Les limites entre la comptabilité créative et la fraude
Les limites entre la comptabilité créative et la fraude
Partie théorique et revue de littérature
La plupart des essais de définition sur la comptabilité créative et les pratiques comptables créatives fait référence à la manière dont les professionnels de la comptabilité exploitent leur connaissance de la réglementation pour contourner la présentation des informations financières à leur propre guise. Cependant, l’avènement des grands scandales financiers des années 2000 amène à penser l’existence d’un dépassement de la réglementation qui a conduit le dérapage de la comptabilité créative à la fraude comptable. C’est la raison pour laquelle cette partie cherche à délimiter quelques dimensions permettant de comprendre ce qu’est la comptabilité créative. Afin d’atteindre cet objectif, les efforts se concentreront sur le recueil des thèses d’un certain nombre d’auteurs ayant déjà traité ce sujet à travers les deux grandes sections proposées.
La première section portant sur l’avènement de la comptabilité créative tente de délimiter le concept de la comptabilité créative en proposant les différents facteurs explicatifs, les objectifs recherchés et les techniques de la comptabilité créative recensées jusqu’à maintenant. Vient ensuite la deuxième partie qui essaie de lever la discussion sur la frontière de la comptabilité créative en avançant les sources, les facteurs légitimes et les limites qui la distinguent de la fraude comptable.
I.L’avènement de la comptabilité créative
1.Délimitation conceptuelle de la comptabilité créative
La comptabilité créative peut être analysée suivant une analyse très proche de l’esprit scientifique. Elle tient sur quelques objectifs et a des facteurs qui expliquent son apparition et son évolution.
1.1.Les facteurs explicatifs du recours à la comptabilité créative
La synthèse des facteurs explicatifs de la comptabilité créative renvoie aux œuvres de Stolowy qui les regroupent en deux catégories à savoir les facteurs générant un besoin et les facteurs qui en permettent. Ces catégories font apparaître les thèses majeures des auteurs focalisées sur ces facteurs.
Charron avance que l’apparition et l’évolution de la comptabilité créative dans les pratiques comptables des entreprises sont expliquées par :
- la férocité de la concurrence dans un contexte de crise économique
- la dégradation de la situation des entreprises ainsi que son résultat
- l’influence de la réglementation sur la structure financière des entreprises : exigence en matière de fonds propres, respect d’un seuil pour les ratios financiers tels que les ratios d’endettement, le résultat par action, le bilan, le chiffre d’affaires.
La Baume et Stolowy proposent d’autres facteurs tels que
- les influences des attentes des parties prenantes telles que les investisseurs et les actionnaires qui exigent des résultats promoteurs pour la sécurité et la continuité de leur contribution au capital des entreprises
- la volonté des entreprises privées de publier des informations faisant apparaître un cours stable en vue d’assurer leur future cotation
- le désir de se tailler un meilleur positionnement dans une offre public d’achat (OPA)
Stolowy confirme aussi la thèse de Chalayer sur la rationalité des investisseurs de procéder au lissage des résultats qui est en quelque sorte une autre forme de la comptabilité créative incitée par l’influence des actionnaires.
En outre, il propose d’autres facteurs qui peuvent être jugés comme permissifs à la créativité des comptables. Ils tournent autour de l’insuffisance des normes comptables, de l’hétérogénéité des référentiels et de l’harmonisation en cours, accordant aux dirigeants un espace de liberté dans lequel sont rendus possibles la créativité et les artifices dans la présentation des comptes.
Dans ce même ordre d’idées, Delasalle avance deux arguments qui singularisent l’émergence de la comptabilité créative en France dont :
- l’adoption des règles propres régissant la consolidation des comptes du groupe de société
- et l’influence des recherches anglo-saxonnes
En général, tous ces facteurs sont le produit de la pression de l’environnement externe sur l’entreprise. La plupart est à l’origine de l’exigence des marchés, des actionnaires et des investisseurs qui apparaissent sous forme d’innombrables scénarios. Ce fait conduit les responsables des chiffres vers un domaine plus évolué mais moins conventionnel qui est l’ingénierie comptable.
1.2.Les objectifs de la comptabilité créative
L’objectif de la créativité dans la comptabilité est la modification des comptes des entreprises en vue de les améliorer ou les détériorer selon les intentions des dirigeants et les artifices créés par les comptables.
Colasse s’adhère au coté positif de ce premier objectif en affirmant que les artifices imaginés par les comptables servent à donner une image plus prometteuse de la performance de l’entreprise à travers les informations financières.
Par contre, Caudron se met sur le coté négatif en avançant qu’il faut faire une distinction entre l’actualisation des pratiques comptables et l’évolution juridique, les actes de tromperie délibérée et les abus conscients. La comptabilité créative est ici classée comme une pratique de mauvaise foi de la part des dirigeants qui veulent dissimuler quelques aspects des informations financières de l’entreprise pour orchestrer une mauvaise intention telle que la réduction de la participation des salariés.
Audas synthétise ces deux arguments et affirme que la comptabilité créative qu’il a nommée « windows-dressing » est une pratique réalisée en vue de régénérer les profits ou les pertes ou encore de réévaluer les actifs d’une entreprise en fonction des objectifs recherchés sans contraindre la loi.
Selon ces auteurs, la comptabilité créative est pratiquée dans un contexte d’optimisation et de bonne présentation des informations comptables et financières dont l’intérêt se partage entre les dirigeants et l’entreprise elle-même. Les arguments des dirigeants penchent vers « l’augmentation de leur rémunération, la prévention des raids boursiers ou (…) une meilleure communication avec les actionnaires ». Par ailleurs, les pratiques dans l’entreprise veulent que la comptabilité créative permette « la minimisation des charges d’impôts, la réduction de sa visibilité politique et de ses contraintes financières externes »[1]. En général, ce sont ces objectifs positifs qui expliquent le recours à la comptabilité créative.
En dépit des nuances observées dans le fondement des lois comptables, il importe, par la suite, d’énumérer quelques techniques standards utilisées en comptabilité créative.
2.Les techniques utilisées en comptabilité créative
2.1.Classification des techniques utilisées
L’étude des techniques utilisées en comptabilité créative renvoie certainement à l’œuvre de Bonnet qui a mis en lumière quatre catégories bien distinctes. Les trois premières catégories sont fondées sur le couplage de la manipulation du compte de résultat avec les principes comptables, les politiques comptables et les décisions de gestion tandis que la quatrième s’appuie sur la manipulation du bilan.
- Techniques basées sur les principes comptables: il s’agit d’optimiser le résultat par le recours à la prestation du personnel extérieur, le recours au crédit-bail, l’utilisation des subventions d’exploitation, l’évaluation de la production et l’établissement des provisions sur stocks.
- Techniques basées sur la politique comptable: il s’agit d’opérer des modifications sur le résultat courant et sur le résultat net par les amortissements, les provisions, les charges et les stocks ; de procéder à des modifications du résultat courant sans incidence sur le résultat net par la distinction des flux générés par l’exploitation et les flux exceptionnels, d’effectuer des modifications sur le résultat net sans incidence sur le résultat courant par les subventions d’investissements et l’imputation des déficits et enfin de recourir à l’optimisation de la fiscalité par l’activation des charges.
- Techniques basées sur la décision de gestion: il s’agit des améliorations opérées au niveau du résultat net par le lease-back et les cessions dans des conditions avantageuses ou fictives et au niveau du résultat courant par le transfert des pertes et l’amélioration de la production.
- Techniques basées sur l’action sur le bilan: il s’agit de l’opération effectuée pour optimiser la gestion des capitaux propres par la réévaluation des actifs et des montages financiers, la gestion de l’endettement par le crédit-bail et la défaisance, la gestion du BRF et de la trésorerie par l’escompte d’effets de commerce, l’affacturage et la cession des créances Dailly.
Ces quatre catégories peuvent être plus détaillées en empruntant les propositions d’Amat O. et Blake J. qui énumèrent quelques pratiques courantes déjà recensées dans les entreprises. Elles sont principalement axées sur les manipulations opérées au niveau des charges, des recettes, des dettes, des fonds propres, etc.
- Diminution ou augmentation des charges: faire varier le pourcentage utilisé dans le tableau d’amortissement entre un taux minimal et un taux maximal, faire varier le nombre d’années d’amortissement du fonds de commerce à la limite de la valeur maximale indiquée par la norme comptable
- Diminution ou augmentation des recettes ou des produits: avancer ou reculer la reconnaissance des recettes (reconnaissance du chiffre d’affaires), utiliser le principe de correction des produits et des charges
- Diminution ou augmentation des actifs: augmenter la valeur nette de certains postes d’actifs correspondant aux variations d’amortissements ou provisions, varier les méthodes de valorisation des stocks (FIFO, LIFO, CMP), etc.
- Diminution ou augmentation des dettes: élargir ou raccourcir la durée de régularisation des dettes en fonction des indications des normes comptables (fonds de pension).
- Diminution ou augmentation des fonds propres: modérer les effets de la variation des charges et des produits sur le niveau du bénéfice, des pertes et/ou des réserves et altérer les niveaux des fonds propres et des dettes
- Reclassement d’actifs ou de passifs: adopter une conception de renforcement de la masse patrimoniale, adopter une autre conception d’optimisation de l’exploitation (choix entre immobilisation dans les postes d’actifs ou mobilisation dans les postes de stocks, par exemple).
- Manipulation des informations incluses dans les rapports de gestion, d’audit, etc. : limiter ou valoriser certaines informations à inclure dans les rapports d’audit, de gestion, etc. (par exemple la présentation des réserves dans les rapports d’audit).
- Orienter la mode de présentation des informations: échanger l’emplacement des modalités dans les tableaux, modifier les échelles dans les graphiques, etc.[2]
Afin d’illustrer cette proposition d’Amat et Blake, la figure suivante présente de façon synthétique les interjections entre les différents procédés et leur convergence vers les objectifs de la comptabilité créative.
Figure 1 : Les techniques de la comptabilité créative
2.2.Impact des techniques sur la détermination du résultat
Dans la comptabilité créative, les manipulations effectuées sur certains postes comptables ont des impacts précis sur la détermination du résultat. Ces points d’incidence sont présentés dans le tableau suivant.
Tableau 1 : Les points d’incidence des techniques de la comptabilité créative sur la détermination du résultat comptable
Techniques | Explication des points d’incidence |
Incorporation des charges financières au coût de production d’immobilisation par l’entreprise | Augmentation du résultat de l’année du transfert des charges
Diminution du résultat de l’année du transfert des charges et des années suivantes par le biais de l’amortissement de l’immobilisation produite |
Immobilisation des charges de R&D | Augmentation du résultat de l’année du transfert des charges
Diminution du résultat de l’année du transfert et des années suivantes par le biais de l’amortissement de l’immobilisation produite Impact du choix de la date de démarrage de l’amortissement |
Cession d’une immobilisation puis reprise du même bien en crédit-bail | Apparition d’une plus-value de lease-back lors de la cession
Enregistrement de loyers pendant la période de crédit-bail |
Établissement du plan d’amortissement selon les options possibles : détermination de la durée probable d’utilisation, rétention de la valeur résiduelle, considération des cadences d’utilisation, option des unités d’œuvres physiques | Modification de la répartition de la charge d’amortissement dans le temps selon les options choisies |
Révision du plan d’amortissement par la variation de la durée résiduelle d’amortissement | Augmentation ou diminution des dotations d’amortissement futures sur une courte ou une longue période |
Surévaluation ou sous-évaluation des provisions pour dépréciation de titre de participation, permise notamment par l’existence des nombreuses méthodes d’évaluation | Augmentation ou diminution du résultat au moment de la dotation
Effet inverse lors de l’année de la reprise |
Incorporation des charges financières au coût de production des stocks | Augmentation du résultat de l’année du transfert des charges
Diminution du résultat de l’année de l’annulation du stock |
Changement de méthodes de valorisation des stocks | Modification du résultat en fonction du changement opéré |
Incorporation du coût de la sous-activité au coût de valorisation des stocks | Transfert de la perte de la sous-activité sur l’exercice suivant
Majoration du résultat de l’exercice en cours Diminution du résultat de l’exercice suivant
|
Sous-évaluation ou surévaluation des provisions pour créances douteuses
Sous-évaluation ou surévaluation des provisions pour stock
|
Augmentation ou diminution du résultat au moment de la dotation
Effet inverse lors de l’année de la reprise |
Versement à une compagnie d’assurance d’une prime unique dont le placement en «coupons zéro» génère au bout d’une certaine période la valeur nominale de la créance. La compagnie d’assurance garantit cette valeur nominale à la fin de cette période | Reprise des provisions qui excèdent la prime versée à la compagnie d’assurance et majoration du résultat |
Actualisation des créances à terme non productives d’intérêts | Provision pour dépréciation de la créance
Réduction du résultat au moment de la dotation. Effet inverse lors de l’année de la reprise |
Changement de méthode :
• étalement des charges par le biais de l’amortissement alors que ces charges étaient précédemment enregistrées au cours d’un exercice • ou changement inverse. |
Étalement des charges
ou Enregistrement des charges sur une seule période. |
Frais d’acquisition (non incorporables au coût d’acquisition) : honoraires, commissions, frais d’actes, droits d’enregistrement. Maintien en charges ou charges à répartir. | Si maintien en charges: baisse immédiate du résultat
Si transfert à l’actif : étalement de la charge |
Subvention d’investissement majorant les capitaux propres.
Existence de plusieurs possibilités de rattachement au compte de résultat |
Modification des capitaux propres dans la comparaison avec la moitié du capital social
Rentabilité des capitaux investis |
Non-comptabilisation de la provision pour engagements de retraites permise par le Code de commerce | Augmentation du résultat comptable |
Provisions pour restructuration
Existence de plusieurs problèmes : date de décision, degré de précision de la décision et conséquences sur l’évaluation, prise en compte des plus-values potentielles dans l’évaluation de la provision |
Impact sur le résultat en fonction du niveau de la provision
Effet inverse lors de la reprise |
Cession «artificielle» de titres : cession suivie d’un rachat («aller-retour») | Transformation d’une plus-value latente en plus-value réelle |
Ventes à réméré de titres : vente de titres et droit de les racheter ultérieurement à un prix (sous déduction d’intérêts de «portage»), pendant un certain délai | Transformation d’une plus-value latente en plus-value réelle
Amélioration de la présentation du bilan : financement garanti par des titres, sans augmentation de dettes. Pendant l’année d’exercice de l’option : paiement des intérêts de portage et baisse du résultat |
Existence de plusieurs méthodes d’enregistrement de ces contrats : avancement, achèvement, produits nets partiels | Impact sur le chiffre d’affaires et sur le bénéfice variable selon la méthode retenue
Modification de la répartition dans le temps du bénéfice du contrat |
Affectation de l’écart de la première consolidation à des éléments non amortissables (marques, parts de marché…) | Maintien du niveau du résultat consolidé dans les années futures |
Majoration de l’écart d’acquisition par sous-évaluation des actifs et majoration des passifs puis imputation de l’écart sur les réserves | Pas de baisse du résultat consolidé dans les années futures
Amélioration de la rentabilité des capitaux propres Dégagement des plus-values substantielles lors de la revente de toute ou partie de l’entreprise acquise, notamment des stocks |
Durée d’amortissement de l’écart d’acquisition. En l’absence de règles françaises, choix entre 5 ans (4ème directive européenne) et 40 ans (pratique américaine) | Baisse plus ou moins grande du résultat consolidé en fonction de la durée choisie |
Capitalisation du crédit-bail | Retraitement possible dans les comptes consolidés : modification de la redevance du crédit-bail: dotation aux amortissements, aux charges financières. Remboursement d’un emprunt |
Modification du périmètre afin d’intégrer les filiales rentables. Utilisation des options suivantes :
• Concept de filiales non significatives • Intégration globale à moins de 50 % |
Modification du résultat en fonction de la variation du périmètre |
Enregistrement d’impôts différés actifs | Hausse du résultat consolidé |
Recours au mécanisme du report en arrière des déficits | Apparition d’un produit comptable (« produit -report en arrière des déficits») majorant le résultat |
Changement de date de clôture | Espérance d’une augmentation du résultat pendant la période supplémentaire |
Accélérer la remontée des résultats des filiales.
Filiales bénéficiaires : • acompte sur dividendes, • décalage des dates de clôture, • statut de SNC. Filiales déficitaires : • subvention ou abandon de créance, • dépréciation sur la base de la quote-part des capitaux propres, • statut de SNC |
Impact positif ou négatif sur le résultat, en fonction de l’opération |
2.3.Impact des techniques sur la présentation du compte de résultat
En dehors des impacts sur la détermination du résultat, l’utilisation des techniques en comptabilité créative influence aussi la présentation du compte de résultat. Ce sont la valeur ajoutée, le chiffre d’affaires et le résultat courant et exceptionnel qui sont les plus concernés par cette incidence.
- diminution de la valeur ajoutée: elle est à l’origine du recours à la prestation du personnel intérimaire extérieur dont les coûts peuvent être affectés aux charges du personnel et altérer et faire baisser le niveau de la valeur ajoutée.
- diminution du chiffre d’affaires: elle est entraînée par l’obtention et l’assimilation des subventions d’exploitation au chiffre d’affaires.
- Classification du résultat courant du résultat exceptionnel: elle est instituée par l’analyse de la fréquence et de l’impact des charges sur le résultat. À cet effet, certains postes doivent être classifiés :
- les pénalités des contrats
- les pertes sur créances irrécouvrables
- les provisions pour restructuration et charges de restructuration
- l’amortissement dérogatoire
- la plus-value de cessions d’actifs
2.4.Impacts des techniques sur la présentation du bilan
Les assouplissements effectués sur certains postes du bilan permettent d’améliorer sa présentation. Ceux-ci concernent les immobilisations, les capitaux propres, les créances clients, les intérêts minoritaires et les emprunts.
- les immobilisations : la cession-bail améliore le fond de roulement et la trésorerie
- les immobilisations et les capitaux propres : la réévaluation des immobilisations corporelles fait augmenter la valeur totale de l’actif et les capitaux propres
- les créances clients: l’escompte d’une lettre de change ou d’un billet à ordre peut conduire à une augmentation de la trésorerie et à une diminution du besoin en fonds de roulement. En outre, la mobilisation des créances peut hausser le ratio d’endettement. Enfin, la titrisation des créances peut entraîner une baisse du fonds de roulement et une hausse de la trésorerie
- les capitaux propres: l’émission des titres hybrides peut conduire à la modification du ratio d’endettement et de la rentabilité des capitaux propres
- les intérêts minoritaires: l’insertion dans les capitaux propres et dans les dettes conduit à la modification du ratio d’endettement et de la rentabilité des capitaux propres
- les emprunts: le recours au crédit-bail rend neutre l’endettement infèrent dans le bilan. En plus, le désendettement de fait et le transfert de la dette à une structure ad hoc peut diminuer le ratio d’endettement et augmenter le ratio d’autonomie financière et la rentabilité financière.
II.La frontière de la comptabilité créative
1.Les sources de la comptabilité créative
Comme la comptabilité créative ne ressort d’aucune réglementation officielle, ce sont les pratiques adoptées par les comptables et recensées par les chercheurs qui forment ses premières sources. À ce propos, il importe de présenter les propositions de Schilit qui énumère quelques carabistouilles employées en comptabilité créative avant de proposer les essais de définition formulés par de nombreux auteurs qui s’accumulent au cours des années, édifiant la base officieuse des définitions actuelles.
1.1.Les carabistouilles comptables d’Howard Schilit
Les procédures citées par Schilit peuvent être considérées comme les pratiques de base à l’origine de la comptabilité créative. Leur singularité ne permet pas de les standardiser parmi les catégories de techniques présentées dans la section I de cette partie mais leur aspect pragmatique nous amène à les distinguer comme étant les sources probantes. Ces carabistouilles sont :
- 1) comptabiliser le chiffre d’affaires trop tôt ou celui d’une qualité douteuse (enregistrement du chiffre d’affaires avant acceptation client ou sans prestation rendue)
- 2) comptabiliser un chiffre d’affaires fictif (incorporation des emprunts, ristournes fournisseurs ou produits de placement dans le chiffre d’affaires)
- 3) gonfler le résultat avec des gains non récurrents (vente des actifs sous-évalués, comptabilisation des plus-values comme produits d’exploitation ou réduction des charges d’exploitation)
- 4) décaler les charges de l’exercice en cours vers une période ultérieure ou antérieure
- 5) ne pas enregistrer les engagements ou dettes ou les réduire indûment
- 6) décaler une partie du revenu de l’exercice en cours vers une période ultérieure
- 7) anticiper les charges de l’exercice futur dans l’exercice en cours
En analysant la nature de ces montages, elles rentrent dans la catégorie des procédés ayant un impact sur le calcul et la présentation du compte de résultat. Les deux premiers procédés entraînent la diminution ou l’augmentation du chiffre d’affaires dont l’effet sera perceptible à la présentation du compte financier. En outre, le troisième procédé a un effet direct conduisant à l’augmentation du résultat. Le quatrième et le septième procédé produisent le même effet sur le résultat. Le sixième procédé, quant à lui, a un effet inverse parce qu’il consiste à diminuer le résultat par le décalage d’une partie du revenu de l’exercice. Enfin, le cinquième procédé est classé parmi ceux ayant un impact sur la présentation du bilan. La diminution des dettes et des engagements dans les écritures est utilisée pour embellir la représentation du patrimoine de l’entreprise aux égards des utilisateurs des comptes.
1.2.Essais de définition sur la comptabilité créative
Les pratiques comptables créatives ont depuis longtemps gagné la convoitise de nombreux auteurs. Au fil des années, leurs apports en termes de définition constituent les prémisses officieuses abordées dans les ouvrages les plus récents. Dans la suite, un survol des différentes définitions de la comptabilité créative est proposé suivant un ordre chronologique en vue d’en saisir les avancements et les reprises.
1986 : Griffiths conçoit la comptabilité créative comme l’ensemble des procédés consistant en la manipulation ou le détournement des informations exprimant la situation comptable et financière réelle de l’entreprise en une représentation souhaitée tout en restant dans la légalité. Dans ses propos, la comptabilité créative est la « manipulation de la réalité de l’entreprise pour fausser et présenter l’information qui reflète la situation souhaitée au lieu de la situation réelle ». Ce qui accorde plus de légitimité à ces pratiques. Dans ce contexte, Griffiths place la comptabilité créative dans une position intermédiaire entre la légalité et la légitimité et entre la fraude et la créativité (art). Plusieurs définitions formulées dans les ouvrages plus récents ont été largement inspirées de cette définition de Griffiths.
1988 : Jameson décrit les possibilités qui justifient l’émergence des pratiques comptables créatives et met l’accent sur la responsabilité du comptable à les utiliser dans la présentation des comptes financiers. Selon lui, la comptabilité créative consiste « à traiter avec différents types d’avis et à résoudre des conflits entre des rapprochements différents, pour la présentation des résultats, des évènements et des transactions financières ». En analysant ce propos, l’auteur accorde une liberté et une possibilité d’arbitrage aux comptables qui traitent et comptabilisent les informations financières. Ils disposent, selon lui, d’une marge de manœuvre qui « facilite la manipulation, la tromperie et la tergiversation » dans la présentation des comptes. En résumé, la définition de Jameson met en avant les possibilités avec lesquelles les comptables mènent les opérations comptables et l’aspect moral avec lequel ils les conduisent.
1992 : Smith adopte une attitude négative envers la comptabilité créative et son apport au développement patronal des années 80. Il annonce que cette pratique est une « pratique inadéquate » véhiculée dans le monde des affaires des années 80, orchestrée par les esprits manipulateurs des dirigeants. Cette définition naît de la posture de Smith envers l’essor du patronat. Celle-ci émet des jugements sur la pratique de la comptabilité créative et met de coté son aspect technique.
1993 : Nasser met un accent sur les vides juridiques et normatifs dans la réglementation comptable et sur l’attitude des dirigeants (ou des comptables) à les exploiter à des fins plus subjectives pour présenter les comptes financiers. Il avance dans sa définition que « la comptabilité créative est la transformation des chiffres de comptabilité financière de ce qu’ils sont réellement à ce qu’on souhaite qu’ils soient, en profitant des normes existantes et/ou en ignorant certaines d’entre elles ». L’auteur met l’accent sur la réalité la plus probante et la plus objective de la réglementation comptable qui, malgré les efforts des législateurs, n’arrive pas à couvrir intégralement tous les détails les plus fins du monde économique. L’intention est ici portée sur la possibilité d’optimisation au détriment de la liberté de manipulation.
1995 : Breton et Taffler insistent sur la finalité de la comptabilité et l’intention des dirigeants de l’utiliser comme un moyen permettant de donner une bonne impression sur l’image de l’entreprise par l’intermédiaire des comptes financiers. Ils affirment que « l’habillage comptable est le résultat du choix parmi les différents principes comptables ou les méthodes de présentation, fait par les dirigeants dans l’optique de tromper les utilisateurs des comptes publiés. Les comptes manipulés se conforment à la lettre de la loi et aux normes mais pas forcément à leur esprit ». Cette définition tranche celles de Nasser sur la volonté d’optimisation et de Smith sur la manipulation, mais dans le sens positif. Les dirigeants faisant appel à la pratique de la comptabilité créative manifestent cette volonté de manipulation, pas dans le sens des pratiques inadéquates de Nasser, mais dans l’intention d’embellir l’image de l’entreprise.
1997 : Amat, Moya et Blake raisonnent en termes de finalité pour définir la comptabilité créative. Ils avancent qu’« avec la comptabilité créative, on prétend présenter des résultats comptables préférés au lieu de refléter les transactions enregistrées de manière naturelle et raisonnable ». Mais cette définition lève une certaine incertitude sur l’intention de ceux qui font recours à la pratique. Les auteurs mentionnent seulement « résultats comptables préférés » sans pour autant être décisifs sur l’intention des dirigeants : optimisation (sens positif) ou manipulation (sens négatif). La définition fait donc apparaître une certaine neutralité.
1998 : Monterrey et Blasco rejoignent la proposition de Nasser sur le fait de profiter des vides juridiques et contribuent à son extension en précisant la flexibilité et l’imprécision des contenus de la réglementation comptable. Ils proposent que « la comptabilité créative obéit à la manipulation des valeurs comptables, en se prévalant de la flexibilité, de l’imprécision ou de la non-existence des normes comptables qui sont utilisées individuellement ou dans l’ensemble, pour obtenir et présenter des valeurs souhaitées ». Les deux auteurs se mettent du coté de ceux qui critiquent le cadre normatif comptable plutôt que du coté de ceux qui raisonnent en termes de finalité pour définir la comptabilité créative. Ils mettent en lumière l’imperfection de ce cadre et la possibilité offerte aux entreprises de l’exploiter.
1998 : Guillet formule une définition plus complète et plus vaste en reprenant la thèse des vides juridiques et celle des finalités pour constituer la sienne. Il affirme que la comptabilité créative est « l’ensemble des techniques, des options et des espaces de liberté laissés par les textes comptables qui, sans s’éloigner de la norme et des exigences de la comptabilité, permettent aux dirigeants d’une entreprise de faire varier le résultat ou de modifier l’aspect des documents comptables ». Guillet englobe dans sa définition les techniques fondées sur les vides juridiques utilisées par les entreprises et l’influence des jugements des lecteurs des comptes financiers à son image. En effet, Guillet commence la constitution d’une définition plus complète et plus objective de la comptabilité créative.
1999 : Gay porte particulièrement l’attention sur l’aspect artistique de la comptabilité créative, c’est-à-dire sur la créativité des comptables. Il annonce que cette pratique est « comme une œuvre d’art des grands artistes et des sculpteurs de la comptabilité – les comptables et les auditeurs-, ceux qui profitent des brèches de la réglementation comptable pour équiper un embrouillement fiscal ou financier qui leur permet de monter l’image fiscale ou patronale souhaitée et de sortir du bénéfice ». Cette créativité mentionnée par Gay implique que les comptables et les dirigeants ont une connaissance très approfondie de la réglementation comptable sans quoi les manipulations ne seraient pas possibles.
2003 : Stolowy et Breton voient une autre réalité qui concourt à la diffusion des pratiques de la comptabilité créative. Ils mentionnent que la comptabilité créative est « l ‘exploitation de la discrétion laissée aux dirigeants en matière de choix comptables ou de structuration des opérations, dans le but de générer une modification du risque de transfert de richesses associé à l’entreprise, tel que ce risque est perçu en pratique par le marché ». Ce propos met en exergue l’intention des législateurs de laisser un espace de liberté à la gestion comptable de l’entreprise. L’exploitation de cet espace déclenche un mécanisme de génération de richesse par le fonctionnement normal du marché. Cette définition fait donc apparaître l’intelligence des acteurs économiques pour saisir les opportunités offertes par le marché par la gestion comptable.
En résumé, un tableau récapitulatif de cette chronologie de définition est proposé par la suite en vue de reconstituer les termes clés évoqués par chaque auteur.
Tableau 2 : Chronologie des définitions de la comptabilité créative
Dates | Auteurs | Thèses |
1986 | Griffiths | Manipulation de la situation réelle de l’entreprise en une situation souhaitée |
1988 | Jameson | Utilisation des différentes options de traitement comptable facilitant la manipulation, la tergiversation et la tromperie |
1992 | Smith | Pratique inadéquate,
jeu de mains comptable |
1993 | Nasser | Exploitation des vides juridiques et normatifs pour transformer les chiffres aux souhaits des dirigeants |
1995 | Breton et Taffler | Habillage des comptes pour donner une bonne impression sur l’image de l’entreprise |
1997 | Amat, Moya et Blake | Détournement des informations pour présenter les résultats préférés |
1998 | Monterrey et Blasco | Exploitation de l’imperfection du cadre normatif comptable pour présenter les valeurs souhaitées |
1998 | Guillet | Exploitation des espaces de liberté laissés par les législateurs pour modifier la présentation et faire varier le résultat |
1999 | Gay | Un art émergeant de la maîtrise de la réglementation pour embellir l’image de l’entreprise |
2003 | Stolowy et Breton | Utilisation des options comptables en vue d’engranger les gains par-dessus le marché |
Résumé | « La comptabilité créative est le processus de création d’une image financière d’une entreprise en se servant des possibilités d’applications que laissent les normes comptables aux utilisateurs sans l’intention de tromper »[3] | |
Évolution de la comptabilité créative dans la littérature économique française | 1992 : Gérald et Barthès de Ruyter parlent du danger de l’utilisation de la créativité comptable
1995 : Bonnet identifie certains procédés usuels dans la comptabilité créative 1995 : Stolowy énumère les pratiques dans la comptabilité créative et leur impact sur le compte de résultat et sur le bilan 1995 : Stolowy remet en question l’existence de la comptabilité créative A partir des années 2000 : présentation des recherches sur la pratique française actuelle de la comptabilité créative (Delasalle Florence par exemple[4]) |
2.Les facteurs légitimant la comptabilité créative
L’existence de cette discipline peut être légitimée par l’analyse des facteurs suivants :
2.1.La notion de créativité
– créativité
L’analyse étymologique du terme comptabilité créative nous fait remonter jusqu’à son appellation d’origine anglo-saxonne creative accounting. Ce dernier accorde plus d’importance à la qualité humaine des comptables à forger leur créativité dans les traitements des travaux comptables.
D’un coté, cette créativité, démontrée par Nasser, implique d’une certaine manière la connaissance parfaite de la réglementation comptable et des vides et espaces de liberté laissés par les législateurs et exploités par les experts en la matière. D’un autre coté, la notion de créativité met en lumière l’aisance technique et l’imagination des comptables à les contourner à leurs fins, même si celles-ci ne sont pas toujours dans le bon sens comme il a été indiqué dans les sections précédentes. Certains dirigeants l’utilisent à des fins de manipulation tandis que d’autres en tirent profit comme étant un facteur d’optimisation.
– imagination
Après Nasser et Smith, Barthès et Gelard ainsi que Caudron reprennent à leur tour la mise en valeur de la notion de créativité dans leur approche d’analyse de la comptabilité créative tout en s’appuyant sur la notion d’imagination. Ils considèrent que la créativité découle de l’imagination des comptables et donnent un sens à une nouvelle appellation de la discipline : la comptabilité imaginative.
A priori, la comptabilité imaginative implique une connaissance approfondie du corpus de la réglementation comptable ainsi que de ses espaces de liberté ; mais d’un autre côté, l’imagination est une attitude avec laquelle la présentation des documents comptables se rapproche de plus en plus à la création des œuvres artistiques. En effet, les documents comptables reflètent les aspirations personnelles des opérateurs comptables dans la limite de la légalité.
En partant de la notion d’imagination, les propos de certains auteurs tendent à donner une portée à l’aisance des comptables comparable à l’intelligence des analystes financiers.
Selon Castel et Pasqualini, les comptables doivent être capables de manifester un degré d’imagination de même portée que les experts en finance qui arrivent à concevoir de nouveaux instruments financiers et à les injecter sur les marchés.
Barthès et Gérald rejoignent cette proposition en insistant sur la capacité des experts en ingénierie financière à inventer, à concevoir et à innover les différentes instruments et montages financiers, et à les mettre à la disposition des investisseurs, même les plus avérés. Ces processus reposent sur le même principe avec lequel la comptabilité créative a été créée dont le contournement de la réglementation. Par analogie, il est tout à fait possible que le degré d’imagination des comptables atteigne le niveau d’imagination des experts financiers.
Ainsi, l’imagination peut se transformer en un outil de sophistication croissante concourant à l’évolution de la comptabilité créative.
– relativité
Par contre, la notion de créativité est relative. La définition du Petit Robert l’explique comme un pouvoir de créer, d’inventer, de donner l’existence à partir du néant. Or, les pratiques comptables reposent sur une base solide et officielle qui est la réglementation avec quelques options préconisées par les législateurs comme une solution dynamique permettant de saisir la réalité économique et de la transformer en une source de valeur pour l’entreprise. Dans ce sens, l’invention à partir du néant n’est pas du tout validée. Les comptables ne font que modeler la présentation des informations comptables et financières à partir des options comptables et non de leur propre imagination.
En résumé, la créativité est présente dans l’établissement des comptes pour les comptables ayant pris la voie de la comptabilité créative. En vertu de quoi, Bartolus, Pourquery, Lignon et Gounin qualifient cette discipline comme étant un art[5].
- pour Bartolus : la comptabilité créative est l’art de truquer le bilan
- pour Lignon : la comptabilité créative est l’art de calculer ses bénéfices
- pour Gounin : la comptabilité créative est l’art de présenter un bilan
- pour Pourquery : la comptabilité des provisions est l’art de mettre de l’argent de côté
Toutefois, toute créativité est précommandée par les limites légales et les choix laissés par les législateurs dans les dispositifs réglementaires. Cela rétrécit la marge de manœuvre des opérateurs comptables et justifie la relativité de la notion de créativité dans les pratiques comptables créatives. D’ailleurs, les citations prises en exemple ici justifient le fait que certains auteurs se préoccupent de l’esthétique de la présentation du bilan tandis que d’autres accordent leur attention aux substances, c’est-à-dire au truquage des informations à présenter et à l’opérationnalisation de la détermination des bénéfices.
2.2. La personnalisation des présentations des informations comptables
L’idée de base de la personnalisation repose sur la perception de la comptabilité créative comme un être humain qui a le pouvoir de flatter, de tromper, de manipuler et de persuader les lecteurs des comptes financiers de l’entreprise. Elle doit assurer la fluidité de la relation existant entre les entreprises, les investisseurs et les banquiers. Les faits et les thèses des auteurs traitant ce sujet témoignent de l’effervescence des techniques de personnalisation pratiquées en vue d’atteindre une telle perception.
- la personnalisation par le recours à l’alternative entre plusieurs référentiels comptables
Les grandes entreprises, les groupes multinationaux et les sociétés cotées ont la possibilité d’établir leurs comptes annuels en choisissant un ou plusieurs référentiels comptables que leur statut leur permet. L’objectif ici est d’associer la présentation d’une image flatteuse de l’entreprise et le recours à un ou plusieurs référentiels qui lui paraissent avantageux. Afin d’atteindre cet objectif, les dirigeants n’hésitent pas à user d’un référentiel avantageux en vue de rendre meilleure la communication financière aux égards des utilisateurs de comptes et de soutenir l’image flatteuse. En apparence, la technique apparaît simple mais en profondeur, les avantages qui en découlent peuvent être considérables en fonction du niveau du chiffre d’affaires et de la taille de l’entité.
En 2002, une enquête menée par Stolowy et Ding sur le choix du référentiel comptable justifie cette personnalisation. Leurs travaux illustrent de manière empirique le changement d’effectif des grandes entreprises françaises ayant opté pour le référentiel américain avant et après l’année 1995.
Avant 1995, l’évolution du référentiel IASB est marquée par une période de flexibilité suivie d’une restriction progressive des options comptables. Pendant cette période, beaucoup d’entreprises françaises ont porté leur choix sur les autres normes comme l’IAS qui offre plus d’options.
Après 1995, l’accord entre l’IASB et l’IOSCO sur la révision du référentiel a abouti à une diminution des nombres d’options comptables. Perçue par les dirigeants des grandes entreprises françaises, une ruée vers le recours au référentiel USGAAP est constatée. Avec ce référentiel américain, les comptables ont plus de marge de manœuvre pour ouvrir la voie à la personnalisation de la présentation des comptes financiers.
À titre d’exemple, il importe de citer le cas du groupe Schneider. Ayant pris connaissance de ce changement, les dirigeants ont pris l’initiative de changer de référentiel au fur et à mesure de l’évolution du cadre comptable. À cet égard, le groupe a opté pour le système français avant 1988 et entre 1993-1995, il a ensuite migré vers le système international (IAS) entre 1988 et 1993 et enfin, il a choisi le système américain depuis 1995.
- la personnalisation par le vagabondage comptable au sein d’un même référentiel : IASB
La personnalisation dans cette deuxième section est fonction de l’évolution historique du référentiel IASB.
Avant 1988, l’IASB était à un stade de grande flexibilité. De nombreuses options ont été promues par les concepteurs dans le but de concevoir un référentiel en concordance avec les référentiels nationaux. Durant cette période, les comptables ont eu la possibilité de développer et d’appliquer leur aptitude technique et leur imagination pour soigner la présentation des comptes financiers parce que le référentiel offrait la possibilité de comptabiliser une même opération en plusieurs procédures.
Avant 1994, une révision des 10 normes internationales a été entamée. De ce fait, le référentiel a connu une restriction au niveau du nombre d’options initialement conçues. Les concepteurs ont imposé une obligation de clarification sur la méthode choisie pour comptabiliser une transaction. En conséquence, les comptables sont soumis à un rétrécissement de leur espace de liberté dans lequel ils doivent mentionner clairement le référentiel choisi avec la méthode valable et écarter les méthodes non satisfaisantes.
Avant 2000, l’IAS a été reconnu par les marchés boursiers. Les comptables ne disposent plus que d’un seul référentiel pour la représentation des comptes. En effet, le vagabondage est étroitement encadré par ce référentiel qui prévoit une seule option pour chaque transaction contrairement à la situation d’avant 1988.
Depuis 2001, l’Union Européenne s’est avancé dans la généralisation de l’application des normes IAS pour toutes les sociétés cotées sur les marchés boursiers. Cela réduit la liberté de créativité des comptables mais depuis 2005, le choix entre les différents référentiels leur est accordé sous conditions. L’idée revient ainsi à la personnalisation par le vagabondage entre plusieurs référentiels développée dans la section précédente.
En bref, le vagabondage intra-référentiel est marqué par la diversification des options au départ, puis par la réduction progressive prévoyant le choix des méthodes valables pour une seule opération et finit au stade où seule une option est réservée à une transaction.
2.3.Les quelques lacunes de la réglementation comptable française
Chaque référentiel a ses insuffisances, failles et lacunes. Il semble difficile de les citer exhaustivement afin d’en ressortir les avantages et inconvenants. Par contre, les quelques points proposés dans cette sous-section démontrent les insuffisances dans la réglementation comptable française.
L’indicateur EBITDA
Littéralement, l’EBITDA ou « earings before interests, taxes, depreciation and amortization », traduit en français comme le « bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement » est un agrégat comptable traduisant le bénéfice d’une entreprise avant la soustraction de ses charges d’emprunts, les prélèvements obligatoires, les dotations aux amortissements et les provisions des immobilisations.
Il s’agit d’un solde intermédiaire de gestion conçu et admis dans la comptabilité américaine pour informer les dirigeants et les utilisateurs des comptes sur le profit généré par les opérations effectuées par l’entreprise sans tenir compte des contraintes fiscales, financières et d’exploitation. En réalité, il informe sur la capacité de l’entité à dégager des profits indépendamment de la variation de sa structure de financement. C’est un argument très flatteur aux yeux des apporteurs de capitaux même s’il ne ressort pas d’une normalisation concrète.
Par contre, les pratiques comptables des entreprises françaises ne font pas recours à cet indicateur qui est à l’origine du calcul de l’EBIT ou bénéfice avant intérêts et impôts. L’établissement des comptes à la française prévoit plutôt l’utilisation de l’EBE ou Excédent brut d’exploitation et du Résultat d’exploitation. À cet égard, les comptes des entreprises conçus selon le référentiel américain disposent d’une information complémentaire sur la rentabilité opérationnelle à court terme et d’une base de multiple de prix pour les méthodes d’évaluation avant les cessions-acquisitions. Ce surplus donne une image plus nette sur la performance de l’entreprise établissant les comptes à l’américaine aux égards des investisseurs internationaux qui supportent les grandes entreprises et les sociétés cotées.
L’EBITDA et l’EBIT deviennent des indicateurs courants pour un grand nombre de groupes de sociétés. En 1990, ils ont été largement utilisés pour l’évaluation de la rentabilité opérationnelle parce qu’à cette période, de nombreuses entreprises ont recouru aux opérations d’acquisition par endettement. Alors, les acquéreurs ont porté leur choix sur les entités ayant informé leur situation par les indicateurs EBITDA et EBIT avec lesquelles l’image fidèle est assurée. Cette tendance s’est ensuite réveillée pendant la période de l’essor des produits TMT (technologies, médias et télécommunication) sur les marchés boursiers. Les deux indicateurs ont été utilisés en vue de rendre raisonnables les prix, de cacher l’effet de la dette et des provisions. Ces explications montrent pourquoi il est préférable d’utiliser l’EBITDA et l’EBIT dans les analyses financières.
Les comptes pro forma
Les normes comptables françaises sur l’établissement des comptes annuels des entreprises ne prévoient aucune indication les exigeant à dresser les comptes pro forma.
Suivant le référentiel américain, ces types de compte servent à informer les médias et les analystes financiers sur la situation financière de l’entreprise bien avant la conception et la publication officielle des documents définitifs conformément aux dispositifs comptables en vigueur.
La présentation de ces comptes pro forma est une pratique de la comptabilité créative aux entreprises qui opte pour le référentiel américain. Cela donne un aperçu sur la situation de l’entreprise et accorde la possibilité de réviser le calcul des résultats passés et d’éditer une nouvelle configuration du bilan après acquisition. Et pour plus de flatterie, les comptables peuvent ne pas faire figurer dans le bilan certains éléments comme les réévaluations, le coût de restructuration, les frais des travaux d’audit, etc. A cet effet, les comptes sont conçus en vue d’illustrer une bonne image de l’entreprise à céder, de persuader les acquéreurs et d’établir un bon prix.
En partant de ces explications, les autres référentiels offrent plus de liberté que celui du cadre comptable français. Ayant pris connaissance de cette option, les grandes entreprises et les sociétés cotées ont plus d’avantage à assurer leur communication financière par rapport aux entités régies uniquement par la réglementation française.
L’amortissement du goodwill
La réglementation comptable française ne prévoit pas de disposition permettant d’amortir des actifs incorporels. En ce qui concerne le goodwill, la valeur résiduelle n’est pas amortissable mais elle doit être comptabilisée en tant qu’immobilisation incorporelle une fois que la réévaluation et la reconnaissance de tous les autres actifs sont effectuées à leur juste valeur. Pourtant, un amortissement systématique d’une durée raisonnable est préconisé. Cela justifie l’existence d’une lacune au niveau du choix de la méthode et des durées de comptabilisation de cette valeur résiduelle.
Par contre, la réglementation comptable européenne prévoit un amortissement des survaleurs à chaque exercice et offre la possibilité de choisir le nombre d’années de la dépréciation. En partant de cette disposition, les grandes entreprises ont tendance à conserver les survaleurs dans le bilan. Cette créativité comptable est pratiquée par les grandes entreprises comme France Télécom et Vivendi en vue d’argumenter l’image aux yeux des utilisateurs des comptes.
En outre, la situation des entreprises adoptant les normes IFRS va dans le sens de la suppression du goodwill. Selon la norme IFRS 3 révisée, l’amortissement du goodwill est interdit et toute perte de valeur doit passer par le test de dépréciation à chaque arrêté de compte. Autant pour la reprise de ses dépréciations. Dans les travaux d’allocation des prix d’acquisition, les survaleurs sont transférées dans les unités génératrices de trésorerie. Cette situation limite certainement la pratique de la comptabilité créative pour ces entreprises françaises et, en contrepartie, donne un avantage aux autres entreprises ayant le choix entre différents référentiels pour l’établissement des comptes.[6]
A coté des différents arguments justifiant la légitimité de la créativité comptable, il y a aussi des facteurs qui contredisent son illégalité, autrement dit, qui témoignent qu’elle n’entre pas dans le domaine de la fraude ou de l’illégalité. Quelques uns de ces arguments sont proposés dans les paragraphes suivants.
3.Les arguments contredisant l’illégalité de la comptabilité créative
3.1.La différence entre créativité et illégalité
A première vue, la différence réside dans le plan sémantique.
La créativité comptable est la capacité des comptables et des dirigeants à porter à leur connaissance l’ossature de la réglementation comptable qui régit l’entreprise, doublée de la capacité d’inventer des techniques et des procédures servant à contourner les failles et options détectées conformément à leur fin, afin d’imaginer les meilleures solutions permettant de se distinguer des autres (amélioration des comptes). Tout cela dans le respect du cadre légal.
Par contre, l’illégalité ou la fraude comptable est un état d’une entreprise dont les actes se placent en dehors de la réglementation comptable en vue d’arriver à des fins quelconques. Dans ce processus, il n’y a rien comparable à l’imagination et à la créativité. En outre, les causes de la fraude se différencient de celles de la créativité (cf. facteurs explicatifs).
La différence entre la créativité et la fraude peut aussi être analysée du point de vue de leur origine.
Les causes de la fraude
L’explication des causes de la fraude renvoie à l’analyse du triangle de Cressey qui met en évidence l’interjection des trois éléments suivants : motivation, opportunité, intégrité déficiente. La déficience simultanée de ces trois facteurs rend possible la fraude.
- la motivation économique du fraudeur : elle se manifeste par la multiplication et la diversification des besoins du fraudeur et des pressions qui conditionnent son espace de travail.
- L’opportunité : créée et animé par l’absence et l’insuffisance de l’effectivité des systèmes de contrôle interne au sein de l’entreprise, elle donnant une occasion libre au fraudeur
- l’intégrité déficiente : c’est l’environnement dans laquelle le fraudeur peut se justifier et la fraude est rendue excusable et acceptable et n’est pas considérée comme un acte criminel.
Il est possible de traduire ces trois facteurs dans un sens positif afin d’expliquer les causes de la créativité comptable
Les causes transcrites de la créativité comptable
- la motivation économique du comptable (des dirigeants) : la créativité est animée par l’intérêt économique de l’entreprise expliqué par un avis favorable des investisseurs, une meilleure image des apporteurs de fonds (actionnaires), un meilleur positionnement sur le marché et une bonne perception des clients de sa situation.
- L’opportunité : elle est créée par l’appréhension des lacunes juridiques et réglementaires qui caractérisent le cadre légal et les normes comptables mais aussi par la prise de connaissance des options comptables créées par les conditions économiques auxquelles les législateurs ont fait référence.
- L’intégrité efficiente : c’est l’environnement dans lequel le comptable peut se justifier de sa créativité et de ses manœuvres comptables. Il s’agit en quelque sorte de la légitimité de la comptabilité créative et de son état de ne pas se dépasser du cadre légal.
Ces nuances expliquent la distinction de la créativité et de la fraude et légitiment ainsi le fait que la comptabilité créative ne recèle pas les caractéristiques de la fraude expliquées par les causes évoquées précédemment.
Par ailleurs, comme la comptabilité est l’objet et le moyen de la créativité comptable, elle peut l’être également pour la fraude.
L’utilisation de la comptabilité comme moyen et objet de la créativité comptable
Il n’est pas difficile de percevoir que la comptabilité est le centre d’intérêt de la comptabilité créative. D’un côté, elle en est l’objet parce qu’elle demeure la substance des manipulations et des manœuvres comptables effectuées par les opérateurs. Ces dernières aboutissent à la transformation de la représentation de quelques éléments du bilan et du compte de résultat. (cf. ; Procédure ayant un impact sur le bilan, sur le compte de résultat).
D’un autre côté, la comptabilité est aussi un moyen utilisé par le comptable pour atteindre les objectifs et les finalités de la comptabilité créative. Si l’intention est de capter l’esprit des investisseurs, des apporteurs de fonds, des clients et d’autres parties prenantes sur la situation de l’entreprise, c’est par le biais de la manipulation des opérations et des substances comptables que ces objectifs sont rendus possibles.
L’utilisation de la comptabilité comme moyen et objet de la fraude comptable
Les anomalies comptables appartiennent au premier type d’indicateurs de la fraude selon les propositions d’Albrecht et Albrecht. Ces anomalies se manifestent par les fraudes financières et celles relatives aux états financiers qui ont une relation étroite avec la comptabilité. Cette dernière joue alors un double rôle en demeurant soit l’objet soit le moyen.
La comptabilité est conçue comme l’objet de la fraude dans le cas ou la fraude a été construite sur la base des documents comptables. Les fraudes des états financiers constituent le cas le plus fréquent : comptabilisation des éléments fictifs.
Par ailleurs, il y a des circonstances où les fraudeurs se servent de la comptabilité pour commettre les infractions. Elle est donc le moyen utilisé pour véhiculer la fraude comme le vol et les détournements, la cacher et servir de preuve. À titre d’exemple, les items cités dans le tableau ci-après illustrent quelques indicateurs de la fraude comptable selon les propositions de Jean-Yves Perruchoud.
Tableau 3 : Liste des indicateurs de fraude comptable[7]
Ces explications justifient qu’il y a une nette différence entre les intentions malveillantes des fraudeurs et les intentions manipulatrices des comptables même s’ils se servent tous de la comptabilité comme moyen et objet de leur opération. Cette nuance permet d’affirmer que la comptabilité créative ne peut être classée comme illégale ou frauduleuse.
3.2. L’existence permanente des options comptables et fiscales
La comptabilité créative puise son existence dans l’existence des options comptables observées dans le contenu de la réglementation. Elle découle de l’intention des comptables de profiter soit des carences et lacunes du cadre réglementaire, soit des divergences entre les différents référentiels comptables qui peuvent cohabiter en fonction du statut de l’entreprise. À cet égard, Bertiou et Vignolles informent sur un certain nombre d’options de consolidation des comptes d’entreprise. Des options qui ont des impacts sur la présentation des états financiers. Les techniques recensées par Smith et Nasser relèvent aussi de la famille des options comptables offertes par la réglementation.
En analysant ces sources, il est évident d’affirmer que la créativité comptable a des sources stables, acceptées tacitement par les législateurs et admises par les acteurs économiques. C’est grâce à ces sources que les comptables puisent leur imagination pour manipuler les comptes dans la poursuite d’objectifs d’optimisation et d’embellissement de l’image de l’entreprise. Une frontière presque prévisible limite quand même l’élasticité de l’imagination des comptables à truquer les bilans. Le respect de cette limite explique que la créativité comptable n’est pas un acte illégal. Même si les intentions des entreprises consistent à duper les lecteurs des informations financières, elles restent toujours dans le respect de la frontière de la légalité. Le seul facteur qui peut entraîner une extension de la comptabilité créative est la diversification et la multiplication des options comptables.
3.3. La créativité seulement limitée à certains mécanismes
La réglementation ne laisse qu’un nombre limité d’options comptables. C’est à travers ces options que l’imagination et la créativité des opérateurs peuvent se manifester. Actuellement, les analystes financiers continuent à créer des instruments et des opérations financières de plus en plus complexes, dépassant les caractéristiques des options traditionnellement conçues par les législateurs. La comptabilité doit traduire ces instruments et opérations en chiffres pour être compris et lisibles par les utilisateurs des comptes. Mais cette évolution est limitée par l’impossibilité des analystes à créer indéfiniment des instruments et des montages financiers. En effet, la créativité est seulement limitée à certains mécanismes. Alors, elle ne constitue pas un acte illégal.
Selon Caudron, la créativité peut être animée par les conjonctures financières et juridiques indépendamment de la comptabilité, mais par extension, sa finalité doit toujours refléter la réalité. Autrement dit, quel que soit le degré de la créativité des comptables, la réalité est le but ultime de la représentation des comptes. Si cet objectif est atteint, c’est que les manœuvres frauduleuses n’entrent pas en jeu pendant l’implémentation des procédures et des techniques de la comptabilité créative.
[1] Ridha Shabou, Neila Boulila Taktak, « Les déterminants de la comptabilité créative : étude empirique dans le contexte des entreprises tunisiennes », Comptabilité – Contrôle – Audit, 2002/1Tome 8, p. 5-24. DOI : 10.3917/cca.081.0005, page 6
[2] Amat, Blake, « Comptabilité créative », page 16, recueilli dans le mémoire de J.L. Hermosilla Cortes, intitulé « Évaluation de la fiabilité de l’information comptable : une analyse théorique et appliquée au processus de production des normes comptables ;le cas du chili » Une approche par les logiques d’action et les conventions, Université Catholique de Louvain, page 84
[3] Hermosilla Cortes, intitulé « Évaluation de la fiabilité de l’information comptable : une analyse théorique et appliquée au processus de production des normes comptables ; le cas du chili » Une approche par les logiques d’action et les conventions, Université Catholique de Louvain, page 79.
[4] F. Delasalle, «Réalités de la comptabilité créative à la française », 22ème Congrès de l’AFC, Mai 2001, France. pp.CD-Rom. <halshs-00584621>
[5] Bartolus : art de truquer le bilan ; Lignon : art de calculer ses bénéfices ; Gounin : art de présenter un bilan ; Pourquery : les provisions ou l’art de mettre de l’argent de coté. Recueillis dans « Existe-il vraiment une comptabilité créative ? De Hervé Stolowy
[6] Goodwill, recueillis sur le site <www.mazars.fr/Acceuil/Expertise/Financial-Advisory-Services/Glossaire-Definition/G/Goodwill.html>, avril 2015
[7] Jean-Yves Perruchoud, « La fraude comptable et financière : un modèle globale couvrant tous les aspects de la délinquance d’entreprise », Conseil économique, L’expert-comptable suisse, 2013, page 395
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