L’Immeuble en Droit Pénal : Entre protection négligée et débordement des valeurs protégées
Le droit pénal est la science par laquelle on appréhende le phénomène criminel. Il constate ce dernier, quantitativement et qualitativement il l’explique ou tente de le faire ; il cherche à le réduire, à défaut de pouvoir l’éradiquer. Ensuite, il prononce la peine qui correspond au phénomène criminel. C’est sans doute la raison pour laquelle, le droit pénal appréhende si peu la question de l’immeuble.
Le sort de l’immeuble en particulier et des biens en général est en effet régit par le code civil : « point n’est besoin de peines là où le droit des biens remplit parfaitement son office »[1]. C’est donc dans le droit civil que l’on peut trouver une définition juridique de ce qu’est l’immeuble, le droit pénal ne s’étant jamais donné la peine de le définir, ni de déterminer qu’est-ce qui différencie le bien meuble du bien immeuble.
La division des biens est posée avec une solennelle simplicité par l’article 516 : « Tous les biens sont meubles ou immeubles ». Cette division bipartite implique à l’évidence que, quelle que soit sa nature, tout bien puisse être versé dans l’une ou l’autre catégorie. Les considérables variations que l’on constate dans la nature physique des biens laissent néanmoins penser que ce mode de répartition unique réclame d’être affiné pour être opératoire.
De fait, pour peu que l’on veuille simplement énoncer le système qui préside à la division de l’article 516, il convient de distinguer la division des biens corporels de celle des droits, sans préjudice d’aménagements de détail. Sous les apparences d’une division simple se dissimulent ainsi des catégories passablement hétérogènes, dont l’unité ne peut apparaître qu’incertaine.
La distinction des biens corporels est fondée sur une particularité physique, par nature non susceptible d’extension aux biens incorporels, qui est énoncée pour les meubles mais se déduit a contrario pour les immeubles.
L’article 528 définit les meubles par leur mobilité : « Sont meubles par leur nature les biens qui peuvent se transporter d’un lieu à un autre. ». On peut aisément en conjecturer que les immeubles sont identifiables au fait qu’ils ne sont pas susceptibles d’être déplacés, que ce soit par leur propre force ou celle d’un autre.
Cette idée de déplacement est néanmoins trop grossière pour être opératoire – ce qui est aussi vrai aujourd’hui que ce l’était hier. Bien des choses se déplacent que l’on n’hésiterait pourtant pas à ranger parmi les immeubles, comme en témoignent des migrations répétées du patrimoine architectural ancien vers des pays neufs, cloîtres, églises ou châteaux.
Aussi bien est-il périlleux de se fonder sur une apparente fixité des choses, alors que l’on parvient aujourd’hui à presque toutes les déplacer. Il reste que, quels que soient les moyens de déplacer les choses que les techniques actuelles multiplient, il y a un bien qui par essence n’est pas susceptible de se déplacer : le sol.
Encore cette immutabilité n’est-elle certaine que si on ne le considère pas comme une surface physique faite de matière – car celle-ci est toujours déplaçable -, mais bien comme une portion idéale de l’écorce terrestre. C’est autour du sol ainsi compris que l’on peut ancrer la distinction, comme le code civil l’avait d’ailleurs aperçu.
En apparence, c’est l’article 528 qui sert de pivot à la distinction des biens, qui définit le meuble par sa mobilité ; de façon plus convaincante, le pivot de la distinction doit être recherché dans l’idée d’attache matérielle au sol, à cette découpe abstraite de l’écorce terrestre.
Dans une perspective classique, est ainsi immeuble non ce qui est immobile, mais ce qui est attaché au sol de telle façon que son toujours possible déplacement implique néanmoins un descellement physique.
L’avant-projet de réforme du droit des biens s’est montré sensible à cette conception, qui énonce à l’article 527 que « par leur nature, sont immeubles les parties déterminées de l’espace terrestre. Sont ainsi immeubles : les fonds, les volumes, les constructions et végétaux qui s’y trouvent, ainsi que toutes les autres choses qui s’y incorporent ».
Dans l’ordre de la reconstruction logique, on dira d’abord immeuble la matière qui comble effectivement la portion d’écorce terrestre – soit le sol communément entendu, encore que la terre végétale, les roches, minerais ou fluides qui le composent soient par nature des biens déplaçables, et donc des meubles -, puis tout ce qui tient à ce sol, que ce soit à la suite d’une croissance naturelle (les végétaux) ou d’un développement artificiel (les bâtiments).
Afin de ne pas nous étendre trop inutilement sur le sujet, nous allons limiter cet effort de définition aux seuls immeubles par nature. La direction de notre travail nous permet en effet de dire que seuls ces deniers seront réellement pertinents dans le cadre de cette étude.
Lorsqu’il s’intéresse aux immeubles par nature, le Code civil évoque les « fonds de terre » et les « bâtiments »[2] – en ce compris les « moulins »[3] –, ainsi que les végétaux[4]. Une telle énumération rend cependant mal compte de ce qu’est fondamentalement un immeuble par nature.
La notion d’immeuble par nature désigne au premier chef le cône qui part du centre de la terre, traverse l’écorce terrestre en délimitant un fond de terre, et se projette dans l’espace. Autrement dit, tant le sol[5] que le sous-sol[6] et l’espace qui se trouve au-dessus du sol forment l’immeuble par nature.
C’est ce qui ressort de l’article 552 al. 1 C. civ. qui dispose : « [l]a propriété du sol emporte la propriété du dessus et du dessous »[7]. Autrement dit, l’immeuble par nature se caractérise essentiellement par un espace, plutôt que par sa corporalité[8].
Les intérêts de la distinction des meubles et des immeubles ont été fondamentaux dans le code civil de 1804 ; s’ils sont moins importants aujourd’hui, ils demeurent néanmoins présents de façon résiduelle, à la façon d’une tradition, et l’on pourrait souhaiter qu’en cas de réforme d’ensemble du droit des biens ils ne soient pas tous conservés[9].
En effet, contrairement à une idée largement reçue, ce n’est pas la fixité des immeubles ou la mobilité des meubles qui explique ou justifie en soi le degré de protection dont ils font l’objet ; c’est à l’inverse la volonté de protection de telle ou telle catégorie qui est rendue plus ou moins difficile par des caractéristiques physiques telles que la mobilité.
Aussi bien le fait que les immeubles continuent d’être fixes et les meubles mobiles ne laisse-t-il pas présager de l’évolution de la volonté de protection dont ils sont l’objet. Pour savoir si la distinction conserve des intérêts juridiques substantiels, il conviendrait davantage de se demander si le désir que nous avons de protéger les immeubles est aussi vif qu’il l’a été dans la civilisation rurale de la fin du XVIIIe et du début du XIXe siècle.
En soi, la propriété des meubles n’est pas différente de la propriété des immeubles : pour la première fois dans le code civil, la propriété a été définie comme notion unitaire, protégée et garantie par les articles 544 et suivants, et les attributs principaux en sont identiques que l’objet en soit mobilier ou immobilier. Il reste que le régime de cette propriété est mieux organisé en matière immobilière, d’où semble résulter une certaine protection de l’immeuble qui n’est pas le lot des meubles. Encore faut-il bien relever que cette apparente faveur immobilière n’est pas toujours l’effet d’une volonté : tantôt, l’immeuble est préservé à raison même de ses caractéristiques physiques. d’autres fois, il apparaît clairement que l’on a voulu lui éviter une destinée aventureuse, admise en revanche pour les meubles.
L’intérpêt de la distonction est relié à la singularité de l’immeuble. Tel qu’il a été défini, l’immeuble est une portion de l’écorce terrestre ; du point de vue politique, il est donc par nature une portion du territoire sur laquelle s’étend la souveraineté étatique, et l’on n’aura aucun mal en conséquence à concevoir son importance stratégique. L’agencement de l’ensemble foncier français recouvre l’étendue du territoire, et la capacité des individus à aller et venir est directement fonction de la maîtrise juridique dont dispose l’État sur cet agencement.
C’est ainsi que si l’organisation immobilière constitue un réseau à mailles serrées, ce n’est pas en soi parce que l’immeuble est fixe, mais parce que l’étant, il recouvre un territoire dont le libre parcours doit être garanti et organisé. S’il y a des éléments de liberté individuelle dans le régime de l’appropriation des meubles, il est manifeste que les libertés publiques sont en cause s’agissant des immeubles.
De plus, l’immeuble étant fixe, il est nécessairement unique. Certes, tous les biens le sont dès lors qu’ils ont été individualisés. Mais précisément, la confusion immobilière est bien moins facile qu’en matière de meuble, ce qui explique que l’idée même de fongibilité ne s’applique qu’exceptionnellement aux immeubles[10].
D’où le fait qu’en organisant la répartition foncière par le cadastre ou le registre hypothécaire, le droit français va au-delà d’un contrôle tatillon de la propriété : il garantit l’identité des immeubles pour les rares cas où il pourrait y avoir confusion, ce qui a présenté quelques avantages dans le cas des lots de copropriété. Cette identification claire de l’immeuble produit au surplus quelques conséquences concrètes, par exemple sur le terrain de la preuve de la propriété.
D’autres spécificités de régime tiennent à cette fixité sans relever d’objectifs de protection clairement discernables, puisque le droit s’est parfois contenté de tirer parti de l’immobilisme, sans a priori idéologique. Il en va par exemple ainsi des règles de compétence juridictionnelle.
Il existe une compétence réelle immobilière spéciale, attribuée par l’article 44 du code de procédure civile à « la juridiction du lieu où est situé l’immeuble », alors que rien de tel n’existe en matière mobilière. On peut considérer que cette attraction processuelle est liée à des impératifs de bonne justice, tels que le transport sur place ou la nomination d’experts, qui ne dénotent pas de volonté de protection particulière.
On peut en revanche se demander si un désir de protection ne transparaît pas dans la soumission des actions réelles immobilières à la compétence exclusive du tribunal de grande instance (COJ, art. R. 321-22, interprété a contrario).
De la même façon, le droit international privé français fait une différence entre les meubles et les immeubles, qui ne paraît pas due à une volonté de protection de la propriété immobilière. Si l’article 3, alinéa 2, du code civil prévoit que « les immeubles, même ceux possédés par des étrangers, sont régis par la loi française », ce qui donne au propriétaire foncier l’avantage de sa propre loi, cet article a été étendu aux meubles (Req. 19 mars 1872, DP 1874. 1. 475, S. 1872. 1. 238), après avoir été bilatéralisé par la jurisprudence.
D’où il résulte aujourd’hui que meubles comme immeubles sont soumis à la lex rei sitae, encore que le lieu de situation de l’immeuble emporte en soi une attraction autrement déterminante (il fait échec au jeu des art. 14 et 15 c. civ., il fait présumer des liens les plus étroits selon l’art. 4, § 3, de la Convention de Rome du 19 juin 1980). Cette particulière attraction se manifeste notamment en matière successorale, puisque la dévolution successorale des immeubles est soumise à la loi du pays où ils sont situés, tandis que les meubles sont fictivement localisés au dernier domicile du de cujus où ils sont fondus dans la masse patrimoniale.
Mais l’intérêt réside également dans la volonté de protection de l’immeuble. La propriété immobilière est d’abord organisée par un régime de publicité foncière, perfectionné par le décret no 55-22 du 4 janvier 1955[11]. Cette publicité permet de connaître, selon l’article 1er de ce décret, « la situation juridique actuelle des immeubles ».
En résulte la possibilité de suivre effectivement les droits immobiliers dans leurs évolutions successives. La publicité est en revanche inorganisée en matière de meubles, ce qui signifie qu’elle existe sans être pour autant aussi efficace.
Dans certaines hypothèses, le droit y parvient par l’organisation de registres (meubles immatriculés, brevets, signes distinctifs) ; dans d’autres domaines, la publicité est empirique : c’est la possession qui en tient lieu pour les meubles corporels, l’information du débiteur pour les créances.
Le régime des meubles et des immeubles diffère encore du point de vue de la possession. Certes, encore une fois, celle-ci est identiquement définie dans l’un et l’autre cas par l’article 2228 du code civil, où la doctrine voit l’alliance du corpus et de l’animus domini. Mais on relève que ces deux caractéristiques sont mieux observables en matière d’immeuble, et qu’en matière mobilière la possession se confond parfois avec la simple détention matérielle.
Surtout, les conséquences de cette possession diffèrent : si la possession permet d’usucaper un immeuble au terme d’une durée importante (c’est la prescription trentenaire du nouvel art. 2272 C. civ. [anc. art. 2262]), les effets de la possession sont radicaux en matière mobilière, le très célèbre article 2276 (anc. art. 2279) énonçant que « en fait de meubles, la possession vaut titre » (pour une application anticipée de cette disposition, V. C. civ., anc. art. 1141 [devenu art. 1198, § 1er, réd. févr. 2016]), qui permet de trancher le conflit de propriété dans la double vente successive d’un meuble).
Les sûretés réelles sont différentes selon que l’assiette en est mobilière ou immobilière. Si l’hypothèque et le gage immobilier (ancienne antichrèse, appelée « gage immobilier » depuis la loi de simplification du droit no 2009-526 du 12 mai 2009 [JO 13 mai]) sont réservées aux immeubles (sans préjudice des hypothèques mobilières applicables à certains meubles immatriculés), le gage s’applique aux meubles corporels et le nantissement aux meubles incorporels.
La distinction des sûretés emporte des conséquences notables quant aux utilités des biens. Mais on est très loin des enjeux originaires. Le gage supposait en effet dépossession du bien au profit du créancier gagiste, de telle manière que le propriétaire perdait le bénéfice des utilités de la chose s’il voulait faire fond sur sa valeur ; tout autre est le régime de l’hypothèque, qui, n’impliquant pas de dépossession, permet au propriétaire de tirer certaines utilités économiques de la chose en en faisant un objet de garantie, tout en continuant de jouir de sa possession.
Manifestation typique d’une notable protection immobilière est l’admission par le code civil d’une action en rescision pour lésion dans la vente d’immeubles (art. 1674). Certes, PORTALIS a nié qu’il s’agît d’une volonté de protection, affirmant avoir réservé l’action aux ventes immobilières parce que « la valeur des biens mobiliers est tellement variable, qu’il est très difficile de la fixer, et alors on n’a plus de règles pour discerner la lésion. La valeur des immeubles change aussi sans doute ; mais la variation est bien moins rapide : on sait ce que vaut un immeuble dans un temps, dans des circonstances, dans un lieu donnés. On a donc des termes de comparaison pour juger si le vendeur se trouve lésé »[12].
Il n’empêche que l’admission de l’action en rescision se retrouve dans d’autres hypothèses où la volonté de protection est toujours manifeste : le code civil l’avait prévue en matière de partage (art. 887) ; la législation ultérieure l’a admise dans les ventes d’engrais ou les cessions de droits d’auteur, la jurisprudence pour les offices ministériels.
On observera encore d’importantes divergences dans les modalités des procédures d’exécution applicables aux meubles et aux immeubles : il est bien plus facile de saisir et faire vendre un meuble, et ce d’autant plus que la saisie mobilière a été réformée et adaptée aux exigences modernes des biens par la loi no 91-650 du 9 juillet 1991 (JO 14 juill., rect. 12 mai 1992), alors même que la réforme annoncée de la saisie immobilière ne semble pas près d’être mise en chantier.
D’où un déséquilibre qui ne fait qu’aggraver celui qui a toujours existé en la matière, aux termes duquel il est toujours plus facile et plus expédient de saisir un meuble qu’un immeuble, ce qui ne fait que consolider la protection traditionnelle des immeubles.
Quoique de façon moins pertinente, on peut encore montrer la supériorité des immeubles sur les meubles en évoquant l’impossible attraction des premiers par les derniers. Le code civil a largement prévu qu’un ou plusieurs meubles deviennent les accessoires d’un immeuble avec lequel ils feraient bloc (c’est l’immobilisation par destination des art. 524 et 525 c. civ.).
En revanche, le code civil n’a pas prévu et la jurisprudence a toujours refusé qu’un immeuble fasse corps avec un meuble, aussi important soit-il. C’est ainsi qu’une des limites les plus dommageables à cette universalité de fait qu’est le fonds de commerce tient à ce que les murs ne peuvent y être compris, preuve qu’un immeuble ne peut jamais devenir l’accessoire d’un meuble quel que soit le besoin[13].
Voilà donc en ce qui concerne la summa divisio entre meuble et immeuble. Une distinction que le droit pénal n’a jamais réellement pris la peine d’intégrer, le droit pénal ne manifeste donc pas de volonté particulière de protéger un peu plus les immeubles par rapport aux meubles.
D’autant plus qu’il avait déjà sa propre summa division qui est celle distinguant les atteintes aux personnes, des atteintes aux biens. Le législateur a respecté ce principe fondamental au moment de la refonte du Code pénal en 1992, en intégrant les premières dans le Livre II, et les secondes dans le Livre III du code. Cette distinction est essentielle, et même nécessaire, car elle renvoie à un fondement du droit pénal.
Elle rappelle en effet la dimension axiologique de la matière qui révèle, derrière chaque incrimination, la valeur protégée et le crédit que, collectivement, la société accorde au « bien » juridique pénalement protégé[14]. Il est ainsi classiquement admis que les atteintes aux personnes protègent la vie, l’intégrité physique ou psychique de la personne humaine, tandis que les atteintes aux biens protègent la propriété, la possession, le patrimoine d’autrui[15].
Cette division a clairement guidé les inspirateurs du Code pénal, qui ont expliqué qu’un Code pénal « moderne » devait être un code « humaniste, inspiré par les droits de l’Homme », et que cette conception du droit devait trouver sa traduction dans la place prioritaire donnée aux atteintes aux personnes dans ledit code, lesquelles devaient être exposées avant les atteintes aux biens[16]. La référence aux valeurs protégées est par conséquent essentielle, et apparaît comme un principe directeur du droit pénal[17].
C’est sans doute cet objectif de protection des personnes, clairement affiché comme un principe prioritaire du droit pénal, qui explique pourquoi la protection de l’immeuble tient si peu de place dans notre droit pénal.
Peu de place dans le sens où il est difficile de trouver une définition pénale de ce que immeuble veut dire, et il n’y a pas non plus d’article qui traite directement des atteintes à la propriété immobilière, telles que le vol par exemple. Peu de place enfin, dans le sens où on assiste de plus en plus aujourd’hui à un débordement de cet objectif de protection des personnes, clairement affiché comme un principe prioritaire du droit pénal de son domaine naturel pour empiéter progressivement sur la protection traditionnellement accordée aux biens en droit français. L’essor de la notion de violence dématérialisée a conduit, en effet, à l’adoption de décisions jurisprudentielles contestables dans lesquelles des atteintes objectives aux biens ont été jugées comme des violences faites aux personnes. Sans nier que des violences aux personnes puissent se commettre sans contact corporel direct de l’agresseur sur la victime, et lui causer un choc psychologique plus ou moins fort, il ressort toutefois de plusieurs arrêts que, dès lors qu’une atteinte directe à un bien est commise dans un contexte de violence et qu’elle est susceptible de causer un préjudice psychologique à la personne, c’est cette dernière qui paraît devoir être protégée.
Cette analyse, fondée sur une interprétation de l’intention de l’auteur de l’acte, censé avoir souhaité moins dégrader un bien que choquer une personne par le moyen d’une atteinte à ses biens, est contestable. Fondée sur une subjectivisation de l’élément moral[18], elle brouille, non seulement la distinction claire entre les atteintes aux personnes et les atteintes aux biens, mais ôte également toute pertinence à la réflexion en termes de valeurs protégées. C’est donc, en définitive, un fondement du droit qui paraît affecté par cette construction[19].
Le droit pénal incrimine légitimement les atteintes qui causent un préjudice à la personne humaine lorsque, en l’absence de contact entre la victime et l’auteur, le geste est fait pour impressionner ou choquer.
La volonté de protection pénale des personnes, si elle est un objectif louable de politique criminelle, a pu également conduire à l’adoption de solutions jurisprudentielles contestables dans lesquelles l’atteinte à l’intégrité physique ou psychique d’autrui paraît pour le moins discutable ; seule une atteinte aux biens ayant été commise et surtout voulue par l’auteur. L’un des arrêts les plus topiques en la matière est celui rendu le 18 mars 2008 par la Cour de cassation[20].
Les faits sont connus : au terme d’une brève course-poursuite en voiture à la suite d’une altercation entre automobilistes, un conducteur force le véhicule qui le précède à s’arrêter, descend de son auto muni d’une barre de fer, et frappe avec cette arme l’arrière du véhicule de la victime. La Cour de cassation confirme la décision d’appel ayant condamné l’auteur pour violence volontaire aggravée, le geste étant destiné, selon la Cour, « à intimider et faire peur à la conductrice ». La décision des premiers juges qui avaient, en l’espèce, retenu à l’encontre du prévenu le délit de dégradation grave d’un bien appartenant à autrui, est définitivement censurée. Cette décision n’est pas nouvelle car d’autres arrêts avaient été rendus dans le même sens[21].
L’élément décisif permettant la condamnation sur la base d’une atteinte aux personnes réside dans le fait que la victime a été « effrayée » par l’acte initial de dégradation commis par l’auteur. Pour le professeur Mayaud, la solution se justifie et révèle un concours idéal d’infractions[22].
Deux valeurs sociales distinctes sont en l’espèce atteintes par un même fait : d’une part, une atteinte à un bien (la violence directement exercée sur le véhicule causant la dégradation) et, d’autre part, une atteinte à la personne liée à « l’émotion que ladite victime en a ressenti » (ibid). C’est donc le dommage « subi » qui pourrait, en définitive, venir donner sa qualification répressive à l’acte initial commis par l’auteur.
On restera réservé sur cette analyse qui paraît donner une vertu pénale « qualificative » à un trouble ressenti par la victime, sans égard pour l’analyse de l’intention poursuivie par l’auteur. On peut douter, en effet, qu’en l’espèce, la « personne humaine » ait été, de manière non équivoque, une « valeur sociale visée ». Au reste, la pertinence du recours au concours idéal d’infractions dans une telle situation peut également être contestée.
On sait que la notion de concours idéal d’infractions repose sur une construction prétorienne[23]érigée dans notre droit à l’occasion de poursuites d’un individu ayant volontairement lancé une grenade explosive dans un café, causant à la fois des dégradations et des blessés.
La motivation de l’arrêt de principe rendu par la Cour de cassation en la matière souligne, de manière significative, l’importance de la démonstration du dol qui anime l’auteur – « si l’auteur de cet attentat a en vue, indépendamment de la destruction de l’édifice, la mort de personnes, il commet un second crime, dont l’élément matériel est constitué sans doute par un même fait, mais qui se distingue du premier par son élément intentionnel, qui est la volonté de tuer ; il ne s’agit pas, en tel cas, d’un crime unique dont la poursuite sous deux qualifications différentes serait contraire au vœu de la loi, mais de deux crimes simultanés, commis par le même moyen, mais caractérisés par des intentions coupables essentiellement différentes » –, pour mieux rappeler que c’est au terme d’une analyse de l’intention[24] que la volonté du prévenu de porter atteinte à des valeurs sociales distinctes pourra s’apprécier, afin de justifier une répression démultipliée[25].
La solution dégagée par l’arrêt du 18 mars 2008 ne se prononce toutefois pas sur cette double qualification, mais uniquement sous l’appréciation unique de la qualification la plus haute liée à la matérialité des violences.
L’analyse de la Cour de cassation n’est cependant pas dénuée de relation aux valeurs finalement atteintes et au dommage subi, puisque les juges soulignent que la dégradation du bien était « destinée à intimider et à faire peur à la victime », l’acte de dégradation ayant été « générateur de l’émotion qui a servi de fondement à la condamnation »[26].
Dans cette perspective, il semble que l’atteinte au bien ne soit plus envisagée comme une infraction autonome, mais comme le moyen de parvenir à la réalisation d’une infraction plus lointaine caractérisée par l’atteinte à la personne ; « l’infraction moyen » étant en quelque sorte absorbée par la qualification de « l’infraction fin », poursuivie comme but réel par l’auteur[27].
Cette construction jurisprudentielle, qui paraît vouloir faire primer la protection accordée aux personnes sur celle protégeant les biens, est contestable. Se fondant prioritairement sur un dommage allégué par la victime, elle ne caractérise pas avec suffisamment de netteté la coloration du dol poursuivi par l’auteur au moment de l’acte. Il en résulte un dévoiement des qualifications pénales et une minoration de l’analyse du dol, au bénéfice d’une appréciation quasi matérielle du comportement. Elle conduit également à minimiser encore plus la protection déjà bien fragile des biens en général et de l’immeuble en particulier, à permettre une plus grande érosion du régime de protection de l’immeuble dans le droit pénal.
C’est au terme de ces réflexions que nous en sommes arrivés à nous poser les questions suivantes : mais quelle est au finale la place réelle de l’immeuble dans le droit pénal ?Quel est véritable le régime de protection de l’immeuble en droit pénal ? Est-ce qu’il y jouit de la même protection que dans le droit civil ? Est-ce qu’il joue le même rôle ? Y joue-t-il seulement un rôle ?
Autant de questions que nous avons choisi de traiter suivant un plan en deux parties : dans la première il sera question de la place de l’immeuble dans le droit pénal. L’immeuble, le mal-aimé du droit pénal (Partie I) n’y jouit finalement que d’une protection assez minime par rapport au droit civil. Par contre, pour ce qui est de son rôle, il est presque aussi important, dans la mesure où il constitue un outil essentiel de la répression pénale.
PARTIE 1 : L’IMMEUBLE, LE MAL-AIMÉ DU DROIT PÉNAL
Le droit civil accorde une place prépondérante à l’immeuble du fait de sa valeur patrimoniale. Il cristallise tous les efforts de protection de la propriété privé et est au centre du code civil. Par contre dans le droit pénal, l’immeuble joue un rôle moindre
D’abord il n’est pas vraiment distingué du bien meuble en matière de protection. Le summa division du droit civil bien meubles/bien immeuble ne joue pas en droit pénal. Les protections concernant les atteintes aux biens meubles sont pratiquement les même que les protections des biens immeubles.
Ensuite, la protection de l’immeuble n’est pas systématique, il y a certaines infractions qui ne sont pas couvertes par la matière pénale.
Là où l’immeuble joue vraiment un rôle dans le droit pénal, c’est quand il est considéré comme un « prolongement » de son propriétaire. Quand il tiens une place importante dans la protection de la personne donc.
Chapitre A l’immeuble, un support faible pour la protection pénale de propriété
La matière pénale n’accorde pas la même valeur à la protection de la personne et des biens. Il est vrai qu’il n’a pas beaucoup d’intérêt pour les pénalistes. « Généralement, d’ailleurs, les biens immobiliers ne sont guère pris en compte par le législateur, et encore moins par la jurisprudence. Invitée à interpréter les termes de « choses » ou de « biens » – sans autre précision ni adjectif qualificatif -, la Chambre criminelle a toujours eu tendance à rejeter l’immeuble en dehors des frontières répressives. »[28]
Pour autant, elle ne délaisse pas complètement la protection des immeubles mais elle s’attache moins à leur nature physique qu’à leur utilité, En effet, l’immeuble n’y est pas envisagé en raison de sa fixité mais comme une valeur dont la perte grèverait considérablement le patrimoine du propriétaire. C’est pourquoi l’immeuble suit parfois le régime du meuble et inversement. Ainsi, la notion de domicile n’est pas réservée aux immeubles et les infractions de destructions visent indifféremment tous les biens d’autrui.
Section a : L’immeuble, le rôle faible dans les textes d’ incrimination du » furtum »
L’immeuble suit donc parfois le régime du meuble, et certaines infractions sont indifféremment appliquées aux biens meubles et immeubles. Mais qu’en est-il de l’incrimination du furtum ?
La doctrine fait classiquement la distinction entre infractions d’atteintes juridiques aux biens et celles d’atteintes matérielles. Aux premières caractérisées par une appropriation frauduleuse comme le vol, l’extorsion, l’escroquerie, l’abus de confiance pour les principales, le législateur a opposé les atteintes matérielles caractérisées par une disparition matérielle ou, du moins, une atteinte à la substance de la chose.
Ces infractions d’atteintes matérielles aux biens, même si une certaine doctrine préfère parler d’atteintes aux choses – dans la mesure où elles ne peuvent toucher que des objets de nature corporelle[29], ont pour but de punir le préjudice porté au patrimoine d’autrui et exceptionnellement au sien propre.
Ces infractions envisagent les atteintes en elles-mêmes, ce qui les distingue d’actes de même nature objective, mais recoupant certaines particularités. En effet, les destructions peuvent apparaître d’une part comme des atteintes à des biens particuliers d’intérêt public, ce qui rend totalement autonomes ces comportements qui se détachent des infractions de base[30]. Elles peuvent, d’autre part, consister en un élément constitutif d’une infraction comme l’abus de confiance ou encore le détournement d’objets saisis.
Paragraphe 1 : l’inapplicabilité de l’infraction du vol à l’immeuble
Le vol était conçu comme un délit privé, qui pouvait prendre deux formes : le furtum (sorte de vol simple) ou la rapina (brigandage). La loi des XII tables a ensuite distingué entre le vol flagrant (furtum manifestum), puni de la mise en esclavage pour l’homme libre, du fouet ou de la mort par précipitation de la roche Tarpéienne pour l’esclave, et le vol non flagrant (furtum nec manifestum) ne donnant lieu qu’à une indemnisation pécuniaire, grâce à l’actio furti, qui aboutissait à l’octroi, à la victime du vol, d’une somme égale à un multiple de la valeur de la chose volée.
Quant à la rapina, ainsi que les vols avec violence, effraction, commis la nuit ou portant sur des choses sacrées, ils sont devenus des délits publics punis de la mort sur la fourche ou de la condamnation aux bêtes (lex cornelia de sicaris).
L’atteinte aux biens d’autrui qu’emporte le vol, mais aussi l’escroquerie ou l’abus de confiance, est une atteinte dite juridique aux biens. On entend dire par là que le droit pénal vient alors sanctionner les atteintes aux prérogatives de la propriété, et non les atteintes à l’intégrité physique de la chose qu’il sanctionne au travers d’incriminations telles les destructions ou dégradations de biens.
Le vol a longtemps été présenté comme une infraction comportant quatre éléments constitutifs : la propriété d’autrui, la soustraction, la chose soustraite, l’intention frauduleuse. En réalité, seules la soustraction et l’intention frauduleuse sont de véritables éléments constitutifs, si l’on entend par là des éléments participant activement à la réalisation du délit. En effet, la chose soustraite et la propriété d’autrui doivent exister avant que ne se développent la soustraction et l’intention frauduleuse ; elles ne font que subir le délit dans lequel elles ne jouent aucun rôle actif.
Pour que l’infraction de vol soit donc constituée, il faut qu’il y ait eu soustraction du bien (en plus de l’intention frauduleuse). La soustraction n’est pas définie par la loi pénale, qui ne précise jamais en quoi consiste le fait de soustraire. La jurisprudence a comblé ce vide législatif en élaborant, au fur et à mesure des nécessités de la répression, diverses constructions qui ont eu pour conséquence de charger de complexité la notion a priori simple de soustraction.
Cette complexité tient, d’abord, à ce qu’il existe deux sortes de soustractions : la soustraction originaire et classique, dite soustraction matérielle, qui s’apprécie par rapport à l’agissement reproché à l’agent, et la soustraction dite juridique qui s’apprécie, elle, en se demandant si la victime a voulu transférer ou, au contraire, conserver la propriété de la chose[31].
La complexité de la notion de soustraction tient, ensuite, à ce que dans la catégorie des soustractions juridiques entrent des soustractions très variées qui vont de la soustraction de choses remises par erreur, à la soustraction par simple photocopie d’un document, en passant par la soustraction par rétention injuste ou encore par non-paiement d’une chose achetée dans un libre-service.
Ces soustractions ont un point commun : la victime dépossédée n’a pas voulu transférer à l’agent la propriété de la chose, mais les moyens employés pour procéder à leur qualification varient. En effet, dans certains cas, la chambre criminelle retient le délit au motif que la chose a été remise par un instrument passif ; dans d’autres, elle fonde la qualification sur le caractère involontaire de la remise ; dans d’autres cas, enfin, elle relève que l’agent n’avait que la simple détention matérielle de la chose. Sous le rapport de la qualification, il est donc plusieurs types de soustractions juridiques.
Mais les premières définitions de la soustraction matérielle sont apparues dès les années 1830-1840, dans les arrêts qui déclarent que soustraire, au sens de l’article 379 du code pénal, consiste à « prendre, enlever, ravir une chose à l’insu ou contre le gré du propriétaire »[32].
L’une des caractéristiques juridique de la soustraction matérielle est que la chose doit avoir été soumise à un déplacement. Déjà implicitement requis par l’emploi des termes prendre, enlever, ravir, le déplacement de la chose est expressément exigé quand, dans ses premiers arrêts sur la soustraction matérielle, la chambre criminelle déclare qu’« il n’y a vol dans le sens de la loi que lorsque la chose, objet du délit, passe de la possession du légitime détenteur dans celle de l’auteur du délit »[33].
La seconde caractéristique tient, elle, à ce que le déplacement de la chose doit avoir été le fait de l’agent. Il en est ainsi parce que l’appréhension de la chose qui consomme la soustraction matérielle doit avoir eu lieu « à l’insu et contre le gré du propriétaire » qui ne doit donc avoir eu aucun rôle dans le passage de la chose de son patrimoine dans celui du voleur.
Le vol par soustraction matérielle apparaît ainsi, à la différence du vol par soustraction juridique comme une infraction tout à fait distincte de l’escroquerie et de l’abus de confiance. Dans ces dernières infractions, le propriétaire a, en effet, un rôle actif dans le déplacement de la chose parce que, soit au titre de la condition préalable dans l’abus de confiance, soit au titre de l’élément constitutif dans l’escroquerie, il participe activement, par la remise de la chose, au déplacement de celle-ci. Au contraire, dans le vol par soustraction matérielle, l’intervention volontaire du propriétaire dans le déplacement de la chose exclut la qualification.
Ces caractéristiques empêchent l’application de l’infraction du vol aux immeubles. De plus, les conditions préalables qui tiennent à ce que la soustraction frauduleuse, par laquelle se consomme le délit, n’est pénalement répréhensible que si elle porte sur une chose mobilière et matérielle, appartenant à autrui.
Le caractère mobilier et le caractère matériel de la chose objet du délit ne sont pas expressément exigés par l’article 311-1, mais ces exigences ne sont pas vraiment contestées en l’état actuel de la jurisprudence.
Le vol figure sous un titre du code pénal intitulé « Des appropriations frauduleuses » (C. pén., livre III, titre 1er). A priori donc, un vol par usage sans droits de l’immeuble d’autrui est concevable. Toutefois, la propriété immobilière n’est pas exposée aux mêmes dangers que la propriété mobilière, car celui qui a été frauduleusement privé de ses biens meubles risque de ne jamais les retrouver, alors que le propriétaire d’un immeuble a la possibilité de le reprendre grâce à son droit de suite et peut faire annuler les actes consentis a non domino. C’est dire qu’au regard des immeubles, la protection civile est suffisante, si bien qu’une protection pénale supplémentaire n’est pas justifiée, alors qu’elle l’est bien au regard des biens meubles.
Partant, on comprend que l’on se soit toujours accordé à admettre que les immeubles sont insusceptibles, aussi bien de vol, d’escroquerie que d’abus de confiance. C’est au demeurant ce que confirme un arrêt rendu à propos de l’abus de confiance, qui est particulièrement déterminant, ce délit pouvant, d’après le texte d’incrimination (art. 311-4), avoir pour objet un bien quelconque. En effet, il y a été admis que le fait d’occuper un appartement prêté au-delà du temps convenu ne pouvait pas fonder un grief d’abus de confiance par usage abusif et que cette solution négative ne pouvait pas être contournée en admettant un abus de confiance portant sur la clef, non restituée, de cet appartement[34] (voir dans le développement infra).
Enfin, l’article 311-1 ne précise pas que la chose objet du délit doit être matérielle, mais il prévoit que celui-ci se consomme par un acte de soustraction. Or, de façon générale, la soustraction correspond classiquement au passage frauduleux d’une chose d’un patrimoine dans un autre. Elle suppose donc la mobilité de la chose sur laquelle elle porte. Or la mobilité est la caractéristique des biens meubles, alors que les immeubles se caractérisent par leur immobilité. Cette immobilité des biens entrant, selon le droit civil, dans la catégorie des immeubles, comporte cependant des exceptions, qui réduisent la conséquence de principe de l’exigence du caractère mobilier.
Tout ceci a donc pour conséquence que seuls les biens meubles, à l’exclusion des immeubles, sont susceptibles de vol. L’atténuation de cette conséquence concerne les biens qui, immeubles selon le droit civil, sont, non pas des immeubles par nature, mais des immeubles par destination. Ces immeubles étant susceptibles de déplacement, ils sont susceptibles de vol[35].
Paragraphe 2 : les autres atteintes juridiques contre les immeubles
L’abus de confiance, défini comme le « fait par une personne de détourner, au préjudice d’autrui, des fonds, des valeurs ou un bien quelconque qui lui ont été remis et qu’elle a acceptés à charge de les rendre, de les représenter, ou d’en faire un usage déterminé », illustre un passionnant renouveau du droit des biens par le droit pénal.
On se souvient que l’infraction avait fait l’objet d’une attention particulière du législateur, à l’occasion de la refonte du code pénal. L’ancien article 408, qui punissait le détournement ou la dissipation, par le détenteur, de certains biens reçus en exécution de contrats particuliers, a en effet laissé place à l’article 314-1 de l’actuel code pénal, dont la rédaction est plus générale.
Ce profond bouleversement s’est poursuivi en jurisprudence ; depuis une dizaine d’années, le contentieux de l’abus de confiance se distingue régulièrement sur la signification de deux mots particuliers, figurant dans l’incrimination.
- Un nombre important de biens susceptibles …
En coupant court à la litanie des choses énumérées dans les articles 405 et 408 de l’ancien code pénal par le recours à la formule globalisante de « bien quelconque », les rédacteurs du nouveau code pénal ont entendu simplifier les choses. Cependant, cette nouvelle formule brille par son opacité.
Que faut-il comprendre, en effet, de l’expression « bien quelconque » utilisée pour désigner, à côté « des fonds » et « des valeurs », l’objet susceptible d’abus de confiance ? Est-ce la chose utile à l’homme et objet d’un droit de propriété ou faut-il y voir, plus largement, tout actif du patrimoine ? Un bien quelconque peut-il s’entendre de n’importe quel bien ?
Ainsi, le bien, cette « grande notion du droit privé »[36], cet « uniforme capuchon gris » recouvrant « le monde bariolé des choses »[37] est soumis à la fois au droit civil et au droit pénal. Et la matière de l’abus de confiance est une véritable plateforme où on peut constater cette double soumission.
En effet, quand le bien subit cette double soumission, la protection, par le droit pénal implique sa reconnaissance, aussi, en droit commun – fût-ce sous la forme d’une créance en responsabilité. De plus, l’infraction d’abus de confiance entretient avec le droit privé des biens des liens étroits et séculaires : l’abus de confiance est en effet la qualification répressive la plus proche de la théorie de la possession[38].
La situation qu’il protège est celle d’une remise précaire ; le détournement qu’il punit a lieu par interversion de titre. Le droit des biens est donc toujours sollicité lorsque le juge pénal statue sur le domaine de l’abus de confiance ; l’intérêt pour ses décisions n’en est que plus vif. Mais l’objet d’abus de confiance, serait-il « quelconque », ne peut pas être, pour autant, n’importe quoi.
On peut donc mettre dans la catégorie des biens susceptibles d’abus de confiance les biens fongibles. De la fongibilité, aptitude d’une chose à se voir substituer une autre de même nature dans un rapport de droit, l’enseignement majoritaire retient qu’elle affaiblit les droits réels : en effet, en cas de confusion, la perte d’individualisation de l’objet confondu est assimilée à sa disparition, si bien que sa propriété antérieure n’y survit pas.
Le droit français ne serait pas capable, dit-on, de préserver le droit du propriétaire dépossédé de ses choses fongibles et, parallèlement, de conserver sa qualité de détenteur précaire au tiers qui les a confondues avec d’autres. Au premier ne serait donc accordée qu’une créance de restitution ; au second serait attribuée la propriété, par un dépôt irrégulier.
Le moins qu’on puisse dire, toutefois, est que le droit pénal ne retient pas une telle analyse de la captation, par confusion, de choses fongibles remises par autrui. Au contraire, l’abus de confiance s’applique au détournement de choses fongibles[39] et même de la principale d’entre elles : la monnaie.
En effet, selon la jurisprudence, le caractère fongible et confondu des fonds remis – où l’article L. 312-2 puise sa raison d’être – n’est pas incompatible avec l’infraction d’abus de confiance. C’est reconnaître que le client conserve vis-à-vis de sa banque l’ascendant de l’animus domini – composante psychologique de la possession civile qu’il n’a jamais entendu abdiquer – tandis que cette dernière demeure à son égard détenteur précaire, non-propriétaire.
On peut y voir l’oeuvre de ce principe civil que les choses fongibles ne périssent jamais vraiment (genera non pereunt). Puisque la propriété conserve son assiette malgré la confusion de son objet, le droit réel du déposant est maintenu et, avec lui, l’animus domini.
On peut également y mettre les biens immatériels. L’exigence d’un objet matériel découlait tacitement de l’ancien code pénal. Telle est en effet la nature des « effets, deniers et marchandises » ainsi que de l’écrit, sur quelque support qu’il soit, auxquels l’article 408 faisait limitativement référence. Malgré quelques avancées très timides au niveau jurisprudentiel[40] suivi par la doctrine[41], l’abus de confiance est donc longtemps resté rétif, sous l’ancien code pénal, à l’immatériel.
Les juges répressifs, d’une part, excluaient les droits eux-mêmes du champ de l’infraction pour n’admettre que le détournement de l’écrit qui les constate[42] Ils refusaient, d’autre part, que des informations ou une clientèle, choses incorporelles, puissent être objet de l’infraction[43].Avec le code pénal de 1992, l’extension vers l’immatériel a toutefois trouvé un terrain d’autant plus favorable que la frontière entre ce qui est matériel et ce qui ne l’est pas s’est pratiquement atténuée[44].
Et la Cour de cassation l’a franchit dans un arrêt de 2011[45], elle considère que « les dispositions de ce texte s’appliquent à un bien quelconque, susceptible d’appropriation » et que « les informations relatives à la clientèle constituent un bien susceptible d’être détourné ». la Chambre criminelle considère donc les biens informationnels comme des biens susceptibles d’abus de confiance[46].
Mais aussi étendue soit devenue la définition des biens susceptibles d’abus de confiance, elle ne s’est pas étendue aux immeubles.
- … excluant les immeubles
L’abus de confiance forme, avec le vol, l’escroquerie et le recel, un quatuor répressif au service des propriétaires, mais se distingue par le comportement qu’il fustige : celui d’une confiance trahie[47] en l’utilisation ou la restitution d’une chose confiée. L’abus de confiance doit donc repousser, chez celui qui s’est vu remettre précairement quelque chose, la tentation de s’en rendre abusivement maître. Cette finalité va guider la détermination du bien protégé sous réserve, toutefois, que le législateur n’ait pas suivi un autre objectif en considérant les mêmes faits par une infraction spécifique.
Il se peut en effet qu’un bien échappe aux fins de l’abus de confiance parce que la situation se voit appliquer d’autres qualifications pénales. Mais, en l’absence d’infraction spéciale, l’abus de confiance n’a pas pour finalité de concerner n’importe quel bien. L’arrêt du 16 novembre 2011[48] exige un bien « susceptible d’appropriation ». La formule est intrigante. Signifie-t-elle que l’abus de confiance ne concerne que des objets susceptibles de propriété ? L’infraction s’étend-elle, au contraire, à l’actif patrimonial d’une personne, « tout ce qui lui appartient »[49] ?
Le code pénal invite à une autre analyse de l’appropriation. Issue du titre relatif aux « appropriations frauduleuses », la formule tend plutôt à ce que l’abus de confiance saisisse l’action de s’approprier la chose, le fait d’agir sur elle de façon à apparaître comme son maître[50]. L’abus de confiance est une infraction instantanée dont l’ambition est de saisir ce moment particulier où le serviteur veut priver le maître légitime de son droit.
La précision, par l’arrêt du 16 novembre 2011, que pour l’abus de confiance, le bien doit être susceptible d’appropriation, signifie un cantonnement raisonnable de l’infraction[51].Car tous les biens rattachés au patrimoine d’une personne ne sont pas susceptibles d’une action, immédiate, d’appropriation. Ainsi des biens immeubles, dont la Cour de cassation a réitéré l’exclusion dans des arrêts récents.
Notamment dans un arrêt du 10 Octobre 2001[52]. L’affaire n’avait rien d’extraordinaire. La prévenue avait bénéficié du prêt d’une chambre pour trois jours. Mais à l’issue de cette période elle a refusé de rendre les clés et est demeurée dans les lieux pendant plusieurs mois.
La cour d’appel l’a condamné pour abus de confiance au motif que les clés entrent dans la définition de l’art. 314-1 c. pén. en tant que « bien quelconque » et que la prévenue en a ainsi fait un usage abusif constitutif d’un détournement. Cette motivation était spécieuse.
Ce n’est pas tant des clés dont il a été fait un usage abusif que des lieux auxquels elles permettaient d’accéder. La Chambre criminelle l’a parfaitement relevé et censure l’arrêt d’appel parce que sous ce prétexte les juges ont, en réalité, réprimé l’utilisation abusive d’un bien immobilier alors que « l’abus de confiance ne peut porter que sur des fonds, des valeurs, ou un bien quelconque, à l’exclusion d’un immeuble ».
Il s’agissait finalement ici d’une hypothèse d’école qui permettait de conclure à la consommation du délit compte tenu des faits, mais les Hauts magistrats ont préféré conserver une conception restrictive que la nouvelle lettre du texte n’encourage pourtant pas. La raison de l’exclusion traditionnelle des immeubles des incriminations de vol, d’escroquerie et d’abus de confiance tient au fait que leur fixité permet au propriétaire de retrouver ses prérogatives grâce à son droit de suite[53].
La production jurisprudentielle récente de la Chambre criminelle confirme que les moyens de la tromperie font l’objet d’une interprétation plutôt lâche[54].
On le sait, tout mensonge ne vaut pas tromperie au sens de l’article 313-1 du code pénal. Pour être qualifié ainsi, le mensonge doit correspondre à l’un des procédés limitativement énumérés. Chacun est efficace en lui-même, bien que leur combinaison ne soit pas rare en pratique[55]). Si, en cas de manoeuvres frauduleuses, le simple mensonge n’est pas suffisant, il l’est, en revanche, dans les autres cas déterminés par la loi (usage d’un faux nom ou d’une fausse qualité, abus d’une qualité vraie).
C’est pourquoi l’affirmation, que l’on peut lire habituellement dans les arrêts, et qui a été reprise au sujet de la prise de fausse qualité, selon laquelle l’agissement du prévenu constitue un « simple mensonge »[56] prête à confusion. Car elle laisse entendre qu’un mensonge qualifié n’en serait pas un. Or il n’a pas besoin d’être corroboré par un élément extérieur lui donnant force et crédit puisque, contrairement aux manoeuvres frauduleuses, il est à lui seul un procédé de l’escroquerie.
Simple ou conforté, le mensonge à la base de la tromperie doit être positif, l’escroquerie étant une infraction de commission – à l’exclusion, peut-être, de l’abus de qualité vraie, qui paraît s’accommoder d’un comportement d’abstention.
Quant aux autres procédés, en revanche, les termes de la loi interdisent, sans ambiguïté, une telle interprétation, en visant « l’usage » d’un faux nom ou d’une fausse qualité et « l’emploi » de manoeuvres frauduleuses. Si, à cet égard, les solutions jurisprudentielles n’emportent pas toujours l’adhésion, l’arrêt du 30 mars 2016[57] doit être approuvé sans réserve.
La Cour de cassation, en effet, a légitimement jugé, à propos d’un journaliste qui s’était introduit avec une caméra cachée, dans des établissements et associations catholiques « traditionnalistes », que le fait de taire sa qualité professionnelle constitue une abstention non punissable au titre de la prise de fausse qualité. Autre caractère, cette fois commun à l’ensemble des procédés utilisés par l’escroc, et qui résulte également des termes de la loi, seul le moyen frauduleux déterminant de la remise consomme le délit.
C’est dire que, sans lien de causalité avec la remise, les agissements, quoique malhonnêtes, ne suffisent pas à caractériser le délit, l’escroquerie n’étant pas une infraction d’attitude. C’est donc sans surprise que, dans l’affaire précitée, la Cour de cassation a validé le raisonnement de la chambre de l’instruction qui, pour cette raison, n’avait pas vu dans l’usage, par le journaliste, d’une identité différente de la sienne, la prise d’un faux nom.
C’est au demeurant, le plus souvent avec fermeté,que la Cour de cassation contrôle cet aspect de la motivation des juges du fond qui ne peuvent caractériser l’infraction que s’ils ont vérifié avec précision le caractère déterminant du mensonge qualifié ou des manoeuvres frauduleuses, et corrélativement, leur antériorité par rapport à la remise. Des arrêts récents confirment ce trait habituel du contrôle de la Cour de cassation[58].
En dehors des caractères généraux, chaque procédé frauduleux, à l’origine de la tromperie, renferme des notions particulières, qui ne sont pas toutes définies par la loi. Certaines d’entre elles, dont les contours sont vagues, appellent des précisions, d’où de réguliers éclairages par la Cour de cassation dont le caractère casuistique ne facilite pas la systématisation des solutions.
Ainsi, une série d’arrêts relatifs à l’usage de fausse qualité permet d’entrevoir une tendance générale à l’appréhender largement, des limites lui étant toutefois assignées. Tel est l’autre enseignement de l’arrêt du 30 mars 2016, évoqué plus haut, où la Cour de cassation entérine l’interprétation restrictive de la chambre de l’instruction, en affirmant que « le fait […] de se prétendre militant, athée ou bénévole […] ne constitue pas une prise de fausse qualité au sens de la loi ».
À rebours de l’interprétation jurisprudentielle, en général trop lâche, une telle solution, dont il résulte que la qualité ne doit pas s’entendre des inclinations intellectuelles, manifeste la volonté de ne pas l’étendre excessivement, ce en parfaite conformité avec le principe de légalité, qui commande de limiter les hypothèses où un seul mensonge suffit[59].
De même, d’utiles précisions sont faites à propos de l’abus de qualité vraie, qui postule normalement une fonction inspirant une confiance particulière. Sans forcer la notion et dans la droite ligne des arrêts précédents, la Cour de cassation complète la liste des personnes dignes de confiance, en considérant que se rend coupable d’escroquerie par un tel procédé le salarié d’une compagnie aérienne qui détermine des collègues à lui remettre une somme d’argent en contrepartie de billets à prix préférentiel, en réalité, inutilisables[60].
Tombent pareillement sous le coup de l’incrimination le fait, pour une société ayant la maîtrise d’oeuvre pour objet social, de laisser croire à ses clients qu’ils souscrivent un contrat de construction de maison[61], ou celui, pour un avocat, de ne pas informer ses clients de son interdiction de plaider[62].
Quant aux manoeuvres frauduleuses, qui supposent, on l’a dit, un mensonge corroboré, la loi, là encore, n’est d’aucun secours. Examinant la jurisprudence, la doctrine s’accorde traditionnellement à en distinguer quatre formes principales dont la Cour de cassation a récemment fourni des illustrations nouvelles.
L’arrêt du 18 janvier 2017[63] mérite sur ce point une attention particulière. Le stratagème mis en oeuvre en l’espèce, dont on craint la fréquence en pratique, était relativement simple. Une société exerçant une activité de maîtrise d’oeuvre dans la construction de maisons individuelles avait organisé, avec le concours d’entreprises, un système de « rétrocessions » qui s’opérait à l’insu des clients.
Il s’agissait pour les entreprises d’intégrer dans le coût final des travaux un supplément de prix par rapport au chiffrage initial du devis ne correspondant à aucune prestation ; le montant de ce supplément était ensuite reversé au titre de « frais de dossier » facturés par la société. Pour les demandeurs au pourvoi, la pratique litigieuse s’analysait en un simple mensonge prenant, au demeurant, la forme d’une omission en rien illégale, l’intermédiaire percevant des commissions de chacune des parties à une même opération n’étant pas tenu de les en informer.
Toute autre est la position de la Cour de cassation, qui expose très clairement ce qui permet de qualifier un tel système de manoeuvre frauduleuse, en confirmant l’arrêt attaqué au motif que l’infraction est caractérisée par le « mensonge, corroboré par l’émission, par des tiers, de factures dissimulant de concert des commissions occultes rétrocédées au prévenu ».
La jurisprudence récente dément l’idée, parfois avancée, que les modifications apportées par le code pénal de 1994 à l’escroquerie ont été, sur le fond, assez limitées. Elle a su révéler, au contraire, tantôt explicitement, tantôt implicitement, les évolutions permises par le nouveau texte. Où l’on voit, encore une fois, le réel dynamisme des infractions contre les biens.
Traditionnellement, l’immeuble était vu comme un obstacle à la qualification d’escroquerie. Cette affirmation était exacte sous l’ancien code pénal. La jurisprudence, du reste, ne la contredisait pas, en énonçant que « la remise d’immeubles construits […] n’entrait pas dans les prévisions » de l’article 405[64].
Cette solution procédait d’une interprétation stricte de la loi qui, en raison d’une liste limitative d’objets n’incluant pas l’immeuble, imposait de le soustraire au domaine du délit. Une telle exclusion ne signifiait pas l’absence totale de protection par le droit pénal, qui saisissait indirectement cette catégorie de biens lorsque la remise portait sur le titre de propriété[65] ou sur l’acquisition du prix.
La réécriture du texte incriminateur à l’occasion de la réforme du code pénal laissait néanmoins entrevoir une évolution possible, en dépit d’une jurisprudence qui semblait réticente à la consacrer[66]. Puisque la loi vise désormais « tout bien quelconque », ce qui comprend l’immeuble, sauf à le concevoir différemment en droit pénal et en droit civil[67], ce qui ne paraît guère envisageable, rien n’interdit désormais que l’escroquerie puisse s’y ouvrir.
Pour la première fois, cette analyse, avancée par une partie de la doctrine, vient d’être expressément consacrée par l’arrêt – publié – du 28 septembre 2016[68], rendu sur le fondement du recel de choses, mais dont l’intérêt réside principalement dans ce qu’il affirme à propos de l’escroquerie, et qui résonne tel un principe : « l’escroquerie peut porter sur un immeuble, lequel constitue un bien au sens de l’article 313-1 du code pénal ». La clarté de l’affirmation jurisprudentielle dépasse désormais la divergence doctrinale.
L’extension du périmètre de l’escroquerie quant à son objet n’est pas sans conséquence sur la définition même du résultat de la tromperie. En effet, la nouvelle compatibilité de l’immeuble avec la qualification d’escroquerie suppose la comptabilité de cette catégorie de biens avec celle de l’acte qui consomme le délit, à savoir la remise[69].
Or, classiquement, la remise est assimilée à la tradition matérielle d’une chose qui peut être déplacée ; d’où la réticence de certains auteurs à inclure l’immeuble dans la notion de « bien quelconque ». Pour être cohérente – un immeuble, par définition, ne se déplace pas -, une telle position n’en est pas moins discutable, car c’est considérer qu’il ne peut être de remise que matérielle. Or, rien n’oblige à envisager ainsi la notion de remise, par définition, compréhensive.
À cet égard, la jurisprudence relative à l’abus de confiance – où la remise entre aussi dans la définition de l’infraction[70] – illustre la capacité d’adaptation de la notion, en estimant que l’infraction peut porter sur un bien incorporel[71].
Section b : L’immeuble, le rôle dynamique dans les textes d’incrimination des atteintes matérielles
Nous venons donc d’étudier les infractions d’atteintes juridiques aux biens, elles sont caractérisées par une appropriation frauduleuse telle que nous venons de l’étudier pour l’essentiel. Mais qu’en est-il des atteintes matérielles caractérisées par une disparition matérielle ou, du moins, une atteinte à la substance de la chose.
Paragraphe 1 : la qualification des infractions d’atteintes matérielle
Ces infractions d’atteintes matérielles aux biens, même si une certaine doctrine préfère parler d’atteintes aux choses – dans la mesure où elles ne peuvent toucher que des objets de nature corporelle[72] ont pour but de punir le préjudice porté au patrimoine d’autrui et exceptionnellement au sien propre. Ces infractions envisagent les atteintes en elles-mêmes, ce qui les distingue d’actes de même nature objective, mais recoupant certaines particularités. En effet, les destructions peuvent apparaître d’une part comme des atteintes à des biens particuliers d’intérêt public, ce qui rend totalement autonomes ces comportements qui se détachent des infractions de base[73].
Ainsi, l’effraction est définie à l’article 132-73 du code pénal comme le forcement, la dégradation ou la destruction de tout dispositif de fermeture ou de toute espèce de clôture auquel est assimilé l’usage de fausses clés, de clés indûment obtenues ou de tout instrument pouvant être frauduleusement employé pour actionner un dispositif de fermeture sans le forcer, ni le dégrader.
Historiquement, les biens étaient protégés par catégories, ces dernières étant limitatives. Ainsi, dans la rédaction du code pénal de 1810, avant la loi du 2 février 1981, il existait des dispositions particulières dans le but d’assurer une protection spécifique aux catégories des biens qu’elles visaient[74].
Dans la rédaction de la loi du 2 février 1981 (C. pén., anc. art. 434) et du code pénal issu des lois du 22 juillet 1992, le législateur adopte une formulation très générale. L’ancien article 434 incriminait la destruction d’un objet mobilier ou d’un bien mobilier appartenant à autrui.
L’article 322-1 envisage la destruction d’un bien appartenant à autrui. L’optique est d’adopter une formulation très large pour que la protection ait une portée générale. Pour autant, le législateur n’a pas exclu une protection spécifique de certains biens qui rend impossible le recours à la protection de droit commun. Les biens faisant l’objet de cette protection revêtent certaines caractéristiques.
Mais la protection des biens contre les atteintes matérielles recouvre une très large catégorie de biens protégés. L’article 322-1 du code pénal a vocation à s’appliquer à toutes sortes de biens. Cette tendance est, bien évidemment, tirée de la rédaction même de l’article qui utilise les termes « un bien appartenant à autrui », mais elle prévalait déjà dans la jurisprudence sous l’empire des anciens articles 434 et suivants dans leur rédaction primaire, puis dans celle à laquelle ont donné lieu les anciens articles 257 à 257-3 que la loi du 2 février 1981 avait laissés hors de son effort de clarification et que le nouveau code pénal a englobés dans la rédaction généraliste résultant de l’article 322-1 et de son « annexe » l’article 322-2[75].
Ici, La distinction bien immobilier / bien mobilier – distinction sans consécration légale – est souvent reprise par la doctrine, et nous permettra de démontrer que c’est dans le cadre des infractions d’atteintes matérielles que les immeubles sont les mieux protégés.
Paragraphe 2 : la protection de l’immeuble
Font donc l’objet de la protection, issue de l’article 322-1 du code pénal, les constructions dont la définition était donnée par la doctrine comme étant « des assemblages de matériaux établis et consolidés à demeure à la surface du sol ou à l’intérieur du sol »[76]. Il en va ainsi des bâtiments et des maisons privées, quels que soient les matériaux employés pour leur construction et leur valeur économique[77].
– Le caractère habité, ou non, de la construction n’a aucun effet sur la qualification, puisque la jurisprudence a sanctionné un individu qui avait forcé la serrure de la porte d’entrée d’un appartement vide en vue de s’y installer[78].
La notion de construction s’étend, hormis les maisons d’habitation, à toutes les différentes constructions telles que les hangars, les caves, mais aussi les accessoires tels que les murs de clôture des terrains, les puits maçonnés. La notion de construction s’étend aux constructions non encore achevées, mais dont l’état d’achèvement des travaux permet d’y voir une véritable construction[79].
La protection doit aussi englober toute sorte de terrain, même si aucune construction n’y est élevée. La jurisprudence appliquera donc ce texte à l’individu qui, intentionnellement à l’aide d’un engin de chantier, abîmerait la surface d’une prairie, arrachant la terre meuble, creusant des trous ou des sillons profonds. Ainsi, le fait de débroussailler un terrain est constitutif du délit de dégradation de bien[80].
On pouvait hésiter relativement aux bornes sur la qualification de biens mobiliers ou immobiliers. La jurisprudence a estimé que l’arrachage d’une borne constitue, au sens de l’ancien article 434 du code pénal, une dégradation de l’immeuble foncier, dont elle fixe les limites, et non une détérioration légère[81].
Mais la loi no 43-374 du 6 juillet 1943, relative à l’exécution des travaux géodésiques et cadastraux et à la conservation des signaux, bornes et repères[82] dans son article 6, précise que la destruction, la détérioration ou le déplacement des signaux, bornes et repères donne lieu à l’application des dispositions de l’article 322-2 du code pénal.
Chapitre B : L’immeuble, un support pour la protection renforcée de la sphère privée
Autant la place de l’immeuble dans la protection contre les infractions matérielles et juridiques donne l’impression que l’immeuble ne tient pas une grande place dans le droit pénal. Autant le rôle qu’il joue dans la protection de l’intimité des individus et de la dignité humaine semble prouver le contraire.
Section a L’immeuble d’habitation et la vie privée (intimité)
L’immeuble d’habitation joue un rôle particulièrement dans la protection de la vie privée, il s’agit d’un sanctuaire jalousement protégé par le droit pénal.
Paragraphe 1 : le droit au respect de la vie privée
Le droit au respect de la vie privée est ancré dans divers textes tant nationaux qu’internationaux. L’un des plus célèbres est l’article 9 du code civil français, qui énonce, depuis la loi no 70-643 du 17 juillet 1970 (JO 19 juill.), que « chacun a droit au respect de sa vie privée », à tel point que, précise l’alinéa 2, « les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que séquestres, saisies et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l’intimité de la vie privée ; ces mesures peuvent, s’il y a urgence, être ordonnées en référé ».
L’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme du 4 novembre 1950 garantit également le droit à la vie privée et familiale. L’article 226-1 du code pénal sanctionne les atteintes à la vie privée par écoutes et enregistrements frauduleux[83]. L’article 226-2 punit des mêmes peines le fait de conserver, porter ou laisser porter à la connaissance du public ou d’un tiers ou d’utiliser de quelque manière que ce soit tout enregistrement ou document obtenu à l’aide de l’un des actes prévus par l’article 226-1[84], de tels procédés constituent une atteinte à l’intimité de la vie privée qui ne saurait être justifiée par l’intérêt général à l’information du public.
Alors que les juges du fond avaient estimé que l’article 226-2 du code pénal ne sanctionne que les enregistrements portant atteinte à l’intimité de la vie privée et non pas les propos concernant des détails relatifs au patrimoine de l’intéressé, la Cour de cassation retient une autre analyse et énonce que « constitue une atteinte à l’intimité de la vie privée, que ne légitime pas l’information du public, la captation, l’enregistrement ou la transmission sans le consentement de leur auteur des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel »[85].
De façon générale, nul ne peut être contraint de produire en justice des documents relatifs à des faits dont il a eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions et touchant à l’intimité de la vie privée des personnes[86].
Paragraphe 2 : l’inviolabilité du domicile
L’immeuble demeure, en droit pénal comme en droit civil, le plus précieux de tous les biens, parce que, précisément, il n’est pas seulement un bien : exclu pour les autres par la personne qui le possède, il exclut en retour les autres de cette personne, tant matériellement que juridiquement. Ce « morceau » ou ce « prolongement de la terre »[87] dont l’intangibilité alliée à la capacité à s’étendre vers le haut et vers le côté sert à se clore comme à se cacher, ne peut effectivement être franchi que par celui qui en a la clef et le titre. En cela, l’immeuble est un refuge ou, si l’on préfère, un domicile.
À condition que l’immeuble soit apte à recevoir une personne, celle qui s’y trouve acquiert de ce seul fait un droit de s’y dire chez elle, qui ne se confond d’ailleurs pas avec celui de le dire à elle. Ce droit n’en est pas moins puissant, qui préserve son titulaire des intrusions des tiers et, par là même, qui participe de la protection de sa vie privée.
En droit pénal peut-être plus encore qu’en droit civil, immeuble et vie privée sont donc liés, leur rencontre prenant la forme de la consécration d’une notion relativement originale de « domicile ». Simple en apparence, celle-ci s’avère pourtant redoutable dès qu’il est question de la définir avec précision, tant elle se situe au carrefour de différents antagonismes : vie privée et propriété, chose et personne, immutabilité et instabilité ou encore corporel et incorporel. Son effectivité n’en reste pas moins très perceptible, tant du point de vue du fond du droit que de celui de la procédure, puisque le domicile constitue, concrètement, le socle de l’interdiction des pénétrations non autorisées dans un immeuble occupé par autrui.
Pour l’essentiel, l’article 226-4 du code pénal incrimine l’introduction dans le domicile d’autrui à l’aide de manoeuvres, menaces, voies de fait ou contrainte de même que le maintien consécutif dans ce domicile « hors les cas où la loi le permet »[88] et les articles 56 et suivants du code de procédure pénale réglementent les perquisitions et les visites domiciliaires dans le cadre d’une enquête de flagrance[89].
Section b L’immeuble d’habitation et la dignité humaine
La notion de dignité de la personne humaine est investie d’une forte valeur normative, à de nombreux titres. La dignité est l’essence du droit, elle en constitue la matrice.
Paragraphe 1 : de la dignité de la personne humaine
La dignité a été consacrée par de nombreux dispositifs que l’on peut classer selon la discipline concernée. En droit constitutionnel, les textes traditionnellement évoqués sont de sources très variées et abordent des domaines très larges : esclavage[90], répression du terrorisme et séjour d’étrangers en situation irrégulière[91] et surtout lois de 1994 sur la bioéthique[92].
Les conventions internationales se réfèrent abondamment à la protection de la dignité de la personne[93]. Le droit pénal contient des dispositions qui nourrissent également la réflexion. Le législateur, la Chambre criminelle et la doctrine[94]pour consacrer la protection de la dignité de la personne, s’appuient sur de nombreuses techniques juridiques. La dignité a fait son apparition première dans le droit de la procédure pénale.
En effet, c’est en considération du but poursuivi par certaines associations, notamment la défense de la dignité des femmes (ou des anciens combattants…), que la jurisprudence a admis la recevabilité de leur action devant les juridictions répressives. Le respect de la dignité de la personne étant au coeur de l’action de certaines associations, la jurisprudence (puis le législateur) en a tiré la conséquence, logique et nécessaire, de la recevabilité de l’action civile : association Le Réseau du souvenir[95].
Mais la dignité peut aussi s’appliquer à la protection des intérêts de l’individu.
Paragraphe 2 : le domicile, la protection de la dignité humaine et le droit pénal
De façon moins évidente en droit pénal qu’en droit civil, mais tout aussi concrètement, le domicile demeure l’endroit où les intérêts d’une personne sont censés être centralisés[96] et, partant, le lieu où il apparaît possible de l’atteindre. Le rattachement d’un immeuble à une personne va, en conséquence, conduire les autorités répressives à rallier celui-là pour se saisir de celle-ci, qu’il s’agisse d’identifier une victime ou de rechercher un suspect.
La protection du domicile en droit civile et en droit pénal est souvent complémentaire, cela s’explique par le fait que, contrairement à ce qui est généralement soutenu, le droit civil et le droit pénal n’entretiennent pas une conception différente de la notion de domicile, en ce sens que la perception civile, qui en fait, à la fois un élément de l’état civil – un rattachement – et un élément de la vie privée – un sentiment -, vaut tout autant pour le droit pénal. L’identification d’une personne, en ce compris la détermination de son domicile, est effectivement un impératif pour la répression autant que pour le commerce juridique.
De même, la protection de la personne, en ce compris la préservation de son domicile, fait partie des valeurs qui importent pour le droit pénal. Tout au plus les impératifs de la répression conduisent-ils à ce que la perception pénale de la notion soit plus concrète ou, peut-être, plus saillante que son appréhension civile. En droit pénal, le domicile est donc, d’une part, un lieu de rattachement à la personne et, d’autre part, un lieu de protection de la personne.
L’extension de la protection de la personne à son domicile[97] qui consacre ce dernier comme un élément de sa vie privée, est, en droit pénal, un phénomène qui recouvre et regroupe, en effet, l’incrimination de violation de domicile et la réglementation des perquisitions, soit deux ensembles de dispositions, l’un de fond, l’autre de procédure, que les pénalistes connaissent parfaitement.
Pour autant, parce qu’un tel phénomène manifeste également, même de façon indirecte, une considération du droit pénal envers l’immeuble qui accueille le domicile, il arrive que le droit qui fonde la protection provoque la polémique : existe-t-il vraiment une différence entre un domicile privé et un immeuble propre ? Par ailleurs, la jurisprudence n’est pas toujours, en ces matières, d’une absolue clarté. Mais il y a cependant quelques précisions qui sont parfaitement cohérente.
Ainsi, à propos de l’incrimination de violation de domicile, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a rappelé plusieurs fois que ce texte n’avait « pas pour objet de garantir d’une manière générale les propriétés immobilières contre une usurpation »[98]. Tant et si bien que, non seulement, il n’est pas nécessaire d’être propriétaire de l’immeuble occupé pour se prévaloir de la protection, mais surtout, ce droit peut même s’exercer à l’encontre du propriétaire[99] En revanche, il faut occuper l’immeuble, à défaut de quoi il n’y a bien sûr pas de droit à défendre.
En définitive, comme le rappelle la Cour de cassation dans cette même séquence jurisprudentielle, « seul constitue un domicile, au sens de l’article 226-4 du code pénal, le lieu où une personne, qu’elle y habite ou non, a le droit de se dire chez elle, quels que soient le titre juridique de son occupation et l’affectation donnée aux locaux »[100]. Cette position ancienne et constante[101] demeure, au surplus, celle de la Chambre criminelle lorsque celle-ci interprète les articles du code de procédure pénale relatifs aux perquisitions[102].
PARTIE 2 L’IMMEUBLE, OUTIL ESSENTIEL DE LA REPRESSION PENALE
Il est faut de dire que l’immeuble ne tient pas une grande place dans le droit pénal, car oui l’immeuble est au centre du droit pénal, du moins pour certains côté. Il en va ainsi de la politique répressive. L’immeuble est au centre de la mise en œuvre de la politique répressive de l’Etat. Et cela dans la mesure où il concentre tous les efforts pour améliorer la politique répressive de l’Etat.
Chapitre A L’immeuble, un facteur de renforcement et d’application de la politique répressive
Ainsi, l’immeuble peut constituer un support important de renforcement de la politique répressive, tout comme il peut constituer un support pour son application.
Section a L’immeuble, un support de renforcement de la politique répressive
La politique répressive française est au centre des débats depuis de nombreuses années maintenant. En cause les nombreuses défaillances du système d’application des peines, et du système carcéral garants du bon fonctionnement du système répressif.
Quand on en vient à la question de renforcement de la politique répressive, l’immeuble tient toujours une place des plus importantes. Dans la rénovation de l’institution pénitentiaire, dans la prise en compte des droits des détenus, …
Deux cent vingt années séparent l’adoption des articles 7 et 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de la promulgation de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009. Dans l’intervalle, le droit et l’institution pénitentiaires, pourtant chargés d’exécuter les décisions privatives ou restrictives d’une liberté placée au sommet de notre ordonnancement juridique, se seront construits, auront agi, sans loi[103].
Certes, la prison n’était pas – n’était plus – un lieu de non-droit, des courants de réforme interne ou des sources de droit externe et éparses ayant peu à peu pénétré ses murs et pratiques. Il n’en reste pas moins que l’Administration chargée de l’une des missions régaliennes les plus hautement symboliques du monopole de la contrainte légitime de l’État, le service chargé d’attenter, au nom de l’État, au plus précieux des droits consacrés dans notre bloc de constitutionnalité, fondait son action, non bien sûr contre ou en dehors de la loi, mais proprement sans encadrement législatif, sur la base d’un droit au mieux de valeur décrétale, étayé pour l’essentiel par des circulaires… produites par l’Administration pénitentiaire elle-même.
Ce constat initial n’est sans doute pas étranger à l’image récurrente de l’institution carcérale en France ainsi qu’au déficit démocratique dont il lui était régulièrement fait le grief. Privée de reconnaissance législative, affligée d’une méconnaissance de la part d’une société prompte à livrer un regard paradoxal – pour ne pas dire schizophrénique – sur la personne du détenu – coupable au procès puis victime en détention -, la prison est originairement objet de phantasmes, livrée aux plaidoyers et réquisitoires les plus extrêmes, aux dénonciations vaines, aux appels à la réforme tombés dans l’oubli, aux analyses rationnelles réservées aux initiés, aux soubresauts médiatiques et émotions populaires inspirant d’incessantes réformes du droit pénal et de la procédure pénale.
Privés de reconnaissance législative, sans qu’il faille pour autant les confondre, personnels et détenus souffrent d’une carence d’identité sociale, de reconnaissance professionnelle pour les premiers, de statut juridique pour les seconds. Privée d’un socle de référence, d’un cadre à la hauteur de l’importance de sa mission, l’Administration pénitentiaire se trouvait jusqu’à présent confrontée à des enjeux et difficultés croissants – la surpopulation carcérale en tout premier lieu -, sans levier de réforme marqué du sceau de la représentation nationale.
Pour corriger cette situation, il a fallu mettre en place une loi pénitentiaire. Une loi pénitentiaire qui avait pour rôle de capitaliser tous les acquis en la matière et de mettre en place des mesures dont le principal but étaient de protéger et renforcer les droits des détenus et leur permettre une réinsertion une fois leur peine exécutées. Car ici aussi, l’immeuble est devenu une autre version du vecteur de la personnalité : l’institution pénitentiaire est devenue le sanctuaire de la mise en œuvre d’une politique répressive plus humaine.
Sous l’influence de deux rapports fondamentaux rédigés par Guy Canivet, concernant l’amélioration du contrôle extérieur des établissements pénitentiaires[104], et Daniel Farges, concernant la relance de la libération conditionnelle, le législateur adopte successivement la loi du 12 avril 2000 relative à l’amélioration des relations entre les citoyens et les administrations puis la loi du 15 juin 2000 renforçant la présomption d’innocence et les droits des victimes.
Ces deux lois constituent l’amorce d’un mouvement qui ne s’est plus démenti : la première modifiant radicalement la situation du détenu en augmentant ses droits de la défense à l’occasion des décisions administratives prises à son encontre[105] ; la seconde, amplement commentée, entamant le mouvement de juridictionnalisation de l’application des peines qu’achèvera la loi du 9 mars 2004[106].
Dans le même temps, les rapports des commissions d’enquête du Sénat et de l’Assemblée nationale dénonceront unanimement l’état du monde carcéral et conviendront d’une nécessité de réforme globale, aussi bien des « murs » que du droit de la prison[107]. Le climat politique de l’époque ne permettant toutefois pas que soit abordée de front la réforme du droit pénitentiaire et plus précisément celle des droits du détenu[108] la loi du 9 septembre 2002 engagera le programme immobilier « 13200 », incluant la construction de la nouvelle catégorie des établissements pénitentiaires pour mineurs ainsi que, s’agissant des détenus atteints de pathologies somatiques ou psychiatriques, la création d’unités hospitalières sécurisées.
Devant faire face à un brutal accroissement de la population pénale dans cette période[109] la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité procédera, entre autres réformes fondamentales, à la généralisation de la juridictionnalisation de l’application des peines[110] et, simultanément, à l’instauration d’une procédure inédite d’aménagement de peine renforçant le pouvoir de proposition de l’administration pénitentiaire à dessein de servir l’objectif d’augmentation – voire de systématisation – des aménagements et, en corollaire, la limitation des « sorties sèches »[111].
Pour permettre l’adaptation rapide de l’Institution à ces changements radicaux, il a fallu remettre en question des pans entiers du droit pénitentiaire, des procédures et des pratiques et, pour tout dire, une culture professionnelle. Il a donc fallu légiférer, car une loi pénitentiaire était devenue une véritable nécessité, qui s’est d’ailleurs, en dernier lieu, manifestée par l’accroissement concomitant des contrôles de l’Institution pénitentiaire qui, durant cette même phase d’accélération engagée en 2000, se sont démultipliés aussi bien en droit interne qu’à l’échelon européen. Récemment consacré par l’instauration d’un contrôleur général des lieux de privation de liberté[112] dont la création était elle-même commandée par la nécessité de se conformer aux exigences de la convention ONU contre la torture et autres peines ou traitements cruels , inhumains ou dégradants[113]ce mouvement aura été essentiellement marqué par l’action des institutions du Conseil de l’Europe.
La Cour européenne des droits de l’homme développe expressément depuis 2000 une jurisprudence abondante en matière pénitentiaire et a prononcé plusieurs condamnations concernant la prise en charge de détenus en France.
Bien consciente de cette influence croissante du droit européen des sanctions pénales et mesures privatives ou restrictives de liberté, l’Administration pénitentiaire a précisément fait des règles pénitentiaires européennes, révisées le 11 janvier 2006, le socle d’une entreprise sans précédent de réforme, à l’interne, des pratiques et processus professionnels. L’adoption des règles pénitentiaires européennes (RPE) comme charte d’action de l’Administration pénitentiaire a permis la rédaction d’un référentiel national d’engagements définissant entre autres les processus de parcours d’exécution de la peine, de prise en charge et d’accompagnement des détenus arrivants, de traitement des requêtes et d’organisation de la vie en détention, de croisement des modalités de sécurité active et passive, deprofessionnalisation des agents. La démarche qualité, engagée en 2007 auprès d’une vingtaine d’établissements et aujourd’hui en voie de généralisation, se traduit par la labellisation des quartiers arrivants par des organismes tiers.
Peu habituelle dans le secteur public et plus encore s’agissant d’une mission régalienne, cette démarche renvoie à d’évidents objectifs d’attestation de qualité et de valorisation des agents et des actions menées, s’agissant d’une institution en quête d’une légitime reconnaissance.
Elle consacre simultanément l’image d’un service public qui, réclamant un socle normatif au soutien d’un management de réforme, a saisi au milieu de la décennie une recommandation européenne, pourtant non contraignante, et développé un codex de bonnes pratiques palliant l’absence de loi pénitentiaire.
La référence appuyée du texte du 24 novembre 2009 aux règles pénitentiaires européennes souligne à cet égard le souci de cohérence du législateur qui, satisfaisant à la nécessité d’élévation du droit pénitentiaire, emprunte largement à la recommandation de janvier 2006 pour en déterminer les fondations.
Section b L’immeuble, un support d’application de la politique répressive
Le premier rôle de l’immeuble est encore de permettre une réelle application de la politique répressive et en cela il tient un rôle important. En effet, les politiques de renforcement se traduisent au final à des mesures particulières prises au sein même des établissements pénitenciers.
Nous ne pourrons pas énumérer ici toutes les mesures dont il est question, aussi avons-nous choisi de parler de la situation particulière des prisons pour mineurs où l’administration a voulu mettre en œuvre le pari d’une politique centrée sur l’éducation : une prison éducative donc.
La concrétisation du projet de créer des établissements pénitentiaires spécialisés pour l’accueil des mineurs (EPM) relance et réactualise la question toujours sensible de l’incarcération des adolescents.
Au début des années 2000, un constat douloureux a été réalisé, c’est que les politiques menées en la matière se sont révélées insuffisantes. Les députés, Mme Lazerges et M. Balduyck, mandatés en 1998 par le gouvernement pour réfléchir aux réponses à apporter à la délinquance des mineurs, ont, dans les conclusions de leur rapport, posé la première pierre de la restructuration des quartiers pour mineurs. Positionnant la délinquance des mineurs comme une grande cause nationale devant mobiliser tous les acteurs de la société, l’administration pénitentiaire était tout particulièrement montrée du doigt au regard des endémiques phénomènes de violence du Centre des jeunes détenus de Fleury-Mérogis. Les conseils de sécurité intérieure de juin 1998 et janvier 1999 ont ensuite permis la mise en oeuvre d’un certain nombre de recommandations des députés, dont celle de réaménager d’urgence les quartiers pour mineurs (QM).
Le vaste chantier qui s’en est suivi, et dont l’administration s’est saisie de façon exemplaire, constitue aujourd’hui le socle de travail des personnels pénitentiaires. Définition d’une carte pénitentiaire nouvelle pour les mineurs, aménagements et mise aux normes des QM, reconnaissance d’une spécificité des fonctions de surveillance et élaboration de profils de poste, créations de postes[114]et formation d’adaptation des personnels (…) sont autant de domaines dans lesquels une remise en cause profonde, alliée à l’allocation de moyens conséquents, a permis de juguler la violence en détention en améliorant de façon sensible la prise en charge des jeunes détenus[115].
Aujourd’hui, il est permis de mesurer le chemin parcouru, mais la difficile réalité continue toutefois de sauter aux yeux et le symbole très médiatique de Fleury, érigé en site pilote en matière de prise en charge, ne doit pas cacher des difficultés persistantes : étanchéité très relative entre mineurs et adultes dans de nombreuses maisons d’arrêt, architectures carcérales impropres à ce type de régime de détention, turn-over des personnels de surveillance et inexistence d’un corps de spécialistes pour travailler auprès de ce public[116] absence de structures différenciées pouvant accueillir les jeunes filles détenues et les mineurs condamnés…
Les efforts colossaux fournis par nombre de QM se heurtent aux limites de la rénovation de structures intrinsèquement inadaptées. Si on ajoute à cela l’évolution préoccupante du profil des jeunes arrivants en prison (nature et gravité des faits, déstructuration, et même troubles avérés et profonds de la personnalité, criminalité intervenant de plus en plus tôt…), on ne peut que se rendre à l’évidence quant au caractère insuffisant des politiques menées.
C’est ainsi qu’on a assisté à la mise en place de nouvelles mesures pénales et une sévérité accrue qui n’ont pas eu pour effet la flambée des incarcérations. La loi du 9 septembre 2002, modifiant certains aspects de l’ordonnance de 1945 en durcissant la procédure pénale applicable aux mineurs, entendait établir un panel de sanctions graduées et adaptées afin que tout passage à l’acte trouve une réponse immédiate et ce, quel que soit l’âge du mineur.
Ainsi, de nouveaux dispositifs ont vu le jour tels que la création des centres éducatifs fermés (CEF)[117] et la possibilité d’incarcérer en matière correctionnelle un jeune de moins de 16 ans en détention provisoire (en cas d’échec du placement)[118] ; la mise en oeuvre de la procédure de jugement à délai rapproché[119] notamment pour les 13-16 ans ; l’apparition des sanctions éducatives pour les enfants de 10 à 13 ans[120].
Néanmoins, si ces mesures ont, au moment de la parution du texte, ému nombre de professionnels de la justice des mineurs, elles n’ont pas eu pour effet une hausse significative des détenus mineurs, ni même une augmentation du ratio des 13-16 ans. C’est même la conjoncture inverse que l’on observe actuellement, avec un chiffre de détenus notablement bas qui oscille autour de 600 mineurs (623 au 1er janvier 2005 contre 901 au 1er juillet 2002). La tendance contraire est parallèlement observée chez les détenus majeurs.
Doit-on de ce fait conclure que les politiques pénales impactent peu la justice des mineurs qui reste « protégée » par le fonctionnement spécifique des juridictions spécialisées et la philosophie de l’ordonnance de 45 ?
L’objectif « récidive zéro » a guidé l’esprit du législateur au moment de la rédaction de la loi en visant particulièrement les mineurs multirécidivistes pour qui des sanctions ou procédures spécifiques sont prévues.
L’idée d’une réponse institutionnelle systématique à tout acte repose aussi sur la progressivité de sanctions graduelles allant des mesures éducatives « classiques » aux nouvelles sanctions dites éducatives, pour réserver aux sanctions pénales le haut de l’échelle. S’agissant des mesures de contention, le passage en CEF serait, soit une alternative, soit un préalable à l’incarcération en cas d’échec du placement.
Ce principe de la progressivité des sanctions et de leur immédiateté peut avoir le travers d’une logique comportementaliste, écartant un peu le traditionnel lien direct entre l’acte (l’individu, son histoire) et la sanction. Autrement dit, dans une optique de « tolérance zéro », c’est plus le comportement du délinquant qui va impacter directement la punition que la gravité de l’acte lui-même.
La LOPJ, dans son volet pénitentiaire, entend améliorer sensiblement les conditions de détention des mineurs, faisant ainsi un écho direct aux propositions des sénateurs. Si l’axe politique le plus spectaculaire est la création d’établissements spécialisés pour mineurs, la rénovation, voire l’extension, des QM existants n’est pas négligée. La fermeture des quartiers les plus vétustes, si elle est prévue par la loi, n’est à ce jour pas précisément programmée. La tendance générale reste à l’augmentation du parc.
Ainsi 27,8 millions d’euros sont consacrés à la mise aux normes de l’existant d’ici à la fin de l’année 2005 : la LOPJ prévoit la rénovation de quelque 500 places de détention, l’étendue de certains quartiers et la création de petites structures de 10 à 20 places dans des établissements qui n’en sont pas dotés.
Nonobstant les fermetures futures, les chiffres sont évocateurs. Nous passerions ainsi des 920 places de prison actuelles (réparties dans 53 QM) à 1 103 places pour 65 quartiers pour mineurs en septembre 2006[121]. S’ajouteront en outre en 2007 le parc des 420 places d’EPM qui seront alors achevés. Si, comme le préconisaient les sénateurs, ces créations ne sont pas le corollaire de fermetures conséquentes, sera-t-on en mesure et souhaite-t-on demain incarcérer quelques 1 500 jeunes de 13 à 18 ans dans nos prisons ? Parallèlement, et bien que n’étant pas à l’ordre du jour, pourrait être posée la question du numerus clausus qui contribuerait à garantir une qualité du service public pénitentiaire pour cette catégorie de détenus, faute de pouvoir le généraliser sur l’ensemble de la population placée sous main de justice.
Chapitre B L’immeuble, le milieu d’exécution des peines
L’immeuble est enfin un élément important dans l’exécution des peines. Il y a ainsi plusieurs sous-catégories d’immeubles qui peuvent être rassemblée sous deux grandes catégories : les milieux d’espaces semi-ouverts et les milieux d’espace fermés.
Les établissements pénitentiaires sont classés en deux grandes catégories : les maisons d’arrêt et les établissements pour peine. Pour raison de santé, un détenu peut être soigné en dehors d’un établissement pénitentiaire et conduit dans un hôpital. Il existe huit unités hospitalières sécurisées interrégionales (UHSI), implantées au sein d’un établissement de santé permettant l’accueil de personnes souffrant de troubles somatiques. L’administration pénitentiaire dispose elle-même d’un hôpital pénitentiaire à Fresnes. Les hospitalisations psychiatriques s’effectuent, quant à elles, au sein des services médicaux psychologiques régionaux (SMPR), implantés dans des quartiers ou des ailes au sein des établissements pénitentiaires. Depuis la loi no 2002-1138 du 9 septembre 2002[122], des structures complémentaires ont été créées pour des hospitalisations programmées supérieures à quarante-huit heures. Sept unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA), réservées aux détenus atteints de troubles psychiatriques, étaient en service au 1er janvier 2015 (source : chiffres clés de l’administration pénitentiaire).
Section a L’immeuble, un milieu d’exécution en espace semi-ouvert
Les établissements pour peine, qui se destinent à l’accueil des condamnés, se subdivisent eux-mêmes en plusieurs entités : centres de détention, maisons centrales, centres de semi-liberté, centres pour peines aménagées, établissements accueillant des mineurs ou des jeunes détenus.
Paragraphe 1 : les milieux semi-ouverts proprement dits
La notion de milieu semi-ouvert n’a pas véritablement de signification juridique. Elle permet toutefois de regrouper des mesures qui ne se déroulent ni tout à fait en milieu libre ni tout à fait en milieu fermé. Elle renvoie aussi à l’idée que ces mesures s’exécutent, sur le plan juridique, sous écrou.
Des détenus sont ainsi admis à exercer une activité dans le monde extérieur, avec une surveillance ou emprise variable de la part de l’Administration pénitentiaire, et regagnent l’établissement à intervalles plus ou moins réguliers.
La notion de milieu semi-ouvert a en revanche indéniablement une cohérence et un sens sur le plan social. Il s’agit, avec le milieu libre, tantôt d’un mode de gestion des courtes peines et, à ce titre, cela permet de remédier à ses dangers spécifiques, tantôt d’une période d’adaptation au monde extérieur avant la libération, tantôt d’une mesure permettant un contrôle et/ou un travail social plus intensif de la personne condamnée qui, au regard de son profil, le nécessite, qu’une mesure telle que le placement sous surveillance électronique statique (PSES) ou la libération conditionnelle.
Dans la pratique, les décisions ici étudiées sont généralement regroupées sous le vocable de « milieu ouvert » par opposition au « milieu fermé » que constitue la détention d’où proviennent souvent les condamnés qui en font l’objet.
Toutefois, la notion de milieu ouvert nous paraît inadéquate pour deux raisons. En premier lieu, parce qu’elle ne correspond pas tant à la nature même des aménagements de peine en cause, qu’aux conditions dans lesquelles les travailleurs sociaux les mettent en œuvre. Ceux-ci exercent tantôt au sein des prisons, tantôt dans le monde libre. Cette opposition n’a pas été supprimée par l’instauration du Spip.
Les centres de semi-liberté ou les quartiers de semi-liberté ont, par essence, vocation à accueillir les condamnés placés sous le régime de la semi-liberté ou ceux bénéficiant d’un placement extérieur, y compris ceux qui ne sont pas soumis à une surveillance du personnel pénitentiaire sur le fondement de l’article D. 136 du code de procédure pénale.
Les centres de semi-liberté sont toutefois en concurrence avec les centres pour peines aménagées. Le régime des centres ou des quartiers de semi-liberté est essentiellement tourné vers la réinsertion sociale et la préparation à la sortie des condamnés (C. pr. pén., art. D. 72-1, al. 1er).
La situation des détenus est cependant plus favorable dans les centres de semi-liberté que dans les quartiers de semi-liberté des maisons d’arrêt, car elle les rapproche un peu plus des conditions du monde libre.
Néanmoins, en pratique, les places de semi-liberté sont en nombre insuffisant, spécialement en centre de semi-liberté, mais également en quartier de semi-liberté. Pour autant, il n’est pas possible de maintenir un condamné en détention ordinaire.
Il serait dangereux pour la sécurité des personnes – à commencer par la sienne – et des biens de le laisser au milieu de détenus qui, contrairement à lui, ne sortent pas de manière régulière à l’extérieur. C’est notamment pour cette raison que la Cour de cassation a rendu un avis, sollicité par une juridiction de l’application des peines, aux termes duquel, « la juridiction de l’application des peines ne peut ordonner, dans sa décision d’aménagement de peine, le maintien d’un condamné à l’établissement de son lieu d’écrou, dès lors que n’existe, dans cet établissement, ni quartier de semi-liberté ni quartier pour peines aménagées »[123].
Paragraphe 2 : les milieux pour peine aménagée
À l’instar des centres ou des quartiers de semi-liberté, les centres pour peines aménagées (et quartiers pour peines aménagées) ont vocation à recevoir les bénéficiaires d’une semi-liberté ou d’un placement à l’extérieur. Ces centres pour peines aménagées ont été créés par le décret no 2002-663 du 30 avril 2002.
Ils peuvent, en outre, recevoir des condamnés dont le reliquat de peine est inférieur à deux ans (C. pr. pén., art. D. 72-1). Dans le premier cas, cette vocation d’accueil des centres pour peines aménagées, qui fait double emploi avec les centres ou quartiers de semi-liberté, a pour principale justification de pallier le déficit en nombre de places de ces derniers, même si l’avenir est à la multiplication de nouveaux centres.
Le régime des centres pour peines aménagées (CPA) est identique à celui des centres ou quartiers de semi-liberté. Il est « principalement orienté vers la réinsertion sociale et la préparation à la sortie des condamnés ». Toutefois, le condamné ne sera pas systématiquement à l’extérieur durant la journée pour exécuter un travail ou une formation.
Le régime des centres pour peines aménagées doit, en conséquence, reposer sur des actions d’insertion organisées à l’intérieur même de l’établissement. Ces actions revêtent une importance considérable au regard du régime dérogatoire au droit commun en vigueur dans ces établissements. Les détenus ne peuvent, en effet, recevoir de visites (C. pr. pén., art. D. 86).
Le maintien des liens familiaux est assuré par une faculté élargie de bénéficier de permissions de sortir pour motifs familiaux et de réinsertion sociale. Sans condition de délai, les condamnés affectés en centre pour peines aménagées voient la durée maximale des permissions de sortir de l’article D. 145 du code de procédure pénale portée de trois à cinq jours (C. pr. pén., art. D. 146-1).
Compte tenu des particularismes du régime des centres ou quartiers pour peines aménagées et de l’absence de parloirs, l’affectation dans de tels établissements requiert obligatoirement l’accord du condamné (C. pr. pén., art. D. 72-2, al. 4). Ces nouveaux centres correspondant en somme à des lieux d’incarcération « à mi-chemin entre la détention et la semi-liberté, dans une vision progressive de l’exécution de la condamnation, le régime des CPA facilitera les séjours à l’extérieur, tout en privilégiant en interne les activités sociales sur les questions de sécurité »[124].
Section b L’immeuble, un milieu d’exécution en espace fermé
Les établissements pour peines comprennent aussi une catégorie générique d’établissements qualifiée de « centres pénitentiaires », qui « regroupe des quartiers distincts pouvant appartenir aux différentes catégories d’établissements pénitentiaires » existantes (C. pr. pén., art. D. 70 ; par ex., maison d’arrêt et centre de détention ou maison centrale et centre de détention). Les établissements pour peine peuvent également recevoir des prévenus qui sont condamnés dans une ou plusieurs autres affaires (C. pr. pén., art. D. 52).
Paragraphe 1 : Les maisons d’arrêt
Les maisons d’arrêt accueillent les prévenus et les accusés mis en examen, c’est-à-dire les personnes en attente de jugement et les condamnés qui doivent exécuter une peine d’emprisonnement inférieure à deux ans. Sont concernés les condamnés à l’emprisonnement d’une durée inférieure à deux ans et les condamnés auxquels il reste à subir une peine d’une durée inférieure à un an (C. pr. pén., art. 717, al. 2, et D. 70).
L’incarcération d’un condamné dans une maison d’arrêt doit rester, selon l’article 717, exceptionnelle. Elle doit être motivée par des conditions tenant à la préparation de sa libération, sa situation familiale ou en raison de sa personnalité. Elle doit encore s’effectuer dans un quartier distinct, sachant que le régime applicable en maison d’arrêt est celui de l’emprisonnement individuel de jour et de nuit (C. pr. pén., art. 716 et 717-2).
Pour les personnes placées en détention provisoire, il ne peut être dérogé à ce principe que : …si les intéressés en font la demande ; …si leur personnalité justifie, dans leur intérêt, qu’ils ne soient pas laissés seuls ; …s’ils ont été autorisés à travailler ou à suivre une formation professionnelle ou scolaire et que les nécessités d’organisation l’imposent (C. pr. pén., art. 716).
Il n’est dérogé à cette règle, pour les condamnés, que si les intéressés en font la demande, si leur personnalité justifie, dans leur intérêt, qu’ils ne soient pas laissés seuls ou en raison des nécessités d’organisation du travail (C. pr. pén., art. 717-2). Ceci n’exclut pas qu’ils puissent bénéficier d’activités collectives (C. pr. pén., art. D. 95).
Dans les faits, les modalités de détention s’écartent sensiblement des principes posés par le code de procédure pénale, en raison d’un surencombrement récurrent des maisons d’arrêt. Ces dernières sont au nombre de 91 (outre 42 quartiers maisons d’arrêt) sur 188 établissements au 1er janvier 2015.
Il faut compter aussi avec des capacités d’hébergement disparates selon les établissements, non sans incidence sur le régime de détention. Le taux de détention, très variable selon les régions pénitentiaires, révèle des situations locales critiques.
Ainsi, quelques maisons d’arrêt avoisinent un taux d’occupation alarmant et la France a atteint ces toutes dernières années un chiffre record de détenus qui génère une surpopulation sans précédent.
Dès lors, il n’est guère étonnant de constater que les détenus se trouvent très majoritairement soumis, dans les maisons d’arrêt, au régime d’emprisonnement en commun. L’article 716 in fine du code de procédure pénale intègre cette possibilité en prévoyant que « lorsque les personnes mises en examen, prévenus et accusés sont placés en cellule collective, les cellules doivent être adaptées au nombre des personnes détenues qui y sont hébergées.
Celles-ci doivent être aptes à cohabiter ». L’exception à l’encellulement individuel dans les maisons d’arrêt est surtout légitimée par des dispositions transitoires largement renouvelées. La date butoir du 16 juin 2003 avait été initialement retenue par la loi no 2000-516 du 15 juin 2000 pour généraliser l’encellulement individuel (art. 68, JO 16 juin ; D. 2000. 253).
Mais, inapplicable, ce texte a été remanié par la loi no 2003-495 du 12 juin 2003 renforçant la lutte contre la violence routière (JO 13 juin ; D. 2003. 1668). L’exception à l’encellulement individuel pour les personnes placées en détention provisoire, tenant à la distribution des lieux ou au nombre de détenus présent, a été entérinée pour une période de cinq ans à compter de la promulgation de cette loi, puis pour une nouvelle période de cinq ans, par la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009.
Cette dernière permettait, dans la limite de cinq ans à compter de sa publication, de déroger au placement en cellule individuelle dans les maisons d’arrêt au motif tiré de ce que la distribution intérieure des locaux ou le nombre de personnes détenues présentes rendait impossible son application.
Cependant, la personne condamnée ou, sous réserve de l’accord du magistrat chargé de l’information, la personne prévenue pouvait demander son transfert dans la maison d’arrêt la plus proche permettant un placement en cellule individuelle (L. pénit., art. 100). Il a d’ailleurs été jugé que le droit reconnu au profit des personnes mentionnées à l’article 716 à être placées sous le régime de l’encellulement individuel n’a pas un caractère absolu puisqu’il prévoit justement des dérogations[125].
Ce dispositif, une fois encore, a été prolongé pour cinq ans de plus, jusqu’au 31 décembre 2019, par la loi no 2014-1655 du 29 décembre 2014 (JO 30 déc.). Avant cette date fatidique, au deuxième trimestre de l’année 2016, puis au dernier trimestre de l’année 2019, le Gouvernement devra présenter au Parlement un rapport sur l’encellulement individuel. Celui-ci comprendra, « en particulier, une information financière et budgétaire relative à l’exécution des programmes immobiliers pénitentiaires depuis la promulgation de la présente loi et à leur impact quant au respect de l’objectif de placement en cellule individuelle » (L. pénit., art. 100, mod.).
Paragraphe 2 : les établissements pour peine
Les établissements pour peine, qui se destinent à l’accueil des condamnés, se subdivisent eux-mêmes en plusieurs entités : centres de détention, maisons centrales, centres de semi-liberté, centres pour peines aménagées (que nous venons d’étudier supra), établissements accueillant des mineurs ou des jeunes détenus.
Les établissements pour peines comprennent aussi une catégorie générique d’établissements qualifiée de « centres pénitentiaires », qui « regroupe des quartiers distincts pouvant appartenir aux différentes catégories d’établissements pénitentiaires » existantes (C. pr. pén., art. D. 70 ; par ex., maison d’arrêt et centre de détention ou maison centrale et centre de détention). Les établissements pour peine peuvent également recevoir des prévenus qui sont condamnés dans une ou plusieurs autres affaires (C. pr. pén., art. D. 52).
Avec la loi no 2002-1138 du 9 septembre 2002[126], les établissements pour peine ont connu un changement significatif. Les principes de la distinction entre centre de détention à vocation nationale et centre de détention à vocation régionale (qui accueillaient les condamnés à des peines inférieures ou égales à cinq ans, voire sept ans dans certains cas) et de la séparation des condamnés d’après le quantum et le reliquat de leur peine ont disparu au profit d’une plus grande souplesse d’affectation pour l’administration pénitentiaire.
Ces disparitions doivent permettre d’affecter les condamnés dans des établissements sur la base de critères liés à leur éventuelle dangerosité, à leur personnalité, à des considérations sociales et non pas au regard du quantum de leur peine (qui ne révèle pas forcément la dangerosité authentique d’un condamné), même si, en pratique, il pouvait déjà arriver, avant la loi de 2002, que des détenus condamnés à de courtes peines purgent celles-ci dans des maisons centrales ou, au contraire, que des condamnés à de longues peines soient affectés, en préalable à leur sortie, en centre de détention[127].
L’unification des centres de détention doit encore rendre plus rapide l’affectation des condamnés en élargissant le panel des établissements d’affectation possibles. Par ailleurs, une nouvelle catégorie d’établissement a vu le jour : les centres pour peines aménagées[128].
- Les centres de détentions :
Les centres de détention correspondent à la catégorie d’établissements ou de quartiers au sein d’un établissement qui comportent un régime orienté à titre principal vers la réinsertion sociale et, le cas échéant, vers la préparation à la sortie des condamnés (C. pr. pén., art. D. 72). Ils peuvent recevoir des condamnés, indépendamment de la durée de leur peine ou des peines prononcées à leur encontre, ainsi que des reliquats restant à subir.
Les centres de détention peuvent recevoir aussi bien des condamnés affectés par décision ministérielle que par décision d’un directeur interrégional des services pénitentiaires. En pratique, des quotas d’attribution de places entre directions régionales et administration centrale sont déterminés pour chaque établissement. Ces quotas sont révisables selon les besoins.
Le but est d’optimiser leur gestion en fonction de la démographie carcérale. Ainsi, certains centres de détention plus particulièrement adaptés, du fait de l’existence de projets d’établissement ou d’une architecture favorisant la prise en charge de longues peines, peuvent recevoir une proportion significative de condamnés relevant de la compétence de l’administration centrale[129].
- Maison centrales :
Les maisons centrales ou les quartiers de maison centrale accueillent des condamnés dans le cadre d’une organisation et d’un régime de sécurité renforcés. Nonobstant cette orientation sécuritaire, le régime appliqué doit préserver et développer les possibilités de réinsertion sociale des condamnés (C. pr. pén., art. D. 71).
- Établissements destinés aux mineurs et aux jeunes détenus :
L’ordonnance no 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante (JO 4 févr., in Code de procédure pénale Dalloz) prévoit, dans son article 20-2, alinéa 4, que l’emprisonnement des condamnés mineurs est subi dans un quartier spécial d’un établissement pour mineurs ou dans un établissement pénitentiaire spécialisé pour mineurs.
Les jeunes condamnés de moins de 21 ans peuvent aussi être affectés dans des quartiers spécialisés comportant un régime aménagé (C. pr. pén., art. D. 521). Ce régime fait une large place à l’éducation et à la formation professionnelle. Ainsi, les détenus âgés de moins de 21 ans sont-ils soumis à l’isolement de nuit, sauf pour motif médical ou en raison de leur personnalité (risque de suicide, par exemple).
Ils ne peuvent alors être placés qu’avec des détenus de leur âge (C. pr. pén., art. D. 521-1). Ils participent – excepté pour les prévenus sur décision du magistrat instructeur – à des activités de formation professionnelle, d’enseignement ou à des séances éducatives, sportives ou de loisirs. Ils sont, bien évidemment, autorisés à travailler et les activités de plein air doivent être privilégiées.
La loi de programmation pour la justice du 9 septembre 2002 (préc.) a prévu la construction de nouveaux établissements spécialisés pour mineurs. Il s’agit d’une innovation de taille puisque, jusqu’alors, la détention des mineurs se faisait exclusivement dans des quartiers d’établissements pour majeurs.
Six établissements pour mineurs existent : Quievrechain (Valencienne), Chauconin (Meaux), Meyzieu (Lyon), Porcheville (Mantes), Orvault (Nantes), Lavaur (Toulouse) et Marseille. Ils accueillent entre quarante et soixante mineurs répartis en six unités de vie : quatre secteurs d’hébergement classiques et séparés, une unité dédiée aux jeunes filles et une autre aux arrivants.
L’objectif principal est double : l’amélioration des conditions de détention des mineurs est recherchée et la prise en charge se veut novatrice. Le régime de détention dans ces structures diffère de celui des quartiers classiques pour mineurs. Ainsi, la prise en charge est ajustée aux mineurs en l’absence des contraintes inhérentes (architecturales, sécuritaires) du parc traditionnel et les journées de détention comportent une amplitude horaire élargie (7h30/21h30), afin de favoriser un emploi du temps dense, cadré, en groupe restreint[130].
L’ouverture de ces établissements s’est traduite par une refonte de la réglementation applicable et de leur régime de détention (not. C. pr. pén., art. R. 57-9 s.), ainsi que par une adaptation de la discipline avec le décret no 2007-814 du 11 mai 2007[131].
Bibliographie
Textes :
- Code civil
- Code pénal
- La loi du 22 juin 1987, relative au service public pénitentiaire
- loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité
Ouvrages et articles :
- HELLOUIN, L’itinéraire des détenus. Étude réalisée à partir de quelques établissements pénitentiaires de la région de Bordeaux, thèse, Poitiers, 1999
- Revet, Regards d’un civiliste sur le droit pénal des biens, in Droit pénal et autres branches du Droit, Cujas
- KALIEU, De la fongibilité des immeubles, LPA 17 oct. 2001
- GOBERT, La publicité foncière, cette mal-aimée, Mélanges Flour, 1979, Defrénois,
- H. BLAISE, Les rapports entre le fonds de commerce et l’immeuble dans lequel il est exploité, RTD com. 1966.
- Badinter, Projet de nouveau Code pénal, Dalloz, 1986
- Benillouche, « La subjectivisation de l’élément moral de l’infraction » : Rev. sc. crim. 2005, p. 529
- L’immeuble, le mal aimé du droit pénal, Coralie Ambroise-Castérot, RSC 2010 p.152
- -L. RASSAT, Droit pénal spécial. Infraction des et contre les particuliers, 5eéd., 2006, Précis Dalloz
- P.-A. PAGEAUD, L’intention de la victime comme critère de la notion de « soustraction » en matière de vol, JCP 1955. I. 1256
- Rochfeld, Les grandes notions du droit privé, PUF, coll. Thémis, 2011
- Carbonnier, Les biens, les obligations, PUF, coll. Quadrige, 2004
- Léauté, Le rôle de la théorie civiliste de la possession dans la jurisprudence relative au vol, à l’escroquerie et à l’abus de confiance, Mélanges Maurice Patin, Cujas, 1965
- -P. Lucas de Leyssac, Une information seule est-elle susceptible de vol ou d’une autre atteinte juridique aux biens ?, D. 1985. 43.
- Dreyer, Droit pénal spécial, Ellipses, 2016, 3e éd
- Dreyer in Droit pénal général, Lexis Nexis, 2012
Jurisprudence :
- crim., 18 mars 2008, n° 07-86075 : Dr. pén. 2008, comm. 84, obs. M. Véron ; Gaz. Pal. 4 sept. 2008, p. 13, H2042, note F. Desprez ; Rev. sc. crim. 2008/3, p. 587, obs. Y. Mayaud.
- crim., 16 févr. 2005, n° 04-82398
- crim., 3 mars 1960 : Bull. crim. n° 138 ; Rev. sc. crim. 1961, p. 105, obs. A. Legal
- CEDH, 10 févr. 2009, n° 14939/03, Zolotoukhine c/ Russie, § 82 ; v. E. Dreyer, Droit pénal général, op. cit., n° 586
- 29 avr. 1986, RTD com. 1987. 258 et RSC 1988. 311, obs. P. Bouzat ; 9 mars 1987, JCP 1988. II. 20913, note J. Devèze.
- 13 janv. 2009, n° 08-84.069, Bull. crim. n° 12, JCP 2009, IV, 1329 ; Dr. pénal 2009, comm. 37, obs. Robert ; CCC 2009, comm. 119, obs. Raymond ; AJ pénal 2009. 179, obs. J.-R. Demarchi; JCP 2009. II. 10094, note Donnier ; Rev. pénit. 2009, p. 459, obs. Robert
- 18 nov. 1837, Bull. crim. no405, S. 1838. 1.366 ; 14 déc. 1839, Bull. crim. no 380, S. 1840. 1.550 ; 2 mai 1845, S. 1845. 1.474, DP 1845. 1.298). Dans son code pénal annoté (sous art. 379, no 41.
- 10 oct. 2001, no00-87.605, Bull. crim. no 205 ; D. 2002, somm. 1796, obs. Lamy
- 9 sept. 1824, Bull. crim. no114 ; 10 juill. 1864, DP 1864. 1.325 ; 27 avr. 1866, DP 1866. 1.288 ; 17 juill. 1884, DP 1885. 1.43 ; 22 oct. 1890, DP 1891. 1. 101 ; 10 janv. 1896, Bull. crim. no 16 ; 25 juill. 1901, ibid., no 213
Conclusion
Au vue du développement que nous venons d’effectuer donc, il apparait qu’effectivement, l’immeuble ne jouit pas du même prestige qu’en droit civil en droit pénal. Autant, en droit civil on insiste sur la summa division bien mobilier/ biens immobiliers pour bien caractériser la différence de régime entre les deux catégories de bien. Autant en droit pénal le terme bien incluse indifféremment les meubles et les immeubles, jusqu’à les fondre dans la même moule de protection en cas d’atteinte. Que ce soit pour une atteinte juridique ou matérielle d’ailleurs.
Il apparaît même que le bien meuble est de loin mieux protégé que le bien immeuble en droit pénal, et cela pour la seule raison que le bien meuble souffre d’une précarité qui ne frappe pas l’immeuble qui est caractérisé par une quasi-immuabilité.
Pour autant, l’immeuble n’est pas totalement dénué d’intérêt dans le droit pénal dans la mesure où il sert un très grand dessein, celui de soutenir les renforcements de la politique répressive de l’Etat et sa mise en application. Depuis quelques années, on assiste ainsi à la une lutte de plus en plus accrue contre le problème de la surpopulation des prisons.
Lutte qui a entraîné la mise en place de mesures destinées à réformer en profondeur le système pénitencier de l’Etat, jusqu’à modifier complètement la façon de travailler du personnel. Le but étant d’avoir enfin un système qui permettre une réinsertion effective des détenus après l’exécution de leur peine, éviter les récidives. Et pour ce faire, il faut respecter leurs droits, notamment concernant les recours qui leur sont octroyés.
Mais ce ne sont pas les seuls rôles joués par l’immeuble dans le droit pénal. Il y a aussi le fait que l’immeuble est un objet de sanction pénal particulièrement intéressant. En effet, saisir l’immeuble objet ou produit de l’infraction permet d’effacer le profit réalisé, spécialement à l’égard du délinquant financier qui craint moins pour sa personne que pour son patrimoine.
Les sanctions réelles destinées à faire cesser une situation illicite participent d’un renouvellement des sanctions pénales vers moins de punition et plus de régulation ; une évolution contestée au regard du principe de personnalité des peines mais valorisée pour ses vertus d’efficacité. Seule la confiscation porte directement sur l’immeuble. La fermeture d’établissement ne rend pas l’immeuble indisponible, c’est l’activité illicite qu’il s’agit d’éradiquer ; toutefois, en fermant l’établissement, l’immeuble perd de sa valeur.
La place de l’immeuble dans le droit pénal apparaît ainsi finalement assez claire : Observé comme un vecteur vers la personne, l’immeuble apparaît alors à tous les stades du processus criminel : lors de l’infraction, dont il peut être l’objet ; pour la recherche des preuves, dont il peut être un lieu ; pour la sanction, qu’il peut subir. L’immeuble ne se confond pas pour autant avec la personne ; il reste un bien, sur lequel des tiers peuvent détenir des droits.
Il ne jouit pas de la même protection qu’en droit civil car on ne le considère pas de la même façon : pour sa valeur patrimoniale, mais seulement comme le prolongement de l’individu.
Table des matières
PARTIE 1 : L’IMMEUBLE, LE MAL-AIMÉ DU DROIT PÉNAL. 12
Chapitre A l’immeuble, un support faible pour la protection pénale de propriété. 12
Section a : L’immeuble, le rôle faible dans les textes d’ incrimination du » furtum » 13
Paragraphe 1 : l’inapplicabilité de l’infraction du vol à l’immeuble. 13
Paragraphe 2 : les autres atteintes juridiques contre les immeubles. 17
- L’infraction d’abus de confiance. 17
- L’infraction d’escroquerie. 21
- la souplesse de la notion. 21
- L’immeuble, un bien susceptible d’escroquerie ?. 24
Paragraphe 1 : la qualification des infractions d’atteintes matérielle. 26
Paragraphe 2 : la protection de l’immeuble. 27
Chapitre B : L’immeuble, un support pour la protection renforcée de la sphère privée. 29
Section a L’immeuble d’habitation et la vie privée (intimité) 29
Paragraphe 1 : le droit au respect de la vie privée. 29
Paragraphe 2 : l’inviolabilité du domicile. 30
Section b L’immeuble d’habitation et la dignité humaine. 31
Paragraphe 1 : de la dignité de la personne humaine. 31
PARTIE 2 L’IMMEUBLE, OUTIL ESSENTIEL DE LA REPRESSION PENALE.. 34
Chapitre A L’immeuble, un facteur de renforcement et d’application de la politique répressive. 34
Section a L’immeuble, un support de renforcement de la politique répressive. 34
Section b L’immeuble, un support d’application de la politique répressive. 34
Chapitre B L’immeuble, le milieu d’exécution des peines. 34
Section a L’immeuble, un milieu d’exécution en espace semi-ouvert 34
Section b L’immeuble, un milieu d’exécution en espace fermé. 35
[1] T. Revet, Regards d’un civiliste sur le droit pénal des biens, in Droit pénal et autres branches du Droit, Cujas 2012, p. 2
[2] Art. 518 C. civ. : « [l]es fonds de terre et les bâtiments sont immeubles par leur nature ».
[3] Art. 519 C. civ. : « [l]es moulins à vent ou à eau, fixés sur piliers et faisant partie du bâtiment, sont aussi immeubles par leur nature ».
[4] Art. 520 C. civ. : « [l]es récoltes pendantes par les racines et les fruits des arbres non encore recueillis sont pareillement immeubles. (al. 1) Dès que les grains sont coupés et les fruits détachés, quoique non enlevés, ils sont meubles. (al. 2) Si une partie seulement de la récolte est coupée, cette partie seule est meuble. (al. 3) » ; art. 521 C. civ. : « [l]es coupes ordinaires des bois taillis ou de futaies mises en coupes réglées ne deviennent meubles qu’au fur et à mesure que les arbres sont abattus ».
[5] Et les améliorations apportées au sol, notamment par les pratiques culturales (Com. 24 mars 1981, Bull. civ. IV, no 159 : « les améliorations apportées à un fonds de terre par les pratiques culturales, qui ne peuvent être matériellement dissociés du fonds de terre auquel elles ont profité, sont des immeubles par nature »).
[6] Ce qui comprend notamment les mines. D’après l’article L. 131-4 du nouveau Code minier, « [l]es mines sont immeubles. Sont aussi immeubles, outre les bâtiments des exploitations des mines, les machines, puits, galeries et autres travaux établis à demeure ».
[7] La règle vaut également pour le domaine public (Civ. 3e, 3 juillet 2013, Bull. civ. III, no 94, JCP 2013, I, 1060, obs. H. Périnet-Marquet : si une personne privée ne s’est pas vue conférer par une personne publique un titre de propriété, notamment de superficie, au sujet d’un ouvrage édifié au-dessus du sol appartenant à une commune, celui-ci est présumé lui appartenir en vertu des règles de l’accession).
[8] C’est ce qui explique qu’un lot de copropriété non bâti, conférant le droit exclusif d’utiliser une surface déterminée du sol pour y édifier des constructions, soit considéré comme un immeuble par nature (Civ. 3e, 15 novembre 1989, Bull. civ. III, no 213, RTD civ. 1990, p. 304, obs. F. Zenati : application des règles de la saisie-immobilière).
[9] V. les hésitations lors de la tentative de réforme du code civil, in Travaux de la Commission de réforme du Code civil, 1946-1947, Sirey, p. 620 s.
[10] V. néanmoins Y. KALIEU, De la fongibilité des immeubles, LPA 17 oct. 2001, p. 5
[11] C. civ. Dalloz. – Sur l’évolution de la publicité foncière, M. GOBERT, La publicité foncière, cette mal-aimée, Mélanges Flour, 1979, Defrénois, p. 207.
[12] P.-A. FENET, t. 14, p. 49
[13] V. H. BLAISE, Les rapports entre le fonds de commerce et l’immeuble dans lequel il est exploité, RTD com. 1966. 827
[14] V. sur cette question, A. Peyrefitte, Les Chevaux du lac Ladoga, Plon, 1981, rééd. 1996, § 24 et s.
[15] V. not. E. Dreyer, Droit pénal spécial, Ellipses, 2012, nos 7 et 8.
[16] R. Badinter, Projet de nouveau Code pénal, Dalloz, 1986, p. 9.
[17] V. sur cette référence aux « valeurs protégées », les observations critiques de E. Dreyer in Droit pénal général, Lexis Nexis, 2012, nos 145 et s.
[18] V. M. Benillouche, « La subjectivisation de l’élément moral de l’infraction » : Rev. sc. crim. 2005, p. 529 ; Rappr. égal. les observations du professeur J. Francillon in G. Roujou de Boubée, B. Bouloc, J. Francillon, Y. Mayaud, Code pénal commenté, Dalloz, 1996, p. 183, qui souligne : « Ce qui frappe à la lecture du nouveau Code pénal, ce sont précisément les avancées que ce code réalise sur le terrain de la responsabilité subjective ».
[19] Rappr. les critiques de cette référence aux valeurs in E. Dreyer, in Droit pénal général, préc., n° 148, qui souligne « les dangers de la réflexion quant aux fins ».
[20] Cass. crim., 18 mars 2008, n° 07-86075 : Dr. pén. 2008, comm. 84, obs. M. Véron ; Gaz. Pal. 4 sept. 2008, p. 13, H2042, note F. Desprez ; Rev. sc. crim. 2008/3, p. 587, obs. Y. Mayaud.
[21] V. par ex. : Cass. crim., 16 févr. 2005, n° 04-82398 : dès lors qu’en reculant brutalement avec son véhicule afin de détruire les portes vitrées de l’entrée du service des urgences hospitalières, le prévenu avait nécessairement conscience des atteintes à l’intégrité physique ou psychique qui pouvaient en résulter pour les personnes présentes.
[22] Y. Mayaud, Rev. sc. crim. 2008, p. 587, préc. : l’auteur relève que l’hésitation entre les qualifications d’atteinte aux personnes et d’atteinte aux biens était légitime : « De fait, il y avait de quoi hésiter, puisque l’acte de dégradation a été générateur de l’émotion qui a servi de fondement à la condamnation de son auteur. Nous sommes là au cœur d’un concours idéal d’infractions, le même fait trouvant une double expression pénale, en termes, et d’atteinte aux biens, et d’atteinte à la personne ».
[23] Cass. crim., 3 mars 1960 : Bull. crim. n° 138 ; Rev. sc. crim. 1961, p. 105, obs. A. Legal.
[24] E. Dreyer souligne la nécessité de prendre en compte « l’état d’esprit de l’agent », Droit pénal général, op. cit., n° 584.
[25] On sait aussi que cette analyse tendant à prendre en compte les différentes valeurs sociales protégées paraît aujourd’hui condamnée par la Cour européenne de Strasbourg (CEDH, 10 févr. 2009, n° 14939/03, Zolotoukhine c/ Russie, § 82 ; v. E. Dreyer, Droit pénal général, op. cit., n° 586).
[26] Y. Mayaud, Rev. sc. crim. 2008/3, préc.
[27] Sur ces notions, v. E. Dreyer, Droit pénal général, préc., n° 576.
[28] L’immeuble, le mal aimé du droit pénal, Coralie Ambroise-Castérot, RSC 2010 p.152. voir également (Crim. 13 janv. 2009, n° 08-84.069, Bull. crim. n° 12, JCP 2009, IV, 1329 ; Dr. pénal 2009, comm. 37, obs. Robert ; CCC 2009, comm. 119, obs. Raymond ; AJ pénal 2009. 179, obs. J.-R. Demarchi; JCP 2009. II. 10094, note Donnier ; Rev. pénit. 2009, p. 459, obs. Robert)
[29] M.-L. RASSAT, Droit pénal spécial. Infraction des et contre les particuliers, 5e éd., 2006, Précis Dalloz, no 222.
[30] par ex., C. pén., art. 434-11.
[31] V. P.-A. PAGEAUD, L’intention de la victime comme critère de la notion de « soustraction » en matière de vol, JCP 1955. I. 1256.
[32] Crim. 18 nov. 1837, Bull. crim. no 405, S. 1838. 1.366 ; 14 déc. 1839, Bull. crim. no 380, S. 1840. 1.550 ; 2 mai 1845, S. 1845. 1.474, DP 1845. 1.298). Dans son code pénal annoté (sous art. 379, no 41.
[33] Ibid.
[34] Crim. 10 oct. 2001, no 00-87.605, Bull. crim. no 205 ; D. 2002, somm. 1796, obs. Lamy.
[35] En conséquence, le délit peut avoir pour objet : le bétail d’une exploitation agricole, machines ou camions d’une usine, que le droit civil déclare immeubles comme le fonds économique avec lequel ils forment un tout, ou encore des immeubles par nature : tuiles d’une toiture, pierres d’un mur, sable, gravier, arbre, charbon, minerais, dès lors qu’ils sont détachés de l’immeuble principal, soit avant la soustraction, soit par la soustraction (V. E. GARÇON, sous art. 373, no 283. – Crim. 9 sept. 1824, Bull. crim. no 114 ; 10 juill. 1864, DP 1864. 1.325 ; 27 avr. 1866, DP 1866. 1.288 ; 17 juill. 1884, DP 1885. 1.43 ; 22 oct. 1890, DP 1891. 1. 101 ; 10 janv. 1896, Bull. crim. no 16 ; 25 juill. 1901, ibid., no 213).
[36] J. Rochfeld, Les grandes notions du droit privé, PUF, coll. Thémis, 2011, Notion n° 4.
[37] J. Carbonnier, Les biens, les obligations, PUF, coll. Quadrige, 2004, n° 707 p. 1592.
[38] J. Léauté, Le rôle de la théorie civiliste de la possession dans la jurisprudence relative au vol, à l’escroquerie et à l’abus de confiance, Mélanges Maurice Patin, Cujas, 1965, p. 223 s.
[39] M.-P. Lucas de Leyssac et A. Mihman, Droit pénal des affaires, Economica, 2009, n° 125, p. 86.
[40] Crim. 8 déc. 1971, Bull. crim., n° 341, qui pouvait être diversement interprété.
[41] M.-P. Lucas de Leyssac, Une information seule est-elle susceptible de vol ou d’une autre atteinte juridique aux biens ?, D. 1985. 43.
[42] Crim. 29 avr. 1986, RTD com. 1987. 258 et RSC 1988. 311, obs. P. Bouzat ; 9 mars 1987, JCP 1988. II. 20913, note J. Devèze.
[43] Au contraire des documents ou fichiers : Crim. 4 janv. 1968, Bull. crim., n° 1, et 2 avr. 1974, ibid., n° 139.
[44] Il y a ce qui l’est peu : ainsi d’une connexion à Internet fournie par l’employeur, dont un arrêt avait admis le détournement par un salarié suite à son usage personnel et illégal (Crim. 19 mai 2004, Bull. crim., n° 126 ; D. 2004. 2748, obs. B. de Lamy ; AJ pénal 2004. 286, obs. J. Coste ; RTD com. 2004. 824, obs. B. Bouloc).
[45] B. de Lamy, note sous Crim. 22 sept. et 20 oct. 2004, D. 2005. 411. En l’espèce, une entreprise avait poursuivi deux de ses anciens préposés pour abus de confiance : l’un, plutôt que s’employer à fidéliser et à augmenter la clientèle dont il avait la charge, l’avait orientée vers une société concurrente créée par l’autre. L’instruction n’avait pas permis, toutefois, d’établir le moindre détournement de fichiers relatifs à la clientèle, quand bien même une partie de cette dernière avait bien été attirée. La cour d’appel avait donc relaxé les prévenus des fins de la poursuite, en considérant que la clientèle n’est pas un bien susceptible d’abus de confiance. Sollicitée par le pourvoi de la partie civile sur l’interprétation de l’article 314-1 du code pénal, la Cour de cassation censure les juges du fond
[46] Sur le mouvement plus général d’extension du droit pénal vers l’immatériel, V. in favorem les développements de G. Beaussonie in La protection pénale de la propriété sur l’information, Dr. pénal 2008, étude n° 19, et La prise en compte de la dématérialisation des biens par le droit pénal, contribution de la protection pénale de la propriété, LGDJ, Bibl. dr. privé, t. 532, 2012. En sens opposé, V. not. J. Deveze, Le vol de « biens informatiques», JCP 1985. I. 3210, spéc. n° 19-31, et A propos de l’évolution des « délits contre les biens », Libre droit, Mélanges en l’honneur de P. le Tourneau, Dalloz, 2008, p. 359.
[47] V. l’analyse d’Y. Muller, La protection pénale de la relation de confiance, RSC 2006. 809
[48] Voir supra.
[49] Ce qu’avait pu laisser penser l’arrêt du 14 nov. 2000 (préc.), qui rejetait le pourvoi formé contre un arrêt d’appel ayant protégé le numéro de carte de payement eu égard à sa « valeur patrimoniale ».
[50] J. Léauté, art. préc., p. 228 : « S’il ne confère pas de droit au malfaiteur, le délit dérobe sa possession au vrai propriétaire. En ce sens, il produit un effet civil » (V. art. 2276 c. civ., dont les présomptions (possession utile, propriété) accompagnent, contre le remettant, le détournement du meuble corporel confié).
[51] V. Malabat, obs. préc. Rev. pénit. 2011. spéc. 915.
[52] Crim. 10 oct 2001, Bull. crim., n° 205 ; D. 2002. 1796, obs. B. de Lamy ; RSC 2002. 108, obs. R. Ottenhof; RTD com. 2002. 379, obs. B. Bouloc; Dr. pénal 2002, n° 1, obs. M. Véron ; 14 janv 2009, JCP 2009. 166, note (crit.) G. Beaussonie ; Dr. pénal 2009, n° 65, obs. M. Véron ; RSC 2009. 842, obs. R. Ottenhof ; D. 2009. 1725, obs. C. Mascala, et 2833, obs. G. Roujou de Boubée ; RDI 2009. 425, obs. G. Roujou de Boubée.
[53] E. Garcon, Code pénal annoté, Sirey, 1956, art. 408.
[54] Crim. 4 mai 2016, n° 15-83.051, sur l’obligation de préciser le procédé en cas de requalification, ici, d’une tentative d’extorsion en une tentative d’escroquerie.
[55] V., par ex., Crim. 26 oct. 2016, op. cit., où la journaliste poursuivie a fait usage d’un faux nom et d’une fausse qualité confortés par la création de faux profils sur des réseaux sociaux avant d’adhérer à une fédération départementale du mouvement politique « Front national », ce qui lui a permis d’obtenir des documents internes et des informations qu’elle a ensuite utilisés pour écrire un ouvrage.
[56] Crim. 30 mars 2016, n° 15-82.039, D. 2016. 898; ibid. 2424, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, L. Miniato et S. Mirabail; AJ pénal 2016. 384, obs. D. Aubert; RSC 2016. 767, obs. H. Matsopoulou; Dr. pénal 2016, n° 105.
[57] Op. cit.
[58] Crim. 22 févr. 2017, n° 16-81.421 (caractère déterminant des manoeuvres consistant à rajeunir des véhicules en falsifiant leur immatriculation et leurs numéros d’identification en vue de les vendre à des entreprises) ; Crim. 5 janv. 2017, n° 16-81.148 (antériorité de la remise aux fins d’obtenir des fonds).
[59] E. Dreyer, Droit pénal spécial, Ellipses, 2016, 3e éd., n° 943.
[60] Crim. 29 juin 2016, n° 15-82.176.
[61] Crim. 22 févr. 2017, n° 15-87.417.
[62] Crim. 15 nov. 2016, n° 15-86.990.
[63] Crim. 18 janv. 2017, n° 15-85.209, à paraître au Bull. Crim.
[64] Crim. 15 juin 1992, n° 91-86.053, Bull. crim. 235 ; RDI 1993. 145, obs. G. Roujou de Boubée; RSC 1993. 782, obs. P. Bouzat; RTD com. 1993. 587, obs. P. Bouzat; Dr. pénal 1992. comm. 281, obs. M. Véron ; Crim. 27 mars 1995, n° 94-83.625, Bull. crim. n° 124.
[65] Crim. 12 nov. 1862, D. 1865. 5. 158.
[66] Crim. 23 janv. 1997, n° 96-80.729, Bull. crim. n° 24 ; Dr. pénal 1997, comm. 93, obs. M. Véron.
[67] C. civ., art. 516 : « Tous les biens sont meubles ou immeubles ».
[68] Crim. 28 sept. 2016, n° 145-84.485, AJ penal 2016. 582, note G. Beaussonie.
[69] Sur une autre question intéressant la remise, v. Crim. 4 mai 2016, n° 15-81.244, à paraître au bulletin ; D. 2016. 1002; AJ pénal 2016. 436; RTD com. 2016. 566, obs. L. Saenko; JCP 2016. 717, obs. J. Lasserre Capdeville, qui rappelle qu’elle n’a pas être opérée entre les mains de l’auteur du délit (solution constante depuis Crim. 23 nov. 1976, n° 75-90.852 ; Bull. crim. n° 335).
[70] C. pén., art. 314-1.
[71] Crim. 14 nov. 2000, n° 99-84.522, Bull. crim. n° 338 ; D. 2001. 1423, note B. de Lamy RSC 2001. 385, obs. R. Ottenhof; RTD civ. 2001. 912, obs. T. Revet; RTD com. 2001. 526, obs. B. Bouloc
[72] M.-L. RASSAT, Droit pénal spécial. Infraction des et contre les particuliers, 5e éd., 2006, Précis Dalloz, no 222.
[73] par ex., C. pén., art. 434-11.
[74] A. VITU, J.-Cl. pén., Destruction, dégradation et détérioration de biens ne présentant pas de danger pour les personnes [art. 322-1 à 322-4], spéc. no 1
[75] A. VITU, J.-Cl. pén., op cit, V. spéc. no 11.
[76] E. GARÇON, Code pénal annoté [par M. ROUSSELET, M. PATIN et M. ANCEL], 2e éd., 1952-1959, Sirey, art. 437, no 12.
[77] Crim. 23 déc. 1813, Bull. crim. no 260 ; 6 août 1869, Bull. crim. no 91, S. 1871. 1. 256, DP 1871. 1. 75
[78] Crim. 22 janv. 1997, Bull. crim. no 31.
[79] ainsi, pour une maison en voie d’achèvement et dont les portes, vitres, cloisons intérieures et tuiles avaient été complètement abîmées ou détruites, laissant l’immeuble à l’état de carcasse, c’est-à-dire au stade brut de maçonnerie et de charpente achevée, V. Crim. 30 oct. 1984, no 82-94.452 , Legifrance.
[80] Crim. 28 nov. 2001, no 00-87.761, Legifrance.
[81] Crim. 8 juill. 1986, Bull. crim. no 231.
[82] A. Vitu, op. cit.
[83] « Est puni d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait, au moyen d’un procédé quelconque, volontairement de porter atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui : 1o En captant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de leur auteur, des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel ; 2o En fixant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de celle-ci, l’image d’une personne se trouvant dans un lieu privé. Lorsque les actes mentionnés au présent article ont été accomplis au vu et au su des intéressés sans qu’ils s’y soient opposés, alors qu’ils étaient en mesure de le faire, le consentement de ceux-ci est présumé »
[84] pour une illustration, V. Crim. 16 févr. 2010, no 09-81.492 , D. 2010. 768 : plainte de jurés d’assises pour atteinte à l’intimité de leur vie privée à la suite de l’enregistrement et de la diffusion d’une scène filmée dans une salle de la cour d’assises où ils s’étaient retirés pour délibérer. En appel, l’infraction avait été jugée établie. Confirmation par la Cour de cassation
[85] Civ. 1re, 6 oct. 2011, nos 10-21.822 et 10-21.823 , Bull. civ. I, nos 161 et 162 ; RLDC 2011, no 4420 ; RTD civ. 2012. 89, obs. Hauser ; Nouv. Cah. Cons. const. 2012. 181, note Alcaraz.
Sur l’équilibre à trouver entre droit à la liberté d’expression et droit au respect de la vie privée, V. les importants arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH 7 févr. 2012, Axel Springer c/ Allemagne, req. no 39954/08. – CEDH, gr. ch., 7 févr. 2012, Van Hannover c/ Allemagne, req. nos 40660/08 et 60641/08, JCP 2012, no 650, p. 1062, note Afroukh. – V. aussi DENJEAN, CHOQUET, LEDEBVRE, DUNAUD et SALATI, La pratique de l’huissier de justice face au respect de la vie privée, Dr. et proc. 2009. 313).
[86] Civ. 2e, 29 mars 1989, D. 1989. Somm. 356, obs. Amson ; D. 1990. 45, note Robine : déclaration faite par le mari devant la juridiction ecclésiastique dans le cadre d’une procédure d’annulation du mariage ; sur le secret professionnel.
[87] J. Carbonnier, Les biens, Quadrige, PUF, 19e éd., 2004, n° 793.
[88]V. aussi C. pén., art. 432-8 pour la même incrimination concernant « une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, agissant dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions ou de sa mission ».
[89] V. aussi C. pr. pén., art. 76 (pour l’enquête préliminaire) et 95 (pour l’instruction).
[90] Décr. 27 avr. 1848, « L’esclavage est un attentat contre la dignité humaine », Gaz. Pal. 24/25 avr. 1998, p. 26
[91]Cons. const. no 96-37 du 16 juill. 1996 ; V. D. Rousseau, chron. de jurisprudence constitutionnelle, RD publ. 1997.61
[92] Décis. Cons. const. du 27 juill. 1994 : « La sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d’asservissement et de dégradation est un principe à valeur constitutionnelle », D. 1995.237
[93] Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 déc. 1948. V. D. FENOUILLET, Respect et protection du corps humain. Protection de la personne. Principes, J.-Cl. civ., art. 16 à 16-12, fasc. 10, 1997 ; M. BENCHIKH, « La dignité de la personne humaine en droit international », in La dignité de la personne humaine, op. cit., p. 37-52 ; L.-E. PETITI, « La dignité de la personne humaine en droit européen », ibidem, p. 53-66 ; B. MAURER, Le principe de respect de la dignité humaine et la Convention européenne des droits de l’homme, préf. F. SUDRE, coll. Monde européen et international, 1999, La doc. fr.
[94] R. KOERING-JOULIN, « La dignité de la personne humaine en droit pénal », in « la dignité de la personne humaine »,
[95] (« son objet est de veiller à la sauvegarde de valeurs morales permanentes attachées à la dignité humaine » : Cass. crim. 14 janv. 1971, 1re esp., D. 1971.101 et JCP 1972. II. 17022, note H. Blin
[96] C. civ., art. 102 s.
[97] Même après sa mort ? V. à cet égard la thèse de A. Gailliard, Les fondements du droit des sépultures, Lyon 3, 2015, spéc. n° 130 s. L’auteur fonde néanmoins la protection pénale des sépultures par leur caractère sacré.
[98] Crim. 22 janv. 1997, Bull. crim. n° 31 ; Crim. 28 févr. 2001, n° 00-83.686, inédit ; Crim. 30 oct. 2006, Bull. crim. n° 261.
[99] V. par ex. Crim. 27 mai 1957, Bull. crim. n° 434 : le locataire a droit à la protection de son domicile contre les intrusions du propriétaire.
[100] Ex. : Crim. 22 janv. 1997, préc. : ne constitue pas l’infraction le fait de s’introduire dans un appartement inoccupé, dépourvu de mobilier, entre deux locations.
[101] Crim. 22 janv. 1997, préc. ; Crim. 28 févr. 2001, préc.
[102] V. déjà Crim. 26 févr. 1963, Bull. crim. n° 92.
[103] La loi du 22 juin 1987, relative au service public pénitentiaire, offrit effectivement une première définition des missions de l’Administration pénitentiaire, à laquelle elle conférait de surcroît le label législatif de service public. Cette loi n’avait cependant qu’une portée limitée à l’égard du droit pénitentiaire stricto sensu, dans la mesure où son objet principal était d’ouvrir la possibilité de gestion déléguée des établissements pénitentiaires afin de pouvoir engager, suivant un modèle budgétaire alors innovant, la construction d’un programme de 13 000 places. Dans le domaine du droit pénitentiaire proprement dit, cette loi abrogea le travail pénal – l’obligation de travailler faisant jusqu’alors partie intégrante de la peine d’incarcération -, disposition à laquelle la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 apporte en quelque sorte un tempérament en instaurant une obligation d’activité à la charge des condamnés (art. 27).
[104] La documentation française, 2000.
[105] L’article 24de ce texte a eu pour conséquence immédiate de permettre la défense du détenu par un avocat ou un mandataire agréé dans le cadre des procédures disciplinaires. L’application, il est vrai progressive de ce texte, a engendré un mouvement aujourd’hui presque accompli de généralisation du contradictoire appliqué aux décisions faisant grief au détenu, processus bien sûr relayé par la juridiction administrative qui, en application de ce texte, a pas à pas réduit le champ des mesures d’ordre intérieur en matière pénitentiaire. Loi du 9 mars 2004, d’adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité (dite loi « Perben 2 »).
[106] Ass. nat., 28 juin 2000, Rapport sur la situation dans les prisons françaises – Sénat, 29 juin 2000, La prison, une humiliation pour la République.
[107] À l’exception toutefois du cas des détenus atteints de pathologies mettant en cause le pronostic vital à la faveur de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits du patient hospitalisé dont l’article 10 crée la suspension pour motif médical… une loi du même jour revenant pour sa part sur les restrictions qu’avaient apportées la loi du 15 juin 2000 aux durées maximales de détention provisoire.
[108]Unités hospitalières sécurisées interrégionales (UHSI) visant l’hospitalisation de courte durée des personnes détenues atteintes de pathologies somatiques, Unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) concernant les détenus atteints de pathologies psychiatriques.
[109] Cet accroissement est la traduction d’une augmentation de la sévérité des lois pénales, constante depuis 1994, alimentée par la lutte contre la récidive, notamment dans le domaine de la criminalité sexuelle, ainsi qu’à la préoccupation connexe d’exécution plus effective et rapide des peines prononcées. Les illustrations récentes de ce phénomène résident bien évidemment dans la succession de lois votées contre la récidive, avec pour point d’orgue les lois du 12 décembre 2005 et du 25 février 2008 instaurant – ou plutôt restaurant – le principe des peines dites « plancher », la surveillance judiciaire assortie du placement sous surveillance électronique mobile (PSEM) et le dispositif de rétention de sûreté.
[110] Généralisation rehaussée par l’adoption d’un principe fondamental, inscrit à l’article 707 du code de procédure pénale.
[111] Cette procédure dénommée « NPAP » (nouvelle procédure d’aménagement de peine), induite par l’article 707 précité, n’a toutefois connu qu’un très faible nombre de mises en œuvre…
[112] L. 30 oct. 2007.
[113] Convention du 10 décembre 1984 dans sa version résultant du Protocole facultatif du 18 décembre 2002.
[114] Plus de 200 créations d’emplois entre 1998 et 2000.
[115] V. Guide de travail auprès des mineurs en détention, direction de l’administration pénitentiaire, mai 2001.
[116] Les surveillants affectés en QM, s’ils sont volontaires pour occuper ce type de poste et s’ils bénéficient d’un stage de formation continue pour les sensibiliser aux problématiques spécifiques liées à la nature du public, ne sont pas véritablement spécialisés d’un point de vue statutaire et retournent à des tâches de surveillance plus classiques lorsqu’ils changent de poste ou d’affectation.
[117] Une dizaine de CEF sont aujourd’hui opérationnels. L’objectif de création pour la fin de l’année 2007 devait les porter à 60.
[118] Les CEF, gérés par la protection judiciaire de la jeunesse, accueillent des mineurs de 13 à 18 ans dans le cadre d’un contrôle judiciaire ou d’un sursis avec mise à l’épreuve. C’est le non-respect par les mineurs des obligations qui leurs sont fixées – comme celle de demeurer dans le CEF – qui est susceptible d’entraîner un placement en détention provisoire. Cette possibilité n’avait été proscrite que depuis 1989.
[119] Il s’agit, pour les mineurs multirécidivistes, de créer une forme de comparution immédiate permettant au parquet de traduire le délinquant devant le tribunal dans un délai de 10 jours à un mois, sous réserve que des investigations suffisantes sur sa personnalité et sur les faits aient déjà été accomplies et paraissent suffisantes. Cette procédure se situe dans le cadre d’une peine encourue inférieure ou égale à trois ans en cas de flagrance et à 5 ans dans les autres cas. S’agissant des mineurs de treize à seize ans, cette procédure est soumise à la condition que la peine encourue soit comprise entre 5 et 7 ans.
[120] Les enfants de 10 à 13 ans ne pouvaient jusqu’alors faire l’objet que de mesures éducatives. Les « sanctions éducatives » portent sur la réparation, la confiscation de l’objet ayant servi à la commission de l’infraction, l’interdiction de paraître dans certains lieux, d’entrer en relation avec les victimes ou l’obligation d’accomplir un stage de formation civique.
[121] France métropolitaine et d’outre-mer.
[122] JO 10 sept. ; D. 2002. 2584. – CÉRÉ, La loi no 2002-1138 du 9 septembre 2002 et l’amélioration du fonctionnement et de la sécurité des établissements pénitentiaires, D. 2002. Chron. 3224.
[123] Cass., avis, 21 nov. 2005, no 00-50.010 P, AJ pénal 2006. 44, obs. Herzog-Evans ; D. 2006. 900, note Senna et Sautel.
[124] COSTE et REMILLIEUX, Exécution des peines. Faute de grives… petits décrets, Cahiers de l’actualité, Rép. pén. Dalloz, mai 2002, p. 7 s.
[125] CE 29 mars 2010, req. nos 319043 et 319580 , Rev. pénit. 2010. 456, obs. Céré
[126] CÉRÉ, article préc., D. 2002. Chron. 3224.
[127] HELLOUIN, L’itinéraire des détenus. Étude réalisée à partir de quelques établissements pénitentiaires de la région de Bordeaux, thèse, Poitiers, 1999.
[128] Décr. no 2002-663 du 30 avr. 2002 modifiant le code de procédure pénale et portant création des centres pour peine aménagés, JO 2 mai.
[129] V. Circ. du 21 févr. 2012 relative à l’orientation en établissement pénitentiaire des personnes détenues, NOR : JUSK1240006C, BOMJ complémentaire du 15 mars.
[130] V. GRILLE, Le droit pénitentiaire des mineurs à l’épreuve des nouveaux EPM : pratiques professionnelles et usage du droit en prison, AJ pénal 2010. 23
[131] Ibid. CHANTRAINE [dir.], Les prisons pour mineurs, Rapport pour la mission droit et justice, 2011.
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