docudoo

Mémoire portant sur la fiscalité des établissements publics de santé accueillant des personnes dépendantes

« La fiscalité des établissements publics de santé accueillant des personnes dépendantes : Contribution à un mécanisme complexe »

Introduction 

Mme Rabin avait dénoncé en octobre 2014 le manque de clarté des règles en matière de fiscalité applicable aux établissements d’hébergement des personnes âgées dépendantes (EHPAD). « De fait, il existe une véritable complexité concernant le non-assujettissement à la TVA pour certaines prestations telles que les soins d’une part, et d’autre part, les prestations exclusivement liées à l’état de dépendance des personnes âgées hébergées qui sont soumises à une TVA à taux réduit. 

Certains rapports parlementaires datant de plusieurs années, tels que le rapport n° 3091 du 17 mai 2006 de la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale de l’Assemblée nationale sur le financement des établissements d’hébergement des personnes âgées, pointaient déjà les incohérences du code général des impôts concernant les règles d’assujettissement à la TVA en la matière.

Concrètement, les règles de calcul entre les prestations donnant lieu ou non à un appel de TVA peuvent donner lieu à une contestation par les services fiscaux des affectations comptables réalisées par les EHPAD, en matière de calcul de chiffres d’affaires soumis à TVA, comme en matière de taxe sur les salaires.

En effet, l’administration fiscale et la jurisprudence ne reconnaissent pas aux EHPAD la possibilité de constituer deux secteurs d’activité distincts, alors que ces établissements fournissent des prestations (de soins : exonérées, et d’hébergement : taxées) qui ne sont pas uniformément soumises à TVA.

Un diagnostic fiscal et comptable exhaustif semble donc indispensable pour clarifier les règles d’exonération applicables aux EHPAD et les pistes éventuelles pour les faire évoluer, à l’heure où le vieillissement de la population devient un enjeu majeur pour les comptes publics ».

Comment générer ainsi les principes généraux qui guideront l’assujettissement de ces établissements ? Une activité de prise en charge de personnes âgées dépendantes doit être prise en compte dans l’équation. En effet, au-delà d’un service public, la prise en charge de cette souche relève d’un service social qui doit répondre à un sentiment de reconnaissance envers ces personnes.  L’assujettissement des activités de l’établissement à la TVA aura sûrement des répercussions sur le prix devant être supporté au final par les personnes âgées. L’avantage fiscal accordé à ces établissements doit profiter au final à ces personnes dépendantes.

Ensuite, l’amendement porte sur les EHPAD publics et privés. Néanmoins, le statut d’établissement public peut avoir des conséquences sur le traitement fiscal de l’établissement de santé. La forte consonance de service public et d’intérêt général dans l’appréciation d’un établissement public induit sur l’assujettissement, notamment à la TVA. En effet, de principe, les activités des établissements publics sont exonérées de ladite taxe lorsqu’elles répondent à un service d’intérêt général. Dans cette optique, la mission des établissements publics de santé relève-t-elle d’un service d’intérêt général, surtout s’agissant de la prise en charge de personnes dépendantes ?

D’un autre côté, cette exonération est limitée par la concurrence. Pour des activités lucratives, le principe est que ces activités sont assujetties à la TVA afin de ne pas générer une distorsion de la concurrence. Cette notion a été débattue à plusieurs reprises au niveau tant national que communautaire. Il en ressort de ces débats que les autres activités qui ne répondent pas aux exigences de l’intérêt général retombent sous le coup de la TVA. Pourtant, comment distinguer les activités qui relèvent de  l’intérêt général des autres ? Si la question a été relativement facile à trancher dans l’affaire des plages de St Jorioz, il n’en est pas pour autant dans le cadre des établissements de santé dont les activités peuvent être considérées comme connexes et reliées. 

Les préoccupations relevées par l’amendement sont l’existence d’activités différentes au sein de l’EHPAD, d’un côté les prestations de soin qui doivent être exonérées, de l’autre les prestations d’hébergement qui elles, sont soumises à la TVA. Si cette vision peut être objectivement comprise, la réalité est que s’agissant de personnes dépendantes, les soins et l’hébergement sont difficilement dissociables. Les deux activités, bien qu’apparemment différentes, ne peuvent qu’être connexes dans ce dernier cas. Il est alors difficile d’établir la frontière. 

  1. Les règles classiques d’imposition des établissements publics de santé

Les établissements de santé se caractérisent par leur diversité ; établissements de santé publics, privés, des établissements qui participent ou non à un service public hospitalier, des établissements à court/moyen/long séjour, les établissements se caractérisent également par leur mode de financement.

  1. Nature juridique des établissements publics de santé

Les établissements publics de santé sont des établissements publics. Ils sont dès lors soumis aux principes qui régissent les établissements publics, les conditions d’existence et de création, les modes de gouvernance et de gestion, les modes de financement.

  1. Etablissement public et la personnalité morale de droit public

L’établissement public est une « Personne morale de droit public à vocation spéciale » rattachée à une autre collectivité publique ; État, collectivité territoriale, voire même un établissement public, de laquelle il découle, et soumis au contrôle de tutelle de l’État, l’établissement public résume à lui seul l’histoire du droit administratif français, avec laquelle il se confond. Comme celui-ci, l’établissement public a des origines mystérieuses, encore insuffisamment explorées ; on est dans l’incapacité de pouvoir lui donner une date de naissance. Comme le droit administratif, il y est bien fait allusion dans le Code civil de 1804, mais on devine que le législateur consulaire a employé le mot sans se préoccuper de la chose. Comme pour le droit administratif dans son ensemble, c’est la jurisprudence qui, en dépit des nombreuses lois qui pullulèrent au XXe siècle, a progressivement dégagé les contours de la notion juridique ; et à cette longue quête, le juge judiciaire n’a pas été étranger. Par la suite, les établissements publics ont été inscrits au cœur du processus de développement politique de l’Administration française, de ses structures comme de ses missions.

L’établissement public fut d’abord conçu comme le moule juridique adéquat de gestion des services publics. À tel point que Maurice Hauriou pouvait le définir comme un « service public personnifié » et Léon Michoud comme un « service public doué de personnalité ». Ce qui caractérisait l’établissement public, c’était son caractère « intégré » : « les établissements publics sont des organes de l’administration publique, des rouages de la machine administrative, au même titre que les administrations directement rattachées à l’État ».

  1. Nature de la personnalité morale

Certains auteurs ont essayé de soutenir que l’établissement public revêtait une nature essentiellement « fondative » : dans la lignée de Savigny et de la doctrine allemande, certains ont voulu voir dans l’établissement public, non seulement l’affectation perpétuelle d’un fonds à un but déterminé au moyen de la création d’une personne morale, mais, plus précisément, cette personne morale entièrement dirigée, quant à son but, par la volonté du fondateur. De là découle ce principe que les établissements publics ne devraient jamais être des corporations, des personnes morales dans lesquelles c’est le groupe même des individus qui forme l’organisation assurant la défense de leurs intérêts collectifs.

  1. Entre fondation et corporation

Il y a longtemps que le droit français reconnaît la qualité d’établissement public à des personnes morales de nature corporative. De telles données invitent à considérer à tout le moins que les établissements publics sont, tantôt des fondations, tantôt des corporations.

D’autre part, il y a longtemps que Léon Michoud avait noté que, conceptuellement, si les établissements publics présentent bien les caractères d’une fondation faite par l’État ou la commune, à d’autres points de vue ils rassemblent en eux certains caractères de la corporation défendant l’intérêt collectif du groupe. Comme le soulignait Michoud, la distinction entre corporation et fondation ne présente pas une réelle utilité en droit public.

En suggérant que la distinction entre corporation et fondation ne présente pas d’utilité réelle en droit public – suggestion qui garde toute son actualité -, Michoud a souligné la probable confusion entre la nature statutaire et la nature de fondation de l’établissement public. L’établissement public est bien plus une création qu’une fondation. Bien plus qu’à l’idée d’œœuvre humaine soumise à la volonté d’un fondateur qui lui est extérieur, l’établissement public correspond à l’idée d’une personne publique spéciale créée par une autre personne publique, État, collectivité territoriale, établissement public, voire avec une personne publique étrangère ou même avec une personne privée.

Être « dérivé », « secondaire », créature de son créateur, l’établissement public impose de raisonner en termes, non de droit privé, mais de droit public, en termes de buts et de compétences. Si les établissements publics sont créés par d’autres personnes morales de droit public, si leur mission leur est imposée de l’extérieur, il paraît peu approprié de dire qu’ils sont soumis à la volonté extérieure de leur fondateur, volonté se détachant de celle des individus membres de la fondation.

En droit public, l’État, produit de l’histoire et des faits sociaux, repose sur une réalité politique et sociale : c’est un sujet primaire et initial de l’ordre juridique, dont l’apparition ne peut être conçue comme déterminée par une volonté qui lui serait extérieure. Les établissements publics, eux, apparaissent comme des sujets d’ordre secondaire : ils disposent de compétences d’attribution. Les établissements publics naissent sous l’emprise de l’ordre juridique étatique et prennent leur source dans un acte juridique.

Ils ne sont pas davantage des corporations. D’une part, les établissements publics sont en pratique rarement corporatifs. D’autre part, le droit positif dément l’idée, couramment développée dans la seconde moitié du XXe siècle, de l’existence d’un régime juridique propre aux institutions corporatives, qui traduirait la possibilité d’une autocréation par des sujets libres se réunissant pour la défense de leurs intérêts collectifs.

L’État peut parfois confier la gestion d’un établissement public aux intéressés eux-mêmes, ceci le rapprochant alors d’une corporation. Mais il n’en devient pas une pour autant : c’est la loi seule et non la volonté des intéressés qui fixe le statut de l’établissement et lui assigne son but. La nature publique des associations syndicales autorisées est peut-être, comme Hauriou l’avait pressenti, un accident de l’histoire.

L’établissement public est donc une technique juridique d’organisation par laquelle une personne morale de droit public crée, dans les conditions permises par l’État, une autre personne publique à laquelle elle attribue des compétences pour assurer la mission qui lui a été assignée et dont le contenu est fixé par les statuts-types constitutifs. L’établissement public est un être « institué » en vue de certaines fins d’intérêt général : gérer un service public administratif, exercer une activité marchande d’intérêt général, défendre les intérêts collectifs d’une profession, etc.

En d’autres termes, l’établissement est le prolongement personnalisé d’une autre personne publique, le démembrement délibéré d’une administration étatique ou locale. Dans une vision plus subjectiviste, certains diront que la dévolution, par les pouvoirs publics, de la personnalité morale à un service administratif permet à ce dernier de disposer d’une véritable capacité juridique, donc de droits subjectifs. Mais même dans une telle vision, la personnalité morale spéciale demeure appréhendée en termes de droit public.

En revanche, toute référence au concept de fondation semble inappropriée. La volonté du fondateur ne commande pas la manière dont l’œuvre humaine va être gérée. Le statut de l’établissement public détermine simplement dans quelles mesures les « destinataires » participeront à l’exercice, par l’établissement, de sa mission statutaire. Loin de toute notion privatiste d’œœuvre humaine soumise à la volonté extérieure d’un fondateur, l’établissement public est un sujet dérivé et fonctionnel, le lieu d’imputation de compétences proportionnées à la mission confiée.

Il en résulte que, même si la création d’un établissement public peut être un moyen politique contestable pour l’État de se décharger de l’exercice d’une mission, sur le plan strictement juridique la théorie de la transparence des personnes privées est inapplicable aux établissements publics. On sait que, grâce à des critères tirés des conditions de création, de la nature des missions, des modes de financement et de l’influence des représentants de la collectivité publique, la jurisprudence administrative parvient à dévoiler la présence réelle d’une personne publique derrière le masque d’une personne privée, une association dite « para-administrative », afin d’en tirer des conséquences juridiques en matière de gestion de fait, de qualification des actes ou de responsabilité.

La théorie de la transparence administrative n’a donc aucun sens à l’égard des établissements publics puisqu’il est de leur essence même d’être des démembrements délibérés d’autres collectivités publiques. Elle est inutile, puisqu’il est normal que l’initiative de leur création revienne à une personne publique, qu’ils aient une mission d’intérêt général, que leur financement provienne de dotations publiques, et que, placés sous la tutelle de l’État, leurs conseils d’administration soient également composés de représentants de la collectivité publique de rattachement.

En créant un établissement public, l’Administration ne cache rien de ses motivations de démembrement. Saisi de l’argument selon lequel un établissement public – Autoroutes de France – avait des liens de proximité tels avec l’État qu’il devait être considéré comme un établissement public transparent, le Conseil d’État l’a rejeté : il refuse ainsi de faire jouer à l’égard des établissements publics une jurisprudence créée seulement pour démasquer les fausses personnes privées.

Le Conseil d’État admet le caractère fictif d’un établissement public : il s’agit alors de savoir si un établissement public, au-delà des apparences, a une existence réelle. L’absence de personnel propre ou de véritable siège social semble indifférente : un établissement public sera fictif si sa mission et son existence ne sont pas réelles.

  1. Caractères de la personnalité morale

Créature de son créateur, l’établissement public est d’abord une personne morale. Selon la formule traditionnelle, il est doté de la personnalité juridique  et de l’autonomie financière. En cas de problème d’identification, c’est un critère incontournable : l’absence de personnalité morale interdit toute qualification d’établissement public.

Être une personne morale, d’une part, signifie que l’établissement public est un être collectif ayant une existence propre, distincte des membres qui le composent, se reconnaissant au fait que les agissements de ses organes et de ses agents lui sont personnellement imputables et que son existence légale dans le temps n’est absolument pas affectée par les mutations pouvant atteindre sa composition. De ce point de vue, l’établissement public réalise le but que poursuivent tous ceux créant une personne morale : la durée. Issue de la notion romaine d’ « universitasremodelée » par le droit canon et les glossateurs et postglossateurs, la personnalité morale réalise le souhait de construire un être au-delà de ses titulaires, d’assurer la pérennité des personnes physiques à travers la création d’un être juridique abstrait. « Le secret en est-il uniquement dans cet instinct, inné à l’âme humaine, qui porte l’homme à se survivre ? »

D’autre part, l’établissement public est bien une personne morale en ce sens que c’est un sujet de droit, c’est-à-dire le siège, le lieu d’imputation, le titulaire de droits et obligations, faculté abstraite qui se réalise ensuite par la capacité concrète à exercer de tels droits et obligations, au premier rang desquels figurent la capacité normative, la capacité délictuelle, la capacité patrimoniale et la capacité d’action contentieuse.

L’établissement public est ensuite une personne morale à vocation spéciale. Il ne dispose pas de compétences souveraines, de vocation juridique à titre universel. Être institué, dérivé, secondaire, l’établissement public est créé pour remplir une ou certaines fonctions : ses pouvoirs et compétences résultent de l’habilitation conférée par son créateur sur le fondement de ce qu’autorise le Droit objectif, et l’établissement ne pourra statuer que dans le domaine de la mission qui lui aura été confiée. Dans la tradition juridique française, notamment universitaire, il est d’usage de présenter l’établissement public comme la concrétisation d’une décentralisation fonctionnelle, d’une décentralisation par services.

La lecture des rapports parlementaires sur des lois à l’origine de la création d’établissements publics, notamment dans les trente premières années du XXe siècle, apporte deux précisions non négligeables sur cette notion de décentralisation fonctionnelle, dont on pourrait avoir une vision ingénue.

D’une part, en matière de création d’établissements publics locaux, la décentralisation fonctionnelle a été conçue comme un contrepoids à la décentralisation territoriale : ainsi, la création des offices publics d’habitation à bon marché, par la célèbre loi Bonnevay du 27 décembre 1912, a été mue par la nécessité de lutter contre les abus de la démocratie locale, l’attribution de logements sociaux pouvant se prêter à des surenchères démagogiques ou des chantages électoraux.

D’autre part, sauf à admettre l’existence de comportements administratifs schizophrènes, on comprend mal pourquoi une personne publique souhaiterait créer un être moral autonome et distinct d’elle pour pouvoir mieux la contrôler. En réalité, la lecture de ces rapports révèle que le législateur, en imposant à l’État ou aux communes la création d’établissements dérivés, a souhaité responsabiliser les personnes publiques. Si l’établissement public demeure sous surveillance de la personne publique qui le crée, qui le dote de ressources et assure un contrôle de sa gestion, c’est afin que cette personne publique sente suffisamment qu’il s’agit de son œœuvre pour ne pas s’en désintéresser.

Il y a, à l’arrière-plan de la création des établissements publics, cette idée que, paradoxalement, pour intéresser l’État ou une collectivité territoriale à une fonction, il vaut mieux leur imposer la création d’un être extérieur. La création effective d’un être moral autonome a le même effet qu’un accouchement : elle responsabilise son géniteur. Ainsi, pour l’État, certaines fonctions pâtiraient de rester à la charge d’un bureau ministériel, dans la torpeur duquel elles ronronneraient. Derrière l’établissement public, il y a cette idée originale de science administrative qu’un plus grand investissement dans la gestion publique et un meilleur contrôle des fonctions administratives passent, pour les personnes publiques qui en ont la charge, par l’électrochoc de la création d’un être moral juridiquement autonome et financièrement indépendant.

  1. Personne morale de droit public

Dire de l’établissement public qu’il est une personne morale à vocation spéciale permet de circonscrire une telle notion. Mais un tel critère de définition s’avère impuissant à distinguer l’établissement public d’une association ou d’une société commerciale. Il faut nécessairement y joindre un second critère tenant à la qualité du sujet de droit.

Les établissements publics sont alors des personnes morales de droit public à vocation spéciale. Si la personnalité publique de l’État n’est pas déterminée par une volonté extérieure, celle des collectivités territoriales et des établissements publics puise sa source dans un acte juridique édicté conformément aux règles du droit étatique. Dans le droit positif de la Constitution du 4 octobre 1958, le principe de la dévolution de la personnalité morale de droit public est indirectement prévu par la Constitution : l’article 34 se réfère aux catégories d’établissement public.

Dans la très grande majorité des cas, les établissements publics sont des personnes publiques en vertu des lois et règlements en vigueur. Il peut toutefois arriver que les textes institutifs soient muets, auquel cas il revient à la jurisprudence de déterminer la nature publique ou privée des établissements innomés. En droit français, une personne morale innomée ne peut être à la fois publique et privée. La distinction est exclusive : c’est dire qu’il n’existe pas de personne morale « à double visage ».

La personnalité morale de droit public est une notion difficile à cerner. Il n’est pas certain qu’elle existe en elle-même. Ce qui singularise la personnalité morale de droit public, ce sont les attributs juridiques dont dispose celui qui en est revêtu. Selon une présentation classique, ces attributs sont tout à la fois des prérogatives et des sujétions, des atouts et des handicaps. En témoigne la transformation de certains EPIC en sociétés commerciales de droit privé, au nom de la volonté d’échapper aux pesantes contraintes du statut de personne publique : possibilité de recourir à la procédure d’expropriation pour cause d’utilité publique; possibilité de posséder un domaine public; pouvoir, pour les établissements publics dotés d’un comptable public, de recouvrir leurs créances au moyen de titres de recettes dotés de la force exécutoire et permettant le recouvrement d’office ; bénéfice de la prescription quadriennale pour le paiement des dettes; caractère insaisissable des biens impliquant l’impossibilité d’exercer à l’encontre d’un établissement public les voies d’exécution du droit privé; impossibilité pour les débiteurs privés d’opposer aux établissements publics la compensation avec les créances qu’ils détiennent sur eux ; inapplicabilité de la loi du 25 janvier 1985 relative au redressement et à la liquidation judiciaire des entreprises; dispense de paiement des cotisations relatives à l’Assurance garantie des salaires.

  1. Activité des établissements publics de santé

L’établissement public est chargé d’une mission de service public. L’activité de l’établissement public de santé est alors un service public dans le domaine de la santé. Le code de la santé publique dispose que « les établissements de santé publics et privés assurent les examens de diagnostic, la surveillance et le traitement des malades, des blessés et des femmes enceintes en tenant compte des aspects psychologiques du patient.

Les établissements publics de santé participent à des actions de santé publique et notamment à toutes actions médico-sociales coordonnées et à des actions d’éducation pour la santé et de prévention. Ils participent à la mise en œœuvre du dispositif de vigilance destiné à garantir la sécurité sanitaire, notamment des produits mentionnés à l’article L. 5311-1, et organisent en leur sein la lutte contre les infections nosocomiales et les affections iatrogènes dans les conditions prévues par voie réglementaire. Ils mènent, en leur sein, une réflexion sur les questions éthiques posées par l’accueil et la prise en charge médicale. Les établissements de santé mettent en place un système permettant d’assurer la qualité de la stérilisation des dispositifs médicaux répondant à des conditions définies par voie réglementaire ».

  1. Le service hospitalier

Les établissements publics de santé sont les centres hospitaliers et les hôpitaux locaux. Les centres hospitaliers qui ont une vocation régionale liée à leur haute spécialisation et qui figurent sur une liste établie par décret sont dénommés centres hospitaliers régionaux, ils assurent en outre les soins courants à la population proche. Les centres hospitaliers régionaux ayant passé une convention au titre du chapitre II du présent titre avec une université comportant une ou plusieurs unités de formation et de recherche médicales, pharmaceutiques ou odontologiques sont dénommés centres hospitaliers universitaires.

L’établissement public de santé, a pour objet de dispenser :

  1. Avec ou sans hébergement :
  1. a) des soins de courte durée en médecine ;
  2. b) des soins de suite ou de réadaptation tels qu’ils sont définis par l’article L. 711-2 (1°, b) ;
  1. Des soins de longue durée, comportant un hébergement, tels qu’ils sont définis à l’article L. 711-2 (2°) [art. L. 6111-2 nouv.].

  1. La dépendance en France

La qualité de vie a indéniablement progressé en France depuis la seconde guerre mondiale, se traduisant d’ailleurs par une espérance de vie en nette progression. Le phénomène le plus marquant est certainement qu’atteindre l’âge de la retraite en bonne santé devient pratiquement normal et que le troisième âge profite pleinement des plaisirs de la vie car il est en meilleure santé que quelques générations auparavant.

Pour autant, malgré les progrès techniques et la connaissance grandissante, la vieillesse est un phénomène inéluctable qui conduit à une dégénérescence progressive des tissus et organes de l’être humain. Il arrive donc un jour où la personne en pleine possession de ses moyens perd de ses capacités, soit du fait d’un accident, car étant plus vulnérable aux chutes par exemple, soit du fait d’une maladie. Suite au baby-boom, ce constat commence à poser un problème de santé publique majeur tant le coût de la dépendance est important.

En 2011, ce sont 1,2 million de personnes qui sont déclarées comme dépendantes ce qui représente un coût de 21,1 milliards d’euros au titre des dépenses publiques. Selon les projections, le nombre de personnes concernées, et donc le coût associé, n’ira qu’en augmentant de manière significative. Par exemple, pour l’année 2020, le nombre de personnes concernées devrait être de l’ordre de 1,4 million, pour un coût estimé de 27,5 milliards d’euros. Le coût est nécessairement important car les pathologies sont généralement très lourdes comme la maladie d’Alzheimer, la maladie de Parkinson.

Depuis la mise en œuvre de l’APA, les départements apportent près d’un cinquième des financements mobilisés pour la prise en charge de la dépendance. Le financement de cette politique contribue aujourd’hui à placer bon nombre de départements dans une situation financière délicate. À la complexité du financement local de la dépendance s’ajoute en effet de sérieuses difficultés pour les collectivités départementales à faire face au niveau de dépenses obligatoires occasionnées par la perte d’autonomie des personnes âgées. C’est la raison pour laquelle l’optimisation du financement local de la dépendance doit être recherchée avant que ce dernier ne soit totalement ou partiellement réinventé.

Depuis la fin des années 1990, les pouvoirs publics ont tenté d’apporter des réponses au phénomène de la dépendance. En instaurant une aide financière à caractère universel, l’allocation personnalisée d’autonomie (APA), qui a succédée à la prestation spécifique dépendance (PSD), une première réponse a consisté à faciliter la prise en charge de la dépendance par les personnes âgées et leur famille.

La modernisation et la médicalisation des établissements d’hébergement des personnes âgées ont représenté une seconde réponse, tandis que les sources de financement affectées à cet aspect de la prise en charge de la dépendance et du handicap ont été accrues en instituant une journée de solidarité et en créant la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) dont le champ d’action s’étend à l’ensemble de la perte d’autonomie.

Par « dépendance », il faut entendre la situation dans laquelle se trouve « une personne adulte qui dépend d’un tiers pour les actes élémentaires de la vie courante (s’habiller, faire sa toilette…) et qui est inapte à réaliser les tâches domestiques qui lui permettraient de vivre seul dans un logement ordinaire ». Cette définition rejoint celle donnée par les lois ayant institué en 1997 la PSD et en 2001 l’APA 3. 

Bien qu’elle soit critiquable dans la mesure où elle repose à la fois « sur une approche ambigüe et artificiellement cloisonnée du phénomène de dépendance », excluant le handicap, elle reste, quoi qu’il en soit, communément retenue, le législateur préférant toutefois actuellement l’expression de « perte d’autonomie » à celle de « dépendance ». 

Pour mesurer la perte de capacité, l’administration a mis en place une grille AGGIR (Autonomie Gérontologie Groupe Iso Ressources) pour apprécier le degré de cette perte. Cette grille est décroissante avec en GIR 1 un confinement au lit ou dans un fauteuil nécessitant une aide quasi permanente, jusqu’au GIR 6 où on ne constate pas de perte d’autonomie pour les gestes quotidiens. 

Cela étant, l’APA n’étant pas la seule prestation susceptible d’être destinée aux personnes de plus de 60 ans qui nécessitent d’être aidés pour les actes essentiels de la vie ou de bénéficier d’une surveillance régulière, cette étude envisage plus largement les autres dispositifs de prise en charge. 

Si les pouvoirs publics ont par conséquent cherché à mettre en œœuvre une politique publique spécifique pour la prise en charge de la perte d’autonomie des personnes âgées, la complexité des financements actuels, rend particulièrement difficile la mesure précise des efforts consentis et l’évaluation des résultats atteints au niveau local. Peu lisible, le système de financement local de la dépendance est, à l’image d’une politique qui n’est pas mobilisée par un seul acteur, combinant des sources de financement variées et des circuits financiers complexes. 

La répartition de la charge financière répond, à cet égard, à des logiques diverses qui mêlent des mécanismes d’assurance sociale, des incitations fiscales, des dispositifs de solidarité et d’aide ou d’action sociales. À ces difficultés s’ajoute celle liée à la distinction des crédits destinés à la prise en charge des personnes âgées dépendantes de ceux destinés aux personnes handicapées.

Dans cet ensemble hétérogène, les départements apportent, depuis la mise en œœuvre de l’APA, près d’un cinquième des financements mobilisés pour la prise en charge de la dépendance. Avec l’aide sociale à l’enfance (ASE), l’insertion des personnes en difficulté sociale (RMI-RSA) et le soutien aux personnes handicapées, la prise en charge de la perte d’autonomie des personnes âgées est, en effet, une des principales politiques sociales dont la responsabilité incombe au département.

Or, le financement de cette politique contribue aujourd’hui à placer bon nombre de départements dans une situation financière délicate. À la complexité du financement local de la dépendance s’ajoute en effet de sérieuses difficultés pour les collectivités départementales à faire face au niveau de dépenses obligatoires occasionnées par la perte d’autonomie des personnes âgées. C’est la raison pour laquelle l’optimisation du financement local de la dépendance doit être recherchée avant que ce dernier ne soit totalement ou partiellement réinventé.

  1. Un Financement complexe et problématique

La complexité du financement tient naturellement aux nombres d’acteurs mobilisés sur cette politique publique ainsi qu’aux sources de financement. Quant au caractère problématique, il a été notamment illustré par la question prioritaire de constitutionnalité relative au concours de l’État au financement, par les départements, de l’APA.

  1. Un financement complexe

La complexité du financement local de la dépendance tient d’une part à celle des circuits financiers et d’autre part à l’interdépendance des acteurs les uns par rapport aux autres.

  1. Des circuits financiers complexes

La complexité des circuits de financement n’est pas, de loin, l’apanage exclusif de la politique d’aide en faveur des personnes âgées dépendantes. Elle constitue, probablement une constante de la mise en œœuvre des politiques publiques au niveau local et des politiques sociales en particulier.

Qu’il s’agisse de l’aide sociale légale ou de l’action sociale facultative, la variété des dispositifs d’aides ou de prestations, qui répondent à des objectifs spécifiques, contribuent ainsi nettement à accroître la complexité des circuits financiers au niveau local. Entre le versement de l’APA, une prestation d’aide-ménagère profitant aux personnes âgées dépendantes vivant à domicile et, par exemple, un service facultatif de portage de repas, les départements ne mobilisent pas les mêmes ressources. De même, les centres communaux d’action sociale (CCAS), grands prestataires de services d’aide à domicile et gestionnaires d’établissement pour personnes âgées dépendantes obéissent à des logiques spécifiques et mobilisent des recettes propres.

Or, en matière de prise en charge de la dépendance, aux prestations d’aide et d’action sociales servies par les collectivités locales s’ajoutent celles de sécurité sociale. La montée en puissance des départements dans la prise en charge de la dépendance n’a pas fait, en effet, disparaître au niveau local le rôle joué par l’assurance-maladie dans le financement des conséquences de la dépendance et de la branche vieillesse en ce qui concerne les personnes les plus faiblement dépendantes dont le degré de perte d’autonomie n’est pas assez fort pour ouvrir droit à l’APA.

Par ailleurs, la création des agences régionales de santé (ARS) par la loi HPST du 21 juillet 2009, a contribué à diversifier encore les acteurs du secteur de la dépendance en attribuant à ces agences les compétences qu’exerçait auparavant, pour le compte de l’assurance-maladie, le préfet de région avec l’appui des directions régionales des affaires sanitaires et sociales (DRASS). Ce sont désormais les ARS qui attribuent le financement de la part « soins » des maisons de retraite et des services d’aide à domicile comportant un volet médical, mobilisant pour ce faire des recettes de l’État et de l’assurance-maladie.

À cette complexité des circuits de financement de la dépendance au niveau local s’ajoute le partage des ressources entre plusieurs acteurs locaux. Ainsi, une même ressource peut contribuer au financement de plusieurs dispositifs de prise en charge de la dépendance qui eux-mêmes font intervenir différents acteurs. Les circuits de collecte de la CSG sont ainsi éclatés.

L’ACOSS collecte la part de la CSG portant sur les revenus de l’activité et les revenus de remplacement, et celle relative à l’assurance-maladie. La part portant sur les revenus du patrimoine et des placements reste, quant à elle, collectée par l’État. L’ensemble de ces produits sont ensuite reversés à la CNSA pour alimenter les budgets départementaux au titre de l’APA. La multiplicité du nombre d’intervenants contribue dès lors à rendre plus délicate la détermination des circuits de financement et plus largement le suivi de l’utilisation des crédits au niveau du territoire local.

  1. Une interdépendance des acteurs

L’interdépendance des acteurs, qui caractérise le système général de prise en charge de la dépendance, est également source de difficultés pour appréhender correctement les différents circuits de financement des dépenses locales de la dépendance. Chaque acteur qui intervient d’une manière ou d’une autre dans la prise en charge de la dépendance dépend, en effet, en partie de la rétrocession de crédits provenant d’autres financeurs. La situation de la CNSA est à cet égard, là encore, caractéristique.

Non content d’être alimentée par une partie de la CSG, des cotisations sociales, de la fiscalité nationale et de la journée de solidarité, la Caisse est tributaire pour ses versements de l’État, de la Caisse nationale d’assurance-maladie, de l’ACOSS et même des Caisses de retraite. Or, la CNSA finance directement les départements pour la prise en charge de l’APA au niveau local qui sont également largement tributaires, en ce domaine, des dotations de l’État.

De la même manière, les EHPAD, dont la création, la transformation ou l’extension dépendent au niveau départemental de l’autorisation du Président du conseil général, mobilisent des financements tirés de l’enveloppe médico-sociale de l’assurance-maladie attribués pour ordre à la CNSA et d’autres issus des ressources nouvelles (journée de solidarité ; 0,3 % sur les revenus de placements et du patrimoine) collectées par l’ACOSS ou l’État et reversées à la CNSA.

Seulement, alors que les ressources nouvelles sont effectivement encaissées par la CNSA, les crédits en provenance de l’enveloppe médico-sociale de l’assurance-maladie ne donnent pas lieu à un flux réel de la CNSA vers leurs destinataires mais apparaissent pourtant dans les comptes de la Caisse. Cela étant, au niveau local, l’offre de services à domicile et en établissement dépend directement des financements des départements, qui jouent un rôle de planification en ce domaine depuis la loi du 13 août 2004.

Le département adopte, en effet, seul, et non plus conjointement avec le préfet le schéma départemental d’organisation sociale et médico-sociale, qui définit sur cinq ans les objectifs quantitatifs et qualitatifs de développement de l’offre de services à destination des personnes dépendants. Tout projet de création, de transformation ou d’extension d’une maison de retraite ou d’un service d’aide à domicile aux personnes âgées dépend ainsi directement de l’autorisation donnée par le président du conseil général et ce faisant de la détermination du « tarif », c’est-à-dire du prix fixé pour ces services par l’exécutif départemental. Autrement dit, au niveau d’un territoire local, le financement d’un EHPAD ne dépend pas moins de quatre enveloppes différentes.

Il n’y a donc pas, au niveau local, de prise en charge de la dépendance qui ne donnent pas lieu à des financements croisés. Chaque type de budget (ARS, département, CCAS, maisons de retraites, associations…) repose ainsi sur plusieurs sources de financement en fonction de leur nature juridique (cotisations sociales ; CSG qui alimente la CNSA et les caisses de sécurité sociale ; dotations ; ressources fiscales…).

Un tel système présente de nombreux inconvénients : obstacle au contrôle démocratique, dispersion des responsabilités, difficulté du pilotage, lourdeur de gestion, coût supplémentaire… De plus, l’interdépendance des financements, cumulée aux logiques variées des dispositifs et au caractère obligatoire des dépenses d’aide sociale pour les départements, aboutit à ce qu’aucun acteur ne soit finalement maître de sa politique. Or, dans le même temps, en rendant difficile son appréhension générale, un tel système rend quasiment impossible la mobilisation du corps social autour d’une cause clairement commune.

À cet égard, la création de la CNSA n’a pas réellement clarifié le système de financement. Certes, elle concentre un certain nombre de financements préalablement affectés au FFAPA et reçoit, en plus, la contribution de 0,3 % acquittée par les employeurs privés et publics, au titre de la journée supplémentaire de travail non rémunérée. Seulement, cette création n’a pas, pour autant, réussi à donner une réelle cohérence à l’ensemble des mécanismes de financement sollicités par la prise en charge de la dépendance qui devient de plus en plus problématique s’agissant des départements, principale collectivité territoriale débitrice en ce domaine.

  1. Un financement problématique

Que ce soit dans le rapport de M. Pierre Jamet 14 ou dans celui de M. Gilles Carrez, remis tous les deux en 2010 au Gouvernement, les charges sociales des départements sont clairement identifiées comme principal facteur d’accroissement des dépenses départementales à la suite du processus de transfert de compétences. La création de l’APA a ainsi été à l’origine d’une augmentation immédiate de 14 % des dépenses sociales départementales dès 2002, contribuant avec la montée en charge du dispositif à faire de la dépense en faveur des personnes âgées dépendantes le premier poste des dépenses d’aide sociale des départements en 2008.

Cette situation est à l’origine de lourdes difficultés financières ayant justifiées, le 20 avril 2011, le renvoi par le Conseil d’État au Conseil constitutionnel d’une QPC relative au mode de calcul, de financement et de répartition de la compensation partielle allouée par le législateur aux départements en contrepartie de la prise en charge par ces derniers de l’APA. 

Il est vrai que le décalage entre l’augmentation ininterrompue du nombre de bénéficiaires depuis la création de l’APA en 2001  et la stagnation des ressources versées par l’État aux départements pour compenser cette charge a placé près d’un tiers des départements dans une situation financière délicate. Alors que le taux de couverture des dépenses départementales de dépendance par le financement national était de 45 % en 2002, celui-ci n’est plus que de 28 % en 2010 avec des disparités fortes d’un département à un autre.

Quatre critères permettent de caractériser les plus vulnérables d’entre eux : les départements comptant un nombre important d’habitants de plus de 75 ans, dont le revenu moyen des ménages imposables est faible, qui connaissent un taux de chômage élevé et dont la densité démographique est limitée. Cette situation explique que la progression des dépenses départementales d’aide sociale soit difficilement prévisible et maîtrisable et qu’il subsiste de fortes disparités entre les départements en raison de la configuration de leur territoire et de la proportion de personnes âgées.

Les dépenses d’aide sociale, et en leur sein celles relatives à la prise en charge de la dépendance, ne sauraient par conséquent expliquer à elles seules la situation financière des départements. Elles représentent toutefois une charge considérable pour les collectivités départementales obérant les autres politiques locales, constituant une limite réelle à la décentralisation.

Or, aux contraintes liées aux dépenses obligatoires s’ajoutent celles liées à la suppression de la taxe professionnelle qui, selon le rapporteur général du budget de l’assemblée nationale diminuent de près de moitié les marges de manœuvre des départements en ce qui concerne leur pouvoir de lever des recettes fiscales (de 35 % à 16 %). Associées aux perspectives démographiques liées au vieillissement de la population, ces éléments font peser de très sérieuses inquiétudes sur la soutenabilité des budgets départementaux.

En attendant la révision des modalités de financement de l’APA, pour nombre d’usagers les conséquences de la situation financière délicate de plusieurs départements se font déjà sentir dans la mesure où la charge incontrôlée des dépenses d’aide sociale, notamment des dépenses d’APA, entraîne une difficulté croissante à financer les dépenses d’action sociale facultative, complément indispensable à une prise en charge complète de la dépendance.

  1. Un financement à optimiser et à réinventer

L’optimisation du financement des dispositifs d’aide aux personnes dépendantes est d’autant plus nécessaire que le contexte budgétaire est particulièrement tendu et que les politiques sociales, de manière générale, ont encore peu fait l’objet d’une rationalisation systématique de leur gestion. Cela étant, nul doute qu’au-delà de ces améliorations, les modalités de financement de la prise en charge de la dépendance devront, à terme, être revues.

  1. Un financement à optimiser

En raison d’une part de l’accroissement prévisible des charges départementales de dépendance, en lien avec le vieillissement de la population française, et d’autre part de l’évolution peu favorable des ressources propres et externes des départements, les Conseils généraux vont devoir rapidement accélérer l’optimisation de la gestion de l’ensemble de leurs politiques sociales et plus spécialement de leurs dispositifs d’aide aux personnes dépendantes. Sur ce point, les marges de manœuvre des départements peuvent sembler a priori relativement faibles concernant une politique principalement centrée sur le versement d’une prestation à propos de laquelle ils n’ont pas de liberté sur les conditions d’octroi, de montant, de durée. C’est toutefois réduire par trop le rôle des départements en matière de prise en charge des personnes âgées dépendantes et leur responsabilité en tant que collectivité « chef de file » dans ce domaine.

À cet égard, la méconnaissance des déterminants des coûts et de la qualité de l’offre des établissements et services sociaux et médico-sociaux accueillant des personnes dépendantes empêchent la définition de tarifs de référence par catégorie de prestations fournies et la prise en compte de la réalité de l’activité. Alors que les enveloppes « soins » et « dépendance » des établissements pour personnes âgées dépendantes font l’objet d’un financement relativement normé et corrélé aux besoins des personnes accueillies grâce aux référentiels PATHOS et AGGIR, qui permettent l’ajustement des ressources aux besoins de la population accueillie, les coûts mis à la charge du résident (tarif « hébergement » et dépenses hors tarif « hébergement ») demeurent, en revanche, très disparates d’un établissement à un autre et d’un département à un autre.

Si un certain nombre de différences peuvent se comprendre (différence entre les établissements habilités à l’aide sociale et ceux, en nombre limités, qui ne le sont pas), certains « restes à charge » apparaissent, en revanche, sans corrélation directe entre le coût supporté par le résident et la qualité des prestations de confort dont il bénéficie (l’immobilier et les coûts salariaux entrant pour une large part dans les différences de coût).

De même, s’agissant du versement de l’APA – prestation identique sur l’ensemble du territoire national faut-il le rappeler ? – est-il admissible, que, dans un même département, les écarts en matière de classement en GIR 3 aillent du simple au quadruple, et du simple au double en matière de GIR 4 en fonction du territoire d’origine des bénéficiaires? 

Pareillement, peut-on tolérer qu’à propos d’une prestation de solidarité nationale la frontière entre un classement en GIR 4 (ouvrant droit à l’APA) et en GIR 5 (ouvrant droit aux aides des caisses de retraite) varie du simple au double d’un département à un autre (l’impact des différences démographiques étant neutralisé) ?

Sans chercher à mettre en cause la liberté des médecins évaluateurs, ces exemples mettent toutefois en évidence que les conditions d’admission au bénéfice d’un plan d’aide de l’APA sont facteurs de différences de situation au niveau local, et même entre micro-territoires locaux, qui ne semblent pas nécessairement corrélées à des différences de situations individuelles.

Ces exemples révèlent surtout, que la pérennité du financement public de la dépendance passe probablement par l’amélioration du pilotage des dépenses relatives aux personnes âgées dépendantes et plus largement par l’évaluation précise des modes d’exercice des compétences sociales et de leurs résultats au niveau local.

L’enjeu n’est pas seulement de continuer à servir une prestation d’importance pour les personnes concernées mais de maintenir ce qui fait la singularité du rôle des collectivités territoriales en matière sociale : le financement d’une action sociale facultative complémentaire et indispensable aux dispositifs de solidarité nationale.

L’enjeu pour les usagers n’est pas moins qu’une garantie d’égalité de traitement sur l’ensemble du territoire national et le passage d’une « action sociale dynamique » qui participe à la transformation sociale, à une « action sociale défensive », centrée sur l’urgence, qui se réduise uniquement à éviter la désagrégation du corps social.

C’est la raison pour laquelle l’on peut rejoindre les conclusions du rapport Jamet sur la nécessité d’un diagnostic général, validé et partagé, sur l’efficacité et l’efficience des compétences sociales des départements et la mise en place de référentiels permettant d’outiller les pratiques de gestion et de suivre les résultats dans l’ensemble du secteur de l’aide et de l’action sociales.

Cette évolution impose, par conséquent, un travail commun des gestionnaires d’établissement, des agences régionales de santé et des conseils généraux afin d’harmoniser dans l’intérêt des usagers et des financeurs les tarifs applicables sur l’ensemble du territoire départemental. Seule la mise en place d’un système d’information national, agrémenté d’un dispositif d’évaluation et de pilotage des politiques sociales, est à même de constituer des référentiels de coûts et de permettre l’élaboration d’une prospective, actuellement inaccessible aux petits départements.

La démarche d’individualisation des prestations offertes par l’élaboration de référentiels de qualité doit donc devenir une priorité afin que les usagers ne fassent plus les frais de ces disparités injustifiées d’un établissement à un autre et que les budgets publics soient en mesure, dans le secteur de la dépendance, comme ailleurs, de financer les actions qui favorisent le lien social et le bien vivre ensemble.

Les départements doivent donc se saisir de cette problématique avant que l’État, dans la logique de la RGPP, ne leur impose une pondération de ses concours en fonction de la performance de leurs dépenses sociales. Réduit au rang d’opérateur de l’État pour le versement des prestations sociales qui représentent quasiment la moitié de leur budget, les départements, dont l’autonomie fiscale n’a cessé de décliner depuis 2004, doivent par conséquent améliorer la gestion des dépenses d’aide et d’action sociales pour maintenir une action de proximité efficace en direction des publics fragilisés. Cela passe probablement par la mise en œœuvre de standards de gestion. Cela contraindra également à revoir les modalités de financement de la prise en charge de la dépendance.

  1. Un financement à réinventer

Si la croissance des dépenses liées à la prise en charge de la dépendance n’est qu’un des motifs des difficultés financières que connaissent actuellement les départements, c’est toutefois le seul dont on puisse affirmer avec certitude qu’il est amené à s’aggraver au cours des années à venir. Le vieillissement de la population constitue en effet le principal facteur structurel clairement identifiable qui va peser sur les finances publiques, et notamment sur les finances départementales, dans les décennies à venir.

Ce vieillissement qui résulte d’une part de l’allongement de l’espérance de vie et d’autre part de l’arrivée progressive aux âges élevés de la génération du baby-boom aura comme conséquence l’augmentation continue des dépenses de santé, croissantes avec l’âge, et probablement des dépenses liées à la prise en charge de la dépendance. Il convient toutefois de se garder d’appliquer mécaniquement la structure par âge des dépenses de dépendance à la structure de la population.

L’impact du vieillissement sur les dépenses de perte d’autonomie dépend en effet crucialement des possibles améliorations de l’état de santé à âge donné au cours du temps : si l’augmentation de l’espérance de vie s’accompagne d’une amélioration parallèle de la santé des individus (l’hypothèse du « vieillissement en bonne santé »), alors la pression à la hausse sur les dépenses de dépendance sera probablement plus limitée.

De même, une meilleure connaissance des causes multiples de la dépendance, tout autant qu’un accroissement des actions de prévention et un développement des services de proximité et des technologies sont à même de ralentir l’augmentation continue des dépenses de prise en charge de la perte d’autonomie.

Cela étant, la pression haussière exercée par le vieillissement sur la prise en charge de la dépendance au cours de la décennie 2010-2020 peut être évaluée à environ un demi-point de PIB. C’est une véritable nouveauté, car contrairement aux idées reçues le vieillissement de la population des dernières décennies n’a eu qu’une responsabilité assez limitée dans la hausse de la part des dépenses de santé dans le PIB.

Cette période est probablement derrière nous et l’on peut raisonnablement penser qu’en raison du vieillissement et de l’allongement de la durée de vie de la population mais également de l’évolution des modes de vie, de la prégnance de l’individualisme, des réflexes de consommation, tout autant que de la prédominance de l’habitat urbain et du nombre de personnes vivant seules, etc., les dépenses collectives de prise en charge de la dépendance continueront d’augmenter. La question qui dès lors se pose est de savoir comment les financer.

Une des pistes récemment évoquées consiste, dans un souci d’économie, à réduire les dépenses incombant aux conseils généraux. C’est celle que préconise le rapport Rosso-Debord et à sa suite la commission Attali dans son rapport d’octobre 2010 en recentrant l’allocation personnalisée d’autonomie sur les personnes les plus dépendantes, comme cela préexistait avec la PSD.

Quarante-cinq pour cent, en effet, des bénéficiaires de l’APA relève aujourd’hui du régime dit GIR 4 (dépendance « légère ») contre trente-huit pour cent en décembre 2002. Les rapporteurs proposent ainsi de recentrer l’APA sur ceux qui en ont le plus besoin (GIR 1 à 3, c’est-à-dire d’en exclure les moins dépendants) tout en prévoyant pour les bénéficiaires relevant du GIR4 dont les ressources sont les plus faibles, la prise en charge des heures d’aide domicile dans le cadre des prestations d’action sociale servies par la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV). Au total, selon la Commission Attali, ce recentrage permettrait à la fois de limiter l’évolution des dépenses et d’améliorer la prise en charge des plus dépendants. Elle laisserait surtout un large espace à la prise en charge privée de la dépendance. C’est a priori l’une des pistes privilégiées par le président de la République devant le Conseil économique, social et environnemental le 8 février 2011.

C’est également le sens des préconisations de la mission commune d’information dépendance du Sénat, présidée par M. Ph. Marini. Comme en 2008, la mission, en 2010, se positionne en faveur d’un « financement mixte de la prise en charge de la perte d’autonomie, souhaitant garantir un socle élevé de solidarité complété par le développement de garanties assurantielles ».

La mission écarte cependant l’idée d’une assurance obligatoire à 50 ans, comme le préconise le rapport Rosso-Debord, tout en plaidant pour un large complément assurantiel avec la mise en place d’une aide publique réservée aux personnes les plus démunies – pour éviter d’exclure une partie de la population – et la détermination d’une garantie minimum offerte par les différents contrats privés, unifiée sur l’ensemble du territoire national. Cette solution, qui s’analyse en une « aide à la prévoyance individuelle » pose la question de sa nature et de sa pertinence pour faire face à un risque social majeur des décennies à venir. Est-ce encore une véritable politique publique ? N’est-ce pas une forme d’aide d’État indirecte aux assurances privées ? Qui plus est, l’échec de la mise en place de l’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé (ACS) ne disqualifie-t-il pas a priori une telle solution ?

Quoi qu’il en soit, le recours à une cotisation obligatoire aux assurances privées ne répond que très imparfaitement aux difficultés présentes de financement de la dépendance dès lors que la nécessaire montée en charge de ce dispositif – de l’ordre de vingt à trente ans – laisserait encore longtemps à l’État le coût de la prise en charge de la perte d’autonomie tandis que les assurances privées recevraient dans le même temps des masses financières importantes. Le risque d’aggravation des inégalités entre personnes âgées dépendantes d’un tel système est loin d’être qui plus est négligeable tant il est vrai que seules les personnes aux revenus élevés seraient en capacité d’être assistées au-delà des dépendances lourdes.

Pour l’Assemblée des départements de France (ADF), une couverture intégrale par la solidarité nationale doit être préférée sans pour autant qu’elle aille de pair avec une recentralisation du dispositif de prise en charge de la dépendance, l’État n’ayant plus les moyens  RGPP oblige d’assumer financièrement les coûts de gestion d’une telle prestation. En ce sens, l’ADF demande à l’État une compensation des charges liées à la prise en charge de la dépendance, et des autres prestations d’aide sociale, plus équitable, plus vertueuses, et plus évolutive.

Une autre piste évoquée pour financer la perte d’autonomie consiste en un « gage sur patrimoine ». C’est l’une des idées évoquées, dès 2008 par le Sénat et reprise en 2010. Pour bénéficier de l’APA à taux plein, la personne âgée devrait ainsi accepter qu’à son décès, l’État se rembourse des sommes versées si son patrimoine dépasse un certain seuil (de 150 000 à 200 000 euros).

Dans l’hypothèse d’un refus, elle ne toucherait que 50 % de l’allocation. L’économie, selon le Sénat, serait de 800 millions d’euros en 2012 et de 1,1 milliard d’euros en 2014. Cette solution, comme celle consistant à recentrer l’APA sur les personnes les plus dépendantes, a déjà été expérimentée avec la PSD. Elle constitue un recul du niveau de la prise en charge et a été à l’origine d’un certain nombre d’effets pervers à l’origine de la création de l’APA. Ces solutions, génératrices d’importantes économies, restent toutefois sans commune mesure avec la création d’une deuxième journée de solidarité estimées à 2,3 milliards d’euros ou l’élargissement de l’assiette de la contribution de solidarité pour l’autonomie qui ne touche ni les artisans, ni les professions libérales, ni les agriculteurs, ni les retraités. L’alignement du taux de CSG des retraités sur celui des actifs est également évoqué comme nouvelle source de financement. Quant à la création d’un « cinquième risque » de la Sécurité sociale, c’est-à-dire d’un système solidaire où chacun contribue en fonction de ses moyens et reçoit en fonction de ses besoins, l’on ne voit pas très bien quelle serait la rationalité pour l’État de substituer un dispositif public à un autre dans les conditions de contraintes financières actuelles.

Quoi qu’il en soit, faut-il s’alarmer face au coût que représentera dans les années à venir la prise en charge de la dépendance ? Rappelons, à cet égard, qu’elle ne concerne que 7 % des plus de 60 ans et 15 % des plus de 80 ans. Si en fonction des projections retenues le nombre de personnes en situation de dépendance devrait varier de 1,85 à 3,15 millions en 2060 entraînant un surcoût de 5 milliards d’euros par an à partir de 2025, il n’est toutefois pas certain que l’avenir se traduise par une augmentation du coût de la dépendance dans des proportions aussi importante que le débat national sur la dépendance l’a laissé entendre 32 . Les progrès de la médecine et les effets des nouvelles technologies vont jouer, en effet, dans le sens d’une diminution de ce coût et du maintien à domicile d’un plus grand nombre de personnes.

Par ailleurs, il faut tenir compte de l’augmentation limitée du nombre des dépendants (+ 1 % par an jusqu’à 2040), malgré l’arrivée au grand âge des générations nombreuses du baby-boom et la progression spectaculaire de l’espérance de vie. La moitié des personnes qui atteignent 65 ans ne connaîtront en moyenne qu’une année de dépendance. Le fait de vivre plus longtemps n’augmente pas, en effet, la durée de la dépendance, et ne fait que retarder la dernière année de vie, où se concentre l’essentiel des dépenses de santé. 

Autrement dit, il n’est pas certain que la problématique financière de demain liée au vieillissement de la population soit celle de la dépendance. Elle risque davantage d’être celle du financement des retraites et du coût de l’isolement social et familial d’une population âgée, majoritairement féminine, plus ou moins valide, vivant dans un habitat inadapté.

Partie I : L’illusion d’un schéma fiscal établit pour durer 

Les 

Chapitre I : Le schéma fiscal classique de l’EPS

Le champ sanitaire, social et médico-social est important et complexe. La nature de l’activité, la qualité du gestionnaire, les modalités d’exercice, déterminent un ensemble de règles fiscales différenciées. Les appréhender, c’est positiver l’action à conduire et être en mesure d’assurer correctement ses obligations fiscales.

Afin de présenter de façon claire et précise les dispositions fiscales en vigueur, relatives à la TVA et à la taxe sur les salaires. Exposant toutes les règles de droit sur lesquelles il s’appuie, il fournit de nombreux schémas, exemples et références documentaires. Ciblé sur les activités sanitaires, sociales et médico-sociales, il en couvre le champ sous une triple approche :

Les opérations qu’elles soient réalisées à titre principal, accessoire ou logistique ; Les particularités territoriales ; Les spécificités attachées à chaque catégorie de gestionnaires : personnes physiques ou morales, établissements publics autonomes ou rattachés à une collectivité locale, établissements privés de type associatif ou commercial ou encore groupements de coopération à forme publique ou privée

Section 1 : L’EPS et la soumission à la taxe sur les salaires

D’importantes modifications sont intervenues depuis le 1er janvier 1968.La loi n° 66-10 du 6 janvier 1966 portant réforme des taxes sur le chiffre d’affaires a supprimé, à compter du 1er janvier 1968, la taxe locale qui était perçue au profit des collectivités locales. En compensation, il a été attribué à ces dernières 85 % du produit du versement forfaitaire qui, à cette occasion, a pris la dénomination de taxe sur les salaires.

La taxe sur les salaires est, en principe, à la charge de toutes les personnes, physiques ou morales, qui versent des rémunérations, exception faite des personnes versant des pensions ou rentes viagères. Toutefois, son champ d’application effectif est très sensiblement réduit principalement en raison de la dispense totale ou partielle dont bénéficient les employeurs redevables de la TVA ; du fait, également, de l’application du principe de territorialité ; en raison, enfin, de l’existence de diverses exemptions ou exonérations prévues au profit de certains organismes ou secteurs.

Le champ d’application de la taxe sur les salaires n’a pas été modifié par l’article 10 de la loi n° 2000-1352 du 30 décembre 2000, texte qui a aligné l’assiette de la taxe sur les salaires sur celle des cotisations de sécurité sociale.

Pour l’essentiel, la taxe sur les salaires est donc réclamée aux employeurs, au sens du droit du travail ; lorsque ces employeurs sont domiciliés ou établis en France, quel que soit le lieu où est situé le domicile des bénéficiaires des rémunérations. S’agissant des cotisations de sécurité sociale, les personnes travaillant en France y sont assujetties, que leur employeur soit établi en France ou à l’étranger ; et enfin, lorsque ces employeurs ne sont pas assujettis à la TVA ou ne l’ont pas été sur 90 % au moins de leur chiffre d’affaires au titre de l’année civile précédant celle du paiement desdites rémunérations. Dans ce dernier cas, la taxe est due à raison du rapport existant, au titre de cette même année, entre le chiffre d’affaires qui n’a pas été passible de la TVA et le chiffre d’affaires total.

  • 1 : Régime général de la taxe

  1. Les personnes soumises à la taxe sur les salaires

La portée du principe posé par l’article 231, 1 du CGI est précisée par l’article 50 de l’annexe III au même code, selon lequel les personnes physiques et morales, associations et organismes, qui paient des rémunérations et ne sont pas assujettis à la TVA ou ne l’ont pas été sur 90 % au moins de leur chiffre d’affaires au titre de l’année civile précédant celle du paiement desdites rémunérations sont tenus d’acquitter la taxe sur les salaires. Cette taxe ne peut toutefois être exigée que des redevables domiciliés ou établis en France.

Employeur et payeur constituant une seule et même personne – L’application pratique de la règle posée par l’article 50 de l’annexe III au CGI ne soulève pas de difficultés lorsque la personne qui assure matériellement le paiement des sommes imposables est aussi l’employeur des bénéficiaires de ces rémunérations : c’est cette personne qui, bien évidemment, est redevable de la taxe.

Employeur et payeur constituant des personnes différentes – Il arrive que ces deux personnes soient différentes. Le Conseil d’État décide alors que la taxe doit être réclamée à l’employeur, c’est-à-dire à celui qui détient le pouvoir de nommer et de révoquer le salarié et de lui donner des directives quant à l’exécution des tâches qui lui incombent.Le paiement de la taxe incombe à l’employeur, à raison des allocations de caractère social versées sur ses ressources par un comité d’entreprise lorsque ces sommes sont en fait payées en contrepartie ou à l’occasion du travail et donc pour le compte de l’employeur.

Pour ce qui concerne, en effet, les sommes que les comités d’entreprise versent directement aux salariés de l’entreprise, une distinction doit être faite selon que ces sommes sont payées pour le compte de l’employeur en contrepartie ou à l’occasion du travail ou, au contraire, qu’elles revêtent le caractère de secours bénévoles exceptionnels et personnels, attribués pour venir en aide à des salariés qui se trouvent en état de gêne à la suite de circonstances telles que maladies ou accidents.

Dans le premier cas, il s’agit, par exemple, d’allocations de naissance, de mariage, de vacances, de service militaire, etc., payées sur un fonds alimenté par l’employeur. Ces allocations présentent le caractère de salaires imposables, et la taxe est exigible non du comité mais de l’employeur lui-même.

En tout état de cause, dès lors que les gratifications imposables (allocations de naissance, de mariage, gratifications et primes congés) ont été relevées dans la propre comptabilité de l’employeur, ce dernier est personnellement redevable de la taxe correspondante en admettant même que ces versements aient été effectués par l’intermédiaire du comité d’entreprise ou sur son avis.

On notera toutefois que les comités d’entreprise ou d’établissement sont personnellement redevables de la taxe sur les salaires à raison des rémunérations qu’ils paient à leurs propres salariés notamment aux salariés s’occupant des œœuvres sociales.D’autre part, certaines rémunérations bénéficient d’un régime spécial d’exonération.

L’employeur est la partie versante, dès lors qu’elle a nommé les employés et conservé sur eux son autorité. Aux termes d’une convention passée entre la société anonyme « A » et la société à responsabilité limitée « B », dont les stipulations étaient claires, la première de ces sociétés devait assumer certaines charges afférentes à l’exploitation faisant l’objet de la seconde – notamment la rémunération du personnel de direction de celle-ci – et recevoir en contrepartie une redevance mensuelle, tandis que la seconde société conservait directement sous ses ordres le personnel dont il s’agit.

Or, la société « B » avait versé elle-même les rémunérations dues à son personnel de direction, tout en imputant la part fixe de ces rémunérations sur la redevance due à l’autre société, et en conservant à sa charge le complément variable desdites rémunérations. Elle avait acquitté le versement forfaitaire (en vigueur à l’époque) afférent aux rémunérations qu’elle payait de son côté à certains membres de la société « B », en tant qu’elle les employait concurremment pour son propre compte.

Cependant, l’Administration avait établi les impositions, au nom de la société « A », au titre du versement forfaitaire payé sur les salaires, en faisant masse des rémunérations allouées aux employés communs des deux sociétés et en réclamant à la société « A » le supplément de droits correspondant à l’application, aux tranches supérieures des rémunérations globales ainsi déterminées pour certains des employés en cause, des taux majorés.

Le Conseil d’État n’a pas admis cette manière de voir. Il a considéré, en effet, qu’il résultait tant de la convention que des circonstances ci-dessus relatées que la société « B », en acquittant le versement forfaitaire afférent aux traitements qu’elle payait elle-même à des employés nommés par elle et sur lesquels elle conservait son autorité, n’avait pas agi comme mandataire de la société « A », quels qu’aient été les droits qu’elle acquérait de ce fait en vue du règlement des comptes ouverts entre les deux sociétés ; elle n’avait fait que se conformer ainsi à l’obligation qui lui incombait en qualité d’employeur des personnes dont il s’agissait, et par suite, le même versement ne pouvait légalement, même pour la partie correspondant à l’application du taux majoré, être mis à la charge de la société « A » ; il n’en aurait été autrement que si la répartition entre les deux sociétés des rémunérations litigieuses avait constitué une manœuvre destinée à éluder ladite majoration, ce qui n’était pas allégué dans l’espèce.

Il peut arriver que, pour des motifs économiques, certaines sociétés relevant d’un même groupe voient leur statut initial remis en cause, soit par une restructuration, soit par l’évolution ou le développement des interventions du groupe. Dans ce cas, et pour éviter que les changements intervenus portent atteinte aux droits acquis des salariés, notamment en matière de retraite, le personnel effectivement employé par une société donnée est administrativement rattaché à une autre société qui reçoit de la première le remboursement des salaires et charges sociales correspondantes concernant ce personnel.

Il convient d’admettre que les sommes versées par la société utilisatrice du personnel à la société « de rattachement » en remboursement des salaires et charges annexes relatifs à ce personnel ne donnent pas lieu au paiement de la TVA, quelle que soit la situation des sociétés en cause au regard de cette taxe.

Cette décision est subordonnée à la double condition : 

– d’une part, que le remboursement n’excède pas le montant des salaires et des charges fiscales, parafiscales ou sociales y afférentes ;

– d’autre part, que la prise en compte administrative des personnels par la société « de rattachement » réponde effectivement à des préoccupations tenant à leur statut et, par conséquent, qu’il ne s’agisse pas en l’espèce d’une opération de mise à disposition de personnel pure et simple.

 Par ailleurs, les opérations consistant dans le paiement des salaires du personnel en cause moyennant remboursement exact de la part incombant à la société utilisatrice sont considérées, au sens de l’article 213 de l’Annexe II au CGI, comme relevant d’un secteur d’activité distinct des autres activités de la société « de rattachement ». Dès lors, cette société est tenue d’acquitter la taxe sur les salaires sur le montant total de ces rémunérations. Mais, en contrepartie, l’exonération des remboursements correspondants n’affecte ni le pourcentage de déduction propre au secteur formé par l’activité générale de la société, ni le pourcentage d’assujettissement à la taxe sur les salaires des rémunérations versées au titre de ce secteur.

Les entreprises de rattachement qui considèrent qu’elles peuvent se prévaloir de l’exonération ont tout intérêt à soumettre leur situation particulière à l’appréciation du service des impôts dont elles relèvent afin d’éviter tout risque de contestation ultérieure au sujet de la position qu’elles ont adoptée.

Le gérant salarié d’un magasin de vente à qui les charges correspondant à l’emploi d’une personne recrutée comme « aide à la vente » sont remboursées intégralement par le magasin ne perd pas pour autant la qualité d’employeur de l’employée dont s’agit. Aussi, dès lors qu’il n’est pas personnellement assujetti à la TVA, il est passible de la taxe sur les salaires, en vertu des dispositions de l’article 231 du CGI, sur le montant des sommes qu’il a payées à titre de salaires à son employée.

Les concierges d’immeubles se faisant normalement remplacer en période de congés payés, ils procèdent, en principe, eux-mêmes au « recrutement » de leur remplaçant. Il incombe toutefois, à leur employeur de rémunérer ce dernier et d’acquitter à ce titre la taxe sur les salaires.

Le principe de la transparence fiscale posé par l’article 1655 ter du CGI en ce qui concerne les sociétés immobilières de copropriété conduirait, en droit strict, à rendre chacun des associés responsable, pour la part correspondant à ses droits, du paiement de la taxe sur les salaires afférente aux rémunérations versées par la société. Toutefois, il paraît plus simple, aussi bien pour l’Administration que pour les sociétés intéressées, que celles-ci effectuent les versements dont il s’agit. Pratiquement, ce n’est donc que dans l’hypothèse exceptionnelle où la société n’a pas elle-même acquitté la taxe sur les salaires que chacun des associés peut être mis en cause personnellement.

Les rémunérations versées par les donneurs d’ouvrages aux passementiers à domicile répondant à la définition donnée par l’article L. 721-2 du Code du travail doivent être soumises à la taxe sur les salaires. Les passementiers sont, de la même manière, redevables de la taxe à raison des salaires qu’ils allouent à leur auxiliaire.

L’Administration estimait que les associations interentreprises de médecine du travail étaient exonérées de TVA sans possibilité d’option sur le fondement de l’article 261, 7, 1°, b du CGI.

Le Conseil d’État a jugé, à l’inverse, que les opérations réalisées par ces organismes entraient dans le champ d’application de la TVA en raison du lien direct existant entre les services rendus par les associations et la contrepartie perçue des employeurs adhérents. Il a, en outre, constaté que ces opérations n’étaient susceptibles de bénéficier d’aucune des exonérations prévues par le Code général des impôts.

Dans une instruction du 23 février 1993, l’Administration a fait connaître que l’activité de ces organismes est donc imposable à la TVA quelle que soit, notamment, la situation au regard de la TVA des employeurs bénéficiaires de leurs services (entreprises imposables, associations exonérées, collectivités locales ou organismes publics situés hors du champ d’application de la TVA, etc.). Elle a donné, en outre, les précisions suivantes :

La situation au regard de la taxe sur les salaires, des associations interentreprises de médecine du travail qui ont été assujetties à la TVA au cours de l’année 1992 doit être réglée conformément aux indications de la documentation de base 5 L-1421, n° 27 et 5 L-1522, n° 3 qui fournit un exemple d’application.

Ainsi, la taxe sur les salaires due au titre des années 1992 et 1993 est déterminée en fonction du chiffre d’affaires de chacune de ces deux années et non celui de l’année précédant l’année en cause. La taxe est donc calculée par application du rapport existant entre le chiffre d’affaires non soumis à la TVA et le chiffre d’affaires total de l’année considérée. Pour le calcul des versements mensuels ou trimestriels à effectuer à compter de leur date d’assujettissement à la TVA, les associations concernées peuvent appliquer le complément à 100 du pourcentage de déduction provisoire de TVA sous réserve d’une régularisation ultérieure.

  1. Les règles de territorialités

La taxe sur les salaires n’est exigible que si l’employeur est domicilié ou établi en France, c’est-à-dire en métropole ou dans un département d’outre-mer. Le mot « établi » a un sens plus large que la notion d’établissement stable habituellement utilisée dans les conventions internationales de caractère fiscal.

L’assiette de la taxe sur les salaires a été alignée, par l’article 10 de la loi n° 2000-1352 du 30 décembre 2000, sur celle des cotisations de sécurité sociale à compter du 1er janvier 2000. Cependant, cet alignement ne modifie pas les règles de territorialité applicables à la taxe sur les salaires.

Une instruction du 16 juillet 1990, intervenant à propos d’un arrêt du Conseil d’État du 18 novembre 1987 a rappelé la doctrine administrative. Le circulaire n° 2261 du 11 mai 1950 précise qu’un employeur doit être considéré comme établi en France dès lors qu’il y possède un centre d’opérations présentant un caractère de permanence suffisant et doté d’une certaine autonomie. Lorsque ces conditions sont satisfaites, il n’y a pas lieu de distinguer selon que les fonds servant au paiement des rémunérations proviennent de ressources propres du centre d’opérations ou de l’entreprise située à l’étranger. De même la rémunération peut indifféremment être payée par l’établissement français ou, pour compte de ce dernier, par une entreprise située à l’étranger (Le versement de la taxe sur les salaires incombe à l’employeur quelles que soient les modalités de paiement des rémunérations. Cette solution est conforme à la jurisprudence du Conseil d’État).

Ainsi, la présence d’un bureau dépendant d’une entreprise ayant son siège à l’étranger et dirigé par un agent salarié dont le rôle consiste, par exemple, à prendre des contacts préalables avec la clientèle ou à effectuer des opérations administratives doit conduire à considérer que les salaires payés par ce bureau ou pour le compte de ce bureau sont passibles de la taxe sur les salaires. Toutefois, un bureau n’est pas toujours entendu comme un « centre d’opérations ».

La taxe est donc exigible même si l’employeur n’effectue pas en France un cycle complet d’opérations constituant l’exercice d’une véritable profession, ou si son représentant en France ne dispose pas des pouvoirs nécessaires pour agir au nom de l’entreprise et engager celle-ci vis-à-vis de ses clients ou de ses fournisseurs.

Le Conseil d’État a jugé passibles de la taxe sur les salaires une société de radiodiffusion monégasque, à raison des salaires versés au personnel d’une station technique située en France et utilisée pour la diffusion des émissions préparées dans la principauté.Une entreprise d’armement naval dont le siège est à l’étranger (en l’espèce, en Tunisie), eu égard aux conditions d’exploitation, doit être regardée comme établie en France (exerçant son activité à Marseille).

A été passible de la taxe une société étrangère qui disposait à Paris d’un bureau permanent, dont le responsable recrutait et payait le personnel nécessaire à son fonctionnement, ledit bureau étant chargé des tâches administratives consistant à suivre les commandes passées en France et dans d’autres pays européens par le siège social de la société situé au Sénégal. Ainsi, pour le personnel de son bureau de Paris, la société devait être regardée comme un employeur établi en France au sens de l’article 231, 1 du CGI.

Deux sociétés dont les sièges étaient respectivement en Côte-d’Ivoire et au Cameroun disposaient chacune à Paris d’un bureau permanent, chargé des tâches administratives, consistant à suivre les commandes passées en France et dans d’autres pays européens par le siège social de la société et dont les responsables recrutaient et payaient le personnel nécessaire à leur fonctionnement, doivent être regardées, pour le personnel de ces bureaux de Paris, comme des employeurs établis en France, au sens de l’article 231, 1 du CGI selon lequel la taxe est due par tout employeur établi en France à raison des rémunérations payées à son personnel salarié travaillant en France. Le versement de la taxe incombant à l’employeur, la circonstance que les salaires des personnels employés à Paris auraient été remboursés à ces bureaux par les sièges sociaux est sans influence sur la solution du litige.

Le Tribunal administratif de Paris a jugé qu’une banque étrangère (son siège étant au Portugal) disposant d’un bureau permanent de représentation à Paris, doté d’une certaine autonomie de gestion, était un employeur établi en France. Par conséquent, les salariés mis par cette même banque à la disposition de banques correspondantes françaises étaient ses salariés dès lors qu’ils étaient recrutés, formés, affectés, gérés et rémunérés (en monnaie française) par le bureau permanent, nonobstant le fait que les banques correspondantes françaises étaient remboursées par la banque étrangère, et non par son bureau permanent en France, de l’avance des rémunérations qu’elles avaient consenties. Il en résulte que la banque étrangère a été à bon droit assujettie à la taxe sur les salaires et aux taxes annexes à cette dernière.

Toutefois, il a été jugé qu’une banque marocaine disposant en France d’un bureau permanent d’information et de documentation ne peut être considérée comme un employeur établi en France pour l’application de la taxe sur les salaires, dès lors que ce bureau dépend étroitement du siège social tant pour ses actions que pour son personnel, lequel est recruté et rémunéré par le siège social.

Le Conseil d’État a jugé que l’Office national du tourisme de Norvège ne pouvait être regardé comme un employeur établi en France au sens de l’article 231, 1 du CGI et, par suite, ne devait pas être soumis à la taxe sur les salaires sur la base des rémunérations versées au personnel qu’il affecte à son bureau français.

Cette décision s’appuie sur les circonstances de fait suivantes: 

l’Office national du tourisme de Norvège est un organisme du Royaume de Norvège qui assure son financement ;

il recrute en Norvège le personnel affecté au fonctionnement du bureau dont il dispose en France ;

le personnel du bureau est payé en monnaie norvégienne sur le budget de l’Etat norvégien ;

le bureau a pour seul objet de fournir des renseignements et de la documentation aux personnes qui désirent se rendre en Norvège.

Cette décision définit l’absence d’autonomie d’un bureau installé en France dépendant d’un organisme étranger autre qu’une entreprise. L’examen des conditions de fonctionnement du bureau français de l’Office norvégien ainsi que la nature et le mode de l’activité exercée montrent que celui-ci ne disposait d’aucune autonomie. L’office ne pouvait donc être regardé comme un employeur établi en France.

D’une manière générale, l’absence d’autonomie du centre d’opérations d’un office du tourisme émanant d’un État étranger doit être considérée comme démontrée lorsque l’office recrute dans ce pays l’ensemble du personnel affecté au fonctionnement du bureau français et que ce personnel, qui est rémunéré sur le budget de l’État en cause assure directement pour le compte de l’office des tâches purement administratives de stricte information. Bien entendu, le fait que le bureau rémunère le personnel affecté à son fonctionnement au moyen de fonds abondés par l’organisme étranger de tutelle est sans influence sur son assujettissement à la taxe sur les salaires dès lors qu’il ne dispose d’aucune autonomie au sens des critères définis par la jurisprudence. Cette solution doit être adaptée en conséquence pour le règlement des situations concernant d’autres organismes émanant directement d’un État étranger.

La même instruction du 16 juillet 1990 a confirmé, dans les termes suivants, la convergence de la doctrine et de la jurisprudence :

Le Conseil d’État a ainsi reconnu un caractère de permanence et d’autonomie suffisant à un bureau français d’une société étrangère, chargé de tâches purement administratives dès lors que le responsable de ce bureau recrutait le personnel nécessaire à son fonctionnement.

La Haute Assemblée a également reconnu un caractère d’autonomie et de permanence suffisant, pour qu’elles puissent être regardées comme un « centre d’opérations », à des missions d’études composées de personnels détachés par une société dès lors que ceux-ci étaient libres sur le plan commercial de faire toute proposition d’offre de services au nom de la société et, dans le domaine technique, de faire toute étude de leur compétence.

Une association de caractère philanthropique et charitable, sans but lucratif et d’essence internationale, dont le siège social et les organes directeurs et administratifs sont situés à l’étranger, et qui forme en France des sections locales qui, tout en relevant sur le plan légal de la loi de 1901, jouissent d’une large autonomie (bien que rattachées, pour leur administration générale, aux organismes centraux de ladite association) et sont par ailleurs appelées à concourir aux dépenses de l’association par le versement d’une cotisation est, le cas échéant, passible de la taxe sur les salaires.

Un employeur domicilié à l’étranger, qui dispose en France d’une propriété où il effectue de brefs séjours, et qui a engagé un personnel permanent pour l’entretien et le gardiennage de cette propriété, n’est pas considéré comme établi en France pour l’application de la taxe sur les salaires (le personnel domestique ne disposant d’aucune autonomie par rapport à l’employeur établi à l’étranger).

Même solution pour les personnels qui étaient en 1968 détachés à l’étranger par une SA entreprise prestataire de services en matière de recherche et d’exploitation pétrolières, auprès de succursales ou de sociétés filiales, étaient recrutés par ses soins et liés à elle par un contrat de travail. Ils recevaient leur affectation et percevaient leur rémunération de la société, qui fixait leurs conditions d’emploi.

Dès lors, les intéressés, bien qu’expatriés, demeuraient des salariés de l’entreprise. Ainsi la SA était redevable de la taxe sur les salaires à raison des rémunérations versées à ces personnels, sans égard au fait que la société se faisait rembourser par les bénéficiaires des prestations de ses agents détachés les rémunérations qu’elle leur payait.

Le lieu où est situé le domicile du bénéficiaire des rémunérations est sans incidence sur l’exigibilité de la taxe. Il en est de même, à défaut de disposition contraire, du lieu où s’exerce l’activité salariée. Ainsi, une société est assujettie à la taxe d’apprentissage, à la participation des employeurs à la formation professionnelle continue et à la participation des employeurs à l’effort de construction qui sont assises comme la taxe sur les salaires prévue à l’article 231 du CGI, indépendamment du lieu d’exercice de l’activité.

La solution d’espèce était rendue pour la période antérieure à l’alignement de l’assiette de la taxe d’apprentissage, des participations formation continue et construction et de la taxe sur les salaires sur celle des cotisations de sécurité sociale. Cette solution conserve un intérêt pour cette taxe depuis le 1er janvier 2002, le champ d’application territorial de la taxe sur les salaires n’ayant pas été modifié. S’agissant des autres taxes et participations sur les salaires, la question de la territorialité n’a pas été abordée par l’Administration.

Les salariés détachés à l’étranger auprès de ses filiales par une société établie en France, qui les recrute, fixe leurs conditions d’emploi, décide de leur affectation, conserve la possibilité de les licencier et qui est liée avec eux par un contrat de travail, demeurent des salariés de cette société, bien qu’ils exercent leurs fonctions conformément aux instructions et directives des filiales avec lesquelles ils ont également conclu un contrat de travail. Cette société est donc redevable de la taxe sur les rémunérations versées à ces personnels, alors même que ces rémunérations sont supportées par la filiale étrangère, soit par paiement direct aux intéressés, soit par remboursement à la société mère

L’arrêt a été rendu à l’époque où l’assiette de la taxe d’apprentissage était identique à celle de la taxe sur les salaires. Depuis l’intervention de la loi n° 95-116 du 4 février 1995, l’assiette de la taxe d’apprentissage et des participations formation continue et construction est alignée sur celle des cotisations sociales. Il en est de même, à compter du 1er janvier 2002, de l’assiette de la taxe sur les salaires.

L’Administration admet que les entreprises françaises qui possèdent à l’étranger des centres répondant aux caractéristiques indiquées ci-dessus ne sont pas redevables de la taxe sur les salaires à raison des salaires payés au personnel relevant de ces centres.

Cette solution se référant aux centres d’opérations « possédés » à l’étranger par des sociétés françaises, elle ne peut donc s’appliquer dans le cas de société étrangère dotée d’une personnalité juridique distincte, même si une fraction importante du capital de celle-ci est détenue par l’entreprise française.

En l’espèce, l’entreprise française s’est bien vue appliquée la solution édictée par le circulaire précité n° 2261 à raison des rémunérations versées à ses salariés détachés auprès de succursales étrangères, mais non à raison de celles versées aux salariés détachés auprès des filiales étrangères.

Une SARL envoyait à l’étranger, dans le cadre de missions d’études, des ingénieurs et des techniciens chargés d’y implanter des laboratoires ou des cellules d’assistance technique auprès des autorités locales. Ces missions présentaient un caractère d’autonomie et de permanence suffisant pour qu’elles puissent être regardées comme des « centres d’opérations » au sens des dispositions du circulaire n° 2261 du 11 mai 1950 précitée. Par suite, la société a été fondée à se prévaloir de cette circulaire pour soutenir que c’était en méconnaissance de l’article 1649 quinquies E du code (actuellement, LPF, art. L. 80 A) qu’elle avait été soumise, à raison des salaires payés au personnel des missions susmentionnées, à la taxe sur les salaires.

La doctrine énoncée par la circulaire du 11 mai 1950 concerne, d’après ses termes mêmes, les entreprises françaises qui possèdent des centres d’opérations à l’étranger et ne peut donc pas être appliquée, dans le silence du texte, dans le cas de centres d’opérations appartenant non à une entreprise française, mais à une société étrangère, dotée d’une personnalité juridique distincte, même si une fraction plus ou moins importante du capital de cette société étrangère est détenue par l’entreprise française dont les salariés sont en cause. Dès lors, elle n’est pas applicable aux rémunérations versées au personnel détaché dans des sociétés filiales situées à l’étranger.

En revanche, les succursales de la SA sises à l’étranger, auprès desquelles le personnel était détaché pour des périodes assez longues, présentaient un caractère de permanence suffisant et étaient dotées d’une certaine autonomie au sens de la circulaire précitée. Dans ces conditions, il devait être accordé décharge de la fraction du complément de taxe assise sur la rémunération versée aux salariés affectés à des succursales de la société à l’étranger.

Les redevables de la taxe sur les salaires, de la taxe d’apprentissage et des participations à la formation professionnelle continue et à l’effort de construction peuvent se prévaloir, en application de l’article L. 80 A du LPF, de la circulaire n° 2261 du 11 mai 1950 qui a admis que les entreprises françaises qui disposent, à l’étranger, d’un centre d’opérations présentant un caractère de permanence suffisant et doté d’une certaine autonomie, ne soient pas passibles du versement forfaitaire de 5 % sur les salaires versés aux personnels relevant de ces centres.

Il a été jugé qu’une société qui met ses experts techniques salariés à la disposition et sous la dépendance d’une administration locale étrangère, laquelle leur fournit les moyens matériels et humains pour la réalisation de leur mission dans le cadre de projets de développement rural, ne dispose pas d’un « centre d’opérations présentant un caractère de permanence suffisant et doté d’une certaine autonomie » au sens de la circulaire administrative du 11 mai 1950. En conséquence, cette société n’entre pas dans les prévisions de ladite circulaire et reste assujettie aux taxes et cotisations complémentaires susdites.

Il convient de noter que la possibilité d’invoquer la circulaire du 11 mai 1950 relative à l’ancien versement forfaitaire sur les salaires, au regard de la taxe sur les salaires, avait déjà été admise par le Conseil d’État. En revanche, la possibilité d’invoquer cette circulaire au regard des autres taxes et participations assises sur les salaires est ici pour la première fois admise. La jurisprudence a tendance à assimiler entre elles les taxes sur les salaires pour les soumettre à un même régime.

Les traitements et salaires payés à des personnes qui exercent leur activité hors du territoire français, pour le compte d’un employeur établi en France, sont donc imposables, à moins que l’employeur ne dispose d’un centre d’activité à l’étranger.

Le Conseil d’État a d’ailleurs posé en principe que la taxe sur les salaires est due sur la totalité des salaires versés, quels que soient notamment les lieux du domicile des bénéficiaires, ou ceux où ils exerceraient leur activité, et alors même que, pour l’exécution des prestations fournies, l’employeur aurait eu recours aux services de mandataires à l’étranger.Ces principes s’appliquent aux employeurs détachant provisoirement leurs salariés à l’étranger.

La taxe sur les salaires incombant à l’employeur, la circonstance que les salaires du personnel détaché hors de France par une société auraient été supportés en fait par ses clients étrangers est sans influence sur la solution du litige dès lors qu’il est constant que les clients dont il s’agit ne peuvent pas être regardés comme les employeurs de ce personnel.

En vertu de l’article 231 du CGI, la taxe est due par tout employeur établi en France à raison des rémunérations qu’il paye à son personnel salarié sans qu’il y ait lieu d’opérer des distinctions, que la loi ne fait pas, selon le lieu du domicile du salarié ou selon le lieu où il exerce son activité.

L’assiette de la taxe sur les salaires, étant indépendante des règles fixées pour l’assujettissement des traitements et salaires à l’impôt sur le revenu, s’étend à des rémunérations qui ne pourraient pas être soumises à cet impôt, comme, par exemple, les rémunérations versées aux travailleurs frontaliers.

Inversement, les salaires payés à des travailleurs domiciliés en France par un employeur à l’étranger ne sont pas, en principe, concernés par la taxe. Ainsi, à propos du cas d’un agent, domicilié en France, d’une société étrangère possédant un « centre » sur le territoire français, qui est rémunéré par le centre pour son activité principale exercée auprès de lui et par le siège pour une fonction très secondaire exercée auprès de celui-ci, il a été précisé que la taxe sur les salaires est due seulement pour la rétribution gagnée en France alors que l’impôt sur le revenu est exigible sur les deux rétributions.

Le versement de la taxe sur les salaires incombe à l’employeur – en l’occurrence le bureau à Paris d’une société étrangère – la double circonstance que les salaires du personnel employé au bureau de Paris auraient été remboursés par le siège social de la société et que celle-ci n’était pas assujettie, à raison des résultats de ce bureau, à l’impôt sur les sociétés en France était sans influence sur la solution du litige.

Les salariés détachés à l’étranger par une société établie en France qui les recrute, les rémunère, fixe leurs conditions d’emploi, décide de leur affectation et est liée avec eux par un contrat de travail, restent membres du personnel de cette société bien qu’ils soient expatriés. Cette société est donc redevable de la taxe sur les salaires sur la totalité de leur rémunération, alors même qu’elle leur serait remboursée par ses filiales ou succursales étrangères auprès desquelles elle les détache.

Une société doit être regardée comme l’employeur des cadres avec lesquels elle est liée par des contrats annuels fixant notamment la rémunération, ainsi que du personnel subalterne qu’elle recrute et rémunère, même s’ils sont chargés du contrôle ou de la gestion de filiales étrangères. C’est donc elle qui est redevable de la taxe sur les salaires au titre des rémunérations de ces salariés, y compris pour la part qui lui est remboursée par ses filiales et que celles-ci déduit de leur résultat imposable à l’étranger.

La taxe sur les salaires porte sur les rémunérations payées, par des entreprises situées en France, aux travailleurs frontaliers belges, suisses et luxembourgeois, bien qu’en vertu des conventions passées entre la France et les Etats intéressés l’imposition des bénéficiaires eux-mêmes soit réservée au pays du domicile. Cette règle n’entraîne pas une double imposition puisque la taxe sur les salaires est à la charge de l’employeur et non du bénéficiaire des salaires.

Les salaires payés, par un employeur domicilié ou établi hors de France, à des contribuables qui sont domiciliés sur le territoire français, n’entrent pas dans le champ d’application de la taxe. Tel est le cas, par exemple, des commissions versées à un représentant de commerce qui travaille en France, lorsque ces commissions émanent d’une entreprise étrangère qui ne possède, dans notre pays, ni bureau, ni installation.

Sous réserve qu’il s’agisse bien d’un « centre d’opérations », il n’y a pas lieu de distinguer selon que le centre dispose de fonds provenant des opérations qu’il réalise ou qu’au contraire les sommes nécessaires à la paye du personnel dépendant de ce centre sont fournies par le siège ou par un autre établissement de l’entreprise à l’étranger.La rémunération peut indifféremment être payée directement par l’établissement français ou, pour le compte de ce dernier, par une entreprise située à l’étranger.

  • 2 : L’assiette de la taxe

  1. Le régime général 

L’article 10 de la loi de finances pour 2001 (n° 2000-1352 du 30 décembre 2000) est venu apporter des modifications notables dans le prélèvement sur les revenus, et notamment en ce qui concerne la taxe sur salaire. 

Depuis cet article, et à partir du 1er janvier 2002 donc, « l’assiette de la taxe sur les salaires sur celle des cotisations de sécurité sociale. Il y a donc désormais unicité, sauf disposition contraires prévues par le législateur entre l’assiette des cotisations de sécurité sociale et celle de la taxe sur les salaires »

Avec cette réforme, le nouvel article 231 du code général des impôts prévoit que les règles prévues aux chapitres I et II du titre IV du livre II du code de la sécurité sociale  et les articles L. 722-20 et L. 751-1 du code rural, au titre IV du livre VII dudit code  (pour les employeurs de salariés) servent désormais de base pour l’évaluation des rémunérations soumises à la taxe sur les salaires.

Ce qui a pour résultat que la « référence à l’assiette des cotisations de sécurité sociale conduit à inclure dans l’assiette de la taxe sur les salaires toutes les sommes considérées comme des rémunérations au sens de la réglementation sociale, sauf exonérations maintenues par la loi fiscale ».

Par contre, le nouvel article exclue de son champ d’application (et donc de celui de la taxe sur salaire) « toutes les sommes qui ne constituent pas des rémunérations au sens de la réglementation sociale. Par exemple, sommes versées au titre de l’intéressement, de la participation et des plans d’épargne dans les conditions et limites prévues aux chapitres I à IV du titre IV du livre IV du code du travail. Ces sommes étaient cependant exonérées de la taxe sur les salaires par des dispositions expresses du code général des impôts »

Selon toujours l’administration fiscale, « les solutions doctrinales retenues en matière sociale sont applicables pour la taxe sur les salaires ». Ce qui signifie par exemple que l’administration fiscale peut accepter que les remises qui n’excédant pas 30 % du prix de vente normal (dans le cas d’une réduction tarifaire consentie par l’entreprise à ses salariés pour les biens ou services qu’elle produit) ne soient pas considérées comme un complément de rémunération assujetti aux cotisations de sécurité sociale. Il en est donc de même pour la taxe sur les salaires.

  1. Rémunérations imposable 

Pour résumer donc, l’article 13, I, de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013 a élargi l’assiette de la taxe sur les salaires pour l’aligner sur celle de la CSG sur les revenus d’activité et de remplacement (à la place de celle des cotisations sociales)

Aux termes de l’article 231, 1, du code général des impôts, la taxe sur les salaires est assise sur le montant des sommes payées à titre de rémunérations, évalué selon les règles prévues à l’article L. 136-2 du code de la sécurité sociale régissant la CSG (voir supra). 

La référence à l’assiette de la CSG conduit donc à inclure dans l’assiette de la taxe sur les salaires toutes les sommes considérées comme des rémunérations au sens de la réglementation sociale, sauf exonérations prévues par la loi fiscale. L’assiette de la taxe sur les salaires est ainsi constituée par les traitements, salaires et toutes sommes versées en contrepartie ou à l’occasion du travail, à savoir notamment les salaires ou gains, les indemnités de congés payés, le montant des cotisations salariales, les indemnités, primes, gratifications et tous les autres avantages en argent ou en nature, ainsi que les sommes perçues directement ou par l’entremise d’un tiers à titre de pourboire

Toutefois, l’article 231, 1, du code général des impôts exclut expressément les sommes correspondant aux prestations de sécurité sociale versées par l’entremise de l’employeur, les plus-values sur stock-options (CGI, art. 80 bis) et les gains d’acquisition des attributions d’actions gratuites (CGI, art. 80 quaterdecies) de l’assiette de la taxe sur les salaires. 

De même, la déduction pour frais professionnels ne doit pas être prise en compte (CGI, art. 83, 3o). Par ailleurs, la réduction forfaitaire des frais professionnels de 1,75 % des revenus des artistes auteurs n’est pas applicable (CSS, art. L. 136-2, I, al. 2).

  1. Autres rémunérations imposables 

Doivent également être compris dans l’assiette de la taxe sur les salaires, sous certaines conditions et sans que cette liste soit exhaustive : 

  • les contributions patronales de retraite supplémentaire et de prévoyance complémentaire à l’exception de celles destinées à financer les régimes de retraite à affiliation légalement obligatoire et les régimes de retraite à prestations définies et à l’obligation par l’employeur de maintenir le salaire en application de la loi de mensualisation ou d’un accord collectif ; 
  • les indemnités de licenciement ou de mise à la retraite et toute autre somme versées à l’occasion de la rupture ou de la modification du contrat de travail (V. les conditions sous CSS, art. L. 136-2, II, 5o) ; 
  • les sommes versées à l’occasion de la modification du contrat de travail. – les sommes versées dans le cadre d’un accord d’intéressement et les sommes affectées au titre de la réserve spéciale de participation ; 
  • les abondements versés par l’entreprise au titre du plan d’épargne entreprise ou pour la souscription d’actions de sociétés ; 
  • les indemnités versées aux élus des chambres d’agriculture, de métiers ou de commerce et d’industrie, à l’exception des indemnités de défraiement ou de frais professionnels.
  • Les pourboires sont compris dans la base de la taxe sur les salaires. Ils sont évalués selon les règles fixées par l’arrêté du 28 mars 1956 : si l’employeur tient un registre de répartition, l’assiette correspond aux pourboires remis à chaque salarié ; dans le cas contraire, l’assiette est égale au minimum garanti fixé par la convention collective applicable. 
  • Pour ce qui est de l’assiette forfaitaire, pour les salariés dont la rémunération est soumise aux cotisations sur une assiette forfaitaire, il y a lieu de retenir la même assiette en matière de taxe sur les salaires. Si l’employeur a opté pour le régime de l’assiette réelle en matière sociale, cette option s’applique aussi à la taxe sur les salaires.

Il faut noter, dans le cadre de ce régime général, que les solutions doctrinales retenues en matière sociale sont applicables pour la taxe sur les salaires. Par exemple, les prestations en espèces servies par le comité d’entreprise constituent des compléments de rémunération assujettis à la CSG et à la taxe sur les salaires, à l’exception des sommes versées à titre de secours ou exclues par nature de l’assiette de la CSG telles que celles présentant le caractère de dommages-intérêts. 

Toutefois, l’administration compétente en matière sociale admet que soient exclus de l’assiette sociale les avantages se rapportant aux activités sociales et culturelles du comité, sous réserve que les prestations correspondantes ne soient pas assujetties aux cotisations par une disposition expresse ou qu’elles n’aient pas en fait le caractère d’un complément de salaire, c’est-à-dire qu’il ne s’agisse pas d’avantages distribués de manière automatique et non personnalisés. 

Ainsi, les bons d’achat ou cadeaux bénéficient d’une présomption de non-assujettissement à la CSG dans la limite globale par salarié et par année civile de 5 % du plafond mensuel de la sécurité sociale. Lorsque cette limite est dépassée, les bons d’achat ou cadeaux demeurent exonérés s’ils sont distribués en relation avec un événement particulier (mariage, naissance, Noël,…), si leur objet est en relation avec cet événement et si leur valeur est « conforme aux usages », c’est-à-dire qu’elle n’excède pas, par événement et par année civile, 5 % du plafond mensuel de la sécurité sociale. Cette tolérance s’applique également pour la détermination de l’assiette de la taxe sur salaires.

En revanche, sont exclues de l’assiette de la taxe sur les salaires toutes les sommes qui sont expressément exclues de l’assiette de la CSG à l’article L. 136-2, III, du code de la sécurité sociale, par exemple, les salaires versés au titre d’un contrat d’apprentissage (C. trav., art. L. 6221-1) ou les sommes attribuées à l’héritier d’un exploitant agricole au titre du contrat de travail à salaire différé

De plus l’article 231 bis L du code général des impôts prévoit l’exonération des salaires versés par les organismes sans but lucratif et par les organismes permanents à caractère social des collectivités locales et des entreprises aux personnes recrutées à l’occasion et pour la durée des manifestations de bienfaisance ou de soutien exonérées de la taxe sur la valeur ajoutée. Cette exonération concerne notamment les organismes suivants, lorsque leur gestion est désintéressée : œœuvres à caractère social ou philanthropique ; associations régies par la loi du 1er juillet 1901 ou par la loi locale en vigueur en Alsace-Moselle ; congrégations ; fondations ; groupements mutualistes ; comités d’entreprise ou d’établissement.

  1. Les rémunérations exonérées

Depuis le 1er janvier 2013, la base de la taxe sur les salaires est alignée sur l’assiette de la CSG applicable aux salaires et assimilés, définie à l’article L 136-2 du Code de la sécurité sociale et vise notamment « le montant brut des traitements, indemnités, émoluments, salaires, allocations, pensions y compris les majorations et bonifications pour enfants, des rentes viagères autres que celles visées au 6 de l’article 158 du code général des impôts et des revenus tirés des activités exercées par les personnes mentionnées aux articles L. 311-2 et L. 311-3 ».

Toutefois, pour la détermination de cette base, il ne doit être tenu compte ni des sommes correspondant aux prestations de sécurité sociale versées par l’entremise de l’employeur, ni de la déduction forfaitaire pour frais professionnels visée au I de l’article L.136-2 précité, ni des gains de levée d’options sur actions et d’attributions gratuites d’actions visés au 6° du II du même article.

Certaines sommes sont expressément exonérées de la taxe sur les salaires et ne sont donc pas à comprendre dans la base de cette taxe, même si elles sont soumises à la CSG.

Les exonérations spécifiques de taxe sur les salaires sont les suivantes :

  • rémunérations versées aux enseignants des centres de formation d’apprentis (CFA),
  • rémunérations versées aux salariés bénéficiaires d’un contrat d’accompagnement dans l’emploi celles versées aux titulaires, dans les DOM, d’un contrat d’insertion par l’activité et celles versées aux salariés embauchés en application des conventions visées à l’article L 5134-3 du Code du travail,
  • salaires versés par les organismes sans but lucratif aux personnes qu’ils recrutent à l’occasion et pour la durée des manifestations de bienfaisance et de soutien exonérées de TVA,
  • allocations de chômage et contributions assimilées.

  1. Le cas particulier de notre champ d’étude  

Selon l’administration fiscale, « certains employeurs énumérés à l’article R. 711-1 du code de la sécurité sociale relèvent d’un régime spécial de sécurité sociale et sont soumis, le cas échéant, à des règles spécifiques applicables pour la détermination de l’assiette des rémunérations soumises aux cotisations sociales. Tel est le cas notamment des établissements publics de l’Etat, des établissements départementaux et communaux n’ayant pas le caractère industriel ou commercial ». Et plus particulièrement donc, les établissements de santé qui relèvent d’un régime spécial de sécurité sociale pour leurs personnels titulaires

Aux termes de l’article 51, § 2, de l’annexe III au code général des impôts, la taxe sur les salaires est calculée sur le montant total des rémunérations effectivement payées par l’employeur, y compris la valeur des avantages en nature. Le fait générateur de la taxe est constitué par la mise à la disposition du salarié des sommes et des avantages en nature imposables. 

La simple inscription à un compte de frais à payer n’entraîne pas le paiement de la taxe si elle n’est pas suivie du paiement ou de l’inscription à un compte sur lequel le salarié peut faire des prélèvements. L’indemnité compensatrice de délai-congé est retenue dans son intégralité à la date de son paiement, même si la période de préavis correspondante s’étalait sur deux années civiles. La solution est différente en matière d’impôt sur le revenu.  

  1. Rémunération des mandataires sociaux

Selon l’article 231 du code général des impôts dans sa version en vigueur avant le 1er janvier 2013, « Les sommes payées à titre de rémunérations sont soumises à une taxe sur les salaires égale à 4,25 % de leur montant, évalué selon les règles prévues aux chapitres Ier et II du titre IV du livre II du code de la sécurité sociale ». Cette dernière référence conduit à relever que l’assiette de la taxe sur les salaires était alignée sur celle des cotisations du régime général de la sécurité sociale.

Cet article fait aujourd’hui l’objet d’une interprétation diverse de la part de la jurisprudence.

Les thèses en présence concernant l’intégration des rémunérations versées aux mandataires sociaux dans l’assiette de la taxe sur les salaires. 

  1. La rémunération versées aux dirigeants jusqu’au 31 décembre 2012

La question  de l’intégration des rémunérations versées aux mandataires sociaux dans l’assiette de la taxe sur les salaires est controversée.

En pratique, deux thèses principales s’affrontent, en l’absence de position directe du Conseil d’Etat sur la question : 

  • La première thèse consiste à considérer que la taxe sur les salaires ne concerne que les rémunérations versées à des salariés entendus au sens du droit du travail (impliquant notamment un lien de subordination).

Si l’on retient un tel raisonnement, les rémunérations perçues par les dirigeants de société qui n’ont que la qualité de mandataires sociaux (sans cumul avec un contrat de travail) n’entrent pas dans l’assiette de la taxe sur les salaires car ces dirigeants mandataires sociaux ne peuvent être considérés comme des travailleurs en état de subordination.

  • la deuxième thèse se fonde sur l’affiliation au régime général de sécurité sociale.

En effet, certains dirigeants sociaux sont obligatoirement affiliés à ce régime en application de l’article L 311-3 du CSS (dirigeant de SA, gérants minoritaires de SARL, etc.) et leurs rémunérations entrent ainsi dans l’assiette des cotisations sociales du régime général de la sécurité sociale visé par l’article 231 du code général des impôts. Plusieurs juridictions ont suivi ce raisonnement.

Si l’on retient cette thèse, les rémunérations perçues par les dirigeants de société ayant la qualité de salariés au sens du droit de la sécurité sociale (article L311-3 du code de la sécurité sociale) devraient entrer dans l’assiette de la taxe sur les salaires alors même qu’ils ne sont pas des salariés placés dans un lien de subordination avec la société. 

Ce raisonnement s’appuie sur la jurisprudence sociale selon laquelle les sommes versées à un mandataire social affilié au régime général de sécurité sociale sont réputées l’être au titre de rémunérations et soumises à cotisations sociales.

  1. La position actuelle

L’état actuel de la jurisprudence sur les rémunérations versées aux mandataires sociaux à intégrer dans l’assiette de la taxe sur les salaires.

Selon la Cour administrative d’appel de Nancy, les rémunérations versées aux dirigeants de sociétés, qui n’ont pas la qualité de salarié au sens du droit du travail mais seulement au sens du droit de la sécurité sociale, ne sont pas comprises dans l’assiette de la taxe sur les salaires, telle qu’elle était définie jusqu’au 31 décembre 2012.

Pour juger que les rémunérations versées aux dirigeants de sociétés n’entrent pas dans l’assiette de la taxe sur les salaires, la cour administrative d’appel de Nancy fait une application littérale de l’article 231 du CGI, alors applicable, et suit le raisonnement suivant :

Tout d’abord, elle rappelle que, selon les dispositions de ce texte en vigueur au moment du litige (années 2007 à 2009), l’assiette de la taxe sur les salaires était alignée sur celle des cotisations sociales. Etaient ainsi soumises à la taxe sur les salaires les sommes payées à titre de rémunérations, dont le montant était évalué selon les règles applicables en matière de cotisations sociales.

Par sommes payées à titre de rémunérations, il faut entendre, selon la Cour d’appel, les sommes payées à des salariés au sens du droit du travail. Or, l’associé gérant et unique d’une EURL n’a pas la qualité de salarié, au sens du droit du travail, dans la mesure où il ne peut se trouver dans un lien de subordination, caractéristique du contrat de travail. S’agissant d’un mandataire social, il perçoit des rémunérations qui ne peuvent donc pas être évaluées selon les règles prévues pour les cotisations sociales.

Pour la cour administrative d’appel, dans l’affaire en cause, les rémunérations ainsi perçues sont à exclure de l’assiette de la taxe sur les salaires.

La Cour administrative de Nancy consacre ainsi la première thèse qui consiste à considérer que la taxe sur les salaires ne concerne que les rémunérations versées à des salariés entendus au sens du droit du travail, dont les mandataires sociaux n’ont pas la qualité en l’absence de situation de subordination.

Toutefois, il convient de souligner que la Cour administrative d’appel de Nancy a pris le soin de préciser« au surplus »que le mandataire social dont il était question dans l’arrêt (gérant associé unique d’une EURL) « n’est pas compris, par application des dispositions précitées du 11° de l’article L311-3 du code de la sécurité sociale, parmi les personnes auxquelles s’imposent l’obligation d’affiliation aux assurances sociales du régime », ce qui laisse subodorer que la solution aurait pu être différente pour un mandataire social obligatoirement soumis au régime général de la sécurité sociale en application de l’article L311-3 du code de la sécurité sociale.

En effet, un associé unique  deuil ne peut en aucun cas être tenu de s’affilier au régime général de la sécurité sociale.

Rappelons par ailleurs qu’un certain nombre de juridictions du fond retiennent un raisonnement différent de celui développé par la Cour administrative d’appel de Nancy en considérant que les rémunérations des dirigeants sociaux étant obligatoirement affiliés au régime général de la sécurité sociale en application de l’article L311-3 du code de la sécurité sociale, elles doivent être intégrées dans l’assiette de la taxe sur les salaires.

Le Conseil d’Etat ne s’est quant à lui pas encore prononcé expressément sur la question mais un arrêt du 8 juin 2011 a tout de même retenu que les rémunérations d’un Président de conseil d’administration de société anonyme « qui était l’unique salarié de la société » devaient être assujetties à la taxe sur les salaires, du fait de ses fonctions dans le secteur financier.

  1. La question du mandataire depuis la Loi 2012-1404 du 17 décembre 2012 portant modification de l’article L 231-1 du CGI 

Nous verrons que cette nouvelle loi a apporté des solutions assez pratiques pour le cas de certains membres du personnel du centre hospitalier. Mais pour ce qui est du mandataire, elle n’a pas réglé son cas. 

A partir du 1er janvier 2013, la nouvelle rédaction de l’article 231 du CGI, qui aligne l’assiette de la taxe sur les salaires sur celle de la CSG due sur les revenus d’activité, prévoit que sont comprises dans l’assiette de la taxe « les sommes payées à titre de rémunérations aux salariés ».

En visant expressément « les rémunérations payées aux salariés », la loi semble exclure, de fait, celles payées aux dirigeants n’ayant pas la qualité de salarié au sens du droit du travail.

La décision rendue par la cour administrative d’appel de Nancy, sous l’empire des anciennes règles applicables à la taxe sur les salaires, pourrait donc également trouver à s’appliquer aux rémunérations perçues par les dirigeants à compter du 1erjanvier 2013, avec néanmoins les réserves exposées ci-avant.

Toutefois, l’administration adopte une position contraire. En effet, elle prévoit, dans sa doctrine de référence, qu’entrent dans l’assiette de la CSG, et donc de la taxe sur les salaires, les rémunérations versées aux dirigeants de sociétés désignés à l’article 80 ter du CGI, à savoir notamment le président de conseil d’administration ou encore le directeur général d’une société anonyme.

En outre, concernant les dirigeants assimilés salariés au sens du droit de la sécurité sociale, il convient de préciser que la rédaction de l’article 231 du code général des impôts concernant la taxe sur les salaires renvoie, concernant l’assiette de cette taxe, à l’article L136-2 du code de la sécurité sociale concernant l’assiette de la CSG due sur les salaires et revenus assimilés. Or cet article L136-2 du code de la sécurité sociale renvoie lui-même à l’article L311-3 du code de la sécurité sociale qui concerne les dirigeants assimilés salariés au sens de la sécurité sociale.

Depuis le 1er janvier 2013, il est donc expressément prévu que les rémunérations des dirigeants assimilés salariés au sens du droit de la sécurité sociale (dont « Les présidents et dirigeants des sociétés par actions simplifiées » au titre du 23° de l’article L311-3 du code de la sécurité sociale) entrent dans l’assiette de la taxe sur les salaires, sauf à considérer que les rémunérations visées par l’article 231 du code général des impôts doivent nécessairement être versées à des salariés au sens du droit du travail, soumis à un lien de subordination.

Seule une nouvelle décision du Conseil d’Etat permettrait donc aujourd’hui de confirmer la possibilité d’exclure de l’assiette de la taxe sur les salaires les rémunérations versées à des salariés au sens du droit de la sécurité sociale.

  1. Application aux primes pour les Centres Hospitaliers 

Le cas du personnel non médical travaillant dans les centre hospitalier a longtemps été au centre des discussions quant à la sujétion ou non des primes qui leurs sont alloués à la taxe sur salaire. Cette question concernait notamment les indemnités de sujétion spéciale, les indemnités forfaitaire pour travail le dimanche et jours fériés, les indemnités de chaussures et de vêtements et les indemnités d’astreintes. 

Crest une question qui n’est pas vide d’intérêt, dans la mesure où ces primes ne sont pas assujetties aux cotisations d’assurance maladie, maternité, et vieillesse concernant ces agents qui relèvent du régime spécial de sécurité sociale. 

Il a cependant été considéré que lesdites primes entraient bel et bien dans le champ d’application de l’article L 242-1 du code de la sécurité sociale : elles sont donc soumises à la taxe sur les salaires même si elles sont non assujetties à certaines cotisations par ailleurs. 

Depuis 2013 et les modifications apportées à l’article L 231-1 du CGI par la Loi 2012-1404 du 17 décembre 2012, la question n’est plus vraiment d’actualité car désormais, le calcul s’apprécie au regard de l’application de l’article L 136-2 du code de la sécurité sociale qui intègrent toute les sommes versées en contrepartie ou à l’occasion du travail et qui sont évaluées suivant les règles définies à l’article L 242-1 du code de la sécurité sociale.

  1. Salariés entrés et sortis – Régularisation annuelle

Ces seuils ont été obtenus en prenant un douzième des seuils d’imposition annuels.

Compte tenu du caractère annuel des seuils d’application des taux majorés, la régularisation annuelle permet de recalculer la taxe sur les salaires pour les salariés n’ayant pas été présent sur l’intégralité de la période de référence.

Ce calcul permet de faire apparaitre ainsi des excédents de taxe pour ces salariés.

En effet comme le taux est progressif, s’il est calculé dans les grandes masses, le taux sera nécessairement plus fort que si on le calculait au réel c’est-à-dire en prenant individuellement le calcul de la rémunération.

  1. Application du ratio cantine dans les CH

L’analyse des bulletins de paie et de la déclaration annuelle de la taxe sur les salaires de l’année permet de vérifier la correcte application de cette exception qu’on trouve dans l’ensemble des centres hospitaliers. En l’occurrence le calcul correct de la taxe sur les salaires ne doit pas prendre en compte l’intégralité de la masse salariale des salariés travaillant dans les cuisines.

Il convient donc d’identifier le pourcentage des repas servis au personnel du Centre Hospitalier ainsi qu’aux patients.

Le pourcentage de la rémunération, de chaque salarié travaillant en cuisine, non assujettie à la taxe sur les salaires est déterminé de la manière suivante :

  1. Le calcul de la taxe sur salaire

 

  1. Le rapport d’assujettissement à la taxe sur les salaires

Les employeurs assujettis à la TVA sur moins de 90% déterminent la base effective de la taxe sur les salaires au moyen de leur rapport d’assujettissement à la taxe sur les salaires.

Ce rapport d’assujettissement doit être appliqué après la répartition des rémunérations entre les tranches du barème progressif d’imposition.

Les règles de calcul du rapport d’assujettissement à la taxe sur les salaires sont autonomes par rapport au calcul du coefficient de taxation servant à déterminer le coefficient de déduction de TVA. 

Le numérateur de ce rapport reprend le total des recettes et autres produits correspondant à des opérations qui n’ont pas ouvert droit à déduction de la TVA (y compris ceux, tels les dividendes d’actions, correspondant à des opérations qui n’entrent pas dans le champ d’application de la TVA) ainsi que les subventions non imposables à la TVA. 

Le dénominateur comprend les sommes figurant au numérateur plus les recettes afférentes aux opérations ouvrant droit à déduction de la TVA. 

Aucune disposition législative ou réglementaire ne définit la règle d’arrondissement du rapport d’assujettissement. Cela étant, l’administration admet que le rapport d’assujettissement peut être arrondi à l’unité inférieure suite un rescrit général qui indique cette troncature. Par exemple, lorsque le rapport d’assujettissement calculé par l’employeur est égal à 82,76 %, il peut être arrondi à 82 %. L’arrondi est effectivement à l’avantage de l’administré.

  1. Le taux de la taxe

La taxe comporte un taux normal appliqué sur le montant total des rémunérations brutes individuelles et un taux majoré appliqué aux rémunérations brutes individuelles dépassant certains seuils. Le taux normal de la taxe est de 4,25 %. S’y ajoutent :

  • une majoration de 4,25 % sur la fraction du salaire annuel individuel comprise, pour 2015, entre 7 705 € et 15 385 €,
  • une majoration de 9,35 % sur la fraction du salaire annuel individuel comprise, pour 2015, entre 15 385 € et 151 965 €,
  • et une majoration de 15,75 % sur la fraction du salaire excédant, pour 2015,
    151 965 €.

Cf. tableau en annexe 

Section II : Assujettissement à la tva et à l’IS des activités subsidiaires 

  • 1 : Assujettissement des EHPAD à la TVA

La complexité de la fiscalité des EHPAD est particulièrement perceptible dans le cas de l’assujettissement à la TVA, ces établissements ont un régime complexe: selon les cas, sont applicables le taux normal, le taux réduit ou l’exonération de taxe. La problématique porte aussi sur l’exercice de leurs droits à déduction. 

La complexité réside à la fois dans la terminologie employée, – l’administration fiscale continuant à utiliser l’expression « maisons de retraite », voire de lieux de vie – et dans les situations au regard de la TVA sans compter l’hétérogénéité des financements. Dans ce foisonnement juridico-fiscal, les EHPAD suscitent intérêt et débat d’autant que leur régime diffère selon la nature de l’établissement et les modalités de son activité. 

Les établissements d’hébergement des personnes âgées sont tenus en application de l’article L. 342-2 du Code de l’action sociale et des familles de faire figurer dans le contrat de séjour la liste des services offerts à leurs clients, leur prix, ainsi que ceux dont le client entend bénéficier durant son séjour.

Lorsqu’un prix forfaitaire (prix de journée global, forfait dépendance, etc.) dont les éléments constitutifs sont décrits dans le contrat de séjour, est réclamé aux résidents, les établissements doivent ventiler en comptabilité le prix total des prestations, relevant du taux réduit et le prix de chacune des prestations relevant du taux normal incluses dans ce forfait. À défaut d’avoir procédé à cette ventilation, ils sont soumis au taux normal de la TVA sur l’ensemble des sommes réclamées à ce titre à leurs pensionnaires

Nous ne rappellerons jamais assez que ces établissements assurent à la fois des prestations relatives à l’hébergement, à l’accompagnement de la dépendance et de soins, lesquelles font chacune l’objet d’une tarification propre.

D’une part, le tarif « hébergement » recouvre l’ensemble des prestations d’administration générale, d’accueil hôtelier, de restauration, d’entretien et d’animation de la vie sociale de l’établissement qui ne sont pas liées à l’état de dépendance des personnes accueillies. Ce tarif, fixé par le président du conseil général, dans des conditions précisées par décret, est à la charge de la personne âgée accueillie

Des prestations complémentaires, librement acceptées et acquittées par les résidents, peuvent en outre être facturées par le gestionnaire, et doivent alors figurer dans le contrat de séjour du résident et être portées à la connaissance du président du conseil général.

D’autre part, le tarif afférent à la dépendance recouvre l’ensemble des prestations d’aide et de surveillance nécessaires à l’accomplissement des actes essentiels de la vie, qui ne sont pas liées aux soins que la personne âgée est susceptible de recevoir. Ces prestations correspondent aux surcoûts hôteliers directement liés à l’état de dépendance des personnes hébergées. Le tarif « dépendance » est financé par un forfait global, prenant en compte le niveau de dépendance moyen des résidents et fixé par un arrêté du président du conseil général

Enfin, le tarif « soins » « recouvre les prestations médicales et paramédicales nécessaires à la prise en charge des affections somatiques et psychiques des personnes résidant dans l’établissement ainsi que les prestations paramédicales correspondant aux soins liées à l’état de dépendance des personnes accueillies ». Les EHPAD ayant signé une convention pluriannuelle avec le président du conseil général et l’autorité compétente de l’Etat perçoivent un forfait global de soins versé par les régimes d’assurance maladie et tenant compte du niveau de dépendance moyen et des besoins en soins médico-techniques des résidents. La Cour administrative d’appel de Versailles a jugé que ces modalités complexes de calcul du forfait soins « tiennent compte du nombre de résidents accueillis dans chaque établissement et de leur niveau de dépendance, évalués selon les conditions définies aux articles R. 314-170 et R. 314-171 du code de l’action sociale et des familles, et de coefficients historiques déterminés au niveau national et actualisés chaque année sur la base des dépenses moyennes de l’ensemble des EHPAD ».

Le régime fiscal des prestations délivrées par les EHPAD s’avère disparate et dépend de la nature juridique du gestionnaire. Trois situations peuvent se présenter, selon que l’EHPAD est : 

  • public, dans ce cas, en vertu des dispositions de l’article 256 B du CGI, en tant que personne morale de droit public, il n’est pas assujetti à la dès lors que leur non assujettissement n’entraîne pas de distorsions dans les conditions de la concurrence
  • associatif, dans cette hypothèse en tant qu’organisme sans but lucratif et s’il a une gestion désintéressée et ne concurrence pas une structure du secteur lucratif, il est exonéré de TVA sur le fondement de l’article 261, 7, 1°, b du CGI ; 
  • privé à but lucratif, dès lors il est soumis à la TVA et devra acquitter la taxe sur les prestations relatives à l’hébergement et à l’accompagnement de la dépendance au taux de 5,5 %.  

En revanche, l’article 261, 4, 1° ter du CGI exonère de TVA les « soins dispensés par les établissements privés d’hébergement pour personnes âgées mentionnés au 6° du I de l’article L. 312-1 du code de l’action sociale et des familles, pris en charge par un forfait annuel global de soins en application de l’article L. 174-7 du code de la sécurité sociale ». 

Les autres prestations (blanchissage du linge personnel, soins esthétiques, droit d’usage d’installations sportives, location de téléviseur…) demeurent, quant à elles, soumises à la TVA au taux normal. Les organismes poursuivant un but lucratif sont des redevables partiels de la TVA dans la mesure où leur activité se situe dans le champ de la taxe, mais certaines des prestations qu’ils délivrent sont exonérées par détermination de la loi.

  • La TVA et les prestations de soin 

Selon l’article 261 CGI : « Les soins dispensés aux personnes par les membres des professions médicales et paramédicales réglementées » sont exclu du champ de la TVA. Cela est valable autant pour les établissements publics que pour les établissements privés à but lucratif

Il faut cependant souligner que le législateur a entendu exonérer uniquement les membres des professions réglementées par le code de la santé publique au nombre desquelles ne figure pas la profession d’ « acupuncteur » par exemple. Si la profession d’infirmier est réglementée par le code et notamment par son article L.473, un « acupuncteur » qui n’établit pas avoir donné des soins sur prescription médicale ou en application du rôle propre dévolu à l’infirmier ne peut prétendre à ce titre à l’exonération

Et cela même si ledit acupuncteur a parallèlement continué à continuer à exercer sa profession de masseur-kinésithérapeute, laquelle est une profession réglementée, la pratique de l’acupuncture ne relève pas des soins qui peuvent être dispensés dans le cadre de cette profession telle qu’elle est définie par l’article L.487 du code de la santé publique. Dès lors, l’activité d’acupuncture exercée dans les conditions susindiquées est légalement passible de la taxe sur la valeur ajoutée

Notons que pour les établissements dont le gestionnaire a entendu exercer une activité à caractère lucratif, les prestations de soin aux personnes dépendantes sont prises en charge par un forfait annuel global de soins en application de l’article L. 174-7 du code de la sécurité sociale. 

Ces forfaits soins sont alors considérés comme étant exonérés de la TVA mais elles ne sont pas à proprement dite hors champ de la taxe. Et la difficulté réside justement dans le fait que les prestations de soins sont exonérées de TVA tout en étant financées par une dotation budgétaire au titre du forfait soins. 

Dans une décision du 7 mars 2013, la CAA de Versailles a confirmé qu’il résulte des termes du 1° ter du 4. de l’article 261 du code général des impôts, éclairés par les travaux préparatoires de la loi de finances rectificative pour 1995 dont ils sont issus, que le législateur a entendu exonérer de la TVA le « forfait soins » perçu par les EHPAD afin notamment d’alléger les dépenses de la caisse nationale d’assurance maladie, laquelle supporte in fine le coût du financement des prestations de soins. 

La question n’est pas nouvelle pour les juridictions administratives qui avaient, jusqu’à présent, conclu que le forfait soins était exonéré de TVA, et non situé hors du champ de la taxe, et devait par conséquent être inclus dans le calcul de la déduction de TVA applicable. Plus nettement encore, la Cour administrative d’appel de Bordeaux a jugé, dans sa décision « SARL La Galicia » du 30 octobre 2012, que les modalités de calcul de la déduction ne contreviennent pas aux dispositions de la 6e directive repris à l’article 73 de la directive 2006/112/CE du Conseil.

Dans un arrêt du 27 mars 2014, la CJUE avait répondu à la question de savoir si, dans le cadre de EHPAD qui ne sont pas gérés par une personne publique, le « forfait soins » entre dans le champ d’application de la TVA et doit alors être pris en considération dans le cadre du calcul du prorata de déduction de TVA. 

Jusqu’au 31 décembre 2007, les redevables qui, dans le cadre de leurs activités situées dans le champ d’application de la TVA, ne réalisaient pas exclusivement des opérations ouvrant droit à déduction étaient autorisés à déduire une fraction de la TVA qui grevait les biens constituant des immobilisations utilisées pour effectuer ces activités. Cette fraction était « égale au montant de la taxe déductible obtenu (…) multiplié par le rapport existant entre : a. au numérateur, le montant total annuel du chiffre d’affaires (…) afférent aux opérations ouvrant droit à déduction (…) b. au dénominateur, le montant total annuel du chiffre d’affaires (…) afférent aux opérations figurant au numérateur ainsi qu’aux opérations qui n’ouvrent pas droit à déduction »

Ne figuraient ni au numérateur ni au dénominateur les recettes qui se trouvaient hors du champ d’application de la TVA

Depuis le 1er janvier 2008, la TVA est déductible à proportion de son coefficient de déduction, lequel est égal au produit des coefficients d’assujettissement, de taxation et d’admission. Le coefficient d’assujettissement mesure pour chaque bien et service, la proportion d’utilisation de ce bien ou service à des opérations imposables, c’est-à-dire situées dans le champ d’application de la TVA

Le coefficient de taxation mesure le pourcentage d’utilisation du bien ou service à une activité imposable à la TVA et ouvrant droit à déduction. Le coefficient de taxation est égal au rapport entre, au numérateur, le montant total annuel du chiffre d’affaires afférent aux opérations ouvrant droit à déduction, y compris les subventions directement liées au prix et, au dénominateur, le montant total annuel du chiffre d’affaire aux opérations imposables, y compris les subventions directement liées au prix

Selon l’article 2 de la sixième directive, qui définit le champ d’application de la TVA, sont soumises à la TVA les « prestations de services effectuées à titre onéreux ». Aux termes de l’article 256 du code général des impôts, sont soumises à la TVA « les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel ». Or, l’article 11, A, § 1, sous a), de la 6e directive, repris à l’article 73 de la directive 2006/112/CE et transposé en droit interne par les dispositions du a) du 1. de l’article 266 du code général des impôts précise que « la base d’imposition est constituée : / a) pour les livraisons de biens et les prestations de services […] par tout ce qui constitue la contrepartie obtenue ou à obtenir par le fournisseur ou le prestataire pour ces opérations de la part de l’acheteur, du preneur ou d’un tiers, y compris les subventions directement liées au prix de ces opérations ». La CJUE a considéré que la base d’imposition d’une prestation de services est formée par tout ce qui est reçu en contrepartie du service fourni. La formulation de l’article 11, A, § 1, sous a), de la sixième directive ne laissait guère de doute : les « subventions directement liées au prix d’une opération imposable » ne constituent qu’une situation parmi d’autres de « ce qui constitue la contrepartie ».

La question préjudicielle de la CAA de Versailles qui s’attachait seulement à savoir si le forfait soins constituait « une subvention directement liée aux prix des prestations de soins » a été, en quelque sorte, « dépassée » puisqu’il s’agit pour la Cour de vérifier plus largement que le « forfait soins » versé par la Caisse nationale d’assurance maladie aux EHPAD constitue bien la contrepartie des prestations de soins effectuées à titre onéreux par un EHPAD au profit de ses résidents et relève, à ce titre, du champ d’application de la TVA. A cet égard, la Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle une prestation de services n’est effectuée « à titre onéreux » que s’il existe entre le prestataire et le bénéficiaire un rapport juridique au cours duquel des prestations réciproques sont échangées, la rétribution perçue par le prestataire constituant la contre-valeur effective du service fourni au bénéficiaire. En l’espèce, malgré l’originalité du « forfait soins », la CJUE a confirmé un lien direct entre le service rendu et la contrepartie

En premier lieu, le montant du « forfait soins » perçu par l’EHPAD ne coïncide pas nécessairement avec le coût effectif des soins. Il est certes calculé selon le nombre de résidents accueillis dans chaque établissement et leur niveau de dépendance mais rien ne garantit qu’il corresponde aux prix des prestations délivrées aux résidents. Peut-on alors considérer le « forfait soins » comme la « contre-valeur effective » des prestations de soins délivrées en EHPAD ? 

Comme l’a rappelé un auteur, « la CJUE a maintes fois affirmé que l’assiette de la TVA était constituée par la contrepartie réellement reçue ». En l’espèce, la CJUE indique simplement que « les EHPAD sont tenus de fournir, en contrepartie du paiement dudit forfait, effectivement des prestations de services à leurs résidents ». Le « forfait soins », nous y reviendrons, ouvre un droit à prestations.

En deuxième lieu, une des spécificités du rapport juridique entre l’EHPAD et le résident découle du fait que ce dernier est le bénéficiaire direct des prestations de soins mais ne les paye pas puisque, pour lui, la prestation est gratuite étant financée par la CNAM via le versement du « forfait soins ». 

La Cour a déjà eu l’occasion de préciser que l’article 11, A, § 1, sous a), de la sixième directive vise notamment des situations où trois parties sont en cause, à savoir l’organisme public qui accorde la subvention, l’opérateur économique qui en bénéficie et le preneur du service respectivement fourni par l’opérateur subventionné. Ainsi, dans son arrêt du 13 juin 2002 Keeping Newcastle Warm, la Cour a jugé que la somme versée par une agence publique de l’environnement à un opérateur économique, en rapport avec un service de conseil en énergie fourni par ce dernier à certaines catégories d’occupants de logements, est reçue par l’opérateur économique « en contrepartie » du service qu’il fournit à certaines catégories de bénéficiaires. Une telle somme fait partie de la contrepartie d’une prestation de services et est incluse dans la base d’imposition de cette opération au titre de la TVA. De même, des paiements effectués par le gestionnaire d’un programme de fidélisation à des fournisseurs qui livrent des cadeaux de fidélité aux clients doivent être considérés comme la contrepartie, versée par un tiers, d’une livraison de biens à ces clients ou, le cas échéant, d’une prestation de services fournie à ceux-ci

Dans le prolongement de sa jurisprudence, la Cour a admis que pour qu’une prestation de services puisse être considérée comme effectuée à titre onéreux, « il n’est pas nécessaire que la contrepartie de cette prestation soit obtenue directement de la part du destinataire de celle-ci, (….) la contrepartie peut également être obtenue d’un tiers ». Elle admet l’existence d’un lien direct entre la prestation de services de soins effectuée et la contrepartie reçue, c’est-à-dire le « forfait soins » quand bien même cette contrepartie ne serait pas versée par le résident, bénéficiaire de la prestation.

En troisième lieu, la couverture de l’ensemble des prestations de soins par une enveloppe globale est considérée par la SARL « Le Rayon d’Or » comme altérant le lien entre la prestation et son financement. Ainsi, la SARL conteste l’existence d’un lien direct entre la prestation de services effectuée et la contrepartie reçue en s’appuyant sur le fait que les prestations ne sont ni définies à l’avance ni individualisées et que leur prix n’est pas porté à la connaissance des résidents. C’est la formule même du forfait que la SARL cherche ici à exclure du champ d’application de la TVA.

Dans le cas des EHPAD, la prestation de services consiste à offrir à chaque résident la possibilité de bénéficier de soins le moment venu, le résident a un droit d’accès aux soins. Fidèle à sa jurisprudence, la CJUE en déduit l’existence d’un lien direct entre la prestation de soins et la contrepartie obtenue, quand bien même le paiement se rapporte à des prestations qui ne sont ni définies à l’avance ni individualisées. De même, la Cour estime que le fait que la rémunération soit versée sous la forme d’un forfait n’est pas de nature à affecter le lien direct existant entre la prestation de services effectuée et la contrepartie reçue, dont le montant est déterminé à l’avance et selon des critères bien établis.

Ayant considéré chacune des originalités du « forfait soins », la Cour en conclut que l’article 11, A, § 1, sous a), de la sixième directive ainsi que l’article 73 de la directive TVA doivent être interprétés en ce sens qu’un tel versement forfaitaire constitue la contrepartie des prestations de soins effectuées à titre onéreux par un EHPAD au profit de ses résidents et relève, à ce titre, du champ d’application de la TVA. Une telle interprétation implique que le « forfait soins » doit figurer au dénominateur du prorata ou coefficient de taxation et venir ainsi diminuer l’étendue du droit à déduction d’un EHPAD.

Au-delà des conséquences propres à l’espèce, la décision de la CJUE aura le mérite de trancher une question prégnante puisque la saisine de la CJUE est intervenue « alors qu’un pourvoi en cassation a été formé en décembre 2012 contre l’arrêt SARL La Galicia précité de la cour administrative d’appel de Bordeaux et que plusieurs centaines d’affaires sont pendantes devant les tribunaux administratifs ».

La clarification opérée par la CJUE est la bienvenue dans la mesure où l’affaire SARL « Le Rayon d’Or » se situe au carrefour d’une triple complexité : celle du régime fiscal des EHPAD, celle du droit à déduction de la TVA et celle de la tarification.

  • La TVA et les activités subsidiaires 

Si les articles 256 et 256 A du CGI assujettissent à la taxe à la valeur ajoutée toutes les personnes qui, à titre habituel ou occasionnel et quel que soit leur statut juridique, fournissent à autrui des prestations de services à titre onéreux, l’article 256 B du même code, issu de la loi du 29 décembre 1978, d’ailleurs intervenue pour l’adaptation de la législation française à la directive des Communautés européennes du 17 mai 1977, laquelle est sur ce point rédigée en termes identiques, exonère de ladite taxe les « personnes morales de droit public… pour les activités de leurs services administratifs… lorsque leur non-assujettissement n’entraîne pas de distorsions dans les conditions de concurrence. ». 

Cependant, l’article précise également que ces personnes sont assujetties, en tout état de cause, pour les opérations telles que des prestations de services portuaires et aéroportuaires. La question qui se pose alors est est-il possible de considérer que la location d’emplacement de voiture est une activité qui s’apparente à la fourniture de port au sens de l’article 256 B du CGI ?

La jurisprudence semble le considérer comme tel. En effet, dans un arrêt du Conseil d’Etat de 2014, « la location d’emplacements destinés au stationnement des véhicules est une activité à raison de laquelle les autorités publiques peuvent être assujetties à la TVA lorsqu’elle est accomplie hors du cadre du régime juridique propre aux organismes de droit public comportant, notamment, l’usage de prérogatives de puissance publique telles que celle consistant à autoriser ou à limiter le stationnement sur une voie ouverte à la circulation publique, à sanctionner par une amende le dépassement du temps de stationnement autorisé ou encore à rendre obligatoire le stationnement sur les emplacements payants. ». 

Pour ce qui est de l’application de cette dérogation au régime commun qui met les établissements publics ors du champ de la TVA ; elle s’enclenche du seul fait de la mise en œuvre par la collectivité publique, de ses pouvoirs généraux de police pour la réglementation du stationnement sur d’autres parties du territoire de la commune que les espaces de stationnement payant, y compris lorsque le stationnement sur ces derniers trouve son origine directe dans les mesures ainsi édictées, ne peut conduire à regarder l’activité de location de tels emplacements comme exercée dans le cadre du régime juridique propre aux organismes de droit public. 

Pour finir donc « est soumise à la TVA l’exploitation par une commune de parkings situés en dehors de la voie publique, spécialement aménagés pour le stationnement des véhicules et dans lesquels l’usage de chaque emplacement n’est pas limité dans le temps et ne donne pas lieu à amende en cas de non-respect des conditions d’usage, alors même que le stationnement sur les parkings payants trouve son origine directe dans les mesures de police édictées sur le reste du territoire de la commune ». 

Cet arrêt est assez semblable à celle du Conseil d’Etat en 1989 qui prévoyait pratiquement la même solution mais pour les embarcations qui naviguaient sur la seine. Cet arrêt prévoyait qu’en accordant une autorisation de faire stationner à demeure sur la Seine une péniche à usage de logement, le Port autonome de Paris a agi dans l’exercice des pouvoirs de gestion du domaine public de l’Etat qui lui ont été conférés par l’article 3 de la loi du 24 octobre 1968, c’est-à-dire dans le cadre d’une activité de service public administratif, dont le non-assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée n’entraîne pas de distorsions dans les conditions de concurrence. 

Si cette autorisation permettait au bénéficiaire d’utiliser des organes d’amarrage et une passerelle d’accès appartenant au port autonome, celui-ci ne saurait eu égard au caractère sommaire de ces installations, être regardé de ce fait comme fournissant au permissionnaire des « prestations de services portuaires » au sens du texte précité. 

Le raisonnement doit donc être fait à contrario : si le Port autonome de Paris avait, comme la commune précité plus haut, effectué les aménagements nécessaires pour faciliter l’utilisation de ses infrastructures, il aurait été considéré comme état entré dans le jeu de la concurrence normal et n’aurait donc pu espérer échapper à la TVA. 

  • 2 : Assujettissement à l’IS et les EHPAD 

Les établissements publics dont font partie les EHPAD sont, au même titre que les sociétés commerciales, soumis à l’impôt sur les sociétés. Elles entrent dans le champ de l’impôt sur la société mais sont exonérés de l’IS en vertu de l’article 206, 5 du CGI. Les établissements publics tels que les EHPAD sont donc exonéré de l’IS à raison de leurs revenus patrimoniaux

Cependant, ces établissements ne sont que partiellement exonérés de l’IS puisque les activités à caractères lucratifs restent assujettis « dans les conditions de droit commun, à raison des bénéfices provenant de cette exploitation, y compris, le cas échéant, les revenus fonciers et mobiliers et les bénéfices agricoles s’y rattachant ». Le but étant toujours de ne pas opérer une distorsion de la concurrence avec les autres sociétés soumises aux taxes commerciales. 

Toutes les activités des établissements publics de santé ne sont pas assujetties à l’IS, seulement les activités lucratives, mais comment déterminer quelle est l’activité lucrative et laquelle ne l’est pas ? 

Pendant un temps, la jurisprudence avait tenté d’assimiler la détermination du caractère lucratif ou non d’une activité de l’établissement public à celle des associations. En effet, selon la jurisprudence en la matière, une personne morale est exonérée de l’IS sauf si l’Administration établit que sa gestion est intéressée; ou, si sa gestion est désintéressée, que l’organisme concurrence le secteur commercial et qu’il exerce son activité selon des modalités de gestion similaires à celles des entreprises commerciales. Pour apprécier si l’organisme exerce son activité dans des conditions similaires à celles d’une entreprise commerciale, il convient de se référer à quatre critères classés par ordre d’importance décroissante, qui sont : le « Produit » proposé par l’organisme, le « Public » visé, les « Prix » qu’il pratique et la « Publicité » qu’il réalise (règle des « 4 P »). 

Aujourd’hui, le Conseil d’Etat s’est clairement prononcé contre la transposition de la jurisprudence applicable aux associations aux établissements publics en rejetant le caractère désintéressé de la gestion au profit des critères relatif à l’objet du service rendu et celui relatif aux conditions particulières de gestion. 

Pour déterminé le caractère lucratif ou non de l’activité d’un établissement public donc, il faut déterminer si « le service rendu par la collectivité publique est différent par son objet de celui que proposent des entreprises privées ».  Et si ce critère n’est pas suffisamment concluant, il faut déterminer si « des conditions particulières d’exploitation telles que la gratuité du service ou le financement de son coût par l’impôt ou des subventions, révèle la poursuite d’un objectif autre que lucratif »

Mais comment déterminer alors si l’objet poursuivit est effectivement autre que lucratif ? Il faut étudier si l’établissement public exerce ses activités, en faisant certes concurrences aux sociétés commerciales et industrielles certes mais dans des conditions différentes : « soit en répondant à certains besoins insuffisamment satisfaits par le marché, soit en s’adressant à un public qui ne peut normalement accéder aux services offerts par les entreprises commerciales, notamment en pratiquant des prix inférieurs à ceux du secteur concurrentiel et, à tout le moins, des tarifs modulés en fonction de la situation des bénéficiaires, sous réserve de ne pas recourir à des méthodes commerciales excédant les besoins de l’information du public sur les services qu’elle offre. ». Dans ce cas donc, l’établissement public n’est pas soumis à l’IS.

L’administration fiscale a aussi apporté quelques précisions s’agissant des activités pouvant être assujetties à l’IS : c’est notamment le cas quand les établissements publics « vendent à Électricité de France leur production excédentaire, les hôpitaux publics équipés d’installations de cogénération se livrant à des opérations détachables de leur activité principale d’établissements de soins. Ces opérations de nature industrielle ou commerciale sont imposables, dans les conditions de droit commun, à l’impôt sur les sociétés, à la taxe sur la valeur ajoutée et à la cotisation foncière des entreprises, quelle que soit l’affectation finalement donnée aux profits ainsi réalisés »

Section III : Travaux et constructions : Loi Dalo, PLS, Fctva, BEH 

  • 1 : Le Fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA) et les EHPAD

  • Des Fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée 

Créé dans les années 1970 pour soutenir l’investissement des collectivités locales et réduire leur charge fiscale, le Fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA) représente aujourd’hui la première dotation de l’État en faveur de l’investissement des collectivités. Souvent modifié au gré des lois de finances et parfois remis en cause, le Fonds ne semble pas avoir atteint son développement complet. Cette hypothèse est confirmée lorsque l’on s’intéresse à la nature et aux règles d’attribution et de reversement du FCTVA. 

 Le FCTVA permet aux collectivités territoriales, à leurs groupements, à leurs régies et à certains établissements publics d’obtenir une recette de la part de l’État en fonction du montant de TVA (taxe sur la valeur ajoutée) resté à leur charge à l’occasion de certaines dépenses d’investissement. Prévu par l’article 17 de la loi du 29 juillet 1975 et créé par l’article 13 de la loi du 13 septembre 1975, l’instrument a été nommé « Fonds d’équipement des collectivités locales (FECL) » avant que l’article 66 de la loi de finances pour 1978 lui donne sa dénomination actuelle. 

Depuis la généralisation de la TVA à la fin des années 1960, de nombreux élus locaux se plaignaient de la charge que représentait celle-ci dans les budgets locaux. En effet, les collectivités ne facturent pas toujours leurs prestations aux usagers. Le cas échéant, la facturation aux usagers ne couvre pas nécessairement l’intégralité du coût de la prestation. En outre, les services publics administratifs, sociaux, éducatifs, culturels ou sportifs des collectivités ne sont pas assujettis à la TVA.

 Bien souvent, une collectivité ne peut donc pas répercuter sur ses usagers le montant total de la TVA versé auprès de ses propres prestataires de travaux, de fournitures ou de services. En conséquence, les élus locaux considéraient que l’État récupérait d’une main une partie des subventions données de l’autre main aux collectivités. Les élus y voyaient même une sorte d’injustice dès lors que les collectivités agissent dans l’intérêt général et supportent déjà certaines charges à ce titre. 

Le régime du FCTVA figure aujourd’hui aux articles L. 1615-1 et suivants et R. 1615-1 et suivants du code général des collectivités territoriales (CGCT). L’analyse approfondie de l’instrument conduit à douter de sa maturité. Outre l’examen de la jurisprudence des juridictions administratives et des conclusions des commissaires du gouvernement (devenus rapporteurs publics) sur le sujet, la présente étude a été rédigée à la suite d’une enquête de terrain effectuée auprès de plusieurs représentants des collectivités territoriales, des préfectures et de la direction générale des collectivités locales du ministère de l’intérieur. 

Il apparaît que le FCTVA est un instrument apprécié des collectivités locales. Il leur permet d’augmenter sensiblement le volume de leurs recettes et de disposer librement de ce volume supplémentaire. Le Fonds contribue ainsi à l’effectivité du principe de libre administration des collectivités territoriales consacré par l’article 72 de la Constitution. La loi de finances pour 2015 a prévu une enveloppe de 5,961 milliards d’euros au titre du FCTVA. Ce chiffre est relativement important si on le compare aux 53,45 milliards d’euros de l’enveloppe globale des concours financiers de l’État prévus par la même loi de finances. Le Fonds a d’ailleurs représenté un peu plus du quart des recettes réelles d’investissement des collectivités locales en 2013. Ces données ne doivent toutefois pas masquer les faiblesses de l’instrument. 

Toute dépense d’une collectivité locale grevée de TVA n’est pas éligible au FCTVA. Avant de se tourner vers le Fonds, la collectivité doit chercher à déduire la taxe versée à ses prestataires de travaux, de fournitures ou de services. Ainsi, dans le cadre de ses activités assujetties à la TVA, la collectivité facture la taxe à ses usagers et déduit de ses déclarations fiscales le montant de la TVA versée à ses prestataires. 

Et lorsque la gestion de l’activité est déléguée à un tiers, la collectivité peut généralement lui transférer son droit à déduction de la TVA. En revanche, dans le cadre d’une activité non assujettie ou lorsque la dépense est exclue du droit à déduction, la collectivité peut demander l’attribution d’une dotation du FCTVA. Mais l’attribution n’est pas automatique. 

Les dépenses d’une collectivité locale doivent remplir trois critères pour être éligibles au FCTVA. Il y a bien évidemment le critère fiscal : la dépense doit avoir été grevée de TVA, mais effectuée dans le cadre d’une activité non assujettie ou exclue du droit à déduction. La dépense doit également remplir un critère matériel : avoir pour objet un investissement dans un bien mobilier ou immobilier. Il existe, enfin, un critère patrimonial : la collectivité doit être propriétaire du bien, qui ne doit pas être vendu ou mis à disposition d’un tiers (v. CGCT, art. L. 1615-1 et L. 1615-7).

  • Le FCTVA et les EHPAD 

Pour ce qui est de l’octroi du FCTVA aux EHPAD publics, conformément à l’article Art. L. 1615-2, plusieurs conditions cumulatives doivent donc être remplies pour qu’une dépense d’investissement puisse ouvrir droit à une attribution du fonds. La première est relative à la nature de la personne réalisant la dépense qui doit être un bénéficiaire du fonds, qui sont définis par l’article précité. Les EHPAD peuvent entrer dans la catégorie des régies. 

La seconde condition impose que le bénéficiaire soit propriétaire de l’équipement pour lequel cette dépense a été engagée. Pour être éligibles au FCTVA les dépenses réelles d’investissement doivent, en effet, être réalisées en vue de l’intégration de l’équipement dans le patrimoine des collectivités publiques ou avoir comme effet d’augmenter la durée d’utilisation des équipements existants. Il peut indifféremment s’agir de dépenses patrimoniales réalisées par ou pour la collectivité.

Autre condition indispensable, la dépense réelle d’investissement doit avoir été grevée de TVA. Il s’agit des dépenses réelles d’investissement comptabilisées à la section d’investissement du compte administratif principal et de chacun des comptes administratifs à comptabilité distincte des collectivités ou établissements mentionnés à l’article L. 1615-2 du code général des collectivités territoriales. 

A cet égard, sont assimilées aux dépenses d’équipement, les grosses réparations qui ont pour objet la remise en état, la réfection, le remplacement de l’équipement, et qui accroissent la valeur du bien sur lequel elles sont exécutées ou en augmentent sa durée de vie. En revanche, ne sont pas éligibles les simples dépenses de fonctionnement, destinées à maintenir en état d’usage les biens.

Par ailleurs, pour bénéficier du remboursement de TVA, la dépense ne doit pas être exposée pour les besoins d’une activité assujettie même partiellement à la TVA. Il s’agit des dépenses qui ne se rattachent pas aux opérations soumises à TVA sur option (art. 260 A du code général des impôts) ou par détermination de la loi ou en raison de leur nature concurrentielle (art. 256 B du code général des impôts). 

Enfin, la dépense ne doit pas, théoriquement, être relative à un bien cédé ou mis à disposition d’un tiers non bénéficiaire du fonds. C’est à propos de cette dernière condition que l’actualité législative récente vient d’apporter une modification importante, clarifiant par la même occasion les conditions d’éligibilité des équipements confiés à des délégataires de service public. De même, par deux arrêts récents de 2005, le Conseil d’Etat reconnaît implicitement l’éligibilité au FCTVA des équipements réalisés en vertu de contrats publics complexes.

  • 2 : La loi DALO, les BEH et les EHPAD

  1. La loi DALO

Face à la persistance de la crise urbaine et sociale, les pouvoirs publics des années 2000 auront largement remanié le droit et les politiques du logement social. L’institution du droit au logement opposable, par la loi dite « DALO » du 5 mars 2007, constitue dans ce contexte une innovation majeure. 

Simple droit de créance de la troisième génération des droits fondamentaux, le droit au logement est dorénavant constitué par un dispositif administratif encadré par le juge. Au vu des récents aménagements tant règlementaires que législatifs (la loi MOLLE), et au su des premiers recours gracieux et contentieux, il convient de dresser un premier bilan de la mise en œuvre du DALO.

L’article 278 sexies, I, 8 du CGI soumet au taux réduit les ventes et apports de locaux aux établissements mentionnés aux 6° et 7° du I de l’article L. 312-1 du Code de l’action sociale et des familles, agissant sans but lucratif et dont la gestion est désintéressée, lorsqu’ils hébergent à titre permanent ou temporaire des personnes handicapées, ou des personnes âgées remplissant les critères d’éligibilité au prêt prévu à l’article R. 331-1 du Code de la construction et de l’habitation, et que ces locaux font l’objet d’une convention entre le propriétaire ou le gestionnaire des locaux et le représentant de l’État dans le département. 

 L’article 45 De La Loi N° 2007-290 Du 5 Mars 2007 instituant le droit au logement opposable (loi DALO) a introduit un dispositif permettant l’application du taux réduit de TVA aux livraisons et livraisons à soi-même, de locaux à certains établissements, réalisées dans le cadre de la politique sociale. 

Ces dispositions sont codifiées au 8° du I et au II de l’article 278 sexies du CGI qui dispose que, sous certaines conditions, la TVA est perçue au taux réduit de 7 % en ce qui concerne les livraisons et les livraisons à soi-même de locaux aux établissements mentionnés aux 6° et 7° du I de l’article L. 312-1 du code de l’action sociale et des familles (CASF). 

Les EHPAD entrent dans la catégorie des établissements qui accueillent des personnes âgées visés au 6° du I de l’article L. 312-1 du CASF. Les livraisons de locaux à ce type d’établissement peuvent donc aussi bénéficier du taux réduit de 7 % de la TVA sur le fondement du 8° du I de l’CGI sous réserve que l’ensemble des conditions posées par cet article soient respectées. La mesure introduite en 2007 ne visait pas à durcir les conditions d’application du taux réduit de la TVA pour les établissements bénéficiant déjà d’un régime de faveur avant son introduction. 

Les opérations entrant dans le champ d’application à la fois du 2° et du 8° du I de l’article 278 sexies du CGI peuvent indifféremment être placées sous l’un ou l’autre de ces régimes dès lors que les conditions propres à ce régime sont remplies.

À l’occasion d’une mise à jour de la base BOFIP-Impôts du 15 juillet 2014, l’Administration a accordé la possibilité pour les établissements d’hébergement de personnes âgées dépendantes (EHPAD) de se placer indifféremment sous le régime des livraisons de logements sociaux neufs à usage locatif bénéficiant d’une décision favorable du ministre chargé de la construction et de l’habitation, ou sous le régime des livraisons de locaux aux établissements accueillant des personnes âgées ou des personnes adultes handicapées.

  1. Les BEH 

Le bail emphytéotique hospitalier, par abréviation BEH, est régi par les dispositions générales du code général des collectivités territoriales et par celles particulières du code de la santé publique (art. L. 6148-1 à L. 6148-4). Ces dispositions ont été insérées par l’ordonnance no 2003-850 du 4 septembre 2003 portant simplification de l’organisation et du fonctionnement du système de santé ainsi que des procédures de création d’établissements ou de services sociaux ou médicaux-sociaux soumis à autorisation. 

Cette ordonnance, prise sur le fondement de la loi d’habilitation du 2 juillet 2003, crée un nouveau type de bail emphytéotique administratif adapté à la matière sanitaire et justifié par la nécessité de moderniser le parc immobilier des hôpitaux. Antérieurement, les établissements hospitaliers pouvaient recourir au bail emphytéotique dont le régime a seulement été assouplit. Le bail emphytéotique du code rural était ainsi utilisé depuis longtemps sur le domaine privé hospitalier pour la construction de résidences hôtelières, de logements de fonction ou de locaux dédiés à la recherche. De même, le Conseil d’État avait reconnu la possibilité pour les établissements publics de santé de conclure des baux emphytéotiques administratifs sur leur domaine public.

Le BEH permet l’accomplissement, pour le compte de l’établissement public ou de la structure de coopération, d’une mission concourant à l’exercice du service public hospitalier ou d’une opération d’intérêt général relevant de sa compétence.

Le BEH permet l’édification d’un ouvrage sans en déléguer l’exploitation ou la construction et l’exploitation d’un ouvrage adossé à une délégation de service public. Cependant, il n’est jamais possible de transférer l’exécution du service public hospitalier mais seulement des services périphériques (hébergement non médicalisé, crèches, blanchisseries…).

 

Chapitre II : la concurrence en matière de santé publique

« La concurrence est l’organisation de mécanismes d’offre et de demande de biens ou de services permettant d’obtenir une répartition des ressources disponibles ayant de « bonnes » propriétés. C’est la définition par l’État d’un espace et de règles juridiques visant à assurer le bon fonctionnement des marchés. L’allocation par les marchés prévaut aujourd’hui pour la plupart des biens et services et dans presque tous les pays. Les économies « libérales » sont fondées sur les « lois du marché » et abolissent même les frontières politiques pour organiser, avec cependant beaucoup de difficultés dans certains domaines, des marchés mondiaux. 

Pour des services qui découlent de ce qu’on appelle des monopoles naturels (avec infrastructure unique, comme les voies ferrées, les réseaux électriques), l’organisation retenue naguère était celle du monopole d’État (un monopole s’efforçant cependant de simuler une concurrence loyale). Aujourd’hui ces secteurs sont rendus à la concurrence, une concurrence administrée étroitement par diverses agences de régulation sectorielles. La concurrence s’étend donc à la fois spatialement (mondialisation) et sectoriellement »

Le droit appréhende parfois la nature de certaines activités sous l’angle de leur rapport à l’argent. La distinction entre les activités de plus grand service et de plus grand profit fonde la notion de service public, et les activités économiques de services ont été réparties en activités commerciales et non commerciales : ces dernières fournissent pourtant des prestations contre un prix mais elles seraient dépourvues de l’esprit de spéculation habituel. La profession exercée sous forme non commerciale traduirait ainsi une moralité exorbitante du comportement commun, la recherche du profit cédant à une mission plus noble et plus collective.

C’est le cas de la médecine que le code de déontologie présente comme une « mission », le médecin étant « au service de l’individu et de la santé publique » et respectant les « principes de moralité, de probité et de dévouement ». Aucune publicité n’est permise, et les prix sont fixés avec tact et mesure.

Le Conseil de la concurrence a donc pu surprendre en 1991 lorsqu’il a décidé que les chirurgiens libéraux agissaient sur un marché des soins et constituaient des entreprises au sens de l’ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence

La Cour de Paris a rejeté l’appel car si « l’activité professionnelle de soins médicaux est spécifique …, le choix du patient est dicté par des considérations personnelles où l’aspect financier n’est sans doute pas prioritaire …, et il n’est pas possible d’écarter cette activité du champ d’application du droit de la concurrence dont les textes ne commandent pas de distinction selon la nature ou l’objet des différentes activités de services »

Les établissements publics de santé semblaient néanmoins échapper grandement à ces dispositions en dépit de quelques mises en cause sporadiques devant le Conseil de la concurrence pour ententes avec des fournisseurs de transports sanitaires ou des entreprises de pompes funèbres. 

De fait, l’éventuelle mise en cause de certaines mesures en faveur des hôpitaux publics, ou la possibilité d’une régulation des relations entre les établissements publics et privés de santé par le droit de la concurrence, étaient occultées : la qualification de « service public administratif » des premiers, leur classement par la doctrine dans la catégorie des services publics à vocation sanitaire et sociale – plutôt que dans celle des services publics économiques – ne les éloignaient-ils pas du code de commerce et de ses règles de la concurrence entre entreprises?

On peut néanmoins s’interroger sur la justesse de cette analyse qui, bien que s’estompant, conduit à sous-estimer les conséquences de la convergence entre établissements publics et privés de santé, organisée par le plan Hôpital 2007. Il s’avère en effet, que l’hôpital public entre progressivement dans le champ du droit économique et de la concurrence et que les risques de sanctions de la violation de l’égalité et de la concurrence par les hôpitaux ou par les autorités publiques prenant des décisions les concernant, sont croissants. 

Section I : Fondement et champ d’application de la concurrence : Exemples concrets

La médecine publique a longtemps été assimilée au service public de l’Education nationale puisqu’elle assurait le droit à la santé en étant financée par les fonds publics plutôt que directement par le patient et à son juste prix. Mais cette conception a été récusée par les juges et par les réformes successives qui ont fait évoluer l’hôpital vers le caractère de service public économique, et qui ont dessiné les conditions d’application du droit de la concurrence aux hôpitaux.

  • 1 : Les fondements  de l’application de la concurrence

La première raison qui a justifié l’application du droit de la concurrence aux EPAHD est l’introduction de l’économie du marché dans l’analyse du service public. La discussion sur la portée à donner aujourd’hui à l’application des règles de concurrence aux établissements ou à participation publique est apparue au moment précis où les grandes entreprises de réseaux publics, naguère monopoles historiques interviennent dans des activités devenues des marchés contestables. 

  1. Service public, établissement public et droit de la concurrence

Le droit de la concurrence n’est ni une branche du droit privé, ni du droit public, mais avant tout un droit économique, s’appliquant uniquement aux entreprises. La notion d’entreprise se définit, selon la jurisprudence communautaire, comme toute entité juridique exerçant une activité économique ou, dans la sémantique du droit interne, exerçant une activité de production, de distribution ou de service.

Mais quand l’entreprise assure des prestations de service public, les choses se compliquent. La rencontre de l’économie de marché et du service public est marquée du sceau de la contrainte et de l’épreuve, il n’empêche qu’aujourd’hui, il est désormais admis que l’économie de marché et les règles de droit qui en assurent le bon fonctionnement amarrent le service public à un contexte concurrentiel mais n’en signifient pas la disparition. Aujourd’hui, le régime des services publics, en particulier leur statut de monopole ou l’octroi de privilèges d’exclusivité, a été particulièrement affaibli par l’introduction du droit de la concurrence dans l’analyse du service public. 

  1. Service public

Le service public continue de viser en droit toute « activité assurée ou assumée par une personne publique en vue d’un intérêt public », les autres considérations étant indifférentes. Une activité devient un service public « lorsque les pouvoirs publics décident de l’assumer pour donner satisfaction à un besoin dont ils estiment qu’il serait, sans cette prise en main, insatisfait ou insuffisamment satisfait ». L’intérêt de l’étude de cette notion de service public réside justement dans le fait que pour les établissements de santé public, leur activité est considérée comme un service public. Mais également et surtout parce que le critère de définition dudit service a une influence directe sur l’applicabilité ou non des règles de concurrence sur tel ou tel établissement. 

  1. L’intérêt général au cœur du service public

L’identification du service public révèle une certaine conception des rapports de l’Etat et du marché. Pour Duguit, l’acte de volonté du législateur ne peut suffire à créer le service public, qui existe de manière apriorique. Hauriou se défiait également de la définition du service public par l’intention subjective des personnes publiques et opposait, « dans la nature même des entreprises, des obstacles, des résistances, des limites objectives » à sa qualification

La logique économique prend une direction semblable lorsqu’elle tente de faire la distinction entre les services qui relèvent de l’offre collective et ceux qui doivent être laissés à la régulation marchande. A cet égard, le droit du marché, s’il appelle également une telle démarche, ne la consacre pas de façon catégorique. La pénétration de la logique économique s’accompagne de la permanence d’une identification subjective des besoins d’intérêt général, qui s’explique par la faible contrainte qu’exerce le droit du marché sur les compétences de la puissance publique dans son pouvoir créateur du service public. 

  1. L’identification objective des besoins d’intérêt général et l’incidence sur le droit de la concurrence

Des arrêts du Conseil d’Etat évoquent l’existence de services publics qui doivent être considérés hors du domaine marchand en raison de leur nature et faire l’objet d’une prise en charge exclusive par les personnes publiques. Le juge administratif a notamment considéré, au sujet de la mission d’appui à la réalisation des contrats de partenariat, qu’aucune des attributions qui lui sont confiées « n’emporte intervention sur un marché ».

En l’espèce, l’utilisation d’une démarche objective de qualification ne conduit pas à restreindre le champ d’intervention des collectivités publiques, comme on aurait pu s’y attendre, mais au contraire à « sanctuariser certaines activités de service public » par rapport aux règles de concurrence. 

Ce résultat est d’autant plus paradoxal que la thèse du service public par nature s’enracine dans l’idée qu’il existe des besoins d’ordre public dont la satisfaction ne peut être réalisée par l’initiative privée. D’inspiration libérale, la théorie du service public par nature visait à cantonner les interventions des collectivités publiques dans un périmètre restreint, et pour cette raison même, seul légitime. Si elle empruntait une démarche objective de qualification supposant une distinction marquée entre le domaine du fait politique et la sphère des richesses, la théorie du service public par nature, réactualisée de manière opportune, implique désormais et contre toute attente une caractérisation de l’intérêt général étrangère à la réalité économique des besoins concernés.

L’arrêt du Conseil d’Etat relatif à la mission d’appui à la réalisation des contrats de partenariat a d’ailleurs été critiqué à la lumière de l’analyse économique. Celle-ci indique que « l’activité de conseil, quand elle est prodiguée par une entité publique, ne peut pour cette seule raison être considérée comme une activité hors commerce ». La qualification d’activité économique repose en effet sur un critère matériel tel que « toute activité consistant à offrir des biens ou des services sur un marché donné » doit être regardée comme une activité d’entreprise. Le statut de l’entité qui en constitue le support n’exerce aucune influence sur la qualification. En droit communautaire, l’existence d’une contrepartie sous forme monétaire entraîne aussi de l’applicabilité des règles relatives à la libre prestation de services.

Dans ces conditions, force est d’admettre la portée exclusivement justificatrice de la référence au service public par nature, dès lors qu’elle ne correspond pas à la réalité économique du service en cause et conduit à éliminer toute régulation de cette activité par le marché. Cette espèce confirme que « s’il existe des services publics par nature, aucun service n’échappe par sa nature à l’intervention de la puissance publique

  1. L’identification subjective de l’intérêt général

La catégorie des biens publics purs connaît une traduction immédiate en droit de l’Union travers le régime des activités non-économiques assumées par les autorités publiques. Selon la Cour de justice, celles-ci « ont lieu dans l’intérêt public et sont dépourvues de caractère commercial ». Toutefois, le juge ne s’attache pas à la nature intrinsèque de ces biens et services pour les caractériser au regard des règles de concurrence et de libre circulation.

L’enseignement scolaire constitue un cas de figure tout à fait emblématique à ce point de vue. Sa gratuité et son caractère obligatoire ne résultent pas tant de sa nature même que d’un acte volontaire et contraignant de l’Etat. Ainsi, dans une décision Humbel, la Cour considère qu’en établissant et en maintenant le système d’éducation nationale, « l’Etat n’entend pas s’engager dans des activités rémunérées, mais accomplit sa mission dans les domaines social, culturel et éducatif envers sa population ». 

L’arrêt retient que « le système en cause est, en règle générale, financé par le budget public et non par les élèves ou leurs parents ». L’éducation nationale, qui ne s’analyse pas en une prestation fournie contre rémunération, et n’est donc pas un « service » au sens du traité, échappe par conséquent au droit du marché en raison de sa vocation à satisfaire un besoin collectif, visant la population de l’Etat dans son ensemble. 

Pourtant, dans cette espèce, la Cour extrapole la nature non-marchande de l’enseignement scolaire de son régime plus qu’elle ne la déduit de sa nature même, à savoir de la propriété économique de non-exclusion.

S’agissant ensuite des services d’intérêt économique général au sens de l’article 86 § 2 du traité, la variété de ces missions implique qu’elles soient identifiées sur la base du statut juridique que les règles du droit national imposent à l’entreprise qui en est chargée. 

  1. Chérot a montré la prégnance, au fil de la jurisprudence communautaire, d’une telle méthode qu’il qualifie lui-même de subjective par opposition à une définition objective des activités en cause, tirée précisément de la nature économique de la mission de service litigieuse. De fait, lorsqu’il applique ce dernier critère, le juge ne retient pas la mission d’intérêt économique général. Il nie cette qualité dès lors que l’activité en question ne revêt pas « un intérêt économique général qui présente des caractères spécifiques par rapport à celui que revêtent d’autres activités de la vie économique ».

A l’inverse, la reconnaissance d’un intérêt économique général sur la base du critère subjectif conduit à admettre l’applicabilité de l’article 86 § 2 du traité à un nombre important d’activités qui sont de la sorte réputées partiellement voire totalement non-excludables, c’est-à-dire dont le financement doit être assuré en partie ou en totalité par une prise en charge collective. 

Tel est le cas, au premier chef, des biens de club liés à un réseau de distribution. Dans son arrêt Corbeau, la Cour considère que l’octroi d’un droit exclusif peut être une modalité nécessaire pour réaliser l’intérêt économique général tenant à la distribution du courrier sur l’ensemble du territoire d’un Etat. Ce faisant, elle se fonde sur les conditions d’exploitation de l’activité pour caractériser le service d’intérêt économique général. 

De même, dans sa décision Commune d’Almelo, l’existence d’un tel service est déduite des « conditions économiques dans lesquelles est placée l’entreprise, notamment des coûts qu’elle doit supporter et des réglementations (…) auxquelles elle est soumise ». Cette solution est opportune, dans la mesure où la dérogation au droit du marché évite un niveau insuffisant de l’offre, qui équivaudrait à exclure des usagers « dont le coût à servir est pourtant inférieur au bénéfice qu’ils en retirent ».

Le raisonnement qui tend à attraire les biens de club dans le giron de l’article 86 § 2 est toutefois moins concluant dans d’autres cas de figure où la supériorité de l’offre publique sur l’initiative privée se révèle beaucoup plus hypothétique. La critique qu’oppose l’école du choix public prend acte de la perte d’efficience que constitue l’intervention publique lorsqu’elle s’accompagne d’une course à la rente de la part d’opérateurs recherchant un subventionnement de leurs activités. 

Ce type de critiques touche plus particulièrement certains secteurs d’activité traversés par des logiques contradictoires de mise en concurrence et de solidarité. Le cas de l’hôpital est, à cet égard, emblématique. 

On sait que les textes relatifs au régime des compensations de service public sous forme d’aides d’Etat (le paquet « services d’intérêt économique général » SIEG) lui accordent un régime très favorable d’exemption de notification des aides qu’il peut recevoir en contrepartie de sa mission d’intérêt économique général, « même si le montant de la compensation (…) excède les seuils prévus par celle-ci ». De surcroît, ce régime est conçu de manière compréhensive alors que le secteur connaît un affaiblissement de la spécificité de ses missions d’intérêt général, qu’accompagne une mise en concurrence croissante entre les différents établissements de soins.

La logique économique véhiculée par les règles de concurrence n’affecte donc que marginalement le mode de définition du service public, lequel demeure fondé sur l’appréciation subjective des pouvoirs publics. Celle-ci porte à la fois « sur l’intérêt général dont ils entendent assurer la satisfaction et sur la création corrélative d’un service public en mesure de l’assurer. Une telle permanence conduit à s’interroger sur l’encadrement que réalise le droit du marché en ce qui concerne le pouvoir d’appréciation des collectivités publiques quand elles entendent créer un service public.

  1. Service public, intérêt général et logique économique

La logique économique conduit à enrichir la notion de service public d’impératifs qui lui sont propres. Les nécessités du vivre-ensemble et l’exercice des droits fondamentaux ne sont pas incompatibles avec l’idée d’efficacité économique du service public. On voit mal en effet comment l’intérêt général pourrait se satisfaire d’une notion de service public qui faciliterait la survivance de rentes monopolistiques au détriment du bien-être collectif. A cet égard, le droit du marché et la logique économique peuvent être à l’origine d’une remise en cause justifiée d’un service public inefficace.

Les règles de concurrence sanctionnent ainsi l’abus de position dominante qu’entraîne l’incapacité du titulaire du droit exclusif de mener à bien la mission d’intérêt économique général qui lui a été impartie. Dans l’arrêt Höfner, cette incapacité a d’ailleurs reçu une acception purement économique. 

La Cour a en effet considéré que l’Office fédéral allemand pour l’emploi est amené, « par le simple exercice du droit exclusif qui lui a été conféré », à exploiter sa position dominante de façon abusive, « dès lors que celui-ci n’est manifestement pas en mesure de satisfaire la demande que présente le marché à cet égard ». La théorie du monopole défaillant, appliquée en l’espèce, décrit une situation objective dans laquelle le consommateur « ne reçoit pas la qualité de prestations qu’il est en droit d’attendre et qu’il serait presque certain de recevoir si le secteur en question était soumis au régime de libre concurrence envisagé par le traité ».

Une telle solution repose donc sur une comparaison implicite entre les modes de gestion publique ou privée. Aux défaillances du marché, les règles de concurrence opposent les « carences de l’Etat », qu’elles font en sorte d’éliminer. La jurisprudence de l’Union européenne utilise le raisonnement économique pour établir une mesure de la qualité des services qui doivent être rendus, et pose comme principe que la libre concurrence permettrait d’obtenir un meilleur rendement social lorsque la fourniture exclusive de ces services n’apparaît pas satisfaisante.

La pénétration de l’analyse économique ne se limite pas au mode de gestion des services publics : elle imprègne la notion même de service d’intérêt économique général et l’enrichit de la sorte de connotations nouvelles. Dans son arrêt Glöckner, la Cour estime que « ce n’est que s’il est établi que les organisations sanitaires chargées de la gestion du service d’aide médicale d’urgence n’étaient manifestement pas en mesure de satisfaire en permanence la demande de transport médical d’urgence et de transport de malades que la justification de l’extension de leurs droits exclusifs, tirée de la mission d’intérêt général, ne pourrait être admise ». 

Contrairement à l’arrêt Höfner, où le critère de la satisfaction effective de la demande était appréciée au stade de l’abus, cet arrêt mentionne la théorie du monopole défaillant lors de l’examen de la dérogation aux règles de concurrence, dans le cadre de l’article 86 § 2 du traité. Ce faisant, les considérations d’efficience sont intégrées à l’analyse des justifications de l’action publique, subordonnant ainsi la légalité de cette dernière à une condition économique nouvelle.

Néanmoins, la portée de cette nouvelle analyse ne doit pas être surestimée. De manière générale, l’appréciation du caractère adapté ou non de la reconnaissance d’un service public pour satisfaire la demande finale n’exercera qu’une contrainte limitée sur la liberté de choix des autorités nationales. Le droit de la concurrence ne saurait en effet « constituer un moyen pour critiquer l’efficacité économique de l’un ou l’autre monopole national. Si un monopole répond à des justifications objectives (…), peu importe (…) que son exploitation soit plus ou moins efficace »

La normativité économique ne réalise dès lors qu’une pénétration limitée et contenue dans les catégories juridiques. Les considérations d’efficience sont certes appelées à jouer un rôle critique dans l’appréciation de la légalité des monopoles nationaux, mais elles ne guideront pas à elles seules le raisonnement du juge quant à leur bien-fondé.

En définitive, l’analyse économique ne constitue qu’une mesure partielle de l’action des collectivités publiques. Si la mise en œuvre du droit du marché par les organes communautaires et nationaux participe des transformations qui affectent la notion de service public, la définition du service public semble peu marquée par la pénétration d’une logique économique qui appelle une caractérisation objective des besoins d’intérêt général et contribuerait ainsi à réduire la notion aux seuls faits manifestant une véritable interdépendance sociale. Source d’une mutation du service public, la pénétration de la logique économique n’est aucunement la cause d’une crise de celui-ci.

  1. Quelques spécificités dans le droit de l’Union Européenne

Les débuts de la construction européenne ont été marqués par une certaine indifférence à l’égard des services publics. Ces derniers ne sont effectivement pas mentionnés dans les traités institutifs, hormis une référence ponctuelle dans le traité de Rome à propos de la politique des transports

Toute référence majeure aux services publics était d’autant plus exclue en raison de la diversité, voire de l’inexistence, des conceptions du service public dans les autres États membres. La France est en effet le seul État où le concept de service public a autant de résonances. Dans d’autres États comme la Belgique, l’Espagne, la Grèce, l’Italie ou le Portugal, pays de droit romain et, au demeurant, qui ont subi l’influence culturelle de la France, la notion de service public existe sans doute mais elle n’a pas la même portée qu’en France.

Dans les autres États membres, l’idée de service public est certainement admise mais elle ne produit aucun effet juridique particulier. À ce titre, par exemple, au Royaume-Uni, il existe bien des public utilities pour designer des activités d’intérêt général mais la démarche britannique est empreinte d’un certain pragmatisme. 

Chaque service est en effet encadré par une loi spécifique. De plus, le système de common law en vigueur dans ce pays n’a pas rendu nécessaire l’existence d’une notion unificatrice propre aux activités de l’Administration comme en France. De même, en Allemagne, une différence essentielle tient au fait que les activités d’intérêt général sont, compte tenu de la structure fédérale de cet État, le plus souvent assurées au niveau local, particulièrement des länder

En outre, si les traités ne reprennent pas l’expression « service public », c’est parce qu’elle n’est pas toujours traduisible. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le professeur Didier Truchet propose d’y renoncer pour lui préférer l’expression « euro-compatible » de « service d’intérêt général ».

L’impact du droit de l’Union européenne sur l’organisation et le fonctionnement des services publics est indéniable, comme le soulignent divers auteurs. Le poids sans cesse grandissant du droit de l’Union implique de concevoir « le service public autrement ».

Certains, en doctrine, avaient indiqué que « c’est la conception française du service public qui risque, même si elle ne va pas jusqu’à disparaître, d’être contournée ou limitée par le droit de l’Union».

En fait, c’est plutôt une certaine conception du service public qui est en cause, celle qui lie service public et gestion publique, qui confond (ou tend à confondre) service public et secteur public, dont pourtant le Conseil d’Etat vient de rappeler que c’était deux notions distinctes. Cette conception « restrictive » du service, on la trouve par exemple exprimée par le conseiller d’Etat B. Stirn, qui considère que « la conception française du service public est, en effet, profondément ancrée dans le consensus social…, le besoin de service public est fort et la notion de service public est étroitement liée à la notion de secteur public… on ne peut appréhender le secteur public français que grâce à la notion de service public : les deux notions sont profondément liées : la notion française de service public colorant la vision du secteur public ».

Ce même auteur ajoute, en se référant aux travaux doctrinaux (Duguit, Hauriou et Jèze) et aux constructions jurisprudentielles (conclusions de Romieu sur l’arrêt du Conseil d’Etat du 6 février 1903, Terrier, Rec. 94, G.A.J.A., no 12, p. 67), que « leurs œuvres montrent qu’avant 1920, le droit public repose sur une équation limpide : service public = droit public = personne publique ».

Cette dernière équation n’est pas aussi limpide que l’affirme ce membre éminent du Conseil d’Etat. En effet, avant cette date, la jurisprudence avait reconnu les relations entre service public et gestion par des personnes privées, notamment dans le cadre de contrats de délégation de service public, en particulier des concessions de service public. On peut citer à titre d’illustration les arrêts du Conseil d’Etat, Thérondet Gaz de Bordeaux.

Cette « gestion privée » des services publics, notamment ceux du domaine économique, qui était, à l’origine, une des composantes du modèle français de service _ que l’on songe aux concessions de chemins de fer au XIXe siècle (lois du 11 juin 1842 et du 15 juillet 1845 sur les concessions de chemins de fer) _ pourrait, sous l’effet du droit communautaire, se trouver confortée, comme le constate une partie de la doctrine, notamment J.-P. Fluass pour qui « l’idéologie libérale qui sous-tend très largement le droit de l’Union a fait inévitablement progresser l’idée de gestion privée »des services publics.

Cette compatibilité entre le droit de l’Union et la gestion privée et déléguée de service public, notamment par voie de concession de service public, s’explique, selon le professeur P. Delvolvé, par le fait que tous deux « sont fondés sur une même conception économique et politique : le libéralisme »

Le renforcement des règles communautaires dans l’organisation et le fonctionnement des services publics conduit à terme à une diminution de la part de la gestion publique (c’est-à-dire par des structures et procédures de droit public) de services publics, en particulier ceux à caractère industriel et commercial, au profit d’une augmentation de la gestion privée (c’est-à-dire par des structures et procédures de droit privé) de ces services, la délégation par voie contractuelle de l’exploitation d’un service public à une entreprise privée étant une des formes de cette gestion privée

Ce mouvement, qui est déjà pour partie enclenché sous l’effet conjugué de divers facteurs, ne constitue pas une rupture, mais plutôt un « retour aux sources » de la conception française du service public, notamment celle défendue par l’école de la puissance publique qui faisait de la concession de service public et contrats assimilés, un mode normal et même nécessaire de la gestion des services publics, en particulier ceux ayant une finalité économique. On peut citer, sur ce point, Hauriou, qui considérait que « par suite d’une sorte de politique administrative, il y a toute une série de services qui ne peuvent être exécutés que par le système de la concession. Ce sont les services publics, que l’on considère comme des entreprises économiques ».

Les règles communautaires affectent la notion même de service public et influent sur la reconnaissance de ce « label » de service public au niveau national.

  1. Service public et service d’intérêt général

L’article 90 paragraphe 2 du traité de Rome (modifié)dispose que « les entreprises chargées de la gestion de services d’intérêt économique général ou présentant le caractère d’un monopole fiscal sont soumises aux règles du présent traité, notamment aux règles de concurrence, dans les limites où l’application de ces règles ne fait pas échec à l’accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie. Le développement des échanges ne doit pas être affecté dans une mesure contraire à l’intérêt de la Communauté ». La question qui se pose à la lecture de cet article est de savoir quels sont les critères nécessaires à la reconnaissance du caractère de service d’intérêt économique général.

A l’instar du service public français, le service d’intérêt économique général apparaît être un label. Une définition essentielle de cette notion est donc difficile à élaborer.

Cependant, on peut distinguer des caractéristiques, au niveau de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes (ci-après C.J.C.E.), qui permettent de mieux cerner les contours de cette notion de service d’intérêt économique général.

Cette dernière, propre au droit communautaire, même si elle présente des similitudes avec la notion française de service public industriel et commercial, fait l’objet d’une interprétation relativement stricte de la part de la C.J.C.E. qui, en ce domaine, utilise la méthode du faisceau d’indices, à l’instar du Conseil d’Etat en matière de service public. La C.J.C.E. définit le service d’intérêt économique général comme « toute activité d’intérêt général exercée par une entité publique ou privée à qui l’exercice d’une telle activité a été confié par un acte de puissance publique ». L’activité d’intérêt général doit avoir un but lucratif. La C.J.C.E. met particulièrement l’accent sur la nécessité d’un acte formel de puissance publique pour qu’il y ait la présence d’un service d’intérêt économique général.

Cette absence d’investiture publique formelle ne peut être suppléée, ni par le caractère d’intérêt général de la gestion du service, ni par l’intensité du contrôle exercé par l’autorité publique sur cette gestion. Cette investiture publique peut résulter, notamment « d’une concession de droit public non exclusive ».

La C.J.C.E. a précisé que la reconnaissance de la mission d’intérêt général, visée à l’article 90-2 du traité de Rome, comporte une appréciation des exigences inhérentes à cette mission au regard de la sauvegarde de l’intérêt de la communauté. Si l’appréciation de l’intérêt économique général du service dont la gestion a été confiée à l’entreprise relève de l’Etat membre concerné, il n’en demeure pas moins que le bénéfice de l’exception prévue à l’article 90-2 du traité « ne pourra en aucun cas être invoqué lorsque le développement des échanges est affecté dans une mesure contraire à l’intérêt de la communauté ».

La C.J.C.E. a précisé dans sa jurisprudence, notamment dans les arrêts Corbeauet Commune d’Almelo, que l’exercice d’une mission d’intérêt général pouvait justifier, en faveur de l’organisme (public ou privé) qui en était chargé, des dérogations aux règles de concurrence prévues par le traité de Rome, le bénéfice de droits exclusifs ou/et spéciaux, ces droits constituant la contrepartie des obligations et contraintes d’intérêt général à laquelle l’organisme gestionnaire est soumis. Parmi ces dernières, figurent la continuité du service et l’égalité de traitement des usagers.

On doit noter que l’apport principal de la jurisprudence résultant des arrêts de la C.J.C.E. Corbeau et Commune d’Almelo précités est que, dorénavant, la C.J.C.E. examine si les restrictions à la concurrence sont nécessaires à l’accomplissement de la mission d’intérêt économique général par l’organisme qui en a la charge. Auparavant, elle vérifiait si l’application des règles (communautaires) de concurrence avait pour effet de « faire échec » à la mission d’intérêt économique général impartie à l’entreprise gestionnaire.

Cette approche de la C.J.C.E. est plus favorable à la reconnaissance de droits exclusifs ou/et spéciaux aux entreprises qui assurent la gestion d’un service d’intérêt économique général, car elle ne fait plus peser sur celles-ci une « présomption » d’irrégularité de ces droits par rapport aux règles du traité de Rome.

Les entreprises gestionnaires doivent désormais démontrer que les droits exclusifs ou/et spéciaux dont elles bénéficient (éventuellement) sont nécessaires à l’exercice de la mission d’intérêt économique général qui leur a été dévolue par les pouvoirs publics et non plus que ces droits ne sont pas contraires aux règles communautaires, ce qui est à la fois plus aisé et plus favorable, car cela ne place plus ces entreprises en situation d’être en infraction potentielle, du simple fait de l’existence de ces droits.

L’entreprise qui est chargée, par un acte de puissance publique, de la gestion d’un service d’intérêt économique général doit donc assurer sa mission au profit de tous les usagers, sur l’ensemble du territoire couvert par le service et à des conditions quantitatives (prix) et qualitatives similaires, c’est-à-dire sans discrimination liée aux situations particulières et aux degrés de rentabilité économique de chaque opération individuelle, les variations de prix et les modulations financières (éventuelles) entre les usagers devant être effectués en vertu de critères objectifs, notamment de différences de situations entre les usagers.

  1. Émergence des services sociaux d’intérêt général

Les services sociaux d’intérêt général constituent une catégorie émergente. Les services publics sociaux ont été un moment considérés comme une catégorie spécifique de services publics par la jurisprudence internequi a ensuite renoncé à cette construction

À l’échelon européen, les services sociaux d’intérêt général ont fait leur apparition dans le Livre blanc de la Commission de 2004 sur les services d’intérêt généralont été systématisés par une communication spécifique de la Commission du 26 avril 2006et ont été traités dans une communication plus générale sur les services d’intérêt général du 20 novembre 2007mais au sein de laquelle les services sociaux d’intérêt général sont évoqués dans un chapitre spécifique. Faisant l’objet d’un traitement à part, les services de santé ne sont pas visés par ces différents textes.

Dans sa communication du 26 avril 2006 (citée supra n° 66, p. 4-5), la Commission s’attache à identifier six « caractéristiques d’organisation » des services sociaux d’intérêt général : 

  1. leur « fonctionnement sur la base du principe de solidarité compte tenu notamment de la non-sélection des risques ou de l’absence d’équivalence à titre individuel entre cotisations et prestations » ;
  2. leur « caractère polyvalent et personnalisé pour répondre aux besoins nécessaires pour garantir les droits humains fondamentaux et protéger les personnes les plus vulnérables » ;
  3. « l’absence de but lucratif, notamment pour aborder les situations les plus difficiles » ;
  4. « la participation de volontaires et de bénévoles » présentée comme l’« expression d’une capacité citoyenne » ;
  5. « leur ancrage marqué dans une tradition culturelle (locale) » qui « trouve notamment son expression dans la proximité entre le fournisseur du service et le bénéficiaire permettant de prendre en compte les besoins spécifiques de ce dernier » ;

« Une relation asymétrique entre prestataires et bénéficiaires ne pouvant être assimilée à une relation « normale » de type fournisseur/consommateur et nécessitant dès lors la participation d’un tiers payant ».

D’une manière générale, la Cour de justice a établi que doivent être considérées comme activités économiques au sens du traité, les prestations fournies normalement contre rémunération. Ont ainsi été qualifiés d’activités économiques, et donc soumis aux règles de concurrence du traité : 

  1. un régime français complémentaire d’assurance vieillesse ;
  2. des fonds de pension néerlandais sectoriels et professionnels ;
  3. l’assurance légale des accidents du travail en Belgique.

  1. Services d’intérêt économique général

La notion de services d’intérêt économique général est visée par l’article 106 TFUE (ex-art. 86 traité CE, ex-art. 90 traité CEE). Celui-ci dispose :

  1. Les États membres, en ce qui concerne les entreprises publiques et les entreprises auxquelles ils accordent des droits spéciaux ou exclusifs, n’édictent ni ne maintiennent aucune mesure contraire aux règles des traités, notamment à celles prévues aux articles 18 et 101 à 109 inclus.
  2. Les entreprises chargées de la gestion de services d’intérêt économique général ou présentant le caractère d’un monopole fiscal sont soumises aux règles des traités, notamment aux règles de concurrence, dans les limites où l’application de ces règles ne fait pas échec à l’accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie. Le développement des échanges ne doit pas être affecté dans une mesure contraire à l’intérêt de l’Union.
  3. La Commission veille à l’application des dispositions du présent article et adresse, en tant que de besoin, les directives ou décisions appropriées aux États membres.

La démarche initiale de la Commission, suivie en cela par la Cour de justice, a été de privilégier le principe posé par l’article 90-2 du traité CEEdevenu article 86 du traité CE. En conséquence, toutes les entreprises sont soumises, en principe, aux règles de la concurrence. Pour le droit communautaire, la notion d’entreprise correspond à « toute entité exerçant une activité économique indépendamment du statut de cette entité et de son mode de financement ». Cette définition recouvre donc les services gérés par l’État ou les collectivités territoriales qui assurent des activités de production, de distribution et de prestations de services

  1. De l’applicabilité du droit de la concurrence

Le droit de la concurrence, dans une approche générale, « est constitué par l’ensemble des règles régissant le comportement des opérateurs dans la compétition économique ». Sa finalité est la régulation de l’économie de marché. Les opérateurs doivent pouvoir exercer librement leur activité, « dans un système de compétition qui ne doit être entravé ni par des prescriptions, ni par des prestations provenant des pouvoirs publics ».

La notion française de service public, au contraire, suppose traditionnellement l’intervention de la puissance publique pour l’exercice ou l’encadrement de certaines activités de prestation. Justifié par référence à l’intérêt général, le service public doit pouvoir être assuré, si nécessaire, par la mise en œuvre de prérogatives exorbitantes du droit commun. S’il conduit la puissance publique à intervenir directement sur le marché, c’est avec une logique propre, qui n’est pas celle du profit, et des moyens spécifiques, dont ne disposent pas les opérateurs privés.

La logique du droit de la concurrence et celle du service public semblent donc antagonistes, comme deux ensembles étrangers l’un à l’autre.

A ce titre la construction de la Communauté économique européenne est apparue, au moins dans un premier temps, comme une menace pour ce qui a été appelé « la conception française du service public ». Comme le soulignait l’étude publiée dans le rapport public 1994 du Conseil d’Etat, « la politique de concurrence qui est (…) l’une des clefs de l’intervention de la Communauté, s’applique dans les mêmes conditions aux entreprises privées et aux entreprises publiques, y compris celles chargées d’une mission de service public (…) et cela sous quelques réserves très limitées ».

Certes, l’art. 222 du Traité de Rome précise que celui-ci « ne préjuge en rien le système de propriété dans les Etats membres » ; il laisse par conséquent toute latitude à la puissance publique pour intervenir sur le marché, mais à la condition que ces interventions respectent les règles de concurrence fixées par le Traité.

Les conséquences de l’irruption de droit de l’Uni onde la concurrence dans le champ du service public ont été abondamment analysées. Elles sont généralement interprétées comme devant conduire à renouveler la réflexion sur le service public, ses fondements et ses limites. Parfois aussi, elles alimentent une critique politique de l’Europe économique.

  1. Une applicabilité prévue expressément dans le droit de l’Union européenne



L’article 101, § 1 du Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE) dispose que « sont incompatibles avec le marché commun et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d’associations d’entreprises, et toutes pratiques concertées qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché […] ».

L’article 102 dispose, quant à lui, qu’ « est incompatible avec le marché commun et interdit, dans la mesure où le commerce entre États membres est susceptible d’en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d’exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché commun ou dans une partie substantielle de celui-ci ».

Le droit de l’Uni onde la concurrence s’adresse ainsi aux seules « entreprises ». Cette notion n’étant définie par aucun texte, c’est à la jurisprudence qu’est revenu le soin d’en préciser les contours.

Selon la Cour de justice, « la notion d’entreprise comprend toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement (…) »

En outre, la notion d’activité économique – qui apparaît au cœur de la définition de l’entreprise – se définit comme une activité consistant à offrir un bien ou un service sur un marché donné.

Au regard de cette définition, la Cour a pu qualifier d’entreprise un bureau public de placement de main-d’œuvre, un expéditeur en douane, ou encore le monopole postal allemand.

La notion d’entreprise, rattachée à celle d’activité économique, est donc extensive et susceptible de recouvrir un large champ d’activités. 

En droit interne, l’article L. 410-1 du Code de commerce dispose que « les règles définies au présent livre s’appliquent à toutes les activités de production, de distribution et de services, y compris celles qui sont le fait de personnes publiques, notamment dans le cadre de conventions de délégation de service public ».

Ainsi, tout comme le droit de l’Union, le droit interne des pratiques anticoncurrentielles s’adresse à toute entité qui exerce une activité de production, de distribution ou de service (i.e. présentant un caractère économique) constituant ainsi une entreprise. La cour d’appel de Paris a confirmé que « c’est la nature économique de l’activité affectée et non la qualité de l’opérateur ou la forme selon laquelle il intervient qui détermine l’application des règles de concurrence ».

Au regard de cette définition, le Conseil de la concurrence a pu qualifier d’économique l’activité de transport des skieurs accidentés des pistes aux centres de soins, les activités de prestations touristiques et de transport exercées par des régies municipalesou encore celles du Centre National d’Études Spatiales.

Le Conseil d’État a pu, quant à lui, qualifier d’entreprise les activités de diagnostic et de fouille d’archéologie préventive de l’Institut national de recherches archéologiques préventives ou encore la Mutuelle générale des services publics pour certaines de ses activités.

En définitive, les notions communautaires et internes d’entreprise et d’activité économique se recoupent assez largement. La jurisprudence interne se doit d’ailleurs d’intégrer régulièrement les évolutions européennes en vertu du principe de primauté du droit de l’Union sur le droit interne dès lors que les échanges intracommunautaires sont affectés.

La notion d’entreprise, définie comme toute entité exerçant une activité économique, est indépendante de la qualité ou non de commerçant. Ainsi, à titre d’exemples, ont été qualifiés d’entreprise des médecins, des Conseils de l’Ordre, des professions intellectuelles, des organisations sanitaires ou encore des fédérations d’agriculteurs.

La notion d’entreprise est également indépendante de la nature de la personne morale concernée. Ont ainsi été qualifiés d’entreprise des groupes de sociétés, des associations, ou encore des syndicats professionnels.

De la même manière, le statut public ou privé de l’entité exerçant une activité économique est indifférent pour l’application du droit de la concurrence. Outre l’arrêt « Hafner »  dans lequel la Cour de justice qualifie d’entreprise un office public de placement de main-d’œuvre, ont été qualifiés d’entreprise le Conseil national des expéditeurs en douane italien, des entreprises publiques, des organismes de gestion de retraites, des établissements publics à caractère administratif, des établissements publics à caractère industriel et commercial, des groupements d’intérêt publics ou encore, dans certains cas, l’État lui-même dès lors qu’il exerce une activité économique.

La circonstance qu’une entité offre des biens et/ou des services sur un marché donné sans poursuivre un but lucratif ne fait pas obstacle à ce qu’elle soit considérée comme une entreprise, dès lors que cette offre se trouve en concurrence avec des offres d’opérateurs poursuivant un but lucratif.

Des structures instituées dans un but autre que celui de faire des profits peuvent donc être des entreprises au sens du droit de la concurrence. Toutefois, bien que non décisive à elle-seule, l’absence de but lucratif peut servir d’indice pour justifier le rejet de la qualification d’activité économique.

Certaines activités exercées dans un but d’intérêt général n’échappent pas non plus à la qualification d’entreprise dès lors qu’elles présentent un caractère économique. Exercent ainsi des activités économiques les Offices publics HLM ou encore l’Institut national de recherches archéologiques préventives lorsqu’il effectue des opérations de fouilles archéologiques préventives. Comme pour l’absence de but lucratif, le but d’intérêt général poursuivi par l’entité en cause peut néanmoins servir d’indice permettant de rejeter la qualification d’activité économique, sans qu’il se suffise à lui-même.

Mais si les bouleversements provoqués par la construction européenne ne sont pas contestables, ils masquent souvent des évolutions propres au droit interne. S’agissant en particulier des services publics locaux, qui ne sont que marginalement concernés par le droit communautaire, la prise en compte des principes du droit de la concurrence est ancienne.

L’influence des mécanismes communautaires destinés à garantir une libre concurrence entre les intervenants sur le marché s’exerce aujourd’hui sur ce droit ; mais il n’en reste pas moins qu’il s’agit d’un droit national dont l’existence même fait la preuve que l’évolution du service public ne peut être ramenée aux seules exigences communautaires.

  1. L’applicabilité du droit français de la concurrence et les services publics

Lorsqu’en 1655 la communauté de Marignane décida d’établir une boulangerie communale dont le fermier pourrait seul, désormais, servir les habitants, « les boulangers du lieu protestèrent contre la décision, en faisant valoir qu’elle restreignait la liberté publique et qu’elle les privait de leur travail ».

Le principe qui domine alors est celui du respect de l’initiative privée. Jean-Louis Mestre qui donne cet exemple dans sa thèse cite, par ailleurs, une consultation rédigée en 1767 par un avocat selon lequel « respecter la propriété, assurer la liberté, voilà tout ce qu’il faut pour faire fleurir le commerce… Dans un état de liberté, chaque vendeur cherche à s’attirer la préférence par le choix de la qualité supérieure de ses marchandises… Le privilège exclusif détruit l’émulation qui est l’âme et le mobile du commerce ».

C’est dire si la question de la légitimité de l’intervention des collectivités locales dans le domaine économique se pose depuis longtemps.


Dès le XIXe siècle, le Conseil d’Etat a posé l’obligation de respecter le principe de la liberté du commerce et de l’industrie comme une limite à la création des services publics locaux.

Mais cet obstacle franchi et par conséquent une fois reconnu le caractère d’intérêt général de la création du service public, la gestion de celui-ci n’échappe pas nécessairement au droit privé de l’économie : dès lors en effet qu’il s’agit d’une activité de production, de distribution ou de service, elle est obligatoirement soumise aux règles de la concurrence.

  1. Le principe de la liberté du commerce et de l’industrie, limite à la création des services publics notamment au niveau local

Dans le droit français, Les communes bénéficient depuis 1884 d’une compétence générale pour régler les affaires de la collectivité. La même compétence a été reconnue depuis au département et à la région.

Cette « vocation générale » permet aux collectivités locales de créer les services qui leur paraissent nécessaires pour assurer la satisfaction des besoins de la population.

Mais leur compétence s’exerce différemment selon que le service public est soit obligatoire, soit facultatif, en tout cas prévu par la loi, ou au contraire qu’il correspond à une activité de nature industrielle et commerciale.


Dans la première hypothèse la création du service public est légitime (a fortiori si elle est obligatoire). Comme le soulignait le commissaire du gouvernement Antoine Bernard, dans ses conclusions sur CE, 23 juin 1972, Sté La plage de la forêt, « la liberté du commerce et de l’industrie comme la liberté de l’exercice des professions cessent (…) d’être opposables aux interventions des collectivités publiques (…) dès lors que ces interventions, par leur nature ou leur objet, rentrent dans les attributions de ces collectivités telles que la loi les a définies ou, ce qui revient au même, concourent à l’exécution de mission de service public qui leur incombe d’ores et déjà ».

A l’inverse, en dehors de cette sphère légitime d’intervention des collectivités locales, le principe de la liberté du commerce et de l’industrie fondé à l’origine, dans la jurisprudence du Conseil d’Etat, sur les dispositions de la loi Le Chapelier des 2-17 mars 1791, faisait obstacle à ce que les personnes publiques prennent en charge une activité susceptible de concurrencer l’initiative privée, sauf à justifier d’un intérêt public particulier.


Il faut ici rappeler les termes du considérant de l’arrêt du Conseil d’Etat du 30 mai 1930, Chambre syndicale du commerce en détail de Nevers, « … les entreprises ayant un caractère commercial restent, en règle générale, réservées à l’initiative privée et (…) les conseils municipaux ne peuvent ériger des entreprises de cette nature en services publics communaux que si, en raison de circonstances particulières de temps ou de lieu, un intérêt public justifie leur intervention en cette matière ».

Certes une conception toujours plus large de la notion d’intérêt public local devait conduire le Conseil d’Etat à assouplir progressivement sa jurisprudence, de sorte que le domaine d’intervention des collectivités locales a connu une extension continue.

Il n’en demeure pas moins que le principe de la liberté du commerce et de l’industrie marque toujours, en droit interne, la frontière entre le secteur public et le secteur privé. Au nom du principe les activités industrielles et commerciales restent réservées aux personnes privées ; comme le principe n’a plus une portée absolue, les collectivités locales peuvent intervenir dans ces matières ; mais parce qu’elles sont une exception au principe, ces interventions sont nécessairement limitées, et doivent toujours être justifiées.

De cette vigueur persistante du principe, l’art. 2251-1, al. 2, CGCT fournit un parfait exemple en subordonnant l’intervention de la commune, en matière économique et sociale, notamment « au respect de la liberté du commerce et de l’industrie », et le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 16 janv. 1982 relative à la loi de nationalisation, a lui-même fait référence au principe voisin de la « liberté d’entreprendre ».

Il s’agit là d’éléments connus, qui pourraient ne mériter qu’une rapide mention s’ils ne fournissaient l’occasion d’un retour au texte même de la jurisprudence Chambre syndicale du commerce en détail de Nevers et, plus exactement, aux conclusions du commissaire du gouvernement, M. Josse, sur cet arrêt.

Pour expliquer la jurisprudence du Conseil d’Etat en la matière M. Josse soulignait en 1930 qu’« il s’agit de protéger les droits individuels, à la fois des consommateurs, des contribuables et des industriels ou commerçants. Les droits de l’une de ces catégories ne peuvent être touchés que si l’intérêt public de la collectivité, l’intérêt public, l’exige ».

Il y avait donc mise sur le même plan de l’intérêt des consommateurs (les usagers) et de celui des industriels et des commerçants. Les deux ne s’opposent pas ; ils doivent se concilier, ils doivent s’équilibrer. Seul un intérêt public particulier peut justifier que l’équilibre soit rompu.

Cette idée d’un point d’équilibre nécessaire entre les intérêts des uns et des autres a semblé ensuite s’estomper. Il semble, comme on le verra, qu’elle soit de retour dans la jurisprudence la plus récente du Conseil d’Etat.

  1. La soumission aux règles de la concurrence des activités de production, de distribution et de service des personnes publiques


L’ordonnance du 1er déc. 1986, prise dans le cadre d’une habilitation législative, a abrogé l’ordonnance du 30 mai 1945 sur la fixation des prix. Elle précise que « les prix des biens, produits et services (relevant antérieurement de ladite ordonnance) sont librement déterminés par le jeu de la concurrence ».

Pour assurer ce libre jeu de la concurrence, l’ordonnance a créé le Conseil de la concurrence, organe administratif doté de pouvoirs importants en ce qui concerne la répression de pratiques anticoncurrentielles (art. 7 à 27 de l’ordonnance), la loi du 6 juill. 1987 devant ultérieurement transférer le contentieux des décisions du Conseil de la concurrence à la Cour d’appel de Paris.

Or l’art. 53 de l’ordonnance dispose que les règles qu’elle définit « s’appliquent à toutes les activités de production, de distribution ou de service, y compris celles qui sont le fait de personnes publiques », et la loi n° 95-127 du 8 févr. 1995 (D. 1995, Lég. p. 187) a ajouté « notamment dans le cadre de conventions de délégation de service public ».

Certains auteurs ont analysé cette ordonnance comme opérant une rupture radicale avec l’état antérieur du droit, dans la mesure où elle tendrait à « l’institution d’un droit unique de la concurrence, s’appliquant de manière uniforme aux personnes publiques et aux personnes privées, sous le contrôle d’une juridiction également unique, qui est le juge judiciaire ».

Ils lui ont donné une portée très générale, inspirée par l’idée selon laquelle l’intervention de la puissance publique ne serait « acceptable qu’à condition de respecter les règles du jeu économique, c’est-à-dire le droit privé, pour ne pas fausser la concurrence ».

D’autres auteurs ont au contraire souligné la nécessité de tenir compte des conditions spécifiques de l’action des personnes publiques et de distinguer « parmi les activités qui sont le fait de personnes publiques » celles qui sont les conséquences de prérogatives de puissance publique ou qui s’accompagnent de la mise en œuvre de telles prérogatives, plus généralement les activités qui ont un caractère administratif et les activités qui ont un caractère industriel ou commercial.

Il est revenu au Tribunal des conflits, dans une décision abondamment commentée, Ville de Pamiers, du 6 juin 1989, de marquer les limites de la compétence du Conseil de la concurrence et, en appel, du juge judiciaire en matière d’activités de service public.

Saisi en effet des conditions dans lesquelles la ville de Pamiers avait décidé d’une part de résilier le contrat de gérance du service des eaux dont bénéficiait la SAEDE, et d’autre part de confier ce service par affermage à la Société Lyonnaise des eaux, le Tribunal des conflits a observé que l’organisation du service public de la distribution des eaux à laquelle procède un conseil municipal n’est pas constitutive d’une activité de production, de distribution ou de service. Il a ajouté que l’acte juridique de dévolution de l’exécution de ce service n’est pas, par lui-même, susceptible d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur le marché. Le Tribunal des conflits en a déduit qu’il n’appartient « qu’aux juridictions de l’ordre intéressé de vérifier la validité de cet acte au regard des dispositions de l’art. 9 de l’ordonnance».

Cette incidente du Tribunal des conflits sur la compétence des « juridictions de l’ordre intéressé » pour appliquer l’ordonnance était peu claire, l’on y reviendra ci-dessous.

Mais l’essentiel était la distinction opérée entre l’organisation et la dévolution par les collectivités publiques des services publics dont elles ont la charge, qui échappent à la compétence du Conseil de la concurrence et, en appel, à celle du juge judiciaire, et l’activité mise en œuvre, qui au contraire peut en relever.

Le Conseil de la concurrence est ainsi conduit à exercer un contrôle a posteriori sur des agissements, pratiques ou comportements anticoncurrentiels, de personnes publiques ou privées chargées d’une mission de service public, dans le cadre de la mise en œuvre de cette mission.


Les années 90 ont vu une nouvelle extension du droit interne de la concurrence, s’agissant des services publics locaux.

Cette extension résulte d’abord de la loi n° 93-122 du 29 janv. 1993 (D. 1993, Lég. p. 209) relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques, dite « loi Sapin ». Ce texte a en effet encadré la passation des conventions de délégation de service public dans des conditions qui, indirectement, renforcent le droit de la concurrence.

Elle résulte ensuite de la jurisprudence du Conseil d’Etat ; celui-ci, par un arrêt du 3 nov. 1997, Sté Million et Marais, a incorporé sans ambiguïté l’ordonnance du 1er déc. 1986 relative à la liberté des prix et à la concurrence dans le bloc de légalité des actes administratifs, admettant ainsi d’examiner la légalité d’un acte d’organisation ou de délégation d’un service public sur le fondement de cette ordonnance.

  1. Le renforcement des règles de concurrence par l’encadrement des conventions de délégation de service public


La notion de convention de délégation de service public est apparue dans la loi n° 92-125 du 6 févr. 1992 (D. 1992, Lég. p. 168) sur l’administration territoriale de la République, mais c’est la loi du 29 janv. 1993 précitée qui l’a consacrée.


Cette notion n’est pas évidente à cerner : si, pour qu’il y ait convention de délégation de service public, il faut qu’il existe un contrat dont l’objet est, pour une personne publique, de confier la gestion d’un service public à une autre personne, publique ou privée, la difficulté tient à la distinction, parfois délicate, entre délégation de service public et marché public.

Le Conseil d’Etat, dans un arrêt du 15 avr. 1996, Préfet des Bouches du Rhône, a fourni un critère de distinction tiré de la rémunération du cocontractant de la personne publique. Pour le Conseil d’Etat, il y a convention de délégation de service public, et non marché public, lorsque la rémunération du cocontractant est « substantiellement assurée par les résultats de l’exploitation ». Le critère, pour être parfois utile, ne laisse pas moins subsister une assez large marge d’incertitude.

Quoi qu’il en soit entrent dans cette catégorie les concessions, affermages, régies intéressées, la gérance, et tout autre montage contractuel aboutissant à confier la gestion du service à un tiers.

Visant les conventions de délégation de service public, l’objet de la loi du 29 janv. 1993 était de lutter contre la corruption en introduisant plus de transparence dans la conclusion de ces contrats.

Certaines des dispositions prévues pour atteindre cet objectif intéressent le droit de la concurrence, directement, s’agissant des conditions de choix du délégataire, indirectement, s’agissant du contenu des clauses de la convention de délégation.

En ce qui concerne le choix du délégataire, la loi Sapin n’a pas mis fin au principe de l’intuitu personae. Mais la liberté finale de choix est singulièrement encadrée puisque la loi oblige à recourir à « une procédure de publicité permettant la présentation de plusieurs offres concurrentes » (art. 1411-1 CGCT) et encadre le déroulement de celle-ci.

Sur ce point, un certain recul sur les conditions de mise en œuvre du texte permet de faire deux constats.

Le premier est celui d’un contrôle croissant du juge administratif sur les conditions de choix du délégataire et notamment du respect entre les candidats du principe d’égalité.

Le second constat est celui de la très grande prudence des collectivités locales. Craignant de laisser le moindre espace à une critique de leur choix pouvant mettre en cause leur intégrité, les élus restreignent la liberté dont ils disposent encore dans le choix du délégataire, s’imposant des règles plus contraignantes que celles que la loi prévoit.

Insensiblement la procédure de choix du délégataire se rapproche de celle de l’attribution des marchés publics où les exigences de respect des règles de concurrence sont, de longue date, établies.
En ce qui concerne le contenu même des clauses de la convention de délégation, la loi Sapin pose en principe que ces conventions doivent être « limitées dans leur durée » (art. 1411-2 CGCT).
La limitation de la durée de la convention est certes un moyen de protéger la personne publique délégante dans ses négociations avec l’entreprise candidate à la délégation.

Mais elle contribue également à renforcer le respect de la concurrence en évitant qu’un délégataire ne bénéficie sur une durée trop longue de l’exclusivité de l’exploitation d’un service public.

  1. L’introduction de l’ordonnance du 1er déc. 1986 dans le bloc de légalité des actes administratifs


On l’a souligné, le Tribunal des conflits, dans la décision précitée, Ville de Pamiers, avait exclu que les actes administratifs unilatéraux des personnes publiques relatifs à l’organisation et à la dévolution des services publics puissent faire l’objet d’un contrôle par le Conseil de la concurrence et le juge judiciaire, tout en indiquant qu’il n’appartient « qu’aux juridictions de l’ordre intéressé de vérifier la validité de cet acte au regard des dispositions de (…) l’ordonnance ».

La signification de cette incidente laissait perplexe ; la question se posait en effet de la compétence éventuelle du juge administratif pour appliquer lui-même les dispositions de l’ordonnance.

Le Conseil d’Etat, dans un arrêt du 23 juill. 1993, CGE, y a d’abord répondu négativement ; il a considéré qu’en lui-même l’acte administratif de dévolution d’un service public local ne pouvait être examiné sur le fondement de l’ordonnance de 1986.

Dans un nouvel arrêt du 29 juill. 1994, CAMIF, le Conseil d’Etat a adopté la même solution, s’agissant d’un décret organisant le service des achats publics.
Or, à l’invitation du commissaire du gouvernement Jacques-Henri Stahl, le Conseil d’Etat a abandonné cette jurisprudence par l’arrêt Sté Million et Marais du 3 nov. 1997, acceptant ainsi l’idée d’un contrôle, sur le fondement de l’ordonnance de 1986, de l’acte d’organisation ou de dévolution du service public.

Concrètement, le contrôle du juge doit le conduire à vérifier si l’acte de la collectivité publique n’a pas pour conséquence de placer une entreprise en situation d’abuser d’une position dominante, au sens des dispositions de l’ordonnance. Il s’agit alors pour le juge administratif d’exercer un contrôle a priori et abstrait, en amont du contrôle a posteriori et concret susceptible d’être exercé dans un second temps par le Conseil de la concurrence.

Les deux justifications données par M. Stahl de la nécessité d’opérer ce revirement jurisprudentiel méritent d’être relevées.

La première tient à la « cohérence de l’ordre juridique ». Il s’agit notamment de permettre que le juge administratif « traite sur le même pied les règles nationales de la concurrence et celles issues du traité de Rome ». L’introduction de l’ordonnance du 1er déc. 1986 dans le bloc de légalité des actes administratifs est donc ici une conséquence indirecte du développement du droit communautaire de la concurrence.

La seconde justification est sans doute plus importante que la précédente. Pour M. Stahl, il faut que le Conseil d’Etat « continue de jouer (son) rôle dans l’élaboration du droit des services publics », il lui faut « repenser les relations du service public et de son environnement concurrentiel », et M. Stahl demandait au Conseil d’Etat « d’ajouter à (sa) conception traditionnelle du service public, centré sur l’usager, une autre dimension, celle des rapports avec l’environnement et le droit de la concurrence ».

Certes, expose M. Stahl, l’intérêt premier demeure celui du public, mais il faut un « débat et un contrôle juridictionnel renouvelé sur les modalités d’organisation du service public, conciliant ou arbitrant entre l’intérêt des usagers et les intérêts des opérateurs économiques ».

Comme le souligne M. Stahl, c’est ici raviver les termes d’un débat qui n’est pas totalement étranger au Conseil d’Etat, celui qui était déjà au cœur de la décision du 30 mai 1930, Chambre syndicale du commerce en détail de Nevers, que nous avons rappelée.

Les conséquences du revirement opéré par le Conseil d’Etat sont encore difficiles à mesurer. Mais c’est à l’évidence « une évolution jurisprudentielle riche de débats futurs ».

Elle annonce en droit interne, et non plus seulement au regard du droit communautaire, un examen renforcé de l’équilibre à trouver entre les droits des usagers, et celui des industriels ou commerçants.

  1. Etablissements publics de santé et concurrence

Le droit de la concurrence s’applique à tous les secteurs d’activité, y compris celui de la santé publique. De fait, les autorités de concurrence tant nationales que communautaires sont fréquemment intervenues dans ce domaine, notamment en condamnant les ententes mettant en cause les instances ordinales et les organisations professionnelles de ce secteur ou les concertations dans le cadre des marchés publics lancés notamment par les établissements hospitaliers. Elles sont également intervenues à de nombreuses reprises pour lutter contre les pratiques d’entreprises en position dominante visant à retarder le développement des médicaments génériques.

Le secteur de la santé est en général caractérisé par un niveau particulièrement élevé de régulation imposée tant par les pouvoirs publics que par les instances ordinales et les organisations professionnelles concernées. Une autre caractéristique importante est que, en général, le consommateur n’est pas incité à acheter les produits et prestations de santé au meilleur rapport qualité/prix. En effet, le prix n’est pas toujours un critère de choix pour lui. Le secteur de la santé est en outre soumis à de fortes barrières à l’entrée et la pression concurrentielle entre les entreprises est en général faible.

La nature de la concurrence au sein du secteur de la santé diffère donc de celle des autres secteurs de l’économie. De là à conclure que le droit de la concurrence ne lui est pas applicable, il n’y a qu’un pas qui était aisément franchi il y a à peine une trentaine d’années. Aujourd’hui, cependant, la plupart des membres de l’OCDE appliquent le droit de la concurrence à ce secteur, quitte à l’adapter pour tenir compte des spécificités. Tel est le cas de la Communauté européenne et de ses États membres.

Comme le rappelle souvent la Commission européenne dans ses contributions à l’OCDE sur l’application du droit de la concurrence au secteur de la santé, l’article 152 CE prévoit qu’« un niveau élevé de protection de la santé humaine est assuré dans la définition et la mise en œuvre de toutes les politiques et actions de l’Union », et que « l’action de l’Union est menée dans le respect des responsabilités des États membres en ce qui concerne la définition de leur politique de santé, ainsi que l’organisation et la fourniture de services de santé et de soins médicaux ». La responsabilité principale relève donc du niveau national.

De fait, la jurisprudence nationale sur les secteurs de santé est particulièrement abondante. Pour autant, la jurisprudence communautaire est loin d’être négligeable. Les développements qui suivent porteront donc pour l’essentiel sur l’application du droit de la concurrence aux niveaux tant national que communautaire. Ils s’articulent autour de plusieurs grands axes à savoir le champ d’application du droit de la concurrence, les questions de procédure, la définition du marché pertinent, et l’application des règles relatives aux ententes, aux abus de position dominante, aux abus de dépendance économique, aux prix abusivement bas, aux pratiques restrictives de concurrence et délais de paiement et aux aides d’État.

Le champ d’application du droit de la concurrence est particulièrement vaste. Ainsi, en droit interne, l’article L. 410-1 du Code de commerce dispose que « Les règles définies au (livre IV relatif à la liberté des prix et de la concurrence) s’appliquent à toutes les activités de production, de distribution et de services, y compris celles qui sont le fait de personnes publiques, notamment dans le cadre de conventions de délégation de service public ». 

Les règles du Traité de Rome relatives à la concurrence sont également libellées dans des termes qui n’excluent aucun secteur d’activité. Sont notamment visées par l’interdiction des comportements anticoncurrentiels les professions libérales, les activités des ordres professionnels, lorsqu’ils s’écartent de la mission de service public qui leur a été conférée, et même les activités des personnes publiques. En revanche, sont en principe exclues certaines activités des organismes de sécurité sociale, les services d’intérêt économique général et la délivrance d’autorisations administratives.

L’application du droit de la concurrence aux EHPAD, et aux établissement publics de santé en général, trouve son fondement dans une décision de la Cour de justice des Communautés européennes qui avait jugé en 2001 que les hôpitaux exerçaient une activité « économique » à partir d’un raisonnement qui pouvait être critiqué au regard du système français. 

  1. La reconnaissance progressive du caractère économique de l’activité des établissements publics de santé

La CJCE avait alors été saisie de questions préjudicielles relatives à un litige concernant la sécurité sociale mais qui nécessitait qu’elle se prononce au préalable sur le caractère de service de l’activité hospitalière, au sens de l’article 60 (devenu art. 50) du Traité.

L’Autriche, la Belgique et la France ont alors fait valoir que les soins médicaux fournis par les hôpitaux constituaient de tels services même lorsque les patients n’ont pas à faire l’avance des frais correspondants (régime de prestation en nature). L’Allemagne, l’Irlande, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, le Danemark estimaient le contraire.

L’avocat général, se prononçant uniquement sur les prestations en nature fournies par les hôpitaux, était, lui, d’avis qu’il n’y avait pas de versement d’un prix en contrepartie de la prestation, donc pas de prestation économique et de services : prenant le cas d’espèce – les Pays-Bas – , il expliquait que le financement des hôpitaux soumis à ce système « n’en reflète pas le coût réel … Il ne s’agit pas d’une liste de montants qui seraient versés pour chaque acte médical et en fonction de la nature de celui-ci » mais « d’un tarif des soins ayant davantage pour objet de financer les établissements qui les fournissent que de couvrir le coût réel de l’hospitalisation ».

La Cour ne l’a pas suivi en jugeant, le 12 juillet 2001, que le fait que la prestation médicale soit financée directement par les caisses d’assurance maladie sur la base de tarifs préétablis n’est pas de nature à faire obstacle à la qualification de prestation de services au sens du Traité : celle-ci n’implique pas que le service soit payé directement par le bénéficiaire mais que le financement reçu par l’hôpital soit la contrepartie économique des prestations hospitalières et présente « incontestablement un caractère rémunératoire » dans le chef de l’établissement hospitalier qui en bénéficie et qui est engagé dans une activité de type économique.

Le raisonnement est ainsi elliptique puisque seule l’incidente relative aux tarifs préétablis permet de comprendre que la contrepartie économique des soins n’a pas à être proportionnelle au coût réel, la volonté de rémunérer un établissement engagé dans une activité économique étant prédominante. 

Il semble également peu compatible avec le raisonnement que la Cour a tenu à propos des organismes de sécurité sociale : les prestations reçues par les assurés étant identiques alors que les cotisations obligatoires sont proportionnelles à leurs revenus, ces dernières ne constituent pas une contrepartie économique et les caisses exercent une activité non économique de solidarité nationale

De même, elle avait jugé en 1988 que l’Education nationale ne constituait pas un service public économique puisque, d’une part, les Etats cherchent moins à s’adonner à des activités rémunérées qu’à accomplir leur mission dans les domaines culturel et éducatif, et d’autre part l’école est financée par le budget public plutôt que par les usagers du système.

L’application de ce raisonnement à l’espèce aurait conduit la Cour à juger que les prestations des hôpitaux ne sont financées ni exactement ni directement par les usagers et qu’elles sont en revanche accomplies dans l’exercice des missions sanitaires et sociales à la charge des autorités publiques.

Mais cela était sans doute impossible car l’origine et le montant des financements ne constituent pas, comme en France, un critère mais des indices au service d’un autre critère qui est celui de l’exercice d’une activité fondamentalement économique, donnant lieu à rémunération : ainsi, dans les exemples précédents, la Cour semble avoir insisté sur le décalage entre prestation identique et contributions inégales entre bénéficiaires pour démontrer que les organismes de sécurité sociale n’ont pas été créés pour vendre une assurance sociale à la place des compagnies privées mais pour organiser la solidarité nationale en permettant à chacun de bénéficier d’une couverture même s’il n’en a pas les moyens. 

Autrement dit, ceux qui contribuent beaucoup plus que ce qu’ils devraient recevoir n’acquièrent pas une couverture sociale contre une « somme d’argent due par l’acquéreur au vendeur », mais participent aussi à la solidarité nationale en contribuant à celle des plus démunis : un prix très supérieur au coût du service peut donc être l’indice qu’il ne constitue pas une contrepartie à la prestation apparente.

La proportionnalité du financement au service importerait peu par rapport à l’intention de s’engager dans une activité économique, révélée par l’existence d’un prix même forfaitaire en contrepartie d’une prestation.

La Cour s’appuie ainsi sur le premier critère qui sert, en France, à distinguer les services publics administratifs et industriels et commerciaux : celui de l’activité qui pourrait être exercée par une entreprise privée. L’origine du financement n’est pas déterminante : en l’espèce, la contrepartie économique de la prestation était l’enveloppe versée par la sécurité sociale à partir de cotisations qui sont prélevées pour être affectées au paiement des soins, et qui ne font donc que transiter par un relais public pour les besoins d’une opération préalable de solidarité nationale. 

C’est une autre façon de dire que le service d’intérêt général se trouve au stade de l’organisation de l’accès de tous aux soins, par la réunion de la capacité contributive des assurés dans un fonds commun afin de les financer, tandis que l’activité des établissements de santé est d’intérêt économique général, exception faites de certaines de leurs missions. Dans cette logique pure et parfaite, dépourvue d’engagement idéologique, l’hôpital public pourrait disparaître si l’offre privée couvrait la demande de soins, et si l’accès de tous aux soins de qualité (normes sanitaires) était garanti par l’assurance maladie obligatoire.

  1. La définition progressive des conditions d’application du droit de la concurrence aux hôpitaux publics

Le caractère économique de l’activité hospitalière étant certain, il restait à définir le marché pertinent sur lequel les établissements sont actifs afin d’évaluer les conditions d’application du droit de la concurrence. S’étant récemment trouvé en position d’y procéder, le ministre de l’Economie a estimé que l’hôpital agit sur le même marché que les cliniques. Les conséquences d’une telle conclusion, en termes d’application du droit de la concurrence, devraient cependant être limitées par le caractère réglementé et d’intérêt général de la médecine. 

L’application des dispositions relatives à la concurrence tarifaire, aux ententes, concentrations et abus de position dominante, implique que soit préalablement défini un marché pertinent sur lequel les différents acteurs économiques sont actifs.

Ce marché est défini comme l’espace de rencontre d’offres et de demandes de produits ou de services considérés comme substituables par les acheteurs. Cette substituabilité peut résulter de la nature des produits ou services, de ses caractéristiques techniques, mais seulement si cela influence le choix des utilisateurs et consommateurs : s’ils regardent des produits ou services de nature ou de techniques différentes comme étant équivalents et entre lesquels ils peuvent arbitrer, ces produits ou services sont alors qualifiés de substituables et forment un marché pertinent.

Le marché pertinent revêt une importance capitale en droit de la concurrence puisque c’est dans ce marché que sont appréciées les pratiques en cause. Le Conseil de la concurrence a adopté la définition suivante (comme dans toutes les définitions adoptées par les autorités de la concurrence, le concept de substituabilité y occupe une place essentielle) : « Le marché est défini comme le lieu sur lequel se rencontrent l’offre et la demande pour un produit ou un service spécifique. En théorie, sur un marché, les unités offertes sont parfaitement substituables pour les consommateurs qui peuvent ainsi arbitrer entre les offreurs lorsqu’il y en a plusieurs, ce qui implique que chacun de ces derniers soit soumis à la concurrence par les prix des autres. À l’inverse, un offreur sur un marché n’est pas directement contraint par les stratégies de prix des offreurs qui opèrent sur des marchés différents du sien, parce que ces derniers commercialisent des produits ou des services qui ne peuvent répondre à la même demande et ne constituent donc pas, pour les consommateurs, des produits substituables »

Cette délimitation du marché pertinent dans le domaine hospitalier a été effectuée en 2002 par le ministre de l’Economie, saisi d’une demande de concentration résultant de l’acquisition d’un hôpital privé. Il a, certes, mis en évidence les différences de statut juridique des établissements actifs sur le marché en rappelant l’obligation pesant sur l’hôpital public d’accueillir tous les malades, notamment en urgence, et d’exercer des missions d’enseignement et de recherche. 

Il a rappelé, en outre, l’existence d’établissements privés non lucratifs participant, ou pas, au service public et d’établissements privés à but lucratif. Mais il a pourtant conclu qu’« il n’y a pas lieu de segmenter le marché de l’offre de soins hospitaliers, avec ou sans hébergement, selon que les établissements de santé sont publics, privés à but non lucratif ou privés à but lucratif ».

Pour résumer donc, dans le droit de l’Union européenne les activités des personnes publiques peuvent être appréhendées sous l’angle du droit de la concurrence. Les interventions étatiques peuvent par exemple tomber sous le coup du droit applicable aux aides d’État. Elles peuvent également être appréhendées sous l’angle des règles relatives aux ententes et abus de position dominante. 

Ainsi, une loi nationale peut tomber sous le coup des articles 81 et 82 du Traité CE, qui, lus en combinaison avec l’article 10 CE qui instaure un devoir de coopération, imposent aux États membres de ne pas prendre ou maintenir en vigueur des mesures, même de nature législative ou réglementaire, susceptibles d’éliminer l’effet utile des règles de concurrence applicables aux entreprises

Saisieà titre préjudiciel, la Cour de justice a cependant estimé que la législation belge interdisant à des prestataires de soins dentaires, dans le cadre d’une profession libérale ou d’un cabinet dentaire, de se livrer à quelque publicité que ce soit dans le domaine des soins dentaires ne tombait pas sous le coup de ces dispositions en l’absence d’éléments de nature à démontrer qu’elle favorisait, renforçait ou codifiait une entente ou une décision d’entreprises. Il n’apparaissait pas non plus que la loi en cause ait été privée de son caractère étatique en ce que l’État membre en question aurait délégué à des opérateurs privés la responsabilité de prendre des décisions d’intervention d’intérêt économique

Et s’agissant du droit interne, toutes les activités soumises au droit de la concurrence ne relèvent pas forcément de la compétence de l’Autorité de la concurrence. Le partage de compétences avec les juridictions administratives a été opéré par le Tribunal des conflits : « Si dans la mesure où elles effectuent des activités de production, de distribution ou de services les personnes publiques peuvent être sanctionnées par le Conseil de la concurrence agissant sous le contrôle de l’autorité judiciaire, les décisions par lesquelles ces personnes assurent la mission de service public qui leur incombe au moyen de prérogatives de puissance publique, relèvent de la compétence de la juridiction administrative pour en apprécier la légalité et, le cas échéant, pour statuer sur la mise en jeu de la responsabilité encourue par ces personnes publiques »

Cette jurisprudence a été appliquée dans l’affaire des produits radio pharmaceutiques. Le Conseil, saisi d’un contrat de bail entre une chambre de commerce et d’industrie et la société Cis Bio International, filiale du groupe Schering, s’est estimé compétent pour examiner et qualifier la prestation de service que constitue la location d’un bâtiment, après avoir retenu que le bail ne contenait aucune clause exorbitante du droit commun et ne faisait usage d’aucune prérogative de puissance publique, et que le bâtiment en cause, n’étant affecté ni à un service public, ni à l’usage direct du public, appartenait au domaine privé de la chambre de commerce

Le Conseil a également jugé qu’il était compétent pour examiner l’activité des caisses primaires d’assurance maladie consistant à mettre à la disposition d’assurés sociaux des appareils médicaux. Il s’agit selon lui d’une activité de service, les caisses intervenant sur les marchés de la distribution d’aides techniques destinées aux personnes handicapées et de la distribution de matériels permettant le maintien à domicile des maladies. 

Par ailleurs, à supposer qu’elle entre dans le cadre de la mission de service public qui leur est confiée, cette activité n’est pas exercée au moyen de prérogatives de puissance publique

Les juridictions administratives sont par ailleurs exclusivement compétentes pour apprécier la légalité des actes administratifs. Ainsi, des conventions conclues entre les syndicats de médecins et les caisses d’assurance maladie, dès lors que leur entrée en vigueur est subordonnée à l’approbation de l’autorité ministérielle, et que cette approbation confère un caractère réglementaire à leurs stipulations, relèvent de la compétence du juge administratif.

  • 2 : Champ d’application des règles de concurrences dans le cas des établissements publics de santé

  1. Sur le financement

  1. Les règles concernant le financement des établissements publics

L’article 87, paragraphe 1 CE établit l’incompatibilité avec le marché commun des aides accordées par les États ou au moyen de ressources d’État qui faussent ou menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises et affectent les échanges entre États membres. Les aides octroyées dans le domaine de la santé ont souvent été examinées sur le fondement de ce texte. Tel a été le cas dans les secteurs de l’assurance maladie et de la distribution de médicaments. 

Le chapitre I du titre VII du traité FUE se rapporte aux règles de concurrence ; il oppose en deux sections « Les règles applicables aux entreprises » et « Les aides accordées par les États ». Dans ce cadre, l’article 107, paragraphe 1, TFUE énonce : « Sauf dérogations prévues par le présent traité, sont incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d’État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions »

En conséquence, le jeu de la concurrence sur le marché intérieur ne doit en aucun être altéré par les États membres du fait d’un soutien économique aux entreprises. Le droit des aides d’États, c’est du droit de la concurrence qui a pour sujet les États. Par le seul jeu des élargissements de l’Union Européenne, c’est donc un droit en expansion.

Les aides accordées aux entreprises renforcent les positions de ces dernières sur le marché national et produisent des effets protectionnistes. C’est pourquoi, le droit des aides d’État est aussi un moyen de supprimer les entraves aux échanges dans le marché intérieur. La mise en place de ce dernier au 1er janvier 1993 a donné une acuité nouvelle à cette perspective. 

En effet, tant que les marchés n’étaient pas libéralisés, l’impact des aides sur la concurrence était négligeable. Désormais, dans un espace sans frontière et concurrentiel, toute mesure susceptible de doper financièrement une entreprise mérite d’être soumise à contrôle. 

A contrario, les entreprises n’étant plus à l’abri des frontières nationales, la tentation est de plus en plus fréquente de les protéger par l’allocation de différents avantages économiques et financiers. Surtout quand les dites entreprises œuvrent dans un domaine considéré de service public, comme les EHPAD.

Le régime des aides d’État, dans le droit de l’Union européenne de la concurrence est spécifique. Alors que les articles 101 et 102 TFUE (ex-art. 81 et 82 CE) interdisent les ententes et abus de position dominante affectant les échanges entre États membres sous réserve de quelques dérogations pour les premières, le droit des aides d’État se révèle beaucoup moins catégorique. En effet, si l’article 107, paragraphe 1, TFUE (ex-art. 87, § 1, CE) pose pour principe l’incompatibilité avec le marché intérieur des aides d’État anticoncurrentielles, en revanche il ne postule pas leur interdiction. 

En outre, les paragraphes 2 et 3 du même article fixent un régime diversifié de dérogations au principe d’incompatibilité, fondé sur la finalité recherchée par l’aide. Cette spécificité s’explique par le fait que si les aides « dopent » les entreprises sur le marché et faussent la compétition entre les entreprises, elles n’en demeurent pas moins un instrument de la politique des États membres. Le droit des aides d’État a été voulu conciliateur entre l’optique néolibérale du traité CE et les tentations interventionnistes des États. 

Mais s’il a été dessiné comme tel, c’est aussi parce que toute aide n’est pas forcément mauvaise pour le marché intérieur. C’est pourquoi, il est laissé aux États une marge de manœuvre, contrôlée toutefois étroitement par la Commission européenne, puisqu’au titre de l’article 108, paragraphe 3, TFUE (ex-art. 88, § 3, CE) tout projet d’aide doit lui être notifié pour appréciation : mécanisme de contrôle préalable, par lequel une aide ne peut être mise à exécution qu’avec l’approbation de la Commission. De manière à ne pas fausser la logique juridique ainsi bâtie dans le traité, et permettre un contrôle européen aussi juste que possible, la notion d’aide d’État a été entendue aussi largement que possible. 

En d’autres termes, la pratique décisionnelle de la Commission et la jurisprudence ont développé une conception telle, que n’échappent au contrôle que les mesures nationales réellement sans rapport avec une aide d’État. C’est pourquoi, la qualification juridique revêt une telle importance. Les États essaient d’échapper au contrôle européen en invoquant le fait que la mesure qu’ils ont adoptée ne relève pas de la qualification d’aide d’État, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. 

L’enjeu de la qualification d’aide d’Etat est que cela permet aux États de déterminer quelles mesures ils doivent notifier en application de l’article 108, paragraphe 3. Ensuite, le juge national qui peut sanctionner par l’illégalité une mesure nationale en tant qu’elle n’a pas été transmise comme aide d’État à la Commission ou parce qu’elle n’est pas conforme à un règlement d’exemption doit pouvoir cerner la notion au plus près. 

Enfin, les bénéficiaires d’une aide d’État doivent être à même de déterminer la qualification à donner à une mesure étatique dont ils sont les destinataires. En effet si la mesure n’a pas été notifiée, les bénéficiaires encourent le risque d’une condamnation et d’une obligation de rembourser qui peut leur être dommageable. 

Pour ce qui est de la compatibilité de cette aide avec les réalités de l’économie de marché, la seule lecture de l’article 107, paragraphe 1, du TFUE fait apparaître qu’un comportement qualifié d’aide d’État est incompatible avec le marché intérieur, dans la mesure où il affecte les échanges entre États membres et fausse ou menace de fausser la concurrence. 

Ce sont là deux conditions distinctes mais cumulatives, qui impliquent que la seule qualification d’aide d’État n’entraîne pas ipso jure l’incompatibilité avec le marché intérieur. La réalisation de ces deux conditions a toutefois connu une certaine évolution. En effet, une nette tendance de la jurisprudence tend à accréditer le sentiment suivant lequel à partir du moment où il y a aidé d’État, il y a incompatibilité avec le marché intérieur. 

En d’autres termes, une présomption est attachée à la notion. Ce n’est toutefois qu’une apparence. En effet, la notion d’aide d’État ne peut inclure ces deux conditions. L’admettre reviendrait à dire que, pour respecter leur obligation de notification des aides nouvelles, les États ne devraient transmettre que les mesures incompatibles avec le marché intérieur, et donc porter une appréciation qui reste du ressort exclusif de la Commission. 

C’est pourquoi, l’affectation des échanges et l’altération de la concurrence doivent être détachées de la notion d’aide d’État, pour rester, conformément à l’article 107, paragraphe 1, des conditions à la compatibilité avec le marché intérieur. Le fait que les deux conditions soient assez systématiquement et automatiquement remplies ne signifie pas pour autant qu’elles soient devenues fictives. 

Ainsi le Tribunal de première instance a-t-il annulé pour erreur de droit une décision de la Commission, qui néglige l’obligation d’examiner si l’aide en cause ne faussait pas la concurrence et n’affectait pas le commerce intracommunautaire, considérant que ledit examen de l’aide en cause était incomplet. Il appartient au juge national de s’en assurer dans le cadre d’un contentieux subjectif

Notons qu’il a une automaticité de la distorsion de la concurrence toutes les fois où une entreprise ou établissement reçoit une aide d’Etat : « (…) toute aide financière aux entreprises fausse, dans une certaine mesure, les conditions de concurrence ». « La distorsion de concurrence est considérée comme quasi automatique, dès lors que l’aide favorise certaines entreprises au détriment d’autres ».

Les formules employées par la Commission sont éminemment significatives de l’atteinte ipso jure à la concurrence, lorsqu’il y a aide d’État affectant les échanges entre États membres de l’Union. Il n’y a pas lieu d’être surpris. Une aide supposant pour sa définition que soit accordé à l’entreprise un avantage qu’elle n’obtiendrait pas aux conditions normales du marché, il apparaît légitime d’en déduire que la situation est « naturellement » anticoncurrentielle. 

La notion d’aide suppose que la position de l’entreprise soit artificiellement dopée et paraît donc fausser par essence le jeu de la concurrence. Même si le caractère de la concurrence apportée par les entreprises aidées est limité, l’application de l’ex-article 92, paragraphe 1, CEE ne saurait être écartée.

A cet égard, le Tribunal explique que dès lors qu’une autorité publique favorise une entreprise opérant dans un secteur caractérisé par une intense concurrence en lui accordant un avantage, il existe une distorsion ou un risque d’une telle distorsion. Si l’avantage est réduit, la concurrence est faussée de manière réduite, mais elle est néanmoins faussée. On peut évoquer une présomption d’altération de la concurrence quand il y a qualification d’aide d’État et affectation des échanges entre États de la Communauté

  1. Taxes d’effet équivalent

« Les pratiques de discrimination fiscale ne sont pas exemptées de l’application de l’article 95 [devenu art. 110 TFUE] du fait qu’elles peuvent être qualifiées simultanément de mode de financement d’une aide d’État »

La mesure d’aide d’État reposant sur une taxation discriminatoire est assujettie cumulativement aux articles 107 et 110 TFUE ; il en résulte qu’elle ne peut être « légalisée » du fait de son insertion dans une aide d’État. On parle d' »assujettissement cumulatif ». Ne peuvent donc être déclarées compatibles avec le marché intérieur des aides qui prennent appui sur un régime fiscal contraire au traité. Il en va de même en cas de financement de l’aide par une taxe d’effet équivalent. En revanche, « (…) Si la taxe parafiscale en cause peut être interdite soit par les articles 12 et 13 [devenus art. 28 et 30], soit par l’article 95 [devenu 110] du traité, l’affectation du produit de cette taxe au bénéfice des produits nationaux peut néanmoins constituer une aide étatique incompatible avec le marché intérieur, si les conditions d’application de l’article 107 TFUE, tel qu’interprété par la jurisprudence de la Cour sont réunies »… « étant entendu que la constatation du concours de ces conditions doit être effectuée selon la procédure prévue à cet effet dans l’article 93 du traité [devenu art. 108 TFUE] »

La qualification d’imposition intérieure discriminatoire ou de taxe d’effet équivalent n’est pas exclusive de celle d’aide d’État. En conséquence, par le prisme de la procédure relative aux aides d’État, il est donc possible de déclarer celle-ci incompatible avec le marché intérieur, au sens où elle enfreint les ex-articles 107 et 110 TFUE.

Après quelques décisions qui semblaient donner la priorité au droit des aides d’État en tant que lex specialis la Cour de justice semble s’être rangée ici aussi à la théorie de l’assujettissement cumulatif. On a vu poindre la reconsidération de cette jurisprudence à propos des monopoles ayant pour effet de limiter les échanges de marchandises à propos desquels la Cour énonce « (…) les pratiques d’un monopole public ne sont pas exemptées de l’application de l’article 37 du fait qu’elles peuvent être qualifiées en même temps d’aide au sens du traité », et évoque encore l’application cumulée des deux dispositions qui forment des voies de droit aux conséquences différentes mais qui ont pour objectif identique d’éviter de fausser les conditions de concurrence sur le marché intérieur ou de créer des discriminations.

L’infléchissement de la jurisprudence s’est ensuite manifesté à l’occasion de l’arrêt du 24 novembre 1982, « Commission c/ Irlande », dans lequel il apparaît que le fait que l’entrave aux échanges trouve sa source dans un régime d’aide n’exclut pas l’application de l’article 34 TFUE (ex-art. 30 CEE).

En l’espèce, la campagne publicitaire « Buy Irish » était financée par une société privée contrôlée par l’État au profit de produits de fabrication irlandaise. De manière significative, à propos d’un avantage fiscal qui était écarté pour les entreprises de presse qui font imprimer hors du territoire national leurs publications, le juge a par la suite affirmé que « (…) les articles 92 à 94 [devenus art. 107 à 109 TFUE] ne sauraient en aucun cas servir à mettre en échec les règles du traité relatives à la libre circulation des marchandises » (…) « les dispositions relatives à la libre circulation des marchandises, celles relatives à l’élimination des discriminations fiscales et celles relatives aux aides poursuivent un objectif commun, qui est d’assurer la libre circulation des marchandises entre les États membres dans les conditions normales du marché »… « le fait qu’une mesure nationale puisse éventuellement être qualifiée d’aide au sens de l’article 92 [devenu art. 107 TFUE] n’est dès lors pas une raison suffisante pour faire échapper cette mesure à l’interdiction de l’article 30 [devenu art. 34 TFUE] ».

Un régime d’aides peut de la même manière être qualifié de mesure d’effet équivalent à une restriction à l’exportation. L’objectif étant commun, il est souhaitable quand il y a simultanéité des qualifications juridiques, que soit privilégiée celle qui préserve au mieux l’effet utile de l’objectif assigné. 

Comme seul l’article 34 TFUE est réputé d’effet direct, devant un juge national, il est préférable. En revanche au niveau communautaire, les procédures aides d’État étant plus efficaces cette qualification semble plus opportune ; dans ce cas l’examen de l’aide se fait à la lumière de l’économie générale du traité et non sur le seul fondement du droit des aides d’État. 

La Commission dans son rôle au titre des articles 107 et 108 TFUE est également appelée à assurer le respect de l’article 34 TFUE en suivant la jurisprudence de la Cour. En tout état de cause, il en ressort que la compatibilité avec le marché intérieur au titre du droit des aides d’État, ne peut en aucun cas faire échapper une mesure nationale à l’interdiction dont elle frappée en tant qu’elle contrevient à l’article 34 et vice versa. 

Quand l’application des deux régimes juridiques parvient au même résultat, doit être privilégié celui qui satisfait ledit résultat le plus efficacement. Quand les résultats diffèrent, doit être retenue la qualification qui conduit à une incompatibilité avec le marché intérieur. La simultanéité des qualifications juridiques ne doit pas être un moyen de priver d’effet utile certaines dispositions ou objectifs du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

  1. Les questions de procédure 

Les règles de procédure s’appliquent en général indistinctement à tous les secteurs d’activité et pour tous les acteurs qui sont présents sur le marché. Tel est le cas des règles de saisine de l’Autorité de la concurrence

Dans le cadre de ses compétences contentieuses, outre le cas de la saisine d’office, celle-ci peut être saisie par le ministre chargé de l’Économie, par les entreprises ou par les organismes visés au deuxième alinéa de l’article L. 462-1 du Code de commerce, c’est-à-dire les collectivités territoriales, les organisations professionnelles et syndicales, les organisations de consommateurs agréées, les chambres d’agriculture, les chambres de métiers et les chambres de commerce et d’industrie. Elle ne peut donc être saisie par un chirurgien en retraite.

Il existe cependant des règles spécifiques à certains secteurs d’activité. Ainsi, l’article L. 463-2 du Code de commerce charge le rapporteur général de notifier les griefs non seulement à l’auteur de la saisine, aux autres parties intéressées et au commissaire du gouvernement, mais aussi aux ministres intéressés. Ceux-ci sont également destinataires du rapport du rapporteur.

La question a été posée, dans l’affaire de la répartition pharmaceutique, de savoir si le ministre de la Santé pouvait être considéré comme ministre intéressé au cas d’espèce. La Cour d’appel a répondu par la négative en relevant qu’il ressortait du dossier « que sont incriminées des pratiques concertées tendant à s’opposer au développement de concurrents et concernant le gel de parts de marché et des conditions commerciales qui n’ont pas à être appréciées au regard de textes ayant une incidence directe ou indirecte sur leur licéité et dont la mise en œuvre relèverait de missions propres au ministre de la Santé »

Cette position a été approuvée par la Cour de cassation qui a précisé que « la circonstance que les entreprises mises en cause aient soutenu pour leur défense qu’elles avaient mis en œuvre les pratiques critiquées aux fins de faire respecter la réglementation applicable à leur secteur d’activité [est] sans effet sur la qualification de ministre intéressé ».

Dans la même affaire, le ministre du Travail et des Affaires sociales avait été interrogé par la Chambre syndicale de la répartition pharmaceutique sur la question, étrangère aux pratiques incriminées, du prix et des marges des médicaments en cas de ventes directes des laboratoires auprès des pharmaciens, et s’était borné, après un rappel de l’application des dispositions de l’article L. 138-9 du Code de la santé publique sur le plafonnement des remises aux laboratoires et aux grossistes-répartiteurs, à informer son correspondant qu’il « avait l’intention de rappeler ces réglementations aux professions concernées ». 

La Haute juridiction a jugé que « la Cour d’appel en a justement déduit que le ministre n’était pas intervenu à un quelconque moment pour apprécier, favoriser ou condamner les ententes examinées par le Conseil de la concurrence » et ne pouvait être considéré comme ministre intéressé au sens de l’article L. 463-2 du Code de commerce.

La Cour de cassation a également rejeté un moyen qui soutenait que « le ministre intéressé s’entend également lorsque l’avis du ministre est indispensable pour justifier du progrès économique auquel les pratiques reprochées auraient pu conduire ». Selon la Haute juridiction, « il appartient aux auteurs de pratiques anticoncurrentielles de justifier, le cas échéant, qu’elles ont pour effet d’assurer un progrès économique, dans les conditions prévues à l’article L. 420-4 du Code de commerce ; (…) il s’en déduit que la qualité de ministre intéressé ne [peut] être déduite de l’invocation par les entreprises en cause de l’existence d’un progrès économique (…)».

Section II : Le principe d’égalité de traitement

C’est un principe qui est reconnu tant dans la constitution que dans le droit administratif au niveau du droit national français. C’est le principe qui devrait normalement présider dans l’activité économique des entreprises et dans leurs relations avec les autres. Ce principe s’impose également aux entreprises telles que les établissements de santé. Mais aujourd’hui, ce principe tend à perdre du terrain. 

  1. De l’égalité des traitements

Les activités économiques publiques ne sont possibles, en situation concurrentielle, qu’à trois conditions. Il faut que les prix proposés par les entités publiques soient déterminés en prenant en compte l’ensemble des coûts directs et indirects concourant à la formation du prix de leurs prestations ; ces entités ne doivent pas bénéficier, pour déterminer ce prix, d’avantage découlant des ressources ou des moyens qui leur sont attribués au titre des missions de service public qui leur sont confiées ; enfin, elles doivent pouvoir justifier des deux premières conditions par la production de documents comptables ou de tout autre moyen d’information approprié

  1. Avantages concurrentiels et qualité de personne publique 

La difficulté d’appréciation de ces conditions tient aux modalités selon lesquelles les personnes publiques exercent leurs activités économiques : leur statut public ne leur confère-t-il pas, par lui-même, un avantage concurrentiel ? Il faut ici toutefois noter que le seul fait que les personnes publiques bénéficient d’un tel avantage ne les amène pas, par lui-même, à enfreindre obligatoirement le droit de la concurrence. 

Il est cependant indéniable que les personnes publiques bénéficient, en cette seule qualité, d’avantages concurrentiels, même si ces avantages sont aujourd’hui contestés. Ainsi, les voies d’exécution privée sont exclues à l’encontre des personnes publiques, spécialement à l’égard des établissements publics.  

En outre, la loi du 25 janvier 1985 exclut les personnes publiques du champ d’application des procédures de redressement et de liquidation judiciaire. Pour la Cour de cassation, il existe même « un principe général du droit suivant lequel les biens des personnes publiques sont insaisissables ».

On peut ajouter que la garantie illimitée que l’État accorde à ses établissements publics constitue un avantage concurrentiel évident, et représente en outre pour la Commission une aide d’État sous forme de garantie

Cette interprétation est cependant contestable, dans la mesure où si les personnes publiques échappent effectivement aux voies d’exécution privées, elles sont cependant subordonnées aux voies d’exécution administrative, notamment à la procédure d’inscription d’office, même en l’absence de texte.

Le statut du personnel des autorités publiques constitue-t-il pour celles-ci un avantage concurrentiel ? L’avis « Jean-Louis Bernard Consultants » tranche cette question dans le sens de la non-incompatibilité de principe du statut public des personnels avec les règles de concurrence, mais cette question demeure incertaine au regard du droit communautaire.

Enfin, la question peut se poser de savoir si l’image de marque, associée au service public, dont bénéficient les autorités publiques est susceptible de constituer un avantage concurrentiel. La position des juridictions communautaires à cet égard n’est pas dépourvu d’ambiguïtés, puisqu’après que la France a été condamnée, du fait de la non prise en compte de l’image de marque de France télécom dans l’identification des coûts et profits du service universel des télécommunications, la Cour a estimé que, malgré l’obligation pour une entité publique de facturer à sa filiale les coûts totaux supportés au titre de l’assistance qu’elle lui fournit, la non-facturation des avantages immatériels procurés par La Poste à sa filiale Chronopost ne constituaient pas un avantage anticoncurrentiel, l’activité de cette entreprise publique n’étant pas comparable avec celle d’une entreprise privée

Cette dernière position avait été, en 1993, celle de la Cour d’appel de Paris, qui avait censuré l’appréciation portée par le Conseil de la concurrence selon lequel le service d’information météorologique « bénéficie en grande partie de la notoriété dont jouit indirectement la DMN (…) sous la marque Météo-France, marque à laquelle le public associe consciemment ou inconsciemment l’image du service public », et qui en avait déduit que la Direction de la météorologie nationale bénéficie d’une position dominante sur le marché.

La difficulté principale pour les autorités publiques consiste donc à identifier précisément les coûts se rattachant aux activités économiques qu’elles sont désormais susceptibles d’exercer. Les exigences de preuve en la matière sont relativement légères : le juge ne considère pas que la sincérité des documents fournis par la personne publique doive être remise en cause.

Exemple, à propos de la tarification d’un service public de l’eau, un tribunal administratif a estimé que le prix proposé par un Syndicat des eaux du Nord (SIDEN) n’est pas anormalement bas, parce que le prix « ne présentait pas de particularités telles qu’elles aient rendu nécessaire la demande de documents complémentaires de nature à justifier que le SIDEN ne tirait pas avantage de son statut public »

Le contrôle sur les conditions de formation du prix exercé par le juge en la matière est un contrôle normal. Dans cette affaire, qui fait suite à l’avis contentieux du 8 novembre 2000, le Tribunal de Dijon a estimé que l’IGN avait pu répondre à l’appel d’offres de l’agglomération dijonnaise pour un marché de système d’information géographique, et être retenu. Il examine le coût évalué sur la base de 74 journées de travail d’un ingénieur des travaux géographiques, les frais de déplacement, les frais de soumission et une part des frais généraux, « calculée par référence au montant des frais de structure et des recettes d’activité de l’Institut ». Le tribunal juge que « le seul fait que l’IGN perçoive des subventions à raison de ses missions de service public […] ou que les activités concurrentielles de l’Institut n’aient pas été isolées dans une structure juridique qui leur soit propre, ne suffisent pas à établir que l’offre remise au district de l’agglomération dijonnaise aurait porté atteinte au principe de libre concurrence ». 

La transparence des coûts concerne également désormais la détermination des tarifs des services publics à caractère industriel et commercial qui, lorsqu’ils sont exercés en milieu concurrentiel, doivent en traduire les coûts, les subventions dont peut bénéficier le gestionnaire ne devant pas servir à abaisser artificiellement le coût de la prestation.

  1. Application aux établissements publics de santé et aux EHPAD

Le plan Hôpital 2007 veut créer un hôpital-entreprise, ou plus précisément l’établissement de santé-entreprise dont le financement est lié au service rendu et qui devra développer des outils de pilotage médico-économiques: le budget sera établi en fonction des recettes prévisionnelles équilibrant les dépenses.

C’est une technique de financement qui va différer de celle qui a traditionnellement été celui du secteur de la santé. En effet, si le financement des établissements publics s’est révélé, sur une longue période, particulièrement inflationniste à partir de 1960 et surtout à partir des deux chocs pétroliers de 1975 et 1978, dans l’euphorie des « Trente glorieuses», sa substitution, en 1983, par une dotation globale de financement, communément appelée « budget global» dans les établissements publics de santé et dans les établissements de santé privés à but non lucratif participant au service public hospitalier, n’a pas permis davantage d’endiguer le phénomène de dérive chronique des dépenses hospitalières.

Par ailleurs, la cohabitation de deux systèmes de financement différents, l’un applicable au secteur public (budget global), l’autre au secteur privé lucratif (objectif quantifié national) était injuste, générait des effets pervers et ne permettait pas les comparaisons ni de coût, ni de prix entre les deux secteurs public et privé.

Aussi, après une tentative avortée d’expérimenter, pendant une durée de cinq ans, un financement fondé sur le coût à la pathologie et applicable à l’ensemble des établissements de santé, publics et privés, le nouveau gouvernement issu des élections présidentielles et législatives de 2002, a opté pour un nouveau système de financement, commun aux deux secteurs public et privé d’hospitalisation, communément connu sous l’expression «tarification à l’activité» (T2A). Ce nouveau système, mis en place dès 2004, conduit à une réforme profonde des modalités de fonctionnement des établissements de santé, surtout publics.

Cette tarification à l’activité (T2A) s’applique aux établissements publics et privés titulaires d’autorisations de Médecine, chirurgie, obstétrique (MCO) et donc aussi des établissements de santé qui sont chargés de prendre en charge des personnes dans la précarité comme les EHPAD. 

Elle permet de rémunérer les établissements en fonction de l’activité de soins qu’ils distribuent, sur la base des groupes homogènes de malades issus du Programme de médicalisation du système d’information (dans une nouvelle version). Le nombre de patients accueillis aux urgences, en consultation et en soins externes sera pris en compte ainsi que certains cas spécifiques. Surtout, les missions d’intérêt général seront garanties par une enveloppe spécifique, ce qui démontre que la France commence – difficilement – à distinguer l’activité économique classique des missions d’intérêt général des hôpitaux.

En préparant cette réforme, la France s’est ainsi éloignée du système que l’avocat général présentait comme justifiant une qualification d’intérêt général non économique, pour renforcer le raisonnement de la Cour selon lequel le transit du financement par un intermédiaire public ne lui ôte pas son caractère rémunératoire.

  1. La situation avant la réforme

À la suite d’une expérimentation menée à partir de 1978 dans certains hôpitaux publics, le système du prix de journée, même sous une forme éclatée, distinguant les activités de soins des activités hôtelières, a été abandonné dans le cadre de la loi du 19 janvier 1983 qui l’a remplacé par le budget global. La responsabilité des ordonnateurs hospitaliers de dépenses et de recettes (directeurs) est alors engagée professionnellement, et surtout budgétairement, sur le principe qui voulait que «toute recette de l’hôpital constitue une dépense de l’assurance maladie». 

Jusqu’en 2004, il existait principalement deux systèmes de financement des établissements de santé, publics et privés :

– le budget global, créé en 1983, qui s’appliquait à l’ensemble des établissements publics et à une majeure partie des établissements privés non lucratifs, que ceux-ci participent ou non au service public hospitalier ; l’évolution des dotations globales de financement (DGF) est encadrée par un taux d’évolution national et annuel fixé par le gouvernement ;

– un système de paiement mixte au séjour, combinant des rémunérations par des prix de journée et du paiement à l’acte, qui concernait les établissements privés à but lucratif et à visée commerciale et un peu plus d’une centaine d’établissements privés à but non lucratif. Les dépenses de ces établissements étaient encadrées par un objectif quantifié national (OQN), système de régulation qui visait à contrôler, d’une année sur l’autre, l’évolution des tarifs des journées et des actes, en fonction des volumes d’activité réalisés l’année précédente.

Entre-temps, l’ordonnance hospitalière du 24 avril 1996 avait mis un terme :

– au régime conventionnel auquel on a substitué un régime «sous contrat» au titre duquel ce sont les Agences régionales de l’hospitalisation (ARH) et non plus les organismes d’assurance maladie qui contractent avec les établissements à but lucratif ;

– au régime du prix de journée préfectoral qui s’appliquait encore à certains établissements privés à but non lucratif non adhérents au service public hospitalier en leur permettant d’opter soit pour un régime «sous contrat», soit pour le régime de la dotation globale.

À partir de 1996, sur la base du programme de médicalisation du système d’information (PMSI) et de la mise en place de la réforme de la sécurité sociale (lois de financement votées annuellement par le Parlement), une tentative de maîtrise médicalisée des dépenses hospitalières a été substituée, progressivement, à une stricte maîtrise comptable, très critiquée par les gestionnaires et par les médecins hospitaliers.

L’ordonnance du 24 avril 1996 avait permis de « légaliser» cette maîtrise médicalisée des dépenses hospitalières, faisant obligation aux « établissements publics et privés de transmettre aux agences régionales de l’hospitalisation, [créées également en 1996] ainsi qu’à l’État et aux organismes d’assurance maladie, les informations relatives à leurs moyens de fonctionnement et à leur activité qui sont nécessaires (…) à la détermination de leurs ressources et à l’évaluation de la qualité des soins. Les destinataires [de ces informations] mettent en œuvre (…) un système commun d’informations respectant l’anonymat des patients (…)».

Le PMSI, créé à l’origine en 1982 pour mieux appréhender l’activité médicale des établissements de santé, est devenu, en 1997, un outil médico-administratif d’allocation budgétaire qui a permis de classer les établissements de santé sous dotation globale de financement en fonction de la valeur de leur point d’indice synthétique d’activité (ISA), résultat d’un rapport entre d’une part leur masse budgétaire affectée aux dépenses des disciplines de médecine, chirurgie et obstétrique (MCO), calculée en euros, et d’autre part leur « production» médicale calculée en points en affectant à chaque groupe homogène de malades (GHM) un nombre de points en fonction de la technicité des actes médicaux.

Cette instrumentation médico-administrative permettait de corriger, à la marge, les inégalités intra régionales entres établissements de santé assurant des missions de service public et inter régionales, entre régions sous-dotées et régions sur-dotées budgétairement.

Mais le système du budget global, même si, associé au taux directeur, s’était révélé un outil circonstanciel de régulation macro-économique des dépenses hospitalières, a été fortement critiqué à la fin des années 90 en raison :

– de l’absence de lien étroit établi entre le niveau réel d’activité des établissements et l’allocation de ressources du fait de l’absence d’indicateurs d’activité médicale reconnus ;

– du report d’activités d’un secteur public contraint vers d’autres secteurs hospitaliers ou ambulatoires moins contraints économiquement du fait de leurs statuts juridiques de droit privé ;

– de son caractère essentiellement comptable.

Dans son rapport pour l’année 1999, la Cour des comptes considérait qu’«en définitive, pas plus que le budget global, la péréquation régionale des dotations hospitalières ne permet de résorber mécaniquement les surcoûts observés dans certaines régions et dans les établissements les plus coûteux. Le même problème se rencontrerait si d’autres modes de tarification, comme la tarification à la pathologie, étaient adoptés».

Renonçant à une tarification à la pathologie, le Gouvernement, dans le cadre du projet « Hôpital 2007», a opté pour une tarification à l’activité, applicable aux deux secteurs, public et privé. Après les simulations et les expérimentations conduites en 2003 sur la base de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2003, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2004  (3) a autorisé la création d’un nouveau système de financement des établissements de santé et a organisé le passage progressif à une tarification à l’activité (T2A) de l’ensemble des établissements de santé publics et privés. 

La tarification à l’activité constitue l’aboutissement de vingt années de réflexion et a été expérimentée dans une vingtaine de pays étrangers.

Les bénéfices attendus sont de plusieurs ordres :

– une plus grande médicalisation du financement ;

– une responsabilisation accrue des acteurs ;

– une équité de traitement entre le secteur public et le secteur privé ;

– le développement d’outils de pilotage médico-économiques au sein des établissements de santé publics et privés.

À terme, d’ici à 2012, la tarification à l’activité remplacera totalement, d’une part, de façon progressive, la dotation globale de financement applicable aux établissements de santé assurant le service public, instaurée par la loi du 19 janvier 1983 et son décret d’application du 11 août 1983, d’autre part l’objectif quantifié national (OQN) appliqué, à partir de 1997, aux établissements privés essentiellement lucratifs.

Le nouveau système de tarification s’applique à l’ensemble des activités de médecine, chirurgie, obstétrique et odontologique (MCO) des établissements publics dès le 1er janvier 2004, (avril 2005 pour les établissements privés), quelles que soient leurs modalités : hospitalisation avec ou sans hébergement, hospitalisation à domicile, consultations et soins externes.

Ce périmètre est établi quel que soit le statut – public ou privé – de l’établissement de santé. Certaines catégories sont maintenues hors du champ de la réforme : les hôpitaux locaux, les établissements du Service de santé des armées, l’Institution nationale des Invalides (INI), l’établissement public de santé national de Fresnes, les établissements de Saint-Pierre-et-Miquelon et de Mayotte.

Les principes fondamentaux de la réforme sont :

– une prise en charge financière adaptée à la nature des soins prodigués, avec des tarifs de séjour basés sur la classification en groupes homogènes de malades (GHM) du PMSI évoqués précédemment, dans une nouvelle version ;

– la reconnaissance des cas les plus lourds avec une facturation possible des suppléments pour les séjours qui se prolongent et les séjours en réanimation ;

– un financement qui tient compte du nombre de patients qui se présentent aux urgences, en consultation ou en soins externes ;

– un paiement qui préserve l’innovation grâce à la facturation complémentaire d’un certain nombre de médicaments et de dispositifs médicaux particulièrement onéreux ;

– des forfaits annuels pour les activités d’urgence et de prélèvements d’organes ;

– la garantie de protéger les missions d’intérêt général et le soutien à la contractualisation par l’octroi d’une enveloppe budgétaire spécifique.

À cet égard, le système de financement à l’activité en MCO constitue un système mixte reposant à la fois sur :

– une facturation à l’activité sur la base d’un tarif de prestation par séjour ;

– une dotation pour les missions d’intérêt général (urgences) et d’aide à la contractualisation (MIGAC).

Les autres activités (psychiatrie, soins de suite et de réadaptation) ont également vocation à être financées à terme selon l’activité quand le programme de médicalisation du système d’information (PMSI) aura été déployé dans ces activités. Dans l’attente, elles continuent à être financées sous forme d’une dotation forfaitaire appelée dotation annuelle de financement (DAF).

La facturation à l’activité prend en compte :

– des tarifs par séjour qui constituent la première source de financement des établissements sur la base de la mesure de l’activité à partir des cas traités dans des groupes homogènes de séjour (GHS). À chaque GHS correspond un tarif. Les GHS sont issus de la classification en groupes homogènes de malades (GHM) avec certains aménagements (facturation de suppléments journaliers) pour tenir compte d’une éventuelle hétérogénéité ou pour prévoir la rémunération d’activités mal prises en compte par la classification (réanimation, séjours extrêmes longs ou soins palliatifs) ;

– des tarifs par prestation concernant les urgences autorisées qui bénéficient d’un financement mixte (un forfait annuel et un tarif par passage), les prélèvements d’organes (forfait annuel), l’hospitalisation à domicile (prix de journée variable), le traitement de l’insuffisance rénale chronique (tarifs de prestation) et les soins et consultations externes (tarif de la classification commune des actes médicaux ou CCAM; forfaits techniques existants: scanner, IRM, caisson hyperbare, Petscan) ;

– des paiements supplémentaires pour les dispositifs médicaux implantables (DMI) ou médicaments très onéreux.

Les hôpitaux militaires qui sont toujours financés sous le régime de la dotation globale devraient être financés sur la base de la T2A dans le courant de l’année 2007.

Les missions d’intérêt général et d’aide à la contractualisation (MIGAC) sont financées différemment pour répondre aux missions de service public des établissements de santé. Il s’agit :

– des missions d’enseignement, de recherche, de référence et d’innovation (MERRI) ;

– de l’aide à la contractualisation, pour financer les engagements des agences régionales de l’hospitalisation formalisés dans les contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens qui accompagnent l’aide aux investissements (dans le cadre du plan « Hôpital 2007», et demain dans le plan «Hôpital 2012»), la qualité des soins, l’aide aux établissements isolés.

La tarification nationale s’accompagne de plusieurs correctifs destinés à compenser des disparités de coûts justifiées. Ainsi des coefficients géographiques visent à compenser les facteurs spécifiques qui modifient de manière manifeste, permanente et substantielle le prix de revient de certaines prestations dans une zone géographique considérée (niveau des charges salariales, coût de l’immobilier et du foncier, coût des transports des personnels et des usagers). Ces coefficients, identiques pour les secteurs public et privé, concernent tous les départements de l’Île de France (7 %), la Corse (5 %), les Antilles-Guyane (25 %) et l’Île de la Réunion (30 %). Ils sont appliqués aux tarifs, aux suppléments journaliers et aux forfaits, mais pas aux MIGAC, ni aux produits facturés en sus et aux consultations et actes externes. 

La loi de financement de la sécurité sociale pour 2004 a prévu un passage progressif à la T2A entre 2004 et 2012. Le basculement s’est effectué en avril 2005 pour les établissements privés à but lucratif. Pour les établissements publics et pour les établissements privés à but non lucratif participant au service public, la transition aura lieu en trois étapes :

– en 2004, le cadre budgétaire et comptable, la procédure budgétaire ainsi que les modalités d’allocation des ressources actuelles ont été maintenus. En revanche, les budgets ont été déterminés et ajustés sur la base de l’activité mesurée par le programme de médicalisation du système d’information (PMSI) dans la limite de 10 % de leur dotation annuelle ;

– fin 2004, dans le cadre de la préparation de la campagne budgétaire pour 2005, la mise en place de la nouvelle procédure budgétaire a impliqué une réforme du régime budgétaire et comptable des établissements. Se substituant au traditionnel budget, l’état des prévisions de recettes et de dépenses (EPRD) de l’établissement public de santé est l’acte par lequel sont prévues et autorisées ses recettes et ses dépenses annuelles. Il détermine les recettes prévisionnelles dans les conditions fixées au premier alinéa de l’article L. 6145-1 du Code de la santé publique. Il peut, en tant que de besoin, faire l’objet de décisions modificatives. Celles-ci sont soumises à délibération du conseil d’administration, sur proposition du directeur de l’établissement ou à la demande du directeur de l’agence régionale de l’hospitalisation (ARH). Les recettes liées à l’activité sortiront du cadre de la dotation globale. Un circuit administratif et financier particulier sera mis en place ;

– la dernière étape permettra aux établissements de facturer directement à l’assurance maladie, sans passer par l’ARH, leurs prestations d’hospitalisation ainsi que les spécialités médicales et les prestations facturables en sus.

En dépit de la recherche de cette maîtrise médicalisée des dépenses hospitalières, l’État reste très présent et garde l’outil très puissant de la maîtrise comptable. La loi organique no 96-646 du 22 juillet 1996 précise que la loi de financement de la sécurité sociale fixe, notamment, un objectif national de dépenses de l’assurance maladie (ONDAM), définissant ainsi le cadre global qui s’impose aux différents établissements et professionnels de santé et permettant au gouvernement de fixer un taux d’évolution des dépenses hospitalières qui s’est substitué en 1997 au taux directeur créé en 1979. 

Cet objectif est considéré comme une enveloppe de crédits fermée, mais aussi un outil de suivi et de régulation des dépenses d’assurance maladie. Après son vote par le Parlement, il est décliné en six sous-objectifs :

– dépenses de soins de ville ; 

– dépenses relatives aux établissements de santé tarifés à l’activité ; 

– autres dépenses relatives aux établissements de santé

– contribution de l’assurance maladie aux dépenses en établissements et services pour personnes âgées ; 

– contribution de l’assurance maladie aux dépenses en établissements et services pour personnes handicapées ;

– dépenses relatives aux autres modes de prise en charge.

  1. Avec la réforme

Il semble ainsi vain de continuer à refuser la qualification de « service public industriel et commercial » de l’hôpital : elle peut être prise en charge par une personne privée, les modes de fonctionnement se banalisent avec notamment l’annonce d’un relâchement des contraintes par le plan Hôpital 2007 et, même si cela peut être contesté, elle est financée par des cotisations sociales que le juge distingue des impositions de toutes natures parce qu’elles constituent « une contrepartie » : ne constituent-elles pas un financement privé dans la mesure où elles ne font que transiter par une personne publique sur un mode très différent que celui pour l’impôt ?

En tout état de cause, la précision législative selon laquelle les établissements publics et privés de santé associés au service public exercent une activité qui n’est ni industrielle ni commerciale « à titre principal » ne fait pas obstacle au caractère « économique » de leur activité. Au contraire, l’évidence de cette qualification ainsi que la meilleure lisibilité du marché des soins résultant de la convergence entre établissements privés et publics ont récemment permis au ministre de l’Economie de préciser les modalités d’application du droit de la concurrence aux hôpitaux (voir supra). 

La principale illustration du principe d’égalité de traitement dans le domaine de la santé est la dénonciation des aides publiques aux établissements publics de la santé, que ce soit au niveau national ou au niveau européen. 

Ainsi, le 21 février 2005, le Parlement européen a adopté à une forte majorité le rapport In Vel’t qui voulait contrer un projet de décision de la Commission qui dispensait de notification préalable les aides publiques aux hôpitaux. La concurrence entre les offreurs publics et privés de services d’hospitalisation devait, selon ce rapport, conduire à l’application du droit commun des aides d’Etat : le Parlement européen « constate que le champ d’application de la décision inclut les hôpitaux et les entreprises en charge du logement social, même si l’octroi d’aides d’un volume élevé dans ces domaines peut entraîner des distorsions de concurrence ; fait observer que ces secteurs intéressent aussi les offreurs privés ; fait également remarquer que l’octroi de subventions en la matière est de nature à avoir des incidences préjudiciables sur la concurrence et qu’il serait, dès lors, judicieux d’envisager de ne pas exempter spécifiquement les secteurs considérés de l’obligation de notification… ».

La Commission n’a pas suivi cet avis en édictant, le 13 juillet 2005, une décision relative à l’application de l’article 86 du Traité aux aides d’Etat sous forme de compensation de service public octroyées à certaines entreprises chargées de la gestion de services d’intérêt économique général. Elle a maintenu l’exemption totale de notification des aides aux hôpitaux, alors que l’exemption s’arrête pour les autres services publics lorsque les aides atteignent 30 millions d’euros par an.

Il faut toutefois conclure de cet épisode que les Etats européens, par la voix de leurs représentants, sont majoritairement favorables à la suppression d’un régime de faveur aux hôpitaux : le point 24 était connu des parlementaires, les socialistes français ayant exprimé leur opposition. 

Plus fondamentalement, il résulte de ce débat que les aides aux hôpitaux publics constituent effectivement des aides d’Etat, qui sont normalement prohibées lorsqu’elles portent atteinte à la concurrence : théoriquement, elles ne doivent être conçues que comme une compensation d’obligations qui ne pèsent pas sur les autres établissements de santé, et non comme un secours à un établissement en difficulté. 

Dès lors, la décision de la Commission n’a pas vocation à s’appliquer indéfiniment et il faudra apprendre, à l’avenir, à distinguer les missions de service public (y compris par un établissement privé) des activités de diagnostic et de soins classiques des hôpitaux.

D’ailleurs, les aides aux établissements publics commencent à être contestées en droit interne pour violation de la liberté du commerce et de l’industrie ou de l’égalité : la Fédération des établissements d’hospitalisation privés et l’Union hospitalière privée ont attaqué devant le Conseil d’Etat le protocole d’accord de 2000 entre le ministère concerné et les organisations syndicales représentatives des médecins et agents de la fonction publique hospitalière en tant qu’il attribuait trop d’avantages à l’hospitalisation publique, rompant ainsi la concurrence avec l’hospitalisation privée. Mais le juge a dû déclarer la requête irrecevable, les protocoles étant dépourvus de force normative et insusceptibles de recours en excès de pouvoir.

Même en l’absence de contentieux, les acteurs du secteur libéral et privé de la santé dénoncent les avantages des établissements publics : « la concurrence entre les deux secteurs hospitaliers est scandaleusement déloyale …, les cliniques se sont vu attribuer une enveloppe en hausse de 3,5 % pour 2002, contre 4,5 % pour les hôpitaux publics … Il ne reste que deux solutions : fermer peu à peu les cliniques privées et déclencher ainsi une crise de la santé publique sans précédent en France, ou mettre les hôpitaux publics dans un premier temps en concurrence (loyale) et dans un deuxième temps sous forme de sociétés privées ».

D’autres avantages peuvent paraître suspects, et notamment le statut d’établissement public de l’hôpital qui bénéficie de garanties particulières (inaliénabilité/faillites) mises en cause par Bruxelles.

La judiciarisation des inégalités de traitement entre établissements publics et privés de santé est d’ailleurs croissante, ainsi qu’en attestent les mises en cause de l’action des Agences régionales de l’hospitalisation (ARH). 

Ces agences créées par l’ordonnance du 24 avril 1996 portant réforme de l’hospitalisation publique et privée, exercent des missions qui les exposent aux risques de sanctions, notamment par le juge administratif, pour violation des principes d’égalité, de liberté du commerce et de l’industrie ou du droit de la concurrence. 

En effet, la définition et la mise en œuvre de la politique régionale de l’offre de soins hospitaliers, la coordination de l’activité des établissements de santé publics et privés, l’imposition de regroupements, et la détermination de leurs ressources par la campagne budgétaire, sont autant de risques de favoriser un établissement plutôt qu’un autre ou d’être accusé d’entente avec ces établissements, etc.

De ce fait, ces agences font face à une suspicion de partialité en faveur de l’hospitalisation publique, qui a conduit à des saisines du Conseil de la concurrence. Ainsi, en 1999, l’Union hospitalière privée Rhône-Alpes a sollicité l’avis de ce dernier sur le contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens conclu la même année, afin de savoir si la tarification qu’il instituait ne serait pas discriminatoire, puisqu’elle était différente entre les établissements privés et publics sans que cela ne réponde à une différence de situation appréciable au regard de l’objectif du service. 

Mais la demande portait finalement sur la légalité d’un acte administratif, que seule la juridiction administrative est habilitée à apprécier, ce qui a conduit à l’irrecevabilité de la requête. En outre, celle-ci ne soulevait pas de question de concurrence au sens du code de commerce. Ainsi, l’absence de sanction d’une ARH pour ces motifs résulte peut-être essentiellement de la méconnaissance du droit public par les saisissants, ainsi qu’en témoignent d’autres décisions d’irrecevabilité.

Lorsque les subtilités du contentieux seront maîtrisées, une saisine pourrait aboutir : la juridiction administrative pourrait être saisie d’une rupture d’égalité entre les acteurs publics et privés actifs sur le marché, de la même façon qu’elle pourra être saisie de questions relevant du droit de la concurrence stricto sensu, c’est-à-dire par exemple de la situation d’abus de position dominante résultant d’un acte administratif

Dès lors, les décisions qui en résulteront affaibliront la spécificité de l’hospitalisation publique en traitant les établissements correspondants comme des acteurs économiques classiques. Les hôpitaux eux-mêmes devront veiller à leur comportement sur le marché.  

  1. Ce que la réforma a apporté

La tarification à l’activité, applicable à 100 % dans les établissements privés à but lucratif, fait l’objet d’une montée en charge dans les établissements publics ou privés à but non lucratif participant au service public hospitalier (10 % en 2004, 25 % en 2005, 35 % en 2006 et 50 % en 2007). Elle concerne déjà 70 % des séjours hospitaliers.

Cet étalement dans le temps peut conduire les établissements publics à faire face à des difficultés en matière de choix stratégiques d’activité. Un passage à 100 % à la T2A pour ces établissements aurait certes constitué un choc budgétaire très important mais qui aurait pu être accompagné dans le temps afin de permettre la réorganisation de leurs activités médicales, chirurgicales et obstétricales et de définir clairement leurs missions d’intérêt général pour les financer de façon pertinente. Il est revendiqué par les établissements publics dynamiques dont l’activité se développe ou qui souhaitent développer de nouvelles activités rémunératrices. 

La tarification à l’activité, applicable à 100 % dans les établissements privés à but lucratif, fait l’objet d’une montée en charge dans les établissements publics ou privés à but non lucratif participant au service public hospitalier (10 % en 2004, 25 % en 2005, 35 % en 2006 et 50 % en 2007). Elle concerne déjà 70 % des séjours hospitaliers.

Notons que cette réforme n’a pas seulement permis de rendre plus effective l’égalité des traitements. Elle a aussi permis de moderniser les outils de pilotage et de contrôle des établissements de santé: analyse des case-mix et des stratégies d’offres. Il permet d’apprécier de manière documentée l’analyse comparative du secteur public et du secteur privé.

Enfin, la montée en charge de la T2A rend essentielle une révision profonde du mode de suivi des ressources affectées aux établissements de santé. Cela concerne:

– le suivi d’ensemble des recettes T2A et dotations autres ;

– un suivi plus fin de l’activité;

– un contrôle du codage par les organismes d’assurance maladie ainsi que la sanction des dérives constatées.

Cette réforme ambitieuse était attendue non seulement par l’État, l’assurance maladie et les établissements, mais également par les corps de contrôle. Elle est fondamentale et bouleverse la culture des établissements publics de santé

Le budget global, en 1983, autorisait la recherche de la maîtrise des coûts par la maîtrise des seules dépenses, les recettes de l’établissement public étant autorisées à l’année, sans relation directe avec l’activité réelle de l’établissement. Ce système aveugle était déresponsabilisant pour les gestionnaires et démotivant pour les médecins.

Le nouveau mode de financement à l’activité, en dépit d’un risque inflationniste voire de dérives « commerciales», fonde la maîtrise des budgets hospitaliers sur les recettes, tout en recherchant la responsabilisation des ordonnateurs de fait des dépenses que sont les prescripteurs médicaux. Il s’agit d’un véritable pari sur l’avenir qui place le corps médical hospitalier public face à de réelles responsabilités de gestion, au même titre que les gestionnaires administratifs.

La mise en place de la tarification à l’activité dans les établissements de santé va également dans le sens de la confiance quant aux choix exercés localement, et cela sur la base d’une approche médicalisée de la gestion hospitalière. Sa généralisation conduit à apprécier l’efficience des établissements de santé non seulement dans un cadre intrinsèque mais également dans un cadre territorial nouveau, le territoire de santé, sur lequel se partagent de véritables «portefeuilles d’activités médicales», dans des structures juridiques de coopérations nouvelles (groupements de coopération sanitaire, réseaux de soins), en veillant attentivement à la préservation des intérêts de la population.

  • La notion de services d’intérêt économique général et l’égalité de traitement 

Les services d’intérêt économique général (SIEG) – l’équivalent communautaire des services publics au sens du droit administratif français– désignent, selon la Commission européenne, « les activités de service marchand remplissant des missions d’intérêt général et soumises de ce fait par les Etats membres à des obligations spécifiques de service public ». C’est notamment le cas des services en réseaux de transport, d’énergie, ou de communication qui correspondent en fait à nos services publics industriels et commerciaux.

D’une manière générale, les traités communautaires ne proposent aucune définition des SIEG. Mais ces textes fondamentaux, qui marquent les grandes étapes de la construction européenne et en constituent le socle juridique, ont progressivement évolué pour accorder une place plus favorable au service public, lequel constitue une des bases essentielles du droit de l’Etat en France. 

Le service d’intérêt économique général est une invention européenne, fruit de la rencontre de traditions nationales et de la naissance progressive d’un intérêt général européen, par l’expression comme par le contenu. Apparu dès le Traité de Rome, le service d’intérêt économique général correspond à la rencontre des diverses expressions nationales en Europe d’un service de nature économique et d’intérêt général.

Quant au contenu, il a évolué au fil du temps, et n’est encore pas stabilisé. Tel que défini par les Traités, il est dans un premier temps un service susceptible de droits dérogatoires au droit commun européen fondé sur la libre concurrence. Son évolution est éminemment liée à la philosophie européenne. 

En effet, après avoir mis en place les conditions d’existence du marché intérieur, les États, comme les institutions ont mis l’accent sur la notion de cohésion économique et sociale. Les années 1990 marquent à cet égard un moment décisif et constructif. Les années 2000 prennent acte de ces évolutions conduisant les institutions à préciser les concepts liés au service d’intérêt économique général.

Force est de constater que le service public a occupé pendant longtemps une place relativement marginale dans les traités européens. En effet, jusqu’à l’entrée en vigueur du traité d’Amsterdam, qui modifie le traité sur l’Union européenne et le traité instituant la Communauté européenne, l’ex-article 77 était la seule disposition du traité CE à faire directement référence à cette notion controversée dont l’interprétation demeure pour une part essentielle l’œuvre du juge communautaire.

On remarquera d’ailleurs à ce propos que, dans les débuts de la construction européenne, la Commission comme la Cour de justice des Communautés européennes ont semblé faire prévaloir une approche restrictive du service public. Puis les institutions européennes ont sensiblement évolué : la Cour a infléchi sa jurisprudence en admettant la spécificité de certaines activités qui justifient des dérogations aux règles de la concurrence et la Commission a cherché depuis 1987 à promouvoir le concept de service universel qui apparaît en fait comme un noyau incompressible du service public; concept que l’on rencontre, pour la première fois en droit français, dans la loi n° 96-659 du 26 juillet 1996 portant réglementation des télécommunications.

Un changement notable intervient notamment en 1997 avec le traité d’Amsterdam qui, de façon novatrice, jette les bases d’une conception globale des SIEG.

Enfin, le traité « établissant une Constitution pour l’Europe » signé à Rome le 29 octobre 2004 par les chefs d’Etat et de gouvernement des 25 Etats membres de l’Union européenne reconnaît sans ambiguïté la place tenue par les SIEG dans le modèle social européen et renforce le poids de ces services qui ne sont plus réduits à la portion congrue. 

  1. Les bases juridiques affirmées par les traités européens

Le Traité de Rome comporte la notion de service d’intérêt économique général, et même l’expression de service public. Selon l’article 86-2, « Les entreprises chargées de la gestion de services d’intérêt économique général ou présentant le caractère d’un monopole fiscal sont soumises aux règles du présent Traité, notamment aux règles de concurrence, dans les limites où l’application de ces règles ne fait pas échec à l’accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie. Le développement des échanges ne doit pas être affecté dans une mesure contraire à l’intérêt de la Communauté ». L’article 77 initial mentionne même l’expression de service public, à propos des transports. En réalité, avec le recul, cette mention ne saurait être prise comme une catégorie à part. La notion de service d’intérêt économique général doit désormais être comprise comme générique. Elle est dans un premier temps présente dans le Traité de Rome, qui vise à en tracer des contours limités et respectueux de la libre concurrence.

C’est le Traité de Maastricht qui jette les bases juridiques concrètes de la cohésion économique et sociale auquel un titre entier est alors consacré. Le titre XVII du Traité instituant la Communauté européenne donne une dimension sociale à une construction jusque-là essentiellement économique. Dès lors, en fonction de la méthode téléologique utilisée par la CJCE, de nouvelles perspectives de garanties des services d’intérêt économique général se trouvaient ouvertes.

Le Traité d’Amsterdam, quant à lui, consacre la notion de service d’intérêt économique général en tant qu’instrument de cohésion économique et sociale. L’article 16 du Traité CE est désormais la base incontournable du service public en Europe. Il se lit comme suit : « Sans préjudice des articles 73, 86 et 87, et eu égard à la place qu’occupent les services d’intérêt économique général parmi les valeurs communes de l’Union ainsi qu’au rôle qu’ils jouent dans la promotion de la cohésion sociale et territoriale de l’Union, la Communauté et ses États membres, chacun dans les limites de leurs compétences respectives et dans les limites du champ d’application du présent traité, veillent à ce que ces services fonctionnent sur la base de principes et dans des conditions qui leur permettent d’accomplir leurs missions ». Ce qui était pensé comme une incompatibilité, puis une concession du droit de la concurrence au service d’intérêt économique général, devient un principe à part entière. Ces éléments apparaissent comme des instruments de la gouvernance européenne.

En somme, les bases juridiques écrites des services d’intérêt économique général leur donnent une pleine reconnaissance dans le respect ou la conciliation avec d’autres principes. Comme dans tout système juridique dans lequel des données potentiellement contradictoires coexistent, le rôle du juge est essentiel. Or la Cour de justice des Communautés européennes a joué un rôle essentiel dans la promotion du service d’intérêt économique général. 

Les arrêts Corbeau et commune d’Almelo font indéniablement partie de ce que l’on peut appeler les grands arrêts de la jurisprudence communautaire. Ils viennent de façon heureuse, répondre à la formule demeurée célèbre, du Conseil d’État, selon laquelle le droit communautaire faisait pire que combattre la notion de service public, il l’ignorait. L’idée a fait long feu par cela seul que le juge communautaire a adopté une nouvelle lecture des traités. Ainsi par l’arrêt Corbeau, le juge communautaire met en lumière les droits spéciaux pour le service de la poste belge. Dans le même sens, l’arrêt commune d’Almelo permet de mettre en évidence la spécificité du service de fourniture de l’électricité. Il s’agit d’une première avancée jurisprudentielle des services d’intérêt économique général en tant que leur spécificité est mise en évidence. Par là même, ils nécessitent un droit particulier, potentiellement dérogatoire au droit de la concurrence.

La fin des années 1990 marque encore une nouvelle approche de la Cour de justice. L’arrêt décisif en la matière est l’arrêt Commission contre France de 1997. L’espèce concerne Électricité de France, bénéficiaire de droits spéciaux. Les échanges d’argumentaires entre la France et la Commission résument parfaitement la tension existant entre le service d’intérêt économique général et le droit de la concurrence. 

Selon la Commission, le caractère non vital des aides publiques pour l’entreprise les rendait non conforme au droit communautaire. Pour la France en revanche, la nécessité d’assurer la continuité du service public de l’électricité exigeait lesdites aides, fussent-elle non absolument nécessaires à court terme. La réponse de la Cour de justice est éloquente. En effet, elle affirme nettement que « pour que les règles du Traité ne soient pas applicables à une entreprise chargée d’un service d’intérêt économique général (…) il suffit que l’application de ces règles fasse échec à l’accomplissement, en droit ou en fait, des obligations particulières qui incombent à cette entreprise. Il n’est pas nécessaire que la survie de l’entreprise soit elle-même menacée ».

Le début des années 2000 témoigne d’une nouvelle génération de jurisprudence communautaire sur les services d’intérêt économique général. En effet la Cour, sur le fondement du droit originaire, a mis en valeur la notion de « compensation ». Dans deux arrêts de 2003 , la Cour a précisé les conditions dans lesquelles des aides n’entrent pas dans le champ des interdictions prescrites par le Traité. 

Selon elle, les aides publiques « ne tombent pas sous le coup de l’interdiction dans la mesure où de telles subventions sont à considérer comme une compensation représentant la contrepartie des prestations effectuées par les entreprises bénéficiaires pour exécuter des obligations de service public. Aux fins de l’application de ce critère, il incombe à la juridiction (nationale) de vérifier la réunion des conditions suivantes : premièrement, l’entreprise bénéficiaire a effectivement été chargée de l’exécution d’obligations de service public et ces obligations ont été clairement définies ; deuxièmement, les paramètres sur la base desquels est calculée la compensation ont été préalablement établis de façon objective et transparente ; troisièmement, la compensation ne dépasse pas ce qui est nécessaire pour couvrir tout ou partie des coûts occasionnés par l’exécution des obligations de service public, en tenant compte des recettes y relatives ainsi que d’un bénéfice raisonnable pour l’exécution de ces obligations ; quatrièmement, lorsque le choix de l’entreprise à charger de l’exécution d’obligations de service public n’est pas effectué dans le cadre d’une procédure de marché public, le niveau de la compensation nécessaire a été déterminé sur la base d’une analyse des coûts qu’une entreprise moyenne, bien gérée et adéquatement équipée en moyens de transport afin de pouvoir satisfaire aux exigences de service public requises, aurait encourus pour exécuter ces obligations, en tenant compte des recettes y relatives ainsi que d’un bénéfice raisonnable pour l’exécution de ces obligations. »

La jurisprudence communautaire permet donc d’observer la plasticité des dispositions de droit originaire et dérivé. Cependant plasticité et sécurité juridique ne vont pas nécessairement de pair.

  1. Le financement des SIEG et le droit de la concurrence

Le principe est celui qui définit l’article 106, paragraphe 2, TFUE (ancien art. 86, § 2, CE) selon lequel « les entreprises chargées de la gestion de services d’intérêt économique général (…) sont soumises aux règles du présent traité, notamment aux règles de concurrence, dans les limites où l’application de ces règles ne fait pas échec à l’accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie. Le développement des échanges ne doit pas être affecté dans une mesure contraire à l’intérêt de la communauté ». D’où de délicats arbitrages, concernant l’appréciation du caractère nécessaire que présentent les dérogations pour l’accomplissement de la mission d’intérêt général et le financement de ces établissements. 

Le financement des établissements de soins du secteur public est susceptible de soulever de délicats problèmes. Dans nombre d’États, dont la France, il est majoritairement assuré non par les patients mais par les organismes d’assurance-maladie ou le budget des collectivités publiques. 

La question se pose alors de savoir si une partie des montants alloués sur ces fonds publics n’est pas de nature à fausser la concurrence avec les établissements de soins privés et affecter les échanges entre les États membres, donc à constituer une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE (ancien art. 87, § 1, CE), qui doit être soumise à l’examen de la Commission.

Les règles de concurrence énoncées par le Traité CE constituent un instrument dont l’importance n’est plus à souligner pour la réalisation d’un marché commun où les activités économiques doivent pouvoir se développer harmonieusement, d’une manière équilibrée et durable; ces règles imposent en fait une discipline non seulement au comportement des entreprises économiques elles-mêmes mais également aux interventions que les États membres adoptent en faveur de certaines d’entre elles.

Si la seconde de ces disciplines s’était traduite, dans le cadre sectoriel du Traité CA désormais expiré, par un principe général d’interdiction des subventions ou aides accordées par les États, le Traité CE (article 87) ne proclame pas leur interdiction; il retient à leur égard un principe général d’incompatibilité avec le marché commun, aussitôt suivi par l’énonciation dérogatoire des aides qui sont considérées comme compatibles de plein droit et de celles qui peuvent être considérées comme compatibles par la Commission. Il n’en part pas moins de l’idée fondamentale que les interventions des États membres doivent faire l’objet d’une surveillance étroite.

Heureusement pour les établissements, la rigueur qu’ils auraient pu redouter de la part de la Commission et de la Cour a connu un infléchissement notable, du moins en ce qui concerne les aides qui sont allouées en compensation des coûts occasionnés par l’exécution des obligations de service public. Après un temps d’hésitation, la Cour de justice a indiqué dans l’arrêt « Altmark » du 24 juillet 2003 que les compensations de service public ne constituent pas des aides d’État au sens de l’article 87 CE (devenu art. 107, § 1, TFUE). 

Cela assure, en principe, leur compatibilité avec le traité mais ne dispense pas de l’obligation de les notifier à la Commission qui doit vérifier si l’aide remplit bien les quatre conditions fixées par la Cour, notamment ne dépasse pas ce qui est nécessaire pour couvrir les coûts occasionnés par l’exécution des obligations de service public, est calculée de façon objective et transparente afin de ne pas comporter un avantage économique défavorable aux entreprises privées concurrentes

La Commission a fait un pas supplémentaire, dans sa décision n° 2005/842 du 28 novembre 2005 précitée, en dispensant de notification certaines catégories de compensation de service public au nombre desquelles figurent quel qu’en soit le montant, celles qui sont « octroyées aux hôpitaux (…) qui exercent des activités qualifiées de services d’intérêt économique général par l’État membre concerné » (art 2, § 1er, b). Encore faut-il, bien entendu, que la compensation remplisse les conditions prévues par la décision, en particulier n’excède pas le montant des charges de service public auquel cas l’établissement devrait rembourser la surcompensation.

Pour déterminer cela, il faut évidemment que les « paramètres de calcul de la compensation doivent être établis de façon objective et transparente  pour éviter de fausser la concurrence en favorisant des entreprises chargées d’un SIEG au détriment des entreprises concurrentes ».

Notons que dans le droit français, la notion de SIEG est étendue aux établissements de la santé : « La notion de SIEG renvoie aux notions d’obligation de service public au travers des activités d’intérêt général et intègre ainsi indirectement la notion de missions de service public visée dans le Code de la santé publique »

Et cela vaudra autant pour les établissements publics que les établissements privés : « « la pratique décisionnelle nationale et européenne considère qu’il n’est pas pertinent de distinguer l’offre selon qu’elle émane d’établissements de santé publics ou privés, les établissements hospitaliers sont soumis à un cadre réglementaire et normatif commun qui définit les conditions de leur activité, régulée au niveau régional par les agences régionales de santé avec lesquelles ils concluent des contrats d’objectifs et de moyens ».

Section III : Conséquences fiscales avec des impacts chiffrés d’exemples concrets

Partie II : Une doctrine fiscale créatrice de droit dans un environnement flou 

Chapitre I : Les réponses hétérogènes de l’administration fiscale 

A l’instar des autres actes de puissance publique, le prélèvement fiscal ne peut se désintéresser de ses éventuels effets anti-concurrentiels. On se propose d’analyser la modernisation progressive des instruments d’analyse du juge fiscal lorsque celui-ci fait respecter le principe d’égal assujettissement aux impôts commerciaux des opérateurs économiques publics et privés. La réception du concept de marché pertinent, issu de l’analyse économique, lui permet désormais de disposer d’un outil de contrôle beaucoup plus précis afin d’appréhender les différentes zones de rapport concurrentiel. 

Avant le 1er janvier 1988, les établissements hospitaliers étaient soumis en matière de TVA à des régimes fiscaux très différents qui dépendaient de nombreux facteurs (qualité de l’établissement, conditions de fonctionnement, nature des prestations rendues).

L’article 256 B du CGI exonérait les établissements publics pour l’ensemble de leurs activités alors que les établissements privés à but lucratif étaient imposables à la TVA sauf application de l’exonération concernant les soins dispensés à la personne par les membres des professions médicales ou paramédicales.

Cette diversité de régimes, confirmée d’ailleurs par une jurisprudence abondante, avait d’une part créé de nombreuses difficultés d’application et d’autre part paraissait peu conforme à l’équité.

La loi de finances pour 1988 a dénoué cette situation dans son article 23, codifié sous l’article 261, 4, 1° bis du CGI qui exonère tous les établissements d’hospitalisation privée pour leurs activités de traitement et d’hospitalisation, y compris les frais de mise à disposition d’une chambre individuelle ; les hôpitaux publics sont placés hors du champ d’application de la TVA par l’article 256 B du CGI

De plus,  depuis les arrêts fondateurs de 1996 et de 1997 l’introduction du droit de la concurrence dans le bloc de légalité administrative a fait l’objet de nombreux travaux en droit administratif. Même si on doit faire le constat que la doctrine la plus récente a comparativement peu abordé les problématiques liant fiscalité et concurrence

Ce constat peut surprendre tant les rapports semblent aisés à établir (voir supra). En premier lieu, il apparaît nettement que nombre de dispositions fiscales peuvent avoir un effet sur l’activité des opérateurs économiques en altérant les conditions de leur rapport concurrentiel

En second lieu, si, pour reprendre l’expression utilisée par Rémy Schwartz dans ses conclusions sur l’affaire SA Caen Distribution, « le droit de la concurrence issu de l’ordonnance du 1er décembre 1986 irradie tout le droit public », il semble difficilement envisageable que le droit fiscal ait pu rester indemne de tout rayonnement. 

Si la notion même de distorsion de concurrence, entendue comme moyen autonome susceptible d’entraîner l’annulation d’un acte administratif, a fait une apparition récente dans les décisions du juge administratif et notamment dans celles du Conseil d’Etat, celui-ci ne semble pas jusqu’ici s’être attaché à lui donner une définition précise

De plus, le juge utilise depuis longtemps d’autres concepts plus familiers tels que le principe d’égalité devant la loi, le principe d’égalité devant les charges publiques ou le principe de liberté du commerce et de l’industrie, qui lui permettent d’appréhender et de censurer les diverses formes de ruptures d’égalité entre opérateurs dans la concurrence

Cette « substituabilité » des principes ne doit d’ailleurs pas être considérée comme obsolète depuis la réception du droit de la concurrence par le juge administratif. L’étude des récentes décisions employant le concept « distorsion de concurrence » tend également à démontrer que la Haute juridiction administrative n’a pas souhaité lui donner une portée sensiblement différente des principes précédemment évoqués et en particulier du principe d’égalité

Au moment où le moyen tiré d’une distorsion de concurrence se révèle ainsi de plus en plus usité en droit administratif, l’observation montre que le droit fiscal et son juge se préoccupent depuis fort longtemps de ce que les prélèvements fiscaux effectués sur des opérateurs économiques agissant sur un même marché ne rompent la nécessaire égalité devant être maintenue entre eux pour que le processus concurrentiel puisse correctement fonctionner. Il est à cet égard possible de déceler les prémisses d’un tel raisonnement dans les conclusions de Léon Blum sur la décision Commune de Mesle-sur-Sarthe

La question qui se posait à la haute juridiction était de savoir si une personne publique exerçant une activité de nature industrielle et commerciale pouvait être imposée à la contribution des patentes. Son commissaire du gouvernement avait avancé l’idée qu’il existait un « principe général » de la législation fiscale qui ait voulu apporter le moins de distinction possible entre les personnes privées et les personnes publiques se livrant aux mêmes activités et qu’« en principe, le patrimoine d’une commune au regard du fisc n’a pas d’autres privilèges que le patrimoine d’un particulier »

Si la rédaction de la décision ne permet pas d’affirmer que le juge ait entendu faire sien l’ensemble des arguments de son commissaire, la prise de position de ce dernier en faveur d’un assujettissement au regard du critère matériel de l’activité exercée et non en fonction du critère organique marque un incontestable attachement à l’égalité de traitement entre personnes publiques et privées.

Dans le prolongement de cette décision, l’étude se propose dans un premier temps d’examiner les fondements jurisprudentiels et législatifs s’attachant à garantir un égal assujettissement aux impôts commerciaux des différents opérateurs économiques. Le sujet ne se limite pas aux hypothèses de personnes publiques se livrant à des activités économiques, le juge fiscal ayant également dû préciser les critères guidant l’imposition de personnes morales de droit privé sans but lucratif exerçant de telles activités.

L’examen des différentes décisions du Conseil d’Etat ainsi que celles rendues par les différentes cours administratives d’appel démontre de plus que, pour garantir la neutralité concurrentielle de l’impôt et pour circonscrire de la manière la plus précise les différentes zones de rapport de compétition entre entreprises, le juge fiscal a récemment intégré dans son raisonnement un instrument d’analyse économique habituellement utilisé par les autorités de concurrence, le concept de « marché pertinent ».

Section I : Distinction entre les notions de lucrativité et d’activité économique 

Comme nous l’avons démontré plus haut, la genèse du principe d’imposition révèle le souci de préserver les conditions d’une égale concurrence entre opérateurs économiques. Ainsi qu’il a pu être démontré dans un des premiers travaux de référence sur le sujet, c’est dans la jurisprudence du Conseil d’Etat qu’il faut chercher le principe d’imposition des personnes publiques, principe étendu aux personnes morales de droit privé ne poursuivant pas un but lucratif mais exerçant une activité analogue à celle des entreprises privées. Si les premières décisions du Conseil d’Etat traduisent déjà la volonté manifeste du juge de préserver les conditions d’une égalité de traitement fiscal, le législateur lui a par la suite permis de disposer d’un critère légal d’assujettissement qu’il a progressivement défini en vue de préserver cet objectif.

  • 1 : De la notion d’activité économique

Toujours plus européenne, toujours plus confrontée à de nouvelles contraintes économiques et normatives, toujours plus observée, l’action des personnes publiques et des personnes privées qui agissent pour elles connaît une transformation sans précédent à la recherche de ses fondements. La notion d’activité économique – et son corollaire l’activité non économique – peuvent apparaître aujourd’hui comme des notions commodes, à même de constituer un support aussi bien théorique que pratique aux évolutions d’une bonne part du droit administratif en général et des services publics en particulier.

La notion d’activité économique est l’élément de définition du concept d’« entreprise » qui permet l’application du droit de la concurrence de l’Union européenne. Cette notion s’approche des activités « de production, de distribution et de services, y compris celles qui sont le fait de personnes publiques, notamment dans le cadre de conventions de délégation de service public » de l’article L. 410-1 du code de commerce. La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a donc pu, en identifiant des activités non économiques, limiter le champ d’application du droit de la concurrence pour les missions de souveraineté et les activités sociales

Cette exclusion peut d’ailleurs être généralisée à toutes les libertés économiques qui constituent le fondement du marché intérieur. Ces missions exclues recoupent bien évidemment les missions assurées ou assumées par les personnes publiques et le juge administratif a, depuis un certain temps, déjà intégré les bases de cette jurisprudence, de même que les autorités de concurrence

Si le juge national a pu réceptionner la jurisprudence de l’Union européenne et l’appliquer aux cas où les articles 101 et suivants du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne étaient invoqués, il a parallèlement développé une conception interne de la notion d’activité économique qui présente des similitudes comme des « éléments de contradiction » avec le droit de l’Union européenne. 

Cette exception culturelle juridique est à l’image de sa démarche interne relative à l’application ou à l’opposabilité du droit de la concurrence. L’exception n’est également pas exempte des interrogations que peut susciter la nature spécifique du « principe de libre concurrence » utilisé par le juge administratif.

Etudier la conception interne de la notion d’activité économique des personnes publiques serait donc une démarche représentative de la figure classique d’une partie pour le tout. Tout le droit de la concurrence et peut-être tout le droit public économique. Cette analyse s’avère particulièrement nécessaire alors que le service public « à la française » est, comme toujours, à la recherche de sa définition et que les institutions européennes accomplissent un effort sans précédent d’identification des concepts structurants que sont le service d’intérêt économique général et le service d’intérêt général non économique.

Le service public ou d’intérêt général et l’intervention économique des personnes publiques sont de plus en plus encadrés par secteurs, par des textes transversaux, par les jurisprudences nationales et européennes. On perçoit aujourd’hui que le véritable enjeu, l’interrogation majeure – et primaire – des personnes publiques est précisément de savoir si elles vont devoir respecter l’ensemble des règles économiques liées à la nature de leur activité. Ainsi, le rôle clivant de la notion française d’activité économique des personnes publiques implique que l’on cherche à savoir si elle constitue vraiment une notion pertinente, dont la fonction serait de permettre l’application du droit interne de la concurrence et des libertés économiques aux activités des collectivités publiques.

Précisément, on peut remarquer que l’activité économique des personnes publiques, dans son acception interne – et même si l’on peut remettre en cause cette approche – présente les caractéristiques d’une « notion fonctionnelle », c’est-à-dire qu’elle appartiendrait « à cette espèce de catégories juridiques dont l’unité est plus fonctionnelle que conceptuelle » et qui « permettent au juge de résoudre un certain nombre de problèmes du même type au jour le jour, tout en réservant l’avenir ». Ainsi, on se propose de montrer comment la notion française d’activité économique des personnes publiques s’est construite, avant de démontrer qu’elle présente un manque certain de cohérence qui rend son identification difficile.

  1. Apparition de la notion 

La notion d’activité économique permet aujourd’hui au juge administratif de circonscrire le champ d’application du droit public des affaires. En ce sens, elle est une notion fonctionnelle. Son caractère efficient peut être mis en avant d’une manière générale, relativement à l’application de l’ensemble des libertés économiques et de manière plus particulière, mais absolument fondamentale – et peut-être plus innovante – en droit des contrats publics. 

  1. Une limite générale à l’application des libertés économiques aux interventions publiques
  2. Une limite spéciale à l’application du droit des contrats publics 

  1. Développement de la notion

  • 2 : De la notion de lucrativité

  1. La jurisprudence initiale du Conseil d’Etat concernant l’assujettissement des personnes publiques et des personnes morales de droit privé 

Durant la plus grande partie du 19e siècle, la question de l’assujettissement des personnes publiques à l’impôt, et surtout celui de l’Etat, ne se posait pas puisque la puissance publique se cantonnait à exercer des activités de nature administrative ayant pour objet la conservation du groupe social

L’Etat et les autres personnes publiques ne se livraient pas ou peu à des activités industrielles ou commerciales réservées au champ d’action des personnes privées en application du principe de la liberté du commerce et de l’industrie déjà étroitement lié dans l’esprit du juge à la libre concurrence

La multiplication des interventions de personnes publiques dans la fourniture de biens ou de services marchands entraînée par l’avènement de l’« Etat-providence » combinée au mutisme législatif et réglementaire sur le sujet ont peu à peu rendu nécessaire une clarification jurisprudentielle, notamment s’agissant de la contribution à la patente

Ainsi qu’il avait commencé à le faire dans la décision Commune de Mesle-sur-Sarthe précitée, le Conseil d’Etat a répondu à la question qui lui était posée en dégageant proprio motu un critère matériel d’imposition que l’on a désigné sous le terme de « principe de similitude » des activités exercées. 

En application de celui-ci, l’assujettissement des personnes publiques s’impose dès lors que celles-ci se livrent à des activités comparables à celles des personnes privées. Il est ainsi aisé de comprendre pourquoi l’assimilation s’est essentiellement effectuée au regard des impôts commerciaux, « c’est-à-dire des contributions visant le domaine « naturel » de l’activité privée ».

Sans assise textuelle explicite pendant plusieurs années, ce principe jurisprudentiel a finalement trouvé une traduction législative dans l’article 4 de la loi du 28 juin 1941 portant fixation du budget de l’exercice 1941, dont les dispositions sont actuellement reprises à l’article 1654 du code général des impôts (CGI).

Comme l’énonce Pierre Moulié, « à partir du moment où le législateur et le juge ouvrent largement la porte du secteur économique aux collectivités publiques, il ne pouvait faire autrement que de prononcer leur assujettissement de principe dans les mêmes conditions que les entreprises privées, à peine de violer les principes mêmes de la libre concurrence ». La finalité du principe de similitude est donc indubitablement l’éradication des distorsions de concurrence d’origine fiscale.

S’agissant des personnes morales de droit privé poursuivant un but non lucratif mais se livrant à des activités analogues à celles des entreprises privées, la haute juridiction administrative s’est également très tôt interrogée sur le point de savoir si les activités auxquelles se livraient ces personnes pouvaient être considérées comme l’exercice d’une profession, d’une industrie ou d’un commerce au sens de l’article 1er de la loi du 15 juillet 1880 instituant la contribution des patentes. Il est néanmoins plus difficile d’y discerner, tout du moins dans le premier état de la jurisprudence, une volonté explicite de fonder l’imposition sur le nécessaire maintien de l’égalité fiscale entre opérateurs exerçant la même activité

  1. L’interprétation originelle du concept de lucrativité en tant que critère légal d’assujettissement

Si le principe de similitude ressort nettement des dispositions de l’article 1654 précité, sa mise en œuvre est toutefois plus complexe à effectuer que ne le laisse tout d’abord penser la simplicité de sa compréhension. Cette disposition doit en effet être lue en combinaison avec plusieurs autres dispositions du CGI concernant spécifiquement le champ d’application de certains impôts commerciaux

Si la multiplicité de textes applicables selon les impôts concernés complique inévitablement la mission du juge, celui-ci dispose néanmoins, en s’appuyant sur les dispositions du CGI, d’un critère légal d’assujettissement : le caractère lucratif de l’activité exercée.

La lecture des dispositions du CGI fait nettement ressortir que le législateur a entendu fondé l’imposition, tout du moins s’agissant de l’impôt sur les sociétés (IS) et de la taxe professionnelle (TP), sur le critère de la lucrativité de l’activité exercée, celui-ci se révélant être d’autre part une condition essentielle d’exonération à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA).

Si le concept est largement balisé depuis la mise en place de la contribution des patentes, celui-ci se révèle néanmoins d’une application assez difficile, s’agissant notamment des activités de service public des personnes publiques. Il est en effet tentant de considérer qu’à l’opposé des activités de Service public administratif (SPA), les activités de Service public industriel et commercial (SPIC), traditionnellement entendues comme des activités que pourraient entreprendre des opérateurs privés, doivent être considérées comme des activités lucratives. 

Néanmoins, l’observation démontre qu’un tel lien ne peut être fait de manière automatique à peine d’entraîner un certain nombre d’erreurs. Ainsi que le fait remarquer Loic Levoyer, le SPIC de distribution d’eau potable est exonéré d’IS alors qu’inversement une régie municipale assurant un SPA est susceptible d’y être assujettie

De fait, il apparaît clairement que les critères dégagés pour définir le caractère lucratif d’une activité, notion que le juge a rendue commune à tous les impôts commerciaux, n’ont que peu de rapport avec ceux dégagés pour qualifier le caractère industriel et commercial d’un service public.


S’en remettant à une approche casuistique, le juge a ainsi pu décider qu’une régie départementale chargée de l’exploitation de pont à péage ne poursuivait pas d’activité lucrative en ne se fondant pas sur le caractère administratif de la mission de service public exercée mais en raison du fait que, si les services rendus aux usagers donnaient lieu à rémunération, les conditions dans lesquelles ceux-ci étaient rendus ne pouvaient être regardées comme des conditions habituelles d’exercice de la profession de concessionnaire d’ouvrage public.

S’agissant des organismes de droit privé sans but lucratif, et notamment des associations, la jurisprudence traditionnelle du Conseil d’Etat était qu’ils devaient être assujettis aux impôts commerciaux si « leur gestion n’est pas désintéressée et si les conditions de leur gestion sont similaires à celles des entreprises commerciales exerçant une activité analogue ».

La première condition ne pose pas de difficultés particulières de compréhension puisqu’il est possible de résumer la jurisprudence en indiquant que la gestion d’un organisme peut être considérée comme désintéressée si celui-ci ne poursuit, ni en droit ni en fait, la recherche ou la distribution de bénéfices.


Dans le cadre de la jurisprudence traditionnelle, la recherche du caractère lucratif de l’activité passait dans un deuxième temps par la vérification que l’organisme agissait « dans des conditions différentes de celles des entreprises commerciales, notamment quant à la couverture de besoins qui ne sont pas normalement ou suffisamment pris en compte par ces dernières, quant aux prix pratiqués et au public accueilli »

Ce deuxième critère, habituellement désigné par le concept « d’utilité sociale » de l’association, traduit l’idée qu’un organisme, lorsqu’il entre en compétition sur un marché de biens ou de services avec les opérateurs du secteur concurrentiel, ne peut préserver son caractère de non lucrativité que s’il exerce son activité dans des conditions plus favorables à l’intérêt général ou à l’intérêt des usagers que l’activité analogue d’un organisme à but lucratif.

Il est intéressant de remarquer que l’adjonction de ce second critère de qualification constituait dès cette époque dans l’esprit du juge un moyen de prévenir des distorsions de concurrence d’origine fiscale entre opérateurs se livrant aux mêmes activités économiques. Dans ses conclusions sur l’affaire Association Saint-Luc, Jacques Delmas-Marsalet considérait ainsi que le juge ne pouvait s’en tenir au seul critère de la gestion désintéressée car « une telle solution reviendrait à privilégier des groupements dont la gestion, pour bénévole et désintéressée qu’elle soit, n’apporterait aux usagers ou à la collectivité d’autres avantages que ceux qu’ils peuvent retirer du marché et profiterait, en réalité, à l’institution elle-même prise en tant que puissance dont la capacité concurrentielle se trouverait accrue par l’effet d’une accumulation affranchie d’impôt ».

Pour séduisant qu’il soit, ce critère de l’« utilité sociale » présentait un certain nombre d’inconvénients. Outre la redondance de certains indices, le faisceau mis en place par le juge n’établissait pas de véritable hiérarchie entre ceux-ci, avec comme conséquence de potentielles distorsions de concurrence entraînées par une application disparate selon les services fiscaux concernés. 

Plus fondamentalement encore, l’articulation du raisonnement suivi manquait de rigueur et de logique au regard du fonctionnement d’un marché de biens ou de services. Si l’on ne pouvait que louer la volonté de préserver une concurrence loyale pour les opérateurs privés, la méthode suivie par le juge ne le conduisait pas la plupart du temps à s’interroger explicitement sur la potentialité, voire la réalité, de cette concurrence. On comprend en effet aisément que c’est seulement s’il a des concurrents commerciaux qu’il convient de comparer les modalités de gestion de l’organisme sans but lucratif.

Dans une affaire concernant l’assujettissement à la TVA d’une association, la Haute assemblée a récemment affiné et clarifié sa jurisprudence en intégrant une analyse concurrentielle dans la méthode d’appréciation du caractère lucratif d’une activité. La grille d’analyse ainsi mise en place pour la TVA a par la suite été étendue par le juge aux autres impôts commerciaux.

Ainsi qu’il a été exposé ci-dessus, l’état du droit antérieur, caractérisé par une grande insécurité juridique, ne laissait pas d’inquiéter le secteur associatif. La réponse de l’administration à cette inquiétude s’est traduite par la mise en place d’une mission d’expertise ainsi que par la publication d’une nouvelle instruction fiscale sur le sujet

L’affaire Jeune France allait être l’occasion pour la Haute assemblée de donner une solution jurisprudentielle en choisissant de reprendre ou d’écarter certaines des innovations proposées dans les deux textes précités. Rappelant les inconvénients de l’état du droit précédent, le commissaire du gouvernement a sans hésiter repris la proposition du rapport de Guillaume Goulard consistant en l’insertion d’une étape intermédiaire de contrôle entre le critère de la gestion désintéressée et le critère des modalités d’exercice de l’activité.

Cette nouvelle phase du contrôle a pour objet de déterminer, cette fois-ci explicitement, si l’organisme sans but lucratif et à gestion désintéressée, entre en concurrence avec une ou plusieurs entreprises commerciales lorsqu’il se livre à l’activité litigieuse. 

Dans la négative, « l’activité de l’association se déploie hors du secteur marchand » et « l’exemption des impôts commerciaux n’est dès lors pas de nature à porter atteinte aux principes d’égalité devant l’impôt et d’égalité dans la concurrence »

Dans l’affirmative, il existe « un risque de concurrence déloyale si l’association ne supporte pas les charges correspondantes, notamment fiscales » et il faut alors passer à l’examen des modalités d’exercice de l’activité associative. Si l’autonomisation d’un critère central de non-concurrence figurait dans les deux propositions de réforme, celles-ci divergeaient néanmoins sur la conception de la concurrence qu’il convenait de retenir.

Le rapport prônait le système de la « concurrence potentielle » et l’instruction celui de la « concurrence effective ». En application du premier, une association doit être regardée comme intervenant dans un champ concurrentiel tout en étant la seule à proposer un certain type de services ou de biens dans un secteur géographique déterminé si elle développe la même activité que des entreprises commerciales implantées ailleurs. 

  1. Jean Courtial n’a pas proposé à la Haute Assemblée de retenir cette conception car elle lui semblait réduire presque à néant l’utilité d’un critère autonome de non-concurrence en reportant le travail de qualification sur la troisième phase. Il est en effet difficile d’imaginer des hypothèses dans lesquelles un rapprochement entre l’activité d’une association et l’activité d’une entreprise commerciale se livrant à des activités analogues ne pourrait être opéré

Le commissaire s’est en revanche prononcé en faveur de l’adoption du système de la « concurrence effective » préconisée par l’instruction du 15 septembre 1998. Selon cette seconde conception, « la situation de l’organisme s’apprécie par rapport à des entreprises ou des organismes lucratifs exerçant la même activité, dans le même secteur. L’appréciation de la concurrence ne s’effectue donc pas en fonction de catégories générales d’activités (spectacles, tourisme, activités sportives…) mais à l’intérieur de ces catégories ». C’est à un niveau plus fin que la similarité d’activité doit être appréciée.

La question qu’il convient ainsi de se poser est celle de savoir si le public peut indifféremment s’adresser à une structure lucrative ou non lucrative. Cet élément s’apprécie en fonction de la situation géographique de l’organisme. Le commissaire du gouvernement devait préciser que cette proposition correspond en fait à un concept issu du droit de la concurrence déjà utilisé par le juge administratif et dont il proposait la transposition en plein contentieux fiscal : le concept de « marché pertinent », « sur lequel se rencontrent l’offre et la demande de produits et de services qui seront considérés par les consommateurs comme substituables entre eux et non substituables aux autres produits et services offerts, compte tenu des caractéristiques intrinsèques des produits et services, de leur image, des prix, des habitudes des consommateurs et des particularités de la commercialisation ».

Le Conseil d’Etat a suivi le raisonnement de son commissaire puisqu’il considère désormais que l’absence de caractère lucratif d’un organisme s’apprécie, en premier lieu, en fonction du caractère désintéressé de sa gestion et, en second lieu, en fonction du fait que les services qu’il rend « ne sont pas offerts en concurrence dans la même zone géographique d’attraction avec ceux proposés au même public par des entreprises commerciales exerçant une activité identique ».

Les suites de la jurisprudence Jeune France ont permis au Conseil d’Etat de démontrer son attachement à l’analyse concurrentielle qu’il venait de valider en repoussant les tentatives de l’administration fiscale pour que soit reconnu le caractère commercial et lucratif par nature de certaines activités. S’il a pu paraître un temps séduit par une telle proposition, le Conseil d’Etat a nettement clarifié sa position dans une décision du 8 mars 2002 en indiquant qu’il ne s’agissait en aucun cas pour lui d’établir un quatrième critère en complément de ceux indiqués dans la décision Jeune France.

S’il est constamment réaffirmé par le juge, le considérant de principe issu de la jurisprudence Jeune France n’est pas pleinement satisfaisant au regard d’un raisonnement entièrement fondé sur l’analyse économique. Celui-ci risque en effet d’aboutir à une « cristallisation des situations » en constituant un frein à la création d’un marché au sens où l’entend cette jurisprudence. 

Dans l’hypothèse où le « secteur » est tenu par une association dynamique et performante, les exonérations fiscales dont elle bénéficie dans un premier temps rendront la pénétration de celui-ci d’autant plus difficile et représenteront de fortes barrières à l’entrée, risquant ainsi de décourager les entreprises privées. Lorsque plusieurs associations interviendront sur le même secteur d’activité dans une même zone géographique d’attraction, « le marché », qui n’en est pas encore un si l’on suit le raisonnement du juge, risque même de devenir alors « quasiment impénétrable pour une entreprise commerciale ».

Pour prévenir un tel risque, M. Jean Courtial avait proposé à la Haute juridiction de se montrer plus rigoureuse dans l’appréciation du caractère désintéressé de la gestion de l’association. L’absence de caractère lucratif devrait normalement impliquer qu’une recherche d’excédents ne soit pas systématiquement organisée de telle sorte que se constitue « une puissance économique qui serait ensuite susceptible de dissuader les entreprises d’ouvrir au marché des domaines qui n’en sont pourtant pas exclus par nature. ».

Si cette proposition peut s’avérer séduisante, elle se révèle néanmoins peu innovante au regard de la pratique juridictionnelle antérieure. Ainsi que le fait remarquer Emmanuelle Mignon, le juge se méfie déjà des associations qui recherchent systématiquement la réalisation d’excédents, cette circonstance pouvant être exclusive de l’exonération.

Si l’analyse concurrentielle issue de la jurisprudence Jeune France a été étendue par le Conseil d’Etat en matière d’assujettissement à l’IS et à la TP (extension matérielle) des associations, elle est aujourd’hui utilisée s’agissant de l’assujettissement des personnes publiques à ces mêmes impôts (extension organique).

  1. L’extension de l’analyse concurrentielle en matière d’impôt sur les sociétés et de taxe professionnelle des associations 

S’agissant en premier lieu des organismes sans but lucratif, la jurisprudence du Conseil d’Etat a rapidement étendu la nouvelle méthode d’analyse dégagée par la décision Jeune France à l’IS et à la TP. Dans ses conclusions conformes sur l’affaire Association « Foire nationale des vins » dans laquelle le Conseil d’Etat devait se prononcer sur l’assujettissement d’une association à ces deux impôts, M. Jacques Arrighi de Casanova, tout en rappelant à la Haute Assemblée que le raisonnement développé par la jurisprudence Jeune France concernait la TVA, ajouta qu’ « il est clair qu’il doit être transposé à l’IS et à la TP : les trois impôts ont toujours été régis par les mêmes critères, et la nouvelle orientation de la jurisprudence n’a pas remis en cause cet élément de simplification du régime fiscal des associations ».

En application de ce mouvement jurisprudentiel unitaire, plusieurs juridictions ont d’ores et déjà eu l’occasion de procéder à des définitions matérielles et géographiques de marchés pertinents pour confirmer ou infirmer l’assujettissement d’associations se livrant à des activités économiques. Si la rédaction des arrêts est assez souvent peu explicite sur les définitions de marchés opérés, un certain nombre d’enseignements semblent toutefois pouvoir être dégagés.

En premier lieu, certaines activités apparaissent devoir être considérées comme s’exerçant dans un cadre concurrentiel sans qu’il y ait lieu de préciser géographiquement le marché pertinent. La Cour administrative d’appel de Lyon a ainsi pu juger que l’activité d’intermédiation dans le secteur de l’assurance « doit être regardée comme s’exerçant dans le secteur concurrentiel normalement occupé, quelle que soit la zone géographique concernée, par les compagnies d’assurance ou leurs agents généraux »

La nature de l’activité en cause, amplement offerte en n’importe quel endroit du territoire par de nombreux opérateurs privés, semble ainsi exclure la possibilité de circonscrire un marché pertinent à l’échelon local où une concurrence potentielle n’existerait pas.

A l’inverse, les conditions d’exercice de certaines autres activités excluent qu’elles puissent être considérées comme s’exerçant dans un milieu concurrentiel. Dans une décision Association technique de la réfrigération et de l’équipement ménager en date du 5 juin 2002, le Conseil d’Etat devait se prononcer sur l’assujettissement à l’IS de l’association précitée. Celle-ci réunit en son sein des syndicats et groupements professionnels et a pour mission de gérer la procédure de certification aux normes NF

S’il existe une forte présomption pour que l’activité d’un organisme statutairement sans but lucratif qui exerce sa mission dans le cadre d’une mission de service public administratif ne constitue pas une activité lucrative, le Conseil d’Etat ne s’est pas arrêté à cette constatation pour considérer que l’activité de l’association ne pouvait être regardée comme lucrative. 

La Haute juridiction, après avoir convenu du caractère désintéressé de la gestion de l’organisme, s’est appliquée à rechercher l’existence d’une concurrence potentielle dans le domaine d’activité de celui-ci. Suivant en cela les recommandations de son commissaire, le juge a décidé que l’activité exercée n’avait pas un caractère lucratif car elle se déployait, « de par les conditions de son exercice », dans un champ étranger à celui de la concurrence entre entreprises commerciales. 

A l’évidence il était difficile d’imaginer comment une offre concurrente pouvait être offerte dans la même zone géographique d’attraction puisque l’activité de service public litigieuse était monopolisée. Une activité économique était exercée sur un marché mais celui-ci n’était pas ouvert à la concurrence d’autres opérateurs, la méthode issue de la jurisprudence Jeune France devenait par suite logiquement sans objet.

  1. L’extension du raisonnement concurrentiel aux impôts commerciaux frappant les personnes publiques 

Concernant les personnes publiques, on sait qu’en application de l’article 206-1 du CGI, et sous réserve des exonérations prévues par les dispositions des 6° et 6° bis du 1 de l’article 207 du même code, les établissements publics, les organismes de l’Etat jouissant de l’autonomie financière, les organismes des départements et des communes et toutes autres personnes morales se livrant à une exploitation ou à des opérations de caractère lucratif sont soumis à l’IS. 

S’est ainsi rapidement posée au juge la question de savoir si les critères de lucrativité d’une activité dégagés par le Conseil d’Etat à propos de l’assujettissement aux impôts commerciaux des organismes à but non lucratif pourraient être transposés aux personnes publiques relevant du champ d’application de l’article 206-1.

Dans un arrêt en date du 30 décembre 2003, la CAA de Douai a répondu positivement à cette question en opérant une reprise littérale du considérant de principe de la décision Jeune France. Dans cette affaire, la commune du Havre gérait en régie de SPIC un laboratoire d’analyses médicales qui effectuait pour les habitants de la commune, mais également pour le compte d’autres collectivités publiques et entreprises privées, des analyses chimiques et micro-biologiques. 

A ce titre, elle s’était notamment vue assujettir à l’IS et à la TP. S’interrogeant sur la possibilité de la transposition précédemment envisagée, le commissaire du gouvernement a pu expliquer à la Cour que celle-ci ne devrait appeler de sa part « aucun effort particulier » dès lors que le Conseil d’Etat avait entendu déterminer « quels étaient les critères de lucrativité d’une activité exercée par une personne morale a priori juridiquement hors du champ des impositions commerciales ». Il devait rajouter qu’« à cet égard ce qui est vrai d’une activité exercée par une association l’est également, mutatis mutandis, de l’activité exercée par une collectivité territoriale. »

Constatant que le laboratoire intervient sur un secteur où trois autres laboratoires proposent les mêmes services, « autrement dit sur un secteur concurrentiel », qu’il vise une clientèle potentielle identique à celle de ses concurrents et selon des modalités tarifaires analogues, le commissaire, suivi en cela par la Cour, a conclu au caractère lucratif de l’activité exercée.

S’agissant de la taxe professionnelle, le juge devait se prononcer sur la possible transposition de la jurisprudence Jeune France à propos de l’assujettissement de la chambre d’agriculture de l’Yonne à raison de ses activités de gestion d’un entrepôt frigorifique

Pour répondre à la question de savoir si l’activité déployée par cet établissement public administratif entrait dans le champ d’application de l’article 1447 du CGI, le commissaire du gouvernement s’est simplement contenté d’indiquer à la Cour, quasiment sous la force de l’évidence, qu’« il faut alors s’interroger sur l’insertion de cette activité dans les mécanismes du marché, et le faire à la lumière, notamment, de la jurisprudence récente en matière d’imposition à la taxe professionnelle des associations et autres organismes lucratifs »

La Cour administrative d’appel a été convaincue par les propositions de son commissaire car, à la suite du rappel des dispositions de l’article 1447, elle a précisé « que pour l’application de ces dispositions, les établissements publics à caractère administratif, dont la gestion désintéressée doit être présumée, sont exonérés de la taxe professionnelle dès lors que les services de nature commerciale qu’ils peuvent rendre ne sont pas offerts en concurrence dans la même zone géographique d’attraction avec ceux proposés au même public par des entreprises commerciales exerçant une activité identique »

Le raisonnement a été récemment validé par le Conseil d’Etat s’agissant de l’Etat à propos de l’assujettissement à la TP du Centre de route de la navigation aérienne ouest, service déconcentré de la Direction générale de l’aviation civile.

S’agissant de la TVA, le problème de l’imposition des personnes publiques se pose de manière un peu différente puisque, dans cette hypothèse, le juge doit appliquer une disposition législative explicite avec laquelle il est depuis longtemps familier. L’article 256 B du CGI dispose en effet que « les personnes morales de droit public ne sont pas assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée pour l’activité de leurs services administratifs, sociaux, éducatifs, culturels et sportifs lorsque leur non-assujettissement n’entraîne pas de distorsions dans les conditions de la concurrence ».

L’approche contenue dans la jurisprudence Jeune France, consistant à rechercher une concurrence potentielle entre la personne morale visée par l’impôt et d’autres entreprises commerciales se livrant à des activités substituables, apparaît explicitement lorsque le juge contrôle l’application de l’article 256 B. Un exemple topique de cette inclinaison peut être cherché dans l’arrêt de la CAA de Bordeaux en date du 24 mai 2004

Dans cette affaire, la commune de Domme demandait la décharge des droits de TVA auxquels elle avait été assujettie en raison de l’exploitation en régie directe d’une grotte. Le juge refuse de prononcer la décharge en considérant que « les conditions dans lesquelles cette grotte était exploitée étaient similaires à celles pratiquées par les entreprises privées proposant au public la visite d’autres grottes dans la région ; que la commune, qui se borne à soutenir qu’il n’existe pas de concurrence entre les grottes dès lors que chacune présente sa spécificité, n’apporte aucun élément d’où il résulterait que la grotte dont il s’agit présentait une originalité telle que le public était indifférent aux tarifs pratiqués et ne procédait pas à une comparaison de ces tarifs avec ceux proposés pour les visites des autres grottes de la région exploitées par des entreprises privées.».

La rédaction de l’arrêt laisse subsister peu de doutes quant à la volonté de la Cour d’employer les éléments retenus pour définir un marché pertinent afin de déterminer si, en exploitant la grotte précitée, la commune entrait en concurrence potentielle avec d’autres opérateurs se livrant à la même activité économique.

Ayant à se prononcer sur l’assujettissement à la TVA d’une commune exploitant une plage, la CAA de Lyon s’est récemment montrée extrêmement rigoureuse dans la définition matérielle et géographique du marché pertinent

Après avoir constaté que ladite commune avait mis en place des installations permettant d’offrir un certain nombre de prestations aux usagers et qu’elle réclamait aux usagers un droit d’accès à ces installations durant la période estivale, la Cour relève « qu’il résulte de l’instruction que d’autres plages similaires sont exploitées dans des conditions comparables autour du lac, et notamment une plage située à une dizaine de kilomètres, exploitée par un opérateur privé ». 

Dès lors, la plage en cause « doit être regardée comme étant en concurrence avec celles-ci » et « le non-assujettissement à la taxe du droit d’accès perçu sur les usagers par la commune induit en particulier des différences tarifaires de nature à générer des distorsions dans les conditions de cette concurrence ». Par suite, l’activité exercée ne peut logiquement échapper à la taxe sur le fondement des dispositions de l’article 256 B.

Préoccupation récurrente du juge fiscal, déclinaison du principe d’égalité, la neutralisation des distorsions de concurrence fiscales entre opérateurs s’avère aujourd’hui mieux garantie grâce à la réception d’un instrument conceptuel issu du droit de la concurrence. Si l’utilisation de la notion de marché pertinent doit favoriser une appréhension beaucoup plus précise des situations de fait qu’elles sont amenées à connaître, il est néanmoins regrettable que l’imperatoria brevitas chère aux juridictions administratives ne permette pas toujours d’apprécier la rigueur de l’analyse concurrentielle menée par le juge. Fort de la foi des nouveaux convertis, le juge fiscal a néanmoins démontré son attachement envers une méthode juridictionnelle contribuant à faire de lui un incontestable gardien du fonctionnement concurrentiel des marchés.

Section II : Assujettissement aux impôts commerciaux et remise en cause de la loi Dalo

L’article 45 de la loi n° 2007-290 du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable a créé un nouveau cas d’imposition de livraison à soi-même d’immeubles affectés à l’habitation en soumettant obligatoirement à la TVA au taux réduit les livraisons à soi-même des locaux d’établissements mentionnés aux 6° et 7° du I de l’article L. 312-1 du Code l’action sociale et des familles accueillant des personnes âgées s’ils remplissent les critères d’éligibilité au prêt prévu à l’article R. 331-1 du CCH ou accueillant des personnes adultes handicapées.

L’application du taux réduit est réservée aux seuls établissements agissant à but non lucratif, dont la gestion est désintéressée et qui font l’objet d’une convention à cette fin entre le propriétaire ou le gestionnaire des locaux et le préfet.

Par ailleurs, afin de placer dans une situation identique les établissements qui construisent ces locaux et ceux qui les achètent auprès de promoteurs, l’article 45 précité prévoit également de soumettre au taux réduit de la TVA les livraisons et apports de locaux à ces mêmes catégories d’établissements.

L’article 45 précité complète enfin ce dispositif en créant un nouveau cas de livraison à soi-même en soumettant également obligatoirement à la TVA au taux réduit les livraisons à soi-même de travaux d’amélioration, de transformation, d’aménagement ou d’entretien, autres que l’entretien des espaces verts et les travaux de nettoyage, portant sur ces mêmes locaux. 

Cette mesure permet de laisser à la charge des établissements d’accueil concernés une charge définitive de TVA au taux réduit au titre des différentes opérations d’acquisition, de construction ou de rénovation portant sur leurs locaux.

Sont concernés les établissements visés au 6 °du I de l’article L. 312-1 du CASF. Relèvent de cette catégorie les établissements d’hébergement de personnes âgées (EHPA), les établissements d’hébergement de personnes âgées dépendantes (EHPAD), les unités de soins longue durée (USLD), les logements foyers, les petites unités de vie et les unités pour personnes désorientées.

Les établissements mentionnés au n° 10 sont susceptibles de bénéficier du taux réduit s’ils sont éligibles1 à l’obtention du prêt prévu à l’article R. 331-1 du CCH, c’est-à-dire le prêt locatif social (PLS). Il n’est donc pas nécessaire de solliciter ou d’obtenir un agrément PLS pour bénéficier de la mesure de taux réduit de TVA. Pour mémoire, les conditions d’éligibilité au PLS sont décrites aux articles R. 331-1 et suivants du Code de la construction et de l’habitation. Celles requises pour l’application du taux réduit sont mentionnées aux n° 12 à 14.

À cet égard, conformément à l’article R. 331-12 du CCH, les établissements doivent accueillir des personnes dont l’ensemble des ressources, à la date d’entrée dans les lieux, est au plus égal au montant déterminé par arrêté conjoint des ministres chargés du logement et des finances. Ce montant est réactualisé annuellement par voie de circulaire du ministère du logement. Pour l’année 2008, les plafonds ont été fixés par l’arrêté du 3 décembre 2007 paru au Journal officiel du 13 décembre 2007, qui a modifié l’arrêté du 29 juillet 1987.

Les locaux doivent également remplir le niveau minimum de qualité requis par l’article R. 331-8 du CCH. Voir l’arrêté d’application du 10 juin 1996 modifié relatif à la majoration de l’assiette de la subvention et aux caractéristiques techniques des opérations de construction, d’amélioration ou d’acquisition-amélioration d’immeubles en vue d’y aménager avec l’aide de l’État des logements ou des logements-foyers à usage locatif.

Conformément à l’article R. 331-4 du CCH, les locaux ne doivent ensuite faire l’objet d’aucun changement d’affectation pendant une durée minimale de quinze ans. Cette condition d’éligibilité au prêt locatif social est également applicable pour les établissements situés dans les départements d’outre-mer nonobstant l’inapplicabilité de ce prêt dans ces départements (CCH, art. R. 331-28) compte tenu des dispositifs spécifiques prévus par ailleurs.

  • L’applicabilité du taux réduit conformément à la loi DALO

Cette condition d’éligibilité au prêt locatif social est également applicable pour les établissements situés dans les départements d’outre-mer nonobstant l’inapplicabilité de ce prêt dans ces départements (CCH, art. R. 331-28) compte tenu des dispositifs spécifiques prévus par ailleurs. Seuls les établissements agissant sans but lucratif, dont la gestion est désintéressée et dont le propriétaire ou le gestionnaire des locaux a signé une convention avec le représentant de l’État dans le département sont éligibles au taux réduit. 

Nous ne reviendrons plus sur la question de l’absence de lucrativité  que nous venons de développer dans la sous-partie précédente. Nous nous contenterons de souligner que l’application de la mesure ne peut se faire qu’en l’absence de lucrativité. Les activités non lucratives de l’EHPAD doivent rester significativement prépondérantes. La notion de prépondérance doit s’apprécier de la manière qui rende le mieux compte du poids réel des activités (part des recettes commerciales sur l’ensemble des moyens de financements, part des effectifs et des moyens affectés aux différentes activités, temps passé…).

Mais en plus de cette absence de lucrativité, il faut également une convention entre le propriétaire ou le gestionnaire des locaux et le préfet. Cette convention vise à formaliser l’engagement du propriétaire ou du gestionnaire des locaux d’affecter ces derniers à l’hébergement, selon le cas, des personnes âgées ou handicapées dans le respect des conditions fixées par la loi.

La convention doit être signée au plus tard au jour de la vente ou avant le début des travaux. Toutefois, pour les opérations éligibles en cours ou achevées avant l’entrée en vigueur du présent régime, pour lesquelles la convention type n’a pas été signée, l’Administration admet que les établissements sollicitant l’application du taux réduit peuvent produire la convention signée après la vente ou le début des travaux dès lors qu’ils en ont fait la demande dans les trois mois suivant la date de publication de l’instruction du 24 juillet 2008. 

  • Les opérations concernées par la mesure 

Les opérations relevant du taux réduit sont d’une part les ventes et apports ainsi que les livraisons à soi-même des locaux d’établissements éligibles, d’autre part les livraisons à soi-même de travaux d’amélioration, de transformation, d’aménagement ou d’entretien, autres que l’entretien des espaces verts et les travaux de nettoyage, portant sur ces mêmes locaux.

  1. Ventes et apports locaux

Sont concernées les mutations à titre onéreux (ventes ou apports en société purs et simples ou à titre onéreux) d’immeubles bâtis neufs, qu’ils soient cédés en état futur d’achèvement ou après complet achèvement, dès lors qu’elles sont placées dans le champ de la TVA. À cet égard, il est rappelé que les opérations portant sur des immeubles qui sont achevés depuis plus de cinq ans ou qui, dans les cinq ans de leur achèvement, ont déjà fait l’objet d’une cession à titre onéreux à une personne n’intervenant pas en qualité de marchand de biens, ne sont pas soumises à la TVA (CGI, art. 257, 7°, 2).

Est également concernée, le cas échéant, la première revente de ces locaux intervenant dans les cinq ans de l’achèvement de l’immeuble dès lors que les conditions d’application du taux réduit demeurent satisfaites. L’assiette de la taxe est déterminée dans les conditions de droit commun, c’est-à-dire par le prix de cession augmenté des charges qui s’y ajoutent à l’exclusion de la TVA elle-même (CGI, art. 266, 2, b).

 Le fait générateur de l’imposition à la TVA de la vente se produit à la date de l’acte qui constate l’opération ou, à défaut, au moment du transfert de propriété (CGI, art. 269, 1, c). Conformément aux dispositions du a du 2 de l’article 269 du CGI, la taxe devient exigible lors de la réalisation du fait générateur. L’application du taux réduit est subordonnée à la production par le vendeur, à l’appui de sa déclaration de chiffre d’affaires, d’une copie : 

  1. de l’acte de vente stipulant que l’acquéreur s’engage, conformément à la convention entre le propriétaire ou le gestionnaire des locaux et le représentant de l’État dans le département, à affecter les locaux acquis à l’hébergement, selon le cas, de personnes âgées dans des établissements remplissant les critères d’éligibilité au PLS ou de personnes handicapées ;
  2. de cette convention.

  1. Livraison à soi-même de locaux

Sont concernées les livraisons à soi-même d’immeubles ou parties d’immeubles au sens du c/ du 1 du 7° de l’article 257 du CGI, c’est-à-dire, pour le bénéfice de cette mesure, les situations où l’établissement fait édifier un immeuble affecté à l’hébergement de personnes handicapées ou de personnes âgées ou rend à l’état neuf un immeuble existant au sens des deuxième à sixième alinéas du c du 1 du 7°de l’article 257 du CGI affecté à ce même usage à l’issue des travaux.

L’application de ce dispositif répond aux principes suivants : 

  1. les travaux de construction d’un immeuble neuf ou les travaux portant sur un immeuble existant concourant à la production d’un immeuble neuf demeurent facturés au taux normal (prestations de bureaux d’études, honoraires d’architectes, travaux immobiliers, etc.) ;
  2. l’imposition à la TVA au taux réduit de la livraison à soi-même des locaux permet de déduire cette taxe ayant grevé les opérations d’amont soumises au taux normal ;
  3. l’établissement d’hébergement supporte ainsi au final une charge de TVA au taux réduit.

En application des dispositions du I de l’article 209 de l’annexe II au CGI, un immeuble, un ensemble d’immeubles ou une fraction d’immeuble, dont la livraison à soi-même est imposée à la TVA au taux réduit en vertu des dispositions du 2 du I de l’article 278 sexies du CGI, doit être érigé en un secteur d’activité distinct pour permettre la déduction de la TVA grevant les travaux de construction de l’immeuble. Les établissements concernés sont tenus de faire connaître à l’Administration la création de secteurs concernés et indiquer à cet égard que les conditions légales pour que l’opération de construction relève de la livraison à soi-même imposée au taux réduit sont satisfaites, notamment par la communication de la copie de la convention entre le propriétaire ou le gestionnaire des locaux et le préfet.

La TVA exigible afférente à la livraison à soi-même s’applique au prix de revient total, déterminé hors TVA, de la construction des locaux qui comprend notamment : 

  1. le coût du terrain, c’est-à-dire les sommes versées à un titre quelconque par le redevable pour entrer en possession dudit terrain (prix, honoraires des notaires, droits d’enregistrement, taxe de publicité foncière, etc.), étant précisé que la valeur vénale de celui-ci ne doit pas être prise en considération. Ainsi, lorsqu’un terrain est acquis pour un prix symbolique ou reçu gratuitement, seule la contrepartie effectivement payée par l’acquéreur doit être prise en compte dans l’assiette de la livraison à soi-même. Les frais de toute nature qui ont pu être engagés pour l’aménagement du terrain entrent également dans le coût de celui-ci (par exemple, travaux de démolition, d’assainissement, fouilles archéologiques…). Lorsque la construction est édifiée par une personne à laquelle le terrain a été loué, le prix de revient comprend le montant des loyers afférents à la durée du bail, à l’exclusion, bien entendu, du prix d’acquisition du terrain par le bailleur ;
  2. le coût des travaux facturés par les entrepreneurs dans le cadre de contrats d’entreprise ;
  3. le prix d’achat des matériaux ;
  4. les honoraires des architectes, géomètres, maîtres d’œuvre, métreurs, etc. ;
  5. les frais financiers engagés pour la construction ;
  6. les frais généraux.

Le prix de revient imposable au titre de la livraison à soi-même ne comprend pas le coût du terrain lorsqu’il a fait l’objet d’un bail à construction (ou d’un bail emphytéotique assimilé à un bail à construction) dès lors que ce dernier est exonéré de la TVA par le 4° du 5 de l’article 261 du CGI (sauf option pour l’imposition à la TVA prévue par le 5° de l’article 260 du CGI auquel cas le prix de revient total de l’immeuble doit comprendre le coût du terrain).

L’installation d’équipements fonctionnels qui, une fois posés, conservent leur caractère mobilier, c’est-à-dire les objets, matériels ou meubles soumis au régime de la vente assortie d’une pose, non incorporés à l’immeuble, ne constitue pas une opération concourant à la production ou à la livraison d’immeubles. La valeur de cette installation, à condition qu’elle soit mentionnée distinctement à chaque stade, sur les devis et factures, n’a donc pas à être comprise dans la base d’imposition à la TVA due lors de la livraison à soi-même ou de la vente de l’immeuble (dans ce dernier cas, voir toutefois Fasc. 2005, n° 14). En revanche, les travaux d’installation d’éléments qui perdent leur caractère mobilier en raison de leur incorporation à un ensemble immobilier sont considérés comme des travaux immobiliers et constituent alors un élément du prix de revient de l’immeuble.

Les livraisons et prestations de services, quelle qu’en soit la nature, facturées après l’achèvement des locaux sont exclues de la base d’imposition de la livraison à soi-même des locaux.

  • Mise en œuvre de la « franchise » de TVA

Les organismes qui remplissent les trois conditions visées supra sont exonérés de TVA au titre de leurs activités accessoires lucratives. Ils ne peuvent donc pratiquer aucune déduction de la TVA grevant les biens ou services acquis dans le cadre des opérations ainsi exonérées.

Les recettes non prises en compte pour l’appréciation du seuil de 60 601  EUR  ne bénéficient pas de l’exonération applicable aux opérations accessoires lucratives. Elles doivent donc, lorsqu’elles ne bénéficient pas de dispositions particulières (opérations placées hors du champ d’application de la taxe, exonérations spécifiques, franchise en base…), être soumises à la TVA.

En revanche, les recettes lucratives non expressément exclues pour l’appréciation du seuil de 60 540  EUR  doivent être imputées sur ce seuil même lorsqu’elles sont, par ailleurs, susceptibles de bénéficier d’une mesure d’exonération spécifique.

Chapitre II : L’explication des incohérences  sur le plan pratique

Section 1 : Historique et évolution de la notion de service public hospitalier

La mission de service public des hôpitaux et autres établissement public de santé ne fait plus de doute aujourd’hui. Même si cela n’a pas toujours évident. En effet, les missions de services publics des hôpitaux n’ont été réellement définies que tardivement en France. 

Dès le XIXè siècle, des préoccupations hygiéniques était apparues dans le milieu scientifique, et cela a contribué à réaliser des avancées législatives qui comme le vote de la loi du 22 avril 1850 sur les logements insalubres. Il y a également eu la révolution pastorienne qui a développé une plus grande compréhension des phénomènes épidémiques et qui a permis la mise en place d’une « base scientifique aux démarches de santé publique et légitimé l’intervention des autorités publiques ».

Mais ces avancées n’ont pas permis de concevoir un véritable système de santé public et n’a pas permis non plus la mise en place d’une administration de la santé publique. Les collectivités municipales, malgré leurs prérogatives en matière de police sanitaire dévolues aux pouvoirs publics n’étaient pas vraiment favorables aux décisions coercitives qui étaient également très mal perçues par la population. 

Comme système de santé, la France n’avait eu droit à l’époque qu’à quelques conseils de salubrité et de bureaux municipaux d’hygiène, et cela alors même qu’elle entrait dans l’ère de la création des grandes administrations d’Etat. L’avènement de la politique publique qui a touché l’éducation nationale a laissé la santé de côté, considérée comme simple compétence municipale.

Ce n’est qu’en 1918 que commencera la recherche de la mise en place d’une véritable politique publique, confrontée à la crise provoquée par la grippe espagnole, les autorités ont finalement pensé à la création d’un ministère de la santé et le développement d’une politique de santé publique : « Favoriser l’augmentation de la natalité, diminuer et supprimer le plus possible les chances de maladie et de mort prématurée, combattre l’insalubrité sous toutes ses formes et dans tous les domaines, public et privé ; tel a été de tout temps le programme des défenseurs de la santé publique ».

Cette démarche donnera naissance au ministère de l’hygiène, de l’Assistance Publique et de la prévoyance sociale soit constitué. Qui sera « opérationnel » jusqu’en 1924, disparaîtra pour manque de moyen, avant de revenir en 1930 comme ministère de la santé publique. Mais c’est un ministère qui est affaibli par rapport aux autres ministères : presque jamais autonome, souvent rattaché à d’autres comme celui du sport ou de l’action humanitaire, parfois relégué au rang de secrétariat d’État ou de ministère délégué. Il est évident que cette situation n’a pas permis de dégager une politique de santé publique claire. 

A tel point que l’Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS) avait qualifié cette administration de simple  « squelette » n’ayant « ni le centre nerveux – une capacité d’expertise digne de ce nom – ni les muscles – des relais déconcentrés suffisants – indispensables et pour assurer convenablement et de façon permanente les missions qui lui sont assignées » dans un rapport de 1992.

Il va sans dire que la législation en la matière était aussi réduite à l’état larvaire et ne concernant que la lutte contre les épidémies, que la réglementation des professions des médecins, chirurgiens et apothicaires et à l’organisation des hospices. Il faut dire que les tentatives de légiférer en matière de santé étaient fortement dénoncée par les tenant de la liberté individuelle et une partie très importante de la population qui y voyaient une tentative d’ingérence de la part de l’Etat dans leur vie privée et dans l’exercice de leur prérogatives de propriétaires. Ce fut ainsi le cas avec la question de la vaccination obligatoire, de la réhabilitation contrainte des logements insalubres par les propriétaires ou de l’obligation de raccordement à l’égout.

La situation ne commencera à véritablement évoluer vers la mise en place d’un service public de santé que vers les années 50. Ce n’est qu’à partir de cette date qu’on peut parler de mission de service des hôpitaux (§1) que la question de la fiscalité de ces établissement ont commencé à intéresser autant la doctrine que la jurisprudence (§2).

  • 1 : Cadre juridique

  1. Création de la notion de service public hospitalier

L’hôpital moderne est apparu avec trois ordonnances de décembre 1958. Ce sont ces ordonnances qui ont établi pour la première fois que l’hôpital public serait un lieu de recherche et de soin pour tous. Mais ces ordonnances ne disent pas encore clairement que la mission des hôpitaux publics est désormais devenue mission de service public. 

Et cela même si l’ordonnance n° 58-1198 portant réforme de la législation hospitalière dispose dans son article 1er que « Les hôpitaux pourvoient aux examens de médecine préventive et de diagnostic, au traitement avec ou sans hospitalisation des malades, blessés, convalescents et femmes enceintes, y compris, notamment, le cas échéant, leur réadaptation fonctionnelle, ainsi qu’à l’isolement prophylactique. Ils peuvent également comprendre un ou plusieurs services d’hospice ».

De fait ces trois ordonnances ont surtout posé le principe que désormais, il fallait « recruter des médecins à futur plein et permettre à certains d’entre eux de bénéficier d’un statut hospitalo-universitaire nouveau et rapidement prestigieux ». De plus, elles ont permis d’organiser les personnels soignants en corps de fonctionnaires hospitaliers

C’est la loi Boulin de 1970 qui va définir le  service public hospitalier et ses missions de service public. Dans un chapitre I : « du service public hospitalier » : « Le service public hospitalier [*mission*] assure les examens de diagnostic, le traitement – notamment les soins d’urgence – des malades, des blessés et des femmes enceintes qui lui sont confiés ou qui s’adressent à lui et leur hébergement éventuel.

De plus, le service public hospitalier :

Concourt à l’enseignement universitaire et postuniversitaire médical et pharmaceutique et à la formation du personnel paramédical ;

Concourt aux actions de médecine préventive dont la coordination peut lui être confiée ;

Participe à la recherche médicale et pharmaceutique et à l’éducation sanitaire.

Concourt conjointement avec les professionnels de santé et les autres personnes et services concernés à l’aide médicale urgente.

Les praticiens non hospitaliers peuvent recourir à son aide technique ». 

Cette loi « a permis le développement d’une planification volontariste visant à permettre à chacun d’accéder à des soins hospitaliers à proximité de son domicile ». Il s’agit de la consécration de l’évolution qui avait été commencée avec les ordonnances de 1958, c’est-à-dire, « hôpital public ou privé non lucratif, ouvert à l’ensemble de la population. Ce mouvement s’est accompagné, même si les hôpitaux demeuraient des établissements publics communaux, de la mise en place d’un pilotage du système hospitalier par l’État, à travers ses services déconcentrés puis la création des agences régionales de l’hospitalisation et leur transformation en agences régionales de santé en 2009. ».

Avec la loi du 31 juillet 1991, il a été introduit une alternative à l’hospitalisation. La loi introduit une nouvelle planification sanitaire, une nouvelle forme de management hospitalier, elle revoit également l’organisation hospitalière et coopération entre établissements, et cela afin d’atteindre le double objectif de santé publique de la qualité et l’accès aux soins, mais également de parvenir à maitriser les  dépenses hospitalières.

  1. Les grandes réformes du service public et les évolutions dans la mise en œuvre du service public

  1. La sanitarisation manifeste des logiques du secteur médico-social

  1. Une meilleure prise en compte du médico-social dans le service public de la santé

Depuis les années 1970, on a pu observer une séparation entre le secteur sanitaire et le secteur médico-social. Toutefois, et au gré des différentes réformes, ces dernières années ont vu cette séparation s’effacer progressivement sous l’effet d’un mouvement de « sanitarisation ». 

Les réformes successives de notre système de santé depuis la loi majeure du 31 décembre 1970 ont progressivement conduit à un cloisonnement apparent entre le secteur sanitaire d’une part, caractérisé par un « hospitalo-centrisme » remarqué, et le secteur médico-social d’autre part, secteur éclaté dont la fonction résidait jusqu’alors essentiellement dans l’accueil et l’hébergement de populations fragilisées.

Cette dissemblance des enjeux et logiques de ces secteurs tend aujourd’hui à s’estomper au gré d’une certaine sanitarisationdu secteur médico-social. L’influence des mé-canismes sanitaires sur le secteur médico-social est, en effet, manifeste avec les lois d’envergure que sont la loi du 2 janvier 2002 tout d’abord, et la loi du 4 mars 2002.

Si la loi du 2 janvier 2002 a devancé chronologiquement celle du 4 mars, cela ne doit pas faire oublier les avancées innovantes nées des débats occasionnés par le projet de loi réformant le secteur sanitaire. On constate, notamment, que les droits de la personne accueillie dans le médico-social Si la loi du 2 janvier 2002 a devancé chronologiquement celle du 4 mars, cela ne doit pas faire oublier les avancées innovantes nées des débats occasionnés par le projet de loi réformant le secteur sanitaire. On constate, notamment, que les droits de la personne accueillie dans le médico-social sont consacrés à l’identique des droits des patients et la logique des autorisations encadrant l’offre de soins sur un territoire de santé se retrouve dans la démarche d’une offre maîtrisée dans le secteur médico-social.

Ainsi observe-t-on, depuis 2002, une évolution en miroir. Pour autant, chacun des secteurs conservait ses spécificités, et « tout le monde s’accorde sur la nécessité de réformer le système de santé français : les secteurs médico-social et sanitaire doivent être coordonnés », et le « pilotage du système de santé est trop fractionné pour être performant. Moyennant une meilleure organisation, plus globalisée et décloisonnant les secteurs médico-social et sanitaire, le système pourrait gagner en efficacité ».

L’organisation du système de santé évoluait en effet dans un contexte devenu inadapté, marqué par le développement des maladies chroniques et le vieillissement de la population, associés à un besoin renforcé de maîtrise des dépenses de santé. À travers la loi HPST revisitée par la loi du 10 août 2010 dite loi Fourcade, les pouvoirs publics ont promu une certaine harmonie entre les deux secteurs, favorisant alors leur décloisonnement et leur interpénétration.

Le processus de sanitarisation se cristallise autour de deux points majeurs : le rapprochement des logiques institutionnelles entre les secteurs d’abord et l’encouragement à la fongibilité des enveloppes budgétaires entre les secteurs ensuite.

  1. Le rapprochement des logiques institutionnelles entre les secteurs et l’avènement de la tutelle commune des ARS

L’article 118 de la loi HPS institue une nouvelle autorité régionale, l’Agence régionale de santé (ARS), gommant ainsi les sept structures jusqu’alors existantes nterlocuteur unique de l’État au niveau de la région, chaque ARS constitue désormais un acteur essentiel du système de santé, renforçant l’ancrage territorial de la politique nationale de santé.

Le décloisonnement entre le secteur sanitaire et le secteur médico-social s’illustre à travers les missions de ces établissements publics de l’État, qui ont pour finalité de « définir et de mettre en œuvre un ensemble coordonné de programmes et d’actions » réalisant à l’échelon régional et infrarégional non seulement « les objectifs de la politique nationale de santé » ou encore « les principes fondamentaux affirmés à l’article L. 111-2-1 du Code de la sécurité sociale », mais surtout « les principes de l’action sociale et médico-sociale énoncés aux articles L. 116-1 et L. 116-2 du Code de l’action sociale et des familles ».

La richesse du portefeuille de compétences de cette autorité (politique de santé publique, soins ambulatoires et hospitaliers, prise en charge et accompagnement dans les établissements et services médico-sociaux, et professions de santé) traduit la volonté d’une approche décloisonnée des questions de santé permettant une prise en charge globale des personnes et une gestion rationnelle des moyens. En conséquence, l’ARS s’affiche désormais comme une véritable autorité de régulation de l’ensemble des établissements et services médico-sociaux et sanitaires, en lieu et place de l’État, concernant le secteur médico-social.

À l’image des anciennes Agences régionales de l’hospitalisation (ARH), réservées au secteur sanitaire, la logique de planification du secteur médico-social se trouve ainsi renforcée par son intégration dans le champ de compétence des ARS.

  1. Rapprochement mais persistance d’un éclatement des institutions décisionnelles

Jusqu’alors, la conduite de la planification du secteur médico-social était le fruit de travaux menés à l’échelon régional par le représentant de l’État dans la région, et à l’échelon départemental par le conseil général. Cet édifice inscrit au cœur de la loi souffrait en pratique d’une mainmise quasi-généralisée du département sur la planification et la gestion des établissements médico-sociaux. Laloi HPST a profondément bouleversé cet équilibre en offrant de larges compétences à la nouvelle autorité de « tutelle », l’ARS.

C’est donc désormais une direction à trois têtes qui officie au sein du secteur médico-social. A. Vinsonneau s’est d’ailleurs exprimé en ce sens : « C’est sans doute l’un des paradoxes des réformesopérées par la RGPP et par la loi HPST en particulier que d’aboutir, pour le secteur médico-social, à un éclatement de son pilotage et à la démultiplication des lieux de consultation et de concertation. Alors que la transversalité, le décloisonnement et la simplification sont les objectifs affichés par le Gouvernement et le Parlement, ce constat a de quoi surprendre ». Le constat demeure : l’État et le département se sont vus largement amputés de certaines de leurs compétences, au profit de la tutelle nouvellement instituée.

  1. L’encouragement à la fongibilité des enveloppes entre les secteurs

Avec son article 118, la loi HPST a offert au secteur médico-social des perspectives de développement originales et dérogeant au droit commun existant. En effet, organisant une « fongibilité » des enveloppes budgétaires entre les secteurs sanitaire et médico-social, la loi de 2009 permet que des fonds réservés au secteur sanitaire puissent contribuer à la création d’un établissement médico-social. Cependant, cette fongibilité est dite asymétrique car un sens unique est imposé par le législateur, offrant un avantage certain au secteur médico-social.

Se dessine en filigrane l’objectif des pouvoirs publics de transformer des établissements sanitaires peu rentables en des établissements médico-sociaux. Des unités de soins de longue durée ou des établissements de soins de suite et de réadaptation parfois isolés sont ainsi remplacés par des EHPAD, répondant à des besoins de santé plus importants dans des territoires de santé désertés. 

On constate qu’« il existe un consensus sur l’utilité de ces opérations afin de réduire les inadéquations hospitalières et d’accompagner les fermetures d’activité de court séjour. En revanche, l’estimation exacte du potentiel de conversion, jugé globalement encore important, comme le chiffrage du gain économique, restent en l’état actuel encore incertains ».

Si cet outil a pu être proposé pour favoriser le décloisonnement des secteurs, c’est malheureusement toujours ce décloisonnement qui nuit à son déploiement tant les opérateurs sont encore éloignés.

Cette limite nous conduit à envisager que, malgré des avancées certaines en faveur d’un décloisonnement des secteurs et, par là même, d’une sanitarisationdu médico-social, les spécificités de chacun de ces « deux mondes » se font encore sentir, tant dans les textes qu’en pratique.

  1. La sanitarisation relative des outils de planification du secteur médico-social

La réforme du régime juridique des documents de planification « dure » matérialisée par l’élaboration d’actes administratifs unilatéraux par l’autorité de tutelle et l’amplification du mouvement de contractualisation, révèle l’émergence d’une mutation des objectifs de régulation du secteur médico-social. Pour autant, marquées par des dérogations récurrentes, ces deux tendances restent contrastées. 

  1. La  sanitarisation  tangible des outils de planification « rigides »

  1. La régionalisation du schéma de référence

La loi HPST a modifié, en profondeur, les contours de la planification du secteur médico-social, en l’élevant au niveau régional.

L’outil majeur de la planification au sein de la région est aujourd’hui le projet régional de santé (PRS).Exit les SOSMS (schémas d’organisation sociale et médico-sociale) et PRIAC préexistant dans le secteur médico-social ; le PRS fédère les différents documents de planification qui en découlent, à savoir « 1. Un plan stratégique régional de santé (…), 2. Des schémas régionaux de mise en œuvre en matière de prévention, d’organisation de soins et d’organisation médico-sociale ; des programmes déclinant les modalités spécifiques d’application de ces schémas, dont un programme relatif à l’accès à la prévention et aux soins des personnes les plus démunies, et un programme relatif au développement de la télémédecine.

La programmation peut prendre la forme de programmes territoriaux de santé pouvant donner lieu à des contrats locaux de santé tels que définis à l’article L. 1434-17 [du Code de la santé publique] ». Élaboré par le directeur de l’ARS, ce projet régional de santé traduit la transversalité présidant désormais à l’élaboration de ces politiques de planification.

Le SROMS (schéma régional d’organisation médico-social), bien qu’autonome, est donc une partie d’un tout, le PRS.

La planification médico-sociale, jusqu’alors déclinée au sein du schéma départemental de l’organisation médico-sociale (SDOMS), se régionalise, à l’instar de la planification sanitaire. Surtout, elle découle d’un unique document chapotant à la fois ce secteur médico-social et le secteur sanitaire.

Le SDOMS et le SROMS devront être articulés en cohérence. Le préfet de région n’est plus « maître à bord », le directeur de l’ARS étant désormais pleinement compétent en la matière. On peut alors remarquer que « le SROMS ne se présente plus comme un document « compilatoire », formalisé en aval des schémas départementaux. En effet, si le SROMS adopté pour une période de 5 ans tient bien évidemment compte desdits schémas départementaux élaborés par le conseil général il va bien au-delà d’un simple recensement et se présente comme un document de planification dynamique et prospectif ».

Ce mimétisme dont le secteur médico-social est l’auteur, se dessine distinctement à la lecture des articles du Code de la santé publique définissant l’objet des SROS et SROMS. Ainsi, l’article L. 1434-12 missionne le SROMS « de prévoir et de susciter les évolutions nécessaires de l’offre des établissements et services médico-sociaux mentionnés aux 2o, 3o, 5o, 6o, 7o, 11o et 12o du I de l’article L. 312-1 et à l’article L. 314-3-3 du Code de l’action sociale et des familles, afin notamment de répondre aux besoins de prises en charge et d’accompagnements médico-sociaux de la population handicapée ou en perte d’autonomie ».

Cette mission est décrite en des termes semblables au sein de l’article L. 1434-7 du Code de la santé publique, selon lequel : « Le schéma régional d’organisation des soins a pour objet de prévoir et de susciter les évolutions nécessaires de l’offre de soins afin de répondre aux besoins de santé de la population et aux exigences d’efficacité et d’accessibilité géographique ». Les SROS et SROMS consistent tous deux en une identification de l’offre à venir construite sur une analyse des besoins existants. L’article L. 1434-7 ouvre la voie aux coopérations pouvant être mises en place entre les établissements sanitaires et les établissements médico-sociaux.

  1. La dynamique des « programmes »

À l’instar du secteur sanitaire dont l’offre est organisée au sein de « programmes déclinant les modalités spécifiques d’application de ces schémas, dont un programme relatif à l’accès à la prévention et aux soins des personnes les plus démunies et un programme relatif au développement de la télémédecine », le secteur médico-social conserve son programme originel, le PRIAC. Il revient désormais au directeur de l’ARS d’œuvrer pour la mise en œuvre du schéma régional mentionné au 3o de l’article L. 312-5 du Code de l’action sociale et des familles. Document de programmation des objectifs fixés au sein du schéma d’organisation médico-sociale, ce programme dresse, pour la part des prestations financées sur décision tarifaire du directeur général de l’Agence régionale de santé, les priorités de financement des créations, extensions ou transformations d’établissements ou de services au niveau régional.

La logique de programme illustre ici une convergence des deux secteurs sanitaire et médico-social, l’innovation historique revenant au secteur médico-social.

  1. L’apparente sanitarisation des outils de planification « souple »

  1. L’apparente sanitarisation des outils de contractualisation

  1. Les éléments de rapprochement entre les CPOM

La loi HPST remodèle les titres de compétence. Si la possibilité de conclure un contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens (CPOM) pour les établissements médico-sociaux n’est pas nouvelle, l’interlocuteur du gestionnaire change, car c’est désormais le directeur de l’ARS qui conclut ce contrat.

Pour autant, si le choix reste ouvert pour la majorité des établissements médico-sociaux de conclure un tel contrat, la loi HPST impose la conclusion d’une « convention pluriannuelle » aux « établissements assurant l’hébergement des personnes âgées mentionnées au 6o du I de l’article L. 312-1 du [Code de l’action sociale et des familles] et aux établissements de santé autorisés à dispenser des soins de longue durée qui accueillent un nombre de personnes âgées dépendantes dans une proportion supérieure à un seuil fixé par décret ».

À travers ce nouvel outil, la sanitarisation  du secteur médico-social s’échafaude progressivement. La durée de cinq ans est la même pour les CPOM du secteur sanitaire et ces conventions du secteur médico-social. La terminologie diffère mais c’est véritablement l’identité dans la finalité qui doit être retenue ici : il s’agit d’un engagement de la part du gestionnaire de l’établissement à réaliser des objectifs de qualité de prise en charge.

  1. Les éléments de distinction entre les CPOM

L’article L. 1435-3 du Code de la santé publique créé par la loi HPST dispose que « l’Agence régionale de santé conclut les contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens prévus à l’article L. 6114-1. Elle peut, avec la participation des collectivités territoriales, conclure les contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens prévus à l’article L. 313-11 du Code de l’action sociale et des familles (…) ». 

Le présent de l’indicatif dans la première phrase, l’emploi du verbe « pouvoir » dans la seconde, témoignent d’une différence encore marquante entre les deux secteurs. En effet, la conclusion d’un CPOM par tout établissement de santé et titulaire d’autorisation est impérative, alors que seuls certains établissements assurant l’hébergement de personnes âgées sont soumis à cette contrainte légale.

En pratique également, le fossé se creuse, très peu d’établissements médico-sociaux ayant d’ores et déjà formalisé un tel contrat.

L’ancienneté des CPOM du secteur sanitaire se retrouve dans la richesse de leur contenu défini par l’article L. 6114-3 du Code de la santé publique. Si, à l’instar des CPOM du secteur sanitaire, les CPOM conclus par les établissements médico-sociaux doivent définir les objectifs à réaliser et les moyens à engager pour y parvenir, les CPOM des établissements de santé s’inscrivent bien davantage dans une démarche de prospection de l’activité, et d’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins. 

Ainsi, ils « fixent, dans le respect de la déontologie des professions de santé, des objectifs établis à partir d’indicateurs de performance relatifs aux conditions de gestion des établissements de santé, de prise en charge des patients et d’adaptation aux évolutions du système de santé ».

  1. L’apparente « sanitarisation » des outils de coopération

  1. Les éléments de rapprochement entre les groupements de coopération

Le principe de coopération dans le secteur médico-social n’est pas nouveau. En effet, il figurait déjà dans la loi du 30 juin 1975 relative aux institutions sociales et médico-sociales, mais était peu exploité. La loi du 2 janvier 2002 a souhaité redynamiser la coopération entre les différents intervenants du secteur social et médico-social en introduisant, à côté des outils de coopération existants (notamment la convention, le groupement d’intérêt économique (GIE), le groupement d’intérêt public (GIP), un nouvel outil : le groupement de coopération sociale et médico-sociale (GCSMS). 

Inspiré du groupement de coopération sanitaire (GCS), le GCSMS ne verra son rôle précisé qu’à l’occasion de la publication de la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances des personnes handicapées, avant qu’un décret, en date du 6 février 2006, ne vienne fixer les modalités de sa mise en œuvre. La loi HPST est venue finaliser l’édifice construit jusqu’ici, en élargissant ses missions.

Consolidant la « sanitarisation » ici décrite, ces GCSMS « peuvent être constitués entre professionnels des secteurs sociaux et médico-sociaux et sanitaires, entre ces professionnels, les établissements et personnes mentionnés au premier alinéa et les établissements de santé mentionnés à l’article L. 6111-1 du Code de la santé publique. Peuvent y être associés, par conventions, des professionnels médicaux et paramédicaux du secteur libéral ou du secteur public n’exerçant pas dans les établissements et services des membres adhérents ».

  1. Les éléments de distinction entre les groupements de coopération

L’ordonnance no 2010-177 du 23 février 2010, en rendant applicable aux GCSMS toutes les dispositions du Code de la santé publique relatives aux groupements de coopération sanitaire sous réserve des dispositions du Code de l’action sociale et des familles, a semé le trouble dans le régime juridique applicable aux GCSMS. Ce texte contenait une ambiguïté laissant entendre que l’on pouvait appliquer au secteur social et médico-social la distinction entre les GCSMS « de moyens » et les GCSMS « établissements » qui gèrent directement des activités sociales ou médico-sociales.

La loi du 10 août 2011 dite loi Fourcade a toutefois précisé que le GCSMS n’avait pas la qualité d’établissement social ou médico-social. Il ne peut donc être titulaire d’autorisation, à la différence majeure du « GCS autorisation », créé par la loi HPST.

À l’issue de ce tour d’horizon, il apparaît que la volonté des pouvoirs publics est de faire évoluer les secteurs sanitaire et médico-social sur des voies non plus parallèles mais convergentes. Le chemin demeure cependant semé d’obstacles, dont le moindre est probablement la « culture » propre de ces secteurs.

  • 2 : Cadre doctrinal et jurisprudentiel (EPIC, EPA, Spic, spa)

Critiquée par le passé, la multiplication des établissements publics est apparue comme la conséquence d’une profonde diversification des domaines de l’action publique. Ces établissements, en tant que personnes morales de droit public « assumant une mission spéciale et disposant d’une certaine autonomie administrative et financière », peuvent être aussi bien locaux (les centres communaux d’action sociale, les services départementaux d’incendie et de secours, les collèges, les lycées) que nationaux (les parcs nationaux, les chambres consulaires, ou encore agences de l’eau). Leur essor accuse néanmoins un ralentissement depuis que d’autres personnes publiques spécialisées sont apparues. Conformément à l’article 34 de la Constitution, leur création relève du pouvoir du législateur, ce dernier étant également compétent pour fixer leurs règles constitutives, et en particulier leurs types de ressources. Le pouvoir réglementaire n’intervient, quant à lui, que lorsque l’établissement en cause intègre une catégorie préexistante (EPA, EPIC, EPST, EPSCP…).

Bien que chaque établissement public dispose de son propre budget, lequel est proposé par le président de l’établissement en cause et approuvé par son conseil d’administration, il reste sous la tutelle de sa collectivité de rattachement. De plus, il ne dispose d’un capital social que par exception. D’un point de vue terminologique, il importe d’évoquer que les établissements publics représentent 92 % des opérateurs d’État. Si la notion d’opérateur est apparue dans la LOLF, elle n’en donne cependant aucune définition. En réalité, il faut entendre par opérateur d’État, « toute entité dotée de la personnalité morale qui contribue à la mise en œuvre d’une mission de service public définie par l’État, dont le financement est majoritairement assuré par l’État et qui est directement contrôlée par lui (contrôle économique et financier, mais aussi stratégique) »

Aussi, la question de la dotation des établissements publics vient à se poser dans un contexte où la situation des finances publiques est particulièrement difficile. Réduction minime du déficit public, emprunts toxiques, comptes publics déséquilibrés, investissements publics élevés sans être suffisamment évalués, la Cour des comptes dresse dans son rapport de nombreuses difficultés budgétaires et financières rencontrées actuellement par notre pays.

À cela, il faut ajouter une baisse des dotations de l’État faites aux collectivités territoriales , le terme de « dotations » désignant à titre de rappel les prélèvements opérés sur le budget de l’État et redistribués à des personnes publiques. Aussi, dans ce contexte particulier, on remarque que la situation spécifique des établissements publics n’est que peu abordée en doctrine. L’objet de cet article est donc de mettre en perspective la place qu’occupe véritablement l’État dans le fonctionnement financier des établissements publics et d’en évaluer les conséquences.

Et c’est en deux temps qu’il convient de répondre à cette interrogation. D’une part, il importe de montrer que la présence de l’État en tant qu’acteur essentiel du financement des établissements publics a une incidence tant sur leur autonomie que sur leur qualification. Et d’autre part, il s’avère utile de montrer que cette prégnance étatique s’accompagne d’un renforcement du contrôle mené à leur égard.

  1. La participation essentielle de l’État au financement des établissements publics

Certes, la multiplication des établissements publics, qui s’explique en grande partie par leur régime juridique souple, s’est accompagnée d’une diversification des modalités de financement de ces entités. Si ce constat n’est pas susceptible d’être remis en cause, il apparaît malgré tout clairement que ces établissements bénéficient toujours d’un fort soutien étatique au point que l’on puisse douter de leur autonomie financière. Or, ce doute n’est pas sans conséquences sur le travail du juge administratif pour qui la détermination de la nature de l’établissement public nécessite (entre autres) une analyse de ces ressources financières.

  1. Une contribution étatique à l’origine d’une autonomie financière vacillante

Les établissements publics perçoivent tout d’abord des subventions pour charges de service public, autrement dit des sommes versées par l’État pour couvrir leurs charges de fonctionnement du fait de l’exécution de politiques publiques relevant normalement de la compétence de ce dernier. Pour les établissements publics nationaux, ces subventions se sont élevées à 25 851 M€ pour 2014 et ne représentent pas moins de 93 % du montant total de cette catégorie de subventions. La majeure partie va à la mission Recherche et enseignement supérieur (19 270 M€), et le reste de cette somme profite à titre d’exemple à Pôle emploi (1 603 M€) ou encore au financement des agences régionales de santé (577 M€) .

Rappelons que depuis la LOLF du 1er août 2001, le budget de l’État est envisagé par « missions » et par « programmes ». Si la création d’un établissement public est parfois présentée comme « une commodité de gestion », cet argument peine à convaincre car il peut aussi bien constituer un sous-ensemble d’un seul et unique programme, qu’être à cheval sur plusieurs d’entre eux.

Hormis les subventions pour charges de service public, les établissements publics ont la possibilité de percevoir des dotations en fonds propres enregistrées à l’actif du bilan de l’État d’un point de vue comptable. Des dotations de compensation peuvent aussi leur être allouées en contrepartie d’un transfert de compétences se faisant à leur profit. Elles s’inscrivent dans le cadre des programmes 119 et 122 de la mission Relations avec les collectivités territoriales (RCT) du budget de l’État. À titre d’illustration, la transformation du Syndicat des transports d’Île-de-France (STIF) en établissement public par la loi du 13 août 2004  s’est accompagnée d’une compensation financière liée aux charges transférées en matière de transports scolaires.

En 2015, le montant total de cette dotation générale de décentralisation (DGD) s’est élevée à 128 102 206  . Ajoutons que le budget global de certains établissements publics, en l’occurrence les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), peut être enrichi par des sommes provenant de la dotation globale de fonctionnement (DGF) des groupements de communes à fiscalité propre , cette dernière comprenant une dotation d’intercommunalité, et une dotation de compensation. Cette DGF est accordée plus précisément à cinq catégories d’EPCI à fiscalité propre, et la répartition des dotations évoquées s’opère selon les dispositions prévues aux articles L. 5211-28 à L. 5211-33 du CGCT. Pour les EPCI, la DGF ne représente pas moins de 27,8 % de leurs ressources globales.

De plus, les EPCI figurent parmi les bénéficiaires du fonds de compensation de la TVA (FCTVA) lequel correspond à un prélèvement sur les recettes de l’État constituant une aide en matière d’investissement . Profitant pour certains de ressources propres , la grande diversité des établissements publics laisse entrevoir que l’État persiste à être un acteur déterminant de leur financement. Il suffit de prendre le cas de l’École nationale supérieure des officiers de sapeurs-pompiers (ENSOSP) qui, bien que financé par des ressources propres, des subventions du CNFPT et des collectivités locales, a reçu 7,2 M€ de subventions imputées sur le programme 161 — Sécurité civile (2,4 M€ au titre de la participation de l’État au remboursement de l’emprunt contracté par l’établissement pour son installation et 4,8 M€ au titre des dépenses d’intervention) .

Par voie de conséquence, on se rend compte que l’équilibre financier des établissements publics reste toujours majoritairement tributaire des participations de l’État , ce qui a pour conséquence d’accroître dans une certaine mesure l’autorité qu’il a sur eux . Essentiel, le financement des établissements publics par le biais de dotations n’est pas non plus sans répercussions sur leur catégorisation. L’analyse des ressources dont disposent ces établissements sert en effet à la détermination de leur caractère administratif ou industriel et commercial.

  1. Un élément pris en considération dans l’opération de qualification de l’établissement public

À l’heure actuelle, les ressources financières des établissements publics continuent de constituer un indice pour juger de leur nature. Considéré à l’origine comme un « service public spécial personnifié », il faut savoir que les notions d’établissement public et de service public sont apparues progressivement comme étant dissociables. 

En d’autres termes, s’il existe une présomption de service public, celle-ci reste réfragable. En doctrine comme en jurisprudence, la classification des établissements publics nationaux continue néanmoins de se fonder essentiellement sur la fameuse distinction entre service public administratif (SPA) et service public industriel et commercial (SPIC). En dépit d’une certaine érosion de cette dernière , le juge administratif persiste à considérer que « tous les services publics ont soit un caractère administratif, soit un caractère industriel et commercial » .

Rattachée à la décision Bac d’Eloka du Tribunal des conflits, cette différenciation se fonde en réalité sur la façon dont le service en cause est accompli, à savoir s’il est comparable ou non à celui d’une entreprise privée agissant dans un secteur concurrentiel. En pratique, on constate aujourd’hui une tendance au déclin des EPIC  au profit d’entreprises publiques ou de sociétés privées et celle d’un retour en force de l’État au sein des EPA . 

Cette opposition maintenue entre EPA et EPIC renvoie à l’arrêt Union syndicale des industries aéronautiques du 16 novembre 1956 par lequel le juge administratif entend prendre en considération à la fois l’objet du service, les modalités de son fonctionnement, et celles de son financement.

Concernant ce dernier critère, la nature d’EPIC sera accordée dès lors que le financement dépend majoritairement de l’activité de l’établissement (redevances perçues sur les usagers), alors que celle d’EPA le sera s’il dispose de subventions de la part d’une personne publique.

Concrètement, la qualification de l’établissement public en EPA ou EPIC n’est cependant pas toujours une opération aisée, et ce d’autant plus qu’elle tient compte d’autres critères. Les juges reconnaissent parfois que les établissements publics possèdent « un double visage », ce qui signifie qu’ils prennent en charge des tâches à la fois administratives et industrielles ou commerciales . Or la liste de ces établissements publics ne cesse de s’allonger. On compte par exemple l’Office national de la navigation , l’Office national interprofessionnel des céréales , les chambres de commerce … Les établissements publics peuvent aussi revêtir un « visage inversé », ce qui fut le cas du Fonds d’orientation et de régularisation des marchés agricoles (FORMA), lequel avait été qualifié d’EPIC par le décret l’ayant institué mais rangé dans la catégorie des EPA par le Tribunal des conflits . Même si les ressources de l’établissement public ne sont qu’un simple « indice » , on ne peut que souscrire à l’idée selon laquelle une simplification des règles de fonctionnement et d’organisation sur le plan financier serait utile .

En ce sens, on peut aisément comprendre que le Conseil d’État n’ait pas manqué de souligner l’importance qu’il y a pour le législateur à veiller, au moment de la création d’une catégorie d’établissement public, à accorder « un éventail aussi large que possible de ressources », tout simplement pour « éviter que par la suite, la création d’un établissement relevant de la même catégorie mais disposant d’une ressource spécifique ne nécessite pour ce seul motif le recours à la loi ». Le manque de lisibilité concernant les ressources des établissements publics contribue donc à rendre incidemment plus complexe la détermination du droit applicable et de la juridiction compétente.

Tributaires de manière incontestable des ressources que l’État accepte de leur octroyer, les établissements publics sont contraints en contrepartie de se soumettre à des contrôles multiples qui tendent parfois même à se recouper.

  1. La position de la jurisprudence 

Dans les premiers travaux de référence sur le sujet, c’est le Conseil d’Etat qui  posé le premier le principe d’imposition des des personnes publiques, principe étendu aux personnes morales de droit privé ne poursuivant pas un but lucratif mais exerçant une activité analogue à celle des entreprises privées.

  1. Genèse l’assujettissement des personnes publiques et des personnes morales de droit privé

Durant la plus grande partie du 19e siècle, la question de l’assujettissement des personnes publiques à l’impôt, et surtout celui de l’Etat, ne se posait pas puisque la puissance publique se cantonnait à exercer des activités de nature administrative ayant pour objet la conservation du groupe social

L’Etat et les autres personnes publiques ne se livraient pas ou peu à des activités industrielles ou commerciales réservées au champ d’action des personnes privées en application du principe de la liberté du commerce et de l’industrie déjà étroitement lié dans l’esprit du juge à la libre concurrence

La multiplication des interventions de personnes publiques dans la fourniture de biens ou de services marchands entraînée par l’avènement de l’« Etat-providence » combinée au mutisme législatif et réglementaire sur le sujet ont peu à peu rendu nécessaire une clarification jurisprudentielle, notamment s’agissant de la contribution à la patente

Ainsi qu’il avait commencé à le faire dans la décision Commune de Mesle-sur-Sarthe précitée, le Conseil d’Etat a répondu à la question qui lui était posée en dégageant proprio motu un critère matériel d’imposition que l’on a désigné sous le terme de « principe de similitude » des activités exercées. 

En application de celui-ci, l’assujettissement des personnes publiques s’impose dès lors que celles-ci se livrent à des activités comparables à celles des personnes privées. Il est ainsi aisé de comprendre pourquoi l’assimilation s’est essentiellement effectuée au regard des impôts commerciaux, « c’est-à-dire des contributions visant le domaine « naturel » de l’activité privée ».

Sans assise textuelle explicite pendant plusieurs années, ce principe jurisprudentiel a finalement trouvé une traduction législative dans l’article 4 de la loi du 28 juin 1941 portant fixation du budget de l’exercice 1941, dont les dispositions sont actuellement reprises à l’article 1654 du code général des impôts (CGI).

Comme l’énonce Pierre Moulié, « à partir du moment où le législateur et le juge ouvrent largement la porte du secteur économique aux collectivités publiques, il ne pouvait faire autrement que de prononcer leur assujettissement de principe dans les mêmes conditions que les entreprises privées, à peine de violer les principes mêmes de la libre concurrence ». La finalité du principe de similitude est donc indubitablement l’éradication des distorsions de concurrence d’origine fiscale.

S’agissant des personnes morales de droit privé poursuivant un but non lucratif mais se livrant à des activités analogues à celles des entreprises privées, la haute juridiction administrative s’est également très tôt interrogée sur le point de savoir si les activités auxquelles se livraient ces personnes pouvaient être considérées comme l’exercice d’une profession, d’une industrie ou d’un commerce au sens de l’article 1er de la loi du 15 juillet 1880 instituant la contribution des patentes. Il est néanmoins plus difficile d’y discerner, tout du moins dans le premier état de la jurisprudence, une volonté explicite de fonder l’imposition sur le nécessaire maintien de l’égalité fiscale entre opérateurs exerçant la même activité.

  1. Mise en place d’une notion de lucrativité

Si le principe de similitude ressort nettement des dispositions de l’article 1654 précité, sa mise en œuvre est toutefois plus complexe à effectuer que ne le laisse tout d’abord penser la simplicité de sa compréhension. Cette disposition doit en effet être lue en combinaison avec plusieurs autres dispositions du CGI concernant spécifiquement le champ d’application de certains impôts commerciaux

Si la multiplicité de textes applicables selon les impôts concernés complique inévitablement la mission du juge, celui-ci dispose néanmoins, en s’appuyant sur les dispositions du CGI, d’un critère légal d’assujettissement : le caractère lucratif de l’activité exercée.

La lecture des dispositions du CGI fait nettement ressortir que le législateur a entendu fondé l’imposition, tout du moins s’agissant de l’impôt sur les sociétés (IS) et de la taxe professionnelle (TP), sur le critère de la lucrativité de l’activité exercée, celui-ci se révélant être d’autre part une condition essentielle d’exonération à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA).

Si le concept est largement balisé depuis la mise en place de la contribution des patentes, celui-ci se révèle néanmoins d’une application assez difficile, s’agissant notamment des activités de service public des personnes publiques. Il est en effet tentant de considérer qu’à l’opposé des activités de Service public administratif (SPA), les activités de Service public industriel et commercial (SPIC), traditionnellement entendues comme des activités que pourraient entreprendre des opérateurs privés, doivent être considérées comme des activités lucratives. 

Néanmoins, l’observation démontre qu’un tel lien ne peut être fait de manière automatique à peine d’entraîner un certain nombre d’erreurs. Ainsi que le fait remarquer Loic Levoyer, le SPIC de distribution d’eau potable est exonéré d’IS alors qu’inversement une régie municipale assurant un SPA est susceptible d’y être assujettie

De fait, il apparaît clairement que les critères dégagés pour définir le caractère lucratif d’une activité, notion que le juge a rendue commune à tous les impôts commerciaux, n’ont que peu de rapport avec ceux dégagés pour qualifier le caractère industriel et commercial d’un service public.


S’en remettant à une approche casuistique, le juge a ainsi pu décider qu’une régie départementale chargée de l’exploitation de pont à péage ne poursuivait pas d’activité lucrative en ne se fondant pas sur le caractère administratif de la mission de service public exercée mais en raison du fait que, si les services rendus aux usagers donnaient lieu à rémunération, les conditions dans lesquelles ceux-ci étaient rendus ne pouvaient être regardées comme des conditions habituelles d’exercice de la profession de concessionnaire d’ouvrage public.

S’agissant des organismes de droit privé sans but lucratif, et notamment des associations, la jurisprudence traditionnelle du Conseil d’Etat était qu’ils devaient être assujettis aux impôts commerciaux si « leur gestion n’est pas désintéressée et si les conditions de leur gestion sont similaires à celles des entreprises commerciales exerçant une activité analogue ».

La première condition ne pose pas de difficultés particulières de compréhension puisqu’il est possible de résumer la jurisprudence en indiquant que la gestion d’un organisme peut être considérée comme désintéressée si celui-ci ne poursuit, ni en droit ni en fait, la recherche ou la distribution de bénéfices.


Dans le cadre de la jurisprudence traditionnelle, la recherche du caractère lucratif de l’activité passait dans un deuxième temps par la vérification que l’organisme agissait « dans des conditions différentes de celles des entreprises commerciales, notamment quant à la couverture de besoins qui ne sont pas normalement ou suffisamment pris en compte par ces dernières, quant aux prix pratiqués et au public accueilli »

Ce deuxième critère, habituellement désigné par le concept « d’utilité sociale » de l’association, traduit l’idée qu’un organisme, lorsqu’il entre en compétition sur un marché de biens ou de services avec les opérateurs du secteur concurrentiel, ne peut préserver son caractère de non lucrativité que s’il exerce son activité dans des conditions plus favorables à l’intérêt général ou à l’intérêt des usagers que l’activité analogue d’un organisme à but lucratif.

Il est intéressant de remarquer que l’adjonction de ce second critère de qualification constituait dès cette époque dans l’esprit du juge un moyen de prévenir des distorsions de concurrence d’origine fiscale entre opérateurs se livrant aux mêmes activités économiques. Dans ses conclusions sur l’affaire Association Saint-Luc, Jacques Delmas-Marsalet considérait ainsi que le juge ne pouvait s’en tenir au seul critère de la gestion désintéressée car « une telle solution reviendrait à privilégier des groupements dont la gestion, pour bénévole et désintéressée qu’elle soit, n’apporterait aux usagers ou à la collectivité d’autres avantages que ceux qu’ils peuvent retirer du marché et profiterait, en réalité, à l’institution elle-même prise en tant que puissance dont la capacité concurrentielle se trouverait accrue par l’effet d’une accumulation affranchie d’impôt ».

Pour séduisant qu’il soit, ce critère de l’« utilité sociale » présentait un certain nombre d’inconvénients. Outre la redondance de certains indices, le faisceau mis en place par le juge n’établissait pas de véritable hiérarchie entre ceux-ci, avec comme conséquence de potentielles distorsions de concurrence entraînées par une application disparate selon les services fiscaux concernés. 

Plus fondamentalement encore, l’articulation du raisonnement suivi manquait de rigueur et de logique au regard du fonctionnement d’un marché de biens ou de services. Si l’on ne pouvait que louer la volonté de préserver une concurrence loyale pour les opérateurs privés, la méthode suivie par le juge ne le conduisait pas la plupart du temps à s’interroger explicitement sur la potentialité, voire la réalité, de cette concurrence. On comprend en effet aisément que c’est seulement s’il a des concurrents commerciaux qu’il convient de comparer les modalités de gestion de l’organisme sans but lucratif.

Dans une affaire concernant l’assujettissement à la TVA d’une association, la Haute assemblée a récemment affiné et clarifié sa jurisprudence en intégrant une analyse concurrentielle dans la méthode d’appréciation du caractère lucratif d’une activité. La grille d’analyse ainsi mise en place pour la TVA a par la suite été étendue par le juge aux autres impôts commerciaux.

Ainsi qu’il a été exposé ci-dessus, l’état du droit antérieur, caractérisé par une grande insécurité juridique, ne laissait pas d’inquiéter le secteur associatif. La réponse de l’administration à cette inquiétude s’est traduite par la mise en place d’une mission d’expertise ainsi que par la publication d’une nouvelle instruction fiscale sur le sujet

L’affaire Jeune France allait être l’occasion pour la Haute assemblée de donner une solution jurisprudentielle en choisissant de reprendre ou d’écarter certaines des innovations proposées dans les deux textes précités. Rappelant les inconvénients de l’état du droit précédent, le commissaire du gouvernement a sans hésiter repris la proposition du rapport de Guillaume Goulard consistant en l’insertion d’une étape intermédiaire de contrôle entre le critère de la gestion désintéressée et le critère des modalités d’exercice de l’activité.

Cette nouvelle phase du contrôle a pour objet de déterminer, cette fois-ci explicitement, si l’organisme sans but lucratif et à gestion désintéressée, entre en concurrence avec une ou plusieurs entreprises commerciales lorsqu’il se livre à l’activité litigieuse. 

Dans la négative, « l’activité de l’association se déploie hors du secteur marchand » et « l’exemption des impôts commerciaux n’est dès lors pas de nature à porter atteinte aux principes d’égalité devant l’impôt et d’égalité dans la concurrence »

Dans l’affirmative, il existe « un risque de concurrence déloyale si l’association ne supporte pas les charges correspondantes, notamment fiscales » et il faut alors passer à l’examen des modalités d’exercice de l’activité associative. Si l’autonomisation d’un critère central de non-concurrence figurait dans les deux propositions de réforme, celles-ci divergeaient néanmoins sur la conception de la concurrence qu’il convenait de retenir.

Le rapport prônait le système de la « concurrence potentielle » et l’instruction celui de la « concurrence effective ». En application du premier, une association doit être regardée comme intervenant dans un champ concurrentiel tout en étant la seule à proposer un certain type de services ou de biens dans un secteur géographique déterminé si elle développe la même activité que des entreprises commerciales implantées ailleurs. 

  1. Jean Courtial n’a pas proposé à la Haute Assemblée de retenir cette conception car elle lui semblait réduire presque à néant l’utilité d’un critère autonome de non-concurrence en reportant le travail de qualification sur la troisième phase. Il est en effet difficile d’imaginer des hypothèses dans lesquelles un rapprochement entre l’activité d’une association et l’activité d’une entreprise commerciale se livrant à des activités analogues ne pourrait être opéré

Le commissaire s’est en revanche prononcé en faveur de l’adoption du système de la « concurrence effective » préconisée par l’instruction du 15 septembre 1998. Selon cette seconde conception, « la situation de l’organisme s’apprécie par rapport à des entreprises ou des organismes lucratifs exerçant la même activité, dans le même secteur. L’appréciation de la concurrence ne s’effectue donc pas en fonction de catégories générales d’activités (spectacles, tourisme, activités sportives…) mais à l’intérieur de ces catégories ». C’est à un niveau plus fin que la similarité d’activité doit être appréciée.

La question qu’il convient ainsi de se poser est celle de savoir si le public peut indifféremment s’adresser à une structure lucrative ou non lucrative. Cet élément s’apprécie en fonction de la situation géographique de l’organisme. Le commissaire du gouvernement devait préciser que cette proposition correspond en fait à un concept issu du droit de la concurrence déjà utilisé par le juge administratif et dont il proposait la transposition en plein contentieux fiscal : le concept de « marché pertinent », « sur lequel se rencontrent l’offre et la demande de produits et de services qui seront considérés par les consommateurs comme substituables entre eux et non substituables aux autres produits et services offerts, compte tenu des caractéristiques intrinsèques des produits et services, de leur image, des prix, des habitudes des consommateurs et des particularités de la commercialisation ».

Le Conseil d’Etat a suivi le raisonnement de son commissaire puisqu’il considère désormais que l’absence de caractère lucratif d’un organisme s’apprécie, en premier lieu, en fonction du caractère désintéressé de sa gestion et, en second lieu, en fonction du fait que les services qu’il rend « ne sont pas offerts en concurrence dans la même zone géographique d’attraction avec ceux proposés au même public par des entreprises commerciales exerçant une activité identique ».

Les suites de la jurisprudence Jeune France ont permis au Conseil d’Etat de démontrer son attachement à l’analyse concurrentielle qu’il venait de valider en repoussant les tentatives de l’administration fiscale pour que soit reconnu le caractère commercial et lucratif par nature de certaines activités. S’il a pu paraître un temps séduit par une telle proposition, le Conseil d’Etat a nettement clarifié sa position dans une décision du 8 mars 2002 en indiquant qu’il ne s’agissait en aucun cas pour lui d’établir un quatrième critère en complément de ceux indiqués dans la décision Jeune France.

S’il est constamment réaffirmé par le juge, le considérant de principe issu de la jurisprudence Jeune France n’est pas pleinement satisfaisant au regard d’un raisonnement entièrement fondé sur l’analyse économique. Celui-ci risque en effet d’aboutir à une « cristallisation des situations » en constituant un frein à la création d’un marché au sens où l’entend cette jurisprudence. 

Dans l’hypothèse où le « secteur » est tenu par une association dynamique et performante, les exonérations fiscales dont elle bénéficie dans un premier temps rendront la pénétration de celui-ci d’autant plus difficile et représenteront de fortes barrières à l’entrée, risquant ainsi de décourager les entreprises privées. Lorsque plusieurs associations interviendront sur le même secteur d’activité dans une même zone géographique d’attraction, « le marché », qui n’en est pas encore un si l’on suit le raisonnement du juge, risque même de devenir alors « quasiment impénétrable pour une entreprise commerciale ».

Pour prévenir un tel risque, M. Jean Courtial avait proposé à la Haute juridiction de se montrer plus rigoureuse dans l’appréciation du caractère désintéressé de la gestion de l’association. L’absence de caractère lucratif devrait normalement impliquer qu’une recherche d’excédents ne soit pas systématiquement organisée de telle sorte que se constitue « une puissance économique qui serait ensuite susceptible de dissuader les entreprises d’ouvrir au marché des domaines qui n’en sont pourtant pas exclus par nature. ».

Si cette proposition peut s’avérer séduisante, elle se révèle néanmoins peu innovante au regard de la pratique juridictionnelle antérieure. Ainsi que le fait remarquer Emmanuelle Mignon, le juge se méfie déjà des associations qui recherchent systématiquement la réalisation d’excédents, cette circonstance pouvant être exclusive de l’exonération.

Si l’analyse concurrentielle issue de la jurisprudence Jeune France a été étendue par le Conseil d’Etat en matière d’assujettissement à l’IS et à la TP (extension matérielle) des associations, elle est aujourd’hui utilisée s’agissant de l’assujettissement des personnes publiques à ces mêmes impôts (extension organique). 

  1. L’extension de l’analyse concurrentielle en matière d’impôt sur les sociétés et de taxe professionnelle des associations 

S’agissant en premier lieu des organismes sans but lucratif, la jurisprudence du Conseil d’Etat a rapidement étendu la nouvelle méthode d’analyse dégagée par la décision Jeune France à l’IS et à la TP. Dans ses conclusions conformes sur l’affaire Association « Foire nationale des vins » dans laquelle le Conseil d’Etat devait se prononcer sur l’assujettissement d’une association à ces deux impôts, M. Jacques Arrighi de Casanova, tout en rappelant à la Haute Assemblée que le raisonnement développé par la jurisprudence Jeune France concernait la TVA, ajouta qu’ « il est clair qu’il doit être transposé à l’IS et à la TP : les trois impôts ont toujours été régis par les mêmes critères, et la nouvelle orientation de la jurisprudence n’a pas remis en cause cet élément de simplification du régime fiscal des associations ».

En application de ce mouvement jurisprudentiel unitaire, plusieurs juridictions ont d’ores et déjà eu l’occasion de procéder à des définitions matérielles et géographiques de marchés pertinents pour confirmer ou infirmer l’assujettissement d’associations se livrant à des activités économiques. Si la rédaction des arrêts est assez souvent peu explicite sur les définitions de marchés opérés, un certain nombre d’enseignements semblent toutefois pouvoir être dégagés.

En premier lieu, certaines activités apparaissent devoir être considérées comme s’exerçant dans un cadre concurrentiel sans qu’il y ait lieu de préciser géographiquement le marché pertinent. La Cour administrative d’appel de Lyon a ainsi pu juger que l’activité d’intermédiation dans le secteur de l’assurance « doit être regardée comme s’exerçant dans le secteur concurrentiel normalement occupé, quelle que soit la zone géographique concernée, par les compagnies d’assurance ou leurs agents généraux »

La nature de l’activité en cause, amplement offerte en n’importe quel endroit du territoire par de nombreux opérateurs privés, semble ainsi exclure la possibilité de circonscrire un marché pertinent à l’échelon local où une concurrence potentielle n’existerait pas.

A l’inverse, les conditions d’exercice de certaines autres activités excluent qu’elles puissent être considérées comme s’exerçant dans un milieu concurrentiel. Dans une décision Association technique de la réfrigération et de l’équipement ménager en date du 5 juin 2002, le Conseil d’Etat devait se prononcer sur l’assujettissement à l’IS de l’association précitée. Celle-ci réunit en son sein des syndicats et groupements professionnels et a pour mission de gérer la procédure de certification aux normes NF

S’il existe une forte présomption pour que l’activité d’un organisme statutairement sans but lucratif qui exerce sa mission dans le cadre d’une mission de service public administratif ne constitue pas une activité lucrative, le Conseil d’Etat ne s’est pas arrêté à cette constatation pour considérer que l’activité de l’association ne pouvait être regardée comme lucrative. 

La Haute juridiction, après avoir convenu du caractère désintéressé de la gestion de l’organisme, s’est appliquée à rechercher l’existence d’une concurrence potentielle dans le domaine d’activité de celui-ci. Suivant en cela les recommandations de son commissaire, le juge a décidé que l’activité exercée n’avait pas un caractère lucratif car elle se déployait, « de par les conditions de son exercice », dans un champ étranger à celui de la concurrence entre entreprises commerciales. 

A l’évidence il était difficile d’imaginer comment une offre concurrente pouvait être offerte dans la même zone géographique d’attraction puisque l’activité de service public litigieuse était monopolisée. Une activité économique était exercée sur un marché mais celui-ci n’était pas ouvert à la concurrence d’autres opérateurs, la méthode issue de la jurisprudence Jeune France devenait par suite logiquement sans objet.

  1. L’extension du raisonnement concurrentiel aux impôts commerciaux frappant les personnes publiques 

Concernant les personnes publiques, on sait qu’en application de l’article 206-1 du CGI, et sous réserve des exonérations prévues par les dispositions des 6° et 6° bis du 1 de l’article 207 du même code, les établissements publics, les organismes de l’Etat jouissant de l’autonomie financière, les organismes des départements et des communes et toutes autres personnes morales se livrant à une exploitation ou à des opérations de caractère lucratif sont soumis à l’IS. 

S’est ainsi rapidement posée au juge la question de savoir si les critères de lucrativité d’une activité dégagés par le Conseil d’Etat à propos de l’assujettissement aux impôts commerciaux des organismes à but non lucratif pourraient être transposés aux personnes publiques relevant du champ d’application de l’article 206-1.

Dans un arrêt en date du 30 décembre 2003, la CAA de Douai a répondu positivement à cette question en opérant une reprise littérale du considérant de principe de la décision Jeune France. Dans cette affaire, la commune du Havre gérait en régie de SPIC un laboratoire d’analyses médicales qui effectuait pour les habitants de la commune, mais également pour le compte d’autres collectivités publiques et entreprises privées, des analyses chimiques et micro-biologiques. 

A ce titre, elle s’était notamment vue assujettir à l’IS et à la TP. S’interrogeant sur la possibilité de la transposition précédemment envisagée, le commissaire du gouvernement a pu expliquer à la Cour que celle-ci ne devrait appeler de sa part « aucun effort particulier » dès lors que le Conseil d’Etat avait entendu déterminer « quels étaient les critères de lucrativité d’une activité exercée par une personne morale a priori juridiquement hors du champ des impositions commerciales ». Il devait rajouter qu’« à cet égard ce qui est vrai d’une activité exercée par une association l’est également, mutatis mutandis, de l’activité exercée par une collectivité territoriale. »

Constatant que le laboratoire intervient sur un secteur où trois autres laboratoires proposent les mêmes services, « autrement dit sur un secteur concurrentiel », qu’il vise une clientèle potentielle identique à celle de ses concurrents et selon des modalités tarifaires analogues, le commissaire, suivi en cela par la Cour, a conclu au caractère lucratif de l’activité exercée.

S’agissant de la taxe professionnelle, le juge devait se prononcer sur la possible transposition de la jurisprudence Jeune France à propos de l’assujettissement de la chambre d’agriculture de l’Yonne à raison de ses activités de gestion d’un entrepôt frigorifique

Pour répondre à la question de savoir si l’activité déployée par cet établissement public administratif entrait dans le champ d’application de l’article 1447 du CGI, le commissaire du gouvernement s’est simplement contenté d’indiquer à la Cour, quasiment sous la force de l’évidence, qu’« il faut alors s’interroger sur l’insertion de cette activité dans les mécanismes du marché, et le faire à la lumière, notamment, de la jurisprudence récente en matière d’imposition à la taxe professionnelle des associations et autres organismes lucratifs »

La Cour administrative d’appel a été convaincue par les propositions de son commissaire car, à la suite du rappel des dispositions de l’article 1447, elle a précisé « que pour l’application de ces dispositions, les établissements publics à caractère administratif, dont la gestion désintéressée doit être présumée, sont exonérés de la taxe professionnelle dès lors que les services de nature commerciale qu’ils peuvent rendre ne sont pas offerts en concurrence dans la même zone géographique d’attraction avec ceux proposés au même public par des entreprises commerciales exerçant une activité identique »

Le raisonnement a été récemment validé par le Conseil d’Etat s’agissant de l’Etat à propos de l’assujettissement à la TP du Centre de route de la navigation aérienne ouest, service déconcentré de la Direction générale de l’aviation civile.

S’agissant de la TVA, le problème de l’imposition des personnes publiques se pose de manière un peu différente puisque, dans cette hypothèse, le juge doit appliquer une disposition législative explicite avec laquelle il est depuis longtemps familier. L’article 256 B du CGI dispose en effet que « les personnes morales de droit public ne sont pas assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée pour l’activité de leurs services administratifs, sociaux, éducatifs, culturels et sportifs lorsque leur non-assujettissement n’entraîne pas de distorsions dans les conditions de la concurrence ».

L’approche contenue dans la jurisprudence Jeune France, consistant à rechercher une concurrence potentielle entre la personne morale visée par l’impôt et d’autres entreprises commerciales se livrant à des activités substituables, apparaît explicitement lorsque le juge contrôle l’application de l’article 256 B. Un exemple topique de cette inclinaison peut être cherché dans l’arrêt de la CAA de Bordeaux en date du 24 mai 2004

Dans cette affaire, la commune de Domme demandait la décharge des droits de TVA auxquels elle avait été assujettie en raison de l’exploitation en régie directe d’une grotte. Le juge refuse de prononcer la décharge en considérant que « les conditions dans lesquelles cette grotte était exploitée étaient similaires à celles pratiquées par les entreprises privées proposant au public la visite d’autres grottes dans la région ; que la commune, qui se borne à soutenir qu’il n’existe pas de concurrence entre les grottes dès lors que chacune présente sa spécificité, n’apporte aucun élément d’où il résulterait que la grotte dont il s’agit présentait une originalité telle que le public était indifférent aux tarifs pratiqués et ne procédait pas à une comparaison de ces tarifs avec ceux proposés pour les visites des autres grottes de la région exploitées par des entreprises privées.».

La rédaction de l’arrêt laisse subsister peu de doutes quant à la volonté de la Cour d’employer les éléments retenus pour définir un marché pertinent afin de déterminer si, en exploitant la grotte précitée, la commune entrait en concurrence potentielle avec d’autres opérateurs se livrant à la même activité économique.

Ayant à se prononcer sur l’assujettissement à la TVA d’une commune exploitant une plage, la CAA de Lyon s’est récemment montrée extrêmement rigoureuse dans la définition matérielle et géographique du marché pertinent

Après avoir constaté que ladite commune avait mis en place des installations permettant d’offrir un certain nombre de prestations aux usagers et qu’elle réclamait aux usagers un droit d’accès à ces installations durant la période estivale, la Cour relève « qu’il résulte de l’instruction que d’autres plages similaires sont exploitées dans des conditions comparables autour du lac, et notamment une plage située à une dizaine de kilomètres, exploitée par un opérateur privé ». 

Dès lors, la plage en cause « doit être regardée comme étant en concurrence avec celles-ci » et « le non-assujettissement à la taxe du droit d’accès perçu sur les usagers par la commune induit en particulier des différences tarifaires de nature à générer des distorsions dans les conditions de cette concurrence ». Par suite, l’activité exercée ne peut logiquement échapper à la taxe sur le fondement des dispositions de l’article 256 B.

Préoccupation récurrente du juge fiscal, déclinaison du principe d’égalité, la neutralisation des distorsions de concurrence fiscales entre opérateurs s’avère aujourd’hui mieux garantie grâce à la réception d’un instrument conceptuel issu du droit de la concurrence. Si l’utilisation de la notion de marché pertinent doit favoriser une appréhension beaucoup plus précise des situations de fait qu’elles sont amenées à connaître, il est néanmoins regrettable que l’imperatoria brevitas chère aux juridictions administratives ne permette pas toujours d’apprécier la rigueur de l’analyse concurrentielle menée par le juge. Fort de la foi des nouveaux convertis, le juge fiscal a néanmoins démontré son attachement envers une méthode juridictionnelle contribuant à faire de lui un incontestable gardien du fonctionnement concurrentiel des marchés.

Section II : Une harmonisation fiscale planifiée, une dissonance de fait

Contrairement à ce qui avait pu être estimé au début des années 1990, le droit communautaire n’ignore pas le service public. À l’inverse même, le droit communautaire enrichit la notion française de service public en ajoutant des missions jusqu’alors inconnues du droit administratif français, telle la qualité du service rendu au public. Le droit communautaire tend également à déterminer le plus précisément possible le régime juridique du service public, c’est-à-dire l’organisation de l’entreprise chargée d’une mission d’intérêt général et l’étendue des dérogations dont cette entreprise peut bénéficier dans un environnement caractérisé par le principe de libre concurrence.

Il a un temps semblé être d’usage de s’excuser d’avance auprès des lecteurs lorsqu’un article abordait le thème désormais plus que séculaire du service public. C’est que « les études sur la notion de service public (auraient) (…) des relents d’autopsie » ; cela tiendrait probablement au fait « qu’il n’est pas de lieu commun plus foulé et quelquefois même plus piétiné que l’historique des aventures, généralement réputées malheureuses, connues (…) par la notion de service public ».

Paragraphe 1 : l’intégration progressive d’un service d’intérêt général européen

Cette période est largement révolue. Depuis le début des années 1990, le service public a conservé assez de verdeur pour constituer, au plan national et parmi de très multiples exemples, l’un des « grands chantiers » du Xe plan, pour faire l’objet d’un nouveau bulletin de santé de la part du Conseil d’État, immédiatement suivi de réexamens cliniques diligentés par le vice-président, le vice-président honoraire, puis la section du rapport et des études  de cette institution, pour provoquer périodiquement d’importantes manifestations de soutien de la part de ses agents, pour figurer dans de nombreux textes législatifs et réglementaires récents et enfin pour voir son importance fermement soulignée dans la vision du projet pour l’Union européenne présenté le 28 mai 2001 par un ancien Premier ministre.

Au plan communautaire, le service d’intérêt général a fait l’objet de dispositions spécifiques introduites à l’article 16 C.E. par le Traité d’Amsterdam du 2 octobre 1997 et à l’article 36 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne proclamée à Nice le 7 décembre 2000 , a été à l’origine, en à peine quatre années d’intervalle, de deux communications de la Commission européenne, est régulièrement évoqué au cours des réunions du Conseil européen et fait l’objet d’une attention soutenue de la part des autres institutions communautaires ainsi que d’un abondant contentieux devant le Tribunal de première instance des Communautés européennes (le Tribunal) comme devant la Cour de justice des Communautés européennes (la Cour). 

Le service d’intérêt économique général est une invention européenne, fruit de la rencontre de traditions nationales et de la naissance progressive d’un intérêt général européen, par l’expression comme par le contenu. Apparu dès le Traité de Rome, le service d’intérêt économique général correspond à la rencontre des diverses expressions nationales en Europe d’un service de nature économique et d’intérêt général. 

Quant au contenu, il a évolué au fil du temps, et n’est encore pas stabilisé. Tel que défini par les Traités, il est dans un premier temps un service susceptible de droits dérogatoires au droit commun européen fondé sur la libre concurrence. Son évolution est éminemment liée à la philosophie européenne. En effet, après avoir mis en place les conditions d’existence du marché intérieur, les États, comme les institutions ont mis l’accent sur la notion de cohésion économique et sociale. 

Les années 1990 marquent à cet égard un moment décisif et constructif. Les années 2000 prennent acte de ces évolutions conduisant les institutions à préciser les concepts liés au service d’intérêt économique général. 

Ainsi, lorsqu’en 1993, la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) substitua dans l’arrêt Paul Corbeau l’expression « service d’intérêt général » (SIG) à celle de « service d’intérêt économique général » (SIEG) contenue dans le traité, il ne s’agissait probablement que d’une facilité de langage visant à alléger la rédaction de son arrêt. Aujourd’hui, cependant, la notion de « SIG » a fait son chemin : elle n’est plus une variante de la notion de « SIEG » mais constitue une catégorie à part entière.

L’accession des SIG au rang de catégorie juridique résulte de l’essor progressif de la notion en droit communautaire. Utilisée par la jurisprudence, l’expression a rapidement été reprise dans les textes non contraignants des institutions communautaires, avant d’être consacrée par le droit primaire et dérivé. Ainsi, dès 1996, la Commission européenne publia une communication « sur les services d’intérêt général en Europe » avant de leur dédier un Livre vert en 2003 puis un Livre blanc en mai 2004 dans lequel elle admettait que l’expression « services d’intérêt général » « ne se trouve pas dans le traité lui-même ». La notion s’est alors progressivement généralisée. Outre les différents textes publiés sur ce point par la Commission européenne, le Parlement européen et le Conseil économique et social, les SIG ont été intégrés au droit dérivé, avec la directive « Services » de 2006, et sont en passe d’être consacrés par le droit primaire grâce au Traité de Lisbonne qui leur réserve un Protocole additionnel.

Parallèlement à cette diffusion textuelle, le contenu de la notion de SIG s’est élargi. En 1996, dans la première communication de la Commission sur le sujet, ces services désignaient « les activités de service, marchand ou non, considérées d’intérêt général par les autorités publiques, et soumises pour cette raison à des obligations spécifiques de service public ». Ils contribuaient, « dans le contexte d’une économie de marché ouvert et dynamique », à la réalisation des « objectifs fondamentaux de la Communauté européenne » que sont « la solidarité et l’égalité de traitement »

Malgré une définition extensive, les SIG renvoyaient encore largement à cette époque aux industries en réseaux et, plus particulièrement, aux services de l’électricité, de la poste, des télécommunications et du transport. Ce n’est véritablement qu’à partir du Livre vert sur les SIG de 2003, qui aboutit au Livre blanc de 2004, que les SIG ont désigné d’autres types d’activités d’intérêt général. Tout en admettant que la notion « découle dans la pratique communautaire de l’expression “service d’intérêt économique général” », la Commission y précisait formellement que les SIG recouvrent « un sens plus large » que les SIEG et que cette notion peut être utilisée « lorsqu’il n’est pas nécessaire de préciser la nature économique ou non économique des services concernés ».

Les SIG, s’ils ont été un temps synonymes des SIEG, s’en sont aujourd’hui émancipés. Ils n’excluent pas ces derniers pour autant, contrairement à ce que laisse entendre la directive « Services » de 2006. Aujourd’hui, la Commission européenne définit formellement les SIG comme « les services, tant économiques que non économiques ». Son approche est confortée par le projet de Protocole sur les SIG, qui traite tant des SIEG (article 1er) que des services non économiques d’intérêt général (article 2). 

Désormais, les SIG « englobent un vaste éventail d’activités, allant des grandes industries de réseau, telles que l’énergie, les télécommunications, les transports, la radiodiffusion audiovisuelle et les services postaux, jusqu’à l’éducation, l’approvisionnement en eau, la gestion des déchets, la santé et les services sociaux ». Même les services de santé font partie « du cadre élargi relatif aux services d’intérêt général ».

Envisagés comme une catégorie générique, les SIG constitue un vaste ensemble de services « ayant entre eux des traits communs caractéristiques et obéissant à un régime commun ». Grâce à cette notion, le droit communautaire parvient à regrouper des activités hétérogènes en faisant de leur caractère d’intérêt général un dénominateur commun et en les soumettant aux mêmes principes juridiques._

  1. Le regroupement d’activités hétérogènes

Au cours de ces dernières années, le droit communautaire s’est intéressé à des activités d’intérêt général toujours plus nombreuses. Aux services d’intérêt économique général (SIEG) reconnus par les traités se sont ajoutés les services d’intérêt général non économiques (SIGNE) et les services sociaux d’intérêt général (SSIG). 

Ces différents services sont tous englobés dans la catégorie générique des SIG dont-ils constituent des sous catégories. En regroupant ainsi l’ensemble des activités d’intérêt général, économiques, non économiques, sociales, les SIG apparaissent comme une catégorie unificatrice qui permet au droit communautaire de proposer une approche homogène des activités d’intérêt général.

  1. Le caractère englobant des SIG

Les SIEG ont longtemps été la seule catégorie d’activités d’intérêt général consacrée par les textes de droit primaire et dérivé. Mais, depuis peu, le droit communautaire reconnaît une catégorie alternative : les SIGNE. Contenue en germe dans la communication de la Commission européenne de 2000 sur les SIG (pt 28), la notion de « services d’intérêt général de nature non économiques » est apparue plus clairement dans le Livre blanc de la Commission sur les SIG, publié en 2004 (pt 3.7). 

Elle a par la suite été formellement reconnue dans la directive « Services » de 2006 qui déclare ne pas s’appliquer aux « services d’intérêt général non économiques » (art. 2 § 2 al.1). La catégorie de SIGNE a également été introduite dans le droit primaire, le projet de Protocole sur les SIG annexé au traité de Lisbonne prévoyant que « les dispositions des traités ne portent en aucune manière atteinte à la compétence des États membres pour fournir, faire exécuter et organiser des services non économiques d’intérêt général » (article 2). 

Certes, dès le milieu des années 1990, la CJCE et la Commission européenne ont admis l’existence d’activités d’intérêt général non économiques. Cependant, celles-ci n’ont longtemps été envisagées qu’au cas par cas

Ainsi, dans le Livre blanc sur les SIG de 2004, elles ne bénéficiaient d’aucune autonomie, contrairement aux SIEG qui, eux, faisaient l’objet d’une définition propre. Mais on assiste ces dernières années à une double évolution qui tient à l’émergence d’une typologie bipartite des activités d’intérêt général reposant sur le critère économique et à l’intégration de celle-ci dans une catégorie juridique plus vaste : celle des SIG. C’est ainsi que la Commission a formellement opposé les SIEG aux SIGNE et qu’elle a précisé qu’ils constituaient « deux catégories de services d’intérêt général ».

La consécration des SSIG renforce la construction d’une typologie communautaire d’activités d’intérêt général au sommet de laquelle se place la catégorie de SIG. Si les services sociaux et les services de santé sont longtemps demeurés « à l’écart de la grande confrontation entre l’intérêt général et le marché », ils sont aujourd’hui au centre des discussions relatives aux activités d’intérêt général. 

Ces dernières années, en effet, les points de rencontre entre la concurrence et le secteur sanitaire et social se sont multipliés au point que les institutions communautaires ont dû dépasser le débat européen jusque là focalisé sur la libéralisation des activités d’intérêt général à caractère industriel et commercial exercées par les industries en réseau. Réagissant d’abord au cas par cas, les institutions communautaires, et plus particulièrement la Commission, tentent depuis peu de systématiser leur approche des services sociaux.

Le droit communautaire est parvenu à intégrer les activités sociales au débat sur les activités d’intérêt général en les faisant apparaître comme des sous catégories de SIG. D’abord envisagés de manière résiduelle dans la communication de 1996 sur les SIG, les SSIG apparaissent comme un concept juridique autonome à partir du Livre blanc de la Commission publié en 2004. 

Pour la première fois, en effet, la Commission manifeste sa volonté d’adopter une « approche systématique afin d’identifier et de reconnaître les particularités des services sociaux et de santé d’intérêt général et de clarifier le cadre dans lequel ils fonctionnent et peuvent être modernisés ». Cette annonce a été reprise dans l’Agenda Social et, plus largement, dans le programme communautaire de Lisbonne. En 2006, la Commission dédie même une communication aux SSIG

De leur côté, le Parlement européen et le Comité économique et social se sont eux aussi saisis de la question, de sorte que, désormais, les services sociaux font partie intégrante du débat sur les SIG en Europe. Particulièrement significatif, le titre de la communication de la Commission de 2007 renvoie aux « services d’intérêt général, y compris les services sociaux d’intérêt général ».

Le caractère générique de la catégorie de SIG permet de rassembler des activités d’intérêt général pourtant très différentes. 

  1. Le caractère unificateur des SIG

La consécration des SIGNE et des SSIG aux côtés des SIEG contribue à mieux prendre en compte, au niveau communautaire, les enjeux et les difficultés propres à chaque type de services. Ainsi, la reconnaissance de la notion de SIGNE par la Commission et par le droit primaire et dérivé permet de regrouper les activités d’intérêt général non économiques dans une seule et même catégorie et de mettre ainsi l’accent sur ce qui constitue leur aspect essentiel du point de vue du droit de la concurrence : la caractéristique distinctive d’un SIGNE n’est pas de renvoyer à une « activité non marchande liée à l’exercice de la puissance publique » ou à une activité « revêtant une importance pour la vie quotidienne » mais à une activité d’intérêt général non économique, par opposition à une activité d’intérêt général économique. 

L’émergence d’une sous catégorie de SIGNE, alternative à celle des SIEG, affiche ainsi clairement la particularité de certaines activités d’intérêt général par rapport à d’autres. Il en va de même pour les SSIG. La systématisation des activités sociales d’intérêt procède de la volonté des institutions communautaires de mettre en évidence les spécificités de certains services et de clarifier les règles de concurrence applicables à ceux couverts par le droit communautaire. 

Suite à une consultation menée auprès des États membres et des organisations de la société civile, la Commission est parvenue à identifier plusieurs « caractéristiques d’organisation » des SSIG : solidarité, caractère polyvalent et personnalisé, absence de but lucratif, participation de bénévoles et de volontaires, ancrage local, relations asymétriques entre prestataires et bénéficiaires distinctes des relations fournisseur-consommateur. Les services sociaux possèdent donc des éléments d’autonomie. Ils sont fondés sur « le principe de solidarité », plusieurs fois mis en évidence par la CJCE. Il découle, de cette première caractéristique, « d’ordre philosophique », une seconde, « d’ordre économique » : les SSIG ne poursuivent pas de but lucratif. Là aussi, la jurisprudence a eu l’occasion de le relever.

Pour autant, la reconnaissance de plusieurs ensembles d’activités d’intérêt général ne conduit pas à une approche communautaire éclatée de cette question. La catégorie générique des SIG, en englobant les SIEG, les SIGNE et les SSIG, joue le rôle de trait d’union entre ces différents services. Cette fonction unificatrice des SIG est notamment mise en évidence par la Commission européenne lorsqu’elle aborde la question des services sociaux. 

Elle rappelle en effet que ces derniers, y compris les « services de santé proprement dits » initialement exclus, font désormais « partie du cadre élargi relatif aux services d’intérêt général ». Les services sociaux ne sont donc pas une « catégorie intermédiaire entre services d’intérêt général et services d’intérêt économique général » mais une catégorie de SIG.

En tant que catégorie générique placée au sommet de la typologie communautaire des activités d’intérêt général, les SIG couvrent logiquement un domaine plus large que chacune des sous catégories qui l’a compose et réunissent un grand nombre d’activités de nature diverse. L’intérêt général, en tant que trait caractéristique de la catégorie « SIG », constitue le dénominateur commun à toutes ces activités. Il englobe en effet tant le critère économique, sur lequel repose les sous catégories de SIEG et de SIGNE, que le critère social, qui fonde celle des SSIG. 

  1. L’INTÉRÊT GÉNÉRAL COMME DÉNOMINATEUR COMMUN

La communautarisation de la notion d’intérêt général à laquelle ont procédé les institutions communautaires ces dernières années a permis l’accession des SIG au rang de catégorie générique. Ce processus a en effet transformé l’intérêt général en un critère suffisamment distinctif pour réunir des activités ayant une spécificité commune, suffisamment flexible pour prendre en compte les réalités juridiques, économiques et sociales de chaque État et suffisamment large pour accueillir les sous catégories de SIEG, de SIGNE et de SSIG. L’objectivisation et la généralisation de l’intérêt général ont ainsi transformé cette notion en un dénominateur commun à des activités très diverses.

  1. L’approche objective de l’intérêt général

Pendant un temps, l’approche de l’intérêt général retenue en droit communautaire était très proche des définitions internes de l’intérêt général et rendait difficile l’affirmation des SIG comme catégorie juridique autonome. Pour identifier une activité d’intérêt général, les institutions communautaires se fondaient en effet essentiellement sur la volonté des pouvoirs publics nationaux de sorte que seule une entreprise « chargée » de la gestion de cette activité par un « acte de la puissance publique » et ayant des « rapports étroits » avec les pouvoirs publics était susceptible de livrer une mission d’intérêt général. 

Même si cette définition de l’intérêt général était plus exigeante que celle adoptée à l’époque par certains droits nationaux, et notamment en droit français, elle mettait l’accent sur le mode de gestion de l’entreprise et faisait ainsi prévaloir une dimension subjective de l’intérêt général, à l’instar des droits internes.

À partir des arrêts Corbeau et Commune d’Almelo, la CJCE s’en remet aux « obligations de service public » incombant aux entreprises pour décider si l’activité qu’elles exercent est ou non d’intérêt général. Elle adopte une définition « objective » en identifiant l’intérêt général à partir des contraintes imposées par la personne publique à l’entreprise concernée dans l’exercice de sa mission particulière. Cette approche objective de l’intérêt général a été reprise par la Commission qui l’a d’abord appliquée aux SIEG avant de la généraliser à l’ensemble des activités d’intérêt général, quelle soient économiques, non économiques et/ou sociales. Le critère des « obligations de services public », c’est-à-dire du régime applicable à l’activité, n’est donc plus seulement réservé à la définition et à la compréhension des SIEG mais vaut pour l’ensemble des SIG.

La définition objective ainsi retenue donne priorité à l’activité pour identifier une mission d’intérêt général et évalue différemment « l’importance respective des critères organiques et matériels (…) par rapport aux conceptions nationales ». En élaborant ainsi un test communautaire d’identification de la particularité des activités d’intérêt général, les institutions communautaires se sont livrées à un véritable travail d’autonomisation et de généralisation de la notion d’intérêt général qui permet désormais de distinguer clairement la catégorie de SIG de celle de services publics. 

Les « obligations de service public », envisagées comme les « obligations spécifiques imposées par les autorités publiques à un fournisseur de service afin de garantir la réalisation de certains objectifs d’intérêt public », renvoient en effet au sens fonctionnel et non matériel de l’expression « service public ». Elles laissent aux États membres le soin de déterminer le champ et la nature des missions de service public qu’ils souhaitent assumer tout en permettant aux institutions d’intervenir en cas d’abus. 

Ainsi, la Commission se reconnaît compétente pour apprécier le caractère raisonnable des « obligations de service public » imposées par les États membres et le juge communautaire sanctionne toute « erreur manifeste » commise par un État lors de la définition d’un SIG. 

Le renvoi aux « obligations de service public » n’entache donc nullement le pouvoir d’appréciation des institutions communautaires car, même si les autorités internes sont au cœur de la définition, ce sont finalement la Cour et la Commission qui interprètent le rôle et la présence de ces dernières au sein de l’activité en cause. L’intérêt général prend donc une dimension communautaire puisqu’il « doit subir un contrôle et un encadrement communautaire »

Cette approche objective évite finalement aux institutions communautaires de tomber dans le piège de l’approche matérielle de l’intérêt général et de déterminer ce qui est d’intérêt général et ce qui ne l’est pas. Elle favorise également une répartition des compétences qui érige, en quelque sorte, les institutions communautaires en « gardiennes du temple » et leur accorde « une légitimité nouvelle » pour s’occuper des questions relatives aux activités d’intérêt général.

Tel qu’envisagé, l’intérêt général transcende la nature économique, non économique et/ou sociale d’un service.

  1. La généralisation du critère d’intérêt général

À l’origine, les institutions communautaires s’intéressaient aux exigences d’intérêt général uniquement via le concept de SIEG qui renvoyait essentiellement aux entreprises en réseau. Cette approche économique de l’intérêt général entraînait un « excès de technicisation » et un « éclatement » de celui-ci et en proposait une définition ciblée essentiellement sur les réalités économiques de chaque État membre

En renvoyant aux « obligations de service public », la Cour et la Commission centrent davantage la définition de ce critère sur les contraintes juridiques imposées par la personne publique à l’entreprise concernée dans l’exercice de sa mission particulière et moins sur les considérations économiques. La définition objective de l’intérêt général ne fait plus de celui-ci un critère « congénitalement lié à l’économie » mais le rapproche des spécificités du service fourni dans l’intérêt public.

La mutation progressive de l’intérêt général économique « en intérêt général global » a permis d’intégrer aux obligations de service public, des obligations autres qu’économiques, et notamment des obligations sociales. 

Sur ce point, il est significatif que, depuis les grands arrêts de 1997 relatifs aux industries en réseau de l’électricité et du gaz, l’article 86 § 2, prévoyant une dérogation aux règles du marché pour les SIEG, ait surtout été invoqué pour le placement des travailleurs, les affaires de fonds de pensions l’assurance maladie, les ambulances, les hôpitaux ou encore la mise sur le marché de médicaments. Cela traduit une intégration du critère social dans le critère, plus vaste, d’intérêt général. 

Ainsi, dans l’affaire Ambulanz Glöckner relative au transport de blessés et de malades, la Cour de justice considère qu’« il ne saurait être contesté que les organisations sanitaires sont chargées d’une mission d’intérêt économique général ». Dans l’affaire Hanner, le caractère d’intérêt général de la vente de médicaments est tiré du lien étroit de ce service avec la protection de la santé.

Les SIG ont émergé comme catégorie générique du droit communautaire grâce à l’autonomisation et à l’élargissement de la notion d’intérêt général. Même si les institutions refusent d’aborder « de front » la définition de ce critère, celui-ci n’est nullement dépourvu de contenu. L’intérêt général, en effet, « prend corps à travers le type de sujétions » auxquelles le service doit répondre

Ce n’est donc plus le vague « caractère spécifique » d’un service qui permet d’identifier son caractère d’intérêt général mais bien ses conditions de fonctionnement. Celles-ci ne sont pas uniquement déterminées au niveau interne. Le droit communautaire définit lui aussi des obligations applicables à l’ensemble des activités d’intérêt général et renforce, en cela, le caractère générique de SIG.

  1. L’UNIFICATION DU RÉGIME JURIDIQUE DES SIG

Le droit communautaire se montre « de plus en plus précis dans les définitions des obligations de service public susceptibles d’être imposées à l’entreprise missionnée ou dans les contours du service universel ». Cette tendance ne saurait demeurer sans effet sur l’émergence des SIG comme catégorie générique puisque ce sont les conditions de fonctionnement d’un service qui servent à identifier son caractère d’intérêt général. La détermination des obligations applicables aux SIG, outre le fait de donner aux institutions communautaires l’occasion de proposer leur « propre vision de l’intérêt général » et d’affiner ainsi la définition de cette catégorie, leur permet également de dégager des principes régissant les SIG et participe, en cela, à l’unification de leur régime juridique.

Selon la Commission européenne, les « obligations de service public » servant à identifier les missions d’intérêt général désignent les obligations spécifiques imposées « au niveau communautaire, national ou régional »

Définies au niveau européen, elles enserrent les SIG dans un cadre juridique dont le contenu est progressivement renforcé par les institutions communautaires qui imposent toujours plus d’obligations aux entités chargées de la gestion d’un SIG. C’est le cas pour les SIG délivrés par les entreprises, comme le montre la directive « Électricité » de 2003 qui, après avoir indiqué que « le respect des obligations de service public est un élément essentiel de la présente directive » et qu’« il est important que des normes minimales communes, respectées par tous les États membres, soient fixées par la présente directive », insiste sur la protection des consommateurs, la sécurité, notamment la sécurité d’approvisionnement, la protection de l’environnement, l’égalité et la transparence. Les services dispensés par les organismes sociaux sont eux aussi concernés par le renforcement du contenu des obligations d’intérêt général. 

La directive sur les droits des patients en matière de soins de santé transfrontaliers en est une illustration récente. Selon ce texte, « les autorités des États membres doivent respecter les valeurs fondamentales communes que sont l’universalité, l’accès à des soins de qualité, l’équité et la solidarité et que les institutions de la Communauté et tous les États membres ont déjà reconnues à maintes reprises comme un ensemble de valeurs communes aux systèmes de santé de l’Europe tout entière »

Il prévoit le respect des « principes généraux de l’équité et de la non-discrimination » et impose une plus grande « clarté » concernant les droits en matière de remboursement des soins dispensés dans un autre État, renvoyant aux exigences de prévisibilité et de sécurité juridiques.

La tendance du droit communautaire à renforcer les exigences qui encadrent l’exercice d’activités d’intérêt général est loin de profiter seulement aux SIEG et aux SSIG. De manière plus étonnante, elle vaut aussi pour les SIGNE alors pourtant que leur caractère non économique les laisse en principe hors du champ d’application des règles du marché. 

La Commission impose, par exemple, des exigences environnementales dans les directives « Gaz » et « Électricité » alors que, selon la Cour de justice, une activité qui « se rattache à l’exercice de prérogatives relatives à la protection de l’environnement » n’a pas de caractère économique

De même, dans le domaine de l’éducation, plusieurs initiatives communautaires vont dans le sens d’une meilleure protection de certains principes communautaires même si les activités d’enseignement ont plutôt tendance à être classées parmi les SIGNE. Dans le cadre de la Stratégie de Lisbonne pour la croissance et l’emploi, l’Union européenne a mis en place une « méthode ouverte de coordination » en vue de définir des objectifs communs contenus dans le programme « Éducation et formation 2010 »

À ce titre, elle émet de nombreuses recommandations : les États membres « devraient prévoir une planification à long terme aux niveaux local et national » des priorités en matière de dépenses, « mettre en place une culture de l’évaluation » des bonnes pratiques dans le domaine de l’enseignement ou encore « investir davantage dans l’enseignement préprimaire »

Ils devraient aussi encourager les universités « à élaborer des politiques globales de sensibilisation des personnes marginalisées et d’accès à l’enseignement » et « mettre en place les conditions et les incitations requises pour engendrer des investissements publics et privés plus importants ». En bref, le système d’éducation et de formation de chaque État membre devrait respecter les principes de qualité, d’efficacité et d’équité.

Un régime commun à l’ensemble des SIG se met donc progressivement en place en droit communautaire. Il ne renvoie pas à des règles juridiques précises et contraignantes mais à des principes généraux censés orienter l’exercice des activités d’intérêt général, que celles-ci présentent ou non un caractère économique et/ou qu’elles aient ou pas une finalité sociale. Il existe, selon la Commission européenne, « une conception commune des services d’intérêt général dans l’Union » qui « se fonde sur un ensemble d’éléments communs, dont le service universel, la continuité, la qualité du service, l’accessibilité financière, ainsi que la protection des usagers et des consommateurs »

Le Parlement européen, conscient de la difficulté de définir les SIG et d’élaborer les obligations de service public qui en découlent dans « un environnement social et économique aussi hétérogène que celui de l’Union européenne », identifie également des « principes communs » à l’ensemble des SIG : « universalité et égalité d’accès, continuité, sécurité, adaptabilité, qualité, efficacité, accessibilité tarifaire, transparence, protection des groupes sociaux défavorisés, protection des usagers, des consommateurs et de l’environnement, et participation des citoyens ».

  1. Le service public français et droit de l’Union Européenne

En droit administratif français, l’identification du service public précède l’examen par ce service public du respect des obligations qui incombent à tout service public, c’est-à-dire de l’application des principes d’égalité, de continuité et de mutabilité. En droit communautaire, un service sera reconnu comme d’intérêt général dans la seule mesure où le prestataire du service exerce une activité spécifique tout en étant soumis à des obligations de service public. 

  1. La concurrence faite par le droit communautaire à la notion française de service public

Le droit communautaire conduit à distinguer deux types d’activités d’intérêt général. Certaines n’ont pas de caractère marchand : fondées sur le principe de solidarité, ne recherchant pas le profit, à l’instar des services publics administratifs en droit administratif français, ce sont des activités d’intérêt public général, qui échappent en tant que telles à l’application des règles matérielles du droit communautaire. 

D’autres ont un caractère marchand : fournies moyennant une rétribution qui reste cependant inférieure au coût de revient du service, à l’instar des services publics industriels et commerciaux en droit administratif français, ce sont des activités d’intérêt économique général, qui ne sont que rarement qualifiées d’activités de service public par le droit communautaire.

Le droit français comme le droit communautaire s’accordent à reconnaître la spécificité des activités de progression et de protection.

La Cour a reconnu l’existence de services d’intérêt général à finalités sociales, qualifiés de services publics. Dans l’arrêt Poucet et Pistre de 1993, la Cour a posé le principe de la soustraction des organismes de sécurité sociale aux règles de concurrence : « les caisses de maladie où les organismes qui concourent à la gestion du service public de la sécurité sociale remplissent une fonction de caractère exclusivement sociale. Cette activité est, en effet, fondée sur le principe de la solidarité nationale et dépourvue de tout but lucratif. Les prestations versées sont des prestations légales et indépendantes du montant des cotisations. Il s’ensuit que cette activité n’est pas une activité économique et que, dès lors, les organismes qui en sont chargés ne constituent pas des entreprises au sens des articles 81 et 82 du Traité »

En d’autres termes, les organismes exerçant une fonction exclusivement sociale ne sont pas des entreprises au sens des règles du Traité en matière de concurrence, et par suite ne donnent pas prise à l’application du droit communautaire de la concurrence. C’est ainsi que la Cour a jugé qu’un organisme italien, qui s’est vu conférer la charge de garantir, pour le compte de l’État et sous son contrôle, l’assurance obligatoire des travailleurs contre les accidents et les maladies professionnelles, n’était pas une entreprise au sens des articles 81 et 82 C.E. eu égard à la finalité sociale du régime d’assurance, qui met en œuvre le principe de la solidarité sous le contrôle de l’État

Cette jurisprudence, reposant sur la démonstration du caractère non-économique de l’activité en cause, est adoptée par la Cour de cassation, le Conseil de la concurrence et le Conseil d’État.

La spécificité des activités de l’autorité administrative agissant en sa qualité de détentrice de la puissance publique a été reconnue par le droit communautaire depuis l’arrêt Eurocontrol : le litige était né de la contestation par la compagnie aérienne Sat des redevances réclamées par Eurocontrol, qui considérait que les pratiques de cette dernière consistant en l’établissement de tarifs différents selon les États membres pour des prestations équivalentes étaient constitutives d’un abus de position dominante. Constatant qu’Eurocontrol assure « pour le compte des États contractants, des missions d’intérêt général dont l’objet et de contribuer au maintien et à la sécurité de la navigation aérienne » (pt 27), la Cour en a conclu qu’Eurocontrol ne constitue pas une entreprise, et que ses activités « par leur nature, par leur objet et par les règles auxquelles elles sont soumises, se rattachent à l’exercice de prérogatives, relatives au contrôle et à la police de l’espace aérien, qui sont typiquement des prérogatives de puissance publique. Elles ne présentent pas un caractère économique justifiant l’application des règles de concurrence du Traité » (pt 30). Elles échappent donc aux règles du Traité, à la différence des activités d’intérêt général ayant un caractère économique.

Le droit communautaire reconnaît la spécificité de multiples activités de caractère marchand. Toutefois, seules les activités relevant du secteur des transports sont qualifiées d’activité de service public, conformément à l’article 73 C.E.. Les autres activités de caractère marchand sont assurées par des entreprises chargées de services d’intérêt économique général, au sens de l’article 86 C.E.

La notion de service d’intérêt économique général est entendue par le droit communautaire comme synonyme de celle de service public : il suffit pour s’en convaincre de lire la déclaration annexée au Traité d’Amsterdam relative à l’article 16 C.E., qui se réfère aux « dispositions de l’article 16 du Traité instituant la Communauté européenne relatives aux services publics », alors que les termes « services publics » ne sont pas employés à l’article 16 C.E., relatif aux services d’intérêt économique général… Les critères permettant de reconnaître le service d’intérêt économique général sont d’ailleurs identiques à ceux entourant la notion de service public en droit administratif français, la différence entre l’approche française et communautaire se situant dans l’appréhension moins extensive du concept communautaire d’activité d’intérêt économique général, comme le montre la notion de service universel. 

Les critères permettant de reconnaître l’existence d’un service d’intérêt économique général ne s’écartent pas de ceux posés par le Conseil d’État dans l’arrêt Narcy.

Pour qu’une entreprise entre dans le champ d’application de l’article 86, paragraphe 2, C.E., il faut d’abord qu’existe un lien entre cette entreprise et une collectivité publique : l’entreprise doit, aux termes du Traité, avoir été chargée, « en vertu d’un acte de la puissance publique » , de la gestion d’un service spécifique ; en l’absence d’un acte d’investiture de la puissance publique, l’entreprise ne peut pas être considérée comme « chargée » d’une telle mission et par conséquent ne peut invoquer la dérogation aux règles de concurrence prévue par l’article 86, paragraphe 2, C.E.

La Cour s’est montrée disposée à interpréter favorablement l’exigence d’un lien formel entre le service et l’autorité publique, en jugeant qu’un acte contractuel, tel un contrat de concession, ou un acte unilatéral, telle une loi, étaient de nature à charger une entreprise d’un service d’intérêt économique général au sens de l’article 86, paragraphe 2, C.E. ; quelle que soit la nature de l’acte d’investiture, il est nécessaire que les autorités publiques fixent très précisément les obligations d’intérêt général auxquelles l’entreprise sera soumise pour que l’article 86, paragraphe 2, C.E. trouve à s’appliquer.

Beaucoup plus délicate est la condition d’applicabilité de l’article 86, paragraphe 2, C.E., tenant à l’existence d’une mission d’intérêt économique général, dans la mesure où l’appréciation se fait au cas par cas sans qu’il n’existe de critères précis de choix. La Commission a considéré que, a priori, la définition de cette mission devait revenir aux seuls États membres. En réalité cependant, la Cour et la Commission encadrent fortement la liberté des États en se prononçant sur la qualification de l’activité des entreprises en cause au regard de l’article 86 C.E. _ et il ne saurait en aller autrement, en application des principes de primauté et d’uniformité du droit communautaire.

Ainsi, ne relèvent de la qualification de service d’intérêt économique général ni les activités de transaction bancaires, ni la vente de terminaux de télécommunications. À l’inverse, relèvent d’une telle qualification : « la collecte, le transport et la distribution du courrier » sur le territoire d’un État membre ; « la fourniture ininterrompue d’énergie électrique » sur le territoire d’un État membre ou dans une partie de ce territoire ; l’activité de placement des demandeurs d’emploi; la gestion des déchets de chantier non dangereux susceptibles d’être valorisés; le transport de malades effectué par des organisations sanitaires constituées sous la forme d’associations à but non lucratif, telle une Croix-Rouge locale; l’obligation faite aux grossistes de détenir en permanence un stock important de médicaments et d’en assurer la livraison dans les vingt-quatre heures suivant la réception de la commande. Cette qualification a également été reconnue par le Conseil d’État aux organismes d’H.L.M., eu égard à la mission qui leur a été impartie dans le domaine du logement social.

À l’intérieur d’un même secteur, des activités peuvent relever de la qualification de service d’intérêt économique général et d’autres en être exclues : s’agissant par exemple des activités portuaires, la Cour a considéré que les opérations de lamanage, c’est-à-dire d’amarrage d’un navire à quai, « revêtent un intérêt économique général qui présente des caractères spécifiques par rapport à celui que revêtent d’autres activités économiques et qui est susceptible de les faire entrer dans le champ d’application de l’article [86], paragraphe 2 »; en revanche, les activités des dockers ne se sont pas vues reconnaître le caractère de service d’intérêt économique général; si la vente de terminaux de télécommunications ne constitue pas un service d’intérêt économique général, la mise à disposition des usagers d’un réseau public de téléphone entre au contraire dans le champ d’application de l’article 86, paragraphe 2, C.E.

De même, la Commission a adopté le 17 juin 1998 un rapport au Conseil de l’Union européenne sur les « Services d’intérêt économique général dans le secteur bancaire », dont il ressort que, « pour plusieurs États membres, certains établissements de crédits accomplissent des missions particulières qui constituent des services d’intérêt économique général. Ces missions sont essentiellement le développement des petites et moyennes entreprises, l’octroi ou le cautionnement de crédits à l’exportation, l’octroi de prêts pour la construction de logements sociaux, les prêts aux communes, le financement des projets d’infrastructure et le développement régional ».

Cette segmentation des activités exercées par les services marchands, selon qu’elles relèvent de l’intérêt général ou pas, explique pour partie la notion de service universel, qui constitue une déclinaison spécifique du service d’intérêt économique général dans le domaine postal, des télécommunications et, en dernier lieu, des communications électroniques. Le service universel porte en effet sur deux objets : les prestations offertes par un service marchand ; les obligations auxquelles ce service marchand est soumis à l’occasion de la fourniture de ces prestations.

Pour une part donc, le service universel « se définit comme un ensemble minimal de services » : l’article 3, paragraphe 4, de la directive 97/67/C.E. du 15 décembre 1997, transposé à l’article L. 1er, alinéa 2, du Code des postes et télécommunications, indique ainsi que doivent relever du champ du service universel, c’est-à-dire des prestations minimales que doivent fournir les opérateurs du secteur postal, la levée, le tri, le transport et la distribution des colis postaux jusqu’à 20 kilogrammes et des envois postaux jusqu’à 2 kilogrammes, ainsi que les envois recommandés et à valeur déclarée. 

Dans le secteur des télécommunications, le champ des prestations relevant du service universel, tel qu’il découle des directives 96/19/ C.E. du 13 mars 1996 et 98/10/C.E. du 26 février 1998, est assez vaste et « comprend la fourniture de la téléphonie vocale, de télécopie et la transmission de données dans la bande vocale via des modems (c’est-à-dire l’accès à l’internet). Les utilisateurs doivent avoir accès à partir d’un endroit fixe aux appels internationaux et nationaux, ainsi qu’aux services d’urgence. La définition couvre également l’assistance d’un opérateur, les services d’annuaires, les téléphones publics payants et des installations spéciales pour clients handicapés ou ayant des besoins sociaux particuliers. Elle ne couvre pas la téléphonie mobile ni l’accès à la large bande à l’internet »

Dans ce secteur encore, la directive 2002/22/C.E. du Parlement européen et du Conseil du 7 mars 2002 concernant le service universel et les droits des utilisateurs au regard des réseaux et services de communications électroniques précitée impose aux États membres, au titre des obligations de service universel, de mettre à la disposition de tous les utilisateurs : un annuaire complet, des postes téléphoniques payants publics, la possibilité d’effectuer des appels d’urgence à partir de ces postes en formant gratuitement le « 112 », numéro d’appel d’urgence unique européen…

Il importe alors de souligner que l’expression « service minimum » parfois utilisée pour qualifier le service universel ne doit en aucun cas être comprise comme renvoyant à un service « à profil bas » : cette expression désigne les prestations que les opérateurs de service universel sont tenus d’assurer aux usagers en vertu du droit communautaire, rien n’interdisant aux pouvoirs publics nationaux d’imposer à ces opérateurs d’assurer des prestations d’intérêt général autres que celles prévues par le droit communautaire au titre des obligations de service universel, pourvu qu’elles n’entrent pas en contradiction avec les règles issues de ce droit

Le service universel vise ainsi à trouver un équilibre entre l’ouverture de certains secteurs à la concurrence et le maintien de services essentiels au bénéfice des usagers ; il participe à la libéralisation de ces secteurs, en même temps qu’il en constitue la limite. Il n’empêche pas un État membre de confier à un ou des opérateurs des activités d’intérêt général allant au-delà des exigences minimales du service universel, pour autant que cette attribution soit compatible avec l’article 86, paragraphe 2, C.E. 

Il apparaît en définitive que le service universel n’est qu’une variante, appliquée à certains secteurs, de la notion de service d’intérêt économique général : c’est pourquoi « une entreprise telle que Poste italiane, qui est chargée en vertu de la réglementation d’un État membre d’assurer le service postal universel (…), constitue une entreprise chargée de la gestion d’un service d’intérêt économique général au sens de l’article 86, paragraphe 2, du Traité ». Plus précisément encore, le service universel est un service d’intérêt économique général dont l’institution, imposée par une norme de droit communautaire dérivé, est obligatoire pour les États membres.

La délimitation d’activités relevant du service universel a pour conséquence d’obliger le(s) prestataire(s) à fournir ce service universel à des conditions qui rejoignent les missions de service public telles qu’elles découlent des jurisprudences administrative et constitutionnelle françaises

Il faut alors, outre le lien avec la puissance publique et l’exercice d’une activité d’intérêt général, qu’un indice supplémentaire vienne compléter le faisceau nécessaire à la qualification d’entreprise chargée d’un service d’intérêt économique général ou du service universel, en ce sens qu’une activité à caractère marchand ne sera reconnue comme de service public dans le secteur des transports, de service universel dans le secteur postal et des télécommunications ou de service d’intérêt économique général que si le gestionnaire du service est soumis, dans l’exercice de cette activité, à des obligations de service public.

Paragraphe 2 : l’harmonisation européenne au niveau de la TVA

Le but principal lors de la mise en place du marché unique européen était de créer une structure économique mais aussi un espace politique, social et culturel, qui permet aux citoyens et aux entreprises de toucher du doigt, dans leur vie quotidienne, une Europe concrète où l’on peut, sans restrictions, circuler, dialoguer, communiquer, échanger : les citoyens de la Communauté peuvent se déplacer sans entraves, s’établir dans le pays de leur choix, et de ce fait rechercher de meilleures possibilités d’emploi, de meilleures conditions de vie et de travail. Les entreprises ont l’opportunité d’investir dans un espace économique de 370 millions de consommateurs, favorisées par la mise en œuvre du principe de la reconnaissance mutuelle et par une série de réglementations harmonisées ; les opérateurs économiques ont le droit d’échanger leurs produits dans tout autre Etat membre sans les tracasseries administratives, douanières, fiscales, techniques et financières du passé.

C’est une Europe plus libre. Son immense potentiel humain et technologique, paralysé par des siècles de divisions internes et de guerres fratricides, a été délivré des contraintes du passé. Et cela grâce notamment à la suppression des frontières intérieures qui divisaient les douze territoires de la Communauté et des contrôles qui y étaient perpétués.

Au départ de cette évolution se trouve bien évidemment la base juridique fournie par le Traité de Rome qui, en l’occurrence, laisse place à la réflexion en stipulant à l’article 99:

«La Commission examine de quelle façon les législations des différents États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires, aux droits d’accises et autres impôts indirects, y compris les mesures de compensation applicables aux échanges entre États membres, peuvent être harmonisées dans l’intérêt du marché commun.

La Commission soumet des propositions au Conseil qui statue à l’unanimité, sans préjudice des dispositions des articles 100 et 101».

Afin de mettre en oeuvre cette disposition, la Commission va, en 1960, créer un Comité Fiscal et Financier composé d’éminents professeurs (citons entre autres Alain Barrère, Georges Vedel, Carl Schoup) sous la présidence du Professeur Fritz Neumark de Francfort. Il m’est apparu indispensable et très instructif de démarrer cette revue de 50 années de politique fiscale de l’Union par un rappel assez détaillé des principaux éléments du rapport du Comité fiscal et financier de 1962 (ici CFF) dit Rapport Neumark en ce qu’il a eu une influence décisive sur la nature des travaux de la Commission jusqu’aux années 90. Ce Comité s’était vu confier le mandat suivant :

« Le CFF devrait donc examiner :

a – si et dans quelle mesure des disparités existant actuellement dans les finances des pays membres empêchent partiellement, ou même totalement, l’instauration d’un marché commun créant et garantissant des conditions analogues à celles d’un marché intérieur ;

b – dans quelle mesure il est possible d’éliminer ces disparités qui entravent considérablement la formation et le fonctionnement du marché commun».

Le résultat est appréciable, notamment du fait de la largeur de l’analyse mais plus encore par la hauteur de vue et l’ambition européenne de ses auteurs. Ainsi, après avoir énoncé un certain nombre de clauses de prudence et insisté sur le fait qu’harmonisation ne signifie pas uniformisation, le rapport analyse les «disparités quantitatives et qualitatives existant dans les systèmes financiers des États membres, en tant que facteurs capables de nuire à la réalisation des objectifs du marché commun». 

Les experts examinent ainsi, en premier lieu, les disparités dans la « charge fiscale globale». Certes, leur conclusion est prudente et modérée, elle souligne qu’en principe de telles disparités ne sont pas très considérables et que «… si la différence de charge fiscale entraîne des migrations de capitaux et de personnes,… de nombreux facteurs non fiscaux jouent en sens inverse et que les facteurs fiscaux ne jouent ici qu’un rôle limité. 

Mais une fois déclenché, un tel mouvement provoqué par des facteurs fiscaux a tendance à s’accentuer progressivement. Car, dans la mesure où des êtres humains et des capitaux quittent un lieu de haute pression fiscale pour un lieu de pression fiscale moindre, ces migrations tendent à accentuer encore les disparités locales de potentiel financier».

Les développements qui suivent n’ont guère besoin de commentaires tant ils constituent déjà une belle illustration des craintes qu’un développement incontrôlé de la concurrence fiscale peut produire et simultanément du besoin d’une intervention au niveau central supérieur : « Théoriquement, on ne peut pas compter sur la fin de ces mouvements avant que ne s’instaure entre les pays en cause un état d’équilibre d’après lequel seuls demeureront dans le pays le plus pauvre les sujets économiques pour qui les migrations de personnes et de capitaux sont essentiellement fonction de facteurs extra fiscaux, à moins qu’auparavant un organe supranational n’intervienne au moyen de mesures de péréquation financière».

Dans un deuxième temps, les experts se penchent sur les «disparités dans la composition des dépenses publiques», principalement dans le but de mieux prendre en compte « les effets découlant de l’utilisation du produit des impôts si l’on veut apprécier les perturbations de concurrence qui peuvent résulter de mesures prises en matière financière…». Tout en reconnaissant qu’ils n’ont guère pu traiter de ces questions en détail, les experts nous offrent là une référence qui a tout son sens dans les débats actuels.

Enfin, le rapport aborde la question des « disparités dans la composition des systèmes fiscaux», lesquelles sont considérables et créent selon les experts des situations où les distorsions de concurrence se révèleront incompatibles avec la réalisation d’un marché commun véritable. Ceci est plus particulièrement souligné pour les taxes sur la consommation dont les différences notables risquent de rendre caduques les efforts visant à créer une union douanière.

C’est ainsi que s’amorce la quatrième partie du rapport consacrée aux «propositions pour une harmonisation qualitative et quantitative de certains impôts particuliers». Le rapport qui présente des propositions assez détaillées et fixe un calendrier réfléchi pour leur mise en place va inspirer une bonne partie des initiatives que la Commission va prendre au cours des années qui suivent.

Première recommandation phare : « il convient qu’aucun des États membres de la CEE ne maintienne le système de l’impôt sur le chiffre d’affaires à cascade». Le rapport pose ainsi les termes du passage à la TVA et passe à cette fin en revue les différents aspects possibles d’un tel impôt dans la perspective d’un marché commun (c’est-à-dire de la suppression des frontières fiscales, déjà qualifiée comme la suppression des détaxations à l’exportation et des taxations à l’importation):

– taxation à l’origine ou à destination;

– selon quelle technique (base sur base, ce qui revient à soumettre la marge à la TVA ou impôt sur impôt ce qui est la méthode retenue dans laquelle on impute la TVA sur les entrants sur la TVA facturée);

– avec quelles exonérations (les plus réduites possibles);

– quel système de taux (le plus uniforme possible);

– quels secteurs écarter dans un premier temps (agriculture, professions libérales, artisanat);

– tout en prévoyant le cas échéant l’application possible d’un impôt complémentaire sur le commerce de détail.

Passant ensuite en revue l’impôt sur le revenu selon les différentes formes de revenus : revenus provenant d’un travail salarié, revenus provenant d’une activité indépendante, revenus des capitaux mobiliers, revenus industriels et commerciaux, ainsi que l’impôt sur les sociétés, le rapport conclut à un très large besoin d’harmonisation dans la plupart de ces domaines si l’on veut effectivement éviter de multiples entraves ou distorsions de concurrence dues à la fiscalité. S’agissant de la fiscalité des entreprises en général et de l’impôt sur les sociétés en particulier, le rapport souligne qu’une large harmonisation des charges effectives est souhaitable, voire nécessaire. Il insiste également sur le fait qu’une « harmonisation poussée des dispositions relatives aux méthodes d’assiette et de recouvrement est en outre souhaitable».

Anticipant une fois de plus des sujets fort actuels, le rapport mentionne également la nécessité de mettre en place une retenue à la source avec un taux relativement modéré sur les bénéfices distribués à des résidents de la CEE qui acceptent de divulguer leur identité et avec, pour toutes les autres personnes, un taux plus élevé. Il ajoute « qu’il conviendrait d’appliquer une différenciation correspondante pour la retenue à la source applicable aux intérêts de toute catégorie. Si un jour la CEE s’étend à tous les pays occidentaux, ce système pourrait être remplacé par d’autres procédures, comme par exemple… l’attribution d’un numéro de code à chaque contribuable dés qu’il sera possible de procéder à un échange étendu de renseignements fiscaux importants par l’intermédiaire d’un organisme supranational». Il élabore ensuite des règles relativement sophistiquées pour traiter du régime des sociétés mères et filiales qui sont assez largement à l’origine de la directive «mères filiales».

Abordant le problème de la double imposition, il indique: « Il s’ensuit que la recherche et l’instauration de moyens spécifiques destinés à éliminer la double imposition sont, dans une large mesure, conditionnées par le rapprochement des législations nationales dans les domaines où ce rapprochement est préconisé dans le rapport (par ex. : impôts sur les bénéfices des sociétés, impôts sur les dividendes, impôts perçus à la source sur les intérêts)… Le rapprochement des législations semble bien être une condition préalable à la conclusion d’une convention fiscale multilatérale entre les États membres».

Mais le plus frappant reste à venir lorsque le rapport poursuivant l’analyse des conditions de l’élimination de la double imposition annonce : « On peut estimer que la méthode qui conviendrait le plus parfaitement aux exigences d’un véritable marché commun , serait celle qui consisterait à centraliser les opérations d’assiette de l’impôt, c’est-à-dire la détermination du montant de la matière imposable pour les impôts sur le revenu global et sur les bénéfices des sociétés dans un seul État, qui serait normalement celui du domicile fiscal ou celui où la majeure partie des activités professionnelles est exercée. Un tel système, effectué selon les règles uniques d’assiette de la matière imposable, aurait l’avantage d’éliminer radicalement la double imposition à l’intérieur du marché commun. Afin de ne pas trop favoriser les États du domicile des ayants droit du revenu, l’opération unique de détermination du revenu imposable devrait être suivie d’une répartition ultérieure de l’assiette entre les différents États intéressés. En résumé, un pareil système pourrait fonctionner entre les États membres d’une façon analogue à l’impôt allemand dit Gewerbesteuer, lorsque plusieurs communes participent au produit de cet impôt… Toutefois, le CFF ne se dissimule pas que l’instauration d’un tel système exige au préalable un rapprochement très accentué des législations nationales et une collaboration très poussée entre les administrations des États membres».

Enfin, le rapport recommande l’adoption d’une convention multilatérale, insiste sur la nécessité d’assurer une application et une interprétation unique de celle-ci et sur le fait de prévoir l’institution d’une procédure amiable collective et une juridiction fiscale commune pour les litiges de double imposition.

Dans un calendrier formalisé en étapes visant à indiquer le degré relatif d’urgence des mesures qui devraient être envisagées, le groupe d’experts suggère à la fois des «mesures à prendre» et des «mesures préparatoires». Dans une première phase, la réforme de la taxe sur le chiffre d’affaires sur la base des principes formulés dans le rapport (et dans la perspective de la suppression des frontières fiscales) est considérée comme la mesure la plus importante et la plus urgente à prendre. Il est ensuite indiqué que les dispositions relatives au mode et au niveau de taxation des dividendes et des intérêts (retenue à la source) devront être harmonisées tandis que « les conventions actuelles de double imposition devront être alignées sur la convention type OCDE, à moins qu’il ne soit possible durant cette première phase de conclure déjà une convention multilatérale»!

Au cours de cette première phase, des mesures préparatoires viseront à préparer la réforme de l’impôt sur les sociétés ainsi que toutes les autres mesures de rapprochement dans le domaine des impôts directs et à examiner la possibilité de conclure une convention multilatérale contre la double imposition. Enfin, des préparatifs seront engagés «en vue de créer, au moment de la réalisation définitive de l’union douanière, un fonds commun affecté à la Communauté comme telle et alimenté au moyen des recettes du tarif extérieur commun et, le cas échéant, au moyen d’autres ressources».

La deuxième phase verra la mise en vigueur des mesures ainsi préparées: impôt sur le revenu, impôt sur les sociétés, convention multilatérale, suppression des accises mineures et la préparation de nouvelles mesures au rang desquelles un impôt général sur la fortune, un rapprochement des droits de succession, une harmonisation très poussée des principaux droits d’accises dans la perspective de la suppression des frontières fiscales. Enfin, dans une troisième phase où toutes les mesures précédemment citées seront définitivement entrées en application, il y aura lieu:

– de créer un service commun de renseignements afin d’assurer un contrôle fiscal efficace;

– et, au-delà du fonds commun alimenté par les recettes douanières, de prendre les mesures nécessaires en vue d’assurer la compensation financière à l’échelon supranational;

– et de créer un tribunal spécial à l’échelle de la Communauté européenne en vue de l’ouverture d’une procédure appropriée pour traiter des litiges qui ne peuvent être résolus de façon satisfaisante à l’échelon national.

Sont laissés de côté, parce que trop dépendants des progrès réalisés dans les secteurs concernés: les impôts sur les mouvements de capitaux (dont toutefois la suppression est suggérée), la taxation des transports et celle des sources d’énergie.

L’ensemble de ces éléments sera très largement repris dans le «programme d’harmonisation fiscale» que la Commission adressera au Conseil sous la forme d’une Communication le 8 février 1967.

Ainsi en quelques quatre-vingts pages, le rapport Neumark nous offre un panorama assez complet de ce que, déjà en 1962, les meilleurs esprits des experts fiscaux de l’époque considèrent comme nécessaire pour parvenir à mettre en place un véritable marché commun au sein duquel les frontières fiscales auront été éliminées et qui va constituer la référence d’un grand nombre des mesures que la Commission va proposer de mettre en œuvre au cours du temps.

C’est ainsi qu’on a progressivement procédé à la mise en place de la TVA communautaire.

  1. La mise en place de la TVA

Se fondant tant sur les dispositions fiscales du Traité de Rome (en son article 99) que sur l’approche systématique retenue dans le Rapport Neumark, la Commission va donner la première grande impulsion avec les propositions de directives visant à mettre en place la TVA.

  1. Des objectifs clairs

Les objectifs en sont clairs, ils trouvent une formulation très explicite dans les considérants de la 1re directive TVA:

« … considérant que l’objectif essentiel du Traité est d’établir, dans le cadre d’une union économique, un marché commun comportant une saine concurrence et ayant des caractéristiques analogues à celles d’un marché intérieur;

considérant que la réalisation de cet objectif suppose l’application préalable, dans les États membres, de législations relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires ne faussant pas les conditions de concurrence et n’entravant pas la libre circulation des marchandises et des services dans le marché commun;

considérant que les législations actuellement en vigueur ne répondent pas aux exigences précitées ; qu’il est donc dans l’intérêt du marché commun de réaliser une harmonisation des législations relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires ayant pour objet l’élimination, dans toute la mesure du possible, des facteurs qui sont susceptibles de fausser les conditions de concurrence, tant sur le plan national que sur le plan communautaire, et permettant d’aboutir par la suite à l’objectif de la suppression des taxations à l’importation et des détaxations à l’exportation pour les échanges entre les États membres…».

Le processus ne pouvait que procéder par étapes, ainsi que le rapport Neumark le soulignait, d’autant plus qu’il fallait commencer dans un premier temps par supprimer les taxes cumulatives à cascade afin d’introduire un système d’imposition correspondant aux exigences communautaires: la TVA. C’est encore ce qu’indiquent les considérants suivants de la 1re directive:

« … considérant qu’à la suite des études effectuées, il est apparu que cette harmonisation doit aboutir à l’élimination des systèmes de taxes cumulatives à cascade et à l’adoption par tous les États membres d’un système commun de taxe sur la valeur ajoutée;

considérant qu’un système de taxe sur la valeur ajoutée atteint la plus grande simplicité et la plus grande neutralité lorsque la taxe est perçue d’une manière aussi générale que possible et que son champ d’application englobe tous les stades de la production et de la distribution ainsi que le domaine des prestations de services…».

Et c’est l’objet de l’article 1 de la 1re directive du 10 avril 1967 qui dispose:

« Les États membres remplacent leur système actuel de taxes sur le chiffre d’affaires par le système commun de taxe sur la valeur ajoutée…».

Cette première étape et le dispositif juridique qui la caractérise resteront fondamentaux en ce sens qu’ils constitueront – notamment dans les considérants – la référence à laquelle la CJCE se rapportera assez systématiquement lorsqu’il sera nécessaire de mieux comprendre les principes qui ont inspiré le législateur dès l’origine du système de TVA. Ils seront complétés par l’adoption, le même jour, de la seconde directive TVA qui va préciser tout à la fois les principes applicables en matière de taux (le taux réduit doit être fixé à un niveau suffisant pour permettre de déduire les taxes acquittées en amont sur les achats) et en matière de droit à déduction. En particulier, c’est cette directive qui fixe le principe de la déduction « impôt sur impôt», celui de la déduction intégrale et sous forme de déduction globale (et non opération par opération) et immédiate (y compris pour les biens d’investissement).

La transposition en droit national fût plus délicate pour certains États membres et ce n’est finalement qu’en 1973 que tous les États membres (y compris les nouveaux adhérents au 1er janvier 1973) disposèrent d’un système commun de TVA.

C’est précisément cette même année que la Commission va présenter sa grande oeuvre en matière de TVA: la proposition de sixième directive TVA. La proposition de «système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme» du 29 juin 1973 va en effet être à l’origine d’un processus considérable tant à l’intérieur de la Communauté par le rapprochement des règles qu’elle prévoit (même si en définitive la directive adoptée par le Conseil en 1977 est assez éloignée des ambitieux objectifs d’harmonisation de la Commission), que sur le plan international en fournissant l’exemple auquel beaucoup de législations introduisant un système de TVA vont se référer dans le monde.

Cette évolution avait été précédée par une décision d’importance considérable: la décision du Conseil du 21 avril 1970 qui prévoyait qu’à partir du 1er janvier 1975, le budget des Communautés serait intégralement financé par des ressources propres dont la plus innovante serait la TVA. L’article 4 de cette décision indiquait que les ressources provenant des droits de douane seraient complétées par: «celles provenant de la taxe sur la valeur ajoutée et obtenues par l’application d’un taux qui ne peut dépasser 1 % à une assiette déterminée d’une manière uniforme pour les États membres, selon des règles communautaires».

L’exigence d’une harmonisation forte de l’assiette est ainsi posée. Elle va s’appuyer sur un calendrier très ambitieux (qui ne pourra pas être respecté!) porté dans les déclarations du Conseil et de la Commission aux procès-verbaux des sessions du Conseil prévoyant que ces deux institutions «s’engagent à prendre toutes les mesures nécessaires pour arrêter, dans les meilleurs délais, et au plus tard le 1er janvier 1974, les dispositions relatives à l’assiette uniforme de la TVA». Le soutien apporté par cette décision sera déterminant pour assurer, certes avec quelque retard, en 1977, l’adoption de la 6e directive TVA.

Cette seconde étape dans la mise en place de la TVA est essentielle mais elle ne constitue encore qu’une étape dans la voie de la réalisation des objectifs fixés. Si la neutralité est progressivement introduite dans le traitement des transactions: «en ce sens qu’à l’intérieur de chaque pays les marchandises semblables supportent la même charge fiscale, quelle que soit la longueur du circuit de production et de distribution, et que, pour les échanges internationaux, le montant de la charge supportée par les marchandises soit connu afin qu’une compensation exacte de cette charge puisse être effectuée»  il reste encore beaucoup à faire pour parvenir à une assiette et à une application uniforme de la TVA. La poursuite de l’harmonisation de l’assiette et l’amélioration du fonctionnement des marchés établis sur les territoires de juridictions fiscales différentes va amener la Commission à présenter toute une série de propositions successives qui n’auront pas toutes, loin s’en faut, le succès escompté.

En premier lieu, il s’agira de mieux assurer la neutralité du système en prévoyant par la huitième directive les modalités nécessaires au remboursement de la TVA aux assujettis qui ne sont pas établis à l’intérieur du pays au sein duquel des biens ou services grevés de TVA sont achetés pour les besoins des activités économiques de l’assujetti.

Le droit à déduction, ou plutôt les biens et services qui en sont exclus, sera également l’objet de tentatives de réglementation par la proposition de douzième directive relative aux dépenses n’ouvrant pas droit à déduction (et considérées de ce fait comme des consommations finales). C’est aujourd’hui encore un sujet sur lequel, en dépit de plusieurs tentatives de rouvrir le débat, aucun progrès significatif n’a été enregistré.

Par ailleurs, en dépit de l’aiguillon constitué par la décision du Conseil de 1970 sur les ressources propres, qui suppose une harmonisation forte de l’assiette comme l’envisageait la proposition initiale de 6e directive, de nombreuses différences subsistent, dont bon nombre sous forme de dérogations temporaires qui devront s’accompagner de mécanismes budgétaires et de calculs complexes de compensations positives ou négatives selon qu’il s’agit d’exonérer ce qui devrait être taxé ou vice-versa.

La suppression de ces nombreuses dérogations temporaires (que l’on trouve notamment listées aux annexes E et F de la sixième directive TVA) sera proposée par les 18e et 19e directives dont seule une partie sera finalement adoptée au début des années 90 après de longs débats. Un certain nombre de dérogations vont ainsi être supprimées tandis que d’autres continuent encore aujourd’hui de poser problème et de créer des distorsions non négligeables (Ex : exonération des prestations des avocats et professions libérales en Belgique, exonération des prestations d’agences de voyages au Danemark et en Irlande ou au contraire taxation étendue en Belgique).

Quant à la suppression des frontières fiscales (la suppression des taxations à l’importation et des détaxations à l’exportation pour les échanges entre les États membres) elle demeure un objectif à plus long terme pour parvenir à la réalisation d’un véritable marché intérieur.

  1. Le volet modernisation et simplification de la TVA

En parallèle avec les efforts entrepris par la Commission pour parvenir au modèle de suppression des frontières fiscales envisagé par le Rapport Neumark, des réflexions ont été entreprises afin de rendre le système de TVA mieux adapté aux besoins des opérateurs dans une économie européenne en voie de globalisation. Il s’est agi tout à la fois de simplifier, de moderniser et de parvenir à une application plus uniforme du système de TVA.

Ayant mis l’accent en priorité sur le paquet fiscal en cours de développement pour la fiscalité directe, la Commission va concentrer son action sur de très nombreux projets très concrets, susceptibles d’apporter des améliorations sensibles pour les opérateurs, en s’appuyant sur une initiative générale visant à simplifier la législation sur le marché intérieur en étroite coopération avec les milieux économiques. L’ensemble en sera consolidé dans une communication de 2000 sur la stratégie à suivre puis dans une seconde communication visant à faire un bilan de la piste suivie et à proposer de nouvelles actions dans la même veine.

Pour l’essentiel les propositions envisagées vont porter sur:

– la proposition de modernisation de la huitième directive TVA  qui a visé à remplacer la procédure de remboursement jugée longue et coûteuse par les opérateurs par un mécanisme d’imputation directe, comme pour le droit à déduction général, en fixant simultanément des règles communes quant aux biens et services exclus du droit à déduction. Cette proposition n’a pas été adoptée en dépit d’un soutien assez fort de nombreux États membres. Largement amendée, on en retrouve certaines dispositions dans l’actuel paquet de propositions TVA en cours de discussion, notamment dans le but de mettre en place un guichet unique pour l’accomplissement des obligations déclaratives;

– le lieu de taxation des prestations de services de télécommunications, lorsqu’elles sont rendues par des opérateurs de pays tiers afin de les rendre imposables dans la Communauté et non plus au lieu d’établissement du prestataire ;

– l’application de la TVA au commerce électronique, au sujet de laquelle la Commission a su dès 1996 lancer le débat, anticipant en cela sur la position de la plupart des autres parties prenantes. Finalement, il faudra attendre juin 2000 – du fait notamment des controverses soulevées par cette proposition dans le pays principal fournisseur : les USA – pour disposer d’une proposition  qui repose sur l’application de la TVA au lieu où le fournisseur est enregistré à la TVA dans la Communauté. 

La difficulté au Conseil était de parvenir à une solution de compromis entre ceux qui considéraient que cette solution faisait la part trop belle aux États membres ayant le plus faible taux normal de TVA (c’est-à-dire le Luxembourg avec 15 % et Madère avec 12 % – situation qui vient encore de faire l’objet d’un vif débat lors de la discussion d’un nouveau paquet TVA à l’Ecofin du 5 juin 2007) et ceux qui souhaitaient avant tout faciliter l’enregistrement des opérateurs de pays tiers en réduisant autant que possible les coûts administratifs et en leur évitant de devoir être enregistré dans chaque État membre. D’où l’importance aujourd’hui du débat sur un guichet unique pour l’accomplissement des obligations déclaratives, en discussion au même Ecofin. 

Enfin, une solution avancée par la Présidence suédoise en avril 2001 a permis l’adoption d’une législation reposant sur l’auto liquidation de la TVA pour les clients assujettis des fournisseurs de pays tiers (B2B) et sur l’application de la TVA selon le taux du pays de consommation pour les ventes à des consommateurs finals (B2C) avec pour les fournisseurs de pays tiers la possibilité d’effectuer toutes ses obligations dans un seul État membre, celui d’enregistrement à la TVA, lequel se chargera de transmettre la TVA ainsi collectée à chaque État membre de consommation;

– l’uniformité d’application de la 6e directive, avec une proposition visant à doter le Comité de la TVA de compétences réglementaires. En dépit de sa pertinence, étant donné les nombreux problèmes d’interprétation de la directive dont témoignent l’abondance des questions d’interprétation qui se posent et le nombre des orientations soumises au Comité de la TVA, les États membres ne parviendront pas à adopter cette proposition. 

En revanche, la Commission sera invitée à présenter au Conseil une proposition visant la transformation en dispositions d’application des nombreuses orientations (unanimes) du Comité par décision du Conseil;

– la suppression de la représentation fiscale systématique, qui est devenue un coût excessif pour la grande majorité des assujettis non établis dans l’État membre où ils sont redevables de la TVA. La proposition, longuement discutée verra son adoption conditionnée au renforcement de l’assistance mutuelle en recouvrement de taxe entre États membres, laquelle sera effective avec l’adoption d’une directive en 2001;

– la facturation, élément central du dispositif de TVA, devait également être résolument modernisée (afin de reconnaître l’importance de la facturation électronique) et harmonisée afin de faciliter l’exercice du droit à déduction pour lequel la facture est le document probant. La proposition faite par la Commission, bien que fort amendée par le Conseil, lequel a voulu maintenir nombre de dérogations nationales à la règle commune, a considérablement amélioré la situation pour nombre d’opérateurs.

Les communications sur la nouvelle stratégie annonçaient également un certain nombre d’autres propositions nouvelles dont bon nombre ont été présentées et adoptées par le Conseil depuis lors :

– la révision des règles sur la coopération administrative et l’assistance mutuelle (COM (2001) 294), adoptée par le Conseil Ecofin du 7 octobre 2003;

– le lieu de livraison du gaz et de l’électricité (COM (2002) 688 du 5 décembre 2002), adoptée par le Conseil le 7 octobre 2003 (directive 2003/92/CE) ;

– la proposition,  faite le 10 décembre 2003 et qui sera adoptée par le Conseil le 10 février 2004, de prorogation de l’autorisation faite à neuf États membres d’appliquer des taux réduits aux activités à fort contenu en main d’œuvre, qui vise à pallier l’absence d’accord sur la proposition relative à la simplification et rationalisation des taux réduits (cf. infra) ;

– la proposition de refonte complète de la 6e directive TVA  afin de simplifier l’accès des opérateurs à la législation en intégrant les quelques 28 amendements successifs dont la 6e directive a été l’objet, qui a enfin été adoptée par le Conseil le 28 novembre 2006. La directive 2006/112/CE est le point d’orgue d’un exercice consistant à améliorer la règlementation et à renforcer la transparence de la législation communautaire. Il s’agit d’une bonne illustration des objectifs que la Commission s’est fixés dans le cadre de sa politique de simplification et d’amélioration de la législation. Depuis le 1er janvier 2007, la sixième directive TVA a été remplacée par cette nouvelle directive, qui codifie les dispositions sans modifier la substance de la législation. Les modifications de structure et de présentation visent uniquement à améliorer la qualité du texte;

– la proposition  rationalisant les dérogations à la 6e directive qui vise à simplifier et rendre plus automatique l’octroi de dérogations dans certaines situations où ces mesures dérogatoires se sont révélées efficaces contre l’évasion et la fraude fiscales et lorsqu’elles concernent des problèmes communs à plusieurs États membres. La nouvelle directive permet notamment aux États membres:

  • d’appliquer un «mécanisme d’auto-liquidation» pour l’acquittement de la TVA dans un certain nombre de secteurs qui se sont révélés difficiles à contrôler pour les États membres, notamment pour les livraisons de biens immeubles, bâtis ou non, pour les livraisons de déchets et pour les prestations de services de construction, d’entretien et de démolition en relation avec des biens immeubles;
  • de lutter contre les mécanismes d’évasion fiscale qui exploitent les règles relatives au regroupement aux fins de la TVA et au transfert d’activités sans interruption d’exploitation.

Dans le même temps, vingt et une mesures dérogatoires existantes sont abrogées, que ce soit de manière spécifique ou automatique en application de la nouvelle directive. Par ailleurs, la capacité des États membres d’appliquer de nouvelles dérogations conformément à l’article 27 n’est pas en tant que telle remise en cause par la directive.

La situation devrait gagner en transparence, étant donné que les règles alternatives sont clairement établies dans la directive principale et qu’il ne sera plus nécessaire pour les entreprises assujetties de se familiariser avec les différentes décisions prises dans chaque État membre.

D’autres propositions en revanche continuent de se heurter à bien des difficultés et à l’opposition marquée de certains États membres, citons :

– le régime particulier des agences de voyages qui a fait l’objet d’une proposition  visant à simplifier le régime de taxation de la marge des agences de voyages et à offrir aux opérateurs de pays tiers un enregistrement unique dans la Communauté comme pour le commerce électronique;

– les prestations des services postaux  pour lesquels la Commission a présenté une proposition le 5 mai 2003 amendant la 6e directive afin de les soumettre à la TVA et d’éliminer ainsi les distorsions de concurrence qui existent entre opérateurs publics (généralement exonérés) et privés (qui sont imposés, courriers express notamment);

– la proposition de rationaliser et simplifier les taux réduits de TVA  du 23 juillet 2003 afin de parvenir à une application plus uniforme des règles entre États membres (notamment en proposant la possibilité pour tous les États membres d’appliquer des taux réduits aux restaurants, au logement, au gaz et à l’électricité etc., et de rationaliser les nombreuses dérogations existantes);

– le changement de lieu de taxation des prestations de services rendues entre assujettis (B2B) proposé le 23 décembre 2003 afin de donner suite aux difficultés rencontrées par les opérateurs et de rapprocher le lieu d’imposition des services du lieu de leur consommation (en l’absence de perspective pour un régime définitif de TVA) en imposant ces transactions dans l’État membre du preneur fait encore l’objet de débats. Cette proposition a été complétée en juillet 2005 par des dispositions relatives au lieu de taxation des services rendus à des consommateurs finals (B2C) afin de simplifier et d’éliminer les distorsions de concurrence entre entreprises européennes et vis-à-vis des entreprises de pays tiers en imposant ces services au lieu de consommation;

– en octobre 2004, la Commission a présenté une proposition de «guichet unique»  (one stop shop) afin de réduire les coûts de mise en conformité pour les opérateurs devant accomplir des obligations déclaratives dans un État membre où ils ne sont pas établis. En permettant d’utiliser un seul numéro d’identification à la TVA dans toute la Communauté et en mettant à disposition un portail électronique unique pour déclarer leurs opérations à chacun des États membres où ils effectuent des transactions imposables, il s’agit d’une simplification majeure.

Après trois années d’intenses négociations, un début d’accord politique s’est toutefois manifesté lors du dernier Ecofin, le 5 juin dernier sur un paquet TVA plutôt minimaliste portant sur le lieu des prestations de services entre assujettis (B2B) et la simplification des procédures de remboursement pour les assujettis non établis. L’adoption d’un «mini-guichet unique» introduisant une modification de la localisation de certaines prestations de services telles les prestations de télécommunication, de télédiffusion et les prestations de commerce électronique a été reportée faute d’accord unanime, les travaux se poursuivront sous présidence portugaise.

Enfin, aux propositions faites jusqu’à présent dans le cadre de la modernisation, qui ne visent parfois que des secteurs d’activité particuliers et n’affectent qu’un nombre limité d’opérateurs (agences de voyages, livraisons de gaz et électricité, service postal), s’ajouteront des réformes plus vastes, visant le régime TVA applicable aux autorités publiques et aux activités d’intérêt général, et celui des services financiers au sujet desquels des consultations des opérateurs ont été entreprises.

Au total cet ensemble de mesures, pour justifiées qu’elles soient, ne donne pas le sentiment qu’on se soit rapproché de la suppression des frontières fiscales au sens du rapport Neumark. Tout au contraire elles ont le plus souvent visé, ces dernières années, à renforcer la taxation dans l’État membre de consommation (par opposition à l’État membre d’origine), quitte à inclure des mesures de simplification de l’accomplissement des obligations déclaratives. Cette évolution, conforme aux objectifs affichés dans la nouvelle stratégie TVA de 2000, s’explique notamment par la possibilité d’avoir recours à des supports électroniques pour simplifier l’administration de la taxe et dés lors assurer l’imposition au lieu de consommation sans charges administratives excessives pour les opérateurs.

  1. La suppression des frontières fiscales

Ayant rappelé que ces termes figurent explicitement, tant dans le Rapport Neumark que dans le préambule de la 1re directive, il convient de constater d’emblée que cet objectif, qui va être au coeur des priorités du Livre blanc sur le marché intérieur de juin 1985, n’est stricto sensu toujours pas réalisé – quoiqu’on en soit très proche en ce qui concerne les achats des particuliers qui à quelques exceptions près (automobiles, achats à distance) sont imposés définitivement lors de l’achat, sans franchise et sans autre forme de taxation dans le pays de consommation.

Sans chercher à dresser un historique détaillé  des différentes étapes conduisant à l’adoption du régime transitoire de TVA, il est utile d’en rappeler certains moments essentiels.

Le Livre blanc propose de réaliser un « grand marché intérieur d’ici 1992» sur la base d’un catalogue de mesures visant :

– l’élimination des frontières physiques ;

– l’élimination des frontières techniques ;

– l’élimination des frontières fiscales.

À cette fin, le Traité va être modifié par l’Acte unique européen entré en vigueur le 1er juillet 1987. Destiné à apporter les adaptations du Traité nécessaires à l’achèvement du marché intérieur, il va, en ce qui concerne la fiscalité, doter les institutions d’une nouvelle base juridique essentielle, l’article 99:

«Le Conseil, statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen et du Comité économique et social, arrête les dispositions touchant à l’harmonisation des législations relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires, aux droits d’accises et autres impôts indirects dans la mesure où cette harmonisation est nécessaire pour assurer l’établissement et le fonctionnement du marché intérieur dans le délai prévu à l’article 7 A».

Ainsi, le rôle de la Commission est clarifié: elle doit présenter des propositions d’harmonisation de la fiscalité indirecte, dans la mesure où c’est nécessaire à l’établissement et au fonctionnement du marché intérieur. Certes, on peut aussi en déduire que la charge de la preuve du caractère nécessaire lui incombe et c’est effectivement ce à quoi la Commission va s’attacher en motivant ses propositions par référence systématique aux besoins du marché intérieur.

Sur cette base, la Commission va élaborer un ensemble de textes représentant les différentes mesures jugées nécessaires tant en matière de TVA que de droits d’accises. Pour la Commission, si l’on veut que les biens, les services et les personnes circulent librement dans l’Union, il faut faire en sorte que la TVA soit appliquée aux transactions entre États membres exactement comme elle l’est à l’intérieur d’un État membre.

La Commission va présenter, en juillet 1987, un ensemble d’initiatives. La taxation dans l’État membre d’origine implique en effet de prévoir tant un rapprochement très significatif des taux qu’un mécanisme de compensation entre État membres afin que chacun reçoive la part de l’impôt qui lui est dû. Ce sont d’ailleurs ces deux contraintes qui seront jugées inacceptables en l’état par les États membres et qui conduiront à la recherche d’autres solutions pour permettre la suppression des contrôles aux frontières au 1er janvier 1993. En ce qui concerne le rapprochement des taux, la Commission avance l’idée de deux bandes de taux: taux normal 14 %-20 %; taux réduit 4 %-9 % pour un nombre limité de produits: alimentation, énergie, produits pharmaceutiques etc.; la suppression des taux majorés qui existaient dans de nombreux États membres (ex: 33 % en Belgique et en France sur les produits dits de luxe et dans certains cas sur les automobiles); la suppression des taux zéro.

Après une tentative en 1989 d’introduire des mesures de transition qui permettraient d’ici 1992 de remplir les conditions nécessaires à la mise en place de ses propositions, la Commission est forcée d’abandonner, dans l’immédiat, l’idée d’un régime fondé sur l’application de la TVA dans le pays d’origine et de se rallier aux conclusions du rapport Lemierre. Celui-ci établit que l’introduction d’un système fondé sur l’imposition dans le pays d’origine demeure souhaitable mais suppose que soient remplies des conditions qui ne peuvent être satisfaites d’ici 1993.

Dès lors, il va s’agir pour la Commission de concevoir et de négocier les éléments d’un régime de TVA qui, tout en retenant le principe de taxation dans le pays de destination pour le moyen terme (qui se traduira en une période transitoire jusqu’au 31 décembre 1996 en principe), reste entièrement compatible avec l’objectif final d’un régime définitif fondé sur le principe d’origine, assurant la suppression effective des frontières fiscales. 

En particulier, cela supposait d’une part d’imposer définitivement les ventes à des consommateurs finals au lieu de la situation des biens au moment de la livraison sans possibilité d’imposition ultérieure dans l’État membre de destination du consommateur final (suppression totale des franchises voyageurs) et d’autre part de ne plus traiter les transactions intra-communautaires comme exportations/importations et donc de les distinguer du reste du commerce international en les soumettant à la taxe selon des dispositions particulières largement fondées sur le concept existant de livraison (suppression du fait générateur à l’importation). 

Certains ont considéré que ce faisant la Commission n’avait fait que repousser les formalités de la frontière vers l’entreprise, celle-ci ayant maintenant à se conformer à de nouvelles obligations de suivi des livraisons intra-communautaires afin de fournir à l’État membre de destination (ou plutôt à l’État membre d’identification de l’acheteur assujetti) les informations lui permettant de s’assurer de l’imposition des biens reçus sous forme de la taxation des acquisitions intra-communautaires de biens par l’acheteur

Ce serait oublier que ceci a permis la suppression effective des contrôles aux frontières (la suppression des frontières physiques et de 60 millions de documents douaniers par an en 1992), et ultérieurement la suppression des contrôles sur les personnes (Accord de Schengen), ce dont aujourd’hui tant les transporteurs que les entreprises et les particuliers – lorsqu’ils voyagent – se félicitent. 

La mise en place, dans les délais nécessaires et avec une grande précision dés le début de son fonctionnement, d’un système informatisé (VIES) de vérification des numéros d’identification à la TVA des opérateurs assujettis au profit des opérateurs et de mécanismes d’échanges d’informations au profit des administrations fiscales sera un des éléments très positif pour la bonne gestion du nouveau système. Toutefois, à défaut d’avoir évolué depuis lors, le système VIES apparaît aujourd’hui quelque peu vulnérable et fait actuellement l’objet de réflexions en vue d’une réforme en profondeur.

La logique du régime transitoire, qui consiste notamment à complètement boucler les concepts de livraison et d’acquisition afin de faire en sorte qu’à tout moment dans la suite des transactions commerciales un État membre et un seul soit compétent pour imposer, tant dans l’espace que dans le temps, et amender à cette fin toutes les dispositions concernées de la 6e directive, est sans faille. 

En revanche, les contraintes de l’exercice sont d’emblée connues pour laisser subsister des biens non taxés (livraisons intra-communautaires exonérées) circuler librement dans la Communauté: la preuve de la réalité du transport des biens vers un autre État membre devient ainsi le cauchemar des comptables, des services logistiques et des directeurs fiscaux. 

Par ailleurs, la complexité du dispositif juridique est fréquemment citée en exemple de ce qu’il ne faut pas faire, même s’agissant d’un régime transitoire. À cet égard, un effort de simplification vient de voir le jour avec la refonte complète de la 6e directive qui a fait disparaître les contours des dispositions transitoires en les intégrant complètement dans le dispositif de la directive et permis de fondre en un seul texte consolidé les quelques 28 directives qui avaient amendé successivement la 6e directive.

En 1994, le Rapport sur le fonctionnement du régime transitoire, prévu par le dispositif même de la directive de 1991, tout en portant un jugement globalement positif, mettait en évidence un certain nombre de problèmes. 

Certes le nouveau système, avec la suppression des formalités douanières et du préfinancement de la TVA à l’importation, avait effectivement amené une réduction significative des coûts administratifs mais les incertitudes engendrées par la preuve du transport des biens aussi bien que les difficultés rencontrées par les opérateurs non établis dans l’État membre où ils réalisent des opérations imposables (en particulier dans le cas des transactions en chaînes) étaient autant d’invitations à l’adoption rapide d’un régime définitif. Les conclusions du Conseil Ecofin d’octobre 1994 (sous présidence allemande) reflétèrent cette perception en indiquant toutefois les critères essentiels que tout régime définitif devrait respecter:

– il devrait comporter moins d’obligations administratives ;

– la TVA devrait être neutre au regard de son impact sur la compétitivité des entreprises concernées ;

– les recettes fiscales des États membres ne devraient pas diminuer ;

– il ne devrait pas en résulter d’accroissement des risques de fraude.

Aujourd’hui, l’énoncé de ces conditions pourrait faire sourire – à la lumière des débats sur la fraude carrousel générée dans le régime transitoire, engagés sous Présidence allemande – si la chose n’était pas aussi sérieuse.

À la suite de ce débat d’orientation au Conseil des ministres, la Commission a engagé des réflexions approfondies visant à explorer les solutions susceptibles de satisfaire à ces exigences. Il s’agissait de redéfinir le concept de taxation à l’origine en fixant l’origine non plus au point de départ du transport des biens, ce qui aurait continué de rattacher la livraison à un lieu physique géographiquement déterminé mais qui n’est pas nécessairement celui où l’opérateur effectuant la livraison est établi, mais en retenant un lieu de taxation unique pour tout opérateur : son lieu d’établissement. Elle a élaboré à cette fin un vaste programme de travail présentant un cadre et un calendrier. Cependant, convaincue que toute proposition qui permette véritablement la suppression des frontières fiscales sur cette base appelait un degré très élevé d’harmonisation des taux, la Commission s’est efforcée de redéfinir sa stratégie et d’élargir considérablement le débat. C’est le point de départ – peu connu – de toute une série de nouvelles initiatives qui ont ensuite conduit à l’adoption de l’idée de construire un « paquet fiscal» dont en fait le volet TVA, qui en était en partie à l’origine, a finalement été exclu en 1997.

  1. La suppression des frontières fiscales

Ayant rappelé que ces termes figurent explicitement, tant dans le Rapport Neumark que dans le préambule de la 1re directive, il convient de constater d’emblée que cet objectif, qui va être au coeur des priorités du Livre blanc sur le marché intérieur de juin 1985, n’est stricto sensu toujours pas réalisé – quoiqu’on en soit très proche en ce qui concerne les achats des particuliers qui à quelques exceptions près (automobiles, achats à distance) sont imposés définitivement lors de l’achat, sans franchise et sans autre forme de taxation dans le pays de consommation.

Sans chercher à dresser un historique détaillé  des différentes étapes conduisant à l’adoption du régime transitoire de TVA, il est utile d’en rappeler certains moments essentiels.

Le Livre blanc propose de réaliser un « grand marché intérieur d’ici 1992» sur la base d’un catalogue de mesures visant :

– l’élimination des frontières physiques ;

– l’élimination des frontières techniques ;

– l’élimination des frontières fiscales.

À cette fin, le Traité va être modifié par l’Acte unique européen entré en vigueur le 1er juillet 1987. Destiné à apporter les adaptations du Traité nécessaires à l’achèvement du marché intérieur, il va, en ce qui concerne la fiscalité, doter les institutions d’une nouvelle base juridique essentielle, l’article 99:

«Le Conseil, statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen et du Comité économique et social, arrête les dispositions touchant à l’harmonisation des législations relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires, aux droits d’accises et autres impôts indirects dans la mesure où cette harmonisation est nécessaire pour assurer l’établissement et le fonctionnement du marché intérieur dans le délai prévu à l’article 7 A».

Ainsi, le rôle de la Commission est clarifié: elle doit présenter des propositions d’harmonisation de la fiscalité indirecte, dans la mesure où c’est nécessaire à l’établissement et au fonctionnement du marché intérieur. Certes, on peut aussi en déduire que la charge de la preuve du caractère nécessaire lui incombe et c’est effectivement ce à quoi la Commission va s’attacher en motivant ses propositions par référence systématique aux besoins du marché intérieur.

Sur cette base, la Commission va élaborer un ensemble de textes représentant les différentes mesures jugées nécessaires tant en matière de TVA que de droits d’accises. Pour la Commission, si l’on veut que les biens, les services et les personnes circulent librement dans l’Union, il faut faire en sorte que la TVA soit appliquée aux transactions entre États membres exactement comme elle l’est à l’intérieur d’un État membre.

La Commission va présenter, en juillet 1987, un ensemble d’initiatives. La taxation dans l’État membre d’origine implique en effet de prévoir tant un rapprochement très significatif des taux qu’un mécanisme de compensation entre État membres afin que chacun reçoive la part de l’impôt qui lui est dû. Ce sont d’ailleurs ces deux contraintes qui seront jugées inacceptables en l’état par les États membres et qui conduiront à la recherche d’autres solutions pour permettre la suppression des contrôles aux frontières au 1er janvier 1993. En ce qui concerne le rapprochement des taux, la Commission avance l’idée de deux bandes de taux: taux normal 14 %-20 %; taux réduit 4 %-9 % pour un nombre limité de produits: alimentation, énergie, produits pharmaceutiques etc.; la suppression des taux majorés qui existaient dans de nombreux États membres (ex: 33 % en Belgique et en France sur les produits dits de luxe et dans certains cas sur les automobiles); la suppression des taux zéro.

Après une tentative en 1989 d’introduire des mesures de transition qui permettraient d’ici 1992 de remplir les conditions nécessaires à la mise en place de ses propositions, la Commission est forcée d’abandonner, dans l’immédiat, l’idée d’un régime fondé sur l’application de la TVA dans le pays d’origine et de se rallier aux conclusions du rapport Lemierre. Celui-ci établit que l’introduction d’un système fondé sur l’imposition dans le pays d’origine demeure souhaitable mais suppose que soient remplies des conditions qui ne peuvent être satisfaites d’ici 1993.

Dès lors, il va s’agir pour la Commission de concevoir et de négocier les éléments d’un régime de TVA qui, tout en retenant le principe de taxation dans le pays de destination pour le moyen terme (qui se traduira en une période transitoire jusqu’au 31 décembre 1996 en principe), reste entièrement compatible avec l’objectif final d’un régime définitif fondé sur le principe d’origine, assurant la suppression effective des frontières fiscales. 

En particulier, cela supposait d’une part d’imposer définitivement les ventes à des consommateurs finals au lieu de la situation des biens au moment de la livraison sans possibilité d’imposition ultérieure dans l’État membre de destination du consommateur final (suppression totale des franchises voyageurs) et d’autre part de ne plus traiter les transactions intra-communautaires comme exportations/importations et donc de les distinguer du reste du commerce international en les soumettant à la taxe selon des dispositions particulières largement fondées sur le concept existant de livraison (suppression du fait générateur à l’importation). 

Certains ont considéré que ce faisant la Commission n’avait fait que repousser les formalités de la frontière vers l’entreprise, celle-ci ayant maintenant à se conformer à de nouvelles obligations de suivi des livraisons intra-communautaires afin de fournir à l’État membre de destination (ou plutôt à l’État membre d’identification de l’acheteur assujetti) les informations lui permettant de s’assurer de l’imposition des biens reçus sous forme de la taxation des acquisitions intra-communautaires de biens par l’acheteur

Ce serait oublier que ceci a permis la suppression effective des contrôles aux frontières (la suppression des frontières physiques et de 60 millions de documents douaniers par an en 1992), et ultérieurement la suppression des contrôles sur les personnes (Accord de Schengen), ce dont aujourd’hui tant les transporteurs que les entreprises et les particuliers – lorsqu’ils voyagent – se félicitent. 

La mise en place, dans les délais nécessaires et avec une grande précision dés le début de son fonctionnement, d’un système informatisé (VIES) de vérification des numéros d’identification à la TVA des opérateurs assujettis au profit des opérateurs et de mécanismes d’échanges d’informations au profit des administrations fiscales sera un des éléments très positif pour la bonne gestion du nouveau système. Toutefois, à défaut d’avoir évolué depuis lors, le système VIES apparaît aujourd’hui quelque peu vulnérable et fait actuellement l’objet de réflexions en vue d’une réforme en profondeur.

La logique du régime transitoire, qui consiste notamment à complètement boucler les concepts de livraison et d’acquisition afin de faire en sorte qu’à tout moment dans la suite des transactions commerciales un État membre et un seul soit compétent pour imposer, tant dans l’espace que dans le temps, et amender à cette fin toutes les dispositions concernées de la 6e directive, est sans faille. 

En revanche, les contraintes de l’exercice sont d’emblée connues pour laisser subsister des biens non taxés (livraisons intra-communautaires exonérées) circuler librement dans la Communauté: la preuve de la réalité du transport des biens vers un autre État membre devient ainsi le cauchemar des comptables, des services logistiques et des directeurs fiscaux. 

Par ailleurs, la complexité du dispositif juridique est fréquemment citée en exemple de ce qu’il ne faut pas faire, même s’agissant d’un régime transitoire. À cet égard, un effort de simplification vient de voir le jour avec la refonte complète de la 6e directive qui a fait disparaître les contours des dispositions transitoires en les intégrant complètement dans le dispositif de la directive et permis de fondre en un seul texte consolidé les quelques 28 directives qui avaient amendé successivement la 6e directive.

En 1994, le Rapport sur le fonctionnement du régime transitoire, prévu par le dispositif même de la directive de 1991, tout en portant un jugement globalement positif, mettait en évidence un certain nombre de problèmes. 

Certes le nouveau système, avec la suppression des formalités douanières et du préfinancement de la TVA à l’importation, avait effectivement amené une réduction significative des coûts administratifs mais les incertitudes engendrées par la preuve du transport des biens aussi bien que les difficultés rencontrées par les opérateurs non établis dans l’État membre où ils réalisent des opérations imposables (en particulier dans le cas des transactions en chaînes) étaient autant d’invitations à l’adoption rapide d’un régime définitif. Les conclusions du Conseil Ecofin d’octobre 1994 (sous présidence allemande) reflétèrent cette perception en indiquant toutefois les critères essentiels que tout régime définitif devrait respecter:

– il devrait comporter moins d’obligations administratives ;

– la TVA devrait être neutre au regard de son impact sur la compétitivité des entreprises concernées ;

– les recettes fiscales des États membres ne devraient pas diminuer ;

– il ne devrait pas en résulter d’accroissement des risques de fraude.

Aujourd’hui, l’énoncé de ces conditions pourrait faire sourire – à la lumière des débats sur la fraude carrousel générée dans le régime transitoire, engagés sous Présidence allemande – si la chose n’était pas aussi sérieuse.

À la suite de ce débat d’orientation au Conseil des ministres, la Commission a engagé des réflexions approfondies visant à explorer les solutions susceptibles de satisfaire à ces exigences. Il s’agissait de redéfinir le concept de taxation à l’origine en fixant l’origine non plus au point de départ du transport des biens, ce qui aurait continué de rattacher la livraison à un lieu physique géographiquement déterminé mais qui n’est pas nécessairement celui où l’opérateur effectuant la livraison est établi, mais en retenant un lieu de taxation unique pour tout opérateur : son lieu d’établissement. Elle a élaboré à cette fin un vaste programme de travail présentant un cadre et un calendrier. Cependant, convaincue que toute proposition qui permette véritablement la suppression des frontières fiscales sur cette base appelait un degré très élevé d’harmonisation des taux, la Commission s’est efforcée de redéfinir sa stratégie et d’élargir considérablement le débat. C’est le point de départ – peu connu – de toute une série de nouvelles initiatives qui ont ensuite conduit à l’adoption de l’idée de construire un « paquet fiscal» dont en fait le volet TVA, qui en était en partie à l’origine, a finalement été exclu en 1997.

Paragraphe 3 : une dissonnance des faits

Le droit communautaire ne connaît pas la notion de service public ; pourtant, il n’ignore pas son importance, comme l’article 86 TCE en porte trace. Les entreprises investies par l’État d’une mission d’intérêt économique général – ou de service d’intérêt économique général (SIEG) – peuvent, pour mener à bien leur mission, ne pas pouvoir fonctionner en appliquant les règles du Traité, dont les règles de concurrence.

L’État doit alors moduler ou écarter l’application de ces règles ; son action doit demeurer proportionnelle, afin de ne pas aller à l’encontre de l’intérêt communautaire. L’article 86-2 TCE doit être lu en combinaison avec le premier paragraphe de cette disposition, qui établit que les entreprises publiques ou auxquelles l’État confie des droits exclusifs ou spéciaux doivent être traitées comme toute autre entreprise privée ; cette parité de traitement ne peut pas être appliquée si elle conduit à empêcher ou rendre excessivement difficile l’accomplissement d’une mission d’intérêt général confiée à une entreprise publique ou dotée par l’État de droits exclusifs.

La notion de SIEG confirme alors que le service public est en principe assuré par le marché, dans des conditions normales de concurrence. Ce mouvement vient heurter de plein fouet le service public à la française. Il oblige à repenser les possibilités d’intervention de l’État. Il conduit également à évaluer les modalités de fonctionnement du service public à l’aune des règles de concurrence. Si le temps n’est plus à la confrontation des concepts, la réception de la notion de SIEG par le Conseil d’État montre la profondeur de l’impact du droit communautaire sur le droit public.

La mise en conformité du droit français avec le droit communautaire des SIEG est à la fois difficile et évidente. Difficile car elle vient bouleverser le concept de service public comme ses principes de fonctionnement, s’attaquant ainsi à un mythe fondateur du droit administratif français. Évidente aussi car, une fois acceptée l’application par le juge administratif du droit de la concurrence comme référent de la légalité, le SIEG est, et le plus souvent de manière implicite, d’application aisée. Il semble qu’aujourd’hui la réception de la notion de SIEG ne pose que d’apparentes difficultés au Conseil d’État, alors que la facilité à en transposer les principes de fonctionnement n’est peut-être qu’apparente.

  1. L’APPARENTE DIFFICULTÉ À TRANSPOSER LA NOTION DE SIEG EN DROIT ADMINISTRATIF 

Longtemps perçues comme antinomiques, les notions de SIEG et de service public ne sont pas si éloignées, du fait qu’elles garantissent la satisfaction de l’intérêt général. Il n’en demeure pas moins des divergences dans leur application.

  1. La concordance des objectifs : la satisfaction de l’intérêt général

La réception de la notion de SIEG par le Conseil d’État est facilitée par la concordance de ses objectifs avec ceux de la notion de service public. L’évolution de la perception des SIEG, considérés aujourd’hui comme une valeur fondamentale de l’Union européenne par les institutions communautaires, a facilité ce rapprochement. Les États membres disposent ainsi, en vertu du principe de subsidiarité, d’un large pouvoir d’appréciation quant à la définition de ce qu’ils considèrent comme des SIEG. Les institutions communautaires peuvent seulement refuser une qualification lorsqu’elle est manifestement abusive

C’est finalement la même démarche qui a été défendue depuis longtemps par le Conseil d’État et la doctrine. L’État a une responsabilité particulière qui consiste à prendre en charge la satisfaction de l’intérêt général. Cette acception évite de figer la notion de services d’intérêt général dans une analyse uniquement économique et permet de garantir la prise en compte adéquate des impératifs politiques de solidarité économique, sociale ou territoriale.

Cette concordance des objectifs explique la réception par le Conseil d’État de la notion de service universel, pourtant décriée dans un premier temps. En droit communautaire, comme dans l’actuel Code français des postes et télécommunications électroniques, le service universel est la base du service public, à laquelle peuvent s’ajouter d’autres obligations de service public comme des services obligatoires et des missions d’intérêt général. On retrouve également la reconnaissance et la protection des obligations de service universel dans la jurisprudence

Cette réception est facilitée dès lors que ces notions figurent dans des directives communautaires, sans faire disparaître pour autant la notion de service public. Les notions de SIEG et de service public reflètent ainsi une conception dans l’Union qui « se fonde sur un ensemble d’éléments communs, dont le service universel, la continuité, la qualité du service, l’accessibilité financière, ainsi que la protection des usagers et des consommateurs»

Ces termes rappellent les lois françaises du service public, qui pourraient se trouver renouvelées et complétées par les notions communautaires de qualité ou de protection des usagers et des consommateurs.

Le problème de l’approche communautaire, centrée sur la notion d’activité économique, est que cette dernière notion est interprétée très largement. Cela condamne-t-il l’idée d’un service public non économique ? Avec l’arrêt Ordre des avocats au Barreau de Paris de 2006, la réponse est négative : les personnes publiques peuvent exercer des activités de service public ou des activités économiques qui impliquent l’intervention sur un marché. L’arrêt Commune d’Aix confirme cette analyse, en considérant qu’un service public culturel est une activité non économique, qui peut autoriser les personnes publiques à s’affranchir des règles de concurrence pour le financer car, « eu égard à la nature de l’activité en cause et aux conditions particulières dans lesquelles il l’exerce, le tiers auquel elles s’adressent ne saurait être regardé comme un opérateur sur un marché concurrentiel». On reconnaît l’influence de la jurisprudence Poucet qui permet d’exclure l’application des règles de concurrence pour les activités de solidarité nationale.

Les personnes publiques peuvent ainsi exercer des activités économiques qui les conduisent à intervenir sur un marché. Ces activités économiques doivent être exercées dans le respect de la liberté du commerce et de l’industrie, dont les règles de concurrence sont une composante. Pour ces activités d’intérêt public (le Conseil emploie moins le terme de SPIC), le choix d’intervenir sur le marché est conditionné par la défaillance du marché, ce qui correspond bien à la logique du droit communautaire de la concurrence. Les autres services qui appartiennent au domaine d’intervention des personnes publiques naturellement (mais non exclusivement) sont les services publics administratifs, dès lors qu’ils sont de nature non marchande.

Cette distinction est également opérée par le droit communautaire. À côté des SIEG émergent les services d’intérêt général, qui sont des services économiques ou non, alors à même d’être exercés en dehors d’un marché concurrentiel. Les règles du marché unique et de la concurrence ne s’y appliquent donc pas

D’un côté, cette reconnaissance renforce la notion de service public mais de l’autre elle contribue à brouiller les concepts car un même secteur, comme celui des services sociaux, peut être de nature économique ou non. En outre, la transposition de la notion de SIEG réduit en France l’appellation de service public aux seuls services non marchands, considérés comme étant de nature administrative. La notion de SIEG pourrait alors éviter le recours à l’ancienne distinction services publics administratifs/services publics industriels et commerciaux, en fondant exclusivement le raisonnement sur la nature de l’activité en cause pour déterminer l’applicabilité des règles de concurrence. Cela éviterait par exemple la prise en compte, pour définir le service public, des prérogatives de puissance publique, lesquelles ne sont que l’une de ses modalités d’exercice.

  1. La persistance de divergences dans l’application de la notion de SIEG

Le discours des institutions et des juridictions communautaires laisse penser que le champ des SIEG est souverainement défini par les États. Il n’en demeure pas moins que la logique concurrentielle, induite par l’article 86-2 TCE, nourrit la notion française de service public. Elle implique en effet que le service public doit être assuré par le marché, dans un contexte de concurrence. D’où il découle que, en cas de défaillance du marché, et uniquement dans ce cas, il appartient aux autorités publiques de prendre le relais et d’assurer l’intérêt général en réduisant la concurrence. Cela peut alors justifier l’octroi de pouvoirs exorbitants du droit commun (comme les droits exclusifs) en compensation des charges exorbitantes induites par la prestation d’un service d’intérêt économique général.

Le Conseil d’État peine à transposer ce schéma d’analyse. Il conçoit en effet le service public, non pas à partir des idées libérales du marché, mais comme un élément de l’État providence. Le Conseil a donc tendance à se demander d’abord si la mission dévolue à l’entreprise est un service public et, si tel est le cas, de quel type de service public il s’agit, en distinguant aujourd’hui entre service économique d’intérêt public et service public administratif. 

L’acte de dévolution du service est ensuite examiné à l’aune des règles de concurrence, sans que l’article 86-2 TCE soit, en général, invoqué. En cela, le droit français est plus exigeant que le droit communautaire, lequel n’applique le droit de la concurrence qu’aux entreprises, c’est-à-dire aux opérateurs qui exercent une activité économique sur un marché, surface de rencontre entre une offre et une demande.

Le Conseil d’État est paradoxalement plus restrictif que la Cour de justice, quand il transpose cette dernière notion. C’est ce que montre, par exemple, l’arrêt Ordre des avocats au Barreau de Paris, et ce, malgré une formulation laconique. Le conseil juridique délivré par une personne publique chargée d’un service public est considéré comme étant par nature non économique. Le raisonnement du Commissaire du gouvernement est plus explicite. 

Il semble essayer de trouver des limites à la logique de marché, afin d’éviter de réduire l’action des autorités publiques à une intervention exclusivement subsidiaire au marché, plutôt que d’utiliser les faits pour démontrer la nature non économique des activités de conseil de la Mission d’appui à la réalisation des contrats de partenariat. Il conclut ainsi que l’État, en l’espèce, ne fait rien d’autre que remplir une mission qui est la sienne, qui est consubstantielle à l’exercice de la puissance publique.

Le contraste avec des arrêts comme Eurocontrol ou SELEX est frappant. Ces arrêts soulignent que les activités sont non économiques quand leur nature ou leurs modalités d’exercice constituent un faisceau d’indices en faveur d’une activité étrangère à la logique du marché et qui se raccroche à l’exercice de la puissance publique. 

Le Conseil d’État reste plus sensible au critère organique, qu’il fait prévaloir sur le critère matériel ou fonctionnel. Ainsi, ce ne sont pas les caractéristiques de l’activité de conseil juridique qui sont examinées dans l’arrêt Ordre des avocats au Barreau de Paris, mais c’est le fait qu’elle est l’œuvre d’une personne publique en charge d’un service public qui la fait, dès lors, participer à l’exercice de la puissance publique. 

Cette approche tranche avec l’avis du Conseil dans l’affaire Fondation Jean Moulin ou avec les arrêts Commune d’Aix, mais surtout APREI, dans lesquels le Conseil s’appuie sur un faisceau d’indices pour qualifier ou non la mission de service public quand celle-ci ne découle pas de la loi ou de la détention de prérogatives exorbitantes (ou de puissance publique). 

Le Conseil tient compte, certes à côté du critère organique, de la finalité des activités sociales, et définit des critères pour les qualifier d’activités qui relèvent du domaine social (composition de l’organisme en cause, fonctionnement et mode de financement). Cette démarche est proche de celle du droit communautaire de la concurrence

Il reste que dans ces dernières affaires, le Conseil tente davantage d’apprécier le degré d’incorporation à l’administration des activités exercées par une entreprise, critère organique qui n’est jamais déterminant en droit communautaire.

En fait, le Conseil d’État compartimente son raisonnement et il ne transpose la notion de SIEG à proprement dit que quand il applique explicitement l’article 86-2 TCE. Il faut reconnaître que, dans ces quelques cas, son raisonnement est cohérent par rapport au droit communautaire. Ce qui reste plus contestable, c’est que le Conseil d’État est très peu prolixe sur les raisons qui le conduisent à considérer que telle ou telle activité est ou non de nature économique. 

Par exemple dans l’arrêt UNICEM, le Conseil applique l’article 86-2 TCE en déterminant quelle est la nature de l’activité prise en charge par l’entreprise, la mission d’intérêt général qui lui est confiée, pour en déduire ensuite la légalité de l’attribution de droits exclusifs. Il n’utilise pas le faisceau d’indices habituellement pris en compte par le juge communautaire. Ce sont pourtant des indices assez proches de ceux utilisés pour définir les SPIC

Le fait de ne pas les utiliser est un facteur de résistance à l’incorporation de la logique de l’article 86-2 TCE et plus particulièrement à la prise en charge du service public par le marché. Le Conseil d’État reste attaché à l’idée que le service public (au sens strict) doit être assumé par la personne publique ; les règles de concurrence ne sont pas envisageables du fait que le service public est alors présumé non marchand.

Le droit communautaire de la concurrence, et singulièrement le droit des SIEG, est donc importé par le Conseil d’État dans le droit français. Cette incorporation est pourtant superficielle en ce que le Conseil utilise les concepts communautaires pour pérenniser l’application de concepts dégagés dans le contexte singulier du droit administratif français. Bien loin d’ébranler cet édifice patiemment construit, le droit communautaire est l’occasion d’une rationalisation-redéfinition des concepts français voire, mais le mouvement est encore timide, conduit à leur enrichissement. Reste à savoir si cette conclusion vaut pour ce qui concerne les principes d’organisation des services publics. 

  1. L’APPARENTE FACILITÉ À TRANSPOSER LES PRINCIPES D’ORGANISATION DES SIEG EN DROIT ADMINISTRATIF 

La réception des principes d’organisation des SIEG est facilitée par une interpénétration des concepts français et communautaires. Elle garantit une imprégnation progressive des principes traditionnellement appliqués par le juge administratif par les impératifs de concurrence. On peut néanmoins identifier des réticences pour appliquer dans son intégralité l’analyse économique des principes de fonctionnement des services publics. 

  1. L’interpénétration des concepts 

Dans son Rapport public pour 2002 consacré aux collectivités publiques et à la concurrence, le Conseil d’État constatait que le « credo de la concurrence» s’était « propagé comme une onde» dans les activités publiques après le saut conceptuel des décisions Fédération française des sociétés d’assurances et Société Intermarbres et Million et Marais

Pourtant la novation n’était pas radicale ; Didier Casas a montré dans ses conclusions sur la décision Ordre des avocats au Barreau de Paris que les principes juridiques nés du droit communautaire de la concurrence étaient déjà connus du juge administratif sous des approches différentes. Les principes d’égalité, de liberté du commerce et de l’industrie, de spécialité des personnes publiques, mais aussi l’invention des concessions, des régies et des affermages au XIXe siècle, regroupées par la loi Sapin en 1993 dans la catégorie générique de délégations de service public, l’avaient préparé à ces problématiques. 

La filiation qui va de la décision Chambre syndicale du commerce en détail de Nevers à la décision d’assemblée Ordre des avocats au Barreau de Paris, en passant par la décision Société aérienne des recherches minières ou l’avis Jean-Louis Bernard Consultant est évidente.

Le même Rapport public de 2002 mettait aussi en évidence que les concepts du droit français et en particulier celui de service public, avaient, en sens inverse, influencé le droit communautaire. Le service public n’était traité dans les textes européens fondateurs que par voie d’exception au principe de concurrence et sous la forme du service d’intérêt économique général : progressivement le service public s’est installé dans le paysage communautaire, par un double mouvement d’approfondissement – en devenant une obligation positive des États au nom de la cohésion économique et sociale – et d’élargissement, en sortant du domaine économique avec le SIG (Service d’intérêt général) puis le SIGNE (Service d’intérêt général non économique) et enfin les SSIG (Services sociaux d’intérêt général)

Assez logiquement, dès lors que le SIEG n’était plus qu’une catégorie du SIG, le droit communautaire devait distinguer le SIGNE, apparu dans le protocole annexé au Traité de Lisbonne et consacré par la directive « Services»  et le SSIG né en 2004 et qui a pris son essor avec le « paquet Services d’intérêt général» dit Monti et Kroes.

Parti du service public, notion à la fois assez abstraite et globalisante, le juge administratif français y a progressivement introduit les principes du droit de la concurrence. La démarche du juge et des institutions communautaires a été inverse : partis du droit de la concurrence, ils ont progressivement introduit le service public sous forme d’obligations concrètes que les institutions communautaires, en sortant du domaine strictement économique, cherchent et peinent actuellement à théoriser. La notion de service public s’est propagée elle aussi ces dernières années « comme une onde» dans le paysage communautaire. Elle a permis au Conseil d’État d’appliquer sans grande difficulté les règles de concurrence aux modalités de fonctionnement des services publics. 

  1. L’influence des SIEG sur le fonctionnement du service public

Les principes fondamentaux du fonctionnement du service public dégagés par le juge administratif français – égalité, continuité, neutralité, adaptabilité – ont directement inspiré le droit communautaire. Il en est ainsi pour la notion de « service universel», définie en France par la loi sur la réglementation des télécommunications du 26 juillet 1996 comme le « service de base offert à tous dans l’ensemble de la Communauté à des conditions tarifaires abordables et avec un niveau de qualité standard». 

La notion de service universel a, à l’inverse, permis d’approfondir les obligations de service public par des traductions plus concrètes que celles auxquelles conduisent les approches jurisprudentielles traditionnelles. Ainsi, pour le service postal, le service universel définit des obligations extrêmement précises de fourniture minimale à un prix maximal en tout point du territoire ; la notion d’adaptabilité est une notion centrale du droit des télécommunications. Le service universel a un champ plus restreint que le service public : il peut aller cependant plus loin sur certains aspects, notamment celui de l’obligation d’un tarif minimal ou celui de la protection des consommateurs.

L’organisation du financement du service public sur la base de l’arrêt Corbeau (financement du monopole par des activités marchandes destinées à en assurer l’équilibre financier) était par ailleurs familière au juge administratif. Cela l’a conduit à admettre par exemple que le principe de spécialité des établissements publics permettait d’exercer des activités annexes « techniquement et commercialement le complément normal de leur mission statutaire» et, de fait, destinées à financer le service public

On ne s’étonnera pas que dans la décision Communauté de communes Artois Lys, le juge n’ait pas eu besoin de se référer à l’article 86-2 TCE pour admettre qu’une communauté de communes peut créer un service facultatif de réhabilitation des installations d’assainissement autonome en complément à ses services de contrôle d’entretien, en en fixant le tarif en fonction de l’ensemble de ses coûts. L’efficacité du service public rejoint alors l’efficacité économique. 

  1. La persistance d’ambiguïté dans le raisonnement du Conseil d’État : analyse économique ou analyse institutionnelle ? 

L’application du droit communautaire de la concurrence induit pourtant un mode de raisonnement, fondé sur des analyses économiques, assez éloigné de celui du Conseil d’État. Or, ce dernier s’est vite adapté à cette nouvelle donne. Le contrôle de la régularité de l’attribution d’un droit exclusif par l’État révèle par exemple combien le droit des SIEG a pénétré le droit français

Le juge administratif intègre parfaitement le raisonnement communautaire. Il vérifie ainsi que l’objectif d’intérêt général ne peut être atteint que par l’octroi de droits exclusifs (le droit exclusif ne doit pas excéder les limites de ce qui est nécessaire à l’accomplissement de la mission et rester proportionné à ces nécessités), que l’attribution de droits exclusifs ne conduit pas à un abus automatique de position dominante, enfin que les modalités d’attribution du droit exclusif ne méconnaissent pas les règles générales du traité-égalité: transparence et reconnaissance mutuelle.

Le juge administratif n’utilise pourtant pas jusque dans ses détails l’analyse économique du juge communautaire, qu’il laisse volontiers aux compétences du Conseil de la concurrence. Le Conseil d’État préfère des raisonnements plus globaux. Le rapprochement entre la rédaction de l’avis Jean Louis Bernard Consultant et de l’arrêt Altmark définissant les conditions de financement du service public est, à cet égard, éclairant.

Il faut observer, cependant, que l’application des critères communautaires économiques aussi pointilleux conduit à des impasses. Remplir les quatre critères de la jurisprudence Altmark est, de notoriété publique, impossible et la Commission a dû intervenir pour rouvrir un peu ce que la CJCE avait verrouillé

Par ailleurs, malgré de profondes modifications institutionnelles intervenues en France, notamment dans le secteur des opérateurs de réseau de transport, d’énergie, de télécommunications, de nombreux services publics français sont encore en délicatesse avec les analyses de la Commission. La mise aux normes communautaires est l’objet, par exemple, de la réforme actuelle du Centre National pour l’Aménagement des structures des exploitations agricoles, et constitue l’une des questions soulevées par l’avenir de l’Association pour la formation professionnelle des adultes au moment des transferts de compétence aux régions dans le domaine de la formation professionnelle. 

Indépendamment de la tradition juridique française qui fait que le juge administratif est plus porté aux raisonnements globaux que le juge communautaire, on peut se demander s’il n’y a pas aussi une relative sagesse à ne pas appliquer des grilles d’analyse trop détaillées auxquelles ne résisteraient pas certains services publics, et qui ne sont pas nécessairement plus réalistes que des approches économiques détaillées, mais également abstraites.

Lorsque le raisonnement du droit communautaire n’est pas imposé par le moyen soulevé, le juge administratif peut conduire cependant le raisonnement à partir de l’approche institutionnelle, fondée sur les besoins de l’organisation du service public. C’est ainsi qu’a été traitée la question de l’intervention de la Mission d’appui aux partenariats publics privés sur le marché des prestations juridiques aux collectivités locales, analysée non comme une prestation économique, mais comme l’accomplissement par l’État de sa mission d’intérêt général qui est de veiller au respect des règles du droit dans la décision Ordre des avocats au Barreau de Paris. 

C’est aussi l’approche adoptée par le Conseil d’État dans l’avis Fondation Jean Moulin relatif à la gestion de l’action sociale du ministère de l’Intérieur, dans la décision Commune d’Aix-en-Provence sur la gestion des services publics par un organisme crée sous contrôle de la collectivité ou encore dans ses avis sur les nombreux droits exclusifs successivement confiés à la Caisse des dépôts et consignations. À travers l’approche en termes de choix d’organisation du service public, le juge consacre la légitimité de l’approche politique du service public, que les États ont affirmée dans le protocole de Lisbonne.

Le raisonnement communautaire de l’activité économique et des droits exclusifs est, toutefois, désormais intégré par le Conseil d’État dans son rôle de conseiller du gouvernement sur les projets de loi et de décrets qui lui sont soumis, activité moins visible que celle de juge administratif, puisque ces avis sont destinés au seul gouvernement. Il serait, en effet, erroné de se fonder sur la seule lecture des décisions contentieuses pour analyser la contribution du Conseil d’État à l’intégration dans le droit français des concepts communautaires, alors qu’il donne son avis chaque année sur environ un millier de textes législatifs et réglementaires où la place du droit européen est devenue essentielle.

Le mouvement de rapprochement du juge administratif vers la notion communautaire de SIEG n’est donc pas, en conclusion, univoque. La volonté politique des États a pesé sur l’émergence progressive d’un concept européen de service d’intérêt général. Ce faisant, le droit européen a découvert des problématiques connues du juge administratif dans son utilisation de la notion de service public, notamment celles du caractère évolutif de la distinction entre activité économique et non économique, de la confrontation entre normes de concurrence et obligations de service public et de la demande récurrente des opérateurs d’une définition générale du service public au nom de la sécurité juridique, plutôt qu’une politique de cas par cas, à laquelle la Commission demeure attachée.

L’émergence de la nouvelle catégorie des services sociaux d’intérêt général amènera-t-elle le juge français à ressusciter le service public social? C’est dans ce domaine en tout cas que va s’opérer la prochaine confrontation des concepts français et communautaires de service public. Formalisée autour du mandat, la notion de SSIG risque d’avoir sur l’organisation du service public français un impact plus fort que n’a été celui de la réception à peu près achevée du SIEG.

Section III : Hiérarchie des principes à clairement identifier

Des règles communautaires en matière de concurrence existent depuis le Traité de Rome. Ces règles veillent à ce que les marchés communs que les traités ont créés soient des marchés où la concurrence est libre.

La politique de concurrence est liée à la vision initiale de la construction européenne fondée sur la réalisation d’un espace économique intégré, basé sur les principes de l’économie de marché. À cet égard, la politique de concurrence communautaire, qui vise à assurer le fonctionnement concurrentiel du marché intérieur constitue la clé de voûte du système mis en oeuvre depuis le Traité de Rome. Le Traité rappelle dans ses principes que les États membres et la Communauté instaurent une politique économique «conduite conformément au respect du principe d’une économie de marché ouverte où la concurrence est libre».

La concurrence est un mécanisme fondamental de l’économie de marché. La confrontation de l’offre, pour autant qu’elle émane d’opérateurs libres et indépendants les uns des autres, avec la demande dont l’exigence tient dans le meilleur rapport possible entre la qualité et le prix du produit ou service qu’elle recherche, se traduit par la fixation d’un prix de marché optimal. 

L’état de concurrence conduit donc chacun des offreurs à rechercher isolément les moyens d’atteindre ce prix de marché afin de satisfaire au plus près l’exigence de la demande et d’en être en quelque sorte le «champion». Il s’agit pour les entreprises de mettre en oeuvre tout moyen qui permette de réduire les coûts de production ou de distribution et par conséquent de diminuer les prix sur le marché sans que la qualité n’en soit altérée. 

L’état de concurrence conduit aussi les entreprises à développer l’innovation. Des produits et services nouveaux qui permettent de mieux satisfaire la demande intensifient le jeu de la concurrence. Ils sont en effet en mesure d’attirer la demande tout autant qu’un prix bas. Ainsi, la concurrence engage-t-elle les entreprises sur la voie de l’efficience économique.

La politique de concurrence communautaire constitue donc un choix de politique économique fondé sur l’idée que la liberté des offreurs conditionne le niveau d’excellence de la compétitivité de l’économie européenne.

La politique de concurrence communautaire est directement liée à la constitution du marché commun, c’est-à-dire d’un marché où seraient supprimées par étapes toutes les «protections» qui faisaient obstacle aux échanges entre les États membres et qui morcelaient l’économie européenne. La lecture du Rapport de Messine qui devait déboucher sur le Traité de Rome est à cet égard tout à fait intéressante : «Des règles de concurrence sont donc nécessaires pour éviter que des doubles prix aient le même effet que les droits de douane, qu’un dumping mette en danger des productions économiquement saines, que la répartition des marchés se substituent à leur cloisonnement ».

Ainsi, la politique de concurrence a-t-elle été conçue comme un instrument de régulation permettant de s’assurer que les entreprises ne viennent substituer aux entraves étatiques (droits de douane, réglementations nationales, etc.) des obstacles d’effets équivalents (double prix, répartition des marchés). La politique de concurrence se devait donc d’accompagner la réalisation du marché commun, comme elle se doit aujourd’hui de soutenir le parachèvement du marché unique.

La politique de concurrence comporte une dimension sociale trop souvent ignorée. Le commissaire Monti a d’ailleurs souhaité mettre l’accent sur les effets positifs de la politique de concurrence pour les citoyens européens. Il écrivait récemment : «L’action engagée par la Commission européenne dans le cadre de sa politique de concurrence a une incidence directe sur la vie quotidienne des citoyens de l’Union européenne. La baisse du tarif des communications téléphoniques, l’accès du plus grand nombre au transport aérien ou la possibilité d’acheter une automobile dans la Communauté, là où les prix sont les plus attractifs, constituent des résultats tangibles de cette action. D’autres domaines de la politique de concurrence communautaire, peut-être moins visibles, produisent également des effets positifs pour le citoyen de l’Union européenne. Le contrôle des concentrations d’entreprises par exemple garantit la diversité des biens de grande consommation et l’existence de prix bas pour le consommateur final. De même, le contrôle des aides d’État, en contribuant à la cohésion économique et sociale, favorise des emplois viables et durables dans l’ensemble de l’Union. Consommateurs, épargnants, usagers des services publics, salariés ou contribuables, les citoyens de l’Union reçoivent dans les différents aspects de leur vie quotidienne les fruits de la politique de concurrence».

Ce texte souligne comment la politique de concurrence contribue sous ses différents aspects à la réalisation de ce progrès économique et social qui est l’une des raisons d’être de la Communauté européenne. La politique de concurrence a donc une autre finalité que d’épauler la réalisation d’un marché unique. Elle vise aussi à mettre ce marché au service des citoyens.

Paragraphe 1 : Les grands axes de la politique européenne de concurrence

Les grands axes de la politique de concurrence sont au nombre de quatre : la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles (accords restrictifs et abus de position dominante), le contrôle des concentrations, la libéralisation des marchés sous monopole et le contrôle des aides d’État

  1. Sur la question de l’entente et de l’abus de position dominante

  1. Les accords restrictifs de la concurrence au sens de l’article 81 du Traité de Rome

La restriction de la concurrence n’est pas définie de façon exhaustive par le Traité. L’article 81 (1) en cerne les premiers contours ; la pratique décisionnelle de la Commission et la jurisprudence de la Cour de justice ont permis de l’affiner.

  1. De la restriction de la concurrence

Avant tout, selon les termes du Traité, une restriction de concurrence résulte d’une entente (accord, décision ou pratique concertée) entre entreprises. La notion d’«entreprise» est large. Elle vise les grandes entreprises industrielles ou commerciales, publiques ou privées mais aussi les sociétés coopératives, les entreprises artisanales, voire les particuliers. 

En définitive, il s’agit de toute entité qui exerce une activité économique sur un marché. Ces ententes peuvent être conclues entre concurrents sur un même marché (ententes horizontales) ou entre partenaires commerciaux (ententes verticales). L’entente revêt des formes diverses. Il peut s’agir d’un accord, souvent matérialisé par un contrat, d’une décision prise en commun au sein d’une association d’entreprises ou d’une pratique concertée.

L’entente doit être «susceptible d’affecter le commerce entre États membres». Ce critère d’affectation du commerce intracommunautaire, qui trouve sa justification dans les objectifs du Traité, est très important. Il permet d’établir la compétence de la Commission. En effet, en l’absence d’une affectation du commerce entre les États membres, le droit communautaire n’est pas applicable. Bien qu’il soit essentiel, ce critère ne fait pas l’objet d’une définition précise. Il est suffisamment vague pour permettre de couvrir un grand nombre d’ententes. La Cour de justice a elle-même reconnu que l’affectation pouvait n’être que «potentielle». 

Dans un marché intérieur de plus en plus intégré, doté d’une monnaie unique et de plus en plus décloisonné par le commerce électronique, toute entente est peu ou prou «susceptible» d’affecter le commerce entre les États membres. Toutefois, son influence sur les échanges ne doit pas être insignifiante. 

D’où l’idée développée par la jurisprudence qu’une restriction de concurrence devait être «sensible» pour être en mesure d’affecter le commerce intracommunautaire. C’est ce principe qui conduira la Commission à adopter une Communication sur les accords d’importance mineure, en 1986 et 1997 notamment. Eu égard à cette communication, l’article 81 n’est pas applicable à certains accords qui n’affectent le marché commun que de façon insignifiante.

L’entente prohibée doit avoir pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser la concurrence à l’intérieur du marché commun. L’article 81 distingue ainsi deux catégories de restrictions : les restrictions par objet et les restrictions par effet. Les premières sont des restrictions dont l’objet, c’est-à-dire la finalité, est d’entraver le jeu de la concurrence. Ces ententes sont anticoncurrentielles par essence ; il ne sera donc pas nécessaire d’en rechercher l’impact sur le marché. La seconde catégorie concerne les restrictions par effet, c’est-à-dire celles qui ont pour résultat d’affecter le jeu de la concurrence. Ces ententes ont donc sur le marché une incidence tangible que l’on pourra mesurer.

Les ententes restrictives de concurrence sont très variées. Le Traité en donne une liste non exhaustive. Elles consistent notamment à :

«a) fixer de façon directe ou indirecte les prix d’achat ou de vente ou d’autres conditions de transaction,

  1. b) limiter ou contrôler la production, les débouchés, le développement technique ou les investissements,
  2. c) répartir les marchés ou les sources d’approvisionnement,
  3. d) appliquer, à l’égard de partenaires commerciaux, des conditions inégales à des prestations équivalentes en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence,
  4. e) subordonner la conclusion de contrats à l’acceptation, par les partenaires, de prestations supplémentaires qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n’ont pas de lien avec l’objet de ces contrats».

Cette liste permet de saisir des exemples concrets d’ententes anticoncurrentielles. Elle permet aussi de comprendre les principes fondateurs de l’article 81. D’une façon générale, toutes ces pratiques restreignent la liberté d’entreprendre ou plus exactement l’autonomie décisionnelle des entreprises ou des acheteurs. C’est pourquoi la notion d’entente par voie d’accord, de décision ou de pratique concertée est si déterminante. 

Cependant, une autre dimension, plus économique celle-là, est également présente dans cette énumération. Dans tous ces cas de figure en effet, plus que la liberté des entreprises, c’est la liberté du marché qui est en cause. Le libre jeu de la concurrence, comme nous l’avons indiqué plus haut, est un mécanisme de l’économie de marché qui permet de réaliser un équilibre optimal entre l’offre et la demande. Ce que l’article 81 qualifie d’incompatible avec le marché commun, ce sont des phénomènes de rupture de cet équilibre.

Conformément à l’article 81(2), ces accords ou décisions sont interdits et nuls de plein droit.

  1. L’exemption de certaines restrictions de concurrence

Le dernier paragraphe de l’article 81 permet de lever cette interdiction sous certaines conditions. Le Traité reconnaît en effet que certaines ententes restrictives de concurrence peuvent présenter malgré tout un bilan pro-concurrentiel.

L’article 81(3) stipule que l’article 81(1) n’est pas applicable aux accords, décisions ou pratiques concertées qui remplissent les quatre conditions suivantes :

  1. ils «contribuent à améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique,
  2. tout en réservant aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte et sans :
  3. a) imposer aux entreprises intéressées des restrictions qui ne sont pas indispensables pour atteindre ces objectifs,
  4. b) donner à des entreprises la possibilité, pour une partie substantielle des produits en cause, d’éliminer la concurrence».

Ces quatre conditions sont cumulatives.

Les exemptions concernent des accords, décisions ou pratiques mises en oeuvre par quelques entreprises. Elles peuvent aussi concerner un groupe d’entreprises dans un même secteur d’activité (exemple : distribution automobile) ou un type d’accords (exemple : accords de franchise). Dans ce dernier cas, les exemptions sont accordées par la voie d’un règlement d’exemption par catégorie. Récemment, la Commission a procédé à une refonte complète de son corpus de règlements d’exemption par catégorie afin de les simplifier et de mieux prendre en compte les réalités économiques des marchés (sur cette réforme, cf. l’article de J.-F. Pons, infra, p. 11).

  1. L’interdiction des abus de position dominante (article 82)

  1. La notion de position dominante

Détenir une position dominante pour une entreprise, c’est pour l’essentiel détenir la capacité de s’abstraire des contraintes du jeu de la concurrence. Cette position lui donne, comme l’écrit la Cour de justice, «le pouvoir de faire obstacle au maintien d’une concurrence effective sur le marché en cause en lui fournissant la possibilité de comportements indépendants dans une mesure appréciable vis-à-vis de ses concurrents, de ses clients et finalement des consommateurs…». L’affranchissement des contraintes concurrentielles est la caractéristique principale de la situation de domination de marché.

La position dominante va de soi lorsque l’entreprise est en situation de monopole puisqu’elle pourra dicter sa loi au marché. Cependant, une entreprise peut aussi sans détenir un monopole jouir d’une position dominante. La Commission se base sur un certain nombre d’éléments pour conclure à l’existence d’une position dominante. La part de marché de l’entreprise sur le marché en cause, fournit un indicateur précieux mais pas exclusif. En effet, il n’existe pas de seuil de la position dominante, même si une part de marché située entre 40 % et 50 % peut constituer «un seuil d’alerte». 

D’autres critères devront être analysés pour conclure à l’existence d’une position dominante. Il s’agira notamment de l’absence de pouvoir de marché exercé par les concurrents, du caractère stagnant du marché en cause lié par exemple au rôle négligeable de l’innovation, de la dépendance des acheteurs, de l’improbabilité d’une concurrence potentielle, de la présence de hautes barrières à l’entrée sur le marché, etc.

Lorsqu’elle est le fruit de la croissance interne d’une entreprise, la position dominante est en quelque sorte le reflet de sa compétitivité et de son efficacité. Par conséquent, il n’y a pas lieu de poursuivre et de condamner l’excellence. En revanche, l’exploitation abusive de cette position dominante, dans la mesure où elle porte atteinte à la concurrence, est répréhensible. Aucun mécanisme d’exemption n’existe pour de tels comportements.

Enfin, pour tomber sous le coup de l’article 82, la position dominante doit être détenue sur le marché commun ou une «partie substantielle» de celui-ci ; de même, l’abus doit conduire à une affectation du commerce entre les États membres.

  1. L’abus 

L’article 82 du Traité donne une liste non exhaustive des abus de position dominante. Ils peuvent consister notamment à :

«a) imposer de façon directe ou indirecte des prix d’achat ou de vente ou d’autres conditions de transaction non équitables,

  1. b) limiter la production, les débouchés ou le développement technique au préjudice des consommateurs,
  2. c) appliquer à l’égard de partenaires commerciaux des conditions inégales à des prestations équivalentes, en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence,
  3. d) subordonner la conclusion de contrats à l’acceptation, par les partenaires, de prestations supplémentaires qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n’ont pas de lien avec l’objet de ces contrats.»

Les discriminations ou la fixation de prix inéquitables constituent les pratiques abusives les plus courantes.

En matière de discriminations à l’égard des tiers, la palette de situations est très large. Très souvent, les clients sont les premières victimes de ces pratiques discriminatoires qui peuvent toucher les prix, les remises, les conditions de livraison ou toute autre condition commerciale. L’entreprise en position dominante est en mesure de privilégier les clients qui servent au mieux ses intérêts et les persuader de conforter sa position sur le marché, par exemple en contribuant à écarter la concurrence résiduelle ou les nouveaux entrants.

Dans le domaine des prix, sont considérés comme abusifs les prix non équitables, qu’ils soient abusivement élevés (prix excessifs) ou abusivement bas (prix d’éviction, prix prédateurs). L’entreprise en position dominante est en mesure de pratiquer des prix qui ne résultent pas d’un équilibre entre l’offre et la demande mais d’une volonté unilatérale qui se manifeste du côté de l’offre. 

C’est en cela que ces prix sont inéquitables. Ils sont excessifs lorsqu’ils sont disproportionnés par rapport à la valeur économique du produit ou du service. Ils permettent à l’entreprise dominante de réaliser des profits supérieurs à ceux qui résulteraient du jeu de la concurrence, et cela au détriment des autres acteurs du marché. 

Ils sont «abusivement bas» lorsqu’ils sont disproportionnés par rapport aux coûts de l’entreprise en position dominante. En règle générale, ces prix sont inférieurs aux coûts variables de l’entreprise. Ils permettent à cette dernière d’éliminer concurrents et nouveaux entrants qui ne sont pas en mesure de suivre une telle stratégie. Après quoi, la même entreprise pourra pratiquer des prix «abusivement élevés».

  1. La libéralisation 

Le Traité dans son article 86 reconnaît aux États membres le droit d’accorder à certaines entreprises, publiques ou privées, des droits particuliers pour remplir une mission d’intérêt économique général. Ces droits particuliers, notamment de monopole, constituent en général une contrepartie aux charges liées à l’accomplissement de cette mission. La Commission veille toutefois à ce que ces droits ne remettent pas en cause les autres règles du Traité, en particulier celles qui ont trait à la concurrence. 

Cela signifie que les États membres, lorsqu’ils déterminent les conditions dans lesquelles s’exerce une mission d’intérêt général, ne doivent pas aller au-delà de ce qui est nécessaire à la bonne réalisation de cette mission. Cela signifie aussi que les entreprises qui détiennent ces droits spéciaux doivent respecter les règles communautaires de concurrence, pour autant que cela ne fasse pas obstacle à l’accomplissement de la mission qui leur est impartie. Le droit communautaire établit donc un équilibre entre les exigences de l’intérêt public et les principes de la concurrence. 

  1. La question du contrôle des aides de l’Etat

Les aides d’État qui faussent la concurrence à l’intérieur du marché commun sont interdites par le Traité. Les aides publiques à certaines entreprises ou secteurs économiques peuvent en effet entraîner de graves perturbations du jeu de la concurrence au détriment d’autres entreprises ou secteurs qui ne reçoivent aucun soutien de la part des pouvoirs publics. 

Les aides d’État, le plus souvent destinées à soutenir l’activité d’une entreprise, portent préjudice à celles qui n’en reçoivent pas car elles doivent faire des efforts supplémentaires pour maintenir leur compétitivité et dans certains cas, ces dernières peuvent connaître des difficultés. Ces aides portent également préjudice à leur bénéficiaire dans la mesure où elles ne font que retarder des restructurations inévitables. Le contrôle des aides d’État, réalisé à titre exclusif par la Commission européenne, est donc justifié par une série de facteurs économiques et sociaux. 

Cependant, le Traité prévoit d’autoriser les aides d’État pour des objectifs d’intérêt commun tels que, par exemple, le développement des régions moins favorisées, la promotion des P.M.E., de la R.& D. ou de la formation professionnelle. Sont également acceptées les aides qui permettent la remise sur pied d’entreprises temporairement en difficulté et qui, après une aide adéquate et strictement contrôlée, redeviendront des acteurs de prospérité et des pourvoyeurs d’emploi, aptes à participer au marché unique. Enfin, soulignons que le contrôle des aides d’État tend à limiter l’octroi des aides à ce qui est strictement nécessaire et contribue ainsi à une meilleure efficacité de la dépense publique.

L’article 87, paragraphe 1 du Traité C.E. établit le principe de l’interdiction des aides. Il énonce que «sont incompatibles avec le marché commun, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d’État, sous quelque forme que ce soit, qui faussent ou menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions».

Pour qu’une aide tombe sous cette interdiction, tous les éléments de la définition précitée doivent être réunis. À cet égard cependant, il faut noter qu’une aide peut revêtir de nombreuses formes et que l’État peut en octroyer en déboursant des fonds mais également en ne percevant pas des sommes qui lui sont normalement dues.

L’article 87, dans ses paragraphes 2 et 3, prévoit certaines exceptions au principe de l’incompatibilité des aides.

C’est ainsi que le paragraphe 2 déclare compatibles avec le marché commun les aides à caractère social octroyées aux consommateurs individuels et les aides destinées à remédier aux dommages causés par des calamités naturelles.

Quant au paragraphe 3, il prévoit que certaines aides peuvent être considérées comme compatibles avec le marché commun dans certaines conditions. Il s’agit d’aides ayant pour objet de :

  • développer certaines régions particulièrement défavorisées,
  • réaliser un projet important d’intérêt européen commun ou remédier à une perturbation grave de l’économie d’un État membre,
  • faciliter le développement de certaines activités ou de certaines régions,
  • promouvoir la culture et la conservation du patrimoine.

Dans ces deux derniers cas, le Traité impose que les conditions des échanges ne soient pas affectées dans une mesure contraire à l’intérêt commun.

L’article 88 du Traité C.E. organise le contrôle des aides dont l’exercice est confié à la Commission. Celle-ci est chargée d’examiner la compatibilité avec le marché commun des nouvelles aides qui sont projetées par les États membres et que ces derniers doivent lui notifier préalablement. Elle décide ensuite de les autoriser ou non.

La Commission examine également la compatibilité des aides que les États membres ont mis illégalement en oeuvre sans les avoir notifiées ou sans attendre leur autorisation. En cas d’incompatibilité, elle les interdit et, le cas échéant, impose à l’État membre en infraction d’en récupérer le montant. À cet égard, il s’avère utile d’attirer l’attention des bénéficiaires d’aides. Étant donné, en effet, qu’une telle récupération peut être extrêmement dommageable, le bénéficiaire a tout intérêt à s’assurer que l’aide dont il va bénéficier n’est pas entachée d’illégalité et qu’il ne risque donc pas de devoir la rembourser.

Par ailleurs, la Commission est également chargée d’un examen permanent des aides existantes en application dans les différents États membres. Si nécessaire, elle propose à l’État membre concerné certaines modifications à titre de «mesures utiles», c’est-à-dire utiles au rétablissement de la compatibilité avec le marché commun de l’aide en cause.

Paragraphe 2 : Peut-il y avoir abus de position dominante en matière de service public ?

Il serait tentant de se dire que la question pourrait se poser de cette manière : peut-il y avoir abus de position dominante dans l’exercice d’une activité de service d’intérêt économique général ? Un opérateur qu’un droit exclusif ou un monopole place en position dominante sur un marché, qui est chargé d’une mission de service public et sur lequel pèsent des obligations de service public peut-il dans l’exercice de cette mission enfreindre les dispositions de l’article L. 420-2 du Code de commerce ou de l’article 82 du Traité européen ? 

Il serait tentant de se dire que c’est seulement dans ce cadre que la question peut être posée. Mais tel n’est pas le cas, tant la réponse est évidente, lorsque cet opérateur agit non dans le cadre de sa mission de service public mais dans l’exercice normal d’une activité économique, comme on dit en droit européen, d’une activité de production, de distribution ou de service, comme on dit en droit interne français. 

Cette exigence de délimitation ne peut cependant pas être satisfaite et que, à la supposer possible, elle ne devrait pas l’être. 

Il est difficile, comme l’a illustré l’arrêt Port de Gênes de 1991, voire même impossible dans certains secteurs comme les transports ferroviaires, de distinguer ce qui relève des activités commerciales ordinaires et ce qui relève des missions de service public.

L’obligation de définir clairement ces missions est récente. Elle résulte de quelques unes des lois de transposition des directives sectorielles et, surtout, de l’arrêt Altmark. De ce fait on ne peut pas toujours distinguer parmi les abus de position dominante d’opérateurs historiques ceux qui sont commis dans l’exercice de missions de service public et ceux qui ne le sont pas.

Le concept de détachabilité auquel ont volontiers recours les autorités tant administratives que contentieuses pour tracer cette frontière donne lieu à des débats qui illustrent bien à quel point celle-ci est floue et mobile.

De plus, comme la Cour de justice l’a admis dans ses arrêts Corbeau en 1993 et Ambulanz Glöckner en 2001, des services connexes dissociables de ceux qui sont d’intérêt économique général mais qui concourent à la viabilité économique de ces derniers peuvent y être agrégés lors de l’analyse au regard de l’exception prévue à l’article 86, § 2.

De toute façon, quelles que soient les limites de la question, la réponse est la même : elle est clairement affirmative.

Elle est donnée par une abondante jurisprudence dont on peut donner quelques exemples tirés de l’application de l’article 82 :

_ le 17 juillet 1997 la Cour de justice a répondu à une question préjudicielle, dans l’arrêt GT-Link et DSB, que la perception par une entreprise publique propriétaire d’un port de commerce de taxes portuaires qui seraient contraires aux règles de la concurrence ne pourrait pas bénéficier de la dérogation de l’article 86, paragraphe 2 si ces taxes n’étaient pas nécessaires à l’accomplissement par cette entreprise de sa mission particulière ;

_ en 2000, qu’ADP ait à tort ou à raison invoqué ses missions d’intérêt général dans son conflit avec Alpha Flight Services à propos des activités d’assistance en escale, elle abusait de sa position dominante en percevant des redevances discriminatoires ;

_ c’est à l’encontre d’un grand service public que la Commission, dès 2002, avant même que le règlement no 1/2003 l’y autorise, a inauguré le recours à une mesure d’ordre structurel pour sanctionner et éviter la répétition d’un abus de position dominante : elle a contraint Deutsche Post à séparer ses activités de courrier et de colis ;

_ le 21 mai 2003, la Commission a sanctionné un abus de position dominante de Deutsche Telekom pour une pratique de ciseau tarifaire réduisant l’accès à sa boucle locale ;

_ le 16 juillet 2003, elle a sanctionné un abus de position dominante de Wanadoo qui avait eu un comportement prédateur sur les services d’accès à internet par ADSL ;

_ le 27 août 2003, la Commission a enjoint la première entreprise de transports ferroviaires italiens, Ferrovia dello Stato SpA (FS), de cesser d’abuser de sa position dominante en refusant à une entreprise ferroviaire allemande l’accès au marché du transport international de voyageurs par chemin de fer. Les engagements pris par « FS » ont permis de ne pas assortir cette décision de sanctions.

_ le 16 avril 2015, 

Ce ne sont là que quelques exemples auxquels on pourrait ajouter ceux, plus nombreux encore, du droit interne.

La question intéressante n’est donc pas tant de savoir s’il peut y avoir abus de la position dominante résultant d’un monopole légal. Elle est plutôt de savoir si pour les opérateurs détenteurs d’un tel monopole les risques de violer l’article L. 420-2 ou l’article 82 sont ou non plus grands que pour les opérateurs ordinaires et, s’ils le sont, pourquoi.

Ces opérateurs historiques, qui assument des obligations de service public, sont assujettis aux règles de la concurrence dans des conditions plus rigoureuses que leurs concurrents placés dans des conditions normales de marché et sur lesquels ne pèsent pas des obligations de service public.

Ils sont d’autant plus souvent et facilement poursuivis pour abus de position dominante que :

_ la protection de l’article 86, § 2, contre une application de l’article 82 n’est que relative;

_ il existe plusieurs sources juridiques pour fonder des poursuites contre leurs abus et plusieurs régulateurs

_ c’est à propos de leurs pratiques que les autorités de la concurrence ont développé des concepts élargis de l’abus;

_ enfin, ces opérateurs sont astreints, du fait de leur caractère public, à des contraintes particulières de fait ou de droit. 

  1. La protection relative de l’article 86, § 2

Les dispositions de l’article 86, § 2, sont volontiers présentées comme octroyant aux opérateurs de missions particulières d’intérêt économique général un statut privilégié au regard des règles de concurrence.

Certes, ces dispositions paraissent soustraire les titulaires de missions de service public aux contraintes des règles de la concurrence et en particulier de l’article 82 dans la mesure où leur application compromettrait en droit ou en fait l’accomplissement de ces missions.

On retrouve d’ailleurs ce tempérament dans certaines directives sectorielles de démonopolisation : par exemple le refus d’accès au réseau de gaz naturel, qui en soi serait un abus de position dominante, est justifiable si l’accès demandé empêche de remplir une obligation de service public.

En réalité, l’article 86, § 2, n’est pas un bouclier sûr contre le glaive des autorités antitrust.

L’exception du paragraphe 2 ne joue pas inconditionnellement : il faut que le développement des échanges ne soit pas affecté dans une mesure contraire aux intérêts de la Communauté. Ces termes vagues confèrent à la Commission mais aussi aux autorités nationales qui sont compétentes pour appliquer le droit communautaire un large pouvoir d’appréciation pour qualifier d’abus de position dominante des pratiques relevées dans l’exercice d’une mission de service public, alors même que cela en entraverait l’exercice.

Le Tribunal de première instance, notamment dans ses arrêts FFSA et La Poste, et la Cour de justice ont constamment jugé que les dérogations aux règles de la concurrence fondées sur les dispositions du paragraphe 2 de l’article 86 doivent s’entendre de façon restrictive.

Il faut notamment, pour que puisse jouer la dérogation du paragraphe 2, que soient clairement perceptibles par les autorités de contrôle les nécessités d’intérêt général qui peuvent la justifier. La Cour de justice l’a précisé dans ses arrêts BRT de 1974 et Ahmed Saeed de 1989. Or une claire définition par un acte public de ce qui relève des services d’intérêt général fait souvent défaut.

  1. Un cumul de contraintes juridiques

Les contraintes nées de l’article 82 et de l’article 86, § 3, qui donne un fondement aux directives de démonopolisation, sont cumulatives.

Lorsqu’une directive prescrit une obligation, par exemple l’interdiction d’un refus d’accès ou d’octroyer un droit exclusif, il en résulte des conséquences :

_ l’exception de l’article 86, § 2, ne joue plus à l’égard de la pratique en cause ;

_ celle-ci est prohibée à double titre dont une fois « per se », c’est-à-dire en elle-même ;

_ l’auteur de cette pratique peut donc avoir à en répondre aussi devant l’autorité régulatrice sectoriellement spécialisée ;

_ l’autorité de droit commun peut, quant à elle, tirer une circonstance aggravante du fait que la pratique est par ailleurs visée par la réglementation sectorielle.

Les opérateurs de services publics sont donc plus encadrés et surveillés que les opérateurs ordinaires. Ils le sont à la fois par les autorités de droit commun de la concurrence et par le régulateur spécialisé, sans compter les tribunaux.

Ils sont d’autant plus exposés au risque de voir des abus effectivement poursuivis qu’ils sont astreints à des obligations de transparence et de séparation comptable, voire juridique, de leurs différentes activités qui permettent de contrôler des abus tels que des subventions croisées.

De telles contraintes ne s’imposent pas à des groupes privés, fussent-ils dominants, qui, eux, peuvent librement opérer des transferts entre leurs entités bénéficiaires et déficitaires.

III. Des concepts élargis de l’abus

De nouveaux concepts de l’abus ont été développés principalement et, pour certains, spécifiquement à l’encontre de titulaires de missions de service public en position monopolistique ou dominante.

C’est le cas de l’abus handicap au sens sportif du terme. Il y a en droit communautaire comme en droit interne français une régulation asymétrique qui consiste à imposer des handicaps aux positions dominantes, à leur interdire par application de l’article L. 420-2 ou de l’article 82 des pratiques qui sont licites pour des entreprises soumises à une concurrence effective. On observe que cette pratique jurisprudentielle vise principalement les opérateurs historiques qui défendent des positions anciennement monopolistiques fondées par la loi sur l’exercice de missions de service public.

Cette régulation asymétrique au cas par cas a trouvé des prolongements réglementaires dans les transpositions de directives communautaires qui définissent a priori des contraintes spécifiquement applicables aux titulaires de telles missions : par exemple, ne pas refuser l’accès à un réseau non duplicable, séparer la gestion du réseau de celle des activités de transport ou de distribution du gaz, orienter vers les coûts les prix d’un service, ne pas pratiquer de prix excessifs, ne pas lier des prestations, etc. Une directive du dernier paquet télécoms prescrit à l’ART d’imposer des obligations particulières aux opérateurs en position dominante, c’est-à-dire, en pratique, à ceux qui ont des obligations de service universel.

L’abus automatique, concept consacré par les autorités communautaires et françaises de la concurrence, a, lui aussi, été développé essentiellement pour prévenir les abus de position dominante des grands services publics.

Quand le Conseil d’État, comme dans l’arrêt Million et Marais, ou la Cour de justice, comme dans l’arrêt Port de Gênes, déclarent incompatible avec les règles de l’article L. 420-2 ou de l’article 82 un acte administratif qui place un opérateur en situation de pouvoir abuser de sa position dominante, ils fragilisent son acte constitutif avant même qu’ait été constaté un abus, celui-ci étant simplement présumé.

Rien de tel n’existe qui menacerait la position dominante d’une entreprise privée non titulaire d’une mission et d’obligations de service public.

Un troisième concept jurisprudentiel, qui, lui aussi, est propre aux monopoles de service public, est celui du monopole défaillant.

Par deux fois la Cour de justice s’est fondée sur cette doctrine pour contester l’exclusivité accordée par le législateur italien aux agences publiques de placement et de l’emploi.

Il ressort de l’arrêt Job Centre Coop, en 1997, comme de l’arrêt Giovanni Carra, en 2000, que l’exception de l’article 86, § 2 ne peut être invoquée que si la gestion du service public est efficace. S’il est mal géré ou mal assuré, le droit de la concurrence rétablit toutes les contraintes d’un marché.

Imagine-t-on que des entreprises privées en position dominante mais non titulaires d’obligations de service public puissent être ainsi menacées d’une application de l’article 82 pour défaut de bonne gestion ou de compétitivité ?

  1. Un statut public pénalisant

Les entreprises publiques chargées d’une mission de service public sont astreintes, du fait de ce statut public, à des contraintes particulières de fait ou de droit.

D’un point de vue optique, les personnes publiques sont spécialement montrées du doigt dès la 2e ligne de la loi française, à l’article L. 410-1 du Code de commerce.

De facto, les entreprises publiques et, plus encore, les établissements publics sont en France si dépendants de l’État qu’ils en sont parfois les lampistes lorsque c’est lui qui prend des mesures restrictives de la concurrence. À titre d’exemple, c’est ADP qui a porté le chapeau lorsque l’État lui a demandé de faire la part belle à Air France à Orly, il y a quelques années.

Dans le contexte de la privatisation il arrive que des opérateurs historiques soient exposés à des griefs d’abus par une stratégie gouvernementale de parure de la mariée.

En droit communautaire aussi le statut public est pénalisant. Le principe de neutralité de la propriété _ publique ou privée _ des entreprises, posé par l’article 295 du Traité, est volontiers perdu de vue. Les institutions communautaires dissimulent mal, derrière d’autres principes, tels que celui de proportionnalité, une préférence pour l’entreprise privée dans l’application qu’elles font des règles de concurrence. Cela a été manifeste, par exemple, à l’occasion de la décision sur la compatibilité de l’aide qui a sauvé Air France il y a quelques années et dans plusieurs cas plus récents, s’agissant d’EDF.

Ce qui est le plus pénalisant pour les opérateurs historiques publics c’est que certains de leurs abus peuvent être appréhendés non seulement par application de l’article 82 mais aussi par celle de l’article 87, relatif au contrôle des aides.

On l’a vu, par exemple, en 2001 et 2002 dans les décisions successives concernant Deutsche Post.

En 2001 la Commission a tiré d’une violation de l’article 82 la conséquence que Deutsche Post devait s’engager à séparer son activité de colis de son activité de courrier. En juin 2002 elle a contraint Deutsche Post, pour les mêmes raisons mais cette fois au titre des aides incompatibles, à rembourser 572 millions d’euros à l’État allemand.

Comme l’illustre la décision prise par la Commission au début de février 2004 pour déclarer incompatibles certaines des aides de l’aéroport de Charleroi à Ryanair, les aéroports régionaux de statut public subissent un handicap dans leur concurrence avec les aéroports privés du seul fait de ce statut public et des contraintes qui en résultent pour l’application des articles 87 et suivants du Traité.

On retrouve ici, pour l’application de l’article 87, une contrainte qui dans l’application de l’article 82, avec la doctrine du monopole défaillant, pèse spécifiquement sur les titulaires d’obligations de service public : la quatrième des conditions posées par l’arrêt Altmark expose les entreprises chargées d’un service public à des poursuites du fait qu’elles seraient moins efficaces qu’une entreprise standard bien gérée.

De plus, dans cette décision la Commission a estimé certaines aides compatibles mais à un certain nombre de conditions dont leur caractère non cumulable avec des compensations de service public. On pourrait comprendre qu’il soit exclu de cumuler une aide compatible au titre de l’article 87, § 3 et une aide surcompensatoire des surcoûts liés à une obligation de service public. En revanche, dans la mesure où la compensation est strictement proportionnée aux surcoûts liés à des obligations de service public, cette condition de non-cumul s’analyse en une restriction additionnelle et injustifiée aux principes posés par l’arrêt Altmark.

Un autre facteur de risque au regard du contrôle des abus, qui est propre aux opérateurs publics chargés de missions de service public, est l’obligation de mise en concurrence des fournisseurs comme des délégataires, obligation que leur imposent non seulement le Code des marchés mais aussi les règles relatives aux aides telles que la Cour de justice les a interprétées, notamment dans ses arrêts Telaustria et Altmark.

Conclusion générale : 

On connaît depuis déjà longtemps l’étroitesse des liens qui unissent la fiscalité et les politiques sociales. Ainsi la fiscalité de la famille est-elle fondée sur le principe d’une nécessaire prise en compte, dans l’établissement de l’impôt sur le revenu, des charges, des dépenses liées à la famille et notamment celles liées à la présence d’enfants. En ce qui concerne la vieillesse le rapport est beaucoup moins clairement affirmé.

Pourtant, la vieillesse est une réalité inévitable, pour chacun d’entre nous, mais aussi pour notre société qui vieillit. Et même si aujourd’hui on vit plus longtemps et en meilleure santé, le vieillissement reste aussi une inquiétude, voire une angoisse de nos contemporains. La vieillesse est donc incontestablement et dans bien des cas une charge, un poids économique et social qui pèse d’abord sur les personnes âgées elles-mêmes, en raison d’une santé plus fragile, d’une autonomie plus réduite, donc d’un état de dépendance croissante, de ressources amoindries. La charge de la vieillesse qui pèse sur les personnes âgées est celle d’une triple dépendance : à la fois physiologique, économique et sociale. 

D’où la nécessité d’une fiscalité équitable pour la vieillesse. Et qui s’est matérialisée par la mise en place d’aménagements relatifs à la fiscalité des revenus des personnes âgées. Nous avons déjà vu que la vieillesse n’est pas, en tant que telle, un facteur de détermination de la capacité contributive. Si la charge de famille l’est au titre du quotient familial, la charge de l’âge ne l’est pas. En réalité la mise en œuvre de mécanismes d’équité à l’égard de la vieillesse ne se fait pratiquement que de manière ponctuelle et marginale. Ils ne concernent que les seuls contribuables pauvres, modestes ou/et invalides, non la vieillesse en général.

Un seul dispositif général est en vigueur : l’abattement général de 10 % sur les pensions de retraite calqué sur les 10 % accordés aux salariés pour frais professionnels. Il faut bien avouer qu’il n’a guère de justifications, en raison du fait que cette partie de la population n’a plus de liens avec l’activité professionnelle, alors que son coût avoisine les 3 milliards d’euros. Nonobstant ce cas particulier, on relèvera deux mesures significatives : l’abattement de l’article 157 bis du CGI, et l’aménagement ponctuel et ambigu du quotient familial.

Si le régime d’impôt sur le revenu ne met en œuvre que des mesures ponctuelles concernant l’assiette imposable, des dispositions dérogatoires plus générales sont prévues en ce qui concerne la CSG.

Ainsi la CSG s’applique sur les pensions de retraite à un taux inférieur à celui applicable aux revenus d’activité : 6,6 % depuis le 1er janvier 2005. En revanche, l’article 20 de la LFSS pour 2011 abaisse de 5 à 3 % le taux de la déduction forfaitaire pour les revenus perçus à compter du 1er janvier 2005. De plus, les personnes bénéficiant d’un avantage de vieillesse ou d’invalidité attribué sous condition de ressources ou dont le revenu fiscal de référence est inférieur à un certain seuil sont exonérées de CSG et de CRDS. Dans le cas contraire, elles peuvent bénéficier d’un taux réduit de CSG de 3,8 % (totalement déductible du revenu imposable) si l’impôt dû au titre de l’année précédente est inférieur à 61 euros (CSS, art. L 136-8, III). Ajoutons que certaines prestations ne sont pas soumises à la CSG ni à la CRDS : il en est ainsi de la rente viagère d’invalidité, de l’allocation temporaire d’invalidité, de la majoration pour l’assistance d’une tierce personne.

Des mesures qui ont également profité aux EHPAD qui bénéficient par la même occasion de plusieurs exonérations notamment sur les taxes d’habitation, la taxe foncière et bien évidemment la TVA.

Des largesses qui ont évidemment provoqué une distorsion de la concurrence avec les établissements privés et cela malgré des réformes intéressantes comme l’uniformisation de la TVA par exemple.

Rappelons que L’hôpital privé rend deux catégories de services aux usagers :

– un service principal : les soigner avec un matériel et des médecins ou autres membres de la profession médicale ;

– un service accessoire : les héberger et les nourrir, mais aussi (ce qui fait partie du traitement médical ?) leur offrir des distractions (télévision, livres) ou héberger leurs proches.

Ces deux services doivent-ils être assujettis à la TVA lorsqu’ils sont rémunérés (ce qui est toujours le cas) ? Le droit fiscal français a connu sur ce point une évolution en trois étapes :

– de 1954 à 1977, la TVA ne frappait obligatoirement que les « affaires relevant d’une activité industrielle ou commerciale » : c’était le cas des services accessoires rendus par les EHPr., mais non des prestations médicales ou para-médicales. Ces dernières relevaient d’une activité non commerciale, donc non passible de TVAsauf option du médecin pour la TVA ;

– la loi du 29 décembre 1978 a étendu la TVA à toute activité économique (y compris donc les activités libérales) pour se conformer à la 6e directive CEE du 17 mai 1977. Mais de multiples exceptions obligatoires pour les Etats membres étaient prévues par la 6e directive article 13-A-1 parmi lesquelles figurent b) l’hospitalisation et les soins médicaux… ou c) les prestations et soins à la personne. La loi n° 78-1240 du 29 décembre 1978 articles 31 et 49 (codifiés à l’art. 261-4-1°) exonère donc, sans possibilité d’option, « les soins dispensés aux personnes par les membres des professions médicales et paramédicales… » ; son article 24 (codifié à l’art. 256 B c. gén. imp.) met hors du champ de la TVA les hôpitaux publics (« personnes morales de droit public pour l’activité de leurs services sociaux ») ; aucun texte exprès ne règle la situation des EHPr. à but lucratif, qui peuvent cependant bénéficier d’une exonération partielle de TVAà condition de ventiler leurs recettes entre opérations passibles de TVA (nourriture et logement) et opérations exonérées de TVA (soins) conformément à l’article 286-3° du code général des impôts. Quant aux organismes à but non lucratif, ils sont exonérés de façon intégrale à condition de remplir des conditions variables.

– la loi du 30 décembre 1987 article 19-II (codifié à l’art. 256-4-1° bis c. gén. imp.) exonère enfin de la TVA « les frais d’hospitalisation et de traitement dans les établissements mentionnés à l’article 31 de la loi du 31 décembre 1970 ». Cette réforme a eu pour objectif à la fois de mettre le droit fiscal français en harmonie avec la 6e directive, et d’uniformiser la situation des établissements du secteur privé, qu’ils soient ou non à but lucratif.

Pour corriger cette distorsion de la concurrence, le secteur de la santé public en général et celui de la prise en charge des personnes âgées en particulier, s’est peu à peu vu appliqué le droit de la concurrence.

Le secteur de la santé est en général caractérisé par un niveau particulièrement élevé de régulation imposée tant par les pouvoirs publics que par les instances ordinales et les organisations professionnelles concernées. Une autre caractéristique importante est que, en général, le consommateur n’est pas incité à acheter les produits et prestations de santé au meilleur rapport qualité/prix. En effet, il n’est pas qualifié pour choisir le traitement de plus adapté à sa maladie. Par ailleurs, le prix n’est pas toujours un critère de choix pour lui. Le secteur de la santé est en outre soumis à de fortes barrières à l’entrée et la pression concurrentielle entre les entreprises est en général faible.

La nature de la concurrence au sein du secteur de la santé diffère donc de celle des autres secteurs de l’économie. De là à conclure que le droit de la concurrence ne lui est pas applicable, il n’y a qu’un pas qui était aisément franchi il y a à peine une trentaine d’années. Aujourd’hui, cependant, la plupart des membres de l’OCDE appliquent le droit de la concurrence à ce secteur, quitte à l’adapter pour tenir compte des spécificités. Tel est le cas de la Communauté européenne et de ses États membres.

Comme le rappelle souvent la Commission européenne dans ses contributions à l’OCDE sur l’application du droit de la concurrence au secteur de la santé, l’article 152 CE prévoit qu’« un niveau élevé de protection de la santé humaine est assuré dans la définition et la mise en œuvre de toutes les politiques et actions de l’Union », et que « l’action de l’Union est menée dans le respect des responsabilités des États membres en ce qui concerne la définition de leur politique de santé, ainsi que l’organisation et la fourniture de services de santé et de soins médicaux ». La responsabilité principale relève donc du niveau national.

Éléments de droit communautaire. Les activités des personnes publiques peuvent être appréhendées sous l’angle du droit de la concurrence. Les interventions étatiques peuvent par exemple tomber sous le coup du droit applicable aux aides d’État (v. infra). Elles peuvent également être appréhendées sous l’angle des règles relatives aux ententes et abus de position dominante. 

Ainsi, une loi nationale peut tomber sous le coup des articles 81 et 82 du Traité CE, qui, lus en combinaison avec l’article 10 CE qui instaure un devoir de coopération, imposent aux États membres de ne pas prendre ou maintenir en vigueur des mesures, même de nature législative ou réglementaire, susceptibles d’éliminer l’effet utile des règles de concurrence applicables aux entreprises

Saisie à titre préjudiciel, la Cour de justice a cependant estimé que la législation belge interdisant à des prestataires de soins dentaires, dans le cadre d’une profession libérale ou d’un cabinet dentaire, de se livrer à quelque publicité que ce soit dans le domaine des soins dentaires ne tombait pas sous le coup de ces dispositions en l’absence d’éléments de nature à démontrer qu’elle favorisait, renforçait ou codifiait une entente ou une décision d’entreprises. Il n’apparaissait pas non plus que la loi en cause ait été privée de son caractère étatique en ce que l’État membre en question aurait délégué à des opérateurs privés la responsabilité de prendre des décisions d’intervention d’intérêt économique.

S’agissant du droit interne, toutes les activités soumises au droit de la concurrence ne relèvent pas forcément de la compétence de l’Autorité de la concurrence. Le partage de compétences avec les juridictions administratives a été opéré par le Tribunal des conflits : « Si dans la mesure où elles effectuent des activités de production, de distribution ou de services les personnes publiques peuvent être sanctionnées par le Conseil de la concurrence agissant sous le contrôle de l’autorité judiciaire, les décisions par lesquelles ces personnes assurent la mission de service public qui leur incombe au moyen de prérogatives de puissance publique, relèvent de la compétence de la juridiction administrative pour en apprécier la légalité et, le cas échéant, pour statuer sur la mise en jeu de la responsabilité encourue par ces personnes publiques »

Cette jurisprudence a été appliquée dans l’affaire des produits radio pharmaceutiques. Le Conseil, saisi d’un contrat de bail entre une chambre de commerce et d’industrie et la société Cis Bio International, filiale du groupe Schering, s’est estimé compétent pour examiner et qualifier la prestation de service que constitue la location d’un bâtiment, après avoir retenu que le bail ne contenait aucune clause exorbitante du droit commun et ne faisait usage d’aucune prérogative de puissance publique, et que le bâtiment en cause, n’étant affecté ni à un service public, ni à l’usage direct du public, appartenait au domaine privé de la chambre de commerce

Le Conseil a également jugé qu’il était compétent pour examiner l’activité des caisses primaires d’assurance maladie consistant à mettre à la disposition d’assurés sociaux des appareils médicaux. Il s’agit selon lui d’une activité de service, les caisses intervenant sur les marchés de la distribution d’aides techniques destinées aux personnes handicapées et de la distribution de matériels permettant le maintien à domicile des maladies. Par ailleurs, à supposer qu’elle entre dans le cadre de la mission de service public qui leur est confiée, cette activité n’est pas exercée au moyen de prérogatives de puissance publique.

Les juridictions administratives sont par ailleurs exclusivement compétentes pour apprécier la légalité des actes administratifs. Ainsi, des conventions conclues entre les syndicats de médecins et les caisses d’assurance maladie, dès lors que leur entrée en vigueur est subordonnée à l’approbation de l’autorité ministérielle, et que cette approbation confère un caractère réglementaire à leurs stipulations, relèvent de la compétence du juge administratif.

Table des matières

Introduction 1

  1. Les règles classiques d’imposition des établissements publics de santé 2
  2. Nature juridique des établissements publics de santé 2
  3. Etablissement public et la personnalité morale de droit public 2
  4. Nature de la personnalité morale 3
  5. Entre fondation et corporation 3
  6. Caractères de la personnalité morale 6

iii. Personne morale de droit public 7

  1. Activité des établissements publics de santé 8

1- Le service hospitalier 8

  1. La dépendance en France 9
  2. Un Financement complexe et problématique 11
  3. Un financement complexe 11
  4. Des circuits financiers complexes 11
  5. Une interdépendance des acteurs 12
  6. Un financement problématique 14
  7. Un financement à optimiser et à réinventer 15
  8. Un financement à optimiser 15
  9. Un financement à réinventer 17

Partie I : L’illusion d’un schéma fiscal établit pour durer 20

Chapitre I : Le schéma fiscal classique de l’EPS 21

Section 1 : L’EPS et la soumission à la taxe sur les salaires 22

  1. Les personnes soumises à la taxe sur les salaires 22
  2. Les règles de territorialités 26
  1. Le régime général 34
  2. Rémunérations imposable 35
  3. Autres rémunérations imposables 36
  4. Le cas particulier de notre champ d’étude 39
  5. Rémunération des mandataires sociaux 39
  6. La rémunération versées aux dirigeants jusqu’au 31 décembre 2012 40
  7. La position actuelle 40
  8. Application aux primes pour les Centres Hospitaliers 43
  9. Salariés entrés et sortis – Régularisation annuelle 43
  10. Application du ratio cantine dans les CH 44

Section II : Assujettissement à la tva et à l’IS des activités subsidiaires 45

  1. La TVA et les prestations de soin 48
  2. La TVA et les activités subsidiaires 53

Section III : Travaux et constructions : Loi Dalo, PLS, Fctva, BEH 57

  1. Des Fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée 57
  2. Le FCTVA et les EHPAD 58

Chapitre II : la concurrence en matière de santé publique 62

Section I : Fondement et champ d’application de la concurrence : Exemples concrets 64

  1. Service public, établissement public et droit de la concurrence 64
  2. Service public 65
  3. L’intérêt général au cœur du service public 65
  4. L’identification objective des besoins d’intérêt général et l’incidence sur le droit de la concurrence 65
  5. L’identification subjective de l’intérêt général 66

iii. Service public, intérêt général et logique économique 68

  1. Quelques spécificités dans le droit de l’Union Européenne 70
  2. Service public et service d’intérêt général 73
  3. Émergence des services sociaux d’intérêt général 75

iii. Services d’intérêt économique général 78

  1. De l’applicabilité du droit de la concurrence 79
  2. Une applicabilité prévue expressément dans le droit de l’Union européenne 80
  3. L’applicabilité du droit français de la concurrence et les services publics 83
  4. Le principe de la liberté du commerce et de l’industrie, limite à la création des services publics notamment au niveau local 84
  5. La soumission aux règles de la concurrence des activités de production, de distribution et de service des personnes publiques 86

iii. Le renforcement des règles de concurrence par l’encadrement des conventions de délégation de service public 88

  1. L’introduction de l’ordonnance du 1er déc. 1986 dans le bloc de légalité des actes administratifs 89
  2. Etablissements publics de santé et concurrence 91
  3. La reconnaissance progressive du caractère économique de l’activité des établissements publics de santé 92
  4. La définition progressive des conditions d’application du droit de la concurrence aux hôpitaux publics 94
  1. Sur le financement 97
  2. Les questions de procédure 103

Section II : Le principe d’égalité de traitement 105

  1. De l’égalité des traitements 105
  2. Avantages concurrentiels et qualité de personne publique 105
  3. Application aux établissements publics de santé et aux EHPAD 108
  4. La situation avant la réforme 109
  5. Avec la réforme 114
  6. La notion de services d’intérêt économique général et l’égalité de traitement 119

Section III : Conséquences fiscales avec des impacts chiffrés d’exemples concrets 126

Partie II : Une doctrine fiscale créatrice de droit dans un environnement flou 127

Chapitre I : Les réponses hétérogènes de l’administration fiscale 128

Section I : Distinction entre les notions de lucrativité et d’activité économique 132

  1. Apparition de la notion 136
  2. Une limite générale à l’application des libertés économiques aux interventions publiques 136
  3. Une limite spéciale à l’application du droit des contrats publics 136
  4. Développement de la notion 136
  1. La jurisprudence initiale du Conseil d’Etat concernant l’assujettissement des personnes publiques et des personnes morales de droit privé 137
  2. L’interprétation originelle du concept de lucrativité en tant que critère légal d’assujettissement 140
  3. L’extension de l’analyse concurrentielle en matière d’impôt sur les sociétés et de taxe professionnelle des associations 148
  4. L’extension du raisonnement concurrentiel aux impôts commerciaux frappant les personnes publiques 150

Table des matières 155

Mémoire de fin d’études de 71 pages.

24.90

Retour en haut