Les motivations des adultes en formation
Master 1
Sciences de l’Education à visée exploratoire
Les motivations des adultes en formation
Introduction
Qu’est-ce qui peut pousser un adulte, à un moment donné de sa trajectoire, à s’engager dans cette entreprise singulière qu’est la formation ? Qu’est-ce qui peut le décider à entrer dans un processus dont il sait pertinemment qu’il risque de mettre à mal ses manières familières de voir le monde et d’agir ? Qu’est-ce qui peut le pousser à relever ce périlleux défi dont il mesure les coûts, sur les plans pratique, cognitif ou affectif ? C’est bien sûr la question de la motivation à se former qui est ici posée.
Cette question peut être traitée à deux niveaux. Et tout d’abord à propos de l’engagement (ou de l’entrée) en formation. Il s’agit du processus qui conduit l’adulte, à un moment donné de sa vie, à prendre la décision d’entamer telle ou telle formation, c’est-à-dire, le plus souvent, à renoncer à d’autres options qui s’offrent à lui. La question de la motivation se pose ensuite à propos de l’engagement dans l’apprentissage proprement dit, c’est-à-dire ce processus qui conduit le sujet, une fois entré dans la formation et confronté à des situations spécifiques d’apprentissage, à accepter de mettre ses connaissances préalables au travail, et à relever le défi de leur transformation.
Nous allons tenter d’expliciter les caractéristiques de la motivation des adultes à se former puis les différents modèles qui les régissent.
- De la notion de motivation à la motivation à se former
1.1. Approche de définitions
- La définition de Joseph Nuttin
La psychologie de la motivation concerne l’exploration de l’accomplissement par le sujet de telle ou telle activité bien déterminée et dont toutes les modalités d’actions sont sous-tendues par la poursuite d’un objectif encore absent ou non-existant. Ce sont aussi les buts poursuivis pour atteindre un idéal du moi.
Dans le champ du travail, la motivation dépend du sens que chaque travail leur donne à son action (recherche d’une promotion, « devoir sacré », souffrance, déclassement…).
L’étude de la motivation se développe dans les années 1960.
- La pyramide de Maslow
Selon Abraham Maslow, la satisfaction des besoins s’effectue selon un ordre prioritaire : La satisfaction des besoins physiologiques (logement, alimentation, hygiène etc…) est primordiale, suivi par un besoin de sécurité. Viennent ensuite la recherche de la plénitude sentimentale, l’ appartenance à un groupe, la vie familiale etc… En dernier lieu, l’individu cherchera l’estime de soi au travers du regard des autres et dans l’accomplissement de ses buts les plus élevés.
1.1.3. Alfred Adler
Alfred Adler parla de « fiction motivante », qui propulse le sujet vers des buts, des rôles et des styles de vie qu’il s’imagine pour lui-même. Certaines motivations peuvent être trompeuses, issues de perceptions exaltées d’autrui ou de soi.
1.2. La motivation des adultes à se former
1.2.1. Sens du concept
Chaque théorie de la motivation a tenté de définir la motivation à se former en fonction de ses postulats majeurs. Nonobstant, il s’avère plus pertinent de proposer une définition qui combine les concepts en vue de mieux comprendre la dynamique en question. Dans cet esprit, Guerrero et Sire (1999) définissent la motivation à se former comme : « la volonté d’apprendre en raison d’une confiance en ses capacités d’apprentissage et d’une attente de résultats.» Il s’agit d’une combinaison de la théorie d’auto-efficacité basée sur un jugement personnel sur ses capacités à entreprendre une action. D’autre part, il y a la perception du sujet entre l’effort à fournir et la rétribution à en attendre.
1.2.2. Les enjeux de la motivation
Les facteurs motivationnels représentent des déterminants importants pour les activités d’apprentissage et, ultimement, pour leur efficacité (Weinert, 1987). Pour sa part, Carré (2000) affirme que la psychologie de l’éducation considère la motivation telle un ingrédient indispensable à l’apprentissage. Selon Ford et ses collaborateurs (1997) cités dans Guerrero et Sire (1999), la motivation à se former a un impact significatif sur les résultats de la formation, autant pour l’acquisition des savoirs que pour leur transfert.
Il a été prouvé que les effets des facteurs motivationnels ont une incidence :
- sur les performances en matière d’apprentissage (Logan et Gordon, 1981) : la motivation influence la quantité de savoir que l’on apprend. On n’apprend que ce que l’on expérimente; à cet égard, la motivation est responsable, en partie, de ces expériences ;
- sur ce que le sujet observe et la façon de procéder pour apprendre un savoir: selon le courant constructiviste, les savoirs et les savoir-faire sont construits et élaborés par les apprenants eux-mêmes (Vianin, 2006). Sans leur véritable adhésion, il n’y aura pas d’apprentissage étant donné que les connaissances ne se transmettent pas. Subséquemment, le succès de toute activité de formation est conditionné par les initiatives et la motivation des participants. Et à l’instar d’un cercle vertueux, la motivation est suscitée, à son tour, par la réussite à travers le sentiment d’efficacité personnelle que celle-ci procure (Delannoy, 2005).
- Caractéristiques de la motivation
2.1. L’aspect émotionnel
La décision consciente doit être en accord avec les désirs profonds, inconscient (principe de la congruence). L’inconscient est très puissant :
- l’inconscient est sensible à l’aspect non-verbal de la communication (postures, ton de la voix, gestes etc…) et aux éléments implicites de l’environnement (ordres des tables, place des noms dans une liste etc…) ;
- les valeurs et les croyances qui motivent nos actions sont souvent inconscientes.
Selon Robert Dilts (inspiré des travaux de Gregory Bateson), les différents environnements dans lesquels nous vivons (professionnels, familiaux, urbains etc…) influencent nos comportements. Ces mêmes comportements déterminent nos capacités. Il est important que nos actions et notre savoir-faire/savoir-être soient en congruence avec nos valeurs et notre sentiment d’identité profond. En sens inverse, nous dirons que notre sentiment d’identité influence nos valeurs et nos croyances. Celles-ci orientent alors nos capacités et nos comportements afin d’agir sur notre environnement.
2.2. Les quatre composantes de la motivation
Bien qu’il n’y ait pas de consensus en ce qui a trait à la définition de la motivation, les psychologues s’accordent sur ses caractéristiques et en distinguent quatre composantes (Roussel, 2000) :
- le déclenchement du comportement qui est le fait de passer de l’absence d’activité à l’accomplissement des tâches exigeant une énergie physique, intellectuelle ou mentale. C’est la motivation qui fournit cette énergie en vue de concrétiser le comportement ;
- la direction du comportement par la motivation vers le sens désiré, soit les buts à réaliser. En effet, elle représente la force qui oriente l’énergie vers les objectifs attendus et les efforts afin d’accomplir la tâche voulue.
- l’intensité du comportement : la motivation veille à ce que l’énergie soit dépensée en fonction des buts à atteindre. Les efforts physiques, mentaux et intellectuels déployés représentent une manifestation de ladite motivation.
- la persistance du comportement qui se traduit par la permanence de la direction et de l’intensité de la motivation. Celle-ci est la force incitatrice à dépenser l’énergie nécessaire à l’atteinte des objectifs. La motivation se construit dans le temps et fluctue en fonction de la persistance des intérêts, des conflits, des frustrations, des aspirations, etc. (Cuerrier, 2005).
2.3. L’estime de soi
BANDURA (1977) a par exemple insisté sur ce rôle dans la différence entre l’attente d’efficacité et l’attente de conséquence. La première est relative à la croyance que l’on peut obtenir avec succès le comportement requis pour produire la conséquence, c’est la croyance en la compétence. La seconde est la croyance en son environnement : un comportement donné conduira à une certaine réussite.
En général, les sujets à forte estime de soi luttent activement contre l’échec, alors que les individus à faible estime de soi ont plutôt tendance à l’accepter. L’estime de soi intervient au niveau de l’adaptation de la personne par le biais également de la motivation. En effet une divergence entre un élément cognitif ou comportemental et la conception de soi de la personne, parce qu’elle menace la maintenance de soi et le rehaussement de soi, motive la personne à agir.
Il y a adaptation par maintien et/ou promotion de son image de soi. Dans la théorie de DUVAL (1972) une motivation pour le changement vient de la conscience qu’on a de l’incongruité entre son concept de soi idéalisé et son image de soi, c’est-à-dire le soi tel qu’il apparaît dans le comportement. L’estime de soi serait donc une fonction particulièrement active au niveau des apprentissages et de la connaissance (théorie de la dissonance cognitive).
- Les modèles de la motivation
La motivation a passionné d’abord les philosophes, ensuite les biologistes et enfin les psychologues. On peut inventorier de multiples formulations théoriques qui ont tenté de l’éclairer, tout en contribuant à l’enrichir dans le but de bien l’appréhender.
3.1. Le béhaviorisme
Ce courant a dominé la psychologie scientifique lors de la première moitié du XXe siècle. Il postule qu’il n’est d’étude psychologique possible que des comportements observables (Forget in Vallerand et Thill, 1993). Selon la tradition béhavioriste, la motivation à agir est déclenchée par un déséquilibre interne de l’organisme ou un état de tension produit par un besoin de l’organisme. Celui-ci essaie régulièrement de réduire ces tensions et minimiser les états de déséquilibre. Les comportements sont donc conditionnés par les stimuli internes ou externes qui sont des facteurs de motivation amorçant l’action du sujet. De nombreuses applications des recherches béhavioristes ont vu le jour et fonctionnent selon le schéma précité, soit en postulant l’existence de stimuli internes « naturels » chez le sujet en formation (le besoin d’apprendre, par exemple), soit en essayant de construire des systèmes de stimuli externes forts (pertinence du programme de formation.) Les béhavioristes distinguent les renforcements positifs comme les récompenses lorsque le formé montre le comportement attendu et les renforcements négatifs qui consistent à éliminer une tâche ingrate (Vianin, 2006).
3.2. La psychanalyse
Les sources de la conception psychanalytique proviennent de la clinique psychiatrique. Elle s’articule autour des dimensions psychodynamiques du comportement, tout particulièrement à ses motifs et à son sens (Petot in Vallerand et Thill, 1993). Selon l’école de la psychanalyse et surtout Freud, tout acte psychique a un sens intentionnel qui est inaccessible au sujet, intrapsychique et inconscient. Les formations de l’inconscient représentent l’expression déguisée d’un désir refoulé (Petot in Vallerand et Thill, 1993). Il s’ensuit donc que le désir d’apprendre est une expression inconsciente qui échappe au sujet lui-même. Les implications de cette perspective dans le domaine de la formation peuvent être cernées à travers les facettes biographiques du rapport au savoir, et la découverte de dimensions inconscientes dans l’activité de formation susceptibles d’être illustrées par le refoulement, la projection, la sublimation, etc. On l’aura donc compris, les postulats de la psychanalyse sont déterministes et enlèvent à l’individu tout rôle actif dans le contrôle de son devenir. Cela étant dit, l’apport de ce courant est primordial quant à l’analyse des facettes biographiques en matière de formation. La motivation dans la tradition psychanalytique est abordée dans le registre affectif et considérée comme une caractéristique individuelle de la personne (Vianin, 2006).
3.3. La psychologie cognitive
La psychologie cognitive considère le comportement davantage qu’une simple réponse aux stimuli, vu que ces derniers sont traités par l’organisme avant même d’être traduits en comportement (Dolan et al., 2002). Le paradigme cognitiviste gravite autour des mécanismes de traitement de l’information tels l’apprentissage, la perception, la résolution de problèmes, etc. en dehors des facettes motivationnelles ou affectives de l’action. La motivation est le fruit d’une élaboration cognitive du sujet (Vianin, 2006). Ainsi, dans le domaine de la formation, le contrôle que le formé a de ses propres pensées peut influer sur ses sentiments et ses comportements. En outre, l’information apportée par le formateur au formé est importante. Il peut s’agir de buts à atteindre, tâches à effectuer, conditions de réalisations, lignes directrices, etc.
3.4. L’approche humaniste
La tendance innée de l’organisme à se développer de façon optimale représente le postulat de base des propositions humanistes (Pelletier et Vallerand in Vallerand et Thill, 1993). La motivation dans l’approche humaniste se joue dans les rapports entre les parties prenantes dans l’activité de formation. Pour Rogers par exemple, l’animateur a un rôle déterminant dans la stimulation de la motivation des participants. Il distingue chez lui trois qualités nécessaires. D’abord, la congruence qui fait référence à l’instauration d’une relation authentique; ensuite, l’acceptation inconditionnelle permettant aux formés de se sentir dignes de respect et de confiance; enfin, l’empathie qui est la capacité de se mettre à la place de l’autre, de le comprendre et de lui communiquer cette compréhension (Vianin, 2006). Il appert que la motivation se définit par une dynamique interne et une formation autodéterminée qui engage la personne tout entière (sentiments et intelligence).
3.5. D’autres approches de la motivation
3.5.1. L’ « expectation-valeur »
Ce modèle développé par Vroom considère la motivation comme une force résultante de
trois composantes (Roussel, 2000) :
- la valence (V) : l’importance négative ou positive que l’individu attribue à l’atteinte d’un résultat final lors de l’exécution d’une activité. À titre d’illustration, dans le cas d’une formation pour mise à jour des habiletés, la valence dépendra de la valeur que l’individu accordera à la possibilité d’utiliser une nouvelle technologie;
- l’instrumentalité (I) : il s’agit du lien entre la performance d’une action et la réalisation du but final à la fin de l’action que l’individu perçoit. Dans l’exemple précité, l’instrumentalité correspond à la probabilité d’utiliser la nouvelle technologie à l’issue du cycle de formation;
- l’expectation (E) : la probabilité que l’individu s’attribue de réussir l’action. Elle est tributaire de sa croyance en soi et de sa perception des conditions d’accomplissement de l’action. Toujours dans le même exemple, il s’agit de la probabilité que l’individu s’accorde pour atteindre la performance requise par la formation.
3.5.2. Le modèle du contrôle
Il s’agit des représentations que les individus se font en vue d’expliquer le fonctionnement du monde et de leurs actes ainsi que leur rapport avec l’environnement. Le lieu de la cause ou le locus de contrôle fait référence à un continuum des pôles de l’interne versus l’externe. Le contrôle interne représente le cas d’un sujet qui interprète les événements comme résultat de sa propre action. À l’opposé, le contrôle externe est le fait d’attribuer les événements qui arrivent dans la vie aux forces externes, à la destinée, à l’environnement. Cette théorie a expliqué pourquoi le renforcement n’exerce pas toujours l’effet prévu par la théorie béhaviorale. En effet, Rotter cité par Thill (in Vallerand et Thill, 1993) a constaté que cet effet est tributaire de la perception du lien de dépendance que l’individu établit entre son comportement et les renforcements qui surviennent dans son environnement. Selon cette théorie, la motivation des employés à se former dépendrait de l’expectation concernant l’activité de formation, de l’expectation généralisée basée sur les expériences antérieures des sujets, etc. Si le contexte de la formation amène le sujet à se sentir responsable, lui renvoie une rétroaction positive sur ses performances, il renforcera son sentiment de compétence et sa motivation intrinsèque.
3.5.3. L’autodétermination
Les postulats de la psychologie humaniste ont amené Deci et Ryan (in Vallerand et Thill, 1993) à l’élaboration d’une théorie intégrée de la motivation, tout en étant le résultat de deux besoins humains, à savoir la perception de compétence et le sentiment d’autodétermination. Le premier se réfère à l’impression ressentie par l’individu d’être capable d’agir de façon positive afin d’atteindre des performances données. Les sources d’informations utilisées à cet égard sont le critère de comparaisons sociales (social comparisons) qui consiste à se comparer à d’autres individus et le critère de la comparaison auto-référencée (self-referenced) qui fait allusion à la comparaison entre la performance actuelle et une performance antérieure (Alderman, 2004). Quant au second, le sentiment d’autodétermination, il renvoie à l’impression d’être un acteur actif dans ses actions, d’avoir le choix et de se sentir libre vis-à-vis ses comportements. Lorsque l’autodétermination de l’individu augmente, sa motivation intrinsèque devient importante, tandis que celle-ci diminue avec une chute de son autodétermination (Vallerand, Thill, 1993). Bref, dans le domaine de la formation des employés, plus l’individu se perçoit libre dans ses choix reliés aux diverses sphères de la formation en tant que principal acteur, plus il s’engage de façon active dans son apprentissage et sa motivation augmente.
3.5.4. La motivation humaine
Cette théorie représente une critique des théories classiques de la motivation inspirées de modèles biologiques ou physiques, réduits à l’étude du comportement. Sa principale caractéristique étant la recherche intentionnelle du progrès (Nuttin, 1985). La double nature de la motivation humaine de Nuttin s’articule autour de deux postulats majeurs :
- le dynamisme de l’autodéveloppement : l’individu n’a pas nécessairement besoin de stimulation pour entrer en action, étant donné qu’il y a une tendance inhérente au fonctionnement humain (dynamisme d’autodéveloppement) qui le guide à progresser vers des buts personnels ;
- la directionnalité stipule que le sujet a la capacité de se donner des orientations, des objectifs pour amorcer, changer ou réguler ses actions. Un tel processus est indispensable par rapport à l’autodéveloppement et se concrétise dans l’élaboration des buts et des projets personnels en fonction des représentations futures. Il prend toute sa signification lors de la formation des adultes, tout particulièrement au moyen de l’autoformation.
- Modèle des motifs d’engagement en formation de Carré
La revue de la littérature permet de distinguer trois groupes de modèles qui ont traité des
motifs d’implication des adultes en formation (Courtney, 1992) :
- les modèles de décision qui mettent en exergue la décision ayant mené à l’action intitulée participation, plutôt qu’aux motifs en tant que tels ;
- la théorie du cycle de vie étant axée sur les postulats de l’andragogie, elle s’intéresse aux besoins en formation crées par le développement des divers stades de la vie ;
- les orientations motivationnelles qui se réfèrent à l’origine du besoin de formation et non aux facteurs liés à la décision de participer.
Le modèle de Carré (2001) possède quant à lui dix motifs appréciables de par leur pertinence et leur précision relative. Le modèle est basé sur les contenus permettant d’analyser les raisons d’entreprendre une activité de formation quelconque. D’après ce modèle, les motifs qui expliquent l’engagement dans une formation sont changeables, contingents vis-à-vis le contexte de vie de l’individu et pluriels (Carré, 2000); il est rare que les adultes s’y engagent pour une seule raison. De surcroît, ce modèle intègre des perspectives de décision (motif dérivatif, par exemple), de la théorie du cycle de vie (motif vocationnel) et des orientations motivationnelles (motif opératoire professionnel).
3.1. Les motifs d’engagement
Le modèle descriptif des motifs présenté ci-après a été conçu à partir d’une double distinction, héritée pour partie des travaux fondateurs de Houle (1961) et de ceux, plus récents, de Deci et Ryan (dans Vallerand et Thill, 1993). Un second axe clivant les orientations motivationnelles répartit les motifs d’engagement en formation entre ceux qui visent l’acquisition d’un contenu de formation (connaissances, habiletés, attitudes), donc qui sont centrés sur l’apprentissage de savoirs, et ceux qui visent la participation, c’est-à-dire l’inscription et/ou la présence en formation (Houle, 1961). Dans ce dernier cas, l’inscription en formation est liée à l’anticipation d’un résultat indépendant de l’apprentissage de savoirs. En combinant ces deux axes, on obtient une répartition en quatre « quadrants » spécifiques, dans lesquels peuvent s’inscrire les motifs d’engagement en formation.
L’ensemble des dix motifs ainsi reconstruit et validé peut être représenté sur le schéma suivant
6.2. Les
Deux orientations et dix motifs d’engagement en formation
Motifs intrinsèques
- Epistémique : l’apprentissage des connaissances et du savoir représente le motif d’engagement à l’activité de formation. La motivation est reliée au contenu de la formation et à la passion d’apprendre.
- socio-affectif : la participation à la formation trouve sa raison dans les contacts sociaux que de telles occasions peuvent offrir aux participants. Ce motif fait donc allusion aux échanges entre les participants à la formation, le développement des relations sociales et le renforcement des liens entre les membres des groupes.
- Motif hédonique : on participe à la formation seulement pour le plaisir relié à ses conditions de déroulement et à son environnement, sans considérer le volet des apprentissages. La base de ce motif peut être le matériel pédagogique, l’ambiance, le confort des lieux, etc.
Les 7 motifs extrinsèques :
- Economique : les employés prennent part aux activités de formation pour des raisons purement matérielles. On peut citer des avantages économiques directs tels les allocations et les primes ou indirects que l’on peut obtenir à la suite de la formation.
- Prescrit : les raisons de participation sont dues à des formes discrètes comme la pression de conformité sociale, la recommandation d’un supérieur, l’intervention d’une personne influente. Par ailleurs, il peut s’agir de formes explicites telles les contraintes prévues par la loi, l’injonction d’autrui.
- Dérivatif : la participation à la formation permet à l’employé d’éviter des situations ou des activités désagréables. À titre d’illustration, on cite les tâches routinières dans le poste, un mauvais climat de travail, des conflits interpersonnels.
- opératoire professionnel : ce motif fait référence à l’acquisition des compétences perçues comme essentielles à l’accomplissement des tâches liées au travail. Le but est de perfectionner des pratiques, atteindre un niveau de performance donné, s’adapter aux changements techniques.
- opératoire personnel : contrairement au motif précédent, il s’agit de développer des compétences perçues comme nécessaires en vue de réaliser des activités en dehors de la sphère du travail.
- Identitaire : ce motif est centré sur la reconnaissance de l’image de soi que ce soit en dehors ou à côté d’un motif économique. Les compétences acquises dans le cadre de la formation couplées, éventuellement, à une reconnaissance symbolique permettront au participant de transformer ou maintenir ses caractéristiques identitaires (statut social, professionnel, fonction, titre, etc.)
- vocationnel : contrairement au motif précédent, les compétences acquises dans le cadre de la formation conjuguées à une reconnaissance symbolique permettront au participant de décrocher un emploi, le préserver ou s’épanouir sur le plan professionnel. Bref, ce motif vise principalement la carrière de l’employé : réorientation, recherche d’emploi, etc.
3.2. Les limites du modèle Carré
Selon Knowles (1980) cité dans (Wlodkowski, 1999), il n’y a pas de limite au nombre de raisons spécifiques pouvant expliquer la motivation des adultes à se former. Quoique le nombre de dix motifs soit un éventail relativement étendu, il se peut que certains types pertinents de motifs soient occultés. D’autre part le modèle de Carré ne prend pas en ligne de compte d’autres facteurs ou variables qui pourraient avoir un impact sur la motivation des adultes à la formation comme les barrières psychologiques, les circonstances sociales, les considérations personnelles, la variation de l’intérêt à se former avec l’âge.
Chappaz (2005) met quant à lui en relief le rôle de l’organisation dans l’apprentissage selon qu’il s’agit d’organisations organiques où l’accent est mis sur l’employabilité, la gestion des compétences en perspective d’une organisation apprenante, ou selon que les structures hiérarchiques sont assurées par le contrôle des connaissances.
Autre facteur de motivation, la performance en formation, qui influe sur la motivation, dépend également d’autres variables telles les connaissances antérieures des participants et leurs acquis cognitifs. Elle dépend aussi des croyances qu’ont les sujets à propos de leurs capacités et leurs efforts (Alderman, 2004). En outre, l’impact du formateur pourrait être décisif quant à la dynamique motivationnelle qui régit le mode d’engagement des adultes dans la formation. Cascio et ses collaborateurs (1999) constatent que les attentes du formateur influent sur la motivation des participants. Le soutien du supérieur joue également un rôle non négligeable à ce sujet (Guerrero et Sire, 1999).
Selon Legrain (2006), le motif est souvent lié au modèle de l’action raisonnée ou modèle rationnel qui ne s’applique qu’à la prise de décision quand il y a délibération entre les choix à faire, avec plusieurs opportunités et des personnes disposant de latitude ainsi que de ressources pour choisir. Est-ce que c’est le cas de toutes les personnes dans une organisation? Peuvent-elles toutes choisir entre plusieurs programmes ou types de formation? Jouissent-elles toutes d’une marge de manoeuvre à cet égard?
D’après Schneider et Barsoux (2003), les pratiques de gestion de la formation varient d’une culture à une autre en matière des façons de faire, les personnes qui animent la formation, les objectifs de celle-ci, etc. Ces différences culturelles, auraient-elles une incidence sur la motivation des adultes à se former? Il peut s’agir, à tout le moins, d’une suggestion pour vérifier l’applicabilité de ce modèle dans des contextes multiculturels et interculturels. Malgré les critiques présentées ci-dessus, le modèle de Carré semble être un outil précieux dans le domaine de la formation des adultes, tout particulièrement la compréhension de leur dynamique motivationnelle.
BIBLIOGRAPHIE
Carré, P. (2000). Motivation in Adult Education: From Engagement to Performance. Paper presented at the 41st Adult Education Research conference, Vancouver.
Carré, P. (2001). De la motivation à la formation. Paris: L’Harmattan – savoir et formation.
Chappaz, G. (2005). Formation, évaluation, insertion : le rôle de l’entreprise en apprentissage. Montauban : Centre Régional de Ressources pour l’Apprentissage. Cloutier, S., Doray, P., Bélanger, P., Biron, E., & Meyer, O. (2006). Transitions professionnelles et éducation des adultes. Papier présenté aux Journées WALL (Work and Lifelong Learning), Toronto.
Courtney, S. (1992). Why Adults Learn? Towards a theory of participation in adult education. London and New York: Routledge.
Delannoy, C. (2005). La motivation : désir de savoir, décision d’apprendre. Paris: Hachette – Éducation.
Guerrero, S., & Sire, B. (1999). La motivation à se former chez les ouvriers et employés : approche conceptuelle et résultats empiriques (No. 293-99). Toulouse:
Wlodkowski, R. J. (1999). Enhancing Adult Motivation to Learn. San Francisco: Jossey- Bass Publishers.
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