Fotopoulos et Krystallis, 2002 ; Aarset et al, 2004).

 

En s’appuyant sur les travaux de Sylvander (1999) et le cadre proposé par Holt (1995), Rémy (2004a) trouve quatre types d’accès à la consommation bio :

 

Tableau 1.4 : Les quatre types de consommation biologique

 

Orientation extrinsèque Orientation intrinsèque
Consommation aux motifs individuels Consommation utilitaire

Santé – Accessibilité

Calcul coût / avantage

Consommation hédoniste

Plaisir – Nostalgie

Recherche de traçabilité / authenticité

Consommation aux motifs sociaux Consommation esthétique

Diététique – Esthétisme

Méfiance vis-à-vis de la grande distribution et de l’industrialisation

Consommation politique

Idéologie – Ecologie

Méfiance vis-à-vis des produits offerts

Source : Remy (2004)

 

L’auteur distingue quatre types de consommation de produits biologiques : la consommation utilitaire qui est dirigée par une motivation individuelle où le consommateur recherche avant tout la préservation de sa santé. Le consommateur fait un calcul avantages-coûts pour passer ou non à l’acte d’achat.

 

La consommation hédoniste, même si elle est également motivée par un objectif individuel, est centrée avant tout sur le plaisir et la nostalgie des produits. Manger un produit biologique aurait meilleur goût et rappellerait celui des produits consommés quand on était plus jeune. On retrouve le goût authentique des aliments qu’il consomme.

 

Deux autres consommations, cette fois ci à orientation sociale, apparaissent dans cette typologie : la consommation esthétique et la consommation politique. La première se caractérise par une méfiance et une image généralement négative de la grande distribution et de l’industrialisation. Le consommateur se tourne donc vers des produits plus « naturels ». Enfin, la dernière catégorie concerne la consommation politique ou engagée des individus ou la protection de l’environnement guide le comportement du consommateur dans ses actes d’achat.

 

La consommation de produits biologiques a suscité de nombreuses recherches en marketing et dans différents domaines. Cette recherche se concentre sur trois grands axes d’études que l’on présente dans cette partie.

  • Les recherches menées sur la consommation de produits biologiques

Les recherches concernant la consommation de produits biologiques sont diverses et nombreuses. Nous classifions les thèmes d’études en trois catégories : l’identification des motivations et des freins à l’achat de produits biologiques, l’identification du consommateur de produits biologique, et la description du processus de décision et d’achat de produits biologiques que nous présentons successivement dans les sous-parties suivantes.

  • Les motivations et les freins à la consommation

Parmi les motivations poussant à la consommation de produits biologiques, nous citons les résultats de recherches suivantes : 

 

La consommation de produits biologiques est souvent décrite comme étant une consommation plus saine (Tregear et al, 1994 ; Huang, 1996 ; Hutchins et Greenhalgh, 1995 ; Chinnici et al, 2002 ; Zanotti et Naspetti, 2002, Agence bio, 2012), dont l’agriculture protège ou au moins ne nuit ni à l’environnement (Roddy et al. 1996, Wandel et Bugge  1997, Squires et al 2001, Soler et al 2002, Agence bio, 2012) ni aux animaux (cf. auteurs). La consommation de produits biologiques est donc poussée par le désir de protection de la nature. 

 

De plus, les produits biologiques ont également meilleur goût pour certains consommateurs en comparaison avec les produits conventionnels (Roddy et al, 1996 ; Schifferstein et Ophuis, 1998 ; Magnusson et al, 2001 ; Hill et Lynchehaun, 2002, Agence bio, 2012). Enfin, le développement de l’économie locale ainsi que celui de la cuisine traditionnelle sont également des motifs de consommation des produits biologiques.

 

Pour ce qui concerne les freins à cette consommation, nous relevons les éléments suivants :

 

Le frein majeur à la consommation de produits biologiques est le prix de vente de ces produits (Padel and Foster, 2005, Lea and Worsley, 2005, McEachern and Willock, 2004, Vindigni et al., 2002, Botonaki et al., 2006, Fotopoulos and Krystallis, 2002, Agence bio, 2012). En effet, les produits biologiques sont souvent 20 à 50% supérieurs aux produits conventionnels. Ce frein revêt une importance d’autant plus grande aujourd’hui avec la crise économique qui touche une plus grande population. 

 

Par ailleurs, les consommateurs se plaignent souvent de ne pas trouver les produits biologiques dans les points de vente habituels dans lesquels ils font leurs courses (Vindigni et al., 2002, Chryssohoidis and Krystallis, 2005, Lea and Worsley, 2005, Makatouni, 2002, Botonaki et al., 2006, Fotopoulos and Krystallis, 2002b,  Hughner et al., 2007, Agence bio, 2012). Se rendre à un magasin spécialisé pour trouver un large choix de produits biologiques est souvent une contrainte supplémentaire. 

 

S’ajoute à cela le scepticisme qui se développe vis-à-vis des labels de certification. Alors que le but premier de ces labels est justement de donner confiance aux consommateurs dans les produits qu’ils achètent, certains consommateurs sont méfiants et doutent de la crédibilité des processus de production biologiques (Padel and Foster, 2005, Lea and Worsley, 2005, Aarset et al., 2006, Hughner et al., 2007, Krystallis et al., 2008).

 

Par ailleurs, le fait d’être satisfait de son alimentation actuelle n’incite pas le consommateur à changer ses habitudes d’achat et à se lancer dans la consommation de produits biologiques. On remarque donc encore une certaine réticence face à l’achat et la consommation de produits biologiques, une réticence accentuée avec les opinions mitigées des consommateurs qui, tantôt, louent les bienfaits d’une telle agriculture et, d’un moment à l’autre, lui trouvent un bon nombre d’inconvénients.

 

D’autres études montrent l’importance de la connaissance et de l’information dans la consommation de ces produits (Padel and Foster, 2005, Makatouni, 2002, McEachern and McClean, 2002, Aarset et al., 2006, Agence bio, 2012).

 

Enfin, le marketing de ces produits est encore insuffisant et ne les met que très peu en avant, notamment lorsque l’ont sait que les consommateurs trouvent en général que l’aspect des produits biologiques est moins attirant que ceux conventionnels.

 

Ces résultats concernent les consommateurs de pays développés et ne prennent pas en compte les motivations et freins qui peuvent exister dans les pays en voie de développement. Des recherches complémentaires devraient s’intéresser aux pays en voie de développement pour comparer les résultats obtenus et ainsi augmenter la validité externe des résultats d’études précédentes.

 

Le tableau suivant dresse un récapitulatif des principales recherches effectuées sur ce sujet. Ce tableau n’est pas exhaustif mais synthétise bien l’état de la recherche sur les motivations et les freins à la consommation de produits biologiques.

 

Tableau 1.5 : Les études sur les motivations et les freins à la consommation de produits biologiques

 

Motivations et freins à la consommation de produits biologiques étudiés Auteurs
La santé  Tregear et al.(1994), Wandel et Brigge (1997), Grankvistk et Biel (2001), William et Hammit (2001), Lockie et al. (2001), Magnusson et al. (2001, 2003), Chinnici et al (2002), Zanotti et Naspetti (2002), 
La prise en compte de l’environnement Grunert et Juhl (1995), Schipherstein et al. (1998), Laroche et al. (2001), Squires et al (2001), Soler et al (2002), Agence Bio (2012)
La qualité et la sécurité des produits conventionnels Makatouni (2002)
Les motivations éthiques, morales et religieuses McEachern et McClean (2002), Agence Bio (2012)
Le goût Roddy et al (1996), Schifferstein et Ophuis (1998), Magnusson et al (2001), Lynchehaun (2002)
Le Prix Padel et Foster (2005), Lea et Worsley (2005), McEachern et Willock (2004), Vindigni et al (2002), Botonaki et al (2006), Fotopoulos et Krystallis (2002), Agence Bio (2012)
La  disponibilité des produits Vindigni et al (2002), Chryssohoidis et Krystallis (2005), Lea et Worsley (2005), Makatouni (2002), Mintel (2000), Botonaki et al (2006), Fotopoulos et Krystallis (2002b), Hughner et al (2007), Agence Bio (2012)
La confiance dans l’agriculture biologique/ la certification Padel et Foster (2005), Lea et Worsley (2005), Aarset et al. (2006), Hughner et al (2007), Krystallis et al (2008), Agence Bio (2012)
Connaissance et Information sur les produits biologiques Padel et Foester (2005), Makatouni (2002), McEachern et McClean (2002), Aarset et al (2006), Agence Bio (2012)

 

Le deuxième champ d’investigation des recherches en consommation de produits biologiques est la connaissance du consommateur. Nous présentons les études et les résultats les plus importants dans ce volet.

  • Les types de consommateurs de produits biologiques

Identifier et décrire le consommateur responsable est un enjeu majeur du marketing. En effet, comment proposer une offre complète et adéquate si l’on ne connaît pas notre cible ?

 

Nous relevons deux types d’études concernant ce champ de recherche : l’identification des facteurs socio démographiques clés ainsi que la mise en place de typologies de consommateurs de produits biologiques.

 

Concernant le premier volet, plusieurs facteurs socio démographiques ont été étudiés afin d’en définir leur importance au regard de la consommation de produits biologiques :

 

  • le genre : Stobbelaar et al (2007) et Agence bio (2012) montrent que les femmes sont généralement plus concernées par leur santé ainsi qu’au maintien d’une alimentation saine. Ces mêmes auteurs démontrent que les attitudes envers les produits biologiques sont positives et plus fortes chez les adolescentes qu’elles ne le sont chez les adolescents. Citons également Lea et Worsley (2005), Lockie et al (2004), Koivisto Hursti (2003) et Magnusson (2002) qui en arrivent à la même conclusion chez les adultes. Enfin, Davies et al (1995), Lockie et al (2002), McEachern et McClean (2002), Storstad et Bjorkhaug (2003), Arbindra et al (2005) et Radman (2005) démontrent que les femmes sont de plus grandes consommatrices de produits biologiques que les hommes. Pour preuve, l’Agence bio, dans le cadre de son 10ème Baromètre de consommation et de perception des produits biologiques en France, publie que 53% des consommateurs de produits biologiques e France sont des femmes.

 

  • Les enfants : Plusieurs études démontrent que les familles avec enfants ont une plus grande tendance à acheter des produits biologiques (Davies et al, 1995 ; Thompson et Kidwell, 1998 ; McEachern et Willock, 2004 ; Yue, 2008). Mais ces résultats sont en contradiction avec ceux de Loureiro et Hine (2002) qui prouvent l’existence d’un lien négatif mais insignifiant entre la présence d’enfants dans le foyer et le consentement à payer pour les produits biologiques. Les auteurs expliquent ce résultat par un faible revenu des familles étudiées. Enfin, l’arrivée d’un nouveau né dans la famille encourage les mères  à modifier leurs comportements : elles utilisent plus de produits biologiques dans leurs menus et ce, pour l’ensemble de la famille. Ce comportement est motivé par la volonté d’une alimentation plus saine pour les enfants (Hill et Lynchehaum, 2002 ; Riefer et Hamm, 2008).

 

  • L’âge : Les résultats concernant ce facteur sont hétérogènes d’une étude à l’autre. En effet, alors que  Roddy et al (1996), Schifferstein et Ophuis (1998) et Cicia et al. (2002) montrent que les consommateurs de produits biologiques sont plus âgés que la moyenne, Arbindra et al (2005) arrivent à la conclusion que les personnes âgées ont une intention d’achat plus faible que celle des  plus jeunes. Pour Davies et al (1995), O’Donovan et McCarthy (2002) et Fotopoulos et Krystallis (2002b), aucune différence n’est notée dans la consommation de produits biologiques concernant cette variable.

 

  • Le niveau d’éducation : cette variable semble ne pas jouer de rôle majeur dans la consommation de produits biologiques. Alors que certaines études ont pu prouver un lien positif (Jolly, 1991 ; Wandel et Bugge, 1997, O’Donovan et McCarthy, 2002 ; Denver et al., 2007 et Yue et al, 2008)., d’autres en revanche, ont montré l’existence d’un lien négatif (Byrne et al, 1991 ; Wilkins et Hillers, 1994 ; Thompson et Kidwell, 1998) Enfin, Arbindra et al (2005) concluent que le niveau d’éducation n’a aucun lien significatif sur l’achat de produits biologiques. C’est plutôt la consommation de produits biologiques qui accroît le niveau d’éducation et l’améliore, si l’on se réfère aux résultats de l’étude Nutrinet-Santé de 2013.

 

Plusieurs typologies sont également mises en place au fur et à mesure des recherches sur la consommation de produits biologiques.

 

Dans un document intitulé « Sensibilités et motivations à la consommation de produits éthiques, application aux produits issus du commerce équitable » , Florence de Ferran expose la première typologie de consommateurs réalisée par Sylvander (1999). Ainsi, Sylvander détermine trois types de consommateurs de produits biologiques :

  • « les nostalgiques, qui sont perçus comme les initiateurs de la consommation bio et dont les valeurs sont liées au passé (mythe de la nature, réticences face aux progrès de la science…) ;


  • les militants, qui s’opposent au système de production industrielle tel qu’il est défini par le capitalisme et qui sont attachés à la qualité des aliments et à la protection de l’environnement

 

  • les nouveaux clients, moins informés et concernés que les autres types de consommateurs, ils sont surtout préoccupés par des valeurs de santé et de bien-être, et dont le choix est fondé sur la recherche des produits biologiques de bonne qualité et bon marché. »

 

Toutes les études que l’on vient de présenter, à l’exception de celle effectuée par l’Agence Bio en 2012,  concernent les individus qui consomment de façon fréquente des produits biologiques. Or plusieurs auteurs (Stanton et al., 2007), soulignent le manque de connaissance sur le consommateur occasionnel de produits biologiques. Mieux connaître ce consommateur peut aider les entreprises à  mieux cibler leurs actions en vue de convertir ces consommateurs à une consommation plus fréquente et ainsi développer le marché des produits biologiques.

 

Enfin, le dernier champ d’études que l’on peut relever au sein de la revue de la littérature est la modélisation du processus de décision et d’achat des produits biologiques que l’on va développer dans la partie suivante.

 

  1. Processus de décision et d’achat

 

Après avoir défini la typologie du consommateur de produits biologiques, nous allons nous focaliser sur le processus de décision et d’achat qui, lui, varie suivant chaque type de consommateur. Il est donc primordial pour le marketing d’appréhender le processus de décision et d’achat chez le consommateur dont la satisfaction reste la priorité des entreprises. Afin de réaliser davantage de bénéfices, les entreprises devraient donc se concentrer sur leurs clients, les connaître au mieux leur permettra d’identifier leurs attentes et l’essence de leur processus de décision d’achat et les aidera donc à mettre en place les bonnes actions à démarches à suivre à cet effet.

 

Ainsi, plusieurs études se sont intéressées au consommateur de produits biologiques et plus précisément à son processus de décision et d’achat.

 

Les valeurs individuelles ont beaucoup mobilisé les chercheurs dans la recherche en consommation de produits biologiques. L’intérêt principal des valeurs repose sur la stabilité de ces dernières dans le temps, à l’opposé des attitudes, car elles sont plus liées au système cognitif de l’individu (Rockeach, 1973). Par ailleurs, avec une liste de dix valeurs, on est en mesure de représenter l’ensemble des valeurs existantes à l’échelle mondiale (Shwartz, 1992). Ainsi, plusieurs recherches ont utilisé les échelles de valeurs pour comprendre la consommation de produits biologiques en appliquant la méthode des chaînages cognitifs (Gutman, 1982 ; Costa et al., 2004). Dans la suite de ce travail, nous abordons les valeurs qui influent sur la consommation de produits biologiques. Une partie de ces recherches est récapitulée dans le tableau qui suit :

 

Valeur étudiée Variable liée à la valeur étudiée Résultats obtenus Quelques auteurs
La sécurité : sûreté, harmonie et stabilité de la société, des relations entre groupes et soi-même La santé La plus forte motivation liée a la consommation de produits biologiques
L’hédonisme : plaisir ou gratification sensuelle personnelle Le goût  Forte motivation d’achat
La stimulation : enthousiasme, nouveauté, défis à relever,  Tendance à adopter un comportement expérimental (« Exploratory buying behavior tendancy) Une catégorie de personnes achète des produits biologiques pour essayer Krystallis (2002a, 2002b)
L’universalisme : compréhension, estime, tolérance et protection du bien être de tous et de la nature Le comportement environnemental C’est la valeur qui guide l’achat de produits biologiques Thogersen et Olander (2003),

Thogersen (2007), Krystallis et al (2008)

La bienveillance : préservation et amélioration du bien être des personnes avec qui on se trouve souvent en contact Achat local Une minorité de consommateurs de produits biologiques associe l’achat de produits biologiques à un achat local Padel et Foster (2005), Krystallis et al (2008)
La conformité : modération des actions, des goûts, des préférences susceptibles de déstabiliser ou de blesser les autres ou encore de transgresser les normes sociales Les normes sociales Les normes sociales influent sur la consommation de produits biologiques. Cette variable sera étudiée de plus près dans le chapitre II. Chen (2007)

Dean (2008)

 

Dans cet objectif, des valeurs éthiques, politiques et religieuses ont été démontrées comme ayant un impact positif sur la formation d’attitudes envers les produits biologiques (Hassan, 2008 ; Honkanen et al., 2006). Ces attitudes formées entraîneraient une intention d’achat chez l’individu (Magkos et al, 2003). Les attitudes étudiées sont généralement les suivantes : attitude envers la qualité des produits biologiques, attitude envers l’impact écologique des produits biologiques et enfin les attitudes envers la consommation de produits biologiques (AUTEURS).

 

Les normes sociales et les attentes des pairs semblent également avoir un impact non négligeable sur les intentions d’achat de produits biologiques. Si l’entourage de l’individu l’encourage à cette forme de consommation, alors il sera plus à même de passer à l’acte d’achat (Chen, 2007 ; Dean, 2008)

 

Le contrôle comportemental perçu (CCP) est introduit par Ajzen (1991) pour combler les lacunes du lien attitude- comportement. Le contrôle comportemental perçu fait référence à la perception de sa propre capacité à mettre en place un comportement. Cette variable est déterminée par les croyances  concernant des facteurs facilitant ou rendant difficile un comportement (Ajzen, 2006).  Thogersen (2007), Chen (2007) et Dean et al (2008) montrent le lien positif existant entre le CCP et l’intention d’acheter des produits biologiques.

 

Les produits biologiques étant plus chers que les produits conventionnels, l’aspect économique est donc également intéressant à étudier. Ainsi, la variable consentement à payer (CAP) est souvent le critère utilisé. Concernant la consommation de produits biologiques, Tagbata et Siriex (2007) et Tagbata et Siriex (2010) démontrent d’une double labellisation « bio » et « équitable » fait baisser le CAP en comparaison avec une labellisation unique « bio » ou « équitable ». 

 

Le Bureau des marchés internationaux, en 2012, renforce l’implication du prix dans l’intention et la décision d’achat du consommateur de produits biologiques. Cependant, il explique que le prix seul ne peut pas constituer une variable majeure influençant le pouvoir de décision et d’achat, il faut qu’il soit associé à d’autres motivations telles que les enjeux sociaux ou les caractéristiques fonctionnelles des produits.

 

Enfin, citons l’article de Zepeda et Deal (2009) qui proposent un modèle du comportement du consommateur concernant les produits biologiques et les produits locaux. Notons que le modèle n’a pas été validé par une étude quantitative dont l’échantillon était représentatif mais a uniquement été testé sur un échantillon de 50 personnes.

 

Ce modèle complète les études citées précédemment car il rajoute de nouvelles variables telles que la recherche d’information, la connaissance et les habitudes de consommation.

 

Ainsi, la recherche d’information aiderait à la formation ou au développement de la connaissance du produit qui induirait des attitudes envers les produits biologiques chez l’individu. Ces dernières agiraient sur les habitudes de consommation pour ensuite aboutir à un comportement.

 

Un résumé des principales recherches effectuées sur les variables déterminantes à la consommation de produits biologiques est donc proposé dans le tableau suivant :

 

Tableau 1.6 : Les variables étudiées dans le comportement du consommateur de produits biologiques

 

Variables étudiées Auteurs
Le rôle de l’information, la connaissance Chipman et al. (1995), Johansson et al. (1999), Gross et al. (2002), Hill et Lynchehaun (2002), Gifford et Bernard (2006), McEackern et Warnaby (2008), Zepeda et Deal (2009), Agence Bio (2012)
Conscience environnementale, préoccupation santé, coût du comportement Kiwiet et Mecking (2001), 
Conséquences perçues sur la santé

Comportement environnemental

Magnusson et al. (2003)
Implication alimentaire Chen (2007), Tarkiainen et Sundqvist (2009)
Attitudes vis-à-vis de nouveaux produits Choo et al. (2004)
Identité éthique, sécurité alimentaire Michaelidou et Hassan (2008)
Consentement à payer  Armand-Balmat (2002), Tagbata et Siriex (2010)
Contrôle comportemental perçu Thogersen (2007), Chen (2007) et Dean et al (2008)
Normes sociales Chen, (2007) ; Dean, (2008)

 

Le processus de décision et d’achat peut donc résulter des facteurs tels que la recherche d’information, la préoccupation sur la santé et l’environnement, les questions sociales, etc. Cependant, il est utile de préciser que le degré selon lequel chacune de ces caractéristiques est important chez un consommateur dépend uniquement de ce dernier et peut aussi être influencé par d’autres facteurs externes tels que les moyens financiers, la volonté, etc.

 

Comme nous avons pu le souligner à plusieurs reprises, très peu d’études ont étudié la consommation de produits biologiques dans les pays en développement économique (PDE). La partie qui suit résume les principaux résultats obtenus.

 

Chapitre 2. Le contexte d’étude de la consommation 

 

2.1 Les approches de la consommation

 

Avant d’entrer dans les détails du marché de produits biologiques au Liban, nous allons présenter les différentes approches de la consommation, à savoir la consommation rationnelle, la consommation par l’utilité espérée et la consommation selon l’état du marché.

 

2.1.1 Rationnelle

 

Le consommateur de produits biologiques agit selon une logique bien propre à sa personne. L’achat d’un produit, pour lui, se définit par l’impact que cet acte peut avoir sur lui, dans un contexte subjectif, et sur son entourage, dans une dimension plus collective et sociale. 

 

Dans la Note de conjoncture de l’INSEE publiée en février 1991, la rationalité est considérée come un facteur décisif dans la consommation : « L’agent rationnel optimise sa consommation en prenant en compte ce qui est susceptible de lui arriver dans l’avenir ». La consommation rationnelle résulte donc de la réflexion du consommateur qui soupèse les effets que son comportement engendrer sur lui et sur les autres avant de l’adopter.

 

En d’autres termes, il s’agit d’une prise de conscience et d’une prise de décision fortement influencée par les enjeux de la consommation qui, dans le domaine des produits biologiques, sont illimités du point de vue social, environnemental, etc. d’ailleurs, les Français se tourneraient de plus en plus vers ce type de consommation d’ici vingt ans puisqu’il garantit la santé et le bien-être : « En 2030, les Français consommeront « moins » mais « mieux » ».

 

Consommer rationnellement revient donc à estimer les impacts positifs et négatifs de la consommation sur l’individu et son entourage. Le consommateur s’interroge et calcule le niveau de ces impacts : si les effets négatifs l’emportent sur les effets positifs, il renoncera certainement à consommer le produit, si sa logique est conforme à celle de la consommation responsable. Par contre, un consommateur peu soucieux de l’environnement ne se laissera pas facilement influencer par ce calcul et consommera des produits à fort impact négatif pourvus qu’ils lui apportent a=satisfaction.

La rationalité est, dans une certaine mesure, déterminante de la consommation d’un produit. Cependant, cela varie d’un individu à l’autre. Dans le cas d’un consommateur de produits biologiques, on peut dire que la rationalité correspond à l’analyse de l’attitude et de l’intention d’achat puisque ces deux variables prennent également en compte les conséquences de l’adoption d’un comportement. Le consommateur responsable est donc, dans la plupart du temps, un consommateur rationnel qui prend le temps de modérer sa consommation et d’en mesurer les conséquences pour son entourage. Si la consommation rationnelle implique des valeurs individuelles (c’est-à-dire la satisfaction personnelle du consommateur) et des valeurs morales collectives et sociétales (c’est-à-dire la satisfaction de son entourage et la sienne en même temps ou la satisfaction de son entourage avant la sienne), la consommation par l’utilité espérée, que nous allons étudier détient une dimension plus objective pour le consommateur.

 

2.1.2 Par l’utilité espérée

 

Montoussé, A Bertrand, Huynh et Besancenot(2007) établissent une relation entre l’utilité perçue et le risque. Pour ces auteurs, l’utilité perçue dépend du risque, l’achat ou la consommation d’un produit devant d’abord être justifié par son utilité. La consommation par l’utilité perçue est donc une consommation de type subjectif puisque l consommateur achète et consomme un produit dont il a besoin, et non pour le plaisir ou sans raison.

 

Ce type de consommateur peut être motivé et freiné par diverses raisons dans sa consommation. Prenons le cas d’une personne atteinte d’une maladie qui l’oblige à consommer des aliments riches en fer et sans produits chimiques, des aliments bios. Il consommera donc ces derniers par nécessité, il ne l’aurait pas fait s’il n’avait aucun intérêt à le faire. 

 

L’utilité perçue peut également être perçue comme une variable prédictive, mais pas au niveau du comportement mais de a consommation elle-même. En effet, un consommateur peut acheter un produit et le consommer pour une raison future, par exemple pour prévenir des maladies, renforcer ses anticorps, etc. 

 

L’exemple typique de l’utilité perçue réside dans le port d’un parapluie qui est incertain puisqu’un individu ne peut jamais à cent pour cent prédire un risque d’orage ou pas. Une hésitation est alors observée chez e dernier, qui évaluera l’utilité du parapluie à un fort degré et suivant différents facteurs avant de le prendre avec lui en sortant.

 

Le risque évoqué par Montoussé et al. (2007) repose onc dans cette incertitude, faisant de la consommation par l’utilité, une consommation à deux faces : une consommation sûre lorsque l’utilité est prouvée te une consommation peu fiable lorsque l’utilité n’est que partiellement prouvé ou ne l’est pas du tout. 

 

Le dernier type de consommation que nous allons aborder est la consommation selon l’état du marché.

 

2.1.3 Selon l’état du marché? (en croissance/ maturité/ développement?)

 

Comme nous l’avons maintes fois précisé dans notre travail, le Liban n’a pas encore fait l’objet de recherches sur la consommation des produits biologiques, tout comme les pays du Moyen-Orient d’ailleurs. Le marché de tels produits reste donc encore embryonnaire dans ce pays. Par contre, la France, l’Amérique ou les autres pays européens font les frais de telles études presque annuellement, et les résultats confirment tous que le marché des produits biologiques est avancé ou en voie de développement dans ces derniers. Y-a-t-il donc une relation entre la consommation et l’état du marché ?

 

En nous basant sur notre travail, nous pouvons voir que les produits biologiques sont fortement consommés dans les pays où le marché est fructueux, comme c’est le cas en France où plus de la moitié des français consomment ces produits en 2012. Nous pensons donc que l’état du marché peut influencer la consommation pour la simple raison qu’au Liban, le marché des produits biologiques n’est qu’à un stade embryonnaire et que de ce fait, seule une petite portion de la population a accès à ce type de produits.

 

La consommation selon l’état du marché fonctionne donc suivant que le marché est en croissance, en voie de développement ou arrivé à maturité. En effet, plus les produits biologiques sont promus et de plus en plus commercialisés, plus les consommateurs s’y intéresseront.

 

La consommation de produits biologiques peut donc avoir trois formes générales : la consommation rationnelle, la consommation par l’utilité et la consommation selon l’état du marché. Ces trois types peuvent entrer en liaison, vu que le consommateur peut consommer un produit car il en a besoin, car il le veut, le peut et qu’il en voit l’utilité et qu’il en mesure les effets et car le marché est en développement et que la consommation devient tendancielle, en même temps.

 

Dans ce contexte,  la majorité des études portant sur la consommation de produits biologiques ont eu pour terrain d’études des marchés en croissance et développés tels que le marché européen, le marché français ou le marché américain. Il serait donc intéressant d’étudier la consommation dans un contexte de marché en lancement ou en développement car des recherches montrent qu’il existe des différences dans les motivations et les freins à l’achat de ses produits selon le degré de maturités des marchés. C’est dans cette optique que nous avons choisi le Liban comme terrain d’application de nos recherches. Nous allons alors, dans la prochaine sous-partie, présenter le Liban en tant que marché émergent des produits biologiques.

 

2.2 Le Liban: un marché émergent des produits biologiques

 

2.2.1 Présentation générale du pays

 

Le Liban, petit pays situé le long de la mer Méditerranée, est limité par le nord et l’est par la Syrie et par le sud par Israël, avec une superficie totale de 10,452 kilomètres carrés et une population d’environ 4 millions d’habitants. Le Liban est une république parlementaire avec un gouvernement centralisé, multi-religieux et pluripartite. Son système politique quasi-démocratique est basé sur le partage du pouvoir entre les groupes confessionnels du pays.

 

La religion joue un rôle critique dans la vie politique et sociale du pays et a provoqué les conflits les plus persistants du pays.

 

Depuis son indépendance en 1943, le Liban est connu pour ses grandes libertés, qui lui ont donné une position distinctive dans la région. Le Liban est un pays où des idées différentes, des courants et des tendances peuvent prospérer et interagir. La coexistence multiculturelle paisible, cependant, s’est effondrée dans la guerre violente dans les années 1975-1989. La conclusion de l’Entente de Taef de 1989 a mené au rétablissement de la sécurité. Cependant, cette guerre, que le Liban a endurée, a interrompu le cours normal de développement du pays, menant à une détérioration globale des conditions politiques, économiques et sociales.

 

Le pays est maintenant dans la phase de reconstitution de ses structures politiques, économiques et sociales. La première phase de reconstruction et le développement, à savoir la réadaptation de l’infrastructure physique a été achevée et a rétabli les opérations normales des services publics.

 

Le redressement économique en revanche parait beaucoup plus difficile. Les gouvernements de l’après-guerre ont poursuivi la politique de stabilisation monétaire limitant les taux d’inflation et rétablissant la confiance dans la monnaie nationale. Des gouvernements récents ont dû aller plus loin dans leur politique afin de stabiliser le déficit budgétaire croissant.

 

Le défi économique principal qu’ont du confronté les différents gouvernements successifs ces dernières années a en effet été le déficit budgétaire. En effet, le pays a connu en 2011 un ralentissement économique majeur, et ce après une forte expansion au cours de la seconde moitié de la décennie 2000 (la croissance annuelle moyenne durant la période 2006-2010 s’est élevée à 8%). 

 

Le déficit commercial, chronique, s’est accru de 16% entre 2010 et 2011, s’élevant à 15,9 Mds USD. La dette publique totale est estimée à la fin de l’année 2011 à un niveau légèrement supérieur à 130% du PIB (un des niveaux les plus élevés du monde). Le taux de chômage s’élevait à 9,7% en 2007. 

 

Selon la Maison des Français de l’Etranger (MFE), « le Liban est un marché de services. » On y recense une forte activité et un développement croissant du secteur bancaire regroupant plus de 60 banques, des services financiers et des activités de l’édition, particulièrement de la presse professionnelle, de la communication et de la publicité. En outre, on note également une évolution rapide des services de télécommunications et des nouvelles technologies s’y développent rapidement. Quant aux sources de revenus pour le pays et l’Etat en particulier, le Liban compte sur le tourisme qui lui octroie une croissance progressive sur le long terme.

 

Apres cette brève présentation du pays, nous nous proposons d’aborder plus en détail le marché des produits biologiques au Liban. Pour cela, il nous parait important de revenir sur le secteur agricole dans un premier temps, puis de donner les informations clés relatives à ce marché.

 

2.2.2   Le secteur du bio au Liban

 

La MFE expose également les chiffres –clés des produits biologiques au Liban qui, rappelons-le, est un pays où cette le secteur bio n’est qu’à un stade de développement. L’agriculture, dans son ensemble, est pratiquée par 20% de la population active libanaise et représente 5% du PIB du pays. Le sol libanais est pas mal cultivable, 21% de ce dernier est propice à la culture. Malgré cela, l’agriculture dans ce pays est moindre, et cela même si le Liban dispose d’importantes ressources en eau. L’agriculture libanaise se concentre surtout sur la production végétale, à savoir les « céréales, pommes de terre, arboriculture fruitière, cultures maraîchères, cultures industrielles (olives, tabac, betteraves) – destinée surtout au marché local et exportée pour partie. »

 

Quant à l’élevage, le Liban n’est pas totalement indépendant dans ce secteur qui ne lui procure, d’ailleurs, aucune autosuffisance. On y relève un important élevage traditionnel constitué de bétail ovin et caprin avec une importation massive de produits laitiers (70%) et de viande de bœuf (90%). La pêche est une autre forme d’élevage encore peu exploité au Liban, d’ailleurs, les Libanais ne pratiquent actuellement que la pêche artisanale.

  • Les principaux acteurs de l’agriculture biologique du pays

L’agriculture biologique commence à prendre son envol au Liban. L’intérêt de l’AB au Liban et des pays du pourtour méditerranéen de façon plus générale s’explique par sa gamme de produits très diversifiée : fruits frais, secs, en conserve, olives, herbes et épices, miel, céréales et plantes médicinales, huile d’argan… Notons par ailleurs que dans cette région, la surface cultivée en produits biologiques a augmenté de 18% entre 2008 et 2009 (Agence Bio, d’après IFOAM, 2011).

 

Malgré ce développement, l’agriculture biologique (AB) ne fait que se réveiller au Liban, malgré quelques efforts notés dans le pays en vue d’introduire ce concept depuis 1990. Ces efforts se résument par une tentative freinée de quelques agriculteurs qui se sont mis à produire de façon biologique. Cette tentative s’est soldée par un grand échec du fait de l’absence d’un marché organisé dans le pays.

 

Plusieurs freins à l’évolution de l’agriculture biologique subsistent au Liban. Ils concernent surtout les démarches administratives, particulièrement le manque d’infrastructures administratives, réglementaires et de recherches relatives à ce marché.  Si le développement du secteur de l’AB au Liban est menacé par ces facteurs, le démarrage même d’un tel marché est également frappé par une absence de mesures réglementaires et de sensibilisation à l’égard des professionnels et des consommateurs, d’où sa stagnation. 

 

Par exemple, le produit final doit être certifié soit par un organisme international, soit via un intermédiaire local qui représente cet organisme, ou par une entité de certification locale. Le Liban a tenté de se conformer à cette règlementation en créant le label de certification LibanCert, cependant, l’action est restée insuffisante puisque toutes les démarches citées précédemment doivent toujours être effectuées par des organismes internationaux. Du coup, la certification d’un produit peut prendre beaucoup de temps et nécessiter le déploiement d’une somme conséquente d’argent. 

 

Soulignons néanmoins le travail fait par quelques ONG dans la promotion et le développement de l’agriculture biologique dans le pays :

 

  • MECTAT (Middle East Center for the Transfer of appropriate technology) : association établie en 1982 à Beyrouth dont le but est la mise en avant des intérêts de l’AB à travers des publications, des conférences ou encore des ateliers pratiques. Récemment, cette ONG a traduit les standards IFOAM en langue arabe.

 

  • Greenline : En 1998, cette ONG scientifique libanaise luttant pour la protection de l’environnement commence à promouvoir les bienfaits de l’agriculture biologique. En 1999, un comité est formé et travaille à faire développer l’AB via des ateliers, des formations ou des séminaires s’adressant aux ingénieurs agronomes en coopération avec l’IFOAM. En 2002, ce travail débouche sur la création de la première coopération libanaise d’agriculteurs biologiques. Celle-ci a pour but d’améliorer le statut économique et social des agriculteurs en les aidant dans les processus de fabrication, de production, d’emballage ou de promotion de leurs produits.

 

  • World Vision est une organisation humanitaire chrétienne qui aide les enfants et les familles les plus pauvres dans plus de cent pays dans le monde. Cette organisation aide à promouvoir l’AB et développe des stratégies marketing adaptées pour ces produits au Sud du Liban.

 

Malgré les efforts déployés par un certain nombre d’agriculteurs, aidés dans leurs démarches par des projets mis en place par les ONG, le marché des produits biologiques reste faible. Focus sur ce marché des produits biologiques au Liban.

  • Présentation du marché des produits biologiques

Les produits biologiques ne sont pas réellement consommés ni connus au Liban. Ghosn (2006) confirme que de tels produits restent inconnus pour les consommateurs, même sur le marché local sur lequel ils devraient plutôt s’épanouir. En même temps, cet auteur souligne que l’AB et ses modalités restent méconnus et ne représentent que 0,3 % du marché en 2006.   

 

Promouvoir l’AB devient donc une nécessité, ce qui est chose faite grâce aux actions menées par les fans de l’AB. Ces derniers se mobilisent pour faire connaître cette culture à travers diverses publicités et en se rapprochant de plus en plus des consommateurs  et des agriculteurs pour leur donner un aperçu direct de celui-ci.  

 

Un triste et non moindre évènement a pourtant joué en la faveur des produits biologiques au Liban : les scandales alimentaires sur les produits avariés encore mis sur le marché de la consommation. Cet incident  a contribué de manière indirecte à faire connaître les produits biologiques, les consommateurs s’étant tournés vers ces derniers. Les boutiques de Beyrouth, plus précisément celles situées à Achrafieh, sont de plus en plus nombreuses à porter l’enseigne « bio » depuis quelques années. 

 

Rappelons-le, les scandales alimentaires au Liban ont résulté d’une surdose de pesticides sur les produits tels que les raisins, les fraises, les pommes de terre et les pommes vendus sur le marché local libanais. C’est vers la fin de l’année 2009 que quelques experts en agriculture ont remarqué que certains de ces légumes contenaient une dose de pesticide 25 fois supérieure à la quantité acceptée internationalement. Effrayés et déçus par autant d’insouciance de la part des agriculteurs, les consommateurs libanais sont devenus plus méfiants et plus exigeants sur les produits « organiques ». Un bon nombre d’entre eux ne consomment, d’ailleurs, que des produits qu’ils jugent sains.

 

Malheureusement, ces scandales alimentaires n’ont accru que l’appréhension des libanais vis-à-vis des produits bios, et non la consommation en elle-même qui est, jusqu’à aujourd’hui, réservée aux libanais de classe moyenne et aisée, leur prix étant inaccessible à toute la population. De ce fait, les produits bios ne représentent qu’une minuscule part de la totalité des produits consommés au Liban.  

 

On note quand même une augmentation de l’offre en produits biologiques depuis quelques années, bien que celle-ci reste encore faible. Cette offre se traduit par trois catégories : les points de vente de produits biologiques, les marchés et foires et enfin l’abonnement à un panier hebdomadaire en produits biologiques.

 

Les magasins spécialisés dans la vente de produits biologiques se multiplient, surtout dans la capitale. Même dans les autres villes, telle que Tripoli, on constate l’ouverture de quelques points de vente spécialisés dans le « bio ». A Beyrouth, une douzaine de points de vente est répertoriée, allant de l’épicerie à la boulangerie « bio ». Quelques restaurants « bio » ont même ouvert leurs portes. Concernant les épiceries « bio », nous citons plus particulièrement le magasin « A New Earth » qui a vu le jour il y a quelques années et dont le succès est dû au dynamisme de jeunes entrepreneurs. Sa page Facebook compte plus de 16,000 fans démontrant ainsi l’intérêt que suscite ce type de magasins. Notons également le référencement récent de gammes de produits étrangers biologiques dans les enseignes d’hypermarchés : Spinneys, leader du secteur, consacre un rayon complet à la vente des produits biologiques. Bou Khalil, enseigne nationale, importe également des marques françaises au positionnement biologique. Tous ces changements du secteur démontrent un dynamisme, même si certains produits sont encore manquants, telle que la viande biologique. 

 

Les consommateurs ont également le choix de venir aux marchés de produits biologiques se déroulant à Beyrouth (appelé Souk Al Tayeb, traduit « le bon marché » avec le terme « bon » ayant une connotation gustative et culinaire). Ce marché se tient plusieurs fois par semaine à divers endroits et rassemble les producteurs et agriculteurs libanais de produits biologiques. L’enseigne nationale de distribution Bou Khalil organise également dans son parking un marché du « bio » une fois par semaine en conviant les agriculteurs locaux à proposer leurs récoltes aux consommateurs.

 

Enfin, une dernière offre est proposée pour l’accès aux produits biologiques : le panier hebdomadaire de fruits et légumes : le « Healthy Basket ». Lancé en 2001 grâce à un projet de l’Université Américaine de Beyrouth (AUB), le principe consiste à proposer à un ensemble d’abonnés un panier hebdomadaire composé de fruits et légumes variés en fonction de la production et de ses irrégularités, panier dont la quantité et le prix globaux sont fixés une fois pour toutes en début de saison, et qui est assorti d’une garantie portant sur la fraîcheur des produits et sur leur mode de production. 

 

Cette offre incite le producteur à produire des produits biologiques ne accord avec le respect de l’environnement. Durant le colloque sur « Les mobilisations altermondialistes » de 2003, Sophie Dubuisson-Quellier et Claire Lamine expliquent que « la souscription d’un abonnement liant producteur et consommateurs extrait la relation d’échange d’une partie des aléas marchands habituels : irrégularité de la demande pour le producteur, variation des prix pour le consommateur ». Les producteurs et les consommateurs sont donc liés par des engagements mutuels qu’ils doivent pleinement respecter. Si le producteurs doit respect la dimension environnementale de leur agriculture, les consommateurs doivent effectuer un consensus : renoncer à leur liberté de choisir les produits qu’ils veulent acheter comme cela se fait d’ordinaire, le panier étant composé de produits prédéfinis.  

 

Cependant, les consommateurs ont quand même une liberté qui leur est octroyée : celle de pouvoir donner leur avis sur la légitimité des systèmes de production et de distribution des produits. En d’autres termes, cela oblige les producteurs à partager certains droits avec les consommateurs. A ce sujet, Dubuisson-Quellier  et Lamine écrivent que « dans un tel acte marchand, leur choix ne porte donc plus sur une combinaison de produits au sein d’un ensemble d’alternatives, mais sur des options sociales, économiques et politiques inscrites dans le système de production de ces fruits et légumes et dans le système d’échange leur donnant accès à ces produits. » 

 

Ainsi, le secteur des produits biologiques au Liban, même s’il reste un marché de niche, est dynamique et a fortement évolué durant ces dernières années. Il parait donc important de s’y intéresser et plus particulièrement de mieux connaître ses consommateurs actuels et/ou potentiels. Dans ce cadre, et comme nous avons pu le voir dans la revue de la littérature, aucune recherche ne s’est intéressée a la consommation de produits biologiques au Liban. Plus précisément, aucune étude n’a identifié les variables clés et déterminantes de la consommation de produits biologiques au Liban. Si des recherches similaires ont été effectuées dans d’autres pays, majoritairement dans des pays Européens ou en Amérique du Nord, aucune n’a concerné les pays du Moyen Orient. 

 

Ainsi, notre recherche est ancrée dans la modélisation de la consommation de produits biologiques au Liban. Notre but est de définir les variables décisives dans le comportement de consommation. 

 

Alors que la variable « achat » concerne une population niche dans ces pays, il nous semble plus pertinent de nous concentrer sur l’antécédent de l’achat : l’intention comportementale. En effet, nous pensons qu’à ce stade du marché, étudier la variable « intention comportementale » est plus pertinent que celle d’achat.

 

L’objectif est donc d’identifier les variables antécédentes à l’intention de consommer des produits biologiques. En faisant cela, nous permettons aux entreprises locales ou étrangères de mettre en place les actions nécessaires pour développer leur marché et accroître le nombre de consommateur de produits biologiques. Pour cela, il nous faut choisir un cadre théorique du comportement adapté qui nous permette de décrire au mieux la consommation de produits biologiques. Ce sera tout l‘enjeu du deuxième chapitre. 

 

Quel cadre théorique devrions-nous donc choisir afin d’étudier la consommation de produits biologiques au Liban ?

 

Chapitre 3: Les modèles prédictifs de comportement du consommateur

 

Introduction

 

Comme nous l’avons vu dans le premier chapitre consacré à la revue de la littérature de la consommation responsable et des produits biologiques en particulier, peu de recherches se sont intéressées aux variables influençant les intentions de comportement. Or, les intentions de comportements sont les meilleurs prédicteurs du comportement de l’individu et dans le cas particulier d’un marché encore peu développé, la variable intention de comportement est importante à prendre en compte car elle est l’antécédent direct du comportement futur. L’attitude envers un comportement a été la variable la plus étudiée en tant qu’antécédente à l’intention, cependant l’attitude n’est pas toujours suffisante pour prédire une intention de comportements et d’autres variables peuvent avoir un rôle important dans la formation de l’intention comportementale. 

 

Ainsi, le but de ce chapitre sera, dans un premier temps, d’expliquer l’enjeu de la variable « intention de comportement » pour les chercheurs ainsi que pour le gestionnaire. Par la suite, nous présenterons les différents modèles de l’action existants en soulignant leur utilité mais aussi leurs limites pour enfin choisir un cadre théorique pour notre étude. 

  • L’intention d’achat et l’intention comportementale : deux variables clés

 Pour commencer cette section, nous allons d’abord définir ce qu’est l’intention d’achat. La 10e édition du dictionnaire bilingue français-anglais du marketing Mercator définit l’intention d’achat comme le souhait d’acheter un produit, exprimé par une personne interrogée dans le cadre d’une enquête. L’intention d’achat est une attitude et non un comportement effectif.

 

L’intention d’achat et le comportement du consommateur ont un lien particulier qui est pourtant très peu étudié par les recherches passées et actuelles. C’est dans le cadre d’une thèse de doctorat qu’Etienne Bressoud s’est penché sur le sujet. Pour lui, « le lien entre l’intention d’achat et le comportement reste peu étudié dans les recherches passées en tant que lien à part entière des modèles intégrateurs du comportement du consommateur : ces modèles assimilent le plus souvent l’intention et l’acte d’achat (Moser, 1998). En effet, selon les modèles intégrateurs, l’intention d’achat et l’acte d’achat ne sont pas différenciés (Bettman, 1979 ; Nicosia, 1966), ou bien sont considérés comme deux étapes distinctes, entre lesquelles le lien est direct et non explicité (Engel et al., 1978 ; Howard & Sheth, 1969). Toutefois, les modèles intégrateurs tentent de regrouper les variables expliquant le comportement du consommateur (Filser, 1994). Il apparaît donc normal, du fait de cet objectif de synthèse, que chaque lien entre les variables ne soit pas totalement explicite ». 

  • L’histoire de l’intention d’achat

Bressoud (2003) ayant étudié de près ces deux variables pour la réalisation de sa thèse, nous allons donc baser cette partie sur ses travaux. Les américains sont les premiers à avoir mené des recherches sur l’intention d’achat avec les travaux du « Federal Reserve Board » réalisés après la guerre. Il s’agit de recherches sur des études et prévisions macro-économiques Adams, 1974 ; Friend & Adams, 1964) basées sur les entreprises et l’Etat, deux facteurs « appelés agents économiques ». Si de telles études n’incluaient pas initialement les ménages, celles effectuées pour le compte de la « National Survey of Liquid Asset » ont inclus cette variable en tant qu’agent économique durant la phase d’élaboration des prévisions. Bressoud explique pourtant que dans ces études, « il ne s’agit pas de comprendre, et de suivre le comportement des consommateurs, mais d’inclure les intentions de ces derniers dans la confection d’une tendance prévisionnelle »

 

Les attitudes des consommateurs, leurs attentes et leurs intentions n’ont été réellement étudiées qu’à partir de 1947, via des enquêtes poctuelles. Les conclusions de ces études ont abouti au résultat suivant : « l’intention d’achat apparaît être un indicateur de prédiction utile, mais non parfait du comportement, et les informations relatives aux prédictions sont alors divisées en deux types :

– les variables objectives telles que le patrimoine, le revenu et les dettes

– les variables subjectives telles que les attentes, les intentions et les attitudes »

 

Les résultats de ces enquêtes affirment également que la variable attitude est la plus étudiée en termes de comportement du consommateur. Elle a donc fait l’objet de recherches relatives à l’intention comportementale ou au comportement, d’où la nécessité de la définir et de mieux appréhender le lien qui lie le comportement à l’attitude.

  • L’importance de l’attitude dans la recherche en marketing 

L’attitude connaît plusieurs définitions, les auteurs English et English (1968) la considèrent comme étant « une prédisposition durable à se comporter de manière constante et apprise à l’égard d’une classe donnée d’objets ». Katz et Stotland (1959) délivrent une toute autre définition de l’attitude : « tendance ou prédisposition de l’individu à évaluer d’une certaine manière un objet ou le symbole d’un objet ».

 

En 1993, Eagly et Chaiken proposent une autre définition de l’attitude qu’ils perçoivent comme étant « une tendance psychologique qui est exprimée en évaluant une entité particulière selon un certain degré de faveur ou de défaveur ».

 

Chacune de ces définitions prend en compte la liaison entre l’attitude et ses conséquences sur le comportement d’un individu. La définition de l’attitude selon Wicker (1969) résume parfaitement trois définitions : l’attitude est par définition indissociable du comportement alors que la corrélation entre ces deux variables se révèle le plus souvent faible et instable.

 

La pluralité des définitions de l’attitude renvoie à plusieurs facettes selon lesquelles ont peut l’aborder. Ainsi, l’attitude, selon chacune de ses définitions, englobe une dimension unidimensionnelle et une dimension pluridimensionnelle.   

 

Les études sur l’attitude semblent plutôt anciennes mais pertinentes. En 1967, Fishbein a relevé l’unidimensionnalité de l’attitude en lui attribuant un caractère reflétant  « l’évaluation d’un acte ou d’un objet » et en l’assimilant à un concept plutôt global. Ce qui signifie que l’attitude est ici étudiée sous son aspect général, sans entrer dans les détails. Suite aux études de Fishbein, nombreux sont les chercheurs à avoir tenté d’analyser l’attitude d’un individu qui considère un objet quelconque en fonction des caractéristiques qu’il lui attribue. Diverses recherches tentent alors d’expliquer l’attitude d’un individu envers un objet comme une fonction des croyances relatives à ses attributs. Fishbein et Ajzen (1975)  et Wilkie et Pessemier (1973) proposent même le modèle « multi-attributs linéaire compensatoire » pour définir cette relation entre le consommateur et les croyances qu’il développe envers tel ou tel objet. 

 

La conception de Fishbein de l’attitude suscite pourtant quelques controverses. En effet, certains auteurs comme Bagozzi (1982) la considèrent comme un modèle accompli et opérationnel, contrairement à Wilkie et Pessemier (1973) qui remettent en question sa pertinence, surtout vis-à-vis de la « signification de chacun de ses termes et leur pouvoir explicatif ».

 

Les études sur l’unidimensionnalité de l’attitude ont alors conduit à une conclusion : seule la facette affective de l’attitude est évaluée et prise en compte lors des études sur le sujet (Bagozzi et Burnkrant, 1979 ; Norman, 1975 ; Rosenberg, 1968). 

 

Quant à la multidimensionnalité de l’attitude, elle est étudiée et prouvée par Bagozzi (1989) qui pense qu’elle peut accroître le caractère prédictif de l’attitude d’un consommateur et qu’elle est, par conséquent, plus apte à comprendre et à justifier ou expliquer l’attitude même de ce dernier.

 

Ainsi, la multidimensionnalité de l’attitude suppose qu’elle est façonnée par deux ou trois facettes qui sont :

 

Cognitive et affective (Bagozzi et Burnkrant, 1979 ; Rosenberg, 1968)

– Cognitive, affective et conative (Krech, Crutchfield et Ballachey, 1962 ; Ostrom, 1969 ; Kothandapani, 1971). ). 

 

Chacune de ces facettes a ensuite fait l’objet de plusieurs recherches. Lavidge et Steiner (1961) s’y intéressent de près et attribuent des fonctionnalités bien précises à chacune d’elles, la composante cognitive représentant une pensée non évaluative, la composante affective traduisant une relation évaluée avec la marque, le produit ou le service et la composante conative exprimant la planification de l’action. 

 

Bien entendu, l’existence de plusieurs facettes de l’attitude amène souvent à une suite logique inévitable : la question sur une éventuelle interaction entre elles. Lavidge et Steiner (1961) apportent des précisions sur ce thème. Pour eux, l’étape cognitive précède l’étape affective qui aboutit à l’étape conative. D’autres auteurs comme Ray (1973) ont également analysé le sujet. Ray propose alors le modèle de hiérarchie des effets issu des recherches en persuasion du consommateur et démontre « que la place de chacune de ces composantes n’est pas acquise de manière stable. Ainsi, l’apprentissage (phase cognitive), le changement d’attitude (phase affective) et le changement de comportement (phase conative) n’occupent pas la même place selon l’implication des individus et la différence perçue entre les marques (Ray, 1973) ». 

Bentler et Speckart (1979, 1981) ont également mené des recherches concernant l’attitude et ont relevé quatre types de relations possibles sur elle : « de l’attitude vers le comportement (McGuire, 1976, Fishbein, 1967), du comportement vers l’attitude (Bem, 1972), par un impact causal mutuel (Hill, 1981 ; Kelman, 1974) ou encore par la faiblesse du lien entre ces deux variables (Wicker, 1969) ». 

 

Une étude plus récente sur l’attitude et le comportement a été menée par David Vaidis en 2006. Celui-ci explique qu’il y a une relation indéniable de cause à effet entre ces deux éléments et le justifie en se fondant sur les recherches d’Ajzen et de Fishbein en 1977. Les résultats des recherches effectuées par Vaidis ont conduit par ce dernier à une conclusion : l’attitude peut influencer le comportement via une manipulation. Il s’exprime donc ainsi : « Une des applications les plus évidentes du lien unissant attitude et comportement repose sur la manipulation de l’attitude pour voir apparaître un comportement désiré. En modifiant volontairement l’attitude d’un individu par le biais d’une manipulation, le comportement associé à cette attitude est ainsi plus susceptible d’être réalisé ». Par ailleurs, il note également un revers de cette constatation en affirmant que l’attitude peut également être modifiée par le comportement.

 

On peut conclure cette sous-partie en précisant que l’approche multidimensionnelle de l’attitude est plus favorable à une étude du fait qu’elle constitue un terrain de recherche accompli de part l’existence des différentes facettes dans l’attitude. A ce propos, Bressoud (2003) renchérit que « l’approche multidimensionnelle des attitudes représente un terrain de recherche à part entière, par la multiplicité des conceptualisations qu’elle autorise. » Après avoir défini l’attitude et étudié l’importance de l’attitude dans le marketing, nous allons nous focaliser le lien entre l’attitude et le comportement.

 

  1. Le lien attitude- comportement 

 

Notre étude part d’un constat : une attitude positive envers un produit ou une marque n’engendre pas forcément une intention d’achat de ce dernier. Il existe donc des variables qui influent la force de l’intention d’achat, même si l’attitude est positive. Le but de notre recherche est d’identifier la ou les variables clés dans la consommation de produits biologiques, car comme les études de marché le montrent, les consommateurs ont des attitudes fortement favorables aux produits biologiques mais la part de marché de ces derniers reste relativement faible.

 

Avant de proposer les nouvelles variables que l’on se propose d’étudier, nous présentons une vue d’ensemble sur le lien entre attitude- comportement.

 

Pour Bressoud, les recherches sur l’attitude se multiplient et attirent les gens du fait du présumé lien qui existe entre l’attitude et le comportement. Ces recherches utilisent la même problématique, c’est-à-dire que les scientifiques tentent de dégager l’utilisation de l’attitude en tant que variable indicateur du comportement.

 

La psychologie étudie le lien attitude-comportement depuis des décennies, Wicker (1969) affirme que les auteurs peuvent aboutir à un succès dans leur analyse ou à une défaite. Le lien attitude-comportement le plus étudié reste celui de la prévision du comportement à partir de l’attitude. Ce dernier représente un énorme espoir pour les auteurs mais aussi une grande déception lorsque les résultats des recherches s’avèrent infructueux.

 

Cette affirmation est appuyée par le consensus établi à la fin des années 60 sur le fait que l’attitude n’influence que très peu le comportement, elle est donc un indicateur faible du comportement (Wicker, 1969). Ce résultat provient de nombreuses études empiriques telles que celles menées par dans de nombreuses études empiriques Berg (1966), Ehrlich (1969), McGuire (1969) et Nemeth (1970).

 

Ce consensus ayant subsisté durant les années 60 jusqu’au début des années 70, des recherches menées vers le milieu des années 70 réintroduiront la position dominante de la variable attitude dans le comportement. Dans ce contexte, l’attitude redevient donc une variable importante, surtout depuis que ces recherches ont mis en évidence de nouvelles perceptions de cette dernière et qu’ils ont mis en place une meilleure perception de ces variables. En gros, il s’agit d’une méthode plus avancée que celle des années 60, basée sur l’amélioration des lacunes et des imperfections de celle-ci.

 

On peut retenir donc que les études effectuées plus tôt ont conduit à des résultats mitigés divisant les chercheurs qui les ont conduites, à savoir à la confirmation de l’existence d’un lien entre l’attitude et le comportement pour certains et à la déception du fait de ne pas pouvoir justifier ni démontrer l’existence de ce lien pour d’autres. Cependant, les études menées vers le milieu des années 70 apporteront plus de précision et de lucidité à ces résultats, réaffirmant la position dominante de l’attitude en tant que variable clé du comportement. 

  • Evolution du cadre conceptuel du lien attitude-comportement

 

Les variables de l’attitude étant nombreuses et le fait de ne pas avoir pu prouver que l’attitude est une variable prédictive pour le comportement a conduit les chercheurs à adopter de nouvelles méthodes pour justifier l’existence d’une relation entre l’attitude et le comportement (Ajzen & Madden, 1986 ; Bagozzi, 1992 ; Bagozzi et Wharshaw, 1990). Ainsi, l’attitude à elle seule ne peut plus expliquer un comportement, d’autres variables explicatives seront désormais à considérer. 

 

C’est ainsi que sur la base d’un premier modèle, la Théorie de l’Action Raisonnée (TAR), l’explication du comportement s’enrichit sans cesse de nouvelles variables indépendantes.

 

Nache et Trudeau (2000) citent la Théorie de l’Action Raisonnée (TAR) de Fishbein et Ajzan (1975) et son extension, la Théorie du Comportement Planifié (TCP) d’Ajzen (1985, 1988, 1991) comme exemple de ces modélisations. Selon eux, « tout en étant l’objet d’études concernant l’amélioration de leur capacité prédictive, elles sont à la base de multiples études nord-américaines visant une prise de décision par rapport à des comportements problématiques ». Cette sous-partie sera donc consacrée  la TAR, puis à la TCP.

  • La théorie de l’action raisonnée (Ajzen et Fishbein)

Dans son mémoire de maîtrise en administration et évaluation en éducation (mesure et évaluation), Jeans-Sébastien Renaud consacre de nombreux passages à la TAR de Fishbein et d’Ajzan (1975). Il la considère comme « un modèle de prédiction et de compréhension des comportements humains. Elle est basée sur le postulat que les individus sont généralement rationnels et qu’ils utilisent l’information qui les entoure pour prendre des décisions. Selon cette dernière, les gens soupèsent les conséquences de l’adoption éventuelle d’un comportement avant de décider s’ils passent ou non à l’action. »

 

Fishbein et Ajzen ont donc introduit la TAR en 1975 avec comme idée principale qu’un individu prend une décision en fonction des connaissances qu’il détient sur l’objet de la prise de décision et qu’avant de se lancer, ils pèse d’abord le pour et le contre en fonction de ces connaissances.

 

La TAR, en suivant la théorie de ces deux auteurs, mise donc sur un comportement fortement motivé par l’intention d’effectuer ce comportement. Autrement dit, plus un individu projette de faire une chose, plus il est poussé à le faire et plus il le fait. L’intention, elle, est prédite par deux variables, soit l’attitude envers le comportement et la perception des normes sociales. Jean-Sébastien Renaud précise que l’attitude envers le comportement dont il est question ici représente la faculté d’un individu à analyser les impacts positifs et négatifs de son comportement avant de l’adopter. Comme l’auteur le précise, il ne s’agit pas d’un comportement envers une chose précise, mais plutôt envers un concept insaisissable qui conduit à la chose. Cette attitude conduit donc l’individu à se demander si le comportement qu’il veut adopter est positif ou négatif.

 

La perception des normes sociales consiste pour l’individu à mesurer l’impact que son comportement pourrait affliger à la société. En d’autres termes, le comportement sera adopté si l’individu est sûr que ses proches ou les gens importants à ses yeux comprendront et accepteront ce comportement, s’ils seront d’accord avec cette action. Plus donc le comportement est bien vu socialement, plus l’individu développera une intention d’effectuer et de réaliser ledit comportement.  

 

Voilà en gros ce qu’est la théorie de l’action raisonnée, c’est –à-dire un comportement motivé par le bon sens et la raison. L’adoption d’un comportement doit donc prendre en compte ses effets sur l’individu et sur la société elle-même. Un principe reconnu et privilégié par les consommateurs de produits biologiques.

 

Figure 2.1 : le modèle théorique de l’action raisonnée (Fishbein et Ajzen, 1975)

 

Jean-Sébastien Renaud décrit la spécificité de la TAR comme suit : « L’une des caractéristiques principales de la théorie de l’action raisonnée consiste en ce que le comportement à prédire soit très bien défini. En ce sens, le comportement doit être une action spécifique, c’est-à-dire qu’il doit correspondre à un objet, à un contexte et à un temps bien précis. » La TAR n’est donc applicable que lorsque l’individu sait déjà à l’avance quel comportement il va adopter, et qu’il en soit convaincu de sorte que le comportement soit précis.

 

En 2008, Giger s’épanche également sur la TAR. Selon lui, « la TAR est basée sur l’hypothèse selon laquelle le comportement est sous le contrôle total de l’individu, c’est-à-dire sur l’idée que les personnes ont la capacité et la possibilité de réaliser le comportement envisagé. Ajzen (1985) considère que cette hypothèse restreint le champ d’application de la théorie à un petit nombre de comportements car une personne peut vouloir effectuer un comportement mais en être empêchée du fait d’un manque d’opportunité ou de ressources. Par exemple, la fréquentation des salles obscures implique une attitude positive envers le fait d’aller au cinéma (et/ou une pression sociale) mais également la possibilité physique (exemple : avoir des horaires adéquats) et/ou matérielle de le faire (exemple : avoir de l’argent ou une voiture). » Il renforce donc le caractère précis du comportement et ajoute, en plus, que le comportement doit être réalisable afin que l’individu le commette.

 

C’est en ayant découvert cette façade qu’Ajzen (1985, 1988, 1991) a développé la théorie du comportement planifié. Il s’agit d’une version plus modifiée et plus complète de la TAR. Giger explique les enjeux de la TCP et sa différence par rapport à la TAR comme suit : « Il ajoute la variable contrôle comportemental perçu (CCP) à la TAR afin de rendre compte des comportements volitionnels, c’est-à-dire des comportements qui nécessitent des ressources, de l’opportunité ou l’aide d’autrui et qui peuvent donc échapper au contrôle volontaire de la personne. » Ajzen définit le CCP comme étant « la facilité ou la difficulté perçue à effectuer un  comportement et il est censé refléter l’expérience passée aussi bien que les empêchements et les obstacles anticipés » (Ajzen, 1987, p. 44, notre traduction). (

 

Ajzen (1988) ajoute que le CCP et la notion d’auto-efficacité de Bandura (1992) sont très proches. Le CCP rappelle que dans la TCP, un comportement peut être réalisé grâce à des facteurs non motivationnels comme l’opportunité ou les ressources à disposition. Nous allons donc étudier de plus près la TCP pour en savoir davantage.

  •  La théorie du comportement planifié

La TAR étant incomplète, Ajzen (1985, 1988)  a créé la TCP pour la parfaire. La TAR engage l’individu à adopter ou non un comportement « complètement sous le contrôle de la personne qui doit prendre la décision d’adopter ou non le comportement ». (Renaud, 2005). Ajzen a découvert plusieurs failles à la TAR quelques années plus tard, notamment au niveau du contrôle absolu sur le comportement envisagé qui n’est pas unanime et peut très bien ne pas exister ou être moindre chez un individu. Ainsi, ce ne sont pas tous les comportements qui peuvent être tenus sous le contrôle entier d’une personne.  

 

Ayant conscience que ces failles remettaient en question les résultats de ses recherches avec Fishbein, Ajzen ajoute une nouvelle variable à la TAR : la perception de contrôle sur le comportement. L’ajout de cette nouvelle variable est très significatif pour Ajzen car elle permet « de se rapprocher davantage de la réalité et de permettre de prédire avec plus de précision les comportements qui ne sont pas adoptés de façon totalement volontaire ». 

 

Figure 2.2 : Modèle théorique du comportement planifié (Fishbein et Ajzen, 1975)

 

La TCP indique donc que ledit comportement peut également être involontaire. La nouvelle variable CCP intervient sous deux dimensions : quand le comportement d’un individu est totalement sous son contrôle, alors la perception de contrôle sur le comportement est associée directement à l’intention au même titre que la perception des normes sociales et l’attitude envers le comportement, en notant bien que le comportement est donc volontaire. Mais lorsque le comportement n’est pas sous le contrôle de l’individu et qu’il n’est pas volontaire à haut ou bas degré, la perception de contrôle sur le comportement est associée directement au comportement tout comme l’intention comportementale.

 

Bien que ces modèles aient servis de cadres théoriques à de nombreuses recherches, ils ont toutefois été critiqués sur la limite de leur pouvoir prédictif.

 

Ajzen et Fishbein (1980, p. 6) ont spécialement inventé la TAR et la TCP pour « prédire le comportement ». De nombreuses recherches sur ces deux modèles de théorie ont abouti à la conclusion suivante : « Globalement, les résultats montrent qu’elles atteignent leur objectif en arrivant à prédire de manière robuste une immense variété de comportements allant du comportement de vote aux comportements sanitaires et de prévention en passant par l’utilisation de drogue (voir respectivement Conner, Sherlock & Orbell, 1998 ; Conner & Sparks, 1996 ; Netmeyer & Burton, 1990) ». 

 

Ainsi, la TAR et la TCP sont donc des modèles fiables capables de prédire à un niveau très élevé le comportement d’une personne. Des méta-analyses dont le but est de tester l’efficacité de ces modèles ont, par ailleurs, confirmé cette affirmation. Les recherches effectuées par Sheppard, Hartwick et Warshaw (1988) se basant sur 87 études « confirment la robustesse prédictive de la TAR : la corrélation moyenne est de r = 0.66 entre les attitudes et la norme subjective d’une part et l’intention comportementale d’autre part, et de r = 0.53 entre l’intention comportementale et le comportement effectif. ». Plus tard,  Randall et Wolff (1994) et Sheeran et Orbell (1998) rapportent des corrélations moyennes identiques entre l’intention et le comportement (respectivement r = 0.45 et de r = 0.44). D’autres auteurs tels qu’Armitage et Conner (2001) ont montré que la TCP rend compte de 39 % de la variance expliquée de l’intention comportementale et de 27 % du comportement effectif. En somme, toutes ces recherches renforcent la part active de l’intention comportementale dans l’action ou l’adoption d’un comportement par un individu puisque cette intention motive fortement le comportement, amenant le sujet à agir réellement.

 

Quant à la relation attitude-comportement, Elliot, Jobber et Sharp (1995) mettent en exergue, dans leurs recherches, que l’attitude et la norme subjective d’un individu prédisent fortement l’intention comportementale à hauteur de 74%. En 1992 les Français Godin, Valois, Lepage et Desharnais « montrent que l’addition du CCP améliore significativement la prédiction de l’intention de fumer ; la variance expliquée passant de 15 % à 27 %. Ajzen (1991) examinant seize études testant la TCP montre que la prise en compte du CCP améliore la prédiction de l’intention (r moyen = 0.71). De même, Godin et Kok (1996) sur la base de 54 études dans le domaine de la santé montrent que l’addition du CCP augmente, en moyenne, la variance expliquée de l’intention de 13 % et celle du comportement de 11 %. » 

 

Malgré une bonne prédiction attribuée à la TAR et à la TCP suite à toutes ces analyses, Stutton (1998) relève quand même une zone d’ombre encore inexplorée sur le sujet et affirme qu’une grande part de la variance de l’intention et du comportement reste encore inexpliquée. Ce que nous retenons surtout de ces études, c’est que la TAR était un modèle incomplet qui a nécessité l’invention de la TCP, son extension. Cependant, malgré de nombreuses réformes et des résultats plus encourageants obtenus grâce à l’ajout de la nouvelle variable CCP à la TCP, cette dernière ne prédit donc pas entièrement l’intention comportementale.

 

Concernant la consommation de produits à caractère éthique, le modèle traditionnel de la TCP explique très faiblement ce comportement et ce, même après avoir inclus des variables supplémentaires telles que l’obligation éthique et l’image de soi (Ozcaglar-Toulouse et al. 2005). Même si la TCP, ainsi modifiée, présente un meilleur pouvoir explicatif dans un contexte français, le modèle reste relativement faible et des auteurs se questionnent quant à son utilisation pour des comportements à caractère social (De Ferran F., Robinot E. et Giannelloni J.L. 2009). C’est à cause de ces lacunes que nous pensons qu’il est mieux de se servir du modèle dirigé par un but de Bagozzi et Perugini pour expliquer le comportement du consommateur du fait qu’il est plus récent que la TAR et la TCP et qu’il étudie de près la variable « désir de comportement » et les variables affectives que nous jugeons déterminatives du comportement des consommateurs de produits biologiques en général et au Liban en particulier.

  • Le modèle dirigé par un but de Bagozzi et Perugini (2001, 2004)

Tout comme le lien attitude-comportement, le modèle dirigé par un but (MBG) de Bagozzi et Perugini (2004) est particulièrement étudié en psychologie sociale. Il trouve son fondement sur la théorie du comportement dirigé par un but qui considère le comportement non comme une finalité mais comme « l’accomplissement d’un but ». Le MBG analyse un comportement plus en profondeur, bien au-delà des aspects cognitifs qui lui sont associés. Pour lui, le comportement dépend de « l’aspect motivationnel à travers les buts et l’aspect comportemental » (Perugini et Bagozzi, 2004). Le MGB se base également sur les travaux d’Ajzen (1991) et apporte des améliorations à la TAP sous forme d’ajout de nouvelles variables que nous allons présenter ci-dessous et de renouvellement de quelques concepts de la TAP.

  • Le désir d’effectuer un comportement: un nouveau déterminant de l’intention

En 1992, Bagozzi introduit un nouveau déterminant de l’intention : le désir d’effectuer un comportement. Cependant, il faudra attendre 2001 pour que Perugini et Bagozzi (2001) avancent que le désir est un meilleur predicteur de l’intention que les variables traditionnelles du modèle TAP : les normes sociales, le contrôle comportemental et l’attitude. La notion de désir comme étant la principale source de motivation pour passer à l’action est partagée par diverses études liées à la psychologie animale et sociale. Deux désirs sont distingués : le « appetite desire » qui pousse l’individu à combler ses besoins premiers ou physiologiques (la faim, la soif,…) et qui ne dépendent pas nécessairement des variables présentées dans la TAP. Les désirs volitionnels, eux, dépendent de ces variables, car le résultat est désirable. Ces désirs sont applicables à de nombreux comportements issus du quotidien.

 

Ainsi Perugini et Bagozzi (2001) suggèrent que les désirs volitionnels ont un rôle médiateur, transformant les raisons de faire un comportement (attitudes, normes sociales et contrôle comportemental perçu) en une motivation à implémenter le dit comportement. Ainsi, les variables traditionnelles de la TAR influent directement sur l’intention, en passant par le désir.

 

Le désir de comportement est donc privilégié par le MGB comme prédictif d’un comportement, il est même perçu comme étant un concept médiateur entre les antécédents de la TAP et l’intention de comportement. Armitage et Conner (2000) ont analysé la TAP et le MGB, ils ont ainsi identifié que les antécédents de la TAP expliquent mieux les désirs que les intentions et que les intentions prédisent mieux le comportement.

  • La différence entre émotions anticipées et attitude

Bagozzi et al. (1998) soutiennent que l’individu évalue, avant de se comporter, les conséquences sur le plan émotionnel du comportement qu’il compte entreprendre. Plus particulièrement, l’individu évalue les résultantes émotionnelles de sa réussite à accomplir un comportement souhaité ou pas. 

 

Bagozzi et Perugini (2001) rappellent la différence entre les émotions anticipées et l’attitude, en précisant que: “Attitude is typically constant over reasonable periods of time and is not formulated as a response contingent on the occurrence of particular happenings to be appraised. By contrast, the processes behind the function of anticipated emotions are more dynamic and entail selfregulation in response to feedback”. Ainsi, les deux auteurs s’accordent à dire que les émotions anticipées dépendent de l’évaluation que l’individu fait de sa capacité à atteindre ou pas le but anticipé à travers son comportement. Cette évaluation change dans le temps et dépend du contexte. En outre, selon Bagozzi et al. (1998), “anticipated emotions should trigger planning, and effort intentions, which lead to behavior that will increase the likelihood of experiencing positive outcome emotions along with reducing the likelihood of experiencing negative outcome emotions” (Narjes H Salem).

 

Les émotions anticipées positives et négatives sont donc antécédentes au désir de comportement. Contrairement à d’autres variables de nature cognitive qui ont été ajoutées au modèle de la TAP, cette variable est de nature affective. Richard et al. (1995) avaient déjà souligné l’importance de ce construit en étudiant le regret anticipé. Les émotions anticipées ne concernent pas l’action effectuée par l’individu mais le but recherché par l’action mise en place. C’est une des différences majeures du modèle en comparaison avec celui de la TAR et de la TAP, ou le but recherché par l’individu est complètement exclu. Plusieurs études avaient suggéré que les réactions émotionnelles anticipées vis-à-vis de la performance ou de la contre performance pouvaient être un déterminant de l’intention (Conner et Armitage, 1998).

 

Les réactions affectives liées au succès d’un comportement ont été utilisées pour capter les influences affectives de la planification du comportement, que les variables de la TAP ne peuvent étudier (Conner et Armitage, 1998, Richard, De Vries et Van der Pligt, 1998). Plus spécifiquement, il a été démontré que les regrets sont des prédicteurs fiables des attentes comportementales.

 

Les émotions anticipées et les attitudes étant différentes, Bargozzi et Perugini souligne l’importance de savoir les distinguer l’une de l’autre. Le MGB améliore et révolue la TAP en incluant des variables affectives, motivationnelles et comportementales, et se distingue en liant tous les éléments du modèle à un comportement dans le cadre de la poursuite d’un but. 

  • Le comportement passé, variable prédictive de l’intention et du comportement

De nombreuses études ont montré la nécessité d’ajouter la variable « comportement passé » au modèle prédictif du comportement car celui-ci prédit à la fois l’intention et le comportement même (Ajzen & Driver, 1992; Bagozzi & Kimmel, 1995; Leone, Perugini, & Ercolani, 1999; Norman & Conner, 1996; Norman & Smith, 1995). Le comportement passé a été étudié selon deux angles : la fréquence et la récence de ce dernier. Ouellette et Wood (1996) ont effectué une méta-analyse de 64 études en démontrant les liens importants entre fréquence de comportement passé et intentions comportementales d’une part, et comportements d’autre part. Baggozi et Warshaw (1990) ont également étudié le comportement passé sous les deux angles. Bien que les deux notions soient proches, leurs effets sont distincts. Si la fréquence influe à la fois sur les intentions et sur le comportement futur, la récence, de son coté, n’est liée qu’au comportement futur de l’individu

 

Ce modèle est présenté dans la figure suivante :

 

Dans un souci de perfectionnement du MGB, Perugini et Bagozzi (2001) l’ont amélioré via l’ajout de nouvelles variables telles que le désir de réaliser un but, la faisabilité perçue d’un but et la volonté de mise en œuvre d’un comportement. Ces dernières ont un impact significatif sur le comportement et ont pourvu à étendre le modèle MGB en un modèle plus complet : l’EMGB. 

  • Le modèle étendu du comportement dirigé par un but

  • Le désir de réaliser le but 

Le désir a déjà été présenté quelques paragraphes plus haut. Ici, il ne s’agit pas du désir d’implémenter un comportement (désir de comportement) mais du désir de l’atteinte d’un but. Ce but pourra être atteint grâce à un comportement instrumental. Il s’agit donc d’un construit motivationnel important à la réalisation du but. Il atteste de la volonté de l’individu et de sa motivation dans l’atteinte de ce but. Le désir de réaliser le but prévaut en termes d’importance sur le désir du comportement car ce dernier est un moyen pour atteindre le but voulu. Il peut exister plusieurs comportements pour l’atteinte d’un seul même but. Par exemple, De Ferran, Robinot et Giannelloni (2009) identifient cinq comportements associés à un comportement responsable : l’achat de produits équitables, l’achat de produits directement aux producteurs, le fait d’aller dans des magasins qui dédiés à la vente de produits équitables, le fait de parler à son entourage de ces produits et enfin le fait de s’investir dans des associations.

  • La faisabilité perçue du but 

La faisabilité perçue est une croyance qui influence la capacité perçue de l’individu ainsi que le degré de difficulté à mettre en œuvre le comportement. Lorsque l’individu se définit un but à atteindre, la désirabilité mais également la faisabilité de celui-ci entre en compte avant que l’intention ne se forme (Liberman et Trope, 1998, Perugini et Conner, 2000). La faisabilité d’un but fait référence à la facilite et/ou à la difficulté à atteindre un but, en prenant en compte les caractéristiques personnelles (telles que les compétences, l’effort requis…) et les contingences environnementales (la disponibilité des ressources,…). Ainsi, un but peut vouloir être mis en oeuvre ce qui relève de la volonté de l’individu, mais il peut aussi être fonction d’éléments extérieurs à travers la faisabilité perçue. 

  • La volonté de mise en œuvre d’un comportement

Ce concept remplace celui d’intention comportementale. Il est plus vaste que celui d’intention, et se décline en 3 éléments : la déclaration de l’intention d’agir inclue dans le concept d’intention, l’engagement et l’effort à la mise en œuvre du comportement – décrit part le concept d’essai – et l’intention que l’individu projette afin de poursuivre un but – décrit par le fait de projeter de faire tel comportement (Perugini et Conner 2000). Cet enrichissement du concept d’intention par celui de volonté est important dans le cadre de l’explication d’un comportement socialement responsable au regard de l’écart entre l’intention de comportement et le comportement effectif. 

 

Le modèle EMGB est présenté dans la figure suivante :

 

Figure 2.4 : le modèle étendu du comportement dirige par un but (EMGB)

 

De Ferran, Robinot et Giannelloni (2009) ont validé le modèle en l’appliquant à la consommation de produits équitables. Ce modèle a donné de bien meilleurs résultats concernant la consommation de produits à caractère éthique en comparaison avec les résultats du modèle TCP.

 

Les modèles MGB et EMGB montrent bien l’importance de la variable « désir de comportement » puisque l’ajout de cette variable a permis d’augmenter la variance expliquée de l’intention de 35% à 68% dans 11 études dans divers domaines (Perguini et al., 2004). 

 

Le tableau ci-dessous répertorie un ensemble de recherches qui ont choisit comme cadre théorique le modèle MBG ou EMBG pour prédire le comportement :

 

Tableau 2.1 Recherches utilisant comme cadre théorique les modèles MBG ou EMGB 

 

Champ d’études Auteurs
Festival touristique Song, Lee, Kang et Boo (2012)
Achat de produits équitables De Ferran, Robinot et Giannelloni (2009)
Consommation de boissons gazeuses Perugini, Hurling, Richetin et Adjali (2008)
La consommation de cigarettes Shiu, Hassan, Thomson et Shaw (2008)

Smit, Fidler et West (2011)

Apprentissage de l’utilisation d’un logiciel Leone, Perugini, Ercolani (2004)
Etudier et faire de l’exercice Perugini et Bagozzi (2001)
La régulation de l’hypertension Taylor, Bagozzi et Gaither (2005)
Bagozzi et Lee (2000)
Perugini et Bagozzi (2004)
La participation à une communauté de marque Bagozzi et Dholakia (2006)

 

Enfin, ajoutons que plusieurs recherches ont voulu comparer l’efficacité des trois modèles (TCP, MGB et EMGB) en terme de prédiction du comportement (Armitage et Conner, 2001 ; Perugini et Bagozzi, 2004 ; Perugini et al, 2008). Toutes sont arrivées à une même conclusion : les modèles MGB et EMGB donnent de meilleurs résultats de prédiction de l’intention comportementale via le concept de désir.

 

En effet, Armitage et Conner (2001) ont démontré que les variables attitudes, normes sociales et contrôle comportemental perçu prédisaient mieux le désir de comportement plutôt que l’intention. L’intention, à son tour, est un meilleur prédicteur de l’action que ne l’est le désir.

 

Le tableau qui suit donne, pour exemple, les variances obtenues pour chaque modèle concernant les variables intention, désir de comportement et comportement déclaré (Perugini et al. 2008)

 

Tableau 2.2 : Comparaison de l’efficacité des modèles TCP, MGB et EMGB dans la prédiction du comportement

 

TPB MGB EMGB
Intention comportementale 56% 67% 67%
Comportement déclaré 26% 26% 27%
Désir de comportement NA 69% 72%

 

On remarque la supériorité nette des modèles MGB et EMGB concernant la prédiction de l’intention comportementale par rapport au modèle de TAP. Concernant la prédiction du comportement déclaré, il n’y a pas de différence notable. En revanche, si l’on compare l’efficacité des MGB et EMGB concernant la prédiction du désir de comportement, on note un meilleur résultat du modèle EMGB sur le modèle MGB. Cette variable n’est pas mesurée dans le modèle TAP puisqu’elle n’est pas prise en compte dans le modèle.

  • Les limites du modèle MGB

Malgré des résultants encourageants concernant la fiabilité générale du modèle MGB, quelques études ont cependant souligné l’absence de relation entre variables de ce modèle pour une application donnée. En effet,  Shiu et al. (2008) modélisent la consommation de cigarettes par le modèle MGB et démontrent que certaines variables clés du modèle n’influent pas sur les désirs de comportements tels que les émotions anticipées ou encore le contrôle comportemental perçu. Le désir de comportement n’aurait également aucun impact sur la volonté d’agir. Ces résultats contredisent le modèle et rejoignent par la même occasion les résultats d’une autre étude : celle de Song et al. (2012). Cette dernière a pour but de modéliser les visites de festival à connotation environnementale et les résultats montrent que les émotions anticipées négatives ainsi que le contrôle comportemental perçu n’est pas lié au désir de comportement. De même, la fréquence du comportement passé n’est pas liée à l’intention comme le suppose le modèle. 

 

Malgré les faiblesses mises à jour par ces deux études, les modèles de comportement dirigé par un but obtiennent de meilleurs résultats prédictifs de façon générale par rapport au modèle TCP. C’est ce qui nous a incité à les choisir en tant que cadre théorique de notre étude. Par ailleurs, aucune étude, à notre connaissance, n’a appliqué ce cadre à la consommation de produits biologiques. Les seules applications qui existent à la consommation responsable sont le recyclage et l’achat de produits équitables (AUTEURS).

 

Pour compléter le modèle théorique choisi et affiner la compréhension de la consommation de produits biologiques, nous nous proposons d’inclure trois variables supplémentaires : le Health Locus of Control (HLOC), la cherté perçue ainsi que l’authenticité perçue Nous pensons que l’ajout de ces variables permettra de mieux rendre compte du comportement de consommation étudiée.

 

Synthèse de la partie I

 

Cette première partie a eu pour but de présenter les aspects théoriques de la consommation de produits biologiques qui est intégrée dans le champ de recherche de la consommation responsable. Apres avoir présenté les différents axes de recherche sur lesquels les études ont porté, nous avons fait le choix de nous inscrire dans l’axe s’intéressant a la modélisation du comportement du consommateur de produits biologiques. Ce choix se justifie pour deux raisons : d’abord parce que la compréhension du comportement du consommateur est essentiel pour le gestionnaire et pour le chercheur et en second lieu, il semble que les modèles utilisés et proposés jusqu’à maintenant ne rendent compte que partiellement du comportement. Des voies d’amélioration sont donc possibles et nous tenterons d’y remédier.

 

Le cadre théorique le plus largement mis à contribution en marketing est celui de l’action raisonnée et de l’action planifiée. Ces modèles ont reçu de nombreuses critiques quant à leur capacité prédictive de comportement. D’autres modèles ont par la suite vu le jour, mais ayant toujours comme base de la TAR ou la TAP. Nous proposons un modèle encore peu exploité en consommation responsable et pas du tout utilisé, à notre connaissance, en consommation de produits biologiques : le modèle dirigé par un but. Ce modèle met en exergue l’importance de nouvelles variables et tout particulièrement celle de la variable « désir », qui serait l’antécédent direct de l’intention comportementale. Ce modèle n’a pas encore été testé à notre connaissance sur la consommation de produits biologiques. 

 

Le modèle théorique que nous avons choisi concerne donc le modèle dirigé par un but ou MBG. Nous le proposons comme modèle plus approprié à l’étude du comportement d’un consommateur car il représente mieux les antécédents à ce comportement et l’explique mieux que la TAR et la TCP qui n’ont pas réellement permis de détecter le véritable lien existant entre attitude été comportement, l’attitude étant représentative du désir de comportement, une variable très peu étudiée mais qui, selon nous, peut très bien être intégrée à la consommation responsable. 

 

Nous choisissons donc le modèle MBG car il est plus complet que la TAR et la TCP te qu’il a été créé à partir de leurs failles et imperfections. Les résultats obtenus grâce à lui ont donc plus de valeur et tiennent compte de la variable affective qui est le désir de comportement. La consommation responsable étant motivée par le comportement du ou des consommateurs, nous pensons qu’elle sera donc mieux justifiée car le modèle MBG tient compte du désir du comportement qui est la variable explicative du comportement du consommateur responsable, dont les traits revêtent l’aspect social et environnemental. 

 

La deuxième partie aura donc pour objectif de présenter le modèle conceptuel que nous nous proposons d’étudier ainsi que d’en énoncer les principales hypothèses de recherche.

 

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