Mémoire portant sur la médiation.
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- Introduction aux médiations: historique et définitions
- Médiation et symbolisation
- Médiation et acte symbolique(*à résumer le texte 1 feuille)
- Les fonctions médiatrices de l’objet médium: du jeu aux enjeux (à aborder : objet médiateur, objet de relation, objet de transformation)
Selon Vacheret et al. (2002), « Les médiations ou thérapies médiatisées désignent l’ensemble des pratiques qui prennent appui sur la créativité pour mener à bien les processus de soin.
Ces pratiques sont le plus souvent mise en œuvre dans le cadre du groupe. »La médiation est un processus dans la thérapie de groupe, elle crée et provoque l’art par le biais de la créativité. La médiation se sert donc de la créativité pour créer de l’art dans une visée thérapeutique. La médiation engage plusieurs facteurs, à savoir le patient nécessitant des soins psychanalytiques, un cadre sécure et contenant comme lieu de déroulement de la thérapie, des praticiens, et l’objet médium regroupé en plusieurs catégories : objet médiateur, objet de relation et objet de transformation. Elle peut être utilisée pour traiter les pathologies des enfants comme des adultes.
Selon Souligoux, l’objet médiateur est le support de la médiation et représente :
- soit un objet concret (jouer, pâte à modeler, instrument de musique, jeux divers, petits jouets, papier et crayon etc.)
- soit le jeu dramatique utilisé spontanément par les enfants ou sollicité prudemment comme pourvoyeur de représentations par l’animateur ou le thérapeute. (….)
- soit un objet culturel (peinture, écoute musicale).
L’objet médiateur est donc un intermédiaire, un support, un objet concret ou abstrait utilisé par le groupe ou par chaque individu pour distinguer le soi et l’autre. Edith Lecourt (1995) affirme que son rôle est de faciliter la communication ou la projection. Dans ce contexte, l’objet médiateur est un intermédiaire et un symbole de la symbolisation elle-même puisqu’il s’agit d’un processus permettant au patient de réveiller l’Autre enfoui en lui et de le comparer avec lui-même ou de le mettre en situation dans la réalité. Vacheret et Duez (2004) considèrent l’objet médiateur comme étant un régulateur du pulsionnel des patients, il s’agit donc d’un objet pacificateur dont la présence est indispensable, voire même obligatoire dans la médiation, surtout lorsqu’on traite de graves cas pathologiques en groupe.
La symbolisation est la plus grande finalité de l’objet médiateur. En effet, celui-ci sert d’intermédiaire entre l’état actuel du patient et son état futur ou la symbolisation. Anne Brun (2007) explique cependant que l’objet médiateur n’est pas une thérapie en soi, mais juste un intermédiaire. De ce fait, il ne permet pas de soigner le patient de ses troubles psychanalytiques puisqu’il n’est pourvu qu’aucune vertu thérapeutique concrète.
L’objet médiateur permet donc au patient de prendre conscience de ses troubles, il est l’âme de la médiation qui doit passer par lui pour atteindre le sujet à soigner. Bernard Chouvier (2003) affirme qu’il développe et aiguise l’expressivité et favorise la créativité des patients. L’objet médiateur dans le cadre de notre mémoire, pour les 4 patients que nous présenterons plus bas, est la création et le dessin. L’objet médiateur peut prendre plusieurs formes, suivant le patient. Deux formes d’objet médiateur sont très répandues : l’objet de relation et l’objet de transformation.
Le terme « objet de relation » est une expression inventée par Marcel Thaon, Christian Guérin et Guy Gimenez en 1985. Il s’agit d’un objet extérieur qui, comme Gimenez l’affirme, est créé ou trouvé par le patient. Cet objet est donc créé par un patient mais peut être utilisé par deux voire même plusieurs sujets à la fois. Il a une vertu relationnelle, c’est-à-dire qu’il favorise le travail d’élaboration et la collaboration entre deux patients. Il permet de réguler l’émotionnel et le relationnel chez ces derniers.
Thaon (1988, p. 15) affirme que l’usage de l’objet de relation revient au thérapeute et au patient. Ces deux acteurs se partagent donc cet objet qui crée une relation entre eux. Sa découverte, comme le souligne Gimenez qui a mené une étude approfondie sur le sujet, se fait par hasard, dans l’étonnement. Elle se manifeste après que le patient ait trouvé l’Autre, l’objet de relation étant une opposition à l’objet transitionnel qui n’est pas partageable et reste privé.
L’objet de relation a la capacité de permettre à deux ou plusieurs patients d’extérioriser leurs maux à travers un objet concret. Cet objet devient ensuite le dépositaire de leurs troubles et des choses qui les affectent. En d’autres termes, l’objet de relation permet la focalisation et le dépôt des troubles sur un objet concret pour pouvoir passer outre et affermir ou créer le relationnel avec autrui.
Bollas (1989) introduit la notion d’objet de transformation ou objet transformationnel. Il s’agit d’un objet permettant au patient de changer, de passer d’un état à un autre. Dans ce contexte, l’objet qui peut être concret ou non, conduit directement au changement, comme la création et le dessin dans le cas des patients que nous étudions dans ce travail.
En résumé, l’objet de médiation permet à un patient d’atteindre le but de la médiation. En tant qu’intermédiaire, il permet au thérapeute d’introduire et d’assouvir la thérapie. Le patient s’en sert pour exprimer ses maux et pour passer d’un état pulsionnel à un état de changement.
PARTIE 3 : ASPECTS CLINIQUE DE LA RECHERCHE
- Résumé et systématisation des discours et histoires cliniques de 4 patients
PARTIE 2 : problématique et méthodologies de la recherche
INCURSION AU SEIN DES MEDIATIONS INSTITUTIONNELLES DANS LA CLINIQUE DE L’ALCOOLISME : CADRES DE RECHERCHE.
- Résumé et systématisation des discours et histoires cliniques de 4 patients
Pour effectuer ce mémoire, j’ai pris comme sujets d’étude quatre patients dans la Clinique du Golfe dans laquelle j’ai fait mon stage. Ces patients, suivis via des séances d’art-thérapie, d’ergothérapie et de musicothérapie, ont chacun leur propre histoire, leur propre vision de leur cas et leur propre extériorisation de leur dépendance à travers l’art-thérapie. Leur point commun réside dans le vécu d’un traumatisme qui les a marqués et dans la tentative de noyer leur problème dans l’alcool.
Prenons le cas de Mr Pyr, un père de famille âgé de 55 ans, admis à la clinique pour cause de dépendance à l’alcool. Il a été admis à trois reprises au sein de la clinique : une première fois en 2006, une seconde fois en 2008 et une troisième fois en 2012. Abstinent durant quatre ans et resté simple buveur occasionnel lors de fêtes, Mr Pyr a replongé dans l’alcoolisme en 2012 tout en faisant une crise d’épilepsie et de dépression. Les causes de sa rechute sont d’ordre émotionnel, la peur étant sa motivation, une peur accentuée par des hallucinations et qui se sont mues en dépression.
Pour résumer le cas de ce patient, nous pouvons conclure, suivant nos observations et le suivi exercé sur lui durant sa thérapie, qu’il est poursuivi par un traumatisme depuis son enfance et qu’il a été particulièrement marqué par l’absence de son père. Pour ce patient, l’alcool est un moyen d’évasion lui permettant de fuir et d’oublier ses problèmes familiaux et professionnels. En suivant son histoire, nous nous sommes aperçus que sa force provient du soutien de sa famille qu’il chérit malgré sa dépendance et ses troubles vis-à-vis de son expérience peu fructueuse de père, ayant toujours vécu sans figure paternelle sur laquelle il pouvait prendre exemple.
La première séance de Mr Pyr à l’atelier d’art-thérapie révèle un comportement incertain de sa part. L’atelier de dessin suscite de l’intérêt et du zèle chez lui, mais sans conformité aux règles instituées. Il présente des symptômes de dépression, de persécution et de décompensation délirante qu’il manifeste envers les autres patients et envers l’atelier lui-même.
Lors de la seconde séance, Mr Pyr n’éprouve toujours pas le besoin de respecter les règles instituées en ergothérapie et dessine un cercle rempli de couleur grise sous forme de brouillon. Son état amène à croire en une certaine schizophrénie avec défense obsessionnelle.
Lorsqu’il doit s’exprimer sur son dessin et en livrer la représentation, il semble confus et sans réel avis, associant ce dessin à celui qu’il a réalisé lors de sa première hospitalisation et qu’il tente désespérément de retrouver. De par son attitude, nous avons remarqué plus de contenance et de maîtrise de soi durant les séances d’ergothérapie, la peinture étant pour lui un moyen de s’exprimer et d’extérioriser une autre personnalité en lui.
Au final, il a réussi à concilier une nouvelle relation avec lui-même au fil des séances d’art thérapie et d’ergothérapie auxquelles il participe activement et qui le rendent mois frustré. Nous avons remarqué une évolution dans sa situation à travers la peinture, avec des dessins plus structurés et l’usage de matériels, de sorte à ce que le travail réalisé soit moins brut et bâclé et plus esthétique et expressif.
A la quatrième séance, ses dessins prennent plus de forme et les séances d’ergothérapie le tranquillisent. Il devient plus rationnel et posé, réfléchissant davantage à sa vie. A la cinquième séance, il commence à converser normalement bien que ses illustrations restent toujours fantaisistes et hallucinatoires. La dernière séance d’ergothérapie a révélé un Mr Pyr plus en accord avec lui-même et capable d’exprimer clairement le sens qu’il donne à ses œuvres. Il fait le lien entre ses peintures et l’absence de son père ainsi que sa peur de l’autre.
Nous voyons alors que l’art a révélé une autre personnalité du patient et lui a redonné une autre motivation. Captivé par ses créations, ce dernier semble avoir trouvé un autre sens à sa vie à travers l’ergothérapie et s’est ressaisi, que ce soit au niveau de l’apparence physique, ou au niveau de ses dessins qui se sont améliorés et ont atteint un certain niveau de maturité. En d’autres termes, le patient a changé extérieurement, bien que sa fragilité émotionnelle soit toujours perceptible, et se penche davantage sur son futur, grâce à la peinture.
Le second cas à résumer ici est celui de Mr Guis, un chômeur divorcé et père d’une fillette de huit ans. Son admission à la clinique du Golfe de Cogolin résulte d’un incendie, cependant, il a déjà connu un séjour à la Clinique des Bois Saint Joseph de la Crau en 2013 pour une décompensation psychotique dysthymique. Ce patient consomme régulièrement de l’alcool et est atteint de dépression. D’autres pathologies antérieures telles que l’hépatite A, l’hébéphrénie qui lui a valu un suivi psychiatrique en 2009 et la décompensation qui lui a valu trois séjours psychiatriques font de ce patient un sujet instable et fragile intérieurement mais posé extérieurement.
Tout comme Mr Pyr, Mr Guis a vécu un traumatisme depuis son enfance : l’abandon et le transfert de famille d’accueil à famille d’accueil. Il est également effrayé par l’« Autre » et tente d’être un bon père pour sa fille, malgré une enfance sans réelle figure paternelle. La première séance d’art-thérapie à laquelle le sujet assiste est une séance d’improvisation durant laquelle il se montre réservé et hésitant, copiant sur sa voisine pour le second dessin à réaliser et peu enclin à participer.
Il est réservé, n’émet pas la moindre parole, se dit méfiant face à l’interprétation des autres de ses propos et présente des symptômes de psychose. Il semble manquer de confiance en soi et attend de voir ce que les autres effectuent avant de réaliser son propre dessin. Sa séance avec le psychologue révèle un personnage en difficulté mais rigoureux.
La seconde séance fait état d’un Mr Guis plus enthousiaste et expressif dans ses illustrations et dans ses discussions, malgré des sentiments de persécution. En atelier d’addiction, il se montre réservé face à l’équipe mais s’adapte petit à petit et s’implique quand même, au point de réussir ses activités thérapeutiques. En séance de médiation et sophrologie, le sujet participe bien aux jeux de rôles malgré une raideur au début.
Selon les symptômes de son mal, Mr Guis est atteint d’un syndrome dissociatif accompagné de crises psychotiques d’hébéphrénie dus à son abandon et à son séjour alterné d’une famille d’accueil à une autre. Sa décompensation résulte de son divorce, plus précisément de l’ultimatum posé par sa femme qui voulait rentrer en France. Au final, il s’avère être psychotique, troublé et traumatisé par le besoin de faire un choix dans sa vie. Le fait de devoir choisir l’effraie, malgré cela, il semble facilement s’adapter en société et arrive à tisser des liens avec les autres pour continuer à vivre.
Le troisième patient à analyser est Mme Cart, une patiente de 49 ans admise à la clinique depuis un mois pour cause d’alcoolisme et de dépression traumatique. Il s’agit d’un patiente particulière traumatisée depuis l’enfance par un accrochage constant avec sa mère mais qui en reste inconsciente. Etant en instance de divorce et victime de viol, elle se retrouve dans un état de décompensation et est admise à la clinique. Elle est internée pour la deuxième fois, la première s’étendant sur une période de quatre mois.
Le traumatisme qu’elle véhicule inconsciemment depuis l’enfance est une dispute sans arrêt avec sa mère qui continue jusqu’à présent, une dispute qui fait l’objet de toutes ses réalisations en art-thérapie, après son viol qu’elle a illustré en dessin à plusieurs reprises au début de son internat. Mme Cart est une femme peu sûre d’elle, plaintive et qui a besoin d’être constamment valorisée. Lors de ses premières séances, elle arrive fréquemment en retard pour voir la réaction des autres et savoir si elle est considérée comme une intruse ou pas.
Ses premiers dessins sont bâclés et inachevés, trahissant une certaine peur et une obsession de sa part. Elle éprouve également le besoin incessant de parler sans interruption, des flots de parole pouvant être interprétés comme une projection continuelle dans son passé.
Le profil de cette patiente est un sujet névrotique en quête d’acception intérieure et souffrant d’un fort complexe d’infériorité. Dessiner lui permet de donner un sens à sa vie et d’être plus rassurée, sauf lorsqu’on lui donne trop de dessin à faire : cela la rend moins rassurée et la fait paniquer.
Grâce à l’aide d’un psychologue, Mme Cart a fini par réaliser l’origine de son mal et de son addiction à l’alcool : sa relation avec sa mère de laquelle elle s’est peu à peu détachée au fil des séances. La clinique l’a aidée à prendre conscience de son état névrotique et dépressif, la médiation art plastique l’ayant permis de mieux exprimer ce qu’elle conserve au fond d’elle. L’art-thérapie l’a permis de renouer avec elle-même dans le sens où elle a commencé à soigner son apparence et à ne plus arriver en retard lors des séances.
Le dernier patient étudié est Mr Nomb, un quadragénaire âgé de 45 ans divorcé depuis 17 ans, sans emploi depuis plus d’un an et élevant seul son fils de dix-huit ans à côté de problèmes financiers. Mr Nomb est un patient extrêmement narcissique, focalisé sur lui-même et sur sa jouissance extérieure, mais qui semble étranger et opposé à toute tentative d’extériorisation de lui-même, incapable d’exprimer ses troubles ni de leur donner un sens et encore moins d’en déterminer l’origine.
Le parcours de Mr Nomb est assez différent des trois cas précédents. Son histoire ne débute pas par un traumatisme d’enfance, mais plutôt par un trouble obsessionnel, un narcissisme démesuré et une incompréhension de lui-même. Ce patient, atteint d’une hépatite C, de troubles de bipolarité, héroïnomane, alcoolique, etc. a été admis suite à une lettre écrite par son fils de dix-huit ans qui ne pouvait plus supporter sa dépendance.
Il est soumis à plusieurs ateliers :
– à la musicothérapie individuelle ainsi qu’à une séance d’art-thérapie,
– aux groupes de paroles, d’écriture et de musicothérapies collectives.
– ainsi qu’à toutes les séances du circuit de la cure alcoologie animées par un média vidéo comprenant aussi des ateliers de discussion post-vidéo basés sur le programme d’abstinence PHARES d’approche cognitivo-comportementale.
Pour résumer le déroulement de ces séances et leur impact sur le sujet, on note une implication de Mr Nomb dans toutes les séances, excepté dans les séances d’art-thérapie où il se montre plus réservé à se divulguer et à s’extérioriser à travers le dessin. La création ne lui fait pas les mêmes effets qu’aux autres patients puisqu’il est de nature à exposer ses idées et ses nostalgies sur ses prises mais n’est pas du tout enclin à faire une introspection en lui-même.
A noter que le traitement de ce patient comprend un sevrage total contre l’alcool et l’héroïne et une surveillance de son état pour prévenir des cas de rechute ou pour déterminer son niveau d’addiction. Une prise en charge de ses angoisses et de sa dépression est également ajoutée à cela.
- Analyse et synthèse d’une situation de groupe
Selon Quélin Souligoux, l’art-thérapie se pratique en groupe pour renforcer le processus de symbolisation des patients. Selon ce dernier, la symbolisation signifie la représentation d’un sujet, son reflet et l’image qu’il a de lui-même. Cette symbolisation vise à situer le sujet dans le groupe, mais aussi vis-à-vis de lui-même. Elle a pour but d’amener le sujet à se positionner par rapport aux autres patients du même groupe que lui et à savoir se distinguer des autres.
La médiation peut être basée sur une séance individuelle ou sur une séance en groupe. Dans le cas de l’art-thérapie, l’atelier en groupe est plus approprié aux patients et plus utilisé car la finalité de l’art-thérapie est de les aider à s’insérer dans la société, à mieux se socialiser et à savoir reconnaître l’Autre. Cela implique donc une thérapie en groupe afin de permettre au patient :
- d’apprendre à s’exprimer devant les autres,
- de s’intégrer dans le groupe pour les introvertis et les extravertis,
- de recueillir le témoignage d’autres patients vivant le même traumatisme et ayant les mêmes problèmes que lui,
- de s’exprimer plus facilement en sachant que les autres membres du groupe vivent des situations similaires et pourront être plus cléments dans leur jugement,
- de s’exprimer devant des individus vivant le même cas ou atteints de la même dépendance ou de pathologies similaires aux siennes afin de l’extirper de son repli sur soi ou de son mutisme et de l’amener à de meilleurs rapports avec les autres,
- de développer son sens du relationnel
- etc.
Le repli sur soi-même est une des caractéristiques principales des alcolo-dépendants. Ce repli peut se manifester à travers un isolement par rapport aux autres ou par un manque de confiance. Cet isolement peut être favorisé par la peur du jugement des autres, que ce soit des membres de la famille, des amis, des proches, etc. Il peut aussi résulter de l’incapacité de l’individu à déterminer la source de son mal être et d’une peur ou d’une timidité à en parler. Bref, les causes de l’isolement sont multiples, cependant, cet isolement est le premier facteur déclencheur de l’alcoolisme.
Dans un premier temps, l’alcool deviendra un ami, un substitut grâce auquel on peut facilement s’exprimer sans honte et sans peur du jugement des autres, la rationalité ayant disparu. L’alcool peut aussi aider à échapper à ces traumatismes et à se cacher d’eux, à en oublier la teneur et l’existence.
Dans les deux cas, l’alcool deviendra vite un allié du fait qu’il permettra au dépendant d’échapper temporairement à ses troubles sans pour autant les refouler. D’une certaine manière, il se sert donc de l’alcool comme objet médiateur, comme substitut à ses maux.
Le groupement ou la situation en groupe est donc une sorte de mise à l’épreuve du sujet, un encadrement de ce dernier. Ce groupe est dirigé par un thérapeute ou un intervenant du même grade censé diriger les patients, leur délivrer les consignes à suivre et leur permettre une immersion au sein du groupe. Il est considéré comme étant un interlocuteur commun à tous les patients.
Le rôle du thérapeute ou du dirigeant du groupe peut aussi varier en fonction de la perception des patients. Vacheret C. (2002) propose alors un rôle différent de celui évoqué précédemment pour le thérapeute qu’il nomme praticien. Le praticien fait l’objet d’une « notion de transfert par dépôt dans une dimension dynamique et violente dont le sujet est porteur, utilisant le praticien comme lieu de dépôt de ses pulsions, de ses projections, de ses affects et de contenus psychiques inélaborables. Le psychologue clinicien se trouve dépositaire, à son insu, de contenus qu’il vit comme des corps étrangers à lui-même, et dont il ne connaît ni la provenance ni l’adresse. » Ainsi, certains patients peuvent considérer leur praticien comme étant un dépositaire de leurs troubles ou un objet de défoulement uniquement.
Plusieurs éléments constituent un groupe : les membres composés des patients, les projets ou les dispositifs tels que les ateliers organisés, etc. Claudine Vacheret et Bernard Duez proposent une étude sur l’importance du groupe dans la médiation dans un article intitulé « Les groupes à médiation : variance, alternative ou détournement du dispositif psychanalytique ? » paru en 2004. Selon ces deux auteurs, le dispositif groupal permet de maîtriser la « pulsionnalité » des patients. Le groupe permet donc de les contenir. Ainsi, ces deux auteurs distinguent une meilleure efficacité de la thérapie en groupe lorsque le sujet montre un comportement violent ou agressif en thérapie individuelle, ou lorsque la thérapie individuelle échoue. Dans l’ouvrage intitulé Pratiquer les médiations en groupes thérapeutiques, Vacheret et al. rappellent le premier objectif de la médiation en groupe ou de la situation de groupe en thérapie : le soin thérapeutique.
Deux principaux avantages de la situation de groupe sont abordés par Vacheret et Duez (2004) :
- « d’abord celui de rendre beaucoup plus supportables les mouvements pulsionnels violents, voire agressifs et destructeurs, de ces patients. Le groupe résiste groupalement beaucoup mieux aux attaques violentes qu’un thérapeute seul, qui reçoit avec beaucoup d’acuité et d’effets de sidération les pulsions, cela aboutissant parfois à une mise en impasse thérapeutique, alors que le groupe, lui, réagit à l’actualisation pulsionnelle par le fait qu’il est là, présent, vivant, multiple et pas détruit ;
- ensuite celui d’offrir une grande potentialité de réponses, c’est-à-dire d’opportunités transférentielles, car les membres du groupe rendent présente, c’est-à-dire représentent, la groupalité psychique interne, dans une réalité groupale tout à la fois transsubjective, tangible, physique. Les autres peuvent être, par diffraction, dépositaires d’une facette ou d’un personnage de la réalité psychique du sujet, groupalement structuré, c’est-à-dire de sa groupalité psychique. Non seulement ce qui est transféré l’est sur plusieurs autres, mais également le retour des éléments diffractés-transférés se fait selon des variations diverses et suffisamment nombreuses pour que le sujet puisse y trouver ou y retrouver les parties de lui qui peuvent lui revenir sous une forme plus ou moins « détoxiquée » (Bion, 1962) par le groupe, et ainsi réappropriables par le sujet lui-même. »
Les inconvénients du groupe peuvent être déterminés au niveau du praticien et de son incapacité à maîtriser ses patients, à les encadrer et à les diriger correctement, de sorte qu’ils échappent à son contrôle. En temps normal, les patients mis en groupe sont ceux qui présentent des déficiences ou des troubles d’une grande ampleur ou qui ne s’ouvrent pas individuellement : « le but [ des groupes] est d’activer ou de réanimer certains processus psychiques dans le traitement de sujets gravement perturbés (psychotiques, toxicodépendants, psychosomatiques) ; dans la prise en charge des personnes enclines à l’acting, des personnes victimes de graves traumatismes ou des sujets confrontés aux détériorations du vieillissement ».
De ce fait, ces patients doivent être confiés à un praticien capable de les contrôler et de leur prodiguer la pédagogie et la thérapie adéquates à leur cas. Un autre inconvénient d’ordre plus personnel consiste, pour un patient donné, à ne pas s’exprimer au sein du groupe de peur du jugement des autres patients. Il peut donc se refermer sur lui-même. Cela nous amène alors à dire que les patients à intégrer dans une médiation ou dans l’art-thérapie en groupe doivent être interrogés et étudiés à l’avance pour éviter la confrontation au second inconvénient évoqué ci-dessus.
Dans le cas de nos quatre patients, la situation de groupe leur a permis de s’exprimer dans un cadre familier, les autres patients présentant des pathologies similaires aux leurs. En étudiant leur comportement au sein du groupe, nous pouvons voir que certains d’entre eux s’intègrent facilement tandis que d’autres ont besoin de plusieurs séances pour se sentir à l’aise. Nous pouvons citer l’exemple de Mr Guis qui est habitué aux normes sociales et qui ne présente pas de difficultés relationnelles vis-à-vis des autres membres de son groupe.
D’autres patients tels que Mr Nomb et Mme Cart, de nature bavarde et extravertie, se ferment initialement au groupe par méfiance et peur du jugement des autres. Leur position s’améliore pourtant au fur et à mesure que les ateliers se multiplient. Le cas de Mr Pyr montre une certaine réserve face au groupe, une sorte de gêne qui disparaît également au fil des séances.
En somme, la thérapie en groupe rejoint donc l’objectif de la médiation et de l’art-thérapie qui est d’octroyer un soin thérapeutique aux patients par le moyen de l’art et de la création. Un groupe doit alors véhiculer ces vertus pour être efficace et thérapeutique et pourvoir au changement des patients. Le groupe doit amener le patient à changer, comme un changement qui, pour Roussillon (1999), signifie un : « passage de la position passive à la position active. Le patient retourne à l’autre dans un mouvement qui s’apparente à l’identification projective, les mouvements pulsionnels qu’il ne peut traiter. » Ce phénomène est appelé transfert par retournement par Roussillon.
En médiation, un groupe doit prendre en compte les quatre fonctions psychiques décrites par Vacheret et al., des fonctions qui relient le thérapeute, le groupe et l’objet médiateur : « Le soutenir s’exerce à travers des actes symboliques complémentaires qui permettent de retisser le fond défaillant. Le contenir rétablit le rapport à la totalité et le maintenir restaure le sentiment de la durée. La dernière fonction, le retenir, construit la grille nécessaire à l’élaboration de la réalité interne. » (Vacheret et al., 2002)
- Retour à la Problématique, Confirmation/Infirmation des H1 et H2 et interprétations
Rappel du sujet de recherche : Sujet: Incursion au sein des médiations artistiques institutionnelles observées dans la clinique de l’alcoolisme
Problématiques :
Actuellement, d’après l’utilisation de plus en plus croissante des médiations thérapeutiques par l’art en alcoologie, pourrait-on arriver à rompre une bonne fois pour toute la fatalité du circuit alcoolique par la substitution transitoire du produit « alcool » par l’objet « médium »?
Comment les médiations participent-elles à la reconstruction narcissique, et à l’évolution d’un sujet alcoolique, ainsi qu’à son accompagnement vers la sortie et la réhabilitation sociale après un passage en cure de désintoxication alcoolique ou clinique psychiatrique ?
A l’issu de notre partie théorique, deux hypothèses ont été soulevées :
- Hypothèse théorique H1 – Par le compromis alternatif qu’elle induit en créant un espace intermédiaire pour les sujets bloqués/gelés dans leurs dynamiques psychiques, il me semble que l´ atelier d´art-thérapie de la Clinique du Golf, aux travers des différents mécanismes inconscients et thérapeutiques qu’il met en jeu, permettrait aux sujets de prendre conscience de leurs troubles, d’accroitre leur motivation aux changements et de se revaloriser narcissiquement.
- Hypothèse théorique H2 – Au travers des mécanismes émergeants en ateliers médiatisés par l’art, l´objet toxique «alcool » pourrait, chez l’alcoolique, être substitué par un autre objet : le médium, et ce de manière transitoire, comme une sorte d’attache substitutive qui permettrait l’émergence du sujet et viendrait de fait induire un remaniement de sa relation à l’Autre/ objet.
La confirmation et l’infirmation de ces deux hypothèses dépendent des quatre patients étudiés et de l’impact de l’art-thérapie sur eux durant leur séjour au sein de la clinique du Golfe de Saint-Tropez.
Pour rappel, l’art-thérapie a pour visée de faciliter et de développer la socialisation et l’expression des sujets admis au sein de la clinique. Ces derniers, par le biais des séances d’ergothérapie et d’art-thérapie, assistés par l’ergothérapeute et la psychologue, sont sensés se redécouvrir et se restaurer narcissiquement.
Notre première hypothèse met en jeu le rôle de l’art-thérapie qui est de permettre aux sujets de prendre conscience de leurs troubles, d’accroitre leur motivation aux changements et de se revaloriser narcissiquement.
A travers les histoires cliniques des patients, nous pouvons confirmer et infirmer cette hypothèse en même temps. En effet, en nous penchant sur le cas de chacun d’eux, nous pouvons voir qu’ils ont tous changé depuis leur admission dans la clinique jusqu’à leur sortie, par le moyen de l’art-thérapie, mais que certains changements ne proviennent pas de l’art-thérapie proprement dite. Prenons le cas de chaque sujet pour illustrer cette confirmation.
Mr Pyr, un alcoolique de 55 ans, admis à trois reprises dans la clinique. Souffrant d’une dépression et se noyant dans l’alcool pou oublier ses problèmes financiers, professionnels et familiaux, il a été admis dernièrement en 2012 après avoir été hospitalisé après avoir consommé excessivement de l’alcool. Depuis son admission dans la clinique, Mr Pyr s’intègre difficilement, préférant suivre sa propre intuition et ses envies lors de sa première séance de dessin au lieu de suivre les consignes données par l’établissement.
Du point de psycho-dynamique, les quatre patients étudiés ici sont hantés par des conflits irrésolus dans leur enfance, qui, selon Sigmund Freud (1856-1939), est un symptôme de pathologie psycho-dynamique. En effet, ces derniers font face à des difficultés actuelles, c’est-à-dire à leur addiction à l’alcool ou à la drogue suite à des conflits irrésolus dans leur passé. Ces conflits deviendront, par l’art-thérapie, les réponses aux stimuli qui les conduisent à la dépendance à l’alcool.
Pour Mr Pyr, ce conflit irrésolu et sans réponse depuis son enfance est englobé dans une suite de lourds traumatismes qu’il a vécus durant son enfance et qu’il n’arrive pas à évacuer. Ce sujet revit toujours ces traumatismes à l’âge adulte, ces derniers l’obsèdent et sont accentués par la perte de son père et la vision des cadavres en Algérie à l’âge de 4 ans.
Ces traumatismes, additionnés à l’endossement du rôle de père par le sujet qui n’a aucune expérience sur le sujet, son père ayant été absent toute sa vie, le conduisent à boire régulièrement, jusqu’à devenir accroc à l’alcool. Ainsi, le fait de ne pas pouvoir dépasser ses problèmes d’enfance et de les vivre dans la réalité actuelle qui, pour lui, est également faite de problèmes familiaux, personnels ou professionnels, amène ce patient à chercher l’oubli temporaire de tout cela à travers l’alcool.
Puisque l’alcool devient, pour lui, un moyen de distraction éphémère jusqu’à ce que son effet s’estompe, Mr Pyr cherche constamment cette évasion, jusqu’à souhaiter faire durer le plaisir de tout oublier par l’alcool, et donc d’en boire régulièrement, jusqu’à l’excès. L’excès contrôle l’alcool qui finit par avoir le dessus sur ce patient qui ne peut plus s’en défaire et qui se laisse guider par sa soif constante. Il arrive même, à un moment donné, qu’il n’ait plus aucun contrôle, l’alcool tuant sa volonté et ses efforts, de sorte que les efforts entrepris en vue d’y échapper deviennent vains et n’ont aucune portée. Cette soumission incontrôlée à l’alcool se mue finalement en dépendance. On assiste ici à un refus, un repli sur soi-même et un ancrage dans le passé résultant d’un traumatisme causé par l’absence de son père. Pour se rendre compte de cette relation de réponses à stimuli, ou de cause à effet, l’art-thérapie l’éveillera et le fera prendre conscience.
Par le moyen de l’art-thérapie, c’est-à-dire le dessin, Mr Pyr a été invité à s’exprimer, chose qu’il fait difficilement dans le contexte verbal et qu’il ne semble pas non plus vouloir faire via ses dessins. A travers le dessin, le but est d’amener le patient à se raconter lui-même, à se dépeindre et, en même temps, à dépeindre un tout autre côté de lui-même. On se sert donc de la création artistique comme dépassement de soi.
A sa première séance, les consignes données à Mr Pyr ainsi qu’aux autres membres de son groupe sont claires : faire trois dessins spontanés pour se représenter. Consignes auxquelles le sujet ne se conforme pas car il ne réalise qu’un seul dessin sur lequel il se concentre intensément durant toute la séance. Ce dessin représente sa peur, la peur de l’autre et reflète les symptômes de sa dépression.
A la deuxième séance, il ne réalise toujours qu’un seul dessin sous forme de gribouillage : un cercle plein à dominance grise. Le fait qu’il ait dessiné un cercle complet dans lequel seule la couleur gris domine prouve qu’au fond de lui, tout est sombre et gris, et témoigne de sa dépression. En même temps, cela trahit aussi une certaine limitation et une peur d’aller au-dedans de lui et de fouiller son « moi intérieur » pour y trouver les réponses à ses troubles car le but des dessins est de l’amener à ce stade. Cette hypothèse semble se confirmer avec son obsession pour son premier dessin lorsque la discussion après la séance de dessin durant laquelle chacun expose la portée et de sens de son œuvre arrive.
A sa cinquième séance, son dessin est une représentation fantaisiste de lui-même à laquelle il a porté la mention « vivre sur la lune ». Ici, il ne réalise toujours pas la prise de conscience attendue mais montre des signes d’amélioration dans l’agencement de son œuvre et une organisation du point de vue artistique qui témoignent que l’art-thérapie commence à l’amener peu à peu au changement et à la prise de conscience.
Son dernier dessin a été le déclencheur de sa prise de conscience et confirme l’hypothèse H1 selon laquelle l’art-thérapie permet aux sujets de prendre conscience de leurs troubles, d’accroitre leur motivation aux changements et de se revaloriser narcissiquement. En effet, ce dernier dessin, plus structuré et expressif, mettra en avant sa peur de l’autre.
Il s’exprimera dessus en disant avoir enfin fait le lien entre l’absence de son père et son alcoolisme. L’étape de la prise de conscience des troubles et de la motivation au changement est donc prouvée concrètement dans ce dernier dessin. L’hypothèse H1 peut donc être confirmée par le cas de Mr Pyr.
Pour résumer, on remarque un net changement dans le comportement de ce sujet depuis sa première séance jusqu’à la dernière. Partant du sujet non-coopératif et silencieux réalisant des croquis désordonnés et déstructurés qui illustrent sa dépression, il est devenu plus bavard et ses dessins sont devenus plus structurés.
On observe le changement de son état qui est passé d’une dépression et d’une schizophrénie à un intéressement à l’art qui le rend plus docile et posé. Lorsqu’il a été invité à s’exprimer sur sa réalisation au début, Mr Pyr n’a pas su faire le rapprochement de son état actuel avec son traumatisme. A la dernière séance, ce patient a compris que sa dépression résultait de l’absence de son père, ce qui signifie que l’art-thérapie l’a fait prendre conscience de ses troubles.
Un autre impact positif de l’art-thérapie sur ce sujet est celui de pouvoir se projeter dans son avenir, le dessin et l’art-thérapie lui ayant insufflé une motivation aux changements. Ces changements ont été décelés au fur et à mesure des ateliers, il s’agit de changements d’ordre physique et extérieur. En effet, parti d’une présentation négligée lorsque le sujet ne pouvait pas encore déterminer l’origine de ses troubles, il est devenu plus soigné quelques temps après en avoir pris connaissance.
L’étude du cas de Mr Pyr nous amène donc à confirmer la première hypothèse, l’art-thérapie étant un instrument de prise de conscience de l’état psychique du patient, de changement et de nouvelle perception. L’art a réveillé un autre qui sommeillait au fond du patient, un Autre qu’il ne pensait pas exister et qu’il craignait auparavant.
Le second cas pouvant confirmer la première hypothèse est celui de Mme Cart. Pour résumer brièvement son parcours, son addiction à l’alcoolisme résulte d’un traumatisme causé par une mésentente avec sa mère, accentuée par son divorce et une agression sexuelle à son encontre. A sa première séance, cette quadragénaire montre des signes d’incertitude et de manque de confiance en soi. Elle assiste aux ateliers en arrivant en retard et vêtue bizarrement pour être sûre de ne pas être une intruse parmi le groupe. Elle est également trop bavarde, ses flots de paroles trahissant un malaise et une décompensation.
Tout comme Mr Pyr, Mme Cart souffre aussi d’un traumatisme qui la suit depuis son enfance : son entrée incessante en conflit avec sa mère. Ce conflit se révèle être à l’origine de ses troubles et de sa dépendance à l’alcool car elle n’arrive ni à l’oublier ni à le refouler et y revient constamment depuis son enfance jusqu’à son admission à la clinique. D’ailleurs, elle ne cesse pas d’appeler sa mère depuis qu’elle a été admise dans la clinique. A la fin, seule la séance de thérapie et d’expression de soi à travers les dessins permettront à la patiente de surmonter petit à petit cet « obstacle » et de s’en défaire progressivement.
Dans le dessin de sa première séance, Mme Cart suit les règles des trois dessins improvisés, mais montre un certain débordement lorsque les consignes se font plus denses, d’où la nécessité de la laisser mener ses dessins à son gré. Elle souffre d’une certaine paranoïa et éprouve le besoin d’écrire sur toute sa feuille de dessin, comme par peur de laisser de l’espace et par nécessité de remplir chaque vide.
Sa vie et son comportement dans la clinique illustrent cette peur puisque la patiente ne cesse de s’exprimer verbalement avec des mots dont le sens peut être contradictoire ou répétitif. On peut donc dire que cette patiente a une peur du vide. A travers ses dessins munis de plusieurs légendes durant les ateliers d’art plastique, Mme Cart extériorisera et exprimera mieux ce qui la travaille dans son for intérieur et comprendra petit à petit qu’un détachement de l’amour maternel lui permettra de changer ne serait-ce qu’un peu sa situation. Elle a admis être dépressive à travers l’évolution de ses dessins et, aidée par sa psychologue, arrive à prendre un peu de recul par rapport à sa mère et à instaurer une certaine distance entre elles.
Dans les dessins de sa première séance dans lesquels elle doit se raconter en trois cercles, la patiente fait trois représentations titrées comme suit : « la mer déchainée », « la troque » et « le terrorisme ». A la seconde séance, les dessins portent les titres « espoir et échec » pour le thème « partir » et « retour à la case départ » pour le thème « revenir ». Ses dessins suivants ne portent pas de titre spécifique mais mettent en jeu deux personnages, probablement elle et sa mère, durant une partie de pêche, pour les thèmes « le chemin parcouru jusqu’à présent » et « le chemin qui reste à parcourir jusqu’au bien-être. »
Ces dessins, bien qu’expressifs, sont moins illustratifs de son cas que les prochains dessins qu’elle a réalisés. Les thèmes évoqués étaient : « qui suis-je aux yeux des autres » et « qui suis-je à mes yeux ? ». Les dessins qu’elle réalise pour le premier thème mettent en évidence deux réactions contradictoires : de l’amour et de la compréhension de la part de certains individus contre du mépris, du rejet, du silence et les mots « mise à mort » écrits en rouge de la part des autres. Pour le second thème, elle se décrit comme étant hyper sensible et vulnérable, attristée par l’injustice.
Ces deux dessins expriment clairement la bipolarité du sujet et sa peur, mais aussi l’évolution de la perception de son état. En effet, elle réalise sa vulnérabilité mais campe sur sa position d’être toujours pointée du doigt et méprisée par certains gens tandis que d’autres lui témoignent de l’encouragement et de l’amour. Les derniers dessins de la patiente évoquent son réveil et l’atteinte de la phase de prise de conscience de ses troubles.
La première réalisation, sous forme de pyramide, s’accompagne de commentaires sur la dégradation de sa vie depuis 2010, année durant laquelle elle a subi son agression sexuelle. Enfin, elle admet, outre ses conflits avec sa mère, qu’elle a sombré dans la dépendance au moment précis où elle a été agressée sexuellement.
De 2010 à 2012, elle a ressenti le vide, l’injustice (la mention sur l’agresseur pour lequel tout va bien et sur le rôle du juge qui doit garantir la sécurité laissant croire qu’elle n’a sûrement pas été satisfaite du jugement dont le tribunal a fait preuve pour son cas et que le châtiment pour son agresseur ne lui semble pas proportionnel à ses sentiments), l’insécurité, et « une douleur indicible impossible à oublier », des symptômes pouvant mener à la névrose, à la décompensation et surtout à l’alcoolisme qui, pour un tel patient, peut représenter un échappatoire, un asile dans lequel il fait bon de se cacher. Sa dernière réalisation picturale représente l’espoir, preuve de son changement au-delà des thérapies et de leur portée sur elle. En prenant conscience de ses troubles, la patiente a reçu une certaine délivrance qui l’amène à penser au futur, qui la motive à espérer et à rêver de superbes vacances loin, très loin ».
Ainsi, le sujet a répondu à ses problématiques en quelques séances et a commencé à élaborer des projets d’avenir, de vacances, une illustration de l’hypothèse H1 qui est ici complètement confirmée.
Pour résumer, l’évolution de Mme Cart depuis son arrivée jusqu’à son départ confirme notre première hypothèse. En effet, en s’exprimant à travers ses dessins, elle a compris que son mal-être et sa dépression qu’elle noie dans l’alcool sont le fruit de son enfance malheureuse et de son agression sexuelle qui a causé son effondrement psychique et corporel. Elle a même opéré quelques changements suite à l’art-thérapie, notamment vis-à-vis de sa mère avec laquelle elle a instauré une certaine distance, et vis-à-vis d’elle-même du fait qu’elle respecte enfin les heures de l’atelier et se met à s’habiller de façon plus coquette. En outre, sa socialisation s’est aussi améliorée puisqu’elle peut tenir des discours cohérents et sensés avec les autres patients de la clinique.
Le troisième cas que nous allons évoquer ici est une infirmation à notre première hypothèse. Il s’agit de celui de Mr Guis, un patient dépressif chômeur, divorcé et père d’une fillette de huit ans. Il s’agit d’un patient peu bavard pourvu de très grandes difficultés relationnelles qui affirme consommer régulièrement de l’alcool. Ce sujet a déjà suivi trois séjours psychiatriques, un suivi psychiatrique pour son hébéphrénie et a souffert d’une hépatite A. A l’instar des autres sujets étudiés ici, Mr Guis a également vécu un traumatisme dans son enfance : celui de son abandon et de son adoption tardive.
Ce traumatisme est également à l’origine de sa décompensation, de ses frustrations, de sa névrose et de tout le reste. Ce traumatisme résulte de son abandon par ses parents à l’enfance. N’ayant jamais connu ni expérimenté l’amour paternel, ce sujet a toujours eu tendance à appeler « Papa et Maman » ceux qui lui témoignaient de l’intérêt et de l’affection. On note donc une recherche d’amour de sa part et la soif d’un amour parental qu’il n’a jamais connu. Ce manque d’expérience l’amène malgré tout à vouloir être un bon père pour sa petite fille.
Malheureusement, son divorce avec sa femme l’empêche de continuer ce rôle et s’ajoute à son traumatisme. Actuellement, il est aux prises avec des problèmes familiaux engageant son ex-femme et sa fille et à des difficultés professionnelles et éprouve beaucoup de difficulté à nommer l’Autre.
Il souffre également de décompensation causée par la peur de choisir, un choix imposé par sa femme mais duquel il ne semble pas maître. Sa peur du choix est évidente, suivant le fait qu’il n’a jamais pu choisir de toute sa vie (référence à son transfert de famille d’accueil en famille d’accueil qui a été décidé sans lui). Lorsque sa femme lui demande de choisir, il en est incapable et en stresse puisqu’il n’a jamais été en position de le faire auparavant. Cette peur de choisir constitue également un traumatisme vécu et connu depuis l’enfance provoquant une peur et un manque de confiance en soi chez le sujet. En effet, ce dernier est littéralement effrayé par le choix, non seulement parce qu’il n’en a jamais eu dans son enfance, mais aussi par peur de l’inconnu et des conséquences de ce choix.
On ressent chez lui une hésitation et une peur de s’affirmer, une certaine « déchétisation » qui se traduit par le sentiment de ne pas mériter de faire un choix, de ne pas en avoir la capacité, de ne pas savoir comment faire et de devoir faire face aux résultats de ce choix.
Bref, il s’agit d’un patient qui réfléchit trop mais qui garde ses réflexions pour lui seul, ne les dépasse pas et en fait une histoire personnelle. D’ailleurs, ce sujet éprouve également de très grandes difficultés relationnelles, sûrement au vu de ces lourds traumatismes. En analysant son cas, nous pouvons avancer que ce renfermement sur lui-même et sur ses problèmes ont pu le conduire à boire de l’alcool et à en dépendre, l’alcool devenant un substitut à la réalité, un sauveur temporaire qu’on recherche constamment et duquel on dépend.
La première séance à laquelle Mr Guis a assisté l’a incité à improviser et à se dépeindre via trois dessins différents. Il s’agit d’un moyen d’extériorisation de son mal et d’expression auquel il n’adhère pas au début car il manque d’imagination et copie sur sa voisine. On note ici un manque de confiance en soi et la nécessité de se rapporter aux autres et de se conformer à leurs actes afin de déterminer si ce qu’il a l’intention de faire est exact ou non. Sa première séance est silencieuse, le sujet étant réservé et méfiant.
Les trois dessins libres qu’il a réalisés ont eu pour thème la liberté de dessiner « ce qui nous passe par la tête » à l’intérieur de 3 cercles. La seule consigne est de se dessiner dans trois cercles à tracer sur trois feuilles A4 que les patients doivent numéroter de 1 à 3 à la fin de l’activité. Par manque d’imagination et par peur de ne pas faire les choses comme les autres le font, Mr Guis copie sur sa voisine. Cette copie trahit une incertitude et un manque de confiance en soi, une peur de choisir de suivre son instinct qui l’amène à se rabattre sur ce que les autres font. Cela traduit également un besoin d’échapper à sa conscience et une peur de se dépeindre entièrement, une peur des réactions des autres face à ses dessins et à son interprétation de ces derniers. En s’exprimant sur cette réserve, Mr Guis la considèrera comme étant une méfiance, la clinique la qualifiera comme étant une prudence.
Le patient dessine donc trois dessins dans trois cercles. Le premier représente le Sénégal, plus précisément le drapeau du Sénégal représenté dans un cercle entier et plein. Le premier dessin spontané qui lui vient représente donc son pays d’enfance, ses origines, et certainement l’origine de ses maux puisque c’est au Sénégal que tout a commencé pour ce patient. Le Sénégal représente son passé indélébile et ineffaçable, revenant sans cesse le hanter : son abandon à l’enfance, le manque d’amour paternel, le ballotage d’une famille d’accueil à une autre, le fait de n’avoir jamais pu choisir.
Le cercle plein représente son être plein, envahi et possédé par ses troubles. Cet être qu’il a peur de fragmenter par la prise de décision et le choix lorsque sa femme lui demande de choisir entre retourner avec elle en France ou rester au Sénégal.
Son second dessin représente un cimetière, il s’agit du dessin copié sur sa voisine. Représenter ce dessin ne nous est pas réellement évident, puisque nous ne pouvons pas réellement déterminer s’il l’a dessiné en référence à lui-même ou uniquement parce qu’il manquait d’inspiration et d’imagination. Mais d’un point de vue symbolique, ce cimetière représente la jouissance mortifère du patient, il extériorise une certaine conscience de la mort, de sa mort face à la dépendance qui le consomme et le guide.
Son troisième dessin représente une ambivalence Ying-yang. Il traduit sa bipolarité, l’existence de deux côtés parallèles mais contradictoires en lui. Il nomme le dessin ambivalence Ying-yang en référence à sa peur de l’Autre et son manque de connaissance de ce dernier. En effet, ce patient avoue être troublé par l’Autre et ne pas le comprendre.
Ces premiers dessins représentent l’intérieur du patient et le mal qui le ronge et lui permettent de mettre des mots sur ses maux. Ils déploient sa créativité et l’utilisent pour l’amener à une prise de conscience. Force est pourtant de constater que dans son cas, cela n’a pas réellement fonctionné comme pour les patients précédents puisqu’à la fin de la thérapie, il n’a pas concrètement réalisé l’origine de ses troubles.
De séance en séance, les dessins de ce sujet s’avèreront plus organisés et améliorés, mais resteront toujours flous et épars, comme s’il voulait exprimer trop de choses à la fois mais qu’il ne pouvait pas le faire.
Ainsi, les séances d’art-thérapie et d’ateliers médiatisés montrent une certaine volonté d’organisation de la part de ce patient qui refusait de dessiner avant les autres à sa première séance et qui avait un besoin constant de se référer aux autres pour déterminer sa conduite. Cette volonté est signe d’une évolution, bien qu’elle soit moindre par rapport à celle des autres patients. En effet, contrairement à Mr Pyr et à Mme Cart, Mr Guis n’a pas saisi l’origine de sa dépression et de son addiction à l’alcool. L’art-thérapie a eu un effet limité sur lui puisque sa réserve et sa prudence ont toujours subsisté, et que son évolution positive s’est éveillée de façon tardive et moins significative.
On peut illustrer ces propos par le fait qu’il n’ait pas compris la raison de sa décompensation à travers l’art-thérapie. Dans son cas, l’art-thérapie n’a eu que peu d’effet et ne lui a pas permis de prendre conscience de ses troubles, d’accroitre sa motivation aux changements et de se revaloriser narcissiquement.
En effet, le sujet est peut-être devenu plus sociable et ouvert, et a peut-être émis un peu de changement dans sa volonté de dessiner, mais cela a été bien moindre, infirmant donc la première hypothèse.
Le sujet suivant est Mr Nomb, père de famille âgé de 45 ans divorcé depuis 17 ans et vivant seul avec son fils de 18 ans. Il est toxicomane, dépendant de l’alcool et de l’héroïne, maniaco-dépressif, atteint d’hépatite C et congruent socialement mais a du mal à s’exprimer clairement. Pour traiter son cas, un sevrage pour sa dépendance à l’alcool et à l’héroïne, une surveillance pour de possibles rechutes et une prise en charge de sa dépression sont requis.
Mr Nomb n’échappe pas à cette règle qui veut que chacun de ces patients soit influencé par un facteur psycho-dynamique engendrant son addiction. Dans le cas de ce patient narcissique et masochiste, conduit par ses impulsions, l’alcoolisme résulte surtout d’un état d’âme déséquilibré et de la détresse qu’il ressent depuis son divorce il y a 17 ans de cela.
Son admission à la clinique résulte d’une lettre envoyée par son fils qui l’a fait prendre conscience de son état et de la gravité de ses actes à travers la consommation. Le patient, lorsqu’il est ivre ou qu’il a consommé de la drogue, a tendance à être sûr de lui et devient même violent.
Cependant, il est intéressant d’étudier la position de ce patient face à l’alcoolisme. Dans un premier temps, ce dernier affirme ne pas trouver de sens à l’alcoolisme et explique sa dépendance par une pulsion incontrôlable plutôt que par l’envie. Il affirme donc ne pas consommer par plaisir, mais par habitude et impulsion, l’alcool et la drogue étant juste nécessaires à son organisme. Dans un second temps, ce patient s’exprime autrement, avec ambiguïté, trouvant du plaisir dans la consommation et la dépendance, mettant en doute sa première opinion.
Sa première séance de musicothérapie fait état d’un patient extraverti, ouvert et participatif, mais dont les idées semblent contradictoires et qui perçoit les choses de deux côtés uniquement : positif ou négatif, sans juste milieu. Durant cette séance, le sujet se conforme aux règles de la thérapie tout en exprimant un certain débordement. Toutefois, il arrive à atteindre l’objectif de la musicothérapie qui est de se concentrer sur la musique sans penser à ses problèmes d’addiction.
Le patient assiste à plusieurs reprises à cette musicothérapie et évolue énormément en guidant les autres membres de son groupe et s’investit beaucoup, la musique l’a fait évoluer, seulement, on ne peut pas réellement affirmer que l’hypothèse H2 puisse être pleinement illustrée par son cas. Selon nos observations, seul le temps peut déterminer s’il arrivera à supplanter son addiction par la musique ou non.
En alcoologie, le patient est bavard pour ne rien dire, n’hésite pas à intervenir dans les prises de parole des autres mais se tait et se renferme lorsque son tour de parler arrive. Ainsi, il est le parfait alcoolique décrit par Daniel Sidonie comme étant un « allergique à la loi et à la société ». Il est toujours bavard mais évolue du point de vue congruence sociale. Durant ces séances, Mr Nomb prend plaisir à évoquer ses prises toxicologiques. Il essaie de retrouver la volupté de ces moments en les évoquant nostalgiquement. On peut interpréter cela comme un fort ancrage et une attache à la toxicomanie. On sent chez ce patient l’envie irrépressible de prendre de la drogue durant les séances, une envie qu’il ne peut assouvir mais qu’il imagine et remplace par la parole et les souvenirs de ses prises.
Au final, Mr Nombril est centré sur lui-même et évoque nostalgiquement ses moments de prise. Il substitue son addiction par une nostalgie envers ses prises. Il avoue boire par impulsion plus que par envie. C’est une lettre de son fils qui a déclenché son admission en clinique. Au fil des séances, Mr Nomb prend conscience de ses problématiques, de leurs causes et de leurs conséquences.
En séance d’art-thérapie, les dessins que Mr Nomb réalise pour se représenter son banaux, évoquent sa « déchétisation » et sa nécessité de se mouvoir constamment pour ne pas s’arrêter sur lui-même. Il s’agit de trois représentations assez quelconques, manquant d’art, de créativité et d’imagination. Elles sont très simples et trahissent même un certain manque d’implication, un manque d’envie de montrer son for intérieur. Ces dessins délimitent donc la conscience du sujet qui aime répandre sa jouissance extérieure durant les séances mais qui se ferme à toute intrusion intérieure, malgré le fait que les dessins sont justement là pour l’amener à s’exprimer sans difficulté.
Le premier dessin porte le titre « L’homme chauve », le second « bowling ball » et le troisième « le soleil ». Contrairement aux trois autres patients qui ont dessiné quelque chose à l’intérieur des trois cercles, Mr Nomb s’est servi des trois cercles pour se représenter. Il n’a donc pas pris la peine d’imaginer, sa créativité s’est limitée à l’usage des cercles qu’il a juste utilisés et repris. Les trois dessins représentent l’ennui du patient et son manque d’envie de s’étancher sur sa conscience. Ils évoquent également sa « déchétisation » puisqu’il ne peut pas se représenter autrement que par des dessins gribouillés au crayon gris. Il ne voit donc que sa banalité et n’entrevoit aucun autre côté à part ce dernier au fond de lui.
Le dessin de l’homme chauve est un cercle pourvu d’une bouche, d’un nez, de deux yeux et de deux oreilles, semblable à un smiley. Il représente son ouverture aux autres patients de son groupe qu’il néglige complètement lorsqu’il est en train de dessiner. Cette ouverture peut réfuter, dans un certain sens, une théorie selon laquelle les personnes droguées sont fermées aux autres, grâce à la présence des deux oreilles qui sont « la seule modalité sensorielle, qui ne pouvant ne se fermer » selon J.LACAN » ne peut s’exclure à la voix ou à l’appel de l’autre »
Quant à la forme de ce smiley, elle semble tout à fait basique et primaire, rappelant une représentation primitive et archaïque de l’être humain. Mr Nomb se voit donc comme un être humain quelconque, sans attraits ni atouts, une forme sans fond, vide et banale. D’ailleurs, son dessin représente un cercle avec deux trous pour la tête et les yeux deux traits pour le nez et un demi cercle pour la bouche tel la tête à toto dessinée habituellement par les enfants.
Cette réalisation sans esthétique peut toutefois aussi être interprétée comme une expression de son manque d’implication dans son ouverture à autrui et comme un avertissement disant qu’il ne veut pas entrer et fouiller dans sa conscience, et qu’il se limitera uniquement à cela. Cela s’avère d’ailleurs exact puisqu’il quittera sa séance d’art-thérapie plus tard et n’y reviendra plus. On note donc ici un manque d’expression, de prise de conscience par l’art-thérapie, de motivation au changement ou de revalorisation narcissique, le sujet étant déjà extrêmement narcissique extérieurement depuis le début des séances. La première hypothèse est alors réfutée.
Lors de la discussion sur ses réalisations, il montre une certaine peur à s’exprimer et à chercher au fond de lui une certaine prise de conscience. Il reporte ses dessins à son addiction à la drogue. La thérapie l’amène petit à petit à prendre conscience de sa problématique. Il donne également l’impression de s’intéresser davantage aux gens dans l’atelier.
Au final, le cas de monsieur Nomb réfute la première hypothèse mais confirme la seconde. La médiation musique et l’atelier addiction médiatisé semblent avoir eu des effets plus favorables sur lui que l’art-thérapie qu’il fuit et n’aime pas. Le sujet reste bloqué sur sa passivité de voir au-dedans de lui, ce qui infirme notre première hypothèse. Quant à la seconde, elle semble ici prendre un peu de sens.
En effet, le patient semble se ressourcer dans la musique et dans l’atelier addiction, preuve qu’il essaie de substituer l’alcool et la drogue par cela. Cependant, son cas ne confirme que partiellement notre seconde hypothèse puisqu’il n’est pas définitivement considéré comme ayant mis de côté ou oublié ses addictions par la voie musicale. De plus, la thérapie de ce sujet étant encore en cours de route, seul le temps peut déterminer s’il va réussir à oublier son alcoolisme au profit de l’art-thérapie.
Au vu de son cas, nous voyons donc que la première hypothèse est totalement réfutée car le but de l’art-thérapie de le rendre plus social, de le faire prendre conscience de ses troubles et de trouver une motivation afin d’y échapper, de changer et de se restaurer narcissiquement est complètement absent ici. Aucune évolution du sujet n’émerge de l’art-thérapie qui crée en lui une gêne et un dérangement, au point de ne plus vouloir y assister.
La seconde hypothèse est confirmée car le sujet, pendant un temps, oublie ses addictions et se consacre à la musique. De plus, au lieu de ressasser inlassablement son addiction et d’en être nostalgique, le sujet semble plus ouvert à la musique et aux membres de son groupe, délaissant pour un temps son envie de boire et de se droguer.
Concernant la seconde hypothèse, nous pouvons dire que les quatre cas étudiés ici la confirment sans exception. En effet, nous observons que l’art-thérapie ainsi que les dispositions mises en place par la clinique, remplacent, pendant un court instant, l’addiction et l’envie de boire. Dans ce sens, l’art-thérapie rejoint la définition d’Eric Jacquet (2012) de la médiation dans son article Jeu et médiation dans les groupes thérapeutiques d’enfants : « En ce qui me concerne, j’entendrai par médiations ou, à la suite d’Edith LECOURT (1995), « objets médiateurs » tout ce qui, dans le setting thérapeutique, objets concrets animés ou non, se définit comme tel non seulement parce qu’il a été institué comme facilitateur de communication ou de projections, mais par son utilisation en intermédiaire entre soi et soi (le soi d’un processus jamais identique à lui-même), entre soi et l’autre, entre soi et la réalité extérieure, entre soi et l’objet de la « relation d’objet ». De par son statut d’intermédiaire, d’une part, et d’objet investi, d’autre part, considérons le comme symbole ne serait-ce que de la symbolisation elle-même (avec R. ROUSSILLON) en admettant une acception large de la notion et surtout en l’admettant comme un processus plutôt que comme un « état des choses ». »
En prenant le cas de chaque patient, nous observons que Mr Pyr, en prise avec une dépression et une addiction à l’alcool, s’est servi de l’art-thérapie, plus particulièrement de l’ergothérapie, pour déterminer la racine de ses troubles, changer et pour, durant les séances, oublier sa soif d’addiction. L’art-thérapie est devenu un objet, un médium verd don changement.
Il en est de même pour Mme Cart qui, en s’exprimant via l’art-thérapie, a oublié son addiction et s’est concentrée sur un changement intérieur et extérieur, en devenant plus soignée et en se consacrant plus de temps qu’au conflit qui l’oppose à sa mère. Le dessin est devenu une évasion transitoire pour cette patiente qui a réussi à s’intéresser davantage à ses séances d’art-thérapie.
Un autre fait chez cette patiente comme chez le premier patient que nous avons analysé mérite également d’être rappelé : celui d’avoir réussi à échapper à ses troubles et de ne pas avoir montré des signes nostalgiques envers l’alcoolisme ou la drogue. En d’autres termes, ils ont substitué leur addiction par la musique et le dessin, en se focalisant davantage sur eux et en puisant de nouvelles motivations pour leur vie future. Ainsi, ils ont fait connaissance avec leur « Autre », cet être transcendantal craint, inconnu et incompris par ces patients au début de leur admission dans la clinique.
Concernant Mr Guis, son cas a été plus spécial car il n’a pas réellement changé comme les deux patients cités ci-dessus. En effet, ce dernier n’a pas réellement exprimé sa compréhension de son cas. L’art-thérapie a eu un effet limité sur lui, cependant, les séances de médiation lui ont permis d’oublier durant un court instant sa décompensation et de se concentrer sur les ateliers.
Quant au cas de Mr Nomb sur lequel l’art-thérapie n’a eu aucun effet positif mais plutôt du refus, on observe un intérêt pour l’atelier médiation musique et l’atelier addiction médiatisé. Il a développé un intérêt pour la musique, allant même jusqu’à guider les autres membres de son groupe lors des thérapies, preuve qu’il est finalement arrivé à se concentrer momentanément sur un substitut de l’alcool et de l’héroïne.
La focalisation sur l’art durant un moment donné permet à chaque patient de se reconnaitre et de se chercher, mais surtout d’avoir un centre d’intérêt autre que l’alcool. Ce substitut temporaire éveille le sens du patient qui se découvre un autre côté de lui, un côté créatif et plus intéressant que celui qu’il a connu jusqu’à présent. Cette découverte est capitale pour le patient, il s’agit d’un nouveau tournant dans sa vie, d’une nouvelle acceptation de soi, une sorte de revalorisation. Par cette revalorisation, le patient prend conscience que noyer son problème dans l’alcool n’est pas forcément la solution idéale, à l’instar de Mr Nomb qui ne voit pas en l’alcool un plaisir mais une pulsion incontrôlable.
Dans l’ensemble, nos deux hypothèses ont donc été généralement confirmées. Cependant, il est utile de préciser que l’efficacité et l’importance de l’art-thérapie varient en fonction du sujet, de sa personnalité, de son trouble, de sa volonté, et du type d’atelier. Ainsi, aux premiers abords, l’art-thérapie pratiquée dans la Clinique du Golfe de Saint-Tropez, par l’intermédiaire de nos quatre exemples, a assouvi ses objectifs qui sont de faciliter la relation, de développer des capacités d’expression, de représentation, de symbolisation, de créativité, et de socialisation.
Dans deux cas sur quatre, c’est-à-dire dans le cas de Mme Cart et de Mr Pyr, l’art-thérapie a permis une restauration narcissique. Cette revalorisation a abouti suite à la volonté de ces deux sujets, mais surtout suite à leur prise de conscience de leurs troubles. Si l’on compare leur cas à celui de Mr Nomb sur lequel l’art-thérapie n’a eu aucun effet, on peut en déduire que les patients qui prennent conscience de leurs troubles sont plus motivés à changer et à se tourner vers leur avenir.
La prise de conscience du trouble est donc une étape primordiale dans le traitement des patients dépendants à l’alcool ou à la drogue. D’ailleurs, cette prise de conscience est un des objectifs principaux de la médiation et de l’art-thérapie. Grâce aux différents ateliers et aux multiples séances telles que l’improvisation ou l’expression de soi via des dessins, le sujet est invité à s’exprimer, une expression censée l’amener à une introspection, à s’inspecter intérieurement et à prendre conscience de son état, de ses facteurs déclencheurs et de ses conséquences.
Cette portée de l’art-thérapie a été absente chez Mr Nomb qui, en détestant être gouverné par la loi et en étant bipolaire et logorrhéique, a exprimé un profond désir de se replier sur lui-même et a repoussé toute tentation d’établir un contact avec sa conscience.
Deux types de patients sont donc observés ici : les alcolo-dépendants ayant la volonté de se chercher, admis dans la clinque dans le but de se retrouver et de se dépasser, et les alcolo-dépendants qui, bien qu’en suivant la thérapie, ne cherchent pas réellement une introspection en soi ou une connaissance de leurs troubles, comme c’est le cas de Mr Nomb. Les sujets enclins à se découvrir à travers l’art-thérapie et à déceler les sources de leurs pathologies semblent plus épanouis, à la fin de leur traitement, que ceux qui refusent de se chercher et d’extérioriser leur for intérieur.
L’analyse des cas de ces patients permet aussi de constater que l’art-thérapie a un effet différent sur chaque patient, en fonction de ses troubles. Il peut atteindre profondément certains patients, jusqu’à leur insuffler des motivations et des intentions de changement, comme c’est le cas pour Mr Pyr et Mme Cart. Il peut également s’arrêter à la conscientisation des patients de leurs troubles et à l’optimisation de leur socialisation, sans pour autant s’étendre jusqu’au changement comme c’est le cas pour Mr Guis. Il peut aussi provoquer des effets tout à fait contraires à ceux mentionnés ci-dessus au point que les patients, tels que Mr Nomb, refusent de s’y soumettre plus longtemps et n’en reçoivent pas les bienfaits.
Cette variété des conséquences de l’intervention de l’art-thérapie est dépendante de plusieurs paramètres :
- L’anamnèse du patient
- Sa pathologie
- Sa personnalité
- Le type d’art-thérapie (peinture, dessin, etc.)
- La durée de la thérapie
- La réceptivité du patient à l’égard de l’art-thérapie
- Etc.
DISCUSSION, CONCLUSION ET OUVERTURE
Pour reprendre Jean Rodriguez et Geoffrey Troll dans leur ouvrage L’art-thérapie : pratiques, techniques et concept, l’art-thérapie est l’art de « soigner avec des petits dessins, de soigner en se déguisant, … ». En disséquant littéralement ce terme, nous avons deux mots séparés qui, distinctement représentent l’art et la thérapie et qui, assemblés, évoquent la thérapie par l’art.
Cette thérapie permet de soigner un bon nombre de pathologies, allant de la dépendance à l’alcool aux pathologies psychiques, à la décompensation, à la dépression, etc. Se présentant sous forme d’ateliers diversifiés (atelier d’art, atelier de médiation, atelier d’écriture, ergothérapie, etc.), l’art-thérapie invite le sujet soigné à se définir et à se reconnaître par l’intermédiaire de séances focalisées sur l’art. Il doit donc dessiner une ou plusieurs représentations de lui-même et en fournir verbalement l’illustration et l’explication.
Dans le cas d’une personne dépendante, le but de l’art-thérapie est double : soigner le sujet afin de le recadrer socialement, de lui faire regagner son estime de soi, de stimuler sa créativité, de lui faire prendre conscience de ses troubles, etc. et lui permettre de supplanter sa dépendance par l’art et les créations qui en découlent. Par l’art-thérapie, la clinique du Golfe de Saint-Tropez veut amener les patients à se rendre compte de leurs maux et de leur état pour qu’ils puissent dépasser leur pathologie et maîtriser leur dépendance. Elle les incite à se reconnaître, à se représenter différemment de leur vision habituelle d’eux-mêmes, et à trouver dans la création et l’art un moyen de substituer leur dépendance, ne serait-ce que temporairement.
Un ergothérapeute, un psychologue et d’autres intervenants internes encadrent donc les patients qui se répartissent en groupe. Pour réaliser ce mémoire, nous avons suivi le cas de quatre patients atteints de troubles différents, dépendants soit à l’alcool, soit à l’alcool et à la drogue en même temps. Il s’agit de trois sujets masculins et d’un sujet féminin différents tant dans leurs troubles que dans leur anamnèse.
Le suivi du cas de ces patients nous a permis de confirmer et d’infirmer nos deux hypothèses de recherche qui sont :
Hypothèse théorique H1 – Par le compromis alternatif qu’elle induit en créant un espace intermédiaire pour les sujets bloqués/gelés dans leurs dynamiques psychiques, il me semble que l´ atelier d´art-thérapie de la Clinique du Golf, aux travers des différents mécanismes inconscients et thérapeutiques qu’il met en jeu, permettrait aux sujets de prendre conscience de leurs troubles, d’accroitre leur motivation aux changements et de se revaloriser narcissiquement.
Hypothèse théorique H2 – Au travers des mécanismes émergeants en ateliers médiatisés par l’art, l´objet toxique «alcool » pourrait, chez l’alcoolique, être substitué par un autre objet : le médium, et ce de manière transitoire, comme une sorte d’attache substitutive qui permettrait l’émergence du sujet et viendrait de fait induire un remaniement de sa relation à l’Autre/ objet.
A rappeler que les sujets étudiés pour le compte de ce mémoire sont tous en prise avec des troubles quotidiens causés par des traumatismes de l’enfance accentués par des problèmes vécus à l’âge adulte. Ces derniers n’ont pas réussi à dépasser leur passé ni à s’en défaire, provoquant chez eux une addiction à l’alcool ou à la drogue.
Dans l’analyse de leurs cas, nous avons remarqué que l’art-thérapie a partiellement atteint le double objectif que nous avons cité précédemment : c’est-à-dire essentiellement la prise de conscience et revalorisation des sujets ainsi que leur focalisation temporaire sur l’art-thérapie qui est ici perçu comme un objet médiateur, un objet d’appropriation comme le cite Rosa JAITI : « la fonction d’intériorisation des médiations en psychothérapie, qui facilitent la prise de conscience du sujet de sa souffrance (p. 74). »
De ce fait, l’art-thérapie est une médiation qui permet l’intériorisation des patients pour trouver l’origine de leurs troubles. Cependant, ce cas n’est pas général car certains patients peuvent jouir d’un changement et reconnaître l’Autre qui sommeille en eux, voire même déterminer par l’art-thérapie les sources de leur trouble et trouver un réconfort dans l’art et la création, alors que d’autres peuvent ne pas aller au-delà de leur prise de conscience, ou carrément rebuter l’art-thérapie par peur de l’introspection.
Ainsi, nous pensons que connaître chaque patient et ses troubles aidera à déterminer le type d’atelier adapté à son cas. En effet, au vu de la confirmation et de l’infirmation de nos deux hypothèses, nous nous apercevons que l’effet de l’art-thérapie diffère par cas, ce qui nous amène donc à avancer qu’il faut choisir l’atelier dans lequel on placera le patient suivant son anamnèse et son dossier médical.
La confirmation et l’infirmation de nos hypothèses ont, par exemple, montré que les patients Mr Pyr et Mme Cart sont deux patients réceptifs à l’art-thérapie qui a pleinement agi sur eux et les a transformés intérieurement, extérieurement, socialement, du point de vue créatif, etc. Ces deux patients ont confirmé la véracité de notre première hypothèse. Mr Guis a également montré une réceptivité face à l’art-thérapie mais moindre, l’amenant juste à évoluer dans son groupe mais ne lui insufflant pas de motivation et ne lui apportant pas de prise de conscience sur ses troubles. Quant à Mr Nomb, ce patient a tout simplement démontré que l’art-thérapie ne fonctionne pas sur lui puisqu’il n’y est pas ouvert ni réceptif.
Chaque patient alcolo-dépendant doit donc assister à un atelier spécifique. Pour des patients alcooliques atteints de décompensation, de dépression traumatique, de névrose, d’une pointe de paranoïa et de bipolarité tels que Mme Cart, une immersion directe dans l’art-thérapie est utile.
L’atelier approprié à un patient dans son cas est l’atelier d’art-thérapie en groupe focalisé sur le dessin suivi d’une discussion en groupe qui a su prouver ses effets et permettre à cette patiente d’être consciente de la raison de ses troubles, de se défaire lentement de son passé et de se revaloriser narcissiquement. Cet atelier a pour vocation de renouer le patient avec son Autre et de lui faire découvrir une nouvelle personnalité de ce dernier par l’art et la création.
Pour un patient alcolo-dépendant hébéphrénique, atteint de décompensation et de dépression tel que Mr Guis sur lequel l’art-thérapie n’a pas réellement montré d’effet notoire, un atelier d’art-thérapie de dessin ou de peinture est aussi le plus convenable. Cet atelier ne permet pas au patient de prendre conscience de ses troubles, mais le change progressivement, bien que lentement.
Pour un patient alcolo-dépendant traumatisé, en décompensation délirante et dépressif, un atelier d’art-thérapie par le dessin est également recommandé, sachant que si le patient s’ouvre pleinement à son traitement, l’art-thérapie aura les mêmes effets que ceux cités dans notre hypothèse H1. Enfin, pour un patient alcolo-dépendant héroïnomane, dépressif et anxieux et imbu de lui-même tel que Mr Nomb, un atelier de médiation musique et un atelier addiction médiatisé lui sont plus appropriés.
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Mémoire de fin d’études de 39 pages.
€24.90