Mémoire portant sur la famille romanesque
1ère partie – La famille romanesque : du fait social au thème littéraire
De prime abord, porter l’analyse sur le sujet de la famille romanesque suppose de nourrir une investigation sur la famille au sens historique, et d’estimer la place qu’elle occupe dans la société du XVIIIe siècle. Cela, avant de nous appesantir sur le coeur de notre propos, à savoir la perception qu’en ont les trois auteurs pris en illustration du cursus des œuvres étudiées. De fait, l’inscription de la famille comme thématique forte du roman, à la charnière du XVIIe et du XVIIIe siècle, répond à une réalité transitionnelle, à une profonde mutation sociale, qui mettent à jour les différents rapports entre les ordres traditionnels et l’émergence d’une bourgeoisie prenant de la distance sur l’hégémonie de la noblesse, affûtant un regard, nourrissant une écriture, et même une invention romanesque.
Chapitre 1. Frontières sociales de la famille romanesque
Il est un fait que la réinvention du roman au XVIIIe siècle est concomitante à une fluctuation des frontières sociales dont le jeu s’analyse au sens des conflits et rapports qui rythment la vie familiale, notamment au sein de la bourgeoisie. Pour comprendre les ressorts de cette rénovation du roman et des déterminants familiaux, nous allons donc présentement préciser les valeurs fondamentales de la société française de l’Ancien Régime. Par ailleurs, nous tenterons de préciser dans quelle mesure et pour quelles raisons la famille joue un rôle central dans cette nouvelle articulation du fait social.
1. La société française de l’Ancien Régime : le rôle central de la famille
L’étude de la société française de l’Ancien Régime, dans l’esprit de mieux appréhender le ressort du roman du XVIIIe siècle, doit d’abord nous conduire à considérer les préoccupations qui la traversent alors.
Si, au XVIIe siècle la France est le pays le plus peuplé d’Europe, accusant un accroissement naturel de sa population de 15 à 25 millions d’habitants en un siècle, le XVIIIe siècle se veut beaucoup plus agréable à vivre, puisque notablement épargné par la famine, la maladie, la guerre et les épidémie, monnaie courante au siècle précédent. De la sorte, c’est tout un fatalisme, un inconfort de vie, marqué par les déterminants que sont la mort, la maladie, les pénuries, qui s’atténue peu à peu, tout au moins pour une certaine frange de la population, au profit de l’émergence d’une bourgeoisie allant s’enrichissant. Bourgeoisie qui constitue justement le point de départ de l’invention romanesque.
1.1. Les différentes classes sociales
Le XVIIe siècle, a contrario, est marqué par le renforcement du pouvoir royal, par la monarchie forte et absolue exercée par Louis XIV, qui décline plus que jamais le système de valeurs structurant les trois ordres que sont la noblesse, le clergé, le tiers-état, hérités du système féodal. Cet état de fait concourt à expliquer les motifs romanesques usités jusqu’à présent dans le genre romanesque.
1.1.1. La noblesse
Première source d’inspiration, la noblesse tout d’abord, emblématique des seigneuries, allégorique d’une vision héroïque du monde, où la particule « de » en constitue le signe le plus visible et officiel. Celle-ci prend pour décor romanesque un univers sur fond de châteaux forts, de guerres, de croisades, où le seigneur se fait le champion de conquêtes au nom du roi, ou de Dieu. De retour de sa quête, il offre sa protection à ses paysans, dépositaire d’une expérience, d’une aventure, qui contribue à alimenter le récit héroïque. Faisant étalage de ses exploits, qui sont la marque de la noblesse d’épée qui fait conquête de ses titres et de sa grandeur par la force et la témérité, le roman héroïque est un genre qui s’illustre au profit du héros lui-même, reconnu par ses pairs.
En retour, l’héroïsme narré contribue à légitimer les frontières sociales, la superposition des trois ordres, ainsi que les privilèges dont la noblesse se veut dépositaire devant Dieu.
C’est donc tout le rôle social qui est tenu à travers cet héroïsme conquis par la noblesse, découlant de son représentant le plus royal, jusqu’au plus insigne vassal. Ainsi, barons, comtes, marquis sont les personnages émaillant, de par leurs exploits, les intrigues du roman jusqu’au XVIIe siècle.
1.1.2. La bourgeoisie
Au sortir du XVIIe siècle, la classe bourgeoise se fortifie autant qu’elle se développe en marge des bourgs. Celle-ci travaille, a contrario de la noblesse, que l’étiquette préserve d’avoir à travailler de ses mains, et s’enrichit de plus en plus à travers le commerce. Elle travaille même beaucoup du reste, pour construire sa destinée, préférant les métiers moins avilissants et pénibles que ceux dont héritent les paysans.
Propriétaires terriens, exploitant à leur tour les paysans, les bourgeois jalousent ainsi la noblesse, et ne manquent pas de nourrir de nombreuses critiques à l’égard de leur utilité et de leur cupidité. Ils deviennent même des propriétaires fonciers, et à mesure que leur espace matériel, physique s’élargit, s’anime comme un jeu au sein des frontières sociales une volonté de rompre l’imperméabilité des ordres, un voeu de s’échapper du déterminisme social.
Quelque part, les frontières d’une société tout entière commencent à se mouvoir, au rythme où s’éveille un nouvel idéal dans l’esprit bourgeois. Cet idéal, se renforcera du reste, d’une génération à une autre, se perpétuant de père en fils, à l’aune de la filiation et se confirmant du même coup. C’est donc sur un vent de contestation du pouvoir absolu perçu comme illégitime que la classe bourgeoise émerge petit à petit au détour du XVIIIe siècle, s’extirpant peu à peu, via son enrichissement des travaux pénibles, pour conquérir un mode de vie, protégée plus ou moins des aléas de la vie, et surtout, jouissant plus que jamais d’un espace familial où se conjuguent l’agréable et les plaisirs sur fond de critiques et de convoitises.
1.2. L’organisation de la vie sociale
Evoquer cette place de la famille au sein de la société du XVIIIe siècle suppose une immersion dans les principes sociologiques qui la décrivent. À l’époque, l’individualisme au sens contemporain n’existe guère. L’individu n’est que de par son appartenance à un ou plusieurs groupes. Il peut s’agir d’un ordre, d’une corporation, quoi qu’il en soit, la famille reste le lieu, le noyau de cette célébration.
Famille, qui s’étend au cousin tout autant qu’aux ascendants. En cela, la famille est importante, elle est un repère, possède un rôle structurant entre ses différents membres. Au sommet de la pyramide familiale, trône le père. De fait, les femmes quittent leurs parents pour aller vivre dans une nouvelle famille, tenue là encore par un homme, en contrepartie d’une dot. En ce sens, la femme se veut soumise à la volonté de l’homme, qui dirige la famille, comme un capitaine dirige son navire.
Les rapports familiaux sont par ailleurs rythmés par deux motifs, qui déclinent les volontés des familles bourgeoises, à savoir augmenter en prospérité pour accroître la fortune, et transmettre celle-ci comme un héritage. La place de l’homme, celle de l’héritier, induit un autre motif, celui de l’enfant mâle désiré, présidant à l’avenir de la famille et incarnant la destinée familiale. La fille, pour sa part n’a d’avenir que par sa possibilité de permettre à la famille d’asseoir sa réputation, ainsi que de rassembler différentes familles influentes au titre des mariages de raison.
Le décor familial, quant à lui, s’analyse également à travers l’unité d’espace qu’est le village, fort de son histoire, de son église, de ses biens, de ses intrigues. Le tout, sur fond de coutume, de patois typiques à une région. La vie bourgeoise est ainsi rythmée par la dimension sociale, l’observance religieuse, la fréquentation des sociétés savantes, des salons et autres réceptions mondaines, mais aussi des fêtes populaires, à travers un camaïeu de folklores et de plaisirs divers.
Mémoire de fin d’études de 19 pages
€24.90