L’EVOLUTION DE LA PROBLEMATIQUE SOCIALE AU LIBAN APRES LA GUERRE 1975-1990
L’EVOLUTION DE LA PROBLEMATIQUE SOCIALE AU LIBAN APRES LA GUERRE 1975-1990
SOMMAIRE
INTRODUCTION | 2 | ||
Partie I. LA QUESTION DE LA RECONSTRUCTION DU LIBAN APRES UNE LONGUE GUERRE CIVILE | 6 | ||
Chapitre 1. Pour un constat du Liban d’après guerre (1975 – 1990) | 6 | ||
Section 1. Economie nationale : l’état des lieux | 7 | ||
Section 2. Bilan social du conflit | 10 | ||
Chapitre 2. Le pari de la paix par la Reconstruction : une pérennisation du miracle économique libanais | 14 | ||
Section 1. Une vision économique irréaliste qui reflète de la nostalgie du passé | 15 | ||
Section 2. Incohérences des programmes et déséquilibres macro économiques | 18 | ||
Section 3 Aggravation des distorsions dans l’évaluation du PIB et conséquences sur le marché de l’emploi | 22 | ||
Chapitre 3. Les modes de gestion de la question sociale durant le gouvernement Hariri (1992 – 1998) | 24 | ||
Section 1. L’absence d’une stratégie sociale globale | 24 | ||
Section 2. Contradictions entre les objectifs annoncés et les politiques adoptées. | 26 | ||
Partie II. POUR UNE PERSPECTIVE DE LA QUESTION SOCIALE AU LIBAN | 29 | ||
Chapitre 4. Influence de Rafic Hariri dans la détermination des priorités nationales | 29 | ||
Section 1. La mystification de l’homme providentiel | 30 | ||
Section 2.: Les priorités de l’homme d’affaire, une Affaire d’Etat | 33 | ||
Section 3. L’institutionnalisation du clientélisme | 36 | ||
Chapitre 5. Pour un bilan des impacts sociaux de la politique d’Hariri | 39 | ||
Section 1. Détérioration de conditions de vie et aggravations des inégalités | 39 | ||
Section 2. Chômage, Pauvreté et fuite du capital humain | 43 | ||
Chapitre 6. Perspectives sociales du Liban | 48 | ||
Section 1. Vers une réhabilitation des principes du Chehabisme ? | 49 | ||
Section 2. Le communautarisme : un obstacle à toute reconstruction sociale ? | 51 | ||
CONCLUSION | 53 | ||
BIBLIOGRAPHIE | 54 |
INTRODUCTION
Tout auteur serait d’accord à l’idée que le Liban soit fait d’un ensemble historique, culturel, économique, politique et social. C’est d’ailleurs ce qui caractérise chaque pays souverain et indépendant. L’indépendance du Liban par contre se pose comme le problème majeur de l’existence libanaise. Pour parler du passé libanais, Pinta (2011)[1] avance l’idée que « l’histoire du Liban est à l’image du pays : dense, contrastée et très émotionnelle. » En effet, c’est à partir d’un parcours historique que l’on a pu établir toute analyse de fait et comprendre le libanais lui-même.
Cela étant, Beydoun (1993)[2] avance l’idée que les auteurs se sont désintéressés de l’histoire générale du Liban. « Il s’est donc arrêté – ou presque -, au cours des quatre dernières années, le flux de livres et d’articles qui élisent pour sujet l’histoire générale du Liban. C’est à croire que nos historiens ne voient plus en leur pays une unité historique depuis l’effondrement – de loin plus grave que tout ce qu’avaient apporté les premières années de la guerre – de son unité politique. »
La notion d’« histoire générale » se réfère à une définition particulière du passé libanais, toujours selon Beydoun, dans le sens que « ce que nous appelons une histoire « générale » du Liban ne se doit pas nécessairement d’étaler de A à Z nos fameux six mille ans. Le récit d’une période, si courte qu’elle soit, du passé de notre pays, peut révéler, selon nous, de l’histoire générale de ce dernier. Ce récit n’est donc point obligé d’avoir pour objet le passé entier du pays, il lui suffit de porter sur le passé du pays entier. C’est dire que nous opposons l’histoire générale à celle de régions, des villes, de villages, de communautés religieuses, de familles ou de tout autre élément ou partie du pays. »
A partir de ce constat, Beydoun confirme la grandeur de l’impact culturel des différents bouleversements surtout politiques du pays, d’autant plus que l’organisation libanaise conçoit une association entre la religion et la politique. C’est ce qui jusque là a pu garantir sa liberté au peuple libanais, toutefois avec une certaine limite dans la conception même de l’indépendance et de la souveraineté de l’Etat libanais. Un élément de discussion actuelle sur l’avenir de la République libanaise, concernant principalement la laïcité du gouvernement. Ce qui implique une neutralisation du rôle des communautés confessionnelles dans l’organisation du pays.
Le système confessionnel du Liban est le fruit d’une diversité communautaire religieuse, qui a besoin de s’entendre sur une coexistence légitime pour le bien du pays. On aboutit alors dans ce cas à un consensus organisationnel qui partage le pouvoir entre les différentes communautés libanaises mais surtout majoritaire dont les maronites, les sunnites et les chiites. Ce qui confère comme point de départ vers l’indépendance et la construction de la République libanaise.
C’est sur cette base de division confessionnelle que se dirigent les différentes politiques du pays. Tel qu’il concerne notre étude sur l’évolution de la politique sociale au Liban. L’équilibre confessionnel est le garant de l’aboutissement et du tenant de toute politique au Liban. C’est d’ailleurs ce que révèle un entretien paru sur « L’œuvre d’Orient »[3], selon lequel l’instabilité sociale et sécuritaire du Liban est surtout fonction de la politique et de l’équilibre confessionnel dans la gestion du pays.
Ainsi pour introduire le régime politique libanais, Rizk (1966)[4] propose dans son ouvrage un ensemble de questionnements et de réponses pour aborder ce fait. En ce sens, les données de la vie politique libanaise rejoignent quatre facteurs : « « Données historiques » d’abord : dès l’origine le Liban est, dans l’évolution du Moyen-Orient arabe, une exception, sa géographie particulière déterminant sa naissance et son évolution ; « Données communautaires » ensuite : le facteur confessionnel est au cœur du problème, l’histoire du pays est celle en grande partie de l’union ou de la désunion de ses communautés religieuses ; « Données économiques et sociales » aussi : la réalité est ici complexe, difficilement saisissable, due à l’inexistence d’une comptabilité nationale chiffrée ; « Données éducationnelles » enfin : si la situation culturelle apparaît à première vue plus favorable que celle de tous les autres pays arabes, une analyse approfondie révèle d’immenses négligences. »
Ce qui en vient à constater que la question sociale est entre autre un élément fondamental de la politique libanais. Ce qui accorde également tout son intérêt à notre étude. Fouhad Chéhab a été le premier à consacrer plus de place à la question sociale au Liban, pendant sa période de présidence. La durée de la guerre civile de 1975 – 1990 a apporté le flou sur la question, ce qui justifie une grande préoccupation par rapport à ce qu’il en est de la période d’après guerre, en quête des valeurs et politiques instaurées par le chéhabisme, et dont principalement la période de gouverne de Hariri (1992 – 1998), intervenant tout de suite après cette guerre.
Comme Corm (1986)[5] l’expose dans son « Géopolitique des conflits libanais », depuis le XVIIIe siècle, le Liban est confronté à des phénomènes de déchirement qui l’oblige par la suite à se réfugier sous la tutelle de pays tiers pour pouvoir maintenir la paix sur le territoire. C’est par ailleurs ce que l’auteur prend comme objet de son ouvrage, dans le sens que les différentes déstabilisations politiques libanais trouvent une répercussion majeure dans chacune des autres domaines, dont l’économie et indissociablement le social.
Ce qui permet d’en déduire que chaque décision politique doit convenir à un consensus intra-communautaire pour tenir effet et résultat. Chéhab, préoccupé par la coexistence confessionnelle s’imposait comme fondement des principes l’équilibre entre ces différents composants de la nation libanaise. Ce qui se tenait comme base de toute action gouvernementale. De ce principe est né le chéhabisme : « . Il (Chéhab) suivit le parcours du dialogue et de la modération, soutenu par les réformes publiques et les relations arabes et internationales équilibrées. Cette approche fut connue par le terme ‘‘Chéhabisme’’ »
La période de présidence de Chéhab a d’ailleurs été une période de prospérité à tous les niveaux. Ce qui fut toutefois perpétuée par ses successeurs dont en premier Hélou. L’ère chéhabisme et les réformes qui l’ont accompagnées voient alors leur fin et furent remplacée par une restitution aux valeurs féodales, suite à l’élection de Frangiyeh, un événement qui marque l’acheminement du Liban vers la guerre civile.
L’intérêt de cette étude porte donc sur un redressement de la situation d’après guerre civile et notamment sur une reconstruction des valeurs laissées par Chéhab. Cela étant, cette reconstruction libanaise est elle même très problématique, du fait qu’il est reconnu au Liban qu’il dispose d’un large patrimoine naturel qui constitue tout un ensemble de richesses ; alors que le Liban décide de repartir sur une base de néolibéralisme.
Ce qui nous vient à faire un détour dans le passé libanais qui nous renvoie à ce début de néolibéralisme selon les visons de Michel Chiha (1891-1954). Nous savons que la déception chéhabienne porte sur la prédominance féodale de la politique libanaise. Par contre Michel Chiha (1964)[6] qualifie le régime politique libanais comme une dictature oligarchique, du fait des caractéristiques de détention de pouvoir entre les mains des communautés majoritaires du Liban. Les idéologies politiques que soutient Chiha reposent sur l’exploitation du passé libanais ; les leçons du passé sont pour lui le point de départ d’un avenir du Liban.
Chiha s’est donc proposé en tant que fondateur de la nation libanaise, surtout en mettant en avant tous ses atouts culturels afin de servir l’unité sociale et la prospérité économique. Sa politique de réforme libanaise se fondait sur l’importance de cette richesse historique et de tradition dont témoigne le Liban. En ce sens, pour avancer le Liban doit trouver ses bases et ressources dans le passé de son peuple, c’est en effet à partir de ce point que tout un chacun, conscient du manque qu’il en est, peut trouver un sens à ses actions futures et surtout de ses objectifs à long terme.
Si l’on se base sur ces différents points de vue politique, l’histoire du Liban, ou du moins son passé, devrait toujours rester au centre de chaque action politique. La question qui se pose est donc, comment les politiques sociales d’après guerre civile ont-elles fait preuve de déception libanaise ? Quelle est a place accordée à la question sociale d’après guerre dans le gouvernement d’Hariri ? Comment les politiques sociales d’Hariri ont-elles été ? Et quels en étaient les résultats escomptés et constatés ?
On peut en retenir comme hypothèse que c’est un choix naturel qui s’est imposé au Liban ; en outre, le néolibéralisme est de ce qu’il y a de mieux pour servir d’outil aux élites politiques à la reconstruction libanaise. C’est en effet, un moyen de contenir toutes les dimensions possibles, sur les effets désirés de la reconstruction. Enfin, l’échec de la politique sociale d’Hariri porte sur la véritable nature et l’objectif de sa politique sociale qui devait être fondée sur le néolibéralisme, choix d’orientation politique accepté par le Liban.
Pour ce faire, un détour sur les éléments de la reconstruction libanaise est nécessaire afin d’analyser et de comprendre les bases de départ du Liban vers la reconstruction d’après guerre (Partie I), dont les conséquences de la guerre civile (chapitre 1), le pari de la paix par la Reconstruction pour une pérennisation du miracle économique libanais (chapitre 2), et les modes de gestion de la question sociale durant le gouvernement d’Hariri (chapitre 3). Par ailleurs, ces premières analyses nous conduisent à entrevoir les perspectives des politiques sociales au Liban, une question assez difficile à rétablir compte tenu les différentes circonstances en jeu (Partie II). Ce qui nous permet de situer l’influence de Rafic Hariri dans la détermination des priorités nationales (chapitre 4), de faire un bilan des impacts sociaux de la politique d’Hariri (chapitre 5) et d’entrevoir l’avenir social du Liban (chapitre 6).
Cette étude priorise les recherches documentaires comme principale source d’analyse. Il s’agit notamment des articles et revues sur la situation du Liban d’avant et surtout après guerre, soutenus par des constats d’actualités sur le sujet. Par ailleurs, des entretiens semi-ouverts ont été réalisés pour étoffer les recherches et afin de confronter différents avis qui nous servent d’appui quant à la vérification de nos hypothèses. A cet effet, nous avantageons une approche rationaliste d’une part afin de trouver dans les démarches du gouvernement Hariri les raisonnements donnant effets, qui ont motivé leur choix de politique sociale dans la restructuration libanaise ; et d’autre part nous optons pour une approche comparative qui tend à comparer les démarches d’Hariri par rapport aux expériences passées et les idéaux libanais qui en sont déduits.
Partie I. LA QUESTION DE LA RECONSTRUCTION DU LIBAN APRES UNE LONGUE GUERRE CIVILE
Bon nombre d’auteurs sont d’accord à définir les politiques sociales comme une stratégie gouvernementale en vue de l’amélioration de la situation économique d’un pays via un recours au pouvoir public. M-Th Join-Lambert (1994)[7] définit les politiques sociales telle « une intervention nécessaire pour rendre gouvernable une société organisée autour de principes de solidarités ; ensemble d’actions mises en œuvre progressivement par les pouvoirs publics pour parvenir à transformer les conditions de vie d’abord des ouvriers puis des salariés et éviter les explosions sociales, la désagrégation des liens sociaux. »
En outre, il s’avère évident que si une guerre, d’autant plus longue de quinze années, s’est produite, c’est avant tout parce qu’il a été difficile de maintenir l’équilibre social existant ; ce qui rend également difficile de rétablir cet ordre pré-requis pour la paix intérieure d’un pays. Ce constat ébauche sur une description de la situation du Liban avant d’arriver à l’indépendance. En effet, la guerre civile libanaise a été d’une grande lourdeur que par la suite, la gestion du pays a été soumise à une protection étrangère pour pouvoir garantir la paix et la sécurité. Ce qui met en cause l’indépendance même du pays.
Chapitre 1. POUR UN CONSTAT DU LIBAN D’APRES GUERRE (1975 – 1990)
Dans une analyse de Abi Khalil (2008)[8] « ‘Clore les dossiers’ (teskir el malafet) et ‘Ni vainqueur, ni vaincu’ (la ghalib la maghloub) sont les deux devises politiques qui traduisent le mieux l’état de l’après-guerre libanaise. » Si la principale cause de la guerre civile a été l’ingérence étrangère suscitant les différences entre les différentes communautés et qui menaçait la fragilité de l’entente de coexistence intra-communautaire, revenir à une situation de paix a nécessité le rétablissement d’équilibre, afin de retrouver les valeurs de paix et passer outre les divergences, et donc penser à une amélioration de la vie sociale.
Toujours selon le point de vue de de Abi Khalil (2008), il semble que la guerre civile libanaise ne fut totalement finie, dans le sens que jusqu’à nos jours, les différentes tensions politiques ne se sont pas résolues et créent une aire d’insécurité sociale et économique. C’est ce dont témoignent les nombreux attentats et assassinats qui courent le pays libanais. En outre, un fait lié à cette non résolution des conflits de la guerre, l’auteur condamne une totale méconnaissance des résultats de la guerre réduits à de simples statistiques de pertes humaines.
C’est en effet un jugement qui s’appuie sur les absences de commémoration de cette longue guerre presque interminable. « ‘Le Liban tout entier semble atteint d’amnésie’ (Haddad 1999)[9] était le verdict en 1999, en 2000 ; ‘On ne peut sortir de la guerre de ’75-’90 amnésique, sans contribution nationale à transmettre à toutes les générations futures afin que la guerre de ’75-’90 soit la dernière dans l’histoire passée et à venir du Liban. Sinon, cela signifie que nous sommes un peuple inapte à fonder une patrie’ (Messara 2000)[10] ; en 2001 : ‘l’heure du grand déballage n’a pas encore sonné. Plus le temps passe, plus le réveil sera douloureux’ » (Haddad 2001)[11].
Section 1. ECONOMIE NATIONALE : ETAT DES LIEUX
Parler des conséquences de la guerre sous-entend, immédiatement après les pertes humaines, les difficultés économiques d’après guerre. Il n’y a de pire facteur pour plonger le pays dans une menace effective d’endettement, puisque d’un côté, les besoins en armement et en défense mobilisent un certain niveau d’investissement financier ; et d’un autre côté, un pays en guerre assure mal les besoins internes de sa population, ce qui justifie le recours à l’importation, dépassant largement l’équilibre avec les exportations qui sont freinées en période de guerre. Bien qu’en constat final le plan financier ne représente pas un grand effondrement. (Corm 2005)[12].
Par ailleurs, dans son rapport sur l’économie libanaise, Corm (2005) nous dévoile que les résultats médiocres de l’économie libanaise ver la fin de la guerre et ceux de l’après guerre ne constituent en réalité qu’une suite logique de la situation d’avant guerre, amorcée dès 1950 et qui aurait nécessité une continuation dans les démarches d’amélioration. « Déjà avant la guerre et dès les années cinquante du siècle dernier, de nombreux experts avaient souligné le caractère fragile de l’économie libanaise, trop dépendante du secteur des services et dont le déficit des comptes extérieurs se creusait de plus en plus. »
Dans sa description du miracle libanais, Corm (1969)[13] identifie le facteur démographique comme élément de base de ce succès libanais. « En fait, dès cette époque, l’équilibre de l’économie libanaise et sa compétitivité étaient assurés par divers facteurs, en particulier la disponibilité d’une main d’œuvre à bon marché (palestinienne et syrienne), des entrées massives de capitaux, cadres techniciens et d’investisseurs des pays voisins, fuyant la vague de nationalisation qui s’était abattue sur les pays voisins (Egypte, Syrie, Irak), l’émigration du surplus de main d’œuvre libanaise, qualifiée ou non qualifiée, qui alimentait un courant stable et en progression constante de transferts vers le Liban. »
Les analyses du courant de la guerre montrent que les premières années de guerre (1975 – 1982) ne relatent pas de véritables difficultés économiques, du fait qu’on a pu constater d’importants flux de capitaux qui arrivent de l’étranger. Ce flux se justifie par la croissance considérable des exportations libanaises en matière de ressources humaines due à l’intérêt porté sur les pays arabes producteurs de pétrole.
« Aussi, ne faut-il pas s’étonner que durant toute la première partie des évènements du Liban, de 1975 jusqu’à 1982, date de la seconde invasion du Liban par Israël, les comptes extérieurs accusent des excédents remarquables, alimentés par les rapatriements de capitaux des Libanais. En dépit des hostilités et des destructions et de la perte de recettes de l’Etat, la livre libanaise se porte fort bien ; les nouvelles fortunes sont investies dans de la promotion immobilière, la demande étant stimulée par les déplacements de population qu’entraînent les violences dans certaines régions ou certains quartiers de Beyrouth. Les banques libanaises continuent de voir leurs dépôts augmenter sensiblement de 3,6 milliards de dollars en 1974 à 12 milliards en 1982. » Corm (2005).
La prospérité libanaise ne put durer infiniment, puisque les tensions tant internes que externes finissent par la broyer et laisser survivre un Liban en grande difficulté. C’est alors à partir de 1982 que la situation économique commence à se réduire. Corm (2005) nous donne un aperçu de la situation en dégradation du Liban avant d’arriver aux défis d’après guerre que le Liban doit affronter. On constate particulièrement un retrait économique des agents par rapport aux menaces de déstabilisations effectives de la guerre.
« C’est durant la seconde période de la guerre (1982-1990), que l’économie souffrira le plus. L’invasion israélienne ayant provoqué un chaos généralisé dans le pays et des déplacements forcés de population d’une ampleur sans précédent, les capitaux libanais fuient le système bancaire, la livre libanaise commence une chute qui ne s’arrêtera qu’en 1988 avant le grand effondrement, largement artificiel de 1992. Les dépôts dans le système bancaire libanais ne sont plus que 3,5 milliards de dollars en 1987 contre 12 milliards en 1982 ; le PIB décline jusqu’à 2,5 milliards environ en 1988, soit 714 dollars par tête d’habitant (contre environ 2000 dollars en 1975). Le déclin de la livre libanaise dont le cours tombe de 4,5 livres pour un dollar à 500 livres en 1988 et ses fluctuations entraînent une dollarisation de plus en plus poussée de l’économie libanaise. »
A la sortie de la guerre, Labaki et Abou Rjeily (1993) nous parlent plutôt de dommages matériels pesants. « Lorsque les hostilités s’arrêtent au Liban en octobre 1990, la livre libanaise se stabilise au niveau de 800 à 1000 livres pour un dollar. Le pays sort de quinze années de violences avec ses infrastructures endommagées, un patrimoine immobilier dégradé, 600 000 personnes ont été déplacées à l’intérieur du pays, les capacités productives de l’économie ont été atteintes (usines brûlées et pillées) »
C’est d’ailleurs un constat que Corm (2004)[14] lui même confirme. En effet, le bilan désastreux de la guerre civile se réfère plutôt au niveau matériel et humain, l’ensemble bancaire ayant été épargné. « Le Liban était sorti des années de guerre avec son lot de destructions matérielles et de victimes, mais avec un système bancaire intact, d’importantes réserves d’or, un régime de liberté des changes et du commerce que les quinze années de violence n’avaient pas entamé. »
Les impacts financiers et bancaires sont alors moins significatifs, d’autant plus que le pays est restés sans dettes extérieures. « En revanche, sur le plan financier, le système bancaire n’a pas connu d’effondrement, les importantes réserves d’or de la banque centrale (2,5 milliards de dollars) n’ont pas été entamées, grâce à une prévision stratégique basée sur la loi d’utilisation des stock d’or[15] ; le Liban n’a pas de dette extérieure et le poids de sa dette intérieure en livres libanaises (environ 100% du PIB de 1990 qui est lui-même au plus bas à cette époque) est largement atténué par une inflation forte. » (Corm 2005)
C’est surtout le secteur privé qui a su préserver un sort meilleur au le Liban. Et par ailleurs, la guerre s’est révélée comme source d’orientation politique régionale, dans ce sens que l’occupation conflictuelle de la capitale a fait progressé les économies régionales au Liban. « Durant cette période, le secteur privé avait remarquablement résisté, déployant des efforts remarquables pour continuer d’approvisionner toutes les catégories de la population et toutes les régions du pays dans les circonstances les plus difficiles ; la destruction du centre historique de la capitale avait entraîné un redéploiement des activités économiques dans les périphéries de la capitale et dans les villes secondaires, ce qui avait eu un effet bénéfique sur des régions et des zones que la prospérité d’avant-guerre n’avait pas touchées. » (Corm 2004).
Cet aspect de l’économie libanaise a permis de baser les politiques gouvernementales, à partir de 1992, de se concentrer sur ce système régional. « C’est à partir de la fin de l’année 1992 que le Liban est doté d’un gouvernement qui entend entreprendre une reconstruction quelque peu mégalomaniaque. L’objectif de ce plan (appelé Horizon 2000) est de replacer le pays au centre de l’économie régionale, telle qu’il l’avait été entre 1950 et 1975. » (Corm 2004).
En outre, le plan de reconstruction s’oriente vers une source démographique : les émigrés libanais[16]. « Par ailleurs, les émigrés libanais constituent un soutien financier important par leurs envois réguliers à leurs familles, sans compter l’enrichissement de très nombreux libanais, soit par la guerre elle-même, soit par les fortunes faites dans les pays arabes exportateurs de pétrole ou en Afrique. Le coût de remise à niveau des infrastructures est estimé par la société américaine Bechtel à 3,5 milliards de dollars » (Corm 2005).
Ce qui est surtout évident c’est ce que les points de départs des politiques de reconstruction libanaise se sont avérés autant strictes de telle manière à en faire de nouvelles victimes sur le plan social. Ce qui laisse croire à cet effet que la situation du Liban ne peut être jugée perdue ; bien plus encore, à la fin de la guerre, le Liban dispose d’un certain potentiel pour arriver au bout de la reconstruction d’après guerre, dont principalement humain et financier. Ce qui signifie que sur ce point de vue, il importe à l’Etat libanais de trouver la meilleure formule d’utilisation de ces atouts, qui est en fait la problématique centrale de notre étude : veiller à assurer un meilleure cadre d’optique pour la question sociale, afin d’améliorer la situation du Liban.
Section 2. BILAN SOCIAL DU CONFLIT
Sur la question sociale, Corm (2005) introduit les déductions d’une enquête sur la fragilité sociale du Liban, qui est un aspect reconnu pouvant être source de tensions politiques. Il s’agit d’une enquête menée par une mission d’experts français (IREFED), sollicitée par le président Chéhab « afin d’établir une politique économique basée sur la justice sociale et le développement équilibré de toutes les régions du Liban » :
« Les conclusions de l’enquête mettaient en garde les autorités libanaises sur les conséquences politiques graves de ces inégalités, si l’Etat libanais ne mettait pas en œuvre une politique économique dynamique, visant à intégrer ces régions périphériques pauvres à l’économie prospère et dynamique du Mont Liban vivant des services et du tourisme. »
Si à la sortie de la guerre le soutien financier du secteur privé et bancaire donne des perspectives positives, la question sociale elle se retrouve au centre des préoccupations des années à venir après ces quinze années de guerre. En effet, ce sont surtout les objectifs de la reconstruction libanaise qui en confirme cet état des choses. Ce qui signifie que la période de la reconstruction est ce qu’il y a de mieux pour nous décrire la situation sociale d’après guerre civile.
On peut situer la question sociale au Liban partant de la problématique de coexistence entre les communautés, une coexistence qui semble être fondamentale à en juger la cause principale ancrée dans la vision libanaise de la guerre civile ; bien qu’elle soit jugée erronée En effet, dans son ouvrage sur le « Liban contemporain », Corm (2003)[17] spécifie cet aspect de la vision libanaise de la guerre civile.
« Qui a entendu parler de la guerre du Liban (1975 – 1990) s’en souvient souvent en termes de guerre civile opposant les chrétiens aux musulmans. Jamais si petit pays ne connut si grand colportage de vérités erronées et de clichés simplistes, parmi lesquels on eut tantôt écho des chrétiens libanais redoutant un islam avançant à grands pas, tantôt des musulmans qui se sentaient victimes d’une toute puissance maronite dans la vie économique et sociale libanaise. » (Corm 2003)
Toujours selon le point de vue de Corm (2003), la guerre civile libanaise trouve son origine dans les différentes phases d’instrumentalisation étrangère de l’existence communautaire libanaise. En 1922, la gérance française institue l’ordre communautaire comme base de l’ordre national et social au Liban. La proclamation de l’indépendance se base sur le pacte national de 1943, instituant pour les chrétiens un renoncement à la protection coloniale française et à l’objectif de ralliement du Liban à la Syrie pour les musulmans. En 1975, le conflit pro-palestiniens/ anti-palestiniens annonce le début de la guerre civile qui se voit interprété comme un affrontement entre musulmans et chrétiens.
La dimension sociale de la guerre civile comprend autant de pertes humaines, sociales que matérielles. Par ailleurs, le rapport dressé par Melki (2000)[18] sur la protection sociale au Liban le confirme bien, étant donné que cette crise politico-économique libanaise a autant bouleversé les structures sociales ainsi que leurs systèmes d’organisation. En effet, à la fin de la guerre, il apparait un effondrement de la classe moyenne et à une forte paupérisation de la population ; l’exil d’une partie de la bourgeoisie qui a plongé le pays dans une lourde tâche de survie, tenant compte de l’importante ressource que représentait la classe bourgeoise. On compte en outre près de 300.000 pertes humaines sur 3 millions d’habitants avec 900.000 personnes déplacées[19].
De plus, Corm (2003) relate la situation sociale à la sortie de la guerre de telle sorte qu’on puisse sentir le poids de la reconstruction libanaise. En ce sens, le Liban est face à différents bouleversements sociaux, notamment au niveau des placements des habitants afin de permettre au gouvernement de reconstruction de partir d’une « bonne base ». Ce qui comprend les différentes saisies de patrimoines fonciers, les déplacements, la problématique des réfugiés. Il s’agit de part et d’autre d’un appauvrissement social relatif :
« Le centre historique de la capitale fait l’objet d’une opération spéciale de spéculation immobilière, basée sur la saisie des droits fonciers de 150 000 propriétaires et locataires et leur transformation forcée en actions d’une société immobilière unique chargée de la reconstruction de cette partie majeure de la ville (SOLIDERE). Une Caisse des réfugiés est créée qui a pour vocation d’inciter les personnes déplacées hors de leur zone d’habitation du fait de la guerre (environ 600 000) à retourner à leur domicile d’origine en payant des compensations financières pour la remise en état de leur logement d’avant la guerre. En revanche, aucun mécanisme d’aide n’est prévu pour que le secteur privé puisse reconstituer sa capacité productive, sérieusement entamée par les destructions de capital physique durant la guerre dans les secteurs agricoles, industriels et touristiques. Aucune pension n’est attribuée aux veuves, orphelins et invalides que la guerre a créés. » (Corm 2003)
Les classes sociales, au Liban se constituent suivant différents critères dont « la propriété des moyens de production ou d’échange, la stabilité professionnelle, le caractère manuel ou « intellectuel » de l’activité et le degré de qualification ou d’instruction », une catégorisation qui s’appuie sur les analyses effectuées par Dubar (1974)[20]. Bien que la division des classes ne concernent pas l’appartenance confessionnelle, on peut constater qu’au moins la division du pouvoir réside sur l’effectif global et estimatif des communautés ; ce qui justifie l’attribution du pouvoir aux groupes majoritaires. Ce qui donne dans un sens, en déduction que les élites de chaque communauté disposent de suite d’une place à pourvoir dans la gestion du pays.
Le confessionnalisme est devenu au Liban une réalité avouée et soutenue de l’après guerre. Picard (1994)[21] avance ainsi : « On surprendrait vivement les leaders politiques libanais de l’avant-guerre, les Pierre Gemayel, les Rachid Karamé, les Camille Chamoun et autres Kamal Junblat – Allah yarhamôn – en leur apprenant que le » confessionnalisme « , la structuration de la société en communautés religieuses régies par leur droit privé spécifique, n’est plus guère contesté aujourd’hui à Beyrouth. Et plus encore en constatant que le » communautarisme politique « , soit l’inscription de la division communautaire dans le système constitutionnel du pays, est sorti renforcé de quinze années de guerre. »
Le confessionnalisme reste un fait ancré dans la nature de la société libanaise, bien que de nombreuses tentatives et propositions de laïcisation du système politique aient été avancées. Tant les personnalités nationales que les entités étrangères se sont proposées à avancer des résolutions quant à ce projet de laïcisation : « sans oublier les propositions étrangères – américaines et syriennes en particulier. » (Picard 1994)
« Pour régler la question communautaire et faire avancer la laïcisation du système politique, propositions et contre-propositions s’étaient succédées au long de la guerre : programme intérimaire de réforme politique du Mouvement National (août 1975), document constitutionnel du Président Frangié (février 1976), propositions du Front Libanais (janvier 1977), quatorze points du Président Sarkis (mars 1980), document du Haut comité druze (mai 1983), projet du mouvement Amal (novembre 1983), conclusions de la réunion de Lausanne (mars 1984), accord intermilicien » de Damas » (décembre 1985), projet du Président Gemayel (mars 1987), projet de réforme de Rafic Hariri (novembre 1987). » (Picard 1994)
Quoi qu’il en soit, toujours dans le cadre des analyses de Dubar (1974) la disposition géographique du Liban démontre une répartition des inégalités sociales selon les régions. En ce sens, ces analyses nous révèlent que : « Les différences régionales attestent d’ailleurs, au Liban, la persistance des inégalités confessionnelles : les régions les plus pauvres, les plus marginales et les moins urbanisées sont aussi les régions à majorité musulmane et notamment chiite (Liban sud, Bekaa ouest, Akkar…) ; à l’inverse, les quartiers les plus riches de Beyrouth sont des quartiers majoritairement chrétiens (Maronites, Grecs orthodoxes) même si une vieille bourgeoisie sunnite y occupe une place jugée parfois avantageuse. »
Ce détour sur la situation d’avant guerre nous situe sur les points de départ social vers la guerre, et nous permet de ce fait d’en établir un constat plus précis de la situation d’après guerre. Bien que ce constat sur les divisions de classes nous révèle également les causes de la guerre. La poursuite de l’histoire libanaise depuis les révélations du Mont-Liban a su placer les chrétiens sur de bonnes bases sociales et économiques dans la République du Liban. Les maronites par exemple trouve leur place dans la bourgeoisie tandis que les communautés musulmanes sont présentes majoritairement dans l’enveloppe populaire et urbaine. Cet écart peut s’identifier comme une source exploitable de conflit « libano-libanais »
Par ailleurs, Dubar (1974) avance que, d’après ses analyses, « les chrétiens — et surtout les maronites — sont majoritaires dans les classes supérieures et moyennes alors que les musulmans — et surtout les chiites — sont majoritaires dans les classes populaires, urbaines ou rurales. » Bien que cette concordance ne peut se tenir que dans le contexte historique libanais. Cela étant, les analyses de Dubar aboutissent à l’établissement de lien entre les deux catégorisations sociales : le système confessionnel et le système de classe, par rapport à la perception des différences engendrées par les catégories de classes ou encore celles des communautés confessionnelles.
« La coupure apparente entre l’économique et le politique dans le fonctionnement de la société libanaise est, en fait, le produit de l’existence d’une double articulation : des situations socio-économiques sur les appartenances confessionnelles d’une part, et des relations confessionnelles sur les institutions politiques d’autre part. La structure confessionnelle constitue donc un niveau intermédiaire entre les situations socio-économiques et les réalités politiques, niveau qui peut servir aussi bien d’écran que d’amplificateur à la traduction politique des revendications économiques. » (Dubar 1974)
La situation sociale libanaise après la guerre civile a fait apparaître selon Lapierre (2010)[22] un nouvel ordre social donnant place aux milices qui vont négocier un nouveau départ pour le Liban. « La guerre civile, avec son lot d’atrocités, de destruction, de blessés, de morts et de déplacés, marque l’émergence de nouvelles forces sociales et de nouvelles élites qui, aux côtés de l’élite traditionnelle, négocieront un accord à Taëf, en Arabie Saoudite, afin de mettre fin aux hostilités et qui tisseront des liens entre elles ainsi qu’avec l’étranger dans le but de répartir les pouvoirs de l’appareil d’État. »
Par ailleurs, le Liban se reprend après sa longue guerre civile avec une nouvelle forme d’élites politiques définies selon les termes de Picard (2001)[23]. « Les composantes de ces élites sont identifiées comme étant les héritiers de l’oligarchie traditionnelle, les ex-chefs de milices affidés d’une puissance étrangère et les capitaines de finance opérant en marge d’un Etat privatisé. » Une définition que d’autres rejoignent comme Khoury (2001)[24] : « une alliance entre les milices de la guerre et l’oligarchie financière » ; ou Wakim (1998)[25] : « une alliance entre milices de la guerre et milices du capital. »
Cela étant l’affaiblissement social de l’après guerre que le Liban a connu reste un grand problème puisqu’il continue et s’aggrave des années encore, de telle sorte que les évolutions instituées par les élites dirigeantes ont favorisées. « Les évolutions liées aux stratégies des élites n’ont pu avoir lieu qu’à la faveur d’un affaiblissement social extrême, lui-même constituant un legs de la guerre civile, que le contexte de l’après guerre a fait de sorte qu’il puisse se prolonger et se perpétuer. » (Dagher 2002)[26]
Chapitre 2. LE PARI DE LA PAIX PAR LA RECONSTRUCTION : UNE PERENNISATION DU MIRACLE ECONOMIQUE LIBANAIS
Si la guerre a comme origine un désaccord sur, principalement des sujets d’ordre politique ; elle se résout de manière générale avec un consensus, une entente entre les entités en cause pour aboutir à la paix. Cette résolution marque le début d’un nouveau départ, mais surtout la fin d’un complexe politique, social et économique qui a joué plus ou moins l’intégrité du pays et de ses capacités productives. Bien évidemment, la guerre serait un frein à l’activité du pays tandis que la paix lui garantit une poursuite, et plus encore un aboutissement, une réalisation.
Akl Kawerk (2008)[27] parle d’un accord tripartite qui vise à aboutir à une double solution : « un projet de réforme des institutions libanaises et un plan de retrait de forces étrangères du Liban ». « L’Accord de Taêf, constituait un compromis et son but était de mettre fin au conflit armé, de rétablir la coexistence pacifique entre les différentes communautés, de reconstruire l’État libanais et de ramener progressivement sa souveraineté sur l’ensemble de son territoire. On assiste au Liban depuis 1990, à une inversion de la logique institutionnelle des rapports entre le communautaire et le constitutionnel. »
L’accord de Taëf, signé le 22 octobre 1989, constitue pour le Liban le point de départ d’une nouvelle organisation garantissant la paix dans le pays. Cet accord comprend un nombre de principes généraux qui sert au Liban une base d’orientation dans sa gestion. Il définit désormais le rôle de chaque entité dirigeante. Cela étant les principales réactions à l’accord concerne le système confessionnel qui ne semble porter des réformes tenantes. Bien que cet accord soit dès lors devenu la base de toute action politique au Liban, les divergences sur son existence ayant fini par accepter la force de cet accord.
« L’Accord de Taëf, constituait un compromis et son but était de mettre fin au conflit armé, de rétablir la coexistence pacifique entre les différentes communautés, de reconstruire l’État libanais et de ramener progressivement sa souveraineté sur l’ensemble de son territoire. On assiste au Liban depuis 1990, à une inversion de la logique institutionnelle des rapports entre le communautaire et le constitutionnel. »
Ainsi, l’accord de paix soutenu, le bilan de la guerre assez lourd, il est maintenant question pour le Liban de concevoir des plans de reconstruction qui lui garantissent le réveil et aboutir à un développement pérenne. La situation tragique du Liban à la sortie de la guerre longue de quinze ans constitue la principale raison des différents programmes soumis pour sa reconstruction. La question est de savoir si ces programmes tiennent à cet effet compte des principales caractéristiques du Liban ou constituent seulement une réponse au besoin d’en produire une.
Pour situer l’économie libanaise vers la sortie de la guerre civile, on peut tenir compte d’un nombre d’indicateurs qui se retrouvent en pleine décadence du fait des réactions de la population par rapport aux successions d’événements : entre autre les fluctuations des capitaux libanais et du taux de change, qui constituent les principales préoccupations. En effet, l’année 1992 marque par exemple une forte spéculation du cours de change, un fait économique sans précédent. C’est sur cette orientation de la politique économique libanaise que nous allons nous concentrer dans ce deuxième chapitre.
Section 1. UNE VISION ECONOMIQUE IRREALISTE QUI REFLETE DE LA NOSTALGIE DU PASSE
Les priorités de la reconstruction économique libanaise se recentre d’abord sur le problèmes d’infrastructures, causés par les différents affrontements pendant la guerre et notamment dans le centre historique. L’idée est, particulièrement à partir du gouvernement Hariri, de retrouver les valeurs du passé, c’est-à-dire, rendre au Liban sa prospérité d’avant guerre, et repartir de cette base à la conquête du monde. Tel que Corm (2005) l’affirme : « Rafic Hariri (…) est porteur d’un ambitieux projet de reconstruction destiné à rendre au Liban sa place d’avant guerre dans l’économie régionale, comme centre de service et entrepôt commercial. »
Par la suite, une seconde base de la reconstruction libanaise repose sur les politiques monétaires. Le change constitue un des outils que le Liban a su préserver jouer dans ses politiques économiques. Il s’agit notamment de laisser libre cours à l’utilisation du dollar dans l’économie libanaise. C’est entre autre une manière de booster l’économie libanaise vers l’extérieur.
« Une nouvelle politique monétaire est inaugurée à partir de la fin de l’année 1992. Cette politique consiste essentiellement à encourager l’utilisation massive du dollar dans l’économie libanaise et à faire de la livre libanaise une simple monnaie de compte, dont le cours est désormais administré par la Banque centrale qui maintient sa parité par rapport au dollar dans des limites très étroites (0,33% de chaque côté d’un cours pivot fixe). » (Corm 2005).
Si l’on continue toujours dans l’analyse de Corm (2005), on peut situer l’évolution de l’économie libanaise durant la période de reconstruction d’après guerre. Ce qui a contribué à donner une nouvelle structure à l’économie et redéfinir les caractéristiques sociales libanaises. On peut considérer entre autres différents indicateurs dont l’inflation, le taux d’intérêt, l’émission de bons de trésor et l’impôt.
L’analyse de Corm (2005) met en relation ces trois éléments afin de produire un effet positif sur le dynamisme de l’économie. « En dépit d’une chute rapide de l’inflation à partir de 1993 et d’un afflux de capitaux, la Banque centrale et le ministère des finances maintiennent, à travers les émissions hebdomadaires de bons du trésor, une structure anormalement élevée des taux d’intérêt, en particulier sur la livre libanaise. »
Ce qui nous induit à une définition rapprochée du rôle du taux d’intérêt dans cet objectif de politique économique. « Les taux d’intérêt servis aux déposants sur leurs avoirs en dollars ou facturés pour les facilités de crédit au secteur privé ont été eux aussi portés à des niveaux très élevés par rapport aux taux d’intérêt prévalant sur les grands marchés financiers internationaux ; le différentiel de taux atteint plus de 8 à 10 % suivant les périodes. » (Corm 2005).
Cela étant ces démarches contribuent à intensifier le déséquilibre social qui atteint le Liban. En ce sens Corm (2005) avance que : « l’émission de bons du trésor et la spéculation sur le différentiel d’intérêt entre les taux servis sur la livre libanaise et sur le dollar sont devenus un instrument majeur d’enrichissement des couches déjà fortunées de la population, tout en assurant un complément de revenus non négligeable aux classes moyennes ou aux détenteurs de carnets d’épargne de moyens modestes. »
Leurs conséquences sur l’ensemble public, notamment selon un point de vue à long terme, sont jugées assez pesantes : « Le coût de cette source d’enrichissement a été supporté par le Trésor public qui a surpayé le financement de sa dette et par le secteur privé productif endetté auprès des banques. Aussi, la dette publique atteint le niveau de 35 milliards de dollars à la fin de l’année 2004, alors que le déficit des finances publiques n’a pas dépassé 5 milliards de dollars durant la période 1993-2004. » (Corm 2005).
Ce qui se traduit par une révision des objectifs, les démarches étant sous-estimées au coût au départ : « Cette politique d’argent excessivement cher a en fait empêché le Liban de connaître des taux de croissance élevés ; après deux années de croissance forte en 1994 et 1995 dû à de nombreuses mises en chantier et à un boom immobilier, la croissance annuelle a décliné pour rester relativement faible (entre 0% et 2,5%). Ce n’est qu’après la Conférence de pays donateurs organisée par la France en novembre 2002, et sous la pression de ces pays qui ont souscrit à des obligations à quinze ans à 5% pour 2,5 milliards de dollars, que les taux d’intérêt se sont orientés à nouveau à la baisse. » (Corm 2003)
Par ailleurs, les réformes économiques se tiennent également sur les dispositions fiscales établies pour la reconstruction. « En 1994, le gouvernement abaisse drastiquement le niveau de l’impôt sur le revenu dont la progressivité est ramenée de 2% à 10%, cependant que les revenus du capital ne sont taxés qu’à 5%, que les plus values foncières et financières sont exonérées et que la retenue à la source sur les intérêts des dépôts bancaires ou les intérêts sur la dette en livre sont exonérés de tout impôt. » (Corm 2005)
Une des particularités du Liban se trouve dans le système fiscal d’après guerre, dans lequel ne figure aucune réforme sérieuse, qui en règle générale constituerait un premier recours pour stabiliser ou redresser l’économie. « La différence de ce qui se fait après toutes les guerres, aucun prélèvement fiscal ou quasi-fiscal exceptionnel n’a été opéré par l’Etat à la fin de la guerre pour permettre de faire face aux charges exceptionnelles que cette dernière entraîne au titre de la reconstruction des infrastructures publiques, des capacités de production du secteur privé, des pensions à verser aux victimes de guerre. » (Corm 2005)
En outre, Corm (2005) reproche au Liban de ne pas avoir su exploiter efficacement ses richesses tant en ressources humaines que naturelles. Ce point ressort de la confrontation de l’économie libanaise à son environnement régional, par rapport aux pays voisins. Ces derniers se sont considérablement investit dans le commerce international, et se sont imposés à cet effet, aux conditions et normes qui régissent chaque activité.
« Le Liban, pour retrouver un rôle régional important aurait dû mettre l’accent dans sa politique de reconstruction sur la valorisation de ses ressources humaines et le développement de services ou de produits à haute valeur ajoutée. (…) Doté de richesse en eau et de sols fertiles dans plusieurs régions du pays, le Liban aurait dû viser aussi à assumer une vocation agro-alimentaire, ce qui lui permettrait de redonner vie à ses régions rurales qui dépérissent. » (Corm 2005)
Dans une analyse qui précède celle de 2005, Corm (2004) a autant parler de cette déception sur les démarches de politique économique libanaise. Evidemment, tout porte à blâmer les décisions excessives sur les infrastructures par exemple ou encore sur les taux d’intérêts portés à la hausse pour dynamiser l’économie.
« Le changement requis concerne la sortie du mirage dans lequel la politique de la reconstruction menée depuis 1992 s’est laissé enfermer. Il était, en effet, très naïf de penser que le Liban pouvait retrouver une place majeure sur l’échiquier économique régional en se contentant de doter la capitale d’infrastructures surdimensionnées, de favoriser un boom artificiel de la construction de luxe, d’offrir des taux d’intérêts surélevés sur les titres de la dette publique pour attirer des capitaux de la diaspora et des fortunes arabes au Liban. » (Corm 2004)
Il est évident que la guerre a coûté plus que sur les valeurs matérielles au Liban. En effet, si un replacement de l’économie libanaise sur l’échiquier régional et mondial s’avère nécessaire, c’est que certainement, l’importance économique du Liban s’est dévaluée. Ce qui a entre autre laissé la place aux autres pays du péninsule arabique à se lancer sur une ouverture internationale par eux mêmes, si auparavant ce rôle fut attribué au Liban.
« Durant les 15 années de guerre, le Liban a perdu irrémédiablement son ancienne fonction d’intermédiaire entre les économies occidentales et les économies sous-développées et sous-équipées des pays de la péninsule Arabique ou des économies fermées de type socialiste, telles que celles de l’Irak, de la Syrie et de l’Egypte. Les pays de la péninsule sont devenus des géants économiques suréquipés ayant noué un réseau de relations très denses avec les économies occidentales et asiatiques. » (Corm 2004).
La guerre du Liban se constitue donc comme un facteur dynamique de l’évolution économique de la région, laissant le Liban dans une situation peu commode principale problématique de la reconstruction. « La reconstruction est largement responsable de la crise multiforme dans laquelle se débat l’économie libanaise. » (Corm 2004).
S’il est question de nostalgie du passé au niveau des programmes de reconstruction, c’est parce qu’il apparait évident que les conséquences de la guerre a coûté autant au Liban. Ce qui aurait motivé les dirigeants libanais à se concerter sur un enthousiasme démesuré de la reconstruction libanaise, afin de retrouver en un cours laps de temps et à conséquences non contrôlées cette prospérité d’avant guerre. Hamdam (2000)[28] en parle dans son article :
« Ces ambitions masquaient en fait le sentiment nostalgique de la période d’avant-guerre qu’éprouvait non seulement la classe politique libanaise mais à certains égards le libanais moyen. En l’absence d’un vrai diagnostic de la situation prévalante au terme de guerre et d’un projet ou d’une vision futuriste clairvoyante et mesurée, c’est précisément cette nostalgie implicite qui a effectivement inspiré les politiques étatiques d’après guerre. »
Ce qui implique un manque de rigueur dans l’évaluation de la situation libanaise après la guerre, ainsi, toute politique aurait été entreprise au regret de la situation d’avant la guerre. « les responsables de la reconstruction se sont laissés entraîner par une perception excessivement simpliste, donc optimiste, des conditions de la relance de l’économie. Au fur et à mesure que les obstacles apparaissaient, leurs anticipations portaient sur des périodes de plus long terme et prenaient une ampleur de plus en plus démesurée, ne correspondant pas aux capacités réelles du pays, en terme de financement, d’administration, de gestion, d’exécution, de contrôle et de disponibilité en ressources humaines qualifiées. » (Hamdam 2000).
Section 2. INCOHERENCES DES PROGRAMMES ET DESEQUILIBRES MACRO ECONOMIQUES
Le rapport Femise 2005[29] nous donne un aperçu de l’économie en reconstruction du Liban. Ce rapport spécifie le bond du secteur tertiaire qui semble être le secteur moteur de l’économie libanaise. Ce qui tend à confirmer les reproches de Corm (2005) sur la faiblesse du secteur agro-alimentaire libanais. « Comme pour la plupart des pays méditerranéens, le Liban souffre d’un retard de développement du secteur secondaire tandis que le secteur tertiaire (tourisme en particulier) reste le secteur moteur de l’économie. Cette dynamique peut se révéler perverse à terme, tant du point de vue de la qualité et de la capacité d’absorption de la main-d’œuvre, que de celui de la croissance. »
Par ailleurs, le rapport Femise condamne une politique d’ouverture trop brusque pour redémarrer l’économie libanaise, autant que ses voisins méditerranéens, une stratégie qui pénalise les capacités économiques du pays. « Le phénomène d’ouverture économique accentue généralement les dysfonctionnements internes et ce d’autant plus que les fondamentaux macroéconomiques ne tendent pas vers l’équilibre. Les pays méditerranéens ont plutôt fondé leur logique de décollage économique sur les échanges internationaux, estimant que ceux-ci stimuleraient la dynamique interne alors que cela les conduit le plus souvent vers des spécialisations relativement appauvrissantes. »
A ces constats, il apparait clair que le Liban est parti d’une envie pressée de croissance. Ce qui implique en quelque sorte de mauvaise base de reconstruction économique. Cette situation se traduirait par un manque de réalisation des facteurs qui ont dû mener le Liban à perte, notamment la guerre et ses conséquences, un manque de compte de rendu sur l’état du Liban d’après guerre et une volonté aveuglée de prendre exemple sur les pays qui ont réussi. Ce qui décevrait les principes du chéhabisme, qui normalement offriraient au Liban un renouvellement qui retient les aspects passés du pays afin de lui construire un futur.
Il a fallu au Liban attendre la mise en place d’un nouveau gouvernement en 1992 pour pouvoir entreprendre la reconstruction. C’est entre autre ce que Corm (2004) affirme : « C’est à partir de la fin de l’année 1992 que le Liban est doté d’un gouvernement qui entend entreprendre une reconstruction quelque peu mégalomaniaque. » On parle de l’Horizon 2000 qui a pour but de « replacer le pays au centre de l’économie régionale, telle qu’il l’avait été entre 1950 et 1975 ». Ce que nous avons qualifié de nostalgie du passé.
D’une part, Hamdam (2000) nous parle d’une multiplicité de programmes de reconstruction au Liban. « Plusieurs programmes de reconstructions se sont succédés dans la décennie de l’après guerre : Le « National emergency and recovery programme », programme de trois ans (1993-1995) doublé et complété par un plan quinquennal le « parallel program of reconstruction & development » (1993-1997), puis par une première version de l’ « Horizon 2000 » (1993-2000), laquelle fut rapidement remplacée par une deuxième version (1995-2007), dont les grandes orientations vont servir comme base de référence pour la promulgation d’un certain nombre de lois-programmes à partir de 1995. »
D’autre part, Nasnas (2007)[30] nous informe sur les dispositions de base d’un programme de relance. Tout programme de relance devrait prévoir entre autres les dispositions suivantes:
- Adapter les liquidités aux besoins de l’économie pour mobiliser les secteurs de production.
- Consolider la demande globale dans ses différentes composantes, notamment la consommation et l’investissement.
- Réduire le taux d’intérêt sur le financement des entreprises jusqu’à ce que le taux d’intérêt réel soit conforme aux conditions effectives du marché.
- Améliorer la compétitivité des entreprises par la réduction du coût des facteurs.
- Assurer la survie des entreprises, restaurer leur capacité de production et leur potentiel de croissance.
- Réajuster le pouvoir d’achat des salaires et le protéger non seulement pour des considérations sociales, mais encore pour un motif économique en relation avec la demande globale et le soutien de l’activité productive.
L’incohérence des programmes est invoquée dans le sens que sur la base de cette nostalgie du passé à laquelle nous nous sommes référés dans la section précédente, aux dire de Hamdam (2000), des illusions ont dès lors envahi le raisonnement de la classe politique libanaise. Ainsi, des résultats ont été attendus alors qu’il n’a été déployé aucun moyen qui se rapporte à cette nécessité de résultat. C’est par exemple le cas lorsqu’il a été décidé d’exécuter le programme « Horizon 2000 ». Le Liban s’attend à établir une croissance de 8% à 9% avec seulement en appui des programmes d’infrastructures qui ne prennent en compte aucune autre dimension des besoins de reconstruction. C’est ce que témoignent les analyses de Hamdam (2000).
« Or comment réaliser ces objectifs avec des programmes d’infrastructures seulement, qui n’engagent ni les secteurs de production, ni les avantages comparatifs potentiels du pays, ni le marché de l’emploi et les politiques de distribution et redistribution des revenus. Plus concrètement, comment miser sur un doublement du revenu par tête d’habitant, sans avoir évalué au préalable, les dispositions du secteur privé à réagir positivement à la politique de reconstruction. » (Hamdam 2000).
Cette préoccupation se transcrit en un questionnement long chez Hamdam (2000), notamment sur le tenant et l’aboutissement des programmes de reconstruction. « Aussi n’était-t-il pas arbitraire de supposer dans ces différents programmes, que le secteur privé –profondément affecté par la guerre- serait capable d’investir, tout au long des années de la reconstruction, le double du montant investi dans cette dernière par le secteur public. »
Et le plus évident de ces éléments de questionnement c’est cette volonté de faire renaitre les années de prospérité, du « miracle libanais » : « N’était-t-il pas également utopique de continuer à miser –au moins implicitement- sur la pérennité des fondements de base du «miracle économique libanais » des années 1960, alors que les conditions qui auraient permis ce miracle n’étaient que relatives aux circonstances du moment et de durée limitée. »
Par ailleurs, Hamdam (2000) remarque qu’en fait 40% à 50% des investissements de l’Horizon 2000 ont été contractés pendant la période 1993-2000, et que les réalisations en comptent seulement un tiers, tandis les deux tiers restent en cours de réalisation. En outre, on estime une déviation des priorités par rapport aux objectifs initiaux du programme. Ce qui n’a pourtant donné qu’un faible impact sur l’économie libanaise. On constate une absence de l’effet multiplicateur au niveau du mode d’investissement et par rapport aux participants au programme ; ce qui aurait pénalisé la croissance.
« Cette déviation qui représente un des sous-produits de cette économie libanaise essentiellement rentière, est d’autant plus aggravée par le fait suivant : les dépenses de reconstruction n’ont eu qu’un impact relativement minime sur l’économie réelle et sur le procès de production. En effet la majeure partie de ces dépenses a pris ou bien la forme de profits –rapatriés par les compagnies internationales engagées dans l’exécution des grands projets d’infrastructure- ou bien la forme d’un financement affecté à l’importation des équipements, ou bien la forme de salaires versés à la main d’œuvre non libanaise massivement impliquée dans ces projets » (Hamdam 2000)
En outre, Hamdam (2000) estime qu’il y a surtout incohérence au niveau des objectifs macro-économiques retenus par les différents gouvernements qui ont succédé dans la période de reconstruction. Pour en citer quelques objectifs : « contrôler l’inflation et défendre le taux de change de la livre libanaise à travers une politique de stabilisation monétaire, réduire le déficit budgétaire et par la conséquent la dette publique, relancer la croissance économique, reformer l’administration et résorber les tentions sociales. » (Hamdam 2000)
Ce qui est sûr c’est qu’il manque de vraies évaluations des capacités et des objectifs de croissance du Liban. Une telle contradiction ne peut induire qu’à la survie du pays moins à son développement puisque dans ce cas les programmes seraient sélectifs et ne procurent d’effets que sur un nombre restreints d’acteurs comme nous l’avons déjà évoqué plus haut. Ce qui contribuerait également à expliquer la hauteur de réalisation des projets d’investissements, étant donné que les conditions économiques ne permettent pas pour autant à garantir leur effectivité.
Continuant toujours dans la vision de Hamdam (2000), les facteurs de l’affaiblissement de la croissance libanaise est dû au fait qu’après l’effet ressort de 1991, des scenarii n’ont pas été réalisés. Ce qui signifie un manque de continuité entre les actions et objectifs de départ de la reconstruction. Par ailleurs des études plus approfondies par les économistes ont révélé une baisse parallèle du taux de croissance et du PIB lui même.
Quoi qu’il en soit, tout porte à croire que la situation aussi accablante du Liban rapporte que si les injections de capitaux de l’étranger n’a eu qu’un moindre effet c’est surtout pare qu’elles ne correspondent pas à un meilleur choix d’investissements. « Il est sûr et certain que les flux erronés des capitaux et transferts provenant de l’extérieure n’ont été que rarement investis dans les rouages concerts d’une économie qui souffre à la base, du manque d’opportunités d’investissement adéquats. » (Hamdam 2000).
Ce qui confirme notre constat de départ que le manque de concordance entre la situation réelle du Liban, ses capacités et ses objectifs aboutit à des réalisations erronées des attentes de la reconstruction. C’est ce qui a surtout pénalisé le fonctionnement de l’économie libanaise. Une redéfinition des priorités de l’Etat aurait été plus stratégique au point où le Liban est arrivé.
Section 3. AGGRAVATION DES DISTORSIONS DANS L’EVALUATION DU PIB ET CONSEQUENCES SUR LE MARCHE DE L’EMPLOI
En 2005, le Dr Béchara[31] a évalué l’évolution du PIB entre 1992 et 2003. Le PIB effectue une progression moyenne de 10,8% par an en devise courante et de 3,5% en devise constante. On peut constater deux phases de progressions : entre 1992 et 1998, on estime une croissance de 5,5% contre une baise à 0,15% entre 1998 et 2003. En outre, « l’indice de PIB a été multiplié en devise courante par 3,09 en 2003 par rapport à 1992, contre un coefficient de 8,88 de multiplication des taxes au cours de la même période. Par ailleurs la proportion des recettes de l’état provenant des taxes a enregistré en 2003 le seuil de 16,56% contre 5,76% enregistrée en 1992. »
Afin de trouver plus d’explication à ce phénomène, il s’avère important de se référer aux analyses de Hamdam (2000). Le profit et les salaires constituent des principaux indicateurs de la croissance sensible du PIB, au moyen des intérêts. Cette part représente une croissance allant jusqu’à 23% du PIB en 1998, faisant preuve de dédoublement durant les années 1990, et ce grâce à la politique de stabilisation monétaire. Cette part aussi importante détenue par l’intérêt semble dépasser les limites des pays développés évaluée à 7% et même la moyenne des pays en développement qui se situe normalement à 11%.
Une explication probable à cette tendance se réfère à la dimension démographique et sociale de la reconstruction. « Cette ponction de plus en plus grande sur les revenus –en faveur des titulaires des rentes, des intérêts et plus généralement en faveur des agents économiques «oisifs » et non productifs- s’est opérée dans une période cruciale, une période de transition sur le double plan démographique et social. » (Hamdam 2000)
Tout porte à croire que les placements démographiques durant la guerre ont donné un retour dans les années 1990. Ce qui a permis de redéfinir les nouvelles donnes au marché de l’emploi. « Les mutations démographiques rapides et profondes que le Liban a connu durant la période de guerre, se sont soldées dans les années 1990 par des phénomènes relativement nouveaux : baisse générale des taux de dépendance économique, et par conséquent augmentation sensible de l’offre de travail, se traduisant par une pression de plus en plus pesante sur le marché de l’emploi. » (Hamdam 2000)
Ce sont surtout les conditions sociales outres les mutations démographiques ainsi en question, qui sont à l’origine de cette dynamique du marché de l’emploi. « Ainsi entre 1970 et 1997, le taux global d’activité est passé d’environ 27% à plus de 34 % de la population résidente. Toutefois cet accroissement de l’offre de travail de l’ordre de 3% annuellement –dicté non seulement par les mutations démographiques en cours mais également par le besoin de plus en plus pressant d’équilibrer le revenu familial au coût de la vie- n’a pas été adéquatement satisfait par une demande de travail aussi consistante et durable » (Hamdam 2000)
Ce constat dérive du fait des caractéristiques rentières de l’économie libanaise d’une part et l’abondance de la main d’œuvre étrangère qui profite plus des offres d’emploi, d’autre part. « D’un côté les fondements rentiers de l’économie libanaise, ne dégageaient pas, d’une manière intrinsèque, des opportunités d’emploi permettant d’absorber l’offre de travail. De l’autre, une partie relativement importante de la demande d’emploi par les deux secteurs public et privé, était «naturellement » déviée en direction de la main d’œuvre non libanaise, généralement non qualifiée ou peu qualifiée. » (Hamdam 2000)
Autant de variables jouent sur ce déséquilibre, dont principalement le taux de chômage influencé par le taux des migrations durant la période. « Ces taux sont demeurés, du moins jusqu’en 1997, relativement supportables (environ 8% en 1997), voire même comparables à ceux de la veille de la guerre. L’explication de ce phénomène doit être recherchée au niveau des flux migratoires externes, dont le solde net négatif a atteint durant la seule période 1994-1999, environ 950000 départs (276000 départs en 1999). »
Ainsi d’une manière générale, les programmes de croissance libanaise et de reconstruction ont été plus que décisifs dans le sort de l’économie libanaise. Cela étant ce sont principalement les incohérences stratégiques qui lui ont été de grande influence sur les objectifs de croissance, moduler ainsi l’évolution du PIB et le dynamisme du marché du travail. Ce qui nous introduit à voir de plus près les politiques sociales d’Hariri et d’en trouver de plus amples précisions sur la tenue des démarches et des politiques de reconstruction de l’économie libanaise.
Chapitre 3. LES MODES DE GESTION DE LA QUESTION SOCIALE DURANT LE GOUVERNEMENT HARIRI (1992 – 1998)
D’une manière générale, la période de règne d’Hariri correspond, de toutes les analyses que nous avons pu voir notamment dans le second chapitre, à une période de sensible croissance du point de vue économique, contre une inadéquation de la dimension sociale. Nous avons pu voir également que dès le départ la période de reconstruction s’est mal débutée par rapport aux choix de programmes et à leur difficulté de réalisation, une conséquence directe des incohérences de politiques économiques et des objectifs attendus, surévalués. Ce que nous allons tenter mettre au clair dans ce chapitre c’est la question sociale pendant le gouvernement Hariri.
Section 1. L’ABSENCE D’UNE STRATEGIE SOCIALE GLOBALE
Il apparait évident que dans l’ensemble de la période de reconstruction libanaise, il n’a été évoquée de stratégie globale du point de vue sociale. En effet, les seules dimensions sociales de la reconstruction libanaise concernent une constatation des impacts des politiques économiques sur le développement social, quasi inexistant. Comme nous l’avons déjà précisé dans les chapitres précédents, le gouvernement s’est surtout investi dans des processus économiques priorisant les infrastructures, et des politiques macro-économiques, au détriment du bien être social.
Par ailleurs, Hamdam (2000) confirme ce constat de manque de priorisation du domaine social dans processus de reconstruction libanaise. On parle d’un manque considérable de préoccupations envers le social qui tendrait à définir des objectifs précis destinés à chaque département. C’est pourtant un besoin croissant et imposant de la reconstruction, mais qui a été réduit à l’instar des motivations politiques et économiques démesurées.
« Il est vrai que le part affectée au social dans les budgets successifs des années 1990, n’a cessé de croître, à travers les ministères ayant rapport au service public. Néanmoins, le seul accroissement des dépenses sociales n’est pas suffisant en lui-même. En l’absence d’une politique sociale bien définie et de type global, s’adressant aux différentes sphères concernées, avec des priorités, des critères, des mécanismes et des groupes-cibles bien délimités, les interventions étatiques, en matière sociale, ont eu tendance à devenir de plus en plus chaotiques, impliquant des surcoûts et peu d’efficacité. » (Hamdam 2000)
Nahas[32] donne un aperçu des répartitions des dépenses publiques durant la période de reconstruction. On peut considérer deux modes de classification des dépenses : économique, en termes de moyens te fonctionnelles, en termes d’objectifs. D’une part, du point de vue de la classification économique, on constate une tracée d’évolution positive. Ce qui est dû à « la dynamique cumulative de la dette et des intérêts a progressivement contraint le gouvernement à augmenter les prélèvements et les arriérés et à réduire les postes de dépense en fonction inverse des résistances. Les plus affectés se retrouvent être les dépenses d’investissement. »
D’autre part, la classification fonctionnelle des dépenses publiques nous révèle un peu plus sur l’importance des dépenses sociales et leur couverture, bien qu’elle n’ait été disponible qu’à partir de l’année 1997. Si dans la classification économique ce sont les salaires qui ont représenté la résistance, dans cette nouvelle classification ce sont surtout l’éducation et la santé qui la représente. En effet, le rapport de Nahas rappelle à une tendance à la baisse des services d’éducation et les lenteurs observées au niveau de l’augmentation des services de santé.
« La part des services sociaux baisse rapidement (7,5% à 4,3%). Ce résultat recouvre une baisse lente des services d’éducation, une augmentation, lente aussi, des services de santé mais une chute des postes restants : services sociaux, logement et services collectifs, détente et culture qui passent, réunis, de plus de 3,5% à moins de 1%. » (Nahas)
Dans un rapport antérieur, Nahas (2005)[33] préconise des axes d’évolution de la situation sociale du Liban et des préoccupations gouvernementales à cet égard. En ce sens, l’Etat doit s’avancer sur des explicitations de ses responsabilités sociales. C’est par ailleurs l’une des trois étapes principales à l’établissement d’une politique sociale proposée par Nahas lui même. Si telle question n’a pas été revue c’est qu’il existe une grande fossé entre les priorités sociales et les objectifs de développement de la pat du gouvernement.
« Les responsabilités de l’Etat en matière sociale doivent être explicites pour que les services concernés deviennent des droits légitimes et ne puissent plus être instrumentalisés dans les circuits du clientélisme. Elles comprennent sans aucun doute la couverture généralisée des soins de santé de base et l’enseignement obligatoire jusqu’au niveau complémentaire. » (Nahas 2005) A ces deux niveaux se rajoutent les difficultés qui incombent à chaque famille victime de la guerre, une grande responsabilité sociale que l’Etat ne doit ignorer.
Par ailleurs, le rapport sur la vision de développement du Liban par Nahas nous met les points sur les caractéristiques du domaine de l’investissement et des dépenses sociales :
« – Le niveau d’investissement public par rapport au PIB est particulièrement faible, surtout que les pays sort d’une guerre et que les chiffres d’investissement public sont gonflés de dépenses diverses. Cela est dû à la situation difficile des finances publiques sous l’effet de la dynamique de la dette.
– Le rendement global de l’investissement et des dépenses sociales, secteurs public et privé pris ensemble, est généralement faible et marqué par des inégalités fortes. Cela est essentiellement dû aux effets de prix que produit le « modèle économique » libanais. »
Ce qui nous introduit sur le contexte de l’éducation et de la santé, qui semble être le domaine clé de l’évolution sociale dans la période de reconstruction libanaise. En effet, ces deux indicateurs comprennent entre elles deux éléments majeurs de l’activité sociale d’un pays donné. Etant donné que le Liban vient de renaitre de ses séquelles de guerre, connaitre les programmes et processus destiné au développement de ce domaine nous révélerait l’importance accordée à son égard.
Section 2. CONTRADICTIONS ENTRE LES OBJECTIFS ANNONCES ET LES POLITIQUES ADOPTEES
Hamdam (2000) reproche au gouvernement d’après guerre l’absence de véritable politique de santé. C’est surtout à cause d’une lacune de réglementation que ce département se retrouve pénalisé. « On ne peut pas dire que les gouvernements d’après guerre aient mis en œuvre une véritable politique de la santé. En effet ce domaine parait, plus que jamais, non réglementé. »
Ce qui a mené le secteur dans un désordre accablant au risque d’encourager les inégalités. « Le désordre d’un «laisser faire » exercé à outrance -même dans cette sphère très délicats et spécifique- a débouché sur des structures caractérisées, à divers égards, par la précarité, le gaspillage et l’aggravation des inégalités aussi bien entre les différentes couches sociales qu’entre les régions du pays. » (Hamdam 2000).
On peut constater que les surévaluations en besoin d’infrastructures ne justifient pas leur utilisation. Ce qui traduit un large décalage entre les objectifs et les besoins réels de la population libanaise :
« Surinvestissement dans la construction d’hôpitaux publics et privés, suréquipement de ces hôpitaux avec des taux d’utilisation et d’occupation relativement faibles, surconsommation de médicaments profitant à un petit groupe oligopolistique, surplus relativement énorme au niveau du nombre de médecins dans les différentes spécialisations, rapports antagonistes et non transparents entre les «grands acteurs » de ce marché (en l’occurrence les hôpitaux, les médecins et les compagnies d’assurance), incohérence quasi-totale des mécanismes de fixation des tarifs et des prix des services sanitaires, faible encadrement de la santé préventive… tels sont les principaux traits de «profil » actuel du marché de la santé au Liban. » (Hamdam 2000).
Par ailleurs cette constatation ne s’arrête à ce point. Le manque d’évaluation de la situation réelle au Liban gagne tout l’ensemble des services sanitaires et éducatifs. Ce manque induit à une négligence de la compréhension du réel besoin en la matière. Une des manifestation de ce phénomène et qui justifie notre constat de surinvestissement en infrastructures, se rapporte aux modalités d’utilisation de ces locaux.
« Chaque fois qu’il y a, par rapport aux normes de productivité excès de locaux non utilisables autrement et/ou excès d’enseignants qui ne sont pas reclassables ailleurs ni qu’il soit question de licencier, il y a intérêt à augmenter le nombre d’élèves accueillis par l’école publique indépendamment de toute autre considération. » C’est ce dont Nahas témoigne dans son rapport sur le développement du Liban.
En outre, le recours au service de la santé se pose comme un véritable facteur de diversification sociale. Cela concerne principalement le droit à la couverture des fonds de sécurité à cause des coûts qui leur sont attribués et que d’une certaine manière l’ensemble de la population ne peut assumer. Il y a également les critères d’éligibilité qui leur sont appliqués. Ce qui tient à un manquement des dispositifs concernant les responsabilités de l’Etat en la matière.
« En 1997, seulement 55% des résidents étaient couverts par des caisses ou des fonds de sécurité, publics, parapublics, caritatifs ou privés, sachant que ce taux variait sensiblement d’une région à l’autre. Dans le seul secteur public ou parapublic, une demi-douzaine de fonds sont impliqués, avec des critères d’éligibilité, et des plafonds de coûts, de prix et de soins médicaux, variant arbitrairement d’un fonds à l’autre. Au-delà de leur redondance, ces fonds sont gérés administrativement à un coût relativement élevé, notamment dans le cas de la CNSS, dont les frais administratifs varient normalement entre 30% et 40% de l’ensemble de ses dépenses. » (Hamdam 2000).
Le cas des résidents ne disposant pas de couverture sanitaire se détériore par rapport au faible budget accordé au ministère qui les prend en charge, pénalisant à une réduction de ces allocations, et induisant à différents critères de sélection et d’éligibilité au programme d’aide publique. Ainsi, les incohérences en matière de priorités entre les programmes et les objectifs conduisent à une négligence flagrante du domaine sociale. Le gouvernement se satisfait des motivations de paraitre, à l’exemple des surinvestissements infrastructurels.
« Le problème qui se pose à ce niveau est le suivant : avec l’aggravation de la crise des finances publiques le gouvernement se trouve progressivement devant l’obligation de contrôler voir même de réduire ses dépenses de santé, sans qu’il soit doté d’une stratégie, ou d’une politique et de critères d’éligibilité des groupes cibles, permettant d’acheminer les soins sanitaires publics vers les couches les plus démunies, au lieu de les soumettre –comme c’est souvent le cas actuellement- aux intérêts étroits et clientélistes qu’entretiennent les différents factions politico-communautaires avec leur «public » » (Hamdam 2000).
Au niveau de l’éducation, Nahas nous fait remarquer une contradiction avec les responsabilités de l’Etat par rapport à la faible participation d’éducation primaire du secteur privé. « Il est à remarquer que la part du privé dans l’enseignement est la plus faible là où l’engagement de l’état et sa responsabilité sont les plus fortes, à savoir le primaire. » En outre, ce seul engagement de l’Etat à l’éducation justifie la part du public dans l’enseignement, avec en appui la redistribution du système mis en place entre la fiscalité et la fourniture.
Dans le cadre confondu (secteurs public et privé), Hamdam (2000) rapporte un encours de dépenses en matière d’éducation, à hauteur de 9,3% du PIB en 1997, un taux considéré relativement élevé en comparaison des pays de l’OCDE par exemple. Cette structure au niveau libanais peut s’expliquer par différentes raisons :
« – D’un côté le secteur privé (les ménages et le monde des affaires) finance à lui seul plus de 60% des dépenses totales d’éducation, ce qui représente un des taux les plus élevés du monde.
– Par ailleurs les dépenses par élève dans l’enseignement public général, évalué en pourcentage du PIB par tête, atteint un niveau excessif dans les comparaisons régionales et internationales. » L’enseignement public s’avère sur ce point de vue plus élevé par rapport à l’enseignement privé, notamment dû à un taux d’encadrement plus élevé dans le public que dans le privé.
Enfin, des inégalités sont également observées au niveau de la répartition des subventions, qui profite plus au privé qu’au public. Pourtant ces subventions valent une surévaluation des dépenses allouées à l’enseignement.
« Les dépenses de l’Etat pour l’enseignement ne se limitent pas aux dépenses des trois ministères concernés (à savoir le ministère de l’Education, le ministère de l’Enseignement technique et celui de la Culture et de l’enseignement supérieur). Elles sont de 40 à 50% plus élevés, en raison des subventions versées par l’Etat à ses fonctionnaires –à travers la coopérative des fonctionnaires, l’armée, les forces de sécurité intérieure et le ministère des affaires sociales). Or plus de 75% de ces subventions profitent principalement à l’enseignement privé où la plupart des fonctionnaires envoient leurs enfants. »
Ce qui nous retient sur une évidence que les politiques publiques ne donnent les mêmes effets entre les secteurs public et privé. C’est entre autre le résultat d’un manque d’évaluation des priorités sociales dans le cas libanais. Ce qui pénalise l’objectif de relance tant au niveau de la santé que de l’éducation. Ce qui permet encore de réitérer notre vision d’une meilleure perspective au cas libanais, par rapport à une réévaluation des priorités et programmes de reconstruction.
Partie II. POUR UNE PERSPECTIVE DE LA QUESTION SOCIALE AU LIBAN
La première partie nous a permis de situer notre problématique dans son contexte qui tourne principalement sur la reconstruction d’après guerre civile de 1975-1990. Cette deuxième partie par contre soulève les perspectives sur la question sociale au Liban. Les réflexions sur le passé libanais s’achemineraient sur une révision de la question sociale. Il s’agit dans ce sens d’entrevoir les défis d’évolution auxquels principalement Hariri s’est fixé pour la reconstruction libanais, et d’exploiter également, les possibilités qui s’offrent au Liban.
Tout porte à croire que l’absence de rigueur au niveau des objectifs sociaux pénalise une efficacité des stratégies gouvernementales déployées pour un Liban prospère. Ce qui nous amène à cet effet à mesurer l’influence de Hariri en matière de priorités nationales (Chapitre 4) qui a conduit à constater une telle négligence de la question sociale (Chapitre 5), une question qui mérite d’être soumise à une analyse des faits et donc d’en ressortir les probabilités de sortie du Liban (Chapitre 6). Etant donné que cette seconde partie porte sur l’analyse des réalisations, les entretiens que nous avons tenu avec Kamal Hamdan et Walid Charara serviront d’apports de visions sur la situation du Liban d’après guerre civile.
Chapitre 4. INFLUENCE DE RAFIC HARIRI DANS LA DETERMINATION DES PRIORITES NATIONALES
Partons d’un point de vue journalistique. En Février 2011, le Libanews a prêté attention au parcours politique de Hariri. En effet, dans son article sur Rafic Hariri, Naba (2011)[34] nous parle d’une « recherche constante de l’homme providentielle ». On constaterait que le Liban se trouve devant ce regret de ses valeurs passées et ce constant besoin d’évolution, deux éléments qui sembleraient tomber sur une certaine opposition de réalisation. Nous pouvons le dire, cet article nous sert d’orientation quant à l’analyse des politiques d’Hariri pendant son gouvernorat.
Tout part de sa personnalité d’homme d’affaire arrivé au pouvoir sans expérience politique. Ce qui est certain c’est que ses expériences professionnelles lui ont servi pour asseoir les objectifs pour autant orientés sur des tendances économiques, et trouver dans cette voie des arguments politiques. Ce qui à la fin nous a réservé un bilan assez perplexes en raison des difficultés de gestion qui l’ont induit à l’erreur : Naba (2011) se réfère à son « excès de confiance dans ses capacités de gestionnaire sur le plan économique et de manœuvrier sur le plan politique. »
Section 1. LA MYSTIFICATION DE L’HOMME PROVIDENTIEL
Naba (2011) avance que c’est avant tout la forte médiatisation du succès économique de Hariri qui l’a introduit dans le système politique libanais. Ce choix a été motivé principalement, nous le rappelons, par le besoin d’entrevoir le succès économique du pays. C’est un choix que Hamdan, au cours de notre entrevue, condamne. Le problème réside dans l’action de favoriser à tort un domaine sans pour autant chercher l’équilibre entre les autres dimensions du développement, autant fondamentales que accessoires.
« Donc Hariri, arrivé dans un contexte néolibéral, avec ses utopies fondées sur son expérience personnelle dans l’ère pétrolière saoudienne et l’espoir non bâti d’une paix qui va venir très tôt, n’a pas tenu compte des réalités très difficiles des contextes socio-politico économiques du Liban. »
La question est de savoir pourquoi le Liban aurait-il eu besoin de chercher l’homme providentiel. Un premier élément de réponse nous situe par rapport aux conséquences de la guerre, un fait que nous avons largement développé dans la partie précédente, de même pour les regrets du succès d’avant guerre. Cela étant, on peut également reconstituer autant de raisons qui auraient orienté le Liban dans ses choix d’après guerre. Le point de vue de Hamdan sur cette situation nous révèle que d’une part, le choix du contexte néolibéral pour le Liban est un facteur qui a mené à cette situation, et que d’autre part, l’apparition de Hariri comme l’homme de solution économique vient combler les attentes de prospérité libanaise.
- LE NEOLIBERALISME LIBANAIS
Lors d’une entrevue (Rozelier 2011)[35], Georges Corm fait part de son appréciation des conséquences actuelles du néolibéralisme. Dans cette perspective, Corm l’assimile à « un système aussi simpliste et totalitaire que le marxisme. » Ce sont des propos qui s’appuient également sur des réflexions tirées de son livre sur le « nouveau gouvernement du monde » (Corm 2010)[36], le néolibéralisme étant selon lui « un système de pensée à vocation totalitaire. » D’un autre côté, Georges Corm (Wagener 2011)[37] dans une conférence aborde le néolibéralisme comme l’une des « causes économiques des révolutions arabes », dont le Liban.
Ce qui nous emmène à théoriser sur les objectifs du néolibéralisme, un moyen qui pourrait nous mener aux motivations néolibérales du Liban. Bourdieu (1998)[38] se situe entre deux questions sur l’objet du monde économique lorsqu’il aboutit à la notion de néolibéralisme :
« Le monde économique est-il vraiment, comme le veut le discours dominant, un ordre pur et parfait (…) ? Et s’il n’était, en réalité, que la mise en pratique d’une utopie, le néolibéralisme, ainsi convertie en programme politique, mais une utopie qui, avec l’aide de la théorie économique dont elle se réclame, parvient à se penser comme la description scientifique du réel ? »
Naomi Klein (2008)[39] aborde la question de la « violence fondamentale », tandis que Bourdieu (1998) renvoie à la question de « violence structurale » imposée par les conditions de la domination, un fait qui régit la société. Ce qui rejoint l’idée d’une utopie qu’il rapproche au marxisme. Ce qui appuie également le raisonnement de Corm (Rozelier 2011) dans la comparaison du néolibéralisme au marxisme, une politique qu’il condamne simpliste.
« La vulgate néolibérale a beaucoup séduit parce que justement elle n’est que l’envers de la vulgate communiste. Comme cette dernière, elle s’appuie sur des recettes simples, mais au lieu que ce soit l’avènement de la dictature du prolétariat qui assure le bonheur de l’humanité, comme c’était dans la pensée marxiste, c’est désormais la dictature des marchés libres de toute régulation qui joue ce rôle rédempteur. »
Puisque l’ensemble des objectifs des politiques libanaises se recentre sur l’exemple de réussite européenne, le système libanais lui-même se défend dans cette tendance néolibérale. C’est d’autant plus, tel que Corm (Rozelier 2011) le soutient, un système accéléré par la mondialisation. En outre, pour sa part, Hamdan rajoute l’influence de l’ère pétrolière au maintien du système néolibéral. Dans ce sens, il stipule que :
« Au sortir de la guerre civile en 90, la mondialisation avait déjà commencé. La structure même du pouvoir étatique et l’émergence du phénomène Hariri qui est le sous produit de l’ère pétrolière – génération de libanais qui ont émigré vers le pétrole et ont connu l’argent facile connecté au mode d’utilisation de surplus pétrolier dan les pays du golf – sont les deux facteurs qui ont joué un rôle essentiel dans la consolidation des thèses néolibérales. »
De son côté, Charara nous oriente surtout sur l’affaiblissement social et économique du Liban qui a nourri ce besoin immédiat de sortir de la guerre et retrouver un cours de vie normal à la population. A cet effet, le vent de néolibéralisme qui a atteint l’ensemble des territoires arabes ne pouvait épargner le Liban. C’est par ailleurs cette situation de sinistre d’après guerre, et d’espoir de reconstruction, qui a profité à Hariri d’accéder au pouvoir. Ce qui concorde également « la stratégie de choc » développée par Klein (2008), un élément essentiel de réponse à l’aspect providentiel de l’arrivée de Hariri à la tête du gouvernement libanais, une situation que nous allons aborder dans la sous-section suivante.
Charara avance à cet effet que : « la population libanaise était épuisée après 15 ans de guerre civile, le mouvement social était déstructuré, les partis transcommunautaires qui d’habitude défendaient les intérêts des classes déshéritées étaient eux aussi extrêmement affaiblis. La guerre avait consacrée comme principaux représentants de la société libanaise, les forces communautaires. Le contexte international et arabe était un contexte où avait triomphé le néolibéralisme. (…) Hariri est arrivé dans un pays où la population était exsangue, les gens voulaient que la guerre s’arrête et que la vie normale reprenne son cours. »
- POUR UNE STRATEGIE DU CHOC
Naomi Klein (2008) nous l’a démontré dans sa « stratégie du choc », la période d’affaiblissement au sortir d’un quelconque trouble constitue pour un pays la période de recourir à un changement, radical, et pour les élites de se présenter comme les personnes qui répondent le plus à cette attente. Le cas du Liban se révèlerait comme une illustration conforme au point de vue de Friedman, l’inspiration de notre auteur dans son œuvre. En effet, l’ascension de Hariri au pouvoir n’est en fait qu’un processus logique faisant suite à la guerre civile libanaise, favorisé par le contexte néolibéral.
En ce sens Friedman (Klein 2008) stipule que : « Seule une crise, réelle ou supposée, peut produire des changements. Lorsqu’elle se produit, les mesures à prendre dépendent des idées en vigueur. Telle est, me semble-t-il, notre véritable fonction : trouver des solutions de rechange aux politiques existantes et les entretenir jusqu’à ce que des notions politiquement impossibles deviennent politiquement inévitables. »
Nous avons donc le facteur, qui est la guerre, ayant introduit l’idée du changement, bien que cette situation ne se présente que vers la fin de la guerre, d’autant plus que la fin de la guerre ne s’annonce qu’au constat d’un véritable affaiblissement, et d’une grande nostalgie de la paix. Nous avons également le contexte politique néolibéral : la question est de savoir comment Hariri s’est-il présenté comme la meilleure opportunité de changement pour le Liban ?
Nous partons des principes que Klein et Friedman conçoivent dans leur approche par le choc. En effet, le Liban se trouve à la fin de la guerre en situation opportune pour les leaders d’instaurer leur influence avec de nouvelles idées reconstructions, qui doivent être radicales. L’idée est que la guerre que le pays a traversée durant une quinzaine d’années se voit comme une dure épreuve à laquelle il est nécessaire de trouver une porte de sortie qui mène à une perspective de pays et de prospérité.
Et qu’aussi rude soit la politique de sortie de la guerre, c’est un sacrifice et un pas en avant que le peuple est prêt à franchir pour des objectifs bien mérités. A ce sujet, Charara nous donne son opinion : « Hariri est arrivé dans le contexte idéologique de l’euphorie capitaliste et néolibérale comme digne représentant de ce courant. Un homme d’affaire catapulté premier ministre. Dans l’histoire des pays qui se respectent cela n’arrive jamais. Il était premier ministre à la tête d’un empire financier, il y avait conflit d’intérêts. »
Le statut d’homme d’affaire puissant de Rafic Hariri dévoile tout l’intérêt de son ascension sauveur du Liban. Et principalement, le soutien international qu’il détient lui donne tout un pouvoir qui lui a fait gagner la confiance en laquelle le peuple libanais a placé son espoir d’un avenir meilleur. Ce qui par ailleurs confirme l’idée que la question économique se trouve au centre de toute action de développement. C’est sur cette base que Hariri s’est appuie pour proposer ses expériences au profit de la croissance libanaise malgré le fait qu’il ne justifie pas d’expériences politiques.
A cet effet, Charara explique que : « Après les désastres, les capitalistes peuvent faire ce qu’ils veulent. Le Liban était un pays sinistré après la guerre, Hariri en a profité. Il s’est servi de l’instant de désorientation générale, de l’absence de perspective pour appliquer sa politique. (…) Il était l’homme du compromis entre la Syrie, l’Arabie Saoudite, la France et les Etats-Unis. Il a eu le soutien de toutes les forces dominantes de l’époque. Ce sont ces facteurs fondamentaux dans un contexte néolibéral qui ont fait son acceptation, pas le complexe de l’homme providentiel où le récit du succès individuel qui fait appel aux thèses essentialistes. »
Le gouvernement Hariri a bien contribué au changement dans le contexte libanais, ce qui est d’ailleurs l’objet principal de son accession. Des réformes ont été initiées, des politiques se sont inter-changées selon un ordre priorités établi par le gouvernement. C’est par ailleurs cette vision des choses qui s’imposerait comme critique et juge de l’efficacité de ces politiques de reconstruction.
Section 2. LES PRIORITES DE L’HOMME D’AFFAIRE, UNE AFFAIRE D’ETAT
Rafic Hariri semble donc incarner un profil idéal pour la reconstruction libanaise, du moins, le peuple libanais l’a bien exprimé en l’instituant à la tête du gouvernement. Ce qui lui a promu une longue carrière politique. Par ailleurs, ses débuts dans la politique montrent autant de perspectives que d’objectifs à réaliser. Nasnas (2007) nous, dans ce cadre, un aperçu des ambitions haririennes à son arrivée au pouvoir.
Nasnas (2007) stipule par son analyse que : « La stabilité intérieure, l’investissement dans les secteurs productifs, l’opportunité de travail constituent des facteurs de développement conformes à la réalité économique du pays et répondent au rôle futur de centre des affaires et de pôle économique, dont rêvait le Président martyr Rafic El-Hariri et pour lesquels il a inlassablement œuvré. »
C’était pour Hariri l’occasion de redonner au Liban son image et sa puissance d’avant guerre : « Le Liban a connu sa prospérité quand il était l’un des rares pays de la région à adopter un régime de liberté économique. Avant 1975 il a bénéficié d’un flux de capitaux en particulier des pays arabes, et ce mouvement a repris plus tard dans les années 90. » (Nasnas 2007)
Dans ses politiques, Hariri s’est appuyé sur le contexte néolibéral, selon les affirmations de Corm (Rozelier 2011), pour se justifier du monétarisme. Ce qui sert de point de départ aux réformes économiques haririennes. Nous avons pu voir également dans la partie précédente que le gouvernement Hariri se donnait comme priorité les infrastructures au détriment des autres dimensions de la reconstruction ; ce qui a été par ailleurs confirmé par les propos de Hamdan au cours de son entretien : « Les nouveaux gouvernements d’après guerre devaient faire face à cette réalité et réinvestir dans les infrastructures détruites ou devenues obsolètes. ». Ce qui établit l’orientation purement économique et matérielle des objectifs haririens.
Ce qui a été largement critiqué par Hamdan lors de son entrevue. En ce sens, il statue que : « Comme si la guerre des 15 ans n’avait pas créé les convictions nécessaires au sein de la classe politique libanaise sur l’urgence de trouver des équilibres entre le marché d’un coté et le rôle de l’Etat de l’autre. Les fondements de la guerre civile n’ont pas été pris en considération lorsque l’on a entamé la reconstruction à partir de 1992. On est resté enfermé dans cet optimisme béat qui considère que le seul fait que l’économie puisse progresser à des taux relativement importants est suffisant est générateur à lui seul du progrès social. Or, cela n’a pas été le cas. »
Si l’on continue dans l’analyse de la situation, de telles actions ont nécessité le recours à une caisse assez large d’investissements, ce qui a conduit le Liban à une forte situation d’endettement. D’autant plus que Nasnas (2007) nous avance une profitabilité de la situation de la dette notamment à la sortie d’une guerre. « Les déficits et la dette, ne sont pas nécessairement nuisibles, en soi. Au contraire, ils peuvent être nécessaires, surtout après une guerre. Le critère qui fait que la dette soit appropriée est la mesure où le montant des recettes est utilisé à bon escient afin d’augmenter la productivité de l’économie ; ce qui devrait augmenter le niveau de vie et permettre également le remboursement de la dette à l’avenir. »
En outre, les relations internationales du Liban se retrouvent également au centre de ses plans d’actions de développement, dans le sens que déjà l’arrivée de Hariri au pouvoir en constitue un premier objectif. Ce qui sous-entend une continuation pendant son gouvernorat. Hamdan, lors de notre entrevue, nous parle d’un « soutien basé sur un mécanisme allant à l’encontre des droits de l’homme et qu’il avait une gestion de la dette à but d’enrichissement. »
Par ailleurs, la multiple nationalité de Hariri a projeté le pays dans un concours de puissance régionale, ce qui n’est autre qu’une politique visant à redonner au Liban sa place centrale d’avant guerre. Cela étant l’évolution des pays de la région durant la guerre libanaise ne permet plus à ce dernier d’en jouer le rôle économique principal. Hariri porterait à croire qu’une orientation de l’économie libanaise vers une économie de rente et non productive serait un soutien parfait pour son maintien, et celui de l’ensemble de la classe dirigeante politique, au pouvoir.
C’est d’ailleurs Charara qui l’a affirmé : « Les pays du golf n’étaient plus comme dans années 50-60-70, il y a eu l’émergence de nouvelles élites, un secteur bancaire. Par exemple Dubaï est devenu le modèle de la cité Etat capitaliste par excellence. Le rôle du Liban comme intermédiaire est devenu de moins en moins important avec les développements qui sont intervenus. Mais ce qui comptait pour cette classe politique dirigeante était de se maintenir au pouvoir donc si le Liban ne pouvait plus jouer le même rôle économique qu’auparavant, il fallait voir de quels atouts il disposait ? On conserve l’orientation de l’économie de rente. Jamais ils ne parleront d’activités économiques réellement productives, c’est la logique du tertiaire, de la rente. Il y a un consensus autour de l’idée qu’il n y a pas d’alternatives au néolibéralisme. »
Cette situation confirme également l’idée de la révolution des pays arabes basées sur l’économie de rente et le néolibéralisme évoquée par Corm (Wegener 2011). Il est à ce point question du « rêve du Monte Carlo du Proche orient » (Darmency 2010)[40]. Ce qui au final ne rejoint pas tout à fait une grande réjouissance par rapport à ses conséquences. En effet, le gouvernement Hariri a accordé autant d’importance au développement du secteur des services au détriment des véritables atouts libanais que sont ses ressources naturelles. Le Liban étant un pays à grand potentiel de production compte tenu de sa richesse en terres fertiles inexploitées (Darmency 2010).
Pour Corm (Darmency 2010) les jeux sont clairs, il est impossible au Liban de faire une transcription libanaise du Monte Carlo, déjà, les conditions ne sont pas les mêmes. « Le potentiel du Liban n’est guerre exploité, mais au contraire, il est totalement gaspillé (…). Ceci est dû à l’existence d’un vieux rêve de faire du Liban le Monte Carlo du Proche-Orient (…). Mais on ne peut pas transformer les quatre millions d’habitants du Liban en garçon de café et de restaurants ou en personnel d’hôtels de luxe. Monte Carlo n’a que 30.000 habitants et non quatre millions et sa superficie n’est que de 30km2 ; de plus il a pour voisins la France et l’Italie, deux pays pacifiés, et non la Syrie et Israël. »
Cela étant, le contexte régional n’a pas non plus été de grand aide à la réalisation de ce projet. C’est ce que Hamdan a pu constater : « Hariri pensait à tort qu’avec une reprise de la croissance (même moyennant une dette élevé) les choses reprendraient leur cours et il fondait cette thèse sur des espoirs non bâtis d’une paix imminente au niveau de la région. Hariri est arrivé au moment où sur le plan du conflit israélo arabe, il y avait une reprise des négociations et que l’on avait planifié un calendrier pour la résolution de la question. Les gens du Golf ont pensé que ce calendrier était en mesure d’être réalisé au bon moment. Or, il s’est avéré que les conditions de la paix n’étaient pas réunies, le rapport de force au niveau international surtout après la chute du bloc socialiste ne pressait pas tellement les américains et les « occidentaux » à accélérer le processus de résolution pacifique du conflit israélo-arabe. »
D’un point de vue générale, la situation du Liban d’après guerre a été propice à l’annonce d’un grand changement puisque la sortie de la guerre elle-même le requiert. D’autant plus que les théories (la stratégie du choc) partagent également le même principe. Ce qui est important, au regard des résultats sur le long terme, c’est l’organisation selon laquelle les changements ont été entrepris pour corroborer avec les objectifs retenus. Il est donc question d’évaluer les priorités des dirigeants selon les objectifs qu’ils se sont fixés et les modalités d’atteinte de ces objectifs. Comme nous l’avons déjà proféré dans la partie précédente, la reconstruction d’après guerre a donné de ses « bons » et de ses « maux », puisque le Liban se retrouve devant des politiques mal placées et des priorités hors contexte.
Section 3. L’INSTITUTIONNALISATION DU CLIENTELISME
Si l’on reprend les analyses de Nasnas (2007), le clientélisme est devenu un courant de pratiques libanaises ; bien que cette pratique puisse être régulée par une politique de bonne gouvernance, si le Liban témoigne d’une forte caractérisation de cette pratique c’est qu’il existe apparemment une défaillance à l’égard de la légalité au niveau des politiques gouvernementales. En effet, nous pouvons nous tenir aux faits pour le constater. Et le gouvernement Hariri a été de part et d’autre, le terrain de jeux du clientélisme et de la corruption.
De son côté, Dagher (2002) rappelle un nombre d’auteurs qui statuent le clientélisme comme une pratique assignée du modèle libanais. Michael Johnson (1986)[41] est l’un des premiers chercheurs à établir ce constat : « le clientélisme est le phénomène central de l’économie, de la société et de la politique libanaises. Le “patron de clientèle” y est identifié comme étant l’élément constitutif de la classe politique libanaise. (…)“La politique est un business”. » Ce qui rejoint également l’analyse de Picard (1988)[42] entendant « les relations sociales et politiques étant essentiellement des rapports de clientèle. »
La corruption entre de ce fait dans les manières de faire au Liban, et touche l’ensemble des fonctionnaires, du plus haut au plus bas, selon le constat de Dagher (2002) : « Dans le travail consacré par Reinoud Leenders (2001[43]) à la corruption de l’après guerre, cette dernière est qualifiée d’endémique touchant la totalité de l’Etat et l’ensemble de ses fonctionnaires, du plus bas au plus haut des échelons. » Dagher (2002) évoque le terme de « markétisation » de l’administration. Il s’agit de « monnayer le moindre petit service rendu par l’administration » et donc d’une priorisation de la profitabilité des services rendus.
Par ailleurs, Medard (1982)[44] l’a souligné, « les structures de clientélisme, et les pratiques de patronage politique, de corruption, etc., caractérisant le modèle libanais (…) ont un point commun qui en fait des espèces d’un même genre : elles reposent toutes sur l’absence de distinction véritable entre le domaine public et le domaine privé. » C’est donc cette confusion qui mène à une véritable désorganisation et au manque d’objectifs d’intérêts généraux.
Ces travaux nous précisent que le clientélisme fait partie de l’approche politique libanaise. Et pour le cas de l’après guerre qui nous intéresse, il est tout simplement question de sa confirmation. Ingels (1999)[45] l’identifie dans ce sens pour « qualifier les rapports entre élites politiques et appareil administratif. »
Leenders (2001) qualifie cette pratique comme une situation logique qui résulte de la situation d’après guerre. La classe dirigeante s’intéresse à son bien être personnel et le fait passé avant celui de l’Etat. « Toutes les explications du phénomène ont un élément commun : elles attestent de la dégradation du droit caractérisant la période de l’après guerre. Les conflits entre les membres de l’élite pour le partage des biens publics sont à la base du phénomène de la corruption d’après guerre. Ces conflits donnent lieu à des solutions, ou des arrangements institutionnels provisoires, lesquels dénotent l’absence d’un cadre institutionnel cohérent, fixant les limites du public et du privé, ces conflits ouvrent la voie à une extension des opportunités de corruption. »
En outre, Dagher (2002) accuse également la désorientation du peuple en situation d’après guerre, contribuant à raviver cette volonté d’illégalité compte tenu du désespoir et de l’affaiblissement social du peuple. De ce fait, aucune règle ne tient sans affronts, une grande liberté d’appréciation de la loi est encouragée. Charara parle d’un deal passé entre les institutions. Chacun se préserve de ses gains aux vues d’une corruption institutionnalisée.
Dans cette optique, un accord est assiégé en règlement des conflits de départage des profits. « Toutes les forces politiques ont adhéré dès le départ au projet de la reconstruction et au système Hariri. Le Hezbollah et Aoun étaient en dehors du jeu politique. Ils ont tous profité et recueilli les bénéfices de sa politique et cette opération de pillage des ressources s’est faite sous l’œil bienveillant de Hariri, tant qu’il y avait une bonne entente entre Hariri et les syriens tout se passait bien et chacun obtenait sa part du gâteau de la corruption institutionnalisée. »
C’est entre autre une situation encouragée par le système libéral auquel le Liban adhère, tel que Corm (Rozelier 2011) le décrit : « dans kla vision néolibérale, la seule motivation de l’homme doit être la satisfaction de ses propres intérêts égoïstes. L’addition de ces intérêts permet le plus grand bonheur de tous. C’est précisément ce qui est à la base de tous les dérèglements sociaux et économiques, mais aussi environnementaux causés par la société de consommation et de gaspillages géants que nous connaissons aujourd’hui. »
Il en découle donc à cet effet, une absence de conscience à l’égard de l’intérêt général. Nasnas (2002) identifie à ce sujet un ensemble de facteurs : « La dictature de l’élite au sommet (aqtâb), la propension à poser et à régler tous les problèmes dans la perspective d’enjeux de pouvoir et de clientélisme et la structuration communautaire croissante de la société (pillarization) constituent des obstacles majeurs à des politiques publiques d’intérêt général. »
Il se trouve donc à cet effet que la vision élitiste elle-même est à changer, d’autant plus que le statut de « proie » du Liban d’après guerre le confirme. Dans ce sens, Nasnas (2002) soutient que « Il en découle l’exigence d’une dynamique nouvelle pour la modernisation des élites traditionnelles, la plupart porteuses d’un patrimoine national de lutte pour l’indépendance et la souveraineté et conscientes du sens du Liban à la différence d’une élite issue exclusivement de la guerre (lumpenelite). »
Ainsi, au sens du contexte politique et économique libanais, des multiples blessures de la guerre, et surtout de l’espoir d’une reprise du cours normal de la vie libanaise et de la nostalgie de l’image du Liban d’avant guerre, l’ensemble de ces phénomènes ont joué à donner à Hariri l’image de l’homme de la situation pour sauver le Liban de ses pertes. Et aussi justifiées soient ses ambitions de départ, l’écart entre les objectifs et les politiques mises en œuvres contribue à expliquer la prédominance de l’intérêt personnel par rapport à celui du peuple. Ce qui nous amène à identifier, dans le chapitre suivant, les impacts sociaux des politiques de Hariri.
Chapitre 5. POUR UN BILAN DES IMPACTS SOCIAUX DE LA POLITIQUE D’HARIRI
Nous avons vu dans la partie précédente que la dimension sociale de la reconstruction a été plus ou moins négligée, laissant la priorité aux impératives économiques. Cela étant, ces politiques économiques ont servi de pivot aux objectifs de croissance. Le néolibéralisme lui-même en définit l’objet surtout monétaire, donc économique, des politiques de reconstruction libanaise. Nous avons également pu confirmer dans le chapitre précédent que les politiques haririennes cernaient surtout un objectif de priorités personnelles au détriment du développement du peuple.
La reconstruction d’après guerre correspondant à l’ère haririenne présente à cet effet un nouvel élément de combat pour le peuple libanais, celui du développement social, étant donné le Liban ne compte que pour une détérioration de conditions de vie et une aggravation des inégalités (section 1), mais également un accroissement du taux de chômage, de pauvreté et une fuite de plus en plus importante du capital humain (section 2).
Section 1. DETERIORATION DE CONDITIONS DE VIE ET AGGRAVATION DES INEGALITES
Les théories économistes elles-mêmes défendent cette situation de détérioration, ou du moins son point de départ. Friedman l’a dit, confirmé par Klein (2008) dans leur approche du choc, que la guerre libanaise constituerait une occasion pour les élites d’assigner leurs perspectives d’évolution du Liban moyennant des sacrifices aussi importantes qu’elles soient, la population libanaise est prête à croire à une sortie de guerre, une restitution de la paix et un retour à la vie normale. C’est d’autant plus un cours assez logique de la reconstruction. La situation d’après guerre se présente le plus souvent aussi rude.
Quoique arrivé à un certain point, une rétrospection permet également de voir que le Liban n’est en aucun cas hors d’état de cause, puisque les conditions de vie sont au plus bas, et que les quelconques révélations positives des politiques économiques renvoient à une diversité d’impacts et plus encore une inégalité accrue entre la population. Ce sont les premières semences d’un système néolibéral à vocation d’enrichissement personnel des dirigeants. Il ne s’agit pas de théoriser sur le système capitaliste et la motivation par appât de gain, mais plutôt de voir dans ce système les conséquences sociales concrètes de la politique de Hariri.
Roger Nasnas (2007) nous donne un aperçu de la définition et de l’objectif d’une réforme : « La réforme est d’abord l’édification d’un état où se reconnaissent tous les citoyens. Le progrès dans la gestion de la chose publique est à la base du progrès économique et social. C’est en édifiant un état moderne que se forge la confiance des citoyens, source de prospérité et de développement. »
A cet effet, compte tenu de ce qui a été exposé auparavant, on ne peut dire que les actions du gouvernement Hariri soient désintéressées, puisqu’elles comptaient principalement pour une amélioration des conditions d’après guerre du Liban. Le problème qui s’est interposé s’apparente aux démarches entreprises et l’absence de finalités concrètes se ralliant à la cause libanaise. En ce sens, la plus importante faille qui accuse le cas libanais se reflète dans la négligence du social, étant donné que l’ensemble des actions politiques ne peuvent avoir un sens sans encadrer leur dimension sociale (Nasnas 2007) comme nous avons pu le constater dans la partie précédente.
Nous sommes devant un fait, l’économie a été le principal intérêt de la classe politique dirigeante. Et ce sont surtout les conditions de formes qui ont retenu leur attention, laissant le cours des événements déterminer le sort du social. Quels sont donc les impacts des politiques du gouvernement Hariri au niveau des conditions de vie de la population libanaise ? D’un premier constat, puisqu’il s’agit surtout d’une politique « égoïste, intéressée et à but d’enrichissement personnel », il est tout à fait normal de retrouver un accroissement des contions d’inégalité entre peuple libanais, créant une diversité de conditions de vie, allant des plus démunies aux plus riches.
Pour parler de la dégradation des conditions de vie, nous allons nous référer au rapport Fémise 2005 sur l’évolution du Liban. Parler des conditions de vie nous amène à statuer sur les impacts des réformes économiques initiées par le régime Hariri. Ce qui nous renvoie directement aux conditions de travail. En effet, c’est première dimension qui intéresse l’ensemble de la population libanaise, d’autant plus que nous avons déjà développé dans la partie précédente le cas de la santé et de l’éducation.
La vision de Hamdan sur les effets de la reconstruction se résume à ces propos : « une analyse en termes de couts/bénéfices de ces politiques de reconstruction est plutôt décevante parce que le néolibéralisme qui a caractérisé les politiques d’après guerre, et cette conception qui minimise la question sociale en tablant que le marché et la croissance pourront trouver des solutions aux déséquilibres structurels en matière sociale et économique, ont été très couteux pour le Liban. »
Si auparavant, la démographie jouait un rôle prépondérant dans le miracle libanais (Corm 1969), la période de la reconstruction libanaise nous montre que le dynamique et l’évolution démographique libanaise rend difficile l’équilibre du marché de travail ; par ailleurs, « la persistance d’un secteur informel, voire illégal, important rend difficile aussi bien l’appréhension de ces déséquilibres que l’élaboration d’un diagnostic », tel que le constate le rapport Fémise 2005.
C’est en effet l’accroissement de l’immigration qui constitue le facteur essentiel de ce déséquilibre : « Les déséquilibres du marché du travail sont, en outre, accrus par une immigration conséquente qui permet d’obtenir des coûts du travail très bas, avec des effets à double tranchant : d’une part, cela facilite et hâte la reconstruction du pays, mais d’autre part, cela influence durablement la structure des inégalités sociales. » La question qui se pose serait alors de comprendre comment cette opportunité de la reconstruction s’est-elle révélée au Liban au final un handicap ?
Le rapport Fémise nous avance que les conditions macro-économiques de la reconstruction, que nous avons évoquées dans tout ce qui précède, et notamment le ralentissement des investissements, ont contribué au déséquilibre du marché de travail. D’autant plus que les politiques gouvernementales ne prévoyaient clairement aucune disposition destinée à la régulation du marché. Par ailleurs, le marché du travail au Liban est caractérisé par « une demande contrainte par une capacité d’absorption limitée. » D’un autre côté, un ensemble de facteurs influence le dynamique du marché : un taux d’activité faible du marché, une structure changeante de la population, et la distorsion continue du marché.
D’un point de vue générale, l’inflation reste problématique pour l’évolution du salaire. Cette situation constitue un premier fait de la dégradation de la vie libanaise. Tout autant que le dynamique des salaires n’enregistre qu’une évolution positive à court terme (de 1993 à 1996), avant de se retrouver face à une baisse continue.
« Le rythme d’évolution des salaires est insuffisant en regard de l’inflation. Les ajustements de salaire se font principalement via le canal des rémunérations dans la fonction publique, ce qui entraîne un certain décrochage entre les salaires dans le secteur public et les rémunérations dans le secteur privé. Depuis la fin de la guerre, deux périodes très distinctes apparaissent. Entre 1993 et 1996, durant la première moitié du mandat d’Hariri, le niveau réel des salaires s’améliore sensiblement ; après 1996, le salaire réel a tendance à baisser, cette tendance étant plus forte dans le secteur privé. »
En outre, les moindres évolutions dans le secteur public ne peut se faire sans condition. En effet, la question des révisions des indemnités par exemple en constitue une illustration concrète, et confirme l’état de dégradation des choses. « En 1999, dans la fonction publique, une nouvelle grille des salaires a été mise en place après plusieurs années de discussion au Parlement. Cette réforme a permis de simplifier et d’harmoniser les quelques 200 à 250 catégories d’indemnités qui existaient précédemment. Ce vaste mouvement, sensé moderniser le fonctionnement de la fonction publique, a abouti à un ajustement à la baisse des salaires nominaux qui ont perdu entre 25% et 40% selon les niveaux de qualification. »
De même pour le secteur privé, l’instabilité du marché, avec une forte demande et moins d’offre, ne peut fournir de meilleure condition quant au dynamique des salaires. L’évolution du SMIC étant déjà minime reste encore plus évidente que celle du salaire même. « Dans le secteur privé, les revalorisations nominales du SMIC ont abouti à un resserrement de l’éventail des salaires, comme c’est souvent le cas dans les pays où l’offre de travail reste surabondante. Les hausses de salaires dans le secteur privé sont en général moins fortes que celles du SMIC. Quelques professions dans le secteur des nouvelles technologies échappent à cette tendance, en imposant des hausses de salaires supérieures à celles du SMIC, mais cela ne concerne qu’une frange marginale de la population. »
Par ailleurs, nous avons avancé que l’inflation gérait l’évolution des salaires. L’exemple de 1996 en constitue une confirmation. « Depuis la fin de la guerre, l’écart s’est creusé progressivement entre le SMIC et le salaire moyen, augmentant le nombre des travailleurs se rapprochant inexorablement de la ligne de pauvreté. A partir de 1996, est décrété un gel des salaires visant à lutter contre l’inflation, ce qui a accéléré le mouvement de paupérisation des salariés puisque, dans le même temps, l’inflation continuait à progresser bien qu’à des taux moindres. »
Le salaire joue donc comme élément déterminant de la politique économique et surtout monétaire. Les répercussions sur le salaire de ces politiques basées sur la régulation de l’inflation apparaissent comme facteur de rebondissement du salaire, ce qui n’enlève pas pour autant le problème de l’inflation, d’autant plus que c’est un vecteur de base du fonctionnement de l’économie d’un pays.
« Cette évolution de la masse salariale a renforcé les écarts de richesse sans que pour autant cela permette de dynamiser l’économie par un recyclage accéléré de l’épargne. Le caractère dual de l’économie libanaise est confirmé par des indicateurs comme la répartition des dépôts et des crédits bancaires. Une étude montre que ce sont 50% des dépôts qui sont contrôlés par 2% des comptes bancaires, tandis que 50% du montant total des crédits bénéficient à seulement 1% des emprunteurs en 1998. »
Il apparait évident que les réformes initiées au Liban constitue une machine de destruction à petite vitesse. Cela explique le fait qu’au départ de la reconstruction tout semble porter sur une amélioration alors que sur un objectif à long terme il est surtout question d’une dégradation inévitable, dans le sens des politiques entreprises. Autant de facteurs contribuent à justifier cette situation. En relation avec l’exemple des salaires, on constate un réel impact de l’évolution fiscale sur la population. L’augmentation des taxes d’importation pénalise au plus bas la population libanaise étant donné que le Liban est un grand importateur de PPN, et que d’une certaine manière l’ensemble unanime de la population ne peut supporter une telle charge, à l’exemple des travailleurs les plus pauvres.
Enfin, le dynamique des structures salariales a fait apparaitre une diversité de couches sociales en fonction des revenus et des moyens d’existence. Ce qui contribue à creuser les différences sociales et donc de ce fait cela a entrainé une aggravation des inégalités. « Cette évolution des salaires a modifié les rapports entre les classes sociales. Ainsi, dans les années 2000, le revenu salarial d’un ménage moyen est passé au-dessous de la ligne supérieure du seuil de pauvreté. La montée de la pauvreté est devenue particulièrement visible dans les centres urbains. »
Cet intérêt sur la pauvreté nous introduit à la section suivante. Il se trouve que cette aggravation de la condition de vie tournant autour du salaire prend comme effet trois choses : le déséquilibre du marché de travail et la décadence du salaire accroit d’abord, le nombre de chômeurs ; ensuite, la pauvreté gagne du terrain et pénalise la croissance globale du pays ; enfin, puisque le Liban n’offre pas de meilleure condition de vie, la population est plus tentée par l’émigration et donc de se construire une nouvelle vie à travailler dans un autre pays.
Section 2. CHOMAGE, PAUVRETE ET FUITE DU CAPITAL HUMAIN
Tant le chômage que la pauvreté et l’émigration constituent à la fois comme symptômes et conséquences de la décadence libanaise. Ce sont trois facteurs liés entre eux, et ensemble ils contribuent à décrire le mal qui broie le pays, bien ces éléments ne touchent qu’une partie de la population, puisqu’aussi difficile que cela parait, une partie de la population a su tirer profit de chaque situation, ou du moins elle a pu servir les conditions en vigueur à sa survie. Cela étant, le simple constat de ces phénomènes indique un affaiblissement de la vie sociale au Liban.
Le problème de chômage n’est pas un fait nouveau en ce qui concerne le cas libanais. Même bien avant la guerre, c’était déjà une situation apparente aux difficultés économiques et politiques du Liban. Quoiqu’il en soit, le rapport Fémise identifie le chômage, tout comme l’ensemble des contraintes du marché de travail, notamment l’écart entre l’offre et la demande de travail, comme une conséquence directe de l’absence de rendement, ou du moins une conséquence lente, des politiques de croissance entreprises par le gouvernement.
« La croissance lente, qui a résulté des plans économiques d’ajustement successifs, n’a pas stimulé suffisamment l’investissement privé pour déboucher sur une création d’emploi dynamique. Étant donnés les taux d’intérêt élevés imposés par des politiques économiques contradictoires, le financement du secteur privé et les coûts de production sont devenus rapidement élevés, limitant de ce fait l’expansion de l’investissement, la croissance économique et l’emploi. »
Il s’agit d’une limitation de l’emploi qui incombe à plusieurs facteurs. On peut recenser par exemple la structure même des entreprises sur le marché avec une prépondérance des entreprises à petite taille. Ce qui ne laisse pas beaucoup d’option d’absorption de la demande puisque les conditions financières, par rapport à l’accès au financement en cas de développement d’activité, et économiques, notamment au niveau des risques à encourir, puisque les entreprises en questions sont pour la plupart nées de la période d’après guerre et ne dispose dans ce cas d’une maturité rassurante, ne jouent pas souvent en faveur de ces entreprises.
« Selon une étude de l’Administration Centrale des Statistiques sur les sociétés libanaises, en 1996 et 1997, le nombre de sociétés était environ de 198 000, dont une majorité écrasante de micro-entreprises employant moins de 5 personnes (88% de l’ensemble des sociétés). Les PME, qui emploient de 5 à 49 salariés, représentent 8,1% de l’effectif, et les grandes entreprises seulement 0,5% de l’ensemble. Une des explications de ce morcellement est que ce sont celles dont la taille était la plus grande qui ont été le plus durement frappées durant la période de conflit. »
Par ailleurs, le manque de potentiels de compétitivité du Liban a également pénalisé l’évolution du marché intérieur du travail, de telle sorte que le Liban est face à une difficulté d’internationalisation de son économie, et donc d’attrait d’investissement étranger. « Malgré une volonté d’internationalisation de son économie, le Liban n’a pas su protéger et accroître sa compétitivité. Les décisions politiques prises ont eu pour conséquence un renchérissement des produits nationaux et ont rendu l’expansion des échanges ardue. (…) »
D’un autre côté, le manque de dynamique dans la modernisation de l’économie et les techniques libanaises joue aussi grand en perspective d’amélioration des conditions de travail des libanais. « Aujourd’hui, la seule possibilité pour le Liban d’accroître sa compétitivité internationale serait, en se basant sur ses PME, de chercher à attirer les sociétés multinationales en leur proposant des services de sous-traitance. Ceci nécessiterait néanmoins, à la fois de moderniser le tissu industriel, mais aussi de disposer de main-d’œuvre qualifiée, formée à cet effet. (…) »
Enfin, la répartition géographique des entreprises libanaises constitue également un handicap à l’évolution de l’emploi et des conditions de vie. « En termes d’essaimage sur l’ensemble du territoire, l’implantation des entreprises libanaises apparaît comme très déséquilibrée. Ce qui peut s’apprécier comme le résultat du dualisme économique, politique et culturel de la nation, d’une part, et des années de guerre, d’autre part. La concentration géographique et sectorielle des entreprises limite la croissance et l’emploi. »
- LE PROBLEME DE CHOMAGE
Nous avons vu que la population libanaise est caractérisée par un faible taux d’activité, bien qu’elle compte un accroissement déterminant de la population active. Cet écart contribue, à cet effet à expliquer le phénomène de chômage, correspondant l’inactivité d’un nombre important de la population.
« Le chômage au Liban est d’autant plus élevé que le taux d’activité de la population reste faible. Même si les chiffres officiels sont sujets à caution, le taux de chômage libanais ne cesse d’augmenter passant de 8,5% en 1997 à 11,5% en 2001. En outre, la structure des chômeurs s’est modifiée avec un nombre toujours plus important d’individus qui ont perdu leur emploi : en 2001, la majorité des chômeurs (autour de 64%) étaient des travailleurs qui avaient perdu leur emploi, alors que seulement 36% étaient primo demandeurs d’emploi. En 1997, la situation était inverse avec 60% de chômeurs qui n’avaient jamais travaillé. Ceci est dû essentiellement au ralentissement de la croissance économique observé depuis 1996. »
Comme nous l’avons déjà constaté auparavant, les conditions démographiques jouent un rôle prépondérant dans le contexte de l’emploi. Ainsi, les instabilités de la guerre ont poussé à une forte taux d’émigration des libanais, qui sont par la suite retournés au pays à la fin de la guerre et pendant la période de reconstruction. Ce qui a redéfinit encore une fois les opportunités d’emploi dans le pays.
« Durant la guerre, le chômage n’avait pas été un problème social de premier plan, car les vagues massives d’émigration ont diminué la taille de la population active. Mais, une fois sortis de la guerre et de la reconstruction, le chômage s’est accéléré avec le retour des Libanais dans leur pays. »
D’une certaine manière, le problème de chômage se constitue avec le constat des défaillances observées dans l’injonction des objectifs des politiques gouvernementales avec la situation réelle de la population libanaise. Le fait est que de toute notre analyse de réalisation, on constate une légère amélioration de la situation au début de la reconstruction, mais qui n’a pourtant pas duré du fait que ces améliorations ne prennent pas en compte les réalités sociales, une condition pourtant essentielle de l’aboutissement de la reconstruction. A cet effet, le chômage apparait comme première ligne d’affranchissement vers la pauvreté.
- LA PROBLEMATIQUE DE LA PAUVRETE
La dégradation des conditions de vie et le manque de recours en matière de politique sociale contribuent largement à l’aggravation de la situation sociale au Liban. D’autant plus que les conditions d’emploi ne permettent pas de satisfaire la demande croissante sur le marché de travail ; et que même la détention d’un travail ne garantie pas souvent une meilleure condition d’existence au Libanais.
L’ensemble de tous ces facteurs constitue les éléments déterminants de la pauvreté. Et le maintien des politiques gouvernementales assurerait une « progression continue » de cette situation de pauvreté. Le niveau de revenu de la population libanaise se situe à un niveau intermédiaire ; et les caractéristiques de ces indicateurs que nous avons énumérés plus haut nous permet d’identifier le Liban à une situation de pauvreté définie selon la ligne supérieure de pauvreté.
Pour parler de la situation exacte de pauvreté, nous allons nous référer aux constats établis par le rapport Fémise, qui constitue lui même l’assemblage des données récoltées auprès de différentes institutions publiques libanaises.
« Dans un rapport préparé pour la conférence de Copenhague en 1995, il ressortait que près de 30% des libanais vivaient en dessous de la ligne supérieure de pauvreté. Il ne s’agissait là cependant que d’estimations, contestables dans leurs fondements. À partir de 1997, et sur la foi des enquêtes du Ministère des Affaires Sociales et de l’Administration Centrale de la Statistique sur les revenus et les dépenses des ménages, une évaluation plus précise et moins contestable du niveau de pauvreté est devenue disponible. A cette époque, au Liban, la ligne supérieure de pauvreté équivalait à un peu plus de 800 dollars mensuels par ménage or, près de 60% des ménages libanais avaient un revenu inférieur à cette somme. »[46]
Enfin, les répartitions géographiques de la pauvreté nous permettent de constater un écart entre les valeurs, le milieu rural étant plus favorable à la pauvreté. « Sur la base d’une enquête du Ministère des Affaires Sociales environ 31,1% des ménages libanais vivent en dessous de ce seuil de pauvreté. Ce taux est encore plus élevé en milieu rural. »[47]
En ce sens, la négligence encourue par rapport à la question sociale dans la reconstruction a coûté au prix fort à la population libanaise. La situation s’annonce à tel point qu’il est difficilement réalisable un redressement immédiat et sans peine de la situation. Ce qui apparait encore plus difficile c’est la continuité de l’aggravation de la situation sans pour autant éveiller un soupçon de conscience de la classe dirigeante. Vu de cet angle, la solution de l’émigration apparait comme principale source d’opportunité pour les libanais. Ce qui explique l’accroissement des émigrés libanais pendant la reconstruction.
- LA FUITE DU CAPITAL HUMAIN
Selon le rapport Fémise, « Pendant les 15 années de guerre, l’émigration a été massive, la population cherchant la sécurité à l’étranger notamment aux Etats-Unis, en Europe et dans les pays du Golfe, en s’appuyant sur l’importante diaspora libanaise. Environ 600 000 libanais ont émigré entre 1975 et 2001, dont 45% après 1990, c’est-à-dire après la guerre. Le phénomène de migration s’est intensifié après 1995, probablement du fait des difficultés des autorités à assainir et stabiliser durablement l’environnement économique et politique » mais également social.
L’émigration libanaise n’est pas non plus une situation nouvelle. Et mieux encore, elle a permis à l’Etat libanais de préserver un certain potentiel économique pendant et au sortir de la guerre, du fait des flux de capitaux en provenance des travailleurs libanais, notamment dans les zones pétrolières. La fuite de la guerre, et par conséquent les conditions difficiles de l’époque en constituent les principaux facteurs.
La principale motivation de l’émigration libanaise reste la même, celle de la recherche d’une amélioration des conditions de vie, qu’il s’agisse de la période de la guerre civile ou celle de la reconstruction. En effet, les conditions que nous avons déjà énumérées plus haut en constituent les situations déterminantes de cette décision. Tout porte à croire qu’ailleurs la vie est plus opportune pour le Libanais ; en tout cas, ce qui est sûr, comme nous le savons, c’est que le Liban de la reconstruction correspond difficilement à l’idéal de vie sociale auquel le Libanais espérait.
Hamdan nous fait part de son point de vue : « dans l’ensemble le pays a perdu une grande partie de ses ressources humaines. Production de gens diplômés que l’on exporte et de manière mercantiliste exagération des effets bénéfiques des transferts qui proviennent de l’extérieur pour alimenter les dépôts qui à leur tour financent les déficits. » C’est toute une autre facette de l’émigration encouragée par le gouvernement même.
Bien que d’une manière générale, le marché du travail est assez restreint aux jeunes diplômés, ce qui renvoie immédiatement à l’émigration dans la recherche d’opportunités. Toujours selon Hamdan, il affirme que : « en réalité les secteurs économiques à l’exception de certains ilots comme les banques et le foncier sont en crise : agriculture, industrie, prédominance des micro-entreprises, informalités du marché du travail (50 pour cent du privé), le système des salaire au Liban ne crée pas d’opportunités pour les nouveaux diplômés afin qu’ils restent dans le pays. »
Ainsi, la situation ne peut que s’empirer. Les actions gouvernementales semblent jouer en défaveur du Liban. Ce qui nous amène à entrevoir des perspectives viables d’amélioration de la vie au Liban. En effet, notamment le point de vue sociale, qui est le principal objet de notre étude, ne constate dans l’ère haririenne qu’une décadence de la question sociale. Cette négligence a conduit à une guerre plus dure à combattre, alors que la population espérait un retour à un cours de vie normal. Le dernier chapitre qui suit nous servira de ce fait d’analyse d’un parcours qui pourrait être jugé plus opportun à l’avenir du Liban.
Chapitre 6. PERSPECTIVES SOCIALES DU LIBAN
Nous savons que le Liban est un pays qui possède avec un grand potentiel productif, tant au niveau du capital humain qu’au niveau du capital matériel. Nous avons également pu voir que la reconstruction libanaise est partie d’une base soumise à beaucoup de critique. En effet, les impacts sociaux que nous venons de traiter dans les deux chapitres qui précédent en disent beaucoup à ce sujet. Parler de perspectives nous renvoie au moyen à deux points : soit trouver les failles dans ce qui a été initié et repartir sur ces bases avec une meilleure considération de tous les éléments en jeu ; soit reprendre la reconstruction à partir de nouvelles bases et donc voir d’un autre angle la situation d’après guerre pour en produire de nouvelles politiques de départ.
Cette deuxième vision est à risque. Le fait est que le Liban a adhéré à suivre les idéaux de Hariri depuis le début de la reconstruction. Comme nous l’avons vu, les libanais voyaient en lui l’homme providentiel qui pouvait être le sauveur du Liban. Et de toute manière, la population était consciente qu’à chaque choix qu’elle devait faire, il existe un sacrifice. On ne peut à ce point changer le cours de l’histoire, mais l’améliorer. Aussi bien qu’il s’avère aussi dur pour les libanais d’admettre d’avoir perdu encore des années dans une nouvelle guerre qu’ils ont initié eux-mêmes, en mettant au pouvoir Rafic Hariri. Ce qu’il est possible de faire c’est de reconstituer les failles, avec une analyse considérable des vécues libanaises. C’est d’ailleurs un élément que le gouvernement Hariri a manqué de faire avant d’aborder les politiques et actions de la reconstruction.
Au constat d’un bilan difficile de la reconstruction libanaise, Corm (Darmency 2010) à ce point quelques orientations, du moins économiques, à considérer : « Pour rendre au Liban son potentiel culturel et économique, il faudrait abandonner le modèle rentier sur lequel nous vivons et très mal pour une grande partie des libanais. Il faudrait des efforts concertés du secteur privé, de l’Etat et du secteur éducatif pour sortir de l’économie de rente et entrer dans le cercle vertueux d’une économie productive mettant pleinement à profit les avantages comparatifs du pays (…). » Ce constat de Corm implique à revoir les atouts que dispose le pays et concorder avec cela des objectifs tenants et faisables, pour entrevoir une croissance efficace.
D’un autre côté, Hamdan, lors de son entrevue aborde également la partie positive du bilan de la reconstruction. En effet, la reconstruction n’est pas en soi constituée des seuls échecs de la dimension sociale. Et même la question sociale dispose également une phase d’amélioration par rapport à la situation de début. « Il faut revoir les rapports annuels publiés par le CDR pour comprendre comment les politiques de reconstruction dans les dizaines de secteurs ont évolué. En matière de santé par exemple, on assure maintenant ceux qui ne sont pas couverts par des systèmes de sécurité sociale et sanitaire (coopératives des employés, CNSS… qui dépendent de la contribution des bénéficiaires). Ce n’est que très récemment dans le cadre de la reconstruction que l’on s’est focalisé sur la réhabilitation et la création de nouveaux hôpitaux publics. »
Ce qu’il en est c’est que la reconstruction n’a pu donner de résultats plus ou moins positif qu’à un terme long. Les améliorations tenues dans les premières périodes de la reconstruction tiennent compte des atouts d’après guerre, et la continuité des politiques et gaspillages ont réduit ces atouts à de simples faits du passé, ce qui a induit à des conséquences négatives. Et puisque le processus de reconstruction est à effet lent, les résultats n’ont pu être reconnu que vers la fin de la première décennie des années 2000.
Hamdan nous avance ainsi que : « Il y a quelques années et contre toute logique on a réalisé des taux de croissance records ( 9 % annuel entre 2007 et 2010 jamais vu dans l’histoire du pays), ils n’étaient pas l’effet des politiques étatiques mais plutôt la conséquence d’une multitude de facteurs dont une bonne partie est exogène notamment les transferts provenant des Libanais émigrants, les investissements dans le foncier d’une partie de l’excédent pétrolier arabe, et le fait que le système bancaire n’ait pas été affecté par la crise internationale et ce non pas en raison de l’intelligence des décideurs politiques mais l’existence du déficit structurel du budget qui a impliqué une énorme dette public a rendu nécessaire pour les politiques monétaires et surtout en matière de taux d’intérêts, une tendance à maintenir et à contenir les dépôts dans le système bancaire libanais et non pas à les extérioriser. »
Nous aborderons ce chapitre en mettant en évidence deux éléments : les vertus du chehabisme (section 1) et la place du communautarisme (section 2) dans l’avenir social libanais, afin d’en tirer des perspectives viables au Liban.
Section 1. VERS UNE REHABILITATION DES PRINCIPES DU CHEHABISME ?
Chehab a été pour le Liban l’instigateur d’une certaine réforme dans le pays. La mission IREFED (1963) avance une caractéristique de la structure économique du Liban :
« Le Liban est en effet, un pays de structure économique très spéciale qui empêche de traiter son développement selon les schémas appliqués ailleurs. Deux économies de type très différent, se juxtapose au Liban : l’économie de mise en valeur des ressources naturelles, ou économique classique ; et l’économie d’une fonction internationale de liaisons rendue possible grâce aux aptitudes spéciales de la population et à un système complexe de présence libanaise dans le monde.(…) »
Ce constat dénonce d’une première vue les ambitions haririennes qui portent à donner au Liban l’image des pays développés occidentaux, alors que le parcours historique même ne correspond pas aux aspects libanais. C’est par exemple le cas du « rêve de Monte Carlo du Proche Orient ». Il est clair que le Liban ne possède pas les mêmes conditions que le Monte Carlo à sa création, non plus à sa tenue. Ce qui rend à qualifier ce projet d’une ambition démesurée et mal placée, du fait qu’il importait seule à son initiateur de voir une explosion de croissance sans pour autant analyser les forces et faiblesses de la nation libanaise, une démarche qui honorerait la vision chehabienne.
A ce propos, Hamdan nous partage son point de vue dans son constat d’une absence de vision futuriste : « Dans une grande mesure j’approuve cette thèse de Fouad Chehab. Je pense qu’il a été le premier à tenter de faire sortir le pays des constats capitalistes primitifs où la loi du marché faisait tout et où l’on restait cantonné à une idéologie selon laquelle le social est un résidu et pour que l’économie fonctionne, il faut donner au marché toute liberté possible. Ce constat suppose qu’avec un taux de croissance relativement élevé les problèmes sociaux seront résolus »
Il continue également avec un exposé de la vision de Chehab : « Chehab avait compris au lendemain de la mini-guerre civile de 1958 que la division entre les Libanais sur la question nationale arabe dissimulait d’autres divisions beaucoup plus liées aux inégalités sociales entre régions, secteurs et différents groupes sociaux. Une des thèses fondamentales de Chehab dans l’étude de la mission IRFED se rapporte à la polarisation excessive du revenu national dans les mains d’une classe qui accaparait le tiers du PIB. Aujourd’hui nous ne sommes pas très loin de cette situation, les choses se sont sans doute envenimées depuis l’ère chehabienne. On manquait de vision économique et surtout social, le cadre institutionnel visionnaire faisait défaut. »
De son côté, Charara voit le retour au chehabisme comme suit :
« Fouad Chehab a échoué dans sa tentative de modernisation de l’Etat parce qu’il a été confronté au mur d’argent, le grand capital qui refuse que la politique change. Pour sortir de cet état de fait, il faut démanteler le système communautaire au Liban, mais la solution ne peut pas venir uniquement du Liban, je pense que l’on doit aller vers un marché économique régional arabe pour véritablement penser une dynamique de développement. On est devant une nouvelle situation aujourd’hui, les peuples arabes qui étaient sous la chape de plomb se sont soulevés. »
Charara avance donc que les changements qui se sont opérés au Liban et dans l’ensemble du monde arabe même ont changé la donne pour envisager un retour au principe du Chehabisme.
« Si les gouvernements qui vont se constitués ne mènent pas des politiques qui répondent aux revendications des populations, ils seront sanctionnés lors des échéances électorales. C’est une nouvelle donne fondamentale. Le peuple est l’acteur du changement, les politiques économiques ne sont pas simplement le fruit des décisions d’une poignée d’expert, elles correspondent aux intérêts de forces sociales particulières. Les politiques économiques mises en œuvre depuis l’indépendance correspondent aux intérêts des classes dominantes (grande bourgeoisie bancaire, classe commerçante…). En face, il doit y avoir un mouvement social qui porte la revendication de la réforme et qui exerce des pressions. Le projet du changement doit être porté par tous ceux qui ont intérêt à ce que le système se réforme, ils sont nombreux à devoir mener ce combat social. »
Bien qu’il est question de prendre en compte toutes les nouvelles conditions qui s’imposent à chaque vision de croissance libanaise, on peut constater un net écart entre les principes haririens et chehabien, ce qui s’est d’ailleurs posé comme problématique de cette recherche. Ainsi, Hamdan voit les choses comme suit :
« En faisant cette analyse comparative on doit en déduire le besoin nécessaire d’aller vers de nouvelles politiques beaucoup plus en conformité avec les grandes thèses que l’ère chehabienne a posé en matière de développement équilibré en terme d’espaces, de secteurs, de services publics fournis et financés par l’argent public. Renouer avec les thèses chehabienne serait quelque chose de positif mais l’efficacité de ce renouement dépendra beaucoup du système politique. »
On peut donc en déduire que le Liban aurait à gagner dans ce retour au principe chehabien, du moins cela ne peut se faire sans conditions. Sur ce point Hamdan continue que : « Moi je reste à 100 % convaincu qu’il ne peut y avoir de vraie solution au dilemme social au Liban tant que l’on n’aura pas coupé court avec le système politique confessionnel. Aujourd’hui ce que l’on sent en tant que consultant et chercheur, c’est que les futures communautés essaient de créer chacune leur self social security system au dépens du système public, et ceci approfondit et consolide les liens de dépendance communautaire aux dépens de l’entité national et de la citoyenneté. Donc oui pour une reprise des principales thèses de Fouad Chehab en matière sociale et économique mais j’ajouterai dans le cadre d’un Etat sécularisé, d’ un système civique, de citoyenneté où chacun aurait une liberté de croyance et de religion. »
Tant Charara que Hamdan nous avancent sur un point commun qui est la réforme du système communautaire au Liban. Ce qui nous introduit à notre dernière section. Il s’agit de voir si le communautarisme constitue un obstacle à toute reconstruction sociale au Liban.
Section 2. LE COMMUNAUTARISME : UN OBSTACLE A TOUTE RECONSTRUCTION SOCIALE ?
Nasnas (2007) propose trois conditions de la viabilité économique et politique du Liban :
- l’augmentation des revenus et le niveau de vie tout en réduisant le besoin d’assurer un soutien de revenu à travers un patronage confessionnel et politique ;
- le financement des principales composantes du contrat social, y compris l’éducation, la santé, et les indemnités de fin de service ;
- et le soulagement du fardeau de la dette du secteur public ce qui réengagerait les banques dans le processus de financement du secteur privé.
La simple évocation du système confessionnel dans ces trois conditions renvoie à l’importance donnée à son égard dans le fonctionnement de l’économie libanaise. En effet, le Liban s’est toujours organisé de façon à accorder cette importance au communautarisme, étant donné l’obligation d’appartenance confessionnelle qui fait cours au pays. D’autant plus que ce sujet a été depuis considéré un élément susceptible sur lequel dépend la paix au Liban. En tout cas, c’est sur ce point de vue que bon nombre d’auteurs ou de chercheurs se sont trompés par manque d’approfondissement à leurs analyses quant à la problématique de l’équilibre confessionnel au Liban.
Cet équilibre est crucial, du fait que son respect garantit la paix au Liban. Il n’est pas tout à fait question de s’intéresser à une confrontation entre les différentes communautés mais, on tend à évoquer cette fragilité de la relation confessionnelle comme source exploitable de conflit entre libanais. Bien que cette lutte concerne déjà une réalité libanaise. En effet, Dagher (2002) avance que le conflit au sein du communautarisme rejoint une lutte de politique de départage des recettes publiques : « des luttes que les membres du personnel politique se livrent les uns aux autres, pour l’appropriation privative des ressources publiques. »
D’une manière générale, Hamdan évoque que le départage du pouvoir dans le système confessionnel n’apporte pas vraiment de véritable signification, aux vues des analyses des résultats. En ce sens il avance, notamment à l’égard de la communauté chiite au pouvoir que :
« Ce qui a toujours était déterminant au niveau de la production d’un genre d’équilibre ou statu quo entre les factions libanaises au pouvoir (clan haririen d’un cote et chiisme politique) c’est la logique du rapport de force syro saoudien, et non pas tellement que les ententes sur les programmes économiques et les politiques sociales. Ce rapport de force (alliance et désalliance entre les saoudiens et les syriens) se répercutait sur les partenaires libanais qui en sont partie prenante. Mais jamais jusqu’à maintenant, je n’ai senti qu’il y avait un agenda et une véritable vision économique et sociale intègre et détaillée dans les rangs du camp chiite. »
Il continue également que :
« Depuis quelques semaines, l’appui que le hezbollah a donné au dossier de l’ajustement des salaires s’explique par le souci de renforcer à nouveau son alliance avec les aounistes. Les relations s’étaient précarisées en raison d’un manque de vision économique et sociale, alors même que les aounistes essaient de se distinguer des autres factions par l’élaboration de politiques et de stratégies en matière d’économie, de fiscalité, de services publics… Pour le hezbollah l’essentiel est de préserver la résistance armée et il est prêt à tout faire pour servir cet objectif. Le chiisme politique n’a jamais élaboré de vision économique et sociale, c’est souvent au cas par cas et en vue de sauvegarder d’autres objectifs, consolider ses assises. »
A cet effet, des initiatives de laïcisation du gouvernement libanais conduirait à élargir les champs d’actions gouvernementales. Il serait consacré plus d’attention au sens propre de la croissance et de toutes les véritables contraintes et opportunités qui s’y rattachent. En effet, on éliminerait le poids de l’équilibre confessionnel qui se pose comme une contrainte essentielle de la reconstruction libanaise. Il ne serait plus question d’un partage de pouvoir entre communautés mais d’une attribution du pouvoir aux seules élites destinées à servir le peuple tout entier et non une partie seulement qui correspond à leur appartenance communautaire.
CONCLUSION
Si l’on reconstitue l’ensemble des événements de la reconstruction libanaise, on peut avancer le fait que c’est surtout l’influence de Rafic Hariri qui a joué durant sa période de règne à défendre sa position de puissance, puisqu’au constat de Georges Corm (Darmency 2010) quand bien même qu’il soit mort, son reste parmi ceux qu’on ne peut oublier et qui couvrent encore toute son influence. Ce qu’on peut dire sur la période haririenne, c’est que cette période a annoncé une modalité de croissance pour le Liban, mais one peut manquer de signifier que c’est surtout une période assez rude qui a volé toute espoir d’une vie modèle pour l’ensemble des libanais.
Il s’avère évident que les atouts économiques, d’homme d’affaire puissant n’a pu servir en fonds au bien être de la population libanaise notamment en ce qui concerne la dimension sociale de la reconstruction. Nous l’avons vu, le plan social est une défaillance plus ou moins totale. Le contexte politique et économique est d’autant plus le facteur essentiel qui a encouragé la parfaite dégradation du social au Liban. Tant que l’intérêt personnel réside dans les motivations et l’aboutissement des actions à entreprendre, le Liban ne peut prétendre une meilleure condition orientée vers un objectif d’intérêt général.
Remédier à ces débauches n’est pas chose facile, d’autant plus qu’il s’agit d’une dizaine d’années de vie libanaise à reprendre en main. Notre étude propose de revoir tous les points qui ont été ignorés par les politiques haririennes, et celles qui ont été pris en compte, à voir dans un angle nouveau désintéressé, pour pouvoir repartir d’une nouvelle base d’amélioration de la vie sociale libanaise. Ces points paraissent essentiels. Et on ne peut y recourir qu’après avoir établi une évaluation complète de la période haririenne, comparée d’une part aux expériences passées et d’autre part aux ambitions futures du Liban.
La question du confessionnalisme a également été soulevée dans les perspectives. Elle se justifie du fait que le Liban est un Etat avec un système confessionnel. Cette question trouve son intérêt dans l’objectif d’une laïcisation de la gestion de l’Etat, et également dans le but de prémunir des conflits d’intérêt à vocation confessionnelle par rapport à l’importance de chaque religion dans la gouvernance du pays. D’une façon générale, c’est une question à laquelle le Liban doit débattre tôt ou tard pour le bien être du pays.
Le Liban est donc un pays qui dispose encore d’un grand potentiel à tous les niveaux. Le plus important est de trouver un point de conscience nationale qui répond aux attentes réelles du peuple avant de servir les idéologies fixées à tort en vue d’une croissance imminente, mal placée pour un pays qui pense encore ses blessures de guerre et les séquelles de la reconstruction. C’est dans ce principe qu’il serait idéal de trouver la voie vers un avenir meilleur au Liban.
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[2] Beydoun A., 1993, Le Liban : itinéraires dans une guerre incivile, Karthala, 236p.
[3] http://www.oeuvre-orient.fr/page-liban-une-forte-instabilite-politique-sociale-et-securitaire-91.html
[4] Rizk C., 1966, Le régime politique libanais, Librairie générale de droit et de jurisprudence, Paris, 170 p.
[5] Corm G., Géopolitique du conflit libanais, La découverte, Paris, 260p.
[6] Chiha M., 1964, Politique intérieure, Publications de la fondation Chiha, Beyrouth, p. 234
[7] Join-Lambert M-Th. 1994, Politiques sociales, Première partie, Presses de la Fonndation nationale des Sciences politiques, Dalloz.
[8] Abi Khalili A., 2008, Le Liban d’après-guerre: Le chantier artistique pour la mémoire, p. 12.
[9] Haddad S., 1999, 13 Avril 1975 – 13 Avril 1999 – Les fantômes de la guerre et l’amnésie officielle, L’Orient-le-Jour.
[10] Messara A., 2000, Commémoration – Pour que la guerre de 1975-1990 soit bien la dernière – le 13 avril, ou la constitution nationale, L’Orient-le-Jour.
[11] Haddad S., 2001, Le bilan après la guerre – Une mémoire en souffrance, L’Orient-le-Jour.
[12] Corm G., 2005, L’économie libanaise: risques et perspectives, Accomex, septembre, 9p.
[13] Corm G., 1969, « Démographie et miracle libanais », revue Travaux et Jours, Beyrouth.
[14] Corm G., 2004, La situation économique du Liban et ses perspectives de développement dans la région, Confluences Méditerranée, n°49, p. 149-159.
[15] En 1986, le Parlement libanais a voté une loi empêchant les autorités politiques et monétaires de disposer du stock d’or, de le vendre ou de le gager.
[16] Plan de réhabilitation économique du Liban, Conseil du Développement et de la Reconstruction – Bechtel International, 1991 (document dactylographié). Par la suite, en 1994, le premier gouvernement présidé par Rafic Hariri fait établir un plan décennal de 18 milliards pour la reconstruction.
[17] Corm G, 2003, Le Liban contemporain. Histoire et société, Paris, La Découverte, 318p.
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[19] http://www.regard.eu.org/Politique.monde
[20] Dubar C., 1974, Structure confessionnelle et classes sociales au Liban, Revue française de sociologie, p. 301-328.
[21] Picard E., 1994, Les habits neufs du communautarisme libanais, Cultures et conflits n°15-16, p. 49-70.
[22] Lapierre P., 2010, Franchiser l’hégémonie : éléments de rupture et de continuité dans l’ordre social post-guerre civile du Liban des années 1990, Université du Québec à Montréal, 138p.
[23] Picard E., 2001, Le système consociatif est-il reformable? Contribution au colloque: The Lebanese System: a Critical Reassessment, AUB, p.24.
[24] Khoury E., 2001, l’hebdomadaire, Moulhac an-nahar, 30 juin.
[25] Wakim N., 1998, Les mains noires, Société d’impression, de distribution et d’édition, p. 6.
[26] Dagher A., 2002, L’Administration libanaise après 1990, Contribution au colloque sur: “ Le Modèle de l’Etat développemental et les défis pour le Liban”, 31p.
[27] Akl Kawerk M-Th., 2008, Des réformes concevables dans les systèmes politiques libanais et français, Juriscope, 18p.
[28] Hamdam K-, 2000, Le social dans la reconstruction du Liban :éléments de réflexion, Maghreb, 14p.
[29] Femise, 2005, Profil pays Liban, Institue de La Méditerranée, 166p.
[30] Nasnas R., 2007, LeLiban de demain: vers une vision économique et sociale, Dar An-Nahar, p.64.
[31] Bèchara H., 2005, Impact de la fiscalité sur la consommation et l’économie, The Certified Accountant, n°21, p. 75 – 79.
[32] Nahas C., Rapport sur la vision de développement pour le Lban, Development program 2006-2009, p. 46-60.
[33] Nahas C., 2005, Un programme socio-économique pour le Liban, mai – décembre, p. 42.
[34] Naba R., 2011, Rafic Hariri, mythe ou mystification, Libanews, février, http://libnanews.com/2011/02/12/rafic-hariri-mythe-ou-mystification/
[35] Rozelier M., 2011, Georges Corm : le néolibéralisme est un système aussi simpliste et totalitaire que le marxisme, interview, Le commerce du Levant, janvier, p. 34-35.
[36] Corm G., 2010, Le nouveau gouvernement du monde, idéologies, structures, contre-pouvoirs, La découverte, 298p.
[37] Wagener M. C., 2011, Les causes économiques des révolutions arabes: néolibéralisme, économie de rente et dictature, Rapport de Conférence donnée par Georges Corm, juillet, 2p.
[38] Bourdieu P., 1998, L’essence du néolibéralisme, Le monde diplomatique, 6p.
[39] Klein N., 2008, La stratégie du choc. La montée d’un capitalisme du désastre, Actes Sud, 669p.
[40] Darmency D., 2010, Georges Corm : Au-delà d’une partie infime du Liban, “le pays est à mon sens en décroissance permanente et en voie de désertification”, L’oriental.
[41] Johnson M., 1986, Class and Client in Beirut: the Sunni-Muslim Community and the Lebanese State, Ithaca press, p.41-106.
[42] Picard E., 1988, Liban, Etat de discorde, Gallimard, Paris, p. 87-89.
[43] Leenders R., 2001, Public Means to Private Ends: State Building and Power in Post-War Lebanon, contribution au colloque de l’AUB, The Lebanese System: a Reassessment, 15-17 mai.
[44] Medard J. F., 1982, L’Etat sous-développé en Afrique noire: clientélisme politique ou néo-patrimonialisme ?, Centre d’Etudes d’Afrique Noire, Bordeaux.
[45] Ingels C., 1999, L’Adminstration libanaise au sortir du conflit civil: permanence de l’enjeu politique partisan et impératifs fonctionnels de la reconstruction à portée nationale, Thèse, I.E.P. d’Aix-en-Provence, p. 14.
[46] Administration Centrale de Statistique, 1997, Conditions de vie des ménages au Liban.
[47] Ministère des Affaires Sociales, 1996, Housing & population database survey.
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