L’utilisation du blockchain dans le processus des lettres de crédit. Cas de la BCV
L’utilisation du blockchain dans le processus des lettres de crédit. Cas de la BCV
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Résumé
La présente étude se pose la question si le crédit documentaire de la banque BCV peut s’appuyer sur la technologie Blockchain. En fait, cette dernière devrait répondre aux exigences techniques pour la digitalisation de cet instrument financier. De plus, il s’avère que cette digitalisation confère un certain nombre d’avantages significatifs (aussi bien pour la banque que pour les diverses autres parties prenantes), notamment en matière de rapidité d’exécution du processus (celui-ci restant inchangé), ce qui limite/neutralise les risques sur la manipulation des documents associés, réduit considérablement les coûts des transactions, permet une gestion optimale des liquidités, etc. Néanmoins, ces avantages (techniques) ne semblent pas suffire pour convaincre la banque à investir conséquemment dans les recherches sur l’intégration de la Blockchain dans les lettres de crédit. En effet, les professionnels de BCV (et d’autres banques non engagées dans de telles recherches) estiment que cette technologie n’est pas encore mature, compte tenu notamment de l’incertitude sur plusieurs plans, tels que concernant le cadre réglementaire (qui devrait être uniformisé) à mettre en place et l’acceptation nécessaire du nouveau système (avec blockchain) par toutes les parties prenantes. Il faut admettre que les opinions de la BCV en la matière (même si la banque n’a pas encore émis des avis officiels à ce sujet) sont fortement influencées par les représentations que s’en font les professionnels, ceux-ci sont plutôt moins optimistes en estimant que ce nouveau système ne sera complètement viable dans le moyen terme.
1.3 La Blockchain et le crédit documentaire_ 3
1.3.1 Généralités sur la Blockchain_ 3
1.3.2 Enjeux de l’utilisation de la Blockchain_ 5
1.3.2.1 Potentialité d’utilisation de la Blockchain_ 5
1.3.3 Perspectives pour le crédit documentaire_ 9
1.3.3.1 Généralités sur le crédit documentaire_ 9
1.3.3.2 Blockchain pour le crédit documentaire_ 10
2.2 Les guides d’entretien et les interviewés 13
3.1 L’ING Bank N.V., une engagée_ 16
3.2 La BCV, une hésitante mais probablement opportuniste_ 18
3.3 D’autres banques, intéressées et informées mais moins enthousiastes 22
Annexe 1 – Questionnaires servant de guides d’entretien_ 31
Annexe 2 – Réponses des professionnels interviewés aux entretiens 33
Annexe 3 – Documents nécessaires pour le crédit documentaire_ 44
Tableau 1 – Eléments des guides d’entretien. 13
Tableau 2 – Documents nécessaires pour le crédit documentaire. 40
Figure 1 – Processus du traitement de crédit documentaire chez BCV.. 19
1. Introduction
1.1 Problématique
La question de la « désintermédiation », notamment dans le domaine financier, est généralement prise comme une utopie, bien que des pratiques et des découvertes technologiques tendent à promettre cette perspective. Ainsi, le développement de l’e-commerce, du retour au troc, de la vente de seconde main, de l’économie collaborative, etc. donne parfois l’illusion de se rapprocher de cette désintermédiation, mais il faut reconnaitre que l’existence d’intermédiaire établi est seulement discrète dans ces phénomènes. Néanmoins, la technologie appelée « Blockchain » (chaine de blocs), qui consiste en un registre électronique partagé entre les membres d’un réseau, est à surveiller dans ce sens car comportant des caractéristiques de cette désintermédiation.
En tout cas, cette technologie assez récente (datant tout juste d’une décennie, avec le Bitcoin, une monnaie virtuelle dont le fonctionnement se base sur la Blockchain) est avancée comme potentiellement bénéfique pour de nombreux secteurs d’activité, y compris le monde bancaire. En effet, l’existence de nombreuses banques (UBS, ING Bank, BNP Paribas, JP Morgan, etc.) qui s’y intéressent semble confirmer ce constat. Cela soulève alors plusieurs questionnements qui méritent une considération de la part des chercheurs.
D’abord, cette technologie serait-il applicable, compatible au secteur bancaire, techniquement parlant ? Egalement, il ne faut pas oublier que c’est un des secteurs les plus réglementés, les banques étant soumises à de fortes contraintes compte tenu des risques généralement élevés associés aux activités dans ce domaine. Mais surtout, qu’est-ce que la Blockchain pourrait apporter de substantiellement positif pour les banques ? Ici, il faut non seulement parler d’efficacité, mais surtout d’efficience (en termes de bénéfice et de réduction des coûts).
Le cas particulier du financement du commerce international est à mettre au premier plan. Désormais, le secteur bancaire ne peut en aucun cas négliger l’opportunité d’affaires offerte par quelque 2 000 milliards de dollars de transactions d’importation-exportation qui circulent annuellement dans le monde à travers les lettres de crédit. Ce qui attire l’attention sur les apports éventuels de la Blockchain pour cet instrument de gestion des risques de paiement entre les acheteurs et les vendeurs du commerce international. Il est possible alors de synthétiser ces différents questionnements par la problématique, ainsi pertinente et d’actualité, de la présente recherche qui s’énonce comme suit : « Les lettres de crédit peuvent-elles s’appuyer sur la technologie Blockchain ? ». Le contexte particulier d’une banque suisse (la BCV, qui est une banque cantonale vaudoise) qui n’a pas encore manifesté son intérêt à ce sujet devrait permettre de répondre à cette question centrale, nécessairement à travers une analyse de points de vue d’autres professionnels d’autres banques.
Ainsi, la démarche suivie dans cette étude se reflète dans les différentes parties du présent document. En fait, dans une première partie, après une brève présentation de la banque BCV, il importe de se pencher sur les réalités des deux concepts centraux de l’étude (la « Blockchain » et le « crédit documentaire »), de manière à se faire des idées (au moins théoriques) sur la faisabilité de l’intégration de la Blockchain dans la lettre de crédit. La méthodologie de l’étude empirique sera, ensuite, présentée dans la deuxième partie, suivie (dans la troisième partie) d’une analyse contextuelle et de points de vue de différents professionnels du secteur bancaire (dont certains travaillent au sein de la BCV). La dernière partie est, enfin, consacrée à la synthèse de cette analyse, ainsi qu’à l’émission de quelques recommandations conséquemment.
1.2 Présentation de BCV
La BCV est une société anonyme de droit public fondée en 1845 et qui est désormais détenu à 66.95% par l’Etat de Vaud. Avec des revenus se chiffrant à CHF 967 millions et un bilan de CHF 44.1 milliards en 2016, cette banque se positionne comme 5ème banque universelle et seconde banque cantonale de Suisse, ainsi que première banque du canton de Vaud. La taille de la banque se reflète à travers ses 60 agences, ses 230 bancomats répartis sur le canton de Vaud, ses 1 943 emplois (équivalent plein temps) à la fin de 2016. De 2003 à 2005, BCV a réussi à se recentrer sur ses quatre activités de base : banque des particuliers, gestion de fortune privée et institutionnelle, banque des entreprises, et trading. Plus tard, de 2008 à 2013, via sa stratégie « BCVPlus », la banque s’est structurée autour du modèle d’affaires d’une banque universelle à ancrage régional, puis, à partir de 2014, a adopté une autre stratégie nommée « stratégie2018 » qui s’oriente sur la création de valeur pour ses actionnaires, ses clients et ses collaborateurs (BCV, 2017).
Parmi les principaux axes de la stratégie « stratégie2018 », la banque cherche à améliorer le fonctionnement interne, à se différencier par la qualité, à adapter ses métiers au développement rapide du cadre réglementaire. « Pour répondre à l’évolution des besoins de la clientèle, la stratégie2018 recherche une meilleure intégration des différents canaux de la Banque: le réseau d’agences, les bancomats, les centres de conseil par téléphone, les services sur internet ou les applications sur téléphone mobile ou tablette tactile » (BCV, 2017 p. 9). En termes d’objectifs, BCV vise une rentabilité de fonds propres de 12% à 13%, un ratio charges/produits de 57% à 59%, ainsi qu’un ratio de fonds propres de base de 13%. Au niveau de ses services digitaux, la banque a opéré (entre autres) une refonte totale de son site internet en 2015, l’ajout de nouvelles fonctionnalités au système de banque en ligne « BCV-net » ainsi qu’à sa version mobile « BCV Mobile » en début 2016. Il faut aussi parler du nouveau système de paiement mobile TWINT qui devrait être disponible au deuxième trimestre de 2017.
Pour l’année 2016, malgré un contexte un peu morose qui se caractérise par des taux d’intérêt négatifs, la BCV a pu dégager des résultats positifs : progression des volumes d’affaires de la plupart des segments clés, maintien du résultat opérationnel à CHF 383 millions (similaire à 2015). Toutefois, une baisse du bénéfice net de 8% par rapport à 2015 a été constatée (bien qu’en hausse par rapport aux deux années précédentes). En tout cas, la banque a pu garder une assez bonne notation : AA par Standard&Poor’s et Aa2 par Moody’s.
1.3 La Blockchain et le crédit documentaire
1.3.1 Généralités sur la Blockchain
1.3.1.1 Description
La Blockchain (chaine de blocs), aussi appelée Distributed Ledger Technology (DLT) consiste en une technologie algorithmique, via un protocole open source, permettant l’établissement de grandes bases de données du type ledger (grand livre comptable) (TRACFIN, 2016). Cette technologie s’appuie sur le principe d’une comptabilité partagée qui est désormais tenue par tous les participants au réseau concerné. La blockchain est en quelque sorte des conteneurs numériques (les blocs) qui stockent des informations de natures diverses (contrats, transactions, titres de propriétés, etc.), ceux-ci formant alors cette base de données, ces informations (dites « transactions ») étant protégées par des procédés cryptographiques rendant impossible la modification a posteriori de celles-ci (KBC Groep NV, 2016). Une particularité de la blockchain est que cette base n’est pas hébergée par un unique serveur, mais plutôt par une partie de l’ensemble des utilisateurs. Toutes les transactions stockées par ordre chronologique dans la blockchain, depuis sa création, se trouvent alors sans modification sur cette base (Vauplane, et al., 2016).
D’ailleurs, ce « dispositif d’enregistrement électronique partagé » est utilisée pour garantir l’authenticité d’une opération de cession entre deux parties sans avoir besoin de recourir à un tiers de confiance (tel qu’une banque, par exemple) qui en effectuerait le contrôle (Dalka, 2017). En fait, une autre particularité de la « chaine de blocs » (ou encore « enchainement de blocs) est que ce protocole est décentralisé, visant à la communication entre machines sans passer par une machine centrale, tout en étant cohérent. Tous les membres du réseau concerné disposent d’une copie du registre, impliquant que la modification de celui-ci par un membre est, en principe, impossible sans obtenir l’aval de tous les autres membres (Filippi, et al., 2016).
Le rajout d’un bloc à une blockchain se déroule comme ci-après, dans une vision globale. Désormais, lorsqu’un membre souhaite effectuer une transaction, quand celle-ci est générée, elle est transmise à l’ensemble du réseau. Les « mineurs », des membres particuliers de ce réseau, vérifie la pertinence de la transaction. Après vérification, chacun des membres rattache le nouveau bloc à sa copie de la blockchain. C’est ainsi que le mineur ayant réussi le premier à forger ce bloc transmet alors ce dernier à l’ensemble des membres du réseau qui ont la capacité de vérifier sa validité. Chaque mineur travaille ensuite à forger un bloc comprenant cette transaction dès qu’elle est valide (Garin, et al., 2016).
Il faut préciser que cette technologie n’est pas nouvelle, car c’est sur elle que se base la crypto-monnaie Bitcoin, née en 2009, mais l’utilisation de cette dernière est en nette croissance (avec un nombre de transactions quotidiennes passé de 100 000 à 200 000 en 2015, soit d’une valeur de 50 millions à 125 millions de dollars entre le début et la fin de cette année, avec des pics allant au-delà de 200 millions de dollars). Il y a aussi l’Ether (ETH), apparu en 2015 et devenu la deuxième monnaie virtuelle la plus échangée en volume et en valeur après le Bitcoin en 2016) (TRACFIN, 2016).
En fait, une blockchain peut être publique ou privée. La première est un réseau peer-to-peer (de particulier à particulier) libre d’accès, au sein duquel les membres ont accès à l’intégralité du registre, peuvent effectuer librement des transactions et participent à la validation de celles-ci. En revanche, une blockchain privée est celle dont l’accès est restreint, c’est-à-dire que seuls des membres qualifiés peuvent accéder aux informations du registre et valider les transactions. En quelque sorte, la blockchain publique est à la privée ce qu’internet est à l’intranet (Filippi, et al., 2016).
1.3.1.2 Deux composantes essentielles : les smart-contracts et les organisations décentralisées autonomes
Deux outils indispensables de la blockchain sont les smart-contracts et l’organisation décentralisée autonome. Le premier est un programme informatique conditionnel : il exécute un contrat une fois certaines conditions préalablement définies sont réunies. Il n’y a plus alors besoin de l’intervention « traditionnelle » d’une institution de référence (telle qu’une banque, ou un notaire, par exemple) pour transférer des actifs de manière sécurisée. En effet, les termes du contrat enregistrés sur la blockchain et exécutés automatiquement ne sont plus a posteriori modifiables, tout en restant consultables par les différentes parties prenantes. « Les smart-contracts déploient toute la puissance de Blockchain : fluidité et sécurité. Ils sont un outil puissant pour connecter le monde numérique et le monde physique de manière fiable, sans passer par un contrôle humain coûteux et imparfait » (Filippi, et al., 2016 p. 17).
Quant à l’organisation décentralisée autonome (DAO), c’est également un programme informatique mais qui scelle dans une chaine de blocs l’ensemble des règles régissant une organisation. Cet outil permet alors de transférer à l’échelle de cette organisation les propriétés de la blockchain, dont la sécurité, la fluidité et la transparence. La raison d’être des DAO est l’élimination des erreurs et la subjectivité humaine au niveau des échanges. L’autonomie radicale de ces DAO « couplée à leur souveraineté sur les ressources (le stockage et le calcul sont effectués par les utilisateurs) semblent les mettre hors de portée des régulateurs » (Ibid p. 20).
En somme, il faut admettre que l’émergence et le développement de cette technologie, surtout son utilisation dans divers secteurs d’activité ne seront pas sans conséquences sur les modèles « traditionnels » qui prévalent jusqu’alors dans ces secteurs. Mais, cette utilisation est soumise à de nombreuses contraintes malgré les avantages potentiels avancés pour la motiver dans ces secteurs, notamment celui de la finance.
1.3.2 Enjeux de l’utilisation de la Blockchain
1.3.2.1 Potentialité d’utilisation de la Blockchain
Toute situation nécessitant l’intervention d’un tiers de confiance, alors que de telle intervention est couteuse et/ou faillible, constitue une opportunité d’utilisation de la blockchain. Pratiquement tous les secteurs d’activité (banque, santé, immobilier, transport, etc.) se penchent désormais sur cette opportunité dans l’espoir d’améliorer les modèles existants. Garin, et al. (2016) identifient alors trois catégories d’usage de cette technologie. D’abord, il y a le « record keeping », en tant que registre de stockage des données qui garantissent la preuve de leur existence même, ainsi que leur date de création et le droit de propriété qui leur est associé (données médicales, brevets, etc.). Ensuite, il y a les « digital transactions » nécessaires pour le transfert de valeur (crypto-monnaies, transaction immobilière, etc.). Enfin, il y a les « smart-contracts » qui sont utilisés dans le développement et le stockage de smart-contracts (dont des contrats rédigés entre plusieurs parties) (Garin, et al., 2016).
De nombreuses sociétés dans le domaine de la technologie financière (FinTech) se spécialisent dans la blockchain, car les secteurs intéressés à l’intégration de cette dernière sont aussi nombreux. Ceux-ci vont, à titre d’exemple, de l’Assurance (création de mutuelles à la taille humaine), en passant par le covoiturage (réduction des coûts du trajet), la vie privée (gestion des données personnelles) et la culture (rémunération des droits d’auteur), jusqu’au Notariat (création « fluide » d’actes authentiques) et à l’Administration publique (gestion des données administratives). Désormais, l’Etat, à travers ses institutions financières par exemple, est même (au moins potentiellement) partie prenante de l’utilisation de la blockchain (Vauplane, et al., 2016). Le secteur financier, celui des banques plus particulièrement, est un de ceux qui y pensent sérieusement, avec des expérimentations plus ou moins concluantes.
En effet, du côté des utilisateurs, l’investissement dans ce domaine démontre à quel point les grandes banques. En fait, sans parler de la monnaie virtuelle, les institutions financières (près de 50%) pensent à de nombreuses perspectives, telles que les systèmes de paiement, les transactions de marché, etc. avec des études déjà entamées (Richard, et al., 2017). A titre d’illustration, il y a la Banque de France qui a annoncé un partenariat avec Labo Blockchain et Blockchain France, l’UBS qui a sollicité un travail conjoint avec ses concurrents en Suisse (Deutsche Bank, Santander, etc.), les banques Emirates ICICI Bank et NBD qui s’intéressent à l’intégration de la blockchain dans les financements commerciaux et les virements internationaux, etc. Mais, un des plus grands mouvements dans ce sens serait probablement le rassemblement d’une quinzaine de grands groupes bancaires dans le consortium R3 (Barclays, Goldman Sachs, Royal Bank of Canada, J.P. Morgan, BNP Paribas, Société Générale, etc.) dans le but d’établir en quelque sorte une standard de place pour l’utilisation de la blockchain.
« Mais alors que la totalité de l’écosystème bancaire investit dans la blockchain[1], une question demeure néanmoins : la blockchain est-elle vraiment utile et nécessaire, et peut-elle être appliquée au secteur bancaire ? Il a été récemment montré qu’elle peut être mise en place, mais seulement à petite échelle pour le moment » (Dalka, 2017 p. 1). Par ailleurs, les plus vifs débats se concentrent entre autres sur les questions relatives à la sécurité avec cette technologie.
1.3.2.2 La sécurité
En réalité, la blockchain est avancée comme une solution optimale à un certain besoin de confiance dans le domaine économique, plus particulièrement vis-à-vis des enjeux relatifs aux transactions internationales, une solution qui serait finalement offerte grâce à la cryptographie et les architectures informatiques distribuées. « L’augmentation des transactions transfrontalières génère une augmentation du risque et, de facto, fait appel à de nouveaux tiers de confiance » (Filippi, et al., 2016 p. 8). En effet, en 1976, Whitfield Diffie et Martin Hellman présentent le concept assez révolutionnaire de clés privée et publique, un protocole permettant à deux agents de réaliser entre eux des échanges à travers le cryptage sans recourir à un mot de passe. Ensuite, la naissance (et la démocratisation depuis 1990) et le développement du « web », en tant que réseau ouvert et décentralisé, ont complété les ingrédients fondamentaux pour l’émergence de la blockchain. En fait, la création de la crypto-monnaie « bitcoin » par Satoshi Nakamoto en 2008 est associée à cette émergence spectaculaire de la blockchain.
Désormais, l’essence du problème (mathématique) consiste à garantir qu’un ensemble cohérent de composants informatiques puisse gérer toute malveillance ou défaillance, de manière à rester fiable même dans le cas d’erreur majeure et/ou de fraude de toute sorte. C’est là que la blockchain résout ce problème car le « tiers de confiance » nécessaire pour cette résolution devient le système lui-même (Vauplane, et al., 2016). Il en découle que, cette notion de confiance, de sécurité, apparait comme une caractéristique intrinsèque même de la blockchain. Quant à la question de la vie privée, il faut comprendre qu’une blockchain est « pseudonyme » et non pas « anonyme », c’est-à-dire que la liste des transactions peut être consultée par tous (principe de transparence, de traçabilité), mais l’identité de tout utilisateur peut être dissimulée sous un pseudonyme (27 à 32 caractères) (Filippi, et al., 2016). Tout cela rend pertinent une question sur la fiabilité de cette technologie : peut-on avoir une confiance totale et sans limite à la blockchain ?
Pour répondre à cette question cruciale, il faut d’abord savoir qu’un membre d’un réseau blockchain s’identifie via une paire de clés (« privée » pour la signature de ses transactions, et « publique » pour permettre aux autres membres d’identifier ce membre et ses transactions). Un des principaux défis sécuritaires de la blockchain consiste donc à la conservation de ces clés, du moment que la plupart des attaques sur le Bitcoin jusqu’ici sont réalisées à l’endroit des plateformes intermédiaires chargées de cette conservation. Au niveau du système, il convient de rappeler deux attaques majeures historiques. La première dite « attaque 51% » consiste à disposer au-delà de 51% de la puissance de calcul du réseau concerné pour pouvoir annuler, modifier ou ajouter des transactions existantes dans un bloc. Ce risque est d’autant plus important que le nombre d’utilisateurs est restreint (blockchains privées ou hybrides, par opposition aux blockchains publiques). La deuxième, cette fois à l’encontre des smart-contracts, qui consiste en une erreur de codage, est celle de l’affaire TheDAO (juin 2016), une application s’appuyant sur la blockchain Ethereum, un fond d’investissement participatif et mutualisé. Cela a permis à un membre du réseau de drainer entre 40 et 50 millions de dollars dans le compte principal de l’application (Richard, et al., 2017; TRACFIN, 2016).
Le risque est actuellement assez limité pour ce qui concerne l’utilisation de la blockchain dans le domaine financier (blockchain privée, mais mineurs connus et de nombre restreint, disposant chacun la même puissance de calcul). Néanmoins, les acteurs se penchent sérieusement sur cette question pour les mesures complémentaires nécessaires au développement de l’utilisation de cette technologie (dont à plus grande échelle). Du coup, tout cela mène-t-il à une autre révolution numérique qui bouleversera les modèles établis jusqu’alors, surtout à propos de l’intermédiation financière.
1.3.2.3 Blockchain : la prochaine révolution numérique qui changera radicalement les modèles traditionnels d’intermédiation ?
A côté des promesses associées à la blockchain (horizontalisation de la société, désintermédiation des échanges, redéfinition des modèles commerciaux et institutionnels, etc.) qui apparaissent légitimes en termes d’automatisation, il faut aussi parler de sa limite d’utilisation, du moins au niveau actuel. On annonce, par exemple que, « l’utilisation du blockchain […] permettrait de réduire les coûts de structure pour les banques de 15 à 20Md$ par an » (Vauplane, et al., 2016 p. 22) ; mais également, « la promesse de désintermédiation absolue n’en sera pas forcément la résultante » (Gautreneau, 2016 p. 3). Ainsi, parmi les limites pour une utilisation étendue de la blockchain dans le monde financier, il y a lieu de citer le défi à relever en matière de performance : si VISA permet l’enregistrement de 2 000 transactions par seconde, le réseau Bitcoin (une blockchain pesant 45 giga-octets en 2016) n’en est qu’à seulement 7 par seconde, d’où un besoin de redéfinition et de recalibrage des paramètres intrinsèques à la blockchain. Sur ce point, en faisant abstraction de la monnaie virtuelle, l’ensemble des initiatives blockchain se trouvent encore à l’état de projet ou encore à des échelles assez réduites actuellement. De plus, cette dernière est aussi très énergivore : la consommation du réseau Bitcoin est équivalente à celle d’un peu moins 300 000 foyers américains.
Aussi, il faut parler d’obstacle en matière de réglementation, notamment en regard à plusieurs paramètres à ne point négliger tels que l’application du processus « Know Your Customer », la lutte anti-blanchiment et contre le financement du terrorisme (les autorités de régulation étant quelque peu méfiantes vis-à-vis de la monnaie virtuelle, tout en reconnaissant la potentialité d’utilisation efficiente de la blockchain contre les fraudes, par exemple), des questionnements sur la reconnaissance de la valeur juridique d’un smart-contract, etc. (Vauplane, 2016). A reconnaitre également que, « à l’heure actuelle, les services Blockchain sont handicapés par un parcours utilisateur souvent trop complexe qui limite la valeur perçue par l’utilisateur » (Filippi, et al., 2016 p. 24).
En somme, il faut admettre que, même encore de manière limitée actuellement, la blockchain dispose des caractéristiques intéressantes (confiance dans le registre, traçabilité robuste, etc.) pour les échanges d’actifs, plus particulièrement pour le cas du crédit documentaire.
1.3.3 Perspectives pour le crédit documentaire
1.3.3.1 Généralités sur le crédit documentaire
Par définition, une lettre de crédit est une « promesse de paiement d’une banque, distincte du contrat de vente ou autres contrats qui en forment la base. Elle permet de réduire les risques de paiement inhérents au transport des marchandises » (Banque Scotia, 1999 p. 2). Plus en détail, c’est un engagement écrit émit par une banque (émettrice) à l’endroit d’un vendeur (bénéficiaire) à la demande de l’acheteur (donneur d’ordre), suivant aux instructions de ce dernier de régler un montant précis, en contrepartie de remise des documents exigés dans le contrat de vente liant le vendeur et l’acheteur, dans le délai prescrit. La raison d’être de la lettre de crédit réside, en fait, dans une problématique de risque (solvabilité de l’acheteur, méconnaissance de la banque émettrice, en l’occurrence), d’où les avantages attendus de cet instrument commercial, tels que l’ouverture du marché pour le vendeur par l’existence d’un mode de paiement relativement sûr, la substitution d’une banque à l’acheteur, la mise à profit de l’expertise de la banque pour l’aisance du déroulement des opérations de vente, une conditionnalité de paiement claire et respectée, une possibilité de fixer les dates d’expédition des marchandises, etc.
Par ailleurs, la lettre de crédit peut être de plusieurs types, suivant trois principales modalités, à savoir : la date de paiement de celle-ci (à vue ou à terme/usance), la révocabilité (possibilité d’annulation ou de modification par la banque émettrice), et la nécessité ou non de confirmation de la part de la banque émettrice). Aussi, il faut noter que les banques ne peuvent être tenues responsables quant à l’authenticité ou la forme des documents du contrat commercial sous-jacent à la lettre de crédit, de même que celles-ci ne sont pas concernées ou liées par ce contrat : il y a séparation de ces deux contrats (celui liant l’acheteur et le vendeur d’une part, et celui de la lettre de crédit d’autre part).
A rappeler alors le déroulement d’une opération comportant lettre de crédit : Suite à un contrat de vente, la lettre de crédit est émise (par la banque émettrice) conformément aux ordres de l’acheteur (client de cette banque), à l’endroit du vendeur (bénéficiaire) par l’intermédiaire d’une banque notificatrice (succursale ou correspondante de l’émettrice). Lorsque le bénéficiaire a accepté la lettre (après vérification), il expédie la marchandise, prépare la marchandise, et reçoit les différents documents exigés dans le contrat de cette lettre (le connaissement du transporteur, par exemple) et les envoie à la banque émettrice en lui demandant le paiement, ce qui doit être le cas après vérification (en débitant le compte de l’acheteur, donneur d’ordre).
La question qui se pose concerne ainsi la faisabilité et la pertinence du recours à l’utilisation de la blockchain pour cet instrument commercial qu’est la lettre de crédit.
1.3.3.2 Blockchain pour le crédit documentaire
Sans encore pencher dans les détails techniques, organisationnels ou encore financiers de cette opération d’utilisation de la technologie blockchain pour le crédit documentaire, il y a lieu de faire une sorte d’état des lieux à ce propos. En effet, quelques faits semblent déjà confirmer, non seulement la réalisabilité mais également l’efficience des projets relatifs à cette opération. En fait, dans cette dernière, « les informations liées à des transactions sont enregistrées automatiquement dans un historique dématérialisé et partagé entre leurs différentes parties prenantes » (Graff, 2016).
Un des grandes perspectives annoncées dans ce sens serait probablement l’élaboration de deux prototypes de lettres de crédit (et de créances clients) avec la blockchain, dans l’espoir entre autres de réduire les coûts. C’est en effet un projet d’envergure du consortium bancaire R3 regroupant une quinzaine de membres. L’intérêt accordé à la blockchain par ces grands acteurs peut être compris au regard des 2 000 milliards de dollars de transactions annuelles faisant l’objet de lettres de crédit, mais dont la gestion apparait lourde car reposant surtout sur des documents papier. En revanche, « l’utilisation de la blockchain doit permettre de simplifier le processus des lettres de crédit ou des créances clients tout en apportant plus de transparence et de sécurité aux différents intervenants » (Pinaud, 2016). De plus, les différentes parties prenantes au contrat commercial (ainsi qu’au contrat relatif à la lettre de crédit) peuvent suivre en temps réels l’évolution des données, la lettre étant signée et garantie électroniquement. Ainsi, avec une estimation de réduction d’environ 10% à 15% des coûts du financement commercial, les banques du consortium espèrent une augmentation des volumes du commerce et donc des revenus de celles-ci, de l’ordre de 15%. Le déploiement à plus grande échelle de ce projet est alors en perspective.
Il est possible aussi de citer, encore à titre d’exemple, l’initiative de KBC et la société IT Cegeka qui ont annoncé un test concluant de leur solution blockchain, Digital Trade Chain (DTC), plus particulièrement adaptée aux PME. Il s’agit d’une plateforme numérique qui enregistre le processus commercial (en partant de la commande jusqu’au paiement) (KBC Groep NV, 2016).
Un dernier exemple concerne les initiatives au niveau d’une banque, la BNP Paribas (parmi beaucoup d’autres) qui étudie profondément, depuis 2011, l’intégration de la blockchain dans l’ensemble de ses activités (en complémentarité aux projets R3 auxquels la banque participe activement). C’est ainsi que cette banque, outre les perspectives en matière de commerce international et de crédits documentaires (dont le projet Smart LC pour remplacer les documentations papier par des flux digitaux), vise l’amélioration (entre autres) de l’expérience client ainsi que l’efficacité des services offerts au niveau du cash management (BNP Paribas, 2016). Il faut dire alors que, au moins sur le plan théorique, la technologie blockchain constitue probablement un levier important d’innovation dans les pratiques bancaires.
2. Méthodologie
Avant de parler de moyens d’investigation utilisés pour le recueil d’information, il y a lieu d’abord d’expliquer le choix des méthodes adoptées dans cette étude empirique.
2.1 Méthodes d’approche
Bien que les médias parlent assez abondamment d’intérêt porté par de nombreuses banques au recours à la technologie Blockchain pour les crédits documentaires (certaines auraient même investi massivement dans d’études de faisabilité à ce propos), cet intérêt n’est apparemment pas partagé par l’ensemble des acteurs du secteur bancaire. S’agit-il de pure indifférence (en se montrant conservateur, de moins en moins innovateur), de méfiance (question de sécurité, notamment), d’attente de preuve d’efficience (d’une expérience annoncée de retour sur investissement conséquent, en l’occurrence), etc. ? Tout cela suggère désormais qu’il y a probablement une part non négligeable de subjectivité dans la prise de décision à propos de l’investissement sur la technologie Blockchain appliquée aux crédits documentaires.
Cela dit, l’avenir du recours à la Blockchain dans les lettres de crédit devrait reposer (au moins en partie) sur les avis des professionnels du secteur bancaire. Ainsi, pour la présente étude, c’est-à-dire dans une perspective de savoir si ces instruments de paiement peuvent (ou non) s’appuyer sur cette technologie particulière, il y a lieu de faire référence à ces experts du métier de banque.
Dans cette voie, il est pertinent de recourir à une étude qualitative pour appréhender les points de vue de ces professionnels. Deux principales méthodes ont alors permis de recueillir les informations empiriques pour la présente recherche :
- D’une part, il est important de tenir compte des avis annoncés, (de manière plus ou moins officiels) dans les médias existants (notamment, sur internet), par des professionnels de banque portant de sérieux intérêts pour l’utilisation de Blockchain dans les lettres de crédit. En fait, des professionnels de la banque ING Bank N.V. ont été prévus de contribuer au présent travail de recherche, mais finalement, cela n’a pas été possible. A titre d’alternative, il a été pris en compte les propos plus ou moins officiels émis et médiatisés par certains professionnels de cette banque de manière à appréhender leurs perceptions du recours à la Blockchain pour les instruments de paiement tels que les crédits documentaires. Désormais, ING Bank a publiquement manifesté beaucoup d’intérêt à cette technologie, une banque de siège social à Amsterdam mais ayant une filiale en Suisse, donc se montrant comme concurrente de la banque BCV(ING Bank N.V., 2017a; 2017b).
- D’autre part, des entretiens auprès des professionnels du secteur bancaire ont tout de même été réalisés, dont certains travaillent bien évidemment chez BCV tandis que les autres dans d’autres banques (autres que ING Bank N.V., mais les interviewés n’ont pas souhaité faire mention du nom respectif de leur banque).
2.2 Les guides d’entretien et les interviewés
Quelques guides d’entretien (il est même possible de parler de « questionnaire d’entretien ») ont été élaborés suivant les interlocuteurs (leurs fonctions dans leurs banques) et/ou selon leurs établissements respectifs. En réalité, ces guides sont issus d’adaptation contextuelle de deux principaux guides d’entretien (selon qu’il s’agit de la BCV ou d’autre banque) (cf. Annexe).
Tableau 1 – Eléments des guides d’entretien
Etablissement | Fonction dans la banque | Thème abordé dans l’entretien | Numéro des questions dans le questionnaire |
BCV | Spécialiste crédit documentaire | Le Service/Département et ses activités | Q. 1 à 4 |
Processus de crédit documentaire à la BCV | Q. 5 | ||
La perception (de la BCV, et personnelle) vis-à-vis de la Blockchain pour les lettres de crédit | Q. 6 à 10 | ||
Chef de projet FinTech (Service Multicanal) |
Le Service Multicanal et son fonctionnement | Q. 1 à 2 | |
Les projets en cours et leur importance (financière) | Q. 3 à 4 | ||
Points de vue du professionnel sur la Blockchain pour les crédits documentaires | Q. 5 à 9 | ||
Autre banque | – Spécialiste crédit documentaire
– Employé Middle Office A – Employé Middle Office B |
Perception de la digitalisation du traitement des crédits documentaires, et plus particulièrement concernant la Blockchain | Q. 1 à 2 |
Perspective de la Blockchain dans le crédit documentaire (et pour le secteur bancaire en général) | Q. 3 à 6 |
Afin de respecter le principe d’anonymat pour les interviewés, leurs noms n’apparaitront pas dans ce document (ils sont seulement désignés par leurs fonctions respectives, le nom de la banque sera mentionné pour la seule banque BCV).
Il faut tout de même admettre quelques limites majeures de la méthodologie adoptée pour cette étude empirique :
- D’abord, les professionnels interviewés auprès de la BCV sont limités aux seuls spécialiste du crédit documentaire et chef de service FinTech. Cela est essentiellement dû à une contrainte « temps » relativement serrée pour la réalisation du mémoire. En effet, les avis d’autres acteurs de la banque (les propriétaires et les dirigeants de la banque pour les questions relatives à l’investissement et à la prise de risque, le service/département risque et conformité pour les questions concernant la réglementation, les commerciaux qui sont en contact direct avec les clients de la banque, etc.) auraient enrichi les informations et les analyses.
- Ensuite, des interviews auprès des professionnels de l’ING Bank N.V. ou d’autre(s) banque(s) s’impliquant significativement dans le Blockchain pour le crédit documentaire auraient également d’un grand intérêt. Seulement, il faut comprendre que la somme (vraisemblablement très importante) investie dans la recherche sur ce domaine conduit ces banques à privilégier la stratégie du silence, étant donné que le secteur bancaire est fortement concurrentiel. Il y a lieu donc de se contenter des informations officiellement publiées par ces banques à ce sujet.
- Enfin, il semble aussi important d’appréhender les opinions d’autres acteurs que ceux de la banque, tels que les clients et autres parties prenantes (notamment concernant l’intérêt qu’ils portent à l’usage de la blockchain pour les crédits documentaires plutôt que les techniques traditionnelles habituelles), les législateurs et les spécialistes en droit des affaires (à propos des questions réglementaires), etc., voire les habitués de cette technologie dans d’autres secteurs.
3. Analyse contextuelle et de points de vue des professionnels
Ainsi, l’analyse à réaliser ici se fait à trois niveaux au regard des banques dans lesquelles travaillent les interviewés et/ou les personnes dont les avis sont considérés : d’abord vis-à-vis de l’ING Bank N.V., en tant que banque apparemment engagée dans l’investissement pour l’intégration de la technologie Blockchain dans les lettres de crédit ; ensuite, à propos de la BCV elle-même ; et finalement, concernant d’autres banques qui pourraient s’intéresser également à cette technologie de différentes manières.
3.1 L’ING Bank N.V., une engagée
En fait, ING (à côté notamment de la Société Générale SA) a déjà investi et a réalisé, en février 2017, une première livraison de pétrole brut dont le commerce fonctionne entièrement sur une plateforme blockchain (Yang, 2017). Ceci apparait comme un signe précurseur de l’intérêt plus profond que le groupe ING porte sur cette technologie pour les transactions de marchandise afin de digitaliser la certification de papiers commerciaux, à l’exemple d’une perspective d’engagement également pour le secteur du gaz naturel liquéfié, selon le directeur général du Commerce et de la finance des marchandises du groupe, Patrick Arnaud. Il faut aussi mentionner que ING Bank N.V. a intégré le consortium R3CEV en novembre 2015, un partenariat entre institutions financières de premier plan qui tentent de collaborer dans le domaine de la technologie Blockchain, à l’instar des études sur l’utilisation potentielle de cette dernière dans les transactions complexes. Ce consortium regroupe désormais une quarantaine d’institutions financières, telles que Barclays, Goldman Sachs, Bank of America, HSBC, etc. (ING Bank N.V., 2016). Le responsable mondial des services de transaction pour Dutch banking and financial services du groupe ING, Mark Buitenhek, les recherches menées à travers ce consortium impliquent « tous » les métiers de la banque, dont l’organisation des services de transaction à l’échelle internationale (Higgins, 2015).
Ainsi, ING Bank N.V. aurait testé avec succès quelques technologies blockchain dans ce sens, au sein du consortium R3CEV. Techniquement, l’essai concerne un grand livre distribué reliant les membres de ce consortium, dans des efforts qui auraient porté ses fruits positivement, selon le directeur des recherches au sein de R3, Tim Swanson (Sydney Morning Herald, 2015).
Patrick Arnaud parle d’une technologie qui va probablement bouleverser tout le secteur industriel (Yang, 2017). Pour sa part Mark Buitenhek estime que celle-ci sera « phénoménale » en cas de réussite effective au service des banques, ce qui suppose que la blockchain pourrait bien devenir incontournable pour les banquiers dans les années à venir (ING Bank N.V., 2016).
ING aurait constaté que l’utilisation de la Blockchain à la place de la certification papier réduit son engagement au niveau de chaque transaction d’environ 25 minutes à près de trois heures, ce qui devrait correspondre à une diminution des coûts d’environ 30%. Ainsi, Pour Mark Buitenhek, « il est extrêmement intéressant d’étudier le potentiel de ce nouveau système dans le partenariat que nous avons conclu avec les autres banques. A première vue, il s’agit apparemment d’une technologie mettant de côté les banques, mais celle-ci peut nous inciter à aller de l’avant en ce qui concerne l’enregistrement plus sûr des transactions, moins cher et davantage efficace. De plus, les anciens systèmes ne vont pas disparaitre tout simplement. Les gens veulent encore avoir comme interlocuteur une institution qui leur sont familières ou frapper à la porte lorsqu’ils ont besoin d’un bon conseil » (ING Bank N.V., 2016). La banque reconnait l’incertitude qui plane sur l’avenir de l’intégration de cette technologie, et ignore l’envergure des enjeux que cela pourrait représenter, mais au moins, ING Bank N.V. ne nie pas le potentiel d’application des blockchains dans le règlement commercial, les transactions internes, l’identification électronique, etc. La perspective dans ce domaine est, selon cette institution, prometteuse ; d’où la décision d’investissement (de temps, d’efforts et d’argent) dans cette technologie.
L’optimisme est palpable chez ING Bank N.V., surtout à l’issu de ses premiers tests positifs dans l’utilisation de la blockchain. Le Global Head of Payment, Jurgen Vroegh, dirigeant le projet pour la banque (au sein de R3), se félicite que le processus rapproche fortement les différentes parties, celles-ci étant également très engagées dans cette voie : « Avec une communication constructive en profondeur, nous avons réussi à créer une communauté d’experts. Les essais nous ont permis de mieux comprendre les différentes options technologiques et de comprendre comment les contrats intelligents peuvent vraiment fonctionner dans un grand livre distribué » (ING Bank N.V., 2016). Sur le plan pratique, il est attendu que cette comptabilité privée distribuée (construite par Chain, Ethereum, Eris Industries, Intel et IBM) entre les membres du consortium R3 facilite l’émission, la négociation sur le marché secondaire, et le rachat du papier commercial, en l’occurrence.
En tout cas, de tel engagement d’investissement ne se fait pas de manière aveugle et sans limite. Mark Buitenhek souligne que les efforts et dépenses engagés dans ce sens doit avoir des impacts significatifs et justifiables en termes de coût-bénéfice : « nous allons effectivement dépenser de l’effort, du temps et de l’argent dans environ deux à trois ans… Et si ce n’est pas évident ou clair dans que quelque chose se réalisera ces deux années, nous allons nous arrêter et voir autre chose » (Higgins, 2015).
Enfin, il peut être important de noter un élément de motivation pour ING Bank N.V. dans ces efforts engagés : la recherche fonctionne dans un processus « bottom-up » (plutôt que « top down ». En d’autres termes, l’initiative des recherches dans l’utilisation de cette technologie est dirigée par le personnel lui-même : « Il y a deux ans – quelque part en 2013 – nous avons commencé à constater cela. Nous avons découvert que plus de 100 de notre personnel informatique jouaient avec des applications de blockchain, y compris bitcoin. Nous ne le savions même pas », a déclaré Mark Buitenhek (Higgins, 2015).
En somme, ING Bank N.V. reconnait que son investissement porte encore sur un phénomène risqué, mais la taille du consortium R3 lui offre au moins un minimum de garantie de l’efficience potentielle du projet blockchain-crédit documentaire. Cette position n’est pas nécessairement celle de la BCV qui se montre, quant à elle, assez méfiante.
3.2 La BCV, une hésitante mais probablement opportuniste
Sur le plan organisationnel, le service Crédit Documentaire de BCV, qui traite les crédits documentaire set les garanties bancaires (au niveau du département de Trade Finance), emploie une vingtaine d’unité de travail (équivalent plein-temps). Il est composé de quatre équipes dont le front office chargé de la relation client, les spécialistes de l’agroalimentaire (I et II), les spécialistes métaux (I et II), et le middle office qui gère les relations bancaires internationales. Les clients de la banque dans ce domaine sont des négociants internationaux, des grandes entreprises, mais aussi des PME de la région (Vaud, Suisse). En moyenne, la BCV traite 6 500 dossiers par an, soit d’une valeur de CHF 14 milliards, import et export confondus, pour l’année 2016.
Le processus de crédit documentaire (cf. Figure 1) à la BCV peut être qualifié de classique, n’ayant semble-t-il point changé depuis longtemps (une situation générale pour le crédit documentaire en tant que tel). Même si ce processus est assez simple au départ, les nombres importants d’étapes qui le compose et de parties prenantes (partenaires issus d’une cinquantaine de pays) qui y sont engagées viennent le complexifier. Ainsi, un dossier mobilise, au minimum un collaborateur du front office, un spécialiste du crédit documentaire, et un employé du middle office.
Flèches : documents (vertes), opérations (grises), mouvements de marchandises (noires), transit d’argent (en traits)
1) Conclusion d’un contrat de vente
2) Ordre d’ouverture d’une lettre de crédit LC 3) Ouverture de la LC 4) Confirmation de la LC 5) Expédition de la marchandise 6) Remise des documents de transport Présentation des documents requis dans la LC |
7) Crédit du compte du vendeur
8) Transfert des documents 9) Paiement 10) Remise des documents 11) Débit du compte de l’acheteur 12) Remise des documents 13) Livraison de la marchandise |
Figure 1 – Processus du traitement de crédit documentaire chez BCV
Selon le spécialiste Crédit documentaire, la blockchain est une technologie encore (trop) « jeune », c’est-à-dire non encore suffisamment mature pour le crédit documentaire : son utilisation en dehors des crypto-monnaies vient à peine de commencer. Si elle suscite beaucoup d’intérêt chez les spécialistes, son efficience (financière) pose tout de même question : « une des expérience test a coûté environ 50 millions de dollar pour une opération de 50 000 dollar de coton qui partait de Singapour » [Spécialiste Crédit documentaire, BCV].
Pour BCV (à travers ses employés, BCV elle-même n’a pas encore émis d’opinions officielles dans ce domaine), la blockchain représente un investissement trop important sans offrir une visibilité suffisante pour la banque en matière de retour sur investissement (pour motiver entre autres les actionnaires dans ce sens). « Lorsque la BCV investi dans son système e-banking (BCV-net), elle le justifie avec le nombre de clients impactés et le nombre d’utilisateurs du BCV-net. Mais en ce qui concerne les crédits documentaires, nous n’avons qu’environ 140 clients » [Ibid.]. En outre, quoique des clients de la BCV semblent manifester de l’intérêt à l’intégration de la blockchain dans le crédit documentaire, nul ne se montre prêt à s’y engager effectivement. En réalité, l’automatisation du processus de crédit documentaire les fera disparaitre dans celui-ci ; or, ils veulent y figurer, quitte à payer pour cela, étant donnés les enjeux et les montants engagés dans les opérations correspondantes.
De plus, la BCV souligne l’universalité nécessaire et l’adoption par tous les partenaires comme conditions de réussite de l’intégration de cette technologie dans cet instrument de paiement. Pourtant, entre 400 et 500 des partenaires de BCV (banques, ports, producteurs) n’auraient même pas encore de connexion internet haut débit pour pouvoir utiliser la blockchain, d’autant plus que la BCV ne se sent pas de taille (comparable à une institution comme Swift) pour « faire pression ».
Aussi, selon BCV, les réductions de coût évoquées pour cette intégration de la blockchain seraient surtout bénéfiques du côté des clients et non pas de celui de la banque : « la banque n’aurait plus d’employés dans le service crédit documentaire, mais elle devra composer une équipe de haut expert qui s’occuperait exclusivement de la sécurité de la chaîne. Les coûts fixent ne feraient qu’augmenter pour aucun retour car moins de commission » [Ibid.].
BCV parle aussi d’autres freins empêchant/ralentissant la prise de blockchain pour le crédit documentaire, dont entre autres :
- La mauvaise publicité et l’incompris que subit cette technologie, surtout au regard de l’association généralement négative que font les médias entre la blockchain d’une part, et bitcoin et « darknet » d’autre part.
- L’ambivalence difficilement compréhensible entre, d’une part la transparence/l’ouverture qu’offre cette technologie et, d’autre part la question de sécurité dans ce domaine : « Quelqu’un pourrait-il vraiment savoir combien j’ai sur mon compte ? Voilà la question que tout le monde se pose» [Chef de projet FinTech, BCV].
- La désintermédiation que l’utilisation de Blockchain suggère, c’est-à-dire, la mise à l’écart d’entités importantes comme Swift, SIX, etc. ainsi que les avocats, notaires, etc.
Même si la BCV ne s’est pas encore officiellement exprimé explicitement sur l’intérêt que porte la banque à propos de l’utilisation de Blockchain (notamment pour le crédit documentaire), il semble que l’institution veut surtout être « opportuniste » sur ce point. En effet, d’un côté, la banque ne souhaite donner aucun avis « précipité » (étant donné l’incertitude sur les points forts et faibles ainsi que l’avenir de cette utilisation de Blockchain), jouant alors la carte de la « prudence ». Entretemps, d’un autre côté, des spécialistes de BCV sont chargés de suivre de près l’évolution des recherches sur les applications blockchain dans le secteur bancaire (participation à des sommets et séminaires, organisation de « deep dive » à ce propos, etc.). « Je suis de très près quelques projets qui sont très intéressants pour deux raisons, la première c’est qu’ils sont tous à des stades bien avancés en Suisse et ils sont tous proches du business model de la BCV (UBS. SIX, ZKB, Swisscom, etc.) : Smart bond, Real Time Payments, Utility Settlement coin for FX PB, Trade Finance, Loyalty, OTC » [Ibid.].
Malgré l’engouement qui se dessine chez des grands acteurs du secteur bancaire à propos de l’utilisation de cette technologie, BCV se montre de plus en plus averse au risque, une attitude qui se reflète dans ses actions d’investissement en matière de technologies digitales, en général. En effet, pour cette banque, le ton est à la « nécessité » éprouvée de l’investissement, c’est-à-dire lorsque ce dernier est « impossible à éviter ». Ainsi (à titre d’illustration), les cinq projets phares travaillés par le Service Multicanal de BCV[2] permettent de comprendre (au moins en partie) pourquoi l’intérêt pour la blockchain est si nuancé. En fait, ces projets cherchent à anticiper les besoins futurs des clients et à miser sur des services particulièrement réactifs. En revanche, les clients pourraient encore être largement inconscients de leurs besoins auxquels répondraient l’intégration de la technologie blockchain (pourquoi changer alors que tout se passe bien depuis un siècle de lettre de crédit ?). De plus, les services offerts à travers ces cinq projets sont tous éprouvés (en termes de coût-bénéfice) dans d’autres institutions, tandis que pour l’intégration de la blockchain, les données officielles restent sur l’approximatif.
En somme, l’intérêt porté par BCV sur l’utilisation de la blockchain dans les crédits documentaires se cantonne dans le conditionnel, en espérant intégrer plus facilement cette technologie lorsque les recherches dans ce domaine se montreront fructueuses. Cette attitude n’est apparemment pas une caractéristique de la BCV, car d’autres banques veulent probablement jouer également les « passagers clandestins » (être opportunistes).
3.3 D’autres banques, intéressées et informées mais moins enthousiastes
Désormais, la plupart des professionnels de banques (n’ayant pas encore intégré la technologie blockchain) interviewés voient « d’un bon œil » la digitalisation du traitement des crédits documentaires, du moins au niveau technique. Ces professionnels sont quasi-unanimes sur le fait que la Blockchain est la plus prometteuse des technologies potentiellement utilisées pour cette digitalisation, car c’est la solution la plus complète, permettant l’accès aux documents en temps réel ainsi que le transfert même d’argent. « Je pense que la blockchain va transformer le Trade Finance. Cette technologie me semble ne pas avoir de limite » [employé Middle office Crédit Documentaire, autre banque].
Un spécialiste Crédit Documentaire souligne aussi la rapidité des opérations (avec la Blockchain), ce qui implique un coût moindre et plus de liquidité disponible pour la banque. Un employé Spécialiste Métaux Crédit Documentaire précise que le gain de temps permet donc de réaliser beaucoup plus d’opérations, ce qui signifie un avantage financier conséquent. Le professionnel parle également de meilleure gestion de liquidités car la rapidité des opérations pourrait réduire considérablement les ratios de liquidités et de fonds propres exigés par la réglementation en vigueur (dont Bâle 3).
De son côté, un employé Middle office Crédit Documentaire rallonge la liste des impacts positifs potentiels du recours à cette technologie : « Gain de temps, meilleures gestions des documents, diminution du risque de falsification des documents, réduction du personnel et donc réduction des charges salariales » [employé Middle office Crédit Documentaire, autre banque].
Selon ces trois professionnels interviewés, l’intégration effective et opérationnelle de la blockchain (dont dans le crédit documentaire) ne se fera pas avant plusieurs années, voire plusieurs décennies. Une raison principale de ce retard est l’acceptation par toutes les parties prenantes du nouveau système : « Imaginez l’effort, pour les banques, les négociants, d’aller convaincre chaque ports, douanes, producteurs, acheteurs et vendeurs d’adhérer à la blockchain. Et pour que ça fonctionne réellement, tous doivent utiliser le même système » [spécialiste Crédit documentaire, autre banque]. L’employé Middle office Crédit Documentaire est même sceptique sur ce point et estime que seuls les grandes banques, ports et sociétés de négoces useront de cette technologie.
A côté de cette acceptation nécessaire par tous de l’utilisation du système, il y a aussi les questions de formation et de réglementation. En effet, encore faut-il que tous les acteurs potentiels du crédit documentaire disposent, non seulement les moyens pour avoir accès à la technologie blockchain, mais aussi les capacités/compétences pour profiter au maximum de la puissance de celle-ci.
Les enjeux réglementaires de l’utilisation de la blockchain pour le secteur bancaire viennent également nourrir le pessimisme des professionnels sur ce sujet. En fait, il faut au moins standardiser les documents utilisés dans ces instruments de paiement pour ensuite élaborer un cadre réglementaire universel. Ainsi, deux types de visions se dessinent alors, chez les professionnels :
- D’une part, il y a ceux qui sont assez sceptiques en imaginant une période de transition (plusieurs décennies). Ils pensent que c’est le cadre réglementaire qui devrait être mis en place en premier pour que tous les acteurs soient plus motivés à intégrer le système ;
- D’autre part, il y a ceux qui sont beaucoup plus optimiste en estimant une période de transition plus courte (de moins d’une décennie probablement). Ils pensent surtout, en revanche, que les législateurs devraient être mieux motivés lorsque le système se montre efficace et robuste. De plus, ils espèrent que les montants en jeu et l’importance des activités fera accélérer le mouvement.
En somme, certes, il y a des éléments techniques (donc des raisons objectives) qui influencent les points de vue de chaque établissement bancaire concernant l’utilisation de la Blockchain dans ses métiers (dont ceux relatifs aux lettres de crédit). Néanmoins, il faut reconnaitre que les représentations que se font les professionnels qui travaillent au sein de cet établissement impactent fortement ces opinions. Il y a, par exemple, ceux qui considèrent ces tests médiatisés sur la Blockchain (dont ceux réalisés par le consortium R3CEV) comme des simples faits du pur marketing. En tout cas, il est vraisemblablement évident que les utilisateurs de ce nouveau système ne pourront profiter au maximum des bénéfices de son utilisation que lorsque la transition/migration vers celui-ci soit effectivement complète.
4. Synthèse et recommandations
4.1 Synthèse
En fait, techniquement, la Blockchain ne devrait pas bouleverser significativement le processus des crédits documentaires tel qu’il a été, durant son siècle d’existence. Ainsi, l’usage de cette technologie ne devrait pas obliger à réécrire le processus (en supprimant/ajoutant une ou des étapes, par exemple). Ce qui changera sera incontestablement le délai d’exécution du processus complet : la technologie permettra de réduire considérablement ce délai. En effet, un transfert « traditionnel » à l’étranger peut prendre 3 à 5 jours ; la transmission des documents physiques (donc par courrier), même à l’aide de voie express (DHL, par exemple), est chronophage et coûte très cher (financièrement, en l’occurrence). En revanche, la Blockchain permet de réaliser un paiement instantané et de transmettre les documents (qui seront également accessibles par tous les acteurs du processus en temps réel).
Dès lors, l’utilisation de la blockchain pour les crédits documentaires a entre autres comme avantages techniques : la réduction (voire la neutralisation) du risque de perte des documents, mais également la diminution du risque de falsification de ceux-ci. Certes, les tâches attribuées au Trade Finance ne subiront pas de changement à cause de Blockchain, mais celle-ci facilitera le processus car il y aura moins de documents à manipuler. In fine, les coûts de blocage des marchandises au port à cause de l’attente du transfert d’argent devront être éliminés. De manière récurrente, cette rapidité d’exécution devrait permettre une économie d’argent : il n’y aura plus de paiement pour retard d’un côté, et il y aura plus de liquidité disponible.
Néanmoins, ces éléments techniques n’apparaissent pas suffisants pour convaincre les banques à investir dans la technologie Blockchain. Ainsi, au regard des analyses faites dans la partie précédente, il semble y avoir deux principaux points de vue (et donc deux positions) tenus par les différentes institutions bancaires face à la potentialité d’utilisation de la technologie Blockchain dans le crédit documentaire :
- D’un côté, il y a une sorte d’enthousiasme véhiculé par les banques qui ont une certaine représentation positive sur l’avenir de l’intégration de cette technologie dans cet instrument financier. Les points de vue de ces institutions semblent nécessairement supportés par des éléments objectifs (notamment techniques) qui nourrissent l’optimisme des dirigeants et professionnels de ces banques. Il est évident que ces dernières sont plus disposées à s’engager davantage dans des investissements dans ce sens.
- D’un autre côté, il y a une sorte de prudence (voire de méfiance) étant donné l’incertitude qui est maintenue dans ce domaine. Même si les dirigeants et professionnels des banques adoptant ce point de vue reconnaissent la potentialité technique de l’utilisation de cette technologie dans le secteur bancaire, elles ne perdent pas non plus de vue les obstacles qui ralentissent cette utilisation de manière universelle.
La banque BCV se positionne essentiellement dans ce second cas. En effet, elle (ainsi que les banques qui n’ont pas décidé d’investir dans la blockchain) suit de près (tout en gardant une certaine distance) l’évolution des recherches faites par les grands acteurs bancaires concernant cette technologie. Pour elle, le chemin vers l’intégration complète de cette dernière est encore loin, et ce ne serait pas le crédit documentaire qui en profitera le premier, du moins pour le cas particulier de la BCV. Désormais, il y a des efforts vraisemblablement considérables à réaliser, notamment dans la mise en place d’un cadre réglementaire viable et universel, ainsi que l’acceptation par toutes les parties prenantes du nouveau système. Un paramètre mis au premier plan par les professionnels concerne également les impacts financiers de l’utilisation de cette technologie (rapport coût-bénéfice).
Il faut donc conclure que les véritables obstacles à l’intégration de la Blockchain dans les lettres de crédit (en ce qui concerne la BCV, en l’occurrence) résident, non pas tellement dans les enjeux techniques que cela représente (la question de sécurité et de fiabilité tant évoquée dans la littérature est très peu abordée par les interviewés). La BCV attend surtout des arguments financiers convaincant pour avancer. Il apparait même que la BCV ne s’y engagerait que si cela se montre nécessaire (voire inévitable), ou au moins quand le système est complètement (ou presque) opérationnel.
4.2 Recommandations
La position actuelle de la BCV face à l’utilisation de la Blockchain dans le crédit documentaire n’est pas sans risque. En fait, la banque compte jouer l’opportuniste, c’est-à-dire garder une distance jusqu’à ce que l’efficacité/efficience et la viabilité du système permettant cette utilisation soient éprouvée. Or, il faut estimer que cela pourrait comporter des coûts importants pour la BCV : d’abord un coût d’intégration car les acteurs qui ont investi massivement dans les recherches sur ce point pourraient ériger des barrières à l’entrée des « passagers clandestins » (d’autant plus que l’asymétrie d’information jouera certainement en faveur de ceux qui ont dépensé des millions d’euros dans ces recherches) ; mais également un coût d’opportunité, c’est-à-dire des coûts associés au changement (migration vers le nouveau système).
Ainsi, afin d’atténuer ces coûts, il est recommandé à la BCV de s’impliquer davantage dans de telles recherches, bien plus que de manière symbolique (telle que cela se présente apparemment jusqu’ici). Cela ne signifie pas nécessairement en un investissement au même niveau que les banques du consortium R3CEV, mais au moins pour s’informer : sur l’avancée des recherches dans ce domaine (où en est-on ? et quelle stratégie optimale à adopter ?), sur les moyens (financiers, matériels, techniques, humains) nécessaires pour faire face aux éventuels changements requis par l’intégration de la Blockchain, sur les autres prérequis dans ce sens, sur les points forts et points faibles de cette intégration pour la BCV (et ses partenaires), etc. C’est-à-dire, pour s’informer au maximum.
En tout cas, l’engouement des grands groupes bancaires dans les recherches sur la technologie Blockchain apparait comme un indicateur que l’utilisation de celle-ci (que ce soit retardée ou non) pourrait être considérée comme incontournable dans l’avenir. La BCV a alors intérêt à se préparer (bien avant) pour les changements que cela va entrainer, non seulement au niveau technique, mais également du point de vue organisationnel. Il faut reconnaitre que le changement au niveau culturel pourrait être le plus difficile à réaliser à ce point ; la faible culture de risque de la banque, par exemple, pourrait constituer un sérieux frein l’empêchant d’aller de l’avant. ING Bank N.V. a désormais accordé un aperçu de l’exemple à suivre pour négocier de façon optimale le virage de changement : des recherches pourraient être entamées en interne, et dirigée par les techniciens de la banque eux-mêmes, dans une approche « bottom-up ». Cela devrait favoriser la coopération entre les différents acteurs de la banque, réduire les coûts des recherches, faciliter l’adoption (progressive) de la technologie, voire positiver les représentations que se font les professionnels vis-à-vis de la Blockchain et son intégration dans leurs métiers. Il ne faut pas oublier que les points de vue de ces professionnels pourraient constituer un élément décisif, à la fois une motivation mais également un frein majeur, à cette intégration.
Le processus du crédit documentaire, en général, durant le siècle de son existence, n’a pas véritablement subit de changement substantiel. La technologie Blockchain, en tant que telle, n’est pas censée apporter une modification à ce processus. Néanmoins, l’utilisation de cette technologie devrait réduire considérablement le délai de ce processus, ce qui confèrera probablement plusieurs avantages conséquents aux banques, mais également aux autres parties prenantes pour ce type d’instrument financier. Sans encore prétendre préciser les détails sur ces avantages, ni sur leurs contreparties (coûts), les professionnels interviewés dans le cadre de la présente étude ont affirmé une diminution (voire neutralisation) de certains risques (risque de perte et/ou de falsification des documents requis pour cet instrument), une réduction des coûts (le paiement de retard pour attente du transfert d’argent, par exemple), une meilleure gestion des liquidités (notamment au regard de la réglementation et de ses ratios de fonds propres et de liquidité), etc.
Toutefois, il faut admettre que ces informations techniques ne semblent pas être suffisantes pour convaincre les banques hésitantes, dont apparemment fait partie la BCV, à aller de l’avant dans l’investissement concernant cette technologie. En effet, d’autres facteurs relatifs à la mise en place du nouveau système pour l’utilisation de cette technologie retiennent vite l’attention de ces banques qui se montrent alors beaucoup moins optimistes que ses homologues déjà engagés dans les recherches sur ce domaine. Désormais, la BCV, bien qu’intéressée et suit de près (tout en se montrant méfiante) l’évolution de ces recherches et compte adopter la Blockchain (mais cela ne concernerait peut-être pas le crédit documentaire, selon la perspective de la BCV) lorsque le contexte le permet ou quand l’utilisation de cette dernière deviendra incontournable. En définitif, la banque épouse le positionnement de l’opportuniste.
En fait, l’incertitude plane toujours sur l’avenir de l’utilisation de la blockchain (notamment à propos des lettres de crédit), nourrissant la prudence (voire la méfiance) chez BCV. Parmi les composantes de cette utilisation qui sont soumises à de telle incertitude, il faut parler du cadre réglementaire qui fait encore défaut (alors que le nouveau système requiert l’uniformisation des pratiques sur ce point). Il faut aussi l’acceptation de ce système par toutes les parties prenantes, alors que celles-ci ne disposent pas des moyens suffisants pour profiter pleinement des avantages de cette technologie. En somme, les professionnels de la BCV estiment que le déploiement de ce système n’aura lieu que dans plusieurs années (d’autres professionnels d’autres banques plus pessimistes parlent même de 30 à 50 ans).
Néanmoins, il semble être de plus en plus probable que l’intégration de la Blockchain dans les métiers des banques sera effective (bien que la période nécessaire pour cela n’est pas encore définie). Du coup, il est important pour la BCV de se préparer dès maintenant (notamment en s’informant sur l’évolution des recherches sur cette technologie), de manière à ce que le changement engendré par cette intégration ait le moins d’effets négatifs pour la banque.
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Annexe 1 – Questionnaires servant de guides d’entretien
Question au Responsable Crédit documentaire de la BCV
- Décrivez votre équipe et son fonctionnement ?
- Taille
- Formation
- Profil polyvalent ou spécialiste
- Que traitez-vous dans ce service ?
- Autre que les crédits documentaires
- Quel nombre de clients / dossiers traitez-vous par année ?
- Cela représente quel montant environ ?
- Comment se déroule un processus standard de crédit documentaire ?
- Quels sont les étapes sensibles du processus ?
- Quels sont les parties prenantes du processus ?
- Que pensez-vous de l’introduction du blockchain dans les processus tel que celui-ci ?
- Est-ce une solution intéressante pour la BCV ?
- Si oui, pourquoi ?
- Si non, pourquoi ?
- Si cela devait se faire, la migration de processus prendrait combien de temps selon vous ?
Question au Responsable Crédit documentaire de la BCV
- Comment voyez-vous la digitalisation du traitement des crédits documentaires ?
- Plusieurs procédés sont à l’étude, quelle technologie vous semble la plus prometteuse et pourquoi ?
- Alors selon vous dans quelques années, vous travaillerez sur une blockchain pour les crédits documentaires ?
- Pensez-vous du coup que la blockchain va prendre ?
- Quel impact aura la blockchain sur ce processus d’un point de vue financier ?
Annexe 2 – Réponses des professionnels interviewés aux entretiens
Questionnaire avec M.X spécialiste Crédit documentaire BCV
- Décrivez l’équipe et son fonctionnement ?
Le Trade Finance emploie l’équivalent de 80 UT plein-temps.
Le service crédit documentaire quant à lui emploie l’équivalent de 21 UT équivalent plein-temps. Le service est divisé en 4 équipes, le front qui s’occupe de la relation client, les spécialistes de l’agroalimentaire I et II, les spécialistes métaux I et II puis le middle office qui gère les relations bancaires internationales.
Il n’y a pas de profil type, les membres de l’équipe ont tous des formations et des niveaux de formation différents (CFC, maturité professionnelle, bachelor et master).
- Que traitez-vous dans ce service ?
Le service crédit documentaire traite les crédits documentaires et les garanties bancaires également.
- Quel type et quel nombre de clients / dossiers traitez-vous ?
Nos clients sont des négociants internationaux, des grandes entreprises mais aussi des PME de la région.
La BCV traite en moyenne 6’500 dossiers par an.
- Cela représente quel montant environs ?
En 2016 il s’agit de 14 milliards de CHF import et export confondu.
- Comment se déroule un processus standard de crédit documentaire à la BCV et combien de personnes sont impliquée dans ce dernier ?
Je définirai le processus de classique. Depuis que je travaille ici, le processus n’a jamais changé. Mais ce n’est pas une particularité de la BCV. Le processus de crédit documentaire depuis son existence n’a pas vraiment changé.
Le processus n’est pas bien compliqué mais il comporte de nombreuses étapes et de parties prenantes ce qui finit par complexifier le processus.
Les flèches en verts représentent des documents, les flèches en gris sont les opérations, les noires sont les mouvements de marchandises et finalement les flèches en traitillé, le transit d’argent.
- Conclusion d’un contrat de vente
- Ordre d’ouverture d’une lettre de crédit LC
- Ouverture de la LC
- Confirmation de la LC
- Expédition de la marchandise
- Remise des documents de transport
- Présentation des documents requis dans la LC
- Crédit du compte du vendeur
- Transfert des documents
- Paiement
- Remise des documents
- Débit du compte de l’acheteur
- Remise des documents
- Livraison de la marchandise
Les parties prenantes sont nombreuses, je ne connais pas les chiffres exacts. Mais pour vous donner une idée, nous avons des partenaires dans environs 50 pays.
Pour chaque dossier, plusieurs personnes sont mobilisées : un collaborateur du front, un spécialiste crédit documentaire et un employé du middle office au minimum.
- Aujourd’hui, on parle beaucoup de la blockchain, que pensez-vous en générale de cette technologie ?
Je pense que c’est une technologie intéressante mais encore très jeune. Même si elle a une dizaine d’année, on commence à pleine de l’utiliser indépendamment du bitcoin ou de l’ether.
- Certaines banques ont déjà franchi le pas et ont déjà fait une opération test, qu’en avez-vous pensé ?
J’ai trouvé que c’était une action marketing/communication intéressante.
La démarche suscite beaucoup d’intérêt de la part des spécialistes bien sûr, surtout lorsqu’on sait que le processus des crédits documentaires n’a quasiment pas changé depuis 100 ans. Mais l’opération en soi, lorsqu’on l’analyse, on se pose tout de même des questions. En effet, une des expérience test a coûté environ 50 millions de dollar pour une opération de 50’000 dollar de coton qui partait de Singapour.
- Quelle est l’opinion officielle de la BCV sur la blockchain ?
La BCV n’a pas encore donné d’opinion officiel sur la blockchain. Autant que « quick smart follower », si nous voyons des mises en application concluantes, nous ferons rapidement le nécessaire pour récupérer les retards éventuels et suivre le trend. Mais à mon sens, ce ne sera pas dans le domaine des crédits documentaires, ni dans un avenir proche qu’on se lancera dans la blockchain.
Cette technologie n’est pas encore assez mature pour ce domaine. De plus, la blockchain représenterait un investissement trop important pour aucune visibilité.
Les investissements aujourd’hui doivent faire sens et doivent se justifier auprès des actionnaires avec un retour sur investissement.
Lorsque la BCV investi dans son système e-banking (BCV-net), elle le justifie avec le nombre de clients impactés et le nombre d’utilisateurs du BCV-net. Mais en ce qui concerne les crédits documentaires, nous n’avons qu’environs 140 clients.
Quelqu’un de nos clients nous ont fait comprendre qu’ils portaient de l’intérêt à la blockchain mais aucun ne se dit prêt à tenter l’aventure.
En réalité, l’automatisation du processus mènerait la disparition du client dans ce dernier. Vu les enjeux et les montants engagés les clients préfèrent payer plus et faire partie du processus (avoir un contact, une poignée de main).
Aucune discussion ou projet est en cours.
- D’après-vous (opinion personnelle), est-ce une solution intéressante pour la BCV ?
Pour l’instant je ne pense pas et ne voit pas comment nous pourrions nous lancer dans la blockchain.
Pour que cette technologie soit un pari gagnant elle doit être universelle et adoptée par tous nos partenaires. Certaines de nos banques partenaires, ports ou producteurs (entre 400 et 500) n’ont pas encore de connexion internet haut débit. Alors je ne vois pas comment on pourrait les faire passer à la blockchain. Et nous ne sommes pas assez grand pour faire pression ! Seul une institution comme Swift pourrait donner le ton.
Financièrement parlant je ne pense pas non plus que ce soit intéressant.
Certes, on parle de réduction de coût. Ces réductions sont du côté du client mais pas de la banque. En effet, la banque n’aurait plus d’employés dans le service crédit documentaire, mais elle devra composer une équipe de haut expert qui s’occuperait exclusivement de la sécurité de la chaîne. Les coûts fixent ne feraient qu’augmenter pour aucun retour car moins de commission.
- Si cela devait se faire à la BCV, la migration du processus couterait combien selon vous ?
Je suis sincèrement incapable de le déterminer. Mais une chose est sure, ça coûterait beaucoup de temps et d’argent. La migration d’un tel processus et vu le nombre de parties prenantes, prendrait un temps considérable, probablement des décennies.
Questionnaire avec M.Y Chef de projet FinTech BCV
- Que fait le service Multicanal ?
Le client d’aujourd’hui est plus mobile, plus connecté, plus informé qu’il ne l’a jamais été. Il est aussi à la recherche de plus de simplicité et d’autonomie, tout en souhaitant davantage de personnalisation. Les canaux numériques tels que le web ou encore le mobile sont en grande partie à l’origine de ces changements de comportement.
De nombreuses innovations voient régulièrement le jour dans le secteur bancaire, En Suisse comme à l’étranger.
Il était donc important, pour la Banque de se doter des moyens nécessaires pour répondre à ces nouveaux défis, en centralisant les compétences autour du digital au sein d’un département transverse. Ceci permet notamment d’assurer une réactivité suffisante de la banque et de garantie que nous restons constamment dans la course.
- Pouvez-vous décrire le service et son fonctionnement ?
Le multicanal est composé de deux équipes, l’espace change, 5 personnes qui mettent en place tous les projets évoqués et l’espace run, 75 collaborateurs répartis entre le centre de conseil par téléphone, le secteur e-brokerage en charge de la plateforme TradeDirect, et le secteur Mobile & Internet, chargé de la gestion opérationnelle des canaux digitaux. Toutes les équipes adoptent des façons de travailler innovantes.
- Combien de projets sont en cours actuellement ?
Actuellement, nous avons 5 projets phares en cours. Ces projets anticipent fortement les besoins futurs des clients et misent sur des services particulièrement réactifs.
- Disposer des meilleures fonctionnalités web et mobile
Ensemble de plusieurs projets pour améliorer en permanence les services sur le site web et l’application mobile de la BCV. Ces projets sont coûteux car ils impliquent un travail sur des infrastructures sécurisées.
- Etre conseillé en tout lieu à toute heure
Deux nouveaux canaux sont en train d’être mis en place, un chat pour les demandes simples et rapides et la visioconférence axée sur les besoins en conseil.
- Réaliser son hypothèque en ligne
Plateforme de souscription et renouvellement de prêt hypothécaire en ligne qui permettra de réaliser toutes les démarches administratives et commerciales sans avoir besoin de se déplacer en agence. Aujourd’hui, les clients peuvent déjà faire un renouvellement d’hypothèque en ligne.
- Devenir client sans passer par une agence
Le digital onboarding permet d’entrer en relation avec la BCV sans rencontre physique. Existe depuis 2016, déjà utilisée par UBS et Raiffeisen. En effet, la FINMA a autorisé deux types de nouvelles identifications, la visioconférence et l’échange électronique de documents. Nous estimons à terme environ 15% des entrées en relation pourraient se faire à partir de ce canal.
- Placer son argent en ligne
Outil en ligne permettant de bénéficier de conseils en placement automatisés en adéquation avec le profil d’investisseur du client. Ce projet-ci est pour l’année prochaine.
- Quel montant (vous pouvez donner une fourchette) est dédié au service Multi-canal ?
Nous ne pouvons malheureusement pas communiquer de chiffre. Mais oui les investissements sont conséquents, un service a été créé pour la digitalisation. Mais Les dépenses sont toutes justifiées. Si on veut rester dans la course, on doit le faire et on doit avoir des systèmes aussi bons si ce n’est meilleur que ceux de la concurrence.
- La BCV a-t-elle une opinion officielle sur la technologie blockchain ?
Pour le moment, nous n’avons pas d’opinion officielle sur le sujet. Mais je suis la personne en charge de surveiller cette technologie. Mais c’est encore trop tôt pour donner un avis. On ne souhaite pas donner un avis précipité.
- Existe-il des projets en cours en lien avec la blockchain ?
Non aucun. Pour l’instant, je lis et participe à des sommets, séminaire sur le sujet. Mais un deep dive sur le sujet est prévu d’ici la fin de l’année.
- La BCV autant que quick smart follower surveille ce que font les autres, quels sont les projets blockchain d’autres banques que la BCV suit de près ?
Je suis de très près quelques projets qui sont très intéressants pour deux raisons, la première c’est qu’ils sont tous à des stades bien avancés en Suisse et ils sont tous proches du business model de la BCV (UBS. SIX, ZKB, Swisscom, etc).
- Smart bond
- Real Time Payments
- Utility Settlement coin for FX PB
- Trade Finance
- Loyalty
- OTC
- Que pensez-vous de l’affirmation suivante : « Comment justifier un gros investissement avec de lourds coûts fixes pour au final réduire la valeur d’un service proposé par la banque ? »
Je ne pense pas qu’il existe encore des projets où l’on pense « un gros investissement avec de lourds coûts fixes ». Dans la digitalisation les montants investis sont en effet rapidement conséquents mais aussi impossible à éviter.
- Quel est votre avis personnel sur la technologie blockchain ?
La technologie subit malheureusement de la mauvaise publicité et beaucoup d’incompréhension. Le raccourci entre blockchain, bitcoin et darknet est trop facilement fait par la presse ce qui donne une très mauvaise image à l’ensemble. Il faut comprendre un minimum la technologie pour se faire une idée du potentiel et cet effort n’est pas forcément à portée de tout le monde. A décharge, l’ambivalence entre transparence/ouverture et sécurité n’est pas facilement compréhensible. Quelqu’un pourrait-il vraiment savoir combien j’ai sur mon compte ? Voilà la question que tout le monde se pose.
Cette nouvelle technologie est aussi vue d’un mauvais œil car elle élimine les intermédiaires comme Swift, SIX, etc., et aussi pour les avocats, notaires.
Mais c’est une opportunité pour les FinTechs, les banques, les assurances et l’administration (eg. Registre foncier) si nous parvenons à montrer dans le train en marche.
Si la technologie ne perce pas rapidement, alors les consultants, la presse et le business en fera juste une mode tout comme l’a été le Big Data et le devient Internet of Things.
Questionnaire avec M. Z Spécialiste Crédit documentaire auprès d’une Banque
- Comment voyez-vous la digitalisation du traitement des crédits documentaires ?
Je suis de très près les avancées sur le domaine. Comprendre que l’on peut faire évoluer un procédé qui n’avait jamais changé au cours de toutes ces années est fascinant. Je le vois d’un bon œil.
- Plusieurs procédés sont à l’étude, quelle technologie vous semble la plus prometteuse et pourquoi ?
La blockchain à mon avis. C’est la solution la plus complète. Cette technologie permet l’accès aux documents en temps réels et le transfert d’argent également.
- Alors selon vous dans quelques années, vous travaillerez sur une blockchain pour les crédits documentaires ?
J’aimerai bien, ça serait intéressant, mais non. Même si la blockchain est prometteuse, la technologie doit prendre. Toutes les parties prenantes doivent l’accepter, y avoir accès et la payer. Ceci prendrait bien une 30 voire même une cinquantaine d’années. D’ici que ça prenne, je serai déjà un retraité.
- Pourquoi autant de temps ?
Imaginez l’effort, pour les banques, les négociants, d’aller convaincre chaque ports, douanes, producteurs, acheteurs et vendeurs d’adhérer à la blockchain. Et pour que ça fonctionne réellement, tous doivent utiliser le même système. Seulement voilà, chaque banque pionnière dans le domaine va tenter de donner le ton avec sa solution.
- Pensez-vous du coup que la blockchain va prendre ?
Oui mais dans plusieurs décennies. Il faut d’abord supprimer les inégalités face aux ressources. Au centre de l’Afrique par exemple, les pays n’ont pas le même accès à la technologie que nous. Ils n’ont pas les mêmes moyens financiers non plus. Une connexion internet à haut débit et un abonnement sur une plateforme blockchain se paient.
- Vous parliez des aspects financiers, quel impact aura la blockchain sur ce processus d’un point de vue financier ?
Le déroulement de l’opération sera plus rapide et donc moins onéreux.
Ce gain de temps représente aussi plus de liquidité disponible pour la banque.
Questionnaire avec M. A Employé Middle office Crédit documentaire auprès d’une Banque
- Comment voyez-vous la digitalisation du traitement des crédits documentaires ?
Actuellement, il se passe beaucoup de chose dans le domaine du Trade Finance. Peut-être trop d’ailleurs. Les processus n’ont pas changé depuis leur création. Tout cet engouement est bien surfait à mon avis.
- Plusieurs procédés sont à l’étude, quelle technologie vous semble la plus prometteuse et pourquoi ?
Je pense que la blockchain va transformer le Trade Finance. Cette technologie me semble ne pas avoir de limite.
- Alors selon vous dans quelques années, vous travaillerez sur une blockchain pour les crédits documentaires ?
Oui. Enfin, dans de nombreuses années. Et juste pour quelques opérations. La migration va prendre du temps, beaucoup de temps. Seuls les grandes banques, ports et société de négoces utiliseront la blockchain.
- Pourquoi autant de temps ?
Pour que ça marche, tous doivent accepter et savoir utiliser le système. L’acceptation de la technologie prend du temps, la formation également. Puis, là je ne parle même pas de la réglementation qui doit encore se faire.
- Pensez-vous du coup que la blockchain va prendre ?
Je suis sceptique à ce sujet. Pourquoi faire autrement lorsque ça fonctionne bien ainsi. La mise en place de la blockchain prendrait des années. Nous devrions donc travailler avec deux processus en parallèle, former les collaborateurs sur deux processus en attendant que la migration soit complète. Et c’est seulement à ce moment-là que cette technologie sera un avantage financier, pas avant.
- Vous parliez des aspects financiers, quel impact aura la blockchain sur ce processus d’un point de vue financier ?
Cela va prendre des décennies avant qu’elle présente un bénéfice dans son ensemble.
Questionnaire avec M. B Employé Middle office Crédit documentaire auprès d’une Banque
- Comment voyez-vous la digitalisation du traitement des crédits documentaires ?
Je lis tous ces articles dans le temps et autres journaux qui parlent de blockchain, de GPS et autres. Ces opérations tests ne reflètent pas la réalité et ne sont que de la publicité. Nous sommes loin d’un Trade Finance entièrement digitalisé entre tous les acteurs.
- Plusieurs procédés sont à l’étude, quelle technologie vous semble la plus prometteuse et pourquoi ?
Il me semble voir plus de chose à propos du blockchain / DLT. Mais la technologie n’est pas encore suffisamment mature à ce stade.
- Pourquoi selon vous elle manque de maturité ?
A ce jour, il n’existe aucun cadre réglementaire. Si une opération se passe mal, que faire ? Et vu les montants enjeux, je trouve que nous sommes en train de mettre la charrue avant les bœufs. Attendre un cadre réglementé et une meilleure connaissance des possibilités qu’offrent la blockchain me semble plus judicieux.
- Il faudrait attendre combien de temps ?
En Suisse, un projet de loi prend du temps, alors je dirai que dans 5 ans on peut commencer à s’y intéresser vraiment. Quoi que, ce cadre doit être international et cela va prendre bien plus que 5 ans.
Les documents utilisés dans le crédit documentaire ne sont pas encore standardisés. Il faut d’abord standardiser ces documents puis ensuite créer un cadre réglementaire universel.
- Pensez-vous du coup que la blockchain va prendre ?
Oui, si tout le monde est gagnant. Mais pour cela tout le monde doit être à la même enseigne et seul une réglementation internationale pour offrir cela.
- Quel impact aura la blockchain sur ce processus ?
Gain de temps, meilleures gestions des documents, diminution du risque de falsification des documents, réduction du personnel et donc réduction des charges salariales.
Questionnaire avec M. C Employé Spécialiste métaux Crédit documentaire auprès d’une Banque
- Comment voyez-vous la digitalisation du traitement des crédits documentaires ?
Les opérations test sont plutôt prometteuses. Il est temps de digitaliser notre métier mais la digitalisation prendre du temps.
- Plusieurs procédés sont à l’étude, quelle technologie vous semble la plus prometteuse et pourquoi ?
Avoir des e-documents à la place du papier sur l’ensemble de la chaîne serait déjà une belle avancée. Avoir aussi une e-signature acceptée dans le monde entier serait également un grand pas en avant. Je me trompe peut-être mais seul la blockchain peut offrir tout ça à la fois.
- Combien de temps faudra-t-il pour que le Trade Finance fasse peau neuve ?
Une vingtaine d’année. Le défi est grand mais les montants en jeu et l’importance de notre activité fera accélérer le mouvement.
Ce qui va prendre du temps est la partie législative où tout est à faire. Mais les gouvernements sont conscients des enjeux et mettront tout en œuvre pour accélérer le processus. Une fois que les e-documents et les e-signatures auront une valeur juridique, tous les acteurs de la chaîne entreront dans la blockchain et son écosystème prendra à grande vitesse.
- Alors selon vous, le plus grand défi de cette mutation sera le cadre règlementaire ?
Oui, il faut une seule et unique loi internationale. Ce sera difficile vraiment, mais avec ces lois, nous serons tous gagnants.
- Quel impact aura la blockchain sur ce processus et le Trade Finance en générale ?
Tout sera plus rapide, alors avec ce gain de temps, nous ferons plus d’opération. Financièrement parlant, c’est une aubaine.
Concernant les ressources humaines, la branche est partagée. Certains pensent que la digitalisation fera diminuer les effectifs. Je ne suis pas de cet avis. La digitalisation sera un soutien dans nos activités, mais la blockchain ne peut en rien remplacer le travail de l’homme. Et comme je le disais avant, tout sera plus rapide et on fera donc en sorte d’avoir plus d’opération. Qui dit plus d’opération dit besoin en personnel. Alors ce n’est pas sur le personnel que la banque fera des économies.
Les économies se feront grâce à une meilleure gestion des liquidités. En effet, chaque opération représente de gros mouvement d’argent. Et plus la durée d’une opération est longue, plus elle peut coûter cher pour la banque (frais de retard par exemple). Les ratios de liquidité et de fonds propres exigés par Bâle 3 demande une gestion draconienne des liquidités. Une opération de 15 jours qui se fait en 7, c’est là tout le gain d’argent qui n’est plus immobiliser.
Annexe 3 – Documents nécessaires pour le crédit documentaire
Tableau 2 – Documents nécessaires pour le crédit documentaire
Invoice (Facture) | Contient une description précise de la marchandise. Sur ce document on peut aussi trouver les conditions de paiement ainsi que le montant de la transaction |
Certificate of origin (le certificat d’origine) | Ce document sert à déterminer la provenance de la marchandise, où elle a été récoltée ou fabriqué ou encore assemblée « made in Switzerland » par exemple |
Packing list (liste de colisage) | Donne des informations sur le colis, le poids de la marchandise, le nombre de cartons |
Document de transport :
Bill of lading (lettre de transport maritime) Airway bill (lettre de transport aérien) Railway bill (lettre de transport ferroviaire)
|
Ces documents servent de preuve que le fret a été acheminé.
La lettre de transport maritime est si utilisée qu’elle possède une grande valeur. En effet, aujourd’hui, elle possède les caractéristiques d’un papier-valeur
|
Certificate of insurance (contrat d’assurance) | Ce document sert à prouver que la marchandise est assurée en cas de perte de la marchandise en cours de transport et détérioration de la marchandise |
[1] Une étude publiée en février 2017 (citée par Richard, et al., 2017) parle de plus de 80% des banquiers qui s’attendent à voir l’adoption commerciale de la blockchain à l’horizon 2020.
[2] Ces cinq projets sont : Disposer de meilleurs fonctionnalités web et mobile, être conseillé en tout lieu et à toute heure, réaliser son hypothèque en ligne, devenir client sans passer par une agence (physique), et placer son argent en ligne.
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