L’Interaction Entre Confiance et Politique Économique en Période de Crise Européenne
La confiance et la politique économique
La notion de confiance est présente dans les relations contractuelles. Le crédit ne peut se concevoir sans elle. D’ailleurs, le terme de crédit lui-même renvoie à celui de la confiance. La confiance peut se concevoir comme le moyen d’entretenir une relation afin d’aboutir à un objectif, tout en ayant conscience des risques qui pèsent sur les parties.
Mais la confiance ne se limite pas à cette relation bipartite commerciale. En effet, c’est le risque qui détermine l’existence de la confiance. La politique économique se base sur des prévisions. Les spécialistes s’attèlent à réduire au maximum les risques en essayant de prévoir au plus long terme. Malgré toutes les prévisions, le risque ne peut être réduit à néant.
La dernière crise a laissée de grandes séquelles sur l’économie mondiale, mais également sur les économies de plusieurs pays. L’exemple de la Grèce et de quelques pays européens témoigne de cette ampleur. L’austérité est aujourd’hui la solution adoptée pour essayer de redémarrer l’économie de chaque pays et de l’économie mondiale en général.
La politique économique peut être définie par ses trois fonctions. D’abord, elle a une fonction d’allocation des ressources par laquelle les dépenses de l’État assurent les lignes directrices de la politique générale du Gouvernement. Le premier ministre français Jean Marc Ayrault a ainsi orienté sa politique vers les dépenses d’éducation ou des investissements en recherche et développement.
La politique économique a ensuite une fonction de stabilisation. Elle assure la stabilité des prix et le différentiel d’intérêts qui concerne le financement de la dette de l’Etat. Et enfin elle a une fonction de redistribution en assurant une justice sociale par l’utilisation du levier fiscal. Le gouvernement français a opté pour une politique de « redressement juste » en orientant les ménages et les entreprises vers un effort fiscal.
La politique économique est ainsi définie par les gouvernements. Le choix d’appliquer une austérité ou une libéralisation appartient aux pouvoirs politiques. Ce choix reflète la confiance, ou le manque de confiance du gouvernement aux acteurs économiques. Inversement, la confiance des opérateurs est fonction de ce choix de la politique économique.
Il existe dés lors cette imbrication entre la politique économique et la confiance. Les deux ne peuvent être qu’interdépendantes dans la mesure où le choix de la politique est fonction du degré de confiance sur la compétitivité des acteurs économiques et que la confiance de ces derniers dépend entièrement de ce choix.
La confiance a un double niveau, interne et externe. Interne, la confiance des citoyens est à considérer vis-à-vis du choix de la politique économique du gouvernement. Externe, la confiance des investisseurs dépend également de ce choix.
Aujourd’hui, toute l’Europe est confrontée à la crise. A celle de 2009 vient se joindre la question de l’Europe. L’exemple de la Grèce ou encore de l’Espagne, du Portugal et bien d’autres, a ramené la question du bien-fondé de l’Europe et de la monnaie unique. L’Europe peut-elle continuer à espérer du dynamisme commun européen ? La monnaie unique Euro peut-elle faire le poids avec les autres devises comme le dollar ou l’émergence de nouvelles puissances comme la Chine ?
La Grande Bretagne a fait le choix de ne pas adhérer à la monnaie unique. Elle avait émis dès sa création de ses doutes sur l’opportunité et la stabilité d’une monnaie unique européenne. Elle n’avait pas confiance à cette politique d’ensemble européen qui risquerait de freiner le développement de chaque économie.
De tout ce qui vient d’être exposé, il en découle une problématique, quelle est l’interaction entre la confiance et la politique économique. Pour affiner ce travail, la question à laquelle nous nous tournons est la place de la confiance dans le choix de la politique économique.
- La place de la confiance dans l’économie
- La position des économistes néoclassiques
De manière générale, c’est la rationalité qui prime. Les agents économiques doivent se fier aux calculs savants et aux prévisions, aucune dimension sentimentale ou affective ne peut alors intervenir.
Pourtant, dès les années 50, certains économistes tenants de la théorie néoclassique ont admis que, nonobstant cette rationalité dont doivent faire preuve les agents, il fallait également tenir compte des situations d’incertitude pouvant perturber leurs prévisions. Des situations d’incertitude qui s’expliquaient par la confiance. La confiance apparait comme un élément à part entière prendre en compte. Ainsi pour K. Arrow la confiance constituait « un lubrifiant essentiel des interactions du marché ».
Les économistes néoclassiques ont commencé à s’intéresser aux incertitudes qui résistent à toutes les prévisions et qui perturbent la négociation des contrats. R. Coase avait considéré que la méfiance liée au risque est constitutive de la société marchande. Sa conclusion était que telle externalité est économiquement viable lorsque la perspective d’un bénéfice dépasse celle de son coût.
- Akerlof quant à lui, se tourne vers l’origine de l’honnêteté à partir de considérations sur l’imperfection de l’information et le coût économique de la malhonnêteté. O. Williamson, principal animateur du courant néo-institutionnaliste, s’est attelé sur les questions de l’opportunisme des agents prêts à ruser dans les transactions. Ce dernier a été le premier à dégager « l’insaisissable notion de confiance ». Mais Williamson a préféré la notion de calcul à celle de confiance qu’il juge trop confuse.
- Karpikfait interpelle sur la chose la plus significative qu’ont en commun toutes ces approches, le même désintérêt pour la nature du phénomène de la confiance. En effet, si ces théories admettent que la poursuite du gain implique le maintien de pratiques loyales et institutionnellement cadrées, cela ne conduit pas à prendre en considération une quelconque dimension culturelle et sociale dans l’approche des agissements commerciaux qui demeurent l’objet d’une théorie autonome et purement formelle.
La réputation des firmes n’est considérée que comme une variable formelle. Elle n’intervient pas directement dans les prévisions des échanges économiques qui restent basées sur les calculs.
- Le désaccord sur la place de la confiance
Cette position n’a cependant été suivie par l’ensemble de la doctrine. En effet, une partie de la doctrine pense que la confiance tient au contraire une place importante dans la prise de décision. C’est par exemple le cas de L. von Mises (1922), pour qui toute l’action humaine ne pouvait être réduite à des « finalités calculatrices dans l’action économique », le calcul n’est qu’une partie de cette action, il n’en constitue pas le fondement.
De même H. A. Simon considérait qu’il n’était pas possible de prendre des décisions sensibles sans connaître et comprendre la psychologie des décideurs, ce qui impliquait alors pour l’agent de prendre en compte non seulement les liens entre l’économie, mais également les sciences cognitives et les sciences sociales.
Et enfin, D. Kahneman quant à lui a démontré « l’irréalisme du postulat d’un homo oeconomicus cherchant à être purement rationnel dans un univers qui ne l’est pas ». Pour cet auteur, les individus, quand ils se retrouvent face à l’incertitude ne se réfugient pas dans le rationnel, bien au contraire puisqu’ils feront appel « à des connaissances stéréotypées ainsi qu’à des sentiments de plaisir ou de déplaisir corrélés avec une gamme de circonstances sociétales ».
- Les liens entre la confiance et la politique économique
- Conséquences de la confiance sur la politique économique
La confiance des agents et opérateurs économiques influe sur la réussite et le succès d’une politique économique. A l’inverse, le manque ou l’absence de confiance peuvent avoir des conséquences néfastes sur l’efficacité d’une politique économique. L’exemple que nous pouvons considérer est celui du Japon dans les années 90 lorsque ce dernier a été incapable d’enrayer la spirale inflationniste. La cause en a été le faible niveau de confiance des investisseurs. Les mesures adoptées, notamment les taux d’intérêts proche de 0, n’ont eu le résultat escompté sur la déflation.
Mais un excès de confiance n’a pas que des conséquences positives sur la politique économique et l’économie en général. Une confiance exagérée dans la politique économique peut être source de crise économique. La politique monétaire d’Alan GREENSPAN de 2007 a en partie conduit à la crise des subprimes de 2008.
Il appartient aux agents d’anticiper les mesures de politiques économique selon le mécanisme des anticipations rationnelles. La méfiance ne pourra avoir qu’un impact négatif sur les prévisions de la politique économique. Un taux d’inflation de 2% annoncé par le gouvernement ne doit pas susciter mécaniquement une méfiance des agents. Si en réalité, il agit de manière à obtenir un taux d’inflation de 4% pour résorber le chômage (Courbe de Philipps), les agents vont réclamer des salaires plus élevés et le chômage ne sera pas résorbé.
Selon la théorie des jeux de Sackelberg, les agents interagissent avec le gouvernement. Il appartient au gouvernement d’établir les règles du jeu et la stratégie. Les agents doivent connaitre ces règles et réagissent en fonction de ces dernières. La confiance est ainsi établie si les règles établies par le meneur (gouvernement) sont adéquates, et s’il ne triche pas en changeant de stratégie au cours du jeu.
La théorie de la réputation de Kreps énonce quant à elle que la construction de la réputation peut conduire à la coopération. Cette coopération permet des gains économiques.
- La restauration de la confiance par la politique économique
Si la confiance influe sur la politique économique, la réciproque est également vraie, une politique économique permet de restaurer une confiance rompue. C’est la politique économique qui rétablit la confiance une fois que celle-ci a été réduite. Les crises peuvent être résolues par des mesures de politiques conjoncturelles, plans de relance en Europe et aux Etats-Unis à partir de l’automne 2008.
Les autorités politiques ont adopté des systèmes de surveillance des banques (par exemple, la création de l’autorité européenne de surveillance le 24 novembre 2010) afin de réinstaurer la confiance des agents par rapport au système bancaire, une confiance perdue à cause des bavures bancaires menant à la crise financière depuis 2007.
Un des rôles de la politique économique est d’instaurer un climat de confiance entre les acteurs de l’économie ; entre l’Etat et ses partenaires, entre les agents économiques eux-mêmes. La confiance se justifie par le premier théorème de l’économie du bien-être de Pareto. Le marché est limité de lui-même pour garantir un niveau de confiance élevé en matière d’allocation, de stabilisation et de redistribution.
La stabilité financière est un bien public selon la théorie de la régulation. L’Etat doit veiller à assurer la confiance sur les marchés par la régulation. La confiance s’obtient par l’édiction de mesures générales et transparentes afin de garantir l’égalité.
Conclusion
Si des économistes néoclassiques persistent à rationnaliser purement l’économie, il est pourtant clair que la confiance ne peut qu’avoir sa place. La confiance influe sur le choix de la politique économique. Mais inversement, la politique monétaire doit s’atteler à instaurer ou à réinstaurer la confiance des agents.
Au final, autant que dans le domaine commercial, la confiance et la politique économique ne peuvent être qu’interdépendantes. Nous assistons aujourd’hui à une économie de confiance dans laquelle c’est le degré de confiance qui édicte les mesures des gouvernements.
Bibliographie
- Oliver E. Williamson, « Calculativeness, Trust and Economic Organization »,Journal of Law & Economics, 1993, voL XXXVI.
- Lucien Karpik, « Pour une conception substantive de la confiance », dans A.Ogien et L. Quéré,Les moments de la confiance. Connaissance, affects et engagements, Economica, 2006.
- George A. Akerlof et Robert J. Shiller,Animal Spirits. How Human Psychology Drives the Economy, and Why It Matters for Global Capitalism, Princeton University Press, 2009.
- Daniel Kahneman et Amos Tversky, Choices,Values and Frames, Cambridge University Press, 2000
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